{"filename": "Carroll-Alice_au_Pays_des_Merveilles.pdf", "content": "Lewis Carroll\nALICE AU PAYS DES\nMERVEILLES\n(1865)CHAPITRE I \u2013 Descente dans\nle terrier du lapin\nAlice commen\u00e7ait \u00e0 se sentir tr\u00e8s lasse de rester\nassise \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de sa s\u0153ur, sur le talus, et de n\u2019avoir rien \u00e0\nfaire : une fois ou deux, elle avait jet\u00e9 un coup d\u2019\u0153il sur le\nlivre que lisait sa s\u0153ur ; mais il ne contenait ni images ni\ndialogues : \u00ab Et, pensait Alice, \u00e0 quoi peut bien servir un\nlivre o\u00f9 il n\u2019y a ni images ni dialogues ? \u00bbElle se demandait (dans la mesure o\u00f9 elle \u00e9tait capablede r\u00e9fl\u00e9chir, car elle se sentait tout endormie et toute\nstupide \u00e0 cause de la chaleur) si le plaisir de tresser une\nguirlande de p\u00e2querettes valait la peine de se lever et\nd\u2019aller cueillir les p\u00e2querettes, lorsque, brusquement, un\nLapin Blanc aux yeux roses passa en courant tout pr\u00e8s\nd\u2019elle.Ceci n\u2019avait rien de particuli\u00e8rement remarquable ; et\nAlice ne trouva pas non plus tellement bizarre d\u2019entendre le\nLapin se dire \u00e0 mi-voix : \u00ab Oh, mon Dieu ! Oh, mon Dieu !\nJe vais \u00eatre en retard ! \u00bb (Lorsqu\u2019elle y r\u00e9fl\u00e9chit par la suite,\nil lui vint \u00e0 l\u2019esprit qu\u2019elle aurait d\u00fb s\u2019en \u00e9tonner, mais, sur le\nmoment, cela lui sembla tout naturel) ; cependant, lorsque\nle Lapin tira bel et bien une montre de la poche de son\ngilet, regarda l\u2019heure, et se mit \u00e0 courir de plus belle, Alice\nse dressa d\u2019un bond, car, tout \u00e0 coup, l\u2019id\u00e9e lui \u00e9tait venue\nqu\u2019elle n\u2019avait jamais vu de lapin pourvu d\u2019une poche de\ngilet, ni d\u2019une montre \u00e0 tirer de cette poche. D\u00e9vor\u00e9e de\ncuriosit\u00e9, elle traversa le champ en courant \u00e0 sa poursuite,\net eut la chance d\u2019arriver juste \u00e0 temps pour le voir\ns\u2019enfoncer comme une fl\u00e8che dans un large terrier plac\u00e9\nsous la haie.\nUn instant plus tard, elle y p\u00e9n\u00e9trait \u00e0 son tour, sans se\ndemander une seule fois comment diable elle pourrait bien\nen sortir.\nLe terrier \u00e9tait d\u2019abord creus\u00e9 horizontalement comme\nun tunnel, puis il pr\u00e9sentait une pente si brusque et si raide\nqu\u2019Alice n\u2019eut m\u00eame pas le temps de songer \u00e0 s\u2019arr\u00eater\navant de se sentir tomber dans un puits apparemment tr\u00e8s\nprofond.\nSoit que le puits f\u00fbt tr\u00e8s profond, soit que Alice tomb\u00e2t\ntr\u00e8s lentement, elle s\u2019aper\u00e7ut qu\u2019elle avait le temps, tout en\ndescendant, de regarder autour d\u2019elle et de se demander\nce qui allait se passer. D\u2019abord, elle essaya de regarderen bas pour voir o\u00f9 elle allait arriver, mais il faisait trop noir\npour qu\u2019elle p\u00fbt rien distinguer. Ensuite, elle examina les\nparois du puits, et remarqua qu\u2019elles \u00e9taient garnies de\nplacards et d\u2019\u00e9tag\u00e8res ; par endroits, des cartes de\ng\u00e9ographie et des tableaux se trouvaient accroch\u00e9s \u00e0 des\npitons. En passant, elle prit un pot sur une \u00e9tag\u00e8re ; il\nportait une \u00e9tiquette sur laquelle on lisait : MARMELADE\nD\u2019ORANGES, mais, \u00e0 la grande d\u00e9ception d\u2019Alice, il \u00e9tait\nvide. Elle ne voulut pas le laisser tomber de peur de tuer\nquelqu\u2019un et elle s\u2019arrangea pour le poser dans un placard\ndevant lequel elle passait, tout en tombant.\u00ab Ma foi ! songea-t-elle, apr\u00e8s une chute pareille, cela\nme sera bien \u00e9gal, quand je serai \u00e0 la maison, de\nd\u00e9gringoler dans l\u2019escalier ! Ce qu\u2019on va me trouver\ncourageuse ! Ma parole, m\u00eame si je tombais du haut du\ntoit, je n\u2019en parlerais \u00e0 personne ! \u00bb (Supposition des plus\nvraisemblables, en effet.)\nPlus bas, encore plus bas, toujours plus bas. Est-ce que\ncette chute ne finirait jamais ? \u00ab Je me demande combien\nde kilom\u00e8tres j\u2019ai pu parcourir ? dit-elle \u00e0 haute voix. Je ne\ndois pas \u00eatre bien loin du centre de la terre. Voyons : cela\nferait une chute de six \u00e0 sept mille kilom\u00e8tres, du moins je\nle crois\u2026 (car, voyez-vous, Alice avait appris en classe\npas mal de choses de ce genre, et, quoique le moment f\u00fbt\nmal choisi pour faire parade de ses connaissances\npuisqu\u2019il n\u2019y avait personne pour l\u2019\u00e9couter, c\u2019\u00e9tait pourtant\nun bon exercice que de r\u00e9p\u00e9ter tout cela)\u2026 Oui, cela doit\n\u00eatre la distance exacte\u2026 mais, par exemple, je me\ndemande \u00e0 quelle latitude et \u00e0 quelle longitude je me\ntrouve ? \u00bb (Alice n\u2019avait pas la moindre id\u00e9e de ce qu\u2019\u00e9tait\nla latitude, pas plus d\u2019ailleurs que la longitude, mais elle\njugeait que c\u2019\u00e9taient de tr\u00e8s jolis mots, impressionnants \u00e0\nprononcer.)\nBient\u00f4t, elle recommen\u00e7a : \u00ab Je me demande si je vais\ntraverser la terre d\u2019un bout \u00e0 l\u2019autre ! Cela sera rudement\ndr\u00f4le d\u2019arriver au milieu de ces gens qui marchent la t\u00eate\nen bas ! On les appelle les Antipattes\n{1}\n, je crois \u2013 (cette\nfois, elle fut tout heureuse de ce qu\u2019il n\u2019y e\u00fbt personne pour\n\u00e9couter, car il lui sembla que ce n\u2019\u00e9tait pas du tout le mot\nqu\u2019il fallait) \u2013 mais, je serai alors oblig\u00e9e de leur demander\nquel est le nom du pays, bien s\u00fbr. S\u2019il vous pla\u00eet, madame,\nsuis-je en Nouvelle-Z\u00e9lande ou en Australie ? (et elle\nessaya de faire la r\u00e9v\u00e9rence tout en parlant \u2013 imaginez ce\nque peut \u00eatre la r\u00e9v\u00e9rence pendant qu\u2019on tombe dans le\nvide ! Croyez-vous que vous en seriez capable ?) Et la\ndame pensera que je suis une petite fille ignorante ! Non, il\nvaudra mieux ne rien demander ; peut-\u00eatre que je verrai le\nnom \u00e9crit quelque part. \u00bb\nPlus bas, encore plus bas, toujours plus bas. Comme il\nn\u2019y avait rien d\u2019autre \u00e0 faire, Alice se remit bient\u00f4t \u00e0 parler.\n\u00ab Je vais beaucoup manquer \u00e0 Dinah ce soir, j\u2019en ai bienpeur ! (Dinah \u00e9tait sa chatte.) J\u2019esp\u00e8re qu\u2019on pensera \u00e0 lui\ndonner sa soucoupe de lait \u00e0 l\u2019heure du th\u00e9. Ma ch\u00e8re\nDinah, comme je voudrais t\u2019avoir ici avec moi ! Il n\u2019y a pas\nde souris dans l\u2019air, je le crains fort, mais tu pourrais\nattraper une chauve-souris, et cela, vois-tu, cela ressemble\nbeaucoup \u00e0 une souris. Mais est-ce que les chats mangent\nles chauves-souris ? Je me le demande. \u00bb \u00c0 ce moment,\nAlice commen\u00e7a \u00e0 se sentir toute somnolente, et elle se\nmit \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter, comme si elle r\u00eavait : \u00ab Est-ce que les chats\nmangent les chauves-souris ? Est-ce que les chats\nmangent les chauves-souris ? \u00bb et parfois : \u00ab Est-ce que\nles chauves-souris mangent les chats ? \u00bb car, voyez-vous,\ncomme elle \u00e9tait incapable de r\u00e9pondre \u00e0 aucune des\ndeux questions, peu importait qu\u2019elle pos\u00e2t l\u2019une ou l\u2019autre.\nElle sentit qu\u2019elle s\u2019endormait pour de bon, et elle venait de\ncommencer \u00e0 r\u00eaver qu\u2019elle marchait avec Dinah, la main\ndans la patte, en lui demandant tr\u00e8s s\u00e9rieusement :\n\u00ab Allons, Dinah, dis-moi la v\u00e9rit\u00e9 : as-tu jamais mang\u00e9 une\nchauve-souris ? \u00bb quand, brusquement, patatras ! elle\natterrit sur un tas de branchages et de feuilles mortes, et sa\nchute prit fin.\nAlice ne s\u2019\u00e9tait pas fait le moindre mal, et fut sur pied en\nun moment ; elle leva les yeux, mais tout \u00e9tait noir au-\ndessus de sa t\u00eate. Devant elle s\u2019\u00e9tendait un autre couloir\no\u00f9 elle vit le Lapin Blanc en train de courir \u00e0 toute vitesse. Il\nn\u2019y avait pas un instant \u00e0 perdre : voil\u00e0 notre Alice partie,\nrapide comme le vent. Elle eut juste le temps d\u2019entendre le\nLapin dire, en tournant un coin : \u00ab Par mes oreilles et mes\nmoustaches, comme il se fait tard ! \u00bb Elle tourna le coin \u00e0\nson tour, tr\u00e8s peu de temps apr\u00e8s lui, mais, quand elle l\u2019eut\ntourn\u00e9, le Lapin avait disparu. Elle se trouvait \u00e0 pr\u00e9sent\ndans une longue salle basse \u00e9clair\u00e9e par une rang\u00e9e de\nlampes accroch\u00e9es au plafond.\nIl y avait plusieurs portes autour de la salle, mais elles\n\u00e9taient toutes ferm\u00e9es \u00e0 cl\u00e9 ; quand Alice eut march\u00e9\nd\u2019abord dans un sens, puis dans l\u2019autre, en essayant de les\nouvrir une par une, elle s\u2019en alla tristement vers le milieu de\nla pi\u00e8ce, en se demandant comment elle pourrait bien faire\npour en sortir.Brusquement, elle se trouva pr\u00e8s d\u2019une petite table \u00e0\ntrois pieds, enti\u00e8rement faite de verre massif, sur laquelle il\ny avait une minuscule cl\u00e9 d\u2019or, et Alice pensa aussit\u00f4t que\ncette cl\u00e9 pouvait fort bien ouvrir l\u2019une des portes de la salle.\nH\u00e9las ! soit que les serrures fussent trop larges, soit que la\ncl\u00e9 f\u00fbt trop petite, aucune porte ne voulut s\u2019ouvrir.\nN\u00e9anmoins, la deuxi\u00e8me fois qu\u2019Alice fit le tour de la pi\u00e8ce,\nelle d\u00e9couvrit un rideau bas qu\u2019elle n\u2019avait pas encore\nremarqu\u00e9 ; derri\u00e8re ce rideau se trouvait une petite porte\nhaute de quarante centim\u00e8tres environ : elle essaya\nd\u2019introduire la petite cl\u00e9 d\u2019or dans la serrure, et elle fut raviede constater qu\u2019elle s\u2019y adaptait parfaitement !\nAlice ouvrit la porte, et vit qu\u2019elle donnait sur un petit\ncouloir gu\u00e8re plus grand qu\u2019un trou \u00e0 rat ; s\u2019\u00e9tant\nagenouill\u00e9e, elle aper\u00e7ut au bout du couloir le jardin le plus\nadorable qu\u2019on puisse imaginer. Comme elle d\u00e9sirait sortir\nde cette pi\u00e8ce sombre, pour aller se promener au milieu\ndes parterres de fleurs aux couleurs \u00e9clatantes et des\nfra\u00eeches fontaines ! Mais elle ne pourrait m\u00eame pas faire\npasser sa t\u00eate par l\u2019entr\u00e9e ; \u00ab et m\u00eame si ma t\u00eate pouvait\npasser, se disait la pauvre Alice, cela ne me servirait pas \u00e0\ngrand-chose \u00e0 cause de mes \u00e9paules. Oh ! que je voudrais\npouvoir rentrer en moi-m\u00eame comme une longue-vue ! Je\ncrois que j\u2019y arriverais si je savais seulement comment m\u2019y\nprendre pour commencer. \u00bb Car, voyez-vous, il venait de\nse passer tant de choses bizarres, qu\u2019elle en arrivait \u00e0\npenser que fort peu de choses \u00e9taient vraiment\nimpossibles.\nIl semblait inutile de rester \u00e0 attendre pr\u00e8s de la petite\nporte ; c\u2019est pourquoi Alice revint vers la table, en esp\u00e9rant\npresque y trouver une autre cl\u00e9, ou, du moins, un livre\ncontenant une recette pour faire rentrer les gens en eux-\nm\u00eames, comme des longues-vues. Cette fois, elle y vit un\npetit flacon (\u00ab il n\u2019y \u00e9tait s\u00fbrement pas tout \u00e0 l\u2019heure, dit-\nelle \u00bb,) portant autour du goulot une \u00e9tiquette de papier sur\nlaquelle \u00e9taient magnifiquement imprim\u00e9s en grosses\nlettres ces deux mots : \u00ab BOIS MOI \u00bb.C\u2019\u00e9tait tr\u00e8s joli de dire : \u00ab Bois-moi \u00bb, mais notre\nprudente petite Alice n\u2019allait pas se d\u00e9p\u00eacher d\u2019ob\u00e9ir.\n\u00ab Non, je vais d\u2019abord bien regarder, pensa-t-elle, pour voir\ns\u2019il y a le mot : poison ; \u00bb car elle avait lu plusieurs petites\nhistoires charmantes o\u00f9 il \u00e9tait question d\u2019enfants br\u00fbl\u00e9s,\nou d\u00e9vor\u00e9s par des b\u00eates f\u00e9roces, ou victimes de plusieurs\nautres m\u00e9saventures, tout cela uniquement parce qu\u2019ils\navaient refus\u00e9 de se rappeler les simples r\u00e8gles de\nconduite que leurs amis leur avaient enseign\u00e9es : par\nexemple, qu\u2019un tisonnier chauff\u00e9 au rouge vous br\u00fble si\nvous le tenez trop longtemps, ou que, si vous vous faites au\ndoigt une coupure tr\u00e8s profonde avec un couteau, votre\ndoigt, d\u2019ordinaire, se met \u00e0 saigner ; et Alice n\u2019avait jamais\noubli\u00e9 que si l\u2019on boit une bonne partie du contenu d\u2019une\nbouteille portant l\u2019\u00e9tiquette : poison, cela ne manque\npresque jamais, t\u00f4t ou tard, de vous causer des ennuis.\nCependant, ce flacon ne portant d\u00e9cid\u00e9ment pas\nl\u2019\u00e9tiquette : \u00ab poison \u00bb, Alice se hasarda \u00e0 en go\u00fbter le\ncontenu ; comme il lui parut fort agr\u00e9able (en fait, cela\nrappelait \u00e0 la fois la tarte aux cerises, la cr\u00e8me renvers\u00e9e,\nl\u2019ananas, la dinde r\u00f4tie, le caramel, et les r\u00f4ties chaudes\nbien beurr\u00e9es), elle l\u2019avala s\u00e9ance tenante, jusqu\u2019\u00e0 la\nderni\u00e8re goutte.\n\u00ab Quelle sensation bizarre ! dit Alice. Je dois \u00eatre en\ntrain de rentrer en moi-m\u00eame, comme une longue-vue ! \u00bb\nEt c\u2019\u00e9tait bien exact : elle ne mesurait plus que vingt-\ncinq centim\u00e8tres. Son visage s\u2019\u00e9claira \u00e0 l\u2019id\u00e9e qu\u2019elle avaitmaintenant exactement la taille qu\u2019il fallait pour franchir la\npetite porte et p\u00e9n\u00e9trer dans l\u2019adorable jardin. N\u00e9anmoins\nelle attendit d\u2019abord quelques minutes pour voir si elle allait\ndiminuer encore : elle se sentait un peu inqui\u00e8te \u00e0 ce sujet ;\n\u00ab car, voyez-vous, pensait Alice, \u00e0 la fin des fins je pourrais\nbien dispara\u00eetre tout \u00e0 fait, comme une bougie. En ce cas,\nje me demande \u00e0 quoi je ressemblerais. \u00bb Et elle essaya\nd\u2019imaginer \u00e0 quoi ressemble la flamme d\u2019une bougie une\nfois que la bougie est \u00e9teinte, car elle n\u2019arrivait pas \u00e0 se\nrappeler avoir jamais vu chose pareille.\nAu bout d\u2019un moment, comme rien de nouveau ne\ns\u2019\u00e9tait produit, elle d\u00e9cida d\u2019aller imm\u00e9diatement dans le\njardin. H\u00e9las ! pauvre Alice ! d\u00e8s qu\u2019elle fut arriv\u00e9e \u00e0 la\nporte, elle s\u2019aper\u00e7ut qu\u2019elle avait oubli\u00e9 la petite cl\u00e9 d\u2019or, et,\nquand elle revint \u00e0 la table pour s\u2019en saisir, elle s\u2019aper\u00e7ut\nqu\u2019il lui \u00e9tait impossible de l\u2019atteindre, quoiqu\u2019elle p\u00fbt la voir\ntr\u00e8s nettement \u00e0 travers le verre. Elle essaya tant qu\u2019elle put\nd\u2019escalader un des pieds de la table, mais il \u00e9tait trop\nglissant ; aussi, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre \u00e9puis\u00e9e en efforts inutiles, la\npauvre petite s\u2019assit et fondit en larmes.\n\u00ab Allons ! cela ne sert \u00e0 rien de pleurer comme cela ! \u00bb\nse dit-elle d\u2019un ton s\u00e9v\u00e8re. \u00ab Je te conseille de t\u2019arr\u00eater \u00e0\nl\u2019instant ! \u00bb Elle avait coutume de se donner de tr\u00e8s bons\nconseils (quoiqu\u2019elle ne les suiv\u00eet gu\u00e8re), et, parfois, elle se\nr\u00e9primandait si vertement que les larmes lui venaient aux\nyeux. Elle se rappelait qu\u2019un jour elle avait essay\u00e9 de se\ngifler pour avoir trich\u00e9 au cours d\u2019une partie de croquet\nqu\u2019elle jouait contre elle-m\u00eame, car cette \u00e9trange enfantaimait beaucoup faire semblant d\u2019\u00eatre deux personnes\ndiff\u00e9rentes. \u00ab Mais c\u2019est bien inutile \u00e0 pr\u00e9sent, pensa la\npauvre Alice, de faire semblant d\u2019\u00eatre deux ! C\u2019est tout\njuste s\u2019il reste assez de moi pour former une seule\npersonne digne de ce nom ! \u00bb\nBient\u00f4t son regard tomba sur une petite bo\u00eete de verre\nplac\u00e9e sous la table ; elle l\u2019ouvrit et y trouva un tout petit\ng\u00e2teau sur lequel les mots : \u00ab MANGE-MOI \u00bb \u00e9taient tr\u00e8s\njoliment trac\u00e9s avec des raisins de Corinthe. \u00ab Ma foi, je\nvais le manger, dit Alice ; s\u2019il me fait grandir, je pourrai\natteindre la cl\u00e9 ; s\u2019il me fait rapetisser, je pourrai me glisser\nsous la porte ; d\u2019une fa\u00e7on comme de l\u2019autre j\u2019irai dans le\njardin, et, ensuite, advienne que pourra. \u00bb\nElle mangea un petit bout de g\u00e2teau, et se dit avec\nanxi\u00e9t\u00e9 : \u00ab Vers le haut ou vers le bas ? \u00bb en tenant sa\nmain sur sa t\u00eate pour sentir si elle allait monter ou\ndescendre. Or, elle fut toute surprise de constater qu\u2019elle\ngardait toujours la m\u00eame taille : bien s\u00fbr, c\u2019est\ng\u00e9n\u00e9ralement ce qui arrive quand on mange des g\u00e2teaux,\nmais Alice avait tellement pris l\u2019habitude de s\u2019attendre \u00e0\ndes choses extravagantes, qu\u2019il lui paraissait ennuyeux et\nstupide de voir la vie continuer de fa\u00e7on normale.\nC\u2019est pourquoi elle se mit pour de bon \u00e0 la besogne et\neut bient\u00f4t fini le g\u00e2teau jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re miette.CHAPITRE II \u2013 La mare de\nlarmes\n\u00ab De plus-t-en plus curieux ! s\u2019\u00e9cria Alice (elle \u00e9tait si\nsurprise que, sur le moment, elle en oublia compl\u00e8tement\nde parler correctement) ; voil\u00e0 que je m\u2019allonge comme la\nplus grande longue-vue qui ait jamais exist\u00e9 ! Adieu, mes\npieds ! (car, lorsqu\u2019elle les regarda, ils lui sembl\u00e8rent avoir\npresque disparu, tant ils \u00e9taient loin). Oh, mes pauvres\npetits pieds ! Je me demande qui vous mettra vos bas et\nvos souliers \u00e0 pr\u00e9sent mes ch\u00e9ris ! Pour moi, c\u2019est s\u00fbr, j\u2019en\nserai incapable ! Je serai beaucoup trop loin pour\nm\u2019occuper de vous : il faudra vous d\u00e9brouiller tout seul ; \u2013\nmais il faut que je sois gentille avec eux, songea Alice ;\nsinon, peut-\u00eatre refuseront-ils de marcher dans la direction\no\u00f9 je voudrai aller ! Voyons un peu : je leur donnerai unepaire de souliers neufs \u00e0 chaque No\u00ebl. \u00bb\nL\u00e0-dessus, elle se mit \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir comment elle s\u2019y\nprendrait pour faire parvenir les souliers \u00e0 destination. \u00ab Il\nfaudra que je les confie \u00e0 un commissionnaire, pensa-t-\nelle ; cela aura l\u2019air fameusement dr\u00f4le d\u2019envoyer des\ncadeaux \u00e0 ses propres pieds ! Et ce que l\u2019adresse para\u00eetra\nbizarre !\nMonsieur Pied Droit d\u2019Alice,\nDevant-le Foyer\nPr\u00e8s le Garde-Feu\n(avec l\u2019affection d\u2019Alice)\nOh ! mon Dieu ! quelles b\u00eatises je raconte ! \u00bb\nJuste \u00e0 ce moment, sa t\u00eate cogna le plafond : en fait,\nelle mesurait maintenant plus de deux m\u00e8tres soixante-\nquinze ; elle s\u2019empara imm\u00e9diatement de la petite cl\u00e9 d\u2019or\net revint en toute h\u00e2te vers la porte du jardin.\nPauvre Alice ! Tout ce qu\u2019elle put faire, ce fut de se\ncoucher sur le flanc pour regarder d\u2019un \u0153il le jardin ; mais\npasser de l\u2019autre cot\u00e9 \u00e9tait plus que jamais impossible.\nElle s\u2019assit et se remit \u00e0 pleurer.\n\u00ab Tu devrais avoir honte, se dit Alice, une grande fille\ncomme toi (c\u2019\u00e9tait le cas de le dire), pleurer comme tu le\nfais ! Arr\u00eate-toi tout de suite, je te le dis ! \u00bb Mais elle n\u2019en\ncontinua pas moins \u00e0 verser des litres de larmes, jusqu\u2019\u00e0\nce qu\u2019elle f\u00fbt entour\u00e9e d\u2019une grande mare, profonde de dixcentim\u00e8tres, qui s\u2019\u00e9tendait jusqu\u2019au milieu de la pi\u00e8ce.\nAu bout d\u2019un moment, elle entendit dans le lointain un\nbruit de petits pas press\u00e9s, et elle s\u2019essuya rapidement les\nyeux pour voir qui arrivait. C\u2019\u00e9tait encore le Lapin Blanc,\nmagnifiquement v\u00eatu, portant d\u2019une main une paire de\ngants de chevreau blancs et de l\u2019autre un grand \u00e9ventail ; il\ntrottait aussi vite qu\u2019il pouvait, et, chemin faisant, il\nmarmonnait \u00e0 mi-voix : \u00ab Oh ! la Duchesse, la Duchesse !\nOh ! ce qu\u2019elle va \u00eatre furieuse si je l\u2019ai fait attendre ! \u00bb\nAlice se sentait si d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e qu\u2019elle \u00e9tait pr\u00eate \u00e0\ndemander secours au premier venu ; aussi, lorsque le\nLapin arriva pr\u00e8s d\u2019elle, elle commen\u00e7a d\u2019une voix basse et\ntimide : \u00ab Je vous en prie, monsieur\u2026 \u00bb Le Lapin sursauta\nviolemment, laissa tomber les gants de chevreau blancs et\nl\u2019\u00e9ventail, puis d\u00e9tala dans les t\u00e9n\u00e8bres aussi vite qu\u2019il le\nput.Alice ramassa l\u2019\u00e9ventail et les gants ; et, comme il\nfaisait tr\u00e8s chaud dans la pi\u00e8ce, elle se mit \u00e0 s\u2019\u00e9venter\nsans arr\u00eat tout en parlant : \u00ab Mon Dieu ! Mon Dieu !\nComme tout est bizarre aujourd\u2019hui ! Pourtant, hier, les\nchoses se passaient normalement. Je me demande si on\nm\u2019a chang\u00e9e pendant la nuit ? Voyons, r\u00e9fl\u00e9chissons : est-\nce que j\u2019\u00e9tais bien la m\u00eame quand je me suis lev\u00e9e ce\nmatin ? Je crois me rappeler que je me suis sentie un peu\ndiff\u00e9rente. Mais, si je ne suis pas la m\u00eame, la question qui\nse pose est la suivante : Qui diable puis-je bien \u00eatre ? Ah,\nc\u2019est l\u00e0 le grand probl\u00e8me ! \u00bb Et elle se mit \u00e0 penser \u00e0\ntoutes les petites filles de son \u00e2ge qu\u2019elle connaissait, pour\nvoir si elle ne serait pas devenue l\u2019une d\u2019elles.\n\u00ab Je suis s\u00fbre de ne pas \u00eatre Ada, se dit-elle, car elle a\nde longs cheveux boucl\u00e9s, alors que les miens ne bouclent\npas du tout. Je suis s\u00fbre \u00e9galement de ne pas \u00eatre Mabel,\ncar, moi, je sais toutes sortes de choses, tandis qu\u2019elle ne\nsait quasiment rien ! De plus, elle est elle, et moi je suis\nmoi, et\u2026 oh ! Seigneur ! quel casse-t\u00eate ! Je vais v\u00e9rifier si\nje sais encore tout ce que je savais jusqu\u2019ici. Voyons un\npeu : quatre fois cinq font douze, quatre fois six font treize,\net quatre fois sept font\u2026 Oh ! mon Dieu ! jamais je\nn\u2019arriverai jusqu\u2019\u00e0 vingt \u00e0 cette allure ! Mais la Table de\nMultiplication ne prouve rien ; essayons la G\u00e9ographie.\nLondres est la capitale de Paris, et Paris est la capitale de\nRome, et Rome\u2026 non, tout cela est faux, j\u2019en suis s\u00fbre ! On\na d\u00fb me changer en Mabel ! Je vais essayer de r\u00e9citer :\nVoyez comme la petite abeille\n\u2026 \u00bb S\u2019\u00e9tant crois\u00e9 les\nmains sur les genoux comme si elle r\u00e9citait ses le\u00e7ons, elle\nse mit \u00e0 dire le po\u00e8me, mais sa voix lui parut rauque et\n\u00e9trange, et les mots vinrent tout diff\u00e9rents de ce qu\u2019ils\n\u00e9taient d\u2019habitude :\n\u00ab \nVoyez comme le petit crocodile\nSait faire briller sa queue\nEn r\u00e9pandant l\u2019eau du Nil\nSur ses \u00e9cailles d\u2019or !\nComme gaiement il semble sourire,\nComme il \u00e9carte bien ses griffes,Comme il accueille les petits poissons\nEn ses ensorcelantes m\u00e2choires !\nJe suis s\u00fbre que ce ne sont pas les mots qu\u2019il faut \u00bb,\nsoupira la pauvre Alice ; et ses yeux s\u2019emplirent \u00e0 nouveau\nde larmes tandis qu\u2019elle poursuivait : \u00ab Apr\u00e8s tout, je dois\n\u00eatre Mabel ; il va falloir que j\u2019aille habiter cette mis\u00e9rable\npetite maison, et je n\u2019aurai quasiment pas de jouets, et \u2013\noh ! \u2013 tant de le\u00e7ons \u00e0 apprendre ! Non, ma d\u00e9cision est\nprise : si je suis Mabel, je reste ici ! On aura beau pencher\nla t\u00eate vers moi en disant \u2013 Allons, remonte, ma ch\u00e9rie ! \u2013\nje me contenterai de lever les yeux et de r\u00e9pondre \u2013 Dites-\nmoi d\u2019abord qui je suis : si cela me pla\u00eet d\u2019\u00eatre cette\npersonne-l\u00e0, alors je remonterai ; sinon, je resterai ici\njusqu\u2019\u00e0 ce que je sois quelqu\u2019un d\u2019autre\u2026 \u2013 mais, oh ! mon\nDieu ! s\u2019\u00e9cria-t-elle en fondant brusquement en larmes, je\nvoudrais bien qu\u2019on se d\u00e9cide \u00e0 pencher la t\u00eate vers moi !\nJ\u2019en ai tellement assez d\u2019\u00eatre toute seule ici ! \u00bb\nEn disant cela, elle abaissa son regard vers ses mains,\net fut surprise de voir qu\u2019elle avait mis un des petits gants\nde chevreau blancs du Lapin, tout en parlant : \u00ab Comment\nai-je pu m\u2019y prendre ? songea-t-elle. Je dois \u00eatre en train\nde rapetisser. \u00bb Elle se leva et s\u2019approcha de la table pour\nvoir par comparaison combien elle mesurait ; elle s\u2019aper\u00e7ut\nque, autant qu\u2019elle pouvait en juger, elle avait environ\nsoixante centim\u00e8tres de haut, et ne cessait de diminuer\nrapidement. Elle comprit bient\u00f4t que ceci \u00e9tait d\u00fb \u00e0\nl\u2019\u00e9ventail qu\u2019elle tenait ; elle le l\u00e2cha en toute h\u00e2te, juste \u00e0\ntemps pour \u00e9viter de dispara\u00eetre tout \u00e0 fait.\n\u00ab Cette fois, je l\u2019ai \u00e9chapp\u00e9 belle ! dit Alice, toute\neffray\u00e9e de sa brusque transformation, mais tr\u00e8s heureuse\nd\u2019\u00eatre encore de ce monde ; maintenant, au jardin ! \u00bb Et\nelle revint en courant \u00e0 toute vitesse vers la petite porte.\nH\u00e9las ! la petite porte \u00e9tait de nouveau ferm\u00e9e, et la petite\ncl\u00e9 d\u2019or se trouvait sur la table comme auparavant ; \u00ab les\nchoses vont de mal en pis, pensa la pauvre enfant, car\njamais je n\u2019ai \u00e9t\u00e9 aussi petite qu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, non, jamais !\nC\u2019est trop de malchance, vraiment ! \u00bbComme elle disait ces mots, son pied glissa, et, un\ninstant plus tard, plouf ! elle se trouvait plong\u00e9e dans l\u2019eau\nsal\u00e9e jusqu\u2019au menton. Sa premi\u00e8re id\u00e9e fut qu\u2019elle \u00e9tait\ntomb\u00e9e dans la mer, elle ne savait comment, et, \u00ab dans ce\ncas, songea-t-elle, je vais pouvoir rentrer par le train. \u00bb\n(Alice \u00e9tait all\u00e9e au bord de la mer une seule fois dans sa\nvie, et elle en avait tir\u00e9 cette conclusion g\u00e9n\u00e9rale que,\npartout o\u00f9 on allait sur les c\u00f4tes anglaises, on trouvait un\ngrand nombres de cabines de bain roulantes dans l\u2019eau,\ndes enfants en train de faire des trous dans le sable avec\ndes pelles en bois, puis une rang\u00e9e de pensions de\nfamille, et enfin une gare de chemin de fer.) Cependant,\nelle ne tarda pas \u00e0 comprendre qu\u2019elle \u00e9tait dans la mare\nform\u00e9e par les larmes qu\u2019elle avait vers\u00e9es lorsqu\u2019elle avait\ndeux m\u00e8tres soixante-quinze de haut.\n\u00ab Comme je regrette d\u2019avoir tant pleur\u00e9 ! s\u2019exclamaitAlice, tout en nageant pour essayer de se tirer de l\u00e0. Je\nsuppose que, en punition, je vais me noyer dans mes\npropres larmes ! C\u2019est cela qui sera bizarre, pour cela,\noui ! Il est vrai que tout est bizarre aujourd\u2019hui. \u00bb\n\u00c0 cet instant pr\u00e9cis, elle entendit patauger, non loin,\ndans la mare, et elle nagea de ce c\u00f4t\u00e9-l\u00e0 pour voir de quoi\nil s\u2019agissait : elle crut d\u2019abord que cela pouvait \u00eatre un\nmorse ou un hippopotame ; mais ensuite elle se rappela\ncombien elle \u00e9tait, \u00e0 pr\u00e9sent, petite, et elle ne tarda pas \u00e0\ns\u2019apercevoir que ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019une souris qui avait gliss\u00e9\ndans la mare, exactement comme elle.\n\u00ab Est-ce que cela servirait \u00e0 quelque chose,\nmaintenant, pensa Alice, de parler \u00e0 cette souris ? Tout est\ntellement extravagant dans ce souterrain, qu\u2019elle est tr\u00e8s\nprobablement capable de parler : en tout cas, je peux\ntoujours essayer. \u00bb Elle commen\u00e7a donc ainsi : \u00ab O Souris,\nsais-tu comment on peut sortir de cette mare ? Je suis\nlasse de nager par ici, \u00f4 Souris ! \u00bb (Alice estimait qu\u2019il\nfallait s\u2019adresser en ces termes \u00e0 une souris : jamais\nencore elle ne s\u2019\u00e9tait exprim\u00e9e de la sorte, mais elle venaitde se rappeler avoir lu dans la Grammaire Latine de son\nfr\u00e8re : \u00ab Une souris, d\u2019une souris, \u00e0 une souris, une souris,\n\u00f4 souris ! \u00bb) La Souris la regarda avec curiosit\u00e9 (Alice crut\nm\u00eame la voir cligner l\u2019un de ses petits yeux), mais elle ne\nr\u00e9pondit rien.\n\u00ab Peut-\u00eatre ne comprend-elle pas l\u2019anglais, pensa\nAlice ; ce doit \u00eatre une souris fran\u00e7aise, venue ici avec\nGuillaume le Conqu\u00e9rant. \u00bb (Malgr\u00e9 tout son savoir\nhistorique, Alice avait des id\u00e9es tr\u00e8s vagues sur la\nchronologie des \u00e9v\u00e9nements.) En cons\u00e9quence, elle dit :\n\u00ab O\u00f9 est ma chatte ? \n{2}\n \u00bb\n ce qui \u00e9tait la premi\u00e8re phrase\nde son manuel de fran\u00e7ais. La Souris bondit brusquement\nhors de l\u2019eau, et tout son corps parut frissonner de terreur.\n\u00ab Oh, je te demande pardon ! s\u2019\u00e9cria aussit\u00f4t Alice,\ncraignant d\u2019avoir froiss\u00e9 la pauvre b\u00eate. J\u2019avais\ncompl\u00e8tement oubli\u00e9 que tu n\u2019aimes pas les chats. \u00bb\n\u00ab Que je n\u2019aime pas les chats ! s\u2019exclama la Souris\nd\u2019une voix per\u00e7ante et furieuse. Et toi, tu les aimerais, les\nchats, si tu \u00e9tais \u00e0 ma place ? \u00bb\n\u00ab Ma foi, peut-\u00eatre bien que non, r\u00e9pondit Alice d\u2019un ton\nconciliant ; ne te mets pas en col\u00e8re pour cela. Pourtant, je\nvoudrais bien pouvoir te montrer notre chatte Dinah : je\ncrois que tu te prendrais d\u2019affection pour les chats si tu\npouvais seulement la voir une fois. Elle est si pacifique,\ncette ch\u00e8re Dinah, continua la fillette, comme si elle parlait\npour elle seule, en nageant paresseusement dans la mare.\nElle reste assise au coin du feu, \u00e0 ronronner si gentiment,\ntout en se l\u00e9chant les pattes et en se lavant la figure ; et\npuis c\u2019est si doux de la caresser ; enfin, elle est vraiment\nde premi\u00e8re force pour attraper les souris\u2026 Oh ! je te\ndemande pardon ! s\u2019\u00e9cria de nouveau Alice, car cette fois-\nci, la Souris \u00e9tait toute h\u00e9riss\u00e9e, et la petite fille \u00e9tait s\u00fbre\nde l\u2019avoir offens\u00e9e gravement. Nous ne parlerons plus de\nma chatte, puisque cela te d\u00e9pla\u00eet. \u00bb\n\u00ab Nous n\u2019en parlerons plus ! s\u2019\u00e9cria la Souris qui\ntremblait jusqu\u2019au bout de la queue. Comme si, moi, j\u2019allais\nparler d\u2019une chose pareille ! Dans notre famille, nous avons\ntoujours ex\u00e9cr\u00e9 les chats : ce sont des cr\u00e9atures vulgaires,\nviles, r\u00e9pugnantes ! Ne t\u2019avise plus de prononcer le mot :\nchat ! \u00bb\u00ab Je m\u2019en garderai bien ! \u00bb dit Alice qui avait h\u00e2te de\nchanger de conversation. \u00ab Est-ce que tu\u2026 tu\u2026 aimes\nles\u2026 les\u2026 chiens ? \u00bb La Souris ne r\u00e9pondit pas, aussi\nAlice continua avec empressement : \u00ab Il y a pr\u00e8s de chez\nnous un petit chien si charmant que j\u2019aimerais bien pouvoir\nte le montrer ! Vois-tu, c\u2019est un petit terrier \u00e0 l\u2019\u0153il vif, avec,\noh, de si longs poils boucl\u00e9s ! Il rapporte tous les objets\nqu\u2019on lui jette, il fait le beau pour qu\u00e9mander son d\u00eener, et il\nfait tellement de tours que je ne m\u2019en rappelle pas la\nmoiti\u00e9. Il appartient \u00e0 un fermier qui dit que ce chien lui est\nsi utile qu\u2019il vaut plus de mille francs ! Il dit qu\u2019il tue les rats\net\u2026 Oh, mon Dieu ! s\u2019\u00e9cria Alice d\u2019un ton chagrin, j\u2019ai bien\npeur de l\u2019avoir offens\u00e9e une fois de plus ! \u00bb En effet, la\nSouris s\u2019\u00e9loignait d\u2019elle en nageant aussi vite que possible,\net en soulevant une v\u00e9ritable temp\u00eate \u00e0 la surface de la\nmare.Alice l\u2019appela doucement : \u00ab Ma petite Souris ch\u00e9rie !\nJe t\u2019en prie, reviens, et nous ne parlerons plus ni de chats\nni de chiens, puisque tu ne les aimes pas ! \u00bb Quand la\nSouris entendit cela, elle fit demi-tour et nagea lentement\nvers Alice : son visage \u00e9tait tout p\u00e2le (de col\u00e8re, pensa la\npetite fille), et elle d\u00e9clara d\u2019une voix basse et tremblante :\n\u00ab Regagnons la rive ; l\u00e0, je te raconterai mon histoire ; tu\ncomprendras alors pourquoi je d\u00e9teste les chats et les\nchiens. \u00bb\nIl \u00e9tait grand temps de partir, la mare se trouvant \u00e0\npr\u00e9sent fort encombr\u00e9e par les oiseaux et les animaux qui\ny \u00e9taient tomb\u00e9s : il y avait un Canard, un Dodo, un Lori, un\nAiglon, et plusieurs autres cr\u00e9atures bizarres. Alice montra\nle chemin, et toute la troupe gagna la terre \u00e0 la nage.CHAPITRE III \u2013 Une course au\n\u00ab Caucus \u00bb\n{3}\n et une longue\nhistoire\n\u00c9trange troupe, en v\u00e9rit\u00e9, que celle qui s\u2019assembla sur\nla rive : oiseaux aux plumes mouill\u00e9es, animaux dont la\nfourrure collait au corps, tous tremp\u00e9s comme des soupes,\nmal \u00e0 l\u2019aise, et de mauvaise humeur.Naturellement, la question la plus importante \u00e9tait de\nsavoir comment se s\u00e9cher : ils tinrent conseil \u00e0 ce sujet, et,\nau bout de quelques minutes, Alice trouva tout naturel de\nbavarder famili\u00e8rement avec eux, comme si elle les avait\nconnus toute sa vie. En r\u00e9alit\u00e9, elle eut une longue\ndiscussion avec le Lori qui finit par bouder et se contenta\nde d\u00e9clarer : \u00ab Je suis plus \u00e2g\u00e9 que toi, je sais mieux que\ntoi ce qu\u2019il faut faire \u00bb ; mais Alice ne voulut pas admettre\ncela avant de conna\u00eetre son \u00e2ge, et, comme le Lori refusa\ncat\u00e9goriquement de le dire, les choses en rest\u00e8rent l\u00e0.\nFinalement, la Souris, qui semblait avoir de l\u2019autorit\u00e9\nsur eux, ordonna d\u2019une voix forte : \u00ab Asseyez-vous, tous\ntant que vous \u00eates, et \u00e9coutez-moi ! Je vais vous s\u00e9cher,\nmoi, en deux temps et trois mouvements ! \u00bb Tous\ns\u2019assirent aussit\u00f4t en formant un large cercle dont la Souris\n\u00e9tait le centre. Alice la regardait fixement d\u2019un air inquiet,car elle \u00e9tait s\u00fbre d\u2019attraper un mauvais rhume si elle ne se\ns\u00e9chait pas tr\u00e8s vite.\nHum ! reprit la Souris d\u2019un air important. \u00ab Tout le\nmonde est pr\u00eat ? Voici la chose la plus aride que je\nconnaisse. Faites silence, s\u2019il vous pla\u00eet ! \u00ab Guillaume le\nConqu\u00e9rant, \u00e0 la cause duquel le pape \u00e9tait favorable,\nre\u00e7ut bient\u00f4t la soumission des Anglais qui avaient besoin\nde chefs et qui \u00e9taient habitu\u00e9s depuis quelque temps \u00e0\nl\u2019usurpation et \u00e0 la conqu\u00eate. Edwin et Morcar, comtes de\nMercie et de Northumbrie\u2026 \u00bb \u00bb\n\u00ab Pouah ! \u00bb s\u2019exclama le Lori en frissonnant.\n\u00ab Je te demande pardon ! \u00bb dit la Souris tr\u00e8s poliment,\nmais en fron\u00e7ant le sourcil. \u00ab Tu as dit quelque chose ? \u00bb\n\u00ab Cela n\u2019est pas moi ! \u00bb r\u00e9pliqua vivement le Lori.\n\u00ab Ah ! j\u2019avais cru t\u2019entendre parler\u2026 Je continue :\n\u00ab Edwin et Morcar, comtes de Mercie et de Northumbrie,\nse d\u00e9clar\u00e8rent pour lui ; et Stigand lui-m\u00eame, archev\u00eaque\nde Canterbury, bien connu pour son patriotisme, trouvant\ncela opportun\u2026 \u00bb \u00bb\n\u00ab Trouvant quoi ? \u00bb demanda le Canard.\n\u00ab Trouvant cela \u00bb, r\u00e9pondit la Souris d\u2019un ton plut\u00f4t\nmaussade. \u00ab Je suppose que tu sais ce que \u00ab cela \u00bbveut\ndire. \u00bb\n\u00ab Je sais ce que \u00ab cela \u00bb veut dire quand c\u2019est moi qui\nle trouve, r\u00e9torqua le Canard. C\u2019est g\u00e9n\u00e9ralement une\ngrenouille ou un ver. La question est de savoir ce que\ntrouva l\u2019archev\u00eaque. \u00bb\nLa Souris fit semblant de ne pas avoir entendu cette\nquestion, et continua vivement : \u00ab \u00ab \u2026 trouvant cela\nopportun, accompagna Edgard Atheling \u00e0 la rencontre de\nGuillaume pour offrir la couronne \u00e0 ce dernier. Tout\nd\u2019abord, l\u2019attitude de Guillaume fut raisonnable ; mais\nl\u2019insolence de ses Normands\u2026 \u00bb Comment te sens-tu \u00e0\npr\u00e9sent, ma petite ? \u00bb dit-elle en se tournant vers Alice.\n\u00ab Plus mouill\u00e9e que jamais, r\u00e9pondit la fillette d\u2019une voix\nm\u00e9lancolique : cela n\u2019a pas l\u2019air de me s\u00e9cher le moins du\nmonde. \u00bb\u00ab Dans ce cas, d\u00e9clara solennellement le Dodo en se\nlevant, je propose que la r\u00e9union soit remise \u00e0 une date\nult\u00e9rieure, et que nous adoptions sans plus tarder des\nmesures plus \u00e9nergiques qui soient de nature \u00e0\u2026 \u00bb\n\u00ab Parle plus simplement ! s\u2019exclama l\u2019Aiglon. Je ne\ncomprends pas la moiti\u00e9 de ces grands mots, et, par-\ndessus le march\u00e9, je crois que tu ne comprends pas, toi\nnon plus ! \u00bb Sur ces mots, il baissa la t\u00eate pour dissimuler\nun sourire ; on entendit nettement quelques oiseaux\nricaner.\n\u00ab Ce que j\u2019allais dire, reprit le Dodo d\u2019un ton vex\u00e9, c\u2019est\nque la meilleure chose pour nous s\u00e9cher serait une course\nau \u00ab Caucus \u00bb. \u00bb\n\u00ab Qu\u2019est-ce que c\u2019est qu\u2019une course au \u00ab Caucus \u00bb ? \u00bb\ndemanda Alice ; non pas qu\u2019elle t\u00eent beaucoup \u00e0 le savoir,\nmais le Dodo s\u2019\u00e9tait tu comme s\u2019il estimait que \nquelqu\u2019un\ndevait prendre la parole, et personne n\u2019avait l\u2019air de vouloir\nparler.\n\u00ab Ma foi, r\u00e9pondit-il, la meilleure fa\u00e7on d\u2019expliquer ce\nque c\u2019est qu\u2019une course au Caucus, c\u2019est de la faire. \u00bb (Et,\ncomme vous pourriez avoir envie d\u2019essayer vous-m\u00eame, un\njour d\u2019hiver, je vais vous raconter comment le Dodo\nproc\u00e9da.)\nD\u2019abord, il tra\u00e7a les limites d\u2019une piste de courses \u00e0\npeu pr\u00e8s circulaire (\u00ab la forme exacte n\u2019a pas\nd\u2019importance \u00bb, dit-il) ; puis tous les membres du groupe\nse plac\u00e8rent le long de la piste, au petit bonheur. Il n\u2019y eut\npas de : \u00ab Un, deux, trois, partez ! \u00bb Chacun se mit \u00e0 courir\nquand il lui plut et s\u2019arr\u00eata de m\u00eame, si bien qu\u2019il fut assez\ndifficile de savoir \u00e0 quel moment la course \u00e9tait termin\u00e9e.\nN\u00e9anmoins, lorsqu\u2019ils eurent couru pendant une demi-\nheure environ et qu\u2019ils furent tous bien secs de nouveau, le\nDodo cria brusquement : \u00ab La course est finie ! \u00bb Sur quoi,\nils s\u2019attroup\u00e8rent autour de lui en demandant d\u2019une voix\nhaletante : \u00ab Mais qui a gagn\u00e9 ? \u00bbLe Dodo ne put r\u00e9pondre \u00e0 cette question avant d\u2019avoir\nm\u00fbrement r\u00e9fl\u00e9chi, et il resta assis pendant un bon\nmoment, un doigt sur le front (c\u2019est dans cette position\nqu\u2019on voit Shakespeare, la plupart du temps, sur les\ntableaux qui le repr\u00e9sentent), tandis que les autres\nattendaient sans rien dire. Finalement, il d\u00e9clara : \u00ab \nTout le\nmonde\n a gagn\u00e9, et \ntous\n, nous devons recevoir des prix. \u00bb\n\u00ab Mais qui va donner les prix ? \u00bb demand\u00e8rent les\nautres en ch\u0153ur.\n\u00ab C\u2019est elle, bien s\u00fbr \u00bb, dit le Dodo, en montrant Alice\ndu doigt ; et, imm\u00e9diatement, tous s\u2019attroup\u00e8rent autour\nd\u2019elle, en criant tumultueusement : \u00ab Des prix ! Des prix ! \u00bb\nAlice ne savait que faire. En d\u00e9sespoir de cause, elle\nmit la main \u00e0 la poche, en tira une bo\u00eete de drag\u00e9es\n(heureusement, l\u2019eau sal\u00e9e n\u2019y avait pas p\u00e9n\u00e9tr\u00e9), et les\ndistribua \u00e0 la ronde, en guise de prix. Il y en avait\nexactement une pour chacun.\n\u00ab Mais il faut qu\u2019elle ait un prix, elle aussi \u00bb, dit la\nSouris.\n\u00ab Bien s\u00fbr, approuva le Dodo d\u2019un ton tr\u00e8s s\u00e9rieux.\nQu\u2019as-tu encore dans ta poche ? \u00bb continua-t-il en se\ntournant vers Alice.\n\u00ab Rien qu\u2019un d\u00e9 \u00e0 coudre \u00bb, r\u00e9pondit-elle tristement.\n\u00ab Passe-le-moi \u00bb, ordonna-t-il.\nUne fois de plus, tous se press\u00e8rent autour d\u2019elle, tandisque le Dodo pr\u00e9sentait solennellement le d\u00e9 \u00e0 Alice, en\ndisant : \u00ab Nous te prions de bien vouloir accepter cet\n\u00e9l\u00e9gant d\u00e9 \u00e0 coudre ; \u00bb et, quand il eut achev\u00e9 ce bref\ndiscours, les assistants pouss\u00e8rent des acclamations.\nAlice jugea tout cela parfaitement absurde, mais ils\navaient l\u2019air si s\u00e9rieux qu\u2019elle n\u2019osa pas rire ; comme elle\nne trouvait rien \u00e0 r\u00e9pondre, elle se contenta de s\u2019incliner et\nde prendre le d\u00e9, d\u2019un air aussi grave que possible.\nIl fallait \u00e0 pr\u00e9sent manger les drag\u00e9es, ce qui n\u2019alla pas\nsans beaucoup de bruit et de d\u00e9sordre : en effet, les gros\noiseaux se plaignirent de ne pouvoir appr\u00e9cier le go\u00fbt des\nleurs, et les petits s\u2019\u00e9trangl\u00e8rent, si bien qu\u2019on fut oblig\u00e9 de\nleur tapoter le dos. Cependant, tout finit par s\u2019arranger ; ils\ns\u2019assirent en cercle de nouveau, et pri\u00e8rent la Souris de\nleur narrer autre chose.\n\u00ab Tu m\u2019avais promis, te souviens-tu, dit Alice, de me\nraconter ton histoire et de m\u2019expliquer pourquoi tu d\u00e9testes\nles Ch\u2026 et les Ch\u2026 \u00bb, ajouta-t-elle \u00e0 voix basse, craignant\nde la froisser une fois de plus.\n\u00ab Elle est bien longue et bien triste ! \u00bb s\u2019exclama la\nSouris en soupirant et en regardant sa queue.\n\u00ab Il est exact qu\u2019elle est tr\u00e8s longue, d\u00e9clara Alice, en\nregardant la queue, elle aussi, d\u2019un air stup\u00e9fait, mais\npourquoi la trouves-tu triste ? \n{4}\n \u00bb Et, pendant que la Souris\nparlait, Alice continuait \u00e0 se casser la t\u00eate \u00e0 ce propos, de\nsorte que l\u2019id\u00e9e qu\u2019elle se faisait de l\u2019histoire ressemblait\nun peu \u00e0 ceci\u2026Fury dit \u00e0 une Souris,\nQu\u2019il avait trouv\u00e9e au logis :\n\u00ab Allons devant le tribunal ;\nJe te poursuis devant la loi.\nJe n\u2019accepte pas de refus ;\nIl faut que ce proc\u00e8s ait lieu,\nCar ce matin, en v\u00e9rit\u00e9,\nJe n\u2019ai rien \u00e0 faire de mieux. \u00bb\nLa souris r\u00e9pond au roquet :\n\u00ab Mon cher monsieur, un tel proc\u00e8s,\nSans jury et sans juge,\nNe se peut pas, je le crains fort. \u00bb\n\u00ab Je serai juge, je serai jur\u00e9,\nr\u00e9pondit le rus\u00e9 Fury.\nC\u2019est moi qui rendrai le verdict\net te condamnerai \u00e0 mort \u00bb.\n\u00ab Tu n\u2019\u00e9coutes pas ! reprocha \u00e0 Alice la Souris d\u2019un ton\ns\u00e9v\u00e8re. \u00c0 quoi penses-tu donc ? \u00bb\n\u00ab Je te demande pardon, dit Alice tr\u00e8s humblement. Tu\nen \u00e9tais arriv\u00e9e \u00e0 la cinqui\u00e8me courbe, n\u2019est-ce pas ? \u00bb\n\u00ab Mais pas du tout ! s\u2019exclama la Souris d\u2019un tonfurieux. Je n\u2019\u00e9tais pas encore au n\u0153ud de mon histoire ! \u00bb\n\u00ab Il y a donc un n\u0153ud\n{5}\n quelque part ? demanda Alice,\ntoujours pr\u00eate \u00e0 rendre service, en regardant anxieusement\nautour d\u2019elle. Oh, je t\u2019en prie, laisse-moi t\u2019aider \u00e0 le\nd\u00e9faire ! \u00bb\n\u00ab Jamais de la vie ! r\u00e9torqua la Souris en se levant et\nen s\u2019\u00e9loignant. Tu m\u2019insultes en racontant des b\u00eatises\npareilles ! \u00bb\n\u00ab Je ne l\u2019ai pas fait expr\u00e8s ! dit la pauvre Alice pour\ns\u2019excuser. Mais, tu te froisses pour un rien, tu sais ! \u00bb\nLa Souris, en guise de r\u00e9ponse, se contenta de\ngrogner.\n\u00ab Je t\u2019en prie, reviens et ach\u00e8ve ton histoire ! \u00bb s\u2019\u00e9cria\nAlice. Et tous les autres s\u2019exclam\u00e8rent en ch\u0153ur : \u00ab Oui,\nnous t\u2019en prions ! \u00bb Mais la Souris se contenta de hocher la\nt\u00eate avec impatience, en s\u2019\u00e9loignant un peu plus vite.\n\u00ab Quel dommage qu\u2019elle n\u2019ait pas voulu rester ! \u00bb\nd\u00e9clara le Lori en soupirant, aussit\u00f4t qu\u2019elle eut disparu ; et\nune vieille m\u00e8re Crabe profita de l\u2019occasion pour dire \u00e0 sa\nfille : \u00ab Ah ! ma ch\u00e9rie ! Que ceci te serve de le\u00e7on et\nt\u2019apprenne \u00e0 ne jamais te mettre en col\u00e8re ! \u00bb \u2013 \u00ab Tais-toi,\nm\u2019man ! \u00bb r\u00e9pondit la petite d\u2019un ton acari\u00e2tre. \u00ab Ma parole,\ntu ferais perdre patience \u00e0 une hu\u00eetre ! \u00bb\n\u00ab Ce que je voudrais avoir notre Dinah avec moi !\ns\u2019exclama Alice \u00e0 haute voix, mais sans s\u2019adresser \u00e0\npersonne en particulier. Elle aurait vite fait de laramener ! \u00bb\n\u00ab Et qui est Dinah, si je puis me permettre de poser\ncette question ? \u00bb demanda le Lori.\nAlice r\u00e9pondit avec empressement, car elle \u00e9tait\ntoujours pr\u00eate \u00e0 parler de son animal favori : \u00ab Dinah est\nnotre petite chatte. Elle n\u2019a pas sa pareille pour attraper les\nsouris, tu ne peux pas t\u2019en faire une id\u00e9e ! Et je voudrais\nque tu la voies quand elle chasse les oiseaux ! Elle avale\nun petit oiseau en un rien de temps ! \u00bb\nCes paroles caus\u00e8rent une grande sensation dans\nl\u2019assistance. Quelques oiseaux s\u2019envol\u00e8rent sans plus\nattendre. Une vieille Pie commen\u00e7a \u00e0 s\u2019emmitoufler tr\u00e8s\nsoigneusement en marmottant : \u00ab Il faut absolument que je\nrentre ; l\u2019air de la nuit me fait mal \u00e0 la gorge ! \u00bb et un Canari\ncria \u00e0 ses enfants d\u2019une voix tremblante : \u00ab Partons, mes\nch\u00e9ris ! Vous devriez \u00eatre au lit depuis longtemps d\u00e9j\u00e0 ! \u00bb\nSous des pr\u00e9textes divers, tous s\u2019\u00e9loign\u00e8rent, et, bient\u00f4t,\nAlice se trouva seule.\n\u00ab Ce que je regrette d\u2019avoir parl\u00e9 de Dinah ! se dit-elle\nd\u2019une voix m\u00e9lancolique. Personne ici n\u2019a l\u2019air de l\u2019aimer, et\npourtant je suis s\u00fbre que c\u2019est la meilleure chatte du\nmonde ! Oh, ma Dinah ch\u00e9rie ! Je me demande si je te\nreverrai jamais \u00bb L\u00e0-dessus, la pauvre Alice se remit \u00e0\npleurer, car elle se sentait tr\u00e8s seule et d\u00e9courag\u00e9e. Au\nbout d\u2019un court moment, cependant, elle entendit dans le\nlointain un l\u00e9ger bruit de pas ; alors, elle leva des yeux\navides, esp\u00e9rant vaguement que la Souris avait chang\u00e9d\u2019id\u00e9e et revenait pour achever son histoire.CHAPITRE IV \u2013 Le lapin fait\nintervenir le petit Bill\nC\u2019\u00e9tait le Lapin Blanc qui revenait en trottant lentement\net en jetant autour de lui des regards inquiets comme s\u2019il\navait perdu quelque chose ; Alice l\u2019entendit murmurer : \u00ab La\nDuchesse ! La Duchesse ! Oh, mes pauvres petites\npattes ! Oh, ma fourrure et mes moustaches ! Elle va me\nfaire ex\u00e9cuter, aussi s\u00fbr que les furets sont des furets ! O\u00f9\ndiable ai-je bien pu les laisser tomber ? \u00bb Alice devina sur-\nle-champ qu\u2019il cherchait l\u2019\u00e9ventail et les gants de chevreau\nblancs, et, n\u2019\u00e9coutant que son bon c\u0153ur, elle se mit \u00e0 les\nchercher \u00e0 son tour ; mais elle ne les trouva nulle part. Tout\nsemblait chang\u00e9 depuis qu\u2019elle \u00e9tait sortie de la mare : la\ngrande salle, la table de verre et la petite cl\u00e9 avaient\ncompl\u00e8tement disparu.\nBient\u00f4t le Lapin vit Alice en train de fureter partout, et il\nl\u2019interpella avec col\u00e8re : \u00ab Eh bien, Marie-Anne, que diable\nfaites-vous l\u00e0 ? Filez tout de suite \u00e0 la maison, et\nrapportez-moi une paire de gants et un \u00e9ventail ! Allons,\nvite ! \u00bb Alice eut si peur qu\u2019elle partit imm\u00e9diatement \u00e0\ntoutes jambes dans la direction qu\u2019il lui montrait du doigt,\nsans essayer de lui expliquer qu\u2019il s\u2019\u00e9tait tromp\u00e9.\n\u00ab Il m\u2019a pris pour sa bonne, se disait-elle tout en\ncourant. Comme il sera \u00e9tonn\u00e9 quand il saura qui je suis !\nMais je ferais mieux de lui rapporter son \u00e9ventail et ses\ngants\u2026 du moins si j\u2019arrive \u00e0 les trouver. \u00bb Comme elle\npronon\u00e7ait ces mots, elle arriva devant une petite maison\nfort coquette, sur la porte de laquelle se trouvait une plaque\nde cuivre \u00e9tincelante o\u00f9 \u00e9tait grav\u00e9 le nom : \u00ab LAPIN B. \u00bb.\nElle entra sans frapper, puis monta l\u2019escalier quatre \u00e0\nquatre, car elle avait tr\u00e8s peur de rencontrer la v\u00e9ritable\nMarie-Anne et de se faire expulser de la maison avant\nd\u2019avoir trouv\u00e9 l\u2019\u00e9ventail et les gants.\n\u00ab Comme cela me semble dr\u00f4le, pensa Alice, de faire\ndes commissions pour un lapin ! Apr\u00e8s cela, je suppose\nque c\u2019est Dinah qui m\u2019enverra faire des commissions ! \u00bb Et\nelle commen\u00e7a \u00e0 s\u2019imaginer ce qui se passerait :\n\u00ab Mademoiselle Alice, venez tout de suite vous habillerpour aller faire votre promenade ! \u2013 J\u2019arrive dans un\ninstant, Mademoiselle ! Mais il faut que je surveille ce trou\nde souris jusqu\u2019au retour de Dinah, pour emp\u00eacher la\nsouris de sortir. \u00bb \u00ab Seulement, continua Alice, je ne crois\npas qu\u2019on garderait Dinah \u00e0 la maison si elle se mettait \u00e0\ndonner des ordres comme cela ! \u00bb\nElle \u00e9tait arriv\u00e9e maintenant dans une petite chambre\nbien rang\u00e9e, devant la fen\u00eatre de laquelle se trouvait une\ntable ; sur la table, comme elle l\u2019avait esp\u00e9r\u00e9, il y avait un\n\u00e9ventail et deux ou trois paires de minuscules gants de\nchevreau blancs : elle prit l\u2019\u00e9ventail et une paire de gants,\net elle s\u2019appr\u00eatait \u00e0 quitter la chambre quand son regard se\nposa sur une petite bouteille \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un miroir. Cette fois, il\nn\u2019y avait pas d\u2019\u00e9tiquette portant les mots : \u00ab BOIS-MOI \u00bb,\nmais, cependant, elle d\u00e9boucha la bouteille et la porta \u00e0\nses l\u00e8vres. \u00ab Je sais qu\u2019il arrive toujours quelque chose\nd\u2019int\u00e9ressant chaque fois que je mange ou que je bois quoi\nque ce soit, se dit-elle. Je vais voir l\u2019effet que produira cette\nbouteille. J\u2019esp\u00e8re bien qu\u2019elle me fera grandir de nouveau,\ncar, vraiment, j\u2019en ai assez d\u2019\u00eatre, comme \u00e0 pr\u00e9sent, une\ncr\u00e9ature minuscule ! \u00bb\nCe fut bien ce qui se produisit, et beaucoup plus t\u00f4t\nqu\u2019elle ne s\u2019y attendait : avant d\u2019avoir bu la moiti\u00e9 du\ncontenu de la bouteille, elle s\u2019aper\u00e7ut que sa t\u00eate \u00e9tait\npress\u00e9e contre le plafond, si bien qu\u2019elle dut se baisser\npour \u00e9viter d\u2019avoir le cou rompu. Elle se h\u00e2ta de remettre la\nbouteille \u00e0 sa place, en disant : \u00ab Cela suffit comme cela\u2026\nJ\u2019esp\u00e8re que je ne grandirai plus\u2026 Au point o\u00f9 j\u2019en suis, je\nne peux d\u00e9j\u00e0 plus sortir par la porte\u2026 Ce que je regrette\nd\u2019avoir tant bu ! \u00bbH\u00e9las ! les regrets \u00e9taient inutiles ! Elle continuait \u00e0\ngrandir sans arr\u00eat, et, bient\u00f4t, elle f\u00fbt oblig\u00e9e de\ns\u2019agenouiller sur le plancher : une minute plus tard, elle\nn\u2019avait m\u00eame plus assez de place pour rester \u00e0 genoux, et\nelle essayait de voir si elle serait mieux en se couchant, un\ncoude contre la porte, son autre bras repli\u00e9 sur la t\u00eate.\nPuis, comme elle ne cessait toujours pas de grandir, elle\npassa un bras par la fen\u00eatre, mit un pied dans la chemin\u00e9e,\net se dit : \u00ab \u00c0 pr\u00e9sent je ne peux pas faire plus, quoi qu\u2019il\narrive. Que vais-je devenir ? \u00bb\nHeureusement pour Alice, la petite bouteille magique\navait produit tout son effet et elle s\u2019arr\u00eata de grandir :\nmalgr\u00e9 tout, elle \u00e9tait tr\u00e8s mal \u00e0 l\u2019aise, et, comme elle\nsemblait ne pas avoir la moindre chance de pouvoir sortir,\nun jour, de la petite chambre, il n\u2019\u00e9tait pas surprenant\nqu\u2019elle se sent\u00eet malheureuse.\n\u00ab C\u2019\u00e9tait bien plus agr\u00e9able \u00e0 la maison, pensa la\npauvre Alice ; on ne grandissait pas et on ne rapetissaitpas \u00e0 tout bout de champ, et il n\u2019y avait pas de souris, ni de\nlapin, pour vous donner sans cesse des ordres. Je regrette\npresque d\u2019\u00eatre entr\u00e9e dans ce terrier\u2026 Et pourtant\u2026 et\npourtant\u2026 le genre de vie que je m\u00e8ne ici, est vraiment\ntr\u00e8s curieux ! Je me demande ce qui a bien pu m\u2019arriver !\nAu temps o\u00f9 je lisais des contes de f\u00e9es, je m\u2019imaginais\nque ce genre de choses n\u2019arrivait jamais, et voil\u00e0 que je\nme trouve en plein dedans ! On devrait \u00e9crire un livre sur\nmoi, cela, oui ! Quand je serai grande, j\u2019en \u00e9crirai un\u2026\nMais je suis assez grande maintenant, ajouta-t-elle d\u2019une\nvoix d\u00e9sol\u00e9e ; en tout cas, ici, je n\u2019ai plus du tout de place\npour grandir. \u00bb\n\u00ab Mais alors, pensa Alice, est-ce que j\u2019aurai toujours\nl\u2019\u00e2ge que j\u2019ai aujourd\u2019hui ? D\u2019un c\u00f4t\u00e9 ce serait bien\nr\u00e9confortant de ne jamais devenir une vieille femme\u2026\nmais, d\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, avoir des le\u00e7ons \u00e0 apprendre\npendant toute ma vie !\u2026 Oh ! je n\u2019aimerais pas cela du\ntout ! \u00bb\n\u00ab Ma pauvre Alice, ce que tu peux \u00eatre sotte ! se\nr\u00e9pondit-elle. Comment pourrais-tu apprendre des le\u00e7ons\nici ? C\u2019est tout juste s\u2019il y a assez de place pour toi, et il n\u2019y\nen a pas du tout pour un livre de classe ! \u00bb\nElle continua de la sorte pendant un bon moment, tenant\nune v\u00e9ritable conversation \u00e0 elle seule, en faisant\nalternativement les questions et les r\u00e9ponses. Puis, au bout\nde quelques minutes, elle entendit une voix \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de\nla maison, et se tut pour \u00e9couter.\n\u00ab Marie-Anne ! Marie-Anne ! disait la voix. Apportez-\nmoi mes gants tout de suite ! \u00bb Ensuite, Alice entendit un\nbruit de pas press\u00e9s dans l\u2019escalier. Elle comprit que\nc\u2019\u00e9tait le Lapin qui venait voir ce qu\u2019elle devenait, et elle se\nmit \u00e0 trembler au point d\u2019\u00e9branler toute la maison, car elle\navait oubli\u00e9 qu\u2019elle \u00e9tait \u00e0 pr\u00e9sent mille fois plus grosse\nque le Lapin et qu\u2019elle n\u2019avait plus aucune raison d\u2019en avoir\npeur.\nBient\u00f4t le Lapin arriva \u00e0 la porte et essaya de l\u2019ouvrir ;\nmais, comme elle s\u2019ouvrait vers l\u2019int\u00e9rieur, et comme le\ncoude de la fillette \u00e9tait fortement appuy\u00e9 contre le battant,\ncette tentative \u00e9choua. Alice entendit le Lapin qui disait :\n\u00ab Puisque \u00e7\u2019est ainsi, je vais faire le tour et entrer par lafen\u00eatre. \u00bb\n\u00ab Si tu crois cela, tu te trompes ! \u00bb pensa-t-elle. Apr\u00e8s\navoir attendu le moment o\u00f9 elle crut entendre le Lapin\narriver juste sous la fen\u00eatre, elle ouvrit brusquement la main\net fit un grand geste comme pour attraper quelque chose.\nElle n\u2019attrapa rien, mais elle entendit un cri per\u00e7ant, un bruit\nde chute et un fracas de verre bris\u00e9 : d\u2019o\u00f9 elle conclut que\nle Lapin avait d\u00fb tomber sur un ch\u00e2ssis \u00e0 concombres, ou\nquelque chose de ce genre.Ensuite r\u00e9sonna une voix furieuse, celle du Lapin, en\ntrain de crier : \u00ab Pat ! Pat ! O\u00f9 es-tu ? \u00bb Apr\u00e8s quoi, une\nvoix qu\u2019elle ne connaissait pas r\u00e9pondit : \u00ab Je suis l\u00e0, pour\ns\u00fbr ! En train d\u2019arracher des pommes, vot\u2019honneur ! \u00bb\n\u00ab Ah ! vraiment, en train d\u2019arracher des pommes !\nr\u00e9pondit le Lapin, en col\u00e8re. Arrive ici ! Viens m\u2019aider \u00e0\nsortir de l\u00e0 ! \u00bb (Nouveau fracas de verre bris\u00e9.)\n\u00ab Maintenant, dis-moi, Pat, que voit-on \u00e0 la fen\u00eatre ? \u00bb\n\u00ab Pour s\u00fbr que c\u2019est un bras, vot\u2019honneur ! \u00bb (Il\npronon\u00e7ait : br\u00e2\u00e2\u00e2s).\n\u00ab Un bras, imb\u00e9cile ! Qui a jamais vu un bras de cette\ntaille ? Ma parole, il bouche compl\u00e8tement la fen\u00eatre ! \u00bb\n\u00ab Pour s\u00fbr que c\u2019est ben vrai, vot\u2019honneur : mais, c\u2019est\nun bras tout de m\u00eame. \u00bb\n\u00ab En tout cas, il n\u2019a rien \u00e0 faire l\u00e0 : va l\u2019enlever ! \u00bb\nCette conversation fut suivie d\u2019un long silence, et Alice\nn\u2019entendit plus que quelques phrases \u00e0 voix basse de\ntemps \u00e0 autre, telles que : \u00ab Pour s\u00fbr, j\u2019aime pas cela,\nvot\u2019honneur, du tout, du tout ! \u00bb \u2013 \u00ab Fais ce que je te dis,\nesp\u00e8ce de poltron ! \u00bb Finalement, Alice ouvrit la main de\nnouveau et fit encore un grand geste comme pour attraper\nquelque chose. Cette fois, il y eut deux petits cris per\u00e7ants\net un nouveau fracas de verre bris\u00e9. \u00ab Combien ont-ils\ndonc de ch\u00e2ssis \u00e0 concombres ! pensa Alice. Je me\ndemande ce qu\u2019ils vont faire \u00e0 pr\u00e9sent ! Pour ce qui est deme faire sortir par la fen\u00eatre, je souhaite seulement qu\u2019ils\npuissent y arriver ! Je suis certaine de ne pas avoir envie\nde rester ici plus longtemps ! \u00bb\nPendant un moment, elle n\u2019entendit plus rien ; puis vint\nle grondement sourd de petites roues de charrette et le\nbruit de plusieurs voix en train de parler en m\u00eame temps.\nElle distingua les phrases suivantes : \u00ab O\u00f9 est l\u2019autre\n\u00e9chelle ? \u2013 Voyons, je ne pouvais en apporter qu\u2019une ;\nc\u2019est Bill qu\u2019a l\u2019autre. \u2013 Bill, am\u00e8ne-l\u00e0 ici, mon gars ! \u2013\nDressez-les \u00e0 ce coin-ci. \u2013 Non, faut d\u2019abord les attacher\nbout \u00e0 bout ; elles n\u2019arrivent pas \u00e0 la moiti\u00e9 de la hauteur\nn\u00e9cessaire. \u2013 Oh ! cela ira comme cela, ne fait pas le\ndifficile. \u2013 Tiens, Bill, attrape-moi cette corde ! \u2013 Est-ce que\nle toit supportera son poids ? \u2013 Attention \u00e0 cette ardoise\nqui s\u2019est d\u00e9tach\u00e9e ! \u2013 Cela y est, elle d\u00e9gringole ! Gare l\u00e0-\ndessous ! \u00bb (grand fracas.) \u00ab Qui a fait cela ? \u2013 C\u2019est Bill,\nje pense. \u2013 Qui va descendre dans la chemin\u00e9e ? \u2013 Moi, je\nne marche pas ! Vas-y, toi ! \u2013 Si c\u2019est comme cela, je n\u2019y\nvais pas non plus ! \u2013 C\u2019est Bill qui doit descendre. \u2013\nT\u2019entends, Bill ? le ma\u00eetre dit que tu dois descendre dans la\nchemin\u00e9e ! \u00bb\n\u00ab Ah, vraiment ! Bill doit descendre dans la chemin\u00e9e ?\npensa Alice. Ma parole, c\u2019est \u00e0 croire que tout retombe sur\nle dos de Bill ! Je ne voudrais pour rien au monde \u00eatre \u00e0 la\nplace de Bill : cette chemin\u00e9e est \u00e9troite, c\u2019est vrai, mais je\ncrois bien que j\u2019ai la place pour donner un bon petit coup\nde pied ! \u00bbElle retira son pied de la chemin\u00e9e aussi loin qu\u2019elle le\nput, et attendit jusqu\u2019au moment o\u00f9 elle entendit les griffes\nd\u2019un petit animal (elle ne put deviner quelle sorte d\u2019animal\nc\u2019\u00e9tait) agripper les parois de la chemin\u00e9e juste au-dessus\nd\u2019elle ; alors, en se disant : \u00ab Voici Bill \u00bb, elle donna un\ngrand coup de pied, et pr\u00eata l\u2019oreille pour savoir ce qui\nallait se passer.\nD\u2019abord elle entendit plusieurs voix qui s\u2019exclamaient\nen ch\u0153ur : \u00ab Voil\u00e0 Bill qui s\u2019envole ! \u00bb Puis la voix du Lapin\nseul : \u00ab Attrapez-le, vous, l\u00e0-bas, pr\u00e8s de la haie ! \u00bb Puis il\ny eut un silence, puis, \u00e0 nouveau, un ch\u0153ur de voix\nconfuses : \u00ab Relevez-lui la t\u00eate. \u2013 Un peu d\u2019eau-de-vie\nmaintenant. \u2013 Ne l\u2019\u00e9touffez pas. \u2013 Comment cela s\u2019est-il\npass\u00e9, mon vieux ? Qu\u2019est-ce qui t\u2019est arriv\u00e9 ? Raconte-\nnous cela ! \u00bb\nFinalement, une petite voix faible et grin\u00e7ante se fit\nentendre : (\u00ab Cela, c\u2019est Bill \u00bb, pensa Alice.) \u00ab Ma parole,\nje ne sais pas\u2026 Non, merci, j\u2019en ai assez\u2026 Je me sens\nmieux maintenant\u2026 mais je suis encore trop troubl\u00e9 pour\nvous raconter\u2026 Tout ce que je sais, c\u2019est que quelque\nchose m\u2019est arriv\u00e9 dessus comme un diable qui sort d\u2019une\nbo\u00eete, et que je suis parti en l\u2019air comme une fus\u00e9e ! \u00bb\n\u00ab Pour cela, oui, c\u2019est ben ce que tu as fait, mon\nvieux ! \u00bb s\u2019exclam\u00e8rent les autres.\n\u00ab Il va falloir br\u00fbler la maison ! \u00bb dit la voix du Lapin ; \u00ab si\njamais vous faites cela, je lance Dinah \u00e0 vos trousses ! \u00bbs\u2019\u00e9cria Alice de toute la force de ses poumons.\nUn silence de mort r\u00e9gna aussit\u00f4t, et elle pensa : \u00ab Je\nme demande ce qu\u2019ils vont bien pouvoir inventer \u00e0\npr\u00e9sent ! S\u2019ils avaient pour deux sous de bon sens, ils\nenl\u00e8veraient le toit. \u00bb Au bout d\u2019une minute ou deux, ils\nrecommenc\u00e8rent \u00e0 s\u2019agiter, et Alice entendit le Lapin qui\ndisait : \u00ab Une brouett\u00e9e suffira pour commencer. \u00bb\n\u00ab Une brouett\u00e9e de quoi ? \u00bb se demanda Alice. Mais\nelle ne tarda pas \u00e0 \u00eatre fix\u00e9e, car, une seconde plus tard,\nune gr\u00eale de petits cailloux s\u2019abattit sur la fen\u00eatre, et\nquelques-uns la frapp\u00e8rent au visage. \u00ab Je vais mettre un\nterme \u00e0 tout cela \u00bb, se dit-elle, et elle s\u2019\u00e9cria : \u00ab Vous ferez\nbien de ne pas recommencer ! \u00bb ce qui amena, \u00e0 nouveau,\nun silence de mort.\nAlice remarqua, non sans surprise, que les cailloux,\naussit\u00f4t qu\u2019ils tombaient sur le plancher, se transformaient\nen petits g\u00e2teaux, et une id\u00e9e lumineuse lui vint. \u00ab Si j\u2019en\nmange un, pensa-t-elle, il va certainement me faire changer\nde taille ; et, comme il est impossible qu\u2019il me fasse encore\ngrandir, je suppose qu\u2019il va me rendre plus petite. \u00bb\n \nElle avala donc un g\u00e2teau, et fut ravie de voir qu\u2019elle\ncommen\u00e7ait \u00e0 rapetisser imm\u00e9diatement. D\u00e8s qu\u2019elle fut\nassez petite pour pouvoir, passer par la porte, elle sortit de\nla maison en courant et trouva, dehors, une foule de petits\nanimaux et d\u2019oiseaux qui attendaient. Bill, le pauvre petit\nL\u00e9zard, \u00e9tait au milieu du groupe, soutenu par deuxcochons d\u2019Inde qui lui faisaient boire le liquide d\u2019un flacon.\nTous se ru\u00e8rent dans la direction d\u2019Alice d\u00e8s qu\u2019elle se\nmontra ; mais elle s\u2019enfuit \u00e0 toutes jambes et se trouva\nbient\u00f4t en s\u00e9curit\u00e9 dans un bois touffu.\n\u00ab La premi\u00e8re chose que je dois faire, se dit-elle tout en\nmarchant dans le bois \u00e0 l\u2019aventure, c\u2019est retrouver ma taille\nnormale ; la seconde, c\u2019est de trouver le chemin qui m\u00e8ne\n\u00e0 ce charmant jardin. Je crois que c\u2019est un tr\u00e8s bon plan. \u00bb\nEn v\u00e9rit\u00e9, ce plan semblait excellent, \u00e0 la fois simple et\npr\u00e9cis ; la seule difficult\u00e9 c\u2019est qu\u2019Alice n\u2019avait pas la plus\npetite id\u00e9e sur la mani\u00e8re de le mettre \u00e0 ex\u00e9cution. Tandis\nqu\u2019elle regardait autour d\u2019elle avec inqui\u00e9tude parmi les\narbres, un petit aboiement sec juste au-dessus de sa t\u00eate\nlui fit lever les yeux en toute h\u00e2te.\nUn \u00e9norme chiot la regardait d\u2019en haut avec de grands\nyeux ronds, et essayait de la toucher en tendant timidement\nune de ses pattes. \u00ab Pauvre petite b\u00eate ! \u00bb dit Alice d\u2019une\nvoix caressante, et elle faisait de gros efforts pour essayer\nde le siffler ; mais, en r\u00e9alit\u00e9, elle avait terriblement peur \u00e0\nl\u2019id\u00e9e qu\u2019il pouvait avoir faim car, dans ce cas, il aurait pu\ntout aussi bien la d\u00e9vorer, malgr\u00e9 ses cajoleries.Sans trop savoir ce qu\u2019elle faisait, elle ramassa un bout\nde b\u00e2ton et le lui tendit ; alors le chiot fit un saut en l\u2019air,\navec les quatre pattes, en jappant de plaisir, puis il se jeta\nsur le b\u00e2ton qu\u2019il fit mine de vouloir mettre en pi\u00e8ces ; alors\nAlice s\u2019esquiva derri\u00e8re un grand chardon pour \u00e9viter\nd\u2019\u00eatre renvers\u00e9e ; mais, d\u00e8s qu\u2019elle se montra de l\u2019autre\nc\u00f4t\u00e9 du chardon, le petit chien se pr\u00e9cipita de nouveau sur\nle b\u00e2ton et fit la cabriole dans sa h\u00e2te de s\u2019en emparer ;\nalors Alice, qui avait nettement l\u2019impression de jouer avec\nun cheval de trait, et qui s\u2019attendait \u00e0 \u00eatre pi\u00e9tin\u00e9e d\u2019un\nmoment \u00e0 l\u2019autre, s\u2019esquiva de nouveau derri\u00e8re le\nchardon ; sur quoi, le chiot ex\u00e9cuta une s\u00e9rie de courtes\nattaques contre le b\u00e2ton, avan\u00e7ant tr\u00e8s peu et reculant\nbeaucoup chaque fois, sans cesser d\u2019aboyer d\u2019une voix\nrauque ; finalement il s\u2019assit \u00e0 une assez grande distance,\nhaletant, la langue pendante, et ses grands yeux mi-clos.\nAlice jugea qu\u2019elle avait l\u00e0 une bonne occasion de se\nsauver ; elle partit sans plus attendre, et courut jusqu\u2019\u00e0 ce\nqu\u2019elle f\u00fbt \u00e9puis\u00e9e, hors d\u2019haleine, et que l\u2019aboiement du\nchiot ne r\u00e9sonn\u00e2t plus que tr\u00e8s faiblement dans le lointain.\n\u00ab Pourtant, quel charmant chiot c\u2019\u00e9tait ! dit Alice, en\ns\u2019appuyant contre un bouton d\u2019or pour se reposer, et en\ns\u2019\u00e9ventant avec une de ses feuilles. J\u2019aurais bien aim\u00e9 lui\napprendre \u00e0 faire des tours si\u2026 si seulement j\u2019avais eu la\ntaille qu\u2019il faut pour cela ! Oh ! Mon Dieu ! J\u2019avais presque\noubli\u00e9 que je dois grandir \u00e0 nouveau ! Voyons\u2026 comment\nest-ce que je vais m\u2019y prendre ? Je suppose que je devraismanger ou boire quelque chose ; mais la grande question\nest : quoi ? \u00bb\nLa grande question \u00e9tait certainement : quoi ? Alice\nregarda les fleurs et les brins d\u2019herbe autour d\u2019elle, sans\nrien voir qui ressembl\u00e2t \u00e0 la chose qu\u2019il fallait manger ou\nboire, compte tenu des circonstances. Tout pr\u00e8s d\u2019elle se\ndressait un champignon \u00e0 peu pr\u00e8s de sa taille ; quand elle\neut regard\u00e9 sous le champignon, derri\u00e8re le champignon,\net des deux c\u00f4t\u00e9s du champignon, l\u2019id\u00e9e lui vint qu\u2019elle\npourrait \u00e9galement regarder ce qu\u2019il y avait sur le dessus\ndu champignon.\nElle se dressa sur la pointe des pieds, jeta un coup\nd\u2019\u0153il attentif, et son regard rencontra imm\u00e9diatement celui\nd\u2019une grosse chenille bleue, assise les bras crois\u00e9s,\nfumant tranquillement un long narguil\u00e9, sans pr\u00eater la\nmoindre attention \u00e0 Alice ou \u00e0 quoi que ce f\u00fbt.CHAPITRE V \u2013 Les conseils de\nla Chenille\nLa Chenille et Alice se regard\u00e8rent un moment en\nsilence : finalement, la Chenille retira son narguil\u00e9 de sa\nbouche, puis s\u2019adressant \u00e0 elle d\u2019une voix languissante et\nendormie :\n\u00ab Qui es-tu ? \u00bb lui demanda-t-elle.\nCe n\u2019\u00e9tait pas un d\u00e9but de conversation tr\u00e8s\nencourageant. Alice r\u00e9pondit d\u2019un ton timide : \u00ab Je\u2026 Je ne\nsais pas tr\u00e8s bien, madame, du moins pour l\u2019instant\u2026 Du\nmoins, je sais qui j\u2019\u00e9tais quand je me suis lev\u00e9e ce matin,\nmais je crois qu\u2019on a d\u00fb me changer plusieurs fois depuis\nce moment-l\u00e0. \u00bb\n\u00ab Que veux-tu dire par l\u00e0 ? demanda la Chenille d\u2019un ton\ns\u00e9v\u00e8re. Explique-toi ! \u00bb\n\u00ab Je crains de ne pas pouvoir m\u2019expliquer, madame,\nparce que je ne suis pas moi, voyez-vous ! \u00bb\n\u00ab Non, je ne vois pas. \u00bb dit la Chenille.\n\u00ab J\u2019ai bien peur de ne pas pouvoir m\u2019exprimer plus\nclairement, reprit Alice avec beaucoup de politesse, car,\ntout d\u2019abord, je ne comprends pas moi-m\u00eame ce qui\nm\u2019arrive, et, de plus, cela vous brouille les id\u00e9es de\nchanger si souvent de taille dans la m\u00eame journ\u00e9e. \u00bb\u00ab Allons donc ! \u00bb s\u2019exclama la Chenille.\n\u00ab Vous ne vous en \u00eates peut-\u00eatre pas aper\u00e7ue jusqu\u2019\u00e0\npr\u00e9sent, continua Alice ; mais, quand vous serez oblig\u00e9e\nde vous transformer en chrysalide \u2013 cela vous arrivera un\nde ces jours, vous savez \u2013 puis en papillon, je suppose que\ncela vous para\u00eetra un peu bizarre, ne croyez-vous pas ? \u00bb\n\u00ab Pas le moins du monde \u00bb r\u00e9pondit la Chenille.\n\u00ab Eh bien, il est possible que cela ne vous fasse pas\ncet effet-l\u00e0, dit Alice, mais, tout ce que je sais, c\u2019est que\ncela me para\u00eetrait extr\u00eamement bizarre, \u00e0 moi. \u00bb\n\u00ab \u00c0 toi ! fit la Chenille d\u2019un ton de m\u00e9pris. Mais, qui es-\ntu, toi ? \u00bb\nCe qui les ramenait au d\u00e9but de leur conversation.\nAlice, un peu irrit\u00e9e de ce que la Chenille lui parl\u00e2t si\ns\u00e8chement, se redressa de toute sa hauteur et d\u00e9clara\nd\u2019un ton solennel : \u00ab Je crois que c\u2019est vous qui devriez\nd\u2019abord me dire qui vous \u00eates. \u00bb\n\u00ab Pourquoi ? \u00bb r\u00e9pliqua la Chenille.\nLa question \u00e9tait fort embarrassante ; comme Alice ne\npouvait trouver une bonne raison, et comme la Chenille\nsemblait \u00eatre d\u2019humeur tr\u00e8s d\u00e9sagr\u00e9able, elle lui tourna le\ndos et s\u2019\u00e9loigna.\n\u00ab Reviens ! lui cria la Chenille. J\u2019ai quelque chose\nd\u2019important \u00e0 te dire ! \u00bb\nCeci semblait plein de promesses, certainement : Alicefit demi-tour et revint.\n\u00ab Reste calme \u00bb, d\u00e9clara la Chenille.\n\u00ab C\u2019est tout ? \u00bb demanda Alice, en ma\u00eetrisant sa col\u00e8re\nde son mieux.\n\u00ab Non \u00bb, r\u00e9pondit la Chenille.Alice pensa qu\u2019elle pourrait aussi bien attendre,\npuisqu\u2019elle n\u2019avait rien d\u2019autre \u00e0 faire, et peut-\u00eatre qu\u2019apr\u00e8s\ntout, la Chenille lui dirait quelque chose qui vaudrait la\npeine d\u2019\u00eatre entendu. Pendant quelques minutes, la\nChenille fuma en silence, puis, finalement, elle d\u00e9croisa\nses bras, retira le narguil\u00e9 de sa bouche, et dit : \u00ab Donc, tu\ncrois que tu es chang\u00e9e, n\u2019est-ce pas ? \u00bb\n\u00ab J\u2019en ai peur, madame. Je suis incapable de me\nrappeler les choses comme avant\u2026 et je ne conserve pas\nla m\u00eame taille dix minutes de suite ! \u00bb\n\u00ab Quelles sont les choses que tu ne peux pas te\nrappeler ? \u00bb\n\u00ab Eh bien, j\u2019ai essay\u00e9 de r\u00e9citer : \u00ab \nVoyez comme la\npetite abeille\n\u2026 \u00bb, mais c\u2019est venu tout diff\u00e9rent de ce que\nc\u2019est en r\u00e9alit\u00e9 ! \u00bb r\u00e9pondit Alice d\u2019une voix m\u00e9lancolique.\n\u00ab R\u00e9cite-moi : \u00ab \nVous \u00eates vieux, P\u00e8re William\u2026\n{6}\n \u00bb \u00bb, ordonna la Chenille.\nAlice joignit les mains et commen\u00e7a :\n\u00ab Vous \u00eates vieux, P\u00e8re William, dit le jeune homme,\nEt vos cheveux sont devenus tr\u00e8s blancs ;\nSur la t\u00eate pourtant vous continuez \u00e0 marcher\nEst-ce bien raisonnable, \u00e0 votre \u00e2ge, vraiment ? \u00bb\u00ab Dans ma jeunesse, r\u00e9pondit P\u00e8re William \u00e0 son fils,\nJe craignais que cela ne m\u2019ab\u00eeme le cerveau ;\nMais, maintenant, je suis convaincu de ne pas en\navoir,\nJe peux donc faire cet exercice, encore et encore. \u00bb\n\u00ab Vous \u00eates vieux, dit le jeune, comme je vous l\u2019ai\nd\u00e9j\u00e0 dit,\nEt vous \u00eates devenu extraordinairement gros ;\nPourtant, vous franchissez la porte d\u2019un saut p\u00e9rilleux\narri\u00e8re\u2026\nJe vous en prie, quelle la raison de tout cela ? \u00bb\u00ab Dans ma jeunesse, dit le v\u00e9n\u00e9rable, en remuant ses\nm\u00e8ches grises,\nJe conservais la souplesse de mes membres\nPar la vertu de cet onguent : un shilling la boite ;\nPermets-moi de t\u2019en vendre deux. \u00bb\n\u00ab Vous \u00eates vieux, dit le jeune, et vos m\u00e2choires sont\ntrop faibles\nPour tout ce qui est plus dur que le beurre ;\nEt pourtant vous avez mang\u00e9 l\u2019oie, avec le bec et les\nos\u2026\nJe vous en prie, comment avez-vous r\u00e9ussi \u00e0 faire\ncela ? \u00bb\u00ab Dans ma jeunesse, dit le P\u00e8re, je faisais dans le\nDroit,\nEt argumentais toutes les choses de la vie, avec ma\nfemme ;\nLa force musculaire que ma m\u00e2choire a ainsi acquise,\nA dur\u00e9 toute ma vie. \u00bb\n\u00ab Vous \u00eates vieux, dit le jeune, et nul ne pourrait\nsupposer\nQue votre vue est aussi bonne que dans le temps ;\nSur le bout de votre nez, pourtant, vous tenez en\n\u00e9quilibre une anguille\u2026\nQu\u2019est ce qui vous a fait si habile ? \u00bb\u00ab J\u2019ai r\u00e9pondu \u00e0 trois questions, et cela suffit,\nDit le p\u00e8re ; ne te donnes pas des airs !\nPenses-tu que je peux \u00e9couter chaque jour de telles\nb\u00eatises ?\nFiles ! Ou je te fais descendre les escaliers avec mon\npied ! \u00bb\n\u00ab Cela n\u2019est pas du tout cela \u00bb, fit observer la Chenille.\n\u00ab Pas tout \u00e0 fait cela, j\u2019en ai bien peur, dit Alice\ntimidement. Il y a quelques mots qui ont \u00e9t\u00e9 chang\u00e9s \u00bb.\n\u00ab C\u2019est faux du d\u00e9but \u00e0 la fin \u00bb, affirma la Chenille d\u2019un\nton sans r\u00e9plique, et il y eut quelques minutes de silence.\nLa Chenille fut la premi\u00e8re \u00e0 reprendre.\n\u00ab Quelle taille veux-tu avoir ? \u00bb\u00ab Oh ! je ne suis pas particuli\u00e8rement difficile pour ce\nqui est de la taille, r\u00e9pondit vivement Alice. Ce que je\nn\u2019aime pas, c\u2019est d\u2019en changer si souvent, voyez-vous \u00bb\n\u00ab Non, je ne vois pas \u00bb, r\u00e9pondit la Chenille.\nAlice garda le silence : de toute sa vie, jamais elle\nn\u2019avait \u00e9t\u00e9 contredite tant de fois, et elle sentait qu\u2019elle allait\nperdre son sang-froid.\n\u00ab Es-tu satisfaite de ta taille actuelle ? \u00bb demanda la\nChenille.\n\u00ab Ma foi, si vous n\u2019y voyiez pas d\u2019inconv\u00e9nient,\nj\u2019aimerais bien \u00eatre un tout petit peu plus grande ; huit\ncentim\u00e8tres de haut, c\u2019est vraiment une bien pi\u00e8tre taille. \u00bb\n\u00ab Moi, je trouve que c\u2019est une tr\u00e8s bonne taille ! \u00bb\nr\u00e9pliqua la Chenille d\u2019un ton furieux, en se dressant de\ntoute sa hauteur (elle mesurait exactement huit\ncentim\u00e8tres.).\n\u00ab Mais, moi, je n\u2019y suis pas habitu\u00e9e ! \u00bb dit Alice d\u2019une\nvoix pitoyable, afin de s\u2019excuser. Et elle pensa : \u00ab Je\nvoudrais bien que toutes ces cr\u00e9atures ne se vexent pas si\nfacilement ! \u00bb\n\u00ab Tu t\u2019y habitueras \u00e0 la longue \u00bb, affirma la Chenille ;\napr\u00e8s quoi, elle porta le narguil\u00e9 \u00e0 sa bouche et se remit \u00e0\nfumer.\nCette fois Alice attendit patiemment qu\u2019il lui pl\u00fbt de\nreprendre la parole. Au bout d\u2019une ou deux minutes, la\nChenille retira le narguil\u00e9 de sa bouche, b\u00e2illa une ou deux\nfois, et se secoua. Puis, elle descendit du champignon et\ns\u2019\u00e9loigna dans l\u2019herbe en rampant, apr\u00e8s avoir prononc\u00e9\nces simples mots en guise d\u2019adieu : \u00ab Un c\u00f4t\u00e9 te fera\ngrandir, l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 te fera rapetisser. \u00bb\n\u00ab Un c\u00f4t\u00e9 de quoi ? L\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de quoi ? \u00bb pensa\nAlice.\n\u00ab Du champignon \u00bb, dit la Chenille, exactement comme\nsi Alice e\u00fbt pos\u00e9 ses questions \u00e0 haute voix ; apr\u00e8s quoi,\nelle disparut.\nAlice regarda pensivement le champignon pendant une\nbonne minute, en essayant de distinguer o\u00f9 se trouvaientles deux c\u00f4t\u00e9s ; mais, comme il \u00e9tait parfaitement rond, le\nprobl\u00e8me lui parut bien difficile \u00e0 r\u00e9soudre. N\u00e9anmoins,\nelle finit par \u00e9tendre les deux bras autour du champignon\naussi loin qu\u2019elle le put, et en d\u00e9tacha du bord, un morceau\nde chaque main.\n\u00ab Et maintenant, lequel des deux est le bon ? \u00bb se dit-\nelle en grignotant un petit bout du morceau qu\u2019elle tenait\ndans sa main droite, pour voir l\u2019effet produit ; l\u2019instant\nd\u2019apr\u00e8s, elle ressentit un coup violent sous le menton : il\nvenait de heurter son pied !\nTerrifi\u00e9e par ce changement particuli\u00e8rement soudain,\nelle comprit qu\u2019il n\u2019y avait pas de temps \u00e0 perdre, car elle\nrapetissait rapidement ; aussi, elle entreprit de manger un\npeu de l\u2019autre morceau. Son menton \u00e9tait tellement\ncomprim\u00e9 contre son pied qu\u2019elle avait \u00e0 peine assez de\nplace pour ouvrir la bouche ; mais elle finit par y arriver et\nparvint \u00e0 avaler un fragment du morceau qu\u2019elle tenait dans\nsa main gauche.\n\u00ab Enfin ! ma t\u00eate est d\u00e9gag\u00e9e ! \u00bb s\u2019exclama-t-elle d\u2019un\nton ravi ; mais, presque aussit\u00f4t, son ravissement se\ntransforma en vive inqui\u00e9tude lorsqu\u2019elle s\u2019aper\u00e7ut qu\u2019elle\nne retrouvait nulle part ses \u00e9paules : tout ce qu\u2019elle pouvait\nvoir en regardant vers le bas, c\u2019\u00e9tait un cou d\u2019une longueur\nd\u00e9mesur\u00e9e, qui semblait se dresser comme une tige, au-\ndessus d\u2019un oc\u00e9an de feuilles vertes, bien loin au-dessous\nd\u2019elle.\n\u00ab Qu\u2019est-ce que c\u2019est que toute cette verdure ?\npoursuivit Alice. Et o\u00f9 donc sont pass\u00e9es mes \u00e9paules ?\nOh ! mes pauvres mains, comment se fait-il que je ne\npuisse pas vous voir ? \u00bb Elle les remuait tout en parlant,\nmais sans obtenir d\u2019autre r\u00e9sultat que d\u2019agiter l\u00e9g\u00e8rement\nles feuillages lointains.\nComme elle semblait n\u2019avoir aucune chance de pouvoir\nporter ses mains \u00e0 sa t\u00eate, elle essaya d\u2019amener sa t\u00eate\njusqu\u2019\u00e0 elles, et elle fut enchant\u00e9e de d\u00e9couvrir que son cou\nse tordait ais\u00e9ment dans toutes les directions, comme un\nserpent. Elle venait juste de r\u00e9ussir \u00e0 le courber vers le sol\nen d\u00e9crivant un gracieux zigzag, et elle s\u2019appr\u00eatait \u00e0\nplonger au milieu des feuillages, dont elle d\u00e9couvrait qu\u2019ils\nn\u2019\u00e9taient autres que les cimes des arbres sous lesquelselle s\u2019\u00e9tait promen\u00e9e quelque temps plus t\u00f4t, lorsqu\u2019un\nsifflement aigu la fit reculer en toute h\u00e2te : un gros pigeon\ns\u2019\u00e9tait jet\u00e9 de plein fouet sur son visage, et la frappait\nviolemment de ses ailes.\n\u00ab Serpent\n{7}\n ! \u00bb criait le Pigeon.\n\u00ab Mais je ne suis pas un serpent ! riposta Alice d\u2019un ton\nindign\u00e9. Laissez-moi donc tranquille ! \u00bb\n\u00ab Serpent, je le r\u00e9p\u00e8te ! \u00bb continua le Pigeon d\u2019une voix\nplus calme. Puis il ajouta, avec une sorte de sanglot : \u00ab J\u2019ai\ntout essay\u00e9, mais rien ne semble les satisfaire ! \u00bb\n\u00ab Je ne comprends pas du tout de quoi vous parlez \u00bb,\ndit Alice.\n\u00ab J\u2019ai essay\u00e9 les racines d\u2019arbres, j\u2019ai essay\u00e9 les talus,\nj\u2019ai essay\u00e9 les haies, continua le Pigeon, sans pr\u00eater\nattention \u00e0 elle. Mais ces serpents ! Impossible de les\nsatisfaire ! \u00bb\nAlice \u00e9tait de plus en plus intrigu\u00e9e ; cependant elle\npensa qu\u2019il \u00e9tait inutile de prononcer un mot de plus avant\nque le Pigeon e\u00fbt fini de parler.\n\u00ab Comme si je n\u2019avais pas assez de mal \u00e0 couver les\n\u0153ufs, poursuivit-il ; il faut encore que je reste nuit et jour sur\nle qui-vive \u00e0 cause de ces serpents ! Ma parole, voil\u00e0 trois\nsemaines que je n\u2019ai pas ferm\u00e9 l\u2019\u0153il une seule seconde ! \u00bb\n\u00ab Je suis navr\u00e9e que vous ayez des ennuis \u00bb, dit Alice\nqui commen\u00e7ait \u00e0 comprendre.\n\u00ab Et juste au moment o\u00f9 j\u2019avais pris l\u2019arbre le plus haut\ndu bois, continua le Pigeon, dont la voix monta jusqu\u2019\u00e0\ndevenir un cri aigu, juste au moment o\u00f9 je croyais \u00eatre enfin\nd\u00e9barrass\u00e9 d\u2019eux, voil\u00e0 qu\u2019ils descendent du ciel en se\ntortillant ! Pouah ! Sale serpent ! \u00bb\n\u00ab Mais je vous r\u00e9p\u00e8te que je ne suis pas un serpent ! Je\nsuis\u2026 je suis\u2026 \u00bb\n\u00ab Eh bien ! Dites-moi ce que vous \u00eates ! dit le Pigeon.\nJe vois bien que vous essayez d\u2019inventer quelque chose ! \u00bb\n\u00ab Je\u2026 je suis une petite fille \u00bb, dit Alice d\u2019une voix\nh\u00e9sitante, car elle se rappelait tous les changementsqu\u2019elle avait subis ce jour-l\u00e0.\n\u00ab Comme c\u2019est vraisemblable ! s\u2019exclama le Pigeon\nd\u2019un ton profond\u00e9ment m\u00e9prisant. J\u2019ai vu pas mal de\npetites filles dans ma vie, mais aucune n\u2019avait un cou\npareil ! Non, non ! Vous \u00eates un serpent, inutile de le nier.\nJe suppose que vous allez me raconter aussi que vous\nn\u2019avez jamais go\u00fbt\u00e9 \u00e0 un \u0153uf ! \u00bb\n\u00ab J\u2019ai certainement go\u00fbt\u00e9 \u00e0 des \u0153ufs, r\u00e9pliqua Alice,\nqui \u00e9tait une enfant tr\u00e8s franche ; mais, voyez-vous, les\npetites filles mangent autant d\u2019\u0153ufs que les serpents. \u00bb\n\u00ab Je n\u2019en crois rien, dit le Pigeon. Pourtant, si c\u2019est vrai,\nalors les petites filles sont une esp\u00e8ce de serpent, c\u2019est\ntout ce que je peux dire. \u00bb\nCette id\u00e9e \u00e9tait tellement nouvelle pour Alice qu\u2019elle\nresta sans mot dire pendant une ou deux minutes, ce qui\ndonna au Pigeon l\u2019occasion d\u2019ajouter : \u00ab Je sais tr\u00e8s bien\nque vous cherchez des \u0153ufs ; dans ces conditions, qu\u2019est-\nce que cela peut me faire que vous soyez une petite fille ou\nun serpent ? \u00bb\n\u00ab Cela me fait beaucoup, \u00e0 moi, dit Alice vivement.\nMais il se trouve justement que je ne cherche pas d\u2019\u0153ufs ;\nd\u2019ailleurs, si j\u2019en cherchais, je ne voudrais pas de vos \u0153ufs\n\u00e0 vous : je ne les aime pas lorsqu\u2019ils sont crus. \u00bb\n\u00ab Eh bien, allez-vous-en, alors ! \u00bb grommela le Pigeon\nd\u2019un ton maussade, en s\u2019installant de nouveau dans son\nnid. Alice s\u2019accroupit parmi les arbres non sans peine, car\nson cou s\u2019emp\u00eatrait continuellement dans les branches, et,\nde temps en temps, elle \u00e9tait oblig\u00e9e de s\u2019arr\u00eater pour le\nd\u00e9gager. Au bout d\u2019un moment, elle se rappela qu\u2019elle\ntenait encore dans ses mains les deux morceaux de\nchampignon ; alors elle se mit prudemment \u00e0 la besogne,\ngrignotant tant\u00f4t l\u2019un, tant\u00f4t l\u2019autre, parfois devenant plus\ngrande, parfois devenant plus petite, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle e\u00fbt\nr\u00e9ussi \u00e0 retrouver sa taille habituelle.\nIl y avait si longtemps qu\u2019elle n\u2019avait pas approch\u00e9 de\ncette taille normale, qu\u2019elle se sentit d\u2019abord toute dr\u00f4le ;\nmais elle s\u2019y habitua en quelques minutes, et commen\u00e7a \u00e0\nparler toute seule, selon son habitude : \u00ab Et voil\u00e0 ! j\u2019ai\nr\u00e9alis\u00e9 la moiti\u00e9 de mon plan ! Comme tous ceschangements sont d\u00e9concertants ! D\u2019une minute \u00e0 l\u2019autre je\nne sais jamais ce que je vais \u00eatre ! En tout cas j\u2019ai retrouv\u00e9\nma taille normale ; reste maintenant \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans le\nbeau jardin, et cela, je me demande comment je vais m\u2019y\nprendre. \u00bb En disant cela, elle arriva brusquement dans\nune clairi\u00e8re o\u00f9 se trouvait une petite maison haute d\u2019un\nm\u00e8tre vingt environ. \u00ab Quels que soient les gens qui\nhabitent ici, pensa Alice, cela ne serait pas \u00e0 faire de leur\nrendre visite, grande comme je suis : ils en mourraient de\npeur, c\u2019est s\u00fbr ! \u00bb Elle se remit donc \u00e0 grignoter le morceau\nqu\u2019elle tenait dans sa main droite, et ne s\u2019aventura pr\u00e8s de\nla petite maison que lorsqu\u2019elle eut ramen\u00e9 sa taille \u00e0 vingt\ncentim\u00e8tres.CHAPITRE VI \u2013 Porc et poivre\nPendant une ou deux minutes elle resta \u00e0 regarder la\nmaison en se demandant ce qu\u2019elle allait faire, lorsque,\nsoudain, un valet de pied en livr\u00e9e sortit du bois en courant\n(elle se dit que c\u2019\u00e9tait un valet de pied parce qu\u2019il \u00e9tait en\nlivr\u00e9e : mais \u00e0 en juger seulement d\u2019apr\u00e8s son visage, elle\nl\u2019aurait plut\u00f4t pris pour un poisson), et frappa tr\u00e8s fort \u00e0 la\nporte de ses doigts repli\u00e9s. Celle-ci fut ouverte par un autre\nvalet de pied en livr\u00e9e, au visage tout rond, aux gros yeux\nsaillants comme ceux d\u2019une grenouille ; Alice remarqua\nque les deux laquais avaient le cr\u00e2ne recouvert d\u2019une\nchevelure poudr\u00e9e et toute en boucles. Elle se sentait tr\u00e8s\ncurieuse de savoir de quoi il s\u2019agissait, et elle se glissa un\npeu hors du bois pour \u00e9couter.\nLe Valet de pied-Poisson commen\u00e7a par prendre sous\nson bras une immense lettre, presque aussi grande que lui,\npuis il la tendit \u00e0 l\u2019autre en disant d\u2019un ton solennel : \u00ab Pour\nla Duchesse. Une invitation de la Reine \u00e0 une partie de\ncroquet. \u00bb Le Valet de pied-Grenouille r\u00e9p\u00e9ta du m\u00eame ton\nsolennel, mais en changeant un peu l\u2019ordre des mots : \u00ab De\nla Reine. Une invitation \u00e0 une partie de croquet pour la\nDuchesse. \u00bb\nPuis tous deux s\u2019inclin\u00e8rent tr\u00e8s bas, et leurs boucles\ns\u2019entrem\u00eal\u00e8rent.Alice se mit \u00e0 rire si fort \u00e0 ce spectacle qu\u2019elle fut\noblig\u00e9e de regagner le bois en courant, de peur d\u2019\u00eatre\nentendue ; quand elle se hasarda, \u00e0 nouveau, \u00e0 jeter un\ncoup d\u2019\u0153il, le Valet de pied-Poisson \u00e9tait parti, et l\u2019autre\n\u00e9tait assis sur le sol pr\u00e8s de la porte, \u00e0 regarder fixement le\nciel d\u2019un air stupide.\nAlice alla timidement jusqu\u2019\u00e0 la porte et frappa.\n\u00ab Ce n\u2019est pas la peine de frapper, dit le Valet de pied,\net cela pour deux raisons. La premi\u00e8re, c\u2019est que je suis du\nm\u00eame c\u00f4t\u00e9 de la porte que toi ; la seconde, parce qu\u2019il y a\ntellement de bruit \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur que personne ne peut\nt\u2019entendre. \u00bb En effet, un vacarme vraiment extraordinaire\nretentissait dans la maison : un bruit continu de hurlements\net d\u2019\u00e9ternuements, ponctu\u00e9 de temps \u00e0 autre par un grand\nfracas, comme si on brisait un plat ou une marmite en mille\nmorceaux.\n\u00ab En ce cas, d\u00e9clara Alice, pouvez-vous, je vous prie,\nme dire comment je dois faire pour entrer ? \u00bb\n\u00ab Il y aurait, peut-\u00eatre, quelque sens \u00e0 frapper \u00e0 la porte,\ncontinua le Valet de pied sans pr\u00eater attention aux paroles\nd\u2019Alice, si cette derni\u00e8re \u00e9tait entre nous. Par exemple, si\ntu \u00e9tais \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, tu pourrais frapper, et moi, vois-tu, je\npourrais te faire sortir. \u00bb Il ne cessait pas de regarder le\nciel tout en parlant, ce qu\u2019Alice trouvait parfaitement impoli.\n\u00ab Apr\u00e8s tout, pensa-t-elle, peut-\u00eatre qu\u2019il ne peut pas faire\nautrement ; il a les yeux si pr\u00e8s du haut de la t\u00eate. Mais, du\nmoins, il pourrait r\u00e9pondre aux questions qu\u2019on lui pose. \u00bb\n\u2013 \u00ab Comment dois-je faire pour entrer ? \u00bb r\u00e9p\u00e9ta-t-elle \u00e0\nhaute voix.\n\u00ab Je vais, d\u00e9clara le Valet de pied, rester assis ici\njusqu\u2019\u00e0 demain\u2026 \u00bb\n\u00c0 cet instant, la porte de la maison s\u2019ouvrit, et une\ngrande assiette fendit l\u2019air, droit vers la t\u00eate du Valet de\npied ; elle lui effleura le nez pour se briser enfin contre un\ndes arbres qui se trouvaient derri\u00e8re lui.\n\u00ab \u2026 ou apr\u00e8s-demain, peut-\u00eatre \u00bb, continua-t-il sur le\nm\u00eame ton, exactement comme si rien ne s\u2019\u00e9tait pass\u00e9.\n\u00ab Comment dois-je faire pour entrer ? \u00bb demanda Alice,en \u00e9levant la voix.\n\u00ab Faut-il vraiment que tu entres ? riposta-t-il. Voil\u00e0 la\npremi\u00e8re question \u00e0 poser. \u00bb\nCela ne faisait aucun doute, mais Alice n\u2019aimait pas\nqu\u2019on lui parla ainsi.\n\u00ab La fa\u00e7on dont toutes ces cr\u00e9atures discutent est\nvraiment insupportable, murmura-t-elle. Il y a de quoi vous\nrendre folle ! \u00bb\nLe Valet de pied dut penser que c\u2019\u00e9tait le bon moment\npour r\u00e9p\u00e9ter sa remarque, avec des variantes :\n\u00ab Je resterai assis ici sans d\u00e9semparer, dit-il, pendant\ndes jours et des jours.\n\u2013 Mais moi, que dois-je faire ? \u00bb demanda Alice.\n\u00ab Ce que tu voudras \u00bb, r\u00e9pondit-il en se mettant \u00e0 siffler.\n\u00ab Oh ! il est inutile de lui parler ! s\u2019exclama Alice en\nd\u00e9sespoir de cause : il est compl\u00e8tement idiot ! \u00bb\nSur ces mots, elle ouvrit la porte et entra.\nLa porte donnait directement sur une grande cuisine,\ncompl\u00e8tement enfum\u00e9e ; la Duchesse, assise sur un\ntabouret \u00e0 trois pieds, \u00e9tait en train de bercer un b\u00e9b\u00e9 ; la\ncuisini\u00e8re, pench\u00e9e au-dessus du feu, remuait le contenu\nd\u2019un grand chaudron, qui paraissait rempli de soupe.\u00ab Il y a certainement trop de poivre dans cette soupe ! \u00bb\nparvint \u00e0 dire Alice, tout en \u00e9ternuant tant qu\u2019elle pouvait.\nIl y en avait certainement beaucoup trop dans l\u2019air. La\nDuchesse elle-m\u00eame \u00e9ternuait de temps \u00e0 autre ; le b\u00e9b\u00e9\n\u00e9ternuait et braillait alternativement, sans interruption. Les\nseuls occupants de la cuisine qui n\u2019\u00e9ternuaient pas \u00e9taient\nla cuisini\u00e8re et un gros chat, allong\u00e9 devant l\u2019\u00e2tre, qui\nsouriait jusqu\u2019aux oreilles.\u00ab S\u2019il vous pla\u00eet, madame, demanda Alice assez\ntimidement, car elle n\u2019\u00e9tait pas tr\u00e8s s\u00fbre qu\u2019il f\u00fbt tr\u00e8s poli de\nparler la premi\u00e8re, pourriez-vous me dire pourquoi votre\nchat sourit comme cela ?\n\u2013 C\u2019est un chat du Cheshire, voil\u00e0 pourquoi\n{8}\n, r\u00e9pondit\nla Duchesse. Cochon ! \u00bb\nElle pronon\u00e7a ce dernier mot avec une violence si\nsoudaine qu\u2019Alice sursauta ; mais, l\u2019instant d\u2019apr\u00e8s, elle vit\nque le mot s\u2019adressait au b\u00e9b\u00e9, et non pas \u00e0 elle, c\u2019est\npourquoi elle reprit courage et continua :\n\u00ab Je ne savais pas que les chats du Cheshire souriaient\ntoujours ; en fait, je ne savais pas que les chats \u00e9taient\ncapables de sourire.\n\u2013 Ils en sont tous capables, et la plupart d\u2019entre eux, le\nfont.\n\u2013 Je ne savais pas qu\u2019il y en e\u00fbt un seul au monde\ncapable de le faire \u00bb, dit Alice tr\u00e8s poliment, tout heureuse\nde voir que la conversation \u00e9tait engag\u00e9e.\n\u00ab Tu n\u2019as pas vu grand-chose, c\u2019est un fait. \u00bb\nLe ton de cette remarque d\u00e9plut beaucoup \u00e0 Alice qui\npensa qu\u2019il vaudrait peut-\u00eatre mieux passer \u00e0 un autre\nsujet. Pendant qu\u2019elle essayait d\u2019en trouver un, la cuisini\u00e8re\nretira le chaudron du feu, puis se mit imm\u00e9diatement \u00e0 jeter\nsur la Duchesse et sur le b\u00e9b\u00e9 tout ce qui lui tomba sous la\nmain : d\u2019abord vinrent la pelle, les pincettes et le tisonnier ;ensuite, ce fut une averse de casseroles, d\u2019assiettes et de\nplats. La Duchesse ne faisait aucune attention \u00e0 ces\nobjets, m\u00eame lorsqu\u2019ils la frappaient ; quant au b\u00e9b\u00e9, il\nhurlait d\u00e9j\u00e0 si fort qu\u2019il \u00e9tait parfaitement impossible de\nsavoir si les coups lui faisaient mal ou non.\n\u00ab Oh, je vous en supplie, prenez garde \u00e0 ce que vous\nfaites ! \u00bb s\u2019\u00e9cria Alice en bondissant d\u2019inqui\u00e9tude et de\nterreur. \u00ab Oh ! cela y est, cette fois c\u2019est son pauvre petit\nnez ! \u00bb ajouta-t-elle en voyant une casserole\nparticuli\u00e8rement volumineuse effleurer le visage du b\u00e9b\u00e9.\n\u00ab Si chacun s\u2019occupait de ses affaires, grommela la\nDuchesse d\u2019une voix rauque, la terre tournerait beaucoup\nplus vite qu\u2019elle ne le fait.\n\u2013 Ce qui ne nous avancerait \u00e0 rien, dit Alice tout\nheureuse d\u2019\u00e9taler un peu de ses connaissances. Pensez\nau d\u00e9sordre que cela am\u00e8nerait dans la succession du jour\net de la nuit ! Voyez-vous, la terre tourne sur elle-m\u00eame\npendant vingt-quatre heures sans rel\u00e2che\u2026\n\u2013 \u00c0 propos de hache, dit la Duchesse, coupez-lui donc\nla t\u00eate ! \u00bb\nAlice jeta un coup d\u2019\u0153il anxieux vers la cuisini\u00e8re ; pour\nvoir si elle avait l\u2019intention prendre l\u2019ordre au pied de la\nlettre ; mais elle \u00e9tait fort occup\u00e9e \u00e0 remuer la soupe, et\nn\u2019avait pas l\u2019air d\u2019\u00e9couter. Alice se hasarda donc \u00e0\npoursuivre :\n\u00ab Du moins, il me semble bien que c\u2019est vingt-quatre ;ou bien est-ce douze ? Je\u2026\n\u2013 Oh, ne m\u2019emb\u00eate pas avec tes chiffres ! s\u2019\u00e9cria la\nDuchesse. Je n\u2019ai jamais pu supporter les chiffres ! \u00bb\nL\u00e0-dessus elle se remit \u00e0 bercer son enfant, tout en lui\nchantant une esp\u00e8ce de berceuse et en le secouant\nviolemment \u00e0 la fin de chaque vers :\n\u00ab Parle durement \u00e0 ton petit gar\u00e7on,\nEt bats-le lorsqu\u2019il \u00e9ternue :\nIl fait cela uniquement parce que c\u2019est un polisson,\net qu\u2019il sait que cela nous tue. \u00bb\n{9}\nCH\u0152UR\n(auquel se joignent la cuisini\u00e8re et le b\u00e9b\u00e9)\n\u00ab Hou ! hou ! hou ! \u00bb\nPendant tout le temps que la Duchesse chantait la\nseconde strophe de la chanson, elle n\u2019arr\u00eata pas de\nballotter violemment le b\u00e9b\u00e9 de haut en bas, et le pauvre\npetit hurlait si fort qu\u2019Alice put \u00e0 peine distinguer les\nparoles :\n\u00ab Je parle durement \u00e0 mon garnement,\nJe le bats lorsqu\u2019il \u00e9ternue ;\nCar il peut aimer compl\u00e8tement\nLe poivre, que dans ses narines, j\u2019insinue. \u00bbCH\u0152UR\n\u00ab Hou ! hou ! hou ! \u00bb\n\u00ab Tiens, tu peux le bercer un peu, si tu veux ! dit la\nDuchesse \u00e0 Alice en lui jetant le b\u00e9b\u00e9 comme un paquet. Il\nfaut que j\u2019aille m\u2019appr\u00eater pour la partie de croquet de la\nReine ! \u00bb Et elle sortit vivement de la pi\u00e8ce. La cuisini\u00e8re\nlui lan\u00e7a une po\u00eale \u00e0 frire au moment o\u00f9 elle franchissait la\nporte, et la manqua de peu.Alice eut du mal \u00e0 saisir le b\u00e9b\u00e9 qui avait une forme\nbizarre, et qui \u00e9tendait bras et jambes dans toutes les\ndirections, \u00ab exactement comme une \u00e9toile de mer \u00bb,\npensa-t-elle. Le pauvre petit grognait aussi bruyamment\nqu\u2019une machine \u00e0 vapeur quand elle l\u2019attrapa, et ne cessait\nde se tortiller comme un ver, si bien que, pendant les deux\npremi\u00e8res minutes, tout ce qu\u2019elle put faire fut de\nl\u2019emp\u00eacher de tomber.\nD\u00e8s qu\u2019elle eut compris comment il fallait s\u2019y prendre\npour le tenir (c\u2019est-\u00e0-dire en faire une esp\u00e8ce de n\u0153ud,\npuis le saisir ferme par l\u2019oreille droite et par le pied gauche\npour l\u2019emp\u00eacher de se d\u00e9nouer), elle l\u2019emporta en plein air.\n\u00ab Si je n\u2019emm\u00e8ne pas cet enfant avec moi, songea-t-elle,\nelles ne manqueront pas de le tuer d\u2019ici un jour ou deux ; ce\nserait un v\u00e9ritable crime que de l\u2019abandonner ici. \u00bb Elle\npronon\u00e7a ces derniers mots \u00e0 haute voix, et le b\u00e9b\u00e9\npoussa en r\u00e9ponse un petit grognement (il avait cess\u00e9\nd\u2019\u00e9ternuer \u00e0 pr\u00e9sent). \u00ab Ne grogne pas, dit Alice, cela n\u2019est\npas une fa\u00e7on convenable de s\u2019exprimer. \u00bb\nLe b\u00e9b\u00e9 poussa un second grognement, et elle le\nregarda bien en face d\u2019un air inquiet pour voir quel \u00e9tait le\nprobl\u00e8me. Sans aucun doute son nez extr\u00eamement\nretrouss\u00e9 ressemblait davantage \u00e0 un groin qu\u2019\u00e0 un nez\nv\u00e9ritable ; d\u2019autre part, ses yeux \u00e9taient bien petits pour\ndes yeux de b\u00e9b\u00e9 ; dans l\u2019ensemble, l\u2019aspect de ce\nnourrisson d\u00e9plaisait beaucoup \u00e0 Alice. \u00ab Mais peut-\u00eatre,\n\u00e9taient-ce uniquement ses sanglots \u00bb, pensa-t-elle ; et elleexamina ses yeux de tr\u00e8s pr\u00e8s pour voir s\u2019il y avait des\nlarmes.\nNon, il n\u2019y en avait pas. \u00ab Si jamais tu te transformes en\ncochon, mon ch\u00e9ri, d\u00e9clara Alice d\u2019un ton s\u00e9rieux, je ne\nm\u2019occuperai plus de toi. Fais attention \u00e0 mes paroles ! \u00bb\nLe pauvre petit sanglota de nouveau (ou grogna, puisqu\u2019il\n\u00e9tait impossible de faire la diff\u00e9rence), et tous deux\npoursuivirent leur route quelque temps en silence.Alice commen\u00e7ait \u00e0 se dire : \u00ab Que vais-je faire de\ncette cr\u00e9ature quand je l\u2019aurai amen\u00e9e \u00e0 la maison ? \u00bb\nlorsque le b\u00e9b\u00e9 poussa un nouveau grognement, si fort,\ncette fois, qu\u2019elle examina \u00e0 nouveau son visage avec\ninqui\u00e9tude. Il n\u2019y avait pas moyen de s\u2019y tromper, cette fois :\nc\u2019\u00e9tait bel et bien un cochon, et elle sentit qu\u2019il serait\nparfaitement absurde de le porter plus loin.\nElle d\u00e9posa donc la petite cr\u00e9ature sur le sol et fut\nsoulag\u00e9e de le trottiner tranquillement vers le bois, o\u00f9 il\np\u00e9n\u00e9tra. \u00ab S\u2019il avait grandi, se dit-elle, \u00e7\u2019aurait fait un enfant\nhorriblement laid ; mais je trouve que cela fait un assez joli\ncochon. \u00bb Elle se mit \u00e0 penser aux autres enfants de sa\nconnaissance qui auraient fait de tr\u00e8s jolis cochons, et elle\n\u00e9tait en train de songer : \u00ab Si seulement on savait comment\ns\u2019y prendre pour les transformer\u2026 \u00bb lorsqu\u2019elle sursauta\nl\u00e9g\u00e8rement en voyant le Chat du Cheshire assis sur une\nbranche d\u2019arbre \u00e0 quelques m\u00e8tres d\u2019elle.\nLe Chat se contenta de sourire en voyant Alice. Elle lui\ntrouva l\u2019air fort aimable ; pourtant, il avait des griffes\nextr\u00eamement longues et un tr\u00e8s grand nombre de dents ;\naussi, elle sentit qu\u2019elle devait le traiter avec respect.\n \u00ab Minet du Cheshire\u2026 \u00bb, commen\u00e7a-t-elle assez\ntimidement, car elle ne savait pas trop si ce nom lui plairait.\nLe Chat se contenta de sourire plus largement. \u00ab Allons,\njusqu\u2019ici il est satisfait, pensa Alice, qui continua :\nVoudriez-vous me dire, s\u2019il vous pla\u00eet, quel chemin je dois\nprendre pour m\u2019en aller d\u2019ici ?\u2013 Cela d\u00e9pend beaucoup de l\u2019endroit o\u00f9 tu veux aller,\nr\u00e9pondit le chat.\n\u2013 Peu m\u2019importe l\u2019endroit\u2026 dit Alice.\n\u2013 En ce cas, peu importe la route que tu prendras,\nr\u00e9pliqua-t-il.\n\u2013\u2026 pourvu que j\u2019arrive quelque part, ajouta Alice en\nguise d\u2019explication.\n\u2013 Oh, tu ne manqueras pas d\u2019arriver quelque part, si tu\nmarches assez longtemps. \u00bb\nAlice comprit que c\u2019\u00e9tait indiscutable ; en cons\u00e9quence\nelle essaya une autre question : \u00ab Quelle esp\u00e8ce de gens\ntrouve-t-on dans ces parages ?\n\u2013 Dans cette direction-ci, r\u00e9pondit le Chat, en faisant un\nvague geste de sa patte droite, habite un Chapelier ; et\ndans cette direction-l\u00e0 (il fit un geste de sa patte gauche),\nhabite un Li\u00e8vre de Mars. Tu peux aller rendre visite \u00e0 l\u2019un\nou \u00e0 l\u2019autre : ils sont fous tous les deux. \n{10}\n\u2013 Mais je ne veux pas aller parmi les fous, fit remarquer\nAlice.\n\u2013 Impossible de faire autrement, dit le Chat ; nous\nsommes tous fous ici. Je suis fou. Tu es folle.\n\u2013 Comment savez-vous que je suis folle ? demanda\nAlice.\n\u2013 Tu dois l\u2019\u00eatre, r\u00e9pondit le Chat, autrement tu ne serais\npas venue ici. \u00bb\nAlice pensait que ce n\u2019\u00e9tait pas une preuve suffisante,\nmais elle continua : \u00ab Et comment savez-vous que vous\n\u00eates fou ?\n\u2013 Pour commencer, dit le Chat, est-ce que tu\nm\u2019accordes qu\u2019un chien n\u2019est pas fou ?\n\u2013 Sans doute.\n\u2013 Eh bien, vois-tu, continua le Chat, tu remarqueras\nqu\u2019un chien gronde lorsqu\u2019il est en col\u00e8re, et remue la\nqueue lorsqu\u2019il est content. Or, moi, je gronde quand je suis\ncontent, et je remue la queue quand je suis en col\u00e8re.Donc, je suis fou.\n\u2013 Moi j\u2019appelle cela ronronner, pas gronder, objecta\nAlice.\n\u2013 Appelle cela comme tu voudras, dit le Chat. Est-ce\nque tu es de la partie de croquet de la Reine, cet apr\u00e8s-\nmidi ?\n\u2013 Je voudrais bien, r\u00e9pondit Alice, mais je n\u2019ai pas\nencore \u00e9t\u00e9 invit\u00e9e.\n\u2013 Tu m\u2019y verras \u00bb, dit le Chat et il disparut.\nAlice ne s\u2019en \u00e9tonna gu\u00e8re, tellement elle \u00e9tait habitu\u00e9e\n\u00e0 voir se passer des choses bizarres. Pendant qu\u2019elle\nregardait l\u2019endroit o\u00f9 le Chat s\u2019\u00e9tait trouv\u00e9, il r\u00e9apparut.\n\u00ab \u00c0 propos, fit-il, qu\u2019est devenu le b\u00e9b\u00e9 ? J\u2019allais oublier\nde te le demander.\n\u2013 Il s\u2019est transform\u00e9 en cochon \u00bb, r\u00e9pondit Alice d\u2019une\nvoix calme, comme si c\u2019\u00e9tait la chose la plus naturelle du\nmonde.\u00ab Cela ne m\u2019\u00e9tonne pas \u00bb, d\u00e9clara le Chat, et il disparut\n\u00e0 nouveau.\nAlice attendit encore un peu, dans l\u2019espoir de le voir\nr\u00e9appara\u00eetre, mais il n\u2019en fit rien, et, au bout d\u2019une ou deux\nminutes, elle s\u2019en alla vers l\u2019endroit o\u00f9 on lui avait dit\nqu\u2019habitait le Li\u00e8vre de Mars. \u00ab J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 vu des chapeliers,\nse dit-elle ; le Li\u00e8vre de Mars sera beaucoup plus\nint\u00e9ressant \u00e0 voir, et, comme nous sommes en mai, peut-\n\u00eatre qu\u2019il ne sera pas fou furieux\u2026 ; du moins peut-\u00eatre\nsera-t-il moins fou qu\u2019il ne l\u2019\u00e9tait en mars. \u00bb Comme elle\npronon\u00e7ait ces mots, elle leva les yeux, et voil\u00e0 qu\u2019elle\naper\u00e7ut \u00e0 nouveau le Chat, assis sur une branche.\n\u00ab Est-ce que tu as dit : \u00ab cochon \u00bb, ou \u00ab cocon \u00bb ?\ndemanda-t-il.\n\u2013 J\u2019ai dit \u00ab cochon \u00bb, r\u00e9pondit Alice ; et je voudrais bien\nque vous n\u2019apparaissiez pas et ne disparaissiez pas si\nbrusquement : cela me fait tourner la t\u00eate.\n\u2013 C\u2019est bon \u00bb, dit le Chat ; et, cette fois, il disparut tr\u00e8s\nlentement, en commen\u00e7ant par le bout de la queue et en\nfinissant par le sourire, qui persista un bon bout de temps\napr\u00e8s que le reste de l\u2019animal eut disparu.\n\u00ab Ma parole ! pensa Alice, j\u2019ai souvent vu un chat sans\nun sourire, mais jamais un sourire sans un chat !\u2026 C\u2019est la\nchose la plus curieuse que j\u2019aie jamais vue de ma vie ! \u00bb\nAvant d\u2019\u00eatre all\u00e9e bien loin, elle aper\u00e7ut la maison du\nLi\u00e8vre de Mars : du moins elle pensa que c\u2019\u00e9tait bien sa\nmaison parce que les chemin\u00e9es \u00e9taient en forme\nd\u2019oreilles, et que le toit \u00e9tait couvert de fourrure en guise de\nchaume. La maison semblait si grande qu\u2019Alice n\u2019osa pas\napprocher avant d\u2019avoir grignot\u00e9 un peu du morceau de\nchampignon qu\u2019elle tenait \u00e0 la main gauche et d\u2019avoir\natteint soixante centim\u00e8tres environ. M\u00eame alors, elle reprit\nson chemin assez timidement, tout en se disant : \u00ab Et s\u2019il\nest fou furieux, apr\u00e8s tout ? Je regrette presque de ne pas\n\u00eatre all\u00e9e voir le Chapelier ! \u00bbCHAPITRE VII \u2013 Un th\u00e9 chez\nles fous\nSous un arbre, devant la maison, se trouvait une table\nservie o\u00f9 le Li\u00e8vre de Mars et le Chapelier \u00e9taient en train\nde prendre le th\u00e9 ; un Loir, qui dormait profond\u00e9ment, \u00e9tait\nassis entre eux, et les deux autres appuyaient leurs coudes\nsur lui comme sur un coussin en parlant par-dessus sa t\u00eate.\n\u00ab C\u2019est bien incommode pour le Loir, pensa Alice ; mais,\ncomme il dort, je suppose que cela lui est \u00e9gal. \u00bb\nLa table \u00e9tait tr\u00e8s grande ; pourtant tous trois se\nserraient l\u2019un contre l\u2019autre \u00e0 un m\u00eame coin. \u00ab Pas de\nplace ! Pas de place ! \u00bb s\u2019\u00e9cri\u00e8rent-ils en voyant Alice. \u00ab Il y\na de la place \u00e0 revendre ! \u00bb r\u00e9pondit-t-elle avec\nindignation, et elle s\u2019assit dans un grand fauteuil \u00e0 un bout\nde la table.\n \u00ab Prends donc un peu de vin \u00bb, proposa le Li\u00e8vre de\nMars d\u2019un ton encourageant.\nAlice promena son regard tout autour de la table, mais\nelle n\u2019aper\u00e7ut que du th\u00e9. \u00ab Je ne vois pas de vin, fit-elle\nobserver.\n\u2013 Il n\u2019y en a pas, dit le Li\u00e8vre de Mars.\n\u2013 En ce cas, ce n\u2019est pas tr\u00e8s poli de votre part de m\u2019en\noffrir, r\u00e9pliqua Alice d\u2019un ton furieux.\u2013 Ce n\u2019est pas tr\u00e8s poli de ta part de t\u2019asseoir sans y\n\u00eatre invit\u00e9e, riposta le Li\u00e8vre de Mars.\n\u2013 Je ne savais pas que c\u2019\u00e9tait votre table, r\u00e9pondit\nAlice ; elle est mise pour plus de trois personnes.\n\u2013 Tu as besoin de te faire couper les cheveux, d\u00e9clara\nle Chapelier. \u00bb Il y avait un bon moment qu\u2019il la regardait\navec beaucoup de curiosit\u00e9, et c\u2019\u00e9taient les premi\u00e8res\nparoles qu\u2019il pronon\u00e7ait.\n\u00ab Vous ne devriez pas faire d\u2019allusions personnelles \u00bb,\nr\u00e9pliqua Alice s\u00e9v\u00e8rement ; c\u2019est extr\u00eamement grossier. \u00bb\nLe Chapelier ouvrit de grands yeux en entendant cela ;\nmais il se contenta de demander :\n\u00ab Pourquoi est-ce qu\u2019un corbeau ressemble \u00e0 un\nbureau ? \u00bb\n\u00ab Parfait, nous allons nous amuser ! pensa Alice. Jesuis contente qu\u2019ils aient commenc\u00e9 \u00e0 poser des\ndevinettes\u2026 \u2013 Je crois que je peux deviner cela \u00bb, ajouta-t-\nelle \u00e0 haute voix.\n\u2013 Veux-tu dire que tu penses pouvoir trouver la\nr\u00e9ponse ? demanda le Li\u00e8vre de Mars.\n\u2013 Exactement.\n\u2013 En ce cas, tu devrais dire ce que tu penses.\n\u2013 Mais c\u2019est ce que je fais, r\u00e9pondit Alice vivement. Du\nmoins\u2026 du moins\u2026 je pense ce que je dis\u2026 et c\u2019est la\nm\u00eame chose, n\u2019est-ce pas ?\n\u2013 Mais pas du tout ! s\u2019exclama le Chapelier. C\u2019est\ncomme si tu disais que : \u00ab Je vois ce que je mange \u00bb, c\u2019est\nla m\u00eame chose que : \u00ab Je mange ce que je vois ! \u00bb\n\u2013 C\u2019est comme si tu disais, reprit le Li\u00e8vre de Mars,\nque : \u00ab J\u2019aime ce que j\u2019ai \u00bb, c\u2019est la m\u00eame chose que :\n\u00ab J\u2019ai ce que j\u2019aime ! \u00bb\n\u2013 C\u2019est comme si tu disais, ajouta le Loir (qui, semblait-\nil, parlait tout en dormant), que : \u00ab Je respire quand je\ndors \u00bb, c\u2019est la m\u00eame chose que : \u00ab Je dors quand je\nrespire ! \u00bb\u2013 C\u2019est bien la m\u00eame chose pour toi \u00bb, dit le Chapelier\nau Loir. Sur ce, la conversation tomba, et tous les quatre\nrest\u00e8rent sans parler pendant une minute, tandis qu\u2019Alice\npassait en revue dans son esprit tout ce qu\u2019elle pouvait se\nrappeler au sujet des corbeaux et des bureaux, et ce n\u2019\u00e9tait\npas grand-chose.\nLe Chapelier fut le premier \u00e0 rompre le silence. \u00ab Quel\njour du mois sommes-nous ? \u00bb demanda-t-il en se tournant\nvers Alice : il avait tir\u00e9 sa montre de sa poche et la\nregardait d\u2019un air inquiet, en la secouant et en la portant \u00e0\nson oreille de temps \u00e0 autre.\nAlice r\u00e9fl\u00e9chit un moment avant de r\u00e9pondre : \u00ab Le\nquatre.\n\u2013 Elle retarde de deux jours ! murmura le Chapelier en\nsoupirant. Je t\u2019avais bien dit que le beurre ne conviendrait\npas pour graisser les rouages ! \u00bb ajouta-t-il en regardant le\nLi\u00e8vre de Mars d\u2019un air furieux.\n\u00ab C\u2019\u00e9tait le meilleur beurre que j\u2019avais pu trouver \u00bb,\nr\u00e9pondit l\u2019autre d\u2019un ton humble.\n\u00ab Sans doute, mais quelques miettes ont d\u00fb entrer en\nm\u00eame temps, grommela le Chapelier. Tu n\u2019aurais pas d\u00fb y\nmettre le beurre avec le couteau \u00e0 pain. \u00bb\nLe Li\u00e8vre de Mars prit la montre, la regarda tristement,\npuis la plongea dans sa tasse de th\u00e9 et la regarda de\nnouveau ; mais il ne put trouver rien de mieux que de\nr\u00e9p\u00e9ter sa remarque initiale : \u00ab C\u2019\u00e9tait la meilleure qualit\u00e9beurre, croyez-moi. \u00bb\nAlice, qui avait regard\u00e9 par-dessus son \u00e9paule avec\ncuriosit\u00e9, s\u2019exclama :\n\u00ab Quelle dr\u00f4le de montre ! Elle indique le jour du mois et\nelle n\u2019indique pas l\u2019heure !\n\u2013 Pourquoi indiquerait-elle l\u2019heure ? murmura le\nChapelier. Est-ce que ta montre \u00e0 toi t\u2019indique l\u2019ann\u00e9e o\u00f9\nl\u2019on est ?\u2013 Bien s\u00fbr que non, r\u00e9pondit Alice sans h\u00e9siter ; mais\nc\u2019est parce qu\u2019elle reste dans la m\u00eame ann\u00e9e pendant tr\u00e8s\nlongtemps.\n\u2013 Ce qui est exactement le cas de ma montre \u00e0 moi \u00bb,\naffirma le Chapelier.\nAlice se sentit terriblement d\u00e9concert\u00e9e. La remarque\ndu Chapelier semblait n\u2019avoir aucun sens, et pourtant elle\n\u00e9tait grammaticalement correcte. \u00ab Je ne comprends pas\ntr\u00e8s bien \u00bb, dit-elle aussi poliment qu\u2019elle le put.\n\u00ab Tiens, le Loir s\u2019est rendormi \u00bb, fit observer le\nChapelier, et il lui versa un peu de th\u00e9 chaud sur le museau.\nLe Loir secoua la t\u00eate avec impatience, puis marmotta\nsans ouvrir les yeux : \u00ab Bien s\u00fbr, bien s\u00fbr, c\u2019est exactement\nce que j\u2019allais dire. \u00bb\n\u00ab As-tu trouv\u00e9 la r\u00e9ponse \u00e0 la devinette ? demanda le\nChapelier en se tournant vers Alice.\n\u2013 Non, j\u2019y renonce ; quelle est la r\u00e9ponse ?\n\u2013 Je n\u2019en ai pas la moindre id\u00e9e, dit le Chapelier.\n\u2013 Moi non plus \u00bb, dit le Li\u00e8vre de Mars.\nAlice poussa un soupir de lassitude. \u00ab Je crois que\nvous pourriez mieux employer votre temps, d\u00e9clara-t-elle,\nque de le perdre \u00e0 poser des devinettes dont vous ignorez\nla r\u00e9ponse.\n\u2013 Si tu connaissais le Temps aussi bien que moi, dit le\nChapelier, tu ne parlerais pas de le perdre, comme une\nchose. Le Temps est un \u00eatre vivant.\n\u2013 Je ne comprends pas ce que vous voulez dire,\nr\u00e9pondit Alice.\n\u2013 Naturellement ! s\u2019exclama-t-il en rejetant la t\u00eate en\narri\u00e8re d\u2019un air de m\u00e9pris. Je suppose bien que tu n\u2019as\njamais parl\u00e9 au Temps !\u2013 Peut-\u00eatre que non, r\u00e9pondit-elle prudemment. Tout ce\nque je sais, c\u2019est qu\u2019il faut que je batte les temps quand je\nprends ma le\u00e7on de musique.\n\u2013 Ah ! cela explique tout. Le Temps ne supporte pas\nd\u2019\u00eatre battu. Si tu \u00e9tais en bons termes avec lui, il ferait\npresque tout ce que tu voudrais de la pendule. Par\nexemple, suppose qu\u2019il soit neuf heures du matin, l\u2019heure\nde commencer tes le\u00e7ons : tu n\u2019as qu\u2019\u00e0 dire un mot au\nTemps, et les aiguilles tournent en un clin d\u2019\u0153il ! Voil\u00e0 qu\u2019il\nest une heure et demie, l\u2019heure du d\u00e9jeuner !\n\u2013 Si seulement cela pouvait \u00eatre vrai ! murmura le\nLi\u00e8vre de Mars.\n\u2013 \u00c9videmment, ce serait magnifique, dit Alice d\u2019un ton\npensif ; mais, voyez-vous, je\u2026 je n\u2019aurais pas assez faim\npour manger.\n\u2013 Au d\u00e9but, peut-\u00eatre pas, d\u00e9clara le Chapelier ; mais tu\npourrais faire rester la pendule sur une heure et demie\naussi longtemps que tu voudrais.\n\u2013 Est-ce ainsi que vous faites, vous ? \u00bb\nLe Chapelier secoua n\u00e9gativement la t\u00eate d\u2019un air\nlugubre. \u00ab H\u00e9las, non ! r\u00e9pondit-il. Nous nous sommes\ndisput\u00e9s en mars dernier, juste avant que lui ne devienne\nfou. (Il montra le Li\u00e8vre de Mars, de sa cuill\u00e8re \u00e0 th\u00e9.)\nC\u2019\u00e9tait au grand concert donn\u00e9 par la Reine de c\u0153ur, o\u00f9 je\ndevais chanter :\nScintille, scintille, petite chauve-souris !\nComment s\u2019\u00e9tonner que tu sois ici ! \n{11}\n\u00ab Je suppose que tu connais la chanson ?\n\u2013 J\u2019ai entendu quelque chose de ce genre, r\u00e9pondit\nAlice.\n\u2013 Vois-tu, elle continue comme ceci, continua le\nChapelier :Loin au-dessus du monde tu voles,\nComme un plateau de th\u00e9 dans le ciel.\nScintille, scintille\u2026 \u00bb\nIci, le Loir se secoua, et se mit \u00e0 chanter tout en\ndormant : \u00ab \nScintille, scintille, scintille, scintille\u2026 \u00bb\n et il\ncontinua pendant si longtemps qu\u2019ils durent le pincer pour\nle faire taire.\n\u00ab Eh bien, j\u2019avais \u00e0 peine fini le premier couplet, reprit\nle Chapelier, que la Reine se leva d\u2019un bond en hurlant : \u00ab Il\nest en train de tuer le temps ! Qu\u2019on lui coupe la t\u00eate ! \u00bb\n\u2013 Quelle horrible cruaut\u00e9 ! s\u2019exclama Alice.\n\u2013 Et depuis ce jour-l\u00e0, continua le Chapelier d\u2019un ton\nlugubre, le Temps refuse de faire ce que je lui demande ! Il\nest toujours six heures \u00e0 pr\u00e9sent. \n{12}\n \u00bb\nAlice eut une id\u00e9e lumineuse. \u00ab Est-ce pour cela qu\u2019il y\na tant de tasses \u00e0 th\u00e9 sur la table ? demanda-t-elle.\n\u2013 Oui, c\u2019est pour cela, r\u00e9pondit le Chapelier en\nsoupirant ; c\u2019est toujours l\u2019heure du th\u00e9, et nous n\u2019avons\ndonc jamais le temps de faire la vaisselle.\n\u2013 Alors, je suppose que vous faites perp\u00e9tuellement le\ntour de la table ?\n\u2013 Exactement ; \u00e0 mesure que les tasses sont sales.\n\u2013 Mais qu\u2019arrive-t-il quand vous revenez aux premi\u00e8res\ntasses ? se hasarda \u00e0 demander Alice\n\u2013 Si nous changions de sujet de conversation ?\ninterrompit le Li\u00e8vre de Mars en b\u00e2illant. Je commence \u00e0\navoir assez de tout ceci. Je propose que cette jeune fille\nnous raconte une histoire.\n\u2013 J\u2019ai bien peur de ne pas savoir d\u2019histoire \u00bb, dit Alice\nun peu inqui\u00e8te.\n\u00ab En ce cas, le Loir va nous en raconter une ! \u00bbs\u2019\u00e9cri\u00e8rent-ils tous les deux. \u00ab H\u00e9 ! Loir ! R\u00e9veille-toi ! \u00bb Et\nils le pinc\u00e8rent en m\u00eame temps des deux c\u00f4t\u00e9s.\nLe Loir ouvrit lentement les yeux. \u00ab Je ne dormais\npas \u00bb, murmura-t-il d\u2019une voix faible et enrou\u00e9e. \u00ab J\u2019ai\nentendu tout ce que vous disiez, sans en perdre un seul\nmot.\n\u2013 Raconte-nous une histoire ! ordonna le Li\u00e8vre de\nMars.\n\u2013 Oh, oui ! je vous en prie ! dit Alice.\n\u2013 Et t\u00e2che de te d\u00e9p\u00eacher, ajouta le Chapelier ; sans\ncela tu vas te rendormir avant d\u2019avoir fini.\n\u2013 Il \u00e9tait une fois trois petites s\u0153urs, commen\u00e7a le Loir\nen toute h\u00e2te. Elles se nommaient Elsie, Lacie, et Tillie, et\nelles vivaient au fond d\u2019un puits\u2026\n\u2013 De quoi se nourrissaient-elles ? demanda Alice qui\ns\u2019int\u00e9ressait toujours beaucoup au manger et au boire.\n\u2013 Elles se nourrissaient de m\u00e9lasse, r\u00e9pondit le Loir\napr\u00e8s deux minutes de r\u00e9flexion.\n\u2013 Voyons, cela n\u2019est pas possible, fit observer Alice\nd\u2019une voix douce. Elles auraient \u00e9t\u00e9 malades.\n\u2013 Elles \u00e9taient malades, tr\u00e8s malades. \u00bb\nAlice essaya de s\u2019imaginer \u00e0 quoi pourrait bien\nressembler un genre d\u2019existence si extraordinaire, mais\ncela lui cassa tellement la t\u00eate qu\u2019elle pr\u00e9f\u00e9ra continuer \u00e0\nposer des questions : \u00ab Pourquoi vivaient-elles au fond\nd\u2019un puits ?\n\u2013 Prends donc un peu plus de th\u00e9, lui dit le Li\u00e8vre de\nMars le plus s\u00e9rieusement du monde.\n\u2013 Je n\u2019ai encore rien pris, r\u00e9pondit-elle d\u2019un ton offens\u00e9.\nJe ne peux pas prendre quelque chose de plus.\n\u2013 Tu veux dire que tu ne peux pas prendre quelquechose de moins, fit observer le Chapelier ; mais il est tr\u00e8s\nfacile de prendre plus que rien.\n\u2013 Personne ne vous a demand\u00e9 votre avis, r\u00e9pliqua\nAlice.\n\u2013 Qui est-ce qui fait des allusions personnelles, \u00e0\npr\u00e9sent ? \u00bb demanda le Chapelier d\u2019un ton de triomphe.\nAlice ne sut trop que r\u00e9pondre \u00e0 cela. En cons\u00e9quence,\nelle prit un peu de th\u00e9 et de pain beurr\u00e9, puis elle se tourna\nvers le Loir et r\u00e9p\u00e9ta sa question : \u00ab Pourquoi vivaient-elles\nau fond d\u2019un puits ? \u00bb\nDe nouveau le Loir r\u00e9fl\u00e9chit pendant deux bonnes\nminutes. Ensuite il d\u00e9clara : \u00ab C\u2019\u00e9tait un puits de m\u00e9lasse.\n\u2013 Cela n\u2019existe pas ! \u00bb s\u2019\u00e9cria Alice avec col\u00e8re.\nMais le Chapelier et le Li\u00e8vre de Mars firent : \u00ab Chut !\nChut ! \u00bb et le Loir observa d\u2019un ton maussade : \u00ab Si tu ne\npeux pas \u00eatre polie, tu ferais mieux de finir toi-m\u00eame\nl\u2019histoire.\n\u2013 Non ! continuez, je vous en prie ! dit Alice, se faisant\nhumble. Je ne vous interromprai plus. Apr\u00e8s tout, peut-\u00eatre\nqu\u2019il existe un puits de ce genre, un seul.\n\u2013 Un seul, vraiment ! \u00bb s\u2019exclama le Loir d\u2019un ton\nindign\u00e9. N\u00e9anmoins, il consentit \u00e0 continuer : \u00ab Donc, ces\ntrois petites s\u0153urs, vois-tu, elles apprenaient \u00e0 puiser\u2026\n\u2013 Que puisaient-elles ? demanda Alice, oubliant tout \u00e0\nfait sa promesse.\n\u2013 De la m\u00e9lasse, dit le Loir, sans prendre le temps de\nr\u00e9fl\u00e9chir, cette fois.\n\u2013 Je veux une tasse propre, interrompit le Chapelier.\nAvan\u00e7ons tous d\u2019une place. \u00bb\nIl avan\u00e7a tout en parlant, et le Loir le suivit. Le Li\u00e8vre de\nMars prit la place que le Loir venait de quitter, et Alice, un\npeu \u00e0 contrec\u0153ur, prit la place du Li\u00e8vre de Mars. LeChapelier fut le seul \u00e0 profiter du changement ; Alice se\ntrouva bien plus mal install\u00e9e qu\u2019auparavant parce que le\nLi\u00e8vre de Mars venait de renverser la jatte de lait dans son\nassiette.\nNe voulant pas offenser le Loir de nouveau, elle\ncommen\u00e7a \u00e0 dire tr\u00e8s prudemment : \u00ab Mais je ne\ncomprends pas. O\u00f9 puisaient-elles cette m\u00e9lasse ?\n\u2013 On peut puiser de l\u2019eau dans un puits d\u2019eau, r\u00e9pliqua\nle Chapelier. Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait\npas puiser de la m\u00e9lasse, dans un puits de m\u00e9lasse, hein,\npauvre sotte ?\n\u2013 Mais voyons, elles \u00e9taient bien au fond du puits ?\ndemanda Alice au Loir, en jugeant pr\u00e9f\u00e9rable de ne pas\nrelever les deux derniers mots.\n\u2013 Bien s\u00fbr, r\u00e9pliqua le Loir ; et puis, bien au fond. \u00bb\nCette r\u00e9ponse brouilla tellement les id\u00e9es de la pauvre\nAlice, qu\u2019elle laissa le Loir continuer pendant un bon bout\nde temps sans l\u2019interrompre.\n\u00ab Elles apprenaient aussi \u00e0 dessiner, poursuivit-il en\nb\u00e2illant et en se frottant les yeux, car il avait grand\nsommeil ; et elles dessinaient toutes sortes de choses\u2026\ntout ce qui commence par B\u2026\n\u2013 Pourquoi par B ? demanda Alice.\n\u2013 Pourquoi pas ? \u00bb r\u00e9torqua le Li\u00e8vre de Mars.\nAlice ne r\u00e9pondit pas.\nLe Loir avait ferm\u00e9 les yeux, et il commen\u00e7ait \u00e0\nsomnoler ; mais, quand le Chapelier l\u2019eut pinc\u00e9, il s\u2019\u00e9veilla\nen poussant un petit cri aigu et reprit : \u00ab \u2026 qui commence\npar B, tels qu\u2019un bilboquet, une bergamote, la berlue, ou un\nbonnet \u2013 tu sais qu\u2019il y a des expressions telles que \u00ab blanc\nbonnet et bonnet blanc \u00bb \u2013 as-tu jamais vu un dessin\nrepr\u00e9sentant un \u00ab blanc bonnet \u00bb ?\u2013 Vraiment, maintenant que vous m\u2019en parlez, dit Alice,\nqui ne savait plus o\u00f9 elle en \u00e9tait, je ne crois pas que\u2026\n\u2013 En ce cas, tu devrais te taire \u00bb, fit observer le\nChapelier.\nCette grossi\u00e8ret\u00e9 \u00e9tait plus que la fillette n\u2019en pouvait\nsupporter : compl\u00e8tement d\u00e9go\u00fbt\u00e9e, elle se leva et\ns\u2019\u00e9loigna. Le Loir s\u2019endormit imm\u00e9diatement ; les deux\nautres ne pr\u00eat\u00e8rent pas la moindre attention au d\u00e9part\nd\u2019Alice, quoiqu\u2019elle se retourn\u00e2t deux ou trois fois dans\nl\u2019espoir qu\u2019ils la rappelleraient. La derni\u00e8re fois qu\u2019elle lesvit, ils essayaient de plonger le Loir dans la th\u00e9i\u00e8re.\n\u00ab En tout cas, je ne reviendrai jamais par ici ! d\u00e9clara-t-\nelle tout en cheminant dans le bois. C\u2019est le th\u00e9 le plus\nstupide auquel j\u2019aie jamais assist\u00e9 de ma vie ! \u00bb\nComme elle disait ces mots, elle remarqua que l\u2019un des\narbres \u00e9tait muni d\u2019une porte qui permettait d\u2019y p\u00e9n\u00e9trer.\n\u00ab Voil\u00e0 qui est bien curieux ! pensa-t-elle. Mais tout est\ncurieux aujourd\u2019hui. Je crois que je ferais aussi bien\nd\u2019entrer tout de suite. \u00bb Et elle entra.\nUne fois de plus, elle se trouva dans la longue salle, tout\npr\u00e8s de la petite table de verre. \u00ab Cette fois-ci, je vais m\u2019y\nprendre un peu mieux \u00bb, se dit-elle, et elle commen\u00e7a par\ns\u2019emparer de la petite cl\u00e9 d\u2019or et par ouvrir la porte qui\ndonnait sur le jardin. Puis elle se mit \u00e0 grignoter le\nchampignon (dont elle avait gard\u00e9 un morceau dans sa\npoche) jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle n\u2019e\u00fbt plus que trente centim\u00e8tres ;\npuis elle traversa le petit corridor ; et puis\u2026 elle se trouva\nenfin dans le beau jardin, au milieu des parterres de fleurs\naux couleurs vives et des fra\u00eeches fontaines.CHAPITRE VIII \u2013 Le terrain de\ncroquet de la Reine\nUn grand rosier se dressait pr\u00e8s de l\u2019entr\u00e9e du jardin ; il\n\u00e9tait tout couvert de roses blanches, mais trois jardiniers\ns\u2019affairaient \u00e0 les peindre en rouge. Ceci sembla tr\u00e8s\ncurieux \u00e0 Alice qui s\u2019approcha pour les regarder faire, et,\njuste au moment o\u00f9 elle arrivait \u00e0 leur hauteur, elle entendit\nl\u2019un d\u2019eux qui disait :\u00ab Fais donc attention, Cinq ! ne m\u2019\u00e9clabousse pas de\npeinture comme cela !\n\u2013 Je ne l\u2019ai pas fait expr\u00e8s, r\u00e9pondit l\u2019autre d\u2019un ton\nmaussade. C\u2019est Sept qui m\u2019a pouss\u00e9 le coude. \u00bb\nSur quoi, Sept leva les yeux et d\u00e9clara :\n\u00ab C\u2019est cela, ne te g\u00eane pas, Cinq ! Tu pr\u00e9tends\ntoujours que c\u2019est la faute des autres !\n\u2013 Toi, tu ferais mieux de te taire ! r\u00e9pliqua Cinq. Pas\nplus tard qu\u2019hier j\u2019ai entendu la Reine dire que tu m\u00e9ritais\nqu\u2019on te coupe la t\u00eate.\n\u2013 Et pourquoi ? demanda celui qui avait parl\u00e9 le\npremier.\n\u2013 Cela, cela ne te regarde pas, Deux ! r\u00e9pondit Sept.\n\u2013 Parfaitement que cela le regarde ! d\u00e9clara Cinq. Et je\nvais lui dire pourquoi : parce que tu as apport\u00e9 \u00e0 la\ncuisini\u00e8re des oignons de tulipes au lieu d\u2019oignons\nordinaires. \u00bb\nSept jeta son pinceau, et il venait de dire : \u00ab Ma parole,\nde toutes les calomnies\u2026 \u00bb, lorsque ses yeux se pos\u00e8rent\npar hasard sur Alice en train de les regarder. Il s\u2019interrompit\nbrusquement, les deux autres se retourn\u00e8rent, et tous firent\nune profonde r\u00e9v\u00e9rence.\n\u00ab Voudriez-vous me dire, demanda Alice un peu\ntimidement, pourquoi vous peignez ces roses ? \u00bbCinq et Sept rest\u00e8rent muets, et se tourn\u00e8rent vers\nDeux qui commen\u00e7a \u00e0 voix basse :\n\u00ab Ma foi, voyez-vous, mam\u2019selle, pour dire la v\u00e9rit\u00e9\nvraie, ce rosier-l\u00e0, \u00e7\u2019aurait d\u00fb \u00eatre un rosier rouge, et nous\nen avons plant\u00e9 un blanc par erreur\n{13}\n ; et si la Reine venait\n\u00e0 s\u2019en apercevoir, on aurait tous la t\u00eate coup\u00e9e, voyez-\nvous. Aussi, voyez-vous mam\u2019selle, on fait de notre mieux,\navant qu\u2019elle arrive, pour\u2026 \u00bb\n\u00c0 ce moment, Cinq, qui regardait avec anxi\u00e9t\u00e9 vers le\nfond du jardin, se mit \u00e0 crier : \u00ab La Reine ! La Reine ! \u00bb et\nles trois jardiniers se jet\u00e8rent imm\u00e9diatement \u00e0 plat ventre.\nOn entendit un bruit de pas nombreux, et Alice, qui mourait\nd\u2019envie de voir la Reine, se retourna.\nVenaient d\u2019abord, arm\u00e9s de massues en forme d\u2019as de\ntr\u00e8fle, dix soldats ayant le m\u00eame aspect que les trois\njardiniers : plats et rectangulaires, avec des pieds et des\nmains aux quatre coins. Venaient ensuite dix courtisans,\naux habits constell\u00e9s de diamants en forme d\u2019as de\ncarreau, qui marchaient deux par deux comme les soldats.\nApr\u00e8s eux, venaient les enfants royaux ; il y en avait dix, et\nces petits amours avan\u00e7aient par couples, la main dans la\nmain, en sautant gaiement : ils \u00e9taient orn\u00e9s de c\u0153urs de\nla t\u00eate aux pieds. \u00c0 leur suite venaient les invit\u00e9s, pour la\nplupart des Rois et des Reines. Parmi eux Alice reconnut\nle Lapin Blanc : il parlait vite, d\u2019un ton nerveux, en souriant \u00e0\ntout ce qu\u2019on disait, et il passa pr\u00e8s d\u2019Alice sans faire\nattention \u00e0 elle. Derri\u00e8re les invit\u00e9s s\u2019avan\u00e7ait le Valet deC\u0153ur, qui portait la couronne royale sur un coussin de\nvelours rouge ; et, \u00e0 la fin de ce cort\u00e8ge imposant, venaient\nLE ROI ET LA REINE DE C\u0152UR.Alice se demanda si elle ne devrait pas se prosterner\ndevant eux, face contre terre, comme les trois jardiniers ;\nmais elle ne put se rappeler avoir jamais entendu dire que\nc\u2019\u00e9tait la r\u00e8gle quand un cort\u00e8ge passait. \u00ab D\u2019ailleurs,\npensa-t-elle, \u00e0 quoi servirait un cort\u00e8ge, si chacun devait se\nprosterner devant lui, face contre terre, et ne pouvait pas le\nvoir passer ? \u00bb Elle resta donc immobile \u00e0 sa place, et\nattendit.\nQuand ces divers personnages arriv\u00e8rent \u00e0 la hauteur\nd\u2019Alice, tous s\u2019arr\u00eat\u00e8rent pour la regarder, et la Reine\ndemanda d\u2019une voix s\u00e9v\u00e8re : \u00ab Qui est-ce ? \u00bb Elle dit cela\nau Valet de C\u0153ur qui, pour toute r\u00e9ponse, se contenta de\ns\u2019incliner en souriant.\n\u00ab Imb\u00e9cile ! \u00bb s\u2019exclama la Reine, en rejetant la t\u00eate en\narri\u00e8re d\u2019un air impatient. Puis, se tournant vers Alice, elle\ncontinua : \u00ab Comment t\u2019appelles-tu, mon enfant ? \u00bb\n\u00ab Je m\u2019appelle Alice, plaise \u00e0 Votre Majest\u00e9 \u00bb, r\u00e9pondit\nAlice tr\u00e8s poliment. Mais elle ajouta, en elle-m\u00eame :\n\u00ab Apr\u00e8s tout, ces gens-l\u00e0 ne sont qu\u2019un jeu de cartes. Je\nn\u2019ai pas besoin d\u2019avoir peur d\u2019eux. \u00bb\n\u00ab Et qui sont ceux-l\u00e0 ? \u00bb demanda la Reine, en montrant\ndu doigt les trois jardiniers \u00e9tendus autour du rosier ; car,\nvoyez-vous, comme ils \u00e9taient couch\u00e9s le visage contre\nterre et comme le dessin de leur dos \u00e9tait le m\u00eame que\ncelui des autres cartes du jeu, elle ne pouvait distinguer si\nc\u2019\u00e9taient des jardiniers, des courtisans, ou trois de ses\npropres enfants.propres enfants.\n\u00ab Comment voulez-vous que je le sache ? r\u00e9pondit\nAlice, surprise de son courage. Ce n\u2019est pas mon affaire, \u00e0\nmoi. \u00bb\nLa Reine devint \u00e9carlate de fureur, puis, apr\u00e8s avoir\nregard\u00e9 f\u00e9rocement la fillette comme une b\u00eate sauvage,\nelle se mit \u00e0 hurler : \u00ab Qu\u2019on lui coupe la t\u00eate ! Qu\u2019on lui\u2026 \u00bb\u00ab Quelle b\u00eatise ! \u00bb s\u2019exclama Alice d\u2019une voix forte et\nd\u00e9cid\u00e9e, et la Reine se tut.\nLe Roi lui mit la main sur le bras en murmurant\ntimidement : \u00ab R\u00e9fl\u00e9chissez un peu, ma ch\u00e8re amie : ce\nn\u2019est qu\u2019une enfant ! \u00bb\nElle se d\u00e9tourna de lui d\u2019un air courrouc\u00e9, et ordonna au\nValet : \u00ab Retournez-les ! \u00bbLe Valet les retourna, tr\u00e8s prudemment, du bout du\npied.\n\u00ab Debout ! \u00bb cria la Reine d\u2019une voix forte et per\u00e7ante.\nSur ce, les trois jardiniers se dress\u00e8rent d\u2019un bond sans\nplus attendre, et ils se mirent \u00e0 s\u2019incliner devant le Roi, la\nReine, les enfants royaux, et tous les personnages du\ncort\u00e8ge.\n\u00ab Arr\u00eatez ! ordonna la Reine. Vous me donnez le\nvertige. \u00bb Puis, se tournant vers le rosier, elle poursuivit :\n\u00ab Qu\u2019\u00e9tiez-vous donc en train de faire ?\n\u2013 Plaise \u00e0 Votre Majest\u00e9, commen\u00e7a Deux, d\u2019une voix\ntr\u00e8s humble, en mettant un genou en terre, nous\nessayions\u2026\n\u2013 Je comprends ! dit la Reine, qui avait examin\u00e9 les\nroses. Qu\u2019on leur coupe la t\u00eate ! \u00bb\nSur ces mots, le cort\u00e8ge se remit en route, \u00e0 l\u2019exception\nde trois soldats qui rest\u00e8rent en arri\u00e8re pour ex\u00e9cuter les\ninfortun\u00e9s jardiniers, qui se pr\u00e9cipit\u00e8rent vers Alice pour\nimplorer sa protection.\n\u00ab Je ne veux pas qu\u2019on leur coupe la t\u00eate ! \u00bb s\u2019exclama-\nt-elle en les mettant dans un grand pot \u00e0 fleurs qui se\ntrouvait l\u00e0. Les trois soldats les cherch\u00e8rent dans toutes les\ndirections pendant une ou deux minutes, puis ils s\u2019en\nall\u00e8rent tranquillement \u00e0 la suite du cort\u00e8ge.\n\u00ab Est-ce qu\u2019on leur a coup\u00e9 la t\u00eate ? cria la Reine.\u2013 Leur t\u00eate a disparu, plaise \u00e0 Votre Majest\u00e9 !\nr\u00e9pondirent les soldats.\n\u2013 C\u2019est parfait ! brailla la Reine. Sais-tu jouer au\ncroquet ? \u00bb\nLes soldats rest\u00e8rent silencieux et regard\u00e8rent Alice car\nc\u2019\u00e9tait \u00e9videmment \u00e0 elle que s\u2019adressait la question.\n\u00ab Oui ! vocif\u00e9ra-t-elle.\n\u2013 Alors, arrive ! \u00bb hurla la Reine.\nEt Alice se joignit au cort\u00e8ge, en se demandant bien ce\nqui allait se passer ensuite.\nIl\u2026 il fait tr\u00e8s beau aujourd\u2019hui ! murmura une voix\ntimide tout pr\u00e8s d\u2019elle. C\u2019\u00e9tait le Lapin Blanc, qui marchait\n\u00e0 son c\u00f4t\u00e9 et fixait sur elle un regard anxieux.\n\u00ab Tr\u00e8s beau, dit Alice. O\u00f9 est donc la Duchesse ?\n\u2013 Chut ! Chut ! \u00bb murmura vivement le Lapin, en\nregardant derri\u00e8re lui d\u2019un air craintif. Puis, se dressant sur\nla pointe des pieds, il mit sa bouche contre l\u2019oreille d\u2019Alice\net ajouta \u00e0 voix basse :\n\u00ab Elle a \u00e9t\u00e9 condamn\u00e9e \u00e0 avoir la t\u00eate coup\u00e9e.\n\u2013 Quel carnage !\n\u2013 Avez-vous dit : \u00ab Quel dommage ! \u00bb\n\u2013 Non, je ne trouve pas que ce soit du tout dommage.\nMais qu\u2019a-t-elle donc fait ?\u2013 Elle a gifl\u00e9 la Reine\u2026 \u00bb, commen\u00e7a le Lapin.\nComme Alice se mettait \u00e0 rire aux \u00e9clats, il murmura\nd\u2019une voix craintive :\n\u00ab Chut ! je vous en prie ! La Reine va vous entendre !\nVoyez-vous, la Duchesse \u00e9tait arriv\u00e9e en retard, et la Reine\nlui a dit\u2026\n\u2013 Prenez vos places ! \u00bb cria la Reine d\u2019une voix de\ntonnerre.\nSur quoi, tous se mirent \u00e0 courir dans tous les sens, en\nse cognant les uns contre les autres. N\u00e9anmoins, au bout\nd\u2019une ou deux minutes, chacun se trouva \u00e0 son poste et la\npartie commen\u00e7a.\nAlice n\u2019avait jamais vu un terrain de croquet aussi\nbizarre : il \u00e9tait tout en creux et en bosses ; les boules\n\u00e9taient des h\u00e9rissons vivants ; les maillets, des flamants\nvivants ; et les soldats devaient se courber en deux, pieds\net mains plac\u00e9s sur le sol, pour former les arceaux.\nD\u00e8s le d\u00e9but, Alice trouva que le plus difficile \u00e9tait de se\nservir de son flamant : elle arrivait sans trop de mal \u00e0 le\ntenir \u00e0 plein corps sous son bras, les pattes pendantes,\nmais, g\u00e9n\u00e9ralement, au moment pr\u00e9cis o\u00f9, apr\u00e8s lui avoir\nmis le cou bien droit, elle s\u2019appr\u00eatait \u00e0 cogner sur le\nh\u00e9risson avec sa t\u00eate, le flamant ne manquait pas de se\nretourner et de la regarder bien en face d\u2019un air si intrigu\u00e9\nqu\u2019elle ne pouvait s\u2019emp\u00eacher de rire ; d\u2019autre part, quand\nelle lui avait fait baisser la t\u00eate et s\u2019appr\u00eatait \u00e0recommencer, elle trouvait on ne peut plus exasp\u00e9rant de\ns\u2019apercevoir que le h\u00e9risson s\u2019\u00e9tait d\u00e9roul\u00e9 et s\u2019\u00e9loignait\nlentement ; de plus, il y avait presque toujours un creux ou\nune bosse \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 elle se proposait d\u2019envoyer le\nh\u00e9risson ; et comme, en outre, les soldats courb\u00e9s en deux\nn\u2019arr\u00eataient pas de se redresser pour s\u2019en aller vers\nd\u2019autres parties du terrain, Alice en vint bient\u00f4t \u00e0 conclure\nque c\u2019\u00e9tait vraiment un jeu tr\u00e8s difficile.Les joueurs jouaient tous en m\u00eame temps sans attendre\nleur tour ; ils se disputaient sans arr\u00eat et s\u2019arrachaient les\nh\u00e9rissons. Au bout d\u2019un instant, la Reine, entrant dans une\nfurieuse col\u00e8re, parcourut le terrain en tapant du pied et en\ncriant : \u00ab Qu\u2019on lui coupe la t\u00eate ! Qu\u2019on lui coupe la t\u00eate ! \u00bb\n\u00e0 peu pr\u00e8s une fois par minute.\nAlice commen\u00e7ait \u00e0 se sentir tr\u00e8s inqui\u00e8te ; \u00e0 vrai dire,\nelle ne s\u2019\u00e9tait pas encore disput\u00e9e avec la Reine, mais elle\nsavait que cela pouvait arriver d\u2019un moment \u00e0 l\u2019autre. \u00ab Et\ndans ce cas, pensait-elle, qu\u2019est-ce que je deviendrais ? Ils\nsont terribles, avec leur manie de couper la t\u00eate aux gens ;\nce qui est vraiment extraordinaire, c\u2019est qu\u2019il y ait encore\ndes survivants ! \u00bb\nElle \u00e9tait en train de regarder autour d\u2019elle pour voir s\u2019il\ny avait moyen de s\u2019\u00e9chapper, en se demandant si elle\npourrait s\u2019\u00e9loigner sans qu\u2019on s\u2019en aper\u00e7\u00fbt, lorsqu\u2019elle\nremarqua une curieuse apparition dans l\u2019air. Elle fut tout\nd\u2019abord intrigu\u00e9e, car elle n\u2019arrivait pas \u00e0 distinguer ce que\nc\u2019\u00e9tait, mais, apr\u00e8s avoir regard\u00e9 attentivement pendant\nune ou deux minutes, elle comprit que c\u2019\u00e9tait un sourire, et\nelle pensa : \u00ab C\u2019est le Chat du Cheshire : je vais enfin\npouvoir parler \u00e0 quelqu\u2019un. \u00bb\n\u00ab Comment vas-tu ? \u00bb dit le Chat, d\u00e8s qu\u2019il eut assez de\nbouche pour parler.\nAlice attendit l\u2019apparition de ses yeux pour le saluer\nd\u2019un signe de t\u00eate. \u00ab Il est inutile de lui parler, pensa-t-elle,\navant que ses oreilles ne se montrent, du moins une desavant que ses oreilles ne se montrent, du moins une des\ndeux. \u00bb Au bout d\u2019une minute, toute la t\u00eate \u00e9tait visible ;\nAlice posa alors son flamant et se mit \u00e0 lui raconter la\npartie de croquet, tout heureuse d\u2019avoir quelqu\u2019un qui voul\u00fbt\nbien l\u2019\u00e9couter. Le Chat jugea sans doute qu\u2019on voyait une\npartie suffisante de sa personne, et il n\u2019en apparut pas\ndavantage.\n\u00ab Je trouve qu\u2019ils ne jouent pas du tout honn\u00eatement,\ncommen\u00e7a-t-elle d\u2019un ton assez m\u00e9content ; et ils se\ndisputent d\u2019une fa\u00e7on si \u00e9pouvantable qu\u2019on ne peut pas\ns\u2019entendre parler ; et on dirait qu\u2019il n\u2019y a aucune r\u00e8gle du jeu\n(en tout cas, s\u2019il y en a, personne ne les suit) ; et vous ne\npouvez pas vous imaginer combien c\u2019est d\u00e9concertant\nd\u2019avoir affaire \u00e0 des accessoires vivants : par exemple,\nl\u2019arceau sous lequel doit passer ma boule est en train de\nse promener \u00e0 l\u2019autre bout du terrain, et je suis s\u00fbre que\nj\u2019aurais croqu\u00e9 le h\u00e9risson de la Reine il y a un instant,\nmais il s\u2019est enfui en voyant arriver le mien !\n\u2013 Que penses-tu de la Reine ? \u00bb demanda le Chat \u00e0\nvoix basse.\n\u2013 Elle ne me pla\u00eet pas du tout ; elle est tellement\u2026 \u2013\nJuste \u00e0 ce moment, elle s\u2019aper\u00e7ut que la Reine \u00e9tait tout\npr\u00e8s derri\u00e8re eux, en train d\u2019\u00e9couter ; c\u2019est pourquoi elle\ncontinua ainsi, \u2013\u2026 s\u00fbre de gagner \u00e0 ce jeu que c\u2019est\npresque inutile de finir la partie. \u00bb\nLa Reine passa son chemin en souriant.\n\u00ab \u00c0 qui diable parles-tu ? demanda le Roi, ens\u2019approchant d\u2019Alice et en regardant la t\u00eate du Chat avec\nbeaucoup de curiosit\u00e9.\n\u2013 \u00c0 l\u2019un de mes amis\u2026 un Chat du Cheshire.\nPermettez-moi de vous le pr\u00e9senter.\n\u2013 Je n\u2019aime pas du tout sa mine, d\u00e9clara le Roi.\nN\u00e9anmoins, je l\u2019autorise \u00e0 me baiser la main, s\u2019il le d\u00e9sire.\n\u2013 J\u2019aime mieux pas, riposta le Chat.\n\u2013 Ne faites pas l\u2019impertinent, dit le Roi. Et ne me\nregardez pas comme cela ! ajouta-t-il en se mettant\nderri\u00e8re Alice.\n\u2013 Un chat peut bien regarder un roi, fit-elle observer.\nJ\u2019ai lu cela dans un livre, je ne me rappelle plus o\u00f9.\n\u2013 C\u2019est possible, mais il faut le faire dispara\u00eetre \u00bb,\naffirma le Roi d\u2019un ton d\u00e9cid\u00e9. Puis il cria \u00e0 la Reine qui se\ntrouvait \u00e0 passer \u00e0 ce moment : \u00ab Ma ch\u00e8re amie, je\nvoudrais bien que vous fassiez dispara\u00eetre ce chat ! \u00bb\nLa Reine ne connaissait qu\u2019une seule fa\u00e7on de\nr\u00e9soudre toutes les difficult\u00e9s. \u00ab Qu\u2019on lui coupe la t\u00eate ! \u00bb\ncria-t-elle, sans m\u00eame se retourner.\n\u00ab Je vais aller chercher le bourreau moi-m\u00eame \u00bb, dit le\nRoi avec empressement. Et il s\u2019\u00e9loigna en toute h\u00e2te.\nAlice pensa qu\u2019elle ferait tout aussi bien de rejoindre les\njoueurs pour voir o\u00f9 en \u00e9tait la partie, car elle entendait\ndans le lointain la voix de la Reine qui hurlait de col\u00e8re. Elle\nl\u2019avait d\u00e9j\u00e0 entendue condamner trois des joueurs \u00e0 avoirla t\u00eate coup\u00e9e parce qu\u2019ils avaient laiss\u00e9 passer leur tour,\net elle n\u2019aimait pas du tout la tournure que prenaient les\n\u00e9v\u00e8nements, car la partie \u00e9tait tellement embrouill\u00e9e qu\u2019elle\nne savait jamais si c\u2019\u00e9tait son tour ou non de jouer. En\ncons\u00e9quence, elle se mit \u00e0 la recherche de son h\u00e9risson.\nCelui-ci livrait bataille \u00e0 un autre h\u00e9risson, et Alice vit l\u00e0\nune excellente occasion d\u2019utiliser l\u2019un pour croquer l\u2019autre :\nle seul ennui \u00e9tait que son flamant se trouvait \u00e0 l\u2019autre\nextr\u00e9mit\u00e9 du jardin, o\u00f9 elle pouvait le voir qui essayait\nvainement de s\u2019envoler pour se percher sur un arbre.\nAvant qu\u2019elle n\u2019e\u00fbt attrap\u00e9 et ramen\u00e9 le flamant, la\nbataille \u00e9tait termin\u00e9e, et les deux h\u00e9rissons avaient\ndisparu. \u00ab Mais cela n\u2019a pas une grande importance,\npensa-t-elle, puisqu\u2019il ne reste plus un seul arceau de ce\nc\u00f4t\u00e9-ci du terrain. \u00bb Elle fourra donc le flamant sous son\nbras pour l\u2019emp\u00eacher de s\u2019\u00e9chapper de nouveau, puis\nrevint vers son ami pour continuer la conversation.\nQuand elle arriva \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 se trouvait le Chat du\nCheshire, elle fut fort \u00e9tonn\u00e9e de voir qu\u2019une foule\nnombreuse l\u2019entourait : le bourreau, le Roi et la Reine se\ndisputaient, en parlant tous \u00e0 la fois, tandis que le reste de\nl\u2019assistance se taisait d\u2019un air extr\u00eamement g\u00ean\u00e9.D\u00e8s qu\u2019Alice apparut, les trois personnages firent appel\n\u00e0 elle pour r\u00e9gler le diff\u00e9rend. Chacun lui exposa ses\narguments, mais, comme ils parlaient tous \u00e0 la fois, elle eut\nbeaucoup de mal \u00e0 comprendre exactement ce qu\u2019ils\ndisaient.\nLe bourreau d\u00e9clarait qu\u2019il \u00e9tait impossible de couper\nune t\u00eate s\u2019il n\u2019y avait pas un corps dont on p\u00fbt la s\u00e9parer,\nqu\u2019il n\u2019avait jamais rien fait de semblable jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent,\net qu\u2019il n\u2019allait s\u00fbrement pas commencer \u00e0 son \u00e2ge.\nLe Roi d\u00e9clarait que tout ce qui avait une t\u00eate pouvait\n\u00eatre d\u00e9capit\u00e9, et qu\u2019il ne fallait pas raconter de b\u00eatises.\nLa Reine d\u00e9clarait que si on ne prenait pas une\nd\u00e9cision imm\u00e9diatement, elle ferait ex\u00e9cuter tout le monde\nautour d\u2019elle. (Cette derni\u00e8re remarque expliquait l\u2019air\ngrave et inquiet de l\u2019assistance.)\nAlice ne put trouver autre chose \u00e0 dire que ceci : \u00ab Le\nChat appartient \u00e0 la Duchesse ; c\u2019est \u00e0 elle que vous feriez\nmieux de vous adresser. \u00bb\n\u00ab Elle est en prison, dit la Reine au bourreau. Allez la\nchercher et amenez-la ici. \u00bb Sur ces mots, le bourreau fila\ncomme une fl\u00e8che.\nD\u00e8s qu\u2019il fut parti, la t\u00eate du Chat commen\u00e7a \u00e0\ns\u2019\u00e9vanouir ; et, avant que le bourreau ne f\u00fbt revenu avec la\nDuchesse, elle avait compl\u00e8tement disparu ; le Roi et le\nbourreau se mirent \u00e0 courir comme des fous dans tous les\nsens pour la retrouver, et le reste de l\u2019assistance s\u2019en allareprendre la partie interrompue.CHAPITRE IX \u2013 Histoire de la\nSimili-Tortue\nTu ne saurais croire combien je suis heureuse de te\nrevoir, ma ch\u00e8re ! dit la Duchesse, tout en glissant\naffectueusement son bras sous celui d\u2019Alice et en\ns\u2019\u00e9loignant avec elle.\nAlice fut enchant\u00e9e de la trouver de si charmante\nhumeur et elle pensa que c\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre le poivre qui\nl\u2019avait rendue si furieuse lorsqu\u2019elle l\u2019avait vue pour la\npremi\u00e8re fois dans la cuisine.\n\u00ab Moi, quand je serai Duchesse, pensa-t-elle (mais\nsans sa faire beaucoup d\u2019illusions), je n\u2019aurai pas un seul\ngrain de poivre dans ma cuisine. La soupe est tout aussi\nbonne sans\u2026 Peut-\u00eatre que c\u2019est toujours le poivre qui\nrend les gens furieux, continua-t-elle, ravie d\u2019avoir\nd\u00e9couvert une nouvelle r\u00e8gle, et le vinaigre qui les rend\naigres\u2026, et la camomille qui les rend amers\u2026, et\u2026 et le\nsucre d\u2019orge et les friandises qui rendent les enfants doux\net aimables. Je voudrais bien que tout le monde sache\ncela, parce que, alors, les gens seraient moins avares de\nsucreries\u2026 \u00bb\nAyant compl\u00e8tement oubli\u00e9 l\u2019existence de la Duchesse,\nelle fut un peu saisie en entendant sa voix tout pr\u00e8s de son\noreille :\u00ab Ma ch\u00e8re enfant, tu es en train de penser \u00e0 une chose\nqui te fait oublier de parler. Pour l\u2019instant je ne peux pas te\ndire quelle est la morale \u00e0 tirer de ce fait, mais je m\u2019en\nsouviendrai dans un instant.\n\u2013 Peut-\u00eatre qu\u2019il n\u2019y a pas de morale \u00e0 en tirer, risqua\nAlice.\n\u2013 Allons donc ! s\u2019exclama la Duchesse, on peut tirer une\nmorale de tout : il suffit de la trouver. \u00bb. Et, en disant cela,\nelle se pressait de plus en plus \u00e9troitement contre Alice.Alice n\u2019aimait pas du tout avoir la Duchesse si pr\u00e8s\nd\u2019elle : d\u2019abord parce qu\u2019elle \u00e9tait vraiment tr\u00e8s laide ;\nensuite, parce qu\u2019elle avait exactement la taille qu\u2019il fallait\npour pouvoir appuyer son menton sur l\u2019\u00e9paule d\u2019Alice, et\nc\u2019\u00e9tait un menton d\u00e9sagr\u00e9ablement pointu. N\u00e9anmoins,\ncomme elle ne voulait pas \u00eatre grossi\u00e8re, elle supporta de\nson mieux ce d\u00e9sagr\u00e9ment.\n\u00ab On dirait que la partie marche un peu mieux, fit-elle\nobserver.\n\u2013 C\u2019est exact. Et la morale de ce fait est : \u00ab Oh ! c\u2019est\nl\u2019amour, l\u2019amour, qui fait tourner la terre ! \u00bb\n\u2013 Quelqu\u2019un a dit, murmura Alice, que la terre tournait\nbien quand chacun s\u2019occupait de ses affaires !\n\u2013 Ma foi ! cela revient \u00e0 peu pr\u00e8s au m\u00eame \u00bb, dit la\nDuchesse en lui enfon\u00e7ant son petit menton pointu dans\nl\u2019\u00e9paule. Puis elle ajouta : \u00ab Et la morale de ce fait est :\n\u00ab Occupez-vous du sens, et les mots s\u2019occuperont d\u2019eux-\nm\u00eames. \u00bb \u00bb\n\u00ab Quelle manie elle a de tirer une morale de tout ! \u00bb\npensa Alice.\n\u00ab Je parie que tu te demandes pourquoi je ne mets pas\nmon bras autour de ta taille, reprit la Duchesse apr\u00e8s un\nmoment de silence. C\u2019est parce que je ne suis pas s\u00fbre de\nl\u2019humeur de ton flamant. Faut-il que je tente l\u2019exp\u00e9rience ?\n\u2013 Il pourrait vous piquer d\u2019un coup de bec, dit\nprudemment Alice qui ne tenait pas du tout \u00e0 la voir tenter\nl\u2019exp\u00e9rience.\n\u2013 Tout \u00e0 fait exact. Les flamants et la moutarde piquent\n\u00e9galement. Et la morale de ce fait est : \u00ab Qui se ressemble,\ns\u2019assemble. \u00bb\n\u2013 Mais la moutarde ne ressemble pas \u00e0 un flamant, fit\nremarquer Alice.\n\u2013 Tu as raison, comme d\u2019habitude. Ce que tu exprimes\nclairement les choses !\n\u2013 Il me semble bien que la moutarde est un min\u00e9ral,\npoursuivit Alice.\u2013 Bien s\u00fbr que c\u2019en est un, confirma la Duchesse, qui\nsemblait pr\u00eate \u00e0 approuver toutes les paroles d\u2019Alice. Il y a\nune grande mine de moutarde tout pr\u00e8s d\u2019ici. Et la morale\nde ce fait est : \u00ab Garde-toi tant que tu vivras de juger les\ngens sur la mine. \u00bb\n\u2013 Oh ! je sais ! s\u2019exclama Alice, qui n\u2019avait pas \u00e9cout\u00e9\ncette derni\u00e8re phrase. C\u2019est un v\u00e9g\u00e9tal. Cela n\u2019en a pas\nl\u2019air, mais c\u2019en est un tout de m\u00eame.\n\u2013 Je suis enti\u00e8rement d\u2019accord avec toi, dit la\nDuchesse. Et la morale de ce fait est : \u00ab Sois ce que tu\nveux avoir l\u2019air d\u2019\u00eatre \u00bb ou, pour parler plus clairement :\n\u00ab Ne te crois jamais diff\u00e9rente de ce qui aurait pu para\u00eetre\naux autres que ce que tu \u00e9tais ou aurais pu \u00eatre n\u2019\u00e9tait pas\ndiff\u00e9rent de ce que tu avais \u00e9t\u00e9 qui aurait pu leur para\u00eetre\ndiff\u00e9rent. \u00bb\n\u2013 Je crois, fit observer Alice poliment, que je\ncomprendrais cela beaucoup mieux si je le voyais \u00e9crit ;\nmais je crains de ne pas tr\u00e8s bien vous suivre quand vous\nle dites.\n\u2013 Ce n\u2019est rien \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ce que je pourrais dire si je\nvoulais, r\u00e9pliqua la Duchesse d\u2019un ton satisfait.\n\u2013 Je vous en prie, ne vous donnez pas la peine d\u2019en\ndire plus long, d\u00e9clara Alice.\n\u2013 Oh ! mais cela ne me donnerait aucune peine !\naffirma la Duchesse. Je te fais cadeau de tout ce que j\u2019ai\ndit jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent. \u00bb\n\u00ab Voil\u00e0 un cadeau qui ne lui co\u00fbte pas cher ! pensa\nAlice. Je suis bien contente qu\u2019on ne me donne pas des\ncadeaux d\u2019anniversaire de ce genre ! \u00bb Mais elle ne se\nhasarda pas \u00e0 exprimer cela tout haut.\n\u00ab Encore en train de r\u00e9fl\u00e9chir ? demanda la Duchesse\nen lui enfon\u00e7ant de nouveau son petit menton pointu dans\nl\u2019\u00e9paule.\n\u2013 J\u2019ai bien le droit de r\u00e9fl\u00e9chir, r\u00e9pliqua Alice\ns\u00e8chement, car elle commen\u00e7ait \u00e0 se sentir un peu\nagac\u00e9e.\n\u2013 \u00c0 peu pr\u00e8s autant que les cochons ont le droit devoler, d\u00e9clara la Duchesse. Et la mor\u2026 \u00bb\nMais, \u00e0 cet instant pr\u00e9cis, \u00e0 la grande surprise d\u2019Alice,\nla voix de la Duchesse s\u2019\u00e9teignit au beau milieu de son mot\nfavori : \u00ab morale \u00bb, et le bras qu\u2019elle avait pass\u00e9 sous celui\nde sa compagne se mit \u00e0 trembler. La fillette leva les yeux :\ndevant elles se dressait la Reine, les bras crois\u00e9s, le\nvisage aussi mena\u00e7ant qu\u2019un ciel d\u2019orage.\n\u00ab Belle journ\u00e9e, Votre majest\u00e9 ! commen\u00e7a la\nDuchesse d\u2019une voix faible et basse.\n\u2013 Je ne veux pas vous prendre en tra\u00eetre, hurla la Reine\nen tapant du pied, \u00bb mais je vous avertis d\u2019une chose : ou\nbien vous vous \u00f4tez de l\u00e0, ou bien je vous \u00f4te la t\u00eate, et\ncela en un rien de temps ! Faites votre choix ! \u00bb\nLa Duchesse fit son choix et disparut en un instant.\n\u00ab Continuons la partie \u00bb, dit la Reine \u00e0 Alice qui, trop\neffray\u00e9e pour pouvoir prononcer un mot, la suivit lentement\njusqu\u2019au terrain de croquet.\nLes autres invit\u00e9s avaient profit\u00e9 de l\u2019absence de la\nReine pour se reposer \u00e0 l\u2019ombre ; mais, d\u00e8s qu\u2019ils la virent\narriver, ils se h\u00e2t\u00e8rent de reprendre la partie, tandis que Sa\nMajest\u00e9 se contentait de d\u00e9clarer qu\u2019un moment de retard\nleur co\u00fbterait la vie.\nPendant tout le temps que dura la partie, la Reine\nn\u2019arr\u00eata pas de se disputer avec les autres joueurs et de\ncrier : \u00ab Qu\u2019on lui coupe la t\u00eate ! Qu\u2019on lui coupe la t\u00eate ! \u00bb\nCeux qu\u2019elle condamnait \u00e9taient aussit\u00f4t arr\u00eat\u00e9s par les\nsoldats, qui, naturellement, devaient cesser d\u2019\u00eatre des\narceaux pour pouvoir proc\u00e9der aux arrestations ; de sorte\nque, au bout d\u2019une demi-heure environ, il ne restait plus\nd\u2019arceaux, et que tous les joueurs, sauf le Roi, la Reine et\nAlice, \u00e9taient arr\u00eat\u00e9s, attendant l\u2019ex\u00e9cution de la sentence.\nAlors la Reine s\u2019arr\u00eata, toute hors d\u2019haleine, pour\ndemander \u00e0 Alice :\n\u00ab As-tu d\u00e9j\u00e0 vu la Simili-Tortue ?\n\u2013 Non, je ne sais m\u00eame pas ce qu\u2019est une Simili-Tortue.\n\u2013 C\u2019est ce avec quoi on fait la soupe \u00e0 la Simili-Tortue.\n{14}\u2013 Je n\u2019en ai jamais vu, ni entendu parler.\n\u2013 En ce cas, suis-moi. Elle te racontera son histoire. \u00bb\nTandis qu\u2019elles s\u2019\u00e9loignaient ensemble, Alice entendit\nle Roi dire \u00e0 voix basse \u00e0 toute la soci\u00e9t\u00e9 : \u00ab Je vous fais\ngr\u00e2ce. \u00bb \u00ab Allons, c\u2019est parfait ! \u00bb pensa-t-elle, car le\nnombre des ex\u00e9cutions ordonn\u00e9es par la Reine l\u2019avait\nrendue tr\u00e8s malheureuse.\nBient\u00f4t, elles rencontr\u00e8rent un Griffon qui dormait\nprofond\u00e9ment, \u00e9tendu en plein soleil. (Si vous ne savez pas\nce que c\u2019est qu\u2019un Griffon, regardez l\u2019image.) \u00ab Debout,\nparesseux ! cria la Reine. Am\u00e8ne cette jeune fille \u00e0 la\nSimili-Tortue pour que celle-ci lui raconte son histoire. Il faut\nque j\u2019aille m\u2019occuper de quelques ex\u00e9cutions que j\u2019ai\nordonn\u00e9es. \u00bb Sur ces mots, elle s\u2019\u00e9loigna, laissant Alice\nseule avec le Griffon. L\u2019aspect de cet animal ne lui plaisait\ngu\u00e8re, mais elle se dit que, apr\u00e8s tout, elle serait plus en\ns\u00e9curit\u00e9 en restant pr\u00e8s de lui qu\u2019en suivant cette Reine\nf\u00e9roce : aussi, elle attendit.Le Griffon se leva et se frotta les yeux ; puis il regarda la\nReine jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle e\u00fbt disparu ; alors, il se mit \u00e0 rire\ntout bas. Ce que c\u2019est dr\u00f4le ! dit-il, autant pour Alice que\npour lui-m\u00eame.\n\u00ab Qu\u2019est-ce qui est dr\u00f4le ? demanda Alice\n\u2013 Mais, elle, voyons. Tout cela, elle se l\u2019imagine : en\nr\u00e9alit\u00e9, il n\u2019y a jamais personne d\u2019ex\u00e9cut\u00e9, tu sais. Viens ! \u00bb\n\u00ab Tout le monde ici me dit : \u00ab Viens ! \u00bb, pensa Alice, en\nle suivant lentement. Jamais de ma vie on ne m\u2019a tant\nd\u2019ordres, de ma vie, jamais ! \u00bb\nIls n\u2019\u00e9taient pas all\u00e9s bien loin lorsqu\u2019ils aper\u00e7urent la\nSimili-Tortue \u00e0 quelque distance, assise triste et solitaire\nsur une petite saillie rocheuse, et, \u00e0 mesure qu\u2019ils\napprochaient, Alice pouvait l\u2019entendre soupirer comme si\nson c\u0153ur allait se briser. \u00ab Quelle est la cause de son\nchagrin ? \u00bb demanda-t-elle au Griffon, le c\u0153ur plein de\npiti\u00e9. Et il r\u00e9pondit, presque dans les m\u00eames termes qu\u2019ilavait d\u00e9j\u00e0 employ\u00e9s : \u00ab Tout cela, elle se l\u2019imagine : en\nr\u00e9alit\u00e9, elle n\u2019a aucun motif de chagrin. Viens ! \u00bb\nIls all\u00e8rent donc vers la Simili-Tortue, qui les regarda de\nses grands yeux pleins de larmes, sans souffler mot.\n\u00ab Cette jeune demoiselle qui est ici, expliqua le Griffon,\nvoudrait que tu lui racontes ton histoire, pour s\u00fbr.\n\u2013 Je vais la lui raconter, r\u00e9pondit la Simili-Tortue d\u2019une\nvoix caverneuse. Asseyez-vous tous les deux, et ne\nprononcez pas une seule parole avant que j\u2019aie fini. \u00bbIls s\u2019assirent donc, et personne ne parla pendant\nquelques minutes. Alice pensa : \u00ab Je ne vois pas comment\nelle pourra jamais finir si elle ne commence pas. \u00bb Mais\nelle attendit patiemment.\n\u00ab Autrefois, dit enfin la Simili-Tortue en poussant un\nprofond soupir, j\u2019\u00e9tais une vraie Tortue \u00bb.\nCes paroles furent suivies d\u2019un long silence, rompu\nseulement par un \u00ab Hjckrrh ! \u00bb que poussait le Griffon de\ntemps \u00e0 autre, et par les lourds sanglots incessants de la\nSimili-Tortue. Alice fut sur le point de se lever en disant :\n\u00ab Je vous remercie, madame, de votre int\u00e9ressante\nhistoire \u00bb, mais elle ne put s\u2019emp\u00eacher de penser qu\u2019il\ndevait s\u00fbrement y avoir une suite ; c\u2019est pourquoi elle resta\nassise sans bouger et sans souffler mot. \u00ab Quand nous \u00e9tions petits, reprit finalement la Simili-\nTortue d\u2019une voix plus calme, mais en poussant encore un\nl\u00e9ger sanglot de temps en temps, nous allions \u00e0 l\u2019\u00e9cole\ndans la mer. La ma\u00eetresse \u00e9tait une vieille tortue de mer\u2026\nnous l\u2019appelions la Tortue Grecque\u2026\n\u2013 Pourquoi l\u2019appeliez-vous la Tortue Grecque, puisque\nc\u2019\u00e9tait une tortue de mer ? demanda Alice. J\u2019ai lu quelque\npart que la Tortue Grecque est une tortue d\u2019eau douce.\n\u2013 Nous l\u2019appelions la Tortue Grecque parce qu\u2019elle\nsavait le grec, r\u00e9pondit la Simili-Tortue avec col\u00e8re.\nVraiment, je te trouve bien born\u00e9e.\n\u2013 Tu devrais avoir honte de poser une question aussi\nsimple \u00bb, ajouta le Griffon. Apr\u00e8s quoi, tous deux rest\u00e8rent\nassis en silence, les yeux fix\u00e9s sur la pauvre Alice qui\naurait bien voulu dispara\u00eetre sous terre. Enfin le Griffon dit \u00e0\nla Simili-Tortue : \u00ab Reprends la suite, ma vieille ! T\u00e2che\nque cela ne dure pas toute la journ\u00e9e ! \u00bb\nEt elle continua en ces termes :\n\u00ab Oui, nous allions \u00e0 l\u2019\u00e9cole dans la mer, quoique cela\npuisse te para\u00eetre incroyable\u2026\n\u2013 Je n\u2019ai jamais dit cela ! s\u2019exclama Alice en\nl\u2019interrompant.\n\u2013 Si fait, tu l\u2019as dit ! r\u00e9pliqua la Simili-Tortue.\n\u2013 Tais-toi ! \u00bb ajouta le Griffon, avant qu\u2019Alice ait eu le\ntemps de placer un mot.Apr\u00e8s quoi, la Simili-Tortue reprit la parole :\n\u00ab Nous recevions une excellente \u00e9ducation ; en fait,\nnous allions \u00e0 l\u2019\u00e9cole tous les jours\u2026\n\u2013 Moi aussi, je suis all\u00e9e dans un externat, intervint\nAlice. Vous n\u2019avez pas besoin d\u2019\u00eatre si fi\u00e8re pour si peu.\n\u2013 Il y avait des mati\u00e8res optionnelles suppl\u00e9mentaires, \u00e0\nton \u00e9cole ? demanda la Simili-Tortue d\u2019un ton un peu\nanxieux.\n\u2013 Oui, nous apprenions le fran\u00e7ais et la musique.\n\u2013 Et le blanchissage ?\n\u2013 S\u00fbrement pas ! r\u00e9pondit Alice avec indignation.\n\u2013 Ah ! dans ce cas, ton \u00e9cole n\u2019\u00e9tait pas fameuse,\nd\u00e9clara la Simili-Tortue d\u2019un ton extr\u00eamement soulag\u00e9.\nVois-tu, dans notre \u00e9cole \u00e0 nous, il y avait, au bas des\nfactures : \u00ab Mati\u00e8res optionnelles : fran\u00e7ais, musique, et\nblanchissage. \u00bb\n\u2013 Vous ne deviez gu\u00e8re en avoir besoin, fit observer\nAlice, puisque vous viviez au fond de la mer.\n\u2013 Je n\u2019avais pas les moyens de me payer les mati\u00e8res\noptionnelles, r\u00e9pondit la Simili-Tortue en soupirant. Je ne\nsuivais que les cours ordinaires.\n\u2013 En quoi consistaient-ils ?\n\u2013 Pour commencer, bien entendu, Rire et M\u00e9dire ; puis,\nles diff\u00e9rentes parties de l\u2019Arithm\u00e9tique : Ambition,Distraction, Laidification et D\u00e9rision.\n\u2013 Je n\u2019ai jamais entendu parler de la \u00ab Laidification \u00bb,\nse hasarda \u00e0 dire Alice. Qu\u2019est-ce que cela peut bien\n\u00eatre ? \u00bb\nLe Griffon leva ses deux pattes pour manifester sa\nsurprise.\n\u00ab Comment ! tu n\u2019as jamais entendu parler de\nlaidification ! s\u2019exclama-t-il. Tu sais ce que veut dire le\nverbe \u00ab embellir \u00bb, je suppose ?\n\u2013 Oui, r\u00e9pondit Alice, qui n\u2019en \u00e9tait pas tr\u00e8s s\u00fbre. Cela\nveut dire\u2026 rendre\u2026 quelque chose\u2026 plus beau.\n\u2013 En ce cas, continua le Griffon, si tu ne sais pas ce que\nc\u2019est que \u00ab laidifier \u00bb, tu es une fieff\u00e9e idiote. \u00bb\nNe se sentant pas encourag\u00e9e \u00e0 poser d\u2019autres\nquestions \u00e0 ce sujet, Alice se tourna vers la Simili-Tortue,\net lui demanda :\n\u00ab Qu\u2019est-ce qu\u2019on vous enseignait d\u2019autre ?\n\u2013 Eh bien, il y avait l\u2019Ivoire, r\u00e9pondit la Simili-Tortue en\ncomptant sur ses pattes, l\u2019Ivoire Ancien et l\u2019Ivoire Moderne,\net la M\u00e9rographie. Puis, on nous apprenait \u00e0 L\u00e9siner\u2026 Le\nprofesseur \u00e9tait un vieux congre qui venait une fois par\nsemaine : il nous apprenait \u00e0 L\u00e9siner, \u00e0 Troquer, et \u00e0\nFeindre \u00e0 la Marelle.\n\u2013 Comment faisiez-vous cela : \u00ab Feindre \u00e0 la\nMarelle \u00bb ?\u2013 Ma foi, je ne peux pas te le dire, car je l\u2019ai oubli\u00e9.\nQuant au Griffon, il ne l\u2019a jamais appris.\n\u2013 Pas eu le temps, d\u00e9clara le Griffon. Mais j\u2019\u00e9tudiais les\nclassiques avec un vieux professeur qu\u2019\u00e9tait un vieux\ncrabe.\n\u2013 Je n\u2019ai jamais pu suivre ses cours, poursuivit la Simili-\nTortue en soupirant. On disait qu\u2019il enseignait le Patin et la\nGreffe.\n\u2013 Et c\u2019\u00e9tait bien vrai, oui, bien vrai \u00bb, affirma le Griffon,\nen soupirant \u00e0 son tour.\nSur quoi les deux cr\u00e9atures se cach\u00e8rent le visage dans\nles pattes.\n\u00ab Et combien d\u2019heures de cours aviez-vous par jour ? \u00bb\ndemanda Alice qui avait h\u00e2te de changer de sujet de\nconversation.\n\u2013 Dix heures le premier jour, r\u00e9pondit la Simili-Tortue,\nneuf heures le lendemain, et ainsi de suite en diminuant\nd\u2019une heure par jour.\n\u2013 Quelle dr\u00f4le de m\u00e9thode ! s\u2019exclama Alice.\n\u2013 C\u2019est pour cette raison qu\u2019on appelle cela des cours,\nfit observer le Griffon : parce qu\u2019ils deviennent chaque jour\nplus courts \u00bb\nC\u2019\u00e9tait l\u00e0 une id\u00e9e tout \u00e0 fait nouvelle pour Alice, et elle\ny r\u00e9fl\u00e9chit un moment avant de demander :\u00ab Mais alors, le onzi\u00e8me jour \u00e9tait un jour de cong\u00e9 ?\n\u2013 Naturellement, dit la Simili-Tortue.\n\u2013 Et que faisiez-vous le douzi\u00e8me jour ? continua Alice\nvivement.\n\u2013 Cela suffit pour les cours, d\u00e9clara le Griffon d\u2019une voix\ntranchante. Parle-lui un peu des jeux \u00e0 pr\u00e9sent. \u00bbCHAPITRE X \u2013 Le quadrille\ndes homards\nLa Simili-Tortue poussa un profond soupir et s\u2019essuya\nles yeux du revers d\u2019une de ses pattes. Elle regarda Alice\net s\u2019effor\u00e7a de parler, mais, pendant une ou deux minutes,\nles sanglots \u00e9touff\u00e8rent sa voix. \u00ab Pareil que si elle avait\nune ar\u00eate dans la gorge \u00bb, dit le Griffon. Et il se mit en\ndevoir de la secouer et de lui taper dans le dos.\nFinalement, la Simili-Tortue retrouva la parole, et tandis\nque les larmes ruisselaient sur ses joues, elle reprit en ces\ntermes :\n\u00ab Tu n\u2019as sans doute pas beaucoup v\u00e9cu dans la mer\u2026\n\u2013 Non, en effet, dit Alice.\n\u2013\u2026 et peut-\u00eatre que tu n\u2019as jamais \u00e9t\u00e9 pr\u00e9sent\u00e9e \u00e0 un\nhomard\u2026\n\u2013 J\u2019ai go\u00fbt\u00e9 une fois\u2026 commen\u00e7a Alice. Mais elle\ns\u2019interrompit brusquement et dit : Non, jamais\n\u2013\u2026 de sorte que tu ne peux pas savoir combien le\nquadrille des homards est une chose charmante !\n\u2013 Certainement pas, d\u00e9clara Alice. Quel genre de\ndanse cela peut-il bien \u00eatre ?\n\u2013 Eh bien, expliqua le Griffon, on commence par\ns\u2019aligner sur un rang au bord de la mer\u2026\u2013 Sur deux rangs ! s\u2019\u00e9cria la Simili-Tortue. Tous tant\nqu\u2019on est : les phoques, les tortues, le saumon, etc.\nEnsuite, quand on a d\u00e9blay\u00e9 le terrain des m\u00e9duses qui\nl\u2019encombrent\u2026\n\u2013 Et cela, cela prend g\u00e9n\u00e9ralement pas mal de temps,\ninterrompit le Griffon.\n\u2013\u2026 on fait deux pas en avant\u2026\n\u2013 Avec, chacun, un homard pour cavalier ! s\u2019\u00e9cria le\nGriffon.\n\u2013 Naturellement ! Donc, on fait deux pas en avant vers\nson cavalier\u2026\n\u2013\u2026 puis on change de homard, et on fait deux pas en\narri\u00e8re, continua le Griffon.\n\u2013 Apr\u00e8s cela, vois-tu, reprit la Simili-Tortue, on jette\nles\u2026\n\u2013 Les homards ! \u00bb cria le Griffon, en bondissant tr\u00e8s\nhaut.\n\u2013\u2026 aussi loin que possible dans la mer\u2026\n\u2013 On nage \u00e0 leur poursuite ! hurla le Griffon.\n\u2013 On fait un saut p\u00e9rilleux dans la mer ! vocif\u00e9ra la\nSimili-Tortue, tout en cabriolant comme une folle.\n\u2013 On change de nouveau de homard ! brailla le Griffon.\n\u2013 On revient sur le rivage, et\u2026 et c\u2019est tout pour la\npremi\u00e8re figure \u00bb, dit la Simili-Tortue en baissantbrusquement la voix.\nPuis, les deux cr\u00e9atures, qui n\u2019avaient pas cess\u00e9 de\nbondir dans toutes les directions d\u2019une mani\u00e8re\nd\u00e9sordonn\u00e9e, se rassirent, tr\u00e8s tristes et tr\u00e8s calmes, et\nregard\u00e8rent Alice.\n\u00ab Cela doit-\u00eatre une tr\u00e8s jolie danse, dit-elle,\nimpressionn\u00e9e.\n\u2013 Veux-tu qu\u2019on te montre un peu comment cela se\ndanse ? demanda la Simili-Tortue.\n\u2013 J\u2019en serais ravie, r\u00e9pondit Alice.\n\u2013 Essayons la premi\u00e8re figure ! dit la Simili-Tortue au\nGriffon. Apr\u00e8s tout, on peut tr\u00e8s bien se passer de\nhomards. Qui va chanter ?\n\u2013 Oh, chante, toi, r\u00e9pondit le Griffon. Moi j\u2019ai oubli\u00e9 les\nparoles. \u00bbL\u00e0-dessus, ils commenc\u00e8rent gravement \u00e0 danser en\nrond autour d\u2019Alice, lui marchant de temps \u00e0 autre sur les\norteils quand ils passaient trop pr\u00e8s d\u2019elle, et battant la\nmesure avec leurs pattes de devant, tandis que la Simili-\nTortue chantait ceci d\u2019une voix lente et triste :\n{15}\nLe merlan dit \u00e0 l\u2019escargot : \u00ab Pourriez-vous vous\npresser un peu ?\nIl y a un marsouin, juste derri\u00e8re nous, qui me marche\nsur la queue.\nVoyez avec quelle impatience les homards et les\ntortues s\u2019avancent !\nIls attendent sur les galets\u2026 Voulez-vous entrer dans\nla danse ?\nVoulez-vous, ne voulez-vous pas, voulez-vous, ne\nvoulez-vous pas, voulez-vous entrer dans la danse ?\nVoulez-vous, ne voulez-vous pas, voulez-vous, ne\nvoulez-vous pas, ne voulez-vous pas entrer dans la\ndanse ?\nVous n\u2019avez pas la moindre id\u00e9e du plaisir que cela\npeut faire\nLorsqu\u2019on vous prend et qu\u2019on vous jette, avec les\nhomards \u00e0 la mer ! \u00bb\nL\u2019escargot r\u00e9pondit : \u00ab Trop loin, trop loin ! et, le toisant\navec m\u00e9fiance,Dit qu\u2019il remerciait le merlan, mais qu\u2019il ne voulait pas\nentrer dans la danse.\nNe voulait pas, ne pouvait pas, ne voulait pas, ne\npouvait pas, ne voulait pas entrer dans la danse.\nNe voulait pas, ne pouvait pas, ne voulait pas, ne\npouvait pas, ne pouvait pas entrer dans la danse. \u00bb\nSon \u00e9cailleux ami lui r\u00e9pondit : Qu\u2019importe la\ndistance ?\nIl y a un autre rivage, vous savez, une autre\nesp\u00e9rance.\nPlus on s\u2019\u00e9loigne de l\u2019Angleterre, plus on s\u2019approche\nde la France\u2026\nNe p\u00e2lissez donc pas, bien-aim\u00e9 escargot, entrez\nplut\u00f4t dans la danse.\n \nVoulez-vous, ne voulez-vous pas, voulez-vous, ne\nvoulez-vous pas, voulez-vous entrer dans la danse ?\nVoulez-vous, ne voulez-vous pas, voulez-vous, ne\nvoulez-vous pas, ne voulez-vous pas entrer dans la\ndanse ?\n\u00ab Je vous remercie, c\u2019est tr\u00e8s int\u00e9ressant \u00e0 voir danser,\nd\u00e9clara Alice, qui \u00e9tait tout heureuse que ce f\u00fbt enfin\ntermin\u00e9. J\u2019aime \u00e9norm\u00e9ment cette curieuse chanson du\nmerlan !\u2013 Oh, pour ce qui est des merlans, dit la Simili-Tortue,\nils\u2026 Tu as d\u00e9j\u00e0 vu des merlans, naturellement ?\n\u2013 Oui, r\u00e9pondit Alice, j\u2019en ai vu souvent \u00e0 d\u00e9j\u2026 Elle\ns\u2019interrompit brusquement.\n\u2013 J\u2019ignore o\u00f9 D\u00e9j peut bien se trouver, d\u00e9clara la Simili-\nTortue, mais si tu en as vu souvent, tu dois savoir comment\nils sont faits.\n\u2013 Il me semble bien que oui, r\u00e9pondit Alice, en\nr\u00e9fl\u00e9chissant. Ils ont la queue dans la bouche\u2026 et ils sont\ntout couverts de chapelure.\n\u2013 Pour ce qui est de la chapelure, tu te trompes, fit\nobserver la Simili-Tortue ; elle serait emport\u00e9e par l\u2019eau\ndans la mer. Mais il est exact qu\u2019ils ont la queue dans la\nbouche ; et voici pourquoi\u2026 \u00bb\nElle se mit \u00e0 b\u00e2iller et ferma les yeux :\n\u00ab Explique-lui pourquoi, et raconte-lui tout le reste, dit-\nelle au Griffon.\n\u2013 Voici pourquoi, reprit ce dernier. Ils ont voulu\nabsolument aller danser avec les homards. En\ncons\u00e9quence, ils ont \u00e9t\u00e9 jet\u00e9s \u00e0 la mer. En cons\u00e9quence, il\na fallu qu\u2019ils tombent tr\u00e8s loin. En cons\u00e9quence, ils se sont\nmis la queue dans la bouche aussi ferme que possible. En\ncons\u00e9quence, ils n\u2019ont pas pu la retirer. C\u2019est tout.\n\u2013 Je vous remercie, d\u00e9clara Alice ; c\u2019est vraiment tr\u00e8s\nint\u00e9ressant. Jamais je n\u2019avais appris tant de choses sur lesmerlans.\n\u2013 Si cela t\u2019amuse, je peux t\u2019en dire bien davantage,\naffirma le Griffon. Sais-tu \u00e0 quoi servent les merlans ?\n\u2013 Je ne me le suis jamais demand\u00e9. \u00c0 quoi servent-ils ?\n\u2013 Ils font les bottines et les souliers \u00bb, d\u00e9clara le Griffon\navec la plus profonde gravit\u00e9.\nAlice fut compl\u00e8tement d\u00e9concert\u00e9e.\n\u00ab Ils font les bottines et les souliers ! \u00bb r\u00e9p\u00e9ta-t-elle d\u2019un\nton stup\u00e9fait.\n\u00ab Voyons, avec quoi fait-on tes chaussures d\u2019\u00e9t\u00e9 ?\ndemanda le Griffon. Je veux dire : avec quoi les blanchit-\non ? \u00bb\nAlice r\u00e9fl\u00e9chit un moment avant de r\u00e9pondre :\n\u00ab Je crois bien qu\u2019on le fait avec du blanc d\u2019Espagne.\n\u2013 Bon ! dit le Griffon d\u2019une voix grave. Eh bien, les\nchaussures, au fond de la mer, on les fait avec du blanc de\nmerlan qui, tu ne l\u2019ignores pas, est un poisson blanc !\n\u2013 Et qui est-ce qui les fabrique ? demanda Alice d\u2019un\nton plein de curiosit\u00e9.\n\u2013 L\u2019aiguille de mer et le requin-marteau, bien entendu,\nr\u00e9pondit le Griffon, non sans impatience ; la moindre\ncrevette aurait pu te dire cela !\n\u2013 Si j\u2019avais \u00e9t\u00e9 \u00e0 la place du merlan, d\u00e9clara Alice, qui\npensait encore \u00e0 la chanson, j\u2019aurais dit au marsouin : \u00ab Enarri\u00e8re, s\u2019il vous pla\u00eet ! Nous ne voulons pas \u00eatre press\u00e9s\nainsi par vous ! \u00bb\n\u2013 Ils \u00e9taient oblig\u00e9s de l\u2019avoir avec eux, dit la Simili-\nTortue ; aucun poisson dou\u00e9 de bon sens n\u2019irait o\u00f9 que ce\nf\u00fbt sans un marsouin.\n\u2013 Vraiment ! s\u2019exclama Alice d\u2019un ton stup\u00e9fait.\n\u2013 Bien s\u00fbr que non. Vois-tu, si un poisson venait me\ntrouver, moi, et me disait qu\u2019il va partir en voyage, je lui\ndemanderais : \u00ab Avec quel marsouin ? \u00bb\n\u2013 N\u2019est-ce pas un autre mot que \u00ab marsouin \u00bb que vous\nvoulez dire ?\n\u2013 Je veux dire ce que je dis \u00bb, r\u00e9pliqua la Simili-Tortue\nd\u2019un ton offens\u00e9. Et le Griffon ajouta : \u00ab Allons, \u00e0 pr\u00e9sent,\nc\u2019est ton tour de nous raconter tes aventures.\n\u2013 Je peux vous raconter les aventures qui me sont\narriv\u00e9es depuis ce matin, dit Alice assez timidement ; mais\nil est inutile que je remonte jusqu\u2019\u00e0 hier, car, alors, j\u2019\u00e9tais\ntout \u00e0 fait diff\u00e9rente de ce que je suis aujourd\u2019hui\u2026\n\u2013 Explique-nous cela, demanda la Simili-Tortue.\n\u2013 Non, non ! les aventures d\u2019abord ! intervint le Griffon\nd\u2019un ton impatient. Les explications prennent beaucoup\ntrop de temps. \u00bb\nAlice commen\u00e7a donc \u00e0 leur raconter ses aventures \u00e0\npartir du moment o\u00f9 elle avait rencontr\u00e9 le Lapin Blanc. Au\nd\u00e9but, elle se sentit un peu intimid\u00e9e, car les deuxcr\u00e9atures, qui s\u2019\u00e9taient mises contre elle, une de chaque\nc\u00f4t\u00e9, ouvraient de tr\u00e8s grands yeux et une tr\u00e8s grande\nbouche ; mais elle prit courage \u00e0 mesure qu\u2019elle avan\u00e7ait\ndans son r\u00e9cit. Ses auditeurs observ\u00e8rent un silence\ncomplet, mais, lorsqu\u2019elle arriva \u00e0 sa rencontre avec la\nChenille, lorsqu\u2019elle eut racont\u00e9 comment elle avait essay\u00e9\nde r\u00e9citer : \u00ab Vous \u00eates vieux, P\u00e8re William \u00bb, et comment\nles mots \u00e9taient venus tout diff\u00e9rents de ce qu\u2019ils \u00e9taient en\nr\u00e9alit\u00e9, la Simili-Tortue respira profond\u00e9ment et dit :\n\u00ab Voil\u00e0 qui est bien curieux.\n\u2013 Je n\u2019ai jamais entendu rien d\u2019aussi curieux, d\u00e9clara le\nGriffon.\u2013 C\u2019est venu tout diff\u00e9rent de ce que c\u2019est en r\u00e9alit\u00e9 !\u2026\nr\u00e9p\u00e9ta pensivement la Simili-Tortue. J\u2019aimerais bien\nqu\u2019elle me r\u00e9cite quelque chose. Dis-lui de commencer tout\nde suite, demanda-t-elle au Griffon, comme si elle croyait\nqu\u2019il avait une autorit\u00e9 particuli\u00e8re sur Alice.\n\u2013 L\u00e8ve-toi et r\u00e9cite : \u00ab \nC\u2019est la voix du flemmard\n \u00bb \u00bb,\nordonna-t-il.\n\u00ab Comme ces cr\u00e9atures aiment vous commander et\nvous faire r\u00e9citer des le\u00e7ons ! pensa Alice. Vraiment, j\u2019ai\nl\u2019impression d\u2019\u00eatre en classe. \u00bb\nN\u00e9anmoins, elle se leva et commen\u00e7a \u00e0 r\u00e9citer ; mais\nelle pensait tellement au Quadrille des Homards qu\u2019elle ne\nsavait plus trop ce qu\u2019elle disait, et les paroles qu\u2019elle\npronon\u00e7a \u00e9taient vraiment tr\u00e8s bizarres :\nC\u2019est la voix du homard, je l\u2019entends d\u00e9clarer\n\u00ab Vous m\u2019avez trop grill\u00e9, et pas assez sucr\u00e9. \u00bb\nComme fait le canard, avec son nez rugueux,\nIl astique sa pince et peigne ses cheveux.\nQuand le sable est sec, il est gai comme un pinson,\nEt parle du requin, m\u00e9prisant, sur un de ces tons !\nMais quand monte le flot et que le squale est proche,\nSa voix n\u2019est plus qu\u2019un timide et tremblant reproche.\n\u00ab C\u2019est diff\u00e9rent de ce que je r\u00e9citais, moi, quand j\u2019\u00e9taisenfant, dit le Griffon.\n\u2013 Quant \u00e0 moi, je n\u2019avais jamais entendu cela de ma\nvie, ajouta la Simili-Tortue, mais cela m\u2019a tout l\u2019air d\u2019un\nramassis de sottises. \u00bb\nAlice resta silencieuse ; elle s\u2019\u00e9tait assise, le visage\nenfoui dans les mains, et se demandait si les choses\nredeviendraient normales un jour ou l\u2019autre.\n\u00ab Je voudrais bien qu\u2019on m\u2019explique ces vers, demanda\nla Simili-Tortue.\n\u2013 Elle en est bien incapable \u00bb, dit vivement le Griffon.\nR\u00e9cite-nous la prochaine strophe.\n\u2013 Mais, voyons, insista la Tortue, comment pourrait-il\nbien faire pour peigner ses cheveux avec son nez ?\n\u2013 Ce n\u2019est qu\u2019un simulacre faisant partie de la danse,\nr\u00e9pondit Alice qui, terriblement d\u00e9concert\u00e9e par tout ceci,\nmourait d\u2019envie de changer de sujet de conversation.\n\u2013 R\u00e9cite-nous la strophe suivante, r\u00e9p\u00e9ta le Griffon avec\nimpatience. Elle commence comme ceci : \u00ab En passant\ndevant son jardin. \u00bb \u00bb\nAlice n\u2019osa pas d\u00e9sob\u00e9ir, bien qu\u2019elle f\u00fbt certaine que\ntout irait de travers, et elle continua d\u2019une voix tremblante :\nEn passant devant son jardin, je pus observer\nComment le Hibou et la Panth\u00e8re se partageaient un\np\u00e2t\u00e9.La Panth\u00e8re prit la cro\u00fbte, la viande et le jus\nTandis que le Hibou n\u2019eut que l\u2019assiette comme d\u00fb.\nUne fois le plat termin\u00e9, le Hibou eu l\u2019avantage\nD\u2019empocher la cuill\u00e8re en guise de potage,\nTandis que la Panth\u00e8re, dans un grondement,\nSaisissait fourchette et couteau promptement\u2026\n\u2013 \u00c0 quoi cela sert-il de r\u00e9p\u00e9ter toutes ces sornettes \u00bb,\ndit la Simili-Tortue en l\u2019interrompant, si tu n\u2019expliques pas\nau fur et \u00e0 mesure ce qu\u2019elles signifient ? Jamais de ma vie\nje n\u2019ai entendu quelque chose d\u2019aussi d\u00e9concertant !\n\u2013 Oui, je crois que tu ferais mieux de t\u2019arr\u00eater \u00bb, d\u00e9clara\nle Griffon, et Alice ne fut que trop heureuse de suivre ce\nconseil.\n\u00ab Veux-tu que nous essayions de danser une autre\nfigure du Quadrille des Homards ? poursuivit-il. Ou bien\naimerais-tu mieux que la Simili-Tortue te chante une\nchanson ?\n\u2013 Oh, une chanson, je vous en prie, si la Simili-Tortue\nveut \u00eatre assez gentille pour en chanter une \u00bb, r\u00e9pondit\nAlice avec tant d\u2019empressement que le Griffon grommela\nd\u2019un ton l\u00e9g\u00e8rement, offens\u00e9 : \u00ab Hum ! \u00c0 chacun ses\ngo\u00fbts ! Enfin, soit. Chante-lui : \u00ab Soupe \u00e0 la Tortue \u00bb, veux-\ntu, ma vieille ? \u00bb\nLa Simili-Tortue poussa un profond soupir, etcommen\u00e7a d\u2019une voix entrecoup\u00e9e de sanglots :\nBelle Soupe, onctueuse, et odorante, et verte,\nQui reposes, br\u00fblante, en la soupi\u00e8re ouverte,\nQue ne donnerait-on pour avoir l\u2019avantage\nDe te savourer, cher, d\u00e9licieux potage ! !\nBelle Soupe, Soupe, Soupe, Soupe du soir !\nB\u00e9\u2026 elle, b\u00e9\u2026 elle Sou\u2026 oupe !\nB\u00e9\u2026 elle, b\u00e9\u2026 elle Sou\u2026 oupe !\nSou\u2026 oupe, Sou\u2026 oupe, Sou\u2026 ou\u2026 oupe du soir !\nB\u00e9\u2026 elle, b\u00e9\u2026 elle Sou\u2026 oupe !\nBelle Soupe, qui donc r\u00e9clamerait poisson,\nViande, ou \u0153ufs, ou volaille, ou m\u00eame venaison ?\nQui ne renoncerait pas \u00e0 tout \u00e7a pour deux sous\nD\u2019une si admirable et d\u00e9lectable Sou-\npe ?, Sou\u2026 ou\u2026 oupe du soir !\nB\u00e9\u2026 elle, b\u00e9\u2026 elle Sou\u2026 oupe !\nB\u00e9\u2026 elle, b\u00e9\u2026 elle Sou\u2026 oupe !\nSou\u2026 oupe, Sou\u2026 oupe, Sou\u2026 ou\u2026 oupe du soir !\nB\u00e9\u2026 elle, b\u00e9\u2026 elle Sou\u2026 oupe !\n\u00ab R\u00e9p\u00e8te le refrain ! \u00bb s\u2019\u00e9cria le Griffon et la Simili-\nTortue avait commenc\u00e9 \u00e0 le r\u00e9p\u00e9ter, lorsqu\u2019on entenditdans le lointain une voix qui clamait : \u00ab Le proc\u00e8s va\ns\u2019ouvrir ! \u00bb\n\u00ab Arrive ! \u00bb ordonna le Griffon et, prenant Alice par la\nmain, il s\u2019en alla en toute h\u00e2te, sans attendre la fin de la\nchanson.\n\u00ab De quel proc\u00e8s s\u2019agit-il ? \u00bb demanda Alice, toute\nhaletante, sans cesser de courir ; mais le Griffon se\ncontenta de r\u00e9pondre : \u00ab Arrive ! \u00bb en courant de plus belle,\ntandis que la brise portait jusqu\u2019\u00e0 eux ces paroles\nm\u00e9lancoliques qui r\u00e9sonnaient de plus en plus faiblement :\nSou\u2026 oupe, Sou\u2026 oupe, Sou\u2026 ou\u2026 oupe du soir !\nB\u00e9\u2026 elle, b\u00e9\u2026 elle Sou\u2026 oupe !CHAPITRE XI \u2013 Qui a d\u00e9rob\u00e9\nles tartes ?\nLorsque Alice et le Griffon arriv\u00e8rent, le Roi et la Reine\nde C\u0153ur \u00e9taient assis sur leur tr\u00f4ne, au milieu d\u2019une\ngrande foule compos\u00e9e de toutes sortes de petits animaux\net de petits oiseaux, ainsi que de toutes les figures du jeu\nde cartes. Devant eux se trouvait le Valet de C\u0153ur, charg\u00e9\nde cha\u00eenes, gard\u00e9 par deux soldats ; pr\u00e8s du Roi, on voyait\nle Lapin Blanc qui tenait une trompette d\u2019une main et un\nrouleau de parchemin de l\u2019autre. Au centre exact de\nl\u2019enceinte o\u00f9 si\u00e9geait le tribunal se trouvait une table\ncouverte d\u2019un grand plat de tartes : elles avaient l\u2019air si\nbonnes qu\u2019Alice eut tr\u00e8s faim rien qu\u2019\u00e0 les regarder. \u00ab Je\nvoudrais bien que le proc\u00e8s s\u2019ach\u00e8ve, se dit-elle, et qu\u2019on\nfasse circuler les rafra\u00eechissements ! \u00bb Mais il semblait n\u2019y\navoir gu\u00e8re de chance que son v\u0153u se r\u00e9alis\u00e2t ; aussi\ncommen\u00e7a-t-elle \u00e0 regarder tout autour d\u2019elle pour passer\nle temps.\nAlice n\u2019avait jamais p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 dans une salle de tribunal,\nmais elle en avait lu diverses descriptions dans plusieurs\nlivres et elle fut tout heureuse de constater qu\u2019elle savait le\nnom de presque tout ce qui s\u2019y trouvait. \u00ab Celui-l\u00e0, c\u2019est le\njuge, se dit-elle, puisqu\u2019il porte une perruque. \u00bb\nIl faut pr\u00e9ciser que le juge n\u2019\u00e9tait autre que le Roi.\nComme il portait sa couronne par-dessus sa perruque, ilavait l\u2019air tr\u00e8s mal \u00e0 l\u2019aise, et cet attirail \u00e9tait totalement\nd\u00e9pourvu d\u2019\u00e9l\u00e9gance.\n\u00ab Ah ! voici le banc du jury, pensa Alice, et ces douze\ncr\u00e9atures (elle \u00e9tait oblig\u00e9e d\u2019employer le mot :\n\u00ab cr\u00e9ature \u00bb, car, voyez-vous, il y avait \u00e0 la fois des\nanimaux et des oiseaux), je suppose que ce sont les\njur\u00e9s. \u00bb Elle se r\u00e9p\u00e9ta ce dernier mot deux ou trois fois de\nsuite, tr\u00e8s fi\u00e8re de le savoir ; car elle pensait, \u00e0 juste titre\nd\u2019ailleurs, que tr\u00e8s peu de petites filles de son \u00e2ge en\nconnaissaient la signification. N\u00e9anmoins, elle aurait pu\ntout aussi bien employer le mot : \u00ab membres du jury \u00bb.\nLes douze jur\u00e9s \u00e9taient tous occup\u00e9s \u00e0 \u00e9crire\nf\u00e9brilement sur des ardoises.\n\u00ab Que font-ils ? demanda Alice au Griffon \u00e0 voix basse.\nIls n\u2019ont rien \u00e0 \u00e9crire tant que le proc\u00e8s n\u2019a pas commenc\u00e9.\n\u2013 Ils \u00e9crivent leur nom, r\u00e9pondit le Griffon dans un\nsouffle, de peur de l\u2019oublier avant la fin du proc\u00e8s.\n\u2013 Quels imb\u00e9ciles ! \u00bb s\u2019exclama-t-elle d\u2019une voix forte et\nindign\u00e9e.\nMais elle se tut vivement, car le Lapin Blanc cria :\n\u00ab Silence ! \u00bb, tandis que le Roi mettait ses lunettes et\nregardait anxieusement autour de lui pour voir qui se\npermettait de parler.\nAlice put voir, aussi distinctement que si elle avait\nregard\u00e9 par-dessus leur \u00e9paule, que tous les jur\u00e9s \u00e9taient\nen train d\u2019\u00e9crire : \u00ab Quels imb\u00e9ciles ! \u00bb sur leur ardoise, etque l\u2019un d\u2019eux, ne sachant pas orthographier :\n\u00ab imb\u00e9ciles \u00bb, \u00e9tait oblig\u00e9 de demander \u00e0 son voisin de lui\n\u00e9peler le mot. \u00ab Il va y avoir un beau fouillis sur leurs\nardoises d\u2019ici la fin du proc\u00e8s ! \u00bb pensa-t-elle.L\u2019un d\u2019eux avait un crayon qui grin\u00e7ait. Naturellement,\nAlice ne put supporter cela : elle fit le tour du tribunal, se\nglissa derri\u00e8re le jur\u00e9, et eut vite trouv\u00e9 l\u2019occasion de lui\nsubtiliser son crayon. Elle le fit si prestement que le pauvre\npetit jur\u00e9 (c\u2019\u00e9tait Bill, le L\u00e9zard), ne comprit absolument rien\n\u00e0 ce qui s\u2019\u00e9tait pass\u00e9 ; aussi, apr\u00e8s avoir cherch\u00e9 partout\nson crayon, il fut oblig\u00e9 d\u2019\u00e9crire avec un doigt pendant tout\nle temps que dura le proc\u00e8s, ce qui ne servait pas \u00e0 grand-\nchose car le doigt ne laissait aucune trace sur l\u2019ardoise.\n\u00ab H\u00e9raut, lisez l\u2019acte d\u2019accusation ! \u00bb s\u2019\u00e9cria le Roi.\nSur ce, le Lapin Blanc sonna trois fois de sa trompette,\nd\u00e9roula le parchemin, et lut ce qui suit :\n\u00ab Notre Reine de C\u0153ur avait fait des tartes,\nTout au long d\u2019un beau jour d\u2019\u00e9t\u00e9 :\nMais le Valet de C\u0153ur a vol\u00e9 ces tartes\nEt les a toutes emport\u00e9es. \u00bb\n\u00ab D\u00e9lib\u00e9rez pour rendre votre verdict, ordonna le Roi\naux jur\u00e9s.\n\u2013 Pas encore, pas encore ! protesta le Lapin. Il y a\nbeaucoup \u00e0 faire avant d\u2019en arriver l\u00e0 !\n\u2013 Appelez le premier t\u00e9moin \u00bb, reprit le Roi.\nAussit\u00f4t le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette\net cria : \u00ab Premier t\u00e9moin ! \u00bb\nLe premier t\u00e9moin \u00e9tait le Chapelier. Il entra, tenantd\u2019une main une tasse de th\u00e9 et de l\u2019autre une tartine\nbeurr\u00e9e.\u00ab Je demande pardon \u00e0 Votre Majest\u00e9, commen\u00e7a-t-il,\nde me pr\u00e9senter ainsi, mais je n\u2019avais pas tout \u00e0 fait fini de\nprendre mon th\u00e9 lorsqu\u2019on est venu me chercher.\n\u2013 Vous auriez d\u00fb avoir fini, r\u00e9torqua le Roi. Quand avez-\nvous commenc\u00e9 ? \u00bb\nLe Chapelier regarda le Li\u00e8vre de Mars qui l\u2019avait suivi\ndans la salle du Tribunal, bras dessus, bras dessous avec\nle Loir.\n\u00ab Je crois bien que c\u2019\u00e9tait le quatorze mars, dit-il.\n\u2013 Le quinze, rectifia le Li\u00e8vre de Mars.\n\u2013 Le seize, ajouta le Loir.\u2013 Notez tout cela \u00bb, dit le Roi aux jur\u00e9s. Ceux-ci\n\u00e9crivirent avec ardeur les trois dates sur leur ardoise, puis\nils les additionn\u00e8rent, et convertirent le total en francs et en\ncentimes.\n\u00ab \u00d4tez votre chapeau, ordonna le Roi au Chapelier.\n\u2013 Il n\u2019est pas \u00e0 moi, protesta l\u2019interpell\u00e9.\n\u2013 Vol\u00e9 ! s\u2019exclama le Roi, en se tournant vers les jur\u00e9s\nqui, imm\u00e9diatement, prirent note du fait.\n\u2013 Je n\u2019ai aucun chapeau qui m\u2019appartienne, ajouta le\nChapelier en guise d\u2019explication. Je les vends, je suis\nchapelier de mon m\u00e9tier. \u00bb\nSur ce, la Reine mit ses lunettes, puis elle le regarda si\nfixement qu\u2019il devint tout p\u00e2le et commen\u00e7a \u00e0 s\u2019agiter.\n\u00ab Faites votre d\u00e9position, dit le Roi, et t\u00e2chez de vous\ncalmer ; sans quoi, je vous fais ex\u00e9cuter sur-le-champ. \u00bb\nCeci n\u2019eut pas l\u2019air d\u2019encourager du tout le t\u00e9moin : il\ncontinua \u00e0 se dandiner d\u2019un pied sur l\u2019autre tout en jetant\nvers la Reine des regards inquiets, et, dans son d\u00e9sarroi, il\nprit une grosse bouch\u00e9e de sa tasse, au lieu de mordre\ndans sa tartine.\nJuste \u00e0 ce moment, Alice \u00e9prouva une sensation tr\u00e8s\nbizarre qui l\u2019intrigua beaucoup jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle e\u00fbt\ncompris de quoi il s\u2019agissait : elle recommen\u00e7ait \u00e0 grandir.\nSa premi\u00e8re id\u00e9e fut de se lever et de quitter la salle du\nTribunal ; mais, \u00e0 la r\u00e9flexion, elle d\u00e9cida de rester o\u00f9 elle\n\u00e9tait, tant qu\u2019il y aurait assez de place pour elle.\n\u00ab Je voudrais bien que tu ne me serres pas comme\ncela, dit le Loir qui \u00e9tait assis \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019elle. C\u2019est tout juste\nsi je peux respirer.\n\u2013 Ce n\u2019est pas ma faute, r\u00e9pondit Alice tr\u00e8s\nhumblement ; je suis en train de grandir.\n\u2013 Tu n\u2019as absolument pas le droit de grandir, du moins\npas ici, affirma le Loir.\n\u2013 Ne dites donc pas de b\u00eatises, r\u00e9pliqua Alice plus\nhardiment. Vous savez bien que vous grandissez, vousaussi\u2026\n\u2013 Oui, mais moi, je grandis \u00e0 une vitesse raisonnable,\net pas de cette fa\u00e7on ridicule \u00bb, fit observer le Loir. Sur ces\nmots, il se leva d\u2019un air fort maussade, et alla s\u2019installer \u00e0\nl\u2019autre extr\u00e9mit\u00e9 de la salle.\nPendant tout ce temps-l\u00e0, la Reine n\u2019avait pas cess\u00e9 de\nregarder fixement le Chapelier, et, juste au moment o\u00f9 le\nLoir traversait la salle, elle ordonna \u00e0 l\u2019un des huissiers :\n\u00ab Apportez-moi la liste des chanteurs qui ont pris part au\ndernier concert ! \u00bb L\u00e0-dessus l\u2019infortun\u00e9 Chapelier se mit \u00e0\ntrembler si fort qu\u2019il en perdit ses souliers.\n\u00ab Faites votre d\u00e9position, r\u00e9p\u00e9ta le Roi d\u2019un ton furieux,\nsans quoi je vais vous faire ex\u00e9cuter, que vous ayez peur\nou non.\n\u2013 Je ne suis qu\u2019un pauvre homme, Votre Majest\u00e9,\nd\u00e9buta le Chapelier d\u2019une voix tremblante, et je n\u2019avais pas\nencore commenc\u00e9 \u00e0 prendre le th\u00e9\u2026 en tout cas pas\ndepuis plus d\u2019une semaine environ\u2026 et vu que, d\u2019une part,\nles tartines de beurre devenaient de plus en plus minces\u2026\net que, d\u2019autre part, les scintillations du th\u00e9\u2026\n\u2013 Les scintillations du quoi ?\n\u2013 Dans cette histoire, tout a commenc\u00e9 par un th\u00e9.\n\u2013 Bien s\u00fbr que \u00ab tout \u00bb commence par un T ! dit le Roi\nd\u2019un ton aigre. Me prenez-vous pour un \u00e2ne b\u00e2t\u00e9 ?\nContinuez !\n\u2013 Je ne suis qu\u2019un pauvre homme, reprit le Chapelier, et\napr\u00e8s cela, tout s\u2019est mis \u00e0 scintiller\u2026 mais le Li\u00e8vre de\nMars a dit que\u2026\n\u2013 Je n\u2019ai rien dit du tout ! interrompit le Li\u00e8vre de Mars\ntr\u00e8s vivement.\n\u2013 Tu l\u2019as dit ! riposta le Chapelier.\n\u2013 Je le nie ! protesta le Li\u00e8vre de Mars.\n\u2013 Il le nie, d\u00e9clara le Roi. Laissez ce sujet de c\u00f4t\u00e9.\n\u2013 Soit. De toute fa\u00e7on, le Loir a dit\u2026, continua le\nChapelier en jetant autour de lui un regard inquiet pour voirsi le Loir allait nier, lui aussi. Mais il ne nia rien, car il\ndormait profond\u00e9ment.\n\u2013 Apr\u00e8s cela, reprit le Chapelier, j\u2019ai coup\u00e9 d\u2019autres\ntartines\u2026\n\u2013 Mais qu\u2019est-ce qu\u2019a dit le Loir ? demanda l\u2019un des\njur\u00e9s.\n\u2013 Je ne peux pas me le rappeler, r\u00e9pondit le Chapelier.\n\u2013 Il faut absolument vous le rappeler, dit le Roi ; sans\nquoi je vais vous faire ex\u00e9cuter. \u00bb\nLe pitoyable Chapelier laissa tomber sa tasse et sa\ntartine, et mit un genou en terre. \u00ab Je ne suis qu\u2019un pauvre\nhomme, Votre Majest\u00e9 \u00bb, commen\u00e7a-t-il.\n\u00ab Vous \u00eates surtout un bien pauvre orateur \u00bb, d\u00e9clara le\nRoi.\n\u00c0 ces mots, un des cochons d\u2019Inde applaudit, et fut\nimm\u00e9diatement \u00e9touff\u00e9 par les huissiers. (Comme cela\npeut para\u00eetre difficile \u00e0 comprendre, je vais vous expliquer\ncomment ils proc\u00e9d\u00e8rent : ils avaient un grand sac de toile\ndont on fermait l\u2019ouverture par des ficelles ; ils y fourr\u00e8rent\nle cochon d\u2019Inde, la t\u00eate la premi\u00e8re, puis ils s\u2019assirent\ndessus.)\n\u00ab Je suis bien contente d\u2019avoir vu cela, pensa Alice. J\u2019ai\nlu tr\u00e8s souvent dans les journaux, \u00e0 la fin du compte rendu\nd\u2019un proc\u00e8s : \u00ab Il y eut une tentative d\u2019applaudissement qui\nfut imm\u00e9diatement \u00e9touff\u00e9e par les huissiers \u00bb, mais,\njusqu\u2019aujourd\u2019hui, je n\u2019avais jamais compris ce que cela\nvoulait dire. \u00bb\n\u00ab Si c\u2019est tout ce que vous savez de cette affaire, vous\npouvez descendre, continua le Roi.\n\u2013 Je ne peux pas aller plus bas, dit le Chapelier, je suis\nd\u00e9j\u00e0 sur le plancher.\n\u2013 Alors, vous pouvez vous asseoir \u00bb, r\u00e9pliqua le Roi.\n\u00c0 ces mots, le second cochon d\u2019Inde applaudit, et fut\naussit\u00f4t \u00e9touff\u00e9.\n\u00ab Bon, nous voil\u00e0 d\u00e9barrass\u00e9s des cochons d\u2019Inde !pensa Alice. \u00c0 pr\u00e9sent, cela va aller mieux. \u00bb\n\u00ab Je pr\u00e9f\u00e9rerais finir mon th\u00e9 \u00bb, r\u00e9pondit le Chapelier en\njetant un regard inquiet \u00e0 la Reine qui \u00e9tait en train de lire la\nliste des chanteurs.\n\u00ab Vous pouvez vous retirer \u00bb, dit le Roi.\nL\u00e0-dessus le Chapelier partit en toute h\u00e2te, sans m\u00eame\nprendre la peine de remettre ses souliers.\n\u00ab \u2026 et, d\u00e8s qu\u2019il sera dehors, coupez-lui la t\u00eate \u00bb,\najouta la Reine \u00e0 l\u2019adresse d\u2019un des huissiers. Mais le\nChapelier avait disparu avant m\u00eame que l\u2019huissier f\u00fbt arriv\u00e9\n\u00e0 la porte.\n\u00ab Appelez le t\u00e9moin suivant ! \u00bb ordonna le Roi.\nLe t\u00e9moin suivant \u00e9tait la cuisini\u00e8re de la Duchesse.Le t\u00e9moin suivant \u00e9tait la cuisini\u00e8re de la Duchesse.\nElle portait \u00e0 la main sa bo\u00eete de poivre, et Alice devina ce\nqui allait arriver, avant m\u00eame qu\u2019elle ne p\u00e9n\u00e9tr\u00e2t dans la\nsalle, lorsque les gens qui se trouvaient pr\u00e8s de la porte\ncommenc\u00e8rent \u00e0 \u00e9ternuer tous \u00e0 la fois.\n\u00ab Faites votre d\u00e9position, dit le Roi.\n\u2013 Je refuse \u00bb, r\u00e9pliqua la cuisini\u00e8re.\nLe Roi jeta un regard inquiet au Lapin Blanc qui\nmurmura \u00e0 son oreille : \u00ab Il faut absolument que Votre\nMajest\u00e9 fasse subir un contre-interrogatoire \u00e0 ce t\u00e9moin. \u00bb\n\u00ab Allons, puisqu\u2019il le faut !\u2026 \u00bb dit le Roi d\u2019un ton\nm\u00e9lancolique. Ensuite, apr\u00e8s avoir crois\u00e9 les bras et fronc\u00e9\nles sourcils \u00e0 un point tel qu\u2019on ne voyait presque plus ses\nyeux, il demanda \u00e0 la cuisini\u00e8re d\u2019une voix caverneuse :\n\u00ab Avec quoi fait-on les tartes ?\n\u2013 Avec du poivre, presque toujours, r\u00e9pondit-elle.\n\u2013 Avec de la m\u00e9lasse, murmura derri\u00e8re elle une voix\nendormie.\n\u2013 Prenez ce Loir au collet ! hurla la Reine. Coupez la\nt\u00eate \u00e0 ce Loir ! Expulsez-le ! \u00c9touffez-le ! Pincez-le !\nCoupez-lui les moustaches ! \u00bb\nPendant les quelques minutes n\u00e9cessaires \u00e0 l\u2019expulsion\ndu coupable, le plus grand d\u00e9sordre r\u00e9gna dans la salle du\nTribunal, et, quand tout le monde eut regagn\u00e9 sa place, la\ncuisini\u00e8re avait disparu.\n\u00ab Peu importe ! dit le Roi d\u2019un air tr\u00e8s soulag\u00e9. Appelez\nle t\u00e9moin suivant. \u00bb Et il ajouta \u00e0 voix basse, \u00e0 l\u2019adresse de\nla Reine : \u00ab Vraiment, ma ch\u00e8re amie, c\u2019est \u00e0 vous de faire\nsubir un contre-interrogatoire au t\u00e9moin suivant. Cela me\ndonne une telle migraine ! \u00bb\nAlice regardait le Lapin Blanc chercher nerveusement le\nsuivant sur sa liste, tr\u00e8s curieuse de voir qui pouvait bien\n\u00eatre le prochain t\u00e9moin\u2026 \u00ab Car, jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, ils n\u2019ont\npas beaucoup de preuves \u00bb, se disait-elle. Imaginez sa\nsurprise, lorsque le Lapin Blanc cria tr\u00e8s fort, de sa petite\nvoix aigu\u00eb : \u00ab Alice ! \u00bbCHAPITRE XII \u2013 La d\u00e9position\nd\u2019Alice\n\u00ab Pr\u00e9sente ! \u00bb r\u00e9pondit Alice. Elle \u00e9tait si troubl\u00e9e\nqu\u2019elle en oublia combien elle avait grandi pendant les\nquelques derni\u00e8res minutes, et elle se leva d\u2019un bond, si\nbrusquement qu\u2019elle renversa le banc des jur\u00e9s avec le bas\nde sa jupe. Les jur\u00e9s d\u00e9gringol\u00e8rent sur la t\u00eate des\nassistants plac\u00e9s au-dessous, puis ils rest\u00e8rent \u00e9tal\u00e9s les\nquatre fers en l\u2019air, lui rappelant beaucoup les poissons\nrouges d\u2019un bocal qu\u2019elle avait renvers\u00e9 par accident huit\njours auparavant.\u00ab Oh ! je vous demande bien pardon ! \u00bb s\u2019exclama-t-elle\nd\u2019une voix constern\u00e9e. Et elle se mit \u00e0 relever les jur\u00e9s\naussi vite que possible, car elle ne cessait de penser aux\npoissons rouges, et elle s\u2019imaginait tr\u00e8s vaguement qu\u2019il\nfallait les ramasser et les remettre sur leur banc sans\nperdre une seconde, faute de quoi ils allaient mourir.\n\u00ab Le proc\u00e8s ne peut continuer, d\u00e9clara le Roi d\u2019un ton\nfort grave, avant que tous les jur\u00e9s ne soient remis\nexactement \u00e0 leur place\u2026 Tous, sans exception \u00bb, r\u00e9p\u00e9ta-\nt-il en appuyant sur ces mots et en fixant Alice droit dans\nles yeux.\nLa fillette regarda le banc des jur\u00e9s. Elle vit que, dans\nsa pr\u00e9cipitation, elle avait remis le L\u00e9zard la t\u00eate en bas, et\nque la pauvre b\u00eate, incapable de se tirer d\u2019affaire toute\nseule, agitait m\u00e9lancoliquement sa queue dans tous les\nsens. Elle eut vite fait de le replacer dans une position\nnormale : \u00ab Bien que, pensa-t-elle, cela n\u2019ait pas beaucoup\nd\u2019importance ; je ne crois pas qu\u2019il puisse servir \u00e0 grand-\nchose pour ce proc\u00e8s, dans un sens comme dans l\u2019autre. \u00bb\nD\u00e8s que les jur\u00e9s furent un peu remis de leur \u00e9motion,\nd\u00e8s qu\u2019on eut retrouv\u00e9 et qu\u2019on leur eut rendu leur crayon et\nleur ardoise, ils se mirent \u00e0 r\u00e9diger en d\u00e9tail, avec\nbeaucoup d\u2019application, l\u2019histoire de leur accident ; tous\nsauf le L\u00e9zard qui avait l\u2019air trop accabl\u00e9 pour faire autre\nchose que rester assis, la bouche grande ouverte, \u00e0\nregarder le plafond.\n\u00ab Que savez-vous de cette affaire ? demanda le Roi \u00e0\u00ab Que savez-vous de cette affaire ? demanda le Roi \u00e0\nAlice.\n\u2013 Rien.\n\u2013 Absolument rien ? insista le Roi\n\u2013 Absolument rien.\n\u2013 Voil\u00e0 une chose d\u2019importance, d\u00e9clara le Roi en se\ntournant vers les jur\u00e9s.\nCeux-ci s\u2019appr\u00eataient \u00e0 \u00e9crire sur leur ardoise lorsque\nle Lapin Blanc intervint : \u00ab Votre Majest\u00e9 a voulu dire :\n\u00ab sans importance \u00bb, naturellement \u00bb, dit-il d\u2019un ton tr\u00e8s\nrespectueux, mais en fron\u00e7ant les sourcils et en faisant des\ngrimaces.\n\u00ab Sans importance, naturellement, ai-je voulu dire \u00bb,\nreprit vivement le Roi. Apr\u00e8s quoi, il se mit \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter \u00e0 voix\nbasse pour lui tout seul : \u00ab d\u2019importance, sans importance,\nsans importance, d\u2019importance \u00bb, comme s\u2019il essayait de\ntrouver ce qui sonnait le mieux.\nCertains jur\u00e9s not\u00e8rent : \u00ab d\u2019importance \u00bb, et d\u2019autres :\n\u00ab sans importance \u00bb. Alice s\u2019en aper\u00e7ut, car elle \u00e9tait\nassez pr\u00e8s d\u2019eux pour lire sur leurs ardoises ; \u00ab mais, de\ntoute fa\u00e7on, pensa-t-elle, cela n\u2019a pas la moindre\nimportance. \u00bb\n\u00c0 ce moment, le Roi, qui avait \u00e9t\u00e9 pendant quelque\ntemps fort occup\u00e9 \u00e0 griffonner sur son carnet, cria :\n\u00ab Silence ! \u00bb et se mit \u00e0 lire \u00e0 haute voix : \u00ab Article\nQuarante-Deux : Toute personne d\u00e9passant un kilom\u00e8trede haut doit quitter le Tribunal. \u00bbChacun regarda Alice.\n\u00ab Moi, je n\u2019e fais pas un kilom\u00e8tre de haut, dit Alice.\n\u2013 Si fait, affirma le Roi.\n\u2013 Pr\u00e8s de deux kilom\u00e8tres, ajouta la Reine.\n\u2013 De toute fa\u00e7on, je ne m\u2019en irai pas, d\u00e9clara Alice.\nD\u2019ailleurs cet article ne fait pas partie du code : vous venez\nde l\u2019inventer \u00e0 l\u2019instant.\n\u2013 C\u2019est l\u2019article le plus ancien du code, dit le Roi.\n\u2013 En ce cas, il devrait porter le Num\u00e9ro Un \u00bb, fit\nobserver Alice.\nLe Roi p\u00e2lit, et referma vivement son carnet.\n\u00ab D\u00e9lib\u00e9rez pour rendre votre verdict, ordonna-t-il aux\njur\u00e9s d\u2019une voix basse et tremblante.\n\u2013 Plaise \u00e0 Votre Majest\u00e9, il y a encore d\u2019autres preuves\n\u00e0 examiner, dit le Lapin Blanc en se levant d\u2019un bond. On\nvient de trouver ce papier.\n\u2013 Que contient-il ? demanda la Reine.\n\u2013 Je ne l\u2019ai pas encore ouvert, r\u00e9pondit le Lapin Blanc,\nmais cela ressemble \u00e0 une lettre, \u00e9crite par le prisonnier\n\u00e0\u2026 quelqu\u2019un.\n\u2013 Cela doit \u00eatre cela, dit le Roi. \u00c0 moins que cette lettre\nn\u2019ait \u00e9t\u00e9 \u00e9crite \u00e0 personne, ce qui est plut\u00f4t rare, comme\nvous le savez.\u2013 \u00c0 qui est-elle adress\u00e9e ? demanda l\u2019un des jur\u00e9s.\n\u2013 Elle n\u2019est adress\u00e9e \u00e0 personne, r\u00e9pondit le Lapin\nBlanc. En fait, il n\u2019y a rien d\u2019\u00e9crit \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur. \u00bb\nIl d\u00e9plia le papier tout en parlant, puis il ajouta :\n\u00ab Apr\u00e8s tout, ce n\u2019est pas une lettre ; c\u2019est une pi\u00e8ce de\nvers.\n\u2013 Ces vers sont-ils de la main du prisonnier ? demanda\nun autre jur\u00e9.\n\u2013 Non, r\u00e9pondit le Lapin Blanc ; et c\u2019est bien ce qu\u2019il y a\nde plus bizarre. (Tous les jur\u00e9s prirent un air d\u00e9concert\u00e9.)\n\u2013 Il a d\u00fb imiter l\u2019\u00e9criture de quelqu\u2019un, dit le Roi. (\u00c0 ces\nmots, le visage des jur\u00e9s se d\u00e9rida.)\n\u2013 Plaise \u00e0 Votre Majest\u00e9, d\u00e9clara le Valet de C\u0153ur, je\nn\u2019ai pas \u00e9crit ces vers, et personne ne peut prouver que je\nles ai \u00e9crits : ils ne sont pas sign\u00e9s.\n\u2013 Si vous ne les avez pas sign\u00e9s, r\u00e9torqua le Roi, alors\ncela ne fait qu\u2019aggraver votre cas. Si vous n\u2019aviez pas eu\nde mauvaises intentions, vous auriez sign\u00e9 de votre nom,\ncomme un honn\u00eate homme. \u00bb\n\u00c0 ces mots, tout le monde se mit \u00e0 applaudir, car c\u2019\u00e9tait\nla seule chose vraiment intelligente que le Roi e\u00fbt dite\ndepuis le d\u00e9but de la journ\u00e9e.\n\u00ab Cela prouve formellement sa culpabilit\u00e9, d\u00e9clara la\nReine.\u2013 Cela ne prouve rien du tout ! s\u2019exclama Alice. Allons\ndonc ! vous ne savez m\u00eame pas de quoi il est question\ndans ces vers !\n\u2013 Lisez-les \u00bb, ordonna le Roi.\nLe Lapin Blanc mit ses lunettes.\n\u00ab Plaise \u00e0 Votre Majest\u00e9, o\u00f9 dois-je commencer ?\ndemanda-t-il.\n\u2013 Commencez au commencement, dit le Roi d\u2019un ton\ngrave, et continuez jusqu\u2019\u00e0 ce que vous arriviez \u00e0 la fin ;\nensuite, arr\u00eatez-vous.\nVoici les vers que lut le Lapin Blanc :\n\u00ab Ils pr\u00e9tendaient que vous aviez \u00e9t\u00e9 \u00e0 elle,\nEt que de moi vous lui aviez parl\u00e9, \u00e0 lui :\nElle a dit que j\u2019avais un heureux caract\u00e8re\nMais que je n\u2019\u00e9tais pas un nageur accompli.\nIl leur \u00e9crivit que je restais en arri\u00e8re\n(Et nous n\u2019ignorons pas que c\u2019est la v\u00e9rit\u00e9) :\nSi elle veut aller jusqu\u2019au bout de l\u2019affaire,\nJe me demande ce qui pourra l\u2019arr\u00eater !\nJe lui en donnai une, ils m\u2019en donn\u00e8rent deux,\nVous, vous nous en donn\u00e2tes trois ou davantage ;\nMais toutes cependant leur revinrent, \u00e0 eux,Bien qu\u2019on put contester l\u2019\u00e9quit\u00e9 du partage.\nSi le malheur, demain, voulait qu\u2019elle ou que moi\nNous fussions impliqu\u00e9s dans cette sombre affaire,\nVous devriez faire en sorte qu\u2019on les lib\u00e8re\nComme nous f\u00fbmes, nous, lib\u00e9r\u00e9s autrefois.\nMon point de vue \u00e9tait que vous constituiez\n(D\u00e9s avant qu\u2019elle n\u2019e\u00fbt cette attaque de nerfs)\nUn obstacle f\u00e2cheux venu s\u2019interposer\nEntre nous et l\u2019objet dont ces gens nous parl\u00e8rent.\nNe lui avouez pas, \u00e0 lui, qu\u2019elle les aime\nCar tout ceci sans doute devait demeurer,\nDu reste des humains \u00e0 jamais ignor\u00e9,\nUn secret : un secret entre vous et moi-m\u00eame. \u00bb\n\u00ab C\u2019est la preuve la plus importante que nous ayons eue\njusqu\u2019ici, dit le Roi, en se frottant les mains. En\ncons\u00e9quence, que le jury\u2026\n\u2013 S\u2019il y a un seul jur\u00e9 capable d\u2019expliquer ces vers,\nd\u00e9clara Alice (elle avait tellement grandi au cours des\nquelques derni\u00e8res minutes qu\u2019elle n\u2019avait pas du tout peur\nd\u2019interrompre le Roi), je lui donnerai une pi\u00e8ce de dix sous.\n\u00c0 mon avis, ils n\u2019ont absolument aucun sens. \u00bb\nTous les jur\u00e9s \u00e9crivirent sur leurs ardoises : \u00ab \u00c0 sonavis, ils n\u2019ont absolument aucun sens \u00bb mais nul d\u2019entre eux\nn\u2019essaya d\u2019expliquer les vers.\n\u00ab S\u2019ils n\u2019ont aucun sens, dit le Roi, cela nous \u00e9vite\nbeaucoup de mal, car nous n\u2019avons pas besoin d\u2019en\nchercher un\u2026 Et pourtant, je me demande si c\u2019est vrai,\ncontinua-t-il, en \u00e9talant la feuille de papier sur ses genoux\net en lisant les vers d\u2019un \u0153il ; il me semble qu\u2019ils veulent\ndire quelque chose, apr\u00e8s tout\u2026 Ainsi :\u2026\n Mais que je\nn\u2019\u00e9tais pas un nageur accompli\u2026 \nVous ne savez pas\nnager, n\u2019est-ce pas ? \u00bb demanda-t-il au Valet.\nCelui-ci secoua la t\u00eate tristement. \u00ab Ai-je l\u2019air de\nquelqu\u2019un qui sait nager ? \u00bb dit-il. (Et il n\u2019en avait\ncertainement pas l\u2019air, vu qu\u2019il \u00e9tait fait enti\u00e8rement de\ncarton.)\n\u00ab Jusqu\u2019ici, tout concorde \u00bb, d\u00e9clara le Roi.\nPuis, il continua \u00e0 lire les vers \u00e0 voix basse :\n\u00ab \u2026\n Et Nous n\u2019ignorons pas que c\u2019est la v\u00e9rit\u00e9\u2026 \nIl\ns\u2019agit l\u00e0 des jur\u00e9s, naturellement\u2026 \nSi elle veut aller\njusqu\u2019au bout de l\u2019affaire\u2026 \nMais voyons, c\u2019est clair, \nElle\n,\nc\u2019est la Reine. \nJe me demande ce qui pourra l\u2019arr\u00eater !\u2026\nOn peut se le demander, en effet !\u2026 \nJe leur en donnai\nune, ils m\u2019en donn\u00e8rent deux\u2026 \nEh bien, c\u2019est sans doute\nce que l\u2019accus\u00e9 a du faire des tartes.\n\u2013 Regardez donc la suite : \nMais toutes cependant leur\nrevinrent \u00e0 eux\n, fit remarquer Alice.\n\u2013 Bien s\u00fbr, les voil\u00e0 ! s\u2019\u00e9cria le Roi d\u2019une voixtriomphante, en montrant du doigt les tartes qui se\ntrouvaient sur la table. Cela me para\u00eet clair comme le jour.\nQuant \u00e0 ceci :\u2026\n d\u00e9s avant qu\u2019elle n\u2019e\u00fbt cette attaque de\nnerfs\u2026 \nJe crois que vous n\u2019avez jamais eu d\u2019attaque de\nnerfs, n\u2019est-ce pas, ma ch\u00e8re amie ? demanda-t-il \u00e0 la\nReine.\n\u2013 Jamais ! s\u2019exclama-t-elle d\u2019une voix furieuse, tout en\njetant un encrier \u00e0 la t\u00eate du L\u00e9zard. (L\u2019infortun\u00e9 petit Bill\navait cess\u00e9 d\u2019\u00e9crire sur son ardoise avec un doigt, apr\u00e8s\ns\u2019\u00eatre aper\u00e7u que cela ne laissait aucune trace ; mais il se\nremit vivement \u00e0 la besogne en utilisant l\u2019encre qui\nd\u00e9goulinait le long de son visage jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle f\u00fbt\ns\u00e8che.)\n\u2013 Si vous n\u2019avez jamais eu d\u2019attaque, ce n\u2019est pas vous\nqu\u2019on attaque, dit le Roi.\nPuis, il regarda autour de lui en souriant d\u2019un air\nsatisfait. Il y eut un silence de mort.\n\u00ab C\u2019est un jeu de mots ! \u00bb ajouta-t-il d\u2019un ton vex\u00e9. Et\ntout le monde \u00e9clata de rire.\n\u00ab Que les jur\u00e9s d\u00e9lib\u00e8rent pour rendre leur verdict,\nordonna le Roi pour la vingti\u00e8me fois de la journ\u00e9e.\n\u2013 Non, non ! s\u2019\u00e9cria la Reine. La condamnation d\u2019abord,\nla d\u00e9lib\u00e9ration ensuite.\n\u2013 C\u2019est stupide ! protesta Alice d\u2019une voix forte. En voil\u00e0\nune id\u00e9e !\u2013 Taisez-vous ! ordonna la Reine, pourpre de fureur.\n\u2013 Je ne me tairai pas ! r\u00e9pliqua Alice.\n\u2013 Qu\u2019on lui coupe la t\u00eate ! \u00bb hurla la Reine de toutes ses\nforces.\nPersonne ne bougea.\n\u00ab Qui fait attention \u00e0 vous ? demanda Alice (qui avait\nmaintenant retrouv\u00e9 sa taille normale). Vous n\u2019\u00eates qu\u2019un\njeu de cartes ! \u00bb\u00c0 ces mots, toutes les cartes mont\u00e8rent dans l\u2019air et lui\nretomb\u00e8rent dessus. Elle poussa un petit cri de col\u00e8re et\nde frayeur, essaya de les repousser avec ses mains, et se\nretrouva couch\u00e9e sur le talus, la t\u00eate sur les genoux de sa\ns\u0153ur qui enlevait doucement de son visage quelques\nfeuilles mortes tomb\u00e9es des arbres.\n \u00ab Alice, ma ch\u00e9rie, r\u00e9veille-toi ! lui dit sa s\u0153ur. Comme\ntu as dormi longtemps !\n\u2013 Oh, quel r\u00eave bizarre je viens de faire ! s\u2019exclama\nAlice.\nEt elle se mit \u00e0 raconter, autant qu\u2019elle pouvait se les\nrappeler, toutes les \u00e9tranges Aventures que vous venez de\nlire.\nLorsqu\u2019elle eut fini, sa s\u0153ur l\u2019embrassa et dit :\n\u00ab C\u2019\u00e9tait un r\u00eave vraiment tr\u00e8s bizarre, ma ch\u00e9rie ; mais,\n\u00e0 pr\u00e9sent, rentre vite \u00e0 la maison pour prendre ton th\u00e9 ; il\ncommence \u00e0 se faire tard. \u00bb\nAlice se leva et s\u2019en alla en courant, tout en\nr\u00e9fl\u00e9chissant de son mieux au r\u00eave merveilleux qu\u2019elle\nvenait de faire.\nMais sa s\u0153ur resta assise sans bouger \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9\nsa cadette l\u2019avait laiss\u00e9e, la t\u00eate appuy\u00e9e sur une main,\nregardant le soleil se coucher, songeant \u00e0 Alice et \u00e0 ses\nmerveilleuses Aventures, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle aussi se m\u00eet \u00e0\nr\u00eaver tout \u00e9veill\u00e9e. Et voici quel fut son r\u00eave :D\u2019abord elle r\u00eava de la petite Alice. De nouveau les\npetites mains furent crois\u00e9es sur ses genoux, les yeux\navides et brillants furent fix\u00e9s sur les siens ; elle crut\nentendre le timbre m\u00eame de sa voix, elle crut voir le petit\nmouvement de sa t\u00eate rejet\u00e9e en arri\u00e8re pour \u00e9carter les\ncheveux qui avaient la f\u00e2cheuse habitude de lui tomber sur\nles yeux ; et, tandis qu\u2019elle \u00e9coutait, ou croyait \u00e9couter, il lui\nsembla voir s\u2019agiter autour d\u2019elle les cr\u00e9atures bizarres du\nr\u00eave de sa petite s\u0153ur.\nLes longues herbes se mirent \u00e0 bruire \u00e0 ses pieds\ntandis que le Lapin Blanc passait en h\u00e2te\u2026 La Souris\neffray\u00e9e traversa la mare voisine avec un l\u00e9ger clapotis\u2026\nElle entendit le bruit des tasses \u00e0 th\u00e9 du Li\u00e8vre de Mars et\nde ses amis, \u00e9ternellement attabl\u00e9s devant leur \u00e9ternel\ngo\u00fbter, et la voix aigu\u00eb de la Reine ordonnant l\u2019ex\u00e9cution\nde ses malheureux invit\u00e9s\u2026 Une fois encore le b\u00e9b\u00e9-\ncochon \u00e9ternua sur les genoux de la Duchesse, tandis que\nplats et assiettes s\u2019\u00e9crasaient autour de lui\u2026 Une fois\nencore le cri du Griffon, le grincement du crayon sur\nl\u2019ardoise du L\u00e9zard, les faibles soupirs des cochons d\u2019Inde\n\u00e9touff\u00e9s, remplirent l\u2019espace, m\u00eal\u00e9s aux sanglots lointains\nde l\u2019infortun\u00e9e Simili-Tortue.\nElle resta ainsi, les yeux ferm\u00e9s, croyant presque \u00eatre\nau Pays des Merveilles, tout en sachant fort bien qu\u2019il lui\nsuffirait de les rouvrir pour retrouver la terne r\u00e9alit\u00e9. L\u2019herbe\nne bruirait plus qu\u2019au souffle du vent, et, seul, le\nbalancement des tiges des roseaux ferait na\u00eetre des rides\n\u00e0 la surface de la mare\u2026 Le tintement des tasses \u00e0 th\u00e9deviendrait le tintement des clochettes des moutons, les\ncris aigus de la Reine ne seraient plus que la voix du petit\nberger\u2026 Les \u00e9ternuements du b\u00e9b\u00e9, les cris du Griffon et\ntous les autres bruits \u00e9tranges, se transformeraient (elle ne\nle savait que trop) en la rumeur confuse qui montait de la\nbasse-cour, tandis que les meuglements lointains du b\u00e9tail\nremplaceraient les lourds sanglots de la Simili-Tortue.\nFinalement, elle se repr\u00e9senta cette m\u00eame petite s\u0153ur\ndevenue femme. Elle \u00e9tait certaine que, dans les ann\u00e9es \u00e0\nvenir, Alice garderait son c\u0153ur d\u2019enfant, si aimant et si\nsimple ; elle rassemblerait autour d\u2019elle d\u2019autres petits\nenfants, ses enfants \u00e0 elle, et ce serait leurs yeux \u00e0 eux qui\ndeviendraient brillants et avides en \u00e9coutant mainte histoire\nextraordinaire, peut-\u00eatre m\u00eame cet ancien r\u00eave du Pays\ndes Merveilles. Elle partagerait tous leurs simples chagrins\net prendrait plaisir \u00e0 toutes leurs simples joies, en se\nrappelant sa propre enfance et les heureuses journ\u00e9es\nd\u2019\u00e9t\u00e9.\u00c0 propos de cette \u00e9dition\n\u00e9lectronique\nTexte libre de droits.\nSource traduction :\nhttp://www.atilf.fr/ananas/site/htm/textes/Alice_texte.html\nSource de la traduction largement compl\u00e9t\u00e9e et\nmodifi\u00e9e. Mise en chapitre, corrections\northographiques et typographiques, conversion\ninformatique, illustration et publication :\n \nEbooks libres et gratuits (Coolmicro)\nhttp://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits\n \nhttp://www.ebookgratuits.com/\n\u2013\nJanvier 2004\n\u2013\n\u2013 \nIllustrations :\nNoir et blanc : Illustrations d\u2019origine, de Tenniel,\nfournies par le Gutemberg Project.\nCouleur : Illustrations de Arthur Rackhamhttp://rackham.artpassions.net/aliceinwonderland.html\n\u2013 \nDispositions :\nLes livres que nous mettons \u00e0 votre disposition, sont\ndes textes libres de droits, que vous pouvez utiliser\nlibrement, \n\u00e0 une fin non commerciale et non\nprofessionnelle\n. Si vous d\u00e9sirez les faire para\u00eetre sur\nvotre site, ils ne doivent pas \u00eatre alt\u00e9r\u00e9s en aucune\nsorte. \nTout lien vers notre site est bienvenu\u2026\n\u2013 \nQualit\u00e9 :\nLes textes sont livr\u00e9s tels quels sans garantie de leur\nint\u00e9grit\u00e9 parfaite par rapport \u00e0 l\u2019original. Nous\nrappelons que c\u2019est un travail d\u2019amateurs non\nr\u00e9tribu\u00e9s et que nous essayons de promouvoir la\nculture litt\u00e9raire avec de maigres moyens.\n \nVotre aide est la bienvenue !\nVOUS POUVEZ NOUS AIDER \u00c0 FAIRE CONNA\u00ceTRE\nCES CLASSIQUES LITT\u00c9RAIRES.{1}\n En anglais : Antipathies. Jeux de mot intraduisible. Alice veut\nparler des habitants des pays situ\u00e9s aux antipodes de la Terre.\n{2}\n En fran\u00e7ais, dans le texte original\n{3}\n En anglais, Caucus Race : terme un peu m\u00e9prisant ; il s\u2019agit\nd\u2019une r\u00e9union politique pour d\u00e9signer un candidat aux \u00e9lections ; peut\n\u00eatre traduit par \u201ccourse des politicards\u201d ou \u201ccourse \u00e0 la candidature\u201d.\n{4}\n Le texte original comporte un jeu de mots entre tale (histoire) et\ntail (queue), que le traducteur a essay\u00e9 de rendre en modifiant\nl\u00e9g\u00e8rement la traduction litt\u00e9rale.\n{5}\n Le texte original comporte un jeu de mots entre \u201c\nI had \nnot\n !\u201d\n et\n\u201c\nknot !\u201d\n (noeud), que le traducteur a essay\u00e9 de rendre en modifiant\nl\u00e9g\u00e8rement la traduction litt\u00e9rale.\n{6}\n Parodie d\u2019un long po\u00e8me ennuyeux et moralisateur que l\u2019on\nobligeait les \u00e9coliers \u00e0 apprendre du temps de Lewis Carroll.\n{7}\n Le mot anglais employ\u00e9 est \u201cserpent\u201d, qui d\u00e9signe le serpent\ndu d\u00e9mon, par opposition \u00e0 \u201csnake\u201d, le mot usuel pour serpent.\n{8}\n Voir l\u2019expression \nto grin as a Cheshire cat\n (avoir un sourire\nfendu jusqu\u2019aux oreilles comme un chat du Cheshire) ; certains\nfromages du Cheshire, province o\u00f9 est n\u00e9 l\u2019auteur, \u00e9taient moul\u00e9s en\nforme de chats grima\u00e7ants.\n{9}\n Parodie du po\u00e8me \u00e9crit en 1849 par David Bates\n{10}\n Allusion \u00e0 deux expressions anglaises : \nto be mad as a hatter\n(\u00eatre fou comme un chapelier ou \ntravailler du chapeau\n) et : \nto be mad\nas a March hare\n (\u00eatre fou comme un li\u00e8vre de Mars). La premi\u00e8re\nexpression serait due au fait que les vapeurs de mercure employ\u00e9\nautrefois dans le traitement des feutres des chapeaux pouvaient finir\npar rendre fou ; la seconde au fait que le li\u00e8vre devient quasiment foulors de la saison des amours, vers le mois de mars.\n{11}\n Parodie du po\u00e8me de Jane Taylor \nTwinkle, twinkle little star\n(Scintille, scintille petite \u00e9toile).\n{12}\n \u00c0 l\u2019\u00e9poque de Lewis Caroll, le th\u00e9 \u00e9tait souvent servi \u00e0 6\nheures.\n{13}\n Allusion \u00e0 la \u00ab Guerre des deux roses \u00bb, \u00e9pisode de l\u2019histoire\nanglaise qui opposa les York \u2013 armoiries avec une rose blanche \u2013 aux\nLancaster \u2013 armoiries avec une rose rouge \u2013 au XV\u00e8me si\u00e8cle.\n{14}\n Soupe \u00e0 la Simili-Tortue : soupe \u00e0 base de t\u00eate de veau qui\nremplace la v\u00e9ritable soupe de tortue verte, rare et ch\u00e8re. D\u2019o\u00f9\nl\u2019illustration d\u2019une tortue \u00e0 t\u00eate et pied de veau.\n{15}\n Parodie d\u2019un po\u00e8me de Mary Howith \nThe Spider and the Fly\n(l\u2019Araign\u00e9e et la Mouche)"} |