{"filename": "erec-bi.pdf", "content": "Chr\u00e9tien de Troyes\n\u00c9REC et \u00c9NIDE\nTransposition en vers\nen fran\u00e7ais moderne\ndu texte du manuscrit BN Fr. 794\npar Guy de Pernon\n2022\u00a9Guy de Pernon 2022Merci \u00e0\nMireille Jacquesson\nqui a bien voulu se charger\nde la correction de ce travailSommaire\nPr\u00e9sentation 9\nLE TEXTE 11\nPrologue de l\u2019auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13\nLa coutume du cerf blanc . . . . . . . . . . . . . . . . 15\nPr\u00e9paratifs et Portrait d\u2019\u00c9rec . . . . . . . . . . . 17\nLe chevalier et son nain . . . . . . . . . . . . . . 21\n\u00c9rec fouett\u00e9 par le nain . . . . . . . . . . . . . . 27\nLa Chasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31\n\u00c9rec poursuit le chevalier . . . . . . . . . . . . . 35\nChez le vavasseur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37\nLa \ufb01lle du vavasseur . . . . . . . . . . . . . . . 39\nLe d\u00eener chez le vavasseur . . . . . . . . . . . . 43\nR\u00e9cit du vavasseur . . . . . . . . . . . . . . . . 45\nLa coutume de l\u2019\u00e9pervier . . . . . . . . . . . . . . . . 49\n\u00c9rec combattra pour la \ufb01lle . . . . . . . . . . . . 51\nLe vavasseur accorde sa \ufb01lle \u00e0 \u00c9rec . . . . . . . 55\n\u00c9rec est arm\u00e9 par la pucelle . . . . . . . . . . . . 59\nD\u00e9part d\u2019\u00c9rec et de la pucelle . . . . . . . . . . . 61\nCommentaires de la foule . . . . . . . . . . . . . 61\n5Arriv\u00e9e du chevalier inconnu . . . . . . . . . . . 63\nLe D\u00e9\ufb01 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65\nLe combat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69\nReprise du combat . . . . . . . . . . . . . . . . 73\nYdier est vaincu . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77\nYdier \u00e0 Caradigan . . . . . . . . . . . . . . . . . 83\nYdier devant la reine . . . . . . . . . . . . . . . 89\nRetour chez le vavasseur . . . . . . . . . . . . . 97\n\u00c0 la Cour de Caradigan . . . . . . . . . . . . . . . . . 105\nArriv\u00e9e \u00e0 Caradigan . . . . . . . . . . . . . . . . 111\nV\u00eatements et parures . . . . . . . . . . . . . . . 115\nPr\u00e9sentation \u00e0 la cour . . . . . . . . . . . . . . . 121\nLe baiser du Blanc Cerf . . . . . . . . . . . . . . 125\nLes noces d\u2019\u00c9rec et \u00c9nide . . . . . . . . . . . . . . . . 135\nLes convives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135\n\u00c9nide nomm\u00e9e et festivit\u00e9s . . . . . . . . . . . . 141\nLa nuit d\u2019amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145\nLe tournoi de Tenebroc . . . . . . . . . . . . . . 147\nProuesses d\u2019\u00c9rec . . . . . . . . . . . . . . . . . 151\nLa \u201crecr\u00e9antise\u201d d\u2019\u00c9rec . . . . . . . . . . . . . . . . . 157\nRetour \u00e0 Carnant et festivit\u00e9s . . . . . . . . . . . 157\n\u00c9rec \u201crecr\u00e9ant\u201d . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171\nMauvaises rencontres . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191\nPremi\u00e8re Rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . 191\nLes chevaliers pillards . . . . . . . . . . . . . . . 195\nDeuxi\u00e8me rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203\nLe Comte vaniteux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219\nLe Comte tente de s\u00e9duire \u00c9nide . . . . . . . . . 225\nRuse d\u2019\u00c9nide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231\nFuite d\u2019\u00c9rec et \u00c9nide . . . . . . . . . . . . . . . 239\nCombat d\u2019\u00c9rec et du Comte . . . . . . . . . . . 245\nGuivret le Petit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249\nCombat contre Guivret . . . . . . . . . . . . . . 257Insolence de Keu . . . . . . . . . . . . . . . . . 267\n\u00c9rec et Gauvain . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279\n\u00c9rec chez le roi Arthur\u00b0 . . . . . . . . . . . . . . 283\n\u00c9rec et les deux g\u00e9ants . . . . . . . . . . . . . . 291\n\u00c9rec \u00e9vanoui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307\nLe comte de Limors . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313\n\u00c9rec revient \u00e0 lui . . . . . . . . . . . . . . . . . 325\n\u00c9rec pardonne \u00e0 \u00c9nide . . . . . . . . . . . . . . 329\nRencontre avec Guivret . . . . . . . . . . . . . . 331\nLe campement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341\n\u00c9rec soign\u00e9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345\nD\u00e9part du ch\u00e2teau de Guivret . . . . . . . . . . . 353\nLa \u201cJoie de la Cort\u201d . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363\nLe \u201cverger\u201d enchant\u00e9 . . . . . . . . . . . . . . . 381\nCombat avec le Grand Chevalier . . . . . . . . . 391\nR\u00e9cit de Maboagrain . . . . . . . . . . . . . . . 401\nSens de la \u201cJoie de la Cour\u201d . . . . . . . . . . . 405\n\u00c9nide et la demoiselle . . . . . . . . . . . . . . . 409\nLa \u201cJoie de la Cour\u201d . . . . . . . . . . . . . . . 419\nMort du Roi Lac . . . . . . . . . . . . . . . . . 431\nCouronnements \u00e0 Nantes . . . . . . . . . . . . . 439\nLes quatre Arts . . . . . . . . . . . . . . . . . . 445\nGLOSSAIRE et NOTES 459Pr\u00e9sentation\nCette \u00e9dition a ceci de particulier qu\u2019elle est une transposition en\nfran\u00e7ais moderne, en octosyllabes, qui est le m\u00e8tre employ\u00e9 dans\nle texte original.\nIl existe des traductions, mais elles sont le plus souvent en prose ,\nce qui ne peut absolument pas rendre le charme d\u2019un po\u00e8me. . . D\u2019autres,\nplus r\u00e9cemment, ont opt\u00e9 pour une forme d\u2019apparence versi\ufb01\u00e9e,\nmais qui n\u2019est en fait que de la prose d\u00e9coup\u00e9e en lignes plus ou\nmoins longues. . . , et qui ne donne que visuellement l\u2019impression\nd\u2019\u00eatre en vers.\nPour ma part, j\u2019ai tenu \u00e0 donner une traduction vers \u00e0 vers , et\nen respectant le m\u00e8tre d\u2019origine, de fa\u00e7on \u00e0 fournir au lecteur\nd\u2019aujourd\u2019hui le mouvement m\u00eame du po\u00e8me, et j\u2019ai relev\u00e9 le d\u00e9\ufb01\nconsistant \u00e0 conserver les rimes \u2014 au prix, il est vrai, de certaines\ntournures qui pourront sembler quelque peu archa\u00efques parfois,\nmais j\u2019ai surtout cherch\u00e9 \u00e0 \u00e9viter les anachronismes, que l\u2019on\ntrouve souvent dans les traductions existantes : des expressions\ncomme \u00ab intelligence \u00bb \u00ab \u00e0 l\u2019\u00e9tat de fragments \u00bb, \u00ab parfaitement\nconfectionn\u00e9es \u00bb, \u00ab fabriquaient \u00bb. . . etc. ne me semblent pas\nappropri\u00e9s dans la traduction d\u2019un texte du XII\u00e8me si\u00e8cle.Le lecteur jugera si je suis parvenu \u00e0 conserver la saveur du texte\npo\u00e9tique de Chr\u00e9tien, si remarquable, et tellement sup\u00e9rieure \u00e0\nce que l\u2019on peut trouver dans le reste de la production de l\u2019\u00e9poque.\nGLOSSAIRE\nJ\u2019ai choisi assez souvent de conserver un mot ancien, parfois pour\nne pas fausser la rime, mais le plus souvent de fa\u00e7on d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e,\npour conserver au texte sa \u201csaveur ancienne\u201d. Dans ce cas, je l\u2019ai\nfait suivre du signe \u201c \u00b0\u201d, pour indiquer que l\u2019explication de ce mot\n\ufb01gure \u00e0 la \ufb01n du livre dans la partie intitul\u00e9e \u201cGlossaire et Notes\u201d.\nJe n\u2019ai pas fait \ufb01gurer dans ce glossaire les innombrables noms de\nlieux et de personnages invent\u00e9s pour les besoins du texte. . . mais\nseulement quelques-uns ayant une certaine consistance \u00e0 travers\nles divers romans de Chr\u00e9tien de Troyes. Ce m\u00eame signe \u201c \u00b0\u201d peut\naussi marquer un mot renvoyant \u00e0 un vers ou \u00e0 tout un passage\nqui m\u2019a sembl\u00e9 n\u00e9cessiter une explication.\n*\n* *\nLe texte original qui a servi de base \u00e0 cette traduction est celui du\n\"Manuscrit Guiot\", c\u2019est-\u00e0-dire le manuscrit de la Biblioth\u00e8que\nNationale de France, B.N. fr. 794. Celui-ci est assez lisible, (mais\nle 1376 l\u2019est bien plus), et les b\u00e9vues commises par le copiste\nsont relativement rares. Quand je me suis trouv\u00e9 devant un vers\nincompr\u00e9hensible ou manifestement interpol\u00e9, je me suis g\u00e9n\u00e9ra-\nlement r\u00e9f\u00e9r\u00e9 au manuscrit B.N. fr. 1376.LE TEXTE\n1112 Chr\u00e9tien de Troyes\nLi vilains dit an son respit\nque tel chose a l\u2019an an despit\nqui molt valt mialz que l\u2019an ne cuide ;\npor ce fet bien qui son estuide 4\natome a bien quel que il l\u2019ait ;\ncar qui son estuide antrelait,\ntost i puet tel chose teisir\nqui molt vandroit puis a pleisir 8\nPor ce dist Crest\u00efens de Troies\nque reisons est que totevoies\ndoit chascuns panser et antandre\na bien dire et a bien aprandre ; 12\net tret d\u2019un conte d\u2019avanture\nune molt bele conjointure\npar qu\u2019an puet prover et savoir\nque cil ne fet mie savoir 16\nqui s\u2019esc\u00efence n\u2019abandone\ntant con Dex la grasce l\u2019an done :\nd\u2019Erec, le \ufb01l Lac, est li contes,\nque devant rois et devant contes 20\ndepecier et corronpre suelent\ncil qui de conter vivre vuelent\nDes or comancerai l\u2019estoire\nqui toz jorz mes iert an mimoire 24\ntant con durra crest\u00efantez ;\nde ce s\u2019est Crest\u00efens vantez\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 13\nPrologue de l\u2019auteur\nEn leurs proverbes, vilains\u00b0 disent,\n\u00ab Il est choses que l\u2019on m\u00e9prise\nQui valent bien mieux que l\u2019on croit. \u00bb\nAinsi fait bien, celui, ma foi, 4\nQui m\u00e8ne \u00e0 bien quoi que ce soit.\nCar ce qu\u2019on n\u00e9glige, parfois,\nPourrait bien chose receler\nQue l\u2019on viendrait \u00e0 regretter. 8\nAlors, se dit Chr\u00e9tien\u00b0 de Troyes\nIl vaut bien mieux, quoi qu\u2019il en soit,\nPour chacun, donc, de s\u2019e \u000borcer\n\u00c0 bien dire, et bien enseigner ; 12\nEt d\u2019un aventureux r\u00e9cit,\nTire un bien bel e \u000bet, ici,\nPar lequel on peut v\u00e9ri\ufb01er\nQue nul n\u2019est un homme sens\u00e9 16\nQui ne fait montre de sa science,\nPour autant que Dieu l\u2019ait en gr\u00e2ce.\nD\u2019\u00c9rec, \ufb01ls de Lac, c\u2019est le conte\u00b0,\nQue devant rois et devant comtes 20\nNe font que corrompre et couper\nCeux qui font m\u00e9tier de conter.\nD\u00e8s lors commencerai l\u2019histoire\nQui toujours sera en m\u00e9moire 24\nAussi longtemps que chr\u00e9tient\u00e9,\nDe cela s\u2019est Chr\u00e9tien\u00b0 vant\u00e9.14 Chr\u00e9tien de Troyes\nAu jor de Pasque, au tans novel,\na Quaradigan, son chastel, 28\not li rois Artus cort tenue ;\neinz si riche ne fu ve\u00fce,\nque molt i ot boens chevaliers,\nhardiz et conbatanz et \ufb01ers, 32\net riches dames et puceles,\n\ufb01lles de rois, gentes et beles ;\nmes ein\u00e7ois que la corz fausist,\nli rois a ses chevaliers dist 36\nqu\u2019il voloit le blanc cerf chacier\npor la costume ressaucier.\nMon seignor Gauvain ne plot mie,\nquant il ot la parole o\u00efe : 40\n\u00ab Sire, fet il, de ceste chace\nn\u2019avroiz vos ja ne gr\u00e9 ne grace.\nNos savomes bien tuit piece a\nquel costume li blans cers a : 44\nqui le blanc cerf ocirre puet\npar reison beisier li estuet\ndes puceles de vostre cort\nla plus bele, a gue gue il tort. 48\nMaus an puet avenir molt granz,\nqu\u2019ancor a il ceanz .vc.\ndameiseles de hauz paraiges,\n\ufb01lles de rois, gentes et sages ; 52\nn\u2019i a nule qui n\u2019ait ami\nchevalier vaillant et hardi,\ndon chascuns desresnier voldroit,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 15\nLa coutume du cerf blanc\nAu jour de P\u00e2ques, au temps nouveau\n\u00c0 Caradigan, son ch\u00e2teau, 28\nLe roi Arthur\u00b0 a cour tenue ;\nJamais si riche ne fut vue,\nTant il y eut bons chevaliers,\nHardis et \ufb01ers, ci-rassembl\u00e9s, 32\nRiches dames et demoiselle,\nFilles de rois, nobles et belles.\nMais avant que cong\u00e9 ne prit,\nLe roi \u00e0 ses chevaliers dit 36\nQu\u2019il voulait le blanc cerf chasser,\nPour la coutume retrouver.\nSire Gauvain\u00b0 fut fort marri\u00b0\nQuand ces mots-l\u00e0 il eut ou\u00ef\u00b0 : 40\n\u00ab Sire, dit-il, de cette chasse,\nN\u2019aurez jamais ni gr\u00e9, ni gr\u00e2ce.\nDe longtemps nous connaissons bien\nDu blanc cerf cet usage ancien : 44\nQui le blanc cerf parvient \u00e0 tuer,\nSelon la r\u00e8gle, doit donner\n\u00c0 la plus belle qu\u2019ici voit,\nUn baiser \u2014 et quoi qu\u2019il en soit. 48\nPeut en venir malheur tr\u00e8s grand :\nIl est c\u00e9ans\u00b0 plus de cinq cents\nDemoiselles de haut lignage,\nFilles de rois, nobles et sages, 52\nDont nulle qui n\u2019ait pour ami\nChevalier vaillant et hardi.\nChacun d\u2019eux voudra soutenir16 Chr\u00e9tien de Troyes\nou fust a tort ou fust a droit, 56\nque cele qui li atalante\nest la plus bele et la plus gente. \u00bb\nLi rois respont : \u00ab Ce sai ge bien ,\nmes por ce n\u2019an lerai ge rien, 60\ncar parole que rois a dite\nne doit puis estre contredite\nDemain matin a grant deduit\nirons chacier le blanc cerf tuit 64\nan la forest avantureuse ;\nceste chace iert mout mervelleuse \u00bb\nEnsi est la chace atornee\na l\u2019andemain, a l\u2019anjornee 68\nL\u2019andemain, lu\u00e9s que il ajorne,\nli rois se lieve et si s\u2019atorne,\net por aler an la forest\nd\u2019une corte cote se vest 72\nLes chevaliers fet esvellier,\nLes chaceor aparellier ;\nlor ars et lor saietes ont.\nan la forest chacier s\u2019an vont 76\nApr\u00e9s aus monte la re\u00efne,\nansanble o li une meschine ;\npucele estoit, \ufb01lle de roi,\net sist sor un boen palefroi 80\nApr\u00e9s les siust a esperon\nuns chevaliers, Erec a non ;\nde la Table Reonde estoit,\nan la cort mout grant los avoit ; 84\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 17\n\u00c0 tort ou \u00e0 raison, messire, 56\nQue de toutes, sa demoiselle,\nEst la plus noble, et la plus belle. \u00bb\nLe roi r\u00e9pond : \u00ab Je le sais bien,\nMais pourtant ne changerai rien. 60\nCar parole que roi a dite\nNe doit plus \u00eatre contredite.\nDemain matin, en grand\u2019 gaiet\u00e9\nLe cerf blanc nous irons chasser 64\nEn la for\u00eat aventureuse :\nCe sera chasse merveilleuse.\nPr\u00e9paratifs et Portrait d\u2019\u00c9rec\nPour le lendemain, on pr\u00e9pare\nLa chasse : \u00e0 l\u2019aube le d\u00e9part. 68\nLe lendemain, au jour levant\nLe roi se l\u00e8ve, s\u2019habillant.\nPour s\u2019en aller dans la for\u00eat,\nD\u2019une courte cotte se v\u00eat ; 72\nFait \u00e9veiller les chevaliers,\nEt les chevaux fait harnacher.\nLeurs arcs et leurs \ufb02\u00e8ches ont ;\nDans la for\u00eat, chasser s\u2019en vont. 76\nLa reine\u00b0 s\u2019en vient derri\u00e8re eux ;\nSa servante la suit de peu,\nDemoiselle, \ufb01lle de roi,\nSur le dos d\u2019un bon palefroi\u00b0. 80\nPuis vient, piquant des \u00e9perons,\nUn chevalier : \u00c9rec a nom.\nIl \u00e9tait de la Table Ronde\u00b0,\nEt de grand renom dans le monde. 8418 Chr\u00e9tien de Troyes\nde tant com il i ot est\u00e9,\nn\u2019i ot chevalier si lo\u00e9,\net fu tant biax qu\u2019an nule terre\nn\u2019estovoit plus bel de lui querre 88\nMolt estoit biax et preuz et genz\nEt n\u2019avoit pas .xxV . anz\nonques nus hom de son aage\nne fu de si grant vaselage ; 92\nque diroie de ses bontez ?\nSur un destrier estoit montez\nafublez d\u2019un mantel hermin ;\ngalopant vient tot le chemin ; 96\ns\u2019ot cote d\u2019un diapre noble\nqui fuz fait an Costantinoble ;\nchauces de paile avoit chauciees.\nmolt bien fetes et bien tailliees ; 100\ne fu es estri\u00e9s a\ufb01chiez\nuns esperos a or chauciez ;\nn\u2019ot avoec lui arme aportee\nfors que tant seulemant s\u2019espee. 104\nLa reine vint ateignant\nau tor de la rue poignant :\n\u00ab Dame, fet il, a vos seroie,\ns\u2019il vos pleisoit, an ceste voie ; 108\nje ne ving \u00e7a por autre afere\nfors por vos conpaignie fere. \u00bb\nEt la re\u00efne l\u2019an mercie :\n\u00ab Biax amis, vostre conpaignie 112\naim je molt, ce saichiez de voir :\nje ne puis pas meillor avoir. \u00bb\nLors chevalchent a grant esploit,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 19\nAussi longtemps qu\u2019\u00e0 la cour fut,\nChevalier si lou\u00e9 n\u2019y eut ;\n\u00c9tait si beau qu\u2019en aucun lieu\nOn n\u2019e\u00fbt vraiment pas trouv\u00e9 mieux. 88\n\u00c9tait tr\u00e8s beau et noble et preux,\nVingt-cinq ans, les aurait sous peu.\nJamais un homme de son \u00e2ge\nNe poss\u00e9da si grand courage. 92\nQue dirai-je de ses exploits ?\nMont\u00e9 sur un beau palefroi\u00b0\u00b0,\nAu galop \ufb01\u00e8rement chemine.\nIl porte un beau manteau d\u2019hermine, 96\nTunique diapr\u00e9e de sinople\u00b0,\nQui fut faite \u00e0 Constantinople\u00b0.\nChausses de soie avait pass\u00e9,\nTr\u00e8s bien faites et bien taill\u00e9es ; 100\nBien camp\u00e9 sur les \u00e9triers,\n\u00c9perons d\u2019or avait chauss\u00e9 ;\nIl n\u2019avait nulle arme emport\u00e9e,\n\u00c0 l\u2019exception de son \u00e9p\u00e9e. 104\nPiquant des deux, il a rejoint\nLa reine, au tournant du chemin.\n\u00ab Dame, fait-il, s\u2019il vous agr\u00e9e,\nGaloperai \u00e0 vos c\u00f4t\u00e9s. 108\nJe ne suis venu par ici\nQue pour vous tenir compagnie. \u00bb\nEt la reine l\u2019en remercie :\n\u00ab Bel ami, votre compagnie 112\nMe pla\u00eet fort, vous pouvez le voir :\nJe n\u2019en puis de meilleure avoir. \u00bb\nLors chevauchent sans nulle peine ;20 Chr\u00e9tien de Troyes\nan la forest vienent tot droit. 116\nCil qui devant erent al\u00e9\navoient ja le cerf lev\u00e9 ;\nli uns cornent, li autre huient ;\nli chuen apr\u00e9s le cerf s\u2019esbruient, 120\ncorent, angressent et abaient ;\nli archier espressement traient.\nDevant ax toz chace li rois\nsor un chaceor espanois. 124\nLa re\u00efne Ganievre estoit\nel bois qui les chiens escotoit.\nlez li Erec, et sa pucele,\nqui molt estoit cortoise et bele ; 128\nmes tant d\u2019ax esloigni\u00e9 estoient\ncil qui le cerf lev\u00e9 avoient\nque d\u2019ax ne pueent o\u00efr rien,\nne cor ne chaceor, ne chien. 132\nPor orellier et escouter\ns\u2019il orroient home parler\nne cri de chien de bule part,\ntuit troi furent an un essart 136\nanz en un chemin, arest\u00e9.\nMes molt i orent po est\u00e9,\nquant il virent un chevalier\nvenir arm\u00e9 sor un destrier, 140\nl\u2019escu aucol, la lance el poing.\nLa reine le vit de loing :\ndelez lui chevalchoit a destre\nune pucele de bel estre ; 144\ndevant ax, sor un grant roncin,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 21\nEn la for\u00eat tout droit s\u2019en viennent. 116\nCeux qui devant \u00e9taient all\u00e9s\nAvaient d\u00e9j\u00e0 le cerf lev\u00e9.\nLes uns cornent, les autres crient,\nEt les chiens derri\u00e8re, \u00e0 grand bruit, 120\nCourent et s\u2019excitent \u00e0 le voir.\nArchers font les \ufb02\u00e8ches pleuvoir.\nDevant eux tous chasse le roi ;\nEspagnol est son palefroi\u00b0. 124\nMais la reine Gueni\u00e8vre\u00b0 \u00e9tait,\nDans le bois ; les chiens \u00e9coutait,\nAvec \u00c9rec et sa pucelle\u00b0\u00b0,\nQui \u00e9tait tr\u00e8s courtoise et belle ; 128\nEt d\u2019eux s\u2019\u00e9taient tant \u00e9loign\u00e9s\nCeux qui avaient le cerf lev\u00e9,\nQu\u2019ils ne pouvaient entendre rien,\nNi cor, ni cheval, ni les chiens ; 132\nEt pour mieux l\u2019oreille pr\u00eater,\nS\u2019ils entendaient quelqu\u2019un parler,\nOu chien crier en quelque part,\nTous trois s\u2019arr\u00eatent en un essart\u00b0 ; 136\nAu bord du chemin, \u00e9coutant. . .\nLe chevalier et son nain\nY \u00e9taient depuis peu de temps\nQuand ils virent un chevalier\nVenir arm\u00e9 sur son destrier, 140\nL\u2019\u00e9cu\u00b0 au cou, la lance au poing.\nLa reine l\u2019avait vu de loin ;\n\u00c0 la droite de lui se tient\nDemoiselle de beau maintien ; 144\nDevant eux, sur un grand roussin,22 Chr\u00e9tien de Troyes\nvenoit uns nains tot le chemin\net ot en sa main aportee\nune corgiee an son noee. 148\nLa re\u00efne Guenievre voit\nle chevalier bel et adroit,\net de sa pucele et de lui\nvialt savoir qui il sont andui. 152\nSa pucele comande aler\nisnelement a lui parler :\n\u00ab Dameisele, fet la reine,\nce Chevalier qui la chemine 156\nalez dire qu\u2019il vaigne a moi\net amaint sa pucele o soi. \u00bb\nLa pucele vet l\u2019anble\u00fcre\nvers le chevalier a droiture. 160\nLi nains a l\u2019ancontre Ii vient\nqui sa corgiee an sa main tient.\n\u00ab Dameisele, estez ! fet li nains\nqui de felenie fu plains, 164\nqu\u2019alez vos ceste part querant ?\nCa n\u2019avez vos que fere avant.\n\u2014 Nains, fet ele, lesse m\u2019aler :\na ce chevalier voel parler, 168\ncar la reine m\u2019i anvoie. \u00bb\nLi nains s\u2019estut en mi la voie,\nqui molt fut fel et de pute ere :\n\u00ab Ca n\u2019avez vos, fet il, que fere. 172\nAlez arrieres : n\u2019est pas droiz\nqu\u2019a si boen chevalier parloiz. \u00bb\nLa pucele s\u2019est avant trete,\npasser volt oltre a force fete, 176\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 23\nVenait un nain\u00b0, par le chemin.\nEt ce nain en la main tenait\nLes lani\u00e8res nou\u00e9es d\u2019un fouet. 148\nQuand la reine Gueni\u00e8vre\u00b0 voit\nLe chevalier bel et adroit,\nSa demoiselle ainsi que lui,\nveut conna\u00eetre qui sont ceux-ci. 152\n\u00c0 sa pucelle\u00b0 dit d\u2019aller\nTout de suite pour lui parler :\n\u00ab Demoiselle, a dit la reine,\n\u00c0 ce chevalier qui chemine, 156\nQu\u2019il vienne vers moi, dites-lui,\nAvec sa demoiselle aussi. \u00bb\nLa pucelle\u00b0, tranquillement,\nAu chevalier tout droit se rend. 160\nLe nain\u00b0 \u00e0 sa rencontre vient,\nEt dans main, un fouet il tient.\n\u00ab Arr\u00eatez-vous ! \u00bb lui crie le nain\u00b0,\nQui de per\ufb01die \u00e9tait plein. 164\n\u00ab Par ici qu\u2019allez-vous cherchant ?\nNe devez aller plus avant !\n\u2014 nain\u00b0, dit-elle, laisse-moi faire :\n\u00c0 ce chevalier j\u2019ai a \u000baire, 168\nCar la reine vers lui m\u2019envoie. \u00bb\nMais le nain\u00b0 lui barre la voie,\nD\u2019un air tr\u00e8s sournois, tr\u00e8s vil ;\n\u00ab Ci n\u2019avez \u00e0 faire, dit-il, 172\nArri\u00e8re ! Il ne vous convient pas\nD\u2019aller parler \u00e0 celui-l\u00e0. \u00bb\nLa pucelle\u00b0 s\u2019est avanc\u00e9e,\nEt veut par la force passer, 17624 Chr\u00e9tien de Troyes\nque lo nain ot an grant despit\npor ce qu\u2019ele le vit petit.\nEt li nains hauce la corgiee,\nquant vers lui la vit aprochiee ; 180\nferir la volt par mi le vis\nmes cele a son braz devant mis ;\ncil recuevre, si l\u2019a ferue\na descovert sor la main nue : 184\nsi la \ufb01ert sor la main anverse\nque tote an devint la mains perse.\nLa pucele, quant mialz ne puet,\nvoelle on non, retorner l\u2019estuet ; 188\nretornee s\u2019an est plorant,\ndes ialz li descendent corant\nles lermes contreval la face.\nLa reine ne set que face. 192\nquant sa pucele voit bleciee ;\nmolt est dolante et correciee :\n\u00ab H\u00e9 ! Erec, biax amis, fet ele,\nmolt me poise de ma pucele 196\nque si a bleciee cil nains ;\nmolt est li chevaliers vilains,\nquant il sofri que tex fauture\nferi si bele criature. 200\nBiax amis Erec, alez i\nau Chevalier, et dites li\nque il veigne a moi, nel lest mie\nconuistre vuel lui et s\u2019amie. \u00bb 204\nErec cele part esperone,\ndes esperons au cheval done,\nvers le chevalier vient tot droit.\nLi nains cuiverz venir le voit, 208\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 25\nN\u2019ayant pour le nain\u00b0 que m\u00e9pris,\nEn le voyant aussi petit.\nMais le nain\u00b0 a brandi son fouet\nQuand il a vu qu\u2019elle approchait ; 180\nAu visage veut la frapper,\nMais de son bras s\u2019est prot\u00e9g\u00e9e ;\nAu second coup, le fouet venu\n\u00c0 d\u00e9couvert, sur la main nue, 184\nSur l\u2019envers de la main lui \ufb01t\nTellement qu\u2019elle en fut bleuie.\nLa pucelle\u00b0 ne put passer,\nDut revenir, bon gr\u00e9 mal gr\u00e9 ; 188\nS\u2019en est revenue en pleurant,\nDes yeux \u00e0 \ufb02ots lui vont coulant\nLes larmes le long de ses joues.\nLa reine ne comprend du tout 192\nQuand voit sa pucelle\u00b0 bless\u00e9e :\nElle est pein\u00e9e et courrouc\u00e9e.\n\u00ab Ah ! \u00c9rec ! Bel ami, fait-elle,\nJ\u2019ai grand-peine de ma pucelle\u00b0 196\nQue ce nain\u00b0 blessa laidement.\nLe chevalier est bien m\u00e9chant\nDe permettre \u00e0 cette rognure\nFrapper si belle cr\u00e9ature ! 200\nAllez, \u00c9rec, mon bel ami,\nVers le chevalier, dites-lui\nQu\u2019il lui faut s\u2019en venir ici :\nJe veux le conna\u00eetre et s\u2019amie. \u00bb 204\n\u00c9rec alors pique des deux,\nEt lance son cheval vers eux ;\nAu chevalier s\u2019en vient tout droit.\nLe m\u00e9chant nain\u00b0 venir le voit : 20826 Chr\u00e9tien de Troyes\na l\u2019ancontre li est aIez :\n\u00ab Vasax, fet il, arriers estez ;\n\u00e7a ne sai ge qu\u2019a fere aiez ;\nje vos lo qu\u2019arriers vos traiez. 212\n\u2014 Fui ! fet Erec, nains enuieus,\ntrop es fel et contralieus ;\nlesse m\u2019aler. \u2014 V os n\u2019i iroiz.\n\u2014 Je si ferai. \u2014 V os nel feroiz. \u00bb 216\nErec bote le nain an sus ;\nli nains fu fel tant con nus plus :\nde la corgiee grant colee\nli a par mi le col donee. 220\nLe col et la face ot vergiee\nErec del cop de la corgiee ;\nde chief en chief perent les roies\nque li ont feites les corroies. 224\nIl sot bien que del nain ferir\nne porroit il mie joir,\ncar le chevalier vit arm\u00e9,\nmolt felon et desmesur\u00e9, 228\net crient qu\u2019asez tost l\u2019ocirroit,\nse devant lui son nain feroit.\nFolie n\u2019est pas vaselages ;\nde ce \ufb01st molt Erec que sages : 232\nrala s\u2019an, que plus n\u2019i ot fet.\n\u00ab Dame, fet il, or est plus let\nsi m\u2019a li nains cuiverz bleci\u00e9\nque tot le vis m\u2019a depeci\u00e9 ; 236\nne l\u2019osai ferir ne tochier,\nmes nus nel me doit reprochier,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 27\n\u00c0 sa rencontre il est all\u00e9.\n\u00ab Vassal\u00b0, a-t-il dit, arr\u00eatez !\nV ous n\u2019avez rien \u00e0 faire ici,\nAllez-vous en, je vous le dis ! 212\n\u2014 Pfui ! Fait \u00c9rec, nain\u00b0 odieux,\nTu es f\u00e9lon et ennuyeux.\nLaisse-moi aller. \u2014 V ous n\u2019irez.\n\u2014 Je le ferai. \u2014 Rien n\u2019en ferez. \u00bb 216\n\u00c9rec fouett\u00e9 par le nain\n\u00c9rec le boute devant lui ;\nLe nain\u00b0 fut pire qu\u2019on n\u2019en vit :\nDe son fouet il l\u2019a frapp\u00e9,\nEn plein visage l\u2019a fouett\u00e9 ! 220\nLe cou et la face ray\u00e9e\n\u00c9rec eut par ce coup de fouet ;\nEt de part en part les lani\u00e8res\nDe cuisantes raies lui laiss\u00e8rent. 224\nIl savait qu\u2019il lui serait vain\nDe vouloir se venger du nain\u00b0.\nLe chevalier \u00e9tait arm\u00e9,\nL\u2019air tr\u00e8s cruel et d\u00e9cid\u00e9. . . 228\nIl craignit d\u2019\u00eatre t\u00f4t occis\u00b0\nS\u2019il frappait son nain\u00b0 devant lui.\nT\u00e9m\u00e9rit\u00e9 n\u2019est pas courage !\nAussi \u00c9rec fut-il tr\u00e8s sage 232\nDe s\u2019en aller \u2014 et ce fut tout.\n\u00ab Dame, c\u2019est bien pire que tout !\nLe mis\u00e9rable m\u2019a bless\u00e9,\nLe visage m\u2019a lac\u00e9r\u00e9. . . 236\nJe n\u2019ai pas os\u00e9 le toucher,\nMais nul ne pourra m\u2019en bl\u00e2mer,28 Chr\u00e9tien de Troyes\nque ge toz desarmez estoie :\nle Chevalier arm\u00e9 dotoie, 240\nqui vilains est et outrageus ;\net il nel tenist pas a geus :\ntost m\u2019oce\u00efst par son orguel.\nItant bien prometre vos vuel 244\nque, se ge puis, je vangerai\nma honte, ou je la crestrai ;\nmes trop me sont mes armes loing,\nnes avrai pas a cest besoing, 248\nqu\u2019a Quaradigan les lessai\nhui matin, quant je m\u2019an tornai.\nSe je ja querre les aloie,\nja mes retrover ne porroie 252\nle chevalier par avanture,\ncar il s\u2019an vet grant ale\u00fcre :\nsivre le me covient ad\u00e9s,\nou soit de loing ou soit de pres, 256\ntant que ge puisse armes trover\nou a loier ou a prester.\nSe ge truis qui armes me prest,\nmaintenant me trovera prest 260\nli chevaliers de la bataille ;\net bien sachiez sanz nule faille\nque tant, nos conbatrons andui\nqu\u2019il me conquerra ou ge lui. 264\nEt, se ge puis, jusqu\u2019al tierz jor\nme serai ge mis el retor ;\nlors me reverroiz a l\u2019ostel,\nli\u00e9 ou dolant, ne sai lequel. 268\nDame, je ne puis plus tardier :\nsivre m\u2019estuet le chevalier ;\nje m\u2019an vois, a Deu vos comant. \u00bb\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 29\nCar aucune arme je n\u2019avais.\nCe chevalier je redoutais : 240\nIl est m\u00e9chant et belliqueux ;\nPour lui ce n\u2019\u00e9tait pas un jeu :\nM\u2019e\u00fbt occis\u00b0, tant est orgueilleux.\nMais vous promettre, je le peux, 244\nQue si je puis, je vengerai\nMa honte, ou la redoublerai.\nMais mes armes sont bien trop loin,\nInutiles en ce besoin ; 248\n\u00c0 Caradigan les laissai,\nCe matin, quand je m\u2019en allai.\nOr, si je vais les rechercher,\nJe pourrais bien ne plus trouver 252\nLe chevalier, c\u2019est m\u00eame s\u00fbr,\nCar il s\u2019enfuit \u00e0 toute allure !\nJe dois le suivre sans arr\u00eat\nOu bien de loin, ou bien de pr\u00e8s, 256\nTant que je puisse armes trouver\n\u00c0 emprunter ou \u00e0 louer.\nSi quelqu\u2019un peut m\u2019en procurer,\nMe trouvera le chevalier 260\nTout \u00e0 fait pr\u00eat pour le combat,\nEt sans nul doute, sachez cela,\nTous deux combattrons sans r\u00e9pit\nTant qu\u2019un de nous criera merci\u00b0. 264\nEt si je puis, avant trois jours,\nIci je serai de retour.\nAlors me verrez au palais,\nTriste ou joyeux, je ne le sais. 268\nDame, je ne puis plus tarder,\nJe dois suivre le chevalier ;\nJe m\u2019en vais ; \u00e0 Dieu vous con\ufb01e. \u00bb30 Chr\u00e9tien de Troyes\nEt la reine autresimant 272\na Deu, qui de mal le desfande,\nplus de .Vc. foiz le comande.\nErec se part de la re\u00efne,\ndel chevalier sivre ne \ufb01ne. 276\net la re\u00efne el bois remaint,\nou li rois ot le cerf ataint.\nA la prise del cerf ein\u00e7ois\nvint que nus des autres li rois ; 280\nle blanc cerf ont desfet et pris,\nau repeirier se sont tuit mis,\nle cerf an portent, si s\u2019an vont ;\na Caradigan venu sont. 284\nApr\u00e9s soper, quant li baron\nfurent tuit li\u00e9 par la meison,\nli rois, si con costume estoit,\npor ce que le cerf pris avoit, 288\ndist qu\u2019il iroit le beisier prandre\npor la costume del cerf randre.\nPar la cort an font grant murmure :\nli uns a l\u2019autre a\ufb01e et jure 292\nque ce n\u2019iert ja fet sanz desresne\nd\u2019espee ou de lance de fresne.\nChascuns vialt par chevalerie\ndesresnier que la soe amie 296\nest la plus bele de la sale ;\nmolt est ceste parole male.\nQuant mes sire Gauvains le sot.\nsachiez que mie ne li plot ; 300\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 31\nEt la reine prie Dieu aussi, 272\nQu\u2019il soit de tout mal prot\u00e9g\u00e9 :\nPlus de cinq cents fois a pri\u00e9.\nLa Chasse\nDe la reine \u00c9rec prend cong\u00e9\nEt il poursuit le chevalier. 276\nLa reine reste dans le bois,\nEt le cerf est aux mains du roi,\nCar il est venu le premier,\nAvant les autres, l\u2019achever. 280\nLe blanc cerf ont tu\u00e9, l\u2019ont pris,\nEt sur le retour se sont mis.\nIls s\u2019en vont, le cerf emportant,\nLes voici \u00e0 Caradigan. 284\nApr\u00e8s souper, quand les barons\u00b0\nFurent joyeux par la maison,\nSelon la coutume, le roi,\nLe cerf ayant pris, dit qu\u2019il doit 288\nDonc aller le baiser qu\u00e9rir\nPour la coutume maintenir.\nEn la cour c\u2019est un grand murmure,\nL\u2019un \u00e0 l\u2019autre a \u000erme, et jure 292\nQue cela n\u2019ira pas sans peine,\nCoups d\u2019\u00e9p\u00e9e ou lance de fr\u00eane !\nChacun veut par chevalerie\nProuver \u00e0 tous que son amie 296\nEst la plus belle de la salle.\nTout cela s\u2019annonce bien mal !\nQuand sire Gauvain l\u2019entendit,\nIl n\u2019en fut gu\u00e8re r\u00e9joui. 30032 Chr\u00e9tien de Troyes\na parole en a mis le roi : \"\n\u00ab Sire, fet il, an grant esfroi\nsont ceanz vostre chevalier.\nTuit parolent de ce beisier : 304\nbien d\u00efent tuit que n\u2019iert ja fet\nque noise et bataille n\u2019i et. \u00bb\nEt li rois li respont par san :\n\u00ab Biax ni\u00e9s Gauvains, conseilliez m\u2019an, 308\nsauve m\u2019annor et ma droiture,\nque je n\u2019ai de la noise cure. \u00bb\nAu consoil grant partie cort\ndes mellors barons de la cort : 312\nli rois Ydiers i est alez,\nqui premiers i fu apelez ;\napr\u00e9s li rois Cadiolanz,\nqui molt fu saiges et vaillanz ; 316\nKex et Gir\ufb02ez i sont venu\net Amauguins li rois i fu,\net des autres barons asez\ni ot avoec ax amassez, 320\nTant est la parole esme\u00fce,\nQue la re\u00efne i est venue ;\nl\u2019avanture lor a contee\nqu\u2019an la forest avoit trovee 324\ndel chevalier que arm\u00e9 vit\net del nain felon et petit\nqui de s\u2019escorgiee ot ferue\nsa pucele sor la main nue, 328\net ot feru tot ansimant\nErec el vis molt leidemant,\nqui a se\u00fc le chevalier\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 33\nIl en a donc fait part au roi :\n\u00ab Sire, fait-il, en grand \u00e9moi\nSont ici tous vos chevaliers.\nTous ne parlent que du baiser, 304\nEt tous promettent que cela\nN\u2019ira sans tumulte ou combat. \u00bb\nEt sagement r\u00e9pond le roi :\nGauvain, beau neveu, aidez-moi 308\n\u00c0 garder honneur et droiture,\nMais de ce tapage n\u2019ai cure. \u00bb\n\u00c0 l\u2019assembl\u00e9e bon nombre accourt\nDes meilleurs barons\u00b0 de la cour. 312\nLe roi Ydiez y est all\u00e9,\nQui le premier fut appel\u00e9 ;\nEt puis le le roi Cadiolan\nQui fut tr\u00e8s sage et tr\u00e8s vaillant. 316\nKeu\u00b0 et Gir\ufb02et y sont venus,\nEt Amauguin, le roi, y fut.\nEt d\u2019autres barons\u00b0 tr\u00e8s nombreux\nS\u2019y assembl\u00e8rent avec eux. 320\nLa discussion se prolonga\nTant que la reine y arriva.\nL\u2019aventure leur a cont\u00e9e\nQui lui survint en la for\u00eat, 324\nDu chevalier arm\u00e9 qu\u2019il vit,\nEt du nain\u00b0, f\u00e9lon et petit,\nQui de son fouet avait battu\nSa pucelle\u00b0 sur sa main nue, 328\nFrappant \u00c9rec pareillement,\nAu visage, vilainement ;\nComment il suit le chevalier,34 Chr\u00e9tien de Troyes\npor sa honte croistre ou vangier, 332\net que il repeirier devoit\njusqu\u2019a tierz jor, se il pooit.\n\u00ab Sire, fet la re\u00efne au roi,\nantandez un petit a moi. 336\nSe cist baron loent mon dit,\nmetez cest beisier an respit\njusqu\u2019a tierz jor qu\u2019Erec revaingne. \u00bb\nN\u2019i a nul qu\u2019a li ne se taigne, 340\net li rois me\u00efsmes l\u2019otroie.\nErec va suiant- tote voie\nle chevalier qui armez fu\net le nain qui l\u2019avoit feru, 344\ntant qu\u2019il vindrent a un chastel\nmolt bien seant et fort et bel ;\npar mi la porte antrent tot droit.\nEl chastel molt grant joie avoit 348\nde chevaliers et de puceles,\ncar molt en i avoit de beles.\nLi un peissoient par les rues,\nespreviers et faucons de m\u00fces, 352\net li autre aportoient hors\nterciax, ostors mu\u00ebz et sors ;\nli autre joent d\u2019autre part\nou a la mine ou a hasart, 356\ncil as eschas et cil as tables.\nLi gar\u00e7on devant ces estables\ntorchent les chevax et estrillent ;\nles dames es chanbres s\u2019atillent. 360\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 35\nPour sa honte accro\u00eetre ou venger ; 332\nComment il dit qu\u2019il reviendrait\nAvant trois jours, s\u2019il le pouvait.\n\u00ab Sire, alors dit la reine au roi,\nJe vous en prie, \u00e9coutez-moi ; 336\nIls m\u2019approuvent, ces barons\u00b0-ci,\nLaissez le baiser en r\u00e9pit,\nPour trois jours qu\u2019\u00c9rec nous revienne. \u00bb\nIl n\u2019est nul qui n\u2019en convienne, 340\nEt le roi lui-m\u00eame y consent.\n\u00c9rec poursuit le chevalier\n\u00c9rec poursuit, pendant ce temps\nLe chevalier qui est arm\u00e9,\nEt le nain\u00b0 qui l\u2019avait frapp\u00e9, 344\nTant qu\u2019ils vinrent \u00e0 un ch\u00e2teau\nBien situ\u00e9, tr\u00e8s fort, et beau :\nPar la porte ils entrent tout droit.\nEn ce ch\u00e2teau menaient grand-joie 348\nDes chevaliers et des pucelles\u00b0 ;\nIl en \u00e9tait beaucoup de belles.\nLes uns nourrissaient par les rues\n\u00c9perviers ou faucons de mue, 352\nEt les autres menaient dehors\nTiercelets\u00b0, autour\u00b0 jeune encore ;\nD\u2019autres jouaient encore \u00e0 part,\nAu jeu de d\u00e9s ou de hasard, 356\nAux \u00e9checs, au trictrac aussi.\nValets, devant les \u00e9curies\nChevaux bouchonnent et \u00e9trillent ;\nDames en leurs chambres s\u2019habillent. 36036 Chr\u00e9tien de Troyes\nDe si loing com il venir voient\nle chevalier qu\u2019il conuissoient,\nson nain et sa pucele o soi,\nancontre lui vont troi et troi ; 364\ntuit le conjoent et saluent ;\nmes contre Erec ne se remuent,\nqu\u2019il ne le conuissoient pas.\nErec va suiant tot le pas 368\npar le chastel le chevalier,\ntant que il le vit herbergier ;\nformant an fu joianz et liez\nquant il vit qu\u2019il fu herbergiez. 372\nUn petit est avant passez,\net vit gesir sor uns degrez\nun vavasor auques de jorz.\nmes molt estoit povre sa corz ; 376\nbiax hom estoit, chenuz et blans,\ndeboneres, gentix et frans ;\niluec s\u2019estoit toz seus assis,\nbien resanbloit qu\u2019il fust pansis. 380\nErec pansa que il estoit\npreudom : tost le herbergeroit ;\npar mi la porte antre an la cort.\nLi vavasors contre lui cort ; 384\neinz qu\u2019Erec li e\u00fcst dit mot,\nli vavasors sal\u00fc\u00e9 l\u2019ot :\n\u00ab Biax sire ; fet il, bien vaigniez,\nSe o moi herbergier daigniez, 388\nvez l\u2019ostel aparelli\u00e9 ci. \u00bb\nErec respont : \u00ab V ostre merci,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 37\nD\u2019aussi loin qu\u2019ils apercevaient\nLe chevalier qu\u2019ils connaissaient,\nSon nain\u00b0, sa pucelle\u00b0 avec soi,\nIls s\u2019en vont lui trois par trois ; 364\nTous lui font f\u00eate et le saluent ;\nMais pour \u00c9rec ne sont venus,\nCar ils ne le connaissaient pas.\n\u00c9rec va, suivant pas \u00e0 pas 368\nPar tout le bourg, le chevalier,\nPour savoir o\u00f9 sera log\u00e9.\nIl fut content et r\u00e9joui\nquand il le vit prendre logis. 372\nUn peu plus loin il est all\u00e9,\nEt vit en haut d\u2019un escalier,\nUn vavasseur\u00b0 assez \u00e2g\u00e9,\nMais vivant dans la pauvret\u00e9. 376\n\u00c9tait bel homme, \u00e0 cheveux blancs\nDe bonne souche, noble et franc\u00b0 ;\nIl \u00e9tait l\u00e0 tout seul assis.\nEt semblait avoir des soucis. 380\nChez le vavasseur\n\u00c9rec a pens\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait\nBrave, et que bien l\u2019h\u00e9bergerait.\nPar la porte, il entre en la cour ;\nLe vavasseur\u00b0 vers lui accourt ; 384\nAvant qu\u2019\u00c9rec lui e\u00fbt parl\u00e9,\nLe vavasseur\u00b0 l\u2019a salu\u00e9 :\n\u00ab Beau sire, bienvenu soyez\nSi chez moi vous daignez loger ; 388\nV oici l\u2019h\u00f4tel tout pr\u00eat ici. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab \u00c0 vous, merci.38 Chr\u00e9tien de Troyes\nJe ne sui \u00e7a venuz por el :\nmestier ai enuit mes d\u2019osteL \u00bb 392\nErec de son cheval descent ;\nli sires meismes le prent,\npar la resne apr\u00e9s lui le tret ;\nde son oste grant joie fet. 396\nLi vavasors sa fame apele\net sa \ufb01lle qui molt fu bele,\nqui an un ovreor ovroient,\nmes ne sai quele oevre i feisoient. 400\nLa dame s\u2019an est hors issue\net sa \ufb01lle, qui fu vestue\nd\u2019une chemise par panz lee, .\ndeliee, blanche et ridee ; 404\nun blanc cheinse ot vestu desus,\nn\u2019avoit robe ne mains ne plus,\net tant estoit li chamses viez\nque as costez estoit perciez : 408\npovre estoit la robe dehors,\nmes desoz estoit biax li cors.\nMolt estoit la pucele gente,\ncar tote i ot mise s\u2019antante 412\nNature qui fete l\u2019avoit ;\nele meismes s\u2019an estoit\nplus de .vc. foiz mervelliee\ncomant une sole foiee 416\ntant bele chose fere pot ;\ncar puis tant pener ne se pot\nqu\u2019elle poist son essanplaire\nan nule guise contrefaire. 420\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 39\nJe suis venu sans h\u00e9siter\nCar j\u2019ai besoin de me loger. \u00bb 392\n\u00c9rec de son cheval descend ;\nLe seigneur lui-m\u00eame le prend\nPar la bride, derri\u00e8re lui ;\nDe son h\u00f4te se r\u00e9jouit. 396\nLe vavasseur\u00b0 sa femme appelle,\nEt sa \ufb01lle, qui est tr\u00e8s belle,\nQui dans un ouvroir\u00b0 travaillaient,\nNe sais quel ouvrage y faisaient. 400\nLa dame est sortie et venue ;\nLa \ufb01lle du vavasseur\nEt sa \ufb01lle qui est v\u00eatue\nD\u2019une chemise bien drap\u00e9e,\nDe tissu \ufb01n, blanche, pliss\u00e9e ; 404\nBlanche bleue elle avait dessus,\nComme robe, ni moins ni plus,\nEt la blouse \u00e9tait si us\u00e9e\nQue les coudes \u00e9taient trou\u00e9s : 408\nPauvre \u00e9tait la robe au-dehors,\nMais en dessous, bien beau le corps.\nLa pucelle\u00b0 avait grand\u2019beaut\u00e9 ;\nNature, pour la fa\u00e7onner 412\nDe son mieux s\u2019\u00e9tait appliqu\u00e9e ;\nEt elle s\u2019\u00e9tait \u00e9tonn\u00e9e\nD\u00e9j\u00e0 bien plus de cinq cents fois\nDe voir qu\u2019en une seule fois 416\nChose si belle elle avait fait ;\nCar depuis en vain s\u2019e \u000bor\u00e7ait\nSans pouvoir d\u2019aucune mani\u00e8re\nUne telle beaut\u00e9 refaire. 42040 Chr\u00e9tien de Troyes\nDe ceste tesmoingne Nature\nc\u2019onques si bele criature\nne fu ve\u00fce an tot le monde. -\nPor voir vos di qu\u2019Isolz la blonde 424\nn\u2019ot les crins tant sors ne luisanz\nque a cesti ne fust neanz.\nPlus ot que n\u2019est la \ufb02ors de lis\ncler et blanc le front et le vis 428\nsor la color, par grant mervoille,\nd\u2019une fresche color vermoille,\nque Nature li ot donee,\nestoit sa face anluminee. 432\nSi oel si grant clart\u00e9 randoient\nque deus estoiles ressanbloient ;\nonques Dex ne sot fere mialz\nle nes, la boche ne les ialz. 436\nQue diroie de sa biaut\u00e9 ?\nCe fu cele por verit\u00e9\nqui fu fete por esgarder,\nqu\u2019an se poist an li mirer 440\nausi com an un mireor.\nIssue fu de l\u2019ovreor ;\nquant ele le chevalier voit,\nque onques mes ve\u00fc n\u2019avoit, 444\nun petit arriere s\u2019estut :\npor ce qu\u2019ele ne le quenut,\nvergoigne en ot et si rogi.\nErec d\u2019autre part s\u2019esbahi, 448\nquant an li si grant biaut\u00e9 vit.\nEt li vavasors li a dit :\n\u00ab Bele douce \ufb01lle, prenez\nce cheval et si le menez 452\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 41\nDe ceci t\u00e9moigne Nature :\nJamais si belle cr\u00e9ature\nN\u2019a \u00e9t\u00e9 vue de par le monde ;\n\u00c0 preuve en est qu\u2019Yseut\u00b0 la Blonde 424\nN\u2019eut cheveux si beaux, si luisants,\nQue ceux de celle-ci, vraiment.\nDe la \ufb02eur de lys fut l\u2019image\nClair et blanc, le front, le visage. 428\nQuant \u00e0 son teint, c\u2019\u00e9tait merveille,\nD\u2019une fra\u00eeche couleur vermeille\nDont Nature l\u2019avait orn\u00e9e\n\u00c9tait sa face illumin\u00e9e. 432\nSes yeux tant de clart\u00e9 jetaient\nQu\u2019\u00e0 deux \u00e9toiles ressemblaient.\nJamais Dieu ne sut faire mieux\nLe nez, la bouche, ni les yeux. 436\nMais que dire de sa beaut\u00e9 ?\n\u00c9tait de celle, en v\u00e9rit\u00e9,\nQu\u2019on a plaisir \u00e0 regarder,\nQu\u2019on croirait faite \u00e0 s\u2019y mirer 440\nComme on le fait en un miroir.\nElle sortait de son ouvroir\u00b0 ;\nQuand vit le chevalier d\u2019abord\nQu\u2019elle n\u2019avait pas vu encore, 444\nEn arri\u00e8re elle a fait un pas,\nPuisque ne le connaissait pas.\nUn peu confuse, elle rougit.\n\u00c9rec, quant \u00e0 lui, fut surpris 448\nQuand une telle beaut\u00e9 vit.\nLe vavasseur\u00b0 alors a dit :\n\u00ab Belle et douce \ufb01lle, prenez\nCe cheval, et puis le menez 45242 Chr\u00e9tien de Troyes\nan cele estable avoec les miens ;\ngardez qu\u2019il ne li faille riens ;\nostez li la sele et ke frein,\nsi li donez aveinne et fein ; 456\nconreez le et estrilliez\nsi qu\u2019il soit bien aparelliez. \u00bb\nLa pucele prant le cheval,\nsi li deslace le peitral, 460\nle frain et la sele li oste.\nOr a li chevax molt boen oste ;\nmolt bien et bel s\u2019an antremet :\nau cheval un chevoistre met, 464\nbien l\u2019estrille et torche et conroie,\na la mangeoire le loie\net si li met foin et aveinne\ndevant, assez novele et seinne. 468\nPuis revint a son pere arriere,\net il li dist : \u00ab Ma \ufb01lle chiere,\nprenez par la main ce seignor,\nsi li portez molt grant enor. \u00bb 472\nLa pucele ne tarda plus,\npar la main l\u2019an mainne leissus.\nqu\u2019ele n\u2019estoit mie vilainne ;\npar la main contre mont l\u2019an mainne. 476\nLa dame an ert devant alee,\nqui la meison ot atomee ;\ncoutes porpointes et tapiz,\not estanauz par sor les liz 480\nou il se sont asis tuit troi :\nErec la pucele ot lez soi\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 43\nEn l\u2019\u00e9curie, avec les miens ;\nVeillez qu\u2019il ne manque de rien :\n\u00d4tez-lui la selle et le frein,\nEt donnez-lui avoine et foin. 456\nPansez-le bien et l\u2019\u00e9trillez,\nEn sorte qu\u2019il soit bien soign\u00e9. \u00bb\nLa pucelle\u00b0 prend le cheval,\nEt lui d\u00e9lace le poitrail, 460\nEnl\u00e8ve la selle et le mors,\nEn cela fait tous ses e \u000borts,\nEt s\u2019en occupe adroitement ;\nUn licol lui met prestement, 464\nl\u2019\u00e9trille, panse, et le bouchonne ;\n\u00c0 la mangeoire elle l\u2019encha\u00eene.\nPuis elle a mis foin et avoine\nDevant lui, bien saine et bien bonne. 468\nPuis elle revient vers son p\u00e8re\nQui lui dit :\u00ab Ma \ufb01lle ch\u00e8re,\nPrenez par la main ce seigneur,\nAinsi lui ferez grand honneur. \u00bb 472\nLe d\u00eener chez le vavasseur\nLa pucelle\u00b0 n\u2019a plus tard\u00e9 :\nPar la main, en haut l\u2019a men\u00e9,\nCar elle \u00e9tait bien \u00e9lev\u00e9e.\nPar la main donc l\u2019a fait monter ; 476\nLa Dame les a pr\u00e9c\u00e9d\u00e9s,\nEt la chambre elle a pr\u00e9par\u00e9e ;\nDes courtes-pointes, des tapis,\nElle a \u00e9tendu sur les lits 480\nO\u00f9 tous trois ils se sont assis :\n\u00c9rec, la pucelle\u00b0 avec lui,44 Chr\u00e9tien de Troyes\net li sires de l\u2019autre part.\nLi feus molt clers devant ax art. 484\nLi vavasors sergent n\u2019avoit\nfor an tot seul qui le servoit,\nne chanberiere ne meschine ;\ncil atornoit an la cuisine 488\npor le soper char et oisiax.\nDe l\u2019atorner fu molt isniax,\nbien sot aparellier et tost\nchar cuire et an eve et an rost. 492\nQuant ot le mangier atorn\u00e9\ntel con l\u2019an li ot comand\u00e9,\nl\u2019eve lor done an deus bacins ;\ntables, et napes, et bacins, 496\nfu tost aparelli\u00e9 et mis,\net cil sont au mangier asis ;\ntrestot quanque mestiers lor fu\nont a lor volant\u00e9 e\u00fc. 500\nQuant a lor eise orent sop\u00e9\net des tables furent lev\u00e9,\nErec mist son oste a reison,\nqui sires ert de la meison : 504\n\u00ab Dites moi, biax ostes, fet il,\nde tant povre robe et si vil\npor qu\u2019est vostre \ufb01lle atornee,\nqui tant est beIe et bien senee ? 508\n\u2014 Biax amis, fet li vavasors,\npovretez fet mal as plusors\net autresi fet ele moi.\nMolt me poise, quant ge la voi 512\natornee si povremant,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 45\nLe seigneur de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 ;\nDevant, le feu clair a br\u00fbl\u00e9. 484\nPour tout valet le vavasseur\u00b0\nN\u2019avait qu\u2019un simple serviteur,\nNi servante, ni chambri\u00e8re ;\n\u00c0 la cuisine, il faisait cuire 488\nViande et volaille, pour souper :\nIl y mettait habilet\u00e9.\nBien vite a pr\u00e9par\u00e9 et cuit\nViande en bouilli et en r\u00f4ti ; 492\nQuand le repas fut pr\u00e9par\u00e9\nComme on lui avait command\u00e9.\nDe l\u2019eau leur donne en deux bassins ;\nTables, nappes et bassins 496\nBient\u00f4t sont install\u00e9s et mis ;\nPour manger, ils se sont assis.\nTout ce qu\u2019ils ont pu d\u00e9sirer,\nIls l\u2019ont eu \u00e0 leur volont\u00e9. 500\nR\u00e9cit du vavasseur\nEt quand ils furent rassasi\u00e9s,\nEt de table furent lev\u00e9s,\n\u00c9rec posa cette question\nAu ma\u00eetre de cette maison : 504\n\u00ab Dites-moi, bel h\u00f4te, \ufb01t-il ;\nPourquoi de robe pauvre et vile\nV otre \ufb01lle est-elle habill\u00e9e,\nElle si belle, et si bien n\u00e9e ? 508\n\u2014 Bel ami, fait le vavasseur\u00b0 ;\nPauvret\u00e9 est un grand malheur,\nPour d\u2019aucuns, tout comme pour moi.\nJ\u2019ai de la peine, quand je la vois, 512\nHabill\u00e9e aussi pauvrement ;46 Chr\u00e9tien de Troyes\nme n\u2019ai pooir que je l\u2019amant :\ntant ai est\u00e9 toz jorz an guerre,\ntote en ai perdue ma terre, : 516\net angagiee, et vandue.\nEt ne por quant bien fust vestue,\nse ge sofrisse qu\u2019el preist\nce que l\u2019an doner li vossist ; 520\nnes li sires de cest chastel\nl\u2019e\u00fcst vestue bien et bel\net se li fe\u00efst toz ses buens,\nqu\u2019ele est sa niece et il est cuens ; 524\nne n\u2019a an trestot cest pa\u00efs\nnul baron, tant soit de haut pris,\nqui ne l\u2019e\u00fcst a fame prise\nvolantiers tot a ma devise. 528\nMes j\u2019atant ancor meillor point,\nque Dex greignor enor li doint,\nque avanture li amaint\nou roi ou conte qui l\u2019an maint. 532\nA dons soz ciel ne roi ne conte\nqui e\u00fcst an ma \ufb01lle honte,\nqui tant par est bele a mervoille\nqu\u2019an ne puet trover sa paroille ? 536\nMolt est bele, mes mialz asez\nvaut ses savoirs que sa biautez :\nonques Dex ne \ufb01st rien taut saige\nne qui tant soit de franc coraige. 540\nQuant ge ai delez moi ma \ufb01lle,\ntot le mont ne pris une bille ;\nc\u2019est mes deduiz, c\u2019est mes deporz,\nc\u2019est mes solaz et mes conforz, 544\nc\u2019est mes avoirs et mes tresors,\nje n\u2019aim tant rien come son cors. \u00bb\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 47\nN\u2019y peut rien, malheureusement !\nJ\u2019ai si longtemps \u00e9t\u00e9 en guerre,\nQue j\u2019ai perdu toute ma terre, 516\nMise en gage, ou bien vendue ;\nEt pourtant serait bien v\u00eatue,\nSi j\u2019avais voulu accepter\nTout ce qu\u2019on voulait lui donner. 520\nM\u00eame le Sire de ce bourg\nL\u2019e\u00fbt rev\u00eatue de beaux atours,\nEt lui e\u00fbt fait grandes largesses,\nCar il est comte, et c\u2019est sa ni\u00e8ce. 524\nIl n\u2019est pas en cette contr\u00e9e\nDe baron, si bien qu\u2019il f\u00fbt n\u00e9,\nQui ne l\u2019e\u00fbt pour sa femme prise,\nSi telle avait \u00e9t\u00e9 ma guise. 528\nMais pour elle, mieux j\u2019en attends ;\nQue Dieu lui donne honneur plus grand !\nQu\u2019une aventure lui am\u00e8ne\nOu roi ou comte qui l\u2019emm\u00e8ne. 532\nSous le ciel est-il roi ou comte\nQui aurait de ma \ufb01lle honte,\nSi belle que c\u2019en est merveille\nEt qu\u2019on n\u2019en peut trouver pareille ? 536\nElle est belle, mais \u00e0 mon gr\u00e9,\nSon esprit passe sa beaut\u00e9.\nDieu ne \ufb01t pas d\u2019\u00eatre meilleur\nOu qui ait aussi noble c\u0153ur ; 540\nQuand j\u2019ai ma \ufb01lle aupr\u00e8s de moi,\nLe monde entier n\u2019est rien pour moi ;\nElle est ma joie, mon r\u00e9confort,\nMon all\u00e9gresse, et mes transports ; 544\nElle est mon bien, et mon tr\u00e9sor,\nEt je n\u2019aime rien plus encore. \u00bb48 Chr\u00e9tien de Troyes\nQuant Erec ot tot escot\u00e9\nquanque ses ostes ot cont\u00e9, 548\npuis li demande, qu\u2019il li die\ndom estoit tex chevalerie\nqu\u2019an ce chastel estoit venue,\nqu\u2019il n\u2019i avoit si povre rue 552\nne fust plainne de chevaliers\net de dames et d\u2019escuiers,\nn\u2019ostel tant povre ne petit.\nEt li vavasors li a dit : 556\n\u00ab Biax amis, ce sont li baron\nde cest pais ci an viron :\ntrestuit li juene et li chenu\na une feste sont venu 560\nqui an ce chastel iert demain ;\npor ce sont li ostel si plain.\nMolt i avra demain grant bruit,\nquant il seront assanbl\u00e9 tuit, 564\nque devant trestote la gent\niert sor une perche d\u2019argent\nuns espreviers molt biax assis,\nou de cinc m\u00fces ou de sis, 568\nle meillor qu\u2019an porra savoir.\nQui l\u2019esprevier voldra avoir,\navoir li covandra amie\nbele et saige sanz vilenie ; 572\ns\u2019il i a chevalier si os\nqui vuelle le pris et le los\nde la plus bele desresnier,\ns\u2019amie fera l\u2019esprevier 576\ndevant toz a la perche prandre\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 49\nLa coutume de l\u2019\u00e9pervier\nQuand \u00c9rec eut tout \u00e9cout\u00e9\nCe que l\u2019h\u00f4te lui a cont\u00e9, 548\nAlors il lui a demand\u00e9\nD\u2019o\u00f9 venaient tous ces chevaliers\nQui en ce bourg \u00e9taient venus,\nTant qu\u2019il n\u2019\u00e9tait si pauvre rue 552\nQui ne fut pleine de chevaliers,\nEt de dames et d\u2019\u00e9cuyers\nEn logis pauvres, si petits ?\nEt le vavasseur\u00b0 lui a dit : 556\n\u00ab Bel ami, ce sont les barons\u00b0\nDu pays et des environs ;\nTous sont l\u00e0, jeunes et chenus,\n\u00c0 une f\u00eate sont venus, 560\nQui dans le bourg a lieu demain,\nC\u2019est pourquoi les logis sont pleins.\nDu bruit demain feront beaucoup\nQuand ils seront assembl\u00e9s tous, 564\nEt que par devant tous ces gens\nSera sur un perchoir d\u2019argent\nUn \u00e9pervier tr\u00e8s beau, choisi\nParmi les quelque cinq ou six 568\nMu\u00e9s, le meilleur qu\u2019on trouva.\nQui l\u2019\u00e9pervier avoir voudra,\nPour amie, celle qu\u2019il lui faut\nDoit \u00eatre belle et sans d\u00e9faut ; 572\nS\u2019il est chevalier si hardi\nQu\u2019il veuille de la plus jolie\nLa gloire et l\u2019honneur contester,\nSon amie prendra l\u2019\u00e9pervier 576\nAu perchoir, devant tout le monde50 Chr\u00e9tien de Troyes\ns\u2019autres ne li ose desfandre ;\nIceste costume maintienent\net pox ce chascun an i vienent \u00bb 580\nApr\u00e9s li dit Erec et prie :\n\u00ab Biax ostes, ne vos enuit mie\nmes dites moi se vos savez\nqui est uns chevaliets armez 584\nd\u2019unes armes d\u2019azur et d\u2019or\nqui par ci devant passa or,\nlez lui une pucele cointe\nqui molt pres de lui s\u2019estoit jointe, 588\net devant ax un main bogu ? \u00bb\nLors a li ostes respondu :\n\u00ab C\u2019est cil qui avra l\u2019esprevier\nsanz contredit de chevalier ; 592\njam n\u2019i avra me cop ne plaie :\nne cuit que nus avant s\u2019an traie ;\npar deus anz l\u2019a il ja e\u00fc,\nc\u2019onques chalongiez ne li fu. 596\nMes se il ancor ouan l\u2019a,\na toz jorz desresni\u00e9 l\u2019avra :\nja mes n\u2019iert anz que il ne l\u2019et\nquite, sanz bataille et sanz plet. \u00bb 600\nErec respont en es le pas :\n\u00ab Cest chevalier, je ne l\u2019aim pas.\nSaichiez, se je armes avoie,\nl\u2019esprevier Ii contrediroie. 604\nBiax ostes, por vostre franchise,\npor guerredon et por servise,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 51\nSi d\u2019aucuns ne le lui d\u00e9fendent.\nCette coutume l\u2019on maintient :\nChaque ann\u00e9e, tout le monde y vient. \u00bb 580\nAlors \u00c9rec lui dit ainsi :\n\u00ab Bel h\u00f4te, si ne vous ennuie,\nDites-moi donc, si vous savez\nQuel est ce chevalier arm\u00e9 584\nPortant armes d\u2019azur et d\u2019or\nQui par ici est venu lors.,\nAccompagn\u00e9 d\u2019une pucelle\u00b0\nTout pr\u00e8s de lui, qui \u00e9tait belle, 588\nEt devant eux, un nain\u00b0 bossu ? \u00bb\nL\u2019h\u00f4te alors lui a r\u00e9pondu :\n\u00ab C\u2019est \u00e0 lui qu\u2019ira l\u2019\u00e9pervier,\nSans contredit de chevalier. 592\nIl n\u2019y aura ni coup, ni plaie :\nLui disputer nul ne voudrait ;\nDepuis deux ans l\u2019a obtenu,\nJamais contest\u00e9 ne lui fut. 596\nSi cette fois encore il l\u2019a,\nPour toujours acquis lui sera,\n\u00c0 cette seule condition,\nSans combat, ni contestation. \u00bb 600\n\u00c9rec combattra pour la \ufb01lle\n\u00c9rec r\u00e9pond sans h\u00e9siter :\nJe n\u2019aime pas ce chevalier ;\nSi j\u2019avais des armes, voyez,\nJe disputerais l\u2019\u00e9pervier ; 604\nBel h\u00f4te, par votre bont\u00e9,\nV otre largesse et amiti\u00e952 Chr\u00e9tien de Troyes\nvos pri que vos me conselliez\ntant que je soie aparelliez 608\nd\u2019unes armes, viez ou noveles,\nme me chaut quiex, leides ou beles. \u00bb\nEt iI Ii respont come frans :\n\u00ab Ja mar an seroiz an espans : 612\narmes boenes et beles ai,\nque volantiers vos presterai.\nLeanz est li haubers tresliz,\nqui antre .V\u00b0. fu esliz, 616\net les chauces beles et chieres,\nboenes et fresches et legieres ;\nli hiaumes i rest boens et biax\net li escuz fres et noviax. 620\nLe cheval, l\u2019escu, et la lance,\ntot vos presterai sans dotance,\nque ja rien n\u2019en sera a dire.\n\u2014 La vostre merci, biax dolz sire, 624\nmes je ne quier meillor espee\nde celi que j\u2019ai aportee,\nne cheval autre que le mien :\nde celui m\u2019aiderai ge bien. 628\nSe vos le sorplus me prestez,\nvis m\u2019est que c\u2019est molt granz bontez ;\nmes ancor vos voel querre un don,\ndon ge randrai le guerredon, 632\nse Dex done que je m\u2019an aille\na tot l\u2019enor de la bataille. \u00bb\nEt cil li respont franchemant :\n\u00ab Demandez tot se\u00fcremant 636\nvostre pleisir, comant qu\u2019il aut :\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 53\nJe vous conjure de m\u2019aider\nPour que je puisse m\u2019\u00e9quiper 608\nD\u2019armes vieilles, d\u2019armes nouvelles,\nPeu m\u2019importe, laides ou belles. \u00bb\nEt l\u2019h\u00f4te lui a r\u00e9pondu :\n\u00ab Ce souci-l\u00e0 vous n\u2019aurez plus. 612\nArmes belles et bonnes, j\u2019ai,\nQue volontiers vous pr\u00eaterai.\nLe haubert\u00b0 est \u00e0 triple rang,\nIl fut choisi parmi cinq cents, 616\nEt les chausses belles et ch\u00e8res\nBonnes et neuves et l\u00e9g\u00e8res.\nLe heaume\u00b0 encore est beau et bon,\nL\u2019\u00e9cu\u00b0 \ufb02ambant neuf, dirait-on. 620\nLe cheval, la lance et l\u2019\u00e9p\u00e9e\nV ous pr\u00eaterai sans h\u00e9siter,\nN\u2019y trouverez rien \u00e0 redire.\n\u00ab Merci \u00e0 vous, doux et beau sire, 624\nMais ne d\u00e9sire d\u2019autre \u00e9p\u00e9e\nQue celle que j\u2019ai apport\u00e9e,\nNi cheval autre que le mien :\nCelui-ci me su \u000era bien. 628\nSi le reste vous me pr\u00eatez,\n@ C\u2019est, je crois, bien grande bont\u00e9 ;\nMais faveur vous demanderai,\nDont je vous r\u00e9compenserai, 632\nSi Dieu a fait que je m\u2019en aille\nAvec l\u2019honneur de la bataille. \u00bb\nL\u2019autre dit g\u00e9n\u00e9reusement :\nDemandez-moi donc tout, vraiment ; 636\n\u00c0 votre gr\u00e9, quoi que ce soit,54 Chr\u00e9tien de Troyes\nriens que je aie ne vos faut. \u00bb\nLors dist Erec, que l\u2019esprevier\nvialt par sa \ufb01lle desresnier, 640\ncar por voir n\u2019i avra pucele\nqui la centiesme part soit bele ;\net se il avoec lui l\u2019an mainne,\nreison avra droite et certainne 644\nde desresnier et de mostrer\nqu\u2019ele an doit l\u2019esprevier porter.\nPuis dist : \u00ab Sire, vos ne savez\nquel oste herbergi\u00e9 avez, 648\nde quel afeire et de quel gent.\nFilz sui d\u2019un riche roi puissant :\nmes peres li rois Lac a non,\nErec m\u2019apelent li Breton ; 652\nde la cort le roi Artus sui,\nbien ai est\u00e9 trois anz o lui.\nJe ne sai s\u2019an ceste contree\nvint onques nule renomee 656\nne de mon pere ne de moi,\nmes je vos promet et otroi.\nse vos armes m\u2019aparelliez\net vostre \ufb01lle me bailliez 660\ndemain a l\u2019esprevier conquerre,\nque je l\u2019an manrai an ma terre,\nse Dex la victoire m\u2019an done ;\nla li ferai porter corone, 664\ns\u2019iert reine de dis citez.\n\u2014 Ha ! biax sire, est ce veritez ?\nErec, li \ufb01lz Lac, estes vos ?\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 55\nRien chez moi, \u00e0 vous ne soit. \u00bb\nLors dit \u00c9rec que l\u2019\u00e9pervier\nPour sa \ufb01lle veut le gagner, 640\nCar vraiment, il n\u2019est de pucelle\u00b0\nQue cent fois bien moins belle qu\u2019elle,\nEt que si avec lui l\u2019emm\u00e8ne,\nIl aura bien raison certaine 644\nDe concourir et de montrer\nQu\u2019elle doit prendre l\u2019\u00e9pervier.\nPuis il dit : \u00ab Sire, vous ne savez\nQuel h\u00f4te h\u00e9berg\u00e9 vous avez, 648\nDe quelle race et de quel rang.\nSuis \ufb01ls d\u2019un roi riche et puissant :\nMon p\u00e8re le Roi Lac a nom,\n\u00c9rec m\u2019appellent les Bretons, 652\nEt de la cour d\u2019Arthur\u00b0 je suis :\nTrois ans ai pass\u00e9 pr\u00e8s de lui.\nNe sais si en cette contr\u00e9e\nParvint jamais la renomm\u00e9e 656\nOu de mon p\u00e8re, ou bien d \u00e9moi,\nMais je vous promets, par ma foi,\nSi de vos armes m\u2019\u00e9quipez,\nEt si votre \ufb01lle m\u2019o \u000brez 660\nPour cet \u00e9pervier conqu\u00e9rir ;\nQu\u2019en ma terre pourra venir\nSi Dieu la victoire me donne.\nL\u00e0, lui ferai porter couronne : 664\nSera reine de dix cit\u00e9s.\nLe vavasseur accorde sa \ufb01lle \u00e0 \u00c9rec\n\u2014 Ah ! Beau sire, est-ce v\u00e9rit\u00e9 ?\n\u00c9rec, \ufb01ls de Lac, avez nom ?56 Chr\u00e9tien de Troyes\n\u2014 Ce sui mon, fet il, a estros \u00bb 668\nLi ostes molt s\u2019an esjo\u00ef\net dist : \u00ab Bien avomes o\u00ef\nde vos parler an cest pa\u00efs.\nOr vos aim assez plus et pris, 672\ncar molt estes preuz et hardiz ;\nja de moi n\u2019iroiz escondiz :\ntot a vostre comandemant\nma bele \ufb01lle vos comant. \u00bb 676\nLors l\u2019a prise par mi le poing ;\n\u00ab Tenez, fet il, je la vos doing. \u00bb\nErec lieemant la re\u00e7ut,\nor a quanque il Ii estut. 680\nGrant joie font tuit par leanz :\nli peres an ert molt joianz,\net la mere plore de joie,\net la pucele ert tote coie, : 684\nmes molt estoit joianz et liee\nqu\u2019ele li estoit otroiee,\npor ce que preuz ert et cortois,\net bien savoit qu\u2019il seroit rois 688\net ele meisme enoree,\nriche reine coronee.\nMolt orent cele nuit veilli\u00e9 ;\nli lit furent apareilli\u00e9 692\nde blans dras et de costes moles.\nA tant faillirent les paroles ;\nlieemant se vont couchier tuit.\nErec dormi po cele nuit. 696\nL\u2019andemain, lues que l\u2019aube Grieve,\nisnelemant et tost se lieve,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 57\n\u2014 Oui, Sire, ainsi m\u2019appelle-t-on. \u00bb 668\nSon h\u00f4te en est tout r\u00e9joui ;\nIl \ufb01t : nous avons bien ou\u00ef\u00b0\nParler de vous en ce pays ;\nV ous n\u2019en avez que plus de prix ! 672\nV ous \u00eates courageux et bon,\nN\u2019aurez de refus en mon nom.\nQue vos d\u00e9sirs soient accomplis :\nMa \ufb01lle jolie vous con\ufb01e. \u00bb 676\nAlors l\u2019a prise par la main ;\n\u00ab Tenez, elle vous appartient. \u00bb\n\u00c9rec avec joie la re\u00e7ut :\nD\u00e8s or, rien ne lui manque plus. 680\nC\u2019est grande joie par la maison ;\nLe p\u00e8re en a satisfaction,\nEt la m\u00e8re en pleure de joie ;\nLa pucelle\u00b0 en est rest\u00e9e coie\u00b0, 684\nMais elle est heureuse et combl\u00e9e\nDe lui \u00eatre ainsi accord\u00e9e,\nCar il est bon et si courtois,\nEt elle sait qu\u2019il sera roi, 688\nElle-m\u00eame fort honor\u00e9e,\nPuissante reine couronn\u00e9e.\nCette nuit, ils ont tard veill\u00e9,\nPuis les lits furent pr\u00e9par\u00e9s 692\nDe draps blancs et de couvertures,\nPuis les conversations se turent,\nEt joyeusement se couch\u00e8rent.\n\u00c9rec pourtant ne dormait gu\u00e8re ; 696\nLe lendemain, au jour levant,\nIl se l\u00e8ve rapidement,58 Chr\u00e9tien de Troyes\net ses ostes ansanble o lui ;\nau mostier vonts orer andui 700\net \ufb01rent del Saint Esperite\nmesse chanter a un hermite :\nl\u2019oferande n\u2019oblient mie.\nQuant il orent la messe oie, 704\nandui anclinent a l\u2019autel,\nsi s\u2019an repeirent a l\u2019ostel.\nErec tarda molt la bataille :\nles armes quiert et l\u2019an li baille ; 708\nla pucele meismes l\u2019arme ;\nn\u2019i ot fet charaie ne charme,\nlace li les chances de fer\net queust a corroie de cer ; 712\nhauberc li vest de boene maille\net se li lace la vantaille ;\nle hiaume brun li met el chief,\nmolt l\u2019arme bien de chief an chief. 716\nAu cost\u00e9 l\u2019espee li ceint.\nPuis comande qu\u2019an li amaint\nson cheval, et l\u2019an li amainne ;\nsus est sailliz de terre plainne. 720\nLa pucele aporte l\u2019escu\net la lance qui roide fu ;\nl\u2019escu li baille, et il le prant,\npar la guige a son col le pant ; 724\nla lance li ra el poing mise,\ncil l\u2019a devers l\u2019arestuel prise.\nPuis dist au vavasor gentil :\n\u00ab Biax sire, s\u2019il vos plest, fet il, 728\nfeites vostre \ufb01lle atorner,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 59\nEt son h\u00f4te tout comme lui.\n\u00c0 l\u2019\u00e9glise s\u2019en vont, et prient ; 700\nPar un ermite, ils font aussi\nDire messe du Saint-Esprit,\nEt n\u2019oublient l\u2019o \u000brande non plus.\nQuand ils ont la messe entendue, 704\nSe sont \u00e0 l\u2019autel inclin\u00e9s,\nPuis ont leur logis regagn\u00e9.\n\u00c9rec est arm\u00e9 par la pucelle\n\u00c9rec attendait le combat :\nSes armes veut \u2014 et il les a. 708\nLa pucelle\u00b0 la main y mit,\nSans incantation, ni magie ;\nA lac\u00e9 chaussures de fer\nPar solides courroies de cerf. 712\nLui met haubert\u00b0 de bonnes mailles,\nEt lui attache la ventaille\u00b0 :\nSur la t\u00eate le heaume\u00b0 brun,\nEt de pied en cap l\u2019arme bien. 716\nAu c\u00f4t\u00e9 lui a ceint l\u2019\u00e9p\u00e9e ;\nIl veut que lui soit amen\u00e9\nSon cheval ; on l\u2019a amen\u00e9,\nDessus il s\u2019est bient\u00f4t hiss\u00e9. 720\nLa pucelle\u00b0 l\u2019\u00e9cu\u00b0 porte,\nAvec la lance, bonne et forte ;\nL\u2019\u00e9cu\u00b0 lui tend, et il le prend.\nPar la guiche\u00b0 \u00e0 son cou le pend, 724\nLa lance au poing on lui a mis\nEt par le talon l\u2019a saisie ;\nPuis il a dit au vavasseur\u00b0 :\n\u00ab S\u2019il vous pla\u00eet, noble seigneur, 728\nV otre \ufb01lle faites parer,60 Chr\u00e9tien de Troyes\nqu\u2019a l\u2019esprevier la voel mener\nsi con vos m\u2019avez covenant. \u00bb\nLi vavasor \ufb01st maintenant 732\nanseler un palefroi bai,\nonques ne le mist an delai.\nDel hernois a parler ne fet,\ncar la granz povretez me let, 736\ndon li vavasors estoit plains.\nLa sele fu mise et li frains ;\ndesliee et desafublee\nest la pucele sus montee, 740\nqui de rien ne s\u2019an \ufb01st proier.\nErec ne volt plus delaier :\nor s\u2019an va, delez lui an coste\nan mainne la \ufb01lle son oste ; 744\napr\u00e9s les sivent amedui\nli sires et la dame o lui.\nErec chevalche lance droite,\ndelez lui la pucele adroite. 748\nTuit l\u2019esgardent par mi les r\u00fces,\net les granz genz et les men\u00fces.\nTrestoz li pueples s\u2019an mervoille ;\nli uns dit a l\u2019autre et consoille : 752\n\u00ab Qui est ? Qui est, cil chevaliers ?\nMolt doit estre hardiz et \ufb01ers,\nquant la bele pucele an mainne ;\ncist anploiera bien sa painne, 756\ncist doit bien desresnier par droit\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 61\nQue je la m\u00e8ne \u00e0 l\u2019\u00e9pervier,\nAinsi que vous l\u2019avez promis. \u00bb\nLors le vavasseur\u00b0 seller \ufb01t 732\nUn superbe palefroi\u00b0 bai\nRapidement et sans d\u00e9lai.\nPour les harnais, n\u2019en parlons pas,\nSa pauvret\u00e9 ne permit pas 736\nTelle d\u00e9pense, au vavasseur\u00b0.\nLa selle fut mise, et le mors.\nSans manteau, cheveux d\u00e9nou\u00e9s,\nLa pucelle\u00b0 est sit\u00f4t mont\u00e9e 740\nSans que l\u2019on doive l\u2019en prier.\nD\u00e9part d\u2019\u00c9rec et de la pucelle\n\u00c9rec n\u2019a plus voulu tarder :\nIl s\u2019en va, et \u00e0 son c\u00f4t\u00e9,\nLa \ufb01lle de l\u2019h\u00f4te a men\u00e9. 744\nEt derri\u00e8re tous deux ont suivi\nLe Sire et sa Dame avec lui.\nLance droite, \u00c9rec s\u2019\u00e9lance ;\nLa pucelle\u00b0 a belle prestance, 748\nTous par les rues, en les voyant,\nGrandes comme petites gens,\nTout le peuple en est \u00e9bloui.\nL\u2019un donne \u00e0 l\u2019autre son avis : 752\nCommentaires de la foule\n\u00ab Ce chevalier, qui donc est-il ?\nIl doit \u00eatre bien \ufb01er et habile,\nPuisque belle pucelle\u00b0 emm\u00e8ne ;\nIl n\u2019\u00e9pargnera pas sa peine. 756\nIl peut soutenir \u00e0 bon droit62 Chr\u00e9tien de Troyes\nque ceste la plus bele soit. \u00bb\nLi uns dit a l\u2019autre : \u00ab Por voir,\nceste doit l\u2019esprevier avoir. \u00bb 760\nLi un la pucele looient,\net mainz en i ot qui disoient :\n\u00ab Dex, qui puet cil chevalier estre\nqui la bele pucele adestre ? 764\n\u2014 Ne sai ; ne sai ; ce dit chascuns,\nmes molt li siet li hiaumes bruns,\net cil haubers, et cil escuz,\net cil branz d\u2019acier esmoluz ; 768\nmolt est adroiz sor ce cheval,\nbien resanble vaillant vassal ;\nmolt est bien fez et bien tailliez\nde braz, de janbes et de piez. \u00bb 772\nTuit a aus esgarder antandent,\net il ne tardent ne atandent\ntant que devant l\u2019esprevier furent.\nIluec de l\u2019une part s\u2019esturent 776\nou le Chevalier atandoient.\nEstes vos que venir le voient,\nlez lui son nain et sa pucele.\nJa avoit oi la novele . 780\nc\u2019uns Chevaliers venuz estoit\nqui l\u2019esprevier avoir voloit ;\nmes ne cuidoit qu\u2019el siegle e\u00fcst\nchevalier qui si hardiz fust 784\nqui contre lui s\u2019osast conbatre ;\nbien le cuidoit vaincre et abatre.\nTotes les genz le conuissoient,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 63\nQu\u2019elle est la plus belle qui soit. \u00bb\nL\u2019autre r\u00e9pond : \u00ab Moi, je crois bien\nQu\u2019\u00e0 elle l\u2019\u00e9pervier revient. \u00bb 760\nLa pucelle\u00b0 beaucoup louaient ;\nNombreux \u00e9taient ceux qui disaient :\n\u00ab Dieu quel est donc ce chevalier\nPar la pucelle\u00b0 accompagn\u00e9 ? \u00bb 764\n\u2014 Ne sais, ne sais, disait chacun,\nMais fort lui sied le heaume\u00b0 brun,\nEt ce haubert\u00b0, et cet \u00e9cu,\nCette lame d\u2019acier aigu\u00eb. 768\nQu\u2019il se tient bien sur son cheval !\nCe doit \u00eatre un vaillant vassal\u00b0 ;\nIl est bien fait, et bien tourn\u00e9,\nDe bras, de jambes, et de pied. \u00bb 772\nTous ont voulu les regarder,\nMais eux n\u2019ont pas voulu tarder,\nTant qu\u2019il ne virent l\u2019\u00e9pervier.\nL\u00e0, se tiennent sur le c\u00f4t\u00e9 776\nEt attendent le chevalier.\nArriv\u00e9e du chevalier inconnu\nSoudain, ils l\u2019ont vu arriver\nAvec son nain\u00b0 et sa pucelle\u00b0 ;\nIl avait appris la nouvelle 780\nQu\u2019il y avait un chevalier\nQui lui convoitait l\u2019\u00e9pervier\nMais doutait qu\u2019au monde il y e\u00fbt\nChevalier qui si hardi fut, 784\nPour oser contre lui combattre ;\nIl saurait bien vaincre et l\u2019abattre.\nLui, tous les gens le connaissaient,64 Chr\u00e9tien de Troyes\ntuit le sal\u00fcent et convoient ; 788\napr\u00e9s lui ot grant bruit de gent :\nli chevalier et li sergent\net les dames corent apr\u00e9s\net les puceles a esl\u00e9s. 792\nLi chevaliers va devant toz,\nlez lui sa pucele et son goz ;\nmolt chevalche orguilleusemant\nvers l\u2019esprevier isnelemant ; 796\nmes an tor avoit si grant presse\nde la vilainne gent angresse\nque l\u2019an n\u2019i pooit aprochier\ndel trait a un arbalestier. 800\nLi cuens est venuz an la place,\nas vilains vient, si les menace ;\nune verge tient an sa main :\narriers se traient li vilain. 804\nLi chevaliers s\u2019est avant trez,\na sa pucele dist an pez :\n\u00ab Ma dameisele, cist oisiax,\nqui tant bien est m\u00fcez et biax, 808\ndoit vostre estre par droite rante,\nque molt par estes bele et gente,\net si iert il tote ma vie.\nAlez avant, ma dolce amie, 812\nl\u2019esprevier a la perche prandre. \u00bb\nLa pucele i vost la main tandre,\nmes Erec li cort chalongier,\nqui rien ne prise son dongier : 816\n\u00ab Dameisele, fet il, fuiez !\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 65\nLe saluaient et l\u2019escortaient. 788\nDerri\u00e8re lui, grand bruit faisaient\nLes chevaliers et les valets,\nEt les dames couraient aussi,\nLes pucelles\u00b0, vite, apr\u00e8s lui. 792\nLe chevalier en t\u00eate vient,\nAvec sa pucelle\u00b0 et son nain\u00b0.\nIl galope orgueilleusement,\nVers l\u2019\u00e9pervier, rapidement. 796\nMais tout autour vont, se pressant,\nLes gens du peuple, tant et tant,\nQu\u2019en approcher on ne pouvait,\n\u00c0 moins de la port\u00e9e d\u2019un trait\u00b0. 800\nLe D\u00e9\ufb01\nLe Comte est venu en la place ;\nVers les vilains\u00b0 vient, les menace,\nIl tient une verge en la main.\nArri\u00e8re re\ufb02uent les vilains\u00b0. 804\nLe chevalier est venu devant,\n\u00c0 la belle dit noblement :\n\u00ab Ma demoiselle, cet oiseau\nQui est si bien mu\u00e9, si beau, 808\nV ous revient l\u00e9gitimement\nPar la beaut\u00e9 et par le rang,\nSur ma vie, je le garantis.\nDonc, avancez, ma douce amie, 812\nL\u2019\u00e9pervier au perchoir prendre. \u00bb\nLa pucelle\u00b0 la main veut tendre,\nMais \u00c9rec court pour l\u2019arr\u00eater,\nSans souci de sa volont\u00e9. : 816\n\u00ab Damoiselle, crie-t-il, fuyez !66 Chr\u00e9tien de Troyes\na autre oisel vos deduiez,\ncar vos n\u2019avez droit an cestui ;\ncui qu\u2019an doie venir enui. 820\nja cist espreviers vostres n\u2019iert,\nque miaudre de vos le requiert,\nplus bele asez et plus cortoise. \u00bb\nA l\u2019autre Chevalier an poise, 824\nmes Erec ne le prise guere.\nSa pucele fet avant trere :\n\u00ab Bele, fet il, avant venez,\nl\u2019oisel a la perche prenez, 828\ncar bien est droiz que vos l\u2019aiez.\nDameisele, avant vos traiez.\nDel desresnier tres bien me vant,\nse nus s\u2019an ose trere avant, 832\nque a vos ne s\u2019an prant nes une,\nne que au soloil fet la lune,\nne de biaut\u00e9, ne de valor,\nne de franchise, ne d\u2019enor. \u00bb 836\nLi autres nel pot plus sofrir,\nquant il si l\u2019o\u00ef porofrir\nde la bataille a tel vertu :\n\u00ab Cui ? fet il, vassax, qui es tu, 840\nqui l\u2019esprevier m\u2019as contredit ? \u00bb\nErec hardiemant li dit :\n\u00ab Uns chevaliers sui d\u2019autre terre.\nCest esprevier sui venuz querre, 844\net bien est droiz, cui qu\u2019il soit let,\nque cete dameisele l\u2019et.\n\u2014 Fui ! fet li autres, ce n\u2019iert ja ;\nfolie t\u2019a amen\u00e9 \u00e7a. 848\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 67\nD\u2019un autre vous contenterez,\nCar pour vous n\u2019est pas celui-ci ;\nQuiconque en puisse avoir ennui, 820\nCet \u00e9pervier n\u2019aurez jamais.\n\u00c0 une autre le donnerai\nBeaucoup plus belle et bien plus sage.\u00bb\nLe chevalier subit l\u2019outrage, 824\nMais \u00c9rec ne s\u2019en soucie pas ;\nSa pucelle\u00b0 fait venir \u00e7\u00e0 :\n\u00ab Belle, fait-il, ici venez,\nL\u2019oiseau l\u00e0 perch\u00e9 prenez, 828\nCar vraiment vous le m\u00e9ritez ;\nDemoiselle, vous prie, venez.\nJe me vante fort de prouver\n\u00c0 quiconque oserait douter, 832\nQu\u2019aupr\u00e8s de vous n\u2019existe aucune\nPas plus qu\u2019au soleil n\u2019est la lune,\nPar la beaut\u00e9, par la valeur,\nPar la noblesse ou par l\u2019honneur. \u00bb 836\nL\u2019autre ne peut tant en sou \u000brir,\nEt quand il l\u2019entend s\u2019o \u000brir\n\u00c0 combattre, en telle vertu.\n\u00ab Qui es-tu, vassal\u00b0, qui es-tu 840\nQui l\u2019\u00e9pervier me contredit ? \u00bb\n\u00c9rec hardiment lui a dit :\n\u00ab D\u2019autre pays suis chevalier ;\nCet \u00e9pervier je viens chercher ; 844\nC\u2019est justice, quoi qu\u2019on en ait,\nQue cette demoiselle l\u2019ait.\n\u2014 Fuis ! Fait l\u2019autre, ce ne sera.\nC\u2019est folie d\u2019\u00eatre venu l\u00e0. 84868 Chr\u00e9tien de Troyes\nSe tu viax avoir l\u2019esprevier,\nmolt le t\u2019estuet conparer chier.\n\u2014 Conparer ? vassax, et de quoi ?\n\u2014 Conbatre t\u2019an covient a moi, 852\nse tu ne le me clainmes quite.\n\u2014 Or, avez vos folie dite,\nfet Erec, au mien esciant ;\nce sont menaces de neant, 856\nque tot par mesure vos dot.\n\u2014 Donc te des\ufb01 ge tot de bot ;\ncar ne puet estre sanz bataille. \u00bb\nErec respont : \u00ab Or Dex i vaille ! 860\nc\u2019onques riens nule tant ne vos. \u00bb\nDes or mes an orroiz les cos.\nLa place fu delivre et granz,\nde totes parz furent les gens. - 864\nCil plus d\u2019un arpant s\u2019antr\u2019esloingnent,\npor assanbler les chevax poignent ;\nas fers des lances se requierent\npar si grant vertu s\u2019antre \ufb01erent 868\nque li escu piercent et croissent.\nles lances esclicent et froissent ;\ndepiecent li ar\u00e7on derriers,\nguerpir lor estuet les estri\u00e9s ; 872\ncontre terre amedui se ruient, \u2018\nli cheval par le chanp s\u2019an fuient.\nCil resont tost an piez sailli,\ndes lances n\u2019orent pas failli, 876\nles espees des fuerres traient,\nfelenessemant s\u2019antre essaient\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 69\nSi tu veux avoir l\u2019\u00e9pervier,\nIl te faudra cher le payer.\n\u2014 Payer, vassal\u00b0, et de quel prix ?\n\u2014 Il te faut me combattre ici, 852\nSi cette pr\u00e9tention ne quittes.\n\u2014 C\u2019est folie que vous avez dite\nCrie \u00c9rec, car je le sens,\nV os sentences ne sont que vent. 856\nSachez-le, je ne vous crains mie.\n\u2014 Lors, sur le champ, je te d\u00e9\ufb01e,\nCar il nous faut livrer bataille. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Que Dieu le veuille ! 860\nJe n\u2019ai d\u2019autre d\u00e9sir du tout. \u00bb\nLe combat\nMaintenant, entendez leurs coups !\nTout autour de la grande place,\nLes gens sont venus et s\u2019amassent. 864\nLes preux se s\u00e9parent un peu,\nPuis s\u2019\u00e9lancent, piquant des deux.\nL\u2019un vers l\u2019autre abaissent la lance,\nEt frappent de telle vaillance 868\nQue les \u00e9cus en sont trou\u00e9s ;\nLe choc fait les lances briser,\nPuis leurs ar\u00e7ons vient fracasser,\nLeur fait vider les \u00e9triers, 872\nTous deux \u00e0 terre pr\u00e9cipite,\nEt leurs chevaux prennent la fuite.\nIls sont vite remis sur pied :\nD\u00e9laissant leurs lances bris\u00e9es, 876\nDes fourreaux tirent leurs \u00e9p\u00e9es,\nFarouchement, pour s\u2019en frapper70 Chr\u00e9tien de Troyes\ndes tranchanz, granz cos s\u2019antre donent ;\nli hiaume cassent et resonent. 880\nFiers est li chaples des espees,\nmolt s\u2019antre donent granz colees,\nque de rien nule ne se faignent ;\ntot deronpent quanqu\u2019il ataignent, 884\ntranchent escuz, faussent haubers ;\ndel sanc vermoil rogist li fers.\nLi chaples dure longuemant ;\ntant se \ufb01erent men\u00fcemant 888\nque molt se lassent et recroient.\nAndui les puceles ploroient :\nchascuns voit la soe plorer,\nles mains tandre a Deu et orer 892\nqu\u2019il doint l\u2019enor de la bataille\ncelui qui por li se travaille.\n\u00ab Vassax, ce dit li chevaliers,\ncar nos traions un po arriers, 896\ns\u2019estons un petit an repos,\ncar trop feromes foibles cos ;\nmiaudres cos nos covient ferir,\ncar trop est pres de l\u2019anserir. 900\nMolt est grant honte et grant leidure,\nquant ceste bataille tant dure ;\nsi nos devons as branz d\u2019acier\npor noz amies resforcier. \u00bb 904\nErec respont : \u00ab Bien avez dit. \u00bb\nLors se reposent un petit.\nErec regarde vers s\u2019amie,\nqui molt dolcemant por lui prie : 908\ntot maintenant qu\u2019il l\u2019ot ve\u00fce,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 71\nDe taille de grands coups se donnent ;\nLes heaumes\u00b0 cassent et r\u00e9sonnent. 880\nC\u2019est un combat comme on n\u2019en vit,\nTant se frappent avec furie,\nEt ne font certes pas semblant !\nTout ce qu\u2019ils frappent vont brisant, 884\nTranchent \u00e9cus, faussent hauberts\u00b0,\nDu sang vermeil rougit leur fer. . .\nLe combat dure si longtemps,\nTant font preuve d\u2019acharnement, 888\nQu\u2019\u00e0 la \ufb01n, ils se sont lass\u00e9s.\nEt demoiselles de pleurer !\nChacun voit la sienne pleurant\nLes mains jointes, vers Dieu priant, 892\nQue victoire donne certaine\n\u00c0 celui pour qui elle a peine.\nLors dit le chevalier : \u00ab Vassal\u00b0,\nNos coups ne mettent gu\u00e8re \u00e0 mal ; 896\nS\u00e9parons-nous, je vous le dis,\nEt prenons un peu de r\u00e9pit.\nPour en \ufb01nir devons cogner\nPlus fort, car la nuit va venir. 900\nC\u2019est vraiment trop d\u00e9shonorant\nQue la bataille dure tant !\nPlus fort, de nos lames d\u2019acier,\nPour nos amies, devons frapper. \u00bb 904\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab C\u2019est bien parler. \u00bb\nAlors ils se sont repos\u00e9s.\n\u00c9rec regarde son amie\nQui prie doucement pour lui. 908\nMais \u00e0 peine l\u2019a-t-il vue,72 Chr\u00e9tien de Troyes\nse li est sa force cre\u00fce ;\npor s\u2019amor et por sa biaut\u00e9\na reprise molt grant \ufb01ert\u00e9 ; 912\nremanbre li de la re\u00efne,\nqu\u2019il avoit dit an la gaudine\nque il sa honte vangeroit\nou il ancore la crestroit. 916\n\u00ab H\u00e9 ! mauv\u00e9s, fet il, qu\u2019atant gi\u00e9 ?\nAncores n\u2019ai ge pas vangi\u00e9\nle let que cil vasax sofri,\nquant ses nains el bois me feri. \u00bb 920\nSes mautalanz li renovele ;\nle chevalier par ire apele :\n\u00ab Vassax, fet il, tot de novel\na la bataille vos rapel : 924\ntrop avons fet grant reposee ;\nrecoman\u00e7ons nostre meslee. \u00bb\nCil li respont : \u00ab Ce ne m\u2019est grief. \u00bb\nLors s\u2019antre vienent de rechief. 928\nAndui sorent de l\u2019escremie :\na cele premiere anvaie,\ns\u2019Erec bien coverz ne se fust,\nli chevaliers bleci\u00e9 l\u2019e\u00fcst ; 932\nsi l\u2019a li chevaliers feru\na descovert, desor l\u2019escu,\nc\u2019une piece del hiaume tranche\nres a res de la coisfe blanche ; 936\nl\u2019espee contre val descent,\nl\u2019escu jusqu\u2019a la bocle fant,\net del hauberc lez le cost\u00e9\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 73\nQue forces lui sont revenues !\nL\u2019amour qu\u2019il a d\u2019elle si belle\nLui rend courage de plus belle. 912\nSe souvient de ce qu\u2019il disait\n\u00c0 la reine dans la for\u00eat,\nQue sa honte venger saurait,\nOu bien qu\u2019il la redoublerait. 916\n\u00ab Mauvais, qu\u2019ai-je donc \u00e0 tarder,\nSe dit-il, au lieu de venger\nL\u2019outrage de ce vassal\u00b0-ci,\nQuand son nain\u00b0 me frappa ainsi ? \u00bb 920\nSa hargne alors renouvel\u00e9e,\nDe rage, dit au chevalier :\n\u00ab Vassal\u00b0, revenez, il nous faut\nReprendre la lutte au plus t\u00f4t ; 924\nNous n\u2019avons que trop attendu,\nLe temps de combattre est venu. \u00bb\nL\u2019autre dit : \u00ab Comme il vous plaira. \u00bb\nReprise du combat\nAussit\u00f4t reprend le combat. 928\nTous deux \u00e0 grands e \u000borts s\u2019escriment.\nD\u00e8s la premi\u00e8re passe d\u2019armes,\nSi \u00c9rec ne f\u00fbt prot\u00e9g\u00e9,\nLe chevalier l\u2019aurait bless\u00e9, 932\nCar l\u2019autre lui porte le fer\nSur son \u00e9cu, \u00e0 d\u00e9couvert ;\nUne pi\u00e8ce du heaume\u00b0 tranche,\nTout au ras de la coi \u000be blanche ; 936\nL\u2019\u00e9p\u00e9e continue et descend,\nL\u2019\u00e9cu\u00b0 jusqu\u2019\u00e0 la boucle fend,\nEt du haubert\u00b0, sur le c\u00f4t\u00e9,74 Chr\u00e9tien de Troyes\nli a plus d\u2019un espan ost\u00e9. 940\nBien dut estre Erec afolez ;\njusqu\u2019a la char li est colez\nsor la hanche li aciers froiz.\nDex le gari a cele foiz : 944\nse li fers ne tornast dehors\ntranchi\u00e9 l\u2019e\u00fcst par mi le cors.\nMes Erec de rien ne s\u2019esmaie :\nse cil li preste, bien li paie : 948\nmolt hardiemant le requiert,\npar selonc l\u2019espaule le \ufb01ert ;\ntele anpointe li a donee\nque li escuz n\u2019i a duree, 952\nne li haubers rien ne li vaut\nque jusqu\u2019a l\u2019os l\u2019espee n\u2019aut ;\ntot contre val jusqu\u2019au braier\na fet le sane vermoil raier. 956\nMolt sont \ufb01er andui li vasal :\nsi se conbatent par igal\nque ne puet pas un pi\u00e9 de terre\nli uns desor l\u2019autre conquerre. 960\nMolt ont lor haubers desmailliez\net les escus si detailliez\nqu\u2019il n\u2019ont tant d\u2019antier, sanz mantir,\ndont il se puissent recovrir, 964\ntuit se \ufb01erent a descovert :\nchascuns del sanc grant masse i pert,\nmolt afeblissent anbedui.\nCil \ufb01ert Erec, et Erec lui : 968\ntel cop a delivre li done\nsor le hiaume que tot l\u2019estone ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 75\nUn grand morceau lui a \u00f4t\u00e9. 940\n\u00c9rec aurait pu tr\u00e9passer !\nJusqu\u2019\u00e0 la chair lui a gliss\u00e9\nDessus, la hache d\u2019acier froid.\nDieu le garda bien, cette fois : 944\nSi le fer e\u00fbt tourn\u00e9 dehors,\nIl e\u00fbt tranch\u00e9 en deux le corps.\nMais \u00c9rec ne s\u2019inqui\u00e8te pas :\nCe qu\u2019on lui pr\u00eate, il le rendra ; 948\nVaillamment, poursuit le combat.\nSur l\u2019\u00e9paule son fer abat.\nTel coup d\u2019\u00e9p\u00e9e lui a port\u00e9\nQue l\u2019\u00e9cu\u00b0 n\u2019a pas r\u00e9sist\u00e9 952\nNon plus que le haubert\u00b0 fendu :\nJusqu\u2019\u00e0 l\u2019os l\u2019\u00e9p\u00e9e est venue,\nEt le sang vermeil, sur l\u2019armure,\nA coul\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 la ceinture. . . 956\nTous deux sont terribles vassaux ;\nLe combat les voit si \u00e9gaux,\nQu\u2019un seul ne saurait parvenir\nL\u2019un dessus l\u2019autre \u00e0 conqu\u00e9rir. 960\nTant sont hauberts\u00b0 d\u00e9guenill\u00e9s,\nEt leurs \u00e9cus si entam\u00e9s\nQu\u2019il ne leur reste, sans mentir,\nPas m\u00eame de quoi se couvrir. 964\nIls se frappent \u00e0 d\u00e9couvert :\nDe chacun, tant de sang se perd\nQu\u2019ils s\u2019en trouvent tout a \u000baiblis.\nS\u2019il frappe \u00c9rec, \u00c9rec aussi : 968\nTel coup sur le heaume\u00b0 lui mit\nQue l\u2019autre en fut tout \u00e9tourdi.76 Chr\u00e9tien de Troyes\n\ufb01ert et re\ufb01ert tot a bandon,\ntrois cos li done de randon, 972\nli hiaumes escartele toz\net la coisfe tranche desoz ;\njusqu\u2019au test l\u2019espee n\u2019areste,\nun os li tranche de la teste, 976\nmes nel tocha an la cervele.\nCil anbrunche toz et chancele ;\nque q\u2019u\u2019il chancele, Erec le bote\net cil chiet sor le destre cote ; 980\nErec par le hiaume le sache,\na force del chief li arache,\net la vantaille li deslace ;\nle chief li desarme et la face. 984\nQuant lui remanbre de l\u2019outrage\nque ses nains li \ufb01st el boschage,\nla teste li e\u00fcst colpee,\nse il n\u2019e\u00fcst merci criee : 988\n\u00ab Ha ! vasax, fet il, conquis m\u2019as.\nMerci ! ne m\u2019ocirre tu pas !\nDes que tu. m\u2019as oltr\u00e9 et pris,\nja n\u2019an avroies los, ne pris, 992\nse tu des or mes m\u2019ocioies ;\ntrop grant vilenie feroies.\nTien m\u2019espee ; je la te rant.\nMes Erec mie ne la prant ; 996\neinz dit : \u00ab Bien va, je ne t\u2019oci,\n\u2014\u2014 Ha ! gentix chevaliers, merci !\nPor quel forfet ne por quel tort\nme doiz tu donc, ha\u00efr de mort ? 1000\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 77\n\u00c9rec ses coups redouble, alors,\nVite, trois fois, le frappe encore : 972\nLe heaume\u00b0 \u00e9clate sous le coup,\nQui tranche la coi \u000be en dessous ;\nAu cr\u00e2ne l\u2019\u00e9p\u00e9e ne s\u2019arr\u00eate,\nLui brisant un os en la t\u00eate, 976\nMais sans atteindre la cervelle.\nL\u2019autre bascule, puis chancelle ;\n\u00c9rec le pousse, qui le voit :\nL\u2019autre choit sur le c\u00f4t\u00e9 droit ; 980\n\u00c9rec par le heaume\u00b0 le tire\nEt de la t\u00eate lui retire,\nPuis la ventaille lui d\u00e9lace,\nLa t\u00eate d\u00e9couvre et la face. 984\nQuand de l\u2019outrage se souvint\nQue dans le bois lui \ufb01t son nain\u00b0,\nLa t\u00eate e\u00fbt volontiers coup\u00e9e\nSi l\u2019autre n\u2019e\u00fbt merci\u00b0 cri\u00e9 : 988\nYdier est vaincu\n\u00ab Vassal\u00b0 ! J\u2019ai perdu ce combat.\nAie piti\u00e9 ! Ne m\u2019ach\u00e8ve pas !\nPuisque tu m\u2019as vaincu et pris,\nTu n\u2019en auras pas plus de prix, 992\nSi d\u00e8s maintenant tu m\u2019occis\u00b0. . .\nCe serait trop de vilenie !\nPrends mon \u00e9p\u00e9e, je te la rends. \u00bb\nMais \u00c9rec pourtant ne la prend, 996\nEt dit : \u00ab Va, je te laisse en vie.\n\u2014 Ah ! Noble chevalier, merci\u00b0 !\nPour quel forfait et pour quel tort\nMe voues-tu cette haine \u00e0 mort ? 100078 Chr\u00e9tien de Troyes\nEinz mes ne te vi que je sache,\nn\u2019onque ne fui an ton domage,\nne ne te \ufb01s honte, ne let. \u00bb\nErec respont : \u00ab Si avez fet. 1004\n\u2014 H\u00e9 ! sire, car le dites donques,\nNe vos vi mes que je saiche onques,\net se ge rien mesfet vos ai,\nan vostre merci an serai. \u00bb 1008\nLors dist Erec : \u00ab Vasax, je sui\ncil qui an la forest hier fui\navoec la reine Ganievre,\nou tu sofris ton nain anrievre, 1012\nferir la pucele ma dame ;\ngrant viltance est de ferir fame.\nEt moi apr\u00e9s referi il ;\nmolt me tenis lors anpor vil : 1016\ntrop grant oltrage asez fe\u00efs,\nquant tu tel oltrage ve\u00efs,\nsi la sofris et si te plot\nd\u2019une tel fauture et d\u2019un bot 1020\nqui feri la pucele et moi.\nPor ce forfet ha\u00efr te doi,\ncar trop fe\u00efs grant mesprison\nFiancier t\u2019an estuet prison, 1024\net sanz nul respit or androit\niras a ma dame tot droit,\ncar sanz faille la troveras\na Caradigan, se la vas ; 1028\nbien i vandras ancor enuit :\nn\u2019i a pas set liues, ce cuit.\nToi et ta pucele et ton nain\nli deliverras an sa main 1032\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 79\nJe ne t\u2019ai jamais vu encore,\nEt ne te \ufb01s jamais de tort\nOutrage ni honte, jamais. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab V ous l\u2019avez fait. \u00bb 1004\n\u2014 Ah ! Sire, dites-le ! De vous\nNe me souviens, ni peu, ni prou.\nSi j\u2019ai commis quelque m\u00e9fait,\n\u00c0 votre merci\u00b0 me rendrai. \u00bb 1008\n\u00ab Vassal\u00b0, lui r\u00e9pond \u00c9rec, vois\nJe suis celui qui vint au bois\nAvec Gueni\u00e8vre\u00b0, noble reine.\nTu laissas ton nain\u00b0 plein de haine 1012\nFouetter la compagne \u00e0 ma Dame.\nC\u2019est mal de frapper une femme !\nMais il me frappa moi aussi ;\nTu me montras tant de m\u00e9pris, 1016\nTu me \ufb01s un si grand outrage\n\u00c0 laisser faire tel dommage,\nAvec joie, sans protestation,\nPar ce nabot, cet avorton, 1020\n\u00c0 la pucelle\u00b0 comme \u00e0 moi,\nQue grande haine je te dois,\nCar c\u2019est vraiment trop grand forfait.\nSur ta foi, prisonnier tu es, 1024\nEt sans nul r\u00e9pit ni d\u00e9tour,\nDroit vers ma Dame, va et cours ;\nSans faute tu la trouveras,\n\u00c0 Caradigan, si tu vas. 1028\nTu peux y aller aujourd\u2019hui :\nCe n\u2019est pas \u00e0 sept lieues d\u2019ici.\nToi, ta demoiselle et ton nain\u00b0,\nTu resteras dedans ses mains, 103280 Chr\u00e9tien de Troyes\npor fere son comandemant,\net se li di que ge li mant\nque demain a joie vanrai\net une pucele an manrai, 1036\ntant bele, et tant saige, et taut preu,\nque sa paroille n\u2019est nul leu ;\nbien li porras dire por voir.\nEt ton non revoel ge savoir. \u00bb 1040\nLors li dist cil, ou voelle ou non :\n\u00ab Sire, Ydiers, li \ufb01lz Nut, ai non ;\nhui matin ne cuidoie mie\nc\u2019uns seus hom par chevalerie 1044\nme po\u00efst vaintre ; or ai trov\u00e9\nmeillor de moi et esprov\u00e9 :\nmolt estes chevaliers vaillanz.\nTenez ma foi, jel vos \ufb01anz 1048\nque or androit sanz plus atandre\nm\u2019irai a la re\u00efne randre.\nMes dites moi, nel me celez,\npar quel non estes apelez ; 1052\nqui dirai ge qui m\u2019i anvoie ?\nAparelliez sui de la voie.\nEt cil respont : \u00ab Jel te dirai,\nja mon non me te celerai : 1056\nErec ai non ; va, se li di\nque je t\u2019ai anvoi\u00e9 a li.\n\u2014 Et je m\u2019an vois, jel vos otroi ;\nmon nain et ma pucele o moi 1060\nmetrai an sa merci del tot,\nja mar an seroiz an redot,\net si li dirai la novele\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 81\nPour ob\u00e9ir et la servir.\nN\u2019oublie pas ce que je vais dire :\nDemain, en grande joie irai,\nEt demoiselle emm\u00e8nerai ; 1036\nSi noble, si sage et si belle ;\nQue nulle part n\u2019en est de telle.\nR\u00e9p\u00e8te-lui bien tout ceci,\nMais dis-moi donc ton nom, aussi. \u00bb 1040\nL\u2019autre r\u00e9pond, le veuille ou non :\n\u00ab Sire, Ydier, \ufb01ls de Nut, ai nom.\nCe matin, jamais n\u2019aurais cru\nQue personne me vaincre p\u00fbt, 1044\nAu combat. Or ai trouv\u00e9\nMeilleur que moi, c\u2019est bien prouv\u00e9 !\nV ous \u00eates de grande valeur :\nJe vous promet, sur mon honneur, 1048\nQue j\u2019irai donc, sans plus attendre,\nTout droit \u00e0 la reine me rendre.\nMais dites-moi, ne me cachez,\nQuel est le nom que vous portez ? 1052\n\u00c0 qui m\u2019envoie, quel nom donner ?\n\u00c0 partir, je suis dispos\u00e9. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Je te dirai\nMon nom, ne te le cacherai : 1056\n\u00c9rec est mon nom. Va, et dis\nQue c\u2019est moi qui t\u2019envoie ici.\n\u2014 Je m\u2019en vais, car je vous le dois ;\nMon nain\u00b0, ma demoiselle et moi, 1060\nSeront \u00e0 sa merci\u00b0 en tout,\nRien ne devez craindre du tout.\nEt lui donnerai des nouvelles82 Chr\u00e9tien de Troyes\nde vos et de vostre pucele. \u00bb 1064\nLors en a Erec la foi prise ;\ntuit sont venu a la devise,\nli cuens et les genz an viron,\nles puceles et li baron. 1068\nDe maz, et de liez, en i ot :\na l\u2019un pesa, a l\u2019autre plot.\nPor la pucele au cheinse blanc,\nqui le cuer ot gentil et franc, 1072\nqui estoit \ufb01lle au vavasor,\ns\u2019esjoissent tuit li plusor ;\net por Yder dolant estoient\net por s\u2019amie qui l\u2019amoient. 1076\nYders n\u2019i volt plus arester ;\nsa foi li covint aquiter :\nmaintenant sor son cheval monte.\nPor coi vos feroie lonc conte ? 1080\nSon nain et sa pucele an mainne,\nle bois trespassent et la plainne ;\ntote la droite voie tindrent\ntant que a, Caradigan vindrent. 1084\nEs loiges de la sale hors\nestoit mes sire Gauvains lors\net Kex li senechax ansanble ;\ndes barons i ot, ce me sanble, 1088\navoec ax grant masse venuz.\nCez qui vienent ont bien ve\u00fcz ;\nli senechax premiers le vit,\na mom seignor Gauvain a dit : 1092\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 83\nDe vous et de la demoiselle. \u00bb 1064\n\u00c0 \u00c9rec en a fait le serment.\nPour le d\u00e9part sont l\u00e0 les gens,\nLe comte et gens des environs,\nLes demoiselles et les barons\u00b0. 1068\nChagrin et joie il y avait :\nLes uns tristes, les autres gais.\nPour la pucelle\u00b0 en robe blanche\n\u00c0 l\u2019\u00e2me si noble et si franche, 1072\nQui est \ufb01lle de vavasseur\u00b0,\n\u00c0 se r\u00e9jouir sont plusieurs.\nEt pour Ydier, tristes \u00e9taient\nPour son amie, ceux qui l\u2019aimaient. 1076\nYdier voulut, sans plus tarder,\nDe sa promesse s\u2019acquitter ;\nMaintenant sur son cheval monte.\nFaut-il que je vous le raconte ? 1080\nSon nain\u00b0 et sa pucelle\u00b0 emm\u00e8ne,\nFranchissent le bois et la plaine,\nEt all\u00e8rent directement,\nAinsi, jusqu\u2019\u00e0 Caradigan. 1084\nYdier \u00e0 Caradigan\nSur la galerie, au dehors,\nSire Gauvain \u00e9tait alors,\nEt Keu\u00b0 le s\u00e9n\u00e9chal, ensemble.\nEt d\u2019autres barons\u00b0, il me semble, 1088\nNombreux aussi, \u00e9taient venus.\nCeux qui viennent, ils ont bien vus.\nLe s\u00e9n\u00e9chal fut le premier :\n\u00c0 Sire Gauvain a parl\u00e9 : 109284 Chr\u00e9tien de Troyes\n\u00ab Sire, fet il, mes cuers devine\nque cil vasax qui la chemine,\nc\u2019est cil que la reine dist\nqui hier si grant enui li \ufb01st. 1096\nCe m\u2019est avis que il sont troi ;\nle nain et la pucele voi.\n\u2014 V oirs est, fet mes sire Gauvains,\nc\u2019est une pucele at uns nains 1100\nqui avoec le chevalier vienent ;\nvers nos la droite voie tienent.\nToz armez est li chevaliers,\nmes ses escuz n\u2019est pas antiers ; 1104\nse la re\u00efne le veoit,\nje cuit qu\u2019ele le conuistroit.\nH\u00e9 ! senechax, car l\u2019apelez ! \u00bb\nCil i est maintenant alez ; 1108\ntrovee l\u2019a en une chanbre :\n\u00ab Dame, fet il, s\u2019il vos remanbre\ndel nain qui hier vos corre\u00e7a\net vostre pucele ble\u00e7a ? 1112\n\u2014 Oil, molt m\u2019an sovient il bien,\nseneschax, savez an vos rien ?\nPor coi l\u2019avez ramante\u00fc ?\n\u2014 Dame, por ce que j\u2018al ve\u00fc 1116\nvenir un chevalier errant,\narm\u00e9 sor un destrier ferrant,\net, se mi oel ne m\u2019ont manti,\nune pucele a avoec li, 1120\net si m\u2019est vis qu\u2019avoec ax vient\nli nains qui l\u2019escorgiee tient,\ndom Erec re\u00e7ut la colee. \u00bb\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 85\n\u00ab Sire, voyez, mon c\u0153ur devine,\nQue ce vassal\u00b0-ci, qui chemine,\nEst celui dont la reine a dit\nQu\u2019hier lui \ufb01t un grand ennui. 1096\nIl me semble bien qu\u2019ils sont trois :\nnain\u00b0 et pucelle\u00b0 aussi, je vois.\n\u2014 C\u2019est vrai, fait messire Gauvain\u00b0,\nC\u2019est une pucelle\u00b0 et un nain\u00b0 1100\nQui pr\u00e9s du chevalier se tiennent ;\nVers nous directement s\u2019en viennent.\nTout arm\u00e9 est le chevalier,\nMais son \u00e9cu\u00b0 est ab\u00eem\u00e9 ; 1104\nSi la reine l\u2019apercevait,\nJe crois bien, le reconna\u00eetrait.\nH\u00e9 ! S\u00e9n\u00e9chal, appelez-la ! \u00bb\nIl y est all\u00e9 de ce pas, 1108\nDans une chambre la qu\u00e9rir :\n\u00ab Dame, gardez-vous souvenir\nDu nain\u00b0 qui hier vous courrou\u00e7a,\nEt votre pucelle\u00b0 blessa ? 1112\n\u2014 Si m\u2019en souviens ? Sur ma foi, oui,\nS\u00e9n\u00e9chal que savez sur lui ?\nPourquoi raviver ma m\u00e9moire ?\n\u2014 Dame c\u2019est que je viens de voir 1116\nVenir un chevalier errant\nArm\u00e9, sur un cheval gris-blanc ;\nEt si mes yeux ne m\u2019ont menti,\nUne pucelle\u00b0 est avec lui. 1120\nIl me semble qu\u2019avec eux vient\nAussi le nain\u00b0 qui le fouet tient,\nLe fouet dont \u00c9rec fut frapp\u00e9. \u00bb86 Chr\u00e9tien de Troyes\nLors s\u2019est la reine levee 1124\net dist : \u00ab Alons i, seneschax,\nveoir se ce est li vasax.\nSe c\u2019est il, bien poez savoir\nque je vos an dirai le voir 1128\nmaintenant que je le verrai. \u00bb\nEt Kex dist : \u00ab Je vos i manrai ;\nor venez as loiges a mont,\nla ou nostre conpaignon sont ; 1132\nd\u2019ilueques venir le veismes,\net mes sire Gauvains meismes\nvos i atant. Dame, alons i,\nque trop avons demor\u00e9 ci. \u00bb 1136\nLors s\u2019est la reine esme\u00fce,\nas fenestres s\u2019an est venue,\nlez mon seignor Gauvain s\u2019estut ;\nle chevalier molt bien conut : 1140\n\u00ab Hai ! fet ele, ce est il.\nMolt a est\u00e9 an grant peril ;\nconbatuz s\u2019est. Ce ne sai gi\u00e9,\nse Erec a son duel vangi\u00e9 1144\nou se cist a Erec vaincu,\nmes molt a cos an son escu ;\nses haubers est coverz de sang,\ndel roge i a plus que del blanc. 1148\nV oirs est, fet mes sire Gauvains ;\ndame, je sui trestoz certains\nque de rien nule ne mantez :\nses haubers est ansanglantez, 1152\nmolt est hurtez et debatuz ;\nbien pert que il s\u2019est conbatuz ;\nsavoir poons, sanz nule faille,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 87\nAlors la reine s\u2019est lev\u00e9e 1124\nEt dit : \u00ab Allons donc, S\u00e9n\u00e9chal,\nV oyons si c\u2019est bien ce vassal\u00b0.\nSi c\u2019est lui, vous pouvez me croire,\n\u00c0 vous je le ferai savoir 1128\nAussit\u00f4t que je le verrai. \u00bb\nEt Keu\u00b0 a dit : \u00ab V ous conduirai ;\nVenez donc sur la galerie :\nTous nos compagnons sont ici ; 1132\nNous l\u2019avons vu de ce lieu-ci,\nEt messire Gauvain\u00b0 aussi\nV ous y attend ; Dame allons-y\nSommes trop demeur\u00e9s ici. \u00bb 1136\nAlors la reine y est mont\u00e9e,\nEt vers la fen\u00eatre est all\u00e9e ;\nAupr\u00e8s de Gauvain\u00b0 s\u2019est tenue,\nLe chevalier a reconnu. 1140\n\u00ab Ah ! Fait-elle alors, c\u2019est bien lui !\nIl a donc eu bien des ennuis ;\nIl s\u2019est battu. N\u2019ose penser\nQu\u2019\u00c9rec son honneur a veng\u00e9 1144\nOu que celui-ci l\u2019a vaincu ;\nMais plein de bosses est son \u00e9cu,\nSon haubert\u00b0 est couvert de sang,\nIl en est plus rouge que blanc. 1148\n\u2014 V ous avez raison dit Gauvain\u00b0 ;\nDame, suis tout \u00e0 fait certain\nQu\u2019en nulle chose ne mentez :\nSon haubert\u00b0 est ensanglant\u00e9, 1152\nTout bossel\u00e9 des coups re\u00e7us. . .\nIl para\u00eet bien s\u2019\u00eatre battu.\nSans aucun doute, on peut penser88 Chr\u00e9tien de Troyes\nque forz a est\u00e9 la bataille. 1156\nJa li orrons tel chose dire\ndon nos avrons ou joie ou ire,\nou Erec l\u2019anvoie a vos ci\nan prison an vostre merci, 1160\nou s\u2019il se vient par hardemant\nvanter antre nos folemant\nqu\u2019il a Erec vaincu ou mort.\nNe cuit qu\u2019autre novele aport. \u00bb 1164\nFet la reine : \u00ab Je le cuit.\nBien puet estre \u00bb, ce dient tuit.\nA tant Yders antre an la porte,\nqui la novele lor aporte ; 1168\ndes loges sont tuit aval\u00e9,\na l\u2019ancontre li sont al\u00e9.\nYdiers vint au perron a val ;\nla descendi de son cheval, 1172\net Gauvains la pucele prist\net jus de son cheval la mist ;\nli nains de l\u2019autre part descent ;\nchevaliers i ot plus de cent. 1176\nQuant descendu furent tuit troi,\nsi les mainnent devant le roi.\nLa ou Ydiers vit la reine,\njusque devant ses piez ne \ufb01ne, 1180\net si salua tot premiers\nle roi et toz ses chevaliers,\net dist :\u00ab Dame, an vostre prison\nm\u2019anvoie ci uns gentix hon, 1184\nuns chevaliers vaillanz et preuz,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 89\nQue le combat fut acharn\u00e9. 1156\nMaintenant il vient pour nous dire\nChose \u00e0 donner col\u00e8re, ou rire :\nOu \u00c9rec vous l\u2019envoie ici\nPrisonnier, \u00e0 votre merci\u00b0, 1160\nOu bien il vient, insolemment\nSe vanter \u00e0 nous follement\nQu\u2019\u00c9rec a vaincu et tu\u00e9.\nNe peut autre chose annoncer. \u00bb 1164\nLa reine a dit : \u00ab je crois aussi. \u00bb\nEt tout le monde pense ainsi.\nAlors Ydier franchit la porte,\nEt la nouvelle leur apporte. 1168\nDe la galerie descendus,\n\u00c0 sa rencontre sont venus.\nYdier vint au perron, en bas,\nDe son cheval sauta \u00e0 bas ; 1172\nEt Gauvain\u00b0 prit la demoiselle,\nLa \ufb01t descendre de la selle ;\nLe nain\u00b0 descend de son c\u00f4t\u00e9.\nYdier devant la reine\nLes chevaliers \u00e9taient bien cent. 1176\nQuand furent descendus tous trois,\nFurent conduits devant le roi.\nQuand Ydier a la reine vue,\n\u00c0 ses pieds, sit\u00f4t est venu. 1180\nAlors il salue en premier\nLe roi, et tous ses chevaliers\nEt dit : \u00ab Dame, \u00e0 vous, prisonnier,\nM\u2019envoie ici un chevalier, 1184\nTr\u00e8s noble, vaillant, et tr\u00e8s sage,90 Chr\u00e9tien de Troyes\ncil cui \ufb01st hier santir les neuz\nmes nains de la corgiee el vis ;\nvaincu m\u2019a d\u2019armes et conquis. 1188\nDame, le nain vos amaing ci\net ma pucele a merci\npor fere quanque il vos plest. \u00bb\nLa reine plus ne se test, 1192\nd\u2019Erec li demande novele :\n\u00ab Or me dites, sire, fet ele,\nsavez vos quant Erec vanra ?\nDame, demain, et s\u2019amanra 1196\nune pucele ansanble o lui,\nonques si bele ne conui. \u00bb\nQuant il ot cont\u00e9 son message,\nla reine fu preuz et sage, 1200\ncortoisemant li dit : Amis,\ndes qu\u2019an ma prison estes mis,\nmolt iert vostre prisons legier\u00e9 ;\nn\u2019ai nul talant que mal vos quiere, 1204\nmes or me di, se Dex t\u2019aist,\ncomant as non, \u00bb Et il li dist :\n\u00ab Dame, Ydiers ai non, li \ufb01lz Nut \u00bb ;\nla verit\u00e9 l\u2019an reconut. 1208\nLors s\u2019est la reine levee,\ndevant le roi s\u2019an est alee\net dist :\u00ab Sire, or avez ve\u00fc,\nor avez vos bien antandu 1212\nd\u2019Erec le vaillant chevalier.\nMolt vos donai boen consoil hier,\nquant jel vos loai a atandre :\npor ce fet il boen consoil prandre. \u00bb 1216\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 91\n\u00c0 qui hier, mon nain\u00b0, au visage,\nA lanc\u00e9 son fouet, par d\u00e9\ufb01 ;\nIl m\u2019a r\u00e9duit \u00e0 sa merci\u00b0. 1188\nDame, ce nain-l\u00e0, le voici,\nEt cette demoiselle aussi ;\nPour vous servir et pour vous plaire. \u00bb\nLa reine ne peut plus se taire ; 1192\nD\u2019\u00c9rec demande des nouvelles :\n\u00ab Dites-moi donc ; sire, fait-elle,\nSavez-vous quand \u00c9rec viendra ?\n\u2014 Dame, demain, am\u00e8nera 1196\nAvec lui, une demoiselle :\nJamais n\u2019en ai vu de si belle. \u00bb\nQuand il eut donn\u00e9 ce message,\nLa reine alors, prudente et sage, 1200\nCourtoisement lui dit : \u00ab Ami,\nSi mon prisonnier vous vois ci,\nV otre prison sera l\u00e9g\u00e8re.\nN\u2019ai nulle envie de mal vous faire ; 1204\nMais dites-moi, je vous en prie,\nQuel nom avez. \u00bb Il le lui dit :\n\u00ab Dame, ai nom Ydier, \ufb01ls de Nut. \u00bb\nLa v\u00e9rit\u00e9 on reconnut. 1208\nAlors la reine s\u2019est lev\u00e9e,\nDevant le roi s\u2019en est all\u00e9e\net dit : \u00ab Sire, vous avez vu,\nEt vous avez bien entendu, 1212\n\u00c9rec est vaillant chevalier.\nHier vous ai bien conseill\u00e9\nQuand vous ai demand\u00e9 d\u2019attendre :\nIl vaut toujours mieux conseil prendre\u00bb 121692 Chr\u00e9tien de Troyes\nLi rois a dit : \u00ab N\u2019est mie fable,\nceste parole est veritable :\nqui croit consoil n\u2019est mie fos :\nbuer crei\u00fcmes hier vostre los. 1220\nMes se de rien nule m\u2019amez,\nce chevalier quite clamez\npar tel covant de la prison\nque il remaigne an ma meison, 1224\nde ma mesniee et de ma cort,\net s\u2019il nel fet, a mal li tort. \u00bb\nLi rois ot sa parole dite,\net la reine tantost quite 1228\nlo chevalier ar\u00ebaumant ;\nmes ce fu par tel covenant\nqu\u2019a la cort del tot remassist ;\ncil gaires preier ne s\u2019an \ufb01st, 1232\nla remenance a otroiee,\npuis fu de cort et de mesniee.\nIqui n\u2019avoit gueres est\u00e9,\nlors furent gar\u00e7on aprest\u00e9 1236\nqui le corrurent desarmer.\nOr redevons d\u2019Erec parler,\nqui ancore an la place estoit\nou la bataille fete avoit. 1240\nOnques, ce cuit, tel joie n\u2019ot,\nquant Tristanz ocist le Morhot,\nqu\u2019an l\u2019isle Saint Sanson vainqui,\ncon l\u2019an feisoit d\u2019Erec iqui. 1244\nMolt feisojent de lui grant los\npetit, et grant, et gresle, et gros ;\ntuit prisent sa chevalerie,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 93\nLe roi a dit : \u00ab Oui, en e \u000bet,\nCette parole est v\u00e9rit\u00e9.\nN\u2019est pas fou qui les conseils suit,\nLe v\u00f4tre nous avons suivi. 1220\nMais si un tant soit peu m\u2019aimez,\nCe chevalier quitte tenez\nDe sa prison, \u00e0 condition,\nQu\u2019il demeure dans ma maison, 1224\nSoit de ma cour et ma mesnie\u00b0,\nCar autrement, tant pis pour lui. \u00bb\nD\u00e8s que le roi eut dit cela,\nLa reine aussit\u00f4t lib\u00e9ra 1228\nLe chevalier en cons\u00e9quence ;\nMais ce fut selon la sentence\nQu\u2019\u00e0 la cour il devait rester.\nIl ne se \ufb01t gu\u00e8re prier 1232\nPour accepter ces conditions :\nFut de la cour, de la maison.\nNe s\u2019\u00e9tait gu\u00e8re repos\u00e9 :\nDes valets on lui a donn\u00e9 1236\nQui coururent le d\u00e9sarmer.\nMais devons d\u2019\u00c9rec reparler,\nQui \u00e0 l\u2019endroit \u00e9tait rest\u00e9\nO\u00f9 il avait tant bataill\u00e9. 1240\nJamais n\u2019y eut si grande joie\nQuand Tristan le Morholt\u00b0 tua,\nEn l\u2019Isle Saint-Sanson, ainsi\nQu\u2019on en \ufb01t \u00e0 \u00c9rec, ici. 1244\nTous faisaient de lui un h\u00e9ros\nPetits et grands, maigres et gros.\nTous, ils admirent sa vaillance,94 Chr\u00e9tien de Troyes\nn\u2019i a chevalier qui ne die : 1248\n\u00ab Dex, quel vasal, soz ciel n\u2019a tel. \u00bb\nApr\u00e9s, s\u2019an va a son ostel.\nGrant los an font et grant parole\net li cuens meismes l\u2019acole, 1252\nqui sor toz grant joie an feisoit,\net dit : \u00ab Sire, s\u2019il vos pleisoit,\nbien devriez et par reison\nvostre ostel prandre an ma meison, 1256\nquant vos estes \ufb01lz Lac le roi :\nse vos preniez mon conroi,\nvos me feriez grant enor,\ncar je vos tieng por mon seignor. 1260\nBiax sire, la vostre merci,\nde remenoir o moi vos pri. \u00bb\nErec respont : \u00ab Ne vos enuit,\nne lesserai mon oste enuit 1264\nqui molt m\u2019a grant enor mostree,\nquant il sa \ufb01lle m\u2019a donee.\nEt qu\u2019an dites vos, sire, dons ?\nDon n\u2019est biax et riches cist dons ? 1268\n- Oil, biax sire, fet li cuens,\ncist dons si est et biax et buens ;\nla pucele est molt bele et sage,\net si est molt de haut parage : 1272\ncertes molt en ai li\u00e9 le cuer\n(sachiez que sa mere est ma suer),\nquant vos ma niece avoir deigniez.\nAncor vos pri que vos veigniez 1276\no moi herbergier enuit mes, \u00bb\nErec respont : Lessiez m\u2019an pes\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 95\nIl n\u2019est chevalier qui ne pense : 1248\n\u00ab Il n\u2019en est pas deux comme lui ! \u00bb\nEn\ufb01n \u00c9rec rentre au logis ;\nOn le loue, on lui rend gr\u00e2ces,\nLe comte lui-m\u00eame l\u2019embrasse ; 1252\nLui surtout se r\u00e9jouissait,\nEt dit : \u00ab Sire, s\u2019il vous plaisait,\nDevriez \u2014 vous le m\u00e9ritez \u2014,\nEn ma maison \u00eatre log\u00e9. 1256\nN\u2019\u00eates-vous du roi Lac le \ufb01ls ?\nSi vous acceptiez mes services,\nV ous me feriez un grand honneur,\nCar je vous tiens pour mon seigneur ; 1260\nBeau sire, je vous saurais gr\u00e9,\nSi chez moi vouliez demeurer. \u00bb\n\u00c9rec dit : \u00ab N\u2019en soyez marri\u00b0 ;\nMon h\u00f4te abandonner ne puis, 1264\nLui qui m\u2019a fait l\u2019honneur si grand\nDe me donner sa belle enfant.\nMessire, qu\u2019en pensez-vous donc,\nN\u2019est-ce pas bel et riche don ? \u00bb 1268\nLe comte dit : \u00ab \u00c9videmment,\nC\u2019est vraiment bel et bon pr\u00e9sent ;\nLa pucelle\u00b0 est si belle et si sage,\nEt tellement de haut lignage, 1272\nCertes, mon coeur se r\u00e9jouit,\nCar sa m\u00e8re est ma soeur aussi,\nDe voir que ma ni\u00e8ce prenez.\nMais je vous en supplie, venez 1276\nChez moi, maintenant vous loger. \u00bb\n\u00c9rec dit : \u00ab En paix me laissez,96 Chr\u00e9tien de Troyes\nnel feroie an nule meniere. \u00bb\nCil voit n\u2019i a mestier proiere 1280\net dist : \u00ab Sire, a vostre pleisir.\nOr nos an poons bien teisir,\nmes gi\u00e9 et mi chevalier tuit\nserons avoec vos ceste nuit 1284\npar solaz et par conpaignie.\nQuant Erec l\u2019ot, si l\u2019an mercie.\nLors an vint Erec chi\u00e9s son oste,\net li cuens avoec lui an coste ; 1288\ndames et chevaliers i ot.\nLi chevaliers molt s\u2019an esjot.\nTot maintenant que Erec vint,\nsergent corrurent plus de vint 1292\npor lui desarmer a esploit.\nQui an cele meison estoit\nmolt pooit grant joie veoir.\nErec s\u2019ala premiers seoir, 1296\npuis s\u2019asistrent tuit par les rans,\nsor liz, sor seles, et sor bans ;\nlez Erec s\u2019est li cuens assis,\net la bele pucele an mis, 1300\nqui tel joie a de son seignor\nc\u2019onques pucele n\u2019ot greignor,\nErec le vavasor apele,\nparole li dist boene et bele, 1304\net si li coman\u00e7a a dire :\n\u00ab Biax amis, biax ostes, biax sire,\nV os m\u2019avez grant enor portee,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 97\nNe le veux en nulle mani\u00e8re. \u00bb\nV oyant repouss\u00e9e sa pri\u00e8re 1280\nLe comte a dit : \u00ab \u00c0 votre gr\u00e9,\nSire, n\u2019en parlons plus, tenez.\nMais moi et tous mes chevaliers\nCette nuit n\u2019allons vous quitter ; 1284\nDu moins vous tiendrons compagnie. \u00bb\nRetour chez le vavasseur\n\u00c9rec alors l\u2019en remercie,\nPuis il s\u2019en revient chez son h\u00f4te,\nLe comte avec lui, c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te, 1288\nDames et chevaliers aussi.\nLe vavasseur\u00b0 s\u2019en r\u00e9jouit !\nAussit\u00f4t qu\u2019\u00c9rec y revint,\nValets accoururent \u00e0 vingt, 1292\nPour le d\u00e9sarmer s\u2019a \u000bairaient.\nQui en cette maison \u00e9tait\nGrandes r\u00e9jouissances put voir.\n\u00c9rec alla d\u2019abord s\u2019asseoir, 1296\nPuis tous en rond se sont assis,\nSur les bancs, si\u00e8ges et les lits.\nPr\u00e8s d\u2019\u00c9rec le comte est assis\nEt la pucelle\u00b0 entre eux aussi. 1300\nTelle joie a de son seigneur,\nQue jamais nulle n\u2019eut meilleure.\n\u00c9rec le vavasseur\u00b0 appelle,\nLui dit parole bonne et belle, 1304\nUn discours commen\u00e7ant ainsi :\n\u00ab Sire, bel h\u00f4te, bel ami,\nBien grand honneur vous m\u2019avez fait.98 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes bien vos iert guerredonee : 1308\ndemain an vandra avoec moi\nvostre \ufb01lle a la cort le roi ;\nla la voldrai a fame prandre,\net, s\u2019il vos plest un po atandre, 1312\npar tans vos anvoierai querre.\nMener vos ferai an ma terre,\nqui mon pere est et moie apr\u00e9s ;\nloing de ci est, non mie pres. 1316\nIluec vos donrai deus chastiax,\nmolt boens, molt riches, et molt biax ;\nsires seroiz de Roadan,\nqui fu fez des le tans Adan, 1320\net d\u2019un autre chastel selonc\nqui ne valt mie moins un jonc ;\nla gent l\u2019apelent Montrevel,\nmes peres n\u2019a meillor chastel. 1324\nEinz que troi jor soient passez\nvos avrai anvoi\u00e9 assez\nor et argent et veir et gris\net dras de soie et de chier pris 1328\npor vos vestir et vostre fame,\nqui est ma chiere dolce dame.\nDemain droit a l\u2019aube del jor,\nan tel robe et an tel ator, 1332\nan manrai vostre \ufb01lle a cort :\nje voel que ma dame l\u2019atort\nde la soe robe demainne,\nqui est de soie tainte an grainne. \u00bb 1336\nUne pucele estoit leanz,\nmolt preuz, molt saige, molt vaillanz,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 99\nMais je vous en remercierai : 1308\nDemain m\u00e8nerai avec moi\nV otre \ufb01lle \u00e0 la cour du roi.\nL\u00e0 je veux pour femme la prendre,\nEt si daignez un peu attendre, 1312\nAlors vous enverrai chercher.\nEn la terre serez men\u00e9,\nTerre \u00e0 mon p\u00e8re, et moi apr\u00e8s ;\nC\u2019est loin d\u2019ici, et non tout pr\u00e8s. 1316\nV ous y donnerai deux ch\u00e2teaux ,\nTr\u00e8s bons, tr\u00e8s riches et tr\u00e8s beaux.\nSerez Sire de Roadan\nQui existe depuis Adam, 1320\nEt d\u2019un autre ch\u00e2teau aussi\nQui ne vaut gu\u00e8re moins que lui ;\nLes gens l\u2019appellent Montrevel :\nMeilleur ch\u00e2teau il n\u2019y a tel. 1324\nAvant que trois jours aient pass\u00e9\nV ous aurai envoy\u00e9 assez\nD\u2019or et d\u2019argent, vair\u00b0, petit-gris\nEt de draps de soie de bon prix, 1328\nPour vous v\u00eatir, et votre femme,\nQui est ma ch\u00e8re et douce Dame.\nDemain, d\u00e8s le lever du jour,\nEn cette robe, en cet atour, 1332\n\u00c0 la Cour viendra votre \ufb01lle.\nJe veux que ma Dame d\u2019habille\nDe sa propre robe elle-m\u00eame,\nDe soie teinte de rouge m\u00eame. \u00bb 1336\nUne pucelle\u00b0 \u00e9tait tout pr\u00e8s,\nNoble, aimable et de qualit\u00e9,100 Chr\u00e9tien de Troyes\nlez la pucele au chainse blanc\nestoit assise sor un banc, 1340\nqui ert sa cosine germainne\net niece le conte demainne.\nA parole en a mis le conte :\n\u00ab Sire, fet ele, mnolt grant honte 1344\nsera a vos, plus qu\u2019a autrui,\nSe cist sires an mainne o lui\nvostre niece, si povrement\natornee de vestemant.\u00bb 1348\nEt li cuens respont : \u00ab Je vos pri,\nma dolce niece, donez li,\nde voz robes que vos avez\nla mellor que vos i savez. 1352\nErec a la parole o\u00efe\net dist :\u00ab Sire, n\u2019an parlez mie.\nUne chose sachiez vos bien :\nne voldroie por nule rien 1356\nqu\u2019ele e\u00fcst d\u2019autre robe point\ntant que la re\u00efne li doint. \u00bb\nQuant la dameisele l\u2019oi,\nlors li respont et dist : \u00ab Hai ! 1360\nbiax sire, quant vos an tel guise,\nel blanc chainse et an la chemise,\nma cosine an volez mener,\nun autre don li voel doner. 1364\nQuant vos ne volez antresait\nque nule de mes robes ait,\nje ai trois palefroiz molt buens,\nonques meillors n\u2019ot rois ne cuens, 1368\nun sor, un vair, et un baucent.\nSanz mantir, la ou en a cent,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 101\nPr\u00e8s de celle v\u00eatue de blanc,\n\u00c9tait assise sur un banc. 1340\nC\u2019\u00e9tait la cousine germaine,\nEt ni\u00e8ce du comte, elle-m\u00eame.\nElle a parl\u00e9 ainsi au comte :\n\u00ab Sire, dit-elle, quelle honte 1344\nPour vous plus qu\u2019\u00e0 n\u2019importe qui,\nSi \u00c9rec emm\u00e8ne avec lui\nV otre ni\u00e8ce si pauvrement\nPourvue, en fait de v\u00eatements. \u00bb 1348\nLe comte r\u00e9pond : \u00ab Je vous prie,\nMa douce ni\u00e8ce, donnez-lui\nDans les robes que vous avez\nLa meilleure que trouverez. \u00bb 1352\n\u00c9rec a entendu cela,\nEt dit : \u00ab Sire, n\u2019en parlez pas.\nIl faut que vous sachiez ceci :\n\u201d Je ne d\u00e9sire \u00e0 aucun prix 1356\nD\u2019autre robe que celle-l\u00e0\nQue la reine lui donnera. \u00bb\nLa demoiselle a entendu.\n\u00ab Beau sire, a-t-elle r\u00e9pondu, 1360\nQu\u2019il en soit fait \u00e0 votre guise :\nEn blouse blanche et en chemise\nV ous emm\u00e8nerez ma cousine.\nUn autre pr\u00e9sent lui destine 1364\nSi vous refusez tout \u00e0 fait\nQu\u2019une robe de moi elle ait.\nBons palefrois, en ai-je trois ;\nDe meilleurs n\u2019eut comte ni roi, 1368\nAlezan, tachet\u00e9, rouan,\nEt sans vous mentir, entre cent,102 Chr\u00e9tien de Troyes\nn\u2019en a mie un meillor del vair :\nli oisel qui volent par l\u2019air 1372\nne vont plus tost del palefroi\neinz nus hom ne vit son desroi,\nuns anfes chevalchier le puet,\ntex est com a pucele estuet, 1376\nqu\u2019il n\u2019est onbrages ne restis,\nne mort, ne \ufb01ert, ne n\u2019est ragis.\nQui meillor quiert ne set qu\u2019il vialt,\nqui le chevalche ne s\u2019an dialt, 1380\neinz va plus aeise et so\u00ebf\nque s\u2019il estoit an une nef. \u00bb\nLors dist Erec : \u00ab Ma dolce amie,\nice don ne refus je mie, 1384\ns\u2019ele le prant ; ein\u00e7ois me plest,\nne voel mie qu\u2019ele le lest.\nTot maintenant la dameisele\nun suen priv\u00e9 sergent apele, 1388\nsi li dist : \u00ab Biax amis, alez,\nmon palefroi veir anselez,\nsi l\u2019amenez isnelemant. \u00bb\nEt cil fet son comandemant : 1392\nle cheval\u2019ansele et anfrainne,\ndel bel aparellier se painne,\npuis monte el palefroi \u00e7renu.\nEz vos le palefroi venu. 1396\nOuant Erec le palefroi vit,\nne le loa mie petit,\ncar molt le vit et bel et gent ;\npuis comanda a un sergent 1400\nqu\u2019an l\u2019estable lez son destrier\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 103\nN\u2019en est un valant le rouan.\nLes oiseaux qui fendent le vent 1372\nNe sont plus rapides que lui ;\nIl n\u2019en est de plus s\u00fbr aussi,\nM\u00eame un enfant peut le monter.\npucelle\u00b0 a lui peut se con\ufb01er, 1376\nCar n\u2019est r\u00e9tif ni ombrageux\nNe mord, ne rue, n\u2019est pas vicieux.\nIl n\u2019est pas de meilleur que lui :\nQui le monte va sans souci, 1380\nBien plus \u00e0 l\u2019aise sur son dos,\nQue s\u2019il \u00e9tait sur un bateau. \u00bb\n\u00c9rec dit alors : \u00ab Douce amie,\nCe pr\u00e9sent me plaira aussi, 1384\nS\u2019il lui convient ; m\u00eame vous dis-je\nJe ne veux qu\u2019elle le n\u00e9glige. \u00bb\nAussit\u00f4t cette demoiselle\nUn de ses serviteurs appelle 1388\nEt lui dit : \u00ab Bel ami, allez,\nMon palefroi\u00b0 rouan sellez,\nEt me l\u2019amenez au plus t\u00f4t. \u00bb\nSon ordre ex\u00e9cute aussit\u00f4t : 1392\nAu cheval a mis mors et selle,\nL\u2019a harnach\u00e9 avec grand z\u00e8le,\nPuis monte le beau palefroi\u00b0 :\nLe voici revenu tout droit. 1396\nQuand \u00c9rec ce beau cheval vit ;\nDe tr\u00e8s grands \u00e9loges en \ufb01t,\nCar il \u00e9tait beau et rac\u00e9.\nUn domestique a command\u00e9 1400\nQu\u2019en l\u2019\u00e9curie aille attacher104 Chr\u00e9tien de Troyes\nalast le palefroi lier.\nA tant se departirent tuit,\ngrant joie orent fet cele nuit. 1404\nLi cuens a son ostel s\u2019an vet,\nErec chi\u00e9s le vavasor let\net dit qu\u2019il le convoiera\nau matin, quant il s\u2019an ira. 1408\nCele nuit ont tote dormie.\nAu main quant l\u2019aube est esclarcie,\nErec s\u2019atorne de l\u2019aler ;\nses chevax comande anseler, 1412\net s\u2019amie la bele esvoille ;\ncele s\u2019atorne et aparoille.\nLi vavasors lieve et sa fame\nn\u2019i remaint chevalier ne dame 1416\nqui ne s\u2019atort por convoier\nla pucele et le chevalier.\nTuit sont mont\u00e9 ; et li cuens monte.\nErec chevalche lez le conte 1420\net delez lui sa bele amie,\nqui l\u2019esprevier n\u2019oblia mie :\na son esprevier se deporte,\nnule autre richesce n\u2019an porte. 1424\nGrant joie ont fet au convoier ;\navoec Erec volt anvoier\nau dessevrer une partie\nli frans cuens de sa conpaignie, 1428\npor ce qu\u2019annor li feissient,\nse avoec lui s\u2019an alessient ;\nmes il dist que nul n\u2019an manroit,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 105\nAupr\u00e8s du sien ce destrier,\nPuis tous quitt\u00e8rent le logis.\nGrand\u2019 joie avaient eu cette nuit. 1404\nLe comte rejoint sa demeure\nLaisse \u00c9rec chez le vavasseur\u00b0,\nEt dit qu\u2019il l\u2019accompagnera\nAu matin, quand il partira. 1408\n\u00c0 la Cour de Caradigan\nCette nuit ils ont bien dormi.\nAu matin, quand l\u2019aube p\u00e2lit ;\n\u00c9rec se pr\u00e9pare \u00e0 partir :\nSeller ses chevaux a fait dire. 1412\nSa belle amie a r\u00e9veill\u00e9e :\nElle s\u2019est v\u00eatue et par\u00e9e ;\nLe vavasseur\u00b0 avec sa femme\nEst l\u00e0. Ni chevalier ni dame 1416\nQui ne soit pr\u00eat pour escorter\nLa pucelle\u00b0 et le chevalier.\nTous sont mont\u00e9s, le comte aussi.\n\u00c9rec chevauche aupr\u00e8s de lui, 1420\nSa belle amie \u00e0 son c\u00f4t\u00e9,\nL\u2019\u00e9pervier n\u2019a pas oubli\u00e9 :\nElle aime jouer avec lui.\nNulle autre richesse n\u2019a pris. 1424\nEn chemin la joie a r\u00e9gn\u00e9.\nAu moment de se s\u00e9parer\nLe comte \u00e0 \u00c9rec veut donner\nQuelques-uns de ses chevaliers 1428\nPour qu\u2019ils lui tiennent compagnie,\nEt lui fassent honneur ainsi.\nMais il dit qu\u2019il n\u2019emm\u00e8nerait106 Chr\u00e9tien de Troyes\nne conpaignie ne queroit 1432\nfors que s\u2019amie solemant.\nPuis lor dist : \u00ab A Deu vos comant. \u00bb\nConvoiez les orent grant piece ;\nli cuens beise Erec et sa niece, 1436\nsi les comande a Deu le pi.\nLi peres et la mere ausi\nla beisent sovant et menu ;\nde plorer ne se sont tenu : 1440\nau departir plore la mere,\nplore la pucele et li pere.\nTex est amors, tex est nature,\ntex est pitiez de norreture 1444\nplorer leur feisoit granz pitiez\net la dol\u00e7ors et l\u2019amistiez\nqu\u2019il avoient de lor anfant\nmes bien savoient ne por quant 1448\nque lor \ufb01lle an tel leu aloit\ndon grant enors lor avandroit\nD\u2019amor et de piti\u00e9 ploroient\nque de lor \ufb01lle departoient ; 1452\nne ploroient por altre chose :\nbien savoient qu\u2019a la parclose\nan seroient il enor\u00e9.\nAu departir ont molt plor\u00e9 ; 1456\nplorant a Deu s\u2019antre comandent ;\nor s\u2019an vont, que plus n\u2019i atandent.\nErec de son oste depart,\ncar mervoilles li estoit tart 1460\nque a la cort le roi venist.\nDe s\u2019avanture s\u2019esjoist ;\nmolt estoit liez de s\u2019avanture,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 107\nPersonne et qu\u2019il ne voulait 1432\nPour compagnie que son amie.\nPuis il a dit : \u00ab \u00c0 Dieu vous prie ! \u00bb\nIls avaient fait un long chemin ;\nLe comte embrasse \u00c9rec en\ufb01n, 1436\nPuis sa ni\u00e8ce ; \u00e0 Dieu les con\ufb01e.\nLe p\u00e8re et la m\u00e8re eux aussi,\nL\u2019embrassent vite, sans mot dire :\nDe pleurer n\u2019ont pu se tenir. 1440\nPour le d\u00e9part pleure la m\u00e8re,\nLa \ufb01lle, ainsi que le p\u00e8re.\nAmour et Nature ont ces liens ;\nTendresse est telle pour les siens 1444\nQu\u2019ils ne pouvaient se retenir\nDe pleurer non plus que sou \u000brir\nTant ont d\u2019amour pour leur enfant.\nMais ils savaient bien pourtant 1448\nQue leur \ufb01lle, en s\u2019en allant,\nLeur faisait un honneur tr\u00e8s grand.\nD\u2019amour et tendresse pleuraient,\nPour leur \ufb01lle qui s\u2019en allait ; 1452\nC\u2019est bien pour elle qu\u2019ils pleuraient\nM\u00eame si, pourtant ils savaient,\nQu\u2019un grand honneur en tireraient,\nMais au d\u00e9part, voyez leurs pleurs ! 1456\nPleurant, \u00e0 Dieu se recommandent,\nSe quittent : plus longtemps n\u2019attendent.\n\u00c9rec son h\u00f4te doit quitter,\nCar il ne voudrait plus tarder 1460\nD\u2019arriver \u00e0 la cour du roi.\nDe l\u2019aventure a grande joie,\nDe plus en plus se r\u00e9jouit108 Chr\u00e9tien de Troyes\nqu\u2019amie a bele a desmesure, 1464\nsaige et cortoise et de bon aire.\nDe l\u2019esgarder ne puet preu faire :\nquant plus l\u2019esgarde et plus li plest,\nne puet m\u00fcer qu\u2019il ne la best 1468\nvolantiers pres de li se tret,\nan li esgarder se refet ;\nmolt remire son chief le blont,\nses ialz rianz et son cler front, 1472\nle nes et la face et la boche,\ndon granz dol\u00e7ors au cuer li toche.\nTot remire jusqu\u2019a la hanche,\nle manton et la gorge blanche, 1476\n\ufb02ans et costez et braz et mains ;\nmes ne remire mie mains\nla dameisele le vasal\nde boen voel et de cuer leal 1480\nqu\u2019il feisoit li par contan\u00e7on.\nN\u2019an preissent pas rean\u00e7on\nli uns de l\u2019autre regarder\nmolt estoient igal et per 1484\nde corteisie et de biaut\u00e9\net de grant deboneret\u00e9.\nSi estoient d\u2019une meniere,\nd\u2019unes mors et d\u2019une matiere, 1488\nque nus qui le voir. volsist dire\nn\u2019an poist le meillor eslire\nne le plus bel ne le plus sage.\nMolt estoient d\u2019igal corage 1492\net molt avenoient ansanble ;\nli uns a l\u2019autre son cuer anble\nonques deus si beles ymages\nn\u2019asanbla lois ne mariages. 1496\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 109\nDe voir tellement son amie 1464\nSage et courtoise et distingu\u00e9e ;\nD\u2019elle ne peut se rassasier :\nPlus la regarde, plus lui pla\u00eet ;\nDe l\u2019embrasser ne se privait. 1468\nPr\u00e8s d\u2019elle, volontiers se porte ;\nLa regarder le r\u00e9conforte :\nIl admire ses blonds cheveux,\nSon front clair, ses riants yeux, 1472\nSon nez, son visage, sa bouche ;\nQui de douceur au c\u0153ur le touchent.\nIl admire tout, jusqu\u2019aux hanches,\nLe menton, et la gorge blanche, 1476\nBelles \u00e9paules et belles mains.\nDe son c\u00f4t\u00e9 elle n\u2019a pas moins\nD\u2019admiration pour ce vassal\u00b0 :\nV olontiers, et d\u2019un c\u0153ur loyal 1480\nComme lui, elle l\u2019a regard\u00e9.\n\u00c0 aucun prix n\u2019auraient cess\u00e9\nDe l\u2019un l\u2019autre se contempler :\nIls \u00e9taient \u00e0 \u00e9galit\u00e9 1484\nDe courtoisie et de beaut\u00e9,\nDe m\u00eame g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9.\nIls avaient tous deux les mani\u00e8res\nEt les m\u0153urs les plus alti\u00e8res. 1488\nEt personne n\u2019aurait pu dire\nLequel il e\u00fbt fallu choisir\nPour le plus noble et le plus beau.\nTous deux avaient des c\u0153urs \u00e9gaux. 1492\nTant l\u2019un \u00e0 l\u2019autre convenait\nL\u2019un pour l\u2019autre leur c\u0153ur battait.\nJamais deux si belles images\nN\u2019assembl\u00e8rent lois, ou mariages. 1496110 Chr\u00e9tien de Troyes\nTant ont ansanble chevalchi\u00e9\nqu\u2019a droit midi ont aprochi\u00e9\nle chastel de Caradigan,\nou andeus les atandoit l\u2019an, 1500\nPor esgarder s\u2019il les verroient,\nas fenestres mont\u00e9 estoient\nli meillor baron de la cort.\nLa reine Ganievre i cort 1504\net s\u2019i vint meismes li rois,\nKex et Percevax li Galois\net mes sire Gauvains apr\u00e9s,\net Corz, li \ufb01lz au roi Ar\u00e9s ; 1508\nLucans i fu li botelliers ;\nmolt i ot de boens chevaliers.\nErec ont choisi qui venoit\net s\u2019amie qu\u2019il amenoit ; 1512\nbien l\u2019ont trestuit recone\u00fc\nde si loing com il l\u2019ont ve\u00fc.\nLa reine grant joie an mainne,\nde joie est tote la corz plainne 1516\nancontre son avenemnant,\ncar tuit l\u2019ainment comunemant.\nLues que il vint devant la sale,\nli rois ancontre lui s\u2019avale 1520\net la reine d\u2019autre part ;\ntuit li dicnt que Dex le gart,\nlui et sa pucele conjoent,\nsa grant biaut\u00e9 prisent et loent ; 1524\net li rois meismes l\u2019a prise\net jus del palefroi l\u2019a mise.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 111\nArriv\u00e9e \u00e0 Caradigan\nTant ont ensemble chevauch\u00e9\nQu\u2019\u00e0 midi ils sont arriv\u00e9s\nAu ch\u00e2teau de Caradigan,\nO\u00f9 tous les deux, on les attend. 1500\nEn esp\u00e9rant qu\u2019ils les verraient\nAux fen\u00eatres mont\u00e9s \u00e9taient\nLes meilleurs barons\u00b0 de la cour.\nLa reine Gueni\u00e8vre\u00b0 y court ; 1504\nIl y vint m\u00eame aussi le roi,\nKeu\u00b0 et Perceval le Gallois,\nEt messire Gauvain\u00b0 apr\u00e8s,\nEt Corz, le \ufb01ls du rois Ar\u00e8s, 1508\nEt puis Lucain, le bouteiller :\nGrand nombre de bons chevaliers.\nIls ont vu \u00c9rec qui venait,\nAvec l\u2019amie qu\u2019il amenait. 1512\nTous l\u2019ont bien vite reconnu,\nD\u2019aussi loin qu\u2019ils l\u2019ont aper\u00e7u.\nEt la reine grande joie m\u00e8ne,\nDe joie toute la cour est pleine, 1516\n\u00c0 cause de son arriv\u00e9e,\nCar tous ont pour lui amiti\u00e9.\nDevant la salle il est venu :\nSit\u00f4t le roi est descendu ; 1520\nLa reine non plus ne s\u2019attarde.\nTous lui disent : \u00ab Que Dieu vous garde ! \u00bb\nEt font f\u00eate \u00e0 la demoiselle,\nLa louangent d\u2019\u00eatre si belle ; 1524\nLe roi lui-m\u00eame l\u2019a aid\u00e9e\n\u00c0 descendre du destrier ;112 Chr\u00e9tien de Troyes\nMolt fu li rois bien afeitiez ;\na cele ore estoit bien heitiez. 1528\nLa pucele a molt enoree,\npar la main l\u2019a a mont menee\nan la mestre sale perrine.\nApr\u00e9s, Erec et la reine 1532\nSont andui mont\u00e9 main a main,\net il li dist : \u00ab Je vos amain,\ndame, ma pucele et m\u2019amie\nde povres garnemanz garnie ; 1536\nsi com ele me fu donee,\nensi la vos ai amenee.\nD\u2019un povre vavasor est \ufb01lle :\npovretez mainz homes aville ; 1540\nses peres est frans et cortois,\nmes d\u2019avoir a molt petit pois ;\net molt gentix dame est sa mere,\nqu\u2019ele a un gentil conte a frere. 1544\nNe por biaut\u00e9 ne por linage\nne quier je pas le mariage\nde la dameisele esposer.\nPovretez li a fet user 1548\nce blanc chainse tant que as cotes\nan sont andeus les manches rotes.\nEt ne por quant, se moi ple\u00fcst,\nboenes robes asez e\u00fcst, 1552\nc\u2019une pucele, sa cosine,\nli volt doner robe d\u2019ermine,\nde dras de soie, veire ou grise ;\nmes ne volsisse an nule guise 1556\nque d\u2019autre robe fust vestue\ntant que vos l\u2019e\u00fcssiez ve\u00fce.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 113\nSes mani\u00e8res sont des meilleures :\nPour lors \u00e9tait de belle humeur. 1528\nLui a fait des civilit\u00e9s,\nPar la main ensuite men\u00e9e\nEn la grande salle de pierre,\n\u00c9rec et la reine derri\u00e8re, 1532\nSe tenant par la main aussi.\n\u00c9rec a dit : \u00ab Dame, voici,\nMon amie et ma demoiselle ;\nTr\u00e8s pauvrement v\u00eatue est-elle, 1536\nCar telle qu\u2019on me l\u2019a donn\u00e9e,\nAinsi vous l\u2019ai-je amen\u00e9e.\nPauvre vavasseur\u00b0 est son p\u00e8re ;\nMaint\u00b0 homme avilit la mis\u00e8re 1540\nMais son p\u00e8re est homme de bien,\nSi modestes que soient ses biens.\nDame tr\u00e8s aimable est sa m\u00e8re\nQui un noble comte a pour fr\u00e8re. 1544\nPour sa beaut\u00e9 et son lignage\n\u00c0 d\u00e9sirer ce mariage,\nJe n\u2019ai de raisons \u00e0 donner.\nPauvret\u00e9 lui a fait user 1548\nCette robe-l\u00e0, tant port\u00e9e\nQue les deux coudes sont trou\u00e9s.\nPourtant si je l\u2019avais voulu,\nBonnes robes elle aurait eues : 1552\nUne pucelle\u00b0, sa cousine,\nLui a o \u000bert robe d\u2019hermine ;\nDe veir, de petit-gris ou soie ;\nMais je n\u2019ai voulu qu\u2019elle soit 1556\nD\u2019aucune robe autre v\u00eatue\nAvant que vous ne l\u2019ayez vue.114 Chr\u00e9tien de Troyes\nMa douce dame, or an pansez,\ncar mestier a, bien le veez, 1560\nd\u2019une bele robe avenant. \u00bb\nEt la reine maintenant\ni respont : \u00ab Molt avez bien fait :\ndroiz est que de mes robes ait 1564\net je li donrai boene et bele,\ntot or androit, fresche et novele. \u00bb\nLa reine araumant l\u2019an mainne\nan la soe chanbre demainne, 1568\net dist qu\u2019an li aport isnel\nle fres bliaut, et le mantel\nde l\u2019autre robe croisilliee\nqui por son cors estoit tailliee. 1572\nCil cui ele l\u2019ot comand\u00e9\nli a le mantel aport\u00e9\net le bliaut qui jusqu\u2019as manches\nestoit forrez d\u2019ermines blanches ; 1576\nas poinz et a la cheve\u00e7aille\navoit sanz nule devinaille\nplus de .IJ\u00b0. mars d\u2019or batu ;\net pierres de molt grant vertu, 1580\nyndes et verz, persses et bises,\navoit par tot sor l\u2019or assises.\nMolt estoit riches li bliauz,\nmes por voir ne valoit noauz 1584\nli mantiax de rien que je sache.\nAncor n\u2019i avoit mise estache,\ncar toz estoit fres et noviax\net li bliauz et li mantiax ; 1588\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 115\nDouce dame, il faut y penser,\nElle a besoin, vous le voyez, 1560\nD\u2019une robe voyante et belle. \u00bb\nV\u00eatements et parures\nLa reine aussit\u00f4t r\u00e9pond. Elle\nDit : \u00ab V ous avez fait comme il faut :\nUne de mes robes lui faut, 1564\nBonne et belle lui donnerai,\nFra\u00eeche et neuve, ce sera fait. \u00bb\nElle l\u2019emm\u00e8ne sans tarder\nEn la sienne chambre priv\u00e9e, 1568\nEt dit qu\u2019on lui porte aussit\u00f4t\nLa tunique, puis le manteau,\nAvec cette robe \u00e0 damiers\nQue pour elle avait fait tailler. 1572\nCelui \u00e0 qui l\u2019a command\u00e9\nLui a le manteau apport\u00e9\nEt la tunique, jusqu\u2019aux manches,\nToute fourr\u00e9e d\u2019hermine blanche, 1576\nSur le col et sur les poignets,\nSans aucun doute, il y avait,\nPlus de deux cents marcs d\u2019or battu,\nEt de pierres de grand\u2019 vertu, 1580\nBleues ou violettes, brunes ou vertes,\nCette surface \u00e9tait couverte.\nSi la tunique \u00e9tait tr\u00e8s riche,\nCertes, le manteau, que je sache, 1584\nEn rien vraiment ne lui c\u00e9dait.\nL\u2019attache m\u00eame leur manquait :\nTous deux \u00e9taient neufs, et bien beaux,\nEt la tunique et le manteau ; 1588116 Chr\u00e9tien de Troyes\nmolt fu li mantiax boens et \ufb01ns :\nau col avoit deus sebelins,\nes estaches ot d\u2019or une once ;\nd\u2019une part ot une jagonce, 1592\net un rubi de l\u2019autre part,\nplus cler qu\u2019escharbocle qui art ;\nla pane fut d\u2019un blanc hermine,\nonques plus bele ne plus \ufb01ne 1596\nne fu ve\u00fce ne trovee ;\nla porpre fu molt bien ovree,\na croisetes totes diverses,\nyndes et vermoilles et perses, 1600\nblanches et verz, indes et giaunes.\nUnes estaches de cinc aunes\nde \ufb01l de soie d\u2019or ovrees\na la reine demandees ; 1604\nles estaches li a bailliees,\nbeles et bien aparelliees ;\nele les fet tot maintenant\nel mantel metre isnelemant 1608\net s\u2019an \ufb01st tel home antremetre\nqui boens mestres estoit del metre.\nQuant el mantel n\u2019ot que refere,\nla franche dame de bon ere 1612\nla pucele au blanc cheinse acole,\net si li dist franche parole :\n\u00ab Ma dameisele, ce bliaut,\nqui plus de .c. mars d\u2019argent vaut, 1616\nvos comant cest cheinse changier :\nde tant vos voel or losangier ;\net ce mantel afublez sus ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 117\nManteau d\u2019\u00e9to \u000be bonne et \ufb01ne :\nLe col avait deux zibelines,\nL\u2019attache une once d\u2019or pesait,\nUne hyacinthe il y avait, 1592\nUn rubis y jetait ses feux,\nUne escarboucle, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019eux ;\nAu-dedans une blanche hermine :\nJamais n\u2019y eut plus belle et \ufb01ne 1596\nQu\u2019on ait aper\u00e7ue ou trouv\u00e9e ;\nLa pourpre \u00e9tait tr\u00e8s ouvrag\u00e9e,\nDe toutes couleurs les croisettes,\nVermeilles, bleues ou bien violettes, 1600\nBlanches et vertes, indes et jaunes.\nUn cordon bien long de cinq aunes\nDe \ufb01l de soie d\u2019or ouvrag\u00e9\nLa reine alors a demand\u00e9. 1604\nCelui que l\u2019on a apport\u00e9\n\u00c9tait beau et bien travaill\u00e9 ;\nSur le manteau d\u00e8s maintenant\nFit mettre boucles promptement, 1608\nEt de ce travail a charg\u00e9\nUn homme ma\u00eetre en ce m\u00e9tier.\nQuand le manteau fut achev\u00e9\nLa noble dame a embrass\u00e9 1612\nLa demoiselle au chainse\u00b0 blanc,\nEt lui dit g\u00e9n\u00e9reusement :\n\u00ab Demoiselle, pour ce bliaut\u00b0\n\u2014 car cinq cents marcs d\u2019argent il vaut \u2014 1616\nDevez votre chainse\u00b0 changer :\nAinsi je veux vous honorer.\nPassez ce manteau par-dessus.118 Chr\u00e9tien de Troyes\nune autre foiz vos donrai plus. \u00bb 1620\nCele ne le refuse mie,\nla robe prant, si l\u2019an mercie.\nAn une chanbre recelee\nl\u2019an ont deus puceles menee ; 1624\nlors a son chainse desvestu,\nquant ele an la chanbre fu ;\npuis vest son bliaut, si s\u2019estraint\nd\u2019un orfrois molt riche se ceint, 1628\net son chainse por amor D\u00e9\ncomande que il soit don\u00e9 ;\net le mantel apr\u00e9s afuble.\nOr n\u2019ot mie la chiere enuble, 1632\ncar la robe tant li avint\nque plus bele asez an devint.\nLes deus puceles d\u2019un \ufb01l d\u2019or\nli ont galon\u00e9 son crin sor, 1636\nmes plus luisanz estoit li crins\nque li \ufb01lz d\u2019or qui molt est \ufb01ns.\nUn cercle d\u2019or ovr\u00e9 a \ufb02ors\nde maintes diverses colors 1640\nles puceles el chief li metent ;\nmialz qu\u2019eles pueent s\u2019antremetent\nde li an tel guise amander\nqu\u2019an n\u2019i truisse rien qu\u2019amander. 1644\nDeus fermaillez d\u2019or neelez,\nan un topace anseelez,\nli mist au col une pucele,\nqui fu tant avenanz et bele 1648\nque ne cuit pas qu\u2019an nule terre,\ntant se\u00fcst l\u2019an cerchier ne querre,\nfust sa paroille recovree,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 119\nPlus tard vous en donnerai plus. \u00bb 1620\nLa belle n\u2019a pas refus\u00e9,\nElle a pris et l\u2019a remerci\u00e9e.\nDans une chambre retir\u00e9e\nDeux demoiselles l\u2019ont men\u00e9e. 1624\nAlors sa robe a retir\u00e9e\nQuand en la chambre s\u2019est trouv\u00e9e,\nPuis la tunique met et serre\nAutour une riche ceinture ; 1628\nSa robe alors a command\u00e9\nQu\u2019on la donne, par charit\u00e9.\nPuis le manteau elle a pass\u00e9.\nAlors fut bien avantag\u00e9e, 1632\nCar la robe lui seyait tant\nQu\u2019elle en fut plus belle vraiment.\nD\u2019un \ufb01l d\u2019or les pucelles\u00b0 ont\nGalonn\u00e9 ses beaux cheveux blonds, 1636\nMais ses cheveux sont plus luisants\nQue le \ufb01l d\u2019or si \ufb01n pourtant.\nUn cercle d\u2019or grav\u00e9 de \ufb02eurs\nDe toutes sortes de couleurs, 1640\nSur sa t\u00eate ont mis les pucelles\u00b0 ;\nAinsi, de tout leur mieux font-elles\nEt s\u2019e \u000borcent de l\u2019embellir\nTant, que rien ne soit \u00e0 redire. 1644\nDeux petits fermoirs d\u2019or niell\u00e9\nPar une topaze assembl\u00e9s\nLui mit au cou une pucelle\u00b0.\nLors fut si avenante et belle 1648\nQue je crois bien que nulle part\nM\u00eame en cherchant de toute part\nOn n\u2019e\u00fbt pareille d\u00e9couverte,120 Chr\u00e9tien de Troyes\ntant l\u2019ot Nature bien ovree. 1652\nPuis est hors de la chanbre issue,\na la reine an est venue.\nLa reine molt la conjot :\npor ce l\u2019ama et molt li plot 1656\nqu\u2019ele estoit bele et bien aprise.\nL\u2019une a l\u2019autre par la main prise,\nsi sont devant le roi venues ;\net quant li rois les ot ve\u00fces, 1660\nancontre se lieve an estant.\nDe chevaliers i avoit tant,\nquant eles an la sale entrerent,\nqui ancontre eles se leverent, 1664\nque je n\u2019an sai nomer le disme,\nle treziesme ne le quinzisme.\nMes d\u2019auques des meillors barons\nvos sai bien a dire les nons, 1668\nde ces de la Table Reonde,\nqui furent li meillor del monde.\nDevant toz les boens chevaliers\ndoit estre Gauvains li premiers, 1672\nli seconz Erec, li \ufb01lz Lac,\net li tierz Lancelot del Lac,\nGonemanz de Goort li quarz,\net li quinz fu li Biax Coarz ; 1676\nli sistes fu li Lez Hardiz,\nli sesmes Melianz des Liz,\nli huitiesmes Mauduiz li Sage,\nli noemes Dodins li Sauvages 1680\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 121\nTant Nature l\u2019avait bien faite. 1652\nPuis cette chambre elle a quitt\u00e9,\nVers la reine s\u2019en est all\u00e9e.\nLa reine l\u2019accueille avec joie :\nElle l\u2019aime bien, car elle voit 1656\nSa grande beaut\u00e9, son maintien.\nL\u2019une \u00e0 l\u2019autre donnant la main,\nSont par-devant le roi venues,\nEt d\u00e8s que le roi les a vues, 1660\nDroit devant elle s\u2019est lev\u00e9.\nPr\u00e9sentation \u00e0 la cour\nTant \u00e9taient l\u00e0 de chevaliers\nQui au passage se lev\u00e8rent\nQuand en la salle elles entr\u00e8rent, 1664\nQue n\u2019en puis nommer le dixi\u00e8me,\nLe treizi\u00e8me ni le quinzi\u00e8me.\nMais de quelques-uns des barons,\nLes meilleurs, sais dire les noms, 1668\nDe ceux de la Table Ronde\u00b0,\nQui \u00e9taient les meilleurs du monde.\nEt de tous ces bons chevaliers\nGauvain\u00b0 doit \u00eatre le premier, 1672\nLe second \u00c9rec, \ufb01ls de Lac,\nTroisi\u00e8me Lancelot du Lac.\nGonemanz de Goort quatri\u00e8me\nEt le beau Couard le cinqui\u00e8me ; 1676\nSixi\u00e8me \u00e9tait le laid Hardi,\nSepti\u00e8me M\u00e9liant des Lys\nHuiti\u00e8me \u00e9tait Mauduit le Sage\nNeuvi\u00e8me Dodin le Sauvage ; 1680122 Chr\u00e9tien de Troyes\nGaudeluz soit dismes contez,\ncar an lui ot maintes bontez.\nLes autres vos dirai sanz nonbre,\npor ce que li nobres m\u2019anconbre : 1684\nYvains li preuz se seoit outre,\nd\u2019autre part, Yvains li avoutre,\net Tristanz qui onques ne rist\ndelez Blioberis s\u2019asist. 1688\nApr\u00e9s fu Caradu\u00e9 Briebraz,\nuns chevaliers de grant solaz,\net Caverons de Roberdic,\net li \ufb01lz au .roi Quenedic, 1692\net li vaslez de Quintareus,\net Ydiers del Mont Delereus,\nGaler \u00af\u0131ez et Quex d\u2019Estraus,\nAmauguins et Galez li Chaus, 1696\nGil\ufb02ez, li \ufb01lz Do, et Taulas,\nqui onques d\u2019armes ne fu las,\net un vassax de grant vertu,\nLoholz, li \ufb01lz le roi Artu, 1700\net Sagremors li Desreez,\ncil ne doit pas estre obliez,\nne Bedoiers li conestables,\nqui molt sot d\u2019eschas et de tables, 1704\nne Bravains, ne Loz li rois,\nne Galegantins li Galois.\nQuant la bele pucele estrange\nvit toz les chevaliers au range 1708\nqui l\u2019esgardoient a estal,\nson chief ancline contre val ;\nvergoigne an ot, ne fu mervoille,\nla face l\u2019an devint vermoille ; 1712\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 123\nDixi\u00e8me ai compt\u00e9 Gandelus,\nCar il avait maintes\u00b0 vertus.\nLes autres vous dirai sans nombre,\nCar ici les nombres m\u2019encombrent : 1684\nYvain le Preux assis \u00e0 part,\nEt plus loin Yvain le B\u00e2tard,\nEt Tristan qui jamais ne rit,\nPr\u00e8s de Blioberis assis. 1688\nApr\u00e8s lui Carados Bras-Court\nUn chevalier de grand secours,\nEt Caveron de Roberdic\nEt le \ufb01ls au roi Quenedic, 1692\nEt le valet de Quintareus\nEt Ydier du Mont Douloureux,\nCaheriez et Keu d\u2019Estrauves,\nAmauguin et Goles le Chauve, 1696\nGir\ufb02et, \ufb01ls de Do et Taulas,\nQui des armes n\u2019est jamais las,\nEt un vassal\u00b0 au courage pur,\nLoholt, le \ufb01ls du roi Arthur\u00b0, 1700\nEt Sagremor, le Desr\u00e9\u00e9\nQu\u2019il ne faudrait pas oublier,\nNi Bedoier le Conn\u00e9table\nExpert aux \u00e9checs et aux tables, 1704\nNi Brava\u00efn, ni Lot le roi,\nNi Galleganti le Gallois.\nQuand la belle \u00e9trang\u00e8re vit\nLes chevaliers en cercle ainsi, 1708\nSur elle ayant les yeux \ufb01x\u00e9s,\nLa t\u00eate alors elle a baiss\u00e9e,\nPar modestie, et sous la honte\nRougeur au visage lui monte. 1712124 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes la honte si li avint\nque plus bele asez an devint.\nQuant li rois la vit vergoignier\nne se vost de li esloignier ; 1716\npar la main l\u2019a dolcemant prise\net delez lui a destre assise ;\nde la senestre part s\u2019asist\nla reine, qui au roi dist : 1720\n\u00ab Sire, si con je cuit et croi,\nbien doit venir a cort de roi\nqui par ses armes puet conquerre\nsi bele dame en autre terre. 1724\nBien feisoit Erec a atandre\nor poez vos le beisier prandre\nde la plus bele de la cort ;\nje ne cuit qu\u2019a mal nus l\u2019atort, 1728\nja nus ne dira que je mante,\nque ceste ne soit la plus gente\ndes puceles qui ceanz sont\net de celes de tot le mont. \u00bb 1732\nLi rois respont : \u00ab N\u2019est pas man\u00e7onge\nceste, se l\u2019an nel me chalonge,\ndonrai ge del blanc cerf l\u2019enor. \u00bb\nPuis dist as chevaliers : \u00ab Seignor, 1736\nque dites vos ? Que vos an sanble ?\nCeste est de cors, de vis ansanble,\net de quanqu\u2019estuet a pucele,\net la plus gente ? et la plus bele ? 1740\nne qui soit des la, ce me sanble,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 125\nMais cette pudeur fait si bien\nQue plus belle encore en devient.\nQuand le roi la voit rouge ainsi,\nIl veut la garder pr\u00e8s de lui ; 1716\nPar la main doucement l\u2019a prise\nEt \u00e0 sa droite l\u2019a assise ;\n\u00c0 sa gauche s\u2019assied aussi\nLa reine ; au roi elle dit : 1720\n\u00ab Sire, si comme je le crois,\nBienvenu \u00e0 la cour d\u2019un roi\nEst qui par les armes conquiert\nSi belle dame en autre terre, 1724\n\u00c9rec avons bien fait d\u2019attendre ;\nLors vous pouvez le baiser prendre\n\u00c0 la plus belle de la cour ;\nTous accepterons sans d\u00e9tour, 1728\nEt nul ne dira que je mens,\nQue des pucelles\u00b0 de c\u00e9ans\u00b0\nEt de celles du monde entier\nCelle-ci ait plus de beaut\u00e9. \u00bb 1732\nLe roi r\u00e9pond : \u00ab C\u2019est v\u00e9rit\u00e9.\n\u00c0 elle, sauf \u00e0 contester,\nDonnerai du Blanc Cerf l\u2019honneur. \u00bb\nLe baiser du Blanc Cerf\nPuis dit aux chevaliers : \u00ab Seigneurs, 1736\nQu\u2019en dites-vous ? Que vous en semble ?\nDe corps et de visage ensemble,\nPour ce qu\u2019il faut \u00e0 demoiselle,\nN\u2019est-ce pas la plus noble et belle ? 1740\nEt d\u2019ici, \u00e0 l\u2019endroit, il me semble,126 Chr\u00e9tien de Troyes\nou li ciax et la terre asanble ?\nJe di que droiz est antresait\nceste l\u2019enor del blanc cerf ait. 1744\nEt vos, seignor, qu\u2019an volez dire ?\nSavez i vos rien contredire ?\nSe nus i vialt metre desfanse,\ns\u2019an die or androit ce qu\u2019il panse. 1748\nJe sui rois, si ne doi mantir,\nne vilenie consantir,\nne fauset\u00e9 ne desmesure ;\nreison doi garder et droiture, 1752\nqu\u2019il apartient a leal roi\nque il doit maintenir la loi,\nverit\u00e9, et foi, et justise.\nJe ne voldroie an nule guise 1756\nfere desl\u00ebaut\u00e9 ne tort,\nne plus au foible que au fort ;\nn\u2019est droiz que nus de moi se plaingne.\nEt je ne voel pas que remaigne 1760\nla costume ne li usages\nque siaut maintenir mes lignages.\nDe ce vos devroit il peser,\nse ge vos voloie alever 1764\nautre costume et autres lois\nque ne tint mes peres li rois.\nL\u2019usage Pandragon, mon pere,\nqui rois estoit et emperere, 1768\nvoel je garder et maintenir,\nque que il m\u2019an doie avenir.\nOr me dites toz voz talanz,\nde voir dire ne soit nus lanz : 1772\nse ceste n\u2019est de ma meison,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 127\nO\u00f9 ciel et terre se rassemblent ?\nJe dis qu\u2019il lui revient vraiment\nD\u2019avoir les honneurs du Cerf Blanc. 1744\nEt vous, seigneurs, pour contredire,\nAvez-vous quelque chose \u00e0 dire ?\nQuiconque y veut mettre d\u00e9fense\nLe montre et dise ce qu\u2019il pense. 1748\nJe suis roi, et ne dois mentir,\nNi \u00e0 vilenie consentir,\nNi fausset\u00e9, ni d\u00e9mesure,\nRaison doit garder, et droiture, 1752\nAinsi que doit un loyal roi\nT\u00e2cher de maintenir la loi,\nFoi, v\u00e9rit\u00e9, justice aussi.\nJe ne voudrais \u00e0 aucun prix 1756\nFaire d\u00e9loyaut\u00e9 ou tort\nNi au plus faible ou au plus fort ;\nNul ne devra de moi se plaindre\nEt je ne veux laisser s\u2019\u00e9teindre 1760\nNi la coutume ni l\u2019usage\nQue sut maintenir mon lignage.\nCela pourrait vous ennuyer\nSi je voulais vous imposer 1764\nD\u2019autres coutumes, d\u2019autres lois,\nQue celles de mon p\u00e8re et roi ;\nLes us de Pandragon mon p\u00e8re\nQui \u00e9tait roi et empereur, 1768\nJe veux garder et maintenir\nQuoi qu\u2019il doive m\u2019en advenir ;\nDites-moi donc tous vos d\u00e9sirs ;\nQue nul n\u2019h\u00e9site \u00e0 me les dire : 1772\nCelle-ci n\u2019est de ma maison128 Chr\u00e9tien de Troyes\nele doit bien et par reison\nle beisier del blanc cerf avoir ;\nla verit\u00e9 an voel savoir. \u00bb 1776\nTuit s\u2019escr \u00af\u0131ent a une voiz :\nPar Deu, sire, ne par sa croiz,\nvos po\u00ebz bien jugier par droit\nque ceste la plus bele soit : 1780\nan ceste a asez plus biaut\u00e9\nqu\u2019il n\u2019a el soloil de clart\u00e9 ;\nbeisier la po\u00ebz quitemant,\ntuit l\u2019otroions comunemnant. \u00bb 1784\nQuant li rois antant qu\u2019a toz plest,\nor ne leira qu\u2019il ne la best ;\nbeisiee l\u2019a come cortois,\nveant toz ses barons, li rois 1788\net si li dist : \u00ab Ma dolce amie,\nm\u2019amor vos doing sanz vilenie ;\nsanz malvesti\u00e9 et sanz folage,\nvOS amerai de boen corage. \u00bb 1792\nLi rois, par itele avanture,\nrandi lusage et la droiture\nqu\u2019a sa cort devoit li blans cers\nici fenist li premiers vers. 1796\nQuant li beisiers del cerf fu pris\na la costume del pais,\nErec, come cortois et frans,\nfu de son povre oste an espans 1800\nde ce que promis li avoit\ncovant mantir ne li voloit.\nMolt li tint bien son covenant\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 129\nMais doit, pour beaucoup de raisons\nLe baiser du Blanc Cerf avoir ;\nLa v\u00e9rit\u00e9 je veux savoir. \u00bb 1776\nTous s\u2019\u00e9crient de la m\u00eame voix :\n\u00ab Par Dieu, Sire, et par sa croix,\nV ous pouvez juger \u00e0 bon droit\nQu\u2019elle est la plus belle qui soit ; 1780\nEn elle, il est plus de beaut\u00e9\nQue le soleil n\u2019a de clart\u00e9 ;\nVraiment, vous pouvez l\u2019embrasser,\nNous y sommes tous d\u00e9cid\u00e9s. \u00bb 1784\nQuand le roi les a vus d\u2019accord,\n\u00c0 ce baiser ne tarde, alors ;\nEn homme courtois a donn\u00e9\nDevant ses barons\u00b0, ce baiser, 1788\nPuis il dit : \u00ab Ma douce amie,\nAmour vous dois, sans vilenie,\nEn bonne part, et sans folie ;\nJe vous aime de tout mon c\u0153ur. \u00bb 1792\nLe roi, en agissant ainsi,\nEn sa cour, justice rendit,\n\u00c0 la coutume du Blanc Cerf.\nCi \ufb01nissent les premiers vers. 1796\nQuand le baiser du Cert fut pris,\n\u00c0 la coutume du pays,\n\u00c9rec, loyal, par courtoisie,\nDe son pauvre h\u00f4te eut le souci : 1800\nIl avait promesse \u00e0 tenir\nEt ne voulait pas s\u2019en d\u00e9dire.\nSi bien tint son engagement130 Chr\u00e9tien de Troyes\nqu\u2019il li anvea maintenant 1804\ncinc somiers sejornez et gras,\nchargiez de robes et de dras,\nde boqueranz et d\u2019escarlates,\nde mars d\u2019or et d\u2019argent an plates, 1808\nde veir, de gris, de sebelins,\net de porpres et d\u2019osterins.\nQuant chargi\u00e9 furent li somier\nde quanqu\u2019a prodome a mestier, 1812\ndis chevaliers et dis sergenz\nde sa mesniee et de ses genz\navoec les somiers anvea,\net si lor dist molt et pria 1816\nque son oste li saluassent\net si grant enor li portassent,\net lui et sa fame ansimant,\ncon le suen cors demainnemant ; 1820\net quant presantez lor avroient\nles somiers que il lor menoient,\nl\u2019or et l\u2019argent et les besanz,.\net toz les riches garnemanz 1824\nqui estoient dedanz les males,\nan son r\u00ebaume d\u2019Estre-Gales\namenassent a grant \u02db enor\net la dame, et le seignor ; 1828\ndeus chastiax lor avoit promis,\nles plus biax et les mialz asis,\net ces qui mains dotoient guerre\nqui fussent an tote la terre 1832\nMontrevel l\u2019un apeloit l\u2019an,\nl\u2019autres avoit non Roadan.\nQuant an son roiaume vandroient,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 131\nQu\u2019il lui envoya promptement 1804\nCinq chevaux bien frais et bien gras,\nCharg\u00e9s de robes et de drap\nD\u2019\u00e9carlates et de bougran\u00b0\nDe marcs d\u2019or et plaques d\u2019argent, 1808\nDe veir, de gris, de zibeline,\nEt puis de pourpre et de d\u2019osterine\u00b0\nQuand on eut charg\u00e9 les chevaux\nDe tout ce qu\u2019\u00e0 prud\u2019homme il faut, 1812\nDix serviteurs, dix chevaliers,\nD\u2019entre ses gens a envoy\u00e9s,\nPour ses pr\u00e9sents accompagner ;\nIl leur a bien recommand\u00e9 1816\nDe son h\u00f4te pour lui saluer,\nEt grand honneur lui t\u00e9moigner,\n\u00c0 lui et sa femme elle-m\u00eame ;\nTout comme si c\u2019\u00e9tait lui-m\u00eame. 1820\nEt quand pr\u00e9sent\u00e9 ils auraient\nLe chargement qu\u2019ils amenaient,\nL\u2019or et l\u2019argent, et les besants,\nEt tous les riches v\u00eatements, 1824\nQui se trouvent dedans les malles,\nQu\u2019en son royaume d\u2019Estre-Galles\nIls am\u00e8nent en grand honneur\nLa dame, avec le seigneur. 1828\nDeux ch\u00e2teaux leur avait promis :\nLes deux plus beaux, et les mieux sis,\nQui redoutaient le moins la guerre,\nEntre tous ceux qui sont sur terre. 1832\nMontrevel, l\u2019un appelait-on,\nL\u2019autre avait Roadan pour nom.\nQuand son royaume ils atteindraient132 Chr\u00e9tien de Troyes\nces deus chastiax lor liverroient, 1836\net les rantes et les justises,\nsi com il lor avoit promises.\nL\u2019or et l\u2019argent et les somiers\net les robes et les deniers, 1840\ndom il i ot a grant plant\u00e9,\ntot ont son oste presant\u00e9\nli messagier en es le jor,\nqui n\u2019avoient soing de sejor. 1844\nEl r\u00ebaume les an menerent\net molt grant enor lor porterent.\nEl pais vindrent an trois jorz ;\ndes chastiax lor livrent les torz, 1848\nc\u2019onques rois Lac nel contredist.\nGrant joie et grant enor lor \ufb01st,\npor Erec son \ufb01l les ama ;\nles chastiax quites lor clama 1852\net si lor \ufb01st asse\u00fcrer,\nchevaliers et borjois jurer\nqu\u2019il les tanroient ausi chiers\ncome lor seignors droituriers. 1856\nQuant ce fu fet et atorn\u00e9,\ntot maintenant sont retorn\u00e9\na lor seignor Erec arriere.\nIl les re\u00e7ut a bele chiere ; 1860\ndel vavasor et de sa fame,\net de son pere, et del regne,\nlor a demandees noveles :\nil l\u2019an dient boenes et beles. 1864\nNe tarda gueres ci apr\u00e9s\nque li terme vint, qui fu pres,\nque ses noces feire devoit :\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 133\nCes deux ch\u00e2teaux leur livreraient, 1836\nLes rentes et les droits aussi,\nAinsi qu\u2019il leur avait promis.\nLes chevaux, et l\u2019or et l\u2019argent,\nLes deniers et les v\u00eatements, 1840\nDont ils apportaient quantit\u00e9,\n\u00c0 l\u2019h\u00f4te ils ont tout pr\u00e9sent\u00e9,\nLe jour m\u00eame ; les messagers\nN\u2019avaient cure de s\u2019attarder. 1844\nVers le royaume les men\u00e8rent,\nEt grand honneur leur t\u00e9moign\u00e8rent.\nAu pays vinrent en trois jours,\nDes ch\u00e2teaux leur livrent les tours ; 1848\nLe roi Lac n\u2019y a contredit :\nBon accueil et honneur leur \ufb01t,\nPour l\u2019amour d\u2019\u00c9rec les aima,\nLes ch\u00e2teaux leur attribua, 1852\nEt leur \ufb01t promettre et jurer\nPar les bourgeois, les chevaliers\nQu\u2019ils leur seraient tout aussi chers\nQue leurs l\u00e9gitimes seigneurs. 1856\nQuand tout fut fait et bien r\u00e9gl\u00e9,\nIls sont aussit\u00f4t retourn\u00e9s\nRetrouver \u00c9rec leur seigneur.\nIl les re\u00e7ut en grand honneur ; 1860\nDu vavasseur\u00b0 et de sa femme\nEt de son p\u00e8re, et du royaume\nLeur a demand\u00e9 des nouvelles ;\nLui ont donn\u00e9, bonnes et belles. 1864\nL\u00e0-dessus s\u2019\u00e9tait rapproch\u00e9,\nEt n\u2019allait m\u00eame plus tarder\nDes noces le terme \ufb01x\u00e9.134 Chr\u00e9tien de Troyes\nli atandres molt li grevoit : 1868\nne volt plus sofrir ne atandre.\nAu roi an vet le congi\u00e9 prandre\nque an sa cort, ne li grevast,\nses noces feire li lessast. 1872\nLi rois le don li otrea,\net par son r\u00ebaume anvea\net rois et dus et contes querre,\nces qui de lui tenoient terre, 1876\nque nul si hardi n\u2019i e\u00fcst\nqu\u2019a la Pantecoste ne fust.\nN\u2019i a nul qui remenoir ost,\nqui a la cort ne vaigne tost, 1880\ndes que li rois les ot mandez.\nSi vos dirai, or m\u2019antandez,\nqui furent ii conte et li roi.\nMolt i vint a riche conroi 1884\nli cuens Branles de Colescestre,\nqui cent chevax mena an destre ;\napr\u00e9s i vint Menagormon,\nqui sires estoit d\u2019Eglimon ; 1888\net cil de la Haute Montaigne\ni vint a moit riche conpaigne ;\nde Traverain i vint li cuens\natot .c. conpaignons des suens 1892\napr\u00e9s vint li cuens Godegrains,\nqui n\u2019an amena mie mains.\nAvoec cez que m\u2019oez nomer\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 135\nL\u2019attente lui a trop dur\u00e9, 1868\n\u00c9rec ne veut d\u00e9lai plus long.\nAu roi demande permission\nQu\u2019en sa cour, si tel est son gr\u00e9,\nSes noces fasse c\u00e9l\u00e9brer. 1872\nLe roi ceci lui accorda\nEt par son royaume envoya\nLes ducs, comtes et rois chercher,\n\u00c0 qui terres avait donn\u00e9es, 1876\nQue nul n\u2019ait l\u2019audace d\u2019oser\n\u00c0 la Pentec\u00f4te manquer.\nEt personne n\u2019est demeur\u00e9,\n\u00c0 la cour tous sont arriv\u00e9s, 1880\nD\u00e8s que le roi les eut mand\u00e9s.\nLes noces d\u2019\u00c9rec et \u00c9nide\nLes convives\nOr vous dirai si m\u2019\u00e9coutez\nQui furent ces comtes, ces rois.\nVint avec un riche convoi 1884\nLe Comte Branles de Gloucestre :\nCent chevaux menait \u00e0 sa destre.\nApr\u00e8s lui vint Menagormon\nQui \u00e9tait sire d\u2019Eglimon ; 1888\nEt celui de Haute Montagne\nQue tant de richesse accompagne ;\nVint le comte de Traverain\nEt cent hommes parmi les siens ; 1892\nEt puis le comte Godegrains\nQui n\u2019en a pas amen\u00e9 moins.\nAvec ceux dont j\u2019ai dit le nom136 Chr\u00e9tien de Troyes\nvint Moloas, uns riches ber, 1896\net li sires de l\u2019Isle Noire\nnus n\u2019i oi ongues tonoire,\nne n\u2019i chiet foudre ne tanpeste,\nne boz ne serpanz n\u2019i areste, 1900\nne n\u2019i fet trop chaut ne n\u2019iverne.\nEt Greslemuef d\u2019Estre-Posterne\ni amena conpaignons Vint ;\net Guingamars ses frere i vint, 1904\nde l\u2019isle d\u2019Avalons fu sire :\nde cestui avons o\u00ef dire\nqu\u2019il fu amis Morgant la fee,\net ce fu veritez provee. 1908\nDaviz i vint de Tintajuel,\nqui onques n\u2019ot ire ne duel.\nAsez i ot contes et dus,\nmes ancore i ot des rois plus 1912\nGarraz, uns rois de Corques \ufb01ers,\ni vint a .vc. chevaliers\nvestuz de paisle, et de cendax,\nmantiax et chauces et bliax. 1916\nSor un cheval de Capadoce\nvint Agui\ufb02ez, li rois d\u2019Escoce,\net amena ansanble o soi\nandeus ses \ufb01lz, Cadret et Quoi, 1920\ndeus chevaliers molt redotez.\nAvoec ces que vos ai nomez\nvint li rois Bans de Ganieret,\net tuit furent juesne vaslet 1924\ncil qui ansanble o lui estoient,\nne barbe ne grenon n\u2019avoient.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 137\nVint Moloas, riche baron, 1896\nEt le sire de l\u2019\u00cele Noire ;\nJamais on n\u2019y ou\u00eft de tonnerre\nFoudre tomber, ni la temp\u00eate ;\nNi serpent, ni crapaud n\u2019y reste, 1900\nN\u2019y fait trop chaud, et froid \u00e0 peine.\nEt Greslemuef, d\u2019Estre-Posterne,\nDe compagnons amena vingt,\nEt Guingamar, son fr\u00e8re, y vint, 1904\nDe l\u2019Isle d\u2019Avalon le sire :\n\u00c9tait, avons entendu dire\nAmi de Morgane la f\u00e9e,\nEt c\u2019est l\u2019enti\u00e8re v\u00e9rit\u00e9. 1908\nDavid de Tintagel y vint,\nJamais n\u2019eut col\u00e8re ou chagrin.\nComtes et ducs furent nombreux,\nMais rois plus encore, avec eux : 1912\nGarraz de Cork, un roi hautain\nAvec cinq cents chevaliers vint,\nDe paile\u00b0 et cendal\u00b0, leur manteaux\n\u00c9taient ainsi que leurs bliauts\u00b0. 1916\nSur un cheval de Cappadoce\nVint Agui\ufb02et le roi d\u2019\u00c9cosse\nAmenant aussi avec soi\nSes deux \ufb01ls Cadret et Quoi, 1920\nDeux chevaliers tr\u00e8s redout\u00e9s.\nAvec ceux que vous ai nomm\u00e9s\nVint le roi Bran de Ganieret,\nEt tous ceux qui l\u2019accompagnaient 1924\n\u00c9taient des jeunes gens imberbes :\nN\u2019avaient ni moustache ni barbe.138 Chr\u00e9tien de Troyes\nMolt amena gent anvoisiee,\n.IIc. en ot an sa mesniee ; 1928\nn\u2019i ot nul d\u2019ax, quiex que il fust,\nqui faucon ou oisel n\u2019e\u00fcst\nesmerillon ou esprevier,\nou riche ostor sor ou gruier. 1932\nQuirions, li rois vialz d\u2019Orcel,\nn\u2019i amena nul jovanccl,\neinz avoit conpaignons .II. cenz,\ndon li mainz nez avoit cent anz ; 1936\nles chi\u00e9s orent chenuz et blans,\nque vescu avoient lonc tans,\net les barbes jusqu\u2019as ceinturs ;\nces tint molt chiers li rois Artus. 1940\nLi sires des nains vint apr\u00e9s,\nBilis, li rois d\u2019Antipod\u00e9s,\ncil don ge vos di si fu nains,\net fu Bliant freres germnains 1944\nde toz nains fu Bylis li mendres,\net Blianz ses freres li grendres,\nou demi pi\u00e9 ou plainne paume,\nque nus chevaliers del r\u00ebaume. 1948\nPar richesce et par conpaignie\namena an sa conpaignie\nBylis deus rois qui nain estoient,\nqui de lui lor terre tenoient, 1952\nGribalo, et Glodoalan ;\na mervoilles l\u2019esgardoit l\u2019an.\nQuant a la cort furent venu,\nformant i furent chier tenu ; 1956\nan la cort furent come roi\nenor\u00e9 et servi tuit troi,\ncar molt estoient gentil home.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 139\nIl amenait joyeuses gens ;\nDe sa maison, \u00e9taient deux cents : 1928\nNul d\u2019entre eux, il n\u2019en \u00e9tait\nQui faucon ou oiseau n\u2019avait,\n\u00c9merillon ou \u00e9pervier,\nOu jeune autour\u00b0 \u00e0 grues dress\u00e9. 1932\nQuirions, le vieux roi d\u2019Orcel,\nN\u2019y amena nul jouvencel,\nMais de compagnons eut deux cents\nDont le plus jeune avait cent ans, 1936\nT\u00eates chenues et cheveux blancs,\nD\u2019avoir v\u00e9cu aussi longtemps,\nLeurs barbes jusqu\u2019\u00e0 la ceinture ;\nIls \u00e9taient chers au roi Arthur\u00b0. 1940\nLe roi des nains s\u2019en vint apr\u00e8s,\nBylis, le roi d\u2019Antipod\u00e8s,\nCelui dont je parle \u00e9tait nain\u00b0,\nEt Bliant, son fr\u00e8re, un peu moins. 1944\nBylis entre tous le moins grand,\nEt Bliant son fr\u00e8re, plus grand\nD\u2019un demi-pied ou d\u2019une paume,\nQue tous chevaliers du royaume ; 1948\nMontrant riche seigneurerie,\nBylis amena avec lui\nDeux rois qui \u00e9taient nains aussi\nEt leurs terres tenaient de lui, 1952\nGribaldo et Glodoalan :\nAlors quel \u00e9merveillement !\nQuand \u00e0 la cour furent venus,\nEn estime y furent tenus, 1956\nEt en leur qualit\u00e9 de rois,\nHonor\u00e9s et servis tous trois,\nCar \u00e9taient tr\u00e8s nobles, vraiment.140 Chr\u00e9tien de Troyes\nLi rois Artus a la parsome, 1960\nquant asanbl\u00e9 vit son barnage,\nmolt an fu liez an son corage.\nApr\u00e9s, por la joie angraignier,\ncomanda .c. vaslez baignier, 1964\nque toz les vialt chevaliers faire.\nN\u2019i a nul qui n\u2019ait robe vaire\nde riche paisle d\u2019Alixandre,\nchascuns tel com il la volt prandre 1968\na son voloir, a sa devise.\nTuit orent armes d\u2019une guise\net chevax corranz et delivres\nli pires valoit bien .c. livres. 1972\nQuant Erec sa fame re\u00e7ut\npar son droit non nomer l\u2019estut,\nqu\u2019altremant n\u2019est fame esposee,\nse par son droit non n\u2019est nomee. 1976\nAncor ne savoit l\u2019an son non,\nmes ore primes le set l\u2019on :\nEnyde ot non au baptestire.\nL\u2019arcevesques de Quantorbire, 1980\nqui a la cort venuz estoit,\nla benei, si com il doit.\nQuant la corz fu tote asanblee,\nn\u2019ot menestrel an la contree 1984\nqui rien se\u00fcst de nul deduit,\nqui a la cort ne fussent tuit.\nAn la sale molt grant joie ot ;\nchascuns servi de ce qu\u2019il sot ; 1988\ncil saut, cil tunbe, cil anchante,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 141\nLe roi Arthur\u00b0, \ufb01nalement, 1960\nQuand vit ses barons\u00b0 r\u00e9unis,\nEn eut le c\u0153ur tout r\u00e9joui,\nEt pour l\u2019all\u00e9gresse augmenter,\nCent jeunes gens il \ufb01t baigner : 1964\nLes faire chevaliers voulut.\nRobe chatoyante ont re\u00e7u,\nDe riche soie d\u2019Alexandrie ;\nChacun comme il voulut, la prit, 1968\nChacun selon son gr\u00e9 choisit.\nTous eurent armes assorties,\nVigoureux et alertes chevaux,\nCent livres valait le moins beau. 1972\n\u00c9nide nomm\u00e9e et festivit\u00e9s\nQuand \u00c9rec sa femme re\u00e7ut,\nSon vrai nom lui donner a d\u00fb,\nCar femme n\u2019est pas \u00e9pous\u00e9e\nSi par son vrai nom n\u2019est nomm\u00e9e. 1976\nSi jusqu\u2019alors on l\u2019ignorait,\nSon nom fut connu d\u00e9sormais :\n\u00c9nide avait nom de bapt\u00e8me.\nEt c\u2019est l\u2019archev\u00eaque lui-m\u00eame, 1980\nC\u2019est celui de Canterbury\nComme il se doit, qui la b\u00e9nit.\nQuand la cour fut toute assembl\u00e9e,\nNul m\u00e9nestrel en la contr\u00e9e 1984\nQui sut quelque divertissement,\nNe fut de cette cour absent.\nGrand\u2019joie en la salle r\u00e9gnait ;\nChacun montrait ce qu\u2019il savait : 1988\nSauts, culbutes, enchantements,142 Chr\u00e9tien de Troyes\nli uns si\ufb02e, li autres chante,\ncil \ufb02a\u00fcte, cil chalemele,\ncil gigue, li autres viele ; 1992\npuceles querolent et dancent ;\ntrestuit de joie fere tancent.\nRiens n\u2019est qui joie puisse fere\nne cuer d\u2019ome a leesce trere, 1996\nqui as noces ne fust le jor.\nSonent tinbre, sonent tabor,\nmuses, estives et freteles,\net buisines et chalemeles. 2000\nQue diroie de l\u2019autre chose ?\nN\u2019i ot guichet ne porte close :\nles iss\u00fces et les antrees\nfurent le jor abandonees, 2004\nn\u2019an fu tornez povres ne riches.\nLi rois Artus ne fu pas chiches\nbien comanda as penetiers\net as queuz et aus botelliers 2008\nqu\u2019il livrassent a grant plant\u00e9,\nchascun selonc sa volant\u00e9,\net pain et vin et veneison ;\nnus ne demanda livreison 2012\nde rien nule que que ce fust\nqu\u2019a sa volant\u00e9 ne l\u2019e\u00fcst.\nMolt fu granz la joje el pal\u00e9s,\nmes tot le sorplus vos an les, 2016\ns\u2019orroiz la joie et le delit\nqui fu an la chanbre et el lit,\nla nuit, quant asanbler se durent ;\nevesque, et arcevesque i furent. 2020\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 143\nIci chansons, l\u00e0 si \u000fements,\nQui de vielle, qui de \ufb02utiau,\nQui de la gigue ou chalumeau ; 1992\nDemoiselles dansent en rond,\nEt tous bien grande joie en ont.\nTout ce qui r\u00e9jouit, en somme,\nMet en liesse le c\u0153ur de l\u2019homme, 1996\nMarqua de ces noces le jour.\nSonnent timbres, sonnent tambours,\nEstive\u00b0, musette, et \ufb02utiau,\nEt trompettes et chalumeaux. 2000\nDois-je dire encore autre chose ?\nN\u2019y eut guichet ni porte close :\nToutes les issues, les entr\u00e9es,\nFurent ce jour libres laiss\u00e9es ; 2004\nN\u2019en fut chass\u00e9 pauvre ni riche.\nLe roi Arthur\u00b0 ne fut pas chiche :\nIl donna ordre aux boulangers,\nAux cuisiniers, aux sommeliers, 2008\nDe bien servir, en quantit\u00e9,\nChacun selon sa volont\u00e9,\nDe pain, de vin, de venaison ;\nPersonne, pour cette raison, 2012\nNe demanda quoi que ce f\u00fbt,\nQu\u2019\u00e0 volont\u00e9 il ne l\u2019ait eu.\nPar le palais fut grande liesse,\nLe reste, imaginer vous laisse, 2016\nMais la joie vous dirai ici\nQui fut en la chambre et le lit,\nCette nuit, quand ils se connurent.\n\u00c9v\u00eaque, et archev\u00eaque y furent. 2020144 Chr\u00e9tien de Troyes\nA cele premiere asanblee,\nla ne fu pas Enyde anblee,\nne Brangiens an leu de li mise ;\nla reine s\u2019est antremise 2024\nde l\u2019atorner et del couchier,\ncar l\u2019un et l\u2019autre avoit molt chier.\nCers chaciez qui de soif alainne\nne desirre tant la fontainne, 2028\nn\u2019espreviers ne vient a reclain\nsi volantiers quant il a fain,\nque plus volantiers n\u2019i venissent,\nein\u00e7ois que il s\u2019antre tenissent. 2032\nCele nuit ont tant restor\u00e9\nde ce qu\u2019il ont tant demor\u00e9.\nQuant vuidiee lor fu la chanbre,\nlor droit randent a chascun manbre 2036\nli oel d\u2019esgarder se refont,\ncil qui d\u2019amor joie refont\net le message au cuer anvoient,\nmes molt lor plest quanque il voient. 2040\nApr\u00e9s le message des ialz\nvient la dol\u00e7ors, qui molt valt mialz,\ndes beisiers qui amor atraient ;\nandui cele dol\u00e7or essaient, 2044\nque les cuers dedanz en aboivrent,\nsi qu\u2019a grant poinne se dessoivrent\nde beisier fu li premiers jeus.\nDe l\u2019amor qui est antr\u2019ax deus 2048\nfu la pucele plus hardie\nde rien ne s\u2019est acoardie,\ntot sofri, que qu\u2019il li grevast ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 145\nLa nuit d\u2019amour\nPour cette premi\u00e8re \u00e9treinte,\n\u00c9nide n\u2019usa pas de feinte,\nNe donna sa place \u00e0 Brangien\u00b0.\nLa reine avait mis tout son soin 2024\nAux pr\u00e9paratifs du coucher,\nCar les tenait en amiti\u00e9.\nCerf pourchass\u00e9 qui perd haleine\nNe d\u00e9sire tant la fontaine, 2028\n\u00c9pervier ne vient en la main,\nPlus volontiers, quand il a faim,\nQu\u2019ils n\u2019ont vu venir le moment\nB\u00e9ni de leur enlacement. 2032\nCette nuit a bien compens\u00e9\nL\u2019attente qu\u2019ils ont endur\u00e9e.\nQuand seuls en\ufb01n, furent laiss\u00e9s,\nTout, en leur corps, ont fait parler : 2036\nLes yeux qui d\u2019un regard transportent,\nEux qui la joie d\u2019amour apportent\nEt leur message au c\u0153ur envoient,\nTant les ravit tout ce qu\u2019ils voient. 2040\nEt quand les yeux se sont tout dit,\nLa douceur, meilleure, voici,\nDes baisers qui grisent le c\u0153ur ;\nTous deux go\u00fbtent cette douceur, 2044\nEt leurs c\u0153urs en elle s\u2019abreuvent,\nTant, que s\u00e9parer ne se peuvent :\nCe baiser ouvre leurs \u00e9bats.\nEt l\u2019amour qui tient ces deux-l\u00e0 2048\nRend la demoiselle audacieuse,\nDe rien ne se montra peureuse,\nSou\u000brit tout, quel qu\u2019en f\u00fbt le prix.146 Chr\u00e9tien de Troyes\nen\u00e7ois qu\u2019ele se relevast, 2052\not perdu le non de pucele ;\nau matin fu dame novele.\nCe jor furent jugleor li\u00e9,\ncar tuit furent a gr\u00e9 pai\u00e9 : 2056\ntot fu randu quanqu\u2019il acrurent,\net molt bel don don\u00e9 lor furent :\nrobes de veir et d\u2019erminetes,\nde conins et de violetes, 2060\nd\u2019escarlate, grise ou de soie ;\nqui vost cheval, qui volt monoie,\nchascuns ot don a son voloir\nsi boen com il le dut avoir. 2064\nEnsi les noces et la corz\ndurerent plus de quinze jorz\na tel joie et a tel hautesce ;\npar seignorie et par leesce 2068\net por Erec plus enorer,\n\ufb01st li rois Artus demorer\ntoz les barons une quinzainnce.\nQuant vint a la tierce semainne, 2072\ntuit ansanble comunemant\nanpristrent un tornoiemant,\nantre Erec, et Tenebroc,\net Melic, et Meliadoc ; 2076\nmes sire Gauvains s\u2019avan\u00e7a,\nde l\u2019autre part le \ufb01an\u00e7a.\nEnsi fu fete l\u2019anhatie ;\na tant est la corz departie. 2080\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 147\nAvant que de sortir du lit, 2052\nAvait perdu nom de pucelle\u00b0 :\nAu matin, fut dame nouvelle.\nLors furent jongleurs r\u00e9jouis ;\nCar tous furent pay\u00e9s bon prix. 2056\nLeur dettes ayant rembours\u00e9es\nTr\u00e8s beaux cadeaux ont emport\u00e9s :\nRobes de vair\u00b0 et d\u2019herminette,\nFourrure, \u00e9to \u000bes violettes, 2060\nSoie \u00e9carlate, petit-gris.\n\u00c0 toi cheval, argent \u00e0 lui,\nChacun re\u00e7ut selon son gr\u00e9\nLe cadeau par lui d\u00e9sir\u00e9. 2064\nAinsi les noces et la cour\nDur\u00e8rent plus de quinze jours,\nMenant grand train et all\u00e9gresse ;\nPour son plaisir, et sa noblesse, 2068\nEt pour \u00c9rec mieux honorer,\nLe roi Arthur\u00b0 \ufb01t demeurer\nTous ses barons\u00b0 une quinzaine.\nLe tournoi de Tenebroc\nQuand vint la troisi\u00e8me semaine, 2072\nEnsemble d\u2019accord sont tomb\u00e9s,\nPour un tournoi organiser,\nEntre \u00c9rec et Tenebroc\u00b0 ;\nEntre Melic, et Meliadoc. 2076\nMessire Gauvain\u00b0 s\u2019avan\u00e7a,\nEt pour le combat s\u2019engagea.\nAinsi le d\u00e9\ufb01 fut lanc\u00e9.\nLa cour alors s\u2019est s\u00e9par\u00e9e. 2080148 Chr\u00e9tien de Troyes\nUn mois apr\u00e9s la Pantecoste\nli tornoiz assanble et ajoste\ndesoz Teneboc an la plaigne.\nLa ot tante vermoille ansaigne, 2084\net tante guinple et tante manche,\net tante bloe, et tante blanche,\nqui par amors furent donees ;\ntant i ot lances aportees 2088\nd\u2019azur et de sinople taintes,\nd\u2019or et d\u2019argent en i ot maintes,\nmaintes en i ot d\u2019autre afeire,\nmainte bandee, et tante veire ; 2092\niluec vit an le jor lacier\nmaint hiaume, de fer et d\u2019acier\ntant vert, tant giaune, tant vermoil,\nreluire contre le soloil ; 2096\ntant blazon, et tant hauberc blanc,\ntante espee a senestre \ufb02anc,\ntanz boens escuz fres et noviax,\nd\u2019azur et de sinople biax, 2100\net tart d\u2019argent a bocles d\u2019or\ntant boen cheval, baucent et sor,\nfauves, et blans, et noirs et bais,\ntuit s\u2019antre vienent a eslais. 2104\nD\u2019armes est toz coverz li chans :\nd\u2019anbes parz fr\u00e9mis toz li rans :\nan l\u2019estor lieve li escrois,\ndes lances est molt granz li frois : 2108\nlances brisent et escuz troent,\nli hauberc faussent et descloent,\nseles vuident, chevalier tument ;\nli cheval s\u00fcent et escument. 2112\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 149\nUn mois apr\u00e8s la Pentec\u00f4te,\nLe tournoi s\u2019appr\u00eate, et d\u00e9bute,\nDessous Tenebroc, en la plaine.\nOn vit mainte\u00b0 vermeille enseigne, 2084\nmainte\u00b0 coi \u000be, et mainte\u00b0 manche,\nLes unes bleues, les autres blanches\nEn gage d\u2019amour d\u00e9di\u00e9es ;\nEt des lances en quantit\u00e9, 2088\nD\u2019azur et de sinople\u00b0 teintes.\nD\u2019or et d\u2019argent, il en fut mainte\u00b0,\nEt mainte\u00b0 aussi d\u2019autre couleur,\nMulticolore ou \u00e0 rayures. 2092\nEn ce jour-l\u00e0 on vit lacer\nMaint\u00b0 heaume\u00b0 de fer et d\u2019acier,\nDes verts, des jaunes ou vermeils\nEt tout reluisants au soleil ; 2096\nMaint\u00b0 blason, hauberts\u00b0 \u00e9clatants,\nmainte\u00b0 \u00e9p\u00e9e, battant le \ufb02anc,\nMaint\u00b0 \u00e9cu, neuf et rutilant,\nD\u2019azur et sinople\u00b0 \u00e9clatants, 2100\nOu bien d\u2019argent \u00e0 boucles d\u2019or,\nMaints\u00b0 chevaux balzans et maints\u00b0 noirs,\nFauves, blancs, alezans ou bais,\nEt tous au galop s\u2019\u00e9lan\u00e7aient. 2104\nD\u2019armures s\u2019est couvert le champ ;\nOn s\u2019agite dans les deux camps.\nOn entend, venant du combat,\nLe choc des lances, avec fracas. 2108\nLances bris\u00e9es, \u00e9cus trou\u00e9s,\nHauberts\u00b0 fauss\u00e9s et d\u00e9maill\u00e9s,\net selles vides d\u2019occupants,\nChevaux suants et \u00e9cumants : 2112150 Chr\u00e9tien de Troyes\nLa traient les espees tuit\nsor cez qui chieent a grant bruit ;\nli un corent por les foiz prandre\net li autre por l\u2019estor randre. 2116\nErec sist sor un cheval blanc,\ntoz seus s\u2019an vint au chief del ran\npor joster, se il trueve a cui\nDe I\u2019autre part, encontre lui, 2120\npoint li Orguelleus de la Lande,\net sist sor un cheval d\u2019Irlande\nqui le porte de grant ravine.\nSor l\u2019escu, devant la poitrine, 2124\nle \ufb01ert Erec de tel vertu\nque del destrier l\u2019a abatu ;\nle chaple let et vet avant.\nEt Randuraz li vient devant, 2128\n\ufb02z la Vielle de Tergalo,\net fu coverz d\u2019un cendal blo ;\nchevaliers ert de grant proesce.\nLi uns contre l\u2019autre s\u2019adresce, 2132\nsi s\u2019antre donent molt granz cos\nsor les escuz qu\u2019il ont as cos.\nErec, tant con hante li dure,\nle trebuche a la tere dure. 2136\nAn son retor a encontr\u00e9\nle roi de la Roge Cit\u00e9,\nqui molt estoit vaillanz et preuz ;\nles resnes tindrent par les neuz 2140\net les escuz par les enarmes ;\nendui orent molt beles armes\net molt boens chevax et isniax :\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 151\nTous tirent alors leurs \u00e9p\u00e9es ;\nPar-dessus ceux qui sont tomb\u00e9s,\nL\u2019un court vers celui qui se rend,\nL\u2019autre soutient les d\u00e9faillants. 2116\nProuesses d\u2019\u00c9rec\n\u00c9rec, qui monte un cheval blanc,\nS\u2019en vient tout seul au premier rang,\nCherchant quelqu\u2019un digne de lui.\nEn face, et piquant vers lui, 2120\nAccourt l\u2019Orgueilleux de la Lande,\nMont\u00e9 sur un cheval d\u2019Irlande,\nQui le porte comme le vent.\n\u00c9rec le frappe par devant, 2124\nSur l\u2019\u00e9cu, d\u2019un coup bien port\u00e9,\nQui du cheval le fait tomber.\nIl le laisse et va de l\u2019avant ;\nVers lui galope Randuranz 2128\nFils de la vieille de Tergale,\nTout rev\u00eatu de bleu cendal\u00b0,\nChevalier aux grandes prouesses.\nEt l\u2019un contre l\u2019autre ils se dressent, 2132\nEt se donnent de tr\u00e8s grands coups\nSur les \u00e9cus qu\u2019ils ont au cou.\n\u00c9rec lui porte un coup si s\u00fbr\nQu\u2019il l\u2019envoie \u00e0 la terre dure. 2136\nEn revenant, a rencontr\u00e9\nLe roi de la Rouge Cit\u00e9\nQui \u00e9tait vaillant et tr\u00e8s preux.\nLes r\u00eanes tinrent par les noeuds 2140\nEt les \u00e9cus par les lani\u00e8res ;\nTous deux avaient belles armures,\nRapides et tr\u00e8s bons chevaux.152 Chr\u00e9tien de Troyes\nsor les escuz fres et noviax 2144\npar si grant vertu s\u2019antre \ufb01erent\nqu\u2019andeus les lances pe\u00e7oierent ;\neinz tel cop ne furent ve\u00fc.\nAnsanble hurtent lor escu, 2148\net des armes et des chevax ;\ncengles ne resnes ne peitrax\nne porent le roi retenir :\na la terre l\u2019estut venir ; 2152\nendeus les resnes et le frain\nan porte avoec lui en sa main ;\ntuit cil qui cele joste virent\na mervoilles s\u2019an esbairent, 2156\net dient que trop chier li coste\nqui a si boen chevalier joste.\nErec ne voloit pas entandre\na cheval n\u2019a chevalier prandre, 2160\nmes a joster et a bien feire\npor ce que sa proesce apeire ;\ndevers lui fet l\u2019estor fremir,\nsa proesce fet resbaudir 2164\ncez devers cui il se tenoit ;\nchevax et chevaliers prenoit\npor cez de la plus descon\ufb01re.\nDe mon seignor Gauvain voel dire, 2168\nqui molt le feisoit bien et bel.\nAn l\u2019estor abati Guincel\net prist Gaudin de la Montaingne ;\nchevaliers prant, chevax gaaingne : 2172\nbien le \ufb01st mes sire Gauvains,\nGirfez, li \ufb01lz Do, et Yvains\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 153\nSur leurs \u00e9cus frais et nouveaux 2144\nTellement fort ils se frapp\u00e8rent,\nQue leurs deux lances les perc\u00e8rent.\nOn n\u2019avait jamais vu de tels coups.\nIls se sont heurt\u00e9s de partout : 2148\nArmures, \u00e9cus, et cheval ;\nR\u00eanes ni sangles de poitrail\nNe purent le roi retenir :\n\u00c0 terre lui fallut venir, 2152\nTenant les r\u00eanes et le frein\nEncore avec lui en la main.\nTous ceux qui cette joute virent,\n\u00c9merveill\u00e9s, s\u2019en \u00e9bahirent, 2156\nDisant que trop cher il en co\u00fbte\n\u00c0 qui contre un tel homme joute.\n\u00c9rec semblait peu se soucier\nDes chevaux, ni des chevaliers ; 2160\nIl ne cherchait qu\u2019\u00e0 s\u2019illustrer\nPour ses prouesses r\u00e9v\u00e9ler.\nIl rend sa vigueur au tournoi,\nSes prouesses redonnent foi 2164\n\u00c0 ceux pr\u00e8s de qui il se bat ;\nIl prend chevaux et chevaliers\nPour sa victoire con\ufb01rmer.\nDe Gauvain\u00b0 je voudrais parler, 2168\nQui tout faisait en bien et bel :\nAu tournoi a vaincu Guincel,\nEt pris Gaudin de la Montagne ;\nChevaliers prend et chevaux gagne : 2172\nAinsi font messire Gauvain\u00b0,\nGir\ufb02et, \ufb01ls de Do, et Yvain,154 Chr\u00e9tien de Troyes\net Sagremors li Desreez.\nCes de la ont tex conreez 2176\nque tresqu\u2019es portes les anbatent :\nasez an prenent et abatent.\nDevant la porte del chastel\nont recomanci\u00e9 le cenbel 2180\ncil dedanz contre cez defors.\nLa fu abatuz Sagremors,\nuns chevaliers de molt grant pris ;\ntoz estoit retenuz et pris, 2184\nquant Erec cort a la rescosse.\nSor un des lor sa lance estrosse,\nsi bien le \ufb01ert soz la memele\nque vuidier li covint la sele ; 2188\npuis tret l\u2019espee, si lor passe,\nles hiaumes lor anbarre et quasse ;\ncil s\u2019an fuient, si li font rote,\ncar toz li plus hardiz le dote. 2192\nTant lor dona et cos et bous\nque Sagremor lor a rescos ;\nel chastel les remet batant.\nLes vespres sonerent a tant. 2196\nSi bien le \ufb01st Erec le jor\nque li miaudres fu de l\u2019estor ;\nmes molt le \ufb01st mialz l\u2019andemain :\nmolt prist chevaliers de sa main 2200\net tant i \ufb01st seles vuidier\nque nus ne le porroit cuidier,\nse cil non qui ve\u00fc l\u2019avoient ;\nd\u2019anbedeus parz trestuit disoient 2204\nquil avoit le tornoi veincu\npar sa lance et par son escu.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 155\nEt Sagremor le Desr\u00e9\u00e9.\nIls ont les autres repouss\u00e9 2176\nTant qu\u2019en les portes les rejettent ;\nBeaucoup en prennent et culbutent.\nDevant la porte du ch\u00e2teau,\nIls ont relanc\u00e9 leur assaut, 2180\nQui dedans contre qui dehors.\nL\u00e0 fut jet\u00e9 bas Sagremor,\nUn chevalier de tr\u00e8s grand prix :\nIl \u00e9tait retenu et pris 2184\nQuand \u00c9rec vint \u00e0 sa rescousse. . .\nSur le premier, sa lance casse :\nSa poitrine vient tant frapper\nQue la selle lui fait vider ; 2188\nIl tire l\u2019\u00e9p\u00e9e, les d\u00e9passe,\nLeur heaume\u00b0 d\u00e9fonce et fracasse. . .\nIls fuient ; la voie lui laissent toute,\nCar le plus hardi le redoute. 2192\nTant les a frapp\u00e9s et bout\u00e9s,\nQue Sagremor a d\u00e9livr\u00e9 :\nAu ch\u00e2teau fuient les autres, vite !\nV\u00eapres sonn\u00e8rent tout de suite. 2196\n\u00c9rec \ufb01t si bien ce jour-l\u00e0,\nQu\u2019il fut le meilleur du combat ;\nMais il \ufb01t mieux le lendemain :\nTant chevaliers prit de sa main, 2200\nEt tant en a d\u00e9sar\u00e7onn\u00e9s,\nQue quiconque en aurait dout\u00e9\nS\u2019il n\u2019\u00e9tait de ceux qui l\u2019ont vu !\nDes deux c\u00f4t\u00e9s, on reconnut 2204\nQu\u2019en ce tournoi, avait vaincu\nTous, par sa lance et son \u00e9cu.156 Chr\u00e9tien de Troyes\nOr fu Erec de tel renon\nqu\u2019an ne parloit se de lui non ; 2208\nnus hom n\u2019avoit si boene grace\nqu\u2019il sanbloit Ausalon de face\net de la lengue Salemon,\net de \ufb01ert\u00e9 sanbla lyon, 2212\net de doner et de despandre\nrefu il parauz Alixandre.\nAu repeirier dece tornoi,\nala Erec parler au roi : 2216\nle congi\u00e9 li ala requerre,\nqu\u2019aler s\u2019an voloit en sa terre ;\nmes molt le mnercia en\u00e7ois,\ncon frans et sages et cortois, 2220\nde l\u2019enor que feite li ot,\nque molt merveilleus gr\u00e9 li sot.\nApr\u00e9s a congi\u00e9 de lui pris,\nqu\u2019aler voloit en son pais 2224\net sa fame an voloit mener.\nCe ne li pot li rois veher,\nmes, son vuel, n\u2019en alast il mie ;\ncongi\u00e9 li done et si li prie 2228\nqu\u2019au plus tost qu\u2019il porra retort,\ncar n\u2019avoit baron en sa cort\nplus vaillant, plus hardi, plus preu,\nfors Gauvain, son tres chier neveu : 2232\na celui ne se prenoit nus ;\napr\u00e9s celui prisoit il plus\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 157\n\u00c9rec connut un tel renom,\nQu\u2019on n\u2019entendait plus que son nom ; 2208\nNul n\u2019avait tant que lui de gr\u00e2ce :\nIl avait d\u2019Absalon la face,\nEt la langue de Salomon.\nIl avait la \ufb01ert\u00e9 d\u2019un lion, 2212\nTant donnait et tant d\u00e9pensait\nQu\u2019un nouvel Alexandre semblait !\nEn revenant de ce tournoi,\n\u00c9rec alla parler au roi : 2216\nPermission lui a demand\u00e9\nEn sa terre, de retourner.\nMais avant, remercier le veut,\nEn homme franc\u00b0, courtois et preux, 2220\nDu grand honneur qu\u2019il lui a fait,\nEt dont tellement gr\u00e9 lui sait.\nLa \u201crecr\u00e9antise\u201d d\u2019\u00c9rec\nRetour \u00e0 Carnant et festivit\u00e9s\nPuis il a pris cong\u00e9 de lui,\nPour retourner en son pays, 2224\nEt pour sa femme y emmener.\nLe roi ne pouvait refuser,\nMais cela ne lui plaisait mie\u00b0.\nCong\u00e9 lui donne, mais le prie 2228\nQu\u2019au plus t\u00f4t il soit de retour,\nCar il n\u2019a baron en sa cour\nPlus vaillant, plus hardi, plus preux,\nFors Gauvain\u00b0, son tr\u00e8s cher neveu : 2232\nLui, nul ne pouvait l\u2019\u00e9galer,\nMais apr\u00e8s lui, son pr\u00e9f\u00e9r\u00e9,158 Chr\u00e9tien de Troyes\nErec et plus le tenoit chier\nque nes un autre chevalier. 2236\nErec ne volt plus sejorner ;\nsa fame comande atorner,\ndes qu\u2019il ot le congi\u00e9 del roi,\net si re\u00e7ut a son conroi 2240\n. LX. chevaliers de pris\na chevax, a veir et a gris.\nDes que son oirre ot aprest\u00e9,\nn\u2019a gueires puis a cort est\u00e9. 2244\nLa reine congi\u00e9 demande,\nles chevaliers a Deu comande.\nLa reine congi\u00e9 li done.\nA tele ore con prime sone 2248\ndeparti del pal\u00e9s real ;\nveant toz monte an son cheval,\net sa fame est apr\u00e9s montee,\nqu\u2019il amena de sa contree ; 2252\npuis monta sa mesniee tote\nbien furent. vIx, an la rote\nentre sergenz et chevaliers.\nTant trespassent puiz et rochiers 2256\net forez, et plains, et montaingnes,\ncatre jornees totes plainnes,\na Carnant vindrent a un jor,\nou li rois Lac ert a sejor 2260\nen un chastel de grant delit ;\nonques nus mialz seant ne vit.\nDe forez et de praeries,\nde vingnes, de gaaigneries, 2264\nde dames et de chevaliers,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 159\n\u00c9tait \u00c9rec, bien plus aim\u00e9\nQu\u2019aucun de tous ses chevaliers. 2236\n\u00c9rec ne veut plus s\u2019attarder :\nSa femme il a fait pr\u00e9parer\nD\u00e8s que du roi a pris cong\u00e9.\nIl a re\u00e7u pour l\u2019escorter 2240\nSoixante braves chevaliers,\nChevaux, fourrures tachet\u00e9es.\nSon voyage il a pr\u00e9par\u00e9,\nN\u2019est plus gu\u00e8re \u00e0 la cour rest\u00e9. 2244\n\u00c0 la reine il fait ses adieux,\nChevaliers recommande \u00e0 Dieu,\nEt la reine cong\u00e9 lui donne.\n\u00c0 la premi\u00e8re heure qui sonne 2248\nIl quitte le palais royal,\nDevant tous il monte \u00e0 cheval,\nEt sa femme apr\u00e8s lui aussi,\nQu\u2019il amena de son pays. 2252\nPuis sa mesnie\u00b0 est mont\u00e9e toute :\nFurent bien sept fois vingt en route,\nTant serviteurs que chevaliers.\nTant ont franchi cols et rochers, 2256\nmontagnes, for\u00eats et plaines\nPendant quatre journ\u00e9es bien pleines\nQu\u2019ils arriv\u00e8rent \u00e0 Carnant\nO\u00f9 le roi \u00e9tait en ce temps, 2260\nEn un ch\u00e2teau tr\u00e8s agr\u00e9able,\nLe mieux situ\u00e9 qu\u2019il est possible.\nDe prairies et de for\u00eats,\nDe vignes, terres labour\u00e9es, 2264\nDe dames et de chevaliers,160 Chr\u00e9tien de Troyes\nde rivieres et de vergiers,\nde vaslez molt preuz et heitiez,\nde gentix clers bien afeitiez 2268\nqui bien despandoient lor rantes,\net de dames beles et gentes,\net de borjois bien posteis,\nestoit li chastiax bien asis. 2272\nAinz qu\u2019Erec el chastel venist,\ndeus messagiers avant tramist\nqui l\u2019alerent au roi conter.\nLi rois \ufb01st maintenant monter 2276\nqu\u2019il ot oies les noveles\nclers, et chevaliers, et puceles,\net comande les corz soner\net les rues ancortiner 2280\nde tapiz et de dras de soie\npor son \ufb01l re\u00e7oivre a grant joie.\nPuis est il meismes montez,\n. IIII\", clers i ot contez, 2284\ngentix homes et enorables,\na mantiax gris orlez de sables\nchevaliers i ot bien. v. cenz\nsor chevax bais, sors et baucenz ; 2288\ndames et borjois tant i ot\nque nus savoir conter nes pot.\nTant galoperent et corrurent\nqu\u2019il s\u2019antre virent et conurent, 2292\nli rois son \ufb01l, et ses \ufb01lz lui.\nA pi\u00e9 descendent anbedui,\nsi s\u2019antre beisent et sal\u00fcent ;\nde grant piece ne se rem\u00fcent 2296\nd\u2019iluec ou il s\u2019antr\u2019encontrerent ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 161\nDe rivi\u00e8res et de vergers,\nDe jeunes gens preux et bien n\u00e9s,\nDe nobles clercs bien \u00e9lev\u00e9s, 2268\nDilapidant fort bien leurs rentes,\nEt de dames belles et gentes,\nEt de bourgeois fort bien nantis,\nCe ch\u00e2teau \u00e9tait bien rempli. 2272\n\u00c9rec, avant son arriv\u00e9e\nDeux messagers a envoy\u00e9s\nPour aller au roi l\u2019annoncer.\nLe roi \u00e0 cheval \ufb01t monter 2276\nSit\u00f4t qu\u2019il connut la nouvelle,\nClercs et chevaliers et pucelles\u00b0,\nOrdonna aux cors de sonner,\nEt \ufb01t toutes les rues parer 2280\nDe tapis et de draps de soie\nPour son \ufb01ls recevoir en joie !\nPuis il est lui-m\u00eame mont\u00e9 ;\nQuatre-vingts clercs on a compt\u00e9 2284\nHonorables et bien-n\u00e9s,\nEn manteaux de fourrure ourl\u00e9s ;\nLes chevaliers \u00e9taient cinq cents,\nChevaux bais, alezans, baucents\u00b0 ; 2288\nDames, bourgeois, tant y en eut\nQue nul les compter ne le put.\nTous galop\u00e8rent et coururent\nTant qu\u2019ils se virent et reconnurent, 2292\nLe roi son \ufb01ls, et le \ufb01ls, lui.\nTous deux pied \u00e0 terre ils ont mis,\nSe sont \u00e9treints et salu\u00e9s ;\nDe longtemps ils n\u2019ont pas boug\u00e9 2296\nDe l\u00e0 o\u00f9 ils se sont trouv\u00e9s.162 Chr\u00e9tien de Troyes\nli un les autres sal\u00fcerent.\nLi rois grant joie d\u2019Erec fet.\nA la foiee l\u2019antrelet, 2300\nsi se retorne vers Enide :\nd\u2019anbedeus parz est an melide ;\nanbedeus les acole et beise,\nne set li quiex d\u2019ax plus li pleise. 2304\nEl chastel vienent maintenant ;\nancontre son avenemant\nsonent trestuit li soing a glais ;\nde jons, de mantastre et de glais, 2308\nsont totes jonchiees les rues\net par desore portendues\nde cortines et de tapiz,\nde diapres et de samiz. 2312\nLa ot nolt grant joie menee ;\ntote la gent est ai\u00fcnee\npor veoir lor novel seignor\neinz nus ne vit joie greignor 2316\nque feisoient juesne et chenu.\nPremiers sont au mostier venu ;\nla furent par devocion\nrece\u00fc a procession ; 2320\ndevant l\u2019autel del Croce\ufb01s\ns\u2019est Erec a orisons mnis ;\n. LX. mars i presanta\nd\u2019argent, que molt bien anplea. , 2324\net une croiz, tote d\u2019or fn,\nqui fu ja au roi Costantin\nde la voire croiz i avoit,\nou Dame Dex por nos s\u2019estoit 2328\ncroce\ufb01ez et tormantez,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 163\nOn se salue des deux c\u00f4t\u00e9s.\nAu roi \u00c9rec grande joie donne,\nMais \u00e0 la \ufb01n, il l\u2019abandonne, 2300\nVers \u00c9nide se tourne aussi :\nDe l\u2019un et de l\u2019autre est ravi.\nIl les embrasse tous les deux,\nNe sait lequel lui pla\u00eet le mieux. 2304\nAu ch\u00e2teau s\u2019en vont maintenant\nEt en l\u2019honneur des arrivants\nCloches sonnent \u00e0 la vol\u00e9e ;\nDe gla\u00efeuls et de menthe jonch\u00e9es 2308\nSont d\u00e9cor\u00e9es toutes les rues\nEt au-dessus sont \u00e9tendus\nDes tentures et des des tapis\nDes \u00e9to \u000bes de soie de prix. 2312\nSa joie a bien manifest\u00e9e\nToute la foule rassembl\u00e9e,\nAccueillant son nouveau seigneur.\nOn n\u2019y mit jamais tant d\u2019ardeur : 2316\nJeunes et vieux, tous sont ravis !\n\u00c0 l\u2019\u00e9glise alors sont partis,\nEt avec grande d\u00e9votion\nFurent re\u00e7us en procession. 2320\nDevant l\u2019autel, et cruci\ufb01x,\n\u00c9rec en oraison s\u2019est mis.\nSoixante marcs il a donn\u00e9\nD\u2019argent, et les a pr\u00e9sent\u00e9s, 2324\nAvec une croix en or \ufb01n,\nQui fut celle de Constantin ;\nUn peu de la vraie croix y fut\nSur laquelle J\u00e9sus mourut, 2328\nPour nous cruci\ufb01\u00e9, tortur\u00e9,164 Chr\u00e9tien de Troyes\nqui de prison nos a gitez\nou nos estiens trestuit pris\npar le pechi\u00e9 que \ufb01st jadis 2332\nAdanz par consoil d\u2019aversier.\nMolt feisoit la croiz a prisier :\npierres i avoit precieuses,\nqui estoient molt vertueuses ; 2336\nel mi leu, et a chascun cor,\navoit une escharbocle d\u2019or,\nassises furent par mervoille,\nnus ne vit onques sa paroille ; 2340\nchascune tel clart\u00e9 gitoit\nde nuiz, con se il jorz estoit\nau matin quant li solauz luist ;\nsi grant clart\u00e9 randoit par nuit 2344\nque ardoir n\u2019estuet el mostier\nlanpe, cierge, ne chandelier.\nDevant l\u2019autel de Nostre Dame\nmenerent dui baron sa fame. 2348\nJesu et la virge Marie\npar boene devocion prie\nque an lor vie lor donast\noir qui apr\u00e9s ax heritast. 2352\nPuis a ofert desor l\u2019autel\nun paisle vert, nus ne vit tel,\net une grant chasuble oVree ;\ntote a \ufb01n or estoit brosdee, 2356\net ce fu veritez provee\nque l\u2019uevre an \ufb01st Morgue la fee\nel Val Perilleus, ou estoit ;\ngrant antante mise i avoit. 2360\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 165\nNous lib\u00e9rant, nous prisonniers\nDu cachot o\u00f9 nous \u00e9tions mis\nPar le p\u00e9ch\u00e9 que \ufb01t jadis 2332\nAdam \u00e9coutant le Malin !\nLa croix un tr\u00e9sor valait bien,\nAvec tant de pierres pr\u00e9cieuses\nAux vertus tr\u00e8s miraculeuses ; 2336\n\u00c0 chaque bout et au milieu\nUne pierre y jetait ses feux ;\nElles \u00e9taient si bien serties\nQue de pareilles jamais ne vit ; 2340\nChacune tellement brillait\nQue la nuit au jour ressemblait\nComme au matin soleil levant ;\nDans la nuit elles brillaient tant 2344\nQu\u2019en l\u2019\u00e9glise jamais ne vit\nAllumer cierges ni bougies ;\nDevant l\u2019autel de Notre-Dame\nDeux barons\u00b0 ont conduit sa femme. 2348\nJ\u00e9sus et la Vierge Marie\nEn toute d\u00e9votion, y prie\nEsp\u00e9rant avoir par cela\nL\u2019enfant qui d\u2019eux h\u00e9ritera. 2352\nPuis elle a o \u000bert, sur l\u2019autel,\nUn tissu comme on n\u2019en vit tel,\nUne chasuble d\u00e9cor\u00e9e\nQui \u00e0 l\u2019or \ufb01n \u00e9tait brod\u00e9e, 2356\nEt qui fut faite, en v\u00e9rit\u00e9,\nDes mains de Morgane la f\u00e9e\nQui logeait au Val P\u00e9rilleux ;\nElle y avait fait de son mieux : 2360166 Chr\u00e9tien de Troyes\nD\u2019or fu de soie d\u2019Aumarie ;\nla fee fet ne l\u2019avoit mie\na oes chasuble por chanter,\nmes son ami la volt doner 2364\npor feire riche vestemant,\ncar a mervoille ert avenant ;\nGanievre, par engin molt grant,\nla fame Artus le roi puissant, 2368\nl\u2019ot par l\u2019empereor Gassa ;\nune chasuble feite en a,\nsi l\u2019ot maint jor en sa chapele\npor ce que boene estoit et bele : 2372\nquant Enide de li torna,\ncele chasuble li dona ;\nqui la verit\u00e9 an diroit,\nplus de cent mars d\u2019argent valoit. 2376\nQuant Enyde ot s\u2019ofrande fete,\nun petit s\u2019est atriere trete ;\nde sa destre main s\u2019est seigniee\ncome fame bien anseigniee. 2380\nA tant fors del mostier s\u2019an vont,\ndroit a l\u2019ostel revenu sont ;\nla comen\u00e7a la joie granz.\nLe jor ot Erec mainz presanz 2384\nde chevaliers et de borjois\nde l\u2019un n palefroi norrois\net de l\u2019autre une cope d\u2019or ;\ncil li presante un ostor sor, 2388\ncil un brachet, cil un levrier,\net li autres un esprevier,\nli autres un destrier d\u2019Espaigne ;\ncil un escu, cil une ansaigne, 2392\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 167\nD\u2019Espagne a fait venir la soie,\nNe l\u2019avait pas faite pour soi,\nComme chasuble pour chanter,\nMais \u00e0 son ami l\u2019avait donn\u00e9e 2364\nPour s\u2019en faire un beau v\u00eatement\nQui lui serait fort avenant.\nGueni\u00e8vre\u00b0, la femme du roi\nArthur\u00b0, par sa ruse, je crois, 2368\nL\u2019obtint de l\u2019empereur Gassa ;\nUne chasuble s\u2019y tailla\nEt la portait en sa chapelle\nCar l\u2019\u00e9to \u000be \u00e9tait bonne et belle. 2372\nEt quand \u00c9nide la quitta,\nCette chasuble lui donna.\nSi l\u2019on veut en dire le vrai\nPlus de cent marcs d\u2019argent valait. 2376\nQuand son o \u000brande eut d\u00e9pos\u00e9e\n\u00c9nide alors s\u2019est recul\u00e9e,\nDe la main droite s\u2019est sign\u00e9e\nComme Dame bien \u00e9duqu\u00e9e. 2380\nPuis de l\u2019\u00e9glise sont sortis\nPour retourner \u00e0 leur logis.\nLa liesse eut son commencement :\n\u00c9rec re\u00e7ut bien des pr\u00e9sents 2384\nDes chevaliers et des bourgeois\nDe l\u2019un re\u00e7ut un palefroi\u00b0,\nDe l\u2019autre une coupe d\u2019or \ufb01n\nL\u2019un lui pr\u00e9sente un autour\u00b0 brun 2388\nL\u2019autre un bon chien, un l\u00e9vrier,\nUn autre encore un \u00e9pervier.\nQui o \u000bre un destrier d\u2019Espagne,\nEt qui un \u00e9cu, une enseigne, 2392168 Chr\u00e9tien de Troyes\ncil une espee, ct cil un hiaume.\nOnques nus rois an son r\u00ebaume\nne fu plus lieemant ve\u00fcz\nn\u2019a greignor joie rece\u00fcz. 2396\nTuit de lui servir se penerent ;\nmolt plus grant joie demenerent\nd\u2019Enyde que de iui ne \ufb01rent,\npor la grant biaut\u00e9 qu\u2019an li virent 2400\net plus ancor por sa franchise.\nAn une chanbre fu assise\ndesor une coute de paile\nqui venue estoit de Tessaile : 2404\nantor li avoit mainte dame,\nmes ausi con la clere jame\nreluist desor le bis chaillot\net la rose sor le pavot, 2408\nausi ert Enyde plus bele\nque nule dame ne pucele\nqui fust trovee an tot le monde,\nqui le cerchast a la reonde, 2412\ntant fu gentix et enorable,\nde saiges diz et acointable,\nde bon ere et de boen atret.\nOnques nus ne sot tant d\u2019aguet 2416\nqu\u2019an li poist veoir folie,\nne malvesti\u00e9, ne vilenie.\nTant a d\u2019afaitemant apris\nque de totes bontez ot pris 2420\nque nule dame doie avoir\net de largesce, et de savoir.\nTuit lamerent por sa franchise :\nqui li pooit feire servise, 2424\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 169\nLui, une \u00e9p\u00e9e et lui, un heaume\u00b0,\nIl n\u2019est de roi en son royaume\nQui tel contentement re\u00e7ut\nEt plus grande joie ne connut. 2396\nTous pour lui se sont d\u00e9men\u00e9s\nAvec grande joyeuset\u00e9,\nEt pour \u00c9nide aussi le \ufb01rent\nQuand si grande beaut\u00e9 lui virent, 2400\nEt g\u00e9n\u00e9reuse, et bien apprise.\nDans une chambre s\u2019est assise\nSur une couette fort jolie\nQui provenait de Thessalie ; 2404\nDes dames sont pr\u00e8s d\u2019elle-m\u00eame\nMais tout comme une belle gemme\nReluit plus qu\u2019un caillou bien gros,\nUne rose plus qu\u2019un pavot, 2408\n\u00c9nide \u00e9tait cent fois plus belle\nQu\u2019une autre dame ou demoiselle\nQue l\u2019on puisse trouver au monde\nSi on en cherchait une \u00e0 la ronde, 2412\nTant elle est digne et honorable,\nDe bon conseil et tant aimable,\nAgr\u00e9able, et pleine d\u2019attraits.\nOn aurait pu \u00eatre aux aguets 2416\nSans lui trouver moindre folie\nM\u00e9chancet\u00e9, ou vilenie.\nElle fut si bien \u00e9lev\u00e9e\nQu\u2019elle a toutes les qualit\u00e9s, 2420\nQu\u2019une Dame se doit d\u2019avoir,\nG\u00e9n\u00e9reuse, et de grand savoir.\nTous l\u2019adorent pour sa bont\u00e9\nEt pour elle se d\u00e9vouer 2424170 Chr\u00e9tien de Troyes\nplus s\u2019an tenoit chiers et prisoit ;\nne nus de li ne mesdisoit,\ncar nus n\u2019an pooit rien mesdire :\nel r\u00ebaume ne an l\u2019empire 2428\nn\u2019ot dame de si boenes mors.\nMes tant l\u2019ama Erec d\u2019amors,\nque d\u2019armes mes ne li chaloit,\nne a tornoiemant n\u2019aloit. 2432\nN\u2019avoit mes soing de tornoier :\na sa fame volt dosnoier,\nsi an \ufb01st s\u2019amie et sa drue ;\nen li a mise s\u2019antendue, 2436\nen acoler et an beisier\nne se quierent d\u2019el aeisier.\nSi conpaignon duel en avoient ;\nsovant entr\u2019ax se demantoient 2440\nde ce que trop l\u2019amoit assez.\nSovant estoit midis passez,\neinz que de lez lui se levast ;\nlui estoit bel, cui qu\u2019il pesast. 2444\nMolt petit de li s\u2019esloignoit ;\nmes ainz por ce moins ne donoit\nde rien nule a ses chevaliers\narmes ne robes ne deniers. 2448\nNul leun\u2019avoit tornoiemant\nnes anveast, mnolt richemant\naparelliez et atornez.\nDestriers lor donoit sejornez 2452\npor tornoier et por joster,\nque qu\u2019il li de\u00fcssent coster.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 171\n\u00c9tait un plaisir, une chance ;\nJamais ne subit m\u00e9disance,\nCar d\u2019elle on ne ne pouvait m\u00e9dire :\nDans le royaume, ou dans l\u2019empire, 2428\nNe fut Dame de si haut rang.\n\u00c9rec \u201crecr\u00e9ant\u201d\nMais \u00c9rec l\u2019aimait tellement,\nQu\u2019aux armes mettait peu de foi,\nEt n\u2019allait pas dans les tournois. 2432\nIl se moquait de guerroyer\nMais sa femme voulait choyer.\nElle \u00e9tait s\u2019amie, son aim\u00e9e,\nIl ne cessait de d\u00e9sirer 2436\nLa couvrir de tous ses baisers :\nRien d\u2019autre n\u2019\u00e9tait \u00e0 leur gr\u00e9.\nSes compagnons, eux, en sou \u000braient ;\nEntre eux souvent, se d\u00e9solaient, 2440\nIls trouvait que bien, trop l\u2019aimait.\nSouvent quand en\ufb01n se levait\nBien plus de midi il \u00e9tait,\nEt bien ou mal, il s\u2019en moquait. 2444\nIl ne s\u2019\u00e9loignait gu\u00e8re d\u2019elle,\nMais n\u00e9anmoins \u00e0 ses \ufb01d\u00e8les\nFaisait des don tr\u00e8s largement,\nEn armes, v\u00eatements, argent. 2448\nIl n\u2019y avait pas de tournoi\nSans que l\u00e0-bas ne les envoie,\nRichement arm\u00e9s, \u00e9quip\u00e9s :\nDes destriers bien repos\u00e9s, 2452\nPour aller tournoyer, jouter,\nQuoi que cela puisse co\u00fbter.172 Chr\u00e9tien de Troyes\nCe disoit trestoz li barnages\nque granz diax ert et granz domages, 2456\nquant armes porter ne voloit\ntex ber com il estre soloit.\nTant fu blasmez de totes genz,\nde chevaliers et de sergenz, 2460\nqu\u2019Enyde l\u2019oi antre dire\nque recreant aloit ses sire\nd\u2019armes et de chevalerie :\nmolt avoit changiee sa vie. 2464\nDe ceste chose li pesa ;\nmes sanblant fere n\u2019an osa,\nque ses sire an mal nel preist\nasez tost, s\u2019ele le deist. 2468\nTant li fu la chose celee\nqu\u2019il avint une matinee,\nla ou il jurent an un lit,\nqu\u2019il orent e\u00fc maint delit 2472\nboche a boche antre braz gisoient,\ncome cil qui molt s\u2019antre amoient.\nCil dormi et cele veilla ;\nde la parole li manbra 2476\nque disoient de son seignor\npar la contree li plusor.\nQuant il l\u2019an prist a sovenir,\nde plorer ne se pot tenir ; 2480\ntel duel en ot et tel pesance\nqu\u2019il li avint par mescheance\nqu\u2019ele dist lors une parole\ndom ele se tint puis por fole ; 2484\nmes. ele n\u2019i pansoit nul mal.\nSon seignor a mont et a val\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 173\nTous pensaient dans le baronnage,\nQue c\u2019\u00e9tait vraiment bien dommage 2456\nQue plus ne veuille armes porter\nQuelqu\u2019un tel qu\u2019il avait \u00e9t\u00e9.\nIl fut bl\u00e2m\u00e9 par tant de gens\nDe chevaliers et de sergents, 2460\nQu\u2019\u00c9nide les entendit dire\nQue l\u00e2che devenait son sire\nOublieux de chevalerie\nTant il avait chang\u00e9 sa vie. 2464\nEt cela la faisait sou \u000brir\nMais elle n\u2019osait le lui dire,\nAyant peur qu\u2019il n\u2019en prenne ombrage\nMettant en doute son courage. 2468\nElle a tenu cela cach\u00e9\nJusqu\u2019au jour o\u00f9, en matin\u00e9e,\nQuand ils \u00e9taient encore au lit\nEt que leur plaisir avaient pris, 2472\nQu\u2019ils se tenaient fort embrass\u00e9s\nComme des amants passionn\u00e9s,\nLui endormi, elle \u00e9veill\u00e9e ;\nElle s\u2019est alors rappel\u00e9e 2476\nCe que d\u2019\u00c9rec on avait dit\nUn peu partout dans le pays.\nQuand elle s\u2019en est souvenue\nDe pleurer se tenir n\u2019a pu ; 2480\nElle en avait tant de douleur\nQu\u2019alors elle a, pour son malheur,\nLaiss\u00e9 entendre une parole\nQue depuis elle tint pour folle, 2484\nMais sans penser \u00e0 mal le \ufb01t.\n\u00c9rec \u00e0 contempler se prit,174 Chr\u00e9tien de Troyes\ncoman\u00e7a tant a regarder ;\nle cors vit bel et le vis cler, 2488\net plora de si grant ravine\nque, plorant, desor la peitrine\nan chieent les lermes sor lui.\n\u00ab Lasse, fet ele, con mar fui ! 2492\nide mon pais que ving \u00e7a querre ?\nBien me doit essorbir la terre,\nquant toz li miaudres chevaliers,\nli plus hardiz et li plus \ufb01ers, 2496\nqui onques fust ne cuens ne rois,\nli plus l \u00afeax, li plus cortois,\na del tot an tot relanquie\npor moi tote chevalerie. 2500\nDons l\u2019ai ge honi ot por voir ;\nnel volsisse por nul avoir. \u00bb\nLors li dist : \u00ab Amis, con mar fus ! \u00bb\nA tant se tot, si ne dist plus. 2504\nEt cil ne dormi pas formant,\nla voiz oi tot an dormant ;\nde la parole s\u2019esveilla\net de ce molt se merveilla 2508\nque si formant plorer la vit.\nPuis li a demand\u00e9 et dit :\n\u00ab Dites moi, dolce amie chiere,\npor coi plorez an tel meniere ? 2512\nDe coi avez ire ne duel ?\nCertes, je le savrai, mon vuel.\nDites le moi, ma dolce amie,\ngardez nel me celez vos mie, 2516\npor qu\u2019avez dit que mar i fui ?\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 175\nDe haut en bas, son beau corps vit,\nEt son visage clair aussi. . . 2488\nElle en ressentit tant de peine\nQue les larmes, sur la poitrine\nDe son \u00e9poux \u00e0 \ufb02ots coulaient.\n\u00ab H\u00e9las ! Dit-elle, qu\u2019ai-je fait ? 2492\nDe mon pays, ici venir ?\nLa terre devrait m\u2019engloutir,\nQuand des chevaliers le meilleur\nLe plus \ufb01er, de telle valeur, 2496\nQue n\u2019eut jamais comte ni roi,\nLe plus loyal, le plus courtois,\nA vraiment d\u00e9laiss\u00e9, je vois,\nToute chevalerie pour moi ! 2500\nPour moi il serait donc honni ?\nJamais ne l\u2019ai voulu ainsi ! \u00bb\n\u00ab Quelle malchance tu as eue ! \u00bb\nLui dit-elle. . . Et puis se tut. 2504\nLui qui ne dormait plus vraiment,\nDans son demi-sommeil l\u2019entend.\nCette parole l\u2019\u00e9veilla,\nEt grandement il s\u2019\u00e9tonna 2508\nDe la voir tant pleurer ainsi.\nAlors il lui demande, et dit :\n\u00ab Dites-moi donc, ma ch\u00e8re amie,\nPourquoi pleurez-vous tant ainsi ? 2512\nDe quoi avez-vous peine ou peur ?\nJe le saurai : de tout mon c\u0153ur,\nJe le d\u00e9sire, douce amie\nDites-le moi, je vous en prie, 2516\nPourquoi serais-je malchanceux ?176 Chr\u00e9tien de Troyes\nPor moi fu dit, non por autrui ;\nbien ai la parole antandue. \u00bb\nLors fu molt Enyde esperdue, 2520\ngrant peor ot et grant esmai :\n\u00ab Sire, fet ele, je ne sai\nneant de quanque vos me dites.\n- Dame, por coi vos escondites ? 2524\nLi celers ne vos i valt rien :\nplor\u00e9 avez, ce voi ge bien ;\npor neant ne plorez vos mie ;\net an plorant ai ge oie 2528\nla parole que vos deistes.\n- Ha ! biax sire, onques ne l\u2019oistes,\nmes je cuit bien que ce fu songes.\n- Or me servez vos de man\u00e7onges 2532\napertemant vos oi mantir ;\nmes tart vandroiz au repantir,\nse voir ne me reconuissiez.\n- Sire, quant vos si m\u2019angoissiez, 2536\nla verit\u00e9 vos an dirai,\nja plus ne le vos celerai ;\nmes je criem qu\u2019il ne vos enuit.\nPar ceste terre dient tuit, 2540\nli blonc et li mor et li ros,\nque granz domages est de vos\nque voz armes antrelessiez.\nV ostre pris est molt abessiez : 2544\ntuit soloient dire l\u2019autre an\nqu\u2019an tot le mont ne savoit l\u2019an\nmeillor chevalier ne plus preu ;\nV ostres parauz n\u2019estoit nul leu ; 2548\nor se vont tuit de vos gabant,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 177\nCar c\u2019est \u00e0 moi, et non \u00e0 eux,\nQue cette parole fut dite ! \u00bb\n\u00c9nide en demeure interdite, 2520\nElle prend peur, est en \u00e9moi :\n\u00ab Sire, je ne sais pourquoi,\nNe sais de quoi vous me parlez.\n\u2014 Dame, pourquoi vous d\u00e9rober ? 2524\nMe le cacher ne sert \u00e0 rien :\nQue vous pleurez, je le vois bien.\nEt vous ne pleurez pas pour rien\nDans mon sommeil, je le sais bien, 2528\nJe vous ai entendu un peu.\n\u2014 Ah ! Sire, cela ne se peut !\nJe crois que ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019en songe. . .\n\u2014 Ne me servez pas de mensonges ! 2532\nJe vous entends bien me mentir,\nV ous devrez vous en repentir,\nSi ne dites la v\u00e9rit\u00e9 !\n\u2014 Sire, je suis si angoiss\u00e9e 2536\nQue la v\u00e9rit\u00e9 vous dirai,\nEt plus ne vous la cacherai.\nMais je crains qu\u2019elle vous ennuie !\nTout le monde, dans ce pays, 2540\nLes blonds et les bruns, et les roux,\nDisent que c\u2019est honte pour vous,\nQue vos armes abandonniez.\nV otre valeur en est abaiss\u00e9e. 2544\nL\u2019an dernier, disait tout le monde,\nIl n\u2019est de chevalier au monde\nQui soit meilleur ou plus vaillant,\nEt nul n\u2019allait vous \u00e9galant. 2548\nMaintenant on va se gaussant178 Chr\u00e9tien de Troyes\njuesne et chenu, petit et grant ;\nrecreant vos apelent tuit.\nCuidiez vos qu\u2019il ne m\u2019an enuit, 2552\nquant j\u2019oi dire de vos despit ?\nMolt me poise, quant an l\u2019an dit,\net por ce m\u2019an poise ancor plus\nqu\u2019il m\u2019an metent le blasme sus ; 2556\nblasmee an sui, ce poise moi,\net dient tuit reison por coi,\ncar si vos ai laci\u00e9 et pris\nque vos an perdez vostre pris, 2560\nne ne querrez a el antandre.\nOr vos an estuet consoil prandre,\nque vos puissiez ce blasme estaindre\net vostre premier los ataindre, 2564\ncar trop vos ai oi blasmer.\nOnques nel vos osai mostrer ;\nsovantes foiz, quant m\u2019an sovient,\nd\u2019angoisse plorer me covient 2568\nsi grant angoisse orainz en oi\nque garde prandre ne m\u2019an soi,\ntant que je dis que mar i fustes.\nDame, fet il, droit an e\u00fcstes, 2572\net cil qui m\u2019an blasment ont droit.\nApareilliez vos or androit,\npor chevauchier vos aprestez ;\nlevez de ci, si vos vestez 2576\nde vostre robe la plus bele\net feites metre vostre sele\nsor vostre meillor palefroi. \u00bb\nOr est Enyde an grant esfroi ; 2580\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 179\nJeunes et vieux, petits et grands,\nTous disent que vous \u00eates l\u00e2che. . .\nComprenez que cela me f\u00e2che 2552\nQuand j\u2019entends pour vous ce m\u00e9pris ?\nMe peine fort tout ce qu\u2019on dit,\nEt ce qui est pire pour moi,\nC\u2019est que la coupable c\u2019est moi. 2556\nOn met le bl\u00e2me sur mon front,\nCar tous disent que la raison\nEst que je vous ai enj\u00f4l\u00e9,\nQue votre valeur en perdez, 2560\nEt vous ne voulez rien entendre.\nAlors il vous faut vous reprendre,\nIl vous faut ce bl\u00e2me e \u000bacer\nRetrouver votre renomm\u00e9e ! 2564\nTrop vous ai entendu bl\u00e2mer,\nSans que j\u2019ose vous en parler. . .\nMais que de fois, je m\u2019en souviens,\nJ\u2019en ai pleur\u00e9, n\u2019en montrant rien ! 2568\nMais maintenant, cela fut pire,\nEt je n\u2019ai pu me retenir :\nDisant : \u201cQuel malheur c\u2019est pour lui !\u201d\n\u2014 Dame, fait-il, c\u2019est fort bien dit, 2572\nEt de m\u00eame pour tous ces gens ;\nPr\u00e9parez-vous donc, maintenant !\nAppr\u00eatez-vous \u00e0 chevaucher,\nQuittez ce lit, et rev\u00eatez 2576\nParmi vos robes, la plus belle,\nEt faites mettre votre selle,\nSur votre meilleur palefroi\u00b0. \u00bb\n\u00c9nide en ressent grand e \u000broi ; 2580180 Chr\u00e9tien de Troyes\nmolt se lieve triste et panssive\na li seule tance et estrive\nde la folie qu\u2019ele dist :\ntant grate chievre que mal gist. 2584\n\u00ab Ha ! fet ele, fole malveise,\nor estoie je trop a eise,\nqu\u2019il ne me failloit nule chose.\nHa ! lasse, por coi fui tant ose, 2588\nqui tel forssenaige osai dire ?\nDex ! don ne m\u2019amoit trop mes sire ?\nPar foi, lasse, trop m\u2019amoit il.\nOr m\u2019estuet aler an essil ; 2592\nmes de ce ai ge duel greignor\nque ge ne verrai mon seignor,\nqui tant m\u2019amoit de grant meniere\nque nule rien n\u2019avoit tant chiere. 2596\nLi miaudres qui onques fust nez\ns\u2019estoit si a moi atornez\nque d\u2019autre rien ne li chaloit.\nNule chose ne me failloit : 2600\nmolt estoie boene e\u00fcree,\nmes trop m\u2019a orguialz alevee,\nquant ge ai dit si grant oltraige ;\nan mon orguel avrai domaige 2604\net molt est bien droiz que je l\u2019aie :\nne set qu\u2019est biens qui mal n\u2019essaie.\nTant s\u2019est la dame demantee\nque bien et bel s\u2019est atornee 2608\nde la meillor robe qu\u2019ele ot ;\nmes nule chose ne li plot,\nein\u00e7ois li dut molt enuier..\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 181\nEn se levant, pensive et triste,\nElle s\u2019accuse et se d\u00e9teste,\nD\u2019avoir dit tout haut ce reproche :\n\u201c\u00c0 trop se gratter, on s\u2019\u00e9corche\u201d. 2584\n\u00ab Ah ! Fait-elle, folle, mauvaise,\nJ\u2019\u00e9tais vraiment trop \u00e0 mon aise !\nAlors que rien ne me manquait,\nPourquoi donc, et qu\u2019ai-je donc fait 2588\nEn disant cette chose-l\u00e0 ?\nMon sire ne m\u2019aimait-il pas ?\nH\u00e9las, il ne m\u2019aimait que trop,\nEt en exil aller me faut ! 2592\nCela me fait bien grande peur :\nJe ne verrai plus mon seigneur,\nQui m\u2019aimait tant, \u00e0 sa mani\u00e8re,\nEt qui n\u2019avait rien plus cher. 2596\nLe meilleur qui soit jamais n\u00e9\n\u00c9tait \u00e0 moi tout d\u00e9vou\u00e9,\nTant que rien d\u2019autre ne comptait,\nEt que pour moi, rien ne manquait ! 2600\nJ\u2019\u00e9tais parfaitement heureuse,\nMais aussi bien trop orgueilleuse,\nQuand j\u2019ai prof\u00e9r\u00e9 cet outrage,\nQui me cause un bien grand dommage ! 2604\nMais certes je l\u2019ai m\u00e9rit\u00e9,\nFait-on le bien sans mal risquer ? \u00bb\nElle s\u2019est longtemps lament\u00e9e,\nMais en m\u00eame temps a pass\u00e9, 2608\nLa plus belle robe qu\u2019elle eut.\nMais pour rien de go\u00fbt n\u2019avait plus,\nTout ne faisait que l\u2019ennuyer.182 Chr\u00e9tien de Troyes\nPuis a fet un suen escuier 2612\npar une pucele apeler,\nsi li comande a anseler\nson riche palefroi norrois ;\nonques meillor n\u2019ot cuens ne rois. 2616\nDes qu\u2019ele li ot comand\u00e9,\ncil n\u2019i a respit demand\u00e9 :\nle palefroi veir ansela.\nEt Erec un autre apela, 2620\nsi li comande a aporter\nses armes por son cors armer.\nPuis s\u2019an monta en unes loiges,\net \ufb01st un tapiz de Limoiges 2624\ndevant lui a la terre estandre ;\net cil corrut les armes prandre\ncui il l\u2019ot comand\u00e9 et dit,\nses aporta sor le tapit. 2628\nErec s\u2019asist de l\u2019autre part\nsor une ymage de liepart,\nqui el tapiz estoit portraite.\nPor armer s\u2019atorne et afaite : 2632\npremieremant se \ufb01st lacier\nunes chauces de blanc acier,\nun hauberc vest apr\u00e9s tant chier\nqu\u2019an n\u2019an puet maille detranchier 2636\nmolt estoit riches li haubers\nque an l\u2019androit ne an l\u2019anvers\nn\u2019ot tant de fer com une aguille,\nn\u2019onques n\u2019i pot coillir reoille, 2640\nque toz estoit d\u2019argent feitiz,\nde men\u00fces mailles tresliz ;\nsi ert ovrez si soutilmant\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 183\nEn\ufb01n, un de ses \u00e9cuyer, 2612\nPar une servante appel\u00e9,\nSon cheval lui a fait seller,\nSon riche palefroi\u00b0 norrois\u00b0\nMeilleur que n\u2019eut jamais nul roi. 2616\nEt d\u00e8s qu\u2019elle l\u2019a command\u00e9\nSans le moindre d\u00e9lai demand\u00e9,\nLe palefroi\u00b0 bai fut sell\u00e9.\n\u00c9rec un autre a appel\u00e9, 2620\nEt lui commande d\u2019apporter\nSes armes pour se faire armer.\nPuis il monte \u00e0 l\u2019une des loges\nEt un grand tapis de Limoges 2624\nDevant lui il a fait \u00e9tendre.\nIl est all\u00e9 ses armes prendre,\nComme il avait voulu et dit.\nOn les lui mit sur le tapis, 2628\nSur un c\u00f4t\u00e9, lui d\u2019autre part,\nSur l\u2019image d\u2019un l\u00e9opard,\nQui y \u00e9tait repr\u00e9sent\u00e9e,\nEt a commenc\u00e9 \u00e0 s\u2019armer. 2632\nOn lui a d\u2019abord bien lac\u00e9\nDes chausses de bon acier,\nPuis un haubert\u00b0 il a pass\u00e9\nDont la maille on ne peut trancher. 2636\nIl \u00e9tait pr\u00e9cieux, ce haubert\u00b0,\n\u00c0 l\u2019endroit tout comme \u00e0 l\u2019envers :\nDu fer il ne contenait pas\nEt de ce fait, ne rouillait pas ; 2640\nIl \u00e9tait d\u2019argent fa\u00e7onn\u00e9\nAvec des mailles si d\u00e9li\u00e9es,\nSi d\u00e9licatement travaill\u00e9es,184 Chr\u00e9tien de Troyes\ndire vos puis se\u00fcremant 2644\nque ja nus qui vestu l\u2019e\u00fcst\nplus las ne plus doillanz n\u2019an fust\nne que s\u2019e\u00fcst sor sa chemise\nune cote de soie mise. 2648\nLi sergent et li chevalier\nse prenent tuit a mervellier\npor coi il se feisoit armer,\nmes nus ne l\u2019ose demander. 2652\nQuant del hauberc I\u2019orent arm\u00e9,\nun hiaume a cercle d\u2019or jam\u00e9,\nqui plus cler reluisoit que glace,\nuns vaslez sor le chief li lace : 2656\npuis prant l\u2019espee, si la ceint.\nLors comanda qu\u2019an li amaint\nle bai de Gascoigne ansel\u00e9 ;\npuis a un vaslet apel\u00e9 : 2660\nVaslez, fet il, va tost et cor\nan la chanbre delez la tor\nou ma fame est ; va, se li di\nque trop me fet demorer ci ; 2664\ntrop a mis a li atorner ;\ndi li qu\u2019el veigne tost monter,\nque ge l\u2019atant. \u00bb Et cil i va ;\napareilliee la trova, 2668\nson plor et son duel demnenant ;\net cil li dist tot maintenant :\n\u00ab Dame, por coi demorez tant ?\nmes sires la hors vos atant, 2672\nde totes ses armes armez ;\ngrant piece a que il fust montez,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 185\nQue je peux dire, en v\u00e9rit\u00e9, 2644\nQue quiconque l\u2019aurait endoss\u00e9\nN\u2019en e\u00fbt \u00e9t\u00e9 incommod\u00e9\nPlus que si dessus sa chemise\nCotte de soie il avait mise. 2648\nLes sergents et les chevaliers\nTous se demandent, \u00e9tonn\u00e9s,\nPourquoi il se faisait armer\nMais nul ne l\u2019ose demander. 2652\nQuand du haubert\u00b0 on l\u2019eut arm\u00e9,\nUn heaume\u00b0 \u00e0 cercle d\u2019or gemm\u00e9\nQui plus reluisait qu\u2019une glace\nUn serviteur alors lui lace. 2656\nIl lui attache son \u00e9p\u00e9e,\nEt son cheval fait avancer,\nUn bai de Gascogne sell\u00e9.\nPuis il a valet appel\u00e9 : 2660\n\u00ab Valet, dit-il, va vite, cours,\nJusqu\u2019\u00e0 la chambre de la tour\nO\u00f9 est ma femme ; alors dis-lui\nQue trop me fait attendre ici. 2664\nTrop de temps \u00e0 se pr\u00e9parer,\nA mis pour jusqu\u2019ici monter,\nO\u00f9 je l\u2019attends. \u00bb Et il y va,\nMais d\u00e9j\u00e0 pr\u00eate la trouva, 2668\nToute pleurante et d\u00e9sol\u00e9e ;\nAlors il lui a demand\u00e9 :\n\u00ab Dame, pourquoi pleurez-vous tant ?\nV otre sire en bas vous attend : 2672\nDe toutes pi\u00e8ces s\u2019est arm\u00e9,\nDepuis longtemps serait mont\u00e9186 Chr\u00e9tien de Troyes\nse vos fussiez apareilliee. \u00bb\nMolt s\u2019est Enyde merveilliee 2676\nque ses sires ot an corage,\nmes de ce \ufb01st ele que sage,\ncar plus lieemant se contint\nqu\u2019ele pot, quant devant lui vint. 2680\nDevant lui vint en mi la cort,\net li rois Lac apr\u00e9s li cort ;\nchevalier corent qui mialz mialz :\nil n\u2019i remaint juenes ne chauz, 2684\nn\u2019aille savoir et demander\ns\u2019il an voldra nul d\u2019ax mener\nchascun s\u2019an porofre et presante,\nmes il lor jure et acreante 2688\nqu\u2019il n\u2019an manra ja conpaignon,\nse sa fame solemant non.\nEnsi dit qu\u2019il en ira seus ;\nmolt an est li rois angoisseus : 2692\n\u00ab Biax \ufb01lz, fet il, que viax tu fere ?\nMoi doiz tu dire ton afere,\nne me doiz nule rien celer ;\ndi moi quel part tu viax aler, 2696\nque, por rien nule que te die,\nne viax que an ta conpaignie\nescuiers ne chevaliers aille.\nSe tu as anprise bataille 2700\nseul a seul contre un chevalier,\npor ce ne doiz tu pas lessier\nque tu n\u2019an mainz une partie,\npor solaz et por conpaignie, 2704\nde tes chevaliers avoec toi :\nne doit seus aler \ufb01lz de roi.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 187\nS\u2019il vous avait su appr\u00eat\u00e9e. \u00bb\n\u00c9nide fut tr\u00e8s \u00e9tonn\u00e9e 2676\nEt se demande ce que veut\nSon sire, mais fait de son mieux,\nMontrant grande joyeuset\u00e9\nQuand devant lui s\u2019est pr\u00e9sent\u00e9e. 2680\nElle est descendue dans la cour ;\nLe roi Lac derri\u00e8re elle court,\nEt chevaliers \u00e0 qui mieux mieux !\nLes jeunes tout comme les vieux, 2684\nVeulent savoir et demander\nS\u2019il voudra bien les emmener.\nChacun ses services propose\nMais il leur dit non, et refuse : 2688\nN\u2019emm\u00e8nera nul compagnon,\nSa femme et lui seuls s\u2019en iront,\nIl leur jure que seul ira.\nLe roi se d\u00e9sole d\u00e9j\u00e0 : 2692\n\u00abCher \ufb01ls, dit-il, que veux-tu faire ?\nTu dois me dire quelle a \u000baire\nTu entreprends, sans rien cacher.\nDis-moi par o\u00f9 tu veux aller, 2696\nPour que, malgr\u00e9 ce qu\u2019on te dit\nTu ne veuilles de compagnie,\nNi chevalier ni \u00e9cuyer.\nSi m\u00eame tu veux batailler 2700\nSeul \u00e0 seul contre un chevalier,\nTu ne dois pourtant oublier\nD\u2019emmener pour t\u2019accompagner\nQuelques-uns de tes chevaliers ; 2704\nSeul et sans compagnie, je crois\nNe doit aller un \ufb01ls de roi !188 Chr\u00e9tien de Troyes\nBiax \ufb01lz, fai chargier tes somiers,\net mainne de tes chevaliers 2708\n. XXX. 0u. XL. , ou plus ancor ;\nsi fai porter argent et or,\net quanguil covient a prodome. \u00bb\nErec respont a la parsome, 2712\net li conte tot ; et devise\nComant il a sa voie anprise :\n\u00ab Sire, fet il, ne puet autre estre ;\nja n\u2019an manrai cheval an destre ; 2716\nn\u2019ai que feire d\u2019or ne d\u2019argent,\nne d\u2019escuier, ne de sergernt,\nne conpaignie ne demant,\nfors de ma fame seulemant. 2720\nMes je vos pri, que qu\u2019il aveigne,\nse ge muir et ele reveigne,\nque vos l\u2019amoiz et tenez chiere,\npor m\u2019amor et por ma proiere, 2724\net la miti\u00e9 de vostre terre\nquite, sanz bataille et sanz guerre,\nli otroiez tote sa vie. \u00bb\nLi rois ot que ses \ufb01lz li prie 2728\net dist : \u00ab Biax \ufb01lz, je li otroi.\nMes de ce que aler t\u2019an voi\nsanz conpaignie, ai molt grant duel :\nja ne le feisses, mon vuel. 2732\nSire, ne puet estre autremant.\nJe m\u2019an vois, a Deu vos comant ;\nmes de mes conpaignons pansez,\nchevax et armes lor donez 2736\net quanqu\u2019a chevaliers estuet. \u00bb\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 189\nMon \ufb01ls, fais charger tes sommiers\nEt prends, parmi tes chevaliers 2708\nTrente ou quarante ou plus encore,\nFais leur porter argent et or,\nTout ce qu\u2019il faut aux nobles gens. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond \ufb01nalement, 2712\nEn lui disant tout le pourquoi\nEt le comment pour un tel choix :\n\u00ab Sire, fait-il, n\u2019en ferai rien,\nPas de cheval en plus du mien, 2716\nEt n\u2019ai que faire d\u2019or et d\u2019argent,\nNi d\u2019\u00e9cuyer, ni de sergent,\nDe compagnie je n\u2019ai besoin\nQue de ma femme, et d\u2019autre, point. 2720\nMais je vous en prie, si je meurs\nEt qu\u2019elle rentre en sa demeure,\nPour l\u2019amour de moi, aimez-la,\nEt ma pri\u00e8re, exaucez-la : 2724\nLa moiti\u00e9 de toutes vos terres\nSans contestation ni de guerre\nOctroyez-lui, toute sa vie ! \u00bb\nLe roi, ce dont \u00c9rec le prie 2728\nEntend, et dit : \u00ab Je lui octroie !\nMais quand m\u00eame, quand je te vois\nPartir ainsi, seul, j\u2019en ressens\nPour toi un grand chagrin, vraiment. 2732\n\u2014 Sire, je pars comme je veux ;\nEt je vous recommande \u00e0 Dieu.\nMais mes compagnons n\u2019oubliez :\nChevaux et armes leur donnez, 2736\nTout ce qu\u2019il faut \u00e0 chevalier. \u00bb190 Chr\u00e9tien de Troyes\nDel plorer tenir ne se puet\nli rois, quant de son \ufb01l depart ;\nles genz replorent d\u2019autre part ; 2740\ndames et chevalier ploroient,\npor lui molt grant duel demenoient :\nn\u2019i a un seul qui duel n\u2019an face,\nmaint s\u2019an pasmerent an la place. 2744\nPlorant le beisent et acolent,\na po que de duel ne s\u2019afolent ;\nne cuit que greignor duel feissent,\nse a mort navr\u00e9 le veissent. 2748\nEt il lor dist por reconfort :\nSeignor, por coi plorez si fort ?\nje ne sui pris ne mahaigniez ;\nan cest duel rien ne gahaigniez. 2752\nSe je m\u2019an vois, je revanrai\nquant Deu pleira et je porrai.\nToz et totes vos comant gi\u00e9\na Deu, si me donez congi\u00e9, 2756\nque trop me feites demorer,\net ce que je vos voi plorer\nme fet grant mal et grant enui.\nA Deu les comande, et il lui ; 2760\ndeparti sont a molt grant poinne.\nErec s\u2019an va, sa fame an moinne,\nne set Ou, mes en avanture.\n\u00ab Alez, fet il, grant ale\u00fcre, 2764\net gardez ne soiez tant ose\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 191\nAu roi ne reste qu\u2019\u00e0 pleurer\nQuand il voit son \ufb01ls le quitter,\nEt tous en sont tr\u00e8s chagrin\u00e9s. 2740\nDames et chevaliers pleuraient\nEt pour lui ils se lamentaient,\nPersonne ici qui deuil n\u2019en fasse\nCertains m\u00eame p\u00e2ment sur place, 2744\nPleurant, lui donnent des baisers ;\nJe crois qu\u2019ils sont si d\u00e9sol\u00e9s,\nLeur deuil ne serait pas plus fort\nS\u2019ils le voyaient bless\u00e9 ou mort. 2748\nIl dit, pour les r\u00e9conforter :\n\u00abSeigneurs, pourquoi donc tant pleurer ?\nNe suis bless\u00e9, ni prisonnier !\nV otre deuil est injusti\ufb01\u00e9 ! 2752\nJe pars, mais je vous reviendrai\nQuand Dieu voudra, et je pourrai.\n\u00c0 Dieu vous recommande tous,\nEt m\u00eame chose attend de vous. 2756\nV ous m\u2019avez trop fait m\u2019attarder\nDe vous voir aussi d\u00e9sol\u00e9s,\nCela me cause un grand ennui.\n\u00c0 Dieu les recommande \u2014 eux, lui. 2760\nEt ils s\u2019en vont \u00e0 grande peine.\nMauvaises rencontres\nPremi\u00e8re Rencontre\n\u00c9rec s\u2019en va, sa femme emm\u00e8ne,\nSans savoir o\u00f9, \u00e0 l\u2019aventure.\n\u00ab Allez, dit-il, \u00e0 toute allure, 2764\nEt gardez-vous bien de me dire192 Chr\u00e9tien de Troyes\nque, se vos veez nule chose,\nne me dites ne ce ne quoi ;\ntenez vos de parler a moi, 2768\nse ge ne vos aresne avant.\nAlez grant ale\u00fcre avant\net chevauchiez tot a se\u00fcr,\nSire, fet ele, a boen e\u00fcr. \u00bb 2772\nDevant s\u2019est mise, si se tot ;\nli uns a l\u2019autre ne dit mot,\nmes Enyde fu molt dolante\na li seule molt se demante, 2776\nso\u00afef an bas, que il ne l\u2019oie.\n\u00ab H\u00e9 ! lasse, fet ele, a grant joie\nm\u2019avoit Dex mise et essauciee,\nor m\u2019a an po d\u2019ore abessiee. 2780\nFortune, qui m\u2019avoit atreite,\na tost a li sa main retreite ;\nde ce ne me chaussist il, lasse !\ns\u2019a mon seignor parler osasse ; 2784\nmes de ce sui morte et traie,\nque mes sires m\u2019a anhaie.\nAnhaie m\u2019a, bien le voi,\nquant il ne vialt parler a moi, 2788\nne je tant hardie ne sui\nque je os regarder vers lui. \u00bb\nQue qu\u2019ele se demante ensi,\nuns chevaliers del bois issi, 2792\nqui de roberie vivoit ;\ndeus conpaignons olui avoit,\net s\u2019estoient arm\u00e9 tuit troi.\nMolt coveita le palefroi 2796\nqu\u2019Enyde venoit chevalchant.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 193\nSi vous voyez quelqu\u2019un venir.\nNe me dites rien de cela,\nSurtout \u00e0 moi ne parlez pas, 2768\nSi d\u2019abord je ne parle, moi !\nAllez vivement devant moi,\nEt l\u00e0, sans crainte, chevauchez.\n\u2014 Sire, fait-elle, volontiers ! \u00bb 2772\nEn avant chevauche et se tait ;\nAucun des deux mot ne disait.\nMais \u00c9nide est bien d\u00e9sol\u00e9e,\nEt n\u2019ose pas se lamenter 2776\nSauf \u00e0 voix basse, qu\u2019il n\u2019entende.\n\u00ab Pauvre de moi ! Je me demande\n\u00c0 quoi Dieu m\u2019avait destin\u00e9e,\nPour m\u2019avoir ainsi abaiss\u00e9e ? 2780\nLe sort m\u2019avait tendu sa main,\nPour me l\u2019\u00f4ter le lendemain !\nDe cela n\u2019aurais nulle peur,\nSi j\u2019en parlais \u00e0 mon seigneur. . . 2784\nMais de douleur je perds la t\u00eate\nDe voir que mon sire me d\u00e9teste.\nIl me d\u00e9teste, je le vois\nPuisqu\u2019il ne veut parler \u00e0 moi. 2788\nEt moi ne suis pas si hardie\nPour oser m\u2019adresser \u00e0 lui ! \u00bb\nComme elle se plaignait ainsi\nUn chevalier du bois sortit, 2792\nUn chevalier plut\u00f4t pillard,\nAccompagn\u00e9 de deux soudards\nIls \u00e9taient arm\u00e9s tous les trois ;\nLui convoitait le palefroi\u00b0, 2796\nQu\u2019\u00c9nide menait, chevauchant.194 Chr\u00e9tien de Troyes\n\u00ab Savez, seignor, que vos atant ?\nfet il a ses deus conpeignons.\nSe nos ici ne gaaignons, 2800\nhoni somes et recreant\net a mervoilles mescheant.\nCi vient une dame molt bele ;\nne sai s\u2019ele est dame ou pucele, 2804\nmes molt est richemant vestue :\nses palefroiz et sa sanbue,\net ses peitrax et ses lorains,\nvalent vint mars d\u2019argent au mains. 2808\nLe palefroi voel je avoir\net vos aiez tot l\u2019autre avoir,\nja plus n\u2019an quier a ma partie.\nLi chevaliers n\u2019an manra mie 2812\nde la dame, se Dex me saut ;\nje li cuit feire tel asaut,\nce. vos di bien certeinnemant,\nqu\u2019il conparra molt chieremant ; 2816\npor ce est droiz que ge i aille\nfeire la premiere bataille. \u00bb\nIl li otroient, et cil joint,\ntot droit desoz l\u2019escu se joint ; 2820\net li dui remestrent an sus.\nAdonc estoit costume et us\nque dui chevalier a un poindre\nne devoient a un seul poindre, 2824\net, s\u2019il l\u2019e\u00fcssent anvai,\nvis fust qu\u2019il l\u2019e\u00fcssent trai.\nEnyde vit les robeors :\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 195\nLes chevaliers pillards\n\u00ab Seigneurs, voyez qui nous attend ?\nDit-il \u00e0 ses deux compagnons.\nSi cela prendre ne pouvons, 2800\nBons \u00e0 rien et l\u00e2ches serons,\nOu bien trop de malchance aurons !\nS\u2019en vient vers nous fort belle femme :\nNe sais si elle est \ufb01lle ou dame, 2804\nMais riches sont ses v\u00eatements. . .\npalefroi\u00b0 et harnachement,\nAvec la selle et le licou\nValent vraiment plus de cent sous ! 2808\nC\u2019est le palefroi\u00b0 que je veux\nLe reste sera pour vous deux.\nJe ne demande rien de plus,\nLe chevalier rien n\u2019aura plus, 2812\nDe ce que la Dame amenait :\nUn si dur assaut lui ferai,\nJe vous le dis, assur\u00e9ment,\nQue cher lui co\u00fbtera, vraiment. 2816\n\u00c0 moi revient cette bataille\nEt c\u2019est le moment que j\u2019y aille. \u00bb\n\u00c0 leur bon gr\u00e9, pique des deux,\nSous son \u00e9cu\u00b0 se plie en deux, 2820\nEt les deux autres restent l\u00e0 ;\nC\u2019\u00e9tait coutume en ce temps-l\u00e0,\nQue deux chevaliers ne devaient\n\u00c0 un seul s\u2019en prendre, jamais. 2824\nEt s\u2019ils s\u2019y \u00e9taient attaqu\u00e9s,\nTra\u00eetres seraient consid\u00e9r\u00e9s.\n\u00c9nide en voyant les brigands196 Chr\u00e9tien de Troyes\nmolt l\u2019an est prise granz peors. 2828\n\u00ab Dex, fet ele, que porrai dire ?\nOr iert ja morz ou pris mes sire,\ncar cil sont troi et il est seus ;\nn\u2019est pas a droit partiz li jeus 2832\nd\u2019un chevalier ancontre trois ;\ncil le ferra ja demenois,\nque mes sires ne s\u2019an prant garde.\nDex ! serai je donc si coarde 2836\nque dire ne li oserai ?\nJa si coarde ne serai ;\njel li dirai, nel leirai pas. \u00bb\nVers lui se torne en es le pas 2840\net dist : \u00ab Biau sire, ou pansez vos ?\nCi vienent poignant apr\u00e9s vos\ntroi chevalier qui molt vos chacent\npeor ai que mal ne vos facent. 2844\n-Cui ? fet Erec, qu\u2019avez vos dit ?\nOr me prisiez vos trop petit\nTrop avez fet grant hardemant,\nqui avez mon comandermant 2848\net ma desfanse trespassee.\nCeste foiz vos iert pardonee,\nmes, s\u2019autre foiz vos avenoit,\nja pardon\u00e9 ne vos seroit. \u00bb 2852\nLors torne l\u2019escu et la lance,\ncontre le chevalier se lance ;\ncil le voit venir, si l\u2019escrie.\nQuant Erec l\u2019ot, si le des\ufb01e ; 2856\nandui poignent, si s\u2019antre vier.ent,\nles lances esloigniees tienent ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 197\nFut prise d\u2019un e \u000broi tr\u00e8s grand. 2828\n\u00ab Mon Dieu, fait-elle, ne rien dire ?\nIl sera mort ou pris, mon sire,\nCar il est seul, et ils sont trois !\nCe n\u2019est pas un combat bien droit 2832\nQu\u2019un chevalier seul contre trois ;\nCelui-l\u00e0 va frapper, je vois,\nMon seigneur qui n\u2019y prend pas garde !\nSerais-je donc assez couarde 2836\nQue lui dire je n\u2019oserais ?\nNon, vraiment, je ne le serai.\nLui dirai, n\u2019y manquerai pas. \u00bb\nAussit\u00f4t vers lui se tourna, 2840\nDisant : \u00ab Sire, \u00e0 quoi pensez-vous ?\nV oyez ceux qui foncent sur vous !\nTrois chevaliers vous font la chasse\nEt je crains fort que mal vous fassent ! 2844\n\u2014 Quoi, fait \u00c9rec, que dites-vous ?\nEt pour si peu m\u2019estimez-vous ?\nV ous \u00eates vraiment trop hardie\nD\u2019ignorer ce que je vous dis, 2848\nEt ma d\u00e9fense outrepasser !\nCette fois serez pardonn\u00e9e ;\nMais ne recommencez jamais,\nCar plus ne vous pardonnerai. \u00bb 2852\nAlors prend son \u00e9cu, sa lance,\nContre le chevalier s\u2019\u00e9lance.\nEn le voyant l\u2019autre a cri\u00e9 ;\n\u00c9rec alors l\u2019a d\u00e9\ufb01\u00e9. 2856\nChacun piquant des \u00e9perons,\nLance en arr\u00eat, sur l\u2019autre fond.198 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes cil a a Erec failli,\net Erec a lui maubailli 2860\nque bien le sot droit anvair.\nSor l\u2019escu \ufb01ert de tel a\u00efr\nque d\u2019un chief en autre le fant,\nne li haubers ne li desfant : 2864\nen mi le piz le fraint et ront,\net de la lance li repont\npi\u00e9 et demi dedanz le cors.\nAu retrere a son cop estors, 2868\net cil chei ; morir l\u2019estut,\ncar li glaives el cuer li but.\nLi uns des autres deus s\u2019eslesse,\nson conpaignon arrieres lesse ; 2872\nvers Erec point, si le menace.\nErec l\u2019escu del col anbrace,\nsi le requiert come hardiz ;\ncil met l\u2019escu devant le piz, 2876\nsi se \ufb01erent sor les blazons.\nLa lance vola an tron\u00e7ons\nau chevalier de l\u2019autre part ;\nErec de sa lance le quart 2880\nli \ufb01st par mi le cors passer.\nCist nel fera hui mes lasser :\npasm\u00e9 jus del destrier l\u2019anversse,\npuis point a l\u2019autre a la traversse. 2884\nQuant cil le vit vers lui venir,\nsi s\u2019an coman\u00e7a a fo\u00efr :\npeor ot, ne l\u2019osa atandre ;\nan la forest cort recet prandre. 2888\nMes li foirs rien ne li vaut :\nErec l\u2019anchauce et crie an haut\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 199\nSi le brigand manque son coup\n\u00c9rec ne l\u2019a manqu\u00e9 du tout, 2860\nCar il a su frapper tout droit\nSur son \u00e9cu, de tout son poids,\nEt l\u2019a fendu de haut en bas.\nSon haubert\u00b0 ne l\u2019arr\u00eate pas : 2864\nEn pleine poitrine a perc\u00e9,\nEt lui a pass\u00e9 plus d\u2019un pied\nDe sa lance \u00e0 travers le corps.\nEn tournant, la d\u00e9gage encore, 2868\nEt l\u2019autre s\u2019e \u000bondre ; il se meurt,\nCar la pointe a perc\u00e9 son c\u0153ur.\nL\u2019un des autres s\u2019est \u00e9lanc\u00e9,\nSon compagnon, il a laiss\u00e9 ; 2872\nVers \u00c9rec fonce et le menace.\n\u00c9rec l\u2019\u00e9cu\u00b0 \u00e0 son bras passe\nEt l\u2019attaque en homme hardi ;\nL\u2019autre a mis l\u2019\u00e9cu\u00b0 devant lui : 2876\nIls se frappent sur leurs blasons.\nUne lance vole en tron\u00e7ons,\nCelle du chevalier pillard ;\n\u00c9rec lui fait passer le quart 2880\nDe la sienne au travers du corps.\nNe lui co\u00fbtera plus d\u2019e \u000borts :\n\u00c9vanoui, le jette \u00e0 bas,\nEt pique vers l\u2019autre, l\u00e0-bas. 2884\nQuand celui-ci le voit venir\nAussit\u00f4t commence \u00e0 s\u2019enfuir :\nIl eut peur et n\u2019osa l\u2019attendre ;\nRefuge en le bois courut prendre, 2888\nMais la fuite rien ne lui vaut.\n\u00c9rec le poursuit, criant haut :200 Chr\u00e9tien de Troyes\n\u00ab Vasax, vasax, \u00e7a vos tornez,\ndel desfandre vos atornez, 2892\nOu ge vos ferrai an fuiant\nvostre fuie ne valt neant. \u00bb\nMes cil del retorner n\u2019a cure,\nfuiant s\u2019an vet grant ale\u00fcre ; 2896\nErec lo chace, si l\u2019ataint,\na droit le \ufb01ert sor l\u2019escu paint,\nsi l\u2019anversse de l\u2019autre part ;\nde ces trois n\u2019a il mes regart : 2900\nl\u2019rbrzen a mort, l\u2019autre navr\u00e9,\nsi s\u2019est del tierz si delivr\u00e9\nqu\u2019a pi\u00e9 l\u2019a jus del destrier mis.\nToz les trois chevax en a pris, 2904\nses lie par les frains ansanble ; -\nli uns l\u2019autre de poil dessanble\nli premiers fu blans come leiz,\nli seconz noirs, ne fu pas leiz, 2908\net li tierz fu trestoz veiriez.\nA son chenin est repeiriez,\nla ou Enyde l\u2019atandoit.\nLes trois chevax li comandoit 2912\ndevant li mener et chacier,\net molt la prist a menacier\nqu\u2019ele ne soit plus si hardie -\nc\u2019un seul mot de la boche die, 2916\nse il ne l\u2019an done congi\u00e9. -\nEle respont : Nel ferai gi\u00e9\nja mes, biax sire, se vos plest. \u00bb\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 201\n\u00ab Vassal\u00b0, vassal, retournez-vous !\n\u00c0 vous d\u00e9fendre, appr\u00eatez-vous, 2892\nOu fuyant vous frapperai bien,\nV otre fuite ne sert \u00e0 rien ! \u00bb\nMais l\u2019autre d\u2019ob\u00e9ir n\u2019a cure,\nEt il s\u2019enfuit \u00e0 toute allure ; 2896\n\u00c9rec le poursuit, et l\u2019atteint,\nLe frappe en plein sur l\u2019\u00e9cu\u00b0 peint,\nEt le fait tomber de c\u00f4t\u00e9 ;\nD\u2019eux n\u2019a plus rien \u00e0 redouter : 2900\nL\u2019un a tu\u00e9, l\u2019autre bless\u00e9,\nDu troisi\u00e8me est d\u00e9barrass\u00e9,\n\u00c0 bas du destrier l\u2019a mis.\nLeurs trois chevaux, il les a pris, 2904\nAttach\u00e9s par le frein ensemble.\nLeurs pelages ne se ressemblent :\nLe premier est blanc comme lait,\nLe second noir, et n\u2019est pas laid, 2908\nLe troisi\u00e8me est tout tachet\u00e9.\nVers le chemin est retourn\u00e9\nL\u00e0 o\u00f9 \u00c9nide \u00e9tait rest\u00e9e.\nLes chevaux lui a command\u00e9 2912\nDe conduire devant et pousser,\nEt se mit \u00e0 la menacer\nQu\u2019elle ne montre plus d\u2019audace,\nQu\u2019un seul mot elle ne prononce 2916\nSans qu\u2019il ne le lui ait permis.\n\u00ab Jamais plus, beau sire, elle a dit,\nNe le ferai, puisqu\u2019il vous pla\u00eet. \u00bb202 Chr\u00e9tien de Troyes\nLors s\u2019an vont, et ele se test. 2920\nN\u2019orent pas une liue alee,\nquant devant, en une valee,\nlor vindrent cinc chevalier autre,\nchascuns la lance sor le fautre, 2924\nles escuz as cos anbraciez\net les hiaumes bruniz laciez :\nroberie querant aloient.\nA tant la dame venir voient, 2928\nqui les trois chevax amenoit,\net Erec qui apr\u00e9s venoit.\nTot maintenant que il les virent,\npar parole antr\u2019ax departirent 2932\ntrestot le hernois autresi\ncon s\u2019il an fussernt ja garni.\nMale chose a en covoitise,\nmes ne fu pas a lor devise 2936\nque bien i fu mise desfansse ;\nassez remaint de ce qu\u2019an pansse,\net tex cuide prandre qui faut :\nsi \ufb01rent il a cel assaut. 2940\nCe dist li uns que il avroit\nla dame ou il toz an morroit\net li autres dist que suens iert\nli destriers veirs, que plus n\u2019an quiert 2944\nde trestot le gaaing avoir ;\nli tierz dist qu\u2019il avroit le noir ;\nEt je le blanc \u00bb, ce dist li quarz\nli quinz ne fu mie coarz, 2948\nqu\u2019il \u00afdist qu\u2019il avroit le destrier\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 203\nDeuxi\u00e8me rencontre\nIls s\u2019en vont, et elle se tait. 2920\nIls n\u2019avaient pas fait une lieue\nQue dans la vall\u00e9e devant eux,\nViennent cinq autres chevaliers\nLance sur feutre repos\u00e9e, 2924\nL\u2019\u00e9cu\u00b0 au cou, et bien plac\u00e9,\nHeaumes\u00b0 brunis et bien lac\u00e9s,\nAllant en qu\u00eate de butin.\nIls voient cette dame qui vient, 2928\ntenant les trois chevaux en main,\n\u00c9rec aussi, qui apr\u00e8s vient.\nEt tout aussit\u00f4t qu\u2019ils les virent,\nEn paroles, se r\u00e9partirent 2932\nTout l\u2019\u00e9quipage, comme si\nIls s\u2019en \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 saisi.\nBien mauvaise est la convoitise !\nMais n\u2019ont pas trouv\u00e9 \u00e0 leur guise 2936\nQue l\u2019on puisse y mettre d\u00e9fense ;\nTout n\u2019est pas toujours comme on pense,\nEt tel croit prendre, qui rien n\u2019a :\nAinsi fut-il, en ce combat. 2940\nL\u2019un dit que cette dame aurait\nPour lui seul, ou qu\u2019il mourrait.\nL\u2019autre dit qu\u2019il ferait le sien\nDu destrier vair\u00b0, et ne veut rien 2944\nDu butin, en plus, recevoir.\nLe troisi\u00e8me, qu\u2019il prend le noir ;\n\u00ab Moi, le blanc \u00bb, dit le quatri\u00e8me.\nNe fut pas poltron le cinqui\u00e8me, 2948\nDisant qu\u2019il aurait le destrier,204 Chr\u00e9tien de Troyes\net les armes au chevalier :\nseul a seul les voloit conquerre, -\net si l\u2019iroit premiers requerre, 2952\nse il le congi\u00e9 l\u2019an donoient.\nEt cil volantiers li otroient.\nLors se part d\u2019ax et vient avant,\ncheval ot boen et bien movant. 2956\nErcc le vit et sanblant \ufb01st\nqu\u2019ancor garde ne s\u2019an preist.\nQuant Enyde les ot vei\u00fcz,\ntot li sans li est esme\u00fcz ; 2960\ngrant peor ot et grant esmai\n\u00ab Lasse, fet ele, que ferai ?\nNe sai que die ne que face,\nque mes sires molt me menace 2964\net dit qu\u2019il me fera enui,\nse je de rien paroil a lui.\nMes se mes sires ert ci morz,\nde moi ne seroit nus conforz 2968\nmorte seroie et mal baillie.\nDex ! mes sire ne le voit mie ;\nqu\u2019atant je dons, malveise fole ?\nTrop ai or chiere ma parole, 2972\nquant je ne li ai dit pie\u00e7\u2019a.\nBien sai que cil qui vienent \u00e7a\nsont de mal faire ancoragi\u00e9.\nHa ! Dex, comant li dirai gi\u00e9 ? 2976\nIl m\u2019ocirra. Asez m\u2019ocie !\nne leirai que je ne li die. \u00bb\nLors l\u2019apele dolcemant : \u00ab Sire.\n- Cui ? fet il, que volez vos dire ? 2980\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 205\nEt les armes du chevalier,\nConquis en combat singulier.\nIl attaquera le premier, 2952\nS\u2019ils lui en donnent permission.\nEt les autres n\u2019ont pas dit non.\nAlors s\u2019\u00e9carte, et vient avant,\nSur un bon cheval, bien allant ; 2956\n\u00c9rec le vit, et semblant \ufb01t\nQu\u2019encore garde n\u2019y ait pris.\nQuand \u00c9nide les aper\u00e7ut,\nTout son sang en elle s\u2019\u00e9mut, 2960\nEn eut grand peur et grand \u00e9moi :\n\u00ab H\u00e9las ! Dit-elle, pauvre de moi !\nNe sais que faire ne que dire,\nPuisque me menace mon sire, 2964\nEt dit que c\u2019est malheur pour moi\nSi je lui dis quoi que ce soit.\nMais s\u2019il trouvait ici la mort,\nComment s\u2019en consoler, alors ? 2968\nJe serais morte, et \u00e9perdue. . .\nDieu ! Mon Seigneur, lui, n\u2019a rien vu.\nQu\u2019attends-je donc, mauvaise folle ?\nTrop ai tenu \u00e0 ma parole 2972\nEn ne lui voulant dire rien.\nCeux qui viennent, je le sais bien,\nOnt de mauvaises intentions.\nLui dire ? De quelle fa\u00e7on ? 2976\nIl me tuera. Eh bien ! Tant pis !\nNe puis faire autre que ceci. \u00bb\nLors doucement l\u2019appelle : \u00ab Sire. . .\n\u2014 Quoi ? Fait-il, que voulez-dire ? 2980206 Chr\u00e9tien de Troyes\n- Sire, merci ! dire vos vuel\nque desbunchi\u00e9 sont de ce bruel\ncinc chevalier, don je m\u2019esmai ;\nbien pans et aparce\u00fc ai 2984\nqu\u2019il se voelent a vos conbatre ;\narrieres sont rem\u00e9s li quatre,\net li cinquiesmes a vos muet\ntant con chevax porter le puet ; 2988\nne gart l\u2019ore que il vos \ufb01ere ;\nli catre sont rem\u00e9s arriere,\nmes ne sont gaires de ci loing\ntuit le secorront au besoing. \u00bb 2992\nErec respont : \u00ab Mar le pansastes,\nque ma parole trespassastes\nce que desfandu vos avoie ;\net ne por quant tres bien savoie 2996\nque gueres ne mne priseiez.\nCest servise mal anpleiez,\nque ge ne vos an sai nul gr\u00e9 :\nbien sachiez que ge vos an h\u00e9 : 3000\ndit le vos ai et di ancore.\nAncor le vos pardonrai ore ;\nmes autre foiz vos an gardez,\nne ja vers moi ne regardez, 3004\nque vos feriez molt que fole,\ncar je n\u2019aim pas vostre parole.\nLors point Erec contre celui,\nsi s\u2019antre vienent amedui : 3008\nl\u2019uns anvaist l\u2019autre et requiert.\nErec si duremant le \ufb01ert\nque li escuz del col li vole,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 207\n\u2014 Sire, piti\u00e9 ! V ous dire dois\nQue sont d\u00e9bouch\u00e9s de ce bois\nCinq chevaliers qui m\u2019ont \u00e9mue. . .\nJe pense, pour les avoir vus, 2984\nQu\u2019\u00e0 vous ils veulent s\u2019attaquer.\nQuatre en arri\u00e8re sont rest\u00e9s ;\nLe cinqui\u00e8me vers vous se meut\nAussi vite qu\u2019un cheval peut ; 2988\nNe va pas tarder \u00e0 frapper.\nLes quatre en arri\u00e8re rest\u00e9s\nNe sont cependant pas bien loin ;\nLe secourront au besoin. \u00bb 2992\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab C\u2019est mal \u00e0 vous\nD\u2019avoir ainsi enfreint en tout\nCe que d\u00e9fendu je vous ai ;\nPourtant, certes, je le savais, 2996\nQue bien trop peu vous m\u2019estimiez.\nV otre z\u00e8le est mal employ\u00e9 ;\nJe ne vous en saurai nul gr\u00e9,\nSachez-le, j\u2019en suis courrouc\u00e9 ; 3000\nV ous l\u2019ai dit, le r\u00e9p\u00e8te encore !\nCette fois, vous pardonne encore,\nMais \u00e0 l\u2019avenir, croyez-moi,\nNe vous occupez plus de moi, 3004\nCe serait l\u00e0 grande folie.\nJe hais que vous parliez ainsi. \u00bb\nAlors \u00c9rec pique vers l\u2019autre.\nIls se sont heurt\u00e9s l\u2019un \u00e0 l\u2019autre ; 3008\nTous deux s\u2019attaquent et se d\u00e9\ufb01ent.\n\u00c9rec un tel coup lui a mis\nQue son \u00e9cu\u00b0 a fait voler208 Chr\u00e9tien de Troyes\net si li brise la chanole ; 3012\nli estri\u00e9 ronpent et cil chiet ;\nn\u2019a peor que il s\u2019an reliet,\nque molt s\u2019est quassez et bleciez.\nUns des autres s\u2019est adreciez, 3016\nsi s\u2019antre vienent de randon.\nErec li met tot a bandon\ndesoz le manton an la gorge\nle fer tranchant de boene forge ; 3020\ntoz tranche les os et les ners\nque d\u2019autre part an saut li fers.\nLi sans vermauz toz chauz an raie\nd\u2019anbedeus parz par mi la plaie ; 3024\nl\u2019ame s\u2019an va, li cuers li faut.\nEt li tierz de son agait saut,\nqui d\u2019autre part d\u2019un gu\u00e9 estoit ;\npar mi le gu\u00e9 s\u2019an vint tot droit. 3028\nErec point, si l\u2019a ancontr\u00e9\nainz qu\u2019il par, fust issuz del gu\u00e9 ;\nsi bien le \ufb01ert que il abat\net lui et le destrier tot plat ; 3032\nli destriers sor le cors li jut\ntant qu\u2019an l\u2019eve morir l\u2019estut,\net li chevax tant s\u2019esfor\u00e7a\nqu\u2019a quelque poinne se dre\u00e7a. 3036\nEnsi en a les trois conquis ;\nli autre dui ont consoil pris\nque la place li guerpiront,\nne ja a lui ne chanpiront : 3040\nfuiant s\u2019an vont par la riviere.\nErec les anchauce derrier\u02db e,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 209\nEt sa clavicule a bris\u00e9. 3012\n\u00c9triers rompus, il s\u2019a \u000baisse ;\nPas de danger qu\u2019il se redresse,\nTant il est meurtri et bless\u00e9.\nL\u2019un des autres s\u2019est pr\u00e9sent\u00e9 : 3016\nS\u2019entrechoquent \u00e0 toute force.\n\u00c9rec d\u2019un seul coup lui enfonce\nSous le menton, dedans la gorge,\nSon fer tranchant de bonne forge ; 3020\nTranche tous les os et les nerfs\nSon fer ressortant par derri\u00e8re.\nEt le sang tout chaud et vermeil\nDe la plaie doublement ruisselle : 3024\nL\u2019\u00e2me part, le c\u0153ur fait d\u00e9faut.\nLe troisi\u00e8me sort aussit\u00f4t\nDe sa cache, au-del\u00e0 du gu\u00e9 ;\nLe traversant, il est all\u00e9. 3028\n\u00c9rec l\u2019a vite rencontr\u00e9\nAvant qu\u2019il soit sorti du gu\u00e9 ;\nLe frappe si bien qu\u2019il met bas\nHomme et cheval tout \u00e0 la fois. 3032\nLe destrier sur lui tomb\u00e9,\nIl lui fallut mourir noy\u00e9,\nEt le cheval tant s\u2019e \u000bor\u00e7a\nQu\u2019\u00e0 grand-peine se redressa. 3036\nAinsi s\u2019est de trois d\u00e9livr\u00e9 ;\nLes deux autres ont d\u00e9cid\u00e9\nQue de ce lieu d\u00e9guerpiront,\nEt que combat ne livreront : 3040\nIls fuient le long de la rivi\u00e8re.\n\u00c9rec les poursuit par derri\u00e8re.210 Chr\u00e9tien de Troyes\nsi an \ufb01ert un derriers l\u2019eschine\nque sor l\u2019ar\u00e7on devant l\u2019ancline ; 3044\ntrestote sa force i a mise,\nsa lance sor le dos li brise\net cil chei le col avant.\nErec molt chieremant li vant 3048\nsa lance, que sor lui a fraite ;\ndel fuerre a tost l\u2019espee traite.\nCil releva, si \ufb01st que fos :\nErec li dona tex trois cos 3052\nqu\u2019el sanc li \ufb01st l\u2019espee boivre ;\nl\u2019espaule del bu li dessoivre,\nsi qu\u2019a la terre jus chei.\nA l\u2019espee l\u2019autre anvai, 3056\nqui molt isnelemant s\u2019an fuit\nsanz conpaignie et sanz conduit ;\nn\u2019ose atandre et ganchir ne puet\nle cheval guerpir li estuet, 3060\nquil n\u2019i a mes nule \ufb01ance,\nL\u2019escu giete jus et la lance,\nsi se lesse cheoir a terre.\nErec ne le volt plus requerre, 3064\nqu\u2019a terre cheoir se leissa :\nmes a la lance s\u2019abeissa :\ncele n\u2019i a mie leissiee\npor la soe qu\u2019il a brisiee. 3068\nLa lance an porte, si s\u2019an vet,\net les chevax mie ne let ;\ntoz les cinc prant, si les an mainne.\nDel mener est Enyde an painne : 3072\nles cinc avoec les trois li baille,\nsi li comande que tost aille\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 211\nL\u2019\u00e9chine de l\u2019un a frapp\u00e9,\nEt sur son ar\u00e7on l\u2019a couch\u00e9 ; 3044\nToute sa force y \u00e9tait mise :\nSa lance sur le dos lui brise,\nEt le fait tomber en avant.\n\u00c9rec tr\u00e8s ch\u00e8rement lui vend 3048\nCette lance sur lui bris\u00e9e ;\nDu fourreau l\u2019\u00e9p\u00e9e a tir\u00e9.\nL\u2019autre se dresse c\u2019est folie :\n\u00c9rec trois coups tels lui a mis 3052\nQu\u2019il abreuve de sang l\u2019\u00e9p\u00e9e ;\nL\u2019\u00e9paule du corps a tranch\u00e9e\nSi bien qu\u2019\u00e0 terre elle est tomb\u00e9e.\n\u00c0 l\u2019\u00e9p\u00e9e l\u2019autre a attaqu\u00e9 3056\nQui tr\u00e8s rapidement s\u2019enfuit,\nSans escorte et sans compagnie ;\nN\u2019ose attendre, et ne peut \ufb01ler !\nSon cheval doit abandonner, 3060\nEn qui il n\u2019a plus d\u2019esp\u00e9rance ;\nJette son \u00e9cu\u00b0 et sa lance,\n\u00c0 terre se laisse tomber.\n\u00c9rec renonce \u00e0 l\u2019attaquer, 3064\nPuisqu\u2019\u00e0 terre choir s\u2019est laiss\u00e9,\nMais vers la lance s\u2019est baiss\u00e9,\nEt ne la lui a pas laiss\u00e9e\nPuisque la sienne \u00e9tait bris\u00e9e. 3068\nLa lance emporte, puis s\u2019en va ;\nMais les chevaux, ne les laissa ;\nTous les cinq prend et les emm\u00e8ne.\n\u00c9nide les tient avec peine : 3072\nLes cinq aux trois a ajout\u00e9\nEt lui a command\u00e9 d\u2019aller212 Chr\u00e9tien de Troyes\net de parler a lui se taigne,\nque max ou enuiz ne l\u2019an vaigne. 3076\nMes ele mot ne li respont,\nein\u00e7ois se tot ; et il s\u2019an vont ;\nles chevax an mainnent toz huit\nChevauchi\u00e9 ont jusqu\u2019a la nuit, 3080\nne vile ne recet ne virent ;\nA l\u2019anuitier lor ostel prirent\ndesoz un arbre an une lande.\nErec a la dame comande 3084\nqu\u2019ele dorme, et il veillera ;\nele respont que nel fera,\ncar n\u2019est droiz, ne feire nel viaut :\nil dormira, qui plus se diaut. 3088\nErec l\u2019otroie, et bel li fu ;\na son chief a mis son escu,\net la dame son mante ! prant,\nsor lui de chief an chief l\u2019estant ; 3092\ncil dormi, et cele veilla,\nonques la nuit ne someilla ;\nchascun \u00e7heval tint an sa main\ntote nuit jusqu\u2019a l\u2019andemain ; 3096\net molt s\u2019est blasmee et maudite-\nde la parole qu\u2019ele ot dite\nmolt a, ce dit, mal esploiti\u00e9,\n\u00ab que n\u2019ai mie de la mit\u00e9 3100\nle mal que je ai desservi.\nLasse, fet ele, si mar vi\nmon orguel et ma sorcuidance !\nSavoir pooie sanz dotance 3104\nque tel chevalier ne meillor\nne savoit l\u2019an de mon seignor.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 213\nEt de parler se retenir\nCar mal pourrait lui advenir. 3076\nMais elle, rien ne lui r\u00e9pond ;\nElle se tait, et ils s\u2019en vont ;\nLes huit chevaux ont emmen\u00e9s.\nJusqu\u2019\u00e0 la nuit ont chevauch\u00e9 ; 3080\nNi ville ni abri ne virent.\nLa nuit tomb\u00e9e ; ils s\u2019\u00e9tablirent\nSous un arbre, en une lande.\n\u00c9rec \u00e0 la dame commande 3084\nQu\u2019elle dorme, et il veillera ;\nElle dit que rien n\u2019en fera :\nCe n\u2019est pas juste et ne veut pas ;\nLui a besoin, et dormira. 3088\n\u00c9rec dit oui, cela lui plut.\nSous sa t\u00eate a mis son \u00e9cu\u00b0\nEt la dame son manteau prend\nEt sur lui tout du long l\u2019\u00e9tend. 3092\nIl dormit et elle veilla,\nEt de la nuit ne sommeilla.\nTous les chevaux tint en sa main,\nToute la nuit, jusqu\u2019au matin. 3096\nCombien s\u2019est maudite et bl\u00e2m\u00e9e\nDe ces mots qu\u2019elle a prononc\u00e9s !\nLe mal, elle-m\u00eame l\u2019a caus\u00e9.\n\u00ab Je n\u2019ai certes pas la moiti\u00e9 3100\nDu malheur que j\u2019ai m\u00e9rit\u00e9.\nH\u00e9las ! Que m\u2019ont donc apport\u00e9\nMon orgueil et ma pr\u00e9tention !\nJe savais, sans h\u00e9sitation : 3104\nChevalier \u00e9gal ou meilleur\nN\u2019existe pas, pour mon seigneur.214 Chr\u00e9tien de Troyes\nBien le savoie. Or le sai mialz ;\ncar ge l\u2019ai ve\u00fc a mes ialz, 3108\ncar trois ne cinc armez ne dote.\nHonie soit ma leingue tote,\nqui l\u2019orguel et la honte dist\ndont mes cors a tel honte gist. \u00bb 3112\nEnsi s\u2019est la nuit demantee\ntresque le main a l\u2019anjornee.\nErec se lieve par matin,\nsi se remet an son chemin, 3116\ncle devant et il derriers.\nAndroit midi uns escuiers\nlor vint devant an un valet ; +\no lui venoient dui vaslet 3120\nqui portoient et pain et vin\net cinc fromages de gain.\nLi escuiers sot de voidie :\nquant il vit Erec et s\u2019amie 3124\nqui de vers la forest venoient,\nbien apar\u00e7ut que il avoient\nla nuit an la forest ge\u00fc,\nn\u2019avoient mangi\u00e9 ne be\u00fc, 3128\nq\u2019une jornee tot an tor\nn\u2019avoit chastel, vile ne tor,\nne meison fort ne abaie,\nospital ne herbergerie. 3132\nPuis s\u2019apansa de grant franchise :\nancontre ax a sa voie anprise,\nsi les salue come frans\net dist :\u00ab Sire, je crois et pans 3136\nque enuit avez molt traveilli\u00e9,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 215\nLe savais bien, mais le sais mieux.\nJe l\u2019ai vu de mes propres yeux, 3108\nTrois ni cinq hommes arm\u00e9s ne craint.\nMaudite soit ma langue, en\ufb01n,\nPar qui vint l\u2019outrage et l\u2019injure,\nDont la peine \u00e0 pr\u00e9sent, j\u2019endure. \u00bb 3112\nToute la nuit s\u2019est lament\u00e9e,\nJusque\u2019\u00e0 l\u2019aube de la journ\u00e9e.\n\u00c9rec s\u2019est r\u00e9veill\u00e9 tr\u00e8s t\u00f4t ;\nIls sont repartis aussit\u00f4t, 3116\nElle devant, et lui apr\u00e8s.\nVers le midi, un \u00e9cuyer\nVint droit vers eux, dans la vall\u00e9e ;\nAvec lui venaient deux valets 3120\nQui portaient du pain et du vin,\nEt cinq fromages de regain.\nL\u2019\u00e9cuyer a vite compris\nQuand il vit \u00c9rec et s\u2019amie, 3124\nQui de la for\u00eat s\u2019en venaient ;\nIl a bien pens\u00e9 qu\u2019ils avaient\nLa nuit en la for\u00eat pass\u00e9e,\nQu\u2019ils n\u2019avaient ni bu ni mang\u00e9, 3128\nPuisqu\u2019une journ\u00e9e alentour,\nN\u2019\u00e9tait ch\u00e2teau, ville ni tour,\nForteresse ni abbaye,\nAucune auberge, nul logis. 3132\nIl eut bien g\u00e9n\u00e9reuse id\u00e9e :\nAu-devant d\u2019eux s\u2019est dirig\u00e9 ;\nIl les salue tr\u00e8s noblement\nEt dit : \u00ab Sire, je crois vraiment 3136\nQue bien mal dormi vous avez,216 Chr\u00e9tien de Troyes\net cele dame molt veilli\u00e9,\net ge\u00fc an ceste forest.\nDe cest blanc gastel vos revest, 3140\ns\u2019il vos plest un po a mangier.\nNel di pas por vos losangier ;\nli gastiax est de boen fromant,\nne rien nule ne vos demant ; 3144\nboen vin ai et fromage gras,\nblanche toaille et biax henas ;\ns\u2019il vos plest a desge\u00fcner,\nne vos covient aillors torner. 3148\nAn ces onbres, desoz ces charmes,\nvos desarmeroiz de voz armes,\nsi vos reposeroizZ un po ;\ndescendez, car ge le vos lo. \u00bb 3152\nErec a pi\u00e9 a terre mis,\nsi li respont : Biax dolz amis,\nje mangerai, vostre merci ;\nne quier aler avant de ci, \u00bb 3156\nLi sergenz fu de bel servise ;\nla dame a jus del cheval mise,\net li vaslet les chevax tindrent,\nqui ansanble l\u2019escuier vindrent ; 3160\npuis se vont aseoir an l\u2019onbre.\nLi escuiers Erec desconbre\nde son hiaume, et si li deslace\nla vantaille devant la face ; 3164\npuis a devant ax estandue\nla toaille sor l\u2019erbe drue ;\nle gastel et le vin lor baille,\nun fromage lor pere et taille ; 3168\ncil mangierent qui fain avoient,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 217\nEt cette dame bien veill\u00e9,\nPassant la nuit dans la for\u00eat.\nCe blanc g\u00e2teau je vous remets, 3140\nPour en manger, s\u2019il vous pla\u00eet ;\nSans vouloir \ufb02atter, je le fais.\nLe g\u00e2teau est de bon froment ;\nJe n\u2019en demande rien, vraiment ; 3144\nJ\u2019ai bon vin et fromage gras,\nBlanche nappe et de beaux hanaps.\nS\u2019il vous plaisait de d\u00e9jeuner,\nAilleurs n\u2019allez donc pas chercher. 3148\nBien \u00e0 l\u2019ombre, dessous ces charmes,\nV ous d\u00e9barrasserai de vos armes,\nUn peu vous vous reposerez.\nAlors je vous prie, descendez. \u00bb 3152\n\u00c9rec pied \u00e0 terre a donc mis,\nEt lui r\u00e9pond : \u00ab Beau doux ami,\nJe mangerai, \u00e0 vous merci.\nN\u2019irai donc pas plus loin qu\u2019ici. \u00bb 3156\nL\u2019\u00e9cuyer fut le bienvenu. . .\nLa dame \u00e0 terre est descendue,\nEt les valets qui sont venus\nOnt alors les chevaux tenus. 3160\nS\u2019asseoir \u00e0 l\u2019ombre sont all\u00e9s ;\nL\u2019\u00e9cuyer a d\u00e9barrass\u00e9\n\u00c9rec du heaume\u00b0, et lui d\u00e9lace\nLa ventaille\u00b0, devant la face. 3164\nPuis a devant eux \u00e9tendu\nLa nappe, sur l\u2019herbe bien drue.\nDu g\u00e2teau et du vin leur tend,\nLe fromage leur partageant. 3168\nIls mang\u00e8rent, ils avaient faim,218 Chr\u00e9tien de Troyes\net del vin volantiers bevoient ;\nli escuiers devant ax sert,\nqui son servise pas ne pert. 3172\nQuant mangi\u00e9 orent et be\u00fc,\nErec cortois et larges fu :\n\u00ab Amis, fet il, an guerredon\nvos faz d\u2019un de mes chevax don, 3176\nprenez celui qui mialz vos siet ;\net si vos pri qu\u2019il ne vos griet\narriers el chastel retornez,\nun riche ostel m\u2019i atornez. \u00bb 3180\nEt il respont que il fera\nvolantiers quanque lui pleira ;\npuis vint as chevax, ses deslie,\nle noir a pris, si l\u2019an mercie, 3184\ncar cil li sanble miaudres estre ;\nsus monte par l\u2019estri\u00e9 senestre.\nAndeus les a iluec leissiez ;-\nel chastel vint toz esleissiez, 3188\nostel a pris bien atorn\u00e9. -\nEz le vos arriers retorn\u00e9 :\n\u00ab Or tost, sire, fet il, montez,\nque boen ostel et bel avez. 3192\nErec monte, la dame apr\u00e9s ;\nli chastiax estoit auques pres\ntost furent a l\u2019ostel venu.\nA joie furent rece\u00fc : 3196\nli ostes molt bel les re\u00e7ut\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 219\nEt burent volontiers du vin.\nEn tout les servit l\u2019\u00e9cuyer :\nSa peine n\u2019a pas m\u00e9nag\u00e9e. 3172\nQuand ils eurent bu et mang\u00e9,\n\u00c9rec g\u00e9n\u00e9reux s\u2019est montr\u00e9 :\n\u00ab Ami, dit-il, pour vos bont\u00e9s,\nUn de mes chevaux acceptez, 3176\nCelui que vous pr\u00e9f\u00e9rerez ;\nV ous en prie, ne vous o \u000bensez,\nAu ch\u00e2teau veillez retourner :\nBon logis m\u2019y pr\u00e9parerez. \u00bb 3180\nEt l\u2019autre r\u00e9pond qu\u2019il fera\nV olontiers comme il lui plaira.\nAux chevaux vient, et les d\u00e9lie ;\nLe noir a pris, l\u2019en remercie, 3184\nCar le meilleur lui a sembl\u00e9,\nEt met le pied \u00e0 l\u2019\u00e9trier.\nTous les deux les a laiss\u00e9s l\u00e0.\nGalopant, vers le bourg il va, 3188\nPr\u00e9pare un bel et bon logis,\nEt de nouveau le revoici :\n\u00ab Eh bien, Sire, fait-il, montez !\nLogis bel et bon vous avez ! \u00bb 3192\nLe Comte vaniteux\n\u00c9rec monte, la dame apr\u00e8s ;\nLe bourg se trouvait l\u00e0, tout pr\u00e8s :\nVite au logis furent venus.\nAimablement furent re\u00e7us ; 3196\nL\u2019h\u00f4te les accueillit fort bien :220 Chr\u00e9tien de Troyes\net tot quanque il lor estut\n\ufb01st atorner a grant plant\u00e9,\nliez et de boene volant\u00e9. 3200\nQuant li escuiers fet lor ot\ntant d\u2019amor com feire lor pot,\na son cheval vient, si remonte.\n- Par devant les loiges le conte 3204\nmenoit a ostel son cheval ;\nli cuens et troi autre vasal\ns\u2019i erent venu apoier ;\nquant li cuens vit son escuier 3208\nqui sor le noir destrier estoit,\ndemanda li cui il estoit,\net cil respont que il est suens.\nMolt s\u2019an est merveilliez li cuens : 3212\n\u00ab Comant, fet il, ou l\u2019as tu pris ?\n- Uns chevaliers, cui ge molt pris.\nsire, fet il, le m\u2019a don\u00e9.\nAn cest chastel l\u2019ai amen\u00e9, 3216\ns\u2019est a ostel chi\u00e9s un borjois.\nLi chevaliers est molt cortois,\ntant bel home onques mes ne vi ;\nse jur\u00e9 l\u2019avoie et plevi, 3220\nne vos reconteroie mie\nsa biaut\u00e9 tote ne demie. \u00bb\nLi cuens respont : Je pans et croi\nqu\u2019il n\u2019est mie plus biax de moi. 3224\nPar foi, sire, fet li sergenz,\nvo estes assez biax et genz ;\nn\u2019a chevalier an cest pais,\nqui de ia terre soit nais, 3228\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 221\nTout ce dont ils eurent besoin,\nIl leur donna en quantit\u00e9,\nTout joyeux, et bien volontiers 3200\nQuand l\u2019\u00e9cuyer ainsi leur eut\n\u00c9t\u00e9 aimable autant qu\u2019il put,\nIl vient \u00e0 son cheval, et monte.\nDevant la galerie du comte 3204\nPasse, en allant \u00e0 l\u2019\u00e9curie.\nTrois vassaux avec celui-ci,\n\u00c9taient venus s\u2019y accouder ;\nQuand le comte vit l\u2019\u00e9cuyer 3208\nQui le noir destrier montait,\nDemanda \u00e0 qui il \u00e9tait,\nEt l\u2019autre dit : \u00ab Il est \u00e0 moi. \u00bb\nLe comte en fut en grand \u00e9moi : 3212\n\u00ab Comment, fait-il, o\u00f9 l\u2019as-tu pris ?\n\u2014 Un chevalier que je n\u2019oublie\nR\u00e9pond l\u2019autre, me l\u2019a donn\u00e9.\nEn ce bourg je l\u2019ai amen\u00e9, 3216\nA pris logis chez un bourgeois.\nLe chevalier est tr\u00e8s courtois ;\nPlus bel homme ne vit jamais,\nSi m\u00eame serment j\u2019avais fait, 3220\nNe saurais dire sa beaut\u00e9,\nNi toute, ni m\u00eame \u00e0 moiti\u00e9. \u00bb\nLe comte dit : \u00ab Pourtant, je crois\nQu\u2019il n\u2019est pas de plus beau que moi. \u00bb 3224\n\u2014 Ma foi, Sire, dit le valet,\nV ous \u00eates beau et fort bien fait ;\nIl n\u2019est ici nul chevalier,\nQui en cette terre soit n\u00e9, 3228222 Chr\u00e9tien de Troyes\nque plus biax ne soiez de lui ;\nmes bien os dire de cestui\nqu\u2019il est plus biax de vos assez,\nse del hauberc ne fust lassez 3232\net quamoissiez et debatuz.\nAn la forest s\u2019est conbatuz,\ntoz seus, ancontre huit chevaliers,\ns\u2019an amainne toz les destriers. 3236\nEt avoec lui mainne une dame\ntant bele c\u2019onques nule fame\nla miti\u00e9 de sa biaut\u00e9 n\u2019ot. \u00bb\nQuant li cuens cele novele ot, 3240\ntalanz li prist que veoir aille\nse ce est veritez ou faille.\n\u00ab Onques mes, fet il, n\u2019oi tel.\nMainne moi dons a son ostel, 3244\nque certeinnenmant vuel savoir\nse tu mne diz man\u00e7onge ou voir. \u00bb\nCil respont : \u00ab Sire, volantiers.\nCi est la voie et li santiers, 3248\net jusque la n\u2019a pas grant voie.\n- Et molt m\u2019est tart que je les voie\nfet li cuens, et lors vint a val.\nEt cil descent de son cheval, 3252\nsi a fet le conte monter ;\ndevant corrut Erec conter\nque li cuens veoir le venoit.\nErec molt riche ostel tenoit, 3256\nque bien an ert acostumez ;\nmolt i ot cierges alumez\net chandoiles espessemant.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 223\nQui vous soit \u00e9gal en beaut\u00e9.\nMais pour lui, j\u2019ose d\u00e9clarer\nQu\u2019il est certes plus beau que vous,\nBien qu\u2019il soit tout meurtri de coups, 3232\nQue du haubert\u00b0 soit bien lass\u00e9.\nEn la for\u00eat livra combat\nTout seul contre huit chevaliers ;\nIl a pris tous leurs destriers. 3236\nAvec lui am\u00e8ne une dame,\nSi belle qu\u2019aucune autre femme,\nN\u2019eut la moiti\u00e9 de sa beaut\u00e9. \u00bb\nQuand le comte eut bien \u00e9cout\u00e9, 3240\nEnvie lui prit de v\u00e9ri\ufb01er\nSi c\u2019\u00e9tait bien la v\u00e9rit\u00e9.\n\u00ab Je n\u2019ai jamais rien vu de tel,\nM\u00e8ne moi donc \u00e0 son h\u00f4tel, 3244\nDit-il, car je voudrais savoir\nSi tu m\u2019as cont\u00e9 une histoire. \u00bb\nL\u2019autre r\u00e9pond : \u00ab Bien volontiers ;\nV oici le chemin, le sentier, 3248\nEt ce n\u2019est pas tr\u00e8s loin de l\u00e0.\n\u2014 Il me tarde de voir cela\nFait le comte, et il vient en bas.\nL\u2019autre de son cheval sauta 3252\nEt le comte y a fait monter ;\n\u00c0 \u00c9rec courut annoncer\nQue le comte chez lui venait.\n\u00c9rec ici grand train menait 3256\nComme il y \u00e9tait habitu\u00e9 :\nDe nombreux cierges allum\u00e9s\nEt chandelles en quantit\u00e9.224 Chr\u00e9tien de Troyes\nA trois conpaignons seulemant 3260\nvint li cuens, qu\u2019il n\u2019amenoit plus.\nErec \u00e7ontre lui leva sus,\nqui molt estoit bien afeitiez,\nsi li dist : \u00ab Sire, bien vaigniez. \u00bb 3264\nEt li cuens resalua lui ;\nacointi\u00e9 se sont anbedui\nSOr une coute blanche et mole ;\ns\u2019antre acointierent de parole. 3268\nLi cuens li porofre et presante\net prie que il li consante\nque de lui ses gaiges repraigne.\nMes Erec baillier ne li daigne, 3272\neinz dit qu\u2019asez a a despandre,\nn\u2019a mestier de son avoir prandre.\nMolt parolent de mainte chose,\nmes li cuens onques ne repose 3276\nde regarder de l\u2019autre part :\nde la dame s\u2019est pris esgart ;\npor la biaut\u00e9 qu\u2019an li estoit\ntot son pans\u00e9 an li avoit ; 3280\ntant l\u2019esgarda com il plus pot,\ntant la covi et tant li plot\nque sa biautez d\u2019amors l\u2019esprist.\nDe parler a li, congi\u00e9 prist 3284\na Erec, molt covertemant :\n\u00ab Sire, fet il, je vos demant\ncongi\u00e9, mes qu\u2019il ne vos enuit\npar corteisie et par deduit 3288\nvoel lez cele dame seoir.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 225\nLe comte n\u2019avait amen\u00e9 3260\nQue trois compagnons et pas plus.\n\u00c9rec au-devant est venu,\nEt dit, car il \u00e9tait poli :\n\u00ab Soyez le bienvenu ici. \u00bb 3264\nLe comte le salue aussi.\nIls ont fait connaissance ainsi\nSur des coussins blancs et moelleux\nEn s\u2019entretenant tous les deux. 3268\nLe comte a fait proposition\n\u00c0 \u00c9rec, et supplication,\nQue pour lui sa bourse d\u00e9lie.\n\u00c9rec ne l\u2019entend pas ainsi : 3272\nIl dit que la sienne est garnie\nQu\u2019il n\u2019acceptera rien de lui.\nLe Comte tente de s\u00e9duire \u00c9nide\nDe tout un peu ils ont parl\u00e9,\nMais le comte n\u2019a pas cess\u00e9 3276\nDe lorgner de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9,\nCar la dame il a remarqu\u00e9,\net si grande \u00e9tait sa beaut\u00e9,\nQu\u2019il n\u2019avait plus qu\u2019elle en pens\u00e9e. 3280\nIl l\u2019a regard\u00e9e tant qu\u2019il put,\nTant la d\u00e9sire, tant lui plut,\nQu\u2019en sa beaut\u00e9, d\u2019amour se prit.\nIl demanda qu\u2019on lui perm\u00eet 3284\nDe lui parler, homme sournois !\n\u00ab Sire, je veux, permettez-moi\n\u00c0 moins que cela vous ennuie,\nPar plaisir et par courtoisie, 3288\nPr\u00e8s de cette dame m\u2019asseoir.226 Chr\u00e9tien de Troyes\nPor bien vos ving andeus veoir,\nne vos n\u2019i devez mal noter :\na la dame voel presanter 3292\nmon servise sor tote rien.\nTot son pleisir, ce sachiez bien,\nferoie por amor de vos. \u00bb\nErec ne fu mie jalous, 3296\nque il n\u2019i pansa nule boise :\n\u00ab Sire, fet il, pas ne me poise.\nJoer et parler vos i loist ;\nne cuidiez pas que il m\u2019an poist, 3300\nvolantiers congi\u00e9, vos an doing. \u00bb\nLa dame seoit de lui loing\ntant con deus lances ont de lonc,\net li cuens s\u2019est assis selon\u00e7 3304\ndelez li sor un bas eschame ;\ndevers lui se torna la dame\nqui molt estoit saige et cortoise.\n\u00ab Ha ! fet li cuens, com il me poise 3308\nquant vos alez an tel viltance,\ngrant duel en ai et grant pesance ;\nmes se croire me voliez,\nenor et preu i avr \u00af\u0131ez 3312\net molt granz biens vos an vandroit.\nA vostre biaut\u00e9 covandroit\ngrant enor et grant seignorie ;\nje feroie de vos m\u2019amie, 3316\ns\u2019il vos pleisoit et boen vos iere ;\nvos seriez m\u2019amie chiere\net dame de tote ma terre.\nQuant je vos daing d\u2019amors requerre, 3320\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 227\nEn tout bien suis venu vous voir :\nRien de mal n\u2019y devez trouver.\n\u00c0 la dame veux proposer 3292\nMon service en quoi que ce soit ;\nTout ce qui lui pla\u00eet, croyez-moi,\nLe ferai, par amour pour vous. \u00bb\n\u00c9rec ne fut jaloux du tout, 3296\nIl n\u2019y vit nulle fourberie.\n\u00ab Sire, n\u2019y trouve aucun ennui,\nDit-il, tout \u00e0 loisir parlez.\nNe craignez de me contrarier, 3300\nV ous le permets bien volontiers. \u00bb\nLa dame \u00e9tait bien \u00e9loign\u00e9e\nDe lui, de deux longueurs de lance ;\nLe comte, pour s\u2019asseoir, s\u2019avance 3304\nPr\u00e8s d\u2019elle sur un escabeau.\nEt la dame, bien comme il faut,\nDut alors se tourner vers lui.\n\u00ab Ah ! Dit l\u2019autre, suis fort marri\u00b0 3308\nDe vous voir si triste \u00e9quipage !\nJ\u2019en ai grand peine et grand dommage. . .\nMais si vouliez bien me croire\nPourriez avoir pro\ufb01t et gloire, 3312\nLes plus grands biens vous en viendraient.\n\u00c0 votre beaut\u00e9, il faudrait\nGrand honneur, grande seigneurie ;\nJe ferais de vous mon amie 3316\nS\u2019il en \u00e9tait bien pour vous plaire.\nV ous seriez mon amie tr\u00e8s ch\u00e8re,\nEt dame de toute ma terre !\nSi par amour je vous requiers 3320228 Chr\u00e9tien de Troyes\nne me devez pas escondire ;\nbien voi et sai que vostre sire\nne vos ainme ne ne vos prise ;\na boen seignor serjez prise, 3324\nse vos avoec moi remenez.\nSire, de neant vos penez,\nfet Enyde, ce ne puet estre.\nH\u00e9 ! mialz fusse je or a nestre, 3328\nou an un feu d\u2019espines arse,\nsi que la cendre an fust esparse,\nque j\u2019e\u00fcsse de rien fauss\u00e9\nvers mor. seignor, ne mal pans\u00e9 3332\nfelenie ne traison ;\ntrop avez fet grant mesprison,\nqui tel chose m\u2019avez requise :\nje nel feroie an nule guise. \u00bb 3336\nLi cuens commance a en\ufb02amer\n\u00ab Ne me deigneriez amer,\ndamme ? fet il : trop estes \ufb01ere.\nPar losange ne par proiere, 3340\nne fereiez rien que je vuelle ?\nBien est voirs que fame s\u2019orguelle,\nquant l\u2019an plus Ja prie et losange ;\nmes qui la honist et leidange, 3344\ncil la trueve meillor sovant.\nCertes, je vos met an covant\nque, se vos mon talant ne feites,\nja i avra espees treites. 3348\nOcirre ferai or androit,\nou soit a tort ou soit a droit,\nvostre seignor devant voz ialz.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 229\nV ous ne devez pas m\u2019\u00e9conduire :\nJe le vois, et sais, votre Sire\nNe vous aime et ne vous honore.\nNoble seigneur auriez alors 3324\nSi avec moi vous demeuriez !\n\u2013 Sire, en peine ne vous mettez,\nJamais cela vous ne verrez.\nJ\u2019aimerais mieux n\u2019\u00eatre pas n\u00e9e, 3328\nSur un feu d\u2019\u00e9pines br\u00fbler,\nEt ma cendre au vent dispers\u00e9e,\nPlut\u00f4t qu\u2019en rien avoir manqu\u00e9\n\u00c0 mon seigneur, ou m\u00e9dit\u00e9, 3332\nTrahison ou ignominie.\nCombien vous vous \u00eates m\u00e9pris\nEn attendant cela de moi !\nJe n\u2019en ferai rien croyez-moi ! \u00bb 3336\nLe comte alors s\u2019est en\ufb02amm\u00e9 :\n\u00ab V ous ne daigneriez donc m\u2019aimer\nDame ? Fait-il, trop \u00eates \ufb01\u00e8re.\nNi les louanges, ni la pri\u00e8re 3340\nNe vous feraient-ils m\u2019\u00e9couter ?\nIl est vrai que femme lou\u00e9e\nEt suppli\u00e9e, s\u2019enorgueillit.\nMais qui l\u2019outrage et l\u2019humilie 3344\nLa retrouve meilleure qu\u2019avant.\nCertes, je vous en fais serment ;\nSi vous n\u2019en faites \u00e0 mes d\u00e9sirs,\nLes \u00e9p\u00e9es vous verrez sortir. 3348\nIci je ferai mettre \u00e0 mort,\nQue ce soit \u00e0 raison ou \u00e0 tort,\nV otre seigneur, devant vos yeux.230 Chr\u00e9tien de Troyes\n\u2013 Sire, faire le poez mialz, 3352\nfet Enyde, que vos ne dites :\ntrop sereiez fel et traites,\nse vos ceanz l\u2019ocieiez..\nMes, biax sire, or vos apaiez, 3356\ncar je ferai vostre pleisir :\npor vostre me poez seisir,\nje sui vostre et estre le vuel.\nNe vos ai rien dit par orguel, 3360\nmes por savoir et esprover\nse je porroie an vos trover\nque vos m\u2019amessijez de boen cuer ;\nmes je ne voldroie a nul fuer 3364\nqu\u2019a\u00fcssiez tel traison fete.\nMes sires de vos ne se guete ;\nse vos einsi l\u2019ocieiez,\ntrop grant mespriSon feriez 3368\net g\u2019en reseroie blasmee\ntuit diroient par la contree\nque ce seroit fet par mon los.\nJusqu\u2019au matin aiez repos 3372\nque mes sires voldra lever ;\nadonc le porroiz mialz grever,\nsanz blasme avoir et sanz reproche. \u00bb\nCe panse cuers que ne dit boche. 3376\n\u00ab Sire, fet ele, or me creez,\nNe soiez pas si esfreez,\nmes demain anvoiez ceanz\nvoz chevaliers et voz sergenz, 3380\nsi me feites a force prandre ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 231\nRuse d\u2019\u00c9nide\n\u2013 Sire, \u00e0 faire vous avez mieux, 3352\nFait \u00c9nide, qu\u2019agir ainsi.\nCe serait trop de f\u00e9lonie\nDe le mettre \u00e0 mort maintenant.\nCalmez-vous, beau sire, il est temps. 3356\nQu\u2019il soit fait selon vos d\u00e9sirs :\nPour v\u00f4tre pouvez me tenir,\nJe suis \u00e0 vous bien volontiers ;\nN\u2019ai rien dit, non par vanit\u00e9, 3360\nMais pour savoir, et \u00e9prouver\nSi en vous je pouvais trouver\nUn c\u0153ur de moi vraiment \u00e9pris ;\nMais ne voudrais \u00e0 aucun prix 3364\nQue vous puissiez trahir ainsi\nMon sire, qui ne se m\u00e9\ufb01e.\nEt si vous le mettiez \u00e0 mort\nAinsi, vous en auriez grand tort ; 3368\nJ\u2019en serais moi-m\u00eame bl\u00e2m\u00e9e,\nCar tous diraient, dans la contr\u00e9e\nQue c\u2019est moi qui l\u2019ai souhait\u00e9.\nJusqu\u2019au matin patientez, 3372\nquand mon seigneur se l\u00e8vera :\nPlus facile \u00e0 vaincre sera,\nSans craindre bl\u00e2me ni reproche. \u00bb\nSon c\u0153ur est ailleurs qu\u2019en sa bouche. . . 3376\n\u00ab Sire, fait-elle, me croyez.\nNe soyez pas si agit\u00e9 ;\nMais demain, chez moi envoyez\nV os sergents et vos chevaliers, 3380\nEt me faites de force prendre ;232 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes sires me voldra desfandre,\nqui molt est \ufb01ers et corageus.\nOu soit a certes ou a geus, 3384\nfeites le prandre et afoler\nou de la teste decoler.\nTrop \u2019ai menee ceste vie,\nje n\u2019aim mie la conpaignie 3388\nmon seignor, ja n\u2019an quier mantir.\nJe vos voldroie ja santir\nan un lit certes nu a nu.\nDesor ce an somes venu 3392\nde m\u2019amor estes ase\u00fcr. \u00bb\nLi cuens respont : \u00abA boen e\u00fcr. \u00bb\n\u00ab Dame, fet il, buer fustes nee,\na grant enor seroiz gardee. 3396\n\u2013 Sire, fet ele, bien le croi,\nmes avoir an voel vostre foi,\nque vos me tandroiz chieremant ;\nne vos an cresrai autremant. \u00bb 3400\nLi cuens respont liez et joianz :\n\u00ab Tenez ma foi ; je vos \ufb01anz,\ndame, l\u00ebaumant come cuens,\nque je ferai trestoz voz buens ; 3404\nja de ce ne vos esmaiez :\nne voldroiz rien que vos n\u2019aiez. \u00bb\nLors en a cele la foi prise ;\nmes po l\u2019an est et po la prise : 3408\npor son seignor fu delivrer.\nBien sot par parole enivrer\nbricon, des qu\u2019ele i met l\u2019antante :\nmialz est asez qu\u2019ele li mante, 3412\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 233\nMon sire voudra me d\u00e9fendre,\nCar il est \ufb01er et courageux.\nQue ce soit par force ou par jeu, 3384\nFaites-le prendre et massacrer,\nOu qu\u2019il ait la t\u00eate tranch\u00e9e.\nCette vie n\u2019a que trop dur\u00e9 :\nDe sa compagnie j\u2019ai assez ; 3388\nJe ne puis plus longtemps mentir :\nJe voudrais d\u00e9j\u00e0 vous sentir\nEn un lit certes, nue \u00e0 nu !\nAu point o\u00f9 sommes parvenus 3392\nPour mon amour n\u2019ayez plus peur ! \u00bb\nLe comte dit : \u00ab \u00c0 la bonne heure !\nDame, fait-il, n\u00e9e pour la joie,\nSerez honor\u00e9e, croyez-moi. 3396\n\u2013 Sire, je le crois bien, dit-elle,\nMais je veux promesse formelle\nQue vous me ch\u00e9rirez vraiment ;\nNe saurais vous croire autrement. \u00bb 3400\nLe comte a dit, plein de gaiet\u00e9 :\n\u00ab Ma parole voil\u00e0, tenez.\nAinsi qu\u2019\u00e0 un comte il convient,\nJe ferai tout pour votre bien, 3404\nDe cela ne vous inqui\u00e9tez :\nIl n\u2019est rien que vous n\u2019obtiendrez. \u00bb\n\u00c9nide a sa parole prise ;\nPour peu le tient, et le m\u00e9prise. 3408\nMais pour son seigneur d\u00e9livrer\nSavait bien de mots enj\u00f4ler\nUn sot qu\u2019elle voulait s\u00e9duire.\nIl valait beaucoup mieux mentir 3412234 Chr\u00e9tien de Troyes\nque ses sires fust depeciez.\nDe lez li s\u2019est li cuens dreciez,\nsi la comande a Deu .c. foiz, +\nmes molt li valdra po la foiz 3416\nque \ufb01anciee li avoit..\nErec de ce rien ne savoit\nqu\u2019il de\u00fcssent sa mort pleidier,\nmes Dex li porra bien aidier, 3420\net je cuit que si fera il.\nOr est Erec an grant peril\net si ne cuide avoir regart ;\nmolt est li cuens de male part, 3424\nqui sa fame tolir li panse\net lui ocirre sanz desfanse\nCome fel prant a lui congi\u00e9 :\n\u00abA Deu, fet il, vos comant gi\u00e9.\u00bb 3428\nErec respont :\u00ab Sire, et je vos. \u00bb\nEnsi departent antr\u2019ax dos.\nDe la nuit fu grant masse alee.\nAn une chanbre recelee 3432\nfurent dui lit a terre fet :\nErec an l\u2019un couchier se vet ;\nan l\u2019autre est Enyde couchiee,\nmolt dolante et molt correciee, 3436\nn\u2019onques la nuit ne prist somoil ;\npor son seignor fu an esvoil,\ncar le conte ot bien cone\u00fc,\nde tant com ele l\u2019ot ve\u00fc, 3440\nque plains estoit de felenie.\nBien set que, s\u2019il a la baillie\nde son seignor, ne puet faillir\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 235\nQue laisser son seigneur tuer !\nLe comte alors d\u2019est relev\u00e9,\nLa recommande \u00e0 Dieu cent fois,\nMais lui servira peu, la foi 3416\nQu\u2019il vient si bien de lui jurer.\n\u00c9rec avait tout ignor\u00e9\nQu\u2019ils complotaient si bien sa mort ;\nMais Dieu le sauvera encore 3420\nJe le crois : ainsi fera-t-il.\n\u00c9rec est en tr\u00e8s grand p\u00e9ril\nEt ne songe \u00e0 se prot\u00e9ger ;\nL\u2019autre est bien mal intentionn\u00e9 3424\nQui sa femme lui voler pense\nEt le trucider sans d\u00e9fense.\nPar ruse, prend cong\u00e9 de lui :\n\u00ab \u00c0 Dieu, fait-il, je vous con\ufb01e. \u00bb 3428\n\u00c9rec aussi l\u2019a salu\u00e9,\nC\u2019est ainsi qu\u2019ils se sont quitt\u00e9s.\nLa nuit \u00e9tait tr\u00e8s avanc\u00e9e ;\nDans une chambre retir\u00e9e 3432\nDeux lits bas on a pr\u00e9par\u00e9 :\n\u00c9rec vers l\u2019un s\u2019est dirig\u00e9,\nEn l\u2019autre \u00c9nide s\u2019est couch\u00e9e,\nTr\u00e8s a \u000fig\u00e9e et courrouc\u00e9e, 3436\nEt de la nuit ne put dormir ;\nElle veillait pour son seigneur,\nCar le comte, elle avait bien vu,\nAssez pour avoir reconnu 3440\nQu\u2019il \u00e9tait plein de fourberie.\nSavait que tenant \u00e0 merci\u00b0\nSon seigneur, il aurait souci236 Chr\u00e9tien de Troyes\nque il nel face maubaillir ; 3444\nse\u00fcrs puet estre de la mort.\nDe lui ne set nul reconfort ;\ntote nuit veillier li estuet,\nmes ainz le jor, se ele puet 3448\net ses sires la voelle croirre, -\navront si atorn\u00e9 lor oirre\nque por neant vanra li cuens,\nque ja n\u2019iert soe, ne il suens. 3452\nErec dormi molt longuemant,\ntote la nuit, se\u00fcremant,\ntant que li jorz molt aprocha.\nLors vit bien Enyde et soucha 3456\nque ele pooit trop atandre :\nvers son seignor ot le cuer tandre\ncome bone dame et l\u00ebax\nses cuers ne fu dobliers ne fax ; 3460\nele se vest et aparoille,\na son seignor vient, si l\u2019esvoille\n\u00ab Ha ! sire, fet ele, merci !\nLevez isnelemant de ci, 3464\nque traiz estes antreset\nsanz acoison et sanz forfet.\nLi cuens est traitres provez ;\nse ci poez estre trovez, 3468\nja n\u2019eschaperoiz de la place\nque tot desmanbrer ne vos face :\navoir me vialt, por ce vos het ;\nmes se Deu plest, qui toz biens set, 3472\nvoS n\u2019i seroiz ne morz ne pris.\nDes her soir vos e\u00fcst ocis,\nse creant\u00e9 ne li e\u00fcsse\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 237\nDe lui faire un mauvais parti ; 3444\nPour \u00c9rec c\u2019est arr\u00eat de mort,\nIl est vain d\u2019esp\u00e9rer encore.\nToute la nuit veiller le veut,\nMais avant le jour, si le peut, 3448\nQue son seigneur veuille la croire,\nIls seront pr\u00eats pour le d\u00e9part,\nEt le comte viendra pour rien :\nNe sera sienne, ni lui sien. 3452\n\u00c9rec a dormi tr\u00e8s longtemps,\nToute la nuit, assur\u00e9ment.\nSi bien que le jour se leva.\n\u00c9nide le vit et pensa 3456\nQu\u2019il ne fallait pas plus attendre.\nPour son seigneur elle \u00e9tait tendre\nEt son c\u0153ur plein de loyaut\u00e9\nIgnorait la duplicit\u00e9. 3460\nElle se v\u00eatit, s\u2019appr\u00eata,\n\u00c0 son seigneur vint, l\u2019\u00e9veilla :\n\u00ab Pardon, sire ! Je vous prie,\nLevez-vous promptement d\u2019ici, 3464\nCar trahi vous avez \u00e9t\u00e9\nSans l\u2019avoir en rien m\u00e9rit\u00e9.\nLe comte est un tra\u00eetre accompli,\nEt s\u2019il peu vous trouver ici, 3468\nV ous ne pourrez vous \u00e9chapper\nSans qu\u2019il vous ait fait massacrer :\nIl me convoite et il vous hait ;\nS\u2019il pla\u00eet \u00e0 Dieu, Lui qui tout sait, 3472\nV ous ne serez ni mort, ni pris.\nD\u00e8s hier, il vous e\u00fbt occis\u00b0,\nSi croire ne lui avais fait238 Chr\u00e9tien de Troyes\nque s\u2019amie et sa fame fusse. 3476\nJa le verroiz ceanz venir :\nprandre me vialt et retenir,\net vos ocire, s\u2019il vos trueve. \u00bb\nOr ot Erec que bien se prueve 3480\nvers lui sa fame l\u00ebaumant :\nDame, fet il, isnelemant\nfeites noz chevax anseler,\net feites nostre oste lever, 3484\nsi li dites qu\u2019il veigne \u00e7a.\nTraisons comen\u00e7a piece a. \u00bb\nJa sont li cheval ansel\u00e9,\net la dame a l\u2019oste apel\u00e9. 3488\nErec s\u2019est araumant vestuz,\nses ostes est a lui venuz\n\u00ab Sire, dist il, quel haste avez,\nqui a tele ore vos levez, 3492\nainz que jorz ne solauz apeire ? \u00bb\nErec respont qu\u2019il a a feire\nmolt longue voie et grant jornee ;\npor ce a sa voie atornee 3496\nque molt an est an grant espans,\net dist :\u00ab Sire, de mon despans\nn\u2019avez ancores rien cont\u00e9.\nEnor m\u2019avez feite et bont\u00e9, 3500\net molti a\ufb01ert grant merite ;\npor set destriers me clamez quite :\nde plus ne vos puis mon don croistre\nnes de la monte d\u2019un chevoistre. \u00bb 3504\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 239\nQue sa femme et s\u2019amie serais. 3476\nV ous le verrez bient\u00f4t venir :\nVeut me prendre et me retenir,\nEt vous occire, s\u2019il vous trouve. \u00bb\n\u00c9rec comprend, cela lui prouve, 3480\nQue loyale lui est sa femme.\n\u00ab Promptement, dit-il, faites, Dame,\nMes chevaux seller et brider,\nEt faites notre h\u00f4te lever ; 3484\nDites-lui qu\u2019il s\u2019en vienne l\u00e0,\nLe tra\u00eetre fait route, d\u00e9j\u00e0 ! \u00bb\nFuite d\u2019\u00c9rec et \u00c9nide\nLes chevaux furent t\u00f4t sell\u00e9s,\nEt la dame a l\u2019h\u00f4te appel\u00e9. 3488\n\u00c9rec bien vite s\u2019est v\u00eatu\nEt l\u2019h\u00f4te vers lui est venu.\n\u00ab Sire, \u00eates-vous donc si press\u00e9,\nQue de bonne heure vous levez, 3492\nAvant que l\u2019aube ne paraisse ? \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond qu\u2019il faut qu\u2019il fasse\nTr\u00e8s grand voyage, longue route,\nEt pour cela se met en route, 3496\nCar il est press\u00e9 d\u2019arriver.\nEt puis : \u00ab Sire, n\u2019avez compt\u00e9\n\u00c0 combien monte ma d\u00e9pense.\nM\u2019avez fait honneur et largesses : 3500\nR\u00e9compense vous m\u00e9ritez ;\nPour sept chevaux m\u2019acquitterez :\nJe ne saurais plus vous donner,\nPas m\u00eame un licol ajouter. \u00bb 3504240 Chr\u00e9tien de Troyes\nDe ce don fu li borjois liez,\nsi l\u2019an anclina jusqu\u2019as piez ;\ngranz merciz et grasces l\u2019an rant.\nLors monte Erec et congi\u00e9 prant, 3508\nsi se remetent \u00e0 la voie,\net vet chastiant tote voie\nEnyde, se nule rien voit,\nqu\u2019ele si hardie ne soit 3512\nque ele l\u2019an mete a reison.\nA tant antrent an la meison\n.c. chevalier d\u2019armes garni ;\nde ce furent tuit escherni 3516\nqu\u2019il n\u2019i ont pas Erec trov\u00e9.\nLors a bien li cuens esprov\u00e9\nque la dame l\u2019a dece\u00fc ;\nles clos des chevax a ve\u00fc, 3520\nsi se sont tuit mis an la trace.\nLi cuens Erec formant menace\net dit que, s\u2019il le puet ataindre,\npor nule rien ne puet remaindre 3524\nque maintenant le chief n\u2019an praigne.\n\u00ab Mar i avra nul qui s\u2019an faigne,\nfet il, de tost esperoner\nQui m\u2019an porra le chief doner 3528\ndel chevalier que je tant h\u00e9,\nmolt m\u2019avra bien servi an gr\u00e9. \u00bb\nLors le sivent tuit abriv\u00e9,\nde mautalant tuit air\u00e9 3532\nde celui c\u2019onques mes ne virent.\nErec chevalche ; cil le virent,\neinz qu\u2019il se fust anforestez ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 241\nDe ce don, le bourgeois ravi\nS\u2019est inclin\u00e9 bas devant lui,\nLui rend gr\u00e2ces et remercie.\nAlors \u00c9rec cong\u00e9 a pris, 3508\nIls se sont remis en chemin.\n\u00c9rec dit \u00e0 \u00c9nide en\ufb01n\nQue si elle voit quelque chose\nIl ne faudra jamais qu\u2019elle ose 3512\nAucunement l\u2019en avertir.\nLors, pour la maison envahir,\nV oici cent chevaliers arm\u00e9s ;\nIls surent qu\u2019ils \u00e9taient jou\u00e9s, 3516\nQuant \u00c9rec n\u2019y ont pas trouv\u00e9.\nEt le comte a r\u00e9alis\u00e9\nQue la Dame l\u2019avait tromp\u00e9 !\nSur les traces se sont lanc\u00e9s 3520\nDes chevaux, qu\u2019ils ont observ\u00e9es.\nLe comte \u00c9rec a menac\u00e9\nEt dit que s\u2019il peut l\u2019attraper\nRien ne pourra plus emp\u00eacher 3524\nQue sa t\u00eate ne soit tranch\u00e9e.\n\u00ab Malheur \u00e0 qui serait tent\u00e9\nDe ne pas \u00e9peronner vite !\nQui pourra m\u2019apporter la t\u00eate 3528\nDe ce chevalier tant ha\u00ef,\nIl m\u2019aura certes bien servi ! \u00bb\nAu grand galop ils l\u2019ont suivi,\nPleins de fureur et de m\u00e9pris, 3532\nPour qui leur est un inconnu.\n\u00c9rec chevauchait, ils l\u2019ont vu\nAvant qu\u2019il soit dans la for\u00eat.242 Chr\u00e9tien de Troyes\nlors s\u2019an est li uns dessevrez, 3536\npar contan\u00e7on le leissent tuit.\nEnyde ot la noise et le bruit\nde lor armes, de lor chevax,\net vit que plains estoit li vax. 3540\nDes que cele les vit venir,\nde parler ne se pot tenir :\n\u00ab Hai ! sire, fet ele, hai !\nCon vos a cist cuens anvai, 3544\nqui por vos amainne tel ost !\nSire, car chevalchiez plus tost\ntant qu\u2019an cele forest fussiens ;\nespoir tost eschaperiens 3548\ncil sont ancore molt arriere.\nSe nos alons an tel meniere\nne poez de ci eschaper,\ncar n\u2019iestes mie per a per. \u00bb 3552\nErec respont : \u00ab Po me prisiez,\nquant ma parole despisiez ;\nje ne vos sai si bel pr \u00af\u0131er\nque je vos puisse chastier. 3556\nMes, se Dex ait de moi merci\net eschaper puisse de ci,\nceste vos iert molt chier vandue,\nse corages ne me remue. \u00bb 3560\nIl se retorne maintenant,\net vit le seneschal venant\nsor un cheval fort et isnel.\nDevant aus a fet un cenbel 3564\nle tret de catre arbalestees ;\nn\u2019ot pas ses armes anpruntees,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 243\nAlors l\u2019un d\u2019eux s\u2019est d\u00e9tach\u00e9, 3536\nLes autres le lui ont permis.\n\u00c9nide a entendu le bruit\nDe leurs armes, leurs destriers :\nToute pleine en est la vall\u00e9e. 3540\nD\u00e8s qu\u2019elle les a vus venir,\nDe parler ne peut se tenir :\n\u00ab Sire, fait-elle, c\u2019en est fait !\n\u00d4 combien ce comte vous hait, 3544\nQui une arm\u00e9e lance sur vous !\nSire, vous en prie, pressez-vous\nPour atteindre cette for\u00eat ;\nNous pourrons peut-\u00eatre \u00e9chapper 3548\nCar ils sont encore bien loin.\nMais si nous conservons ce train,\nCertes n\u2019en r\u00e9chapperons pas :\nDe force \u00e9gale n\u2019\u00eates pas. \u00bb 3552\n\u00c9rec dit : \u00ab V ous me m\u00e9prisez,\nQuand mes ordres vous oubliez.\nJ\u2019ai beau faire, et beau vous prier,\nV ous ne voulez pas m\u2019\u00e9couter ! 3556\nMais si Dieu a de moi merci\u00b0,\nQue je puisse \u00e9chapper d\u2019ici,\nJe vous le ferai cher payer,\nSinon, c\u2019est que j\u2019aurai chang\u00e9. \u00bb 3560\nCeci dit, en se retournant,\nIl vit le s\u00e9n\u00e9chal venant\nSur un cheval rapide et beau.\nDevant eux a fait un galop 3564\nSur quatre port\u00e9es d\u2019arbal\u00e8te ;\nD\u2019armes, nul besoin qu\u2019on lui pr\u00eate. . .244 Chr\u00e9tien de Troyes\ncar molt se fu bien acesmez.\nErec les a bien aesmez, 3568\net voit que bien en i a cent ;\ncelui qui si le va chacent\npanse qu\u2019arester li estuet.\nLi uns contre l\u2019autre s\u2019esmuet, 3572\nsi se \ufb01erent par les escuz\ndes deus fers tranchanz esmoluz.\nErec son fort espi\u00e9 d\u2019acier\nli \ufb01st dedanz le cors glacier. 3576\nne li escuz, ne li haubers,\nne li valut un cendal pers.\nA tant ez vos poingnant le conte ;\nsi com l\u2019estoire le reconte, 3580\nchevaliers estoit forz et buens ;\nmes de ce \ufb01st que fos li cuens\nqu\u2019il n\u2019ot que l\u2019escu et la lance\nan sa vertu ot tel \ufb01ance 3584\nqu\u2019armer ne se volt autremant.\nDe ce \ufb01st molt grant hardemant\nque devant trestotes ses gens\ns\u2019esleissa plus de neuf arpanz. 3588\nQuant cil le vit fors de la rote,\na lui ganchist ; cil nel redote ;\nsi s\u2019antre vienent \ufb01eremant.\nLi cuens le \ufb01ert premieremant 3592\npar tel vertu devant le piz\nque les estri\u00e9s e\u00fcst guerpiz,\nse bien a\ufb01chiez ne se fust ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 245\nCar il \u00e9tait bien \u00e9quip\u00e9 !\n\u00c9rec a l\u2019ennemi compt\u00e9 3568\nEt bien vu qu\u2019il y en a cent.\nCelui qui va le pourchassant\nIl pense qu\u2019il doit l\u2019arr\u00eater.\nL\u2019un vers l\u2019autre se sont port\u00e9s, 3572\nEt se frappent sur leurs \u00e9cus\nDe leurs fers tranchants et aigus.\n\u00c9rec a l\u2019autre transperc\u00e9\nAvec son fort \u00e9pieu d\u2019acier, 3576\nEt ni l\u2019\u00e9cu, ni le haubert\u00b0\nPlus que papier n\u2019ont pu y faire.\nMais voici, au galop, le Comte :\nAinsi que l\u2019histoire le conte, 3580\nC\u2019\u00e9tait un fort bon chevalier ;\nMais, folie ou t\u00e9m\u00e9rit\u00e9,\nN\u2019avait que son \u00e9cu, sa lance :\nEn sa force avait tant con\ufb01ance 3584\nNe voulait combattre autrement.\nEt ce fut bien imprudemment\nQue loin en avant de ses gens\nS\u2019avan\u00e7a d\u2019au moins neuf arpents. 3588\nCombat d\u2019\u00c9rec et du Comte\nQuand \u00c9rec le voit isol\u00e9,\nFonce sur lui, sans h\u00e9siter.\nIls se battent \u00e0 grands e \u000borts ;\nLe comte en la poitrine, alors, 3592\nUn tel coup lui a ass\u00e9n\u00e9,\nQu\u2019il e\u00fbt vid\u00e9 les \u00e9triers\nS\u2019il ne s\u2019y \u00e9tait bien cal\u00e9.246 Chr\u00e9tien de Troyes\nde l\u2019escu fet croissir le fust 3596\nque d\u2019autre part an saut li fers ;\nmes molt fu riches li haubers,\nqui si de mort le garanti\nque einz maille n\u2019an deronpi. 3600\nLi cuens fu forz, sa lance froisse.\nErec le \ufb01ert de tel angoisse,\nsor l\u2019escu qui fu tainz an jaune,\nque de la lance plus d\u2019une aune 3604\npar mi le cost\u00e9 li anbat ;\npasm\u00e9 jus del destrier l\u2019abat.\nA tant ganchist, si s\u2019an retorne,\nen la place plus ne sejorne, 3608\npar mi la forest a droiture\ns\u2019an vet poignant grant ale\u00fcre.\nEz vos Erec anforest\u00e9,\net li autre sont arest\u00e9 3612\nsor cez qui en mi le chanp jurent ;\nmolt s\u2019a\ufb01chent formant et jurent\nque il le chaceront ein\u00e7ois\na esperon deus jorz ou trois 3616\nque il nel praignent et ocient.\nEt li cuens antant ce qu\u2019il dient,\nqui molt ert el cost\u00e9 bleciez ;\ncontre mont s\u2019est un po dreciez 3620\net les ialz un petitet oevre ;\nbien apar\u00e7oit que malveise oevre\navoit ancomanciee a faire.\nLes chevaliers fet arriers traire 3624\n\u00ab Seignor, fet il, a toz vos di -\nqu\u2019il n\u2019i ait un seul si hardi.\nfort ne foible, ne haut ne bas,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 247\nLe coup a fait l\u2019\u00e9cu\u00b0 craquer 3596\nTant que le fer passe au travers ;\nMais gr\u00e2ce \u00e0 son pr\u00e9cieux haubert\u00b0,\n\u00c9rec fut de mort garanti :\nPas une maille ne rompit. 3600\nLe comte est fort : sa lance casse.\n\u00c9rec un coup si dur lui place\nSur son bel \u00e9cu\u00b0 peint en jaune,\nQue dans le \ufb02anc, de plus d\u2019une aune, 3604\nSa lance lui a enfonc\u00e9e ;\nP\u00e2m\u00e9, il tombe du destrier.\n\u00c9rec oblique et s\u2019en retourne,\nEn cet endroit, il ne s\u00e9journe : 3608\nDroit vers le bois, sur sa monture,\nPique des deux \u00e0 toute allure.\nV oici \u00c9rec en plein fourr\u00e9.\nLes autres se sont arr\u00eat\u00e9s 3612\nPr\u00e8s de ceux qui gisaient \u00e0 terre.\nCri\u00e8rent fort, et se jur\u00e8rent\nDe pourchasser deux jours ou trois\n\u00c0 bride abattue, celui-l\u00e0, 3616\nTant que l\u2019auront pris et occis\u00b0.\nLe comte entend ce qui se dit :\nBless\u00e9 comme il est au c\u00f4t\u00e9,\nSur son s\u00e9ant s\u2019est redress\u00e9, 3620\nEt les yeux a un peu ouvert ;\nIl voit bien que mauvaise a \u000baire\nIl a entrepris de mener.\nLes chevaliers fait reculer : 3624\n\u00ab Seigneurs, fait-il, \u00e0 tous je dis\nQue nul ne soit assez hardi\nFort ou faible, noble ou pas,248 Chr\u00e9tien de Troyes\nqui ost aler avant un pas. 3628\nRetornez tuit isnelemant ;\nesploiti\u00e9 ai vilainnemant\nde ma vilenie me poise ;\nmolt est preuz et saige et cortoise 3632\nla dame qui dece\u00fc m\u2019a.\nLa biautez de li m\u2019aluma\npor ce que ge la desiroie,\nson seigncr ocirre voloie 3636\net li par force retenir ;\nbien m\u2019an devoit max avenir,\nsor moi an est venuz li nax,\nque fos feisoie et desl \u02c7eax 3640\net tra\u00eftes et forssenez.\nOnques ne fu de mere nez\nmiaudres chevaliers de cestui ;\nja mes par moi n\u2019avra enui 3644\nla ou jel puisse destorner.\nOr vos comant a retorner. \u00bb\nCil s\u2019an vont tuit desconfort\u00e9 ;\nle seneschal an on port\u00e9, 3648\nle conte ont mis an son escu ;\nmes il a puis asez vescu\nqu\u2019il ne fu pas so\u00ebf navrez.\nEinsi est Erec delivrez. 3652\nErec s\u2019an vet toz esleissiez\nune voie antre deus pleissiez.\nAu desbuschier d\u2019un pleisseiz\ntroverent un pont torneiz, 3656\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 249\nPour oser avancer d\u2019un pas. 3628\nAllez vous-en bien vivement !\nJ\u2019ai agi bien vilainement :\nEt j\u2019ai grand honte de mon pi\u00e8ge ;\nTr\u00e8s noble, courtoise et tr\u00e8s sage 3632\nEst la dame qui me trompa ;\nC\u2019est sa beaut\u00e9 qui m\u2019en\ufb02amma :\nEt comme je la d\u00e9sirais\nSon seigneur tuer je voulais 3636\nPour elle de force garder.\nMalheur devait m\u2019en arriver :\nSur moi le mal est retomb\u00e9\nDe trahison et fausset\u00e9, 3640\nDe folie et d\u00e9loyaut\u00e9,\nEt nulle m\u00e8re n\u2019a donn\u00e9\nLe jour \u00e0 meilleur chevalier !\nJamais, si je puis l\u2019\u00e9viter, 3644\nNul ennui ne veux lui causer.\nV ous ordonne de retourner. \u00bb\nIls s\u2019en vont tout d\u00e9concert\u00e9s ;\nLe s\u00e9n\u00e9chal ont emport\u00e9 3648\nEt le comte sur son \u00e9cu ;\nAssez longtemps il a v\u00e9cu,\nBien qu\u2019il f\u00fbt gravement bless\u00e9.\nAinsi \u00c9rec fut d\u00e9livr\u00e9. 3652\nGuivret le Petit\n\u00c9rec s\u2019en va au grand galop\nSur un chemin bord\u00e9 d\u2019enclos.\nEt de ce chemin d\u00e9bouchant\nIls trouv\u00e8rent un pont tournant, 3656250 Chr\u00e9tien de Troyes\npar devant uue haute tor\nqui close estoit de mur an tor\net de foss\u00e9 l\u00e9 et parfont.\nIsnelemant passent le pont, 3660\nmes molt orent al\u00e9 petit,\nquant de la tor a mont le vit\ncil qui de la tor estoit sire.\nDe celui savrai ge bien dire 3664\nqu\u2019il estoit molt de cors petiz,\nmes de grant cuer estoit hardiz.\nQuant il vit Erec trespassant,\njus de la tor a val descent 3668\net \ufb01st sor un grant destrier sor\nmetre la sele a lyons d\u2019or ;\npuis comande qu\u2019an li aport\nescu et lance roide et fort 3672\nespee brunie et tranchant,\net hiaume cler et reluisant,\nhauberc blanc et chauces treslices,\nqu\u2019il ot ve\u00fc devant ses lices 3676\nun chevalier arm\u00e9 passer\na cui se vialt d\u2019armes lasser,\nou il a lui se lassera\ntant que toz recreanz sera. 3680\nCil ont son conandemant fet :\nez vos ja le cheval hors tret\nla sele mise et anfren\u00e9\nl\u2019a uns escuiers amen\u00e9 ; 3684\nuns autres les armes aporte.\nLi chevaliers par mi la porte\ns\u2019an est issuz plus tost qu\u2019il pot\ntoz seus, que conpaignon n\u2019i ot. 3688\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 251\nPar-devant une haute tour\nEnclose d\u2019un mur tout autour,\nEt d\u2019un foss\u00e9 large et profond.\nVite, pass\u00e8rent sur le pont, 3660\nMais sit\u00f4t qu\u2019ils l\u2019eurent franchi,\nDu haut de cette tour, les vit,\nCelui qui en \u00e9tait le sire.\nEt de lui, certes, je peux dire 3664\nQu\u2019il \u00e9tait vraiment tout petit,\nMais courageux, de c\u0153ur hardi.\nQuand il voit \u00c9rec traversant\nAu bas de sa tour il descend. 3668\nUn grand alezan fait seller\nD\u2019une selle \u00e0 lions dor\u00e9s,\nPuis demande qu\u2019on lui apporte\n\u00e9cu\u00b0 et lance droite et forte, 3672\n\u00c9p\u00e9e brunie, au bon tranchant,\nEt heaume\u00b0 clair, et reluisant,\nhaubert\u00b0 blanc, chausses bien maill\u00e9es.\nDevant la lice, un chevalier 3676\nTout arm\u00e9, il a vu passer :\n\u00c0 lui d\u00e9sire s\u2019attaquer,\nJusqu\u2019\u00e0 \u00e9puisement, sauf si\nL\u2019autre, \u00e0 bout, demande merci\u00b0. 3680\nSes ordres sont ex\u00e9cut\u00e9s :\nV oici le cheval amen\u00e9,\nLe frein est mis, il est sell\u00e9,\nEt tenu par un \u00e9cuyer. 3684\nLes armes, l\u2019autre les apporte.\nEt le chevalier, par la porte,\nEst sorti, si vite qu\u2019il put,\nTout seul : nul compagnon n\u2019a eu. 3688252 Chr\u00e9tien de Troyes\nErec vet par mi un pandant ;\nez vos le chevalier fandant\npar mi le tertre contre val,\net sist sor un molt \ufb01er cheval, 3692\nqui si grant esfroi demenoit\nque il desoz ses piez fraignoit\nles chailloz plus delivremant\nque mole ne quasse fromant, 3696\net si li volent de toz sanz\nestanceles cleres ardanz,\ncar des catre piez est a vis\nque tuit fussent de feu espris. 3700\nEnyde ot la noise et l\u2019esfroi ;\na po que de son palefroi\nne chei jus pasmee et vainne ;\nan tot le cors de li n\u2019ot vainne 3704\ndon ne li remuast li sans,\nsi li devint pales et blans\nli vis con se ele fust morte.\nMolt se despoire et desconforte, 3708\ncar son seignor dire ne I\u2019ose,\nqu\u2019il la menace molt et chose\net comande qu\u2019ele se teise.\nDe deus parz est molt a male eise, 3712\nqu\u2019ele ne set lequel seisir\nou le parler ou le teisir.\nAli meismes s\u2019an consoille ;\nsovant del dire s\u2019aparoille 3716\nsi que la leingue se remuet,\nmes la voiz pas issir n\u2019an puet,\ncar de peor estraint les danz,\ns\u2019anclost la parole dedanz, 3720\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 253\n\u00c9rec gravissait une pente ;\nIl voit, fon\u00e7ant dans la descente,\nVenant vers lui, le chevalier,\nMont\u00e9 sur un bien \ufb01er coursier 3692\nQui tellement se d\u00e9menait\nQue sous ses sabots \u00e9crasait\nLes cailloux, plus facilement\nQu\u2019une mule fait le froment, 3696\nEt jaillissaient des \u00e9tincelles\nDe tous c\u00f4t\u00e9s, claires et belles,\nTellement, qu\u2019on aurait pens\u00e9\nQu\u2019il faisait feu des quatre pieds. 3700\n\u00c9nide l\u2019entend arriver :\nPeu s\u2019en faut que du destrier\nNe soit tomb\u00e9e sans mouvement :\nDe ses veines, \u00e0 cet instant, 3704\nS\u2019\u00e9tait retir\u00e9 tout le sang.\nSon visage \u00e9tait p\u00e2le et blanc\nComme l\u2019est celui d\u2019une morte.\nLe d\u00e9sespoir alors l\u2019emporte, 3708\nCar elle n\u2019ose plus parler :\nSon seigneur va la menacer,\nSe taire va lui commander.\nMalheur lui vint des deux c\u00f4t\u00e9s, 3712\nEt ne sait pas lequel choisir :\nParler, ou sa langue tenir ?\nElle s\u2019en est bien tourment\u00e9e. . .\nSouvent se dispose \u00e0 parler, 3716\nTant que sa langue a remu\u00e9,\nMais aucun son ne peut passer\nCar la peur lui serre les dents,\nEt sa voix demeure au-dedans ; 3720254 Chr\u00e9tien de Troyes\net si se justise et destraint :\nla boche clot, les danz estraint\nque la parole hors n\u2019an aille ;\na li a prise grant bataille 3724\net dit : \u00ab Se\u00fcre sui et certe\nque trop recevrai leide perte,\nse je ici mon seignor pert. -\nDirai li donc tot en apert ? 3728\nNenil. Por quoi ? Je n\u2019oseroie,\nque mon seignor correceroie ;\net se mes sires se corroce,\nil me leira an ceste broce 3732\nseule et cheitive et esgaree\nlors serai plus mal e\u00fcree.\nMal e\u00fcree ? Moi que chaut ?\nDiax ne pesance ne me faut 3736\nja mes, tant con je aie a vivre,\nse mes sires tot a delivre\nan tel guise de ci n\u2019estort\nqu\u2019il ne soit mahaigniez a mort. 3740\nMes se je tost ne li acoint,\ncist chevaliers qui ci apoint\nl\u2019avra einz mort que il se gart,\nque molt sanble de male part. 3744\nLasse, trop ai or atandu.\nSi le m\u2019a il molt desfandu,\nmes ja nel leirai por desfansse :\nje voi bien que mes sires pansse 3748\ntant que lui meismes oblie ;\ndonc est bien droiz que je li die. \u00bb\nEle li dit ; il la menace ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 255\nElle s\u2019impose un vrai tourment :\nFerme la bouche, serre les dents,\nPour que les mots n\u2019\u00e9chappent pas.\nEn elle se livre combat, 3724\nEt se dit : Je sais fort bien, certes,\nQue c\u2019est pour moi a \u000breuse perte\nSi je perds ici mon seigneur.\nDois-je donc lui ouvrir mon c\u0153ur ? 3728\nNon. Et pourquoi ? Je n\u2019ose pas,\nSachant qu\u2019il s\u2019en courroucera.\nEt si mon sire est courrouc\u00e9,\nEn ce bois il va me laisser, 3732\nSeule, ch\u00e9tive, et \u00e9gar\u00e9e ;\nN\u2019en serai que plus d\u00e9sol\u00e9e. . .\nD\u00e9sol\u00e9e ? Que peut m\u2019importer ?\nPeine et chagrin vont m\u2019assi\u00e9ger 3736\nAussi longtemps que j\u2019ai \u00e0 vivre,\nSi mon seigneur ne se d\u00e9livre\nRapidement de ce gu\u00eapier\nAvant que pour mort soit laiss\u00e9. 3740\nSi sur le champ ne le pr\u00e9viens,\nCe chevalier qui vers nous vient\nVa le tuer, sans qu\u2019il l\u2019ait vu,\nCar il y semble r\u00e9solu. 3744\nH\u00e9las ! N\u2019ai que trop attendu. . .\nBien qu\u2019il me l\u2019ait tant d\u00e9fendu,\nJe ne peux suivre sa d\u00e9fense.\nJe vois bien que mon sire pense 3748\nTant que lui-m\u00eame s\u2019en oublie :\nC\u2019est donc juste d\u2019agir ainsi. \u00bb\nElle lui dit ; il la menace,256 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes n\u2019a talant que mal li face, 3752\nqu\u2019il apar\u00e7oit et conuist bien\nqu\u2019ele l\u2019ainme sor tote rien,\net il li tant que plus ne puet.\nContre le chevalier s\u2019esmuet 3756\nqui de bataille le semont.\nAsanbl\u00e9 sont au chief del pont ;\nla s\u2019antre vienent et des\ufb01ent,\nas fers des lances s\u2019antre anvient 3760\nanbedui de totes lor forces.\nNe lor valurent deus escorces\nli escu qui as cos lor pandent :\nli cuir ronpent et les es fandent 3764\net des haubers ronpent les mailles,\nsi qu\u2019anbedui jusqu\u2019as antrailles\nsont anglaiv\u00e9 et anferr\u00e9,\net li destrier sont aterr\u00e9. 3768\nNe furent pas navr\u00e9 a mort,\ncar molt erent li blazon fort.\nLes lances ont el chanp gitees,\ndes fuerres traient les espees, 3772\nsi s\u2019antre \ufb01erent par grant ire. -\nLi uns l\u2019autre sache et detire,\nque de rien ne s\u2019antr\u2019espargnoient.\nGranz cos sor les hiaumes donoient 3776\nqu\u2019estanceles ardanz an issent ;\nli escu fandent et esclicent ;\nan mainz leus lor sont anbatues\nles espees jusqu\u2019as charz nues, 3780\nque molt s\u2019afebloient et lassent :\net se les espees durassent\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 257\nMais sans que nul mal ne lui fasse ; 3752\nIl le constate et comprend bien :\nPlus que lui, elle n\u2019aime rien.\nIl en est de m\u00eame pour lui.\nCombat contre Guivret\nContre le chevalier partit, 3756\nQui le provoquait au combat.\n\u00c0 l\u2019entr\u00e9e du pont le trouva :\nIls se d\u00e9\ufb01ent en s\u2019abordant,\nEt de la lance vont frappant, 3760\nTous deux mettant toute leur force.\nOnt bris\u00e9 comme deux \u00e9corces\nLes \u00e9cus qui \u00e0 leur cou pendent :\nTranchent le cuir et le bois fendent 3764\nEt des hauberts\u00b0 rompent les mailles,\nTant que tous deux, jusqu\u2019aux entrailles\nSont transperc\u00e9s et enferr\u00e9s,\nDestriers \u00e0 terre jet\u00e9s. 3768\nNe se bless\u00e8rent pas \u00e0 mort,\nCar leurs blasons \u00e9taient tr\u00e8s forts.\n\u00c0 terre ont les lances jet\u00e9,\nDu fourreau tir\u00e9 les \u00e9p\u00e9es, 3772\nEt s\u2019en frappent tr\u00e8s durement.\nIls se rouent mutuellement,\nDe coups, et rien ne se pardonnent.\nGrands coups sur les heaumes\u00b0 se donnent 3776\nTant qu\u2019\u00e9tincelles en jaillissent ;\nLes \u00e9cus fendent et fracassent ;\nLeurs \u00e9p\u00e9es se sont abattues\nBien souvent jus\u2019\u00e0 la chair nue, 3780\nSi bien qu\u2019en\ufb01n se sont lass\u00e9s ;\nSi les \u00e9p\u00e9es avaient dur\u00e9258 Chr\u00e9tien de Troyes\nlonguemant l\u2019une et l\u2019autre antiere,\nne se treississent pas arriere, 3784\nne la bataille ne fenist\ntant que l\u2019un morir covenist.\nEnyde, qui les esgardoit,\na po de duel ne forssenoit. 3788\nQui li veist son grant duel fere,\nses poinz tordre, ses chevox trere,\net les lermes des ialz cheoir,\nleal dame poist veoir ; 3792\net trop fust fel qui la veist,\nse granz pitiez ne l\u2019an preist.\nLii uns a l\u2019autre granz cos done ;\ndes tierce jusque pres de none 3796\ndura la bataille tant \ufb01ere\nque nus hom an nule meniere\ncertainnemant n\u2019aparce\u00fcst\nli quex le meillor en e\u00fcst. 3800\nErec s\u2019esforce et esvertue\ns\u2019espee li a anbatue\nel hiaume jusqu\u2019el chapeler,\nsi que tot le fet chanceler ; 3804\nmes bien se tint qu\u2019il ne chei.\nEt cil ra Erec anvai,\nsi l\u2019a si duremant feru\nsor la pane de son escu 3808\nqu\u2019au retraire est li branz brisiez,\nqui molt ert boens et bien prisiez.\nQuant cil vit brisiee s\u2019espee,\npar mautalant a jus gitee 3812\nla part qui li remest el poing\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 259\nTrop longtemps, l\u2019une et l\u2019autre enti\u00e8res,\nNul n\u2019e\u00fbt fait un pas en arri\u00e8re, 3784\nLa bataille n\u2019e\u00fbt pas \ufb01ni\nAvant que l\u2019un d\u2019eux n\u2019e\u00fbt p\u00e9ri.\n\u00c9nide, qui les regardait,\nDe douleur, le sens en perdait. 3788\nQui l\u2019aurait vue tel deuil mener,\nSe tordre les poings, se tirer\nLes cheveux, ses larmes couler,\nE\u00fbt connu sa \ufb01d\u00e9lit\u00e9 ; 3792\nEt serait plein de f\u00e9lonie\nQui sans piti\u00e9 l\u2019e\u00fbt vue ainsi.\nL\u2019un et l\u2019autre grands coups se donnent ;\nDe tierce jusque\u2019\u00e0 pr\u00e8s de none\u00b0 3796\nDura la lutte, si \u00e2prement\nQue personne, certainement,\nEn d\u00e9cider n\u2019aurait pas pu\nLequel des deux meilleur y fut. 3800\n\u00c9rec s\u2019e \u000borce et s\u2019\u00e9vertue ;\nSon \u00e9p\u00e9e lui a abattue\nSur le heaume\u00b0 et le capelet\nTant que l\u2019autre en a chancel\u00e9 ; 3804\nMais se retint, n\u2019est pas tomb\u00e9.\nSur \u00c9rec alors s\u2019est lanc\u00e9\nPour lui porter un coup si dur\nSur l\u2019\u00e9cu\u00b0 bord\u00e9 de fourrure 3808\nQu\u2019en en retirant son \u00e9p\u00e9e\nSa bonne lame s\u2019est bris\u00e9e. . .\nQuand il vit qu\u2019elle \u00e9tait bris\u00e9e\nDans son d\u00e9pit, il a jet\u00e9 3812\nLe morceau rest\u00e9 \u00e0 son poing260 Chr\u00e9tien de Troyes\ntant com il onques pot plus loing.\nPeor ot ; arriers l\u2019estut treire,\nque ne puet pas grant esforz feire 3816\nan bataille ne an assaut\nchevaliers cui s\u2019espee faut.\nErec l\u2019anchauce, et cil li prie\npor Deu qu\u2019il ne l\u2019ocie mie : 3820\n\u00ab Merci ! fet il, frans chevaliers ;\nne soies vers moi fel ne \ufb01ers :\ndes que n\u2019espee m\u2019est faillie,\nla force avez et la baillie 3824\nde moi ocirre ou de vif prandre,\nque n\u2019ai don me puisse desfandre. \u00bb\nErec respont : \u00ab Quant tu me pries,\noltreemant vuel que tu dies 3828\nque tu es oltrez et conquis ; -\npuis ne saras par moi requis,\nse tu te mez an ma menaie. \u00bb\nEt cil del dire se delaie. 3832\nQuant Erec le vit delaier,\npor lui fere plus esmaier\nli ra une anvaie fete :\nsore li cort espee trete, 3836\net cil dit, qui fu esmaiez\n\u00abMerci ! sire, conquis m\u2019aiez,\ndes qu\u2019altremant estre ne puet. \u00bb\nEt cil respont : \u00ab Plus i estuet, 3840\nqu\u2019a tant n\u2019an iroiz vos pas quites\nvostre estre et vostre non me dites,\net je vos redirai le mien, \u00bb\n\u00ab Sire, fet il, molt dites bien ; 3844\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 261\nDe toutes ses forces, tr\u00e8s loin.\nIl prit peur, et dut reculer,\nCar un chevalier sans \u00e9p\u00e9e 3816\nGrand mal, certes, ne cause pas,\nNi \u00e0 l\u2019assaut, ni au combat.\n\u00c9rec l\u2019attaque, l\u2019autre supplie\nAu nom de Dieu, qu\u2019il ne l\u2019occie. 3820\n\u00ab Gr\u00e2ce, fait-il, preux chevalier !\nEnvers moi, f\u00e9lon ne soyez :\nPuisque je n\u2019ai plus mon \u00e9p\u00e9e\n\u00c0 vous toute facilit\u00e9 3824\nDe m\u2019occire ou vivant me prendre,\nSans que je puisse me d\u00e9fendre. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Si tu m\u2019en pries,\nJe veux t\u2019entendre dire aussi 3828\nQue tu es vaincu et soumis.\nNe te causerai nul souci\nSi tu te mets \u00e0 ma merci\u00b0. \u00bb\nMais l\u2019autre h\u00e9site \u00e0 faire ainsi. 3832\n\u00c9rec, le voyant h\u00e9siter,\nPour le faire se d\u00e9cider\nEncore un coup l\u2019a attaqu\u00e9 :\nSur lui se jette, l\u2019\u00e9p\u00e9e lev\u00e9e, 3836\nEt l\u2019autre a dit, terri\ufb01\u00e9 :\n\u00ab Gr\u00e2ce, sire, vaincu m\u2019avez,\nCe ne peut plus \u00eatre autrement. \u00bb\n\u00c9rec lui r\u00e9pond : \u00ab Pour autant 3840\nNe croyez pas en \u00eatre quitte :\nQui vous \u00eates, votre nom dites,\nEt moi je vous dirai le mien. \u00bb\n\u00ab Sire, fait-il, vous parlez bien. 3844262 Chr\u00e9tien de Troyes\nje sui de ceste terre rois, -\nmi home lige sont Irois,\nn\u2019i a nul ne soit mes rantiz ;\net j\u2019ai non Guivrez li Petiz ; 3848\nassez sui riches et puissanz,\nqu\u2019an ceste terre, de toz sanz,\nn\u2019a baron, qui a moi marchisse,\nqui de mon comandemant isse 3852\net mon pleisir ne face tot ;\nje n\u2019ai veisin qui ne me dot,\ntant se face orguellex ne cointes ;\nmolt voldroie estre vostre acointes 3856\net vostre amis d\u2019or en avant. \u00bb\nErec respont :\u00ab Je me revant\nque je sui assez gentix hom\nErec, \ufb01lz le roi Lac, ai non. 3860\nRois est mes peres d\u2019Estre-Gales ;\nriches citez et beles sales\net forz chastiax a molt mes peres,\nplus n\u2019en a rois ne empereres, 3864\nfors li rois Artus seulemant\ncelui an ost je voiremant,\ncar a lui nus ne s\u2019aparoille.\nQuant Guivrez l\u2019ot, molt s\u2019an mervoille, 3868\net dist : \u00ab Sire, grant mervoille oi ;\nonques de rien tel joie n\u2019oi\ncon j\u2019ai de vostre conuissance ;\navoir poez tele \ufb01ance 3872\nen ma terre et an mon avoir\nque ja tant n\u2019i voldroiz manoir\nque molt ne vos face enorer.\nJa tant n\u2019i voldroiz demorer 3876\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 263\nDe cette terre le roi suis-je,\nIrlandais sont mes hommes-liges,\nEt tous me paient tribu, ici.\nJ\u2019ai pour nom Guivret le Petit. 3848\nJ\u2019ai grande richesse et puissance ;\nEn cette terre, en en tous sens,\nN\u2019est baron r\u00e9gnant sur mes marches\nQui contre mes ordres se f\u00e2che, 3852\nMa volont\u00e9 ne fasse, toute.\nN\u2019ai voisin qui ne me redoute,\nF\u00fbt-il tant orgueilleux ou \ufb01er ;\n\u00catre votre alli\u00e9 je pr\u00e9f\u00e8re 3856\nEt votre ami, dor\u00e9navant. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Moi, je pr\u00e9tends\n\u00catre noble, \u00e0 juste raison :\n\u00c9rec, \ufb01ls de Lac, est mon nom. 3860\nMon p\u00e8re est le roi d\u2019outre-Galles ;\nRiches cit\u00e9s et belles salles\nEt forts ch\u00e2teaux il a, ma foi,\nPlus que nul empereur ou roi, 3864\nSauf le roi Arthur\u00b0 seulement :\nLui, je l\u2019excepte, \u00e9videmment,\nCar il n\u2019en est pas de pareil. \u00bb\nGuivret l\u2019entend, et s\u2019\u00e9merveille ; 3868\nIl dit : \u00ab Sire, j\u2019en suis pantois,\nRien ne m\u2019a donn\u00e9 tant de joie\nQue de vous avoir rencontr\u00e9 ;\n\u00c0 votre gr\u00e9 disposerez 3872\nDe ma terre et de tous mes biens.\nTant que resterez, il n\u2019est rien\nQue j\u2019oublie, pour vous honorer.\nEt tant que vous demeurerez 3876264 Chr\u00e9tien de Troyes\nque desor moi ne soiez sire.\nAndui avons mestier de mire,\net j\u2019ai ci pres un mien recet,\nn\u2019i a pas sis liues ne set ; 3880\nla vos voel avoec moi mener,\nsi ferons noz plaies sener. \u00bb\nErec respont : \u00ab Boen gre vos sai\nde ce qu\u2019oi dire vos ai ; 3884\nn\u2019i irai pas, vostre merci,\nmes itant solenant vos pri\nque, se Dus besoinz m\u2019avenoit\net la novele a vos venoit 3888\nque j\u2019e\u00fcsse mestier d\u2019aie,\nadonc ne m\u2019obliessiez mie. \u00bb\n- Sire, fet il, je vos plevis -\nque, ja tant con je soie vis, 3892\nn\u2019avroiz de mon secors mnestier\nque tantost ne vos vaigne aidier\na quanque je porrai mander. -\nJa plus ne vos quier demander, 3896\nfet Erec, molt m\u2019avez promis ;\nmes sire estes et mes amis,\nse l\u2019uevre est tex con la parole. \u00bb\nLi uns l\u2019autre beise et acole ; 3900\nonques de si dure bataille\nne fu si dolce dessevraille,\nque par amor et par franchise\nchascuns, des panz de sa chemise, 3904\ntrancha bandes longues et lees,\ns\u2019ont lor plaies antre bandees.\nQuant il se sont antre band\u00e9,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 265\nPour moi serez seigneur du lieu.\nMais il nous faut des soins, tous deux,\nUn abri proche m\u2019appartient,\n\u00c0 six ou sept lieues, n\u2019est pas loin ; 3880\nAvec moi veux vous y mener :\nNous y ferons nos plaies soigner. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Je vous sais gr\u00e9\nDe ce que vous me proposez. 3884\nJe n\u2019irai pas, pardonnez-moi ;\nMais seulement, promettez-moi\nQue si je suis dans le besoin\nEt si nouvelle vous parvient, 3888\nQue je d\u00e9sire du secours,\nV ous souviendrez de moi, toujours. \u00bb\n\u2014 Sire, fait-il, je vous promets\nQu\u2019aussi longtemps que je vivrai 3892\nV ous ne ferez appel \u00e0 moi\nSans qu\u2019aussit\u00f4t \u00e0 vous je sois,\nAvec tous ceux que je pourrai.\n\u2014 Rien de plus ne demanderai 3896\nFait \u00c9rec ; c\u2019est tr\u00e8s bien ainsi :\n\u00cates mon seigneur et ami,\nSi des faits suivent vos paroles. \u00bb\nTous deux s\u2019embrassent et accolent ; 3900\nJamais combat si furieux\nN\u2019eut d\u2019\u00e9pilogue aussi heureux.\nPar amiti\u00e9, et sans feintise ;\nChacun, des pans de sa chemise 3904\nTranche longues et larges bandes,\nEt leurs plaies tous les deux se bandent.\nQuand ils se sont ainsi soign\u00e9s,266 Chr\u00e9tien de Troyes\na Deu s\u2019antre sont comand\u00e9. 3908\nDeparti sont an tel meniere\nseus s\u2019an revet Guivrez arriere ;\nErec a son chemin retret,\nqui grant mestier e\u00fcst d\u2019antret 3912\npor ses plaies medeciner ;\neinz ne \ufb01na de cheminer\ntant qu\u2019il vindrent an une plaigne\nlez une haute forest plaigne 3916\nde cers, de biches et de dains,\net de chevriax et de farains\net de tote autre salvagine.\nLi rois Artus et la reine 3920\net de ses barons li meillor\ni estoient venu le jor :\nan la forest voloit li rois\ndemorer catre jorz ou trois 3924\npor lui deduire et deporter ;\nsi ot comand\u00e9 aporter\ntantes et pavellons et trez.\nEl tref le roi estoit antrez 3928\nmes sire Gauvains toz lassez,\nqui chevalchi\u00e9 avoit assez ;\ndevant son tref estoit uns charmes,\nla ot un escu de ses armes 3932\npandu, et sa lance de fresne\na une branche par la resne,\net le gringalet aresn\u00e9,\nla sele mise et anfren\u00e9. 3936\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 267\n\u00c0 Dieu se sont recommand\u00e9s, 3908\nEt se sont alors s\u00e9par\u00e9s :\nGuivret seul s\u2019en est retourn\u00e9 ;\n\u00c9rec a repris le chemin ;\nPourtant aurait eu bien besoin 3912\nD\u2019onguent pour mettre sur ses plaies.\nIl a chemin\u00e9 sans arr\u00eat\nPour arriver dans une plaine\nPr\u00e8s d\u2019une haute for\u00eat pleine 3916\nDe biches et daims tachet\u00e9s,\nDe cers, de chevreuils, de gibier,\nB\u00eates de toutes les fa\u00e7ons.\nInsolence de Keu\nLe roi Arthur\u00b0 et ses baron 3920\nLes meilleurs, et la reine aussi,\nLe m\u00eame jour \u00e9taient ici.\nEn la for\u00eat voulait le roi\nDemeurer quatre jours ou trois 3924\nPour se distraire et amuser ;\nIl s\u2019\u00e9tait donc fait apporter\nTentes et pavillons priv\u00e9s.\nEn sa tente venait d\u2019entrer 3928\nMessire Gauvain\u00b0, harass\u00e9\nPar une longue chevauch\u00e9e.\nDevant la tente \u00e9tait un charme :\nY avait pendu, de ses armes, 3932\nL\u2019\u00e9cu, et la lance de bois,\n\u00c0 la branche, par la courroie,\nEt son Gringalet attach\u00e9\nTout sell\u00e9 et encore brid\u00e9. 3936268 Chr\u00e9tien de Troyes\nTant estut iluec li chevax\nque Keus i vint li seneschax ;\ncele part vint grant ale\u00fcre ;\nausi con par anvoise\u00fcre 3940\nprist le cheval et monta sus,\nonques ne li contredist nus ;\nla lance et l\u2019escu prist apr\u00e9s\nqui sor l\u2019arbre estoit iqui pres ; 3944\ngalopant sor le gringalet\ns\u2019an aloit Keus tot un valet,\ntant que par avanture avint\nqu\u2019 Erec a l\u2019ancontre li vint. 3948\nErec conut le seneschal\net les armes et le cheval ;\nmes Keus pas lui ne reconut,\ncar a ses armes ne parut 3952\nnule veraie conuissance\ntant cCs d\u2019espees et de lance\navoit sor son escu e\u00fcz\nque toz li tainz an ert che\u00fcz. 3956\nEt la dame par grant veidie,\npor ce qu\u2019ele ne voloit mie\nqu\u2019il la cone\u00fcst ne veist,\nausi con s\u2019ele le feist 3960\npor le chaut ou por la poldriere,\nmist sa guinple devant sa chiere.\nKeus vint avant plus que le pas\net prist Erec en es le pas 3964\npar les resnes sanz sal\u00fcer ;\neinz qu\u2019il le lessast rem\u00fcer\nli demanda par son orguel :\nChevaliers, fet il, savoir vuel 3968\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 269\nTant y demeura le cheval\nQu\u2019en\ufb01n Keu\u00b0 vint, le s\u00e9n\u00e9chal ;\nIl vint ici en se h\u00e2tant,\nEt en guise d\u2019amusement, 3940\nPrit le cheval, monta dessus :\nPersonne ne s\u2019en aper\u00e7ut.\nPuis il prit la lance et l\u2019\u00e9cu\u00b0\nQui apr\u00e8s l\u2019arbre \u00e9taient pendus. 3944\nGalopant sur le Gringalet,\nKeu\u00b0 par le vallon s\u2019en allait\nTant que par hasard il advint\nQu\u2019\u00c9rec \u00e0 sa rencontre vint. 3948\n\u00c9rec a vu le s\u00e9n\u00e9chal,\nEt les armes, et le cheval ;\nMais Keu\u00b0 ne l\u2019a pas reconnu,\nCar sur ses armes n\u2019\u00e9taient plus 3952\nNul signe de reconnaissance,\nTant de coups d\u2019\u00e9p\u00e9e et de lance\nAvait re\u00e7u, sur son \u00e9cu,\nQue la couleur a disparu. 3956\nEt la dame alors s\u2019amusa\nParce qu\u2019elle ne voulait pas\nQu\u2019il la conn\u00fbt en la voyant :\nSe prot\u00e9ger a fait semblant 3960\nDe la chaleur, de la poussi\u00e8re :\nMit son voile, se tint derri\u00e8re.\nKeu\u00b0 s\u2019avan\u00e7a rapidement\nEt prit \u00c9rec brutalement 3964\nPar les r\u00eanes, sans saluer,\nSans lui permettre de bouger ;\nLui demanda, fort orgueilleux :\n\u00ab Chevalier, conna\u00eetre je veux 3968270 Chr\u00e9tien de Troyes\nqui vos estes et d\u2019ou venez.\nFos estes quant vos me tenez,\nfet Erec ; nel savroiz enuit. \u00bb\nEt cil respont : \u00ab Ne vos enuit, 3972\nque por vostre bien le demant :\nje voi et sai certainnemant\nque bleciez estes et navrez ;\nanquenuit mon ostel prenez ; 3976\nse vos volez o moi venir,\nje vos ferai molt chier tenir\net enorer et aeisier,\ncar de repos avez mestier. 3980\nLi rois Artus et la reine\nest ci pres en une gaudine,\nde trez et de tantes logi\u00e9 ;\nen boene foi le vos lo gi\u00e9 3984\nque vos veigniez avoeques moi\nveoir la reine et le roi,\nqui de vos grant joie feront\net grant enor vos poi teront. \u00bb 3988\nErec respont : \u00ab V os dites bien\nn\u2019i iroie por nule rien.\nNe savez mie mnon besoing ;\nancor m\u2019estuet aler plus loing : 3992\nlessiez m\u2019aler, car trop demor ;\nassez i a encor del jor. \u00bb\nKeus respont : \u00ab Grant folie dites,\nqui del venir vos escondites ; 3996\nespoir vos an repantiroiz,\ncar je cuit que vos i vanroiz\nandui, et vos et vostre fame,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 271\nQui vous \u00eates, d\u2019o\u00f9 vous venez. \u00bb\n\u2014 V ous \u00eates fou ! Si me tenez\nNe le saurez pas aujourd\u2019hui ! \u00bb\nL\u2019autre dit : \u00ab Si je vous ennuie, 3972\nNe le fais que pour votre bien.\nJ\u2019en suis s\u00fbr, car je le vois bien,\nV ous \u00eates gravement bless\u00e9 !\nCe soir, chez moi, logis prenez ; 3976\nSi vous voulez m\u2019accompagner\nV ous ferai richement traiter,\nAurez honneurs et petits soins,\nCar de repos avez besoin. 3980\nLa reine et Arthur\u00b0 notre roi\nSont tout pr\u00e8s d\u2019ici dans un bois,\nSous de grandes tentes log\u00e9s.\nDe bonne foi vient vous prier 3984\nDe vouloir venir avec moi\nPour y voir la reine et le roi,\nQui de vous se r\u00e9jouiront\nEt bien haut vous honoreront. \u00bb 3988\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab V ous parlez bien,\nMais certes je n\u2019en ferai rien.\nV ous ignorez mes vrais besoins,\nEt il me faut aller plus loin. 3992\nLaissez-moi, trop ai demeur\u00e9,\nLa journ\u00e9e n\u2019est pas achev\u00e9e.\nKeu\u00b0 r\u00e9pond : \u00ab C\u2019est grande folie\nDe refuser mon o \u000bre ainsi ; 3996\nS\u00fbrement le regretterez,\nCar je crois que vous y viendrez,\nComme au synode le cur\u00e9,272 Chr\u00e9tien de Troyes\nsi con li prestres va au sane, 4000\nou volantiers ou a enviz.\nAnquenuit seroiz mal serviz ;\nvenez an tost, car je vos praing. \u00bb\nDe ce ot Erec grant desdaing 4004\n\u00ab Vasax, fet il, folie feites,\nqui par force apr\u00e9s vos me treites.\nSanz des\ufb01ance m\u2019avez pris ;\nje di que vos avez mespris, 4008\ncar toz se\u00fcrs estre cuidoie,\nde rien vers vos ne me gardoie. \u00bb\nLors met a l\u2019espee la main\net dit : \u00ab Vasax, lessiez mon frain ! 4012\nTraiez vos la ! Je vos tieng molt\npor orgueilleus et por estout.\nSe apr\u00e9s vos plus me sachiez,\nje vos ferrai, bien le sachiez. 4016\nLeissiez m\u2019aler ! \u00bb Et cil le leisse ;\nel champ plus d\u2019un arpant s\u2019esleisse,\npuis retorne, si le des\ufb01e\ncom hom plains de grant felenie. 4020\nLi uns contre l\u2019autre ganchist,\nmes Erec de tant se franchist.\npor ce que il desarmez iere ;\nde sa lance torna desriere 4024\nle fer, et l\u2019arestuel devant.\nTel cop li done ne por quant\nan son escu tot el plus emple\nque hurter li \ufb01st a la temple 4028\net que le braz au piz li serre ;\ntot estandu le porte a terre ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 273\n\u00c0 contre-coeur ou de bon gr\u00e9, 4000\nEt vous et votre femme aussi,\nCar sinon serez mal servis ;\nVenez ! D\u2019ailleurs je vous retiens. \u00bb\n\u00c9rec n\u2019eut pour lui que d\u00e9dain : 4004\n\u00ab Vassal\u00b0, fait-il, quelle folie\nDe vouloir m\u2019entra\u00eener ainsi !\nPar surprise vous m\u2019avez pris ;\nCertes vous avez mal agi, 4008\nCar tout seul je me croyais l\u00e0,\nEt de vous ne me gardais pas. \u00bb\nLa main alors \u00e0 l\u2019\u00e9p\u00e9e mit\nEt dit : \u00ab vassal\u00b0, l\u00e2chez ceci, 4012\nAllez vous-en ! Je le crois bien,\nV ous \u00eates orgueilleux et vain.\nSi vous continuez, \u00e0 la \ufb01n,\nV ous frapperai, soyez certain. 4016\nL\u00e2chez-moi ! \u00bb L\u2019autre l\u2019a laiss\u00e9.\nD\u2019un arpent, il s\u2019est \u00e9loign\u00e9,\nS\u2019est retourn\u00e9, et le d\u00e9\ufb01e,\nEn homme plein de f\u00e9lonie. 4020\nL\u2019un contre l\u2019autre sont lanc\u00e9s,\nMais \u00c9rec, lui, s\u2019est content\u00e9,\nV oyant que l\u2019autre est sans haubert\u00b0,\nDe tourner sa lance \u00e0 l\u2019envers, 4024\nFer derri\u00e8re, talon devant.\nTel coup lui en donne pourtant,\nO\u00f9 plus large se fait l\u2019\u00e9cu,\nQue frapper la tempe est venu ; 4028\nLe bras sur la poitrine serre,\nDe tout son long l\u2019\u00e9tend \u00e0 terre,274 Chr\u00e9tien de Troyes\npuis vient au destrier, si le prant ;\nEnyde par le frain le rant. 4032\nMener l\u2019en vost, mes cil li prie,\nqui molt sot de losangerie,\nque par franchise li randist ;\nmolt bel le losange et blandist 4036\n\u00ab Vasax, fet il, se Dex me gart,\nan ce destrier je n\u2019i ai part,\neinz est au chevalier del monde\nan cui graindre proesce abonde, 4040\nmon seignor Gauvain le hardi.\nTant de la soe part vos di\nque son destrier li anvoiez\npor ce que enor i aiez ; 4044\nmolt feroiz que frans et que sages\net ge serai vostre mesages. \u00bb\nErec respont : \u00ab Vasax, prenez\nle cheval, si l\u2019en remenez 4048\ndes qu\u2019il est mon seignor Gauvain,\nn\u2019est mie droiz que je l\u2019en main. \u00bb\nKeus prant le cheval, si remonte ;\nau tref le roi vient, si li conte 4052\nle voir, que rien ne l\u2019an cela.\nEt li rois Gauvain apela :\n\u00ab Biax ni\u00e9s Gauvain, ce dit li rois,\ns\u2019onques fustes frans ne cortois, 4056\nalez apr\u00e9s isnelemant ;\ndemandez amiablemant\nde son estre et de son afeire\net, se vos le poez atreire 4060\ntant que avoec vos l\u2019ameigniez,\ngardez ja ne vos an feigniez. \u00bb\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 275\nPuis vient au destrier, le prend,\nEt la bride \u00e0 \u00c9nide tend : 4032\nVeut l\u2019emmener ; l\u2019autre le prie,\nQui s\u2019y conna\u00eet en \ufb02atteries,\nDe le lui rendre, par bont\u00e9 ;\nTr\u00e8s habilement l\u2019a lou\u00e9 : 4036\n\u00ab Vassal\u00b0, dit-il, Dieu bien le voit,\nCe destrier n\u2019est pas \u00e0 moi,\nMais au chevalier dont abondent\nLes prouesses de par le monde : 4040\nMonseigneur Gauvain\u00b0 le Hardi.\nEt de ma part, je vous le dis\nRenvoyez-lui son destrier\nV ous en serez fort honor\u00e9, 4044\nG\u00e9n\u00e9reux et sage serez ;\nJe serai votre messager. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Vassal\u00b0, prenez\nCe cheval et le ramenez. 4048\nS\u2019il est \u00e0 monseigneur Gauvain\u00b0\nNe voudrais l\u2019emmener pour rien. \u00bb\nKeu\u00b0 prend le cheval et le monte\nAu roi s\u2019en vient, et lui raconte 4052\nLa v\u00e9rit\u00e9, sans rien cacher.\nLe roi a Gauvain\u00b0 appel\u00e9 :\n\u00ab Beau neveu, Gauvain\u00b0, dit le roi,\nSi vous \u00eates noble et courtois, 4056\nCourez apr\u00e8s lui, vivement ;\nDemandez-lui aimablement\nCe qu\u2019il veut, et qui donc il est ;\nSi vous pouvez le d\u00e9cider, 4060\nEt le ramener avec vous,\nFaites-le, n\u2019y manquez surtout. \u00bb276 Chr\u00e9tien de Troyes\nGauvains monte an son gringalet,\napr\u00e9s le sivent dui vaslet ; 4064\nja ont Erec aconse\u00fc,\nmes ne l\u2019ont mnie cone\u00fc.\nGauvains le salue et il lui ;\nsal\u00fc\u00e9 se sont amedui ; 4068\npuis li dist mes sire Gauvains,\nqui de grant franchise estoit plains\nSire, fet il, a vos m\u2019anvoie\nli rois Artus an ceste voie ; 4072\nla reine et li rois vos mandent\nsaluz, et prient et comandent\nqu\u2019avoec ax vos venez deduire\neidier vos Vuelent, non pas nuire, 4076\net il ne sont pas loing de ci. \u00bb\nErec respont : \u00ab Molt an merci\nle roi et la reine ansanble,\net vos qui estes, ce me sanble, 4080\nde bon eire et bien afeitiez.\nJe ne sui mie bien heitiez,\neinz sui navrez dedanz le cors,\net ne por quant ja n\u2019istrai hors 4084\nde mon chemin por ostel prendre.\nNe vos i covient plus atendre ;\nvostre merci, ralez vos an. \u00bb\nGauvains estoit de molt grant san ; 4088\narrieres se tret et consoille\na un des vaslez an l\u2019oroille\nque tost aille dire le roi\nque il preigne prochain conroi 4092\nde ses trez destendre et abatre,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 277\nGauvain\u00b0 monte son Gringalet ;\nDerri\u00e8re lui vont deux valets. 4064\nVers \u00c9rec sont bient\u00f4t venus,\nMais ils ne l\u2019ont pas reconnu.\nGauvain\u00b0 le salue, l\u2019autre aussi ;\nQuand se sont salu\u00e9s ainsi, 4068\nAlors dit messire Gauvain\u00b0,\nLui qui de noblesse \u00e9tait plein :\n\u00ab Sire, par devers vous m\u2019envoie\nIci, le roi Arthur\u00b0, ma foi. 4072\nLe roi et la reine \u00e0 vous mandent\nSalut ; ils vous prient et demandent\nDe prendre part \u00e0 leurs plaisirs ;\nVeulent vous plaire et non vous nuire, 4076\nEt ne sont pas bien loin d\u2019ici. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab J\u2019en remercie\nEt le roi et la reine ensemble,\nEt vous qui \u00eates, ce me semble, 4080\nBien \u00e9lev\u00e9, n\u00e9 noblement.\nJe ne suis pas tr\u00e8s bien portant :\nPar tout le corps, bless\u00e9, meurtri. . .\nPourtant ne veux \u00e0 aucun prix 4084\nQuitter ma voie pour h\u00f4tel prendre !\nAlors inutile d\u2019attendre,\nEt par piti\u00e9, allez vous-en ! \u00bb\nGauvain\u00b0 \ufb01t preuve de bon sens ; 4088\nIl s\u2019est retourn\u00e9 et a dit\nAu valet, en catimini,\nQu\u2019il aille conseiller au roi\nDe pr\u00e9parer tout son charroi, 4092\nSes tentes toutes faire abattre278 Chr\u00e9tien de Troyes\net veigne trois liues ou catre\ndevant ax en mi le chemin\ntandre les aucubes de lin. 4096\n\u00ab Iluec l\u2019estuet enuit logier,\ns\u2019il vialt conoistre et herbergier\nle meillor chevalier por voir\nc\u2019onques veist, au mien espoir, 4100\nqu\u2019il ne vialt por un ne por el\nguerpir sa voie por ostel. \u00bb\nCil s\u2019an vet ; son message a dit ;\ndestandre fet sanz nul respit 4104\nli rois ses trez ; destandu sont ;\nles somiers chargent, si s\u2019an vont\nsor l\u2019aubagu monta li rois,\nsor un blanc palefroi norrois 4108\nremonta la reine apr\u00e9s.\nMes sire Gauvains tot ad\u00e9s\nne \ufb01noit d\u2019Erec delaier\net cil li dist : Plus alai hier 4112\nasez que je ne ferai hui.\nSire, vos me feites enui ;\nlessiez m\u2019aler : de ma jornee\nm\u2019avez grant masse destorbee. \u00bb 4116\nEt mes sire Gauvains li dit :\nEncor voel aler un petit\navoeques vos, ne vos enuit ;\ncar grant piece a jusqu\u2019a la nuit. \u00bb 4120\nTant ont a parler entandu\nque tuit li tref furent tandu\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 279\nEt s\u2019en vienne \u00e0 trois lieues ou quatre\n\u00c0 leur rencontre, et en chemin\nMonter ses pavillons de lin. 4096\n\u00ab C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il doit ce soir loger\nS\u2019il veut conna\u00eetre, et h\u00e9berger\nLe meilleur chevalier qui soit\nQu\u2019on ait jamais vu, par ma foi. 4100\nCar il ne veut pas se d\u00e9tourner,\nQuitter sa voie pour se loger. \u00bb\nIl est all\u00e9, et sans d\u00e9lai,\nLes tentes d\u00e9monter a fait 4104\nEt celle du roi en premier ;\nSur les chevaux furent charg\u00e9es.\nSur Aubagu monte le roi\nEt sur un beau blanc palefroi\u00b0 4108\nMonte la reine, et on s\u2019en va.\nGauvain\u00b0 pendant tout ce temps-l\u00e0,\n\u00c9rec a fait l\u00e0-bas rester,\nQui dit : \u00ab Hier, j\u2019ai chemin\u00e9 4112\nBien plus que n\u2019ai fait aujourd\u2019hui.\nV ous me causez bien des ennuis !\nLaissez-moi, je veux m\u2019en aller\nV ous m\u2019avez g\u00e2ch\u00e9 ma journ\u00e9e ! \u00bb 4116\nEt messire Gauvain\u00b0 dit : \u00ab Je veux\nIci rester encore un peu ;\nCe n\u2019est pas pour vous un ennui\nCar ce n\u2019est pas bient\u00f4t la nuit. \u00bb 4120\n\u00c9rec et Gauvain\nLe temps qu\u2019ils aient ainsi parl\u00e9,\nLes tentes \u00e9taient install\u00e9es280 Chr\u00e9tien de Troyes\ndevant aus, et Erec les voit ;\nherbergiez est, bien l\u2019apar\u00e7oit. 4124\n\u00ab Hai ! fet il, Gauvain, ha\u00ef !\nvostres granz sans m\u2019a esbahi :\npar grant san m\u2019avez retenu.\nDes que ore est si avenu, 4128\nmon non vos dirai or endroit,\nli celers rien ne m\u2019i vaudroit :\nje sui Erec, qui fui jadis\nvostre conpainz et vostre amis. \u00bb 4132\nGauvains l\u2019ot, acoler le va ;\nson hiaume a mont li sozleva,\net la ventaille li deslace ;\nde joie l\u2019acole et anbrace, 4136\net Erec lui de l\u2019autre part.\nA tant Gauvains de lui se part\net dist : Sire, ceste novele\nsera ja mon seignor molt bele 4140\nliez en iert ma dame et mes sire\net je lor irai avant dire ;\nmes ein\u00e7ois m\u2019estuet anbracier\net conjoir et solacier 4144\nma dame Enyde, vostre fame ;\nde li veoir a molt ma dame\nla reine grant desirrier,\nencor parler l\u2019en oi hier. \u00bb 4148\nGauvains tantost lez li se tret,\nsi li demande qu\u2019ele fet,\nse ele est bien sainne et heitie :\ncele respont com afeitiee 4152\nK Sire, mal ne dolor n\u2019e\u00fcsse,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 281\nL\u00e0-bas devant ; \u00c9rec les voit\nEt devoir y loger s\u2019aper\u00e7oit. 4124\n\u00ab Ah ! Gauvain\u00b0, fait-il, \u00e9tonn\u00e9,\nV otre habilet\u00e9 m\u2019a tromp\u00e9 !\nV ous avez su me retenir. . .\nAlors maintenant je peux dire, 4128\nMon nom je dois vous r\u00e9v\u00e9ler,\nCar je ne peux plus le cacher :\nJe suis \u00c9rec, qui fut jadis\nV otre compagnon et ami ! \u00bb 4132\nGauvain\u00b0 s\u2019approche en l\u2019entendant,\nEt son heaume\u00b0 lui soulevant,\nLa ventaille aussi lui d\u00e9lace,\nLe prend dans ses bras et l\u2019enlace. 4136\n\u00c9rec lui aussi l\u2019a \u00e9treint.\nEt maintenant s\u2019en va Gauvain\u00b0,\nEn lui disant : \u00ab Cette nouvelle\nPour mon seigneur sera tr\u00e8s belle, 4140\nPour tous deux, ma dame et mon sire !\nJe m\u2019en vais en avant leur dire.\nMais avant je veux embrasser\nAvec joie, et complimenter 4144\nMa Dame \u00c9nide, votre femme.\nCar de la voir, ma propre Dame,\nLa reine, vraiment le d\u00e9sire,\nHier je l\u2019ai entendu dire. \u00bb 4148\nGauvain\u00b0 alors s\u2019est approch\u00e9\nD\u2019\u00c9nide et lui a demand\u00e9\nComment elle est, et sa sant\u00e9 ?\nElle r\u00e9pond, bien \u00e9lev\u00e9e : 4152\n\u00ab Sire, n\u2019aurais mal ni douleur282 Chr\u00e9tien de Troyes\nse an grant dotance ne fusse\nde mon seignor ; mes ce m\u2019esmaie\nqu\u2019il n\u2019a gueires manbre sanz plaie. \u00bb 4156\nGauvains respont :\u00ab Moi poise molt.\nIl apert molt bien a son vout,\nqu\u2019il a pale et descolor\u00e9 ;\net g\u2019en e\u00fcsse asez plor\u00e9, 4160\nquant ge le vi si pale et taint :\nmes la joie le duel estaint,\ncar de lui tel joie me vint\nque de nul duel ne me sovint. 4164\nOr venez petite anble\u00fcre ;\ng\u2019irai avant grant ale\u00fcre\ndire la reine et le roi\nque vos venez ci apr\u00e9s moi ; 4168\nbien sai qu\u2019amedui en avront\ngrant joie, quant il le savront. \u00bb\nLors s\u2019an part ; au tref le roi vient.\n\u00abSire, fet il, or vos covient 4172\njoie feire, vos et ma dame,\nque ci vient Erec et sa fame. \u00bb\nLi rois de joie saut an piez.\nCertes, fet il, molt an sui liez ; 4176\nne poisse novele oir\nqui tant me feist resjoir. \u00bb\nTantost li rois ist de son tr\u00e9 ;\nmolt ont Erec pres ancontr\u00e9. 4180\nQuant Erec voit le roi venant,\na terre descent maintenant,\net Enyde rest descendue.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 283\nSi je ne vivais dans la peur\nPour mon seigneur, car il m\u2019e \u000braie :\nIl n\u2019a pas de membre sans plaie. 4156\nGauvain\u00b0 r\u00e9pond : c\u2019est grand dommage\nOn le voit bien \u00e0 son visage,\nQui est p\u00e2le et d\u00e9color\u00e9,\nJ\u2019en eusse moi-m\u00eame pleur\u00e9 4160\nQuand je lui vis si mauvais teint,\nMais la joie le deuil a \u00e9teint :\nLe voir \u00e9tait un tel bonheur\nQue j\u2019en oubliais ses malheurs. 4164\nOr venez donc au petit trot\nEt moi j\u2019irai au grand galop\nPr\u00e9venir la reine et le roi\nQue vous venez derri\u00e8re moi ; 4168\nJe sais que contents en seront\nTous les deux, quand ils l\u2019apprendront. \u00bb\nGauvain\u00b0 s\u2019en va, au roi s\u2019en vient :\n\u00ab Sire, dit-il, il vous advient 4172\nA vous deux une joie certaine :\n\u00c9rec et sa femme ici viennent ! \u00bb\nLe roi se l\u00e8ve, tout r\u00e9joui :\n\u00ab Certes dit-il, j\u2019en suis ravi 4176\nNouvelle ne pouvais ou\u00efr\nQui plus pouvait me r\u00e9jouir ! \u00bb\n\u00c9rec chez le roi Arthur\u00b0\nEt le roi a quitt\u00e9 sa tente\nD\u2019\u00c9rec il s\u2019est mis en attente. 4180\nQuand \u00c9rec le roi aper\u00e7ut\nDe cheval il est descendu,\nEt \u00c9nide elle aussi descend.284 Chr\u00e9tien de Troyes\nLi rois les acole et salue, 4184\net la reine dolcemant\nles beise et acole ausimant ;\nn\u2019i a nul qui joie n\u2019en face.\nIluec meismes an la place 4188\nli ont ses armes desvestues ;\net quant ses plaies ont ve\u00fces,\nsi retorne lor joie en ire\net le roi et tot son enpire ; 4192\npuis fet aporter un antret\nque Morgue sa suer avoit fet.\nLi antrez ert de tel vertu,\nque Morganz ot don\u00e9 Artu, 4196\nque la plaie qui an est ointe,\nou soit sor nerf ou soit sor jointe,\nne faussist qu\u2019an une semainne\nne fust tote senee et sainne, 4200\nmes que le jor une foiee\nfust de l\u2019antret apareilliee.\nL\u2019antret ont le roi aport\u00e9,\nqui molt a Erec confort\u00e9. 4204\nQuant ses plaies orent lavees,\nl\u2019antret mis sus, et rebandees,\nli rois lui et Enyde an mainne\nen la soe chanbre demainne, 4208\net dist que por la soe amor\nvialt an la forest a sejor\nsejorner Xv. jorz toz plains,\ntant que toz soit gariz et sains. 4212\nErec de ce le roi mercie,\net li dist : \u00ab Sire, je n\u2019ai mie\nplaie de coi je tant me duelle\nque ma voie lessier an vuelle. 4216\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 285\nLe roi s\u2019en vient, les embrassant, 4184\nLa reine aussi, qui les enlace\nEt tr\u00e8s tendrement les embrasse.\nTout le monde montre sa joie,\nEt aussit\u00f4t, en cet endroit, 4188\nDe ses armes on l\u2019a d\u00e9fait.\nEt quand on d\u00e9couvre ses plaies,\nLa joie en col\u00e8re est chang\u00e9e\nPour le roi et sa maisonn\u00e9e. 4192\nUn onguent on fait apporter\nCelui de Morgane la f\u00e9e\nQui du roi Arthur\u00b0 est la soeur\nUn onguent de grande valeur : 4196\nCar sit\u00f4t ointe la blessure\nQue ce soit nerf ou bien jointure,\nIl ne fallait qu\u2019une semaine\nPour qu\u2019elle redevienne saine, 4200\nA condition de l\u2019appliquer\nUne fois \u00e0 chaque journ\u00e9e.\nCet onguent fut donc apport\u00e9,\n\u00c9rec en fut tr\u00e8s soulag\u00e9. 4204\nQuand ses plaies ont \u00e9t\u00e9 lav\u00e9es\nL\u2019onguent bien mis et bien band\u00e9es,\nLe roi alors les a conduit\nEn une chambre, \u00c9nide et lui, 4208\nEt leur dit que pour les aider\nEn la for\u00eat veut s\u00e9journer\nQuinze journ\u00e9es au moins ici\nJusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il soit r\u00e9tabli. 4212\n\u00c9rec a remerci\u00e9 le roi,\nEn lui disant : \u00ab Sire, je crois\nQue nulle plaie n\u2019est assez forte\nPour que de mon chemin je sorte. 4216286 Chr\u00e9tien de Troyes\nRetenir ne me porroit nus ;\ndemain, ja ne tardera plus,\nm\u2019an voldrai par m\u00e1tin aler,\nlors que le jor verrai lever. \u00bb 4220\nLi rois en a lev\u00e9 le chief,\net dist : \u00ab Ci a molt grant meschief,\nquant vos remenoir ne volez ;\nje sai bien que molt vos dolez ; 4224\nremenez, si feroiz que sages,\ncar il sera trop granz domages,\nse vos an ces forez morez.\nBiax dolz amis, car remenez 4228\ntant que vos soiez respassez. \u00bb\nErec respont : \u00ab Or est assez.\nJe ai si ceste chose anprise\nne remanroie en nule guise. 4232\nOr lessiez la parole ester,\net si comandez aprester\nle souper et les tables metre ;\nli vaslet s\u2019an vont antremetre. \u00bb 4236\nCe fu un samedi a nuit\nqu\u2019il mangierent poissons et fruit,\nluz et perches, saumons et truites,\net puis poires cr\u00fces et cuites. 4240\nApr\u00e9s souper ne tardent gaire ;\ncomandent les napes a traire.\nLi rois avoit Erec molt chier ;\nan un lit le \ufb01st seul couchier : 4244\nne vost qu\u2019avoec lui se couchast\nnus qui ses plaies atochast ;\ncele nuit fu bien ostelez.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 287\nNul ne pourra me retenir\nEt demain je dois repartir.\nJe voudrais sit\u00f4t m\u2019en aller\nQue le jour se sera lev\u00e9. \u00bb 4220\nHochant la t\u00eate, dit le roi :\n\u00ab C\u2019est un bien grand malheur pour moi\nQue vous ne vouliez pas rester.\nJe sais fort bien que vous sou \u000brez. 4224\nRestez donc, ce serait plus sage,\nCar ce serait vraiment dommage\nSi dans la for\u00eat vous mourriez !\nJe vous en prie, ami, restez, 4228\nJusqu\u2019\u00e0 ce que soyez gu\u00e9ri ! \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Cela su \u000et.\nJe n\u2019ai pas entrepris cela\nPour seulement m\u2019arr\u00eater l\u00e0. 4232\nVeuillez cesser de m\u2019en parler,\nEt faites plut\u00f4t pr\u00e9parer\nLe souper et tables dresser ;\n\u00c0 vos valets de s\u2019a \u000bairer. \u00bb 4236\nCe fut samedi dans la nuit\nQu\u2019ils ont mang\u00e9 poisson et fruits :\nBrochets et perches, saumons, truites,\nAvec des poires crues et cuites. 4240\nApr\u00e8s souper, n\u2019ont pas tard\u00e9 :\n\u00c0 faire les nappes \u00f4ter.\nLe roi, pour \u00c9rec son ami,\nLe \ufb01t coucher seul en un lit. 4244\nNe voulait pas qu\u2019on se couch\u00e2t\nPr\u00e8s de lui et ses plaies touch\u00e2t.\nIl fut cette nuit bien log\u00e9288 Chr\u00e9tien de Troyes\nAn une chanbre par delez, 4248\nEnyde avoeques la reine,\nsor un grant covertor d\u2019ermine,\ns\u2019an dormirent a grant repos,\ntant que li matins est esclos. 4252\nL\u2019andemain lues que il ajorne\nErec se lieve et si s\u2019atorne\nses chevax comande anseler\net fet ses armes aporter ; 4256\nvaslet corent, si li aportent.\nAncor de remenoir l\u2019enortent\nli rois et tuit li chevalier ;\nmes proiere n\u2019i a mestier, 4260\nque por rien ne vost demorer.\nLors les veissiez toz plorer\net demener un duel si fort\ncon s\u2019il le veissent ja mort. 4264\nErec s\u2019arme ; Enyde se lieve ;\nau departir a toz molt grieve,\nque ja mes reveoir nes cuident.\nTuit apr\u00e9s aus lor tantes vuident ; 4268\npor lor chevax font anvoier\npor ax conduire et convoier.\nErec lor dit : \u00abNe vos poist pas :\nja avoec moi n\u2019iroiz un pas ; 4272\nles voz granz merciz, remenez. \u00bb\nSes chevax li fu amenez,\net il monte sanz demorance ;\nSon escu a pris et sa lance. 4276\nSi les comande toz a D\u00e9\net il i ront lui comand\u00e9.\nEnyde monte ; si s\u2019an vont.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 289\nEt dans une chambre \u00e0 c\u00f4t\u00e9, 4248\n\u00c9nide fut avec la reine,\nSous sa couverture d\u2019hermine.\nElles ont eu un bon sommeil\nJusqu\u2019au matin, \u00e0 leur r\u00e9veil. 4252\nEt d\u00e8s que le jour se leva\n\u00c9rec sit\u00f4t se pr\u00e9para :\nSes chevaux a fait pr\u00e9parer,\nSes armes se fait apporter. 4256\nLes valets courent, lui apportent.\n\u00c0 demeurer pourtant l\u2019exhortent\nLe roi et tous ses chevaliers\nMais ils ont eu beau le prier, 4260\nRien n\u2019a pu le faire rester,\nEt tous se sont mis \u00e0 pleurer,\nIls se sont d\u00e9sol\u00e9s tr\u00e8s fort\nComme s\u2019il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 mort. 4264\n\u00c9rec s\u2019arme ; \u00c9nide est lev\u00e9e,\nTous ont leur d\u00e9part regrett\u00e9 :\nNe croient plus les revoir jamais !\nDes tentes sont sortis apr\u00e8s, 4268\nEt leurs chevaux envoient chercher\nPour pouvoir les accompagner.\n\u00c9rec leur dit : \u00ab Ne venez pas !\nV ous ne me suivrez d\u2019un seul pas. 4272\nDe gr\u00e2ce, ici demeurerez. \u00bb\nSes chevaux lui sont amen\u00e9s,\nEt il n\u2019a pas plus attendu :\nIl a pris sa lance et l\u2019\u00e9cu, 4276\n\u00c0 Dieu les a recommand\u00e9s,\nEux chance lui ont souhait\u00e9e.\n\u00c9nide monte et ils s\u2019en vont.290 Chr\u00e9tien de Troyes\nA une forest antr\u00e9 sont ; 4280\njusque vers prime ne \ufb01nerent ;\npar la forest tant cheminerent\nqu\u2019il oirent crier molt loing\nune pucele a grant besoing. 4284\nErec a entandu le cri ;\nbien apar\u00e7ut, quant il l\u2019oi,\nque la voiz de dolor estoit\net de secors mestier avoit. 4288\nTot maintenant Enyde apele\n\u00ab Dame, fet il, une pucele\nva par ce bois formant criant ;\nele a, par le mien esciant, 4292\nmestier d\u2019aie et de secors ;\ncele part voel aler le cors,\nsi savrai quel besoing ele a ;\ndescendez ci, et g\u2019irai la, 4296\nci m\u2019atandez andemantiers.\n\u2013 Sire, fet ele, volantiers. \u00bb\nSeule la leisse, et seus s\u2019an va,\ntant que la pucele trova 4300\nqui par le bois aloit criant\npor son ami que dui jaiant\navoient pris, si l\u2019an menoient ;\nvilainnemant le demenoient. 4304\nLa pucele s\u2019aloit tirant\net ses dras trestoz desirant\net sa tandre face vermoille.\nErec la voit, si s\u2019an mervoille, 4308\net prie li qu\u2019ele li die\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 291\n\u00c9rec et les deux g\u00e9ants\nPar la for\u00eat all\u00e9s ils sont ; 4280\nJusqu\u2019\u00e0 six heures chemin\u00e8rent\nDans la for\u00eat ne s\u2019arr\u00eat\u00e8rent\nMais entendent soudain crier\nUne demoiselle apeur\u00e9e. 4284\n\u00c9rec a entendu le cri :\nEt en l\u2019entendant, a compris\nQue c\u2019\u00e9tait un cri de douleur\nQui r\u00e9clamait quelque sauveur. 4288\nC\u2019est \u00c9nide alors qu\u2019il appelle :\n\u00ab Dame, fait-il, la demoiselle\nQui est l\u00e0-bas pousse des cris\nElle a besoin, \u00e0 mon avis, 4292\nQue quelqu\u2019un vienne \u00e0 son secours ;\nAlors \u00e0 son aide je cours\nPour savoir ce qui la menace ;\nJ\u2019irai \u2014 et vous restez en place. 4296\nDescendez, et vous m\u2019attendrez.\n\u2014 Sire, fait-elle, bien volontiers.\nSeule la laisse, et il s\u2019en va ;\nLa demoiselle alors trouva 4300\nQui dans le bois allait, criant\nPour son ami, que deux g\u00e9ants\nAvaient saisi et emmenaient\nEt m\u00e9chamment le tourmentaient. 4304\nLa demoiselle d\u00e9chirait\nSes v\u00eatements et se gri \u000bait\nLe visage pourtant joli\n\u00c9rec la voit et il la prie 4308\nQu\u2019elle lui dise le pourquoi292 Chr\u00e9tien de Troyes\npor coi si formant plore et crie.\nLa pucele plore et soupire\nan sopirant li respont : \u00ab Sire, 4312\nn\u2019est mervoille se je faz duel,\ncar morte seroic, mon vuel\nJe n\u2019aim ma vie ne ne pris,\ncar mon ami an mainnent pris 4316\ndui jaiant felon et cr\u00fcel\nqui sont si anemi mortel.\nDex ! que ferai, lasse, cheitive,\ndel meillor chevalier qui vive, 4320\ndel plus franc et del plus gentil ? \u00bb\nOr est Erec an grant peril ;\nancui le feront a grant tort\nmorir de molt vilainne mort. 4324\n\u00ab Frans chevaliers, por Deu te pri\nque tu secores mon ami,\nse tu onques le puez secorre ;\nne t\u2019estovra gueres loing corre, 4328\nancor sont il de ci molt pres.\nDameisele, g\u2019irai apr\u00e9s,\nfet Erec, quant vos m\u2019an proiez,\net tote se\u00fcre soiez 4332\nque tot mon pooir an ferai :\nou avoec lui pris esterai\nou jel vos randrai a delivre.\nSe li jaiant le leissent vivre 4336\ntant que je les puisse trover,\nbien mne cuit a ax esprover.\n- Frans chevaliers, fet la pucele,\ntoz jorz seroie vostre ancele, 4340\nse vos mon ami me randez.\nA Deu soiez vos comandez.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 293\nDe sa peine et de son \u00e9moi.\nLa demoiselle alors soupire\nEt en pleurant, lui r\u00e9pond : \u00ab Sire, 4312\nIl est bien normal que je pleure !\nCar je suis morte de douleur :\nJe n\u2019aime plus du tout ma vie,\nPuisqu\u2019ils emportent mon ami 4316\nCes deux g\u00e9ants f\u00e9lons, cruels,\nQui sont nos ennemis mortels !\nQue puis-je faire, moi, ch\u00e9tive,\nPour le meilleur homme qui vive, 4320\nLe plus aimable et le plus franc\u00b0 !\nCar il court un danger tr\u00e8s grand :\nIls vont lui faire bien du tort\nEt peut-\u00eatre le mettre \u00e0 mort ! 4324\nNoble chevalier, je t\u2019en prie,\nViens au secours de mon ami\nSi cela est en ton pouvoir ;\nTu peux bien les apercevoir 4328\nIls ne sont pas encore tr\u00e8s loin !\n\u2014 Certes je n\u2019y manquerai point,\nDit \u00c9rec, si le demandez,\nEt bien certainement sachez 4332\nQue je ferai ce que je puis :\nOu bien me prendront avec lui,\nOu bien il sera d\u00e9livr\u00e9\nSi les g\u00e9ants ne l\u2019ont tu\u00e9. 4336\nSi je parviens \u00e0 les trouver\nJe vais bien s\u00fbr les a \u000bronter.\n\u2014 \u00c0 vous tr\u00e8s noble chevalier,\nJe serai toute d\u00e9vou\u00e9e 4340\nSi mon ami me ramenez\n\u00c0 Dieu soyez recommand\u00e9 !294 Chr\u00e9tien de Troyes\nHastez vos, la vostre merci.\n\u2013 Quel part an vont ? \u2013 Sire, par ci, 4344\nvez ci la voie et les escloz. \u00bb\nLors s\u2019est Erec mis es galoz,\nse li dist que iluec l\u2019atande.\nLa pucele a Deu le comande 4348\net prie Deu molt dolcemant\nque il par son comandemant\nli doint force de descon \ufb01re\nces qui vers son ami ont ire. 4352\nErec s\u2019an vet tote la trace,\na esperon les jaianz chace.\nTant les a chaciez et se\u00fcz\nque il les a aparce\u00fcz 4356\neinz que del bois par fussent hors.\nLe chevalier vit an pur cors,\ndeschauz et nu sor un roncin,\ncon s\u2019il fust pris a larrecin, 4360\nles mains liees et les piez.\nLi jaiant n\u2019avoient espiez,\nescuz, n\u2019espees esmolues,\nne lances ; einz orent ma\u00e7ues 4364\nescorgiees andui tenoient\nTant feru et batu l\u2019avoient\nque ja li avoient del dos\nla char ronpue jusqu\u2019as os ; 4368\npar les cost\u00e9s et par les \ufb02ans\nli coroit contre val li sans,\nsi que li roncins estoit toz\nan sanc jusqu\u2019au vantre desoz. 4372\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 295\nMais h\u00e2tez-vous, je vous en prie !\n\u2014 Par o\u00f9 vont-ils ? C\u2019est par ici, 4344\nV oyez les traces des chevaux ! \u00bb\n\u00c9rec s\u2019est lanc\u00e9 au galop\nEn lui disant qu\u2019elle l\u2019attende\nEt elle \u00e0 Dieu le recommande 4348\nEn priant Dieu d\u2019une voix douce\nQue de par sa toute-puissance\nLe fasse vaincre sans souci\nCeux qui ha\u00efssent son ami. 4352\n\u00c9rec s\u2019en va suivant les traces\nDe ces g\u00e9ants, comme \u00e0 la chasse.\nLongtemps il les a poursuivis,\nJusqu\u2019au moment o\u00f9 il les vit, 4356\nAvant qu\u2019ils aient le bois quitt\u00e9,\nEt il a vu le chevalier\nNu, \u00e0 cheval, d\u00e9shabill\u00e9,\nComme celui qui a vol\u00e9, 4360\nAvec les mains et pieds li\u00e9s.\nLes g\u00e9ants n\u2019avaient ni \u00e9p\u00e9e\nNi piques non plus que d\u2019\u00e9cu,\nMais portaient de grosses massues, 4364\nEt des fouets tous deux tenaient\nAvec lesquels ils le battaient\nEt lui avaient fait sur le dos\nDes plaies qui allaient jusqu\u2019aux os. 4368\nDe ses c\u00f4t\u00e9s coulait du sang\nQui se r\u00e9pandait sur ses \ufb02ancs,\nLe cheval en \u00e9tait inond\u00e9\nJusqu\u2019\u00e0 son ventre avait coul\u00e9. 4372296 Chr\u00e9tien de Troyes\nEt Erec vint apr\u00e9s toz seus,\nmolt dolanz et molt angoisseus\ndel chevalier, quant il le vit\ndemener a si grant despit. 4376\nAntre deus bois, an une lande,\nles a atainz, si lor demande :\n\u00ab Seignor, fet il, por quel forfet,\nfeites a cest homne tel let, 4380\nqui come larron l\u2019an menez ?\nTrop laidemant le demenez\nausi le menez par sanblant\ncon se il fust repris anblant. 4384\nGrant viltance est de chevalier\nnu despoillier, et puis lier\net batre si vilainemant ;\nrandez le moi, jel vos demant, 4388\npar franchise et par corteisie ;\npar force nel demant je mie.\n\u2013 Vasax, font il, a vos que tient ?\nDe molt grant folie vos vient, 4392\nquant vos rien nos an demandez.\nS\u2019il vos poise, si l\u2019amandez. \u00bb\nErec respont : \u00ab Por voir m\u2019an poise.\nNe l\u2019an manroiz hui mes sanz noise ; 4396\nquant vos bandon m\u2019an avez fait,\nqui le porra avoir, si l\u2019ait.\nTraiez vos la, je vos des\ufb01 :\nne l\u2019an manroiz avant de ci 4400\nqu\u2019ain\u00e7ois n\u2019i ait departiz cos.\nVasax, font il, vos estes fos\nquant a nos vos volez conbatre.\nSe vos estiez or tel quatre, 4404\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 297\n\u00c9rec bient\u00f4t rejoint les deux\nTr\u00e8s pein\u00e9 et tr\u00e8s anxieux\nQuand il voit que le chevalier\nEst \u00e0 ce point fort maltrait\u00e9. 4376\nEntre deux bois, en une lande\nIl les atteint, et leur demande :\n\u00ab Seigneurs, qu\u2019est-ce qu\u2019il a commis\nPour que vous le traitiez ainsi 4380\nEt comme un voleur l\u2019emmeniez ?\nBien trop durement le traitez\nComme si c\u2019\u00e9tait un brigand\nDont le vol \u00e9tait \u00e9vident. 4384\nOn ne met pas un chevalier\nAinsi tout nu et bras li\u00e9s\nPour le battre sauvagement !\nLaissez-le moi d\u00e8s maintenant 4388\nEt faites-le par courtoisie,\nNon pas de force, je vous prie.\n\u2014 Vassal\u00b0 ! De quoi vous m\u00ealez-vous ?\nV ous vous comportez comme un fou 4392\nDe vouloir vous l\u2019abandonner !\nAlors, venez le contester ! \u00bb\n\u00c9rec dit : \u00ab Je ne le veux pas\nNe l\u2019emm\u00e8nerez sans d\u00e9bat. 4396\nEt puisque vous me l\u2019accordez,\nDevrez me vaincre ou le laisser.\nVenez ici, je vous d\u00e9\ufb01e !\nIl ne bougera pas d\u2019ici 4400\nAvant que vous preniez des coups !\n\u2014 Vassal\u00b0, font-ils, vous \u00eates fou\nDe vouloir contre nous combattre !\nSeriez vous m\u00eame trois ou quatre 4404298 Chr\u00e9tien de Troyes\nn\u2019avreiez vos force vers nos\nne c\u2019uns aigniax antre deus los.\n- Ne sai qu\u2019an iert, Erec respont.\nSe li ciax chiet et terre font, 4408\ndons sera prise mainte aloe ;\ntex vaut petit qui molt se loe.\nGardez vos, car je vos requier. \u00bb\nLi jaiant furent fort et \ufb01er, 4412\net tindrent an lor mains serrees\nles ma\u00e7\u00fces granz et quarrees.\nErec lor vint lance sor fautre ;\nne redote ne l\u2019un ne l\u2019autre 4416\npor menace ne por orguel ;\neinz \ufb01ert le primerain an l\u2019uel\nsi par mi outre le cervel\nque d\u2019autre part le haterel 4420\nli sans et la cervele an saut :\net cil chiet morz, li cuers li faut.\nQuant li autres vit celui mort,\ns\u2019il l\u2019an pesa, n\u2019ot mie tort ; 4424\npar mautalant vangier le va.\nLa ma\u00e7ue a deus mains leva\net cuide ferir a droiture\npar mi le chief sanz cOverture. 4428\nMes Erec le cop apar\u00e7ut\net sor son escu le re\u00e7ut ;\ntel cop ne por quant li dona\nli jaianz que tot l\u2019estona 4432\net par po que jus del destrier\nnel \ufb01st a terre trebuchier.\nErec de son escu se cuevre,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 299\nN\u2019auriez plus de force envers nous\nQ\u2019un seul agneau contre deux loups. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Je n\u2019en sais rien\nSi le ciel tombe, \u00e0 terre vient, 4408\nLes alouettes seront prises.\nQui trop se vante fait sottise :\nPrenez garde \u00e0 vous, me voici ! \u00bb\nLes g\u00e9ants \u00e9taient endurcis, 4412\nEt tenaient dans leurs poings serr\u00e9s\nLeurs massues grandes et carr\u00e9es.\n\u00c9rec, lance en arr\u00eat, les boute\nNi l\u2019un ni l\u2019autre ne redoute, 4416\nNi menaces pleines d\u2019orgueil.\nLe premier a frapp\u00e9 dans l\u2019oeil\nEt lui traverse la cervelle :\nLe sang a gicl\u00e9 de plus belle 4420\nQuand la lance \u00e0 l\u2019arri\u00e8re sort\nLe c\u0153ur s\u2019arr\u00eate et il est mort.\nAlors quand l\u2019autre a vu cela,\nFut constern\u00e9, n\u2019en revint pas. 4424\nIl se pr\u00e9pare \u00e0 le venger,\nSa massue \u00e0 deux mains lev\u00e9e\nIl veut lui ass\u00e9ner un coup\nEn plein sur la t\u00eate et le cou. 4428\nMais \u00c9rec s\u2019en est aper\u00e7u\nEt sur son \u00e9cu\u00b0 l\u2019a re\u00e7u.\nSi dur fut le coup du g\u00e9ant\nQu\u2019\u00c9rec en resta chancelant, 4432\nEt qu\u2019il a bien failli tomber\n\u00c0 terre, de son destrier.\nDe son \u00e9cu\u00b0 couvre son corps300 Chr\u00e9tien de Troyes\net li jaianz son cop recuevre 4436\net cuide ferir de rechief\na delivre par mi le chief.\nMes Erec tint l\u2019espee trete ;\nune anvaie li a fete 4440\ndon li jaianz fu mal serviz ;\nsi le \ufb01ert par mi la cerviz\nque desi es ar\u00e7ons le fant ;\nla bo\u00eble a terre an espant, 4444\net li cors chiet toz estanduz,\nqui fu an deus mitiez fanduz.\nLi chevaliers de joie plore,\net reclainme Deu et aore, 4448\nqui secors anvoi\u00e9 li a.\nA tant Erec le deslia,\nsel \ufb01st vestir et atorner\net sor un des chevax monter, 4452\nl\u2019autre li \ufb01st mener an destre ;\nsi li demande de son estre.\nEt cil li dist : \u00ab Frans chevaliers,\ntu es mes sire droituriers ; 4456\nmon seignor vuel feire de toi,\net par reison faire le doi,\nque tu m\u2019as sauvee la vie ;\nl\u2019ame me fust del cors partie 4460\na grief tormant et a martire.\nQuiex avanture, biax dolz sire,\npor Deu t\u2019a ci a moi tramis,\nque des mains a mes anemis 4464\nm\u2019as ost\u00e9 par ton vaselage ?\nSire, je te voel fere homage :\ntoz jorz mes avoec vos irai,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 301\nEt le g\u00e9ant le frappe encore, 4436\nIl croit le frapper de nouveau\nSur la t\u00eate jusqu\u2019au cerveau.\nMais \u00c9rec tire son \u00e9p\u00e9e\nEt sur lui alors s\u2019est jet\u00e9. 4440\nLe g\u00e9ant a \u00e9t\u00e9 surpris :\nEn plein sur la t\u00eate l\u2019a pris\nEt jusqu\u2019aux ar\u00e7ons fut fendu\nBoyaux \u00e0 terre r\u00e9pandus. 4444\nSon corps en deux parties s\u2019\u00e9tale\nEn deux moiti\u00e9s coup\u00e9s \u00e9gales.\nLe chevalier pleure de joie\n\u00c0 Dieu a proclam\u00e9 sa foi 4448\nPour l\u2019aide qu\u2019il lui envoya.\nAlors \u00c9rec le d\u00e9lia,\nLe \ufb01t v\u00eatir et pr\u00e9parer\nEt sur l\u2019un des chevaux monter, 4452\nDe l\u2019autre cadeau lui a fait.\nPuis demanda qui il \u00e9tait ?\nL\u2019autre dit : \u00ab Noble chevalier,\nTu es mon sire, en v\u00e9rit\u00e9, 4456\nMon Ma\u00eetre je veux que tu sois\nEn justice, je te le dois,\nPuisque tu m\u2019a sauv\u00e9 la vie.\nSans toi mon \u00e2me f\u00fbt partie 4460\nDans les tourments et les tortures !\nNoble Seigneur, ton aventure\nC\u2019est Dieu qui l\u2019a conduite ici\nPour que des mains des ennemis 4464\nTu me tires par ton courage.\nSire je vous rends donc hommage :\nToujours \u00e0 vos c\u00f4t\u00e9s serai,302 Chr\u00e9tien de Troyes\nCon mon seignor vos servirai. \u00bb 4468\nErec le vit antalant\u00e9\nde lui servir a volant\u00e9,\nse il poist an nule guise,\net dist :\u00abAmis, vostre servise 4472\nne vuel je pas de vos avoir,\nmes ce devez vos bien savoir\nque je ving \u00e7a an vostre aie\npor la proiere a vostre amie 4476\nqu\u2019an ce bois trovai molt dolante ;\npor vos se conplaint et demante\net molt en a son cuer dolant.\nDe vos lui vuel fere presant 4480\ns\u2019a lui rasanbl\u00e9 vos avoie,\npuis tandroie toz seus ma voie,\nqu\u2019avoec moi n\u2019an iroiz vos mie\nn\u2019ai soing de vostre conpaignie, 4484\nmes vostre non savoir desir.\n\u2013 Sire, fet il, vostre pleisir.\nQuant vos mon non savoir volez\nne vos doit pas estre celez. 4488\n. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .\nSe me volez rien enorer,\ndons alez tost sanz demorer\na mon seignor le roi Artu, 4492\nqui chace a mout tres grant vertu\nan ceste forest de de\u00e7a,\net, mien esciant, jusque la\nn\u2019a mie cinc liues petites. 4496\nAlez i tost, et se li dites\nqu\u2019a lui vos anvoie et presante\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 303\nFid\u00e8lement vous servirai. \u00bb 4468\n\u00c9rec vit qu\u2019il voulait vraiment\nLe servir avec d\u00e9vouement\nSi cela lui \u00e9tait permis.\nAlors il dit : \u00ab mon cher ami 4472\nV otre service ne veux avoir,\nCar il vous faut bien le savoir,\nJe ne vous ai aid\u00e9 ici\nQue pour r\u00e9pondre \u00e0 votre amie 4476\nRencontr\u00e9e en ce bois, pleurant\nEt pour vous seul se d\u00e9solant.\n\u00c0 elle si triste, vraiment,\nDe vous je veux faire pr\u00e9sent : 4480\nEt quand vous serez r\u00e9unis\nMon chemin, seul, j\u2019aurai repris ;\nJe ne vous emm\u00e8nerai pas,\nDe compagnie je ne veux pas, 4484\nMais savoir votre nom d\u00e9sire.\n\u2014 Sire, fait-il, avec plaisir,\nPuisque le savoir d\u00e9sirez\nJe ne vais pas vous le cacher\u00b0. 4488\n. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .\nMais si vous voulez m\u2019honorer,\nAlors d\u00e9p\u00eachez vous d\u2019aller\nVers mon seigneur, le roi Arthur\u00b0, 4492\nQui est \u00e0 la chasse, c\u2019est s\u00fbr,\nDans la for\u00eat qui est par l\u00e0 ;\n\u00c0 mon avis jusque l\u00e0-bas\nIl n\u2019y a que cinq lieues d\u2019ici. 4496\nAllez-y vite, et dites lui :\nCelui qui vous envoie ici304 Chr\u00e9tien de Troyes\ncil qu\u2019il her soir dedanz sa tante\nrevit a joie, et herberja, 4500\net gardez ne li celez ja\nde quel poinne je ai mis hors\net vostre amie et vostre cors.\nJe sui a la cort molt amez : 4504\nse de par moi vos reclamez,\nservise et enor me feroiz.\nLa, qui je sui demanderoiz,\nnel poez savoir autremant. 4508\n- Sire, vostre comandemant,\nfet Cadoc, voel je faire tot.\nJa mar an seroiz an redot\nque je molt volantiers n\u2019i aille ; 4512\nla verit\u00e9 de la bataille,\nsi con l\u2019avez faite por moi,\nconterai ge tres bien au roi. \u00bb\nEnsi parlant la voie tindrent 4516\ntant que a la pucele vindrent,\nla ou Erec lessiee l\u2019ot.\nLa pucele molt s\u2019an esjot,\nquant son ami revenir voit 4520\nque ja mes veoir ne cuidoit.\nErec par la main li presante\net dist : Ne soiez pas dolante,\ndameisele, veez vos ci 4524\ntot li\u00e9 et joiant vostre ami. \u00bb\nCele respont par grant savoir\n\u00ab Sire, bien nos devez avoir\nandeus conquis et moi et lui ; 4528\nvostre devons estre anbedui\npor vos servir et enorer.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 305\nEn sa tente hier a dormi,\nAvec joie l\u2019avait accueilli. 4500\nEt s\u2019il vous pla\u00eet, racontez-lui,\nDe quel tourment je vous sortis\nPour vous remettre \u00e0 votre amie.\nJe suis \u00e0 la cour appr\u00e9ci\u00e9, 4504\nEt si de ma part vous venez,\nUn tr\u00e8s grand honneur m\u2019y ferez.\nL\u00e0-bas mon nom demanderez,\nL\u00e0, seulement, vous l\u2019apprendrez. 4508\n\u2014 Je ferai ce que vous voulez,\nSire, a dit Cadoc, tout \u00e0 fait.\nNe craignez rien, ce sera fait,\nEt tr\u00e8s volontiers m\u2019y rendrai ; 4512\nL\u00e0-bas, bien s\u00fbr, je conterai\nCe que vous avez fait pour moi\nV otre combat dirai au roi. \u00bb\nParlant ainsi, ils sont all\u00e9s 4516\nO\u00f9 la demoiselle est rest\u00e9e,\nL\u00e0 o\u00f9 \u00c9rec l\u2019avait laiss\u00e9e.\nElle fut bien r\u00e9confort\u00e9e\nDe voir son ami revenu 4520\nCar elle ne l\u2019esp\u00e9rait plus !\n\u00c9rec le conduit par la main\nEt dit : \u00ab V ous ne craignez plus rien,\nDemoiselle, car le voici, 4524\nHeureux et content, votre ami. \u00bb\nElle r\u00e9pondit sagement :\n\u00ab Sire, vous nous avez vraiment\nConquis tous deux et moi et lui ! 4528\nNous vous sommes vraiment soumis,\nPour vous servir et honorer.306 Chr\u00e9tien de Troyes\nMes qui porroit guerredoner\nceste desserte nes demie ?\u00bb 4532\nErec respont : Ma douce amie,\nnul guerredon ne vos demant\namedeus a Deu vos comant,\nque trop cuit avoir demor\u00e9. \u00bb 4536\nLors a son cheval trestorn\u00e9,\nsi s\u2019an va plus tost que il puet.\nCadoc de Cabruel s\u2019esmuet\nd\u2019autre part, il et sa pucele 4540\ns\u2019a recontee la novele\nle roi Artus et la reine.\nErec tote voie ne \ufb01ne\nde chevalchier a grant esploit 4544\nla ou Enyde l\u2019attendoit,\nqui puis ot e\u00fc grand deshet\nqu\u2019ele cuidoit tot antreset\nqu\u2019il l\u2019e\u00fcst lessiee del tot. 4548\nEt il restoit an grant redot\nqu\u2019aucuns ne l\u2019an e\u00fcst menee,\nqui l\u2019e\u00fcst a sa loi tornee ;\nsi se hastoit molt del retor. 4552\nMes la chalors qu\u2019il ot le jor\net les armes tant li greverent\nque ses plaies li escreverent\net totes ses bandes tranchierent ; 4556\nonques ses plaies n\u2019estanchierent\ntant que il vint au leu tot droit\nla ou Enyde l\u2019atandoit.\nCele le vit, grant joie en ot ; 4560\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 307\nMais qui pourrait, m\u00eame \u00e0 moiti\u00e9\nDe cette dette, s\u2019acquitter ? \u00bb 4532\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab Amie, sachez\nQue je ne vous en demande rien.\n\u00c0 Dieu vous recommande bien :\nJe n\u2019ai que trop longtemps tard\u00e9. \u00bb 4536\nSon cheval a fait pr\u00e9parer,\nEt aussit\u00f4t il est parti.\nCadoc de Cabruel aussi,\nS\u2019en va avec sa demoiselle 4540\nEt a rapport\u00e9 la nouvelle\nAu roi Arthur\u00b0 et \u00e0 la reine.\n\u00c9rec \u00e9vanoui\nPour qu\u2019\u00e0 \u00c9nide s\u2019en revienne,\n\u00c9rec chevauche maintenant 4544\nJusqu\u2019\u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 elle attend,\nEt ce, dans le plus grand tourments,\nCar elle avait bien, cru vraiment\nQu\u2019\u00c9rec l\u2019avait abandonn\u00e9e. 4548\nPour lui, la chose redout\u00e9e,\nC\u2019\u00e9tait qu\u2019elle f\u00fbt enlev\u00e9e\nPar qui que ce soit, et forc\u00e9e. . .\nDonc se h\u00e2te pour le retour ! 4552\nMais avec la chaleur du jour,\nEt ses armes qui p\u00e8sent lourd,\nSes plaies qui demeuraient toujours\nSe sont ouvertes de nouveau, 4556\nMalgr\u00e9 les bandes sur sa peau.\nEn\ufb01n il vit qu\u2019il arrivait\nL\u00e0 o\u00f9 \u00c9nide l\u2019attendait.\nElle en fut toute r\u00e9jouie, 4560308 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes ele n\u2019apar\u00e7ut ne sot\nla dolor dom il se plaignoit,\ncar toz ses cors an sanc baignoit\net li cuers faillant li aloit. 4564\nA un tertre qu\u2019il avaloit,\nchei toz a un fes a val\njusque sor le col del cheval ;\nsi com il relever cuida, 4568\nla sele et les ar\u00e7ons vuida,\net chiet pasmez con s\u2019il fust morz.\nLors coman\u00e7a li diax si forz,\nquant Enyde che\u00fc le vit ; 4572\nmolt li poise quant ele vit,\net cort vers li si come cele\nqui sa \u00afddolor mie ne cele.\nAn haut s\u2019escrie et tort ses poinz ; 4576\nde robe ne li remest poinz\ndevant le piz a dessirier ;\nses chevox prist a arachier\net sa tandre face desire : 4580\n\u00ab Ha ! Dex, fet ele, biax dolz sire,\npor coi me leisses t\u00f9 tant vivre ?\nMorz, car m\u2019oci, si t\u2019an delivre. \u00bb\nA cest mot sor le cors se pasme. 4584\nAu revenir formant se blasme\n\u00ab Ha ! fet ele, dolante Enyde,\nde mon seignor sui omecide ;\npar ma folie l\u2019ai ocis : 4588\nancor fust or mes sires vis,\nse ge, come outrageuse et fole,\nn\u2019e\u00fcsse dite la parole\npor coi mes sires \u00e7a s\u2019esmut ; 4592\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 309\nEt ne remarqua, ni ne vit,\nLes sou \u000brances qu\u2019il endurait\nCar tout son corps de sang baignait,\nEt son c\u0153ur allait s\u2019arr\u00eater. 4564\nComme il venait de d\u00e9valer\nUn petit tertre, il s\u2019\u00e9croula\nSur le cou de son palefroi\u00b0,\nEt en voulant se redresser 4568\nSelle et ar\u00e7ons a d\u00fb vider,\nEt il tomba tout comme mort.\nAu d\u00e9sespoir, \u00c9nide, alors,\nSe trouva, le voyant \u00e0 terre ! 4572\nPleurant, elle se d\u00e9sesp\u00e8re,\nEt vers lui court, tant e \u000bray\u00e9e\nQue sa douleur ne peut cacher\nElle crie fort et ses poings tord 4576\nSa robe d\u00e9chire et son corps\nMet \u00e0 nu, sa poitrine gri \u000be,\nEt ses cheveux qu\u2019elle \u00e9bouri \u000be\nSa face est ravag\u00e9e de pleurs. . . 4580\n\u00ab Ah ! Dieu, fait-elle, doux seigneur,\nPourquoi me laisser vivre encore\nD\u00e9livre-moi donc par la mort ! \u00bb\nEt \u00e0 ces mots elle se p\u00e2me, 4584\nMais se reprend, et puis se bl\u00e2me :\n\u00ab Ah ! Fait-elle, la pauvre \u00c9nide\nDe son seigneur est l\u2019homicide !\nJe l\u2019ai tu\u00e9, par ma folie ! 4588\n\u00c0 cette heure serait en vie,\nSi je n\u2019avais, comme une folle\nDit cette vilaine parole\nQui l\u2019a fait se mettre en chemin. 4592310 Chr\u00e9tien de Troyes\nainz boens teisirs home ne nut,\nmes parlers nuist mainte foiee :\nceste chose ai bien essaiee\net esprovee an mainte guise. \u00bb 4596\nDevant son seignor s\u2019est assise,\net met sor ses genouz son chief ;\nson duel comance de rechief :\nHai ! sire, con mar i fus ! 4600\nA toi ne s\u2019apareilloit nus,\nqu\u2019an toi s\u2019estoit biautez miree,\nproesce s\u2019i ert esprovee,\nsavoirs t\u2019avoit son cuer don\u00e9, 4604\nlargesce t\u2019avoit coron\u00e9,\ncele sanz cui nus n\u2019a grant pris.\nMes qu\u2019ai ge dit, trop ai mespris,\nqui la parole ai mante\u00fce 4608\ndon mes sire a mort rece\u00fce,\nla mortel parole antoschiee\nqui me doit estre reprochiee,\net je requenuis et otroi 4612\nque nus n\u2019i a corpes fors moi ;\nje seule an doi estre blasmee. \u00bb\nLors rechiet a terre pasmee ;\net quant ele releva sus, 4616\nsi se rescrie plus et plus :\n\u00ab Dex ! que ferai ? por coi vif tant ?\nLa morz que demore, qu\u2019atant,\nqui ne me prant sanz nul respit ? 4620\nTrop m\u2019a la morz an grant despit,\nquant ele ocirre ne me daigne ;\nmoi meismes estuet que praigne\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 311\nSe taire e\u00fbt mieux valu que rien,\nEt parler cause tant d\u2019ennuis !\nC\u2019est ce que je sais aujourd\u2019hui\nPour l\u2019avoir souvent \u00e9prouv\u00e9. \u00bb 4596\nDevant son seigneur s\u2019est pench\u00e9e,\nSur ses genoux sa t\u00eate a mise\nEt par sa douleur est reprise :\n\u00ab Quelle malchance tu as eue ! 4600\nPersonne ton \u00e9gal ne fut,\nTa beaut\u00e9 n\u2019eut pas de miroir\nTa prouesse \u00e9tait belle \u00e0 voir,\nSagesse remplissait ton c\u0153ur 4604\nLargesse en toi faisait honneur,\nElle sans qui rien n\u2019a de prix.\nEt moi, que t\u2019ai-je donc dit ?\nLa parole par moi prononc\u00e9e 4608\n\u00c0 mort mon Sire a envoy\u00e9 !\nCette parole empoisonn\u00e9e\nMe sera toujours reproch\u00e9e,\nEt je reconnais, sur ma foi, 4612\nQue le coupable c\u2019est bien moi.\nMoi seule doit \u00eatre bl\u00e2m\u00e9e. \u00bb\nEt de nouveau retombe, p\u00e2m\u00e9e.\nEt quand elle se releva 4616\nEncore plus haut s\u2019\u00e9cria :\n\u00ab Dieu ! Pourquoi vivre si longtemps ?\nLa mort est l\u00e0, et je l\u2019attends,\nPourquoi ne m\u2019a-t-elle pas pris ? 4620\nElle n\u2019a pour moi que m\u00e9pris\nPuisqu\u2019elle n\u2019ose m\u2019emporter,\n\u00c0 moi revient de me tuer312 Chr\u00e9tien de Troyes\nla vangence de mon forfait : 4624\nensi morrai, mau gr\u00e9 en ait\nla morz qui ne me vialt haidier.\nNe puis morir por souhaidier,\nne rien ne m\u2019i vaudroit conplainte : 4628\nl\u2019espee que mes sire a ceinte\ndoit par reison sa mort vangier ;\nja n\u2019an serai mes an dongier,\nn\u2019an proiere ne an souhait. \u00bb 4632\nL\u2019espee hors del fuerre a trait,\nsi la comance a esgarder ;\nDex la fet un petit tarder,\nqui plains est de misericorde. 4636\nAndemantiers qu\u2019ele recorde\nson duel et sa mesavanture,\na tant ez vos grant ale\u00fcre\nun conte o grant chevalerie, 4640\nqui molt de loing avoit oie\nla dame a haute voiz crier.\nDex ne la vost pas oblier,\nque maintenant se fust ocise, 4644\nse cil ne l\u2019e\u00fcssent sorprise,\nqui li ont l\u2019espee tolue\net arriers el fuerre anbatue :\npuis descendi li cuens a terre, 4648\nsi li coman\u00e7a a enquerre\ndel chevalier, qu\u2019ele li die\ns\u2019ele estoit sa fame ou s\u2019amie.\n\u00abL\u2019un et l\u2019autre, fet ele, sire ; 4652\ntel duel ai ne vos sai que dire,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 313\nA\ufb01n d\u2019expier mon forfait ! 4624\nJe dois mourir \u2014 quoi qu\u2019elle en ait\nCette mort qui ne veut m\u2019aider !\nJe n\u2019ai pas la mort souhait\u00e9e,\nEt rien ne sert de tant me plaindre 4628\nL\u2019\u00e9p\u00e9e de mon seigneur vais prendre\nEt sa mort je pourrai venger.\nPlus rien n\u2019aurai \u00e0 supporter\nNi implorer, ni souhaiter. \u00bb 4632\nAlors elle a tir\u00e9 l\u2019\u00e9p\u00e9e\nEt commence \u00e0 la regarder ;\nDieu la fait un peu s\u2019attarder\nDans sa grande mis\u00e9ricorde. 4636\nEt pendant le temps qu\u2019elle accorde\n\u00c0 ses regrets, cette aventure,\nV oici qu\u2019arrive, \u00e0 tout allure\nUn comte, et tous ses chevaliers ! 4640\nIls l\u2019avaient entendu crier\nDe loin : elle pleurait tr\u00e8s fort.\nDieu a veill\u00e9 sur son sort :\nCertes, tu\u00e9e elle se f\u00fbt, 4644\nS\u2019ils n\u2019\u00e9taient \u00e0 propos venus !\nIls lui ont retir\u00e9e l\u2019\u00e9p\u00e9e,\nEn son fourreau l\u2019ont replac\u00e9e.\nLe comte de Limors\nLe comte \u00e0 terre a mis le pied 4648\nEt \u00e0 \u00c9nide a demand\u00e9\nDu chevalier qui est ici\nSi de lui est femme ou amie.\n\u00ab L\u2019une et l\u2019autre, fait-elle, sire, 4652\nPar mon chagrin, ne sait que dire,314 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes moi poise quant ne sui morte.\nEt li cuens molt la reconforte :\n\u00ab Dame, fet il, por Deu vos pri 4656\nde vos meisme aiez merci :\nbien est reisons que vos l\u2019aiez ;\nmes poT neant vos esmaiez,\nqu\u2019 ancor porroiz asez valoir. 4660\nNe vos metez an nonchaloir :\nconfortez vos, ce sera sans ;\nDex vos fera liee par tans.\nV ostre biautez, qui tant est \ufb01ne, 4664\nbone avanture vos destine,\nque je vos recevrai a fame,\nde vos ferai contesse et dame\nce vos doit molt reconforter. 4668\nEt g\u2019en ferai le cors porter,\ns\u2019iert mis an terre a grant enor.\nLessiez ester vostre dolor,\nque folemant vos deduiez. \u00bb 4672\nCele respont : Sire, fuiez !\npor Deu merci, lessiez m\u2019ester ;\nne poez ci rien conquester ;\nrien qu\u2019an poist dire ne faire 4676\nne me porroit a joie atraire. \u00bb\nA tant se trest li cuens arriere,\net dist :\u00ab Feisons tost une biere\nsor coi le cors an porterons ; 4680\net avoec la dame an manrons\ntot droit au chastel de Limors ;\nla sera anfoiz li cors,\npuis voldrai la dame esposer, 4684\nmes que bien li doie peser,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 315\nMais je voudrais tant \u00eatre morte ! \u00bb\nLe comte alors la r\u00e9conforte :\n\u00ab Dame, dit-il, je vous en prie 4656\nAyez piti\u00e9 de vous aussi !\nV otre douleur est justi\ufb01\u00e9e\nMais ne devez vous tourmenter :\nV otre vie reste devant vous. 4660\nNe demeurez pas \u00e0 genoux !\nReprenez vous, ce sera sage\nDieu vous en donne le courage !\nV otre beaut\u00e9 fort peu commune 4664\nAssurera votre fortune :\nJe veux faire de vous ma femme,\nEt vous faire Comtesse et Dame :\nCela doit vous r\u00e9conforter ! 4668\nJe ferai le corps emporter\nPour l\u2019enterrer en grand honneur.\nLaissez donc l\u00e0 votre douleur,\nQue tant avez manifest\u00e9e. \u00bb 4672\n\u00c9nide dit : \u00ab Sire, fuyez !\nEt par piti\u00e9, sachez le bien,\nQue de moi vous n\u2019obtiendrez rien.\nQuoique dire ou faire puissiez, 4676\nRien ne pourra joie me donner. \u00bb\nLe comte alors a renonc\u00e9\nEt dit : \u00ab Une civi\u00e8re pr\u00e9parez\nSur laquelle nous porterons 4680\nLe mort et nous l\u2019emm\u00e8nerons\nTout droit au ch\u00e2teau de Limors\nO\u00f9 nous enfouirons le corps.\nPuis la dame j\u2019\u00e9pouserai, 4684\nM\u00eame si cela lui d\u00e9pla\u00eet,316 Chr\u00e9tien de Troyes\nque onques tant bele ne vi.\nne dame mes tant ne covi\nmolt sui liez quant trovee l\u2019ai. 4688\nOr feisons tost et sanz delai\nune biere chevaleresce :\nne nos soit poinne ne peresce. \u00bb\nLi auquant traient les espees ; 4692\ntost orent deus perches colpees\net bastons liez a travers ;\nErec ont mis sus tot anvers ;\nsi ont deus chevax atelez. 4696\nEnyde chevauchoit delez,\nqui de son duel fere ne \ufb01ne ;\nsovant se pasme et chiet sovine ;\nli chevalier qui la menoient 4700\nantre lor braz la retenoient.\nSi la retienent et confortent ;\njusqu\u2019a Limors le cors an portent\net mainnent el pal\u00e9s le conte. 4704\nToz li pueples apr\u00e9s aus monte,\ndames, chevalier et borjois ;\nen mi la sale, sor un dois,\nont le cors mis et estandu, 4708\nlez lui sa lance et son escu.\nLa sale anpli, granz est la presse\nchascuns de demander s\u2019angresse\nquiex diax ce est et quiex mervoille. 4712\nAndemantiers li cuens consoille\na ses barons priveemant.\n\u00ab Seignor, fet il, isnelemant\nvoel ceste dame recevoir ; 4716\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 317\nCar si belle jamais ne vit,\nJamais dont j\u2019eusse tant envie. . .\nPar chance je l\u2019ai rencontr\u00e9e ! 4688\nFaisons faire sans plus tarder\nCivi\u00e8re \u00e0 brancards pour chevaux,\nNe tra\u00eenez pas, pour ces travaux ! \u00bb\nLes hommes tirent leurs \u00e9p\u00e9es, 4692\nEt bient\u00f4t des perches coup\u00e9es,\nEt b\u00e2tons en travers li\u00e9s ;\n\u00c9rec y a \u00e9t\u00e9 couch\u00e9,\nEt deux chevaux ont attel\u00e9s. 4696\n\u00c9nide chevauche \u00e0 c\u00f4t\u00e9,\nSans que sa douleur ne se calme :\nSouvent se renverse et se p\u00e2me. . .\nLes chevaliers qui l\u2019accompagnent 4700\nEntre leurs deux bras la retiennent,\nLa r\u00e9confortent, la soutiennent,\nJusqu\u2019\u00e0 Limors le corps am\u00e8nent,\nJusque dans le palais du Comte. 4704\nEt tout le peuple alors y monte,\nDames, chevaliers et bourgeois ;\nSur une table, alors on voit\nLe corps pos\u00e9 et \u00e9tendu, 4708\nAvec son \u00e9p\u00e9e, son \u00e9cu.\nLa salle est pleine, et l\u2019on s\u2019y presse,\nChacun de demander s\u2019empresse\nQui est-ce donc ? Pour qui ce deuil ? 4712\nEt cependant le comte accueille\nTous ses barons\u00b0, mais en priv\u00e9.\n\u00ab Seigneurs, fait-il, c\u2019est d\u00e9cid\u00e9\nEn tant qu\u2019\u00e9pouse je re\u00e7ois, 4716318 Chr\u00e9tien de Troyes\nnos poons bien aparcevoir,\na ce qu\u2019ele est et bele et sage,\nqu\u2019ele est de molt gentil lignage ;\nsa biautez mostre et sa franchise 4720\nqu\u2019an li seroit bien l\u2019enors mise\nou d\u2019un r\u00ebaume, ou d\u2019un empire.\nJe ne serai ja de li pire,\nein\u00e7ois an cuit molt amander. 4724\nFetes mon chapelain mander,\net vos alez la dame querre ;\nla miti\u00e9 de tote ma terre\nli voldrai doner an doaire, 4728\ns\u2019ele vialt ma volant\u00e9 faire. \u00bb\nLors ont le chapelain mand\u00e9,\ns\u00ed con li cuens ot comand\u00e9,\net la dame ront amenee ; 4732\nsi li ont a force donee,\ncar ele molt le refusa ;\nmes totevoies l\u2019esposa\nli cuens, qu\u2019ainsi fere li plot ; 4736\net quant il esposee l\u2019ot,\ntot maintenant li conestables\n\ufb01st el pal\u00e9s metre les tables,\net \ufb01st le mangier aprester, 4740\ncar tans estoit ja de soper.\nApr\u00e9s vespres, un jor de mai,\nestoit Enyde an grant esmai.\nOnques ses diax ne recessoit 4744\net li cuens auques l\u2019angressoit,\npar proiere et par menacier,\nde pes fere et d\u2019esleescier ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 319\nCette dame, dont chacun voit\nQu\u2019elle est aussi belle que sage\nEt qu\u2019elle est de tr\u00e8s bon lignage.\nSa noblesse et grande beaut\u00e9 4720\nMontrent qu\u2019elle a bien m\u00e9rit\u00e9\nD\u2019avoir un royaume, un empire :\nJe peux l\u2019\u00e9pouser sans faillir,\nMais y gagner en dignit\u00e9. 4724\nChapelain faites appeler,\nEt la Dame faites venir\nDe ma terre veux lui o \u000brir\nPour son douaire la moiti\u00e9 4728\nSi elle veut bien l\u2019accepter. \u00bb\nLe chapelain est donc venu,\nComme le comte l\u2019a voulu ;\nEt la Dame lui ont amen\u00e9e 4732\nMais ont d\u00fb la force employer\nCar elle a beaucoup r\u00e9sist\u00e9 ;\nMais \u00e0 la \ufb01n, fut \u00e9pous\u00e9e,\nComme le comte le voulait. 4736\nEt quand en\ufb01n cela fut fait,\nTout aussit\u00f4t, le conn\u00e9table\nFit dresser au palais des tables,\nEt pr\u00e9parer un grand d\u00eener, 4740\nCar c\u2019\u00e9tait l\u2019heure de souper.\nApr\u00e8s v\u00eapres, ce jour de mai,\n\u00c9nide en pleurs se d\u00e9solait ;\nSon chagrin ne s\u2019apaisait pas, 4744\nEt le comte ne cessait pas\nDe la prier, la menacer,\nPour qu\u2019elle veuille bien cesser.320 Chr\u00e9tien de Troyes\net si l\u2019ont sor un faudestuel 4748\nfeite aseoir, outre son vuel.\nV ousist ou non, l\u2019i ont asise\net devant li la table mise.\nD\u2019autre part est li cuens asis, 4752\nqui par un po n\u2019anrage vis,\nquant reconforter ne la puet :\nDame, fet il, il vos estuet\ncest duel lessier et oblier : 4756\nmolt vos poez an moi \ufb01er\nd\u2019enor et de richesce avoir.\nCertainnemant poez savoir\nque por duel nul morz ne revit, 4760\nn\u2019onques nus avenir nel vit.\nSovaigne vos de quel poverte\nvos est granz richesce aoverte :\npovre estiez, or estes riche ; 4764\nn\u2019est pas fortune vers vos chiche,\nqui tel enor vos a donee\nc\u2019or seroiz contesse clamee.\nV oirs est que morz est vostre sire ; 4768\nse vos en avez duel et ire,\ncuidiez vos que je m\u2019an mervoil ?\nNenil. Mes ge vos doing consoil\nle meillor que doner vos sai : 4772\nquant je espousee vos ai,\nmolt vos devez esleescier ;\ngardez vos de moi correcier\nmangiez, quant je vos an semoing. 4776\n- Sire, fet ele, n\u2019an ai soing.\nSire, ja tant con je vivrai,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 321\nIl l\u2019ont mise sur un fauteuil 4748\nSans se soucier qu\u2019elle le veuille ;\nDe gr\u00e9 ou de force assise\nOnt devant elle table mise\nEt le comte devant elle aussi, 4752\nQui de sa rage \u00e9tait rempli,\nDe ne pouvoir la consoler.\n\u00ab Dame, fait-il, il faut laisser\nV otre chagrin, et oublier : 4756\nEn moi vous vous pouvez \ufb01er,\nV ous aurez honneur et richesse !\nSachez qu\u2019une grande d\u00e9tresse\nN\u2019a jamais fait revivre un mort, 4760\nPersonne n\u2019a vu \u00e7a encore !\nN\u2019oubliez pas la pauvret\u00e9\nPar moi en richesse chang\u00e9e,\nPauvre \u00e9tiez vous, vous voil\u00e0 riche, 4764\nLa fortune pour vous n\u2019est pas chiche,\nPuisqu\u2019elle vous a honor\u00e9e,\nEt que comtesse vous serez !\nV otre seigneur est mort, c\u2019est s\u00fbr. 4768\nEt si pour vous cela est dur,\nCroyez-vous que je m\u2019en \u00e9tonne ?\nNon ! Le conseil que je vous donne ,\nEst le meilleur qui soit, sachez : 4772\nPuisque je vous ai \u00e9pous\u00e9e,\nV ous devriez vous r\u00e9jouir !\n\u00c9vitez de me contredire,\nEt mangez donc, je vous le dis ! 4776\n\u2014 Sire, n\u2019en ai aucune envie.\nAussi longtemps que je vivrai,322 Chr\u00e9tien de Troyes\nne mangerai ne ne bevrai.\nse ge ne voi mangier ein\u00e7ois 4780\nmon seignor, qui gist sor ce dois.\nDame, ce ne puet avenir.\nPor fole vos fetes tenir,\nquant vos si grant folie dites ; 4784\nvos en avroiz males merites,\ns\u2019ui mes vos an fetes semondre. \u00bb\nCele ne li vialt mot respondre,\ncar rien ne prisoit sa mnenace. 4788\nEt li cuens la \ufb01ert an la face ;\nele s\u2019escrie, et li baron\nan blasment le conte an viron :\n\u00ab Ostez ! sire, font il au conte. 4792\nMolt devreiez avoir grant honte,\nqui ceste dame avez ferue\npor ce que ele ne manjue :\ntrop grant vilenie avez feite. 4796\nSe ceste dame se desheite\npor son seignor qu\u2019ele voit mort,\nnus ne doit dire qu\u2019ele ait tort.\n\u2013 Teisiez vos an tuit ! fet li cuens ; 4800\nla dame est moie et je sui suens,\nsi ferai de li mon pleisir. \u00bb\nLors ne se pot cele teisir,\neinz jure que ja soe n\u2019iert ; 4804\net li cuens hauce, si re\ufb01ert ;\net cele s\u2019escria an haut :\n\u00ab Ahi ! fet ele, ne me chaut\nque tu me dies ne ne faces : 4808\nne criem tes cos ne tes menaces.\nAsez me bat, asez me \ufb01er :\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 323\nNe mangerai ni ne boirai\nSi je ne vois d\u2019abord manger 4780\nMon seigneur ici allong\u00e9.\n\u2014 Dame, cela ne se peut pas !\nPour folle certes on vous prendra\nSi vous continuez ainsi 4784\nEt vous en serez bien punie,\nIl me faut vous en avertir ! \u00bb\n\u00c9nide n\u2019a rien \u00e0 lui dire :\nEt n\u2019a que faire de sa rage ; 4788\nMais il l\u2019a frapp\u00e9e au visage !\nElle a cri\u00e9, et les barons\u00b0\nAu comte des reproches font :\n\u00ab Arr\u00eatez, Sire, ont dit au comte 4792\nV ous devriez bien avoir honte\nDe frapper cette dame-l\u00e0,\nParce qu\u2019elle ne mange pas :\nV ous avez fait chose vilaine. 4796\nSi cette dame a grande peine\nPour son seigneur, qu\u2019elle voit mort,\nQui pourrait dire qu\u2019elle a bien tort ? \u00bb\nLe comte a dit : \u00ab \u00c9coutez-moi ! 4800\nJe suis \u00e0 elle, elle est \u00e0 moi,\nEt d\u2019elle prendrai mon plaisir. \u00bb\n\u00c9nide alors ose lui dire\nQue jamais \u00e0 lui ne sera ; 4804\nLe comte encore la frappa\nEt elle tr\u00e8s fort s\u2019\u00e9cria :\n\u00ab Ah ! Je ne te crains pas !\nQuoi que tu dises, que tu fasses, 4808\nJe ne crains ni coups ni menaces :\nTelle douleur en moi je porte,324 Chr\u00e9tien de Troyes\nja tant ne te troverai \ufb01er\nque por toi face plus ne mains, 4812\nse tu or androit a tes mains\nme devoies les ialz sachier\nou tote vive detranchier. \u00bb\nAntre ces diz et ces tan\u00e7ons, 4816\nrevint Erec de pasmeisons,\nausi come hom qui s\u2019esvoille.\nSil s\u2019esbahi, ne fu mervoille,\ndes genz qu\u2019il vit an viron lui ; 4820\nmes grant duel a et grant enui,\nquant la voiz sa fame entandi.\nDel dois a terre descendi,\net trait l\u2019espee isnelemant ; 4824\nire li done hardemant,\net l\u2019amors qu\u2019an sa fame avoit.\nCele part cort ou il la voit,\net \ufb01ert par mi le chief le conte 4828\nsi qu\u2019il l\u2019escervele et esfronte\nsanz des\ufb01ance et sanz parole ;\nTi sans et la cervele an vole.\nLi chevalier saillent des tables ; 4832\ntuit cuident que ce soit deables\nqui leanz soit entr\u2019ax venuz.\nN\u2019i remaint juenes ne chenuz,\ncar molt furent esmai\u00e9 tuit 4836\nli uns devant l\u2019autre s\u2019an fuit\nquanqu\u2019il p\u00fcent a grant eslais ;\ntost orent voidi\u00e9 le pal\u00e9s,\net dient tuit, et foible et fort 4840\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 325\nTu peux me traiter de la sorte,\nJe ne ferai ni plus ni moins 4812\nSi m\u00eame de tes propres mains\nTu devais les yeux m\u2019arracher,\nOu toute vive m\u2019\u00e9corcher ! \u00bb\n\u00c9rec revient \u00e0 lui\nMais pendant cette discussion 4816\n\u00c9rec revient de p\u00e2moison,\nEt comme celui qui s\u2019\u00e9veille,\nIl est \u00e9tonn\u00e9, s\u2019\u00e9merveille,\nDe voir des gens autour de lui. 4820\nIl a \u00e9prouv\u00e9 grand ennui\nQuand sa femme il a entendu !\nDe la table il est descendu\nEt son \u00e9p\u00e9e il a brandi : 4824\nLa col\u00e8re le rend hardi,\nEt aussi son amour pour elle. . .\nIl s\u2019est pr\u00e9cipit\u00e9 vers elle,\nEt frappe le comte \u00e0 la face 4828\nSi bien que sa t\u00eate fracasse\nSans m\u00eame l\u2019avoir d\u00e9\ufb01\u00e9,\nCervelle et sang en ont gicl\u00e9 !\nLes chevaliers se sont lev\u00e9s : 4832\nIls ont cru le diable arriv\u00e9\nLe diable parmi eux venu,\nJeunes et vieux tous y ont cru,\nEt tous en furent e \u000bray\u00e9s 4836\nSi bien qu\u2019ils se sont bouscul\u00e9s\nL\u2019un poussant l\u2019autre pour s\u2019enfuir\nQuittant le palais pour s\u2019enfuir.\nTous ont cri\u00e9, faibles et forts : 4840326 Chr\u00e9tien de Troyes\n\u00ab Fuiez ! Fujez ! Veez le mort. \u00bb\nMolt est grant la presse a l\u2019issue,\nchascuns de tost fcir s\u2019arg\u00fce\nli uns l\u2019autre anpoint et debote ; 4844\ncil qui derriers ert an la rote\nvolsist estre el premerain front ;\nensi trestuit fuiant s\u2019an vont\nque li uns n\u2019ose l\u2019autre atandre. 4848\nErec corrut son escu prandre,\npar la guige a son col le pant ;\net Enyde la lance prant ;\nsi s\u2019an vienent par mi la cort. 4852\nN\u2019i a si hardi qui lor tort,\ncar ne cuidoient pas qu\u2019il fust\nnus hom, qui chacier les de\u00fcst,\nmes deables ou enemis, 4856\nqui dedans le cors se fust mis.\nTuit s\u2019anfuient ; Erec les chace ;\net tenoit hors en mi la place\nuns gar\u00e7ons, qui voloit mener 4860\nson cheval a l\u2019aigue abevrer,\natorn\u00e9 de frain et de sele.\nCeste avanture li fu bele :\nErec vers le cheval s\u2019esleisse, 4864\net cil tot maintenant le leisse,\ncar peor ot grant li gar\u00e7ons.\nErec monte antre les ar\u00e7ons,\npuis se prant Enide a l\u2019estrier 4868\net saut sor le col del destrier,\nsi con li comanda et dist\nErec, qui sus monter la \ufb01st.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 327\n\u00ab Fuyez, fuyez ! V oici le mort ! \u00bb\n\u00c0 la sortie, c\u2019est la cohue\nChacun veut \u00eatre dans la rue\nIls se bousculent et se disputent 4844\nCar celui qui sur l\u2019autre butte\nVeut \u00eatre le premier sans doute\nEt c\u2019est comme une vraie d\u00e9route\nCar nul ne veut un autre attendre. 4848\n\u00c9rec son \u00e9cu\u00b0 all\u00e9 prendre,\n\u00c0 son cou alors le suspend\nEt \u00c9nide sa lance prend ;\nIls sont descendus dans la cour 4852\nEt personne apr\u00e8s eux ne court\nCar pour eux, ce n\u2019est pas un homme\nQui les a fait s\u2019enfuir, en somme,\nMais bien le diable, l\u2019Ennemi, 4856\nQui dans un corps s\u2019est introduit.\nTous sont partis, \u00c9rec les chasse\nEt ne trouve plus, sur la place,\nQ\u2019un valet, qui voulait mener 4860\nSon propre cheval s\u2019abreuver,\nD\u00e9j\u00e0 brid\u00e9, avec sa selle,\nCette occasion \u00e9tait trop belle !\n\u00c9rec saute sur le cheval 4864\nQue l\u2019autre laisse aller sans mal\nTellement il est e \u000bray\u00e9.\n\u00c9rec entre ar\u00e7ons est mont\u00e9 ;\n\u00c0 l\u2019\u00e9trier a mis le pied 4868\nD\u2019\u00c9nide, et sur le destrier\nElle sauta, comme lui dit\n\u00c9rec, la hissant jusqu\u2019\u00e0 lui.328 Chr\u00e9tien de Troyes\nLi chevax andeus les anporte ; 4872\nil truevent overte la porte,\nsi s\u2019an vont que nus nes areste.\nEl chastel avoit grant moleste\ndel conte qui estoit ocis ; 4876\nmes n\u2019i ot nul, tant fust de pris,\nqui voist apr\u00e9s por le vangier,\nOcis fu li cuens au mangier.\nEt Erec, qui sa fame an porte, 4880\nl\u2019acole et beise et reconforte ;\nantre ses braz contre son cuer\nl\u2019estraint, et dit : \u00ab Ma dolce suer,\nbien vos ai de tot essaiee. 4884\nOr ne soiez plus esmaiee,\nc\u2019or vos aim plus qu\u2019ainz mes ne \ufb01s,\net je resui certains et \ufb01s\nque vos m\u2019amez par\ufb01temant. 4888\nOr voel estre d\u2019or en avant,\nausi con j\u2019estoie devant,\ntot a vostre comandemant ;\net se vos rien m\u2019avez mesdit, 4892\nje le vos pardoing tot et quit\ndel forfet et de la parole. \u00bb\nAdons la rebeise et acole.\nOr n\u2019est pas Enyde a maleise, 4896\nquant ses sires l\u2019acole et beise,\net de s\u2019amor la rase\u00fcre.\nPar nuit s\u2019an vont grant ale\u00fcre,\net ce lor fet grant soatume 4900\nque la nuit luisoit cler la lune.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 329\nLe cheval tous les deux les porte, 4872\nIls trouvent ouverte la porte\nEt s\u2019en vont sans qu\u2019on les arr\u00eate. . .\nDans le bourg, ce n\u2019est pas la f\u00eate,\nQuand on apprend la mort du comte, 4876\nMais nul n\u2019a voulu, dit le conte,\nLes pourchasser, pour le venger,\nLui qui \u00e0 table fut tu\u00e9.\n\u00c9rec pardonne \u00e0 \u00c9nide\nSur le cheval qui les emporte 4880\n\u00c9rec \u00c9nide r\u00e9conforte,\nL\u2019\u00e9treint, la presse sur son c\u0153ur,\nEn lui disant : \u00ab Ma douce s\u0153ur,\nJe vous ai assez \u00e9prouv\u00e9e ; 4884\nD\u00e9sormais, ne vous inqui\u00e9tez :\nC\u2019est vous que j\u2019aime plus que tout,\nEt je suis bien certain que vous\nM\u2019aimez aussi totalement. 4888\nJe vous promets, dor\u00e9navant,\nD\u2019\u00eatre comme je fus avant\nSoumis \u00e0 vos commandements.\nEt si vous avez pu m\u2019o \u000benser 4892\nD\u2019un mot, soyez en pardonn\u00e9e,\nJ\u2019oublie le mot comme l\u2019o \u000bense. \u00bb\nEt de nouveau alors l\u2019embrasse.\n\u00c9nide fut bien soulag\u00e9e 4896\nQuand son seigneur l\u2019a embrass\u00e9e,\nEt de son amour la rassure.\nDe nuit partent \u00e0 grande allure,\nEt ce fut nuit douce pour eux, 4900\nCar la lune y jetait ses feux.330 Chr\u00e9tien de Troyes\nTost est alee la novele,\nque riens nule n\u2019est si isnele.\nCeste novele ert ja alee 4904\na Guivret, et li fu contee\nc\u2019uns chevaliers d\u2019armes navrez\nert morz an la forest trovez,\no lui une dame tant bele, 4908\nsi oel sanbloient estancele,\net feisoit un duel mervelleus.\nTrovez les avoit anbedeus\nli cuens orguilleus de Limors, 4912\ns\u2019an avoit fet porter le cors,\net la dame espouser voloit ;\nmes ele le contredisoit.\nQuant Guivrez la novele oi, 4916\nde rien nule ne s\u2019esjoi,\nqu\u2019araumant d\u2019Erec li sovint ;\nan cuer et an panser li vint\nque il iroit la dame querre, 4920\net feroit le cors metre an terre\na grant enor, se ce est il.\nSergenz et chevaliers ot mil\nasanblez por le chastel prandre 4924\nse li cuens lne li volsist randre\nvolantiers le cors et la dame,\ntot meist an feu et an \ufb02ame.\nA la lune, qui cler luisoit, 4928\nses genz vers Lymors conduisoit,\nhiaumes laciez, haubers vestuz,\net les escuz as cos panduz ;\net si venoient arm\u00e9 tuit. 4932\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 331\nRencontre avec Guivret\nLa nouvelle se r\u00e9pand vite,\nToujours elle se pr\u00e9cipite !\nElle est donc aussit\u00f4t venue 4904\nJusqu\u2019\u00e0 Guivret, qui la connut,\nDisant qu\u2019un chevalier bless\u00e9\nEn la for\u00eat, mort fut trouv\u00e9,\nAupr\u00e8s d\u2019une dame si belle 4908\nQue ses yeux sont comme \u00e9tincelles\nPlong\u00e9e dans un chagrin a \u000breux.\nEt qui les a trouv\u00e9s tous deux,\nC\u2019\u00e9tait le comte de Limors 4912\nQui avait emport\u00e9 le corps\nEt la dame \u00e9pouser voulait\nAlors qu\u2019elle s\u2019y refusait.\nQuand Guivret la nouvelle apprend, 4916\nGrande tristesse il en ressent,\nCar d\u2019\u00c9rec a le souvenir ;\nEt il voudrait intervenir\nAller la dame secourir, 4920\nEt le corps faire ensevelir\nEn grand honneur, si c\u2019est bien lui.\nMille chevaliers avec lui\nAssemble pour le ch\u00e2teau prendre : 4924\nSi le comte ne voulait rendre\nLe corps d\u2019\u00c9rec avec sa dame,\nIl mettrait tout cela en \ufb02ammes.\nEn pro\ufb01tant du clair de lune 4928\nTous ses gens \u00e0 Limors am\u00e8ne,\nHeaumes\u00b0 lac\u00e9s, hauberts\u00b0 pass\u00e9s,\nLes \u00e9cus au cou attach\u00e9s,\nIls sont venus, tr\u00e8s bien arm\u00e9s. 4932332 Chr\u00e9tien de Troyes\nEt fu ja pres de mie nuit,\nquant Erec les a parce\u00fcz ;\nor cuide il estre dece\u00fcz\nOu morz ou pris sanz retenal. 4936\nDescendre a fet de son cheval\nEnyde delez une haie ;\nn\u2019est pas mervoille s\u2019il s\u2019esmaie :\n\u00ab Remenez ci, dame, fet il, 4940\nun petit delez ce santil,\ntant que ces genz trespass\u00e9 soient :\nje n\u2019ai cure que il nos voient,\ncar je ne sai quex genz ce sont 4944\nne quel chose querant il vont.\nEspoir nos n\u2019avons d\u2019ax regart,\nmes je ne voi de nule part\nnul leu ou nos puissiens reduire, 4948\ns\u2019il nos voloient de rien nuire.\nNe sai se max m\u2019an avandra :\nja por peor ne remandra\nque a l\u2019ancontre ne lor aille, 4952\net s\u2019il i a nul qui m\u2019asaille,\nde joster ne li faudrai pas.\nSi sui je molt duillanz et las ;\nn\u2019est mervoille se je me duel. 4956\nDroit a l\u2019ancontre aler lor vuel ;\net vos soiez ci tote coie,\ngardez que nus d\u2019ax ne vos voie,\ntant qu\u2019il vos aient esloigniee. \u00bb 4960\nA tant es vos lance beissiee\nGuivret, qui l\u2019ot de loing ve\u00fc ;\nne se sont pas recone\u00fc,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 333\nIl \u00e9tait bien minuit pass\u00e9,\nQuand \u00c9rec les a vu venir :\nIl croit alors qu\u2019il va p\u00e9rir\nSans nul espoir, trahi et pris ! 4936\n\u00c9nide a pied \u00e0 terre mis ;\nDans un bosquet il l\u2019a cach\u00e9e,\nPour elle il est fort angoiss\u00e9,\nIl dit : \u00ab Dame nous resterons 4940\nUn peu derri\u00e8re ces buissons\nEn attendant que ces gens soient\nPass\u00e9s, et pour qu\u2019ils ne nous voient.\nCar je ne sais pas qui ils sont 4944\nNi apr\u00e8s qui chercher s\u2019en vont.\nJ\u2019esp\u00e8re qu\u2019aucun ne nous voit\nCar je ne vois aucun endroit\nO\u00f9 nous pourrions bien nous enfouir, 4948\nS\u2019ils avaient envie de nous nuire.\nJe ne sais si j\u2019en p\u00e2tirai,\nMais la peur ne pourra jamais\nM\u2019emp\u00eacher d\u2019aller devant eux. 4952\nEt si m\u2019assaillait l\u2019un d\u2019entre eux,\nJe ne manquerai pas de jouter\nContre lui, m\u00eame fatigu\u00e9,\nCe qui n\u2019est pas tr\u00e8s surprenant ! 4956\nJe veux aller y aller, maintenant,\nEt vous restez ici, je crois,\nPour que personne ne vous voie,\nJusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019ils soient \u00e9loign\u00e9s. \u00bb 4960\nV oil\u00e0 Guivret, lance baiss\u00e9e,\nQui de tr\u00e8s loin les avait vus !\nIls ne se sont pas reconnus :334 Chr\u00e9tien de Troyes\nqu\u2019an l\u2019onbre d\u2019une nue brune 4964\ns\u2019estoit esconsee la lune.\nErec fu foibles et quassez,\net cil fu auques respassez\nde ses plaies et de ses cos. 4968\nOr fera Erec trop que fos,\nse tost conuistre ne se fet.\nAn sus de la haje se tret,\net Guivrez vers lui esperone ; 4972\nde rien nule ne l\u2019areisone,\nne Erec ne li sona mot\nplus cuida fere qu\u2019il ne pot :\nqui plus vialt fere qu\u2019il ne puet, 4976\nrecroirre ou reposer l\u2019estuet.\nLi uns ancontre l\u2019autre joste ;\nmes ne fu pas igaus la joste,\nque cil fu foibles et cil forz. 4980\nGuivrez le \ufb01ert par tel esforz\nque par la crope del cheval\nl\u2019an porte a terre contre val.\nEnyde, qui a pi\u00e9 estoit, 4984\nquant son seignor a terre voit,\nmorte cuide estre et mal baillie :\nhors de la haie estoit saillie,\net cort por aidier son seignor. 4988\nS\u2019onques ot duel, lors l\u2019ot graignor ;\nvers Guivret vient, si le \u00b8 seisist\npar la resne, lors si li dist :\n\u00ab Chevaliers, maudiz soies tu, 4992\nc\u2019un home seul et sanz vertu,\ndolant et pres navr\u00e9 a mort\nas anvai a si grant tort\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 335\nCar dans la nuit d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s brune 4964\nUne nu\u00e9e cachait la lune.\n\u00c9rec \u00e9tait faible, et bless\u00e9,\nL\u2019autre avait tr\u00e8s bien fait soigner\nSes blessures, ses plaies, ses coups ; 4968\n\u00c9rec agirait comme un fou,\nS\u2019il ne se faisait pas conna\u00eetre !\nDevant la haie ose para\u00eetre,\nEt Guivret vers lui \u00e9peronne, 4972\nRien ne peut l\u2019arr\u00eater \u2014 personne !\n\u00c9rec n\u2019a pas dit un seul mot,\nPour ses forces ce n\u2019est que trop. . .\nQui veut faire plus qu\u2019il ne peut, 4976\nDoit s\u2019arr\u00eater, ce n\u2019est douteux.\nChacun a lanc\u00e9 son cheval,\nMais le combat est in\u00e9gal :\nL\u2019un est tr\u00e8s faible, l\u2019autre fort ; 4980\nGuivret \u00c9rec frappe si fort\nQu\u2019il le renverse et jette \u00e0 terre\nPar-dessus son cheval, derri\u00e8re.\n\u00c9nide qui \u00e9tait debout 4984\nEt qui le voit prendre tel coup,\nSe sent mourir, se croit perdue ;\nQuittant la haie, elle est venue,\nCroyant son seigneur secourir. 4988\nElle \u00e9tait triste, et c\u2019est bien pire !\nVers Guivret vient et lui saisit\nLes r\u00eanes puis alors lui dit :\n\u00ab Vil chevalier, je te maudis, 4992\nD\u2019attaquer homme si a \u000baibli,\nSou\u000brant et si pr\u00e8s de la mort !\nDe le combattre, tu as tort,336 Chr\u00e9tien de Troyes\nque tu ne sez dire por coi. 4996\nSe ci n\u2019e\u00fcst ore fors toi,\nque seus fusses et sanz aie,\ncar fust feite ceste anvaie,\nmes que mes sires fust heitiez ! 5000\nOr soies frans et afeitiez,\nsi lesse ester par ta franchise\nceste bataille qu\u2019as anprise ;\nque ja n\u2019an valdroit mialz tes pris, 5004\nse tu voies morz ou pris\nun chevalier qui n\u2019a pooir\nde relever, ce puez veoir,\ncar d\u2019armes a tant cos soferz 5008\nque toz est de plaies coverz. \u00bb\nCil respont :\u00ab Dame, ne tamez.\nBien voi que l\u00ebaumant amez\nvostre seignor, si vos an lo ; 5012\nn\u2019aiez garde, ne bien ne po,\nde moi ne de ma conpaignie.\nMes dites moi, nel celez mie,\nComant vostre sires a non, 5016\nque ja n\u2019i avroiz se preu non ;\nqui que il soit, si le me dites,\npuis s\u2019an ira se\u00fcrs et quites ;\nn\u2019estuet doter ne vos ne lui, 5020\nqu\u2019a se\u00fcr estes anbedui. \u00bb\nQuant Enyde ase\u00fcrer s\u2019ot,\nbriemant li respont a un mot :\n\u00ab Erec a non, mantir n\u2019an doi, 5024\ncar de bon ere et franc vos voi.\u00bb\nGuivrez descent, qui molt fu liez,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 337\nTu ne sais m\u00eame pas pourquoi ! 4996\nS\u2019il n\u2019y avait ici que toi,\nQue tu sois seul et sans secours\nTu pourrais agir sans d\u00e9tour,\nSi mon seigneur \u00e9tait valide ! 5000\nNe sois donc pas aussi stupide,\nEt sois plut\u00f4t franc\u00b0, et courtois,\nQuitte donc ce combat, crois-moi :\nTu n\u2019as vraiment rien \u00e0 gagner, 5004\nMort ou vif, \u00e0 t\u2019en emparer,\nDe ce chevalier qui ne peut\nSe relever, pourtant courageux,\nCar il a tellement sou \u000bert, 5008\nQu\u2019il est de plaies tout recouvert. \u00bb\nGuivret r\u00e9pond : \u00ab Rassurez-vous,\nJe vois que vous l\u2019aimez beaucoup,\nV otre seigneur, et vous en loue. 5012\nNe craignez de moi rien du tout,\nNon plus que de ma compagnie.\nMais dites-moi, je vous en prie\nComment se fait-il appeler ? 5016\nV ous ne devez le redouter :\nQui que ce soit dites-le moi,\nEt il pourra s\u2019en aller, ma foi.\nEncore un coup, rien ne craignez, 5020\nV ous \u00eates en s\u00e9curit\u00e9. \u00bb\nQuand \u00c9nide rassur\u00e9e fut,\nD\u2019un simple mot a r\u00e9pondu :\n\u00ab \u00c9rec ! V oil\u00e0, je ne mens pas, 5024\nCar loyal et franc\u00b0 je vous crois. \u00bb\nGuivret, joyeux, est descendu,338 Chr\u00e9tien de Troyes\net vet Erec cheoir as piez\nla ou il gisoit a la terre : 5028\n\u00ab Sire, je vos aloie querre,\nfet il, a Lymors droite voie,\ncar mort trover vos i cuidoie.\nPor voir m\u2019estoit dit et cont\u00e9 5032\nqu\u2019a Lymors en avoit port\u00e9\nun chevalier a armes mort\nli cuens Oringles, et a tort\nune dame esposer voloit 5036\nqu\u2019ansanble o lui trovee avoit,\nmes ele n\u2019avoit de lui soing.\nEt je venoie a grant besoing\npor li aidier et delivrer ; 5040\nse il ne me volsist livrer\nla damne et vos sanz contredit,\nje me prisasse molt petit\ns\u2019un pi\u00e9 de terre li lessasse. 5044\nSachiez, se molt ne vos amasse,\nque ja ne m\u2019an fusse antremis.\nJe sui Guivrez, li vostre amis,\nmes se je vos ai fet enui 5048\npor ce que je ne vos conui,\npardoner bien le me devez. \u00bb\nA cest mot s\u2019est Erec levez\nan son seant, qu\u2019il ne pot plus, 5052\net dit : \u00ab Amis, relevez sus,\nde cest forfet quites soiez,\nquant vos ne me conoissoiez. \u00bb\nGuivrez se lieve, et il li conte 5056\ncomant il a ocis le conte\nla ou il seoit a la table,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 339\nAux pieds d\u2019\u00c9rec il est venu\nQui \u00e0 terre gisait encore. 5028\n\u00ab Sire j\u2019allais jusqu\u2019\u00e0 Lymors\nEn toute h\u00e2te vous chercher\nJe croyais mort vous y trouver !\nOn m\u2019avait dit, et racont\u00e9 5032\nQue l\u00e0-bas avait emmen\u00e9,\nUn chevalier qui \u00e9tait mort\nLe comte Oringle, et \u00e0 grand tort\nFor\u00e7ait sa femme \u00e0 l\u2019\u00e9pouser, 5036\nQu\u2019il avait avec lui trouv\u00e9e,\nMais qu\u2019elle ne le voulait pas,\nEt je m\u2019en allais de ce pas\nPour l\u2019aider, et la d\u00e9livrer ! 5040\nS\u2019il ne voulait pas me livrer\nV ous et la dame, sans discuter,\nJe me serais fort m\u00e9pris\u00e9\nSi \u00e0 terre ne l\u2019eus jet\u00e9 ! 5044\nEt je ne l\u2019eus pas fait, sachez,\nSi je n\u2019\u00e9tais pas votre ami !\nMais je suis Guivret le Petit,\nEt si je vous ai combattu, 5048\nC\u2019est que vous m\u2019\u00e9tiez inconnu,\nPardonnez-moi, je vous en prie ! \u00bb\n\u00c0 ces mots, \u00c9rec s\u2019est assis,\nIl ne peut se lever qu\u2019ainsi, 5052\nEt dit : \u00ab Relevez-vous, ami !\nDe cela serez pardonn\u00e9,\nPuisque vous ne me connaissiez. \u00bb\nGuivret se l\u00e8ve, \u00c9rec raconte, 5056\nComment il a occis\u00b0 le comte\nQuand ils \u00e9tait assis \u00e0 table,340 Chr\u00e9tien de Troyes\net comant devant une estable\navoit recovr\u00e9 son destrier, 5060\ncomant sergent et chevalier\nfuiant crioient an la place :\n\u00ab Fuiez ! Fujez ! Li morz nos chace ! \u00bb,\ncomant i dut estre antrapez 5064\net comant il est eschapez.\nEt Guivrez li redist apr\u00e9s :\n\u00ab Sire, j\u2019ai un chastel ci pres\nqui molt siet bien et an biau leu. 5068\nPor vostre aise et por vostre preu\nvos i voldrai demain mener ;\nsi ferons vos plaies sener :\nj\u2019ai deus serors gentes et gaies, 5072\nqui molt sevent de garir plaies ;\nceles vos garront bien et tost.\nEnuit ferons logier nostre ost\njusqu\u2019au latin par mi ces chans, 5076\ncar grant bien vos fera, ce pans,\nenuit un petit de repos ;\nci nos loigerons par mon los. \u00bb\nErec respont : \u00ab Ce relo gi\u00e9. \u00bb 5080\nIluec sont rem\u00e8s et logi\u00e9\nne furent pas de loigier quoi,\nmes petit troverent de quoi,\ncar il n\u2019i avoit pas peu gent ; 5084\npar ces haies se vont loigent.\nGuivret \ufb01t son paveillon tandre,\net comande une aesche esprandre\npor alumer et clart\u00e9 feire ; 5088\ndes cofres fet les cierges treire,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 341\nEt comment, devant une \u00e9table,\nIl a repris son destrier ; 5060\nComment sergents et chevaliers\nCouraient en criant sur la place :\n\u00ab Fuyez ! Fuyez ! Le mort nous chasse ! \u00bb\nComment, au lieu d\u2019\u00eatre attrap\u00e9, 5064\nIl r\u00e9ussit \u00e0 s\u2019\u00e9chapper.\nGuivret \u00e0 son tour lui a dit :\n\u00ab Sire, un ch\u00e2teau ai pr\u00e8s d\u2019ici\nBien solide et bien situ\u00e9, 5068\nPour votre bien, pour vous aider\nJe voudrais bien vous y mener :\nV os plaies y seront bien soign\u00e9es,\nJ\u2019y ai deux soeurs, nobles et gaies ; 5072\nQui savent bien gu\u00e9rir les plaies.\nElles vous remettront sur pied.\nCette nuit nous allons loger\nNotre arm\u00e9e au milieu des champs ; 5076\nCar vous avez besoin tr\u00e8s grand\nDe pouvoir prendre du repos.\nIci demeurons, il le faut. \u00bb\n\u00c9rec r\u00e9pond : \u00ab C\u2019est mon avis. \u00bb 5080\nLe campement\nIci ils se sont install\u00e9s ;\nCe ne fut pas des plus ais\u00e9 :\nDe peu ont d\u00fb se contenter,\nCar tr\u00e8s nombreux \u00e9taient leurs gens : 5084\nDans les bois font leur campement.\nGuivret sa tente a fait monter,\nEt une torche bien allum\u00e9e\nPour donner un peu de clart\u00e9. 5088\nDes co \u000bres cierges sont tir\u00e9s,342 Chr\u00e9tien de Troyes\nsi les alument par la tante.\nOr n\u2019est pas Enyde dolante,\ncar molt bien avenu li est. 5092\nSon seignor desarme et desvest ;\nsi li a ses plaies lavees\nressuiees et rebandeees,\ncar n\u2019i leissa autrui tochier. 5096\nOr ne li set que reprochier\nErec, qui l\u2019a bien esprovee :\nvers li a grabt amor trov\u00e9ee.\nEt Guivret molt le reconjot : 5100\nde coutes porpointes qu\u2019il ot\n\ufb01st un lit feire haut et lonc,\nqu\u2019asez i avoit herbe et jonc ;\ns\u2019ont Erec couchi\u00e9 et covert. 5104\nEt puis li ont un cofre overt,\ns\u2019an \ufb01st hors traire trois pastez :\n\u00ab Amis, fet il, or an tasstez\nun petit de ces pastez froiz. 5108\nVin a eve mesl\u00e9 bevroiz ;\nj\u2019en ai de boen set barrils plains,\nmes li purs ne vos est pas sains,\ncar bleciez estes et plaiez. 5112\nBiax dolz amis, or essaiez\na mangier, que bien vos fera ;\net ma dame aussi mangera,\nvostre fame qui molt a hui 5116\npor vos est\u00e9 an grant enui ;\nmes bien vos estes vangiez.\nEschapez estes, or mangiez,\net je mangerai, biax amis \u00bb 5120\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 343\nEt allum\u00e9s dessous la tente.\n\u00c9nide, elle, n\u2019est plus dolente,\nLa chance lui est revenue. 5092\nSon seigneur a bient\u00f4t d\u00e9v\u00eatu,\nElle lui a ses plaies lav\u00e9es,\nEt nettoy\u00e9es et reband\u00e9es,\nElle seule y pouvait toucher. 5096\nIl ne peut rien lui reprocher,\n\u00c9rec, qui l\u2019a tant \u00e9prouv\u00e9e !\nEn elle a grand amour trouv\u00e9,\nEt Guivret est aux petits soins : 5100\nDe couvertures il eut besoin,\nPour lui en faire un lit tr\u00e8s bon\nAvec des herbes et des joncs.\n\u00c9rec y a couch\u00e9, couvert, 5104\nEt puis il a un co \u000bre ouvert,\nDont il a tir\u00e9 trois p\u00e2t\u00e9s :\n\u00ab Ami, fait-il, veuillez go\u00fbter\nUn de ces trois petits p\u00e2t\u00e9s, 5108\nEt du vin coup\u00e9 vous boirez ;\nJ\u2019en ai sept barriques, du bon,\nMais boire pur pour vous, n\u2019est bon,\nCar vous \u00eates bien trop bless\u00e9. 5112\nMon tr\u00e8s cher ami, essayez,\nDe manger, grand bien vous fera ;\nEt ma Dame aussi mangera,\nV otre femme, qui aujourd\u2019hui 5116\nPour vous a eu si grand ennui ;\nMais maintenant \u00eates veng\u00e9\nV ous voil\u00e0 sauv\u00e9, donc, mangez,\nEt moi je mangerai aussi ! \u00bb 5120344 Chr\u00e9tien de Troyes\nDelez lui s\u2019est Erec assis\net Enyde, cui molt pleisoit\ntrestot quanque Guivrez feisoit ;\nandui de mangier le semonent ; 5124\nvin et eve boivre li donent,\ncar li purs li estoit trop rades.\nErec manja come malades\net but petit, que il n\u2019osa ; 5128\nmes a grant eise reposa\net dormi trestote la nuit,\nqu\u2019an ne li \ufb01st noise ne bruit.\nAu matinet sont esvelli\u00e9, 5132\nsi resont tuit aparelli\u00e9\nde monter et de chevauchier.\nErec ot molt son cheval chier,\nque d\u2019autre chevalchier n\u2019ot cure. 5136\nEnyde ont baill\u00e9e une mure,\nqui perdu ot son palefroi ;\nmes n\u2019an fu pas a grant esfroi,\nonques n\u2019i pansa par sanblant ; 5140\nbele mule ot et bien anblant\nqui a grant eise la porta\net ce molt la reconforta\nqu\u2019Erec ne s\u2019esmaioit de rien, 5144\neinz lui disoit qu\u2019il garroit bien.\nA Pointurie, un fort chastel\nqui seoit molt bien et molt bel,\nvindrent ain\u00e7ois tierce de jor. 5148\nLa demorerent a sejor\nles seors Guivret anbedeus\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 345\nPr\u00e8s de lui, \u00c9rec s\u2019est assis\nPuis \u00c9nide, \u00e0 qui tant plaisait\nTout ce que Guivret avait fait.\nTous deux l\u2019incitent \u00e0 manger, 5124\nEt vin et eau lui ont vers\u00e9,\nCar le vin pur \u00e9tait trop fort ;\n\u00c9rec mangea \u00e0 grand e \u000bort\nEt bu tr\u00e8s peu, il n\u2019osait pas ; 5128\nMais bien content, se reposa,\nEt puis dormit toute la nuit,\nCar on ne \ufb01t le moindre bruit.\nAu matin, se sont r\u00e9veill\u00e9s, 5132\nEt puis se sont tous pr\u00e9par\u00e9s\n\u00c0 monter et \u00e0 chevaucher.\n\u00c9rec son cheval veut monter\nIl n\u2019en veut pas d\u2019autre \u00e0 sa guise, 5136\nSur une mule \u00c9nide est mise,\nAyant perdu son palefroi\u00b0 ;\nMais ne regretta pas ce choix,\nSans m\u00eame y songer, ce me semble, 5140\nCar elle allait fort bien \u00e0 l\u2019amble\net la portait fort ais\u00e9ment.\nEt il lui plut \u00e9norm\u00e9ment\nQu\u2019\u00c9rec ne se souciait de rien, 5144\nLui disant qu\u2019il gu\u00e9rirait bien.\n\u00c9rec soign\u00e9\n\u00c0 Pointurie, un fort ch\u00e2teau\nBien situ\u00e9, et vraiment beau,\nIls arriv\u00e8rent vers neuf heures 5148\nC\u2019est l\u00e0 qu\u2019avaient fait leur demeure\nLes soeurs de Guivret toutes deux,346 Chr\u00e9tien de Troyes\npor ce que biax estoit li leus.\nAn une chanbre delitable, 5152\nloing de noise, et bien essorable,\nen a Guivret Erec men\u00e9 ;\na lui garir ont molt pen\u00e9\nses serors que il an pria. 5156\nErec an eles se \ufb01a,\ncar celes molt l\u2019ase\u00fcrerent.\nPremiers la morte char osterent,\npuis mistrent sus antrait et tante ; 5160\na lui garir ont grant antante,\net celes, qui molt an savoient,\nsovant ses plaies li lavoient\net remetoient l\u2019antrait sus. 5164\nChascuns jor catre foiz ou plus\nle feisoient mangier et boivre,\nsel gardoient d\u2019ail et de poivre ;\nmes, qui qu\u2019alast ne anz ne hors, 5168\ntoz jors estoit devant son cors\nEnyde, cui plus an tenoit.\nGuivret sovant leanz venoit\npor demander et por savoir 5172\ns\u2019il voloit nule rien avoir.\nBien fu gardez et bien serviz,\ncar ne fu pas faite a enviz\nrien nule qui li ifu mestiers, 5176\nmes lieemant et volantiers.\nA lui garir mistrent grant painne\nles puceles : ain\u00e7ois quinzainne\nne santi il mal ni dolor. 5180\nLors, por revenir sa color,\nle commencierent a baignier,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 347\nParce que beau \u00e9tait le lieu.\nDans une chambre agr\u00e9able, 5152\nLoin du bruit, et confortable,\nGuivret a \u00c9rec install\u00e9.\nEt s\u2019occuper de le soigner\nAux deux s\u0153urs il a demand\u00e9. 5156\n\u00c9rec \u00e0 elles s\u2019est con\ufb01\u00e9,\nCar elles l\u2019ont bien rassur\u00e9.\nLa chair morte ont d\u2019abord \u00f4t\u00e9e,\nPuis ont mis baume et l\u2019ont band\u00e9 ; 5160\nElles savaient fort bien soigner,\nCar l\u2019exp\u00e9rience elles avaient :\nSes plaies tr\u00e8s souvent lui lavaient,\nRemettant du baume au-dessus. 5164\nChaque jour, quatre fois ou plus.\nElles l\u2019ont fait boire et manger\nSans ail ni poivre lui donner.\nQui que ce soit qui entre ou sorte 5168\nUne seule en gardait la porte\n\u00c9nide, toujours pr\u00e8s de lui.\nGuivret venait souvent aussi,\nPour demander s\u2019il allait bien, 5172\nEt puis s\u2019il ne manquait de rien.\nBien surveill\u00e9, et bien servi,\n\u00c9rec le fut sans contredit :\nOn ne lui a rien refus\u00e9, 5176\nMais donn\u00e9 vraiment de bon gr\u00e9.\nDe le gu\u00e9rir, ont pris la peine\nLes s\u0153urs : en moins d\u2019une quinzaine,\nIl n\u2019avait plus mal ni douleurs, 5180\nEt pour lui redonner des couleurs,\nElles se mirent \u00e0 le baigner,348 Chr\u00e9tien de Troyes\nan eles n\u2019ot que anseignier,\ncar bien lor ot sot covenir. 5184\nQuant il pot aler et venir,\nGuivret ot fet deus robes feire,\nl\u2019une d\u2019ermine et l\u2019autre veire,\nde deux dras de soie divers. 5188\nL\u2019une fu d\u2019un osterin pers\net l\u2019autre d\u2019un bofu roi\u00e9\nqu\u2019an presant li ot anvoi\u00e9\nd\u2019Escoce une soe cousine. 5192\n\u00c9nide ot la robe d\u2019ermine\net l\u2019osterin qui molt chiers fu,\nErec la veire o le bofu,\nqui ne revaloit mie mains. 5196\nOr fu Erec toz forz et sains,\nor fu gariz et respassez,\nor fu Enyde liee assez,\nor ot sa joie et son delit. 5200\nAnsanble jurent an un lit,\net li uns l\u2019autre acole et beise ;\nriens nule n\u2019est qui tant lor pleise.\nTant ont e\u00fc mal et enui, 5204\nil por li et ele por lui\nc\u2019or ont feite lor penitance.\nLi uns ancontre l\u2019autre tance\ncomant il li puise pleisir : 5208\ndel sorplus me doi bien teisir.\nOr ont lor dolor obliee\net lor grant amor afermee,\nque petit mes lor an sovient. 5212\nDes or raler les an covient,\nsi ont Guivret congi\u00e9 rov\u00e9,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 349\nEt savaient si bien s\u2019employer,\nQu\u2019on n\u2019y trouvait rien \u00e0 redire. 5184\nQuand il put aller et venir,\nGuivret deux robes a fait faire,\nQui \u00e9taient d\u2019hermine et de vair\u00b0,\nEn deux tissus de soie vari\u00e9e, 5188\nL\u2019une d\u2019un bleu tr\u00e8s fonc\u00e9,\nL\u2019autre \u00e9tait d\u2019une soie ray\u00e9e,\nQu\u2019en pr\u00e9sent lui avait donn\u00e9\nD\u2019\u00c9cosse une de ses cousines. 5192\n\u00c9nide eut la robe d\u2019hermine,\nEn soie bleue, de grande valeur ;\n\u00c9rec celle de vair\u00b0 \u00e0 rayures\nQui ne valait pas beaucoup moins. 5196\n\u00c9rec maintenant, fort et sain,\n\u00c9tait gu\u00e9ri, et r\u00e9tabli,\n\u00c9nide \u00e9tait vraiment ravie,\nSa joie se voyait, ce me semble ! 5200\nIls sont all\u00e9s au lit ensemble,\n\u00c0 s\u2019enlacer et s\u2019embrasser ;\nRien ne pourrait mieux les combler.\nIls ont eu tellement d\u2019ennuis, 5204\nLui pour elle et elle pour lui,\nLeur p\u00e9nitence peut \ufb01nir :\nChacun d\u2019eux cherche \u00e0 parvenir\n\u00c0 l\u2019autre donner du plaisir. . . 5208\nEt je ne peux plus rien en dire !\nIls ont leurs douleurs oubli\u00e9es,\nLeur grand amour est renforc\u00e9,\nEt ne souvenant de rien, 5212\nMaintenant, ils partiraient bien.\nIls ont pris de Guivret cong\u00e9,350 Chr\u00e9tien de Troyes\ncui ami orent molt trov\u00e9,\nque de totes les rien qu\u2019il pot 5216\nserviz et enorez les ot.\nErec li dist au congi\u00e9 prandre :\n\u00ab Sire, je ne puis plus atandre\nque je ne m\u2019an aille an ma terre ; 5220\nfeites apareillier et querre\nque j\u2019aie tot mon estovoir :\nje voldrai par matin movoir,\ntantost com il iert ajorn\u00e9. 5224\nTant ai antor vos sejorn\u00e9\nque je me sant fort et delivre.\nDex, se lui plest, me doint tant vivre\nque je ancor an leu vos voie 5228\nque la puissance resoit moie\nde vos servir et enorer.\nJe ne cuit nul leu demorer,\nse ne suis pris ou retenuz, 5232\ntant qu\u2019\u00e0 la cort soie venuz\nle roi Artus, que veoir vuel\na Quarrois ou a Quaraduel. \u00bb\nGuivrez respont en es le pas : 5236\n\u00ab Sire, seus n\u2019an iroiz vos pas,\ncar je m\u2019an irai avoec vos,\net s\u2019an manrons ansanble o nos\nconpaignons, s\u2019a pleisir vos vient. \u00bb 5240\nErec a ce consoil se tient\net dit que tot a sa devise\nvialt que la voie soit anprise.\nLa nuit fet la voie aprester 5244\ncar plus n\u2019u vostrent arester ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 351\nLui qu\u2019ils ont beaucoup appr\u00e9ci\u00e9,\nQui de tout choses qu\u2019il put 5216\nServir et honorer les eut.\n\u00c9rec en s\u2019en allant lui dit :\n\u00ab Sire, je ne reste plus ici,\nEn ma terre dois retourner. 5220\nFaites chercher et pr\u00e9parer\nTout ce dont j\u2019aurai bien besoin\nJe voudrais m\u2019en aller demain,\nD\u00e8s que le jour sera lev\u00e9. 5224\nChez vous je suis longtemps rest\u00e9\nJe me sens tr\u00e8s ragaillardi.\nQue Dieu m\u2019accorde longue vie,\nPour que je puisse vous revoir, 5228\nQue j\u2019aie la force et le pouvoir\nDe vous servir et honorer.\nJe ne veux nulle part rester\nSi ne suis pris ou retenu, 5232\nAvant d\u2019\u00eatre \u00e0 la cour venu,\nDu roi Arthur\u00b0, que voir je dois\nQu\u2019il soit \u00e0 Carduel ou Quarrois. \u00bb\nGuivret aussit\u00f4t lui r\u00e9pond : 5236\n\u00ab Sire, seul ne vous laisserons,\nCar avec vous, si bon vous semble,\nJ\u2019irai, et partirons ensemble,\nAvec des compagnons aussi. \u00bb 5240\n\u00c9rec se range \u00e0 son avis,\nEt lui laisse la libert\u00e9\nDe ce voyage organiser.\nLa nuit m\u00eame, on a pr\u00e9par\u00e9 5244\npour s\u2019en aller sans tarder.352 Chr\u00e9tien de Troyes\ntuit s\u2019atornent et aparoillent.\nAu matinet, quant ils s\u2019esvoillent\nsont es chevax mises les seles. 5248\nErec an la chanbre as pucelles\nva congi\u00e9 prendre einz qu\u2019il s\u2019an tort,\net Enyde apr\u00e9s lui recort,\nqui molt estoit joianz et liee 5252\nque leur voie est apareilli\u00e9e.\nAs puceles congi\u00e9 ont pris\nErec, qui bien estoit apris,\nau congi\u00e9 prandre les mercie 5256\nde sa sant\u00e9 et de sa vie,\nety molt lor promet son servise ;\npuis a l\u2019une par la main prise,\nceli qui plus ert de li pres ; 5260\nEnide a l\u2019autre prise apr\u00e8s ;\nsi sont hors de la chanbre issu\ntuit main a main antre tenu,\nsi vienent el pal\u00e9s a mont. 5264\nGuivrez de monter les semont\nmaintenant sanz nule demore.\nJa ne cuide veoir celle ore\nEnyde qu\u2019ils soient mont\u00e9. 5268\nUn paledroi de grant bont\u00e9,\nso\u00ebf anblant, gent et bien fet,\nli a l\u2019an hors au perron tret ;\nli paldroiz fu biax et buens 5272\nne valoit pas moin que li suens\nqui estoit rem\u00e9s a Lymors.\nCil estoit noirs et cist est sors,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 353\nTous s\u2019a \u000bairent en s\u2019\u00e9quipant,\nDe bon matin, en s\u2019\u00e9veillant,\nSur leurs chevaux ont mis les selles. 5248\n\u00c9rec va chez les demoiselles,\nPrendre cong\u00e9, puis est parti,\n\u00c9nide heureuse alors le suit,\nHeureuse, et pleine de gaiet\u00e9 5252\nQue leur d\u00e9part soit d\u00e9cid\u00e9.\nAux autres ont fait leurs adieux ;\n\u00c9rec qui est courtois et preux,\nEn s\u2019en allant, les remercie 5256\nDe lui avoir sauv\u00e9 la vie,\nEt \u00e0 leur service se met.\nSa main dans l\u2019une d\u2019elles met,\nCelle qui est tout pr\u00e8s de lui, 5260\n\u00c9nide alors l\u2019autre a saisie.\nPuis de la chambre sont sortis,\nTous se tenant la main ainsi,\nEt ils sont mont\u00e9s au palais. 5264\nD\u00e9part du ch\u00e2teau de Guivret\nGuivret alors monter les fait\nSur leurs chevaux, et sans d\u00e9lai.\nC\u2019est le moment qu\u2019elle attendait\n\u00c9nide qui n\u2019en pouvait plus ! 5268\nUn palefroi\u00b0 lui ont tenu,\nMarchant \u00e0 l\u2019amble, et bien rac\u00e9.\nJusqu\u2019au perron l\u2019ont amen\u00e9,\nCe palefroi\u00b0, si beau, si bien 5272\nQu\u2019il valait autant que le sien\nQui \u00e0 Lymors \u00e9tait rest\u00e9 :\nIl \u00e9tait noir, lui pommel\u00e9.354 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes la teste fu d\u2019autre guise : 5276\npartie estoit par tel devise\nque tote ot blanche l\u2019une joe\net l\u2019autre noire come choe ;\nantre deus avoit une ligne 5280\nplus vert que n\u2019est fuelle de vingne,\nqui departoit del blanc le noir.\nDel lorain vos sai dire voir,\net del peitrel et de la sele, 5284\nque l\u2019uevre an fu et boene et bele :\ntoz li peitrax et li lorains\nestoit d\u2019esmeraudes plains ;\nla sele fu d\u2019autre meniere, 5288\ncouverte d\u2019une porpre chiere ;\nli ar\u00e7on estoient d\u2019ivoire,\nsi i fu antaillee l\u2019estoire\ncomant Eneas vint de Troye, 5292\ncomant a Cartaige a grant joie\nDido an son leu le re\u00e7ut.\ncomant Eneas la de\u00e7ut,\ncomant ele por lui s\u2019ocist, 5296\ncomant Eneas puis conquist\nLaurente et tote Lombardie,\ndom il fu rois tote sa vie.\nSoutix fu l\u2019uevre et bien tailliee, 5300\ntote a \ufb01 nor apareilliee.\nUns brez taillierres, qui la \ufb01st,\nau taillier plus de set anz mist,\nqu\u2019a nule autre oevre n\u2019antandi ; 5304\nce ne sai ge qu\u2019il la vandi,\nmes avoir an dut grand desserte.\nMolt ot bien Enyde la perte\nde son palefroi restoree, 5308\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 355\nMais sa t\u00eate \u00e9tait di \u000b\u00e9rente, 5276\nEn deux divis\u00e9e, \u00e9tonnante,\nCar blanche \u00e9tait l\u2019une des joues,\nEt l\u2019autre noire comme hibou ;\nEt entre les deux une ligne 5280\nVerte comme feuille de vigne,\nQui s\u00e9parait le blanc du noir.\nEt du licou on pouvait voir,\nComme du poitrail, de la selle, 5284\nQue l\u2019oeuvre en \u00e9tait bonne et belle.\nLe licou et tout le poitrail\n\u00c9taient d\u2019\u00e9meraude et d\u2019\u00e9mail ;\nLa selle \u00e9tait, elle, couverte 5288\nD\u2019une tr\u00e8s riche \u00e9to \u000be verte ;\nLes ar\u00e7ons \u00e9taient faits d\u2019ivoire,\nEt y \u00e9tait grav\u00e9e l\u2019histoire\nD\u2019\u00c9n\u00e9e, qui est venu de Troie, 5292\nArrivant \u00e0 Carthage en joie,\nPar Didon chez elle re\u00e7u,\nEt comment elle fut d\u00e9\u00e7ue,\nTant que pour lui, elle s\u2019occit ! 5296\nComment \u00c9n\u00e9e alors conquit\nLaurente\u00b0 avec la Lombardie,\nDont fut le roi toute sa vie.\nL\u2019\u0153uvre \u00e9tait \ufb01nement grav\u00e9e, 5300\nEt d\u2019or \ufb01n toute rehauss\u00e9e.\nLe breton qui la chose \ufb01t\nPlus de sept ans y avait mis,\nEt rien d\u2019autre alors n\u2019avait fait. 5304\nJe ne sais si vendue l\u2019avait,\nCe ne fut certes pas \u00e0 perte,\nEt de son palefroi\u00b0 la perte\n\u00c9nide fut bien consol\u00e9e 5308356 Chr\u00e9tien de Troyes\nquant de cesti fu enoree.\nLi palefroiz li fu bailliez\nsi richemant apareilliez,\net ele i monte lieemant ; 5312\npuis monterent isnelemant\nmi seignor et li escuier.\nMaint faucon et maint esprevier\net maint ostor sor et gruier 5316\net maint brachet et maint levrier\n\ufb01st Guivrez avoec ax porter\npor aus deduire et deporter.\nChevalchi\u00e9 ont, des le matin,\njusqu\u2019al vespre, le droit chemin, 5320\nplus de .xxx. liues galesches,\ntant qu\u2019il sont devant les bretesches\nd\u2019un chastel fort et riche et bel,\nclos an tor de mur novel ; 5324\net par desoz a la reonde\ncoroit une eve si poarfonde,\nnoire et bruianz come tanpeste.\nErec an l\u2019egarder s\u2019areste, 5328\npor demander et por savoir\nse nus li porroit dire voir\nqui de cest chastel estoit sire :\n\u00ab Amis, savroiz le me vos dire, 5332\nfet il a son boen comapaignon,\ncomant cist chastiax ci a non\net cui il est ? Dites le moi\ns\u2019il est a conte ou a roi ; 5336\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 357\nQuand celui-ci lui fut donn\u00e9 !\nSur ce palefroi\u00b0 est mont\u00e9e,\nSi richement appareill\u00e9,\nElle eut plaisir \u00e0 l\u2019enfourcher, 5312\nEt puis les autres sont mont\u00e9s,\nLe seigneur et son \u00e9cuyer.\nPlusieurs faucons et \u00e9perviers\nDes autours\u00b0 jeunes ou mu\u00e9s, 5316\nBeaucoup de chiens, des l\u00e9vriers\nGuivret a fait aussi venir\nPour se distraire et par plaisir.\nLe ch\u00e2teau de Bradigan\nIls ont chevauch\u00e9, ce matin,\nJusqu\u2019\u00e0 v\u00eapres, sur un chemin 5320\nDe plus de trente lieues galloises,\nEt sont devant les portes closes\nD\u2019une ville forte et tr\u00e8s belle,\nClose de murailles nouvelles. 5324\nEt autour d\u2019elles, \u00e0 la ronde,\nCoulaient des eaux vraiment profondes\nFaisant comme un bruit de temp\u00eate.\n\u00c9rec pour regarder s\u2019arr\u00eate, 5328\nIl veut demander, s\u2019enqu\u00e9rir\nSi quelqu\u2019un pouvait bien lui dire,\nQui de ce ch\u00e2teau est le sire ?\nAmi, pourriez vous donc me dire 5332\nFait-il \u00e0 son bon compagnon,\nQuel est de ce ch\u00e2teau le nom ?\n\u00c0 qui est-il ? Dites-le moi,\n\u00c0 un comte ou bien un roi ? 5336358 Chr\u00e9tien de Troyes\ndes que ci amen\u00e9 m\u2019avez,\ndites le moi, se vos savez.\n\u2014 Sire, fet-il, molt bien le sai.\nLa verit\u00e9 vos an dirai : 5340\nBrandiganz a non li chastiax,\nquitant est boens et tant est biax\nque roi n\u2019anpereor ne dote.\nSe France et la r\u00ebautez tote 5344\net tuit cil qui sont jusqu\u2019au Liege\nestoient anviron a siege\nnel panroient il an lor vies,\ncar plus dure de quinze lies 5348\nl\u2019isle ou lichatiax est assis ;\ncar tot croist dedans le porpris\nquanqu\u2019a riche chastel covient ;\net fruiz et blez et vins i vient, 5352\nne bois ne riviere n\u2019i faut ;\nde nule part ne crient asaut,\nne riens nel porroit afamer.\nLi rois Evrains le \ufb01st fermer, 5356\nqui l\u2019a tenu an quite\u00e9\ntrestot les jorz de son ah\u00e9\net tandra trestote sa vie ;\nmes fermer ne le \ufb01st il mie 5360\npor ce qu\u2019il dotast nules genz,\nmes li chastiax an est plus genz ;\nque s\u2019il n\u2019i avoit mur ne tor,\nmes que l\u2019eve qui cor an tor 5364\ntant forz et tant se\u00fcrs seroit\nque nul home ne doteroit.\n\u2013 Dex ! fer Erec, con grant richesce !\nAlons veoir la forteresce, 5368\net si feisons notre ostel prandre\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 359\nPuisque vous m\u2019y avez men\u00e9,\nDites-le-moi, si vous savez.\n\u2014 Sire, fait-il, oui, je le sais ;\nLa v\u00e9rit\u00e9 vous en dirai : 5340\nBrandigan a nom ce ch\u00e2teau,\nQui est si fort, qui est si beau,\nQu\u2019il ne craint roi ni empereur.\nSi les gens de France et d\u2019ailleurs 5344\nDe ce royaume jusqu\u2019\u00e0 Li\u00e8ge\nEssayaient d\u2019en faire le si\u00e8ge\nDe leur vie ils ne le pourraient\nCar sur quinze lieues je le sais 5348\nL\u2019\u00eele de ce ch\u00e2teau s\u2019\u00e9tend,\nEt on fait pousser au dedans\nTout ce qu\u2019il faut pour la cit\u00e9 :\nLes fruits, le le vin, m\u00eame le bl\u00e9, 5352\nRivi\u00e8re et bois n\u2019y font d\u00e9faut.\nDe nulle part ne craint l\u2019assaut,\nOn ne pourrait pas l\u2019a \u000bamer.\nLe roi Evrain l\u2019a forti\ufb01\u00e9e, 5356\nQui l\u2019a tenue jusqu\u2019aujourd\u2019hui\nEn paix tout le temps de sa vie,\nEt la tiendra toujours encore.\nS\u2019il y a fait des murs si forts 5360\nCe n\u2019est pas pour la prot\u00e9ger\nMais pour accro\u00eetre sa beaut\u00e9.\nS\u2019il n\u2019y avait ni murs, ni tours,\nLa rivi\u00e8re qui en fait le tour 5364\nEst tellement large et profonde\nQu\u2019on n\u2019y craindrait personne au monde.\n\u2014 Dieu ! fait \u00c9rec, quelle richesse !\nAllons voir cette forteresse, 5368\nEt prenons dans le bourg nos logis,360 Chr\u00e9tien de Troyes\nel chastel, car g\u2019i voel descendre\n\u2014 Sire, fet cil cui molt grevoit,\nse enuier ne vos devoit, 5372\nnos n\u2019i desciendr\u00efemes pas :\nel chastel a molt mal trespas.\n\u2013 Mal ? fet Erec, savez le vos ?\nQue que ce soit, dites le nos, 5376\ncar molt volantiers le savroie.\n\u2013 Sire, fet il peor avroie\nque vos n\u2019i e\u00fcssiez domage.\nJe sai tant an vostre corage 5380\nde hardemant et de bont\u00e9,\nse ge vos avoie cont\u00e9\nce que g\u2019en sai de l\u2019avanture,\nqui molt est perilleuse et dure, 5384\nque vos i voudr\u00efez aler.\nJ\u2019en ai sovant o\u00ef parler,\nque pass\u00e9 a set ans ou plus\nque del chastel ne revint nus 5388\nqui l\u2019avanture i alast querre ;\nsi sont venu de mainte terre\nchevalier \ufb01er et corageus.\nSire, nel tenez mie a geus, 5392\nque ja par moi ne le savroiz\nde si que creant\u00e9 m\u2019avroiz,\npar l\u2019amor que m\u2019avez promise,\nque par vos ne sera requise 5396\nl\u2019avanture dont nus ne n\u2019estort\nqui n\u2019i re\u00e7oive honte et mort. \u00bb\nOr ot Erec ce qui li siet.\nGuivret prie qu\u2019il ne li griet, 5400\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 361\nCar je veux m\u2019arr\u00eater ici.\n\u2013 Sire, dit Guivret, contrari\u00e9,\nJe ne voudrais vous ennuyer 5372\nMais nous ne le devrions pas :\nNous y serions en mauvais pas.\n\u2013 Mauvais ? dit \u00c9rec, comment \u00e7a ?\nQuel qu\u2019il soit, ne le cachez pas, 5376\nJ\u2019ai grande envie de le savoir !\n\u2013 Sire, fait-il, veuillez le croire\nJ\u2019ai peur que vous n\u2019en sou \u000briez.\nJe sais quelle ardeur vous avez 5380\nV otre courage, votre \ufb01ert\u00e9,\nEt si je vous avais cont\u00e9\nCe que je sais de l\u2019aventure\nQui est fort p\u00e9rilleuse et dure, 5384\nV ous auriez voulu y aller !\nJ\u2019en ai entendu raconter,\nQu\u2019il y a bien sept ans ou plus,\nDe ce ch\u00e2teau n\u2019est revenu 5388\nAucun de ceux qui sont entr\u00e9s.\nEt pourtant de toute contr\u00e9e\nVenaient des chevaliers tr\u00e8s preux.\nNe prenez pas \u00e7a pour un jeu ! 5392\nJamais de moi ne saurez rien,\nSi d\u2019abord ne promettez bien\nDe par l\u2019amour que me vouez\nQue jamais vous ne tenterez 5396\nCette aventure dont on ne sort\nSans y trouver honte et la mort. \u00bb\n\u00c9rec entend ce qui lui pla\u00eet ;\n\u00c0 Guivret, pour que peur il n\u2019ait, 5400362 Chr\u00e9tien de Troyes\net dit : \u00ab Ha\u00ef, bialz dolz amis,\nsofrez que nostre ostex soit pris\nel chastel, si ne vos enuit :\ntans est d\u2019osteler mes enuit, 5404\nEt por ce voel qu\u2019il ne vos poist,\nque, se il nule enors m\u2019i croist,\nce vos devroit estre molt bel.\nl\u2019avanture vos apel 5408\nque seulemant le nom me dites,\net del sorplus soiez toz quites.\n\u2014 Sire, fet-il, ne puis teisir,\nne die vostre pleisir. 5412\nLi nons est molt biax a nomer,\nmes molt est gri\u00e9s a asomer,\ncar nus n\u2019an puet eschaper vis.\nL\u2019avanture ce vos plevis, 5416\nla Joie de la Cort a non.\n\u2014 Dex ! An joie n\u2019a se bien non,\nfet Erec ; ce vois-je querant.\nm\u2019alez ci desesperant, 5420\nbiax amis, ne de ce ne d\u2019el,\nmes feisons prandre nostre ostel,\nque granz biens an puet avenir.\nne porroit retenir 5424\nque je n\u2019aille querre la Joie.\n\u2014 Sire, fet-il, Dex vos en oie,\nque vos joie i puissiez trover\nsans encombrier retorner : 5428\nbien voi qu\u2019aler vos i estuet.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 363\nIl dit : \u00ab Ah ! mon tr\u00e8s cher ami,\nVeuillez vous arr\u00eater ici,\nDans ce ch\u00e2teau, je vous en prie :\nIl est temps : il fait bient\u00f4t nuit, 5404\nMais je ne voudrais pas vous nuire :\nSachez que si honneur j\u2019en tire,\nCela ne pourra que vous plaire.\nCette aventure ne requiers 5408\nQue seulement son nom me dites,\nDe tout le reste serez quitte.\nLa \u201cJoie de la Cort\u201d\n\u2014 Sire, je ne puis pas me taire,\nJe vous le dirai pour vous plaire. 5412\nC\u2019est un nom agr\u00e9able \u00e0 dire,\nMais di \u000ecile \u00e0 accomplir,\nCar on n\u2019en peut sortir vivant.\nCette aventure, on le pr\u00e9tend, 5416\nLa \u201cJoie de la Cour\u201d\u00b0 a pour nom.\n\u2014 Dieu ! Ce nom l\u00e0 me semble bon,\nC\u2019est cela que je viens chercher.\nCessez donc de m\u2019en emp\u00eacher, 5420\nCher ami, pour ceci, cela,\nNous allons nous arr\u00eater l\u00e0,\nCar nous en tirerons grand bien.\nSachez qu\u2019il n\u2019y a vraiment rien 5424\nQui la \u201cJoie\u201d puisse me d\u00e9fendre\n\u2014 Sire, Dieu puisse vous entendre,\nQue la \u201cJoie\u201d vous puissiez trouver\nEt sans encombre retourner ! 5428\nJe vois que vous le d\u00e9sirez364 Chr\u00e9tien de Troyes\nDes qu\u2019autremant estre ne puet,\nalons : nostre ostex i est pris ;\nnus chevalier de haut pris, 5432\nce ait o\u00ef dire et conter,\nne puet an cest chastel antrer,\npor ce que herbergier i vuelle,\nli rois Evrains nel recueille ; 5436\ntant est gentix et frans li rois\nQu\u2019il a fet ban a ses borjois,\nsi chier con chascuns a son cors,\nprodom qui veigne de hors 5440\nan lor mesons ostel ne truisse\npor ce que il meismes puisse\ntoz les prodomes enorer\nleanz voldront demorer. \u00bb 5444\nEnsi vers le chastel s\u2019an vont ;\npassent les lices et le pont,\ntant que les lices ont pass\u00e9es,\nles genz, qui sont amass\u00e9es, 5448\npar la rue \u00e0 granz tropeiax,\nvoient Erec qui tant est biax,\nque par sanblant cuident et croient\ntrestuit li autre alui soient. 5452\nA mervoilles l\u2019esgardent tuit ;\nla vile an fremist tote et bruit,\ntant an consoillent et parolent ;\nles puceles qui querolent 5456\nlor chant an leissent et retradent ;\ntotes ansanble le regardent\net de sa grande biaut\u00e9 se saignent ;\ngrant mervoille le deplaignent : 5460\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 365\nEt qu\u2019il nous faut bien y aller ;\nNous y avons notre logis,\nCar nul chevalier de haut prix, 5432\nD\u2019apr\u00e8s ce que j\u2019ai entendu\nNe peut \u00eatre ici parvenu\nEsp\u00e9rant y trouver accueil\nSans que le roi Evrain l\u2019accueille, 5436\nIl est si g\u00e9n\u00e9reux, ce roi,\nQu\u2019il a fait dire \u00e0 ses bourgeois,\nSi \u00e0 leur vie tiennent encore,\nQue nul qui viendrait de dehors 5440\nIls ne logent en leurs maisons,\nPour que lui-m\u00eame, \u00e0 sa fa\u00e7on,\nIl puisse tous les honorer,\nCeux qui voudraient ici rester. \u00bb 5444\nAlors vers le ch\u00e2teau ils vont ;\nPassant les lices et le pont.\nQuand les lices furent pass\u00e9es\nTous les gens qui s\u2019y sont amass\u00e9s 5448\nDe par les rues, \u00e0 grands troupeaux,\nOnt vu \u00c9rec, qui est si beau,\nQu\u2019ils ont cru et pens\u00e9, en somme,\nQue tous les autres sont ses hommes 5452\nIls le regardent et l\u2019admirent\nLa ville s\u2019agite, en d\u00e9lire,\nTant on en parle, d\u00e8s qu\u2019on le sait !\nM\u00eame les \ufb01lles qui dansaient 5456\nOn laiss\u00e9 leur chant pour plus tard ;\nEnsemble n\u2019ont qu\u2019un seul regard\nPour sa beaut\u00e9, et puis se signent,\nElles l\u2019admirent et le plaignent, 5460366 Chr\u00e9tien de Troyes\n\u00ab Ha ! Dex ! dit l\u2019une a l\u2019autre, lasse !\nCist chevalier, qui par ci passe,\nvient \u00e0 la Joie de la Cort.\nan iert einz qu\u2019il s\u2019an tort : 5464\nonques nus ne vint d\u2019autre terre\nla Joie de la Cort requerre\nqu\u2019il n\u2019i e\u00fcst honte et domage\nn\u2019i leissast la teste an gage. \u00bb 5468\nApr\u00e8s, por ce que il l\u2019antande,\ndient an haut : \u00ab Dex te desfande,\nchevaliers, de mesavanture ;\ncar tu ies biax a desmesure, 5472\net molt fet ta biautez a plaindre,\ncar demain la berrons estaindre :\na demain est ta morz venue ;\ndemain morras sans retenue, 5476\nse Dex ne te garde et desfant. \u00bb\nErec ot bien, et si antant,\nqu\u2019an dit de lui par mi la vile :\nil le plaignent plus de .vii. mile, 5480\nmes riens ne le puet esmaier.\nOutre s\u2019an vet sans delaier,\nsaluant deboneiremant\ntoz et totes comunalmant ; 5484\net tuit et totes le sal\u00fcent.\nLi plusor d\u2019angoissent tress\u00fcent,\nqui plus dotent que il ne fait\nou de sa mort ou de son lait. 5488\nSeul de veoir sa contenance,\nsa grant biaut\u00e9 et sa sanblance,\na si les cuers de toz a lui\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 367\nEt se disent : \u00ab Quelle tristesse !\nCe chevalier, qui tant se presse,\nPour la \u201cJoie de la Cour\u201d\u00b0 atteindre,\nNe pourra pas venir se plaindre : 5464\nJamais personne n\u2019est entr\u00e9\nPour la \u201cJoie de la Cour\u201d\u00b0 chercher,\nSans y trouver honte et dommage,\nEt y laisser sa t\u00eate en gage. \u00bb 5468\nEt pour s\u2019assurer qu\u2019il l\u2019entende,\nElles s\u2019\u00e9crient : \u00ab Dieu te d\u00e9fende,\nChevalier, de m\u00e9saventure,\nCar ta beaut\u00e9 est sans mesure, 5472\nEt cette beaut\u00e9 est \u00e0 plaindre,\nCar demain la verrons s\u2019\u00e9teindre :\nTa mort est pr\u00e9vue pour demain,\nDemain mourras, on t\u2019en pr\u00e9vient, 5476\nSi Dieu ne te garde et d\u00e9fend. \u00bb\n\u00c9rec entend, et il comprend,\nCe que de lui on dit en ville.\n\u00c0 le plaindre sont bien sept mille, 5480\nMais rien ne saurait le troubler.\nIl est pass\u00e9, sans s\u2019attarder,\nEn saluant obligeamment,\nToutes et tous en m\u00eame temps, 5484\nEt tout le monde le salue.\nBeaucoup d\u2019entre eux n\u2019en peuvent plus\nD\u2019angoisse pour ce qui l\u2019attend\nLa mort ou l\u2019outrage sanglant. 5488\n\u00c0 ne voir que sa contenance,\nSa grande beaut\u00e9, sa prestance,\nTous les c\u0153urs se donnent \u00e0 lui,368 Chr\u00e9tien de Troyes\nque tuit redotent son enui 5492\nchevalier, dames et puceles.\nLi rois Evrains ot les noveles,\nque tex gens a sa cort venoient\nqui grant conpaignie menoient, 5496\net bien resanbloit au hernois\nque lor sires fust cuens ou rois.\nLi rois Evrains en mi la rue\nvint ancontre ax, si les salue : 5500\n\u00ab Bien vaigne, fet il, ceste rote,\net li sires et la genz tote ;\nbien vaigniez, fet il, descendez. \u00bb\nDescendu sont ; il fu asez 5504\nqui lor chevax re\u00e7ut et prist.\nLi rois Evrains pas n\u2019antreprist,\nquant il vit Enyde venant ;\nsi la salue maintenant 5508\net corrut aidier au descendre ;\npar la main, qu\u2019ele ot bele et tandre,\nla mainne en son palais a mont,\ncon franchise le semont ; 5512\nsi l\u2019enora de quanqu\u2019il pot,\ncar bien et bel feire le sot,\nsanz folie et sanz mal panser,\nfeite une chanbre ancenser 5516\nd\u2019encens, de mirre et d\u2019alo\u00e9 :\na l\u2019antrer anz ont tuit lo\u00e9\nle biau sanblant au roi Evrain.\nla chanbre antrent main a main, 5520\nsi con li rois les i mena,\nqui d\u2019ax grant joie demena.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 369\nMais tous aussi craignent pour lui, 5492\nChevaliers, dames, demoiselles.\nLe roi Evrain sut la nouvelle,\nQue des gens \u00e0 sa cour venaient\nQui fort grand apparat menaient ; 5496\n\u00c0 sa noble apparence on voit\nQue leur sire est ou comte ou roi.\nLe roi Evrain est descendu\nEt dans la rue, il les salue : 5500\n\u00ab Bienvenus soient \u00e0 Bradigan,\nV ous tous, seigneur, et tous vos gens ;\nBienvenue, dit-il, descendez ! \u00bb\nDescendus, on s\u2019est bouscul\u00e9 5504\nPour leurs chevaux prendre et soigner.\nEvrain ne s\u2019y est pas tromp\u00e9,\nQuand \u00c9nide il a vu venir,\nIl la salue avec plaisir 5508\nEt l\u2019aide aussit\u00f4t \u00e0 descendre ;\nLui prenant la main, douce et tendre,\nIl l\u2019a men\u00e9e en son palais,\nPar courtoisie, il le voulait. 5512\nLes plus grands honneurs lui a fait,\nCar bien le faire, il le savait,\nSans folie, ni mauvaise id\u00e9e.\nIl \ufb01t la chambre pr\u00e9parer 5516\nAvec la myrrhe et l\u2019alo\u00e8s,\nEt en entrant, tous ont lou\u00e9\nLe bel accueil du roi Evrain.\nEn la chambre, main dans la main, 5520\nIls vinrent, conduits par le roi,\nQui en montra beaucoup de joie.370 Chr\u00e9tien de Troyes\nMes por coi vos deviseroie\npointure des dras de soie, 5524\ndont la chanbre estoit anbelie ?\nLe tans gasteroie an folie,\net ge nel vuel mie gaster ;\nme voel un po haster, 5528\nque qui tost va par doite voie\ncelui passe qui se desvoie :\npor ce ne m\u2019i voel arester.\nLi rois comande a aprester 5532\nle souper, quant tans fu et ore.\nIci ne vuel feire demore,\nse trover puis voie plus droite :\ncuers et boche covoite 5536\norent premierement la nuit\noisiax et veneison et fruit\net vin de diverse meniere ;\nmes tot passa la bele chiere, 5540\nque de toz mes est li plus dolz\nla bele chiere et li bialz volz.\nMolt furent servi lieemant,\ntant qu\u2019Erec estrossemant 5544\nleissa le mangier et le boivre,\net coman\u00e7a a ramantoivre\nce que au cuer plus il tenoit :\nde la Joie li sovenoit, 5548\ns\u2019an a la parole esme\u00fce ;\nli rois Evrains l\u2019a maintenue.\n\u00ab Sire, fet il, or est bien tans\nque je die ce que je pans 5552\net por coi je suis ci venuz.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 371\nMais pourquoi vous raconter \u00e7a ?\nLes tissus de soie, et les draps, 5524\nDont la chambre \u00e9tait embellie ?\nCe serait temps perdu, folie,\nEt je ne veux pas le g\u00e2ter ;\nJe veux plut\u00f4t me d\u00e9p\u00eacher 5528\nCar celui qui s\u2019en va tout droit\nD\u00e9passe celui qui louvoie :\nJe ne veux donc pas m\u2019arr\u00eater.\nLe roi a dit de pr\u00e9parer 5532\nCar il se fait tard, le souper,\nJe ne veux ici m\u2019attarder\nSi je trouve une voie plus droite :\nCe que c\u0153ur et bouche convoitent 5536\nIls l\u2019ont eu toute cette nuit\nV olailles, venaison et fruits,\nEt des vins de toutes mani\u00e8res ;\nMais par dessus la bonne ch\u00e8re, 5540\nN\u2019est-il pas encore plus doux\nUn beau visage devant vous ?\nOn les servit aimablement,\nEt puis \u00c9rec, subitement, 5544\nS\u2019arr\u00eata de manger et boire,\nEt il lui revint en m\u00e9moire\nCe qui plus au c\u0153ur lui tenait :\nDe la \u201cJoie\", il se souvenait, 5548\nEt il s\u2019est mis \u00e0 en parler :\nLe roi Evrain s\u2019y est pr\u00eat\u00e9.\n\u00ab Sire, fait \u00c9rec il est temps\nQue je dise ce que j\u2019attends, 5552\nPourquoi je suis ici venu !372 Chr\u00e9tien de Troyes\ntrop me suis del dire tenuz,\nor nel puis celer en avant :\nla Joie de la Cort demant, 5556\ncar nule rien tant ne covoit.\nDonez la moi, que que ce soit,\nse vos estes en poste\u00efs.\n\u2014 Certes, fet li rois, biax amis, 5560\nparler vos oi de grant oiseuse.\nCeste chose est molt dolereuse,\ncar dolant a fet maint prodome.\nV os me\u00efsmes a la parsome 5564\nan seroiz morz et afolez\nse consoil croirre n\u2019an volez.\nMes se vos me vollez croirre,\nje vos lo\u00ebroie a recroirre 5568\nde demander chose si grief,\ndont ja ne viendriez a chief.\nn\u2019an parlez plus, teisiez vos an :\nne vos vanroit pas de grant san, 5572\nse vos ne creez mon consoil.\nDe rien nule ne me mervoil\nse vos querez onor et pris ;\nmes se je vos veoie pris 5576\nou de vostre cors anpiri\u00e9,\nmolt avroie le cuer iri\u00e9.\nEt sachiez bien que j\u2019ai ve\u00fcz\nmains prodomes et rece\u00fcz 5580\nqui ceste Joie demanderent :\nonques de rien n\u2019i amanderent,\nainz i sont tuit mort et peri.\nEinz que demain soit aseri, 5584\npoez ausi de vos atandre,\nse la Joie volez anprandre ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 373\nJe m\u2019en suis longtemps retenu,\nMais ne puis plus taire ce mot :\nLa \u201cJoie de la Cour\u201d\u00b0 il me faut, 5556\nRien n\u2019est plus important pour moi,\nDonnez la moi, quoi que ce soit,\nSi vous en avez le pouvoir.\n\u2014 Mon cher ami, veuillez me croire, 5560\nV ous parlez bien l\u00e9g\u00e8rement !\nCette chose est grave, vraiment,\nCar tant de peine elle a caus\u00e9 !\nV ous-m\u00eame, \u00e0 la \ufb01n, vous serez 5564\nOu mort ou gravement bless\u00e9,\nSi vous ne voulez m\u2019\u00e9couter.\nMais si vous voulez bien me croire,\nV ous ne devriez plus vouloir 5568\nChose si p\u00e9nible pour vous,\nDont vous ne viendrez pas \u00e0 bout.\nN\u2019en parlez plus, et taisez-vous :\nCe serait bien mauvais pour vous 5572\nSi mon conseil vous ne suiviez.\nJe ne suis en rien \u00e9tonn\u00e9\nQue les honneurs vous recherchiez ;\nMais si je vous voyais bless\u00e9 5576\nOu que vous soyez prisonnier\nJ\u2019en serais vraiment bien f\u00e2ch\u00e9.\nEt sachez bien que j\u2019en ai vus\nBeaucoup des preux que j\u2019ai re\u00e7us, 5580\nQui ont cette \u201cJoie\u201d r\u00e9clam\u00e9e.\nIls n\u2019y ont jamais rien gagn\u00e9\nMais tous sont morts et enterr\u00e9s.\nAvant la \ufb01n de la journ\u00e9e 5584\nDemain, vous pouvez vous attendre,\nSi la \u201cJoie\u201d, voulez entreprendre,374 Chr\u00e9tien de Troyes\nque vos l\u2019avroiz, mes bien vos posit.\nC\u2019est une chose qui vos loist 5588\na repantir et a retraire,\nse vos volez vostre preu faire.\nPor ce vos di que tra\u00efson\nvers vos feroie et mesprison, 5592\nse tot le voir ne vos disoie. \u00bb\nErec l\u2019antant et bien l\u2019otroie\nque li rois a droit li consoille ;\nmes con plus granz est la mervoille 5596\net l\u2019avanture plus grevainne,\nplus la covoite et plus s\u2019an painne,\net dist : \u00ab Sire, dire vos puis\nque preudome et leal vos truis ; 5600\nnul blasme ne vos i puis metre\nde ce dont me vuel antremetre,\ncomant que des or mes m\u2019an chiee.\nCi an soit la broche tranchiee, 5604\nque ja de rien que j\u2019aie anprise\nne ferai tel recreantise\nque je tot mon pooir n\u2019an face,\nain\u00e7ois que fuie de la place. 5608\n\u2014 Bien le savoie, fet li rois ;\nvos l\u2019avroiz ancontre mon pois,\nla Joie que vos requerez,\nmes molt an sui sesesperez, 5612\net molt dot vostre mescheance.\nMes des or estes an \ufb01ance\nd\u2019avoir quanque vos convoitiez :\nse vos a joie an esploitiez, 5616\nconquise avroiz si grant enor\nonques hom ne conquist graignor,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 375\nV ous l\u2019obtiendrez, mais \u00e0 quel prix ?\nEt de cela, je vous le dis, 5588\nV ous aurez \u00e0 le regretter :\nPour votre honneur, abandonnez.\nEt ce serait bien vous trahir,\nV ous traiter avec grand m\u00e9pris, 5592\nDe vous cacher la v\u00e9rit\u00e9. \u00bb\n\u00c9rec a fort bien \u00e9cout\u00e9\nCe que le bon roi lui conseille ;\nMais plus grande soit la merveille 5596\nPlus dure sera l\u2019aventure,\nPlus il la veut et la d\u00e9sire !\nIl fait : \u00ab Sire, je crois vraiment\nQue vous \u00eates loyal et franc\u00b0 ; 5600\nJe n\u2019ai rien \u00e0 vous reprocher\nPour ce que je voudrais tenter,\nEt quoi qu\u2019il puisse m\u2019arriver.\nLa question doit \u00eatre tranch\u00e9e : 5604\nJamais dans ce que j\u2019entreprends\nJe n\u2019agirai si l\u00e2chement\nQue je ne fasse de mon mieux,\nAu lieu de m\u2019enfuir de ce lieu. 5608\n\u2014 Je le savais bien, dit le roi :\nCe sera vraiment contre moi,\nMais cette \u201cJoie\u201d vous l\u2019obtiendrez\nEt j\u2019en suis bien d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, 5612\nCar je crains votre d\u00e9ch\u00e9ance.\nMais d\u00e9sormais ayez con\ufb01ance ;\nV ous aurez ce que vous voulez ;\nEt si vainqueur vous en sortez, 5616\nUn si grand honneur en aurez\nQue jamais nul n\u2019a \u00e9gal\u00e9.376 Chr\u00e9tien de Troyes\net Dex, si con je le desir,\nvos an doint a joie partir. \u00bb 5620\nDe ce tote la nuit parlerent\njusque tant que couchier alerent,\nque li lit furent atorn\u00e9.\nAu matin, quant fu ajorn\u00e9, 5624\nErec, qui est an son esvoil,\nvoit l\u2019aube clere et le soloil,\nsi se lieve tost, et atorne ;\nEnyde a molt grant enui torne 5628\net molt an est triste et iriee ;\nmolt an est la nuit anpiriee\nde sope\u00e7on et de peor\nque ele avoit de son seignor, 5632\nqui se vialt metre an tel peril.\nMes tote voie s\u2019atorne il,\nque nul ne l\u2019an puet destorner.\nLi rois, por son cors atorner, 5636\na son lever li anvea\narmes que molt bien anplea ;\nErec nes a pas refusees,\ncar les soes furent usees 5640\net anpiriees et mal mises :\nles armes volantiers a prises,\nsi s\u2019an fet armer an la sale.\nQuant armez fu, si s\u2019an avale 5644\ntrestoz les degrez contre val,\net trueve ansel\u00e9 son cheval,\net le roi qui montez estoit.\nChascuns de monter s\u2019aprestoit 5648\net a la cort et as ost\u00e9s :\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 377\nEt puisse Dieu, comme je veux,\nV ous en fasse emporter la \u201cJoie\u201d ! 5620\nJusque tr\u00e8s tard ils ont parl\u00e9\nEt puis all\u00e8rent se coucher,\nQuand les lits furent pr\u00e9par\u00e9s.\nAu matin, d\u00e8s le jour lev\u00e9, 5624\n\u00c9rec, sit\u00f4t qu\u2019\u00e0 son r\u00e9veil\nV oit l\u2019aube claire et le soleil,\nIl s\u2019est lev\u00e9 et se pr\u00e9pare ;\n\u00c9nide que la crainte \u00e9gare 5628\nEn est fort triste et contrari\u00e9e ;\nDans la nuit s\u2019est bien tourment\u00e9e,\nPrise d\u2019inqui\u00e9tude et de peur,\nQu\u2019elle \u00e9prouvait pour son seigneur, 5632\nQui ose a \u000bronter tel p\u00e9ril.\nMais pourtant se pr\u00e9pare-t-il,\nCar nul ne peut l\u2019en d\u00e9tourner.\nLe roi, a\ufb01n de l\u2019\u00e9quiper 5636\n\u00c0 son lever, lui envoya\nDes armes que bien employa.\nIl ne les a pas refus\u00e9es,\nCar les siennes \u00e9taient us\u00e9es, 5640\nFort ab\u00eem\u00e9es, endommag\u00e9es :\nAlors il les a appr\u00e9ci\u00e9es,\nEt s\u2019est fait armer dans la salle.\nQuand ce fut fait, alors d\u00e9vale, 5644\nToutes les marches jusqu\u2019en bas,\nEt son cheval se trouvait l\u00e0,\nAvec le roi d\u00e9j\u00e0 mont\u00e9\nTous se pr\u00e9parent \u00e0 monter, 5648\n\u00c0 la cour et dans leurs logis :378 Chr\u00e9tien de Troyes\nan tot le chastel n\u2019a rem\u00e9s\nqui aler puise, qui n\u2019i voise.\nA l\u2019esmovoir a molt grant noise 5652\net grant bruit par totes les rues ;\ncar les granz genz et les menues\ndisoient tuit : \u00ab Ha\u00ef ! Ha\u00ef !\nchevaliers, Joie t\u2019a tra\u00ef, 5656\nceste que tu cuides conquerre\nmes ta mort et ton duel va querre. \u00bb\nNe n\u2019i a un seul qui ne die :\n\u00ab Ceste Joie, Dex la maudie, 5660\nque tant preudome i sont ocis.\nHui an cest jor fera le pis\nque onques mes fe\u00efst sanz dote. \u00bb\nErec ot bien, et si escote 5664\nque les genz disoient li plus,\ncar tuit disoient : \u00ab Mar i fus,\nbiax chevaliers, genz et adroiz.\nCertes ne seroit mie droiz 5668\nque ta vie si tost fenist\nne que nul enuiz t\u2019avenist\ndon bleciez fusses ne leidiz. \u00bb\nBien ot la parole et les diz. 5672\nmes totes voies outre s\u2019an passe :\nne tint mie la teste basse,\nne \ufb01st pas sanblant de coart ;\nqui qu\u2019an parost, molt li est tart 5676\nque il voie et sache et conoisse\ndom il sont tuit an tel angoisse,\nan tel esfroi et an tel poinne.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 379\nPersonne dans tout le pays,\nQui, s\u2019il le peut, n\u2019aille l\u00e0-bas.\nAu d\u00e9part, c\u2019est un grand fracas 5652\nToutes les rues pleines de bruit,\nCar les gens, les grands, les petits,\nLui disent tous : \u201cAhi ! Ahi !\nChevalier la \u201cJoie\u201d te trahit, 5656\nCelle que tu crois conqu\u00e9rir\nC\u2019est ce qui te fera mourir. \u00bb\nIl n\u2019en est aucun qui ne dit :\n\u00ab C\u2019est cette \u201cJoie\u201d, que Dieu maudit, 5660\nCar pour elle des preux sont morts,\nEt ce jour sera pire encore\nQue ce qu\u2019elle a fait jusqu\u2019ici. \u00bb\n\u00c9rec \u00e9coute, il a compris 5664\nCe que les gens disent le plus :\n\u00ab Pour ton malheur, tu es venu,\nBeau chevalier, noble et robuste,\nCertes, ce ne serait pas juste, 5668\nQue ta vie se termine ici,\nOu qu\u2019il t\u2019arrive un tel ennui,\nQue bless\u00e9 tu sois gravement. \u00bb\n\u00c9rec tout ces propos entend, 5672\nMais cependant ne les suit pas,\nEt la t\u00eate ne courbe pas.\nSon allure n\u2019est pas couarde ;\nEt quoi qu\u2019on en pense, il lui tarde 5676\nDe voir en\ufb01n et de savoir\nPourquoi tous sont au d\u00e9sespoir,\nPourquoi tant d\u2019e \u000broi et de peine ?380 Chr\u00e9tien de Troyes\nLi rois hors del chastel le moinne 5680\nan un vergier qui estoit pres,\net tote la gent vont apr\u00e9s\npriant que de ceste besoigne\nDex a joie partir l\u2019an doigne. 5684\nMes ne fet pas a trespasser,\npor langue debatre et lasser,\nque del vergier ne vos retraie\nlonc l\u2019estoire chose veraie. 5688\nLe vergier n\u2019avoit an viron\nmur ne paliz, se de l\u2019air, non ;\nmes de l\u2019air est de totes parz\npar nigromance clos li jarz, 5692\nsi que riens antrer n\u2019i pooit,\nse par un seul leu n\u2019i antroit,\nne que s\u2019il fust toz clos de fer.\nEt tot est\u00e9 et tot yver 5696\ny avoit \ufb02ors et fruit ma\u00fcr ;\net li fruiz avoit tel e\u00fcr\nque leanz se lessoit mangier,\nmes au porter hors fet dongier ; 5700\ncar qui point an vosist porter\nne s\u2019an se\u00fcst ja mes raler,\ncar a l\u2019issue ne venist\ntant qu\u2019an son leu le reme\u00efst. 5704\nNe soz ciel n\u2019a oisel volant,\nqui pleise a hom an chantant\na lui desduire et resjo\u00efr,\nqu\u2019iluec ne po\u00efst l\u2019an o\u00efr 5708\nplusors de chascune nature.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 381\nLe roi hors du ch\u00e2teau l\u2019emm\u00e8ne, 5680\nDans un verger qui est tout pr\u00e8s,\nEt tout le monde y va apr\u00e8s,\nPriant Dieu que dans cette \u00e9preuve\nSa \u201cJoie\u201d puisse faire la preuve. 5684\nMais je ne puis me dispenser\nQuitte \u00e0 ma langue fatiguer,\nSans vous d\u00e9crire le verger\nTel qu\u2019on se pla\u00eet \u00e0 le conter. 5688\nLe \u201cverger\u201d enchant\u00e9\nCe verger n\u2019\u00e9tait entour\u00e9\nNi de murs ni de pieux plant\u00e9s\nMais par de l\u2019air, tout simplement !\nEn cet enclos, magiquement, 5692\nRien ne pouvait y p\u00e9n\u00e9trer\nSi ce n\u2019\u00e9tait par une entr\u00e9e\nComme s\u2019il \u00e9tait clos de fer.\nEt tout l\u2019\u00e9t\u00e9, et tout l\u2019hiver, 5696\nY poussaient des \ufb02eurs et des fruits.\nMais par enchantement, ces fruits,\nQu\u2019on pouvait au dedans manger\nOn ne pouvait les emporter, 5700\nQui e\u00fbt voulu les emmener\nJamais n\u2019aurait pu s\u2019en aller :\nOn ne peut retrouver l\u2019entr\u00e9e\nSans revenir les replacer. 5704\nEt sous le ciel aucun oiseau\nDont le chant ne serait plus beau,\n\u00c0 entendre et se r\u00e9jouir\nNe manquait, sauf \u00e0 en sortir, 5708\nEt ils \u00e9taient de toutes sortes.382 Chr\u00e9tien de Troyes\nEt terre, tant com elle dure,\nne porte espice ne mecine,\nqui vaille a nule medecine, 5712\nque iluec n\u2019i e\u00fcst plant\u00e9,\ns\u2019an i avoit a grant plant\u00e9.\nLeanz par une estroite antree\nest la torbe des genz antree, 5716\nli rois avant et tuit li autre.\nErec aloit, lance sor fautre,\npar mi le vergier chevauchant,\nqui molt se delitoit le chant 5720\ndes oisiax qui leanz chantoient,\nqui la Joie li presantoient,\nla chose a coi il plus baoit ;\nmes une grant mervoille voit 5724\nqui po\u00efst faire grant peor\nau plus riche conbateor,\nce fut Tiebaut li Esclavons,\nne nus de ces que or savons 5728\nne Opiniax, ne Frenaguz :\ncar devant ax sor pex aguz\navoit hiaumes luisanz et clers,\net voit desoz les cerclers 5732\nparoir testes desoz chascun ;\nmes au chied des pex an voit un\nou il n\u2019avoit nean ancor,\nfors que tant solemant un cor. 5736\nIl ne sait ce que sene\ufb01e,\nne de neant ne s\u2019an esfrie,\neinz demanda que ce puet estre\nau roi, qui lez lui ert a destre. 5740\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 383\nEt la terre jamais ne porte,\nAucune \u00e9pice, ni racine,\nQui soit meilleure m\u00e9decine 5712\nQue ce qui est ici plant\u00e9\nEt que l\u2019on trouve en quantit\u00e9 !\nIci, par une \u00e9troite entr\u00e9e\nLa foule des gens est entr\u00e9e, 5716\nLe roi d\u2019abord, puis tous les autres.\n\u00c9rec avait lance sur feutre,\nEt s\u2019avan\u00e7ait en chevauchant ;\nIl se r\u00e9jouissait du chant 5720\nDe tous ces oiseaux qui chantaient,\nEt qui la \u201cJoie\u201d lui pr\u00e9sentaient,\nCe \u00e0 quoi il tenait le plus.\nMais chose \u00e9trange il aper\u00e7ut 5724\nL\u00e0, quelque chose d\u2019e \u000brayant,\nPour les meilleurs des combattants,\nQue ce soit Thibaut d\u2019Esclavon,\nOu de ceux que nous connaissons, 5728\nOpinel ou bien Fernagu :\nCar devant, sur des pieux aigus,\nDes heaumes\u00b0 se trouvaient plant\u00e9s,\nEt sous leurs bords entrebaill\u00e9s 5732\nOn voit les t\u00eates de chacun. . .\nEt tout au bout en \u00e9tait un,\nQui n\u2019avait pas de t\u00eate encore,\nSur lui \u00e9tait plant\u00e9 un cor. 5736\n\u00c9rec ne sait pas ce que c\u2019est,\nMais pourtant il ne s\u2019en e \u000braie,\nEt se renseigne aupr\u00e8s du roi\nQui chevauche \u00e0 son c\u00f4t\u00e9 droit. 5740384 Chr\u00e9tien de Troyes\nLi rois li dit et si li conte :\n\u00ab Amis, savez vos ce que monte\nceste chose que ci veez ?\nMolt an seroiez esfreez 5744\nse vos ameiez vostre cors ;\ncar cil seus piex qui est dehors,\nou vos veez ce cor pandu,\na molt longuemant atandu 5748\nun chevalier ; ne savons cui,\nse il atant vos ou autrui.\nGarde ta teste n\u2019i soit mise,\ncar li pex siet a la devise : 5752\nbien vos en avoie garni\nein\u00e7ois que vos venissiez ci.\nNe cuit que ja mes en issiez,\nsi soiez morz et detranchiez. 5756\nDes ore an savez vos itant\nque li piex vostre teste atant ;\net se \u00e7\u2019avient qu\u2019ele i soit mise,\nsi con chose li est promise 5760\ndes qu\u2019il i fu mis et dreciez,\nuns autre pex sera \ufb01chiez\napr\u00e9s celui, qui atandra\ntant que ne sai qui revandra. 5764\ndel cor ne vos dirai je plus,\nfors c\u2019onques soner nel pot nus ;\nmes cil qui soner le porra,\net son pris et s\u2019enor fera 5768\ndevant toz ces de ma contree ;\ns\u2019avra tel enor ancontree\nque tuit enorer le vandront\net au meillor d\u2019ax le tandront. 5772\nOr n\u2019i a plus de ceste afere :\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 385\nLe roi lui r\u00e9pond, et lui dit :\n\u00ab Ne savez-vous, mon cher ami,\nCe que l\u00e0 devant, vous voyez ?\nV ous allez en \u00eatre e \u000bray\u00e9 5744\nSi vous tenez \u00e0 votre vie,\nCar le pieu qui se trouve ici,\nO\u00f9 vous voyez ce cor pendu,\nA tr\u00e8s longuement attendu 5748\nUn chevalier, ne savons qui,\nPeut-\u00eatre vous, ou bien autrui.\nQue votre t\u00eate n\u2019y soit pas. . .\nCar le pieu fut plant\u00e9 pour \u00e7a ! 5752\nJe vous en avais averti\nAvant que vous veniez ici.\nJe crains que jamais n\u2019en sortiez\nSinon occis\u00b0 ou d\u00e9membr\u00e9, 5756\nDu moins savez-vous maintenant\nQue votre t\u00eate le pieu attend !\nEt s\u2019il arrive qu\u2019elle y soit mise\nComme la chose fut promise, 5760\nSit\u00f4t qu\u2019il fut ici plant\u00e9,\nUn autre y sera \u00e9lev\u00e9\n\u00c0 sa suite, et en attendant\nUn autre, inconnu, y venant. 5764\nDu cor ne vous dirai pas plus\nQue personne en sonner n\u2019a pu ;\nMais celui qui sonner pourra\nHonneur et gloire en tirera 5768\nDevant tous ceux de la contr\u00e9e\nAuras tant d\u2019honneur remport\u00e9\nQue tous hommage lui rendront\nEt pour le meilleur le tiendront. 5772\nJe n\u2019ai plus rien \u00e0 ajouter :386 Chr\u00e9tien de Troyes\nfaites vos gens arriere trere,\ncar la Joie vanra par tans,\nqui vos fera dolant, ce pans. \u00bb 5776\nA tant li roi Evrains le leisse ;\net cil vers Enyde se beisse,\nqui delez lui grant duel feisoit,\nne por quant s\u2019ele se teisoit ; 5780\ncar diax que l\u2019an face de boche\nne vaut neant, s\u2019au cuer ne toche.\nEt cil, qui bien conuist son cuer,\nli a dit : \u00ab Bele douce suer, 5784\ngentix dame l\u00ebax et sage,\nBien conuis tot vostre corage :\npeor avez grant, bien le voi,\nsi ne savez ancor por coi. 5788\nMes por neant vos esmaiez\njusqu\u2019a itant que vos voiez\nque mes escuz iert depeciez\net ge dedanz le cors bleciez, 5792\net verroiz de mon hauberc blanc\nles mailles covrir de mon sanc,\net mon hiaume frait et quass\u00e9,\net moi recreant et lass\u00e9 5796\nque plus ne me porrai desfandre,\nainz m\u2019estovra merci atandre\net deprier outre mon vuel.\nLors porroiz fere vostre duel, 5800\nque trop tost comanci\u00e9 l\u2019avez.\nDouce dame, ancor ne savez\nque ce sera, ne ge nel sai :\nde neant estes esmai, 5804\ncar bien sachiez se\u00fcremant,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 387\nFaites vos gens s\u2019en retourner\nCar la \u201cJoie\u201d maintenant s\u2019avance,\nQui vous malm\u00e8nera, je pense. 5776\nAlors le roi Evrain s\u2019en va.\nLui, vers \u00c9nide se baissa,\nQui pr\u00e8s de lui se d\u00e9solait,\nM\u00eame si elle se taisait, 5780\nCar la douleur sortie de bouche\nNe vaut rien, si le c\u0153ur ne touche.\nEt lui, qui connaissait son c\u0153ur,\nLui dit alors : \u00ab Ma douce soeur 5784\nNoble dame, loyale et sage\nJe sais quel est votre courage :\nMais vous avez peur, je le vois,\nEt vous ne savez pas pourquoi. 5788\nNe soyez donc pas e \u000bray\u00e9e,\nAussi longtemps que ne verrez\nQue mon \u00e9cu\u00b0 est transperc\u00e9,\nMon corps tr\u00e8s gravement bless\u00e9, 5792\nEt de mon haubert\u00b0, lui si blanc,\nLes mailles se couvrir de sang,\nMon heaume\u00b0 rompu et bris\u00e9,\nEt moi tellement \u00e9puis\u00e9 5796\nQue je ne puis plus me d\u00e9fendre,\nEt qu\u2019il me faille bien attendre\nDe la piti\u00e9, contre mon gr\u00e9,\nAlors votre deuil m\u00e8nerez : 5800\nV ous l\u2019avez trop t\u00f4t commenc\u00e9 !\nDouce dame, vous ne savez,\nCe qui m\u2019attend, et moi non plus :\nPour rien vous \u00eates vous \u00e9mue, 5804\nCar sachez bien que si jamais388 Chr\u00e9tien de Troyes\ns\u2019an moi n\u2019avoit de hardemant,\nfors tant vostre amors m\u2019an baille,\nne crienbroie je an bataille, 5808\ncors a cors, nul home vivant.\nSi fais folie, qui m\u2019an vant,\nmes je nel di por nil orguel,\nfors tant que conforter vos vuel : 5812\nconfortez vos, lesseiez ester.\nJe ne plus ci arester,\nne vos n\u2019iroiz plus avoec moi,\ncar avant mener ne vos doi, 5816\nsi con li rois l\u2019a comand\u00e9. \u00bb\nLors la beise et comande a D\u00e9,\net ele i recomande lui ;\nmes molt li torne a grant enui, 5820\nquant ele nel siust et convoie\ntant qu\u2019elle sache et qu\u2019ele voie\nquex avanture ce sera,\net comant il esploitera ; 5824\nmes a remanoir li estuet,\ncar avant sivre ne le puet :\nele remaint triste et dolante.\nEt cil s\u2019an vet tote une sante, 5828\nseus, sanz conpaignie de gent\ntant qu\u2019il trova un lit d\u2019argent\ncovert d\u2019un drap brod\u00e9 a or\ndesoz l\u2019onbre d\u2019un siquanor, 5832\net sor le lit une pucele,\ngente de cors, et de vis bele,\nde totes biautez a devise,\nla s\u2019estoit tote seule assise. 5836\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 389\nLa seule force en moi n\u2019\u00e9tait\nQue celle due \u00e0 votre amour,\nJe n\u2019aurais besoin de secours 5808\nPour \u00e0 tout homme m\u2019attaquer.\nC\u2019est folie que de m\u2019en vanter,\nMais ne le fais pas par orgueil\nCroyez que conforter vous veuille : 5812\nReprenez vous, et me laissez,\nCar ici ne puis demeurer\nEt ne pouvez m\u2019accompagner,\nCar je ne dois vous emmener 5816\nPuisque le roi ne le veut pas.\nAlors l\u2019embrasse, et il s\u2019en va,\nElle forme des voeux pour lui,\nMais c\u2019est pour elle un grand ennui, 5820\nDe ne pas suivre son chemin\nPour d\u00e9couvrir et voir en\ufb01n\nQuelle aventure ce sera\nEt comment il l\u2019a \u000brontera. . . 5824\nMais il lui faut pourtant rester\nNe pouvant pas l\u2019accompagner !\nLa voil\u00e0 donc triste, et dolente.\nLui est parti sur une sente, 5828\nTout seul sans aucun de ses gens ;\nEt il d\u00e9couvre un lit d\u2019argent\nRecouvert d\u2019un drap brod\u00e9 d\u2019or\n\u00c0 l\u2019ombre d\u2019un grand sycomore. 5832\nSur ce lit, une demoiselle\nDe corps bien fait, gracieuse et belle,\nPar\u00e9e de toutes les beaut\u00e9s,\nAssise, semblait esseul\u00e9e. 5836390 Chr\u00e9tien de Troyes\nDe li ne vuel plus deviser,\nmes qui bien se\u00fcst raviser\net son ator et sa biaut\u00e9,\ndire po\u00efst por verit\u00e9 5840\nc\u2019onques Lavine de Laurente,\nqui tant par fu et bele et gente,\nn\u2019ot de nule biaut\u00e9 le quart.\nErec s\u2019aproche cele part, 5844\nqui de plus pres la vialt veoir ;\nlez li s\u2019ala Erec seoir.\nAtant ez vos un chevalier,\nsor les arbres, par le vergier, 5848\narm\u00e9 d\u2019unes armes mervoilles,\nqui estoit granz a merevoilles,\net, s\u2019il ne fust granz a enui\nsoz le ciel n\u2019e\u00fcst plus bel de lui, 5852\nmes il estoit un pi\u00e9 plus granz,\na tesmoing de totes les genz,\nque chevaliers que l\u2019an se\u00fcst.\nEinz que Erec ve\u00fc l\u2019e\u00fcst, 5856\nsi s\u2019escria : \u00ab Vasax ! Vasax !\nFos estes, se ge soie sax,\nqui vers ma demeisele alez.\nMien esciant, tant ne valez 5860\nque vers li doiez aprochier.\nV os conparroiz ancui olt chier\nvostre folie, par ma teste.\nEstez arriers ! \u00bb Et il s\u2019areste, 5864\nsi le regarde, et cil s\u2019estut :\nli uns vers l\u2019autre ne se mut,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 391\nJe ne veux pas en dire plus,\nMais celui qui l\u2019aurait voulu,\nDe son allure et sa beaut\u00e9\nEut pu bien dire en v\u00e9rit\u00e9 5840\nQue la Lavinie de Laurente,\nQui fut si belle et si charmante\nN\u2019avait le quart de sa beaut\u00e9.\n\u00c9rec alors s\u2019est approch\u00e9, 5844\nCar il voulait de pr\u00e8s la voir,\nEt pr\u00e8s d\u2019elle est all\u00e9 s\u2019asseoir.\nCombat avec le Grand Chevalier\nSoudain voici un chevalier,\nSorti des arbres du verger, 5848\nPortant une armure vermeille,\nMais dont la taille l\u2019\u00e9merveille,\nEt s\u2019il n\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 aussi grand\nJamais n\u2019y e\u00fbt plus avenant, 5852\nMais il faisait un pied de plus\nAux dires de ceux qui l\u2019ont vu,\nQue tous ceux que l\u2019on a connus.\nAvant qu\u2019\u00c9rec ne l\u2019aper\u00e7ut, 5856\nIl s\u2019\u00e9cria : \u00ab Vassal\u00b0 ! Vassal !\nJe vous pr\u00e9viens, vous faites mal,\nD\u2019aller pr\u00e8s de ma demoiselle !\n\u00c0 mon avis, approcher d\u2019elle 5860\nDemande beaucoup mieux que vous.\nEt tr\u00e8s cher en sera le co\u00fbt\nDe votre folie, sur ma t\u00eate !\nRetirez-vous ! \u00bb Et il s\u2019arr\u00eate 5864\nIl le regarde, sans bouger :\nL\u2019un comme l\u2019autre sont \ufb01g\u00e9s,392 Chr\u00e9tien de Troyes\nTant qu\u2019Erec respondu li ot\ntrestot quanque dire li plot : 5868\n\u00ab Amis, fet-il, dire puet l\u2019an\nfolie aussi tost come san.\nMenaciez tant com vos pleira,\net je sui cil qui se teira, 5872\nqu\u2019an menacier n\u2019a nul savoir.\nSavez por coi ? Tex cuide avoir\nle geu jo\u00e9, qui puis le pert ;\net por c\u2019est fos tot en apert 5876\nqui trop cuide et qui trop menace.\nS\u2019est qui fuie, asez est qui chace ;\nmes je ne vos dot mie tant\nque je m\u2019anfuie ain\u00e7ois, a tant 5880\napareilliez de moi desfandre,\ns\u2019est qui estor me voelle randre,\nque par force feire l\u2019estuisse\nn\u2019autremant eschaper n\u2019an puisse. 5884\n\u2013 Nenil, fet-il, se Dex me saut.\nSachiez bataille ne vos faut,\nque je vos requiers et des\ufb01. \u00bb\nIce sachiez vos tot de \ufb01 : 5888\neinz puis n\u2019i ot resnes tenues ;\nn\u2019orent mi lances menues,\nainz furent grosses et plenees\net si estoient bien fenees, 5892\ns\u2019an furent plus roides et forz.\nSor les escuz par tel esforz\ns\u2019antre \ufb01erent des fers tranchaz\nque par mi les escuz luisanz 5896\npassa de chascun une toise ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 393\nAussi longtemps qu\u2019\u00c9rec voulut,\nPuis r\u00e9pondit comme il lui plut : 5868\n\u00ab Ami, fait-il, on peut bien dire\nParole sens\u00e9e ou d\u00e9lire.\nMenacez tant qu\u2019il vous plaira,\nJe suis celui qui se taira, 5872\nCar menacer n\u2019est pas savoir.\nLe savez-vous ? Qui croit avoir\nLe jeu en mains, bient\u00f4t le perd ;\nIl est donc fou, qui pers\u00e9v\u00e8re 5876\nEn ses raisons, et qui menace.\n\u00c0 qui s\u2019enfuit, on donne chasse,\nMais moi, je ne vous craint pas tant\nQue je doive m\u2019enfuir avant 5880\nDe me pr\u00e9parer \u00e0 combattre !\nSi quelqu\u2019un cherchait \u00e0 m\u2019abattre\nEt que sois contraint de le faire\nJ\u2019en ferai certes mon a \u000baire. 5884\n\u2014 Ne craignez rien, Dieu y pourvoie :\nV ous devrez vous battre avec moi,\nCar je vous en requiers et d\u00e9\ufb01e. \u00bb\nAlors sachez-le bien, ici 5888\nLeurs r\u00eanes n\u2019ont plus retenues !\nLeurs lances n\u2019\u00e9taient pas menues,\nMais grosses et faites de bon bois\nBien sec et bien lisse et bien droit, 5892\nQui n\u2019en \u00e9tait que bien plus fort.\nSur leurs \u00e9cus, \u00e0 grand e \u000bort,\nIls ont lanc\u00e9 leurs fers tranchants\nSi bien que les \u00e9cus luisants 5896\nTous deux d\u2019une toise ont perc\u00e9s394 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes li uns l\u2019autre an char n\u2019adoise,\nne lance brisiee n\u2019i ot.\nChascuns au plus tost que il pot 5900\na sa lance sachiee a lui,\nsi s\u2019antrevienent anbedui\net revienent a droite joste.\nLi uns ancontre l\u2019autre joste, 5904\nsi se \ufb01erent par tel angoisse\nque l\u2019une et l\u2019autre lance froisse\net li cheval desoz aus chient.\nEt cil qui sor les seles sieent 5908\nne se tienent a rien grev\u00e9 :\nisnelemant sont relev\u00e9,\ncar preu estoient et legier.\nA pi\u00e9 sont en mi le vergier, 5912\nsi s\u2019antre vienent demanois\nas boens branz d\u2019acier vienois,\net \ufb01erent granz cos e nuisanz,\nsor les escuz clers et luisanz, 5916\nsi que trestoz les ecartelent,\net que li oel lor estancelent ;\nne ne se puent mialz pener\nd\u2019aus anpirier et d\u2019ax grever 5920\nque il se painnent et travaillent.\nAndui \ufb01eremant s\u2019antr\u2019assaillent\nas plaz des branz et as tranchanz.\nTant se sont martel\u00e9 les danz 5924\net les joes et les nasez\net poinz, et braz, et plus assez,\ntemples et hateriax et cos,\nque tuit lor an duelent li os. 5928\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 395\nMais aucun d\u2019eux n\u2019en fut bless\u00e9,\nEt leurs lances bris\u00e9es, non plus.\nChacun du plus vite qu\u2019il put, 5900\nSa lance vers lui a tir\u00e9,\nL\u2019un sur l\u2019autre se sont jet\u00e9s\nEt se sont remis \u00e0 jouter.\nL\u2019un contre l\u2019autre s\u2019est lanc\u00e9, 5904\nEt se frappent si \u00e2prement,\nLes deux lances vont fracassant,\nEt leurs chevaux tombent sous eux.\nMais sur sa selle, aucun des deux 5908\nNe semble pas s\u2019en ressentir :\nRelev\u00e9s, pr\u00eats \u00e0 repartir,\nCar ils sont vaillants, m\u00eame \u00e0 pied !\nEn plein milieu de ce verger, 5912\nIls s\u2019a \u000brontent \u00e0 grande haine\nDe leurs bonnes \u00e9p\u00e9es de Vienne,\nSe donnent des coups \ufb01\u00e8rement\nSur leurs \u00e9cus clairs et luisants, 5916\nSi bien qu\u2019il les font \u00e9clater\nEt dans leurs yeux, \u00e9tinceler !\nIls ne peuvent mieux s\u2019employer\nPour se mettre \u00e0 mal et blesser 5920\nQu\u2019ils ne le font avec rudesse.\nTous deux se frappent et se blessent\nDes coups de plat et de tranchant.\nIls se sont frapp\u00e9s tellement 5924\nSur le nez, les dents, et les joues,\nLes poings, les bras, et les genoux,\nLes tempes, la nuque et le cou,\nQue leurs os en sou \u000brent beaucoup. 5928396 Chr\u00e9tien de Troyes\nMolt sont duillant et molt sont las ;\nne por quant ne recroient pas,\nain\u00e7ois s\u2019esforcent mialz et mialz.\nLa su\u00f6rs lor troble les ialz, 5932\net li san qui avoec degote\nsi que par po ne voient gote,\net bien sovant lor cos perdoient\ncome cil qui pas ne veoient 5936\nles espees sor aus conduire ;\nne ne pooit mes guere nuire\nli uns a l\u2019autre ; ne por quant\nne dotez ja ne tant ne quant 5940\nque tote lor force n\u2019an facent.\nPor ce que li oel lor esfacent,\nsi que tot perdent le veoir,\net leissent lor escuz cheoir, 5944\nsi s\u2019antr\u2019aerdent paegrant ire ;\nli uns l\u2019autre sache et detire,\nsi que sor les genouz s\u2019abatent ;\nensi longuemant se conbatent, 5948\ntant que l\u2019ore de none passe,\net li granz chevaliers se lasse\nsi que tote li faut l\u2019alainne.\nErec a son talant le mainne, 5952\net sache et tire, si que toz\nles laz de son hiaume a deroz,\net si que devers lui l\u2019ancline.\nCil chiet adanz sot la poitrine, 5956\nne n\u2019a pooir de relever ;\nque que li doie grever,\nli covint dire et otroier :\n\u00ab Conquis m\u2019avez, nel puis noier ; 5960\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 397\nIls sont mal en point et tr\u00e8s las,\nEt pourtant ne s\u2019arr\u00eatent pas,\nMais se frappent \u00e0 qui mieux mieux.\nLa sueur leur trouble les yeux, 5932\nEt du sang aussi, goutte \u00e0 goutte,\nSi bien que d\u00e8s lors n\u2019y voient goutte,\nEt que leur coups ne portent pas,\nComme font ceux qui n\u2019y voient pas, 5936\nNe pouvant leur \u00e9p\u00e9e conduire ;\nIls ne peuvent gu\u00e8re se nuire\nNi l\u2019un ni l\u2019autre et cependant,\nNe doutez pas qu\u2019ils fassent tant 5940\nQu\u2019ils n\u2019y mettent toutes leurs forces.\nComme la vue pour eux s\u2019e \u000bace\nAu point de ne plus rien y voir,\nIls ont laiss\u00e9 leurs \u00e9p\u00e9es choir ; 5944\nEt s\u2019empoignent avec col\u00e8re,\nL\u2019un \u00e0 l\u2019autre s\u2019accroche et tire :\nSur les genoux, ils sont tomb\u00e9s,\nEt ce combat a tant dur\u00e9 5948\nQue l\u2019heure de none* est pass\u00e9e.\nAu grand chevalier, \u00e9puis\u00e9,\nLe sou \u000fe est venu \u00e0 manquer.\n\u00c9rec le conduit \u00e0 son gr\u00e9, 5952\nIl le secoue, et tant le tire\nQue de son heaume\u00b0 lui d\u00e9chire\nLes lacets, et \u00e0 bas l\u2019incline.\nL\u2019autre est tomb\u00e9 sur la poitrine 5956\nEt ne peut plus se relever ;\nQuiqu\u2019il doive lui en co\u00fbter,\nIl lui faut dire et conc\u00e9der :\n\u00ab Je suis vaincu, ne peut le nier. 5960398 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes molt me torne a grant contraire.\nEt ne por quant de tel afaire\npoez estre et de tel renon\nqu\u2019il ne m\u2019an sera se bel non ; 5964\net molt voldroie par proiere\ns\u2019estre puet an nul meniere\nque je vostre droit non se\u00fcsse,\npor ce que confort an e\u00fcsse. 5968\nSe miaudres de moi m\u2019a conquis,\nliez an serai, ce vos plevis ;\nmes se il m\u2019est si ancontr\u00e9\nque pires de moi m\u2019ait outr\u00e9, 5972\nde ce doi ge grant duel avoir.\n\u2013 Amis, tu viax mon non savoir,\nfet Erec, et jel te dirai,\nja ainz de ci ne partirai ; 5976\nmes ce iert par tel covenant\nque tu me d\u00efes maintenant\npor coi tu ies an cest jardin :\nsavoir an voel tote la \ufb01n, 5980\nque ton non d\u00efes et la Joie,\nque molt me tarde que je l\u2019oie.\n\u2013 La verit\u00e9 de tot an tot,\nsire, fet il, sanz nul redot, 5984\nvos dirai tot quanque vos plest. \u00bb\nErec son non plus ne li test :\n\u00ab O\u00efs onques parler, fet il,\ndel roi Lac et d\u2019Erec son \ufb01l ? 5988\n\u2014 Oil, sire, bien le conui,\ncar a la cort le roi Lac fui\nmainz jorz, ainz que chevaliers fusse,\nne ja, son vuel, ne m\u2019an me\u00fcsse 5992\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 399\nEt cela me contrarie fort !\nMais pourtant moindre est mon remords\nSi telle est votre renomm\u00e9e\nJe n\u2019en serais d\u00e9shonor\u00e9 ; 5964\nEt je vous adresse la pri\u00e8re,\nPour que de quelque mani\u00e8re\nV otre nom je puisse savoir\nEt du r\u00e9confort en avoir. 5968\nSi meilleur que moi m\u2019a vaincu,\nJe suis heureux d\u2019\u00eatre battu.\nMais si ce qui m\u2019est arriv\u00e9\nC\u2019est qu\u2019un mauvais m\u2019ait surpass\u00e9, 5972\nJ\u2019en aurais un grand d\u00e9sespoir.\n\u2013 Ami, mon nom tu veux savoir ?\nFait \u00c9rec, je te le dirai.\nEt d\u2019ici je ne partirai 5976\nSans te le dire, \u00e0 condition\nQue tu me dises, oui ou non,\nPourquoi tu es en ce jardin :\nJe veux tout savoir, \u00e0 la \ufb01n, 5980\nQuel es ton nom, et cette \u201cJoie\u201d ?\nDe me le dire, d\u00e9p\u00eache toi !\n\u2014 La v\u00e9rit\u00e9 pleine et enti\u00e8re\nSire, fait-il, en cette a \u000baire, 5984\nJe dirai comme il vous plaira. \u00bb\n\u00c9rec son nom lui r\u00e9v\u00e9la :\n\u00ab Le roi Lac est connu de toi,\nSon \ufb01ls \u00c9rec aussi, je crois ? 5988\n\u2014 Oui, sire, je l\u2019ai bien connu,\nCar \u00e0 la cour du roi je fus\nAvant que d\u2019\u00eatre chevalier,\nEt jamais ne l\u2019aurais quitt\u00e9e 5992400 Chr\u00e9tien de Troyes\nd\u2019ansanble lui por nule rien.\n\u2013 Dons me dois tu conuistre bien,\nse tu fus onques avoec moi\na la cort mon pere le roi. 5996\n\u2013 Par foi donc m\u2019est bien avenu !\nOr o\u00e9z qui m\u2019a retenu\nan cest vergier, si longuemant :\ntrestot vostre comandemant 6000\nvoel je dire que qu\u2019il me griet.\nCele pucele, qui la siet,\nm\u2019ama des enfance et je li.\nA l\u2019un et a l\u2019autre abeli 6004\nEt l\u2019amors crut et amanda,\ntant que ele me demanda,\nun don, mes el nel noma mie.\nQui veheroit neant s\u2019amie ? 6008\nN\u2019est pas amis qui entresait\ntot le boen s\u2019amie ne fait,\nsanz rien leissier et sanz faintise,\ns\u2019il onques puet an nule guise. 6012\nCreantai li sa volant\u00e9,\net quant li oi acreant\u00e9,\nsi vost ancor que li plevisse.\nSe plus volsist plus an fe\u00efsse, 6016\nmes ele me crut par ma foi.\nF\u00efanc\u00e9 li, si ne soi quoi,\ntant qu\u2019avint que chevalier fui :\nli rois Evrains, cui ni\u00e9s je sui, 6020\nm\u2019adoba veant mainz prodomes\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 401\n\u00c0 cause de lui, croyez bien.\n\u2014 Alors tu me connais tr\u00e8s bien\nPuisque tu y fus avec moi,\nAupr\u00e8s de mon p\u00e8re, le roi ! 5996\n\u2014 Oui, et quelle chance j\u2019ai eu !\nAlors sachez pourquoi je fus\nEn ce verger, aussi longtemps :\nSelon votre commandement, 6000\nJe vous dirai quoi qu\u2019il m\u2019en co\u00fbte.\nR\u00e9cit de Maboagrain\nLa demoiselle, qui nous \u00e9coute\nM\u2019a aim\u00e9 enfant, moi aussi.\nCela nous a fort r\u00e9jouis, 6004\nEt notre amour s\u2019\u00e9panouit\nJusqu\u2019au moment o\u00f9 elle dit\nQu\u2019elle voulait de moi un don.\nQui \u00e0 son amie dirait non ? 6008\nCe n\u2019est pas son ami, celui\nQui \u00e0 sa volont\u00e9 ne plie,\nSans rien omettre, sans traitrise,\nS\u2019il peut bien le faire \u00e0 sa guise. 6012\nJe promis ce qu\u2019elle voulut\nEt ma promesse fut tenue,\nMais pr\u00eater serment exigeait !\nPlus en voulait, plus je donnais, 6016\nElle crut en ma bonne foi.\nJe lui promis sans savoir quoi. . .\nSi bien qu\u2019un jour le roi Evrain,\nDont je suis neveu, de ses mains, 6020\nM\u2019adouba devant tous ses hommes402 Chr\u00e9tien de Troyes\ndedanz ce vergier ou nos somes.\nMa demeisele qui siet la\ntantost de ma foi m\u2019apela 6024\net dist que plevi li avoie\nque ja mes de ceanz n\u2019istroie,\ntant que chevaliers i venist\nqui par armes me conque\u00efst. 6028\nreisons fu que je remainsisse,\nainz que ma \ufb01ance mantisse,\nja ne l\u2019e\u00fcsse je plevi.\nDes que ge soi le boen et vi 6032\na la rien que ge oi plus chiere,\nn\u2019an dui feire sanblant ne chiere\nque nule rien me desple\u00fcst ;\ncar, se ele l\u2019aparce\u00fcst, 6036\nel retraissist a li son cuer,\net je nel volsisse a nul fuer\npor rien qui poist avenir.\nEnsi me cuida retenir 6040\nma dameisele a lone sejor :\nne cuidoit pas que a nul jor\nde\u00fct an cest vergier antrer\nvasaus qui me de\u00fcst outrer ; 6044\npar ce me cuida a delivre,\ntoz les jorz que j\u2019eiisse a vivre,\navoec li tenir an prison.\nEt ge feisse mesprison, 6048\nse de rien nule me fainsisse\nque trestoz ces ne conque\u00efsse\nvers cui ge e\u00fcsse puissance :\nvilainne fust tex delivrance. 6052\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 403\nDans ce verger-l\u00e0 o\u00f9 nous sommes.\nLa demoiselle assise l\u00e0\nBient\u00f4t me rappela ma foi, 6024\nEn disant que j\u2019avais promis\nQue je ne sortirais d\u2019ici\nQue si un chevalier venait\nQui par ses armes me vaincrait. 6028\nLa raison me \ufb01t demeurer\nPlut\u00f4t que de me d\u00e9juger,\nN\u2019euss\u00e9-je m\u00eame rien promis.\nD\u00e8s que le bonheur j\u2019entrevis 6032\nDe celle qui m\u2019\u00e9tait si ch\u00e8re,\nJe \ufb01s donc de telle mani\u00e8re\nSemblant que rien ne me d\u00e9plut :\nPour peu qu\u2019elle s\u2019en aper\u00e7\u00fbt, 6036\nElle m\u2019aurait repris son c\u0153ur,\nEt de cela j\u2019avais si peur,\nAu grand jamais ne l\u2019e\u00fbt voulu.\nAinsi me retenir a cru, 6040\nMa demoiselle, pour longtemps,\nSans penser que dans quelque temps\nPuisse venir en ce verger\nQuelqu\u2019un pouvant me dominer. 6044\nElle croyait donc me tenir\nTous les jours restant \u00e0 venir\nAupr\u00e8s d\u2019elle, comme en prison.\nMais je n\u2019avais nulle raison 6048\nDe ne pas faire de mon mieux\nPour venir \u00e0 bout de tous ceux\nQue je tenais en ma puissance :\nLaide e\u00fbt \u00e9t\u00e9 ma d\u00e9livrance. 6052404 Chr\u00e9tien de Troyes\nBien vos puis dire et acointier\nque je n\u2019ai nul ami si chier\nvers cui je m\u2019an fainsisse pas ;\nonques mes d\u2019armes ne fui las, 6056\nne de conbatre recre\u00fcz.\nBien avez les hiaumes ve\u00fcz\nde ces que j\u2019ai vaincuz et morz :\nmes miens n\u2019an est mie li torz, 6060\nqui reison voldroit esgarder :\nde ce me me poi ge garder,\nse ge ne volsisse estre fax\net foi mantie et desl\u00ebax, 6064\nLa verit\u00e9 vos en ai dite,\net, sachiez bien, n\u2019est pas petite\nl\u2019enors que vos avez conquise,\nMolt avez an grant joie mise 6068\nla cort mon oncle et mes amis,\nc\u2019or serai hors de ceanz mis ;\net por ce que joie an feront\ntuit cil qui a la cort vanront, 6072\nJoie de la Cort l\u2019apeloient\ncil qui la joie an atandoient.\nTant longuemant l\u2019ont atandue\nque premiers lor sera randue 6076\npar vos, qui l\u2019avez desresniee.\nMolt avez matee et fesniee\nmon pris et ma chevalerie,\net bien est droiz que je vos die 6080\nmon non, quant savoir le volez :\nMaboagrins sui apelez,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 405\nEt je peux bien le dire ici :\nIl n\u2019est aucun de mes amis\nAuquel je ne m\u2019attaque pas.\nJamais des armes ne fut las, 6056\nNi de me battre fatigu\u00e9.\nLes heaumes\u00b0 qu\u2019ici vous voyez,\n\u00c9taient \u00e0 ceux que j\u2019ai tu\u00e9s :\nLe tort ne peut m\u2019en incomber 6060\nSi l\u2019on veut bien raison garder :\nJe ne pouvais m\u2019en dispenser,\nSans ma parole parjurer\nSans manquer \u00e0 ma loyaut\u00e9. 6064\nSens de la \u201cJoie de la Cour\u201d\nLa v\u00e9rit\u00e9, je vous l\u2019ai dite.\nEt sachez que n\u2019est pas petite\nLa gloire que vous en aurez :\nV ous avez grande joie donn\u00e9e 6068\n\u00c0 mon oncle et \u00e0 tous ses amis,\nEn me faisant sortir d\u2019ici.\nEt comme joyeux en seront\nTous ceux qui la cour viendront, 6072\nLa \u201cJoie de la Cour\u201d\u00b0 l\u2019appelaient\nCeux qui la joie en attendaient.\nIls l\u2019ont si longtemps attendue !\nPour la premi\u00e8re fois l\u2019ont eue 6076\nPar vous, qui l\u2019avez m\u00e9rit\u00e9e :\nComme par magie vous avez\nMa vraie chevalerie conquise\nIl faut donc bien que je vous dise 6080\nMon nom, puisque vous le voulez :\nMaboagrain suis appel\u00e9 ;406 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes ne sui mes point cone\u00fcz,\nan leu ou j\u2019aie est\u00e9 ve\u00fcz, 6084\npar remanbrance de cest non,\ns\u2019an cest pa\u00efs solemant non ;\ncar onques tant con vaslez fui,\nmon non ne dis ne ne conui. 6088\nSire, la veritez savez\nde quanque vos requis m\u2019avez,\nmes a dire vos ai ancor.\nIl a an cest vergier un cor 6092\nque bien avez ve\u00fc, ce croi :\nhors de ceanz issir ne doi\ntant que le cor aiez son\u00e9.\net lors m\u2019avroiz desprison\u00e9, 6096\net lors comencera la Joie.\nQui que l\u2019antande et qui que l\u2019oie,\nja essoines ne le tandra,\nquant la voiz del cor antandra, 6100\nque a la cort ne vaigne tost,\nLevez de ci, sire ; alez tost\npor le cor isnelemant prandre,\nque n\u2019i avez plus que atandre, 6104\ns\u2019an feites ce que vos devez. \u00bb\nMaintenant s\u2019est Erec levez,\net cil se lieve ansanble o lui ;\nau cor an vienent anbedui. 6108\nErec le prant et si le sone ;\ntote sa force i abandone\nsi que molt loing an va l\u2019oie.\nMolt s\u2019an est Enyde esjoie ; 6112\nliez est li rois et sa gent liee ;\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 407\nMais ne suis pas ainsi connu,\nDans tous les lieux o\u00f9 l\u2019on m\u2019a vu : 6084\nOn ne se souvient de mon nom\nQue dans ce pays, sa r\u00e9gion ;\nCar tant que je fus un jeune homme,\nMon nom ne disais, l\u2019ignorais. 6088\nSire, voici la v\u00e9rit\u00e9,\nDe ce que vous me demandiez.\nMais \u00e0 vous dire, j\u2019ai encore\nQu\u2019il est en ce verger, un cor 6092\nQue vous avez bien vu, je crois.\nNe sortirai de cet endroit\nQue quand vous en aurez sonn\u00e9 :\nAlors vous m\u2019aurez lib\u00e9r\u00e9, 6096\nAlors \u201cLa Joie\u201d commencera.\nQuiconque le son entendra\nPersonne ne pourra l\u2019emp\u00eacher\nD\u00e8s que le cor aura sonn\u00e9, 6100\nDe venir aussit\u00f4t \u00e0 la Cour.\nLevez vous, Sire, \u00e0 votre tour,\nAllez rapidement le prendre :\nCe n\u2019est plus le moment d\u2019attendre, 6104\nMais faites ce que vous devez. \u00bb\n\u00c9rec aussit\u00f4t s\u2019est lev\u00e9,\nEt l\u2019autre aussi s\u2019est redress\u00e9 ;\nTous deux vers le cor sont all\u00e9s. 6108\n\u00c9rec le prend, et il en sonne ;\nToute sa force y abandonne,\nPour que tr\u00e8s loin on l\u2019entend\u00eet.\n\u00c9nide s\u2019en est r\u00e9jouie ! 6112\nLe roi est joyeux, et heureux408 Chr\u00e9tien de Troyes\nn\u2019i a un seul cui molt ne siee\net molt ne pleise ceste chose :\nnus n\u2019i cesse ne ne repose 6116\nde joie feire et de chanter.\nCe jor se pot Erec vanter\nc\u2019onques tel joie ne fu feite ;\nne porroit pas estre retreite 6120\nne contee par boche d\u2019ome,\nmes je vos an dirai la some\nbriemant sanz trop longue parole.\nPar le pais novele vole 6124\nqu\u2019ainsi est la chose avenue.\nPuis n\u2019i ot nule retenue\nque tuit ne venissent a cort :\nde toz sanz li pueples i cort 6128\nqu\u2019a pi\u00e9 que a cheval batant,\nque li uns l\u2019autre n\u2019i atant.\nEt cil qui el vergier, estoient\nd\u2019\u00c9rec desarmer s\u2019aprestoient, 6132\net chantoient par contan\u00e7on\ntuit de la joie une chan\u00e7on,\net les dames un lai troverent\nque le Lai de la Joie apelerent ; 6136\nmes n\u2019est gueres li lais sa\u00fcz\nBien est de joie Erec pa\u00fcz\net bien serviz a son creante.\nMes celi mie n\u2019atalante 6140\nqui sor le lit d\u2019argent seoit :\nla Joie que ele veoit\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 409\nSont tous ses gens, chacun d\u2019entre eux :\nIl n\u2019en est nul pour en sou \u000brir\nTous ne font que s\u2019en r\u00e9jouir, 6116\nDe montrer leur joie et chanter.\n\u00c9rec peut certes s\u2019en vanter :\nJamais si grande joie fut faite\nEt ne peut \u00eatre contrefaite 6120\nNi racont\u00e9e de vive voix !\nMais je vais vous en dire, moi\nCe qui compte, sans trop de mots.\nOn entend, par monts et par vaux 6124\nLa nouvelle que c\u2019est \ufb01ni.\nAlors sans le moindre souci,\nTous sont arriv\u00e9s \u00e0 la cour :\nDe tous c\u00f4t\u00e9s le peuple accourt, 6128\n\u00c0 pied, \u00e0 cheval, sans d\u00e9lai\nNi l\u2019un ni l\u2019autre n\u2019attendaient.\nEt ceux rest\u00e9s dans le verger\nOnt bient\u00f4t \u00c9rec d\u00e9sarm\u00e9, 6132\nEt entonnant \u00e0 l\u2019unisson\nSur \u201cLa Joie\u201d font une chanson ;\nLes dames un lai compos\u00e8rent\nQue \u201cLai de la Joie\u201d appel\u00e8rent ; 6136\nMais ce lai n\u2019est gu\u00e8re connu.\n\u00c9nide et la demoiselle\n\u00c9rec de joie ne se tient plus,\nTout \u00e9tait pour le satisfaire !\nMais cela ne pouvait pas plaire 6140\nA celle sur le lit d\u2019argent :\nEt voir la Joie de tous ces gens410 Chr\u00e9tien de Troyes\nne li venoit mie a pleisir ;\nmes mainte gent covient sofrir 6144\net esgarder ce qui lor poise.\nMolt \ufb01st Enyde que cortoise :\npor ce que pansive la vit\net seule seoir sor le lit, 6148\nli prist talanz que ele iroit\na li, si li demanderoit\nde son afeire et de son estre,\net anquerroit s\u2019il pooit estre 6152\nqu\u2019ele del suen li rede\u00efst,\nmes que trop ne li desse\u00efst.\nSeule i cuida Enyde aler,\nque nelui n\u2019i cuida mener ; 6156\nmes des dames et des puceles,\ndes mialz vaillanz et des plus beles,\nla suioient une partie\npar amor et par conpaignie, 6160\net por celi feire comfort\na cui la Joie enuioit fort,\npor ce qu\u2019il li estoit a vis\nc\u2019or ne serroit mes ses amis 6164\navoec li tant com il soloit,\nquant il del vergier issir doit.\nA cui qu\u2019il onques abelisse\nne puet m\u00fcer qu\u2019il ne s\u2019an isse, 6168\nque venue est l\u2019ore et li termes :\npor ce li coroient les lermes\ndes ialz tot contreval le vis.\nMolt plus que je ne vos devis 6172\nestoit dolante et correciee,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 411\nNe lui donnait aucun plaisir. . .\nMais il faut bien souvent sou \u000brir 6144\nEt supporter ce qui d\u00e9pla\u00eet !\n\u00c9nide \ufb01t ce qu\u2019il fallait :\nQuand pensive la vit ainsi\nAssise seule sur son lit, 6148\nElle a pens\u00e9 qu\u2019elle devait\nAller vers elle et qu\u2019il fallait\nLui demander si elle veut\nLui parler de sa vie un peu 6152\nDe son histoire, de son \u00e9tat\nSi cela ne l\u2019ennuyait pas.\n\u00c9nide seule pense aller,\nSans personne n\u2019y emmener ; 6156\nMais des dames et demoiselles\nLes plus estim\u00e9es, les plus belles,\nUn bout de chemin l\u2019ont suivie\nV oulant lui tenir compagnie, 6160\nEt pour apporter r\u00e9confort\n\u00c0 celle qui \u201cla Joie\u201d d\u00e9plore,\nParce qu\u2019elle est de cet avis\nQue d\u00e8s maintenant son ami 6164\nAvec elle ne peut rester\nPuisque le verger doit quitter.\nQu\u2019importe \u00e0 qui cela d\u00e9pla\u00eet\nPartir d\u2019ici, il le devait 6168\nPuisqu\u2019en \u00e9tait venu le terme :\nC\u2019est pourquoi lui coulaient les larmes,\nDont son visage ruisselait.\nBien plus que je ne le dirais, 6172\nElle en \u00e9tait fort a \u000fig\u00e9e,412 Chr\u00e9tien de Troyes\net ne por quant si s\u2019est dreciee\nmes de nule ne li est tant\nde ces qui la vont confortant 6176\nque ele an lest son duel a feire.\nEnyde come de bon eire\nla sal\u00fce ; cele ne pot\nde grant piece respondre mot, 6180\ncar sopir et sanglot li tolent\nqui molt l\u2019anpirent et afolent.\nGrant piece apr\u00e9s li a randu\nla dameisele son salu, 6184\net quant ele l\u2019ot esgardee\nune grant piece et ravisee,\nsanbla li qu\u2019ele l\u2019ot ve\u00fce\nautre foiee et cone\u00fce ; 6188\nmes n\u2019an fu pas tres bien certainne,\nne d\u2019anquerre ne li fu painne\ndom ele estoit, de quel pais,\net dom ses sires ert nais : 6192\nd\u2019aus deus demande qui il sont.\nEnyde tantost li respont,\net la verit\u00e9 li reconte :\nNiece, fet ele, sui le conte 6196\nqui tient Laluth an son demainne,\n\ufb01lle de sa seror germainne ;\na Laluth fui nee et norrie. \u00bb\nNe puet m\u00fcer que lors ne rie 6200\ncele qui tant s\u2019an esjoist,\neinz que plus dire li oist,\nque de son duel mes ne li chaut.\nDe leesce li cuers li faut, 6204\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 413\nMais pourtant elle s\u2019est lev\u00e9e.\nAucune dans son entourage\nV oulant lui donner du courage 6176\nNe venaient \u00e0 bout de ses pleurs.\n\u00c9nide qui avait bon c\u0153ur\nL\u2019a salu\u00e9e. L\u2019autre ne put\nSortir un mot, bien trop \u00e9mue, 6180\nPendant longtemps, dans les soupirs\nEt les sanglots qui la d\u00e9chirent.\nMais pourtant apr\u00e8s un moment\nQuand en\ufb01n son salut lui rend, 6184\nEt qu\u2019elle l\u2019a d\u00e9visag\u00e9e,\nAssez longtemps, rass\u00e9r\u00e9n\u00e9e,\nPensant bien l\u2019avoir d\u00e9j\u00e0 vue\nAutrefois, et l\u2019avoir connue. 6188\nElle n\u2019en \u00e9tait pas certaine,\nMais elle s\u2019en enquit sans peine,\nPour savoir d\u2019o\u00f9 elle venait,\nD\u2019o\u00f9 son seigneur natif \u00e9tait, 6192\nEt de tous les deux qui ils sont ?\n\u00c9nide aussit\u00f4t lui r\u00e9pond,\nEt son histoire lui raconte :\n\u00ab Je suis, dit-elle, ni\u00e8ce du comte 6196\nQui tient Laluth en son domaine,\nEt \ufb01lle de s\u0153ur germaine ;\n\u00c0 Laluth n\u00e9e, fus \u00e9lev\u00e9e. \u00bb\nL\u2019autre n\u2019a pas pu s\u2019emp\u00eacher 6200\nDe rire, elle se r\u00e9jouit\nAvant m\u00eame qu\u2019elle ait \ufb01ni !\nDe sa peine n\u2019est plus question\nElle su \u000boque d\u2019\u00e9motion 6204414 Chr\u00e9tien de Troyes\nne ne puet sa joie celer ;\nbeisier la vet et acoler\net dist : \u00ab Je sui vostre cosine,\nsachiez que c\u2019est veritez \ufb01ne, 6208\net vos estes niece mon pere,\ncar il et li vostres sont frere ;\nmes je cuit que vos ne savez,\nne oi dire ne l\u2019avez, 6212\ncomant je ving an ceste terre.\nLi cuens vostre oncles avoit guerre,\nsi vindrent a lui an soldees\nchevalier de maintes contrees. 6216\nEnsi, bele cosine, avint\nque avoec un soudoier vint\nli ni\u00e9s le roi de Brandigan ;\nchi\u00e9s mon pere fu pres d\u2019un an, 6220\nbien a, ce croi, douze ans passez.\nAncor estoie anfes asez,\net il ert biax et avenanz\nla feimes noz covenanz 6224\nantre nos deux, tex con nos sist.\nEinz ne vos rien qu\u2019il ne volsist,\ntant que amer me coman\u00e7a,\nsi me plevi et \ufb01an\u00e7a 6228\nque toz jorz mes amis seroit\net que il \u00e7a m\u2019an amanroit.\nmoi plot et a lui d\u2019autre part.\nLui demora et moi fu tart 6232\nque \u00e7a m\u2019an venisse avoec lui :\nsi nos an venimes andui\nque nus ne le sot mes que nos ;\na cel jor antre moi et vos 6236\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 415\nEt sa joie ne peut lui cacher :\nElle est all\u00e9e pour l\u2019embrasser\nDisant : \u00ab Je suis votre cousine\nNous avons la m\u00eame origine, 6208\nV ous \u00eates ni\u00e8ce de mon p\u00e8re\nCar lui et le v\u00f4tre sont fr\u00e8res ;\nMais je crois que vous ne savez ;\nEntendu dire ne l\u2019avez, 6212\nComment je vins en cette terre :\nV otre oncle et comte \u00e9tait en guerre,\nVers lui sont venus s\u2019enr\u00f4ler\nChevaliers de maintes\u00b0 contr\u00e9es. 6216\nEt c\u2019est ainsi, cousine ch\u00e8re\nQue vint avec un mercenaire\nLe neveu du roi Bradigan\nQui chez mon p\u00e8re fut un an, 6220\nIl y a de cela douze ans ;\nJ\u2019\u00e9tais encore presqu\u2019enfant\nIl \u00e9tait beau et bien tourn\u00e9,\nEt nous nous sommes \ufb01anc\u00e9s 6224\nTous deux \u00e0 notre fantaisie :\nCe que je voulais, lui aussi.\nIl se mit \u00e0 m\u2019aimer vraiment\nAlors il me \ufb01t le serment 6228\nDe toujours \u00eatre mon ami,\nEt qu\u2019il m\u2019am\u00e8nerait ici\nCela me plut \u2014 \u00e0 lui aussi.\nTant qu\u2019il resta, je n\u2019attendis 6232\nQue de m\u2019en aller avec lui.\nEt nous sommes venus ici\nSans que personne ne le s\u00fbt,\nSauf vous et moi, bien entendu, 6236416 Chr\u00e9tien de Troyes\nestiens juenes et petites.\nV oir vos ai dit ; or me redites,\nausi con ge vos ai cont\u00e9,\nde vostre ami la verit\u00e9 6240\npar quel avanture il vos a.\n\u2013 Bele cosine, il m\u2019espousa,\nSi que mes peres bien le sot\net ma mere qui joie en ot. 6244\nTuit le sorent et li\u00e9 an furent\nnostre parant, si com il durent :\nliez an fu meismes li cuens,\ncar il est chevaliers si buens 6248\nqu\u2019an ne porroit meillor trover ;\nne n\u2019est or pas a esprover\nde bont\u00e9 ne de vaselage :\nne set l\u2019an tel de son aage, 6252\nne cuit que ses parauz soit nus.\nIl m\u2019ainme molt, et je lui plus,\ntant qu\u2019amors ne puet estre graindre.\nOnques ancor ne me soi faindre 6256\nde lui amer, ne je ne doi :\nvoir, mes sires est \ufb01lz de roi,\net si me prist et povre et nue ;\npar lui m\u2019est tex enors cre\u00fce 6260\nqu\u2019ainz a nule desconseilliee\nne fu si granz apareilliee.\nEt s\u2019il vos plest, jel vos dirai,\nsi que de rien n\u2019an mantirai, 6264\ncomant je ving a tel hautesce\nja del dire ne m\u2019iert peresce. \u00bb\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 417\nNous \u00e9tions encore petites !\nV oil\u00e0. Et maintenant me dites\nComme je vous l\u2019ai racont\u00e9\nSur votre ami, la v\u00e9rit\u00e9, 6240\nComment se \ufb01t qu\u2019il vous trouva ?\n\u2014 Belle cousine, il m\u2019\u00e9pousa :\nPour le grand plaisir de mon p\u00e8re\nEt la grande joie de ma m\u00e8re. 6244\nEt si tout le monde l\u2019a su,\nTous une grande joie ont eu.\nLe Comte aussi en fut heureux,\nPour ce chevalier valeureux 6248\nTel qu\u2019on ne peut meilleur trouver,\nSa valeur n\u2019est plus \u00e0 prouver,\nNi sa bont\u00e9, ni son lignage,\nEt parmi tous ceux de son \u00e2ge, 6252\nIl n\u2019en est aucun qui le vaille.\nIl m\u2019aime beaucoup et sans faille,\nEt mon amour pour lui est tel\nQu\u2019il n\u2019a jamais eu son pareil, 6256\nEt je ne peux le contenir :\nC\u2019est un \ufb01ls de roi que mon sire !\nIl m\u2019a prise si pauvre et nue,\nQue mon amour pour lui s\u2019accrut : 6260\nAucune \ufb01lle sans lign\u00e9e\nN\u2019eut jamais telle destin\u00e9e !\nEt si vous voulez le savoir,\nJe vais vous dire mon histoire, 6264\nComment je parvins jusque l\u00e0 :\nLe dire ne me lasse pas. \u00bb418 Chr\u00e9tien de Troyes\nLors li conta et reconut\ncomant Erec vint a Laluth, 6268\ncar ele n\u2019ot del celer cure ;\nbien li reconta l\u2019avanture\ntot mot a mot sanz antrelais ;\nmes a reconter vos an lais, 6272\npor ce que d\u2019enui croist son conte\nqui deus foiz une chose conte.\nQue qu\u2019eles parolent ansanble,\nune dame seule s\u2019an anble, 6276\nqui as barons le vet conter\npor la Joie croistre et monter.\nDe ceste joie s\u2019esjoirent\ntuit ansanble cil qui l\u2019oirent, 6280\net quant Maboagrains le sot,\nsor toz les autres joie en ot.\nCe que s\u2019amie se conforte,\net la dame qui li aporte 6284\nla novele hastivemant,\nl\u2019a fet molt li\u00e9 soudenemant ;\nliez an fu meismes li rois,\nqui grant joie feisoit ein\u00e7ois, 6288\nmes or la fet asez graignor.\nEnyde vient a son seignor\net sa cosine o lui amainne,\nplus bele que ne fu Elainne 6292\net plus gente et plus avenant.\nContre eles corent maintenant\nantre Erec et Maboagrain\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 419\nAlors lui dire elle a voulu\nComment \u00c9rec vint \u00e0 Laluth 6268\nCar elle ne veut rien cacher :\nL\u2019aventure lui a cont\u00e9e\nMot \u00e0 mot, sans rien oublier.\nMais je laisse \u00e7a de c\u00f4t\u00e9, 6272\nCar ennuyeux devient le conte\u00b0\nSi par deux fois on le raconte !\nPendant qu\u2019ensemble parler veulent,\nUne des dames s\u2019en va seule, 6276\nEt aux barons\u00b0 va raconter\nCela pour leur joie renforcer.\nEt bien s\u00fbr tous se r\u00e9jouirent,\nTous ceux qui l\u2019on entendu dire ! 6280\nEt quand Maboagrain le sut,\nPlus que les autres, joie en eut.\nQue son amie se r\u00e9conforte,\nEt que la dame lui apporte 6284\nCette nouvelle, rapidement,\nL\u2019a r\u00e9joui, \u00e9videmment.\nEt le roi m\u00eame s\u2019en r\u00e9jouit :\nLui qui d\u00e9ja \u00e9tait ravi, 6288\nEncore en eut plus grand bonheur.\nLa \u201cJoie de la Cour\u201d\n\u00c9nide vient vers son seigneur\nEt sa cousine lui am\u00e8ne,\nPlus belle que ne fut H\u00e9l\u00e8ne, 6292\nPlus aimable et plus avenante.\nVers elles vont et se pr\u00e9sentent\n\u00c9rec avec Maboagrain420 Chr\u00e9tien de Troyes\net Guivret et le roi Evrain, 6296\net trestuit li autre i acorent,\nsi les sal\u00fcent et enorent,\nque nus ne s\u2019an faint ne retret.\nMaboagrains grant joie fet 6300\nd\u2019Enyde, et ele ausi de lui ;\nErec et Guivrez anbedui\nrefont joie de la pucele ;\ngrant joie font et cil et cele, 6304\nsi s\u2019antre beisent et acolent.\nDe raler el chastel parolent,\ncar trop ont el vergier est\u00e9 ;\nde l\u2019issir sont tuit aprest\u00e9, 6308\nsi s\u2019an issent joje feisant,\net li uns l\u2019autre antre beisant.\nTrestuit apr\u00e9s le roi s\u2019an issent,\nmes ainz que el chastel venissent, 6312\nfurent asanbl\u00e9 li baron\nde tot le pais an viron,\net tuit cil qui la Joie sorent\ni vindrent, qui venir i porent. 6316\nGranz fu l\u2019asanblee et la presse :\nchascuns d\u2019Erec veoir s\u2019angresse\net haus, et bas, et povre, et riche ;\nli uns devant l\u2019autre se \ufb01che, 6320\nsi le sal\u00fcent et anclinent,\net dient tuit, c\u2019onques ne \ufb01nent :\n\u00ab Dex saut celui par cui ressort\njoie et leesce an nostre cort ! 6324\nDex saut le plus boen e\u00fcr\u00e9\nque Dex a feire ait andur\u00e9 ! \u00bb\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 421\nEt Guivret et le roi Evrain. 6296\nTous les autres aussi accourent,\nIls les saluent et les honorent :\nNul qui ne s\u2019y empresserait !\nMaboagrain grande joie fait 6300\nPour \u00c9nide, et elle pour lui,\n\u00c9rec et Guivret eux aussi\nSont heureux pour la demoiselle.\nTous sont joyeux et s\u2019interpellent, 6304\nOn s\u2019embrasse on se congratule.\nEt puis on veut rentrer en ville,\nCar du verger on a assez !\n\u00c0 partir on s\u2019est pr\u00e9par\u00e9 6308\nEt on s\u2019en va joyeusement,\nLes uns les autres s\u2019embrassant.\nApr\u00e8s le roi s\u2019en sont all\u00e9s,\nMais avant qu\u2019ils soient arriv\u00e9s, 6312\nS\u2019\u00e9taient assembl\u00e9s les barons\u00b0\nDe tout le pays environ ;\nTous ceux qui la \u201cJoie\u201d ont appris\nEt le pouvaient, viennent aussi. 6316\nUne grande foule se presse,\nCar pour voir \u00c9rec on s\u2019empresse,\nPetits et grands, pauvre et puissant,\nL\u2019un devant l\u2019autre s\u2019a \u000echant, 6320\nPour le saluer, s\u2019incliner,\nEt tous disaient sans arr\u00eater :\n\u00ab Dieu le sauve, car cette \u201cJoie\u201d\nEn notre Cour, on la lui doit ! 6324\nQue Dieu sauve le plus fortun\u00e9\nDes hommes qu\u2019il a pu cr\u00e9er !422 Chr\u00e9tien de Troyes\nEnsi jusqu\u2019\u00e0 la cort l\u2019an mainnent\net de joie faire se painnent, 6328\nsi con li cuer les an semonnent.\nHarpes, vieles, i resonent,\ngigues, sautier et sinphonies,\net trestotes les armonies 6332\nqu\u2019an porroit dire ne nomer ;\nmes je le vos vuel assomer\nbriemant sanz trop longue demore.\nLi rois a son pooir l\u2019enore, 6336\net tuit li autre sanz feintise ;\nn\u2019i a nul qui de son servise\nne s\u2019aparaut molt volantiers.\nTrois jorz dura la Joie antiers, 6340\neinz qu\u2019Erec s\u2019an poist torner.\nAu quart ne volt plus sejorner\npor rien qu\u2019an li se\u00fcst proier ;\ngrant joie ot a lui convoier, 6344\net molt grant presse au congi\u00e9 prandre.\nNe pooit pas les saluz randre\nan demi jor par un et un,\ns\u2019il volsist respondre a chascun : 6348\nles barons salue et acole,\nles autres a une parole\ncomande a Deu toz et salue.\nEt Enyde ne rest pas mue 6352\nau congi\u00e9 prandre des barons :\ntoz les sal\u00fce par lor nons,\net il li tuit comunemant.\nAu departir molt dolcemant 6356\nbeise et acole sa cosine.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 423\nVers la Cour on l\u2019escorte ainsi,\nIls lui font f\u00eate de leurs cris, 6328\nDu fond du c\u0153ur y sont pouss\u00e9s.\nHarpes et vielles ont sonn\u00e9,\nGigues, psalt\u00e9rions, symphonies,\nAvec toutes leurs harmonies 6332\nQue l\u2019on pourrait \u00e9num\u00e9rer ;\nMais je ne veux que les citer,\nBri\u00e8vement, sans m\u2019attarder.\nLe roi \u00c9rec a honor\u00e9, 6336\nTous les autres sans l\u00e9siner\nLeurs services lui ont propos\u00e9 ;\nIl le font tous tr\u00e8s volontiers.\nLa \u201cJoie\u201d dura trois jours entiers 6340\nAvant qu\u2019\u00c9rec ne puisse aller.\nAu quatri\u00e8me n\u2019est pas rest\u00e9\nQuand bien m\u00eame on l\u2019en a pri\u00e9,\nGrande joie fut de l\u2019escorter, 6344\nOn se pressa pour ses adieux :\nUn jour n\u2019e\u00fbt pas su \u000epour eux,\n\u00c0 les saluer un par un\nS\u2019il voulait r\u00e9pondre \u00e0 chacun ! 6348\nTous les barons\u00b0 a embrass\u00e9s\nEt les autres a salu\u00e9s\nEn les recommandant \u00e0 Dieu.\n\u00c9nide, elle, a fait de son mieux, 6352\nPour prendre cong\u00e9 des barons\u00b0,\nEn les saluant par leurs noms,\nEt tous lui rendent son salut.\nEn s\u2019en allant elle a voulu 6356\nEmbrasser sa cousine aussi.424 Chr\u00e9tien de Troyes\nDeparti sont, la Joie \ufb01ne.\nCil s\u2019an vont, et cil s\u2019an retornent.\nErec et Guivrez ne sejornent, 6360\nmes a joie lor voie tindrent\ntant que au chastel tot droit vindrent\nou li rois lor fu anseigniez.\nLe jor devant estoit seniez : 6364\nansanble o lui priveemant\nen ses chanbres tant seulemant\n.Vc. barons de sa meison ;\nonques mes an nule seison 6368\nne fu trovez li rois si seus,\nsi an estoit molt angoisseus\nque plus n\u2019avoit gent a sa cort.\nA tant uns messages acort, 6372\nque il orent fet avancier\npor lor venue au roi noncier :\nsi s\u2019an vint tost devant la rote ;\nle roi trova et sa gent tote, 6376\nsi le sal\u00fce come sages,\net dist : Sire, ge sui messages\nErec et Guivret le Petit. \u00bb\nApr\u00e9s li a cont\u00e9 et dit 6380\nqu\u2019a sa cort veoir le venoient.\nLi rois respont :\u00ab Bien veignant soient\ncome baron vaillant et preu :\nmeillors d\u2019aus deus ne sai nul leu ; 6384\nd\u2019aus iert molt ma corz amandee. \u00bb\nLors a la reine mandee,\nsi li a dites les\u2019noveles.\nLi autre font metre lor seles 6388\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 425\nLa \u201cJoie\u201d \ufb01nie, ils sont partis.\nLes uns s\u2019en vont, les autres partent,\n\u00c9rec et Guivret l\u00e0 ne restent, 6360\nMais avec joie leur chemin prennent\nSi bien qu\u2019\u00e0 un ch\u00e2teau ils viennent\nO\u00f9 le roi Arthur\u00b0 s\u00e9journait.\nEt o\u00f9 saigner il s\u2019\u00e9tait fait. 6364\nAvec lui avait, en priv\u00e9,\nFait dans ses chambres s\u2019installer\nCinq cents barons\u00b0 de sa maison ;\nJamais en aucune saison 6368\nLe roi si seul n\u2019avait \u00e9t\u00e9,\nEt il \u00e9tait tr\u00e8s ennuy\u00e9\nDe si peu de monde \u00e0 sa Cour.\nV oil\u00e0 qu\u2019un messager accourt : 6372\n\u00c9rec et Guivret l\u2019y envoient\nAnnoncer leur venue au roi,\nAvant leur troupe, largement.\nIl trouve le roi et ses gens, 6376\nIl les salue comme il se doit,\nEt il annonce alors au roi\n\u00c9rec et Guivret le Petit.\nEt puis il lui a dit aussi 6380\nQu\u2019en sa cour bient\u00f4t ils viendront.\nLe roi dit : \u00ab bienvenus seront,\nBarons\u00b0 vaillants et courageux !\nIl n\u2019en est pas de meilleurs qu\u2019eux, 6384\nMa Cour en sera rehauss\u00e9e ! \u00bb\nPuis la reine il a demand\u00e9e,\nEt lui a appris la nouvelle.\nLes autres font mettre leurs selles 6388426 Chr\u00e9tien de Troyes\npor aler contre les barons ;\neinz ne chaucierent esperons,\ntant se hasterent de monter.\nBriemant vos voel dire et conter 6392\nque ja estoit el borc venue\nla rote de la gent menue,\ngar\u00e7on, et queu, et botellier,\npor les ostex apareillier ; 6396\nla granz rote venoit apr\u00e9s.\nS\u2019estoient ja venu si pres\nqu\u2019an la vile estoient antr\u00e9 ;\nmaintenant se sont ancontr\u00e9, 6400\nsi s\u2019antre sal\u00fcent et beisent.\nAs ostex vienent, si s\u2019aeisent,\nsi se desvestent et atornent,\nde lor beles robes s\u2019atornent ; 6404\net quant il furent atorn\u00e9,\na la cort s\u2019an sont retorn\u00e9.\nA cor vienent, li rois les voit,\net la re\u00efne, qui desvoit 6408\nd\u2019Erec, et d\u2019Enyde acoler :\nde li poist l\u2019en oiseler,\ntant estoit de grant joie plainne.\nChascuns d\u2019ax conjo\u00efr se painne ; 6412\net li r\u00f2is pes feire comande,\npuis anquiert Erec et demande\nnoveles de ses avantures.\nQuant apeisiez fu li murmres, 6416\nErec ancomance son conte :\nses avantures li reconte,\nque nule n\u2019en i antroblie.\nMes cuidiez vos que je vos die 6420\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 427\nPour aller trouver les barons\u00b0,\nSans m\u00eame mettre d\u2019\u00e9perons\nCar ils \u00e9taient bien trop press\u00e9s !\nJe vais en bref vous raconter : 6392\nOn voyait, du bourg arrivant\nLa foule des petites gens\nValets, cuisiniers, bouteillers\nPour tous les logis pr\u00e9parer. 6396\nLe grand cort\u00e8ge venait apr\u00e8s,\nIls les ont suivis de si pr\u00e8s\nQue dans la ville ils sont entr\u00e9s\nCeux de la cour ont rencontr\u00e9s. 6400\nIls se sont entre eux salu\u00e9s,\nPuis \u00e0 leurs logis install\u00e9s.\nIls se sont chang\u00e9s et v\u00eatus\nLeurs beaux atours ont rev\u00eatu ; 6404\nEt quand ils furent pr\u00e9par\u00e9s\n\u00c0 la cour ils s\u2019en sont all\u00e9s.\nQuand ils arrivent, le roi est l\u00e0 ;\nLa reine n\u2019attendait que \u00e7a : 6408\n\u00c9rec et \u00c9nide embrasser.\nComme un oiseau, est agit\u00e9e\u00b0\nTant sa joie est \u00e9panouie.\nTout le monde se r\u00e9jouit. 6412\nLe roi demande le silence\nPuis a voulu qu\u2019\u00c9rec commence\nLe r\u00e9cit des ses aventures.\nQuand furent calm\u00e9s les murmures, 6416\n\u00c9rec entreprend son r\u00e9cit :\nEt ses aventures leur dit,\nSans rien omettre, tout raconte.\nMais croyez-vous que je vous conte 6420428 Chr\u00e9tien de Troyes\nquex acoisons le \ufb01st movoir ?\nNaie ; que bien savez le voir\net de ice, et d\u2019autre chose,\nsi con ge la vos ai esclose 6424\nli reconters me seroit gri\u00e9s,\nque li contes n\u2019est mie bri\u00e9s,\nqui le voldroit recomancier,\net les paroles ragencier 6428\nsi com il lor conta et dist :\ndes trois chevaliers qu\u2019il conquist,\net puis des cinc, et puis del conte\nqui feire li volt si grant honte 6432\net puis des jaianz dist apr\u00e9s ;\ntrestot en ordre pres a pres\nses avantures lor conta\njusque la ou il esfronta 6436\nle conte qui sist au mangier,\net con recovra son destrier.\n\u00ab Erec, dist li rois, biax amis,\nor remanez an cest pais 6440\nen ma cort, si con vos solez.\n\u2014 Sire, des que vos le volez,\nje remandrai molt volentiers\ndeus ans ou trois trestoz antiers, 6444\nmes priez Guivret tot ausi\ndel remenoir, et gel li pri. \u00bb\nLi rois del remenoir le prie,\net cil la remenance otrie. 6448\nEnsi remainnent amedui :\nli rois les retient avoec lui,\nses tint molt chiers et enora.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 429\nPourquoi il voulut s\u2019en aller ?\nPas du tout, car vous le savez,\nCette chose, et d\u2019autres aussi !\nJe vous en ai d\u00e9j\u00e0 tout dit, 6424\nR\u00e9p\u00e9ter ne serait pas bon,\nCar le r\u00e9cit serait fort long,\nPour qui voudrait recommencer\nEt les paroles rapporter 6428\nTout comme dire il avait pu :\nTrois chevaliers qu\u2019il a vaincus\nEt puis les cinq, et puis le comte\nQui a voulu lui faire honte, 6432\nEt puis sont venus les g\u00e9ants,\nTout leur a cont\u00e9 maintenant\nDans le bon ordre, pas \u00e0 pas,\nJusque l\u00e0 o\u00f9 il a \u000bronta 6436\nLe comte \u00e0 table pour manger\nEt a repris son destrier.\n\u00ab \u00c9rec, dit le roi, mon ami,\nDemeurez donc en ce pays, 6440\nEt \u00e0 ma Cour, si vous voulez.\n\u2014 Sire, si vous le d\u00e9sirez\nJe le ferais bien volontiers\nDeux ans ou m\u00eame trois entiers, 6444\nMais priez-en Guivret aussi\nComme moi-m\u00eame je l\u2019en prie. \u00bb\nLe roi le lui a demand\u00e9,\nGuivret a bien s\u00fbr accept\u00e9. 6448\nTous deux sont donc rest\u00e9s ici,\nLe roi les garde aupr\u00e8s de lui,\nIls sont choy\u00e9s et honor\u00e9s.430 Chr\u00e9tien de Troyes\nErec a cort tant demora, 6452\nGuivrez, et Enyde, antr\u2019aus trois,\nque morz fu ses peres li rois,\nqui vialz ert et de grant aage.\nMaintenant murent li message ; 6456\nli baron qui l\u2019alerent querre,\nli plus haut homne de sa terre,\ntant le quistrent et demanderent\nque a Tintajuel le troverent, 6460\nuit jorz devant Natevit\u00e9.\nCil li distrent la verit\u00e9,\ncomant il estoit avenu\nde son pere le viel chenu, 6464\nqui morz estoit et trespassez.\nErec an pesa plus asez\nqu\u2019il ne mostra sanblant as genz.\nmes diaus de roi n\u2019est mie genz, 6468\nn\u2019a roi n\u2019avient qu\u2019il face duel.\nLa ou il ert, a Tintajuel,\n\ufb01st chanter vigiles et messes,\npromist et randi les promesses, 6472\nsi com il les avoit promises,\nas meisons Deu et as eglises.\nMolt \ufb01st bien ce que fere dut :\npovres mesaeisiez eslut 6476\nplus de cent et .LX.IX.\nsi les revesti tot de nuef ;\nas povres clers et as provoires\ndona, que droiz fu, chapes noires 6480\net chaudes pelices desoz.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 431\nMort du Roi Lac\n\u00c9rec \u00e0 la Cour est rest\u00e9, 6452\nGuivret, \u00c9nide, tous les trois.\nMais un jour, son p\u00e8re, le roi,\nMourut : il \u00e9tait tr\u00e8s \u00e2g\u00e9.\nOn a lanc\u00e9 des messagers 6456\nPour aller \u00c9rec rechercher ;\nC\u2019\u00e9taient des hommes renomm\u00e9s,\nIls ont cherch\u00e9 et demand\u00e9,\nEt \u00e0 Tintagel l\u2019ont trouv\u00e9, 6460\nHuit jours avant Nativit\u00e9.\nIls lui ont dit la v\u00e9rit\u00e9 :\nCe qu\u2019il en \u00e9tait maintenant\nDe son vieux p\u00e8re \u00e0 cheveux blancs, 6464\nQui \u00e9tait mort, et tr\u00e9pass\u00e9.\n\u00c9rec en fut tr\u00e8s a \u000bect\u00e9,\nPlus qu\u2019il n\u2019en \ufb01t montre \u00e0 ses gens,\nMais deuil de roi n\u2019est pas d\u00e9cent, 6468\nSa peine, un roi ne montre pas.\n\u00c0 Tintagel, il ordonna,\nDe chanter vigiles et messes,\nA fait r\u00e9pandre des promesses 6472\nEt y a veill\u00e9 de son mieux,\nAux \u00e9glises et h\u00f4tels-Dieu.\nIl \ufb01t fort bien ce qu\u2019il a dit :\nDans les pauvres, il a choisi 6476\nPas moins de cent soixante neufs\nQu\u2019il a rhabill\u00e9s tout de neuf ;\nPour les pr\u00eatres et pauvres clercs,\nDes chapes noires a fait faire, 6480\nEt chaudes pelisses dessous.432 Chr\u00e9tien de Troyes\nMolt \ufb01st por Deu grant bien a toz :\na ces qu\u2019an avoient mestier\ndona deniers plus d\u2019un setier. 6484\nQuant departi ot son avoir,\napr\u00e9s \ufb01st un molt grant savoir,\nque del roi sa terre reprist ;\napr\u00e9s si li pria et dist 6488\nqu\u2019il le coronast a sa cort.\nLi rois dist que tost s\u2019an atort,\ncar coron\u00e9 seront andui,\nil et sa fame avoec lui, 6492\na la Natevit\u00e9 qui vient,\net dist : Aler nos an covient\nde si qu\u2019a Nantes an Bretaigne ;\nla porteront roial ansaigne, 6496\ncorone d\u2019or et ceptre el poing\ncest don et ceste enor vos doing. \u00bb\nErec le roi an mercia,\net dist que molt don\u00e9 li a. 6500\nA la Natevit\u00e9 ansanble\nli roiz toz ses barons asanble :\ntrestot par un et un les mande,\net les dames venir comande : 6504\ntoz les manda, nus n\u2019i remaint ;\net Erec an comanda maint :\nmaint venir en i comanda,\nplus en i vint qu\u2019il ne cuida 6508\npor lui servir et enor fere.\nNe vos sai dire ne retrere\nqui fu chascuns ne de lor non,\nmes qui qui venist ne qui non, 6512\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 433\nAu nom de Dieu, il \ufb01t pour tous\nGrand bien ; \u00e0 ceux dans le besoin\nUn setier de deniers au moins. 6484\nQuand il eut fait tant de largesses,\nIl a fait preuve de sagesse :\nDu roi Arthur\u00b0 sa terre prit,\nEt puis lui demanda, lui dit 6488\nQu\u2019il vienne ici le couronner.\nLe roi dit de s\u2019y pr\u00e9parer,\nCar les deux il couronnera\nSa femme avec lui y sera, 6492\n\u00c0 la prochaine Nativit\u00e9,\nEt dit : \u00ab Il faut vous en aller\nD\u2019ici vers Nantes en Bretagne ;\nV ous aurez les royaux insignes, 6496\nCouronne d\u2019or et sceptre en mains :\nCes honneurs, je vous les dois bien. \u00bb\n\u00c9rec a remerci\u00e9 le roi,\nPour tout ce que d\u00e8s lors lui doit. 6500\n\u00c0 la Nativit\u00e9, ensemble,\nLe roi tous ses barons\u00b0 rassemble.\nUn \u00e0 un les a fait venir\nEt les Dames \u00e0 son d\u00e9sir. 6504\nTous appel\u00e9s, tous sont venus.\n\u00c9rec en a fait venir plus,\nEn a tellement convoqu\u00e9s\nPlus que pr\u00e9vus sont arriv\u00e9s, 6508\nPour le servir et honorer.\nJe ne peux dire ou raconter\nQui \u00e9tait l\u00e0 de par son nom,\nQui \u00e9tait l\u00e0, quel autre, non. 6512434 Chr\u00e9tien de Troyes\nErec n\u2019oblia pas le pere\nma dame Enyde ne sa mere.\nCil fu mandez premierenmant,\net vint a cort molt richemant 6516\ncon riches ber et chastelains ;\nn\u2019ot pas rote de chapelains\nne de gent fole n\u2019esbaie,\nmes de bone chevalerie 6520\net de gent molt bien atornee.\nChascun jor font molt grant jornee ;\ntant chevalchierent chascun jor\nqu\u2019a grant joie et a grant enor, 6524\nla voille de Natevit\u00e9,\nvindrent a Nantes la cit\u00e9.\nOnques nul leu ne s\u2019aresterent\njusqu\u2019an la haute sale antrerent ; 6528\nErec et Enyde les voient,\nancontre vont, plus ne deloient,\nsi les sal\u00fcent et acolent,\nmolt dolcemant les aparolent 6532\net font joie, si com il durent.\nQuant antre conjoi se furent,\ntuit catre main a main se tindrent,\njusque devant le roi s\u2019an vindrent, 6536\nsi le sal\u00fcent maintenant,\net la reine ansemant\nqui delez lui seoit an coste.\nErec tint par la main son oste, 6540\net dist :\u00ab Sire, veez vos ci\nm\u00f3n boen oste et mon boen ami,\nqui me porta si grant enor\nqu\u2019an sa meison me \ufb01st seignor : 6544\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 435\n\u00c9rec n\u2019oublia pas le p\u00e8re\nD\u2019\u00c9nide non plus que sa m\u00e8re.\nLui fut appel\u00e9 en premier,\nEt vint richement entour\u00e9 6516\nEn riche baron ch\u00e2telain ;\nPas une foule de chapelains,\nNi de gens pr\u00eats \u00e0 s\u2019amuser,\nMais de solides chevaliers, 6520\nBeaucoup de gens bien \u00e9quip\u00e9s.\nChaque jour ont bien chevauch\u00e9\nTant et si bien que par bonheur,\nEn grande joie, et grand honneur, 6524\nJuste avant la Nativit\u00e9,\nVinrent \u00e0 Nantes la Cit\u00e9.\nIls ne se sont pas arr\u00eat\u00e9s,\nEt dans la salle ils sont entr\u00e9s ; 6528\n\u00c9rec et \u00c9nide les voient\nEt vers eux s\u2019en vont pleins de joie,\nIls les saluent et les embrassent,\nAvec des mots pleins de noblesse, 6532\nEt comme il faut les ont f\u00eat\u00e9s.\nQuand ils se sont congratul\u00e9s,\nTous quatre par la main se prennent,\nJusque devant le roi s\u2019en viennent, 6536\nEt le saluent en arrivant,\nLa reine aussi, \u00e9videmment,\nQui se tenait \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s.\n\u00c9rec son h\u00f4te a pr\u00e9sent\u00e9 6540\nEn disant : \u00ab Sire, voyez ici\nMon h\u00f4te cher et bon ami,\nQui me tint \u00e0 si grand honneur\nMe \ufb01t en sa maison seigneur, 6544436 Chr\u00e9tien de Troyes\neinz qu\u2019il me cone\u00fcst de rien,\nme herberja et bel et bien,\nquanque il ot m\u2019abandona,\nneis sa \ufb01lle me dona 6548\nsanz los et sanz consoil d\u2019autrui.\n- Et ceste dame ansanble o lui,\namis, fet li rois, qui est ele ? \u00bb\nErec nule rien ne li cele : 6552\nSire, fet il, de ceste dame\nvos di qu\u2019ele est mere ma fame.\n- Sa mere est ele ? V oire, sire.\nCertes donc puis je tres bien dire 6556\nque molt doit estre bele et gente\nla \ufb02ors qui ist de si bele ante,\net li fruiz miaudres qu\u2019an i quiaut,\ncar qui de boen ist, so\u00ebf iaut. 6560\nBele est Enyde, et bele doit\nestre, par reison et par droit.\nque bele dame est molt sa mere,\nbiau chevalier a en son pere 6564\nde rien nule ne les angigne,\ncar molt retret bien et religne\na anbedeus de mainte chose. \u00bb\nCi se test li rois et repose ; 6568\nsi lor comande qu\u2019il s\u2019asieent ;\ncil son comandemant ne vieent\nassis se sont tot maintenant.\nOr a Enyde joie grant, 6572\ncar son pere et sa mere voit,\nque molt lonc tans pass\u00e9 avoit\nque ele nes avoit ve\u00fcz.\nMolt l\u2019an est granz joies cre\u00fcz, 6576\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 437\nQuand de moi il ne savait rien,\nEt pourtant me logea si bien,\nTout ce qu\u2019il avait me donna\nEt sa \ufb01lle me con\ufb01a, 6548\nSans rien \u00e9couter ni autrui.\n\u2014 Et cette dame aupr\u00e8s de lui,\nA dit le roi, qui donc est-elle ? \u00bb\n\u00c9rec alors rien ne lui c\u00e8le : 6552\nSire, sachez-le, cette dame,\nElle est la m\u00e8re de ma femme.\n\u2014 Sa m\u00e8re ? \u2014 C\u2019est la v\u00e9rit\u00e9.\nAlors je peux vous d\u00e9clarer, 6556\nQu\u2019elle doit \u00eatre bien jolie\nLa \ufb02eur qui de l\u00e0 est sortie,\nEt meilleur en sera le fruit :\nBonne souche jamais ne nuit. 6560\n\u00c9nide est belle, elle le doit\nde par la raison et le droit,\nPuisqu\u2019elle est si belle, sa m\u00e8re,\nEt tel chevalier a pour p\u00e8re. 6564\nElle ne les d\u00e9\u00e7oit en rien\nCar de tous les deux elle tient,\nEt leur ressemble \u00e9videmment. \u00bb\nEt le roi se tait un instant, 6568\nPuis s\u2019asseoir leur a demand\u00e9 ;\nIls ne se sont pas fait prier\nMaintenant les voil\u00e0 assis .\n\u00c9nide est vraiment r\u00e9jouie, 6572\nDe revoir son p\u00e8re et sa m\u00e8re,\nElle qui tant se d\u00e9sesp\u00e8re\nQu\u2019elle ne les avait revus.\nSa joie en est vraiment recrue, 6576438 Chr\u00e9tien de Troyes\nmolt l\u2019en fu bel, et molt li plot,\ns\u2019an \ufb01st joie quanqu\u2019ele pot ;\nmes n\u2019en pot pas tel joie faire\nqu\u2019ancor n\u2019an fust la joie maire ; 6580\nne je n\u2019an voel ore plus dire,\ncar vers la gent li cuers me tire\nqui la estoit tote asanblee\nde mainte diverse contree. 6584\nAsez i ot contes et rois,\nNormanz, Bretons, Escoz, Einglois,\nd\u2019Eingleterre et de Cornoaille ;\ni ot molt riche baronaille, 6588\ncar des Gales jusqu\u2019an Anjo,\nn\u2019an Alemaigne, n\u2019an Peito,\nn\u2019ot chevalier de grant afeire\nne gentil dame de bon eire, 6592\ndon les meillors et les plus gentes\nne fussent a la cort a Nentes,\nque li rois les ot toz mandez.\nOr o\u00ebz, se vos comandez : 6596\nquant la corz fu tote asanblee,\nein\u00e7ois que tierce fust sonee,\not adobez li rois Artus\n.IIII. cenz chevaliers et plus, 6600\ntoz \ufb01lz de contes et de rois :\nchevax dona a chascun trois,\net robes a chascun trois peire,\npor ce que sa corz mialz apeire. 6604\nMolt fu li rois puissanz et larges :\nne dona pas mantiax de sarges,\nne de conins ne de brunetes,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 439\nTout \u00e9tait bon et tout lui plut,\nS\u2019en r\u00e9jouit tant qu\u2019elle put.\nMais elle avait pourtant beau faire\nSa joie ne montrait pas enti\u00e8re. 6580\nJe ne veux pas plus vous en dire,\nCar maintenant ce qui m\u2019attire,\nCe sont tous ces gens assembl\u00e9s\nde toutes sortes de contr\u00e9es : 6584\nComtes et rois il y avait\nNormands, Anglais, et \u00c9cossais,\nDes Cornouaillais, des Bretons ;\nC\u2019\u00e9taient de tr\u00e8s riches barons\u00b0, 6588\nCar des Galles jusqu\u2019en Anjou,\nEn Allemagne ou en Poitou,\nIl n\u2019\u00e9tait meilleurs chevaliers,\nDames de meilleure lign\u00e9e, 6592\nDont le plus belles, les plus gentes,\nNe fussent \u00e0 la Cour de Nantes\nO\u00f9 le roi les avait rassembl\u00e9s.\nCouronnements \u00e0 Nantes\n\u00c9coutez, si vous le voulez : 6596\nQuand la cour fut toute assembl\u00e9e\nAvant que tierce n\u2019ait sonn\u00e9\nLe roi Arthur\u00b0 eut adoub\u00e9\nAu moins quatre cents chevaliers, 6600\nTous \ufb01ls de comtes et de rois.\nChevaux \u00e0 chacun donne trois,\nEt trois paires de robes belles\nPour que sa Cour en soit plus belle. 6604\nLe roi puissant et g\u00e9n\u00e9reux\nNe donnait pas manteaux de peu,\nDe lainage, ou peau de lapin,440 Chr\u00e9tien de Troyes\nmes de samiz et d\u2019erminetes, 6608\nde veir antier et de diapres,\nlistez d\u2019orfrois roides et aspres.\nAlixandres, qui tant conquist\nque desoz lui tot le mont mist, 6612\net tant fu larges et tant riches,\nfu anvers lui povres et chiches ;\nCesar, l\u2019empereres de Rome,\net tuit li roi que l\u2019en vos nome 6616\nan diz et an chan\u00e7ons de geste,\nne dona tant a une feste\ncome li rois Artus dona\nle jor que Erec corona ; 6620\nne tant n\u2019osassent pas despandre\nantre Cesar et Alixandre\ncom a la cort ot despandu.\nLi mantel furent estandu 6624\na bandon par totes les sales ;\ntuit furent giti\u00e9 hors des males,\ns\u2019an prist qui vost, sanz contrediz.\nEn mi la cort, sor un tapiz., 6628\not .xxx. muis d\u2019esterlins blans,\ncar lors avoient a cel tans\ncore\u00fc des le tans Merlin\npar tote Bretaigne esterlin. 6632\nIluec pristrent livreison tuit :\nchascuns an porta cele nuit\ntant com il vost a son ostel.\nA tierce, le jor de No\u00ebl, 6636\nsont ilueques tuit asanbl\u00e9 ;\ntot ot Erec le cuer anbl\u00e9\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 441\nMais de l\u2019hermine ou du satin, 6608\nDe vair\u00b0 entier, de soie brod\u00e9e\nAvec des bordures dor\u00e9es.\nAlexandre qui tant conquit\nEt qui le monde entier soumit, 6612\nQui fut si g\u00e9n\u00e9reux, si riche,\nAupr\u00e8s de lui ne fut que chiche.\nNi C\u00e9sar, l\u2019Empereur de Rome,\nAucun des rois que l\u2019on vous nomme 6616\nDans les dits et Chansons de Geste,\nNe donna tant dans une f\u00eate,\nQue le Roi Arthur\u00b0 n\u2019a donn\u00e9\nQuand \u00c9rec il eut couronn\u00e9 ; 6620\nJamais n\u2019auraient tant d\u00e9penser\nAlexandre ou C\u00e9sar, os\u00e9,\nQue lui pour sa Cour a voulu.\nLes manteaux furent \u00e9tendus, 6624\nUn peu n\u2019importe o\u00f9 dans les salles :\nD\u00e8s qu\u2019ils furent sortis des malles,\nCeux qui en voulaient en ont pris.\nEt dans la cour, sur un tapis, 6628\nTrente tonneaux d\u2019esterlins\u00b0 blancs :\nCar ils avaient cours, d\u00e8s ce temps,\nDepuis l\u2019\u00e9poque de Merlin\nEn Bretagne, ces esterlins\u00b0. 6632\n\u00c0 leur guise, tous en ont pris\nIl les ont emport\u00e9s la nuit,\nPour les mettre dans leur h\u00f4tel.\n\u00c0 tierce, le jour de No\u00ebl, 6636\nTous ici se sont rassembl\u00e9s.\nLe c\u0153ur d\u2019\u00c9rec est chamboul\u00e9442 Chr\u00e9tien de Troyes\nla granz joie qui li aproche.\nOr ne porroit lengue ne boche 6640\nde nul home, tant se\u00fcst d\u2019art,\ndeviser le tierz ne le quart\nne le quint de l\u2019atornemant\nqui fu a son coronemant. 6644\nDonc voel ge grant folie anprandre,\nqui au descrivre voel antandre ;\nmes des que feire le m\u2019estuet,\net c\u2019est chose qu\u2019an feire puet, 6648\nne leirai pas que ge n\u2019an die\nselonc mon san une partie.\nEn la sale ot deus faudestu\u00e9s\nd\u2019ivoire, blans, et biax et nu\u00e9s, 6652\nd\u2019une meniere et d\u2019une taille.\nCil qui les \ufb01st, sanz nule faille,\nfu molt soutix et angigneus,\ncar si les \ufb01st sanblanz andeus 6656\nd\u2019un haut, d\u2019un lonc, et d\u2019un ator,\nja tant n\u2019esgardessiez an tor\npor l\u2019un de l\u2019autre dessevrer\nque ja poissiez trover 6660\nan l\u2019un qui an l\u2019autre ne fust.\nN\u2019i avoit nule rien de fust,\nse d\u2019or non, et d\u2019ivoire \ufb01n ;\nantailli\u00e9 furent de grant \ufb01n, 6664\ncar li dui manbre d\u2019une part\norent sanblance de liepart,\nli autre dui de corquatrilles.\nUns chevaliers, Bruianz des Illes, 6668\nen avoit fet don et seisine\nle roi Artus et la reine.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 443\nPar ce moment qui se rapproche.\nNi la langue ou m\u00eame la bouche 6640\nDe personne, malgr\u00e9 son art,\nNe dirait le tiers ou le quart\nNi le cinqui\u00e8me des atours\nQu\u2019on a d\u00e9ploy\u00e9s dans la Cour. 6644\nC\u2019est donc pour moi grande folie\nQue de vouloir le dire ici ;\nMais puisque je ne dois me taire,\nEt que c\u2019est chose qu\u2019on peut faire, 6648\nJe ne vais pas me dispenser\nDe quelque peu vous en conter.\nDeux fauteuils dans la salle \u00e9taient,\nD\u2019ivoire blanc, neufs et bien faits, 6652\nDe m\u00eame forme et taille, toute.\nQui les a fait, sans aucun doute,\n\u00c9tait subtil et ing\u00e9nieux\nCar il les \ufb01t pareils, tous deux, 6656\nEn haut, en large, et en d\u00e9cor :\nOn aurait pu en faire le tour\nPour tenter de les distinguer,\nOn n\u2019y aurait rien pu trouver 6660\nDans l\u2019un qui dans l\u2019autre ne soit ;\nIl n\u2019avaient rien qui f\u00fbt de bois,\nMais de l\u2019ivoire et de l\u2019or \ufb01n ;\nIl avaient un tr\u00e8s beau dessin, 6664\nCar les pieds devant, d\u2019une part\nSemblaient \u00eatre des l\u00e9opards,\nLes deux autres des crocodiles.\nUn chevalier, Briant des \u00celes, 6668\nLes avait o \u000berts en son nom\nAu roi et \u00e0 la reine, en don.444 Chr\u00e9tien de Troyes\nLi rois Artus sor l\u2019un s\u2019asist,\nsor l\u2019autre Erec aseoir \ufb01st, 6672\nqui fu vestuz d\u2019un drap de moire.\nLisant trovomes an l\u2019estoire\nla description de la robe,\nsi an trai a garant Macrobe 6676\nqui an l\u2019estoire mist s\u2019antante,\nqui l\u2019antendi\u00e9, que je ne mante.\nMacrobe m\u2019anseigne a descrivre,\nsi con je l\u2019ai trov\u00e9 el livre, 6680\nl\u2019uevre del drap et le portret.\nQuatre fees l\u2019avoient fet\npar grant san et par grant mestrie.\nL\u2019une i portraist Geometrie 6684\nsi com ele esgarde et mesure\ncon li ciax et la terre dure,\nsi que de rien nule n\u2019i faut\net puis le bas, et puis le haut, 6688\net puis le l\u00e9, et puis le lonc,\net puis esgarde par selonc\ncon la mers est lee et parfonde,\net si mesure tot le monde. 6692\nCeste oevre i mist la premerainne,\net la seconde mist sa painne\nen Arimetique portraire,\nsi se pena de molt bien faire, 6696\nsi com ele nonbre par sans\nles jorz et les ores del tans,\net l\u2019eve de mer gote a gote,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 445\nLe roi Arthur\u00b0 sur l\u2019un s\u2019assit\nEt sur l\u2019autre \u00c9rec lui aussi, 6672\nVetu d\u2019une robe de moire.\nEt quand nous lisons cette histoire,\nLa description de cette robe,\nJe l\u2019ai reprise de Macrobe\u00b0, 6676\nFort appliqu\u00e9 \u00e0 la d\u00e9crire,\nQu\u2019on ne m\u2019accuse de mentir !\nMacrobe\u00b0 enseigne comment faire\nDans son livre, et je m\u2019y r\u00e9f\u00e8re : 6680\nPour l\u2019\u00e9to \u000be, et pour le dessin\nQuatre f\u00e9es y ont mis la main,\nAvec art et m\u00eame g\u00e9nie.\nLes quatre Arts\nOn y voit la G\u00e9om\u00e9trie, 6684\nQui regarde, observe et mesure\nLe Ciel et la Terre et s\u2019assure\nQu\u2019il n\u2019y a bien aucun d\u00e9faut\nNi vers le bas, ni vers le haut, 6688\nNi en largeur, ni en longueur,\nEt puis estime la profondeur\nDe la mer qui est si profonde,\nEt mesure ainsi tout le monde. 6692\nAinsi \ufb01t la premi\u00e8re f\u00e9e.\nLa seconde s\u2019est employ\u00e9e\n\u00c0 nous montrer l\u2019Arithm\u00e9tique :\nIl a fallu qu\u2019elle s\u2019applique, 6696\n\u00c0 montrer son d\u00e9nombrement\nDes jours et des heures, du temps,\nEt l\u2019eau de mer goutte par goutte,446 Chr\u00e9tien de Troyes\net puis la gravele trestote, 6700\net les estoiles tire a tire ;\nbien an set la verit\u00e9 dire,\net quantes fuelles an bois a ;\nonques nonbres ne l\u2019an boisa, 6704\nne ja n\u2019an mantira de rien,\ncar ele i viaut antandre bien.\nTex ert l\u2019uevre d\u2019Arimetique,\net la tierce oevre ert de Musique, 6708\na cui toz li deduiz s\u2019acorde,\nchanz, et deschanz, et sanz descorde,\nd\u2019arpe, de rote, et de viele.\nCeste oevre estoit et boene et bele, 6712\ncar devant lui gisoient tuit\nli estrumant et li deduit.\nLa quarte, qui apr\u00e9s ovra,\na molt boene oevre recovra, 6716\nque la meillor des arz i mist\nd\u2019Astronomie s\u2019antremist,\ncele qui fet tante mervoille,\net as estoiles s\u2019an consoille 6720\net a la lune et au soloil.\nEn autre leu n\u2019an prant consoil\nde rien qui a feire li soit ;\ncil la consoille bien a droit 6724\nde quanque cele li requiert,\net quanque fu, et quanque iert,\nl\u2019estuet certainnemant savoir,\nsanz mantir et sanz decevoir. 6728\nCeste oevre fu el drap portreite\ndon la robe Erec estoit feite\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 447\nLe sable par ses graines toutes, 6700\nLes \u00e9toiles, une par une !\nC\u2019est la v\u00e9rit\u00e9 sans lacune,\nLe nombre de feuilles d\u2019un bois,\nAucun nombre vraiment, je crois, 6704\nNe l\u2019a jamais tromp\u00e9e sur rien,\nOn voit qu\u2019elle s\u2019y entend bien.\nTelle \u00e9tait donc l\u2019Artithm\u00e9tique.\nLa troisi\u00e8me, c\u2019est la Musique, 6708\nL\u00e0 o\u00f9 tous les plaisirs s\u2019accordent,\nChant, contre-chant, et sans discorde,\nDe harpe, th\u00e9orbe et de vielle.\nCette \u0153uvre \u00e9tait vraiment tr\u00e8s belle, 6712\nCar devant elle on voyait tous\nLes instruments dont on en joue.\nLa quatri\u00e8me travailla\nEt sa belle \u0153uvre la voil\u00e0 : 6716\nLe meilleur des arts y est mis\nJe veux dire : l\u2019Astronomie,\nCelle qui fait tant de merveilles\nEt sur toutes les \u00e9toiles veille, 6720\nComme \u00e0 la Lune et au Soleil.\nElle ne prend ailleurs conseil,\nSur ce que faire elle devra :\nElle a bien assez de ceux-l\u00e0 6724\nPour ce qu\u2019on lui demandera :\nTout ce qui fut et qui sera,\nElle peut fort bien le savoir,\nSans mentir, et sans d\u00e9cevoir. 6728\nSon \u0153uvre \u00e9tait repr\u00e9sent\u00e9e\nSur la robe d\u2019\u00c9rec tiss\u00e9e,448 Chr\u00e9tien de Troyes\na \ufb01l d\u2019or ovree et tissue.\nLa pane qui i fu cosue 6732\nfu d\u2019unes contrefetes bestes\nqui ont totes blondes les testes\net les cors noirs com une more,\net les dos ont vermauz desore, 6736\nles vantres noirs et la coe inde ;\nitex bestes neissent en Inde,\nsi ont berbioletes non,\nne manj\u00fcent se poissons non, 6740\nquenele et giro\ufb02e novel.\nQue vos diroie del mantel ?\nMolt fu riches et boens et biax ;\ncatre pierres ot es tassiax : 6744\nd\u2019une part ot deus crisolites,\net de l\u2019autre deus ametistes,\nqui furent assises en or.\nEnyde n\u2019estoit pas encor 6748\nvenue el pal\u00e9s a cele ore :\nquant li rois voit qu\u2019ele demore,\nGauvain i comande a aler\npor Enyde el pal\u00e9s mener. 6752\nGauvains i cort, ne fu pas lanz,\no lui li rois Carod\u00fcanz\net li larges rois de Gavoie ;\nGuivrez li Petiz le convoie, 6756\napr\u00e9s va Ydiers, li \ufb01lz Nuht ;\ndes autres barons i corut,\net tot por les dames conduire,\ndon l\u2019en poist un ost destruire, 6760\nque plus en ot d\u2019un millier.\nQuanque pot, d\u2019Enide atillier\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 449\nAvec des \ufb01ls d\u2019or ouvrag\u00e9e,\nEt de plus elle \u00e9tait doubl\u00e9e 6732\nDe fourrures d\u2019\u00e9tranges b\u00eates\nAyant de toutes blondes t\u00eates\nEt le corps noir comme une m\u00fbre\nAvec le dos vermeil, c\u2019est s\u00fbr, 6736\nLe ventre noir, la queue bleu d\u2019Inde :\nCe sont des b\u00eates venues d\u2019Inde,\nEt \u201cbarbiolettes\u00b0\u201d, c\u2019est leur nom.\nElles ne mangent que des poissons, 6740\nGiro\ufb02e et \u00e9pices nouveaux.\nQue vous dirai-je du manteau ?\nQu\u2019il \u00e9tait riche, et bon, et beau :\nPour ses ferrets, quatre cristaux, 6744\nD\u2019un c\u00f4t\u00e9 sont deux chrysolithes\nEt de l\u2019autre, deux am\u00e9thystes,\nTous quatre enchass\u00e9es dans de l\u2019or.\n\u00c9nide n\u2019\u00e9tait pas encore 6748\nVenue en ce palais \u2014 et tarde.\nQuand le roi voit qu\u2019elle s\u2019attarde\nIl demande \u00e0 Gauvain\u00b0 d\u2019aller\nChercher \u00c9nide et l\u2019amener. 6752\nGauvain\u00b0 y courut juste \u00e0 temps,\nAvec lui le roi Carduanz,\nCelui de Gavoie est ici,\nEt Guivret le Petit aussi ; 6756\nApr\u00e8s vient Ydier, \ufb01ls de Nut.\nTant de barons\u00b0 sont accourus,\nPour pouvoir les dames conduire\nQu\u2019une arm\u00e9e auraient pu d\u00e9truire, 6760\nCar ils \u00e9taient plus d\u2019un millier.\nPour qu\u2019\u00c9nide soit bien par\u00e9e450 Chr\u00e9tien de Troyes\nse fu la reine penee.\nEl pal\u00e9s l\u2019en ont amenee 6764\nd\u2019une part Gauvains li cortois,\nde l\u2019autre part li larges rois\nde Gavoie, qui molt l\u2019ot chiere,\ntot por Erec qui ses ni\u00e9s iere. 6768\nQuant eles vindrent el pal\u00e9s,\ncontre eles cort a grant esl\u00e9s\nli rois Artus, et par franchise\nlez Erec a Enyde assise, 6772\ncar molt li vialt grant enor feire.\nMaintenant comanda fors treire\ndeus corones de son tresor,\ntotes massices de \ufb01n or. 6776\nQuant il l\u2019ot comand\u00e9 et dit,\nles corones sanz nul respit\nli furent devant aportees,\nd\u2019escharbocles anluminees, 6780\nque catre en avoit en chascune.\nNule riens n\u2019est clartez de lune\na la clart\u00e9 que porroit randre\ndes escharbocles la plus mandre : 6784\npor la clart\u00e9 qu\u2019eles gitoient,\ntuit cil qui el pal\u00e9s estoient\nsi tres duremant s\u2019esba\u00efrent\nque de piece gote ne virent ; 6788\nne\u00efs li rois s\u2019an esbai\net ne por quant molt s\u2019esjo\u00ef\nqu\u2019il les vit si cleres et beles.\nL\u2019une \ufb01st prandre a deus puceles, 6792\net l\u2019autre a deus barons tenir.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 451\nLa reine s\u2019\u00e9tait empress\u00e9e.\nAu palais l\u2019ont donc amen\u00e9e 6764\nD\u2019une part Gauvain\u00b0 le courtois\nEt d\u2019autre part le puissant roi\nDe Gavoie, qui la ch\u00e9rissait,\nCar \u00c9rec son neveu \u00e9tait. 6768\nQuand les dames au palais furent,\nV oici qu\u2019arrive \u00e0 toute allure,\nLe roi Arthur\u00b0 qui, \u00e0 sa guise,\n\u00c9nide aupr\u00e8s d\u2019\u00c9rec a mise, 6772\nCar grand honneur il veut lui faire.\nEt ordonne de faire extraire\nDeux couronnes de son tr\u00e9sor\nToutes deux enti\u00e8rement d\u2019or. 6776\nAussit\u00f4t que l\u2019ordre est donn\u00e9\nLes couronnes, sans plus tarder,\nFurent \u00e0 eux deux pr\u00e9sent\u00e9es.\nD\u2019escarboucles \u00e9tincelantes, 6780\nElles avaient quatre chacune.\nM\u00eame la clart\u00e9 de la Lune\nN\u2019est rien comme ce que peut faire\nLa plus petite de ces pierres : 6784\n\u00c0 la lueur qu\u2019elles jetaient\nTous ceux qui \u00e9taient au palais\nEn furent vraiment \u00e9tonn\u00e9s\nTant ils en furent aveugl\u00e9s ! 6788\nM\u00eame le roi fut \u00e9bloui\nMais il s\u2019en est fort r\u00e9joui,\nDe les voir si claires, si belles.\nL\u2019une tiennent deux demoiselles, 6792\nL\u2019autre a fait deux barons\u00b0 tenir.452 Chr\u00e9tien de Troyes\nPuis comanda avant venir\nles evesques et les pr \u00af\u0131eus,\net les abez religieus, 6796\npor enoindre le novel roi\nselonc la crestiene loi.\nMaintenant sont avant venu\ntuit li prelat, juesne et chenu, 6800\ncar a la cort avoit assez\nclers et evesques et abez.\nL\u2019evesques de Nantes meismes,\nqui molt fu prodom et saintismnes, 6804\n\ufb01st le sacre del roi novel\nmolt saintemant et bien et bel,\net la corone el chief li mist.\nLi rois Artus aporter \ufb01st 6808\nun ceptre qui molt fu lo\u00ebz ;\ndel ceptre la fa\u00e7on o\u00ebz,\nqui fu plus clers c\u2019une verrine,\ntoz d\u2019une esmeraude anterine, 6812\net si avoit plain poing de gros.\nLa verit\u00e9 dire vos os\nqu\u2019an tot le monde n\u2019a meniere\nde poisson, ne de beste \ufb01ere, 6816\nne d\u2019ome, ne d\u2019oisel volage,\nque chascuns lonc sa propre ymnage\nn\u2019i fust ovrez et antailliez.\nLi ceptres fu au roi bailliez 6820\nqui a mervoilles l\u2019esgarda,\nSi le mist, que plus ne tarda,\nli rois Erec an sa main destre :\nor fu rois si com il dut estre : 6824\npuis ont Enyde coronee.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 453\nAlors a fait avant venir,\nLes \u00e9v\u00eaques grands religieux,\nEt tous les abb\u00e9s les plus pieux 6796\nVenus oindre le nouveau roi\nSelon la chr\u00e9tienne loi.\nIls sont tous devant lui venus,\nLes pr\u00e9lats, jeunes et chenus : 6800\n\u00c0 la Cour s\u2019\u00e9taient rassembl\u00e9s\nTant de clercs, d\u2019\u00e9v\u00eaques, d\u2019abb\u00e9s !\nL\u2019\u00e9v\u00eaque de Nantes lui-m\u00eame,\nHomme sage et saintet\u00e9 m\u00eame, 6804\nA fait le sacre du nouveau roi,\nPieusement, de par la foi,\nEt la couronne lui a pos\u00e9e.\nLe roi Arthur\u00b0 fait apporter 6808\nUn sceptre qui fut admir\u00e9 ;\nCe sceptre, il faut que vous sachiez,\nPlus qu\u2019un vitrail illuminait :\nD\u2019une \u00e9meraude il \u00e9tait fait, 6812\nEt grosse \u00e9tait comme le poing ;\nLa v\u00e9rit\u00e9 n\u2019en cache point :\nDans le monde ne trouve-t-on\nDe b\u00eate sauvage ou poisson 6816\nNi d\u2019homme ni d\u2019oiseau volant\nQui ne soit si bien ressemblant\nQue ceux qui sont ici sculpt\u00e9s.\nLe sceptre fut au roi donn\u00e9, 6820\nIl en fut tout \u00e9merveill\u00e9,\nEt il le mit sans plus tarder\nDans sa main droite, comme il faut,\nLe roi \u00c9rec, le roi nouveau, 6824\nPuis \u00c9nide fut couronn\u00e9e.454 Chr\u00e9tien de Troyes\nJa estoit la messe sonee,\nsi s\u2019an vont a la mestre eglise\noir la messe et le servise ; 6828\na l\u2019eveschi\u00e9 s\u2019an vont orer.\nDe joie ve \u00af\u0131ssiez plorer\nle pere et la mere Enyde,\nqui ot a non Tarsenesyde ; 6832\npor voir ot non ensi sa mere,\net Licoranz ot non ses pere :\nmolt estoient anbedui li\u00e9.\nQuant il vindrent a l\u2019eveschi\u00e9, 6836\nancontre s\u2019an issirent hors,\na reliques et a tresors,\no croiz, o textre, o ancenssier,\ntrestuit li moinne del mostier, 6840\net o chasses a toz cors sainz,\ncar an l\u2019eglise en avoit mainz\na l\u2019encontre orent tot hors tret,\net de chanter n\u2019i ot po fet. 6844\nOnques ansanble ne vit nus\ntant rois, tant contes, ne tant dus,\nne tant barons a une messe ;\nsi fu granz la presse et espesse 6848\nque toz an fu li mostiers plains :\nonques n\u2019i pot antrer vilains,\nse dames non et chevalier.\nDehors la porte del mostier 6852\nen avoit ancores assez,\ntant en i avoit amassez\nque el mostier antrer ne porent.\nQuant tote la messe oie orent, 6856\nsi sont el chastel retorn\u00e9.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 455\nLa messe \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 sonn\u00e9e ;\n\u00c0 l\u2019\u00e9glise ils se sont rendus\nEt l\u00e0, ont la messe entendue, 6828\nPuis \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9 vont prier.\nV ous auriez vu de joie pleurer\nLe p\u00e8re et la m\u00e8re d\u2019\u00c9nide,\nQui s\u2019appelait Tarsenesyde : 6832\nC\u2019\u00e9tait bien le nom de sa m\u00e8re,\nEt Licorant celui du p\u00e8re.\nDe joie ils \u00e9taient transport\u00e9s !\nQuand ils vinrent \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00each\u00e9, 6836\nVers eux sont all\u00e9s au dehors\nPortant reliques et tr\u00e9sors,\nCroix, encensoirs et livres saints\nTous les moines de ce lieu saint, 6840\nEt toutes les saintes reliques\nEn cette \u00e9glise, magni\ufb01ques.\nVenant vers eux, tout on port\u00e9\nEt les chants n\u2019ont pas m\u00e9nag\u00e9s. 6844\nJamais tant de gens on n\u2019a vus\nDe rois, de comtes et des ducs,\nTant de barons\u00b0, \u00e0 une messe !\nTellement grande \u00e9tait la presse 6848\nQue tout l\u2019\u00e9di\ufb01ce \u00e9tait plein !\nN\u2019y put entrer aucun vilain,\nMais les Dames et chevaliers.\nEt \u00e0 la porte du moutier, 6852\nIl en est rest\u00e9 entass\u00e9s :\nTant y en avait d\u2019amass\u00e9s,\nQu\u2019\u00e0 l\u2019int\u00e9rieur entrer ne purent.\nQuand la messe entendue ils eurent, 6856\nVers le ch\u00e2teau sont retourn\u00e9s.456 Chr\u00e9tien de Troyes\nJa fu tot prest et atorn\u00e9,\ntables mises et napes sus :\n.vc. tables i ot et plus ; 6860\nmes ne vos voel pas feire acroire,\nman\u00e7onge sanbleroit trop voire,\ntables fussent mises a tire\nen un pal\u00e9s ; ja nel quier dire. 6864\nAinz eni ot cinc sales pleinnes,\nsi que l\u2019en pooit a granz peinnes\nvoie antre les tables avoir.\nA chascune table por voir 6868\navoit ou roi, ou duc, ou conte,\net .c. chevaliers tot par conte\nen chascune table seoient.\nMil chevalier de pein servoient, 6872\net mil de vin, et mil de mes,\nvestuz d\u2019ermins peli\u00e7ons fres.\nDes mes divers don sont servi,\nne por quant se ge nel vos di, 6876\nvos savroie bien reison randre ;\nmes il m\u2019estuet a el antendre.\nEXPLYCYT LI ROMANS D\u2019EREC ET D\u2019ENYDE\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 457\nTout y \u00e9tait bien pr\u00e9par\u00e9 :\nTables et nappes par-dessus,\nIl y en eut cinq cent ou plus. 6860\nMais je ne veux vous faire croire\n\u2014 Mon mensonge pourrait se voir \u2014\nQu\u2019on mit les tables bout \u00e0 bout,\nDans le palais, ne suis pas fou ! 6864\nOn les mit dans cinq salles pleines\nSi bien qu\u2019on pouvait \u00e0 grand-peine\nSe fau\ufb01ler entre les tables.\nIl y avait \u00e0 chaque table, 6868\nUn roi, ou un duc ou un comte,\nEt de cent chevaliers le compte,\nQui s\u2019y trouvaient tous bien assis.\nEt mille chevaliers aussi 6872\nLe pain, le vin, y servaient ;\nD\u2019hermine bien v\u00eatus de frais,\nMille autre servaient divers mets :\nM\u00eame si tous je ne disais, 6876\nBien vous en parler je pourrais,\nMais vers autre chose m\u2019en vais !\nICI FINIT le roman d\u2019\u00c9rec et \u00c9nide.GLOSSAIRE et NOTES\nA\nagit\u00e9e : Je traduis ainsi ce vers curieux pour essayer de lui donner\nun sens. On l\u2019a interpr\u00e9t\u00e9 de toutes sortes de fa\u00e7ons. Pour ma part,\nj\u2019ai tendance \u00e0 voir l\u00e0 une interpolation du copiste, peut-\u00eatre due\n\u00e0 une simple tache ou une ligne manquante dans son mod\u00e8le !\nAmauguin : de m\u00eame que Ydiez, Cadiolan et Gir\ufb02et, ces \u201crois\u201d\nou chevaliers sont des personnages imaginaires, sans r\u00e9f\u00e9rence\nhistorique connue. Pour Keu, c\u2019est un peu di \u000b\u00e9rent. V oyez ce mot.\nArthur : le roi Arthur est la \ufb01gure l\u00e9gendaire de tout un cycle\nde r\u00e9cits en vers et en prose, qui ont inspir\u00e9 plusieurs romans de\nChr\u00e9tien de Troyes.\nautour : oiseau de chasse, un genre d\u2019\u00e9pervier.\nB\nbarbiolette : animal sorti de l\u2019imagination de Chr\u00e9tien de Troyes. . . peut-\n\u00eatre inspir\u00e9 par d\u2019autres r\u00e9cits pr\u00e9sentant des animaux fantas-\n459460 Chr\u00e9tien de Troyes\ntiques, comme on peut en voir souvent dans les chapiteaux des\n\u00e9glises romanes des XIIeet XIIIesi\u00e8cles.\nbarons : ce mot d\u00e9signe dans le texte des chevalier importants,\nrenomm\u00e9s, ceux qui sont les plus proches du roi.\nbaucent : balezan; se dit d\u2019un cheval qui a des taches blanches\naux pieds.\nbliaut : longue tunique de femme \u00e0 manches, brod\u00e9e au col et\naux poignets.\nbougran : tissu de soie.\nBrangien : la servante d\u2019Yseut, dans les textes comme le \u201cTris-\ntan et Yseut\u201d de B\u00e9roul (vers 1170). Tristan \u00e9tait all\u00e9 chercher\nYseut en Irlande pour le roi Marc de Cornouailles. Mais ayant\nsuccomb\u00e9 au \u201cphiltre d\u2019amour\u201d, qui \u00e9tait destin\u00e9 au roi Marc,\net dont ils ont bu par erreur lors du voyage de retour, ils sont\ndevenus amants. . . Et de ce fait, le jour de ses noces, c\u2019est Bran-\ngien \u2014 demeur\u00e9e vierge! \u2014 qui prend la place d\u2019Yseut sans le\nlit de Marc, qui apparemment, ne s\u2019aper\u00e7oit de rien ! Chr\u00e9tien de\nTroyes connaissait bien la l\u00e9gende \u2014 il d\u00e9clare lui-m\u00eame , au\nd\u00e9but de \u201cClig\u00e8s\u201d avoir compos\u00e9 une version de cette l\u00e9gende,\nmais on n\u2019a jamais trouv\u00e9 trace de ce texte.\nC\ncacher : \u201cJe ne vais pas vous le cacher\u201d; les vers qui suivent\nmanquent dans le Ms 794. Il s\u2019agit manifestement d\u2019un oubli\nde la part du copiste, qui rend le passage incompr\u00e9hensible. Les\nvoici dans la version du Ms Bn Fr 1376 :\n\u00ab Je suis Cadoc de Tabruel\nCar c\u2019est ainsi que l\u2019on m\u2019appelle.\nMais puisque vous devez partir\nJe voudrais vous entendre dire\nQui vous \u00eates, de quel pays,\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 461\nPour vous retrouver, si je puis,\nUn jour quand je serai parti.\n\u2014 Ne vous le dirai, mon ami,\nDit \u00c9rec, vous l\u2019ignorerez. \u00bb\nc\u00e9ans : ici, en cet endroit.\ncendal : \u00e9to\u000be de soie, genre de ta \u000betas.\nchainse : v\u00eatement long; robe simple, de lin ou de chanvre, et\ng\u00e9n\u00e9ralement blanche.\nChr\u00e9tien de Troyes : l\u2019auteur d\u2019un texte m\u00e9di\u00e9val se pr\u00e9sente\nrarement, c\u2019est parfois le copiste qui signe son travail, comme\nc\u2019est le cas de Guiot pour certains manuscrits de textes attribu\u00e9s\n\u00e0 Chr\u00e9tien de Troyes. En fait, on en sait rien du tout de Chr\u00e9tien\nde Troyes. . . mais les \u201cromans\u201d qui lui sont attribu\u00e9s ont un style\nassez marqu\u00e9 pour \u00eatre reconnus comme tels.\ncoi,coie : bouche b\u00e9e, muet, muette. S\u2019emploie encore aujour-\nd\u2019hui parfois.\ncomme un oiseau est agit\u00e9e : ce vers est obscur et on l\u2019a inter-\npr\u00e9t\u00e9 de toutes sortes de fa\u00e7ons. . . Pour ma part, j\u2019ai tendance \u00e0\ny voir une interpolation du copiste, peut-\u00eatre due \u00e0 une simple\ntache ou une ligne manquante dans son mod\u00e8le !\nConstantinople : dans les \u201cChansons de geste\u201d comme dans les\n\u201cromans\u201d de cette \u00e9poque, les toponymes sont le plus souvent\nimaginaires, ou employ\u00e9s pour leur c\u00e9l\u00e9brit\u00e9 (comme ici), voire\ntout simplement parfois pour les besoins de la rime. . . Il ne faut\npas y voir d\u201dinformation \u00e0 caract\u00e8re g\u00e9ographique.\nconte : le mot n\u2019a pas encore le sens de nos \u201ccontes de f\u00e9es\u201d;\nil a valeur de \u201cr\u00e9cit\u201d, \u201c\u0153uvre de \ufb01ction\u201d dirait-on de nos jours.\nMais \u201c\u00c9rec et \u00c9nide\u201d fait partie de ce qu\u2019on appelle les \u201cromans\u201d\nde Chr\u00e9tien de Troyes : il ne s\u2019agit pas de la m\u00eame chose que\nnos romans actuels, mais de la litt\u00e9rature dite \u201ccourtoise\u201d, c\u2019est-462 Chr\u00e9tien de Troyes\n\u00e0-dire celle que des \u201cjongleurs\u201d lisaient dans les \u201ccours\u201d des\ngrands personnages. Et ces \u201ccontes\u201d \u00e9taient, comme celui-ci,\ng\u00e9n\u00e9ralement en vers. Les versions en prose ne sont apparues que\nplus tard.\nE\n\u00e9cu: petit bouclier port\u00e9 par les chevaliers, et le plus souvent\nd\u00e9cor\u00e9 d\u2019armoieries.\n\u00c9rec : pour ce mot, au vers 2075, voyez plus bas \u201cTenebroc\u201c\u201d\u201d\nessart : endroit o\u00f9 la for\u00eat a \u00e9t\u00e9 d\u00e9frich\u00e9e, un endroit rempli\nseulement de broussailles.\nesterlins : monnaie anglaise.\nestive : instrument \u00e0 vent de la famille des cornemuses.\nF\nfranc : le mot pas ici tout \u00e0 fait le sens de maintenant, mais\ncelui de \u201cbien \u00e9lev\u00e9, convenable, honn\u00eate, \u00e0 qui on peut faire\ncon\ufb01ance\u201d.\nG\nGauvain : le neveu du roi Arthur. Il appara\u00eet dans plusieurs des\nromans de Chr\u00e9tien de Troyes.\nla reine, Gueni\u00e8vre : la reine Gueni\u00e8vre est l\u2019\u00e9pouse du roi\nArthur. Elle est parfois l\u2019objet d\u2019intrigues amoureuses. . . c\u2019est le\ncas par exemple dans le \u201cChevalier de la Charrette\u201d, de Chr\u00e9tien\nde Troyes.\nguiche : courroie de l\u2019\u00e9cu pass\u00e9 autour du cou du chevalier.\nH\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 463\nhaubert : longue cotte de mailles rev\u00eatue par les chevalier au\nmoyen \u00e2ge. Elle sera remplac\u00e9e vers le XVesi\u00e8cle par des plaques\nde m\u00e9tal formant peu \u00e0 peu une armure compl\u00e8te.\nheaume : c\u2019est les casque qui se porte en g\u00e9n\u00e9ral par-dessus le\nhaubert. Sa forme a beaucoup \u00e9volu\u00e9, et s\u2019est compl\u00e9t\u00e9e d\u2019une\npartie relevable, par exemple.\nJ\nJoie de la Cour : L\u2019origine et le sens de cet \u00e9pisode sont toujours\ndiscut\u00e9s. C\u2019est probablement une r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 une vieille l\u00e9gende\ndans laquelle il aurait \u00e9t\u00e9 question de la \u201cd\u00e9livrance\u201d de tout un\npeuple jusque-l\u00e0 soumis \u00e0 un tyran; \u00e0 rapprocher de celle du\n\u201cMoloch\u201d biblique, que l\u2019on retrouve dans certaines versions de\n\u201cTristan\u201d, et aussi la \u201clib\u00e9ration des gens de Logres\u201d par Lancelot\ndans le \u201cChevalier de la Charrette\u201d !vers 2410-2420).\nK\nKeu : est un personnage important : il \ufb01gure dans la plupart des\nromans de Chr\u00e9tien; c\u2019est le s\u00e9n\u00e9chal du roi Arthur, son \u201caide\nde camp\u201d, en quelque sorte. Et il est d\u2019un caract\u00e8re fantasque,\nsouvent la ris\u00e9e des autres \u201cbarons\u201d. Les autres personnages cit\u00e9s\nici (Ydiez, Amauguin, Gir\ufb02et. . . ) sont sans r\u00e9elle importance, et\nleurs nos plus ou moins fantaisistes.\nL\nLaurente : Ville du Latium.\nM\nMacrobe : Auteur latin du Vesi\u00e8cle, tr\u00e8s \u00e9tudi\u00e9 au moyen \u00e2ge;\nnotamment dans son Commentaire sur le Songe de Scipion . Chr\u00e9-\ntien de Troyes d\u00e9clare que c\u2019est Macrobe qui lui a inspir\u00e9 sa fa\u00e7on\nd\u2019\u00e9crire.\nmaint(e), maints : beaucoup, nombreux, nombreuses.464 Chr\u00e9tien de Troyes\nmarri : a\u000fig\u00e9, ennuy\u00e9, f\u00e2ch\u00e9, m\u00e9content. Le mot \ufb01gure dans\nle, \u201croman de Brut\u201d, de Wace, po\u00e8te normand, contemporain de\nChr\u00e9tien de Troyes.\nmerci : ce mot signi\ufb01e souvent \u201cpiti\u00e9\u201d, \u201cpardon\u201d ; \u201ccrier merci\u201d,\nc\u2019est r\u00e9clamer de l\u2019adversaire qu\u2019il vous fasse gr\u00e2ce de la vie.\nL\u2019expression \u201ctenir quelqu\u2019un \u00e0 sa merci\u201d est encore usit\u00e9e de\nnos jours, pour signi\ufb01er qu\u2019on tient quelqu\u2019un en suj\u00e9tion.\nmesnie : ensemble des gens d\u2019un domaine, la famille et les servi-\nteurs.\nmie (ne. . . mie) : peu, pas beaucoup, gu\u00e8re.\nMorholt : le Morholt est un g\u00e9ant irlandais qui demandait chaque\nann\u00e9e un tribut de 600 jeunes gens et que Tristan est venu com-\nbattre, et a vaincu. Dans la version de B\u00e9roul, Tristan est envoy\u00e9\nensuite en Irlande par le roi Marc de Cornouailles pour lui rame-\nner Yseut, qu\u2019il doit \u00e9pouser. Mais au cours du voyage, Brangien,\nla servante d\u2019Yseut leur a donn\u00e9 \u00e0 boire par erreur le \u201cphiltre\nd\u2019amour\u201d pr\u00e9vu pour Marc. . .\nN\nnain : le nain est un personnage traditionnel dans les texte m\u00e9di\u00e9-\nvaux ; il est toujours le signe d\u2019un danger, il est toujours m\u00e9chant,\nviolent, comme ici, ou fourbe, tra\u00eetre, d\u00e9lateur. . . et ne respecte\njamais les conventions chevaleresques. Dans \u201cTristan et Yseut\u201d,\nc\u2019est lui qui espionne les amants et leur tend un pi\u00e8ge.\nnone : \u201cheure de none\u201d. Au moyen \u00e2ge, la journ\u00e9e est scand\u00e9e\npar les heures de pri\u00e8res : \u201cLaudes\u201d, \u00e0 l\u2019aube; \u201cTierce\u201d (troi-\nsi\u00e8me heure apr\u00e8s l\u2019aube), \u00e0 environ 9 heures ; \u201cSexte\u201d (sixi\u00e8me\nheure), \u00e0 midi environ ; \u201cNone\u201d (neuvi\u00e8me heure), vers 15 heures ;\n\u201cV\u00eapres\u201d, en d\u00e9but de soir\u00e9e (vers 17 heures); \u201cComplies\u201d, le\nsoir, apr\u00e8s le coucher du soleil\nnorrois : des pays du Nord.\u00ab \u00c9REC et \u00c9NIDE \u00bb 465\nO\noccis : tu\u00e9; ce vieux appara\u00eet tr\u00e8s fr\u00e9quemment dans les textes\nm\u00e9di\u00e9vaux. Il s\u2019emploie encore parfois de nos jours, par ironie.\nd\u2019osterine : tissu de soie brod\u00e9.\nou\u00ef: le vieux mot \u201cou\u00efr\u201d est parfois encore employ\u00e9 pour \u201cen-\ntendre\u201d.\nouvroir :une sorte d\u2019atelier, mais familial, ici : la pi\u00e8ce o\u00f9 l\u2019on\nnettoie et r\u00e9pare les v\u00eatements. \u00c0 noter que Chr\u00e9tien de Troyes est\nle seul auteur m\u00e9di\u00e9val qui ait \u00e9voqu\u00e9 une sorte de vrai \u201catelier de\nconfection\u201d, et la complainte de ses ouvri\u00e8res, dans son ouvrage\n\u201cYvain ou le Chevalier au Lion\u201d.\nP\npaile : tissu de soie pour v\u00eatement ou ameublement.\npalefroi : c\u2019est plut\u00f4t un cheval d\u2019apparat, ou de marche. Un\ncheval \u201cnoble\u201d, alors que les \u201csommiers\u201d, eux, portent les charges.\npucelle : du latin \u201cpuella\u201d, demoiselle, jeune \ufb01lle. Terme tr\u00e8s\ncourant dans les textes m\u00e9di\u00e9vaux, que j\u2019ai choisi de conserver.\nS\nsinople : couleur rouge ou. . . parfois verte \u2014 selon les textes !\nT\nTable Ronde : les chevaliers du roi Arthur s\u2019assemblaient avec\nlui \u00e0 une table ronde qui marquait l\u2019\u00e9galit\u00e9 de leur valeur. Ce\nterme est apparut pour la premi\u00e8re fois, semble-t-il, dans un texte\nde Wace, auteur normand, vers 1155.\nTenebroc : Texte fautif? Le copiste semble bien avoir trait\u00e9\ndes toponymes comme des noms de personnages ; dans d\u2019autres\nversions manuscrites on a par exemple \u00ab Entre E \u00a8\u00fcroc et Dane-\nbroc \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire \u201centre York et Edimbourg\u201d. Mais \u201cTenebroc\u201d466 Chr\u00e9tien de Troyes\nest trait\u00e9 ensuite bel et bien comme un toponyme, puis que c\u2019est\nl\u00e0 que le tournoi est suppos\u00e9 se tenir.\ntiercelet : faucon m\u00e2le, de petite taille.\ntrait : une \ufb02\u00e8che, d\u2019arc ou d\u2019arbal\u00e8te.\nV\nvair : fourrure de l\u2019\u00e9cureuil des pays du Nord, de couleurs grise\net blanche. Dans le conte de Cendrillon, il est question de sa\n\u201cpantou\ufb02e de vair\u201d.\nvassal : dans le syst\u00e8me f\u00e9odal, un \u201cvassal\u201d est noble qui est\nsoumis \u00e0 l\u2019autorit\u00e9 d\u2019un seigneur de rang plus \u00e9lev\u00e9. Le mot peut\ns\u2019employer sans valeur particuli\u00e8re (vers 1479), mais parfois aussi\ndans un sens p\u00e9joratif, tr\u00e8s m\u00e9prisant (au vers 210, par exemple).\nvavasseur : personnage de petite noblesse, et de condition mo-\ndeste. Il appara\u00eet fr\u00e9quemment dans les textes de Chr\u00e9tien de\nTroyes. Il fait souvent o \u000ece d\u2019aubergiste improvis\u00e9 pour les \u201cche-\nvaliers errants\u201d.\nventaille : capuchon de mailles compl\u00e9tant le haubert, et port\u00e9\nsous le heaume.\nvilains : les gens du commun, avec un sens plut\u00f4t p\u00e9joratif, par\nopposition aux \u201cnobles\u201d, ceux qui appartiennent \u00e0 une \u201clign\u00e9e\u201d.\nY\nYseut, Yseut la Blonde : un personnage apparu dans les diverses\nversions de \u201cTristan et Yseut\u201d (B\u00e9roul, Thomas), o\u00f9 elle est la\nprincesse que Tristan est all\u00e9 chercher comme \u00e9pouse pour le\nroi Marc, et dont il devient l\u2019amant au cours du voyage, \u00e0 cause\nd\u2019un \u201c\ufb01ltre d\u2019amour\u201d destin\u00e9 \u00e0 Marc, et qu\u2019ils ont bu par erreur !\nChr\u00e9tien de Troyes aurait compos\u00e9 lui-m\u00eame une version de cette\nl\u00e9gende (il le d\u00e9clare au d\u00e9but de \u201cClig\u00e8s\u201d) \u2014 mais ce texte a \u00e9t\u00e9\nperdu.La mise en page de ce volume\na \u00e9t\u00e9 r\u00e9alis\u00e9e sur Macintosh avec LATEX\n1\u00e8re \u00e9dition : mai 2022\nDerni\u00e8re r\u00e9vision du texte le 23 mai 2022, 13 h 44\nnumlivres.fr"}