{"filename": "Shakespeare_RomeoEtJuliette.pdf", "content": " \nWilliam Shakespeare \nROM\u00c9O ET JULIETTE \nTrag\u00e9die en cinq actes en vers et en prose (1595) \nTraduction de Fran\u00e7ois-Victor Hugo \n \n \u00c9dition du groupe \u00ab Ebooks libres et gratuits \u00bb Table des mati\u00e8res \n \nPersonnages ............................................................................. 4 \nPROLOGUE.............................................................................. 6 \nACTE PREMIER ....................................................................... 7 \nSC\u00c8NE PREMI\u00c8RE ..................................................................... 8 \nSC\u00c8NE II ..................................................................................... 18 \nSC\u00c8NE III................................................................................... 22 \nSC\u00c8NE IV ................................................................................... 26 \nSC\u00c8NE V..................................................................................... 30 \nACTE II.................................................................................... 37 \nPROLOGUE................................................................................ 38 \nSC\u00c8NE PREMI\u00c8RE ................................................................... 39 \nSC\u00c8NE II ..................................................................................... 41 \nSC\u00c8NE III................................................................................... 48 \nSC\u00c8NE IV ................................................................................... 52 \nSC\u00c8NE V...................................................................................... 61 \nSC\u00c8NE VI ................................................................................... 64 \nACTE III ................................................................................. 66 \nSC\u00c8NE PREMI\u00c8RE ................................................................... 67 \nSC\u00c8NE II ..................................................................................... 75 \nSC\u00c8NE III................................................................................... 80 \nSC\u00c8NE IV ................................................................................... 86 \nSC\u00c8NE V..................................................................................... 88 \nACTE IV................................................................................... 97 \nSC\u00c8NE PREMI\u00c8RE ................................................................... 98 \nSC\u00c8NE II ................................................................................... 103 \u2013 3 \u2013 SC\u00c8NE III................................................................................. 106 \nSC\u00c8NE IV ................................................................................. 108 \nSC\u00c8NE V.................................................................................... 110 \nACTE V .................................................................................. 116 \nSC\u00c8NE PREMI\u00c8RE .................................................................. 117 \nSC\u00c8NE II .................................................................................. 120 \nSC\u00c8NE III.................................................................................. 122 \n\u00c0 propos de cette \u00e9dition \u00e9lectronique ................................. 133 \n \u2013 4 \u2013 Personnages \n \nJuliette : Fille de Capulet \n \nRom\u00e9o : Fils de Montague \n \nMontague et Capulet : Chefs des deux maisons ennemies \n Lady Montague : Femme de Montague \n Lady Capulet : Femme de Capulet \n La nourrice : Nourrice de Juliette \n Mercutio : Parent du Prince et ami de Rom\u00e9o \n Benvolio : Neveu de Montague et ami de Rom\u00e9o \n \nTybalt : Neveu de Lady Capulet \n Fr\u00e8re Laurence : Moine franciscain \n Samson et Gr\u00e9goire : Valets de Capulet \n Balthazar : Page de Rom\u00e9o \n Abraham : Valet de Montague \n Pierre : valet de la nourrice \n \nP\u00e2ris : Jeune seigneur \n \nEscalus : Prince de V\u00e9rone \n \u2013 5 \u2013 Un vieillard : Oncle de Capulet \n \nFr\u00e8re Jean : Religieux franciscain \n \nL\u2019apothicaire \u2013 6 \u2013 PROLOGUE \n \nLe Ch\u0153ur \nDeux familles, \u00e9gales en noblesse, \nDans la belle V\u00e9rone, o\u00f9 nous pla\u00e7ons notre sc\u00e8ne, Sont entra\u00een\u00e9es par d'anciennes rancunes \u00e0 des rixes nouvel-\nles \nO\u00f9 le sang des citoyens souille les mains des citoyens. \n \nDes entrailles pr\u00e9destin\u00e9es de ces deux ennemies A pris naissance, sous des \u00e9toiles contraires, un couple \nd'amoureux \nDont la ruine n\u00e9faste et lamentable Doit ensevelir dans leur tombe l'animosit\u00e9 de leurs parents. Les terribles p\u00e9rip\u00e9ties de leur fatal amour \nEt les effets de la rage obstin\u00e9e de ces familles, Que peut seule apaiser la mort de leurs enfants, Vont en deux heures \u00eatre expos\u00e9s sur notre sc\u00e8ne. Si vous daignez nous \u00e9couter patiemment, Notre z\u00e8le s'efforcera de corriger notre insuffisance. \u2013 7 \u2013 ACTE PREMIER \n \u2013 8 \u2013 SC\u00c8NE PREMI\u00c8RE \n \nV\u00e9rone. \u2013 Une place publique. \nEntrent Samson et Gr\u00e9goire, ar m\u00e9s d'\u00e9p\u00e9es et de boucliers. \n \n Samson . \u2013 Gr\u00e9goire, sur ma parole, nous ne supporterons \npas leurs brocards. \n \nGr\u00e9goire . \u2013 Non, nous ne sommes pas gens \u00e0 porter le bro-\ncart. \n \nSamson . \u2013 Je veux dire que, s'ils nous mettent en col\u00e8re, \nnous allongeons le couteau. \n Gr\u00e9goire . \u2013 Oui, mais prends gard e qu'on ne t'allonge le \ncou t\u00f4t ou tard. \n \nSamson . \u2013 Je frappe vite quand on m'\u00e9meut. \n Gr\u00e9goire . \u2013 Mais tu es lent \u00e0 t'\u00e9mouvoir. \n Samson . \u2013 Un chien de la maison de Montague m'\u00e9meut. \n Gr\u00e9goire . \u2013 Qui est \u00e9mu, remue ; qui est vaillant, tient \nferme ; cons\u00e9quemment, si tu es \u00e9mu, tu l\u00e2ches pied. \n Samson . \u2013 Quand un chien de cette maison-l\u00e0 m'\u00e9meut, je \ntiens ferme. Je suis d\u00e9cid\u00e9 \u00e0 pren dre le haut du pav\u00e9 sur tous les \nMontagues, hommes ou femmes. \n Gr\u00e9goire . \u2013 Cela prouve que tu n'es qu'un faible dr\u00f4le ; les \nfaibles s'appuient toujours au mur. \n \u2013 9 \u2013 Samson . \u2013 C'est vrai ; et voil\u00e0 pourquoi les femmes \u00e9tant \nles vases les plus faibles, sont toujours adoss\u00e9es au mur ; aussi, \nquand j'aurai affaire aux Montagues, je repousserai les hommes \ndu mur et j'y adosserai les femmes. \n \nGr\u00e9goire . \u2013 La querelle ne regarde que nos ma\u00eetres et nous, \nleurs hommes. \n \nSamson . \u2013 N'importe ! je veux agir en tyran. Quand je me \nserai battu avec les hommes, je serai cruel avec les femmes. Il n'y \naura plus de vierges ! \n Gr\u00e9goire . \u2013 Tu feras donc sauter toutes leurs t\u00eates ? \n Samson . \u2013 Ou tous leurs pucelages. Comprends la chose \ncomme tu voudras. \n \nGr\u00e9goire . \u2013 Celles-l\u00e0 comprendront la chose, qui la senti-\nront. \n Samson . \u2013 Je la leur ferai sentir tant que je pourrai tenir \nferme, et l'on sait que je suis un joli morceau de chair. \n Gr\u00e9goire . \u2013 Il est fort heureux que tu ne sois pas poisson ; \nt u a u r a i s f a i t u n p a u v r e m e r l a n . Tire ton instrument ; en voici \ndeux de la maison de Montague. ( Ils d\u00e9gainent. ) \n Entrent Abraham et Balthazar \nSamson . \u2013 Voici mon \u00e9p\u00e9e nue ; cherche-leur querelle ; je \nserai derri\u00e8re toi. \n \nGr\u00e9goire . \u2013 Oui, tu te tiendras derri\u00e8re pour mieux d\u00e9guer-\npir. \n Samson . \u2013 Ne crains rien de moi. \n Gr\u00e9goire . \u2013 De toi ? Non, Morbleu. \u2013 10 \u2013 \nSamson . \u2013 Mettons la loi de notre c\u00f4t\u00e9 et laissons-les com-\nmencer. \n \nGr\u00e9goire . \u2013 Je vais froncer le sourcil en passant pr\u00e8s d'eux, \net qu'ils le prennent comme ils le voudront. \n Samson . \u2013 C'est-\u00e0-dire Comme ils n'oseront. Je vais mor-\ndre mon pouce en les regardant, et ce sera une disgr\u00e2ce pour eux, s'ils le supportent. \n Abraham , \u00e0 Samson . \u2013 Est-ce \u00e0 notre intention que vous \nmordez votre pouce, monsieur ? \n Samson . \u2013 Je mords mon pouce, monsieur. \n \nAbraham . \u2013 Est-ce \u00e0 notre intention que vous mordez votre \npouce, monsieur ? \n Samson , bas \u00e0 Gr\u00e9goire . \u2013 La loi est-elle de notre c\u00f4t\u00e9, si je \ndis oui ? \n Gr\u00e9goire , bas \u00e0 Samson . \u2013 Non. \n Samson , haut \u00e0 Abraham . \u2013 Non, monsieur ce n'est pas \u00e0 \nvotre intention que je mords mon pouce, monsieur ; mais je mords mon pouce, monsieur. \n Gr\u00e9goire , \u00e0 Abraham . \u2013 Cherchez-vous une querelle, mon-\nsieur ? \n Abraham . \u2013 Une querelle, monsieur ? Non, monsieur ! \n Samson . \u2013 Si vous en cherchez un e, monsieur, je suis votre \nhomme. Je sers un ma\u00eetre aussi bon que le v\u00f4tre. \n Abraham . \u2013 Mais pas meilleur. \n \u2013 11 \u2013 Samson . \u2013 Soit, monsieur. \n \nEntre, au fond du th\u00e9\u00e2tre, Benvolio ; puis, \u00e0 distance, der-\nri\u00e8re lui, Tybalt. \n \nGr\u00e9goire , \u00e0 Samson . \u2013 Dis meilleur ! Voici un parent de no-\ntre ma\u00eetre. \n \nSamson , \u00e0 Abraham . \u2013 Si fait, monsieur, meilleur ! \n \nAbraham . \u2013 Vous en avez menti. \n Samson . \u2013 D\u00e9gainez, si vous \u00eates hommes ! ( Tous se met-\ntent en garde. ) Gr\u00e9goire, souviens-toi de ta ma\u00eetresse botte ! \n Benvolio , s'avan\u00e7ant la rapi\u00e8re au poing . \u2013 S\u00e9parez-vous, \nimb\u00e9ciles ! rengainez vos \u00e9p\u00e9es ; vous ne savez pas ce que vous \nfaites. ( Il rabat les armes des valets .) \n \nTybalt , s'\u00e9lan\u00e7ant, l'\u00e9p\u00e9e nue, derri\u00e8re Benvolio . \u2013 Quoi ! \nl'\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main, parmi ces marauds sans c\u0153ur ! Tourne-toi, Ben-volio, et fais face \u00e0 ta mort. \n Benvolio , \u00e0 Tybalt . \u2013 Je ne veux ici que maintenir la paix ; \nrengaine ton \u00e9p\u00e9e, ou emploie-la, comme moi, \u00e0 s\u00e9parer ces hommes. \n Tybalt . \u2013 Quoi, l'\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main, tu parles de paix ! Ce mot, \nje le hais, comme je hais l'enfer, tous les Montagues et toi. \u00c0 toi, \nl\u00e2che ! \n \nTous se battent. D'autres pa rtisans des deux maisons arri-\nvent et se joignent \u00e0 la m\u00eal\u00e9e. \nAlors arrivent des citoyens arm\u00e9s de b\u00e2tons. Premier Citoyen . \u2013 \u00c0 l'\u0153uvre les b\u00e2tons, les piques, les \npartisanes ! Frappez ! \u00c9crasez-les ! \u00c0 bas les Montagues ! \u00c0 bas les Capulets ! \u2013 12 \u2013 \nEntrent Capulet, en robe de chambre, et lady Capulet. \nCapulet . \u2013 Quel est ce bruit ?\u2026 Hol\u00e0 ! qu'on me donne ma \ngrande \u00e9p\u00e9e. \n \nLady Capulet . \u2013 Non ! une b\u00e9quille ! une b\u00e9quille !\u2026 Pour-\nquoi demander une \u00e9p\u00e9e ? \n Capulet . \u2013 Mon \u00e9p\u00e9e, dis-je ! le vieux Montague arrive et \nbrandit sa rapi\u00e8re en me narguant ! \n Entrent Montague, l'\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main, et lady Montague. Montague . \u2013 \u00c0 toi, mis\u00e9rable Capulet !\u2026 Ne me retenez \npas ! l\u00e2chez-moi. \n \nLady Montague , le retenant. \u2013 Tu ne feras pas un seul pas \nvers ton ennemi. \n Entre le Prince Escalus, avec sa suite. Le Prince . \u2013 Sujets rebelles, ennemis de la paix ! profana-\nteurs qui souillez cet acier par un fratricide !\u2026 Est-ce qu'on ne m'entend pas ?\u2026 Hol\u00e0 ! vous tous, hommes ou brutes, qui \u00e9tei-gnez la flamme de votre rage pern icieuse dans les flots de pourpre \n\u00e9chapp\u00e9s de vos veines, sous peine de torture, ob\u00e9issez ! Que vos mains sanglantes jettent \u00e0 terre ces \u00e9p\u00e9es tremp\u00e9es dans le crime, et \u00e9coutez la sentence de votre Prince irrit\u00e9 ! (Tous les combat-\ntants s'arr\u00eatent.) Trois querelles civiles, n\u00e9es d'une parole en l'air, \nont d\u00e9j\u00e0 troubl\u00e9 le repos de nos ru es, par ta faute, vieux Capulet, \net par la tienne, Montague ; trois fois les anciens de V\u00e9rone, d\u00e9-pouillant le v\u00eatement grave qui le ur sied, ont d\u00fb saisir de leurs \nvieilles mains leurs vieilles partisanes, gangren\u00e9es par la rouille, pour s\u00e9parer vos haines gangren\u00e9es . Si jamais vous troublez en-\ncore nos rues, votre vie payera le dommage fait \u00e0 la paix. Pour \ncette fois, que tous se retirent. Vous, Capulet, venez avec moi ; et vous, Montague, vous vous rendrez cette apr\u00e8s-midi, pour \u2013 13 \u2013 conna\u00eetre notre d\u00e9cision ult\u00e9rieure sur cette affaire, au vieux ch\u00e2-\nteau de Villafranca, si\u00e8ge ordinaire de notre justice. \nEncore une fois, sous peine de mort, que tous se s\u00e9parent ! \n \nTous sortent, except\u00e9 Montague, lady Montague et Benvo-\nlio. \n Montague . \u2013 Qui donc a r\u00e9veill\u00e9 cette ancienne querelle ? \nParlez, neveu, \u00e9tiez-vous l\u00e0 quand les choses ont commenc\u00e9 ? \n Benvolio . \u2013 Les gens de votre adversaire et les v\u00f4tres se \nbattaient ici \u00e0 outrance quand je suis arriv\u00e9 ; j'ai d\u00e9gain\u00e9 pour les s\u00e9parer ; \u00e0 l'instant m\u00eame est survenu le fougueux Tybalt, l'\u00e9p\u00e9e haute, vocif\u00e9rant ses d\u00e9fis \u00e0 mo n oreille, en m\u00eame temps qu'il \nagitait sa lame autour de sa t\u00eate et pourfendait l'air qui narguait \nson impuissance par un sifflement. Tandis que nous \u00e9changions \nles coups et les estocades, sont arriv\u00e9s des deux c\u00f4t\u00e9s de nou-\nveaux partisans qui ont combattu jusqu'\u00e0 ce que le Prince soit \nvenu les s\u00e9parer \n Lady Montague . \u2013 Oh ! o\u00f9 est donc Rom\u00e9o ? l'avez-vous \nvu aujourd'hui ? Je suis bien aise qu'il n'ait pas \u00e9t\u00e9 dans cette ba-\ngarre. \n Benvolio . \u2013 Madame, une heure avan t que le soleil sacr\u00e9 \nper\u00e7\u00e2t la vitre d'or de l'Orient , mon esprit agit\u00e9 m'a entra\u00een\u00e9 \u00e0 \nsortir ; tout en marchant dans le bois de sycomores qui s'\u00e9tend \u00e0 \nl'ouest de la ville, j'ai vu votre fils qui s'y promenait d\u00e9j\u00e0 ; je me suis dirig\u00e9 vers lui, mais, \u00e0 mon aspect, il s'est d\u00e9rob\u00e9 dans les \nprofondeurs du bois. Pour moi, jugeant de ses \u00e9motions par les miennes, qui ne sont jamais aussi absorbantes que quand elles sont solitaires, j'ai suivi ma fantai sie sans poursuivre la sienne, et \nj'ai \u00e9vit\u00e9 volontiers qui me fuyait si volontiers. \n Montague . \u2013 Voil\u00e0 bien des matin\u00e9es qu'on l'a vu l\u00e0 aug-\nmenter de ses larmes la fra\u00eeche ros\u00e9e du matin et \u00e0 force de sou-pirs ajouter des nuages aux nuages. Mais, aussit\u00f4t que le vivifiant soleil commence, dans le plus lo intain Orient, \u00e0 tirer les rideaux \u2013 14 \u2013 ombreux du lit de l'Aurore, vite mon fils accabl\u00e9 fuit la lumi\u00e8re ; il \nrentre, s'emprisonne dans sa chambre, ferme ses fen\u00eatres, tire le verrou sur le beau jour et se fait une nuit artificielle. Ah ! cette \nhumeur sombre lui sera fatale, si de bons conseils n'en dissipent \nla cause. \n \nBenvolio . \u2013 Cette cause, la connaissez-vous, mon noble on-\ncle ? \n Montague . \u2013 Je ne la connais pas et je n'ai pu l'apprendre \nde lui. \n Benvolio . \u2013 Avez-vous insist\u00e9 pr\u00e8s de lui suffisamment ? \n Montague . \u2013 J'ai insist\u00e9 moi-m\u00eame, ainsi que beaucoup de \nmes amis ; mais il est le seul conseiller de ses passions ; il est \nl'unique confident de lui-m\u00eame, confident peu sage peut-\u00eatre, mais aussi secret, aussi imp\u00e9n\u00e9tr able, aussi ferm\u00e9 \u00e0 la recherche \net \u00e0 l'examen que le bouton qui est rong\u00e9 par un ver jaloux avant \nde pouvoir \u00e9panouir \u00e0 l'air ses p\u00e9tales embaum\u00e9s et offrir sa beaut\u00e9 au soleil ! Si seulement nous pouvions savoir d'o\u00f9 lui \nviennent ces douleurs, nous serions aussi empress\u00e9s pour les gu\u00e9-rir que pour les conna\u00eetre. \n Rom\u00e9o para\u00eet \u00e0 distance. Benvolio . \u2013 Tenez, le voici qui vien t. \u00c9loignez-vous, je vous \nprie ; ou je conna\u00eetrai ses peines, ou je serai bien des fois refus\u00e9. \n \nMontague . \u2013 Puisses-tu, en restant, \u00eatre assez heureux \npour entendre une confession compl\u00e8te !\u2026 Allons, madame, par-\ntons ! (Sortent Montague et lady Montague.) \n Benvolio . \u2013 Bonne matin\u00e9e, cousin ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Le jour est-il si jeune encore ? \n Benvolio . \u2013 Neuf heures viennent de sonner. \u2013 15 \u2013 \nRom\u00e9o . \u2013 Oh ! que les heures tristes semblent longues ! \nN'est-ce pas mon p\u00e8re qui vient de partir si vite ? \n \nBenvolio . \u2013 C'est lui-m\u00eame. Quelle est donc la tristesse qui \nallonge les heures de Rom\u00e9o ? \n Rom\u00e9o . \u2013 La tristesse de ne pas avoir ce qui les abr\u00e9gerait. \n Benvolio . \u2013 Amoureux ? \n Rom\u00e9o . \u2013 \u00c9perdu\u2026 \n Benvolio . \u2013 D'amour ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Des d\u00e9dains de celle que j'aime. \n \nBenvolio . \u2013 H\u00e9las ! faut-il que l'amour si doux en appa-\nrence, soit si tyrannique et si cruel \u00e0 l'\u00e9preuve ! \n Rom\u00e9o . \u2013 H\u00e9las ! faut-il que l'amour malgr\u00e9 le bandeau qui \nl'aveugle, trouve toujours, sans y voir, un chemin vers son but !\u2026 O\u00f9 d\u00eenerons-nous ?\u2026 \u00f4 mon Dieu !\u2026 Quel \u00e9tait ce tapage ?\u2026 \nMais non, ne me le dis pas, car je sais tout ! Ici on a beaucoup \u00e0 faire avec la haine, mais plus encore avec l'amour\u2026 Amour ! \u00f4 \ntumultueux amour ! \u00f4 amoureuse ha ine ! \u00f4 tout, cr\u00e9\u00e9 de rien ! \u00f4 \nlourde l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 ! Vanit\u00e9 s\u00e9rieuse ! Informe chaos de ravissantes visions ! Plume de plomb, lumineuse fum\u00e9e, feu glac\u00e9, sant\u00e9 ma-ladive ! Sommeil toujours \u00e9veill\u00e9 qui n'est pas ce qu'il est ! Voil\u00e0 \nl'amour que je sens et je n'y sens pas d'amour\u2026 Tu ris, n'est-ce \npas ? \n \nBenvolio . \u2013 Non, cousin : je pleurerais plut\u00f4t. \n Rom\u00e9o . \u2013 Bonne \u00e2me !\u2026 et de quoi ? \n Benvolio . \u2013 De voir ta bonne \u00e2me si accabl\u00e9e. \n \u2013 16 \u2013 Rom\u00e9o . \u2013 Oui, tel est l'effet de la sympathie. La douleur ne \npesait qu'\u00e0 mon c\u0153ur, et tu veux l'\u00e9tendre sous la pression de la \ntienne : cette affection que tu me montres ajoute une peine de \nplus \u00e0 l'exc\u00e8s de mes peines. L'amour est une fum\u00e9e de soupirs ; \nd\u00e9gag\u00e9, c'est une flamme qui \u00e9t incelle aux yeux des amants ; \ncomprim\u00e9, c'est une mer qu'alime ntent leurs larmes. Qu'est-ce \nencore ? La folle la plus rais onnable, une suffocante amertume, \nune vivifiante douceur !\u2026 Au revoir, mon cousin. (Il va pour sor-\ntir) \n \nBenvolio . \u2013 Doucement, je vais vous accompagner : vous \nme faites injure en me quittant ainsi. \n Rom\u00e9o . \u2013 Bah ! je me suis perdu mo i-m\u00eame ; je ne suis plus \nici ; ce n'est pas Rom\u00e9o que tu vois, il est ailleurs. \n \nBenvolio . \u2013 Dites-moi s\u00e9rieusement qui vous aimez. \n Rom\u00e9o . \u2013 S\u00e9rieusement ? Rom\u00e9o ne peut le dire qu'avec \ndes sanglots. \n Benvolio . \u2013 Avec des sanglots ? Non ! dites-le-moi s\u00e9rieu-\nsement. \n Rom\u00e9o . \u2013 Dis donc \u00e0 un malade de faire s\u00e9rieusement son \ntestament ! Ah ! ta demande s'adresse mal \u00e0 qui est si mal ! S\u00e9-rieusement, cousin, j'aime une femme. \n Benvolio . \u2013 En le devinant, j'avais touch\u00e9 juste. \n Rom\u00e9o . \u2013 Excellent tireur !\u2026 j'ajoute qu'elle est d'une \u00e9cla-\ntante beaut\u00e9. \n Benvolio . \u2013 Plus le but est \u00e9clatant , beau cousin, plus il est \nfacile \u00e0 atteindre. \n Rom\u00e9o . \u2013 Ce trait-l\u00e0 frappe \u00e0 c\u00f4t\u00e9 ; car elle est hors d'at-\nteinte des fl\u00e8ches de Cupidon : elle a le caract\u00e8re de Diane ; arm\u00e9e \u2013 17 \u2013 d'une chastet\u00e9 \u00e0 toute \u00e9preuve, elle vit \u00e0 l'abri de l'arc enfantin de \nl'Amour ; elle ne se laisse pas assi\u00e9ger en termes amoureux, elle se d\u00e9robe au choc des regards provocants et ferme son giron \u00e0 l'or \nqui s\u00e9duirait une sainte. Oh ! elle est riche en beaut\u00e9, mis\u00e9rable \nseulement en ce que ses beaux tr\u00e9sors doivent mourir avec elle ! \n \nBenvolio . \u2013 Elle a donc jur\u00e9 de vivre toujours chaste ? \n \nRom\u00e9o . \u2013 Elle l'a jur\u00e9, et cette r\u00e9serve produit une perte \nimmense. En affamant une telle be aut\u00e9 par ses rigueurs, elle en \nd\u00e9sh\u00e9rite toute la post\u00e9rit\u00e9. Elle est trop belle, trop sage, trop sa-\ngement belle, car elle m\u00e9rite le ciel en faisant mon d\u00e9sespoir. Elle \na jur\u00e9 de n'aimer jamais, et ce se rment me tue en me laissant vi-\nvre, puisque c'est un vivant qui te parle. \n Benvolio . \u2013 Suis mon conseil : cesse de penser \u00e0 elle. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Oh ! apprends-moi comment je puis cesser de \npenser. \n Benvolio . \u2013 En rendant la libert\u00e9 \u00e0 tes yeux : examine d'au-\ntres beaut\u00e9s. \n Rom\u00e9o . \u2013 Ce serait le moyen de rehausser encore ses gr\u00e2ces \nexquises. Les bienheureux masques qui baisent le front des belles ne servent, par leur noirceur, qu'\u00e0 nous rappeler la blancheur \nqu'ils cachent. L'homme frapp\u00e9 de c\u00e9cit\u00e9 ne saurait oublier le pr\u00e9-cieux tr\u00e9sor qu'il a perdu avec la vue. Montre-moi la plus char-\nmante ma\u00eetresse : que sera pour moi sa beaut\u00e9, sinon une page o\u00f9 \nje pourrai lire le nom d'une beaut\u00e9 plus charmante encore ? Adieu : tu ne saurais m'apprendre \u00e0 oublier \n Benvolio . \u2013 J'ach\u00e8terai ce secret-l\u00e0, duss\u00e9-je mourir insol-\nvable ! (Ils sortent.) \n \u2013 18 \u2013 SC\u00c8NE II \n \nDevant la maison de Capulet. \nEntrent Capulet, P\u00e2ris et un valet. \n \n Capulet . \u2013 Montague est li\u00e9 comme moi, et sous une \u00e9gale \ncaution. Il n'est pas bien difficile, je pense, \u00e0 des vieillards comme nous de garder la paix. \n P\u00e2ris . \u2013 Vous avez tous deux la plus honorable r\u00e9putation ; \net c'est piti\u00e9 que vous ayez v\u00e9cu si longtemps en querelle\u2026 Mais \nmaintenant, monseigneur, que r\u00e9pondez-vous \u00e0 ma requ\u00eate ? \n Capulet . \u2013 Je ne puis que redire ce que j'ai d\u00e9j\u00e0 dit. Mon en-\nfant est encore \u00e9trang\u00e8re au monde ; elle n'a pas encore vu la fin \nde ses quatorze ans ; laissons deux \u00e9t\u00e9s encore se fl\u00e9trir dans leur \norgueil, avant de la juger mure pour le mariage. \n \nP\u00e2ris . \u2013 De plus jeunes qu'elle sont d\u00e9j\u00e0 d'heureuses m\u00e8res. \n Capulet . \u2013 Trop vite \u00e9tiol\u00e9es sont ces m\u00e8res trop pr\u00e9coces\u2026 \nLa terre a englouti toutes mes esp\u00e9rances ; Juliette seule, Juliette est la reine esp\u00e9r\u00e9e de ma terre. Courtisez-la gentil P\u00e2ris, obtenez son c\u0153ur ; mon bon vouloir n'est que la cons\u00e9quence de son as-sentiment ; si vous lui agr\u00e9ez, c'est de son choix que d\u00e9pendent mon approbation et mon plein consentement\u2026 Je donne ce soir une f\u00eate, consacr\u00e9e par un vieil usag e, \u00e0 laquelle j'invite ceux que \nj'aime ; vous serez le tr\u00e8s bienvenu, si vous voulez \u00eatre du nom-bre. Ce soir, dans ma pauvre demeure, attendez-vous \u00e0 contem-\npler des \u00e9toiles qui, tout en foul ant la terre, \u00e9clipseront la clart\u00e9 \ndes cieux. Les d\u00e9licieux transpor ts qu'\u00e9prouvent les jeunes ga-\nlants alors qu'avril tout pimpant arrive sur les talons de l'impo-\nsant hiver, vous les ressentirez ce soir chez moi, au milieu de ces \u2013 19 \u2013 fra\u00eeches beaut\u00e9s en bouton. \u00c9coutez-les toutes, voyez-les toutes, \net donnez la pr\u00e9f\u00e9rence \u00e0 celle qu i la m\u00e9ritera. Ma fille sera une \nde celles que vous verrez, et, si elle ne se fait pas compter elle peut \ndu moins faire nombre. A llons, venez avec moi\u2026 (Au valet.) Hol\u00e0, \nmaraud ! tu vas te d\u00e9mener \u00e0 trav ers notre belle V\u00e9rone ; tu iras \ntrouver les personnes dont les noms sont \u00e9crits ici, et tu leur diras \nque ma maison et mon hospitalit\u00e9 sont mises \u00e0 leur disposition. \n(Il remet un papier au valet et sort avec P\u00e2ris.) \n Le Valet , seul, les yeux fix\u00e9s sur le papier \u2013 Trouver les \ngens dont les noms sont \u00e9crits ici ? Il est \u00e9crit\u2026 que le cordonnier doit se servir de son aune, le tailleur de son al\u00eane, le p\u00eacheur de ses pinceaux et le peintre de ses filets ; mais moi, on veut que j'aille trouver les personnes dont les noms sont \u00e9crits ici, quand je ne peux m\u00eame pas trouver quels noms a \u00e9crits ici l'\u00e9crivain ! Il faut que je m'adresse aux savants\u2026 Heureuse rencontre ! \n \nEntrent Benvolio et Rom\u00e9o. Benvolio . \u2013 Bah ! mon cher, une inflammation \u00e9teint une \nautre inflammation ; une peine est amoindrie par les angoisses \nd'une autre peine. La t\u00eate te tournera-t-elle ? tourne en sens in-verse, et tu te remettras\u2026 Une douleur d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e se gu\u00e9rit par les langueurs d'une douleur nouvelle ; que tes regards aspirent un \nnouveau poison, et l'ancien perdra son action v\u00e9n\u00e9neuse. \n Rom\u00e9o , ironiquement . \u2013 La feule de plantain est excellente \npour cela. \n \nBenvolio . \u2013 Pourquoi, je te prie ? \n \nRom\u00e9o . \u2013 Pour une jambe cass\u00e9e. \n Benvolio . \u2013 \u00c7a, Rom\u00e9o, es-tu fou ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Pas fou pr\u00e9cis\u00e9ment, mais li\u00e9 plus durement \nqu'un fou ; je suis tenu en prison , mis \u00e0 la di\u00e8te, flagell\u00e9, tour-\nment\u00e9 et\u2026 (Au valet.) Bonsoir, mon bon ami. \u2013 20 \u2013 \nLe Valet . \u2013 Dieu vous donne le bonsoir !\u2026 Dites-moi, mon-\nsieur savez-vous lire ? \n \nRom\u00e9o . \u2013 Oui, ma propre fortune dans ma mis\u00e8re. \n Le Valet . \u2013 Peut-\u00eatre avez-vous appri s \u00e7a sans livre ; mais, \ndites-moi, savez-vous lire le premier \u00e9crit venu ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Oui, si j'en connais les lettres et la langue. \n Le Valet . \u2013 Vous parlez congr\u00fbment. Le ciel vous tienne en \njoie ! (Il va pour se retirer) \n Rom\u00e9o , le rappelant . \u2013 Arr\u00eate, l'ami, je sais lire. (Il prend le \npapier des mains du valet et lit :) \u201cLe signor Martino, sa femme \net ses filles ; le comte Anselme et ses charmantes s\u0153urs ; la veuve \ndu signor Vitruvio ; le signor Placentio et ses aimables ni\u00e8ces ; Mercutio et son fr\u00e8re valentin ; mon oncle Capulet, sa femme et \nses filles ; ma jolie ni\u00e8ce Rosaline ; Livia ; le signor Valentio et son \ncousin Tybalt ; Lucio et la vive H\u00e9l\u00e9na.\u201d (Rendant le papier.) Voi-\nl\u00e0 une belle assembl\u00e9e. O\u00f9 doit-elle se rendre ? \n Le Valet . \u2013 L\u00e0-haut. \n Rom\u00e9o . \u2013 O\u00f9 cela ? \n Le Valet . \u2013 Chez nous, \u00e0 souper \n \nRom\u00e9o. \u2013 Chez qui ? \n \nLe Valet . \u2013 Chez mon ma\u00eetre. \n Rom\u00e9o . \u2013 J'aurais d\u00fb commencer par cette question. \n Le Valet . \u2013 Je vais tout vous dire sans que vous le deman-\ndiez : mon ma\u00eetre est le grand et riche Capulet ; si vous n'\u00eates pas \u2013 21 \u2013 de la maison des Montagues, je vous invite \u00e0 venir chez nous faire \nsauter un cruchon de vin\u2026 Dieu vous tienne en joie ! (Il sort.) \n \nBenvolio . \u2013 C'est l'antique f\u00eate des Capulets ; la charmante \nRosaline, celle que tu aimes tant, y soupera, ainsi que toutes les \nbeaut\u00e9s admir\u00e9es de V\u00e9rone ; vas-y, puis, d'un \u0153il impartial, compare son visage \u00e0 d'autres que je te montrerai, et je te ferai convenir que ton cygne n'est qu'un corbeau. \n Rom\u00e9o . \u2013 Si jamais mon regard, en d\u00e9pit d'une religieuse \nd\u00e9votion, proclamait un tel mensonge, que mes larmes se chan-gent en flammes ! et que mes yeux, rest\u00e9s vivants, quoique tant de \nfois noy\u00e9s, transparents h\u00e9r\u00e9tiques, soient br\u00fbl\u00e9s comme impos-teurs ! Une femme plus belle que ma bien-aim\u00e9e ! Le soleil qui \nvoit tout n'a jamais vu son \u00e9gale depuis qu'a commenc\u00e9 le monde ! \n \nBenvolio . \u2013 Bah ! vous l'avez vue belle, parce que vous \nl'avez vue seule ; pour vos yeux, elle n'avait d'autre contrepoids qu'elle-m\u00eame ; mais, dans ces bala nces cristallines, mettez votre \nbien-aim\u00e9e en regard de telle autr e beaut\u00e9 que je vous montrerai \ntoute brillante \u00e0 cette f\u00eate, et elle n'aura plus cet \u00e9clat qu'elle a \npour vous aujourd'hui. \n Rom\u00e9o . \u2013 Soit ! J'irai, non pour voir ce que tu dis, mais \npour jouir de la splendeur de mon ador\u00e9e. (Ils sortent.) \n \u2013 22 \u2013 SC\u00c8NE III \n \nDans la maison de Capulet. \nEntrent lady Capulet et la nourrice. \n \n Lady Capulet . \u2013 Nourrice, o\u00f9 est ma fille ? Appelle-la. \n La Nourrice . \u2013 Eh ! par ma virginit\u00e9 de douze ans, je lui ai \ndit de venir\u2026 (Appelant.) Allons, mon agneau ! allons, mon oi-\nselle ! Dieu me pardonne !\u2026 O\u00f9 est donc cette fille ?\u2026 Allons, Ju-liette ! \n Entre Juliette. Juliette . \u2013 Eh bien, qui m'appelle ? \n \nLa Nourrice . \u2013 Votre m\u00e8re. \n Juliette . \u2013 Me voici, madame. Quelle est votre volont\u00e9 ? \n Lady Capulet . \u2013 Voici la chose\u2026 Nourrice, laisse-nous un \npeu ; nous avons \u00e0 causer en secret\u2026 (La nourrice va pour sor-\ntir.) Non, reviens, nourrice ; je me suis ravis\u00e9e, tu assisteras \u00e0 no-\ntre conciliabule. Tu sais que ma fille est d'un joli \u00e2ge. \n La Nourrice . \u2013 Ma foi, je puis di re son \u00e2ge \u00e0 une heure \npr\u00e8s. \n Lady Capulet . \u2013 Elle n'a pas quatorze ans. \n La Nourrice . \u2013 Je parierais quatorze de mes dents, et, \u00e0 ma \ngrande douleur je n'en ai plus qu e quatre, qu'elle n'a pas quatorze \nans\u2026 Combien y a-t-il d'ici \u00e0 la Saint-Pierre-\u00e8s-Liens ? \u2013 23 \u2013 \nLady Capulet . \u2013 Une quinzaine au moins. \n \nLa Nourrice . \u2013 Au moins ou au plus, n'importe ! Entre tous \nles jours de l'ann\u00e9e, c'est pr\u00e9cis\u00e9men t la veille au soir de la Saint-\nPierre-\u00e8s-Liens qu'elle aura quatorze ans. Suzanne et elle, Dieu \ngarde toutes les \u00e2mes chr\u00e9tiennes ! \u00e9taient du m\u00eame \u00e2ge\u2026 Oui, \u00e0 \npr\u00e9sent, Suzanne est avec Dieu : elle \u00e9tait trop bonne pour moi ; \nmais, comme je disais, la veille au soir de la Saint-Pierre-\u00e8s-Liens \nelle aura quatorze ans ; elle les aura, ma parole. Je m'en souviens \nbien. Il y a maintenant onze ans du tremblement de terre ; et elle \nfut sevr\u00e9e, je ne l'oublierai jamais, entre tous les jours de l'ann\u00e9e, pr\u00e9cis\u00e9ment ce jour-l\u00e0 ; car j'avais mis de l'absinthe au bout de mon sein, et j'\u00e9tais assise au soleil contre le mur du pigeonnier ; monseigneur et vous, vous \u00e9tiez al ors \u00e0 Mantoue\u2026 Oh ! j'ai le cer-\nveau solide !\u2026 Mais, comme je di sais, d\u00e8s qu'elle eut go\u00fbt\u00e9 l'ab-\nsinthe au bout de mon sein et qu'elle en eut senti l'amertume, il \nfallait voir comme la petite foll e, toute furieuse, s'est emport\u00e9e \ncontre le t\u00e9ton ! Tremble, fit le pigeonnier ; il n'\u00e9tait pas besoin, je vous jure, de me dire de d\u00e9camper \u2026 Et il y a onze ans de \u00e7a ; car \nalors elle pouvait se tenir toute seul e ; oui, par la sainte croix, elle \npouvait courir et trottiner tout parto ut ; car, tenez, la veille m\u00eame, \nelle s'\u00e9tait cogn\u00e9 le front ; et al ors mon mari, Dieu soit avec son \n\u00e2me ! c'\u00e9tait un homme bien gai ! releva l'enfant : \u201coui-da, dit-il, tu tombes sur la face ? Quand tu auras plus d'esprit, tu tomberas \nsur le dos ; n'est-ce pas, Juju ?\u201d Et, par Notre-Dame, la petite fri-\nponne cessa de pleurer et dit : \u201coui !\u201d Voyez donc \u00e0 pr\u00e9sent comme une plaisanterie vient \u00e0 poin t ! Je garantis que, quand je \nvivrais mille ans, je n'oublierais ja mais \u00e7a : \u201cN'est-ce pas, Juju ?\u201d \nfit-il ; et la petite folle s'arr\u00eata et dit : \u201coui !\u201d \n Lady Capulet . \u2013 En voil\u00e0 assez ; je t'en prie, tais-toi. \n La Nourrice . \u2013 Oui, madame ; pourtant je ne peux pas \nm'emp\u00eacher de rire quand je songe qu'elle cessa de pleurer et dit : \u201coui !\u201d Et pourtant je garantis qu'elle avait au front une bosse aus-\nsi grosse qu'une coque de jeune po ussin, un coup terrible ! et elle \npleurait am\u00e8rement. \u201coui-da, fit mo n mari, tu tombes sur la face ? \u2013 24 \u2013 Quand tu seras d'\u00e2ge, tu tomberas su r le dos : n'est-ce pas, Juju ?\u201d \nEt elle s'arr\u00eata et dit : \u201coui !\u201d \n \nJuliette . \u2013 Arr\u00eate-toi donc aussi, je t'en prie, nourrice ! \n \nLa Nourrice . \u2013 Paix ! j'ai fini. Que Dieu te marque de sa \ngr\u00e2ce ! tu \u00e9tais le plus joli poupon que j'aie jamais nourri ; si je puis vivre pour te voir marier un jour, je serai satisfaite. \n Lady Capulet : \u2013 Voil\u00e0 justement le sujet dont je viens l'en-\ntretenir\u2026 Dis-moi, Juliette, ma fille, quelle disposition te sens-tu pour le mariage ? \n Juliette . \u2013 C'est un honneur auquel je n'ai pas m\u00eame song\u00e9. \n La Nourrice . \u2013 Un honneur ! Si je n'\u00e9tais pas ton unique \nnourrice, je dirais que tu as suc\u00e9 la sagesse avec le lait. \n \nLady Capulet . \u2013 Eh bien, songez au mariage, d\u00e8s \u00e0 pr\u00e9-\nsent ; de plus jeunes que vous, dames fort estim\u00e9es, ici \u00e0 V\u00e9rone m\u00eame, sont d\u00e9j\u00e0 devenues m\u00e8res ; si je ne me trompe, j'\u00e9tais m\u00e8re moi-m\u00eame avant l'\u00e2ge o\u00f9 vous \u00eat es fille encore. En deux mots, \nvoici : le vaillant P\u00e2ris vous recherche pour sa fianc\u00e9e. \n La Nourrice . \u2013 Voil\u00e0 un homme, ma jeune dame ! un \nhomme comme le monde entier\u2026 Quoi ! c'est un homme en cire ! \n Lady Capulet . \u2013 Le parterre de V\u00e9rone n'offre pas une fleur \npareille. \n La Nourrice . \u2013 Oui, ma foi, il est la fleur du pays, la fleur \npar excellence. \n Lady Capulet . \u2013 Qu'en dites-vous ? pourriez-vous aimer ce \ngentilhomme ? Ce soir vous le ve rrez \u00e0 notre f\u00eate ; lisez alors sur \nle visage du jeune P\u00e2ris, et observez toutes les gr\u00e2ces qu'il a tra-c\u00e9es la plume de la beaut\u00e9 ; examin ez ces traits si bien mari\u00e9s, et \nvoyez quel charme chacun pr\u00eate \u00e0 l'autre ; si quelque chose reste \u2013 25 \u2013 obscur en cette belle page, vous le trouverez \u00e9clairci sur la marge \nde ses yeux. Ce pr\u00e9cieux livre d'amour, cet amant jusqu'ici d\u00e9ta-\nch\u00e9, pour \u00eatre parfait, n'a besoin que d'\u00eatre reli\u00e9 !\u2026 Le poisson \nbrille sous la vague, et c'est la splendeur supr\u00eame pour le beau \next\u00e9rieur de receler le beau int\u00e9rieur ; aux yeux de beaucoup, il \nn'en est que plus magnifique, le li vre qui d'un fermoir d'or \u00e9treint \nla l\u00e9gende d'or ! Ainsi, en l'\u00e9p ousant, vous aurez part \u00e0 tout ce \nqu'il poss\u00e8de, sans que vous-m\u00eame soyez en rien diminu\u00e9e. \n La Nourrice . \u2013 Elle, diminuer ! Elle grossira, bien plut\u00f4t. \nLes femmes s'arrondissent aupr\u00e8s des hommes ! \n Lady Capulet , \u00e0 Juliette . \u2013 Bref, dites-moi si vous r\u00e9pon-\ndrez \u00e0 l'amour de P\u00e2ris. \n Juliette . \u2013 Je verrai \u00e0 l'aimer, S'il suffit de voir pour aimer ! \nmais mon attention \u00e0 son \u00e9gard ne d\u00e9passera pas la port\u00e9e que lui \ndonneront vos encouragements. \n Entre un valet. Le Valet . \u2013 Madame, les invit\u00e9s sont venus, le souper est \nservi ; on vous appelle ; on dema nde mademoiselle ; on maudit la \nnourrice \u00e0 l'office ; et tout est termin\u00e9. Il faut que je m'en aille pour servir ; je vous en conjure, venez vite. \n Lady Capulet . \u2013 Nous te suivons. Juliette, le comte nous \nattend. \n \nLa Nourrice . \u2013 Va, fillette, va ajouter d'heureuses nuits \u00e0 \ntes heureux jours. (Tous sortent.) \n \u2013 26 \u2013 SC\u00c8NE IV \n \nUne place sur laquelle est situ\u00e9e la maison de Capulet. \nEntrent Rom\u00e9o, costum\u00e9 ; Mercutio, Benvolio, avec cinq ou six \nautres masques ; des gens portant des torches, et des musiciens. \n \n Rom\u00e9o . \u2013 Voyons, faut-il prononcer un discours pour nous \nexcuser ou entrer sans apologie ? \n Benvolio . \u2013 Ces harangues prolixes ne sont plus de mode. \nNous n'aurons pas de Cupidon aux yeux band\u00e9s d'une \u00e9charpe, portant un arc peint \u00e0 la tartare, et faisant fuir les dames comme \nun \u00e9pouvantail ; pas de prologue appris par c\u0153ur et mollement d\u00e9bit\u00e9 \u00e0 l'aide d'un souffleur pour pr\u00e9parer notre entr\u00e9e. Qu'ils nous estiment dans la mesure qu'il leur plaira ; nous leur danse-rons une mesure, et nous partirons. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Qu'on me donne une torche ! Je ne suis pas en \ntrain pour gambader ! Sombre comme je suis, je veux porter la lumi\u00e8re. \n Mercutio . \u2013 Ah ! mon doux Rom\u00e9o, nous voulions que vous \ndansiez. \n Rom\u00e9o . \u2013 Non, croyez-moi : vous avez tous la chaussure de \nbal et le talon l\u00e9ger : moi, j'ai une \u00e2me de plomb qui me cloue au sol et m'\u00f4te le talent de remuer \n Mercutio . \u2013 Vous \u00eates amoureux ; empruntez \u00e0 Cupidon \nses ailes, et vous d\u00e9passerez dans votre vol notre vulgaire essor. \n Rom\u00e9o . \u2013 Ses fl\u00e8ches m'ont trop cruellement bless\u00e9 pour \nque je puisse m'\u00e9lancer sur ses ailes l\u00e9g\u00e8res ; encha\u00een\u00e9 comme je \u2013 27 \u2013 le suis, je ne saurais m'\u00e9lever au-dessus d'une immuable douleur, \nje succombe sous l'amour qui m'\u00e9crase. \n \nMercutio . \u2013 Prenez le dessus et vous l'\u00e9craserez : le d\u00e9licat \nenfant sera bien vite accabl\u00e9 par vous. \n \nRom\u00e9o . \u2013 L'amour, un d\u00e9licat enfant ! Il est brutal, rude, \nviolent ! il \u00e9corche comme l'\u00e9pine. \n Mercutio . \u2013 Si l'amour est brutal avec vous, soyez brutal \navec lui ; \u00e9corchez l'amour qui vo us \u00e9corche, et vous le dompte-\nrez. (Aux valets.) Donnez-moi un \u00e9tui \u00e0 mettre mon visage ! (Se \nmasquant.) Un masque sur un masque ! Peu m'importe \u00e0 pr\u00e9sent \nqu'un regard curieux cherche \u00e0 d\u00e9couvrir mes laideurs ! Voil\u00e0 \nd'\u00e9pais sourcils qui rougiront pour moi ! \n \nBenvolio . \u2013 Allons, frappons et entrons ; aussit\u00f4t dedans, \nque chacun ait recours \u00e0 ses jambes. \n Rom\u00e9o . \u2013 \u00c0 moi une torche ! Que les galants au c\u0153ur l\u00e9ger \na g a c e n t d u p i e d l a n a t t e i n s e n s i b l e . P o u r m o i , j e m ' a c c o m m o d e d'une phrase de grand-p\u00e8re : je ti endrai la chandelle et je regarde-\nrai\u2026 \u00c0 vos brillants \u00e9bats mon humeur noire ferait tache. \n Mercutio . \u2013 Bah ! la nuit tous les chats sont gris ! Si tu es \nen humeur noire, nous te tirerons , sauf respect, du bourbier de \ncet amour o\u00f9 tu patauges jusqu'aux oreilles\u2026 Allons vite. Nous usons notre \u00e9clairage de jour\u2026 \n \nRom\u00e9o . \u2013 Comment cela ? \n \nMercutio . \u2013 Je veux dire, messire, qu'en nous attardant \nnous consumons nos lumi\u00e8res en pure perte, comme des lampes en plein jour\u2026 Ne tenez compte que de ma pens\u00e9e : notre m\u00e9rite est cinq fois dans notre intention pour une fois qu'il est dans no-tre bel esprit. \n \u2013 28 \u2013 Rom\u00e9o . \u2013 En allant \u00e0 cette mascarade, nous avons bonne \nintention, mais il y a peu d'esprit \u00e0 y aller. \n \nMercutio . \u2013 Peut-on demander pourquoi ? \n \nRom\u00e9o . \u2013 J'ai fait un r\u00eave cette nuit. \n Mercutio . \u2013 Et moi aussi. \n Rom\u00e9o . \u2013 Eh bien ! qu'avez-vous r\u00eav\u00e9 ? \n Mercutio . \u2013 Que souvent les r\u00eaveurs sont mis dedans ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Oui, dans le lit o\u00f9, tout en dormant, ils r\u00eavent la \nv\u00e9rit\u00e9. \n \nMercutio . \u2013 Oh ! je vois bien, la re ine Mab vous a fait visite. \nElle est la f\u00e9e accoucheuse et elle arrive, pas plus grande qu'une \nagate \u00e0 l'index d'un alderman, tra\u00ee n\u00e9e par un attelage de petits \natomes \u00e0 travers les nez des hommes qui gisent endormis. Les rayons des roues de son char sont faits de longues pattes de fau-cheux ; la capote, d'ailes de sauterelles ; les r\u00eanes, de la plus fine toile d'araign\u00e9e ; les harnais, d'humides rayons de lune. Son fouet, fait d'un os de griffon, a pour corde un fil de la Vierge. Son cocher est un petit cousin en livr\u00e9e grise, moins gros de moiti\u00e9 qu'une petite b\u00eate ronde tir\u00e9e avec une \u00e9pingle du doigt paresseux d'une servante. Son chariot est un e noisette, vide, taill\u00e9e par le \nmenuisier \u00e9cureuil ou par le vieux ciron, carrossier imm\u00e9morial des f\u00e9es. C'est dans cet apparat qu 'elle galope de nuit en nuit \u00e0 \ntravers les cerveaux des amants qui alors r\u00eavent d'amour sur les genoux des courtisans qui r\u00eavent aussit\u00f4t de courtoisies, sur les doigts des gens de loi qui aussit\u00f4 t r\u00eavent d'honoraires, sur les l\u00e8-\nvres des dames qui r\u00eavent de baisers aussit\u00f4t ! Ces l\u00e8vres, Mab les crible souvent d'ampoules, irrit\u00e9e de ce que leur haleine est g\u00e2t\u00e9e \npar quelque pommade. Tant\u00f4t elle galope sur le nez d'un sollici-teur, et vite il r\u00eave qu'il flaire une place ; tant\u00f4t elle vient avec la queue d'un cochon de la d\u00eeme chatouiller la narine d'un cur\u00e9 en-dormi, et vite il r\u00eave d'un autre b\u00e9n\u00e9fice ; tant\u00f4t elle passe sur le \u2013 29 \u2013 cou d'un soldat, et alors il r\u00eave de gorges ennemies coup\u00e9es, de \nbr\u00e8ches, d'embuscades, de lames espagnoles, de rasades profon-des de cinq brasses, et puis de tambours battant \u00e0 son oreille ; sur \nquoi il tressaille, s'\u00e9veille, et, ainsi alarm\u00e9, jure une pri\u00e8re ou \ndeux, et se rendort. C'est cette m\u00ea me Mab qui, la nuit, tresse la \ncrini\u00e8re des chevaux et dans le s poils emm\u00eal\u00e9s durcit ces n\u0153uds \nmagiques qu'on ne peut d\u00e9brouil ler sans encourir malheur. C'est \nla stryge qui, quand les filles sont couch\u00e9es sur le dos, les \u00e9treint \net les habitue \u00e0 porter leur charge pour en faire des femmes \u00e0 so-lide carrure. C'est elle\u2026 \n Rom\u00e9o . \u2013 Paix, paix, Mercutio, paix. Tu nous parles de \nriens ! \n Mercutio . \u2013 En effet, je parle des r\u00eaves, ces enfants d'un \ncerveau en d\u00e9lire, que peut seul e engendrer l'hallucination, aussi \ninsubstantielle que l'air, et plus variable que le vent qui caresse en \nce mom ent le se in glac\u00e9 du n ord, et qui, tout \u00e0 l 'heure, s'\u00e9chap-pant dans une bouff\u00e9e de col\u00e8re, va se tourner vers le midi encore humide de ros\u00e9e ! \n Benvolio . \u2013 Ce vent dont vous parlez nous emporte hors de \nnous-m\u00eames : le souper est fini et nous arriverons trop tard. \n Rom\u00e9o . \u2013 Trop t\u00f4t, j'en ai peur ! Mon \u00e2me pressent qu'une \nam\u00e8re catastrophe, encore susp endue \u00e0 mon \u00e9toile, aura pour \ndate funeste cette nuit de f\u00eate, et terminera la m\u00e9prisable exis-tence contenue dans mon sein par le coup sinistre d'une mort pr\u00e9matur\u00e9e. Mais que celui qui es t le nautonier de ma destin\u00e9e \ndirige ma voile !\u2026 En avant, joyeux amis ! \n Benvolio . \u2013 Battez, tambours ! (Ils sortent.) \n \u2013 30 \u2013 SC\u00c8NE V \n \nUne salle dans la maison de Capulet. \nEntrent plusieurs valets portant des serviettes. \n \n Premier Valet . \u2013 O\u00f9 est donc Laterine, qu'il ne m'aide pas \n\u00e0 desservir ? Lui, soulever une assiette ! Lui, frotter une table ! Fi donc ! \n Deuxi\u00e8me Valet . \u2013 Quand le soin d'une maison est confi\u00e9 \naux mains d'un ou deux hommes, et que ces mains ne sont m\u00eame \npas lav\u00e9es, c'est une sale chose. \n Premier Valet . \u2013 Dehors les tabourets !\u2026 Enlevez le buf-\nfet !\u2026 Attention \u00e0 l'argenterie\u2026 (\u00c0 l'un de ses camarades.) Mon \nbon, mets-moi de c\u00f4t\u00e9 un massepain ; et, si tu m'aimes, dis au \nportier de laisser entrer Suzanne Lameule et Nelly\u2026 Antoine ! Laterine ! \n Troisi\u00e8me Valet . \u2013 Voil\u00e0, mon gar\u00e7on ! pr\u00e9sent ! \n Premier Valet . \u2013 On vous attend, On vous appelle, On \nvous demande, on vous cherch e dans la grande chambre. \n Troisi\u00e8me Valet . \u2013 Nous ne pouvons pas \u00eatre ici et l\u00e0\u2026 Vi-\nvement, mes enfants ; mettez-y un pe u d'entrain, et que le dernier \nrestant emporte tout. (Ils se retirent.) \n Entrent le vieux Capulet, puis , parmi la foule des convives, \nTybalt, Juliette et la nourrice ; enfin Rom\u00e9o, accompagn\u00e9 de ses \namis, tous masqu\u00e9s. Les valets vont et viennent \n \u2013 31 \u2013 Capulet . \u2013 Messieurs, soyez les bienvenus ! Celles de ces \ndames qui ne sont pas afflig\u00e9es de cors aux pieds vont vous don-\nner de l'exercice !\u2026 Ah ! ah ! mes donzelles ! qui de vous toutes \nrefusera de danser \u00e0 pr\u00e9sent ? Celle qui fera la mijaur\u00e9e, celle-l\u00e0, \nje jurerai qu'elle a des cors ! Eh ! je vous prends par l'endroit sen-\nsible, n'est-ce pas ? (\u00c0 de nouveaux arrivants.) V o u s \u00ea t e s l e s \nbienvenus, messieurs\u2026 J'ai vu le temps o\u00f9, moi aussi, je portais \nun masque et o\u00f9 je savais chucho ter \u00e0 l'oreille des belles dames de \nces mots qui les charment : ce temps-l\u00e0 n'est plus, il n'est plus, il n'est plus ! (\u00c0 de nouveaux arrivants.) Vous \u00eates les bienvenus, \nmessieurs\u2026 Allons, musiciens, jouez ! Salle nette pour le bal ! Qu'on fasse place ! et en avant, jeunes filles ! (La musique joue. \nles danses commencent. Aux valets.) Encore des lumi\u00e8res, ma-\nrauds. Redressez ces tables, et \u00e9teignez le feu ; il fait trop chaud ici. (\u00c0 son cousin Capulet, qui arrive.) Ah ! mon cher ce plaisir \ninesp\u00e9r\u00e9 est d'autant mieux ve nu\u2026 Asseyez-vous, asseyez-vous, \nbon cousin Capulet ; car vous et moi, nous avons pass\u00e9 nos jours \nde danse. Combien de temps y a-t-il depuis le dernier bal o\u00f9 vous \net moi nous \u00e9tions masqu\u00e9s ? \n \nDeuxi\u00e8me Capulet . \u2013 Trente ans, par Notre-Dame ! \n Premier Capulet . \u2013 Bah ! mon cher ! pas tant que \u00e7a ! pas \ntant que \u00e7a ! C'\u00e9tait \u00e0 la noce de Lucentio. Vienne la Pentec\u00f4te aussi vite qu'elle voudra, il y aura de cela quelque vingt-cinq ans ; \net cette fois nous \u00e9tions masqu\u00e9s. \n Deuxi\u00e8me Capulet . \u2013 Il y a plus longtemps, il y a plus \nlongtemps : son fils est plus \u00e2g\u00e9, messire ; son fils a trente ans. \n Premier Capulet . \u2013 Pouvez-vous dire \u00e7a ! Son fils \u00e9tait en-\ncore mineur il y a deux ans. \n Rom\u00e9o , \u00e0 un valet, montrant Juliette . \u2013 Quelle est cette \ndame qui enrichit la main de ce cavalier, l\u00e0-bas ? \n Le Valet . \u2013 Je ne sais pas, monsieur. \n \u2013 32 \u2013 Rom\u00e9o . \u2013 Oh ! elle apprend aux flambeaux \u00e0 illuminer ! Sa \nbeaut\u00e9 est suspendue \u00e0 la face de la nuit comme un riche joyau \u00e0 \nl'oreille d'une \u00c9thiopienne ! Beaut\u00e9 trop pr\u00e9cieuse pour la posses-\nsion, trop exquise pour la terre ! Telle la colombe de neige dans \nune troupe de corneilles, telle appara\u00eet cette jeune dame au milieu de ses compagnes. Cette danse finie, j'\u00e9pierai la place o\u00f9 elle se \ntient, et je donnerai \u00e0 ma main grossi\u00e8re le bonheur de toucher la sienne. Mon c\u0153ur a-t-il aim\u00e9 jusqu'ici ? Non ; jurez-le, mes yeux ! \nCar jusqu'\u00e0 ce soir, je n'avais pas vu la vraie beaut\u00e9. \n \nTybalt , d\u00e9signant Rom\u00e9o . \u2013 Je reconnais cette voix ; ce doit \n\u00eatre un Montague\u2026 (\u00c0 un page.) Va me chercher ma rapi\u00e8re, \npage ! Quoi ! le mis\u00e9rable ose venir ici, couvert d'un masque gro-tesque, pour insulter et narguer notre solennit\u00e9 ? Ah ! par l'anti-que honneur de ma race, je ne cr ois pas qu'il y ait p\u00e9ch\u00e9 \u00e0 l'\u00e9ten-\ndre mort ! \n \nPremier Capulet , s'approchant de Tybalt . \u2013 Eh bien ! \nqu'as-tu donc, mon neveu ? Pourquoi cette temp\u00eate ? \n Tybalt . \u2013 Mon oncle, voici un Montague, un de nos enne-\nmis, un mis\u00e9rable qui est venu ici par bravade insulter \u00e0 notre soir\u00e9e solennelle. \n Premier Capulet . \u2013 N'est-ce pas le jeune Rom\u00e9o ? \n Tybalt . \u2013 C'est lui, ce mis\u00e9rable Rom\u00e9o ! \n Premier Capulet . \u2013 Du Calme, gentil cousin ! laisse-le \ntranquille ; il a les mani\u00e8res du plus courtois gentilhomme ; et, \u00e0 \ndire vrai, V\u00e9rone est fi\u00e8re de lui, comme d'un jouvenceau ver-tueux et bien \u00e9lev\u00e9. Je ne voudra is pas, pour toutes les richesses \nde cette ville, qu'ici, dans ma maison, il lui f\u00fbt fait une avanie. Aie donc patience, ne fais pas attention \u00e0 lui, c'est ma volont\u00e9 ; si tu la \nrespectes, prends un air gracieux et laisse l\u00e0 cette mine farouche qui sied mal dans une f\u00eate. \n \u2013 33 \u2013 Tybalt . \u2013 Elle sied bien d\u00e8s qu'on a pour h\u00f4te un tel mis\u00e9ra-\nble ; je ne le tol\u00e9rerai pas ! \n \nPremier Capulet . \u2013 Vous le tol\u00e9rerez ! qu'est-ce \u00e0 dire, \nmonsieur le freluquet ! J'entends que vous le tol\u00e9riez\u2026 Allons \ndonc ! Qui est le ma\u00eetre ici, vous ou moi ? Allons donc ! Vous ne le tol\u00e9rerez pas ! Dieu me pardonne ! Vous voulez soulever une \n\u00e9meute au milieu de mes h\u00f4tes ! Vous voulez mettre le vin en \nperce ! Vous voulez faire l'homme ! \n Tybalt . \u2013 Mais, mon oncle, c'est une honte. \n Premier Capulet . \u2013 Allons, allons, vous \u00eates un insolent \ngar\u00e7on. En v\u00e9rit\u00e9, cette incartade pourrait vous co\u00fbter cher : Je \ns ai s c e q u e j e d i s \u2026 I l f a u t q u e vous me contrariiez !\u2026 Morbleu ! \nc'est le moment !\u2026 (Aux danseurs.) \u00c0 merveille, mes chers \nc\u0153urs !\u2026 (\u00c0 Tybalt.) Vous \u00eates un faquin\u2026 Restez tranquille, si-\nnon\u2026 (Aux valets.) Des lumi\u00e8res ! encore des lumi\u00e8res ! par d\u00e9-\ncence ! (\u00c0 Tybalt.) Je vous ferai rester tranquille, allez ! (Aux \ndanseurs.) De l'entrain, mes petits c\u0153urs ! \n \nTybalt . \u2013 La patience qu'on m'impo se lutte en moi avec une \ncol\u00e8re obstin\u00e9e, et leur choc fait trembler tous mes membres\u2026 Je \nvais me retirer ; mais cette fure ur rentr\u00e9e, qu'en ce moment on \ncroit adoucie, se convertira en fiel amer (Il sort.) \n Rom\u00e9o , prenant la main de Juliette . \u2013 Si j'ai profan\u00e9 avec \nmon indigne main cette ch\u00e2sse sacr\u00e9e, je suis pr\u00eat \u00e0 une douce p\u00e9nitence : permettez \u00e0 mes l\u00e8vres, comme \u00e0 deux p\u00e8lerins rou-\ngissants, d'effacer ce grossier attouchement par un tendre baiser. \n \nJuliette . \u2013 Bon p\u00e8lerin, vous \u00eates trop s\u00e9v\u00e8re pour votre \nmain qui n'a fait preuve en ceci que d'une respectueuse d\u00e9votion. \nLes saintes m\u00eames ont des mains que peuvent toucher les mains \ndes p\u00e8lerins ; et cette \u00e9treinte est un pieux baiser \n Rom\u00e9o . \u2013 Les saintes n'ont-elles pas des l\u00e8vres, et les p\u00e8le-\nrins aussi ? \u2013 34 \u2013 \nJuliette . \u2013 Oui, p\u00e8lerin, des l\u00e8vres vou\u00e9es \u00e0 la pri\u00e8re. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Oh ! alors, ch\u00e8re sainte, que les l\u00e8vres fassent ce \nque font les mains. Elles te prient ; exauce-les, de peur que leur \nfoi ne se change en d\u00e9sespoir. \n Juliette . \u2013 Les saintes restent immo biles, tout en exau\u00e7ant \nles pri\u00e8res. \n Rom\u00e9o . \u2013 Restez donc immobile, tandis que je recueillerai \nl'effet de ma pri\u00e8re. (Il l'embrasse sur la bouche.) Vos l\u00e8vres ont \neffac\u00e9 le p\u00e9ch\u00e9 des miennes. \n Juliette . \u2013 Mes l\u00e8vres ont gard\u00e9 pour elles le p\u00e9ch\u00e9 qu'elles \nont pris des v\u00f4tres. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Vous avez pris le p\u00e9ch\u00e9 de mes l\u00e8vres ? \u00f4 repro-\nche charmant ! Alors rendez-moi mon p\u00e9ch\u00e9. (Il l'embrasse en-\ncore.) \n Juliette . \u2013 Vous avez l'art des baisers. \n La Nourrice , \u00e0 Juliette . \u2013 Madame, votre m\u00e8re voudrait \nvous dire un mot. (Juliette se dirige vers lady Capulet.) \n Rom\u00e9o , \u00e0 la nourrice . \u2013 Qui donc est sa m\u00e8re ? \n La Nourrice . \u2013 Eh bien, bachelier sa m\u00e8re est la ma\u00eetresse \nde la maison, une bonne dame, et sa ge et vertueuse ; j'ai nourri sa \nfille, celle avec qui vous causiez ; je vais vous dire : celui qui par-\nviendra \u00e0 mettre la main sur elle pourra faire sonner les \u00e9cus. \n Rom\u00e9o . \u2013 C'est une Capulet ! \u00f4 trop ch\u00e8re cr\u00e9ance ! Ma vie \nest due \u00e0 mon ennemie ! \n Benvolio , \u00e0 Rom\u00e9o . \u2013 Allons, partons ; la f\u00eate est \u00e0 sa fin. \n \u2013 35 \u2013 Rom\u00e9o , \u00e0 part . \u2013 H\u00e9las ! oui, et mo n trouble est \u00e0 son com-\nble. \n \nPremier Capulet , aux invit\u00e9s qui se retirent . \u2013 \u00c7a, mes-\nsieurs, n'allez pas nous quitter encore : nous avons un m\u00e9chant \npetit souper qui se pr\u00e9pare\u2026 Vous \u00eates donc d\u00e9cid\u00e9s ?\u2026 Eh bien, \nalors je vous remercie tous\u2026 Je vous remercie, honn\u00eates gentils-\nhommes. Bonne nuit. Des torches par ici !\u2026 Allons, mettons-nous \nau lit ! (\u00c0 son cousin Capulet.) Ah ! ma foi, mon cher, il se fait \ntard : je vais me reposer (Tous sortent, except\u00e9 Juliette et la \nnourrice.) \n \nJuliette . \u2013 Viens ici, nourrice ! quel est ce gentilhomme, l\u00e0-\nbas ? \n La Nourrice . \u2013 C'est le fils et l'h\u00e9ritier du vieux Tib\u00e9rio. \n \nJuliette . \u2013 Quel est celui qui sort \u00e0 pr\u00e9sent ? \n La Nourrice . \u2013 Ma foi, je crois que c'est le jeune P\u00e9truchio. \n Juliette , montrant Rom\u00e9o . \u2013 Quel est cet autre qui suit et \nqui n'a pas voulu danser ? \n La Nourrice . \u2013 Je ne sais pas. \n Juliette . \u2013 Va demander son nom. ( La nourrice s'\u00e9loigne \nun moment. ) S'il est mari\u00e9, mon cercueil pourrait bien \u00eatre mon \nlit nuptial. \n La Nourrice , revenant . \u2013 Son nom est Rom\u00e9o ; c'est un \nMontague, le fils unique de votre grand ennemi. \n Juliette . \u2013 Mon unique amour \u00e9mane de mon unique \nhaine ! Je l'ai vu trop t\u00f4t sans le conna\u00eetre et je l'ai connu trop \ntard. Il m'est n\u00e9 un prodigieux amour, puisque je dois aimer un \nennemi ex\u00e9cr\u00e9 ! \n \u2013 36 \u2013 La Nourrice . \u2013 Que dites-vous ? que dites-vous ? \n \nJuliette . \u2013 Une strophe que dent de m'apprendre un de mes \ndanseurs. (voix au-dehors appelant Juliette.) \n \nLa Nourrice . \u2013 Tout \u00e0 l'heure ! tout \u00e0 l'heure !\u2026 Allons \nnous-en ; tous les \u00e9trangers sont partis. \n \u2013 37 \u2013 ACTE II \n \u2013 38 \u2013 PROLOGUE \n \nEntre le ch\u0153ur \n \n \nLe Ch\u0153ur Maintenant, le vieil amour agonise sur son lit de mort, Et une passion nouvelle aspire \u00e0 son h\u00e9ritage. \nCette belle pour qui notre amant g\u00e9missait et voulait mourir, \nCompar\u00e9e \u00e0 la tendre Juliette, a cess\u00e9 d'\u00eatre belle. Maintenant Rom\u00e9o est aim\u00e9 de celle qu'il aime : Et tous deux sont ensorcel\u00e9s par le charme de leurs regards. Mais il a besoin de conter ses peines \u00e0 son ennemie suppo-\ns\u00e9e, \nEt elle d\u00e9robe ce doux app\u00e2 t d'amour sur un hame\u00e7on dan-\ngereux. \nTrait\u00e9 en ennemi, Rom\u00e9o ne peut avoir un libre acc\u00e8s \nPour soupirer ces v\u0153ux que les amants se plaisent \u00e0 pronon-\ncer \nEt Juliette, tout aussi \u00e9prise, est plus impuissante encore \u00c0 se m\u00e9nager une rencontre avec son amoureux. Mais la passion leur donne la fo rce, et le temps, l'occasion \nDe go\u00fbter ensemble d'ineffables joies dans d'ineffables tran-\nses. \n Il sort. \n \u2013 39 \u2013 SC\u00c8NE PREMI\u00c8RE \n \nUne route aux abords du jardin de Capulet. \nRom\u00e9o entre pr\u00e9cipitamment. \n \n Rom\u00e9o , montrant le mur du jardin . \u2013 Puis-je aller plus \nloin, quand mon c\u0153ur est ici ? En am\u00e8re, masse terrestre, et re-trouve ton centre. (Il escalade le muret dispara\u00eet.) \n Entrent Benvolio et Mercutio. Benvolio . \u2013 Rom\u00e9o ! mon cousin Rom\u00e9o ! \n Mercutio . \u2013 Il a fait sagement. Sur ma vie, il s'est esquiv\u00e9 \npour gagner son lit. \n \nBenvolio . \u2013 Il a couru de ce c\u00f4t\u00e9 et saut\u00e9 par-dessus le mur \nde ce jardin. Appelle-le, bon Mercutio. \n Mercutio . \u2013 J e f e r a i p l u s ; j e v a i s l e c o n j u r e r R o m \u00e9 o ! c a -\nprice ! fr\u00e9n\u00e9sie ! passion ! amour ! apparais-nous sous la forme d'un soupir ! Dis seulement un vers, et je suis satisfait ! Crie seu-lement h\u00e9las ! accouple seulemen t amour avec jour ! Rien qu'un \nmot aimable pour ma comm\u00e8re V\u00e9nus ! Rien qu'un sobriquet pour son fils, pour son aveugle h\u00e9ritier, le jeune Adam Cupid, ce-lui qui visa si juste, quand le roi Cophetua s'\u00e9prit de la men-diante !\u2026 Il n'entend pas, il ne remue pas, il ne bouge pas. Il faut q u e c e b a b o u i n - l \u00e0 s o i t m o r t : \u00e9 v o q u o n s - l e . R o m \u00e9 o , j e t e c o n j u r e par les yeux brillants de Rosaline , par son front \u00e9lev\u00e9 et par sa \nl\u00e8vre \u00e9carlate, par son pied mign on, par sa jambe svelte, par sa \ncuisse fr\u00e9missante, et par les do maines adjacents : apparais-nous \nsous ta propre forme ! \n \u2013 40 \u2013 Benvolio . \u2013 S'il t'entend, il se f\u00e2chera. \n \nMercutio . \u2013 Cela ne peut pas le f\u00e2cher ; il se f\u00e2cherait avec \nraison, si je faisais surgir dans le cercle de sa ma\u00eetresse un d\u00e9mon \nd'une nature \u00e9trange que je laisse rais en arr\u00eat jusqu'\u00e0 ce qu'elle \nl'e\u00fbt d\u00e9sarm\u00e9 par ses exorcismes. Cela serait une offense : mais \nj'agis en enchanteur loyal et honn\u00eate ; et, au nom de sa ma\u00eetresse, \nc'est lui seul que je vais faire surgi \n Benvolio . \u2013 Allons ! il s'est enfonc\u00e9 sous ces arbres pour y \nchercher une nuit assortie \u00e0 so n humeur. Son amour est aveugle, \net n'est \u00e0 sa place que dans les t\u00e9n\u00e8bres. \n Mercutio . \u2013 Si l'amour est aveugle, il ne peut pas frapper le \nbut\u2026 Sans doute Rom\u00e9o s'est assis au pied d'un p\u00eacher, pour r\u00ea-\nver qu'il le commet avec sa ma\u00eetresse. Bonne nuit, Rom\u00e9o\u2026 Je \nvais trouver ma ch\u00e8re couchette ; ce lit de camp est trop froid \npour que j'y dorme. Eh bien, partons-nous ? \n Benvolio . \u2013 Oui, partons ; car il est inutile de chercher ici \nqui ne veut pas se laisser trouver (Ils sortent.) \n \u2013 41 \u2013 SC\u00c8NE II \n \nLe jardin de Capulet. Sous les fen\u00eatres de l'appartement de Ju-\nliette. \nEntre Rom\u00e9o. \n \n Rom\u00e9o . \u2013 Il se rit des plaies, celui qui n'a jamais re\u00e7u de \nblessures ! (Apercevant Juliette qui appara\u00eet \u00e0 une fen\u00eatre.) Mais \ndoucement ! Quelle lumi\u00e8re jaillit par cette fen\u00eatre ? Voil\u00e0 l'Orient, et Juliette est le soleil ! L\u00e8ve-toi, belle aurore, et tue la lune jalouse, qui d\u00e9j\u00e0 languit et p\u00e2lit de douleur parce que toi, sa \npr\u00eatresse, tu es plus belle qu'elle-m\u00eame ! Ne sois plus sa pr\u00ea-tresse, puisqu'elle est jalouse de to i ; sa livr\u00e9e de vestale est mala-\ndive et bl\u00eame, et les folles seules la portent : rejette-la !\u2026 Voil\u00e0 ma dame ! Oh ! voil\u00e0 mon amour ! Oh ! si elle pouvait le savoir !\u2026 Que dit-elle ? Rien\u2026 Elle se tait\u2026 Mais non ; son regard parle, et \nje veux lui r\u00e9pondre\u2026 Ce n'est pas \u00e0 moi qu'elle s'adresse. Deux des plus belles \u00e9toiles du ciel, ayant affaire ailleurs, adjurent ses yeux de vouloir bien resplendir dans leur sph\u00e8re jusqu'\u00e0 ce qu'el-les reviennent. Ah ! si les \u00e9toiles se substituaient \u00e0 ses yeux, en m\u00eame temps que ses yeux aux \u00e9toile s, le seul \u00e9clat de ses joues \nferait p\u00e2lir la clart\u00e9 des astres, comme le grand jour, une lampe ; et ses yeux, du haut du ciel, darderaient une telle lumi\u00e8re \u00e0 tra-vers les r\u00e9gions a\u00e9riennes, que les oiseaux chanteraient, croyant que la nuit n'est plus. Voyez comme e l l e a p p u i e s a j o u e s u r s a \nmain ! Oh ! que ne suis-je le gant de cette main ! Je toucherais sa \njoue ! \n Juliette . \u2013 H\u00e9las ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Elle parle ! Oh ! parle encore, ange resplendis-\nsant ! Car tu rayonnes dans cette nuit, au-dessus de ma t\u00eate, \ncomme le messager ail\u00e9 du ciel, quand, aux yeux boulevers\u00e9s des \u2013 42 \u2013 mortels qui se rejettent en am\u00e8re pour le contempler, il devance \nles nu\u00e9es paresseuses et vogue sur le sein des airs ! \n \nJuliette . \u2013 \u00d4 Rom\u00e9o ! Rom\u00e9o ! pourquoi es-tu Rom\u00e9o ? Re-\nnie ton p\u00e8re et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de \nm'aimer, et je ne serai plus une Capulet. \n \nRom\u00e9o , \u00e0 part . \u2013 Dois-je l'\u00e9couter encore ou lui r\u00e9pondre ? \n Juliette . \u2013 Ton nom seul est mon ennemi. Tu n'es pas un \nMontague, tu es toi-m\u00eame. Qu'est-ce qu'un Montague ? Ce n'est ni une main, ni un pied, ni un bras , ni un visage, ni rien qui fasse \npartie d'un homme\u2026 Oh ! sois quelque autre nom ! Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait au-tant sous un autre nom. Ainsi, quand Rom\u00e9o ne s'appellerait plus Rom\u00e9o, il conserverait encore les ch\u00e8res perfections qu'il pos-\ns\u00e8de\u2026 Rom\u00e9o, renonce \u00e0 ton nom ; et, \u00e0 la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout enti\u00e8re. \n Rom\u00e9o . \u2013 Je te prends au mot ! Appelle-moi seulement ton \namour et je re\u00e7ois un nouveau bapt\u00eame : d\u00e9sormais je ne suis \nplus Rom\u00e9o. \n Juliette . \u2013 Quel homme es-tu, toi qui, ainsi cach\u00e9 par la \nnuit, viens de te heurter \u00e0 mon secret ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Je ne sais par quel nom t'indiquer qui je suis. \nMon nom, sainte ch\u00e9rie, m'est od ieux \u00e0 moi-m\u00eame, parce qu'il est \npour toi un ennemi : si je l'avais \u00e9crit l\u00e0, j'en d\u00e9chirerais les let-\ntres. \n \nJuliette . \u2013 Mon oreille n'a pas encore aspir\u00e9 cent paroles \nprof\u00e9r\u00e9es par cette voix, et pourtant j'en reconnais le son. N'es-tu \npas Rom\u00e9o et un Montague ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Ni l'un ni l'autre, belle vierge, si tu d\u00e9testes l'un et \nl'autre. \n \u2013 43 \u2013 Juliette . \u2013 Comment es-tu venu ici, dis-moi ? et dans quel \nbut ? Les murs du jardin sont ha uts et difficiles \u00e0 gravir. Consi-\nd\u00e8re qui tu es : ce lieu est ta mort, si quelqu'un de mes parents te \ntrouve ici. \n \nRom\u00e9o . \u2013 J'ai escalad\u00e9 ces murs sur les ailes l\u00e9g\u00e8res de \nl'amour : car les limites de pierre ne sauraient arr\u00eater l'amour, et ce que l'amour peut faire, l'amour ose le tenter ; voil\u00e0 pourquoi \ntes parents ne sont pas un obstacle pour moi. \n \nJuliette . \u2013 S'ils te voient, ils te tueront. \n Rom\u00e9o . \u2013 H\u00e9las ! il y a plus de p\u00e9ril pour moi dans ton re-\ngard que dans vingt de leurs \u00e9p\u00e9es : que ton \u0153il me soit doux, et je suis \u00e0 l'\u00e9preuve de leur inimiti\u00e9. \n \nJuliette . \u2013 Je ne voudrais pas pour le monde entier qu'ils te \nvissent ici. \n Rom\u00e9o . \u2013 J ' a i l e m a n t e a u d e l a n u i t p o u r m e s o u s t r a i r e \u00e0 \nleur vue. D'ailleurs, si tu ne m'aimes pas, qu'ils me trouvent ici ! J'aime mieux ma vie finie par le ur haine que ma mort diff\u00e9r\u00e9e \nsans ton amour. \n Juliette . \u2013 Quel guide as-tu donc eu pour arriver jusqu'ici ? \n Rom\u00e9o . \u2013 L'amour, qui le premier m'a sugg\u00e9r\u00e9 d'y venir : il \nm'a pr\u00eat\u00e9 son esprit et je lui ai pr\u00eat\u00e9 mes yeux. Je ne suis pas un pilote ; mais, quand tu serais \u00e0 la m\u00eame distance que la vaste \nplage baign\u00e9e par la mer la plus lointaine, je risquerais la traver-\ns\u00e9e pour une denr\u00e9e pareille. \n Juliette . \u2013 Tu sais que le masque de la nuit est sur mon vi-\nsage ; sans cela, tu verrais une virginale couleur colorer ma joue, \nquand je songe aux paroles que tu m'as entendue dire cette nuit. Ah ! je voudrais rester dans les convenances ; je voudrais, je vou-drais nier ce que j'ai dit. Mais adieu, les c\u00e9r\u00e9monies ! M'aimes-tu ? Je sais que tu vas dire oui, et je te croirai sur parole. Ne le \u2013 44 \u2013 jure pas : tu pourrais trahir ton serment : les parjures des amou-\nreux font, dit-on, rire Jupiter\u2026 Oh ! gentil Rom\u00e9o, si tu m'aimes, proclame-le loyalement : et si tu crois que je me laisse trop vite \ngagner je froncerai le sourcil, et je serai cruelle, et je te dirai non, \npour que tu me fasses la cour : autrement, rien au monde ne m'y d\u00e9ciderait\u2026 En v\u00e9rit\u00e9, beau Montag ue, je suis trop \u00e9prise, et tu \npourrais croire ma conduite l\u00e9g\u00e8re ; mais crois-moi, gentil-homme, je me montrerai plus fid\u00e8le que celles qui savent mieux \naffecter la r\u00e9serve. J'aurais \u00e9t\u00e9 plus r\u00e9serv\u00e9e, il faut que je l'avoue, \nsi tu n'avais pas surpris, \u00e0 mo n insu, l'aveu passionn\u00e9 de mon \namour : pardonne-moi donc et n'impute pas \u00e0 une l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 \nd'amour cette faiblesse que la nuit noire t\u2019a permis de d\u00e9couvrir \n Rom\u00e9o . \u2013 Madame, je jure par cette lune sacr\u00e9e qui argente \ntoutes ces cimes charg\u00e9es de fruits !\u2026 \n \nJuliette . \u2013 Oh ! ne jure pas par la lune, l'inconstante lune \ndont le disque change chaque mois, de peur que ton amour ne devienne aussi variable ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Par quoi dois-je jurer ? \n Juliette . \u2013 Ne jure pas du tout ; ou , si tu le veux, jure par \nton gracieux \u00eatre, qui est le dieu de mon idol\u00e2trie, et je te croirai. \n Rom\u00e9o . \u2013 Si l'amour profond de mon c\u0153ur\u2026 \n Juliette . \u2013 Ah ! ne jure pas ! Quoiqu e tu fasses ma joie, je ne \npuis go\u00fbter cette nuit toutes les joies de notre rapprochement ; il \nest trop brusque, trop impr\u00e9vu, trop subit, trop semblable \u00e0 l'\u00e9clair qui a cess\u00e9 d'\u00eatre avant qu'o n ait pu dire : il brille !\u2026 Doux \nami, bonne nuit ! Ce bouton d'amour m\u00fbri par l'haleine de l'\u00e9t\u00e9, pourra devenir une belle fleur, \u00e0 notre prochaine entrevue\u2026 Bonne nuit, bonne nuit ! Puisse le repos, puisse le calme d\u00e9licieux \nqui est dans mon sein, arriver \u00e0 ton c\u0153ur ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Oh ! vas-tu donc me laisser si peu satisfait ? \n \u2013 45 \u2013 Juliette . \u2013 Quelle satisfaction peux-tu obtenir cette nuit ? \n \nRom\u00e9o . \u2013 Le solennel \u00e9change de ton amour contre le mien. \n \nJuliette . \u2013 Mon amour ! je te l'ai donn\u00e9 avant que tu l'aies \ndemand\u00e9. Et pourtant je voudrais qu'il f\u00fbt encore \u00e0 donner. \n Rom\u00e9o . \u2013 Voudrais-tu me le retirer ? Et pour quelle raison, \nmon amour ? \n Juliette . \u2013 Rien que pour \u00eatre g\u00e9n\u00e9reuse et te le donner en-\ncore. Mais je d\u00e9sire un bonheur que j'ai d\u00e9j\u00e0 : ma lib\u00e9ralit\u00e9 est aussi illimit\u00e9e que la mer, et mon amour aussi profond : plus je te donne, plus il me reste, car l' une et l'autre sont infinis. (On en-\ntend la voix de la nourrice.) J'entends du bruit dans la maison. \nCher amour, adieu ! J'y vais, bo nne nourrice !\u2026 Doux Montague, \nsois fid\u00e8le. Attends un moment, je vais revenir (Elle se retire de la \nfen\u00eatre.) \n \nRom\u00e9o . \u2013 \u00f4 c\u00e9leste, c\u00e9leste nuit. ! J'ai peur, comme il fait \nnuit, que tout ceci ne soit qu'un r\u00eave, trop d\u00e9licieusement flatteur pour \u00eatre r\u00e9el. \n Juliette revient. Juliette . \u2013 Trois mots encore, cher Rom\u00e9o, et bonne nuit, \ncette fois ! Si l'intention de ton amour est honorable, si ton but est \nle mariage, fais-moi savoir dema in, par la personne que je ferai \nparvenir jusqu'\u00e0 toi, en quel lieu et \u00e0 quel moment tu veux ac-\ncomplir la c\u00e9r\u00e9monie, et alors je d\u00e9poserai \u00e0 tes pieds toutes mes \ndestin\u00e9es, et je te suivrai, mons eigneur jusqu'au bout du monde ! \n \nLa Nourrice , derri\u00e8re le th\u00e9\u00e2tre . \u2013 Madame ! \n Juliette . \u2013 J'y vais ! tout \u00e0 l'heure ! Mais si ton am\u00e8re-\npens\u00e9e n'est pas bonne, je te conjure\u2026 \n La Nourrice , derri\u00e8re le th\u00e9\u00e2tre . \u2013 Madame ! \u2013 46 \u2013 \nJuliette . \u2013 \u00c0 l'instant ! j'y vais !\u2026, de cesser tes instances et \nde me laisser \u00e0 ma doul eur\u2026 J'enverrai demain. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Par le salut de mon \u00e2me\u2026 \n Juliette . \u2013 Mille fois bonne nuit ! (Elle quitte la fen\u00eatre.) \n \nRom\u00e9o . \u2013 La nuit ne peut qu'empirer mille fois, d\u00e8s que ta \nlumi\u00e8re lui manque\u2026 (Se retirant \u00e0 pas lents.) L'amour court \nvers l'amour comme l'\u00e9colier hors de la classe ; mais il s'en \u00e9loi-\ngne avec l'air accabl\u00e9 de l'enfant qui rentre \u00e0 l'\u00e9cole. \n Juliette repara\u00eet \u00e0 la fen\u00eatre. Juliette . \u2013 Stt ! Rom\u00e9o ! Stt !\u2026 Oh ! que n'ai-je la voix du \nfauconnier pour r\u00e9clamer mon noble tiercelet ! Mais la captivit\u00e9 \nest enrou\u00e9e et ne peut parler haut : sans quoi j'\u00e9branlerais la ca-\nverne o\u00f9 \u00c9cho dort, et sa voix a\u00e9rienne serait bient\u00f4t plus en-\nrou\u00e9e que la mienne, tant je lui ferais r\u00e9p\u00e9ter le nom de mon Ro-m\u00e9o ! \n Rom\u00e9o , revenant sur ses pas . \u2013 C'est mon \u00e2me qui me rap-\npelle par mon nom ! Quels sons argentins a dans la nuit la voix de la bien-aim\u00e9e ! Quelle suave musi que pour l'oreille attentive ! \n Juliette . \u2013 Rom\u00e9o ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Ma mie ? \n La Nourrice , derri\u00e8re le th\u00e9\u00e2tre . \u2013 Madame ! \n Juliette . \u2013 \u00c0 quelle heure, demain, enverrai-je vers toi ? \n Rom\u00e9o . \u2013 \u00c0 neuf heures. \n Juliette . \u2013 Je n'y manquerai pas ! il y a vingt ans d'ici l\u00e0. J'ai \noubli\u00e9 pourquoi je t\u2019ai rappel\u00e9. \u2013 47 \u2013 \nRom\u00e9o . \u2013 Laisse-moi rester ici jusqu'\u00e0 ce que tu t'en sou-\nviennes. \n \nJuliette . \u2013 Je l'oublierai, pour que tu restes l\u00e0 toujours, me \nrappelant seulement combien j'aime ta compagnie. \n Rom\u00e9o . \u2013 Et je resterai l\u00e0 pour que tu l'oublies toujours, \noubliant moi-m\u00eame que ma demeure est ailleurs. \n Juliette . \u2013 Il est presque jour. Je voudrais que tu fusses par-\nti, mais sans t'\u00e9loigner plus que l'oiseau familier d'une joueuse enfant : elle le laisse voleter un peu hors de sa main, pauvre pri-\nsonnier embarrass\u00e9 de liens, et vite elle le ram\u00e8ne en tirant le fil de soie, tant elle est tendrement jalouse de sa libert\u00e9 ! \n \nRom\u00e9o . \u2013 Je voudrais \u00eatre ton oiseau ! \n Juliette . \u2013 Ami, Je le voudrais aussi ; mais je te tuerais \u00e0 \nforce de caresses. Bonne nuit ! bonne nuit ! Si douce est la tris-tesse de nos adieux que je te dira is : bonne nuit ! jusqu'\u00e0 ce qu'il \nsoit jour (Elle se retire.) \n Rom\u00e9o , seul. \u2013 Que le sommeil se fixe sur tes yeux et la paix \ndans ton c\u0153ur ! Je voudrais \u00eatre le sommeil et la paix, pour repo-ser si d\u00e9licieusement ! Je vais de ce pas \u00e0 la cellule de mon p\u00e8re \nspirituel, pour implorer son aide et lui conter mon bonheur. (Il \nsort.) \n \u2013 48 \u2013 SC\u00c8NE III \n \nLa cellule de fr\u00e8re Laurence. \nEntre Fr\u00e8re Laurence, portant un panier \n \n Laurence . \u2013 L'aube aux yeux gris couvre de son sourire la \nnuit grima\u00e7ante, et diapre de lignes lumineuses les nu\u00e9es d'Orient ; l'ombre couperos\u00e9e, chancelant comme un ivrogne, \ns'\u00e9loigne de la route du jour devant les roues du Titan radieux. \nAvant que le soleil, de son regard de flamme, ait ranim\u00e9 le jour et \ns\u00e9ch\u00e9 la moite ros\u00e9e de la nuit, il faut que je remplisse cette cage d'osier de plantes pernicieuses et de fleurs au suc pr\u00e9cieux. La terre, qui est la m\u00e8re des cr\u00e9atures, est aussi leur tombe ; leur s\u00e9-pulcre est sa matrice m\u00eame. Les enfants de toute esp\u00e8ce, sortis de son flanc, nous les trouvons su\u00e7ant sa mamelle in\u00e9puisable ; la plupart sont dou\u00e9s de nombreuses vertus ; pas un qui n'ait son \nm\u00e9rite, et pourtant tous diff\u00e9rent ! Oh ! combien efficace est la gr\u00e2ce qui r\u00e9side dans les herbes, dans les plantes, dans les pierres et dans leurs qualit\u00e9s intimes ! Il n'est rien sur la terre de si hum-\nble qui ne rende \u00e0 la terre un servic e sp\u00e9cial ; il n'est rien non plus \nde si bon qui, d\u00e9tourn\u00e9 de son l\u00e9gitime usage, ne devienne rebelle \u00e0 son origine et ne tombe dans l'abus. La vertu m\u00eame devient vice, \u00e9tant mal appliqu\u00e9e, et le vice est parfois ennobli par l'ac-\ntion. \n Entre Rom\u00e9o. Laurence , prenant une fleur dans le panier . \u2013 Le calice en-\nfant de cette faible fleur rec\u00e8le un poison et un cordial puissants : \nrespirez-la, elle stimule et l'odorat et toutes les facult\u00e9s ; go\u00fbtez-la, elle frappe de mort et le c\u0153ur et tous les sens. Deux reines en-nemies sont sans cesse en lutte dans l'homme comme dans la \u2013 49 \u2013 plante, la gr\u00e2ce et la rude volont\u00e9 ; et l\u00e0 o\u00f9 la pire pr\u00e9domine, le \nver de la mort a bien vite d\u00e9vor\u00e9 la cr\u00e9ature. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Bonjour p\u00e8re. \n \nLaurence . \u2013 B\u00e9n\u00e9dicite ! Quelle vo ix matinale me salue si \ndoucement ? Jeune fils, c'est signe de quelque d\u00e9sordre d'esprit, quand on dit adieu si t\u00f4t \u00e0 son lit. L e s o u c i f ai t l e g u e t d an s l e s \nyeux du vieillard, et le sommeil n' entre jamais o\u00f9 loge le souci. \nMais l\u00e0 o\u00f9 la jeunesse ingambe repose, le cerveau d\u00e9gag\u00e9, l\u00e0 r\u00e8-\ngne le sommeil d'or. Je conclus do nc de ta visite matinale que \nquelque grave perturbation t'a mis su r pied. Si cela n'est pas, je \ndevine que notre Rom\u00e9o ne s'est pas couch\u00e9 cette nuit. \n Rom\u00e9o . \u2013 Cette derni\u00e8re conjecture est la vraie ; mais mon \nrepos n'en a \u00e9t\u00e9 que plus doux. \n \nLaurence . \u2013 Dieu pardonne au p\u00e9cheur ! \u00c9tais-tu donc avec \nRosaline ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Avec Rosaline ! Oh non, mon p\u00e8re spirituel : j'ai \noubli\u00e9 ce nom, et tous les maux attach\u00e9s \u00e0 ce nom. \n Laurence . \u2013 Voil\u00e0 un bon fils\u2026 Mais o\u00f9 as-tu \u00e9t\u00e9 alors ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Je vais te le dire et t'\u00e9pargner de nouvelles ques-\ntions. Je me suis trouv\u00e9 \u00e0 la m\u00eame f\u00eate que mon ennemi : tout \u00e0 coup cet ennemi m'a bless\u00e9, et je l'ai bless\u00e9 \u00e0 mon tour : notre gu\u00e9rison \u00e0 tous deux d\u00e9pend de tes secours et de ton minist\u00e8re \nsacr\u00e9. Tu le vois, saint homme, je n'ai pas de haine ; car j'inter-\nc\u00e8de pour mon adversaire comme pour moi. \n Laurence . \u2013 Parle clairement, mon ch er fils, et explique-toi \nsans d\u00e9tour : une confession \u00e9q uivoque n'obtient qu'une absolu-\ntion \u00e9quivoque. \n Rom\u00e9o . \u2013 Apprends-le donc tout net, j'aime d'un amour \nprofond la fille charmante du rich e Capulet. Elle a fix\u00e9 mon c\u0153ur \u2013 50 \u2013 comme j'ai fix\u00e9 le sien ; pour qu e notre union soit compl\u00e8te, il ne \nn o u s m a n q u e q u e d ' \u00ea t r e u n i s p a r t o i d a n s l e s a i n t m a r i a g e . \nQuand, o\u00f9 et comment nous nous sommes vus, aim\u00e9s et fianc\u00e9s, \nje te le dirai chemin faisant ; mais , avant tout, je t'en prie, consens \n\u00e0 nous marier aujourd'hui m\u00eame. \n \nLaurence . \u2013 Par saint Fran\u00e7ois ! quel changement ! Cette \nRosaline que tu aimais tant, est-elle donc si vite d\u00e9laiss\u00e9e ? Ah ! \nl'amour des jeunes gens n'est pas vraiment dans le c\u0153ur, il n'est \nque dans les yeux. J\u00e9sus Maria ! Qu e de larmes pour Rosaline ont \ninond\u00e9 tes joues bl\u00eames ! Que d'eau sal\u00e9e prodigu\u00e9e en pure perte \npour assaisonner un amour qui n'en garde pas m\u00eame l'amer go\u00fbt ! Le soleil n'a pas encore dissi p\u00e9 tes soupirs dans le ciel : tes \ng\u00e9missements pass\u00e9s tintent encore \u00e0 mes vieilles oreilles. Tiens, il y a encore l\u00e0, sur ta joue, la trace d'une ancienne larme, non \nessuy\u00e9e encore ! Si alors tu \u00e9tais bien toi-m\u00eame, si ces douleurs \n\u00e9taient bien les tiennes, toi et tes douleurs vous \u00e9tiez tout \u00e0 Rosa-line ; et te voil\u00e0 d\u00e9j\u00e0 chang\u00e9 ! Prononce donc avec moi cette sen-tence : Les femmes peuvent faillir, quand les hommes ont si peu de force. \n Rom\u00e9o . \u2013 Tu m'as souvent reproch\u00e9 mon amour pour Rosa-\nline. \n Laurence . \u2013 Ton amour ? Non, mon enfant, mais ton idol\u00e2-\ntrie. \n Rom\u00e9o . \u2013 Et tu m'as dit d'ensevelir cet amour \n \nLaurence . \u2013 Je ne t'ai pas dit d' enterrer un amour pour en \nexhumer un autre. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Je t'en prie, ne me gronde pas : celle que j'aime \u00e0 \npr\u00e9sent me rend faveur pour faveur, et amour pour amour ; l'au-tre n'agissait pas ainsi. \n Laurence . \u2013 Oh ! elle voyait bien que ton amour d\u00e9clamait \nsa le\u00e7on avant m\u00eame de savoir \u00e9p eler. Mais viens, jeune volage, \u2013 51 \u2013 viens avec moi ; une raison me d\u00e9cide \u00e0 l'assister : cette union \npeut, par un heureux effet, change r en pure affection la rancune \nde vos familles. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Oh ! partons : il y a urgence \u00e0 nous h\u00e2ter \n Laurence . \u2013 Allons sagement et doucement : tr\u00e9buche qui \ncourt vite. (Ils sortent.) \n \u2013 52 \u2013 SC\u00c8NE IV \n \nUne rue. Entrent Benvolio et Mercutio. \n \n \nMercutio . \u2013 O\u00f9 diable ce Rom\u00e9o peut-il \u00eatre ? Est-ce qu'il \nn'est pas rentr\u00e9 cette nuit ? \n Benvolio . \u2013 Non, pas chez son p\u00e8re ; j'ai parl\u00e9 \u00e0 son valet. \n Mercutio . \u2013 Ah ! cette p\u00e2le fille au c\u0153ur de pierre, cette Ro-\nsaline, le tourmente tant qu'\u00e0 coup s\u00fbr il en deviendra fou. \n Benvolio . \u2013 Tybalt, le parent du vieux Capulet, lui a envoy\u00e9 \nune lettre chez son p\u00e8re. \n Mercutio . \u2013 Un cartel, sur mon \u00e2me ! \n \nBenvolio . \u2013 Rom\u00e9o r\u00e9pondra. \n Mercutio . \u2013 Tout homme qui sait \u00e9crire peut r\u00e9pondre \u00e0 \nune lettre\u2026 \n Benvolio . \u2013 C'est \u00e0 l'auteur de la lettre qu'il r\u00e9pondra : pro-\nvocation pour provocation. \n Mercutio . \u2013 H\u00e9las ! pauvre Rom\u00e9o ! il est d\u00e9j\u00e0 mort : poi-\ngnard\u00e9 par l'\u0153il noir d'une blanch e donzelle, frapp\u00e9 \u00e0 l'oreille par \nun chant d'amour atteint au beau mi lieu du c\u0153ur par la fl\u00e8che de \nl'aveugle archerot\u2026 Est-ce l\u00e0 un homme en \u00e9tat de tenir t\u00eate \u00e0 \nTybalt ? \n Benvolio . \u2013 Eh ! qu'est-ce donc que ce Tybalt ? \n \u2013 53 \u2013 Mercutio . \u2013 Plut\u00f4t le Prince des tigres que des chats, je puis \nvous le dire. Oh ! il est le cour ageux capitaine du point d'honneur \nIl se bat comme vous modulez un air observe les temps, la mesure \net les r\u00e8gles, allonge piano, une, deux, trois, et vous touche en \npleine poitrine. C'est un pourfendeur de boutons de soie, un duel-liste, un duelliste, un gentilhomme de premi\u00e8re salle, qui ferraille pour la premi\u00e8re cause venue. (Il se met en garde et se fend.) Oh ! \nla botte immortelle ! la riposte en tierce ! touch\u00e9 ! \n Benvolio . \u2013 Quoi donc ? \n Mercutio , se relevant . \u2013 Au diable ces merveilleux grotes-\nques avec leur z\u00e9zaiement, et leur affectation, et leur nouvel ac-cent ! (Changeant de voix.) \u201cJ\u00e9sus ! la bonne lame ! le bel \nhomme ! l'excellente putain !\u201d Ah ! mon grand-p\u00e8re, n'est-ce pas chose lamentable que nous soyons ainsi harcel\u00e9s par ces mousti-\nques \u00e9trangers, par ces colporte urs de modes qui nous poursui-\nvent de leurs pardonnez-moi, et qu i, tant ils sont rigides sur leurs \nnouvelles formes, ne sauraient plus s'asseoir \u00e0 l'aise sur nos vieux \nescabeaux ? Peste soit de leurs bonjours et de leurs bonsoirs. \n Entre Rom\u00e9o, r\u00eaveur Benvolio . \u2013 Voici Rom\u00e9o ! Voici Rom\u00e9o ! \n Mercutio . \u2013 N'ayant plus que les os ! sec comme un hareng \nsaur ! Oh ! pauvre chair quel triste maigre tu fais !\u2026 Voyons, donne-nous un peu de cette po\u00e9sie dont d\u00e9bordait P\u00e9trarque : compar\u00e9e \u00e0 ta dame, Laure n'\u00e9tait qu'une fille de cuisine, bien \nque son chantre s\u00fbt mieux rimer que toi ; Didon, une dondon ; \nCl\u00e9op\u00e2tre, une gipsy ; H\u00e9l\u00e8ne, une catin ; H\u00e9ro, une gourgan-dine ; Thisb\u00e9, un \u0153il d'azur, mais sans \u00e9clat ! Signor Rom\u00e9o, bon-jour ! \u00c0 votre culotte fran\u00e7aise le salut fran\u00e7ais !\u2026 Vous nous avez \njou\u00e9s d'une mani\u00e8re charmante hier soir. \n Rom\u00e9o . \u2013 Salut \u00e0 tous deux !\u2026 que voulez-vous dire ? \n \u2013 54 \u2013 Mercutio . \u2013 Eh ! vous ne comprenez pas ? vous avez fait \nune fugue, une si belle fugue ! \n \nRom\u00e9o . \u2013 Pardon, mon cher Mercutio, j'avais une affaire \nurgente ; et, dans un cas comme le mien, il est permis \u00e0 un \nhomme de brusquer la politesse. \n Mercutio . \u2013 Autant dire que, dans un cas comme le v\u00f4tre, \nun homme est forc\u00e9 de fl\u00e9chir le jarret pour\u2026 \n Rom\u00e9o . \u2013 Pour tirer sa r\u00e9v\u00e9rence. \n Mercutio . \u2013 Merci. Tu as touch\u00e9 juste. \n Rom\u00e9o . \u2013 C'est l'explication la plus biens\u00e9ante. \n \nMercutio . \u2013 Sache que je suis la rose de la biens\u00e9ance. \n Rom\u00e9o . \u2013 Fais-la-moi sentir. \n Mercutio . \u2013 La rose m\u00eame ! \n Rom\u00e9o , montrant sa chaussure couverte de rubans . \u2013 Mon \nescarpin t'en offre la rosette ! \n Mercutio . \u2013 Bien dit. Prolonge cette plaisanterie jusqu'\u00e0 ce \nque ton escarpin soit \u00e9cul\u00e9 : quan d il n'aura plus de talon, tu \npourras du moins appuyer sur la pointe. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Plaisanterie de va-nu-pieds ! \n \nMercutio . \u2013 Au secours, bon Benvolio ! mes esprits se d\u00e9-\nrobent. \n Rom\u00e9o . \u2013 Donne-leur du fouet et de l'\u00e9peron ; sinon, je \ncrie : victoire ! \n \u2013 55 \u2013 Mercutio . \u2013 Si c'est \u00e0 la course des oies que tu me d\u00e9fies, je \nme r\u00e9cuse : il y a de l'oie dans un seul de tes esprits plus que dans \ntous les miens\u2026 M'auriez-vous pris pour une oie ? \n \nRom\u00e9o . \u2013 Je ne t'ai jamais pris pour autre chose. \n Mercutio . \u2013 Je vais te mordre l'oreille pour cette plaisante-\nrie-l\u00e0. \n Rom\u00e9o . \u2013 Non. Bonne oie ne mord pas. \n Mercutio . \u2013 Ton esprit est comme une pomme aigre : il est \n\u00e0 la sauce piquante. \n Rom\u00e9o . \u2013 N'est-ce pas ce qu'il faut pour accommoder l'oie \ngrasse ? \n \nMercutio . \u2013 Esprit de chevreau ! cela pr\u00eate \u00e0 volont\u00e9 : avec \nun pouce d'ampleur on en fait long comme une verge. \n Rom\u00e9o . \u2013 Je n'ai qu'\u00e0 pr\u00eater l'ampleur \u00e0 l'oie en question, \ncela suffit ; te voil\u00e0 d\u00e9clar\u00e9\u2026 grosse oie. (Ils \u00e9clatent de rire.) \n Mercutio . \u2013 Eh bien, ne vaut-il pas mieux rire ainsi que de \ngeindre par amour ? Te voil\u00e0 sociabl e \u00e0 pr\u00e9sent, te voil\u00e0 redevenu \nRom\u00e9o ; te voil\u00e0 ce que tu dois \u00eatre, de par l'art et de par la na-ture. Crois-moi, cet amour grognon n'est qu'un grand nigaud qui s'en va, tirant la langue, et cher chant un trou o\u00f9 fourrer sa\u2026 ma-\nrotte. \n Benvolio . \u2013 Arr\u00eate-toi l\u00e0, arr\u00eate-toi l\u00e0. \n Mercutio . \u2013 Tu veux donc que j'arr\u00eate mon histoire \u00e0 \ncontre-poil ? \n Benvolio . \u2013 Je craignais qu'elle ne f\u00fbt trop longue. \n \u2013 56 \u2013 Mercutio . \u2013 Oh ! tu te trompes : elle allait \u00eatre fort courte, \ncar je suis \u00e0 bout et je n'ai pas l'intention d'occuper la place plus \nlongtemps. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Voil\u00e0 qui est parfait. \n Entrent la nourrice et Pierre. \nMercutio . \u2013 Une voile ! une voile ! une voile ! \n \nBenvolio . \u2013 Deux voiles ! deux voiles ! une culotte et un ju-\npon. \n La Nourrice . \u2013 Pierre ! \n Pierre . \u2013 Voil\u00e0 ! \n \nLa Nourrice . \u2013 Mon \u00e9ventail, Pierre. \n Mercutio . \u2013 Donne-le-lui, bon Pierre, qu'elle cache son vi-\nsage, son \u00e9ventail est moins laid. \n La Nourrice . \u2013 Dieu vous donne le bonjour, mes gentils-\nhommes ! \n Mercutio . \u2013 Dieu vous donne le bonsoir ma gentille \nfemme ! \n La Nourrice . \u2013 C'est donc d\u00e9j\u00e0 le soir ? \n Mercutio . \u2013 Oui, d\u00e9j\u00e0, je puis vous le dire, car l'index liber-\ntin du cadran est en \u00e9rection sur midi. \n La Nourrice . \u2013 Diantre de vous ! quel homme \u00eates-vous \ndonc ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Un mortel, gentille femme, que Dieu cr\u00e9a pour se \nfaire injure \u00e0 lui-m\u00eame. \u2013 57 \u2013 \nLa Nourrice . \u2013 Bien r\u00e9pondu, sur ma parole ! Pour se faire \ninjure \u00e0 lui-m\u00eame, a-t-il dit\u2026 Messieurs, quelqu'un de vous sau-\nrait-il m'indiquer o\u00f9 je puis trouver le jeune Rom\u00e9o ? \n \nRom\u00e9o . \u2013 Je puis vous l'indiquer : pourtant le jeune Ro-\nm\u00e9o, quand vous l'aurez trouv\u00e9, se ra plus vieux qu'au moment o\u00f9 \nvous vous \u00eates mise \u00e0 le chercher Je suis le plus jeune de ce nom-\nl\u00e0, \u00e0 d\u00e9faut d'un pire. \n \nLa Nourrice . \u2013 Fort bien ! \n Mercutio . \u2013 C'est le pire qu'elle trouve fort bien ! bonne \nremarque, ma foi, fort sens\u00e9e, fort sens\u00e9e. \n La Nourrice , \u00e0 Rom\u00e9o . \u2013 Si vous \u00eates Rom\u00e9o, monsieur, je \nd\u00e9sire vous faire une courte confidence. \n \nBenvolio . \u2013 Elle va le convier \u00e0 quelque souper. \n Mercutio . \u2013 Une maquerelle ! une maquerelle ! une maque-\nrelle ! Ta\u00efaut ! \n Rom\u00e9o , \u00e0 Mercutio . \u2013 Quel gibier as-tu donc lev\u00e9 ? \n Mercutio . \u2013 Ce n'est pas pr\u00e9cis\u00e9ment un li\u00e8vre, mais une \nb\u00eate \u00e0 poil, rance comme la venais on moisie d'un p\u00e2t\u00e9 de car\u00eame. \n(Il chante.) \nUn vieux li\u00e8vre faisand\u00e9, \nQuoiqu'il ait le poil gris, \nEst un fort bon plat de car\u00eame. \nMais un vieux li\u00e8vre faisand\u00e9 \nA trop longtemps dur\u00e9, \nS'il est moisi avant d'\u00eatre fini. \nRom\u00e9o, venez-vous chez votre p\u00e8re ? Nous y allons d\u00eener. \n Rom\u00e9o . \u2013 Je vous suis. \n \u2013 58 \u2013 Mercutio , saluant la nourrice en chantant . \u2013 Adieu, anti-\nque dame, adieu, madame, adieu, madame. (Sortent Mercutio et \nBenvolio.) . \n \nLa Nourrice . \u2013 Oui, Morbleu, adieu ! Dites-moi donc quel \nest cet impudent fripier qui a d\u00e9bit\u00e9 tant de vilenies ? \n Rom\u00e9o . \u2013 C'est un gentilhomme, nourrice, qui aime \u00e0 s'en-\ntendre parler, et qui en dit plus en une minute qu'il ne pourrait en \u00e9couter en un mois. \n La Nourrice . \u2013 S ' i l s ' a v i s e d e r i e n d i r e c o n t r e m o i , j e l e \nmettrai \u00e0 la raison, f\u00fbt-il vigo ureux comme vingt freluquets de \nson esp\u00e8ce ; et si je ne le puis moi-m\u00eame, j'en trouverai qui y par-\nviendront. Le polisson ! le malotru ! Je ne suis pas une de ses dr\u00f4-lesses ; je ne suis pas une de ses femelles ! (\u00c0 Pierre.) Et toi aussi, \nil faut que tu restes coi, et que tu permettes au premier croquant \nvenu d'user de moi \u00e0 sa guise ! \n Pierre . \u2013 Je n'ai vu personne user de vous \u00e0 sa guise ; si je \nl'avais vu, ma lame aurait bien vite \u00e9t\u00e9 dehors, je vous le garantis. \nJe suis aussi prompt qu'un autre \u00e0 d\u00e9gainer quand je vois occa-sion pour une bonne querelle, et que la loi est de mon c\u00f4t\u00e9. \n La Nourrice . \u2013 Vive Dieu ! je suis si vex\u00e9e que j'en tremble \nde tous mes membres !\u2026 Le poli sson ! le malotru !\u2026 De gr\u00e2ce, \nmonsieur un mot ! Comme je vous l'ai dit, ma jeune ma\u00eetresse m'a charg\u00e9e d'aller \u00e0 votre recherche\u2026 Ce qu'elle m'a charg\u00e9e de vous dire, je le garde pour moi\u2026 Mais d'abord laissez-moi vous \nd\u00e9clarer que, si vous aviez l'intention, comme on dit, de la mener \nau paradis des fous, ce serait un e fa\u00e7on d'agir tr\u00e8s grossi\u00e8re, \ncomme on dit : car la demoiselle est si jeune ! Si donc il vous arri-vait de jouer double jeu avec elle, ce serait un vilain trait \u00e0 faire \u00e0 une demoiselle, et un proc\u00e9d\u00e9 tr\u00e8s mesquin. \n Rom\u00e9o . \u2013 Nourrice, recommande-moi \u00e0 ta dame et ma\u00ee-\ntresse. Je te jure\u2026 \n \u2013 59 \u2013 La Nourrice . \u2013 L'excellent c\u0153ur ! Oui, ma foi, je le lui dirai. \nSeigneur ! Seigneur ! Elle va \u00eatre bien joyeuse. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Que lui diras-tu, nourrice ? Tu ne m'\u00e9coutes pas. \n \nLa Nourrice . \u2013 Je lui dirai, monsieur, que vous jurez, ce \nqui, \u00e0 mon avis, est une action toute gentilhommi\u00e8re. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Dis-lui de trouver quelque moyen d'aller \u00e0 \nconfesse cette apr\u00e8s-midi ; c'est da ns la cellule de fr\u00e8re Laurence \nqu'elle sera confess\u00e9e et mari\u00e9e. Voici pour ta peine. (Il lui offre \nsa bourse.) \n \nLa Nourrice . \u2013 Non vraiment, monsieur, pas un denier ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Allons ! il le faut, te dis-je. \n \nLa Nourrice , prenant la bourse . \u2013 Cette apr\u00e8s-midi, mon-\nsieur ? Bon, elle sera l\u00e0. \n Rom\u00e9o . \u2013 Et toi, bonne nourrice , tu attendras derri\u00e8re le \nmur de l'abbaye. Avant une heure, mon valet ira te rejoindre et t'apportera une \u00e9chelle de corde : ce sont les haubans par lesquels je dois, dans le myst\u00e8re de la nuit, monter au hunier de mon bon-heur Adieu !\u2026 Recommande-moi \u00e0 ta ma\u00eetresse. \n La Nourrice . \u2013 Sur ce, que le Dieu du ciel te b\u00e9nisse ! \u00c9cou-\ntez, monsieur. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Qu'as-tu \u00e0 me dire, ma ch\u00e8re nourrice ? \n \nLa Nourrice . \u2013 Votre valet est-il discret ? Vous connaissez \nsans doute le proverbe : Deux personnes, hormis une, peuvent \ngarder un secret. \n Rom\u00e9o . \u2013 Rassure-toi : mon valet est \u00e9prouv\u00e9 comme \nl'acier. \n \u2013 60 \u2013 La Nourrice . \u2013 Bien, monsieur : ma ma\u00eetresse est bien la \nplus charmante dame\u2026 Seigneur ! Seigneur !\u2026 Quand elle n'\u00e9tait \nencore qu'un petit \u00eatre babillard !\u2026 Oh ! il y a en ville un grand \nseigneur, un certain P\u00e2ris, qui vo udrait bien t\u00e2ter du morceau ; \nmais elle, la bonne \u00e2me, elle aimerait autant voir un crapaud, un \nvrai crapaud, que de le voir, lui. Je la f\u00e2che quelquefois quand je \nlui dis que P\u00e2ris est l'homme qui lui convient le mieux : ah ! je vous le garantis, quand je dis \u00e7a, elle devient aussi p\u00e2le que n'im-\nporte quel linge au monde\u2026 Romarin et Rom\u00e9o commencent tous \ndeux par la m\u00eame lettre, n'est-ce pas ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Oui, nourrice. L'un et l'autre commencent par un \nR. Apr\u00e8s ? \n La Nourrice . \u2013 Ah ! vous dites \u00e7a d'un air moqueur. Un R, \nc'est bon pour le nom d'un chien, puisque c'est un grognement de \nchien\u2026 Je suis bien s\u00fbre qu e Rom\u00e9o commence par une autre \nlettre\u2026 Allez, elle dit de si jolies sentences sur vous et sur le ro-marin, que cela vous ferait du bien de les entendre. \n Rom\u00e9o . \u2013 Recommande-moi \u00e0 ta ma\u00eetresse. (Il sort.) \n La Nourrice . \u2013 Oui, mille fois !\u2026 Pierre ! \n Pierre . \u2013 Voil\u00e0 ! \n La Nourrice . \u2013 En avant, et lestement. (Ils sortent.) \n \u2013 61 \u2013 SC\u00c8NE V \n \nLe jardin de Capulet. Entre Juliette. \n \n \nJuliette . \u2013 L'horloge frappait neuf heures, quand j'ai envoy\u00e9 \nla nourrice ; elle m'avait promis d'\u00eatre de retour en une demi-heure\u2026 Peut-\u00eatre n'a-t-elle pas pu le trouver !\u2026 Mais non\u2026 Oh ! \nelle est boiteuse ! Les messagers d'amour devraient \u00eatre des pen-\ns\u00e9es, plus promptes dix fois que les rayons du soleil, qui dissipent \nl'ombre au-dessus des collines n\u00e9buleuses. Aussi l'amour est-il tra\u00een\u00e9 par d'agiles colombes ; aussi Cupidon a-t-il des ailes rapi-des comme le vent. Maintenant le soleil a atteint le sommet su-\npr\u00eame de sa course d'aujourd'hui ; de neuf heures \u00e0 midi il y a trois longues heures, et elle n'est pas encore venue ! Si elle avait les affections et le sang br\u00fblant de la jeunesse, elle aurait le leste mouvement d'une balle ; d'un mot je la lancerais \u00e0 mon bien-aim\u00e9 \nqui me la renverrait d'un mot. Mais ces vieilles gens, on les ren-\ndrait souvent pour des morts, \u00e0 voir leur inertie, leur lenteur leur \nlourdeur et leur p\u00e2leur de plomb. \n Entrent la nourrice et Pierre. Juliette . \u2013 Mon Dieu, la voici enfin\u2026 \u00f4 nourrice de miel, \nquoi de nouveau ? L'as-tu trouv\u00e9 ?\u2026 Renvoie cet homme. \n La Nourrice . \u2013 Pierre, restez \u00e0 la porte. (Pierre sort.) \n Juliette . \u2013 Eh bien, bonne, douce nourrice ?\u2026 Seigneur ! \npourquoi as-tu cette mine abattue ? Quand tes nouvelles seraient \ntristes, annonce-les-moi gaiement. Si tes nouvelles sont bonnes, \ntu fais tort \u00e0 leur douce musique en me la jouant avec cet air ai-gre. \n \u2013 62 \u2013 La Nourrice . \u2013 Je suis \u00e9puis\u00e9e ; laisse-moi respirer un peu. \nAh ! que mes os me font mal ! Quelle course j'ai faite ! \n \nJuliette . \u2013 Je voudrais que tu eusses mes os, pourvu que \nj'eusse des nouvelles\u2026 Allons, je t'en prie, parle ; bonne, bonne \nnourrice, parle. \n La Nourrice . \u2013 J\u00e9sus ! quelle h\u00e2te ! Pouvez-vous pas atten-\ndre un peu ? Voyez-vous pas que je suis hors d'haleine ? \n Juliette . \u2013 Comment peux-tu \u00eatre hors d'haleine quand il te \nreste assez d'haleine pour me dire que tu es hors d'haleine ? L'ex-cuse que tu donnes \u00e0 tant de d\u00e9lais est plus longue \u00e0 dire que le r\u00e9cit que tu t'excuses de diff\u00e9rer. Tes nouvelles sont-elles bonnes ou mauvaises ? R\u00e9ponds \u00e0 cela ; r\u00e9 ponds d'un mot, et j'attendrai \nles d\u00e9tails. \u00c9difie-moi : sont-elles bonnes ou mauvaises ? \n \nLa Nourrice . \u2013 Ma foi, vous avez fa it l\u00e0 un pauvre choix : \nv o u s n e v o u s e n t e n d e z p a s \u00e0 c h o i s i r u n h o m m e : R o m \u00e9 o , u n homme ? non. Bien que son visage soit le plus beau visage qui soit, il a la jambe mieux faite qu e tout autre ; et pour la main, \npour le pied, pour la taille, bien qu'il n'y ait pas grand chose \u00e0 en \ndire, tout cela est incomparable\u2026 Il n'est pas la fleur de la cour-toisie, pourtant je le garantis aussi doux qu'un agneau\u2026 Va ton \nchemin, fillette, sers Dieu\u2026 Ah \u00e7a ! avez-vous d\u00een\u00e9 ici ? \n Juliette . \u2013 Non, non\u2026 Mais je savais d\u00e9j\u00e0 tout cela. Que dit-\nil de notre mariage ? Qu'est-ce qu'il en dit ? \n \nLa Nourrice . \u2013 Seigneur que la t\u00eate me fait mal ! quelle t\u00eate \nj'ai ! Elle bat comme si elle alla it tomber en vingt morceaux\u2026 Et \npuis, d'un autre c\u00f4t\u00e9, mon dos\u2026 Oh ! mon dos ! mon dos ! M\u00e9-\nchant c\u0153ur que vous \u00eates de m'envoyer ainsi pour attraper ma mort \u00e0 galoper de tous c\u00f4t\u00e9s ! \n Juliette . \u2013 En v\u00e9rit\u00e9, je suis f\u00e2ch\u00e9e que tu ne sois pas bien : \nch\u00e8re, ch\u00e8re, ch\u00e8re nourrice, dis-moi, que dit mon bien aim\u00e9 ? \n \u2013 63 \u2013 La Nourrice . \u2013 Votre bien-aim\u00e9 parle en gentilhomme \nloyal, et courtois, et affable, et gracieux, et, j'ose le dire, ver-\ntueux\u2026 O\u00f9 est votre m\u00e8re ? \n \nJuliette . \u2013 O\u00f9 est ma m\u00e8re ? Eh bi en, elle est \u00e0 la maison : \no\u00f9 veux-tu qu'elle soit ? Que tu r\u00e9ponds singuli\u00e8rement ! votre \nbien-aim\u00e9 parle en gentilhomme loyal, o\u00f9 est votre m\u00e8re ? \n \nLa Nourrice . \u2013 Oh ! Notre-Dame du bon Dieu ! \u00eates-vous \u00e0 \nce point br\u00fblante ? Pardine, \u00e9chauffez-vous encore : est-ce l\u00e0 vo-\ntre cataplasme pour mes pauvres os ? Dor\u00e9navant, faites vos mes-\nsages vous-m\u00eame ! \n Juliette . \u2013 Que d'embarras !\u2026 Voyons, que dit Rom\u00e9o ? \n La Nourrice . \u2013 Avez-vous permission d'aller \u00e0 confesse au-\njourd'hui ? \n \nJuliette . \u2013 Oui. \n La Nourrice . \u2013 Eh bien, courez de ce pas \u00e0 la cellule de \nfr\u00e8re Laurence : un mari vous y attend pour faire de vous sa \nfemme. Ah bien ! voil\u00e0 ce fripon de sang qui vous vient aux joues : \nbient\u00f4t elles deviendront \u00e9carlate s \u00e0 la moindre nouvelle. Courez \n\u00e0 l'\u00e9glise ; moi, je vais d'un au tre c\u00f4t\u00e9, chercher l'\u00e9chelle par la-\nquelle votre bien-aim\u00e9 doit grimper jusqu'au nid de l'oiseau, d\u00e8s qu'il fera nuit noire. C'est moi qui suis la b\u00eate de somme, et je m'\u00e9puise pour votre plaisir ; mais , pas plus tard que ce soir, ce \nsera vous qui porterez le fardeau. Allons je vais d\u00eener ; courez vite \n\u00e0 la cellule. \n Juliette . \u2013 Vite au bonheur supr\u00eame !\u2026 Honn\u00eate nourrice, \nadieu. (Elles sortent par des c\u00f4t\u00e9s diff\u00e9rents.) \n \u2013 64 \u2013 SC\u00c8NE VI \n \nLa cellule de fr\u00e8re Laurence. \nEntrent fr\u00e8re Laurence et Rom\u00e9o. \n \n Laurence . \u2013 Veille le ciel sourire \u00e0 cet acte pieux, et puisse \nl'avenir ne pas nous le reprocher par un chagrin ! \n \nRom\u00e9o . \u2013 Amen ! amen ! Mais viennent tous les chagrins \npossibles, ils ne sauraient cont rebalancer le bonheur que me \ndonne la plus courte minute pa ss\u00e9e en sa pr\u00e9sence. Joins seule-\nment nos mains avec les paroles sa intes, et qu'alors la mort, vam-\npire de l'amour, fasse ce qu'elle ose : c'est assez que Juliette soit \nmienne ! \n Laurence . \u2013 Ces joies violentes ont des fins violentes, et \nmeurent dans leur triomphe : flamme et poudre, elles se consu-\nm e n t e n u n b a i s e r L e p l u s d o u x m i e l d e v i e n t f a s t i d i e u x p a r s a suavit\u00e9 m\u00eame, et d\u00e9truit l'app\u00e9tit par le go\u00fbt : aime donc mod\u00e9-r\u00e9ment : mod\u00e9r\u00e9 est l'amour durable : la pr\u00e9cipitation n'atteint pas le but plus t\u00f4t que la lenteur. \n Entre Juliette. Laurence . \u2013 Voici la dame ! Oh ! jamais un pied aussi l\u00e9ger \nn'usera la dalle \u00e9ternelle : les amoureux pourraient chevaucher \nsur ces fils de la Vierge qui flottent au souffle ardent de l'\u00e9t\u00e9, et ils ne tomberaient pas : si l\u00e9g\u00e8re et toute vanit\u00e9 ! \n \nJuliette . \u2013 Salut \u00e0 mon v\u00e9n\u00e9rable confesseur ! \n \nLaurence . \u2013 Rom\u00e9o te remerciera pour nous deux, ma fille. \n \u2013 65 \u2013 Juliette . \u2013 Je lui envoie le m\u00eame salut ! Sans quoi ses re-\nmerciements seraient imm\u00e9rit\u00e9s. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Ah ! Juliette, si ta joie est \u00e0 son comble comme la \nmienne, et si, plus habile que moi, tu peux la peindre, alors par-\nfume de ton haleine l'air qui nous entoure, et que la riche musi-que de ta voix exprime le bonheu r id\u00e9al que nous fait ressentir \u00e0 \ntous deux une rencontre si ch\u00e8re. \n Juliette . \u2013 Le sentiment, plus riche en impressions qu'en \nparoles, est fier de son essence, et non des ornements : indigents sont ceux qui peuvent compter le urs richesses ; mais mon sinc\u00e8re \namour est parvenu \u00e0 un tel exc\u00e8s que je ne saurais \u00e9valuer la moi-ti\u00e9 de mes tr\u00e9sors. \n Laurence . \u2013 Allons, venez avec moi, et nous aurons bient\u00f4t \nfait ; sauf votre bon plaisir, je ne vous laisserai seuls que quand la \nsainte \u00c9glise vous aura incorpor\u00e9s l'un \u00e0 l'autre. (Ils sortent.) \n \u2013 66 \u2013 ACTE III \n \u2013 67 \u2013 SC\u00c8NE PREMI\u00c8RE \n \nV\u00e9rone. \u2013 La promenade du Cours pr\u00e8s de la porte des Borsari. \nEntrent Mercutio, Benvolio, un page et des valets. \n \n Benvolio . \u2013 Je t'en prie, bon Mercutio, retirons-nous ; la \njourn\u00e9e est chaude ; les Capulets sont dehors, et, si nous les ren-controns, nous ne pourrons pas \u00e9viter une querelle : car, dans ces \njours de chaleur, le sang est furieusement excit\u00e9 ! \n \nMercutio . \u2013 Tu m'as tout l'air d'un de ces gaillards qui, d\u00e8s \nqu'ils entrent dans une taverne, me flanquent leur \u00e9p\u00e9e sur la ta-\nble en disant : Dieu veuille que je n'en aie pas besoin ! et qui \u00e0 peine la seconde rasade a-t-elle op \u00e9r\u00e9, d\u00e9gainent contre le cabare-\ntier sans qu'en r\u00e9alit\u00e9 il en soit besoin. \n \nBenvolio . \u2013 Moi ! j'ai l'air d'un de ces gaillards-l\u00e0 ? \n Mercutio . \u2013 Allons, allons, tu as la t\u00eate aussi chaude que \nn'importe quel drille d'Italie ; personne n'a plus d'emportement \nque toi \u00e0 prendre de l'humeur et personne n'est plus d'humeur \u00e0 s'emporter. \n Benvolio . \u2013 Comment cela ? \n Mercutio . \u2013 Oui, s'il existait deux \u00eatres comme toi, nous \nn'en aurions bient\u00f4t plus un seul, car l'un tuerait l'autre. Toi ! mais tu te querelleras avec un ho mme qui aura au menton un poil \nde plus ou de moins que toi ! Tu te querelleras avec un homme \nqui fera craquer des noix, par cett e unique raison que tu as l'\u0153il \ncouleur noisette : il faut des yeux comme les tiens pour d\u00e9couvrir l\u00e0 un grief ! Ta t\u00eate est pleine de querelles, comme l'\u0153uf est plein \ndu poussin ; ce qui ne l'emp\u00eache pas d'\u00eatre vide, comme l'\u0153uf \u2013 68 \u2013 cass\u00e9, \u00e0 force d'avoir \u00e9t\u00e9 battue \u00e0 chaque querelle. Tu t\u2019es querell\u00e9 \navec un homme qui toussait dans la rue, parce qu'il avait r\u00e9veill\u00e9 \nton chien endormi au soleil. Un jour, n'as-tu pas cherch\u00e9 noise \u00e0 \nun tailleur parce qu'il portait un pourpoint neuf avant P\u00e2ques, et \n\u00e0 un autre parce qu'il attachait ses souliers neufs avec un vieux ruban ? Et c'est toi qui me fais un sermon contre les querelles ! \n Benvolio . \u2013 Si j'\u00e9tais aussi querelleur que toi, je c\u00e9derais \nma vie en nue-propri\u00e9t\u00e9 au premie r acheteur qui m'assurerait une \nheure et quart d'existence. \n Mercutio . \u2013 En nue-propri\u00e9t\u00e9 ! Voil\u00e0 qui serait propre ! \n Entrent Tybalt, P\u00e9truchio et quelques partisans. Benvolio . \u2013 Sur ma t\u00eate, voici les Capulets. \n \nMercutio . \u2013 Par mon talon, je ne m'en soucie pas. \n Tybalt , \u00e0 ses amis. \u2013 Suivez-moi de pr\u00e8s, car je vais leur par-\nler. (\u00c0 Mercutio et \u00e0 Benvolio.) Bonsoir messieurs : un mot \u00e0 l'un \nde vous. \n Mercutio . \u2013 Rien qu'un mot ? Accouplez-le \u00e0 quelque \nchose : donnez le mot et le coup. \n Tybalt . \u2013 Vous m'y trouverez assez dispos\u00e9, messire, pour \npeu que vous m'en fournissiez l'occasion. \n \nMercutio . \u2013 Ne pourriez-vous pas prendre l'occasion sans \nqu'on vous la fourn\u00eet ? \n \nTybalt . \u2013 Mercutio, tu es de concert avec Rom\u00e9o\u2026 \n Mercutio . \u2013 De concert ! Comment ! nous prends-tu pour \ndes m\u00e9nestrels ? Si tu fais de nous des m\u00e9nestrels, pr\u00e9pare-toi \u00e0 n'entendre que d\u00e9saccords. (Mettant la main sur son \u00e9p\u00e9e.) Voici \nmon archet ; voici qui vous fera danser, sangdieu, de concert ! \u2013 69 \u2013 \nBenvolio . \u2013 Nous parlons ici sur la promenade publique ; \nou retirons-nous dans quelque lieu \u00e9cart\u00e9, ou raisonnons froide-\nment de nos griefs, ou enfin s\u00e9par ons-nous. Ici tous les yeux se \nfixent sur nous. \n \nMercutio . \u2013 Les yeux des hommes sont faits pour voir : \nlaissons-les se fixer sur nous : aucune volont\u00e9 humaine ne me \nfera bouger, moi ! \n Tybalt , \u00e0 Mercutio . \u2013 Allons, la paix so it avec vous, mes-\nsire ! (Montrant Rom\u00e9o.) Voici mon homme. \n Mercutio . \u2013 Je veux \u00eatre pendu, messire, si celui-l\u00e0 porte \nvotre livr\u00e9e : Morbleu, allez sur le terrain, il sera de votre suite ; c'est dans ce sens-l\u00e0 que votre seigneurie peut l'appeler son \nhomme. \n Tybalt . \u2013 Rom\u00e9o, l'amour que je te porte ne me fournit pas \nde terme meilleur que celui- ci : Tu es un inf\u00e2me ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Tybalt, les raisons que j' ai de t'aimer me font ex-\ncuser la rage qui \u00e9clate par un te l salut\u2026 Je ne suis pas un in-\nf\u00e2me\u2026 Ainsi, adieu : je vois que tu ne me connais pas. (Il va pour \nsortir) \n Tybalt . \u2013 Enfant, ceci ne saurait excuser les injures que tu \nm'as faites : tourne-toi donc, et en garde ! \n \nRom\u00e9o . \u2013 Je proteste que je ne t'ai jamais fait injure, et que \nje t\u2019aime d'une affection dont tu n'auras id\u00e9e que le jour o\u00f9 tu en \nconna\u00eetras les motifs\u2026 Ainsi, bon Capulet\u2026 (ce nom m'est aussi \ncher que le mien) , tiens-toi pour satisfait. \n \nMercutio . \u2013 \u00d4 froide, d\u00e9shonorante, ignoble soumission ! \nUne estocade pour r\u00e9parer cela ! (Il met l'\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main.) Tybalt, \ntueur de rats, voulez-vous faire un tour ? \n \u2013 70 \u2013 Tybalt . \u2013 Que veux-tu de moi ? \n \nMercutio . \u2013 Rien, bon roi des chats, rien qu'une de vos neuf \nvies ; celle-l\u00e0, j'entends m'en r\u00e9 galer, me r\u00e9servant, selon votre \nconduite future \u00e0 mon \u00e9gard, de mettre en hachis les huit autres. \nTirez donc vite votre \u00e9p\u00e9e par les oreilles, ou, avant qu'elle soit \nhors de l'\u00e9tui, vos oreilles sentiront la mienne. \n \nTybalt , l'\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main . \u2013 Je suis \u00e0 vous. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Mon bon Mercutio, remets ton \u00e9p\u00e9e. \n Mercutio , \u00e0 Tybalt . \u2013 Allons, messire, votre meilleure \npasse ! (Ils se battent.) \n Rom\u00e9o . \u2013 D\u00e9gaine, Benvolio, et abattons leurs armes\u2026 \nMessieurs, par pudeur, reculez devant un tel outrage : Tybalt ! \nMercutio ! Le Prince a express\u00e9ment interdit les rixes dans les rues de V\u00e9rone. Arr\u00eatez, Tybalt ! cher Mercutio ! (Rom\u00e9o \u00e9tend \nson \u00e9p\u00e9e entre les combattants. Tybalt atteint Mercutio par-dessous le bras de Rom\u00e9o et s'enfuit avec ses partisans.) \n Mercutio . \u2013 Je suis bless\u00e9\u2026 Mal\u00e9diction sur les deux mai-\nsons ! Je suis exp\u00e9di\u00e9\u2026 Il est parti ! Est-ce qu'il n'a rien ? (Il \nchancelle.) \n Benvolio , soutenant Mercutio . \u2013 Quoi, es-tu bless\u00e9 ? \n Mercutio . \u2013 Oui, oui, une \u00e9gratignure, une \u00e9gratignure, \nMorbleu, c'est bien suffisant\u2026 O\u00f9 est mon page ? Maraud, va me \nchercher un chirurgien. (Le page sort.) \n Rom\u00e9o . \u2013 Courage, ami : la blessure ne peut \u00eatre s\u00e9rieuse. \n Mercutio . \u2013 Non, elle n'est pas aussi profonde qu'un puits, \nni aussi large qu'une porte d'\u00e9glise ; mais elle est suffisante, elle peut compter : demandez \u00e0 me vo ir demain, et, quand vous me \nretrouverez, j'aurai la gravit\u00e9 que do nne la bi\u00e8re. Je suis poivr\u00e9, je \u2013 71 \u2013 vous le garantis, assez pour ce bas monde\u2026 Mal\u00e9diction sur vos \ndeux maisons !\u2026 Moi, un homme, \u00eatre \u00e9gratign\u00e9 \u00e0 mort par un \nchien, un rat, une souris, un chat ! par un fier-\u00e0-bras, un gueux, \nun maroufle qui ne se bat que par r\u00e8gle d'arithm\u00e9tique ! (\u00c0 Ro-\nm\u00e9o.) Pourquoi diable vous \u00eates-vous mis entre nous ? J'ai re\u00e7u le \ncoup par-dessous votre bras. \n \nRom\u00e9o . \u2013 J'ai cru faire pour le mieux. \n Mercutio . \u2013 Aide-moi jusqu'\u00e0 une maison, Benvolio, ou je \nvais d\u00e9faillir\u2026 Mal\u00e9diction sur vo s deux maisons ! Elles ont fait \nde moi de la viande \u00e0 vermine\u2026 Oh ! j'ai re\u00e7u mon affaire, et bien \n\u00e0 fond\u2026 Vos maisons ! (Mercutio sort, soutenu par Benvolio.) \n Rom\u00e9o , seul. \u2013 Donc un bon gentilhomme, le proche parent \ndu Prince, mon intime ami, a re\u00e7u le coup mortel pour moi, apr\u00e8s \nl'outrage d\u00e9shonorant fait \u00e0 ma r\u00e9putation par Tybalt, par Tybalt, qui depuis une heure est mon cousin !\u2026 \u00d4 ma douce Juliette, ta beaut\u00e9 m'a eff\u00e9min\u00e9 ; elle a amolli la trempe d'acier de ma valeur \n Rentre Benvolio. Benvolio . \u2013 \u00d4 Rom\u00e9o, Rom\u00e9o ! le brave Mercutio est mort. \nCe galant esprit a aspir\u00e9 la nu\u00e9e, trop t\u00f4t d\u00e9go\u00fbt\u00e9 de cette terre. \n Rom\u00e9o . \u2013 Ce jour fera peser sur les jours \u00e0 venir sa sombre \nfatalit\u00e9 : il commence le malheur, d'autres doivent l'achever. \n Rentre Tybalt. \n \nBenvolio . \u2013 Voici le furieux Tybalt qui revient. \n Rom\u00e9o . -Vivant ! triomphant ! et Mercutio tu\u00e9 ! Remonte \nau ciel, circonspecte indulgence, et toi, furie \u00e0 l'\u0153il de flamme, \nsois mon guide maintenant ! Ah ! Tybalt, reprends pour toi ce nom d'inf\u00e2me que tu m'as donn\u00e9 tout \u00e0 l'heure : l'\u00e2me de Mercu-\ntio n'a fait que peu de chemin au-d essus de nos t\u00eates, elle attend \u2013 72 \u2013 que la tienne vienne lui tenir comp agnie. Il faut que toi ou moi, \nou tous deux, nous allions le rejoindre. \n \nTybalt . \u2013 Mis\u00e9rable enfant, tu \u00e9tais son camarade ici-bas : \nc'est toi qui partiras d'ici avec lui. \n \nRom\u00e9o , mettant l'\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main . \u2013 Voici qui en d\u00e9cidera. \n(Ils se battent. Tybalt tombe.) \n Benvolio . \u2013 Fuis, Rom\u00e9o, va-t'en ! Les citoyens sont sur \npied, et Tybalt est tu\u00e9\u2026 Ne reste pas l\u00e0 stup\u00e9fait. Le Prince va te condamner \u00e0 mort, si tu es pris\u2026 Hors d'ici ! va-t'en ! fuis ! \n Rom\u00e9o . \u2013 Oh ! je suis le bouffon de la fortune ! \n Benvolio . \u2013 Qu'attends-tu donc ? (Rom\u00e9o s'enfuit.) Entre \nune foule de citoyens arm\u00e9s. \n \nPremier Citoyen . \u2013 Par o\u00f9 s'est enfui celui qui a tu\u00e9 Mer-\ncutio ? Tybalt, ce meurtrier par o\u00f9 s'est-il enfui ? \n Benvolio . \u2013 Ce Tybalt, le voici \u00e0 terre ! \n Premier Citoyen . \u2013 Debout, monsieur, suivez-moi : je \nvous somme de m'ob\u00e9ir au nom du Prince. \n Entrent le Prince et sa suite, Montague, Capulet, lady Mon-\ntague, lady Capulet et d'autres. \n \nLe Prince . \u2013 O\u00f9 sont les vils provocateurs de cette rixe ? \n \nBenvolio . \u2013 \u00d4 noble Prince, je puis te r\u00e9v\u00e9ler toutes les cir-\nconstances douloureuses de cette fatale querelle. (Montrant le \ncorps de Tybalt.) Voici l'homme qui a \u00e9t\u00e9 tu\u00e9 par le jeune Rom\u00e9o, \napr\u00e8s avoir tu\u00e9 ton parent, le jeune Mercutio. \n Lady Capulet , se penchant sur le corps . \u2013 Tybalt, mon ne-\nveu !\u2026 Oh ! l'enfant de mon fr\u00e8re ! Oh ! Prince !\u2026 Oh ! mon ne-\u2013 73 \u2013 veu !\u2026 mon mari ! C'est le sang de notre cher parent qui a cou-\nl\u00e9 !\u2026 Prince, si tu es juste, ve rse le sang des Montagues pour ven-\nger notre sang\u2026 Oh ! mon neveu ! mon neveu ! \n \nLe Prince . \u2013 Benvolio, qui a commenc\u00e9 cette rixe ? \n Benvolio . \u2013 Tybalt, que vous voyez ici, tu\u00e9 de la main de \nRom\u00e9o. En vain Rom\u00e9o lui parlait sagement, lui disait de r\u00e9fl\u00e9chir \n\u00e0 la futilit\u00e9 de la querelle, et le mettait en garde contre votre au-\nguste d\u00e9plaisir\u2026 Tout cela, dit d'une voix affable, d'un air calme, avec l'humilit\u00e9 d'un suppliant ag enouill\u00e9, n'a pu faire tr\u00eave \u00e0 la \nfureur indomptable de Tybalt, qu i, sourd aux paroles de paix, a \nbrandi la pointe de son \u00e9p\u00e9e contre la poitrine de l'intr\u00e9pide Mer-cutio. Mercutio, tout aussi exalt\u00e9, oppose le fer au fer dans ce duel \u00e0 outrance ; avec un d\u00e9dain martial, il \u00e9carte d'une main la froide mort et de l'autre la retourne contre Tybalt, dont la dext\u00e9rit\u00e9 la lui \nrenvoie ; Rom\u00e9o leur crie : Arr\u00eatez, amis ! amis, s\u00e9parez-vous. ! et, d'un geste plus rapide que sa parole, il abat les pointes fatales. A u m o m e n t o \u00f9 i l s ' \u00e9 l a n c e e n t r e eux, passe sous son bras m\u00eame \nune botte perfide de Tybalt qui frappe mortellement le fougueux Mercutio. Tybalt s'enfuit alors, puis tout \u00e0 coup revient sur Ro-m\u00e9o, qui depuis un instant n'\u00e9cou te plus que la vengeance. Leur \nlutte a \u00e9t\u00e9 un \u00e9clair ; car, avant que j'aie pu d\u00e9gainer pour les s\u00e9-parer le fougueux Tybalt \u00e9tait tu \u00e9. En le voyant tomber, Rom\u00e9o \ns'est enfui. Que Benvolio meure si telle n'est pas la v\u00e9rit\u00e9 ! \n Lady Capulet , d\u00e9signant Benvolio . \u2013 Il est parent des \nMontagues ; l'affection le fait mentir, il ne dit pas la v\u00e9rit\u00e9 ! Une vingtaine d'entre eux se sont ligu\u00e9s pour cette lutte criminelle, et \nil a fallu qu'ils fussent vingt po ur tuer un seul homme ! Je de-\nmande justice, fais-nous justice, Prince. Rom\u00e9o a tu\u00e9 Tybalt ; \nRom\u00e9o ne doit plus vivre. \n Le Prince . \u2013 Rom\u00e9o a tu\u00e9 Tybalt, mais Tybalt a tu\u00e9 Mercu-\ntio : qui maintenant me payera le prix d'un sang si cher ? \n \u2013 74 \u2013 Montague . \u2013 Ce ne doit pas \u00eatre Rom\u00e9o, Prince, il \u00e9tait \nl'ami de Mercutio. Sa faute n'a fait que terminer ce que la loi e\u00fbt \ntranch\u00e9, la vie de Tybalt. \n \nLe Prince . \u2013 Et, pour cette offense, nous l'exilons sur-le-\nchamp. Je suis moi-m\u00eame victime de vos haines ; mon sang coule \npour vos brutales disputes ; mais je vous imposerai une si rude amende que vous vous repentirez tous du malheur dont je souf-\nfre. Je serai sourd aux plaidoyers et aux excuses ; ni larmes ni pri\u00e8res ne rach\u00e8teront les torts ; elles sont donc inutiles. Que Rom\u00e9o se h\u00e2te de partir ; l'heure o\u00f9 on le trouverait ici serait \npour lui la derni\u00e8re. Qu'on emport e ce corps et qu'on d\u00e9f\u00e8re \u00e0 no-\ntre volont\u00e9 : la cl\u00e9mence ne fa it qu'assassiner en pardonnant \u00e0 \nceux qui tuent. \n \u2013 75 \u2013 SC\u00c8NE II \n \nLe jardin de Capulet. Entre Juliette. \n \n \nJuliette . \u2013 Retournez au galop, coursiers aux pieds de \nflamme, vers le logis de Ph\u00e9bus ; d\u00e9j\u00e0 un cocher comme Pha\u00e9ton v o u s a u r a i t l a n c \u00e9 s d a n s l ' o u e s t e t a u r a i t r a m e n \u00e9 l a n u i t n \u00e9 b u -leuse\u2026 \u00c9tends ton \u00e9pais rideau, nuit vou\u00e9e \u00e0 l'amour, que les \nyeux de la rumeur se ferment et que Rom\u00e9o bondisse dans mes \nbras, ignor\u00e9, inaper\u00e7u ! Pour acco mplir leurs amoureux devoirs, \nles amants y voient assez \u00e0 la seule lueur de leur beaut\u00e9 ; et, si l'amour est aveugle, il s'accord e d'autant mieux avec la nuit\u2026 \nViens, nuit solennelle, matrone au sobre v\u00eatement noir apprends-moi \u00e0 perdre, en la gagnant, cette partie qui aura pour enjeux deux virginit\u00e9s sans tache ; cache le sang hagard qui se d\u00e9bat dans mes joues, avec ton noir ch aperon, jusqu'\u00e0 ce que le timide \namour devenu plus hardi, ne voie plus que chastet\u00e9 dans l'acte de \nl'amour ! \u00c0 moi, nuit ! Viens, Rom\u00e9o, viens : tu feras le jour de la \nnuit, quand tu arriveras sur les aile s de la nuit, plus \u00e9clatant que \nla neige nouvelle sur le dos du corbeau. Viens, gentille nuit ; viens, ch\u00e8re nuit au front noir donne-moi mon Rom\u00e9o, et, quand il sera mort, prends-le et coupe le en petites \u00e9toiles, et il rendra la face du ciel si splendide que tout l'univers sera amoureux de la nuit et refusera son culte \u00e0 l'aveu glant soleil\u2026 Oh ! j'ai achet\u00e9 un \ndomaine d'amour mais je n'en ai pas pris possession, et celui qui m'a acquise n'a pas encore joui de moi. Fastidieuse journ\u00e9e, lente comme la nuit l'est, \u00e0 la veille d'une f\u00eate, pour l'impatiente enfant \nqui a une robe neuve et ne peut la mettre encore ! Oh ! voici ma nourrice\u2026 \n \u2013 76 \u2013 \n \n \nEntre la nourrice, avec une \u00e9chelle de corde. \n Juliette . \u2013 Elle m'apporte des nouvelles ; chaque bouche \nqui me parle de Rom\u00e9o, me parl e une langue c\u00e9leste\u2026 Eh bien, \nnourrice, quoi de nouveau ?\u2026 Qu'a s-tu l\u00e0 ? l'\u00e9chelle de corde que \nRom\u00e9o t'a dit d'apporter ? \n La Nourrice . \u2013 Oui, oui, l'\u00e9chelle de corde ! (Elle laisse \ntomber l'\u00e9chelle avec un geste de d\u00e9sespoir) \n Juliette . \u2013 Mon Dieu ! que se passe-t-il ? Pourquoi te tordre \nainsi les mains ? \n La Nourrice . \u2013 Ah ! mis\u00e9ricorde ! il est mort, il est mort, il \nest mort ! Nous sommes perdues, madame, nous sommes per-\ndues ! H\u00e9las ! quel jour ! C'est fait de lui, il est tu\u00e9, il est mort ! \n Juliette . \u2013 Le Ciel a-t-il pu \u00eatre aussi cruel ? \u2013 77 \u2013 \nLa Nourrice . \u2013 Rom\u00e9o l'a pu, sinon le ciel\u2026 \u00d4 Rom\u00e9o ! \nRom\u00e9o ! Qui l'aurait jamais cru ? Rom\u00e9o ! \n \nJuliette . \u2013 Quel d\u00e9mon es-tu pour me torturer ainsi ? C'est \nun supplice \u00e0 faire rugir les damn \u00e9s de l'horrible enfer Est-ce que \nRom\u00e9o s'est tu\u00e9 ? Dis-moi oui seulement, et ce simple oui m'em-poisonnera plus vite que le regard meurtrier du basilic. Je cesse \nd'exister s'il me faut ou\u00efr ce oui, et si tu peux r\u00e9pondre : oui, les \nyeux de Rom\u00e9o sont ferm\u00e9s ! Est-il mort ? dis oui ou non, et qu'un seul mot d\u00e9cide de mon bonheur ou de ma mis\u00e8re ! \n La Nourrice . \u2013 J'ai vu la blessure, je l'ai vue de mes yeux\u2026 \nPar la croix du Sauveur\u2026 l\u00e0, sur sa m\u00e2le poitrine\u2026 Un triste ca-\ndavre, un triste cadavre ensangla nt\u00e9, p\u00e2le, p\u00e2le comme la cendre, \nt o u t c o u v e r t d e s a n g , d e s a n g c a i l l \u00e9 \u2026 \u00c0 l e v o i r j e m e s u i s \u00e9 v a -\nnouie. \n Juliette . \u2013 Oh ! renonce, mon c\u0153ur ; pauvre failli, fais ban-\nqueroute \u00e0 cette vie ! En prison, mes yeux ! Fermez-vous \u00e0 la libre \nlumi\u00e8re ! Terre vile, retourne \u00e0 la terre, cesse de te mouvoir, et, Rom\u00e9o et toi, affaissez-vous dans le m\u00eame tombeau. \n La Nourrice . \u2013 \u00d4 Tybalt, Tybalt, le meilleur ami que \nj'eusse ! \u00d4 courtois Tybalt ! honn\u00eate gentilhomme ! Faut-il que j'aie v\u00e9cu pour te voir mourir ! \n Juliette . \u2013 Quel est cet ouragan dont les rafales se heur-\ntent ? Rom\u00e9o est-il tu\u00e9 et Tybalt est-il mort ? Mon cher cousin, et \nmon mari plus cher ! Alors, qu e sonne la trompette terrible du \ndernier jugement ! Car qui donc est vivant, si ces deux-l\u00e0 ne sont \nplus ? \n La Nourrice . \u2013 Tybalt n'est plus, et Rom\u00e9o est banni ! Ro-\nm\u00e9o, qui l'a tu\u00e9, est banni. \n Juliette . \u2013 \u00f4 mon Dieu ! Est-ce qu e la main de Rom\u00e9o a ver-\ns\u00e9 le sang de Tybalt ? \u2013 78 \u2013 \nLa Nourrice . \u2013 Oui, oui, h\u00e9las ! oui. \n \nJuliette . \u2013 \u00d4 c\u0153ur reptile cach\u00e9 sous la beaut\u00e9 en fleur ! \nJamais dragon occupa-t-il une ca verne si splendide ! Gracieux \namant ! d\u00e9mon ang\u00e9lique ! corbeau aux plumes de colombe ! \nagneau ravisseur de loups ! m\u00e9 prisable substance d'une forme \ndivine ! Juste l'oppos\u00e9 de ce que tu sembles \u00eatre justement, saint \ndamn\u00e9, noble mis\u00e9rable ! \u00d4 nature , \u00e0 quoi r\u00e9servais-tu l'enfer \nquand tu rel\u00e9guas l'esprit d'un d\u00e9mon dans le paradis mortel d'un \ncorps si exquis ? Jamais livre cont enant aussi vile rapsodie fut-il \nsi bien reli\u00e9 ? Oh ! que la perfidie habite un si magnifique palais ! \n La Nourrice . \u2013 Il n'y a plus \u00e0 se fier aux hommes ; chez eux \nni bonne foi, ni honneur ce sont tous des parjures, tous des tra\u00ee-tres, tous des vauriens, tous des hypocrites\u2026 Ah ! o\u00f9 est mon va-\nlet ? Vite, qu'on me donne de l'eau-de-vie ! Ces chagrins, ces mal-heurs, ces peines me font vieillir. Honte \u00e0 Rom\u00e9o ! \n Juliette . \u2013 Que ta langue se couvre d'ampoules apr\u00e8s un pa-\nreil souhait ! Il n'est pas n\u00e9 pour la honte, lui. La honte serait honteuse de si\u00e9ger sur son front ; car c'est un tr\u00f4ne o\u00f9 l'honneur devrait \u00eatre couronn\u00e9 monarque ab solu de l'univers. Oh ! quel \nmonstre j'\u00e9tais de l'outrager ainsi ! \n La Nourrice . \u2013 Pouvez-vous dire du bien de celui qui a tu\u00e9 \nvotre cousin ? \n Juliette . \u2013 Dois-je dire du mal de celui qui est mon mari ? \nAh ! mon pauvre seigneur, quelle est la langue qui caressera ta \nrenomm\u00e9e, quand moi, ton \u00e9pous\u00e9e depuis trois heures, je la d\u00e9-chire ? Mais pourquoi, m\u00e9chant, as -tu tu\u00e9 mon cousin ? C'est que, \nsans cela, ce m\u00e9chant cousin au rait tu\u00e9 mon Rom\u00e9o ! Arri\u00e8re, \nlarmes folles, retournez \u00e0 votre so urce naturelle : il n'appartient \nq u ' \u00e0 l a d o u l e u r , c e t r i b u t q u e p a r m \u00e9 p r i s e v o u s o f f r e z \u00e0 l a j o i e . Mon mari, que Tybalt voulait tuer, est vivant ; et Tybalt, qui vou-lait tuer mon mari, est mort. To ut cela est heureux : pourquoi \ndonc pleurer ?\u2026 Ah ! il y a un mo t, plus terrible que la mort de \u2013 79 \u2013 Tybalt, qui m'a assassin\u00e9e ! je voud rais bien l'oublier, mais, h\u00e9-\nlas ! il p\u00e8se sur ma m\u00e9moire comme une faute damnable sur \nl'\u00e2me du p\u00e9cheur. Tybalt est mort et Rom\u00e9o est\u2026 banni. Banni ! \nce seul mot banni a tu\u00e9 pour moi dix mille Tybalt. Que Tybalt \nmour\u00fbt, c'\u00e9tait un malheur suffisant, se f\u00fbt-il arr\u00eat\u00e9 l\u00e0. Si m\u00eame le malheur inexorable ne se pla\u00eet qu'en compagnie, s'il a besoin d'\u00eatre escort\u00e9 par d'autres cata strophes, pourquoi, apr\u00e8s m'avoir \ndit : Tybalt est mort , n'a-t-elle pas ajout\u00e9 : Ton p\u00e8re aussi, ou ta \nm\u00e8re aussi, ou m\u00eame ton p\u00e8re et ta m\u00e8re aussi ? Cela m'aurait \ncaus\u00e9 de tol\u00e9rables angoisses. Mais , \u00e0 la suite de la mort de Ty-\nbalt, faire surgir cette arri\u00e8re-garde : Rom\u00e9o est banni , prononcer \nseulement ces mots, c'est tuer c'est faire mourir \u00e0 la fois p\u00e8re, m\u00e8re, Tybalt, Rom\u00e9o et Juliette ! Rom\u00e9o est banni ! Il n'y a ni fin, \nni limite, ni mesure, ni borne \u00e0 ce mot meurtrier ! Il n'y a pas de cri pour rendre cette douleur l\u00e0. Mon p\u00e8re et ma m\u00e8re, o\u00f9 sont-ils, nourrice ? \n \nLa Nourrice . \u2013 Ils pleurent et sanglotent sur le corps de \nTybalt. Voulez-vous aller pr\u00e8s d'eux ? Je vous y conduirai. \n Juliette . \u2013 Ils lavent ses blessures de leurs larmes ! Les \nmiennes, je les r\u00e9serve, quand le s leurs seront s\u00e9ch\u00e9es, pour le \nbannissement de Rom\u00e9o. Ramasse ces cordes\u2026 Pauvre \u00e9chelle, te voil\u00e0 d\u00e9\u00e7ue comme moi, car Rom\u00e9o est exil\u00e9 : il avait fait de toi un chemin jusqu'\u00e0 mon lit ; mais, rest\u00e9e vierge, il faut que je meure dans un virginal veuvage. \u00c0 moi, co rdes ! \u00e0 moi, nourrice ! je vais \nau lit nuptial, et au lieu de Rom\u00e9o, c'est le s\u00e9pulcre qui prendra ma virginit\u00e9. \n \nLa Nourrice . \u2013 Courez \u00e0 votre chambre ; je vais trouver \nRom\u00e9o pour qu'il vous console\u2026 Je sais bien o\u00f9 il est\u2026Entendez-\nvous, votre Rom\u00e9o sera ici cette nuit ; je vais \u00e0 lui ; il est cach\u00e9 \ndans la cellule de Laurence. \n Juliette , d\u00e9tachant une bague de son doigt. \u2013 Oh ! trouve-\nle ! Remets cet anneau \u00e0 mon fid\u00e8le chevalier, et dis-lui de venir me faire ses derniers adieux. \n \u2013 80 \u2013 SC\u00c8NE III \n \nLa cellule de fr\u00e8re Laurence. \nEntrent fi\u00e8re Laurence, puis Rom\u00e9o. Le jour baisse. \n \n Laurence . \u2013 Viens, Rom\u00e9o ; viens, homme sinistre ; l'afflic-\ntion s'est enamour\u00e9e de ta personne, et tu es fianc\u00e9 \u00e0 la calamit\u00e9. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Quoi de nouveau, mon p\u00e8re ? Quel est l'arr\u00eat du \nPrince ? Quel est le malheur inconnu qui sollicite acc\u00e8s pr\u00e8s de \nmoi ? \n Laurence . \u2013 Tu n'es que trop famili er avec cette triste so-\nci\u00e9t\u00e9, mon cher fils. Je viens t\u2019apprendre l'arr\u00eat du Prince. \n Rom\u00e9o . \u2013 Quel arr\u00eat, plus doux qu'un arr\u00eat de mort, a-t-il \npu prononcer ? \n \nLaurence . \u2013 Un jugement moins rigoureux a \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 ses \nl\u00e8vres : il a d\u00e9cid\u00e9, non la mort, mais le bannissement du corps. \n Rom\u00e9o . \u2013 Ah ! le bannissement ! Par piti\u00e9, dis la mort ! \nL'exil a l'aspect plus terrible, bien plus terrible que la mort. Ne dis pas le bannissement ! \n Laurence . \u2013 Tu es d\u00e9sormais banni de V\u00e9rone. Prends cou-\nrage ; le monde est grand et vaste. \n Rom\u00e9o . \u2013 Hors des murs de V\u00e9rone, le monde n'existe pas ; \nil n'y a que purgatoire, torture, enfer, m\u00eame. \u00catre banni d'ici, c'est \u00eatre banni du monde, et cet exil-l\u00e0, c'est la mort. Donc le bannis-sement, c'est la mort sous un faux nom. En appelant la mort ban-\u2013 81 \u2013 nissement, tu me tranches la t\u00eate avec une hache d'or, et tu souris \nau coup qui me tue ! \n \nLaurence . \u2013 \u00d4 p\u00e9ch\u00e9 mortel ! \u00f4 grossi\u00e8re ingratitude ! Se-\nlon notre loi, ta faute, c'\u00e9tait la mort ; mais le bon Prince, prenant \nton parti, a tordu la loi, et \u00e0 ce mot sombre, la mort, a substitu\u00e9 le \nbannissement. C'est une gr\u00e2ce insigne, et tu ne le vois pas. \n \nRom\u00e9o . \u2013 C'est une torture, et non une gr\u00e2ce ! Le ciel est l\u00e0 \no\u00f9 vit Juliette : un chat, un chien, une petite souris, l'\u00eatre le plus \nimmonde, vivent dans le paradis et peuvent la contempler, mais Rom\u00e9o ne le peut pas. La mouche du charnier est plus privil\u00e9gi\u00e9e, plus combl\u00e9e d'honneur, plus favo ris\u00e9e que Rom\u00e9o ; elle peut sai-\nsir les blanches merveilles de la ch\u00e8re main de Juliette, et d\u00e9rober une immortelle b\u00e9atitude sur ces l\u00e8vres qui, dans leur pure et ves-tale modestie, rougissent sans cesse, comme d'un p\u00e9ch\u00e9, du bai-\nser qu'elles se donnent ! Mais Rom\u00e9o ne le peut pas, il est exil\u00e9. \nCe bonheur que la mouche peut avoir, je dois le fuir, moi ; elle est \nlibre, mais je suis banni. Et tu di s que l'exil n'est pas la mort ! Tu \nn'avais donc pas un poison subtil, un couteau bien affil\u00e9, un ins-trument quelconque de mort subite, tu n'avais donc, pour me tuer, que ce mot : Banni !\u2026 banni ! Ce mot-l\u00e0, mon p\u00e8re, les \ndamn\u00e9s de l'enfer l'emploient et le prononcent dans des hurle-ments ! Comment as-tu le c\u0153ur toi, pr\u00eatre, toi, confesseur spiri-tuel, toi qui remets les p\u00e9ch\u00e9s et t'avoues mon ami, de me broyer avec ce mot : bannissement ? \n Laurence . \u2013 Fou d'amour, laisse-moi te dire une parole. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Oh ! tu vas encore me parler de bannissement. \n \nLaurence . \u2013 Je vais te donner une armure \u00e0 l'\u00e9preuve de ce \nm o t . L a p h i l o s o p h i e , c e d o u x l a i t d e l ' a d v e r s i t \u00e9 , t e s o u t i e n d r a dans ton bannissement. \n Rom\u00e9o . \u2013 Encore le bannissement !\u2026 Au gibet la philoso-\nphie ! Si la philosophie ne peut pas faire une Juliette, d\u00e9placer \u2013 82 \u2013 une ville, renverser l'arr\u00eat d'un Prince, elle ne sert \u00e0 rien, elle n'est \nbonne \u00e0 rien, ne m'en parle plus ! \n \nLaurence . \u2013 Oh ! je le vois bien, les fous n'ont pas d'oreil-\nles ! \n \nRom\u00e9o . \u2013 Comment en auraient-ils, quand les sages n'ont \npas d'yeux ? \n Laurence . \u2013 Laisse-moi discuter avec toi sur ta situation. \n Rom\u00e9o . \u2013 Tu ne peux pas parler de ce que tu ne sens pas. Si \ntu \u00e9tais jeune comme moi et que Juliette f\u00fbt ta bien-aim\u00e9e, si, mari\u00e9 depuis une heure, tu avais tu\u00e9 Tybalt, si tu \u00e9tais \u00e9perdu comme moi et comme moi banni, alors tu pourrais parler alors tu pourrais t'arracher les cheveux, et te jeter contre terre, comme je \nfais en ce moment, pour y prendre d'avance la mesure d'une tombe ! (Il s'affaisse \u00e0 terre. On frappe \u00e0 la porte.) \n Laurence . \u2013 L\u00e8ve-toi, on frappe\u2026 Bon Rom\u00e9o, cache-toi. \n Rom\u00e9o . \u2013 Je ne me cacherai pas ; \u00e0 moins que mes doulou-\nreux soupirs ne fassent autour de moi un nuage qui me d\u00e9robe \naux regards ! (On frappe encore.) \n Laurence . \u2013 Entends-tu comme on frappe ?\u2026 Qui est l\u00e0 ?\u2026 \nRom\u00e9o, l\u00e8ve-toi, tu vas \u00eatre pr is\u2026 Attendez un moment\u2026Debout ! \nCours \u00e0 mon laboratoire !\u2026 (On frappe.) Tout \u00e0 l'heure !\u2026 Mon \nDieu, quelle d\u00e9mence !\u2026 (On frappe.) J'y vais, j'y vais ! (Allant \u00e0 \nla porte.) Qui donc frappe si fort ? D'o\u00f9 venez-vous ? que voulez-\nvous ? \n La Nourrice , du dehors . \u2013 Laissez-moi entrer, et vous \nconna\u00eetrez mon message. Je viens de la part de madame Juliette. \n Laurence , ouvrant . \u2013 Soyez la bienvenue, alors. \n Entre la nourrice . \u2013 83 \u2013 \nLa Nourrice . \u2013 \u00d4 saint moine, oh ! dites-moi, saint moine, \no\u00f9 est le seigneur de madame, o\u00f9 est Rom\u00e9o ? \n \nLaurence . \u2013 L\u00e0, par terre, ivre de ses propres larmes. \n La Nourrice . \u2013 Oh ! dans le m\u00eame \u00e9tat que ma ma\u00eetresse, \njuste dans le m\u00eame \u00e9tat. \n Laurence . \u2013 \u00d4 triste sympathie ! lamentable situation ! \n La Nourrice . \u2013 C'est ainsi qu'elle est affaiss\u00e9e, sanglotant \net pleurant, pleurant et sanglotant !\u2026 (Se penchant sur Rom\u00e9o.) \nDebout, debout. Levez-vous, si vous \u00eates un homme. Au nom de Juliette, au nom de Juliette, levez-vous, debout ! Pourquoi tom-ber dans un si profond d\u00e9sespoir ? \n \nRom\u00e9o , se redressant comme en sursaut . \u2013 La nourrice ! \n La Nourrice . \u2013 Ah ! monsieur ! ah ! monsieur !\u2026 Voyons, \nla mort est au bout de tout. \n Rom\u00e9o . \u2013 Tu as parl\u00e9 de Juliette ! en quel \u00e9tat est-elle ? Est-\nce qu'elle ne me regarde pas co mme un assassin endurci, mainte-\nnant que j'ai souill\u00e9 l'enfance de notre bonheur d'un sang si pro-\nche du sien ? O\u00f9 est-elle ? et comment est-elle ? Que dit ma mys-t\u00e9rieuse compagne de notre amoureuse mis\u00e8re ? \n La Nourrice . \u2013 Oh ! elle ne dit rien, monsieur ; mais elle \npleure, elle pleure ; et alors elle se jette sur son lit, et puis elle se \nredresse, et appelle Tybalt ; et puis elle crie : Rom\u00e9o ! et puis elle retombe. \n Rom\u00e9o . \u2013 Il semble que ce nom, lanc\u00e9 par quelque fusil \nmeurtrier, l'assassine, comme la main maudite qui r\u00e9pond \u00e0 ce \nnom a assassin\u00e9 son cousin !\u2026 Oh ! dis-moi, pr\u00eatre, dis-moi dans quelle vile partie de ce squelette est log\u00e9 mon nom ; dis-le-moi, \u2013 84 \u2013 pour que je mette \u00e0 sac ce hideux repaire ! (Il tire son poignard \ncomme pour s'en frapper la nourrice le lui arrache.) \n \nLaurence . \u2013 Retiens ta main d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e ! Es-tu un \nhomme ? ta forme crie que tu en es un ; mais tes larmes sont \nd'une femme, et ta sauvage action d\u00e9nonce la furie d\u00e9raisonnable \nd'une b\u00eate brute. \u00d4 femme disgracieuse qu'on croirait un homme, b\u00eate monstrueuse qu'on croirait homme et femme, tu m'as \u00e9ton-\nn\u00e9 !\u2026 Par notre saint ordre, je croyais ton caract\u00e8re mieux trem-\np\u00e9. Tu as tu\u00e9 Tybalt et tu veux te tuer ! Tu veux tuer la femme qui \nne respire que par toi, en asso uvissant sur toi-m\u00eame une haine \ndamn\u00e9e ! Pourquoi insultes-tu \u00e0 la vi e, au ciel et \u00e0 la terre ? La \nvie, le ciel et la terre se sont tous trois r\u00e9unis pour ton existence ; \net tu veux renoncer \u00e0 tous trois ! Fi ! fi ! tu fais honte \u00e0 ta beaut\u00e9, \u00e0 ton amour \u00e0 ton esprit. Usurier tu regorges de tous les biens, et tu ne les emploies pas \u00e0 ce l\u00e9gitime usage qui ferait honneur \u00e0 ta \nbeaut\u00e9, \u00e0 ton amour \u00e0 ton esprit. Ta noble beaut\u00e9 n'est qu'une \nimage de cire, d\u00e9pourvue d'\u00e9nergie vide ; ton amour ce tendre engagement, n'est qu'un mis\u00e9rable parjure, qui tue celle que tu avais fait v\u0153u de ch\u00e9rir ; ton esprit, cet ornement de la beaut\u00e9 et de l'amour, n'en est chez toi que le guide \u00e9gar\u00e9 : comme la poudre \ndans la calebasse d'un soldat mala droit, il prend feu par ta propre \nignorance et te mutile au lieu de te d\u00e9fendre. Allons, rel\u00e8ve-toi, l'homme ! Elle vit, ta Juliette, cette ch\u00e8re Juliette pour qui tu mourais tout \u00e0 l'heure : n'es-t u pas heureux ? Tybalt voulait \nt'\u00e9gorger, mais tu as tu\u00e9 Tybalt : n'es-tu pas heureux encore ? La loi qui te mena\u00e7ait de la mort devient ton amie et change la sen-tence en exil : n'es-tu pas heureux toujours ? Les b\u00e9n\u00e9dictions pleuvent sur ta t\u00eate, la fortune te courtise sous ses plus beaux \natours ; mais toi, maussade comme une fille mal \u00e9lev\u00e9e, tu fais la \nmoue au bonheur et \u00e0 l'amour. Pr ends garde, prends garde, c'est \nainsi qu'on meurt mis\u00e9rable. Allons, rends-toi pr\u00e8s de ta bien-\naim\u00e9e, comme il a \u00e9t\u00e9 convenu : mo nte dans sa chambre et va la \nconsoler ; mais surtout quitte-la avant la fin de la nuit, car alors tu ne pourrais plus gagner Mantou e ; et c'est l\u00e0 que tu dois vivre \njusqu'\u00e0 ce que nous trouvions le moment favorable pour procla-mer ton mariage, r\u00e9concilier vos familles, obtenir le pardon du Prince et te rappeler ici. Tu revi endras alors plus heureux un mil-\u2013 85 \u2013 l i o n d e f o i s q u e t u n ' a u r a s \u00e9 t \u00e9 d \u00e9 s o l \u00e9 a u d \u00e9 p a r t \u2026 V a e n a v a n t , \nnourrice, recommande-moi \u00e0 ta ma\u00eet resse, et dis-lui de faire cou-\ncher son monde de bonne heure ; le chagrin dont tous sont acca-\nbl\u00e9s les disposera vite au repos\u2026 Rom\u00e9o te suit. \n \nLa Nourrice . \u2013 Vrai Dieu ! je pourrais rester ici toute la \nnuit \u00e0 \u00e9couter vos bons conseils. Oh ! ce que c'est que la science ! \n(\u00c0 Rom\u00e9o.) Mon seigneur, je vais an noncer \u00e0 madame que vous \nallez venir. \n Rom\u00e9o . \u2013 Va, et dis \u00e0 ma bien-aim\u00e9e de s'appr\u00eater \u00e0 me \ngronder \n La Nourrice , lui remettant une bague . \u2013 Voici, monsieur \nun anneau qu'elle m'a dit de vous donner Monsieur accourez vite, d\u00e9p\u00eachez-vous, car il se fait tard. (La nourrice sort.) \n \nRom\u00e9o , mettant la bague. \u2013 Comme ceci ranime mon cou-\nrage ! \n Laurence . \u2013 Partez. Bonne nuit. Ma is faites-y attention, \ntout votre sort en d\u00e9pend, quittez V\u00e9rone avant la fin de la nuit, ou \u00e9loignez-vous \u00e0 la pointe du jour sous un d\u00e9guisement. Restez \u00e0 Mantoue ; votre valet, que je sa urai trouver, vous instruira de \ntemps \u00e0 autre des incidents heureu x pour vous qui surviendront \nici\u2026 Donne-moi ta main ; il est tard : adieu ; bonne nuit. \n Rom\u00e9o . \u2013 Si une joie au-dessus de toute joie ne m'appelait \nailleurs, j'aurais un vif chagrin \u00e0 me s\u00e9parer de toi si vite. Adieu. \n(Ils sortent.) \n \u2013 86 \u2013 SC\u00c8NE IV \n \nDans la maison de Capulet. \nEntrent Capulet, Lady Capulet et P\u00e2ris. \n \n Capulet . \u2013 Les choses ont tourn\u00e9 si malheureusement, mes-\nsire, que nous n'avons pas eu le temps de disposer notre fille. C'est que, voyez-vous, elle aimait ch\u00e8rement son cousin Tybalt, et \nmoi aussi\u2026 Mais quoi ! nous sommes n\u00e9s pour mourir Il est tr\u00e8s tard ; elle ne descendra pas ce soir Je vous promets que, sans vo-tre compagnie, je serais au lit depuis une heure. \n P\u00e2ris . \u2013 Quand la mort parle, ce n'est pas pour l'amour le \nmoment de parler. Madame, bonne nuit : pr\u00e9sentez mes homma-ges \u00e0 votre fille. \n \nLady Capulet . \u2013 Oui, messire, et demain de bonne heure je \nconna\u00eetrai sa pens\u00e9e. Ce soir elle est clo\u00eetr\u00e9e dans sa douleur. \n Capulet . \u2013 Sire P\u00e2ris, je puis hardiment vous offrir l'amour \nde ma fille ; je pense qu'elle se laissera diriger par moi en toutes choses ; bien plus, je n'en dout e pas\u2026 Femme, allez la voir avant \nd'aller au lit ; apprenez-lui l'amour de mon fils P\u00e2ris, et dites-lui, \n\u00e9coutez bien, que mercredi proc hain\u2026 Mais doucement ! quel \njour est-ce ? \n P\u00e2ris . \u2013 Lundi, monseigneur. \n Capulet . \u2013 Lundi ? h\u00e9 ! h\u00e9 ! alors, mercredi est trop t\u00f4t. Ce \nsera pour jeudi\u2026 dites-lui que jeudi elle sera mari\u00e9e \u00e0 ce noble comte\u2026 Serez-vous pr\u00eat ? Cette h\u00e2te vous convient-elle ? Nous ne ferons pas grand fracas ! un ami ou deux ! Car voyez-vous, le meurtre de Tybalt \u00e9tant si r\u00e9cent, on pourrait croire que nous \u2013 87 \u2013 nous soucions fort peu de notre par ent, si nous faisions de gran-\ndes r\u00e9jouissances. Cons\u00e9quemment, nous aurons une demi-\ndouzaine d'amis, et ce sera tout. Mais que dites-vous de jeudi ? \n \nP\u00e2ris . \u2013 Monseigneur, je voudrais que jeudi soit demain. \n Capulet . \u2013 Bon ; vous pouvez partir\u2026 Ce sera pour jeudi, \nalors. Vous, femme, allez voir Juliette avant d'aller au lit, et pr\u00e9-\nparez-la pour la noce\u2026 Adieu, messire\u2026 De la lumi\u00e8re dans ma \nchambre, hol\u00e0 ! Ma foi, il est d\u00e9j\u00e0 si tard qu'avant peu il sera de \nbonne heure\u2026 Bonne nuit. (Ils sortent.) \n \u2013 88 \u2013 SC\u00c8NE V \n \nLa chambre \u00e0 coucher de Juliette. \nEntrent Rom\u00e9o et Juliette. \n \n Juliette . \u2013 Veux-tu donc partir ? le jour n'est pas proche en-\ncore : c'\u00e9tait le rossignol et non l'alouette dont la voix per\u00e7ait ton oreille craintive. Toutes les nuits il chante sur le grenadier l\u00e0-bas. \nCrois-moi, amour c'\u00e9tait le rossignol. \n \nRom\u00e9o . \u2013 C'\u00e9tait l'alouette, la messag\u00e8re du matin, et non le \nrossignol. Regarde, amour ces lueurs jalouses qui dentellent le bord des nuages \u00e0 l'orient ! Les flambeaux de la nuit sont \u00e9teints, et le jour joyeux se dresse sur la pointe du pied au sommet bru-\nmeux de la montagne. Je dois partir et vivre, ou rester et mourir. \n \nJuliette . \u2013 Cette clart\u00e9 l\u00e0-bas n'est pas la clart\u00e9 du jour je le \nsais bien, moi ; c'est quelque m\u00e9t\u00e9ore que le soleil exhale pour te servir de torche cette nuit et \u00e9clairer ta marche vers Mantoue. \nReste donc, tu n'as pas besoin de partir encore. \n Rom\u00e9o . \u2013 Soit ! qu'on me prenne, qu'on me mette \u00e0 mort ; \nje suis content, si tu le veux ai nsi. Non, cette lueur grise n'est pas \nle regard du matin, elle n'est que le p\u00e2le reflet du front de Cyn-thia ; et ce n'est pas l'alouette qui frappe de notes si hautes la vo\u00fbte du ciel au-dessus de nos t\u00eates. J'ai plus le d\u00e9sir de rester que la volont\u00e9 de partir, que vienne la mort, et elle sera bien ve-\nnue !\u2026 Ainsi le veut Juliette\u2026 Comment \u00eates-vous, mon \u00e2me ? Causons, il n'est pas jour. \n Juliette . \u2013 C'est le jour c'est le jour ! Fuis vite, va-t'en, pars : \nc'est l'alouette qui d\u00e9tonne ainsi, et qui lance ces notes rauques, ces strettes d\u00e9plaisantes. On dit que l'alouette prolonge si douce-\u2013 89 \u2013 ment les accords ; cela n'est pas, car elle rompt le n\u00f4tre. On dit \nque l'alouette et le hideux cra paud ont chang\u00e9 d'yeux : oh ! que \nn'ont-ils aussi chang\u00e9 de voix, puisque cette voix nous arrache \neffar\u00e9s l'un \u00e0 l'autre et te chasse d'ici par son hourvari matinal ! \nOh ! maintenant pars. Le jour est de plus en plus clair. \n Rom\u00e9o . \u2013 De plus en plus clair ?\u2026 De plus en plus sombre \nest notre malheur \n Entre la nourrice. La Nourrice . \u2013 Madame ! \n Juliette . \u2013 Nourrice ! \n La Nourrice . \u2013 Madame votre m\u00e8re va venir dans votre \nchambre. Le jour para\u00eet ; soyez prudente, faites attention. (La \nnourrice sort.) \n \nJuliette . \u2013 Allons, fen\u00eatre, laissez entrer le jour et sortir ma \nvie. \n \n \n \nRom\u00e9o . \u2013 Adieu, adieu ! un baiser, et je descends. (Ils s'em-\nbrassent. Rom\u00e9o descend.) \n Juliette , se penchant sur le balcon . \u2013 Te voil\u00e0 donc parti ? \namour seigneur \u00e9poux, ami ! Il me faudra de tes nouvelles \u00e0 cha-\u2013 90 \u2013 que heure du jour, car il y a tant de jours dans une minute ! Oh ! \u00e0 \nce compte-l\u00e0, je serai bien vieille, quand je reverrai mon Rom\u00e9o. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Adieu ! je ne perdrai pas une occasion, mon \namour, de renvoyer un souvenir. \n \nJuliette . \u2013 Oh ! crois-tu que nous nous rejoindrons jamais ? \n \nRom\u00e9o . \u2013 Je n'en doute pas ; et toutes ces douleurs feront \nle doux entretien de nos moments \u00e0 venir. \n \nJuliette . \u2013 \u00d4 Dieu ! j'ai dans l'\u00e2m e un pr\u00e9sage fatal. Main-\nt e n a n t q u e t u e s e n b a s , t u m ' a p p a r a i s c o m m e u n m o r t a u f o n d d'une tombe. Ou mes yeux me trompent, ou tu es bien p\u00e2le. \n Rom\u00e9o . \u2013 Crois-moi, amour tu me sembles bien p\u00e2le aussi. \nL'angoisse aride boit notre sang. Adieu ! adieu ! (Rom\u00e9o sort.) \n \nJuliette . \u2013 \u00d4 fortune ! fortune ! tout le monde te dit capri-\ncieuse ! Si tu es capricieuse, qu'as-tu \u00e0 faire avec un homme \nd'aussi illustre constance ? Fortune, sois capricieuse, car alors tu ne le retiendras pas longtemps, j'esp\u00e8re, et tu me le renverras. \n Lady Capulet , du dehors . \u2013 Hol\u00e0 ! ma fille ! \u00eates-vous le-\nv\u00e9e ? \n Juliette . \u2013 Qui m'appelle ? est-ce madame ma m\u00e8re ? Se se-\nrait-elle couch\u00e9e si tard ou lev\u00e9e si t\u00f4t ? Quel \u00e9trange motif l'am\u00e8ne ? \n Entre lady Capulet. Lady Capulet . \u2013 Eh bien, comment \u00eates-vous, Juliette ? \n Juliette . \u2013 Je ne suis pas bien, madame. \n Lady Capulet . \u2013 Toujours \u00e0 pleurer la mort de votre cou-\nsin ?\u2026 Pr\u00e9tends-tu donc le laver de la poussi\u00e8re fun\u00e8bre avec tes \u2013 91 \u2013 larmes ? Quand tu y parviendrais, tu ne pourrais pas le faire revi-\nvre. Cesse donc : un chagrin raisonnable prouve l'affection ; mais un chagrin excessif prouve toujours un manque de sagesse. \n \nJuliette . \u2013 Laissez-moi pleurer encore une perte aussi sen-\nsible. \n Lady Capulet . \u2013 Vous ne sentirez que plus vivement cette \nperte, sans sentir plus pr\u00e8s de vous l'ami que vous pleurez. \n Juliette . \u2013 Je sens si vivement la perte de cet ami que je ne \npuis m'emp\u00eacher de le pleurer toujours. \n Lady Capulet . \u2013 Va, ma fille, ce qui te fait pleurer, c'est \nmoins de le savoir mort que de sa voir vivant l'inf\u00e2me qui l'a tu\u00e9. \n \nJuliette . \u2013 Quel inf\u00e2me, madame ? \n Lady Capulet . \u2013 Eh bien ! cet inf\u00e2me Rom\u00e9o ! \n Juliette . \u2013 Entre un inf\u00e2me et lui il y a bien des milles de \ndistance. Que Dieu lui pardonne ! Moi, je lui pardonne de tout mon c\u0153ur ; et pourtant nul ho mme ne navre mon c\u0153ur autant \nque lui. \n Lady Capulet . \u2013 Parce qu'il vit, le tra\u00eetre ! \n Juliette . \u2013 Oui, madame, et trop loin de mes bras. Que ne \nsuis-je charg\u00e9e de venger mon cousin ! \n Lady Capulet . \u2013 Nous obtiendrons vengeance, sois-en sure. \nAinsi ne pleure plus. Je ferai pr \u00e9venir quelqu'un \u00e0 Mantoue, o\u00f9 \nvit maintenant ce vagabond banni : on lui donnera une potion insolite qui l'enverra vite tenir compagnie \u00e0 Tybalt, et alors j'es-\np\u00e8re que tu seras satisfaite. \n Juliette . \u2013 Je ne serai vraiment sa tisfaite que quand je ver-\nrai Rom\u00e9o\u2026 supplici\u00e9, tortur\u00e9 est mon pauvre c\u0153ur, depuis qu'un \u2013 92 \u2013 tel parent m'est enlev\u00e9. Madame, trouvez seulement un homme \npour porter le poison ; moi, je le pr\u00e9parerai, et si bien qu'apr\u00e8s \nl'avoir pris, Rom\u00e9o dormira vite en paix. Oh ! quelle horrible \nsouffrance pour mon c\u0153ur de l' entendre nommer, sans pouvoir \naller jusqu'\u00e0 lui, pour assouvir l'amour que je portais \u00e0 mon cou-\nsin sur le corps de son meurtrier ! \n Lady Capulet . \u2013 Trouve les moyens, toi ; moi, je trouverai \nl'homme. Maintenant, fille, j'ai \u00e0 te dire de joyeuses nouvelles. \n Juliette . \u2013 La joie est la bienvenue quand elle est si n\u00e9ces-\nsaire : quelles sont ces nouvelles ? j'adjure votre Gr\u00e2ce. \n Lady Capulet . \u2013 Va, Va, mon enfant, tu as un excellent \np\u00e8re ! Pour te tirer de ton accablement, il a improvis\u00e9 une journ\u00e9e de f\u00eate \u00e0 laquelle tu ne t'attends pas et que je n'esp\u00e9rais gu\u00e8re. \n \nJuliette . \u2013 Quel sera cet heureux jour madame ? \n Lady Capulet . \u2013 Eh bien, mon enfant, jeudi prochain, de \nbon matin, un galant, jeune et noble gentilhomme, le comte P\u00e2ris, te m\u00e8nera \u00e0 l'\u00e9glise Saint-Pierre et aura le bonheur de faire de toi sa joyeuse \u00e9pouse. \n Juliette . \u2013 Oh ! par l'\u00e9glise de Saint-Pierre et par Saint \nPierre lui-m\u00eame, il ne fera pas de moi sa joyeuse \u00e9pouse. Je \nm'\u00e9tonne de tant de h\u00e2te : ordo nner ma noce, avant que celui qui \ndoit \u00eatre mon mari m'ait fait sa cour ! Je vous en prie, madame, \ndites \u00e0 mon seigneur et p\u00e8re que je ne veux pas me marier encore. \nSi jamais je me marie, je le jure, ce sera plut\u00f4t \u00e0 ce Rom\u00e9o que vous savez ha\u00ef de moi, qu'au comte P\u00e2ris. Voil\u00e0 des nouvelles en v\u00e9rit\u00e9. \n Lady Capulet . \u2013 Voici votre p\u00e8re qui vient ; faites-lui vous \nm\u00eame votre r\u00e9ponse, et nous verrons comment il la prendra. \n Entrent Capulet et la nourrice. \u2013 93 \u2013 Capulet , regardant Juliette qui sanglote . \u2013 Quand le soleil \ndispara\u00eet, la terre distille la ros\u00e9e, mais, apr\u00e8s la disparition du \nradieux fils de mon fr\u00e8re, il pleut tout de bon. Eh bien ! es tu de-\nvenue goutti\u00e8re, fillette ? Quoi, toujours des larmes ! toujours des \naverses ! Dans ta petite personne tu figures \u00e0 la fois la barque, la \nmer et le vent : tes yeux, que je puis comparer \u00e0 la mer ont sans \ncesse un flux et un reflux de la rmes ; ton corps est la barque qui \nflotte au gr\u00e9 de cette onde sal\u00e9e, et tes soupirs sont les vents qui, \nluttant de furie avec tes larmes, fi niront, si un calme subit ne sur-\nvient, par faire sombrer ton corp s d a n s l a t e m p \u00ea t e \u2026 E h b i e n , \nfemme, lui avez-vous sign ifi\u00e9 notre d\u00e9cision ? \n \nLady Capulet . \u2013 Oui, messire ; mais elle refuse ; elle vous \nremercie. La folle ! je voudrais qu'elle f\u00fbt mari\u00e9e \u00e0 son linceul !\u2026 \n Capulet . \u2013 Doucement, je n'y suis pas, je n'y suis pas, \nfemme. Comment ! elle refuse ! elle nous remercie et elle n'est pas \nfi\u00e8re, elle ne s'estime pas bien heureuse, tout indigne qu'elle est, d'avoir, par notre entremise, obtenu pour mari un si digne gentil-\nhomme ! \n Juliette . \u2013 Je ne suis pas fi\u00e8re, mais reconnaissante ; fi\u00e8re, \nje ne puis l'\u00eatre de ce que je hais comme un mal. Mais je suis re-connaissante du mal m\u00eame qui m'est fait par amour. \n Capulet . \u2013 Eh bien, eh bien, raisonneuse, qu'est-ce que cela \nsignifie ? Je vous remercie et je ne vous remercie pas\u2026 Je suis fi\u00e8re et je ne suis pas fi\u00e8re !\u2026 Mignonne donzelle, dispensez-moi \nde vos remerciements et de vos fi ert\u00e9s, et pr\u00e9parez vos fines jam-\nbes pour vous rendre jeudi prochain \u00e0 l'\u00e9glise Saint Pierre en compagnie de P\u00e2ris ; ou je t'y tra\u00ee nerai sur la claie, moi ! Ah ! li-\nvide charogne ! ah ! bagasse ! Ah ! face de suif ! \n Lady Capulet . \u2013 Fi, fi ! perdez-vous le sens ? \n Juliette , s'agenouillant . \u2013 Cher p\u00e8re, je vous en supplie \u00e0 \ngenoux, ayez la patience de m'\u00e9couter ! Rien qu'un mot ! \n \u2013 94 \u2013 Capulet . \u2013 Au diable, petite bagasse ! mis\u00e9rable r\u00e9volt\u00e9e ! \nTu m'entends, rends-toi \u00e0 l'\u00e9glise jeudi, ou \u00e9vite de me rencontrer \njamais face \u00e0 face : ne parle pas, ne r\u00e9plique pas, ne me r\u00e9ponds \npas ; mes doigts me d\u00e9mangent\u2026 Femme, nous croyions notre \nunion pauvrement b\u00e9nie, parce que Dieu ne nous avait pr\u00eat\u00e9 que cette unique enfant ; mais, je le vois maintenant, cette enfant uni-\nque \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 de trop, et nous avons \u00e9t\u00e9 maudits en l'ayant. Ar-ri\u00e8re, \u00e9hont\u00e9e ! \n La Nourrice . \u2013 Que le Dieu du ciel la b\u00e9nisse ! Vous avez \ntort, monseigneur, de la traiter ainsi. \n Capulet . \u2013 Et pourquoi donc, dame Sagesse ?\u2026 Retenez vo-\ntre langue, ma\u00eetresse Prudence, et allez bavarder avec vos com-m\u00e8res. \n \nLa Nourrice . \u2013 Ce que je dis n'est pas un crime. \n Capulet . \u2013 Au nom du ciel, bonsoir ! \n La Nourrice . \u2013 Peut-on pas dire un mot ? \n Capulet . \u2013 Paix, stupide radoteuse ! Allez \u00e9mettre vos sen-\ntences en buvant un bol chez une comm\u00e8re, car ici nous n'en avons pas besoin. \n Lady Capulet . \u2013 Vous \u00eates trop brusque. \n Capulet . \u2013 Jour de Dieu ! j'en deviendrai fou. Le jour, la \nnuit, \u00e0 toute heure, \u00e0 toute minute, \u00e0 tout moment, que je fusse occup\u00e9 ou non, seul ou en comp agnie, mon unique souci a \u00e9t\u00e9 de \nla marier ; enfin je trouve un gentilhomme de noble lign\u00e9e, ayant de beaux domaines, jeune, d'une noble \u00e9ducation, p\u00e9tri, comme \non dit, d'honorables qualit\u00e9s, un homme aussi accompli qu'un \nc \u0153 u r p e u t l e s o u h a i t e r , e t i l f a u t q u ' u n e p e t i t e s o t t e p l e u r n i -cheuse, une poup\u00e9e g\u00e9missante, qu and on lui offre sa fortune, \nr\u00e9ponde : Je ne veux pas me marier je ne puis aimer je suis trop \njeune, je vous prie de me pardonner ! Ah ! si vous ne vous mariez \u2013 95 \u2013 pas, vous verrez comme je vous pardonne ; allez pa\u00eetre o\u00f9 vous \nv o u d r e z , v o u s n e l o g e r e z p l u s a v e c m o i . F a i t e s - y a t t e n t i o n , s o n -gez-y, je n'ai pas coutume de plaisanter. Jeudi approche ; mettez \nla main sur votre c\u0153ur, et r\u00e9fl\u00e9chissez. Si vous \u00eates ma fille, je \nvous donnerai \u00e0 mon ami ; si tu ne l'es plus, va au diable, mendie, meurs de faim dans les rues. Car, sur mon \u00e2me, jamais je ne te \nreconna\u00eetrai, et jamais rien de ce qui est \u00e0 moi ne sera ton bien. \nCompte l\u00e0-dessus, r\u00e9fl\u00e9chi s, je tiendrai parole. (Il sort.) \n Juliette . \u2013 N'y a-t-il pas de piti\u00e9, planant dans les nuages, \nqui voie au fond de ma douleur ? \u00d4 ma m\u00e8re bien-aim\u00e9e, ne me \nrejetez pas, ajournez ce mariage d'un mois, d'une semaine ! Si-\nnon, dressez le lit nuptial dans le sombre monument o\u00f9 Tybalt \nrepose ! \n Lady Capulet . \u2013 Ne me parle plus, car je n'ai rien \u00e0 te dire ; \nfais ce que tu voudras, car entre toi et moi tout est fini. (Elle sort.) \n \nJuliette . \u2013 \u00d4 mon Dieu !\u2026 Nourrice, comment emp\u00eacher \ncela ? Mon mari est encore sur la terre, et ma foi est au ciel ; comment donc ma foi peut-elle re descendre ici-bas, tant que mon \nm a r i n e l ' a u r a p a s r e n v o y \u00e9 e d u c i e l e n q u i t t a n t l a t e r r e ? \u2026 Console-moi, conseille-moi ! H\u00e9las ! h\u00e9las ! se peut-il que le ciel \ntende de pareils pi\u00e8ges \u00e0 une cr\u00e9ature aussi fr\u00eale que moi ! Que dis-tu ? n'as-tu pas un mot qui me soulage ? Console-moi, nour-\nrice. \n La Nourrice . \u2013 Ma foi, \u00e9coutez : Ro m\u00e9o est banni ; je gage \nle monde entier contre n\u00e9ant qu'il n'osera jamais venir vous r\u00e9-\nclamer ; s'il le fait, il faudra qu e ce soit \u00e0 la d\u00e9rob\u00e9e. Donc, puis-\nque tel est le cas, mon avis, c'est que vous \u00e9pousiez le comte. Oh ! \nc'est un si aimable gentilhomme ! Rom\u00e9o n'est qu'un torchon pr\u00e8s \nde lui !\u2026 Un aigle, madame, n'a pas l'\u0153il aussi vert, aussi vif, aus-si brillant que P\u00e2ris. Maudit soit m o n c \u0153 ur s i j e n e vo us t r o u v e \npas bien heureuse de ce second mariage ! Il vaut mieux que votre premier Au surplus, votre premie r est mort, ou autant vaudrait \nqu'il le f\u00fbt, que de vivre sans vous \u00eatre bon \u00e0 rien. \n \u2013 96 \u2013 Juliette . \u2013 Parles-tu du fond du c\u0153ur ? \n \nLa Nourrice . \u2013 Et du fond de mon \u00e2me ; sinon, mal\u00e9diction \n\u00e0 tous deux ! \n \nJuliette . \u2013 Amen ! \n La Nourrice . \u2013 Quoi ? \n Juliette . \u2013 Oh ! tu m'as merveille usement consol\u00e9e. Va dire \n\u00e0 madame qu'ayant d\u00e9plu \u00e0 mon p\u00e8re, je suis all\u00e9e \u00e0 la cellule de Laurence, pour me confesser et recevoir l'absolution. \n La Nourrice . \u2013 Oui, certes, j'y vais. Vous faites sagement. \n(Elle sort.) \n \nJuliette , regardant s'\u00e9loigner la nourrice . \u2013 \u00d4 Vieille dam-\nn\u00e9e ! abominable d\u00e9mon ! Je ne sais quel est ton plus grand crime, ou de souhaiter que je me parjure, ou de ravaler mon sei-gneur de cette m\u00eame bouche qui l'a exalt\u00e9 au-dessus de toute \ncomparaison tant de milliers de fois\u2026 Va-t'en, conseill\u00e8re ; entre toi et mon c\u0153ur il y a d\u00e9sormais ru pture. Je vais trouver le reli-\ngieux pour lui demander un rem\u00e8de ; \u00e0 d\u00e9faut de tout autre, j'ai la \nressource de mourir. (Elle sort.) \n \u2013 97 \u2013 ACTE IV \n \u2013 98 \u2013 SC\u00c8NE PREMI\u00c8RE \n \nLa cellule de fi\u00e8re Laurence. \nEntrent Laurence et P\u00e2ris. \n \n Laurence . \u2013 Jeudi, seigneur ! le terme est bien court. \n P\u00e2ris . \u2013 Mon p\u00e8re, Capulet le veut ainsi, et je ne retarderai \nson empressement par aucun obstacle. \n Laurence . \u2013 Vous ignorez encore, dites-vous, les senti-\nments de la dame. Voil\u00e0 une marche peu r\u00e9guli\u00e8re ; et qui ne me \npla\u00eet pas. \n P\u00e2ris . \u2013 Elle ne cesse de pleurer la mort de Tybalt, et c'est \npourquoi je lui ai peu parl\u00e9 d'amour ; car V\u00e9nus ne sourit gu\u00e8re \nd a n s u n e m a i s o n d e l a r m e s . O r s o n p \u00e8 r e v o i t u n d a n g e r \u00e0 c e qu'elle se laisse ainsi dominer par la douleur ; et, dans sa sagesse, \nil h\u00e2te notre mariage pour arr\u00eater cette inondation de larmes. Le chagrin qui l'absorbe dans la solitude pourra se dissiper dans la soci\u00e9t\u00e9. Maintenant vous connaiss ez les raisons de cet empresse-\nment. \n Laurence , \u00e0 part . \u2013 H\u00e9las ! je connais trop celles qui de-\nvraient le ralentir ! (Haut.) Justement, messire, voici la dame qui \nvient \u00e0 ma cellule. (Entre Juliette.) \n P\u00e2ris . \u2013 Heureux de vous renc ontrer, ma dame et ma \nfemme ! \n Juliette . \u2013 Votre femme ! Je pourrai l'\u00eatre quand je pourrai \n\u00eatre mari\u00e9e. \n \u2013 99 \u2013 P\u00e2ris . \u2013 Vous pouvez et vous de vez l'\u00eatre, amour jeudi pro-\nchain. \n \nJuliette . \u2013 Ce qui doit \u00eatre, sera. \n \nLaurence . \u2013 Voil\u00e0 une v\u00e9rit\u00e9 certaine. \n P\u00e2ris , \u00e0 Juliette . \u2013 Venez-vous faire votre confession \u00e0 ce \nbon p\u00e8re ? \n Juliette . \u2013 R\u00e9pondre \u00e0 cela, ce serait me confesser \u00e0 vous. \n P\u00e2ris . \u2013 Ne lui cachez pas que vous m'aimez. \n Juliette . \u2013 Je vous confesse que je l'aime. \n \nP\u00e2ris . \u2013 Comme vous confesserez, j'en suis s\u00fbr, que vous \nm'aimez. \n Juliette . \u2013 Si je fais cet aveu, il aura plus de prix en arri\u00e8re \nde vous qu'en votre pr\u00e9sence. \n P\u00e2ris . \u2013 Pauvre \u00e2me, les larmes ont bien alt\u00e9r\u00e9 ton visage. \n Juliette . \u2013 Elles ont remport\u00e9 l\u00e0 une faible victoire : il \nn'avait pas grand charme avant leurs ravages. \n P\u00e2ris . \u2013 Ces paroles-l\u00e0 lui font plus d'injure que tes larmes. \n \nJuliette . \u2013 Ce n'est pas une calomnie, monsieur, c'est une \nv\u00e9rit\u00e9 ; et cette v\u00e9rit\u00e9, je la dis \u00e0 ma face. \n \nP\u00e2ris . \u2013 Ta beaut\u00e9 est \u00e0 moi et tu la calomnies. \n Juliette . \u2013 Il se peut, car elle ne m'appartient pas\u2026\u00cates-\nvous de loisir, saint p\u00e8re, en ce moment, ou reviendrai-je ce soir apr\u00e8s v\u00eapres ? \n \u2013 100 \u2013 Laurence . \u2013 J'ai tout mon loisir, pensive enfant\u2026 Mon sei-\ngneur nous aurions besoin d'\u00eatre seuls. \n \nP\u00e2ris . \u2013 Dieu me pr\u00e9serve de troubler la d\u00e9votion ! Juliette, \njeudi, de bon m atin, j'irai vo us r\u00e9veiller. Jusque -l\u00e0, adie u, et re-\ncueillez ce pieux baiser. (Il l'embrasse et sort.) \n Juliette . \u2013 Oh ! ferme la porte, et , cela fait, viens pleurer \navec moi : plus d'espoir, plus de ressource, plus de rem\u00e8de. \n Laurence . \u2013 Ah ! Juliette, je connais d\u00e9j\u00e0 ton chagrin, et j'ai \nl'esprit tendu par une anxi\u00e9t\u00e9 inexprimable. Je sais que jeudi pro-chain, sans d\u00e9lai possible, tu dois \u00eatre mari\u00e9e au comte. \n Juliette . \u2013 N e m e d i s p a s q u e t u s a i s c e l a , f r \u00e8 r e , s a n s m e \ndire aussi comment je puis l'emp\u00eacher. Si, dans ta sagesse, tu ne \ntrouves pas de rem\u00e8de, d\u00e9clare seulement que ma r\u00e9solution est sage, et sur-le-champ je rem\u00e9die \u00e0 tout avec ce couteau. (Elle \nmontre un poignard.) Dieu a joint mon c\u0153ur \u00e0 celui de Rom\u00e9o ; \ntoi, tu as joint nos mains ; et, avant que cette main, engag\u00e9e par \ntoi \u00e0 Rom\u00e9o, scelle un autre contrat, avant que mon c\u0153ur loyal, devenu perfide et tra\u00eetre, se donne \u00e0 un autre, ceci aura eu raison \nde tous deux. Donc, en vertu de ta longue exp\u00e9rience, donne-moi vite un conseil ; sinon, regarde ! entre ma d\u00e9tresse et moi je prends ce couteau sanglant pour m\u00e9diateur : c'est lui qui arbitrera \nle litige que l'autorit\u00e9 de ton \u00e2g e et de ta science n'aura pas su \nterminer \u00e0 mon honneur R\u00e9ponds-moi sans retard ; il me tarde de mourir si ta r\u00e9ponse ne m'indique pas de rem\u00e8de ! \n \nLaurence . \u2013 Arr\u00eate, ma fille ; j'entrevois une esp\u00e9rance \npossible, mais le moyen n\u00e9cessaire \u00e0 son accomplissement est \naussi d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 que le mal que nous voulons emp\u00eacher. Si, plut\u00f4t que d'\u00e9pouser le comte P\u00e2ris, tu as l'\u00e9nergie de vouloir te tuer, il est probable que tu oseras affronter l'image de la mort pour re-pousser le d\u00e9shonneur, toi qui, pour y \u00e9chapper, veux provoquer la mort elle-m\u00eame. Eh bien, si tu as ce courage, je te donnerai un \nrem\u00e8de. \n \u2013 101 \u2013 Juliette . \u2013 Oh ! plut\u00f4t que d'\u00e9pouser P\u00e2ris, dis-moi de \nm'\u00e9lancer des cr\u00e9neaux de cette tour l\u00e0-bas, ou d'errer sur le \nchemin des bandits ; dis-moi de me glisser o\u00f9 rampent des ser-\npents ; encha\u00eene-moi avec des ou rs rugissants ; enferme-moi, la \nnuit, dans un charnier, sous un monceau d'os de morts qui s'en-\ntrechoquent, de moignons f\u00e9tides et de cr\u00e2nes jaunes et d\u00e9char-n\u00e9s ; dis-moi d'aller, dans une fosse fra\u00eeche remu\u00e9e, m'enfouir sous le linceul avec un mort ; ordonne moi des choses dont le seul \nr\u00e9cit me faisait trembler et je les ferai sans crainte, sans h\u00e9sita-\ntion, pour rester l'\u00e9pouse sans tache de mon doux bien-aim\u00e9. \n Laurence . \u2013 \u00c9coute alors rentre \u00e0 la maison, aie l'air gai et \ndis que tu consens \u00e0 \u00e9pouser P\u00e2ris. C'est demain mercredi. De-main soir, fais en sorte de couche r seule ; que ta nourrice ne cou-\nche pas dans ta chambre ; une fois au lit, prends cette fiole et avale la liqueur qui y est distill\u00e9e. Aussit\u00f4t dans toutes tes veines \nse r\u00e9pandra une froide et l\u00e9thargique humeur : le pouls suspen-\ndra son mouvement naturel et cesse ra de battre ; ni chaleur ni \nsouffle n'attesteront que tu vis. Le s roses de tes l\u00e8vres et de tes \njoues seront fl\u00e9tries et ternes comme la cendre ; les fen\u00eatres de tes yeux seront closes, comme si la mort les avait ferm\u00e9es au jour de la vie. Chaque partie de ton \u00eatre, priv\u00e9e de souplesse et d'ac-\ntion, sera roide, inflexible et froide comme la mort. Dans cet \u00e9tat apparent de cadavre tu resteras juste quarante-deux heures, et \nalors tu t'\u00e9veilleras comme d'un doux sommeil. Le matin, quand le fianc\u00e9 arrivera pour h\u00e2ter ton lever il te trouvera morte dans ton lit. Alors, selon l'usage de notre pays, v\u00eatue de ta plus belle parure, et plac\u00e9e dans un cercueil d\u00e9couvert, tu seras transport\u00e9e \n\u00e0 l'ancien caveau o\u00f9 repose tout e la famille des Capulets. Cepen-\ndant, avant que tu sois \u00e9veill\u00e9e, Ro m\u00e9o, instruit de notre plan par \nmes lettres, arrivera ; lui et moi nous \u00e9pierons ton r\u00e9veil, et cette nuit-l\u00e0 m\u00eame Rom\u00e9o t'emm\u00e8nera \u00e0 Mantoue. Et ainsi tu seras sauv\u00e9e d'un d\u00e9shonneur imminent, si nul caprice futile, nulle frayeur f\u00e9minine n'abat ton courage au moment de l'ex\u00e9cution. \n Juliette . \u2013 Donne ! Eh ! donne ! ne me parle pas de frayeur. \n \u2013 102 \u2013 Laurence , lui remettant la fiole. \u2013 Tiens, pars ! Sois forte et \nsois heureuse dans ta r\u00e9solution. Je vais d\u00e9p\u00eacher un religieux \u00e0 \nMantoue avec un message pour ton mari. \n \nJuliette . \u2013 Amour donne-moi ta force, et cette force me \nsauvera. Adieu, mon p\u00e8re ! (Ils se s\u00e9parent.) \n \u2013 103 \u2013 SC\u00c8NE II \n \nDans la maison de Capulet. \nEntrent Capulet, lady Capulet, la nourrice et des valets. \n \n Capulet , remettant un papier au premier valet. \u2013 Tu invite-\nras toutes les personnes dont les noms sont \u00e9crits ici. (le valet \nsort.) (Au second valet.) Maraud, va me louer vingt cuisiniers \nhabiles. \n Deuxi\u00e8me Valet . \u2013 Vous n'en aurez que de bons, mon-\nsieur, car je m'assurerai d'abord s'ils se l\u00e8chent les doigts. \n Capulet . \u2013 Et comment t'assureras-tu par-l\u00e0 de leur savoir-\nfaire ? \n \nDeuxi\u00e8me Valet . \u2013 Pardine, monsieur, c'est un mauvais \ncuisinier que celui qui ne se l\u00e8che pas les doigts : ainsi ceux qui ne \nse l\u00e9cheront pas les doigts, je ne les prendrai pas. \n Capulet . \u2013 Bon, va-t'en. (le valet sort.) Nous allons \u00eatre pris \nau d\u00e9pourvu cette fois. Eh bien, est-ce que ma fille est all\u00e9e chez fr\u00e8re Laurence ? \n La Nourrice . \u2013 Oui, ma foi. \n Capulet . \u2013 Allons, il aura peut-\u00eatre une bonne influence sur \nelle. La friponne est si maussade, si opini\u00e2tre. \n \nEntre Juliette. \n La Nourrice . \u2013 Voyez donc avec que lle mine joyeuse elle \nrevient de confesse. \u2013 104 \u2013 \nCapulet . \u2013 Eh bien, mon ent\u00eat\u00e9e, o\u00f9 avez-vous \u00e9t\u00e9 comme \n\u00e7a ? \n \nJuliette . \u2013 Chez quelqu'un qui m'a appris \u00e0 me repentir de \nma coupable r\u00e9sistance \u00e0 vous et \u00e0 vos ordres. Le v\u00e9n\u00e9rable Lau-\nrence m'a enjoint de me prosterner \u00e0 vos pieds, et de vous de-mander pardon\u2026 (Elle s'agenouille devant son p\u00e8re.) Pardon, je \nvous en conjure ! D\u00e9sormais, je me laisserai r\u00e9gir enti\u00e8rement par vous. \n Capulet . \u2013 Qu'on aille chercher le comte, et qu'on l'instruise \nde ceci. Je veux que ce n\u0153ud soit nou\u00e9 d\u00e8s demain matin. \n Juliette . \u2013 J'ai rencontr\u00e9 le jeune Comte \u00e0 la cellule de Flo-\nrence, et je lui ai t\u00e9moign\u00e9 mon amour autant que je le pouvais \nsans franchir les bornes de la modestie. \n Capulet . \u2013 Ah ! j'en suis bien aise\u2026 Voil\u00e0 qui est bien\u2026 re-\nl\u00e8ve-toi. (Juliette se rel\u00e8ve.) Les choses sont comme elles doivent \n\u00eatre\u2026 Il faut que je voie le comte. Morbleu, qu'on aille le cher-cher, vous dis-je. Ah ! pardieu ! c'est un saint homme que ce r\u00e9v\u00e9-rend p\u00e8re, et toute notre cit\u00e9 lui est bien redevable. \n Juliette . \u2013 Nourrice, voulez-vous venir avec moi dans mon \ncabinet ? Vous m'aiderez \u00e0 ranger les parures que vous trouverez \nconvenables pour ma toilette de demain. \n Lady Capulet . \u2013 Non, non, pas avant jeudi. Nous avons le \ntemps. \n Capulet . \u2013 Va, nourrice, va avec elle. (Juliette sort avec la \nnourrice.) \u2013 ( \u00c0 lady Capulet .) Nous irons \u00e0 l'\u00e9glise demain. \n Lady Capulet . \u2013 Nous serons pris \u00e0 court pour les pr\u00e9para-\ntifs : il est presque nuit d\u00e9j\u00e0. \n \u2013 105 \u2013 Capulet . \u2013 Bah ! je vais me remuer, et tout ira bien, je te le \ngarantis, femme ! Toi, va rejoindre Juliette, et aide-la \u00e0 se parer ; \nje ne me coucherai pas cette nuit\u2026 Laisse-moi seul ; c'est moi qui \nferai la m\u00e9nag\u00e8re cette fois\u2026 Hol\u00e0 !\u2026 Ils sont tous sortis. Allons, \nje vais moi-m\u00eame chez le comte P\u00e2ris le pr\u00e9venir pour demain. \nJ'ai le c\u0153ur \u00e9tonnamment all\u00e8gre, depuis que cette petite folle est venue \u00e0 r\u00e9sipiscence. (Ils sortent.) \n \u2013 106 \u2013 SC\u00c8NE III \n \nLa chambre \u00e0 coucher de Juliette. \nEntrent Juliette et la nourrice. \n \n Juliette . \u2013 Oui, c'est la toilette qu'il faut\u2026 Mais, gentille \nnourrice, laisse-moi seule cette nuit, je t'en prie : car j'ai besoin de beaucoup prier pour d\u00e9cider le ciel \u00e0 sourire \u00e0 mon existence, qui \nest, tu le sais bien, pleine de trouble et de p\u00e9ch\u00e9. (Entre lady Ca-\npulet.) \n \nLady Capulet . \u2013 Allons, \u00eates-vous encore occup\u00e9es ? avez-\nvous besoin de mon aide ? \n Juliette . \u2013 Non, madame ; nous avons choisi tout ce qui se-\nra n\u00e9cessaire pour notre c\u00e9r\u00e9monie de demain. Veuillez permet-\ntre que je reste seule \u00e0 pr\u00e9sent, et que la nourrice veille avec vous cette nuit ; car j'en suis s\u00fbre, vous avez trop d'ouvrage sur les \nbras, dans des circonstances si pressantes. \n Lady Capulet . \u2013 Bonne nuit ! Mets-toi au lit, et repose ; car \ntu en as besoin. (Lady Capulet sort avec la nourrice.) \n Juliette . \u2013 Adieu !\u2026 Dieu sait quand nous nous reverrons. \nUne vague frayeur r\u00e9pand le frisson dans mes veines et y glace presque la chaleur vitale\u2026 Je vais les rappeler pour me rassurer\u2026 Nourrice !\u2026 qu'a-t-elle \u00e0 faire ici ? Il faut que je joue seule mon horrible sc\u00e8ne. (Prenant la fiole que Laurence lui a donn\u00e9e.) \u00c0 \nmoi, fiole !\u2026 Eh quoi ! si ce br euvage n'agissait pas ! serais-je \ndonc mari\u00e9e demain matin ?\u2026 Non, non. Voici qui l'emp\u00eache-rait\u2026 Repose ici, toi. (Elle met un couteau \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de son lit.) Et si \nc'\u00e9tait un poison que le moine m'e\u00fbt subtilement administr\u00e9 pour me faire mourir afin de ne pas \u00eat re d\u00e9shonor\u00e9e par ce mariage, lui \u2013 107 \u2013 qui m'a d\u00e9j\u00e0 mari\u00e9e \u00e0 Rom\u00e9o ? J'ai peur de cela ; mais non, c'est \nimpossible : il a toujours \u00e9t\u00e9 reconnu pour un saint homme\u2026 Et si, une fois d\u00e9pos\u00e9e dans le tombeau, je m'\u00e9veillais avant le mo-\nment o\u00f9 Rom\u00e9o doit venir me d\u00e9livrer ! Ah ! l'effroyable chose ! \nNe pourrais-je pas \u00eatre \u00e9touff\u00e9e d a n s c e c a v e a u d o n t l a b o u c h e \nhideuse n'aspire jamais un air pur et mourir suffoqu\u00e9e avant que Rom\u00e9o n'arrive ? Ou m\u00eame, si je vis, n'est-il pas probable que l'horrible impression de la mort et de la nuit jointe \u00e0 la terreur du \nlieu\u2026 En effet ce caveau est l'ancien r\u00e9ceptacle o\u00f9 depuis bien des si\u00e8cles sont entass\u00e9s les os de tous mes anc\u00eatres ensevelis ; o\u00f9 Tybalt sanglant et encore tout frai s dans la terre pourrit sous son \nlinceul ; o\u00f9, dit-on, \u00e0 certaines heur es de la nuit, les esprits s'as-\nsemblent ! H\u00e9las ! h\u00e9las ! n'est-il pas probable que, r\u00e9veill\u00e9e avant \nl'heure, au milieu d'exhalaisons infectes et de g\u00e9missements pa-reils \u00e0 ces cris de mandragores d\u00e9racin\u00e9es que des vivants ne peuvent entendre sans devenir fous\u2026 Oh ! si je m'\u00e9veille ainsi, \nest-ce que je ne perdrai pas la raison, environn\u00e9e de toutes ces \nhorreurs ? Peut-\u00eatre alors, insens \u00e9e, voudrai-je jouer avec les \nsquelettes de mes anc\u00eatres, arracher de son linceul Tybalt mutil\u00e9, et, dans ce d\u00e9lire, saisissant l' os de quelque grand-parent comme \nune massue, en broyer ma cervelle d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e ! Oh ! tenez ! il me semble voir le spectre de mon cousin poursuivant Rom\u00e9o qui lui a trou\u00e9 le corps avec la pointe de son \u00e9p\u00e9e\u2026 Arr\u00eate, Tybalt, arr\u00eate ! \n(Elle porte la fiole \u00e0 ses l\u00e8vres.) Rom\u00e9o ! Rom\u00e9o ! Rom\u00e9o ! voici \u00e0 \nboire ! je bois \u00e0 toi. \n Elle se jette sur son lit derri\u00e8re un rideau. \u2013 108 \u2013 SC\u00c8NE IV \n \nUne salle dans la maison de Capulet. le jour se l\u00e8ve. \nEntrent lady Capulet et la nourrice. \n \n Lady Capulet , donnant un trousseau de clefs \u00e0 la nourrice. \n\u2013 Tenez, nourrice, prenez ces clef s et allez chercher d'autres \u00e9pi-\nces. \n La Nourrice . \u2013 On demande des dattes et des coings pour \nla p\u00e2tisserie. \n Entre Capulet. Capulet . \u2013 Allons ! debout ! debout ! debout ! le coq a chan-\nt\u00e9 deux fois ; le couvre-feu a sonn\u00e9 ; il est trois heures. (\u00c0 lady \nCapulet.) Ayez l'\u0153il aux fours, bonne Ang\u00e9lique, et qu'on n'\u00e9par-\ngne rien. \n \nLa Nourrice , \u00e0 Capulet . \u2013 Allez, allez, cogne-f\u00e9tu, allez \nvous mettre au lit ; ma parole, vous serez malade demain d'avoir veill\u00e9 cette nuit. \n Capulet . \u2013 Nenni, nenni. Bah ! j'ai d\u00e9j\u00e0 pass\u00e9 des nuits en-\nti\u00e8res pour de moindres motifs, et je n'ai jamais \u00e9t\u00e9 malade. \n Lady Capulet . \u2013 Oui, vous avez chass\u00e9 les souris dans votre \ntemps ; mais je veillerai d\u00e9sormais \u00e0 ce que vous ne veilliez plus ainsi. (lady Capulet et la nourrice sortent.) \n Capulet . \u2013 Jalousie ! jalousie ! (Des Valets passent portant \ndes broches, des b\u00fbches et des paniers.) (Au premier valet.) Eh \nbien, l'ami, qu'est-ce que tout \u00e7a ? \u2013 109 \u2013 \nPremier Valet . \u2013 Monsieur, c'est pour le cuisinier, mais je \nne sais trop ce que c'est. \n \nCapulet . \u2013 H\u00e2te-toi, h\u00e2te-toi. (Sort le premier valet.) (Au \ndeuxi\u00e8me valet.) Maraud, apporte des b\u00fbches plus s\u00e8ches, appelle \nPierre, il te montrera o\u00f9 il y en a. \n \nDeuxi\u00e8me Valet . \u2013 J'ai assez de t\u00eate, monsieur, pour suf-\nfire aux b\u00fbches sans d\u00e9ranger Pierre. (Il sort.) \n \nCapulet . \u2013 Par la messe, bien r\u00e9pondu. Voil\u00e0 un plaisant \ncoquin ! Ah ! je te proclame roi de s b\u00fbches\u2026 Ma foi, il est jour Le \ncomte va \u00eatre ici tout \u00e0 l'heure av ec la musique, car il me l'a pro-\nmis. (Bruit d'instruments qui se rapprochent.) Je l'entends qui \ns'avance\u2026 Nourrice ! Femme ! Hol\u00e0 ! nourrice, allons donc ! (En-\ntre la nourrice.) \n \nCapulet . \u2013 Allez \u00e9veiller Juliette, allez, et habillez-la ; je vais \ncauser avec P\u00e2ris\u2026 Vite, h\u00e2tez-vous , h\u00e2tez-vous ! le fianc\u00e9 est d\u00e9j\u00e0 \narriv\u00e9 ; h\u00e2tez-vous, vous dis-je. (Tous sortent.) \n \u2013 110 \u2013 SC\u00c8NE V \n \nLa chambre \u00e0 coucher de Juliette. \nEntre la nourrice. \n \n La Nourrice , appelant. \u2013 Madame ! allons, madame !\u2026 Ju-\nliette !\u2026 Elle dort profond\u00e9ment, je le garantis\u2026 Eh bien, agneau ! eh bien, ma\u00eetresse !\u2026 Fi, paresseuse !\u2026 Allons, amour \nallons ! Madame ! mon cher c\u0153ur ! Allons, la mari\u00e9e ! Quoi, pas \nun mot !\u2026 Vous en prenez pour votre argent cette fois, vous dor-\nmez pour une semaine, car, la nu it prochaine, j'en r\u00e9ponds, le \ncomte a pris son parti de ne vous laisser prendre que peu de re-pos\u2026 Dieu me pardonne ! J\u00e9sus Ma rie ! comme elle dort ! Il faut \nque je l'\u00e9veille\u2026 Madame ! madame ! madame ! Oui, que le comte \nvous surprenne au lit ; c'est lu i qui vous secouera, ma foi\u2026 (Elle \ntire les rideaux du lit et d\u00e9couvre Juliette \u00e9tendue et immobile.) \nEst-il possible ! Quoi ! toute v\u00eatue, toute par\u00e9e, et recouch\u00e9e ! Il \nfaut que je la r\u00e9veille\u2026 Madame ! madame ! madame ! h\u00e9las ! h\u00e9-\nlas ! au secours ! au secours ! ma ma\u00eetresse est morte. \u00d4 malheur ! \nfaut-il que je sois jamais n\u00e9e !\u2026 Hol\u00e0, de l'eau-de-vie !\u2026 Monsei-\ngneur ! Madame ! (Entre lady Capulet.) \n Lady Capulet . \u2013 Quel est ce bruit ? \n La Nourrice . \u2013 \u00d4 jour lamentable ! \n Lady Capulet . \u2013 Qu'y a-t-il ? \n La Nourrice , montrant le lit . \u2013 Regardez, regardez ! \u00f4 jour \nd\u00e9solant ! \n \u2013 111 \u2013 Lady Capulet . \u2013 Ciel ! ciel ! Mon enfant, ma vie ! Renais, \nrouvre les yeux, ou je vais mourir avec toi ! Au secours ! au se-\ncours ! appelez au secours ! \n \nEntre Capulet Capulet . \u2013 Par pudeur, amenez Juliette, son mari est arriv\u00e9. \n \nLa Nourrice . \u2013 Elle est morte, d\u00e9c\u00e9d\u00e9e, elle est morte ; ah ! \nmon Dieu ! \n \nLady Capulet . \u2013 Mon Dieu ! elle est morte ! elle est morte ! \nelle est morte ! \n Capulet , s'approchant de Juliette . \u2013 Ah ! que je la voie !\u2026 \nC'est fini, h\u00e9las ! elle est froide ! Son sang est arr\u00eat\u00e9 et ses mem-\nbres sont roides. La vie a depuis longtemps d\u00e9sert\u00e9 ses l\u00e8vres. La \nmort est sur elle, comme une gel\u00e9e pr\u00e9coce sur la fleur des champs la plus suave. \n La Nourrice . \u2013 \u00d4 jour lamentable ! \n Lady Capulet . \u2013 Douloureux moment ! \n Capulet . \u2013 La mort qui me l'a prise pour me faire g\u00e9mir en-\ncha\u00eene ma langue et ne me laisse pas parler. \n Entrent fr\u00e8re Laurence et P\u00e2ris suivis de musiciens. \nLaurence . \u2013 Allons, la fianc\u00e9e est-elle pr\u00eate \u00e0 aller \u00e0 \nl'\u00e9glise ? \n \nCapulet . \u2013 Pr\u00eate \u00e0 y aller, mais pour n'en pas revenir ! (\u00c0 \nP\u00e2ris.) \u00d4 mon fils, la nuit qui pr\u00e9c\u00e9dait tes noces, la mort est en-\ntr\u00e9e dans le lit de ta fianc\u00e9e, et voici la pauvre fleur toute d\u00e9flor\u00e9e \npar elle. Le s\u00e9pulcre est mon gendre, le s\u00e9pulcre est mon h\u00e9ritier, le s\u00e9pulcre a \u00e9pous\u00e9 ma fille. Moi, je vais mourir et tout lui laisser. Quand la vie se retire, tout est au s\u00e9pulcre. \u2013 112 \u2013 \nP\u00e2ris . \u2013 N'ai-je si longtemps d\u00e9sir\u00e9 voir cette aurore, que \npour qu'elle me donn\u00e2t un pareil spectacle ! \n \nLady Capulet . \u2013 Jour maudit, malheureux, mis\u00e9rable, \nodieux ! Heure la plus atroce qu'ait jamais vue le temps dans le cours laborieux de son p\u00e8lerinage ! Rien qu'une pauvre enfant, \nune pauvre ch\u00e8re enfant, rien qu'un seul \u00eatre pour me r\u00e9jouir et \nme consoler et la mort cruelle l'arrache de mes bras ! \n \nLa Nourrice . \u2013 \u00d4 douleur ! \u00f4 douloureux, douloureux, dou-\nloureux jour ! Jour lamentable ! jour le plus douloureux que ja-mais, jamais j'aie vu ! \u00f4 jour ! \u00f4 jo ur ! \u00f4 jour ! \u00f4 jour odieux ! Ja-\nmais jour ne fut plus sombre ! \u00f4 jour douloureux ! \u00f4 jour doulou-reux ! \n \nP\u00e2ris . \u2013 D\u00e9\u00e7ue, divorc\u00e9e, frapp\u00e9e, accabl\u00e9e, assassin\u00e9e ! \nOui, d\u00e9testable mort, d\u00e9\u00e7ue par toi, ruin\u00e9e par toi, cruelle, cruelle ! \u00f4 mon amour ! ma vie !\u2026 Non, tu n'es plus ma vie, tu es mon amour dans la mort ! \n Capulet . \u2013 Honnie, d\u00e9sol\u00e9e, navr\u00e9e, martyris\u00e9e, tu\u00e9e ! Si-\nnistre catastrophe, pourquoi es-t u venue d\u00e9truire, d\u00e9truire notre \nsolennit\u00e9 ?\u2026 \u00f4 mon enfant ! mon enfant ! mon enfant ! Non ! toute mon \u00e2me ! Quoi, tu es morte !\u2026 H\u00e9las ! mon enfant est morte, et, avec mon enfant, sont ensevelies toutes mes joies ! \n Laurence . \u2013 Silence, n'avez-vous pas de honte ? Le rem\u00e8de \naux maux d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s n'est pas da ns ces d\u00e9sespoirs. Le ciel et \nvous, vous partagiez cette belle enfa nt ; maintenant le ciel l'a tout \nenti\u00e8re, et pour elle c'est tant mieux. Votre part en elle, vous ne \npouviez la garder de la mort, mais le ciel garde sa part dans l'\u00e9ternelle vie. Une haute fortune \u00e9t ait tout ce que vous lui souhai-\ntiez ; c'\u00e9tait le ciel pour vous de la voir s'\u00e9lever et vous pleurez \nmaintenant qu'elle s'\u00e9l\u00e8ve au-de ssus des nuages, jusqu'au ciel \nm\u00eame ! Oh ! vous aimez si mal votre enfant que vous devenez fous en voyant qu'elle est bien de vivre longtemps mari\u00e9e, ce n'est pas \u00eatre bien mari\u00e9e ; la mieux mari\u00e9e est celle qui meurt jeune. \u2013 113 \u2013 S\u00e9chez vos larmes et attachez vos branches de romarin sur ce \nbeau corps ; puis, selon la coutume, portez-la dans sa plus belle \nparure \u00e0 l'\u00e9glise. Car bien que la faible nature nous force tous \u00e0 \npleurer, les larmes de la na ture font sourire la raison. \n \nCapulet . \u2013 Tous nos pr\u00e9paratifs de f\u00eate se changent en ap-\npareil fun\u00e8bre : notre concert devi ent un glas m\u00e9lancolique ; no-\ntre repas de noces, un triste banquet d'obs\u00e8ques ; nos hymnes \nsolennelles, des chants lugubres. Notre bouquet nuptial sert pour \nune morte, et tout change de destination. \n Laurence . \u2013 Retirez-vous, monsieur, et vous aussi, ma-\ndame, et vous aussi, messire P\u00e2ri s ; que chacun se pr\u00e9pare \u00e0 es-\ncorter cette belle enfant jusqu'\u00e0 son tombeau. Le ciel s'appesantit sur vous, pour je ne sais quelle offense ; ne l'irritez pas davantage \nen murmurant contre sa volont\u00e9 supr\u00eame. \n \nSortent Capulet, lady Capulet, P\u00e2ris et fi\u00e8re Laurence. Premier Musicien . \u2013 Nous pouvons serrer nos fl\u00fbtes et \npartir \n La Nourrice . \u2013 Ah ! serrez-les, serrez-les, mes bons, mes \nhonn\u00eates amis ; car comme vous voyez, la situation est lamenta-ble. \n Premier Musicien . \u2013 Oui, et je voudrais qu'on p\u00fbt l'amen-\nder \n \nSort la nourrice. Entre Pierre. \n Pierre . \u2013 Musiciens ! oh ! musiciens, vite Gaiet\u00e9 du c\u0153ur ! \nGaiet\u00e9 du c\u0153ur ! Oh ! si vous voulez que je vive, jouez-moi Gaiet\u00e9 \ndu c\u0153ur ! \n Premier Musicien . \u2013 Et pourquoi Gaiet\u00e9 du c\u0153ur ? \n \u2013 114 \u2013 Pierre . \u2013 \u00f4 musiciens ! parce que mon c\u0153ur lui-m\u00eame joue \nl'air de Mon c\u0153ur est triste . Ah ! jouez-moi quelque complainte \njoyeuse pour me consoler. \n \nDeuxi\u00e8me Musicien . \u2013 Pas la moindre complainte ; ce \nn'est pas le moment de jouer \u00e0 pr\u00e9sent. \n Pierre . \u2013 Vous ne voulez pas, alors ? \n Les Musiciens . \u2013 Non. \n Pierre . \u2013 Alors vous allez l'avoir solide. \n Premier Musicien . \u2013 Qu'est-ce que nous allons avoir ? \n Pierre . \u2013 Ce n'est pas de l'argent, Morbleu, c'est une racl\u00e9e, \nm\u00e9chants racleurs ! \n \nPremier Musicien . \u2013 M\u00e9chant valet ! \n Pierre . \u2013 Ah ! je vais vous planter ma dague de valet dans la \nperruque. Je ne supporterai pas vo s fadaises ; je vous en donnerai \ndes fa di\u00e8ses, moi, sur les \u00e9paules, notez bien. \n Premier Musicien . \u2013 En nous donnant le fa di\u00e8se, c'est \nvous qui nous noterez. \n Deuxi\u00e8me Musicien . \u2013 Voyons, rengainez votre dague et \nd\u00e9gainez votre esprit. \n Pierre . \u2013 En garde donc ! Je vais vous attaquer \u00e0 la pointe \nde l'esprit et rengainer ma pointe d'acier\u2026 Ripostez-moi en hom-mes. (Il chante.) \nQuand une douleur poignante blesse le c\u0153ur \nEt qu'une morne tristesse accable l'esprit, \nAlors la musique au son argentin\u2026 \nPourquoi son argentin ? Pourquoi la musique a-t-elle le son \nargentin ? R\u00e9pondez, Simon Corde-\u00e0-Boyau ! \u2013 115 \u2013 \nPremier Musicien . \u2013 Eh ! parce que l'argent a le son fort \ndoux. \n \nPierre . \u2013 Joli ! R\u00e9pondez, vous, Hugues Rebec ! \n Deuxi\u00e8me Musicien . \u2013 La musique a le son argentin, \nparce que les musiciens la font sonner pour argent. \n Pierre . \u2013 Joli aussi !\u2026 R\u00e9pondez, vous, Jacques Serpent. \n Troisi\u00e8me Musicien . \u2013 Ma foi, je ne sais que dire. \n Pierre . \u2013 Oh ! j'implore votre pardon : vous \u00eates le chanteur \nde la bande. Eh bien, je vais r\u00e9po ndre pour vous. La musique a le \nson argentin, parce que les gailla rds de votre esp\u00e8ce font rare-\nment sonner l'or (Il chante.) Alors la musique au son argentin \nApporte promptement le rem\u00e8de. (Il sort.) \n \nPremier Musicien . \u2013 Voil\u00e0 un fieff\u00e9 coquin ! \n Deuxi\u00e8me Musicien . \u2013 Qu'il aille se faire pendre !\u2026 Sor-\ntons, nous autres ! attendons le convoi, et nous resterons \u00e0 d\u00eener (Ils sortent.) \n \u2013 116 \u2013 ACTE V \n \u2013 117 \u2013 SC\u00c8NE PREMI\u00c8RE \n \nMantoue. Une rue. Entre Rom\u00e9o. \n \n \nRom\u00e9o . \u2013 Si je puis me fier au x flatteuses assurances du \nsommeil, mes r\u00eaves m'annoncent l'arriv\u00e9e de quelque joyeuse nouvelle. La pens\u00e9e souveraine de mon c\u0153ur si\u00e8ge sereine sur \nson tr\u00f4ne ; et, depuis ce matin, une all\u00e9gresse singuli\u00e8re m'\u00e9l\u00e8ve \nau-dessus de terre par de riantes pens\u00e9es. J'ai r\u00eav\u00e9 que ma dame arrivait et me trouvait mort (\u00e9trange r\u00eave qui laisse \u00e0 un mort la \nfacult\u00e9 de penser !) , puis, qu'\u00e0 force de baise rs elle ranimait la vie \nsur mes l\u00e8vres, et que je renaissais, et que j'\u00e9tais empereur. Ciel ! combien doit \u00eatre douce la possession de l'amour, si son ombre est d\u00e9j\u00e0 si prodigue de joies ! \n Entre Balthazar chauss\u00e9 de bottes. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Des nouvelles de V\u00e9rone !\u2026 Eh bien, Balthazar, \nest-ce que tu ne m'apportes pas de lettre du moine ? Comment va ma dame ? Mon p\u00e8re est-il bien ? Comment va madame Juliette ? Je te r\u00e9p\u00e8te cette question-l\u00e0 ; ca r si ma Juliette est heureuse, il \nn'existe pas de malheur. \n Balthazar . \u2013 Elle est heureuse, il n'existe donc pas de mal-\nheur. Son corps repose dans le tombeau des Capulets, et son \u00e2me immortelle vit avec les anges. Je l'ai vu d\u00e9poser dans le caveau de sa famille, et j'ai pris aussit\u00f4t la poste pour vous l'annoncer. Oh ! \npardonnez-moi de vous apporter ce s tristes nouvelles : je remplis \nl'office dont vous m'aviez charg\u00e9, monsieur. \n Rom\u00e9o . \u2013 Est-ce ainsi ? eh bien, astres, je vous d\u00e9fie !\u2026 (\u00c0 \nBalthazar) T u s a i s o \u00f9 j e l o g e : p r o c u r e - m o i d e l ' e n c r e e t d u p a -\npier, et loue des chevaux de poste : je pars d'ici ce soir. \u2013 118 \u2013 \nBalthazar . \u2013 J e vo us e n co njur e, mo nsieur, ayez de la pa-\ntience. Votre p\u00e2leur, votre air hagard annoncent quelque catas-\ntrophe. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Bah ! tu te trompes !\u2026 Laisse-moi et fais ce que je \nte dis : est-ce que tu n'as pas de lettre du moine pour moi ? \n \nBalthazar . \u2013 Non, mon bon seigneur. \n \nRom\u00e9o . \u2013 N'importe : va-t'en, et loue des chevaux ; je te re-\njoins sur-le-champ. (Sort Balthazar) Oui, Juliette, je dormirai \npr\u00e8s de toi cette nuit. Cherchons le moyen\u2026 \u00d4 destruction ! comme tu t'offres vite \u00e0 la pens\u00e9e des hommes d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s ! Je me souviens d'un apothicaire qui de meure aux environs ; r\u00e9cemment \nencore je le remarquais sous sa guenille, occup\u00e9, le sourcil fronc\u00e9, \n\u00e0 cueillir des simples ; il avait la mine amaigrie ; l'\u00e2pre mis\u00e8re \nl'avait us\u00e9 jusqu'aux os. Dans sa pauvre \u00e9choppe \u00e9taient accro-ch\u00e9s une tortue, un alligator empaill\u00e9 et des peaux de poissons monstrueux ; sur ses planches, une ch\u00e9tive collection de bo\u00eetes vides, des pots de terre verd\u00e2tres, des vessies et des graines moi-sies, des restes de ficelle et de vieux pains de roses \u00e9taient \u00e9pars \u00e7\u00e0 et l\u00e0 pour faire \u00e9talage. Frapp\u00e9 de cette p\u00e9nurie, je me dis \u00e0 moi-m\u00eame : Si un homme avait besoin de poison, bien que la vente en soit punie de mort \u00e0 Ma ntoue, voici un pauvre gueux qui \nlui en vendrait. Oh ! je pressentais alors mon besoin pr\u00e9sent ; il faut que ce besogneux m'en vend e\u2026 Autant qu'il m'en souvient, \nce doit \u00eatre ici sa demeure ; comme c'est f\u00eate aujourd'hui, la bou-tique du mis\u00e9rable est ferm\u00e9e\u2026 Hol\u00e0 ! l'apothicaire ! \n Une porte s'ouvre. Para\u00eet l'apothicaire. L\u2019apothicaire . \u2013 Qui donc appelle si fort ? \n Rom\u00e9o . \u2013 Viens ici, l'ami\u2026 Je vois que tu es pauvre ; tiens, \nvoici quarante ducats ; donne-moi une dose de poison ; mais il me faut une drogue \u00e9nergique qui, \u00e0 peine dispers\u00e9e dans les vei-\nnes de l'homme las de vivre, le fasse tomber mort, et qui chasse \u2013 119 \u2013 du corps le souffle aussi violemment, aussi rapidement que la \nflamme renvoie la poudre des entrailles fatales du canon ! \n \nL\u2019apothicaire . \u2013 J'ai de ces poisons meurtriers. Mais la loi \nde Mantoue, c'est la mort pour qui les d\u00e9bite. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Quoi ! tu es dans ce d\u00e9nuement et dans cette mi-\ns\u00e8re, et tu as peur de mourir ! La famine est sur tes joues ; le be-\ns o i n e t l a s o u f f r a n c e a g o n i s e n t d a n s t o n r e g a r d ; l e d \u00e9 g o \u00fb t e t l a \nmis\u00e8re pendent \u00e0 tes \u00e9paules. Le monde ne t'est point ami, ni la loi du monde ; le monde n'a pas fait sa loi pour t'enrichir ; viole-la \ndonc, cesse d'\u00eatre pauvre et prend ceci. (Il lui montre sa bourse.) \n L\u2019apothicaire . \u2013 Ma pauvret\u00e9 consent, mais non ma volon-\nt\u00e9. \n \nRom\u00e9o . \u2013 Je paye ta pauvret\u00e9, et non ta volont\u00e9. \n L\u2019apothicaire . \u2013 Mettez ceci dans le liquide que vous vou-\ndrez, et avalez ; eussiez-vous la force de vingt hommes, vous serez exp\u00e9di\u00e9 imm\u00e9diatement. \n Rom\u00e9o , lui jetant sa bourse . \u2013 Voici ton or ; ce poison est \nplus funeste \u00e0 l'\u00e2me des hommes, il commet plus de meurtres dans cet odieux monde que ces pa uvres mixtures que tu n'as pas \nle droit de vendre. C'est moi qui te vends du poison ; tu ne m'en as pas vendu. Adieu, ach\u00e8te de quoi manger et engraisse. (Serrant \nla fiole que l'apothicaire lui a remise.) Ceci, du poison ? non ! \nViens, cordial, viens avec moi au tombeau de Juliette ; c'est l\u00e0 que \ntu dois me servir (Ils se s\u00e9parent.) \n \u2013 120 \u2013 SC\u00c8NE II \n \nLa cellule de fr\u00e8re Laurence. Entre fr\u00e8re Jean. \n \n \nJean . \u2013 Saint franciscain ! mon fr\u00e8re, hol\u00e0 ! \n Laurence . \u2013 Ce doit \u00eatre la voix de fr\u00e8re Jean. De Mantoue. \nSois le bienvenu. Que dit Rom\u00e9o ?\u2026 A-t-il \u00e9crit ? Alors donne-moi \nsa lettre. \n \nJean . \u2013 J'\u00e9tais all\u00e9 \u00e0 la recherche d'un fr\u00e8re d\u00e9chauss\u00e9 de \nnotre ordre, qui devait m'accompagner et je l'avais trouv\u00e9 ici dans la cit\u00e9 en train de visiter les ma lades ; mais les inspecteurs de la \nville, nous ayant rencontr\u00e9s tous deux dans une maison qu'ils \nsoup\u00e7onnaient infect\u00e9e de la pest e, en ont ferm\u00e9 les portes et \nn'ont pas voulu nous laisser sort ir. C'est ainsi qu'a \u00e9t\u00e9 emp\u00each\u00e9 \nmon d\u00e9part pour Mantoue. \n \nLaurence . \u2013 Qui donc a port\u00e9 ma lettre \u00e0 Rom\u00e9o ? \n Jean . \u2013 La voici. Je n'ai pas pu t'envoyer, ni me procurer un \nmessager pour te la rapporter tant la contagion effrayait tout le monde. \n Laurence . \u2013 Malheureux \u00e9v\u00e9nement ! Par notre confr\u00e9rie \nce n'\u00e9tait pas une lettre insignif iante, c'\u00e9tait un message d'une \nhaute importance, et ce retard peut produire de grands malheurs. Fr\u00e8re Jean, va me chercher un levier de fer, et apporte le-moi sur-le-champ dans ma cellule. \n Jean . \u2013 Fr\u00e8re, je vais te l'apporter (Il sort.) \n \u2013 121 \u2013 Laurence . \u2013 Maintenant il faut que je me rende seul au \ntombeau ; dans trois heures la be lle Juliette s'\u00e9veillera. Elle me \nmaudira, parce que Rom\u00e9o n'a pas \u00e9t\u00e9 pr\u00e9venu de ce qui est arri-\nv\u00e9 ; mais je vais r\u00e9crire \u00e0 Mantoue, et je la garderai dans ma cel-\nlule jusqu'\u00e0 la venue de Rom\u00e9o. Pauvre cadavre vivant, enferm\u00e9 dans le s\u00e9pulcre d'un mort ! (Il sort.) \n \u2013 122 \u2013 SC\u00c8NE III \n \nV\u00e9rone. \u2013 Un cimeti\u00e8re au milieu duquel s'\u00e9l\u00e8ve le tombeau des \nCapulets. \nEntre P\u00e2ris suivi de son page qui porte une torche et des fleurs. \n \n P\u00e2ris . \u2013 Page, donne-moi ta torche. \u00c9loigne-toi et tiens-toi \u00e0 \nl'\u00e9cart\u2026 Mais, non, \u00e9teins-la, car je ne veux pas \u00eatre vu. Va te cou-\ncher sous ces ifs l\u00e0-bas, en appliquant ton oreille contre la terre \nsonore ; aucun pied ne pourra se poser sur le sol du cimeti\u00e8re, \ntant de fois amolli et foul\u00e9 par la b\u00eache du fossoyeur sans que tu \nl'entendes : tu siffleras, pour m' avertir, si tu entends approcher \nquelqu'un\u2026 Donne-moi ces fleurs. Fais ce que je te dis. Va. \n Le Page , \u00e0 part . \u2013 J'ai presque peur de rester seul ici dans \nle cimeti\u00e8re ; pourtant je me risque. (Il se retire.) \n \nP\u00e2ris . \u2013 Douce fleur je s\u00e8me ces fleurs sur ton lit nuptial, \ndont le dais, h\u00e9las ! est fait de po ussi\u00e8re et de pierres ; je viendrai \nchaque nuit les arroser d'eau douce, ou, \u00e0 son d\u00e9faut, de larmes distill\u00e9es par des sanglots ; oui, je veux c\u00e9l\u00e9brer tes fun\u00e9railles en venant, chaque nuit, joncher ta tombe et pleurer (Lueur d'une \ntorche et bruit de pas au loin. Le page siffle.) Le page m'avertit \nque quelqu'un approche. Quel est ce pas sacril\u00e8ge qui erre par ici \nla nuit et trouble les rites fun\u00e8 bres de mon amour ?\u2026 Eh quoi ! \nune torche !\u2026 Nuit, voile-moi un instant. (Il se cache.) \n Entre Rom\u00e9o, suivi de Balthazar qui porte une torche, une \npioche et un levier. \n Rom\u00e9o . \u2013 Donne-moi cette pioche et ce croc d'acier. (Re-\nmettant un papier au page.) Tiens, prends cette lettre ; demain \nmatin, de bonne heure, aie soin de la remettre \u00e0 mon seigneur et \u2013 123 \u2013 p\u00e8re\u2026 Donne-moi la lumi\u00e8re. Sur ta vie, voici mon ordre : quoi \nque tu voies ou entendes, reste \u00e0 l'\u00e9cart et ne m'interromps pas \ndans mes actes. Si je descends da ns cette alc\u00f4ve de la mort c'est \npour contempler les traits de ma dame, mais surtout pour d\u00e9ta-\ncher de son doigt inerte un anne au pr\u00e9cieux, un anneau que je \ndois employer \u00e0 un cher usage. Ai nsi, \u00e9loigne-toi, va-t'en\u2026 Mais \ns i , c \u00e9 d an t a u s o u p\u00e7 o n , t u o s e s r e venir pour \u00e9pier ce que je veux \nfaire, par le ciel, je te d\u00e9chirer ai lambeau par lambeau, et je jon-\ncherai de tes membres ce cimeti\u00e8re affam\u00e9. Ma r\u00e9solution est fa-rouche comme le moment : elle est plus terrible et plus inexorable que le tigre \u00e0 jeun ou la mer rugissante. \n Balthazar . \u2013 Je m'en vais, monsieur, et je ne vous trouble-\nrai pas. \n Rom\u00e9o . \u2013 C'est ainsi que tu me prouveras ton d\u00e9voue-\nment\u2026 (Lui jetant sa bourse.) Prends ceci : vis et prosp\u00e8re\u2026 \nAdieu, cher enfant. \n \nBalthazar , \u00e0 part . \u2013 N'importe. Je vais me cacher aux alen-\ntours ; sa mine m'effraye, et je suis inquiet sur ses intentions. (Il \nse retire.) \n Rom\u00e9o , prenant le levier et allant au tombeau . \u2013 Horrible \ngueule, matrice de la mort, gorg\u00e9e de ce que la terre a de plus pr\u00e9-cieux, je parviendrai bien \u00e0 ouvrir tes l\u00e8vres pourries et \u00e0 te four-rer de force une nouvelle proie ! (Il enfonce la porte du monu-\nment.) \n \nP\u00e2ris . \u2013 C'est ce banni, ce Montague hautain qui a tu\u00e9 le \ncousin de ma bien-aim\u00e9e : la belle enfant en est morte de chagrin, \n\u00e0 ce qu'on suppose. Il vient ici pour faire quelque inf\u00e2me outrage \naux cadavres : je vais l'arr\u00eater\u2026 (Il s'avance.) Suspends ta beso-\ngne, impie, vil Montague : la ve ngeance peut-elle se poursuivre \nau-del\u00e0 de la mort ? Mis\u00e9rable condamn\u00e9, je t'arr\u00eate. Ob\u00e9is et viens avec moi ; car il faut que tu meures. \n \u2013 124 \u2013 Rom\u00e9o . \u2013 Il le faut en effet, et c'est pour cela que je suis ve-\nnu ici\u2026 Bon jeune homme, ne tent e pas un d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, sauve-toi \nd'ici et laisse-moi\u2026 (Montrant les tombeaux.) Songe \u00e0 tous ces \nmorts, et recule \u00e9pouvant\u00e9\u2026 Je t'en supplie, jeune homme, ne \ncharge pas ma t\u00eate d'un p\u00e9ch\u00e9 nouveau en me poussant \u00e0 la fu-reur. Oh ! va-t'en. Par le ciel, je t'aime plus que moi-m\u00eame, car c'est contre moi-m\u00eame que je viens ici arm\u00e9. Ne reste pas, va-t'en ; vis, et dis plus tard que la piti\u00e9 d'un furieux t'a forc\u00e9 de fuir. \n P\u00e2ris , l'\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main . \u2013 Je brave ta commis\u00e9ration, et je \nt'arr\u00eate ici comme f\u00e9lon. \n Rom\u00e9o . \u2013 Tu veux donc me provoquer ? Eh bien, \u00e0 toi, en-\nfant. (Ils se battent.) \n Le Page . \u2013 \u00d4 ciel ! ils se battent : je vais appeler le guet. (Il \nsort en courant.) \n \nP\u00e2ris , tombant . \u2013 Oh ! je suis tu\u00e9 !\u2026 Si tu es g\u00e9n\u00e9reux, ou-\nvre le tombeau et d\u00e9pose-moi pr\u00e8s de Juliette. (Il expire.) \n Rom\u00e9o . \u2013 Sur ma foi, je le ferai. (Se penchant sur le cada-\nvre.) Examinons cette figure : un parent de Mercutio, le noble \ncomte P\u00e2ris ! Que m'a donc dit mon valet ? Mon \u00e2me, boulever-s\u00e9e, n'y a pas fait attention\u2026 Nous \u00e9tions \u00e0 cheval\u2026 Il me contait, \nje crois, que P\u00e2ris devait \u00e9pouser Ju liette. M'a-t-il dit cela, ou l'ai-\nje r\u00eav\u00e9 ? Ou, en l'entendant parler de Juliette, ai-je eu la folie de \nm'imaginer cela ? (Prenant le cadavre par le bras.) Oh ! donne-\nmoi ta main, toi que l'\u00e2pre adversit\u00e9 a inscrit comme moi sur son \nlivre ! Je vais t'ensevelir dans un tombeau triomphal\u2026 Un tom-\nbeau ? Oh ! non, jeune victime, c' est un Louvre splendide, car Ju-\nliette y repose, et sa beaut\u00e9 fait de ce caveau une salle de f\u00eate il-\nlumin\u00e9e. (Il d\u00e9pose P\u00e2ris dans le monument.) Mort, repose ici, \nenterr\u00e9 par un mort. Que de fois les hommes \u00e0 l'agonie ont eu un \nacc\u00e8s de joie, un \u00e9clair avant la mort, comme disent ceux qui les \nsoignent\u2026 Ah ! comment comparer ceci \u00e0 un \u00e9clair ? (Contem-\nplant le corps de Juliette.) Mon amour ! ma femme ! La mort qui \na suc\u00e9 le miel de ton haleine n'a pas encore eu de pouvoir sur ta \u2013 125 \u2013 beaut\u00e9 : elle ne t'a pas conquise ; la flamme de la beaut\u00e9 est en-\ncore toute cramoisie sur tes l\u00e8vres et sur tes joues, et le p\u00e2le dra-peau de la mort n'est pas encore d\u00e9ploy\u00e9 l\u00e0\u2026 (Allant \u00e0 un autre \ncercueil.) Tybalt ! te voil\u00e0 donc couch\u00e9 dans ton linceul sanglant ! \nOh ! que puis-je faire de plus po ur toi ? De cette m\u00eame main qui \nfaucha ta jeunesse, je vais abattre celle de ton ennemi. Pardonne-\nmoi, cousin. (Revenant sur ses pas.) Ah ! ch\u00e8re Juliette, pourquoi \nes-tu si belle encore ? Dois-je croire que le spectre de la Mort est \namoureux et que l'affreux monstre d\u00e9charn\u00e9 te garde ici dans les \nt\u00e9n\u00e8bres pour te poss\u00e9der ?\u2026 Horreur ! Je veux rester pr\u00e8s de toi, \net ne plus sortir de ce sinistre pala is de la nuit ; ici, ici, je veux \nrester avec ta chambri\u00e8re, la vermine ! Oh ! c'est ici que je veux \nfixer mon \u00e9ternelle demeure et soustraire au joug des \u00e9toiles en-nemies cette chair lasse du monde\u2026 (tenant le corps embrass\u00e9.) \nUn dernier regard, mes yeux ! Bras, une derni\u00e8re \u00e9treinte ! Et vous, l\u00e8vres, vous, portes de l'haleine, scellez par un baiser l\u00e9gi-\ntime un pacte ind\u00e9fini avec le s\u00e9pulcre accapareur ! (Saisissant la \nfiole.) Viens, amer conducteur, viens, \u00e2cre guide. Pilote d\u00e9sesp\u00e9-\nr\u00e9, vite ! lance sur les brisants ma barque \u00e9puis\u00e9e par la tour-mente ! \u00c0 ma bien-aim\u00e9e ! (Il boit le poison.) Oh ! l'apothicaire ne \nm'a pas tromp\u00e9 : ses drogues sont actives\u2026 Je meurs ainsi\u2026 sur un baiser ! (Il expire en embrassant Juliette.) \n \n \n \nFr\u00e8re Laurence para\u00eet \u00e0 l'autre extr\u00e9mit\u00e9 du cimeti\u00e8re, avec \nune lanterne, un levier et une b\u00eache. \n \u2013 126 \u2013 Laurence . \u2013 Saint Fran\u00e7ois me soit en aide ! Que de fois \ncette nuit mes vieux pieds se sont heurt\u00e9s \u00e0 des tombes ! (Il ren-\ncontre Balthazar \u00e9tendu \u00e0 terre.) Qui est l\u00e0 ? \n \nBalthazar , se relevant . \u2013 Un ami ! quelqu'un qui vous \nconna\u00eet bien. \n Laurence , montrant le tombeau des Capulets . \u2013 Soyez b\u00e9-\nni !\u2026 Dites-moi, mon bon ami, quelle est cette torche l\u00e0-bas qui pr\u00eate sa lumi\u00e8re inutile aux larves et aux cr\u00e2nes sans yeux ? Il me \nsemble qu'elle br\u00fble dans le monument des Capulets. \n Balthazar . \u2013 En effet, saint pr\u00eatre ; il y a l\u00e0 mon ma\u00eetre, \nquelqu'un que vous aimez. \n Laurence . \u2013 Qui donc ? \n \nBalthazar . \u2013 Rom\u00e9o. \n Laurence . \u2013 Combien de temps a-t-il \u00e9t\u00e9 l\u00e0 ? \n Balthazar . \u2013 Une grande demi-heure. \n Laurence . \u2013 Viens avec moi au caveau. \n Balthazar . \u2013 Je n'ose pas, messire. Mon ma\u00eetre croit que je \nsuis parti ; il m'a menac\u00e9 de mort en termes effrayants, si je res-\ntais \u00e0 \u00e9pier ses actes. \n \nLaurence . \u2013 Reste donc, j'irai seul\u2026 L'inqui\u00e9tude me \nprend : oh ! je crains bien quelque malheur. \n \nBalthazar . \u2013 Comme je dormais ici sous cet if, j'ai r\u00eav\u00e9 que \nmon ma\u00eetre se battait avec un autre homme et que mon ma\u00eetre le tuait. \n Laurence , allant vers le tombeau . \u2013 Rom\u00e9o ! (Dirigeant la \nlumi\u00e8re de sa lanterne sur l'en tr\u00e9e du tombeau.) H\u00e9las ! h\u00e9las ! \u2013 127 \u2013 quel est ce sang qui tache le seuil de pierre de ce s\u00e9pulcre ? Pour-\nquoi ces \u00e9p\u00e9es abandonn\u00e9es et sa nglantes projettent-elles leur \nsinistre lueur sur ce lieu de paix ? (Il entre dans le monument.) \nRom\u00e9o ! Oh ! qu'il est p\u00e2le !\u2026 Quel est cet autre ? Quoi, P\u00e2ris aus-\nsi ! baign\u00e9 dans son sang ! Oh ! quelle heure cruelle est donc cou-pable de cette lamentable catastrophe ?\u2026 (\u00c9clairant Juliette.) \nElle remue ! \n \nJuliette s'\u00e9veille et se soul\u00e8ve. \n Juliette . \u2013 \u00d4 fr\u00e8re charitable, o\u00f9 est mon seigneur ? Je me \nrappelle bien en quel lieu je do is \u00eatre : m'y voici\u2026 Mais o\u00f9 est \nRom\u00e9o ? \n Rumeur au loin. \nLaurence . \u2013 J'entends du bruit\u2026 Ma fille, quitte ce nid de \nmort, de contagion, de sommeil contre nature. Un pouvoir au-\ndessus de nos contradictions a d\u00e9concert\u00e9 nos plans. Viens, viens, partons ! Ton mari est l\u00e0 gisant su r ton sein, et voici P\u00e2ris. Viens, \nje te placerai dans une communaut \u00e9 de saintes religieuses ; pas de \nquestions ! le guet arrive\u2026 Allons, viens, ch\u00e8re Juliette. (La ru-\nmeur se rapproche.) Je n'ose rester plus longtemps. (Il sort du \ntombeau et dispara\u00eet.) \n Juliette . \u2013 Va, sors d'ici, car je ne m'en irai pas, mais, qu'est \nceci ? Une coupe qu'\u00e9treint la ma in de mon bien-aim\u00e9 ? C'est le \npoison, je le vois, qui a caus\u00e9 sa fin pr\u00e9matur\u00e9e. L'\u00e9go\u00efste ! il a tout bu ! il n'a pas laiss\u00e9 une gou tte amie pour m'aider \u00e0 le rejoin-\ndre ! Je veux baiser tes l\u00e8vres : peut-\u00eatre y trouverai-je un reste de poison dont le baume me fera mourir\u2026 (Elle l'embrasse.) Tes l\u00e8-\nvres sont chaudes ! \n Premier Garde , derri\u00e8re le th\u00e9\u00e2tre . \u2013 Conduis-nous, \npage\u2026 De quel c\u00f4t\u00e9 ? \n Juliette . \u2013 Oui, du bruit ! H\u00e2tons-nous donc ! (Saisissant le \npoignard de Rom\u00e9o.) \u00d4 heureux poignard ! voici ton fourreau\u2026 \u2013 128 \u2013 (Elle se frappe.) Rouille-toi l\u00e0 et laisse-moi mourir ! (Elle tombe \nsur le corps de Rom\u00e9o et expire.) \n \nEntre le guet, conduit par le page de P\u00e2ris. \n Le Page , montrant le tombeau . \u2013 Voil\u00e0 l'endroit, l\u00e0 o\u00f9 la \ntorche br\u00fble. \n \nPremier Garde , \u00e0 l'entr\u00e9e du tombeau . \u2013 Le sol est san-\nglant. Qu'on fouille le cimeti\u00e8re. Allez, plusieurs, et arr\u00eatez qui \nvous trouverez. (Des gardes sortent.) Spectacle navrant ! Voici le \ncomte assassin\u00e9\u2026 et Juliette en sa ng !\u2026 chaude encore !\u2026 morte \nil n'y a qu'un moment, elle qui \u00e9tait ensevelie depuis deux jours !\u2026 Allez pr\u00e9venir le Prince, courez chez les Capulets, r\u00e9veil-lez les Montagues\u2026 que d'autr es aillent aux recherches ! (D'au-\ntres gardes sortent.) Nous voyons bien le lieu o\u00f9 sont entass\u00e9s \ntous ces d\u00e9sastres ; mais les caus es qui ont donn\u00e9 lieu \u00e0 ces d\u00e9sas-\ntres lamentables, nous ne pouvo ns les d\u00e9couvrir sans une en-\nqu\u00eate. (Entrent quelques gardes, ramenant Balthazar.) . \n \nDeuxi\u00e8me Garde . \u2013 Voici le valet de Rom\u00e9o, nous l'avons \ntrouv\u00e9 dans le cimeti\u00e8re. \n Premier Garde . \u2013 Tenez-le sous bonne garde jusqu'\u00e0 l'ar-\nriv\u00e9e du Prince. \n Entre un garde, ramenant fr\u00e8re Laurence. Troisi\u00e8me Garde . \u2013 Voici un moine qui tremble, soupire \net pleure. Nous lui avons pris ce levier et cette b\u00eache, comme il \nvenait de ce c\u00f4t\u00e9 du cimeti\u00e8re. \n Premier Garde . \u2013 Graves pr\u00e9somptions ! Retenez aussi ce \nmoine. \n Le jour commence \u00e0 poindre. Entrent le Prince et sa suite. \u2013 129 \u2013 Le Prince . \u2013 Quel est le malheur matinal qui enl\u00e8ve ainsi \nnotre personne \u00e0 son repos ? \n \nEntrent Capulet, lady Capulet et leur suite. \n Capulet . \u2013 Pourquoi ces clameurs qui retentissent partout ? \n Lady Capulet . \u2013 Le peuple dans les rues, ciel Rom\u00e9o !\u2026 Ju-\nliette !\u2026 Paris !\u2026 et tous accourent, en jetant l'alarme, vers notre monument. \n Le Prince . \u2013 D'o\u00f9 vient cette \u00e9pouvante qui fait tressaillir \nnos oreilles ? \n Premier Garde , montrant les cadavres . \u2013 Mon souverain, \nvoici le comte P\u00e2ris assassin\u00e9 ; voici Rom\u00e9o mort ; voici Juliette, \nla morte qu'on pleurait, chaude encore et tout r\u00e9cemment tu\u00e9e. \n Le Prince . \u2013 Cherchez, fouillez partout, et sachez comment \ns'est fait cet horrible massacre. \n Premier Garde . \u2013 Voici un moine, et le valet du d\u00e9funt \nRom\u00e9o ; ils ont \u00e9t\u00e9 trouv\u00e9s munis des instruments n\u00e9cessaires pour ouvrir la tombe de ces morts. \n Capulet . \u2013 \u00f4 Ciel !\u2026 Oh ! vois donc, femme, notre fille est \nen sang !\u2026 Ce poignard s'est m\u00e9 pris\u2026 Tiens ! sa gaine est rest\u00e9e \nvide au flanc du Montague, et il s'est \u00e9gar\u00e9 dans la poitrine de ma fille ! \n Lady Capulet . \u2013 Mon Dieu ! ce spectacle fun\u00e8bre est le glas \nqui appelle ma vieillesse au s\u00e9pulcre. \n Entrent Montague et sa suite. Le Prince . \u2013 Approche, Montague : tu tes lev\u00e9 avant l'heure \npour voir ton fils, ton h\u00e9ritier couch\u00e9 avant l'heure. \n \u2013 130 \u2013 Montague . \u2013 H\u00e9las ! mon suzerain, ma femme est morte \ncette nuit. L'exil de son fils l'a suffoqu\u00e9e de douleur ! Quel est le \nnouveau malheur qui conspire contre mes ann\u00e9es ? \n \nLe Prince , montrant le tombeau . \u2013 Regarde, et tu verras. \n Montague , reconnaissant Rom\u00e9o . \u2013 Malappris ! Y a-t-il \ndonc biens\u00e9ance \u00e0 prendre le pas sur ton p\u00e8re dans la tombe ? \n Le Prince . \u2013 Fermez la bouche aux impr\u00e9cations, jusqu'\u00e0 ce \nque nous ayons pu \u00e9claircir ces myst\u00e8res, et en conna\u00eetre la source, la cause et l'encha\u00eenement. Alors c'est moi qui m\u00e8nerai votre deuil, et qui le conduirai, s'il le faut, jusqu'\u00e0 la mort. En at-tendant, contenez-vous, et que l' affection s'asservisse \u00e0 la pa-\ntience\u2026 Produisez ceux qu'on soup\u00e7onne. \n \n(Les gardes am\u00e8nent Laurence et Balthazar) \n Laurence . \u2013 Tout impuissant que j'ai \u00e9t\u00e9, c'est moi qui suis \nle plus suspect, puisque l'heure et le lieu s'accordent \u00e0 m'imputer \ncet horrible meurtre ; me voici, pr \u00eat \u00e0 m'accuser et \u00e0 me d\u00e9fendre, \npr\u00eat \u00e0 m'absoudre en me condamnant. \n Le Prince . \u2013 Dis donc vite ce que tu sais sur ceci. \n Laurence . \u2013 Je serai bref, car le pe u de souffle qui me reste \nne suffisait pas \u00e0 un r\u00e9cit prolixe. Rom\u00e9o, ici gisant, \u00e9tait l'\u00e9poux de Juliette ; et Juliette, ici gisante, \u00e9tait la femme fid\u00e8le de Ro-m\u00e9o. Je les avais mari\u00e9s : le jour de leur mariage secret fut le der-\nn i e r j o u r d e T y b a l t , d o n t l a m o r t p r \u00e9 m a t u r \u00e9 e p r o s c r i v i t d e c e t t e cit\u00e9, le nouvel \u00e9poux. C'\u00e9tait lui, et non Tybalt, que pleurait Ju-\nliette. (\u00c0 Capulet.) Vous, pour chasser la douleur qui assi\u00e9geait \nvotre fille, vous l'aviez fianc\u00e9e, et vous vouliez la marier de force au comte P\u00e2ris. Sur ce, elle est ve nue \u00e0 moi, et, d'un air effar\u00e9, m'a \ndit de trouver un moyen pour la soustraire \u00e0 ce second mariage ; sinon, elle voulait se tuer l\u00e0, dans ma cellule. Alors, sur la foi de \nmon art, je lui ai remis un narcotique qui a agi, comme je m'y at-tendais, en lui donnant l'apparence de la mort. Cependant j'ai \u2013 131 \u2013 \u00e9crit \u00e0 Rom\u00e9o d'arriver d\u00e8s cette nuit fatale, pour aider Juliette \u00e0 \nsortir de sa tombe emprunt\u00e9e, au moment o\u00f9 l'effet du breuvage \ncesserait. Mais celui qui \u00e9tait charg\u00e9 de ma lettre, fr\u00e8re Jean, a \u00e9t\u00e9 \nretenu par un accident, et me l'a rapport\u00e9e hier soir. Alors tout \nseul, \u00e0 l'heure fix\u00e9e d'avance pour le r\u00e9veil de Juliette, je me suis \nrendu au caveau des Capulets, dans l'intention de l'emmener et de la recueillir dans ma cellule ju squ'\u00e0 ce qu'il me f\u00fbt possible de \npr\u00e9venir Rom\u00e9o. Mais quand je suis arriv\u00e9 quelques minutes \navant le moment de son r\u00e9veil, j'ai trouv\u00e9 ici le noble P\u00e2ris et le fid\u00e8le Rom\u00e9o pr\u00e9matur\u00e9ment couch\u00e9s dans le s\u00e9pulcre. Elle s'\u00e9veille, je la conjure de partir et de supporter ce coup du ciel \navec patience\u2026 Aussit\u00f4t un bruit alarmant me chasse de la tombe ; Juliette, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e, refuse de me suivre et c'est sans doute alors qu'elle s'est fait violence \u00e0 elle-m\u00eame. Voil\u00e0 tout ce que je sais. La nourrice \u00e9tait dans le secret de ce mariage. Si dans tout ceci quelque malheur est arri v\u00e9 par ma faute, que ma vieille \nvie soit sacrifi\u00e9e, quelques heur es avant son \u00e9puisement, \u00e0 la ri-\ngueur des lois les plus s\u00e9v\u00e8res. \n \nLe Prince . \u2013 Nous t'avons toujours connu pour un saint \nhomme\u2026 O\u00f9 est le valet de Rom\u00e9o ? qu'a-t-il \u00e0 dire ? \n Balthazar . \u2013 J'ai port\u00e9 \u00e0 mon ma\u00eetre la nouvelle de la mort \nde Juliette ; aussit\u00f4t il a pris la poste, a quitt\u00e9 Mantoue et est ve-nu dans ce cimeti\u00e8re, \u00e0 ce monument. L\u00e0, il m'a charg\u00e9 de remet-tre de bonne heure \u00e0 son p\u00e8re la lettre que voici et entrant dans le caveau, m'a ordonn\u00e9 sous peine de mort de partir et de le laisser seul. \n \nLe Prince , prenant le papier que tient Balthazar \u2013 Donne-\nmoi cette lettre, je veux la voir\u2026 O\u00f9 est le page du comte, celui qui \na appel\u00e9 le guet ? Maraud, qu'est-ce que ton ma\u00eetre a fait ici ? \n Le Page . \u2013 Il est venu jeter des fleurs sur le tombeau de sa \nfianc\u00e9e et m'a dit de me tenir \u00e0 l'\u00e9cart, ce que j'ai fait. Bient\u00f4t un homme avec une lumi\u00e8re est arriv\u00e9 pour ouvrir la tombe ; et, quelques instants apr\u00e8s, mon ma\u00eetre a tir\u00e9 l'\u00e9p\u00e9e contre lui ; et \nc'est alors que j'ai couru appeler le guet. \u2013 132 \u2013 \nLe Prince , jetant les yeux sur la lettre . \u2013 Cette lettre \nc o n f i r m e l e s p a r o l e s d u m o i n e \u2026 V o i l \u00e0 t o u t l e r \u00e9 c i t d e l e u r s \namours\u2026 Il a appris qu'elle \u00e9tait morte ; aussit\u00f4t, \u00e9crit-il, il a \nachet\u00e9 du poison chez un pauvre apothicaire et sur-le-champ s'est rendu dans ce caveau pour y mourir et reposer pr\u00e8s de Juliette. (Regardant autour de lui.) O\u00f9 sont-ils, ces ennemis ? Capulet ! \nMontague ! Voyez par quel fl\u00e9au le ciel ch\u00e2tie votre haine : pour \ntuer vos joies, il se sert de l'am our !\u2026 Et moi, pour avoir ferm\u00e9 les \nyeux sur vos discordes, j'ai perdu deux parents. Nous sommes tous punis. \n Capulet . \u2013 \u00d4 Montague, mon fr\u00e8re, donne-moi ta main. (Il \nserre la main de Montague.) Voici le douaire de ma fille ; je n'ai \nrien \u00e0 te demander de plus. \n \nMontague . \u2013 Mais moi, j'ai \u00e0 te do nner plus encore. Je veux \ndresser une statue de ta fille en or pur. Tant que V\u00e9rone gardera son nom, il n'existera pas de figu re plus honor\u00e9e que celle de la \nloyale et fid\u00e8le Juliette. \n Capulet . \u2013 Je veux que Rom\u00e9o soit aupr\u00e8s de sa femme \ndans la m\u00eame splendeur : pauvres victimes de nos inimiti\u00e9s ! \n Le Prince . \u2013 Cette matin\u00e9e apporte avec elle une paix sinis-\ntre, le soleil se voile la face de douleur. Partons pour causer en-core de ces tristes choses. Il y au ra des graci\u00e9s et des punis. Car \njamais aventure ne fut plus doulou reuse que celle de Juliette et de \nson Rom\u00e9o. \n (Tous sortent.) \u2013 133 \u2013 \u00c0 propos de cette \u00e9dition \u00e9lectronique \nTexte libre de droits. \n \nCorrections, \u00e9dition, conversion informatique et publication par \nle groupe : \n \nEbooks libres et gratuits \n \nhttp://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits \n \nAdresse du site web du groupe : \nhttp://www.coolmicro.org/livres.php \n \n\u2014\u2014 \n20 octobre 2003 \n\u2014\u2014 \n \n- Dispositions : \nLes livres que nous mettons \u00e0 votre disposition, sont des textes li-\nbres de droits, que vous pouvez utiliser librement, \u00e0 une fin non \ncommerciale et non professionnelle . Tout lien vers notre site \nest bienvenu\u2026 \n \n- Qualit\u00e9 : \nLes textes sont livr\u00e9s tels quels sans garantie de leur int\u00e9grit\u00e9 par-faite par rapport \u00e0 l'original. 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