{"filename": "dumas_robin_hood.pdf", "content": " \nAlexandre Dumas \nROBIN HOOD LE PROSCRIT \n \nTome II \n(1873) \n \u00c9dition du groupe \u00ab Ebooks libres et gratuits \u00bb Table des mati\u00e8res \n \nI................................................................................................. 4 \nII ............................................................................................. 40 \nIII............................................................................................. 76 \nIV ........................................................................................... 103 \nV............................................................................................. 123 \nVI ........................................................................................... 157 \nVII.......................................................................................... 181 \nVIII ....................................................................................... 204 \nIX .......................................................................................... 230 \nX ............................................................................................ 251 \nXI .......................................................................................... 269 \nXII......................................................................................... 293 \nXIII ........................................................................................ 321 \nXIV........................................................................................ 336 \nBibliographie \u2013 \u0152uvres compl\u00e8tes....................................... 357 \n\u00c0 propos de cette \u00e9dition \u00e9lectronique ................................ 382 \n \u2013 3 \u2013 \n \u2013 4 \u2013 I \n \nAux premi\u00e8res heures d\u2019une belle matin\u00e9e du mois d\u2019ao\u00fbt, \nRobin Hood, le c\u0153ur en joie et la chanson aux l\u00e8vres, se prome-\nnait solitairement dans un \u00e9troit sentier de la for\u00eat de Sherwood. \n \nTout \u00e0 coup, une voix forte et dont les intonations capricieu-\nses t\u00e9moignaient d\u2019une grande igno rance des r\u00e8gles musicales, se \nmit \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter l\u2019amoureuse ballade chant\u00e9e par Robin Hood. \n \u2013 Par Notre Dame ! murmura le jeune homme, en pr\u00eatant \nune oreille attentive au chant de l\u2019inconnu, voil\u00e0 un fait qui me \npara\u00eet \u00e9trange. Les paroles que je viens d\u2019entendre chanter sont \nde ma composition, datent de mon enfance, et je ne les ai appri-ses \u00e0 personne. \n Tout en faisant cette r\u00e9flexion, Robin se glissait derri\u00e8re le \ntronc d\u2019un arbre, afin d\u2019y atte ndre le passage du voyageur. \n \nCelui-ci se montra bient\u00f4t. Arriv\u00e9 en face du ch\u00eane au pied \nduquel Robin s\u2019\u00e9tait assis, il plongea ses regards dans la profon-deur des bois. \n \u2013 Ah ! ah ! dit l\u2019inconnu en aper cevant \u00e0 travers le fourr\u00e9 un \nmagnifique troupeau de daims, voici d\u2019anciennes connaissances ; voyons un peu si j\u2019ai encore l\u2019\u0153il juste et la main prompte. Par saint Paul ! je vais me donner le plaisir d\u2019envoyer une fl\u00e8che au vigoureux gaillard qui chemine si lentement. \n Cela dit, l\u2019\u00e9tranger prit une fl\u00e8che dans son carquois, l\u2019ajusta \n\u00e0 son arc, visa le daim et le frappa de mort. \n \u2013 5 \u2013 \u2013 Bravo ! cria une voix rieuse ; ce coup est d\u2019une adresse re-\nmarquable. L\u2019\u00e9tranger, saisi de surprise, s\u2019\u00e9tait brusquement re-\ntourn\u00e9. \n \n\u2013 Vous trouvez, messire ? dit-il en examinant Robin de la \nt\u00eate aux pieds. \n \u2013 Oui, vous \u00eates fort adroit. \n \n\u2013 Vraiment, ajouta l\u2019inconnu d\u2019un ton d\u00e9daigneux. \u2013 Sans doute, et surtout pour un homme qui n\u2019est pas habi-\ntu\u00e9 \u00e0 tirer le daim. \n \u2013 Comment savez-vous que je manque d\u2019habitude dans ce \ngenre d\u2019exercice ? \n \n\u2013 Par la mani\u00e8re dont vous tene z votre arc. Je parie tout ce \nque vous voudrez, sir \u00e9tranger, que vous \u00eates plus habile \u00e0 renver-\nser un homme sur le champ de bataille qu\u2019\u00e0 \u00e9tendre un daim dans le fourr\u00e9. \n \u2013 Tr\u00e8s bien r\u00e9pondu, s\u2019\u00e9cria l\u2019\u00e9tranger en riant. Est-il permis \nde demander son nom \u00e0 un homme qui a le regard assez p\u00e9n\u00e9-trant pour juger sur un simple co up la diff\u00e9rence qui existe entre \nla mani\u00e8re de faire d\u2019un soldat et celle d\u2019un forestier ? \n \u2013 Mon nom est de peu d\u2019importance dans la question qui \nnous occupe, sir \u00e9tranger ; mais je puis vous dire mes qualit\u00e9s. Je \nsuis un des premiers gardes de cette for\u00eat, et je n\u2019ai pas l\u2019intention de laisser mes daims expos\u00e9s sans d\u00e9fense aux attaques de ceux \nqui, pour essayer leur adresse, s\u2019avisent de les tirer. \n \u2013 Je me soucie fort peu de vos intentions, mon joli garde ; \nrepartit l\u2019inconnu d\u2019un ton d\u00e9lib\u00e9r\u00e9, et je vous mets au d\u00e9fi de m\u2019emp\u00eacher d\u2019envoyer mes fl\u00e8ches o\u00f9 bon me semblera ; je tuerai \ndes daims, je tuerai des faons, je tuerai tout ce que je voudrai. \n \u2013 6 \u2013 \u2013 Cela vous sera facile si je ne m\u2019y oppose, parce que vous \n\u00eates un excellent archer, r\u00e9pondit Robin. Aussi vais-je vous faire \nune proposition. \u00c9coutez-moi : je suis le chef d\u2019une troupe \nd\u2019hommes r\u00e9solus, intelligents et fort habiles dans tous les exerci-\nces qu\u2019embrasse leur m\u00e9tier. Vous me paraissez un brave gar\u00e7on ; \nsi votre c\u0153ur est honn\u00eate, si vous avez l\u2019esprit tranquille et conci-liant, je serai heureux de vous enr\u00f4ler dans ma bande. Une fois \nengag\u00e9 avec nous, il vous sera pe rmis de chasser ; mais si vous \nrefusez de faire partie de notre association, je vous invite \u00e0 sortir de la for\u00eat. \n \u2013 En v\u00e9rit\u00e9, monsieur le garde, vous parlez d\u2019un ton tout \u00e0 \nfait superbe. Eh bien ! \u00e9coutez-moi \u00e0 votre tour. Si vous ne vous h\u00e2tez pas de me tourner les talons , je vous donnerai un conseil \nqui, sans grandes phrases, vous apprendra \u00e0 mesurer vos paro-les ; ce conseil, bel oiseau, est une vol\u00e9e de coups de b\u00e2ton tr\u00e8s \nlestement appliqu\u00e9e. \n \n\u2013 Toi, me frapper ! s\u2019\u00e9cria Robin d\u2019un ton d\u00e9daigneux. \u2013 Oui, moi. \u2013 Mo n g ar\u00e7on, r eprit Robin, je n e veux point me mettre en \ncol\u00e8re, car tu t\u2019en trouverais fort mal ; mais si tu n\u2019ob\u00e9is pas sur-\nle-champ \u00e0 l\u2019ordre que je te donne de quitter la for\u00eat, tu seras \nd\u2019abord vigoureusement ch\u00e2ti\u00e9 ; pu is apr\u00e8s, nous essaierons la \nmesure de ton cou et la force de ton corps \u00e0 la plus haute branche d\u2019un arbre de cette for\u00eat. \n \nL\u2019\u00e9tranger se mit \u00e0 rire. \n \u2013 Me battre et me faire pendre, dit-il, voil\u00e0 qui serait curieux \nsi ce n\u2019\u00e9tait impossible. Voyons, mets-toi \u00e0 l\u2019\u0153uvre, j\u2019attends. \n \u2013 Je ne me donne pas la peine de b\u00e2tonner de mes propres \nmains tous les fanfarons que je rencontre, mon cher ami, repartit Robin ; j\u2019ai des hommes pour remplir en mon nom cet utile office. Je vais les appeler et tu t\u2019expliqueras avec eux. \u2013 7 \u2013 \nRobin Hood porta un cor \u00e0 ses l\u00e8vres, et il allait sonner un \nvigoureux appel lorsque l\u2019\u00e9tranger , qui avait rapidement ajust\u00e9 \nune fl\u00e8che \u00e0 son arc, cria avec violence : \n \n\u2013 Arr\u00eatez, ou je vous tue ! Robin laissa tomber son cor, saisit son arc, et, bondissant \nvers l\u2019\u00e9tranger avec une l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 inou\u00efe, il s\u2019\u00e9cria : \n \u2013 Insens\u00e9 ! Tu ne vois donc pas avec quelle force tu veux en-\ntrer en lutte ? Avant d\u2019\u00eatre atteint, j e t \u2019 a u r a i s d \u00e9 j \u00e0 f r a p p \u00e9 , e t l a \nmort que tu enverrais vers moi te toucherait seul. Montre-toi rai-\nsonnable ; nous sommes \u00e9trangers l\u2019 un \u00e0 l\u2019autre, et sans cause \ns\u00e9rieuse nous nous traitons en ennemis. L\u2019arc est une arme san-guinaire ; remets ta fl\u00e8che au carquois, et, puisque tu d\u00e9sires \njouer du b\u00e2ton, va pour le b\u00e2ton ! j\u2019accepte le combat. \n \n\u2013 Va pour le b\u00e2ton ! r\u00e9p\u00e9ta l\u2019 \u00e9tranger, et que celui qui aura \nl\u2019adresse de frapper \u00e0 la t\u00eate so it non seulement vainqueur, mais \nlibre de disposer du sort de son adversaire. \n \u2013 Soit, r\u00e9pondit Robin ; fais attention aux cons\u00e9quences de \nl\u2019arrangement que tu proposes : si je te fais crier merci, j\u2019aurai le \ndroit de t\u2019enr\u00f4ler dans ma bande ? \n \u2013 Oui. \u2013 Tr\u00e8s bien, et que le plus habile remporte la victoire. \n \n\u2013 Amen ! dit l\u2019\u00e9tranger. \n La lutte d\u2019adresse commen\u00e7a. Les coups, lib\u00e9ralement don-\nn\u00e9s des deux parts, accabl\u00e8rent bient\u00f4t l\u2019\u00e9tranger, qui ne put r\u00e9-ussir \u00e0 toucher Robin une seule fois. Irrit\u00e9 et haletant, le pauvre gar\u00e7on jeta son arme. \n \u2013 Arr\u00eatez, dit-il, je suis moulu de fatigue. \u2013 8 \u2013 \n\u2013 Vous vous avouez vaincu ? demanda Robin. \n\u2013 Non, mais je reconnais que vo us \u00eates d\u2019une force tr\u00e8s sup\u00e9-\nrieure \u00e0 la mienne ; vous avez l\u2019habitude de manier le b\u00e2ton, cela \nvous donne un avantage trop gran d, il faut autant que possible \n\u00e9galiser la partie. Savez-vous tirer l\u2019\u00e9p\u00e9e ? \n \n\u2013 Oui, r\u00e9pondit Robin. \n \u2013 Voulez-vous continuer le combat avec cette arme ? \u2013 Certainement. Ils mirent l\u2019\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main. Adroits tireurs \nl\u2019un et l\u2019autre, ils se battirent pendant un quart d\u2019heure sans par-venir \u00e0 se blesser. \n \n\u2013 Arr\u00eatez ! cria tout \u00e0 coup Robin. \u2013 Vous \u00eates fatigu\u00e9 ? demanda l\u2019 \u00e9tranger avec un sourire de \ntriomphe. \n \u2013 Oui, r\u00e9pondit franchement Robin ; puis je trouve qu\u2019un \ncombat \u00e0 l\u2019\u00e9p\u00e9e est une chose fo rt peu agr\u00e9able ; parlez-moi du \nb\u00e2ton : ses coups, moins danger eux, offrent quelque int\u00e9r\u00eat ; \nl\u2019\u00e9p\u00e9e a quelque chose de rude et de cruel. Ma fatigue, toute r\u00e9elle \nqu\u2019elle soit, ajouta Robin en examinant le visage de l\u2019inconnu, dont la t\u00eate \u00e9tait couverte d\u2019un bonnet qui lui cachait une partie \ndu front, n\u2019est pas tout \u00e0 fait la cause qui m\u2019a fait demander une \nsuspension d\u2019armes. Depuis que je me trouve en face de toi, il \nm\u2019est venu \u00e0 l\u2019esprit des souvenirs d\u2019enfance, le regard de tes grands yeux bleus ne m\u2019est pas inconnu. Ta voix me rappelle la voix d\u2019un ami, mon c\u0153ur se sent pris pour toi d\u2019un entra\u00eenement \nirr\u00e9sistible ; dis-moi ton nom ; si tu es celui que j\u2019aime et que j\u2019attends avec toute l\u2019impatience de la plus tendre amiti\u00e9, sois m i l l e f o i s l e b i e n v e n u . S i t u e s un \u00e9tranger, n\u2019importe, tu seras \nencore heureusement arriv\u00e9. Je t\u2019aimerai pour toi et pour les chers souvenirs que ta vue me rappelle. \n \u2013 9 \u2013 \u2013 Vous me parlez avec une bo nt\u00e9 qui me charme, sir fores-\ntier, r\u00e9pondit l\u2019inconnu ; mais, \u00e0 mon grand regret, je ne puis sa-\ntisfaire \u00e0 votre honn\u00eate demande. Je ne suis pas libre ; mon nom \nest un secret que la prudence me conseille de garder avec soin. \n \n\u2013 Vous n\u2019avez rien \u00e0 craindre de moi, reprit Robin ; je suis ce \nque les hommes appellent un proscrit. Du reste, je me sais inca-pable de trahir la confiance d\u2019un c\u0153ur qui s\u2019est repos\u00e9 sur la dis-\ncr\u00e9tion du mien, et je m\u00e9prise la bassesse de celui qui ose r\u00e9v\u00e9ler \nm\u00eame un secret involontairement surpris. Dites-moi votre nom ? \u2013 L\u2019\u00e9tranger h\u00e9sita un instant encore. \u2013 Je serai un ami pour \nvous, ajouta Robin d\u2019un air franc. \n \u2013 J\u2019accepte, r\u00e9pondit l\u2019inconnu. Je m\u2019appelle William Gam-\nwell. Robert jeta un cri. \n \n\u2013 Will ! Will ! le gentil Will \u00c9carlate ! \u2013 Oui. \u2013 Et moi, je suis Robin Hood. \u2013 Robin ! s\u2019\u00e9cria le jeune homme en tombant dans les bras \nde son ami ; ah ! quel bonheur ! \n Les deux jeunes gens s\u2019embrass\u00e8rent avec transport ; puis, \nles regards anim\u00e9s par une indicible joie, ils s\u2019examin\u00e8rent l\u2019un l\u2019autre avec un sentiment de touchante surprise. \n \n\u2013 Et moi qui t\u2019ai menac\u00e9 ! disait Will. \n \u2013 Et moi qui ne t\u2019ai pas reconnu ! ajoutait Robin. \u2013 J\u2019ai voulu te tuer ! s\u2019\u00e9criait Will. \u2013 Je t\u2019ai battu ! continuait Robin en \u00e9clatant de rire. \u2013 10 \u2013 \u2013 Bah ! je n\u2019y pense pas. Donn e-moi vite des nouvelles de\u2026 \nMaude. \n \n\u2013 Maude se porte tr\u00e8s bien. \n \u2013 Est-elle ?\u2026 \u2013 Toujours une charmante fille, qui t\u2019aime, Will, qui n\u2019aime \nque toi au monde ; elle t\u2019a gard \u00e9 son c\u0153ur, elle te donnera sa \nmain. Elle a pleur\u00e9 sur ton absence, la ch\u00e8re cr\u00e9ature ; tu as bien souffert, mon pauvre Will ; mais tu seras heureux si tu aimes en-\ncore la bonne et jolie Maude. \n \u2013 Si je l\u2019aime ! comment peux -tu me demander cela, Robin ? \nAh ! oui, je l\u2019aime, et que Dieu la b\u00e9nisse de ne m\u2019avoir point ou-bli\u00e9 ! Je n\u2019ai jamais cess\u00e9 un seul instant de penser \u00e0 elle, son \nimage ch\u00e9rie accompagnait mon c\u0153 ur et lui donnait des forces : \nelle \u00e9tait le courage du soldat sur le champ de bataille, la consola-t i o n d u p r i s o n n i e r d a n s l e s o m b r e c a c h o t d e l a p r i s o n d \u2019 \u00c9 t a t . Maude, cher Robin, a \u00e9t\u00e9 ma pe ns\u00e9e, mon r\u00eave, mon espoir, mon \navenir. Gr\u00e2ce \u00e0 elle j\u2019ai eu l\u2019\u00e9ner gie de supporter les plus cruelles \nprivations, les plus douloureuses fatigues. Dieu avait mis dans mon c\u0153ur une inalt\u00e9rable confiance en l\u2019avenir ; j\u2019\u00e9tais certain de revoir Maude, de devenir son mari et de passer aupr\u00e8s d\u2019elle les \nderni\u00e8res ann\u00e9es de mon existence. \n \u2013 Ce patient espoir est \u00e0 la veille de se r\u00e9aliser, cher Will, dit \nRobin. \n \n\u2013 Oui, je l\u2019esp\u00e8re, ou pour mieux dire, j\u2019en ai la douce certi-\ntude. Afin de te prouver, ami Robin, combien je pensais \u00e0 cette \nch\u00e8re enfant, je vais te raconter un r\u00eave que j\u2019ai fait en Norman-\ndie ; ce r\u00eave est encore pr\u00e9sent \u00e0 ma pens\u00e9e, et cependant il date \nde pr\u00e8s d\u2019un mois. J\u2019\u00e9tais au fond d\u2019une prison, les bras li\u00e9s, le \ncorps entour\u00e9 de cha\u00eenes, et je voyais Maude \u00e0 quelques pas de moi, p\u00e2le comme une morte et couverte de sang. La pauvre fille tendait vers moi des mains supplian tes, et sa bouche, aux l\u00e8vres \nternies, murmurait des paroles plai ntives dont je ne comprenais \u2013 11 \u2013 pas le sens, mais je voyais qu \u2019elle souffrait horriblement et \nm\u2019appelait \u00e0 son secours. Comme je viens de te le dire, j\u2019\u00e9tais en-\ncha\u00een\u00e9, je me roulais par terre, et, dans mon impuissance, je \nmordais les liens de fer qui compri maient mes bras ; en un mot, \nje tentais des efforts surhumains pour me tra\u00eener jusqu\u2019\u00e0 Maude. \nTout \u00e0 coup les cha\u00eenes qui m\u2019en la\u00e7aient se d\u00e9tendirent douce-\nment, puis elles tomb\u00e8rent. Je bond is sur mes pieds et je courus \u00e0 \nMaude ; je pris sur mon c\u0153ur la pauvre fille ensanglant\u00e9e, je cou-\nvris de baisers ardents ses joues d\u2019une p\u00e2leur blafarde, et peu \u00e0 \npeu, le sang, arr\u00eat\u00e9 dans sa course, se mit \u00e0 circuler avec lenteur \nd\u2019abord, puis ensuite avec une r\u00e9gu larit\u00e9 naturelle. Les l\u00e8vres de \nMaude se color\u00e8rent ; elle ouvrit ses grands yeux noirs, et enve-loppa mon visage d\u2019un regard \u00e0 la fois si reconnaissant et si ten-dre que je me sentis \u00e9mu jusqu\u2019au fond des entrailles ; mon c\u0153ur \nbondit, et je laissai \u00e9chapper de ma poitrine en feu un sourd g\u00e9-\nmissement. Je souffrais et \u00e0 la fois je me trouvais bien heureux. \nLe r\u00e9veil suivit de pr\u00e8s cette poig nante \u00e9motion. Je sautai \u00e0 bas de \nmon lit avec la ferme r\u00e9solution de rentrer en Angleterre. Je vou-\nlais revoir Maude, Maude qui devait \u00eatre malheureuse, Maude qui devait avoir besoin de mon secou rs. Je me rendis sur-le-champ \naupr\u00e8s de mon capitaine ; cet homme avait \u00e9t\u00e9 l\u2019intendant de mon p\u00e8re, et je me croyais en droit d\u2019 attendre de lui une efficace pro-\ntection. Je lui exposai, non la cause du d\u00e9sir que j\u2019avais de rentrer en Angleterre, il aurait ri de mon inqui\u00e9tude, mais ce d\u00e9sir seu-lement. Il refusa d\u2019un ton fort dur de m\u2019accorder un cong\u00e9 ; ce premier \u00e9chec ne me rebuta pas : j\u2019\u00e9tais pour ainsi dire poss\u00e9d\u00e9 de la rage de revoir Maude, je suppliai cet homme, auquel j\u2019avais \nautrefois donn\u00e9 des ordres, je le conjurai de m\u2019accorder ma de-mande. Vous allez me prendre en piti\u00e9, Robin, ajouta Will la rou-\ngeur au front ; n\u2019importe, je veux tout vous dire. Je me jetai \u00e0 deux genoux devant lui ; ma faiblesse le fit sourire, et d\u2019un coup de pied il me renversa en arri\u00e8r e. Alors, Robin, je me relevai ; \nj\u2019avais mon \u00e9p\u00e9e, je l\u2019arrachai du fourreau, et, sans r\u00e9flexion, sans h\u00e9sitation, je tuai ce mis\u00e9rable. Depuis cette \u00e9poque l\u2019on est \u00e0 ma poursuite ; a-t-on perdu ma trace ? je l\u2019esp\u00e8re. Voil\u00e0 pourquoi, cher Robin, vous prenant pour un \u00e9tranger, je refusais de vous \ndire mon nom, et b\u00e9ni soit le ci el de m\u2019avoir conduit vers vous ! \u2013 12 \u2013 Maintenant parlons de Maude ; elle habite toujours au hall de \nGamwell ? \n \n\u2013 Au hall de Gamwell, cher Will ! r\u00e9p\u00e9ta Robin. Vous ne sa-\nvez donc rien du pass\u00e9 ? \n \n\u2013 Rien. Mais qu\u2019est-il arriv\u00e9 ? vous me faites peur. \n\u2013 Rassurez-vous ; le malheur qui a frapp\u00e9 votre famille est \nen partie r\u00e9par\u00e9, le temps et la r\u00e9signation ont effac\u00e9 toutes les \ntraces d\u2019un fait bien douloureux : le ch\u00e2teau et le village de Gam-well ont \u00e9t\u00e9 d\u00e9truits. \n \u2013 D\u00e9truits ! s\u2019\u00e9cria Will. Bonne sainte Vierge ! et ma m\u00e8re, \nRobin, et mon cher p\u00e8re, et mes pauvres s\u0153urs ? \n \n\u2013 Tout le monde se porte bien, tranquillisez-vous ; votre fa-\nm i l l e h a b i t e B a r n s d a l e . P l u s t a r d j e v o u s r a c o n t e r a i e n d \u00e9 t a i l c e fatal \u00e9v\u00e9nement ; qu\u2019il vous suffise de savoir pour aujourd\u2019hui que \ncette cruelle destruction, qui est l\u2019\u0153uvre des Normands, leur a co\u00fbt\u00e9 bien cher. Nous avons tu\u00e9 les deux tiers des troupes en-voy\u00e9es par le roi Henri. \n \u2013 Par le roi Henri ! exclama William. Puis il ajouta avec une \ncertaine h\u00e9sitation : \n \u2013 Vous \u00eates, m\u2019avez-vous dit, Robin, le premier garde de \ncette for\u00eat, et naturellement aux gages du roi ? \n \n\u2013 Pas tout \u00e0 fait, mon blond cousin, repartit le jeune homme \nen riant. Ce sont les Normands qui paient ma surveillance, c\u2019est-\n\u00e0-dire ceux qui sont riches, car je n\u2019exige rien des pauvres. Je suis en effet gardien de la for\u00eat, mais pour mon propre compte et pour \ncelui de mes joyeux compagnons. En un mot, William, je suis le seigneur de la for\u00eat de Sherwood, et je soutiendrai mes droits et mes privil\u00e8ges contre tous les pr\u00e9tendants. \n \u2013 13 \u2013 \u2013 Je ne vous comprends pas, Robin, dit Will d\u2019un air tout \nsurpris. \n \n\u2013 Je vais m\u2019expliquer plus clairement. En disant cela, Robin \nporta son cor \u00e0 ses l\u00e8vres et en tira trois sons aigus. \u00c0 peine les \nprofondeurs du bois eurent-elles \u00e9t\u00e9 travers\u00e9es par ces notes stri-dentes que William vit sortir du fourr\u00e9, de la clairi\u00e8re, \u00e0 sa droite et \u00e0 sa gauche, une centaine d\u2019 hommes tous \u00e9galement v\u00eatus d\u2019un \ncostume \u00e9l\u00e9gant, et dont la couleu r verte seyait fort bien \u00e0 leur \nmartiale figure. Ces hommes, arm\u00e9s de fl\u00e8ches, de boucliers et d\u2019\u00e9p\u00e9es courtes, vinrent se ranger en silence autour de leur chef. \nWilliam ouvrait de grands yeux \u00e9bahis et regardait Robin d\u2019un air stup\u00e9fait. Le jeune homme s\u2019amus a un instant de la surprise \n\u00e9merveill\u00e9e que causait \u00e0 son cous in l\u2019attitude respectueuse des \nhommes accourus \u00e0 l\u2019appel du cor ; puis, mettant sa main ner-veuse sur l\u2019\u00e9paule de Will, il dit en riant : \n \n\u2013 Mes gar\u00e7ons, voici un homme qui, dans un combat \u00e0 \nl\u2019\u00e9p\u00e9e, m\u2019a fait crier merci. \n \u2013 Lui ! s\u2019\u00e9cri\u00e8rent les hommes en examinant Will avec un vi-\nsible sentiment de curiosit\u00e9. \n \u2013 Oui, il m\u2019a vaincu, et je suis fier de sa victoire, car il pos-\ns\u00e8de une main s\u00fbre et un brave c\u0153ur. \n Petit-Jean, qui paraissait moins ravi que ne l\u2019\u00e9tait Robin de \nl\u2019adresse de William, s\u2019avan\u00e7a au milieu du cercle et dit au jeune homme : \n \u2013 \u00c9tranger, si tu as fait demander gr\u00e2ce au vaillant Robin \nHood, tu dois \u00eatre d\u2019une force sup\u00e9 rieure ; mais il ne sera pas dit \ncependant que tu auras eu la gloi re de battre le chef des joyeux \nhommes de la for\u00eat sans avoir \u00e9t \u00e9 un peu ross\u00e9 par son lieute-\nnant. Je suis tr\u00e8s fort au b\u00e2ton, veux-tu en jouer avec moi ? Si tu parviens \u00e0 me faire crier : Assez ! je te proclamerai la meilleure \nlame de tout le pays. \n \u2013 14 \u2013 \u2013 Mon cher Petit-Jean, dit Robin, je te parie un carquois de \nfl\u00e8ches contre un arc d\u2019if que ce brave gar\u00e7on sera vainqueur une \nfois encore. \n \n\u2013 J\u2019accepte le double enjeu, mon ma\u00eetre, r\u00e9pondit Jean, et si \nl\u2019\u00e9tranger remporte le prix, il pourra \u00eatre nomm\u00e9 non seulement la meilleure lame, mais encore le plus adroit b\u00e2tonniste de la joyeuse Angleterre. \n En entendant Robin Hood d\u00e9signer sous le nom de Petit-\nJean le grand jeune homme basan\u00e9 qu\u2019il avait sous les yeux, Will ressentit au c\u0153ur une v\u00e9ritable commotion ; n\u00e9anmoins il n\u2019en laissa rien para\u00eetre. Il compos a son visage, enfon\u00e7a jusqu\u2019aux \nsourcils la toque qui lui couvrait la t\u00eate, et, r\u00e9pondant par un sou-\nrire aux signaux que lui adressait Robin, il salua gravement son adversaire, et, arm\u00e9 de son b\u00e2ton, attendit la premi\u00e8re attaque. \n \n\u2013 Comment, Petit-Jean, s\u2019\u00e9cria Will au moment o\u00f9 le jeune \nhomme allait commencer le combat, vous voulez vous battre avec \nWill \u00c9carlate, avec le gentil William, ainsi que vous aviez l\u2019habitude de le nommer ? \n \u2013 \u00d4 mon Dieu ! exclama Petit-Jean en laissant tomber son \nb\u00e2ton. Cette voix ! ce regard !\u2026 \n Il fit quelques pas, et, tout ch ancelant, s\u2019appuya sur l\u2019\u00e9paule \nde Robin. \n \u2013 Eh bien ! cette voix, c\u2019est la mienne, cousin Jean, cria Will \nen jetant sa toque sur le gazon, regardez-moi. \n Les longs cheveux roux du jeune homme roul\u00e8rent leurs \nboucles soyeuses autour de ses joues, et Petit-Jean, apr\u00e8s avoir regard\u00e9 avec une muette extase la rieuse figure de son cousin, \ns\u2019\u00e9lan\u00e7a vers lui, l\u2019entoura de ses bras, et lui dit avec une expres-sion d\u2019indicible tendresse : \n \u2013 15 \u2013 \u2013 Sois le bienvenu dans la jo yeuse Angleterre, Will, mon cher \nWill, sois le bie nve nu d ans l a d e meure de tes p\u00e8res, toi qui, par \nton retour, y apportes la joie, le bonheur et le contentement. De-\nmain les habitants de Barnsdale seront en f\u00eate, demain ils presse-\nront dans leurs bras celui qu\u2019ils croyaient \u00e0 jamais perdu. L\u2019heure qui te ram\u00e8ne parmi nous est une heure b\u00e9nie du ciel, mon bien-aim\u00e9 Will ; et je suis heureux de\u2026 de\u2026 te revoir\u2026 Il ne faut pas croire, parce que tu vois quelques larmes sur mon visage, que je \nsois un c\u0153ur faible, Will ; non, non, je ne pleure pas, je suis \ncontent, tr\u00e8s content. \n Le pauvre Jean n\u2019en put dire davantage ; ses bras, enlac\u00e9s \nautour de Will, se crois\u00e8rent convul sivement, et il se prit \u00e0 pleurer \nen silence. \n William partageait la satisfaction \u00e9mue de son cousin, et Ro-\nbin Hood les laissa un instant dans les bras l\u2019un de l\u2019autre. \n \nCette premi\u00e8re \u00e9motion calm\u00e9e, Petit-Jean raconta \u00e0 Will, le \nplus bri\u00e8vement possible, les p\u00e9rip\u00e9ties de l\u2019affreuse catastrophe qui avait chass\u00e9 sa famille du hall de Gamwell. Ce r\u00e9cit achev\u00e9, Robin et Jean conduisirent Will aux diff\u00e9rentes retraites que la bande s\u2019\u00e9tait construites dans le bois, et, sur la demande du jeune \nhomme, il fut enr\u00f4l\u00e9 dans la troupe avec le titre de lieutenant, ce qui le pla\u00e7ait au m\u00eame rang que Petit-Jean. \n Le lendemain matin, Will t\u00e9moig na le d\u00e9sir de se rendre \u00e0 \nBarnsdale. Ce d\u00e9sir si naturel fu t parfaitement compris de Robin, \nqui se disposa sur-le-champ \u00e0 ac compagner le jeune homme ainsi \nque Petit-Jean. Depuis l\u2019avant-veille, les fr\u00e8res de Will \u00e9taient \u00e0 Barnsdale, o\u00f9 l\u2019on pr\u00e9parait une f\u00eate pour c\u00e9l\u00e9brer l\u2019anniversaire \nde la naissance de sir Guy. Le retour de William allait faire de cette f\u00eate une grande r\u00e9jouissance. \n Apr\u00e8s avoir donn\u00e9 des ordres \u00e0 ses hommes, Robin Hood et \nses deux amis prirent le chemin de Mansfeld, o\u00f9 ils devaient trouver des chevaux. La route se fit gaiement. Robin chantait de \nsa voix juste et harmonieuse ses pl us jolies ballades, et Will, ivre \u2013 16 \u2013 de joie, bondissait \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s en r\u00e9p\u00e9tant \u00e0 tort et \u00e0 travers le re-\nfrain des chansons. Petit-Jean m\u00eame hasardait quelquefois une \nfausse note, et Will riait aux \u00e9clats , et Robin partageait l\u2019hilarit\u00e9 \nde Will. Si un \u00e9tranger e\u00fbt aper\u00e7u nos amis, bien certainement la \npens\u00e9e lui serait venue qu\u2019il avait sous les yeux les convives rassa-\nsi\u00e9s de quelque h\u00f4te g\u00e9n\u00e9reux, ta nt il est vrai que l\u2019ivresse du \nc\u0153ur peut ressembler \u00e0 l\u2019ivresse que donne le vin. \n \nArriv\u00e9s \u00e0 quelque distance de Mansfeld, leur turbulente gaie-\nt\u00e9 fut soudain suspendue. Trois hommes costum\u00e9s en forestiers \ns\u2019\u00e9lanc\u00e8rent d\u2019un massif et se plac \u00e8rent, d\u2019un air r\u00e9solu \u00e0 leur bar-\nrer le passage, sur le chemin qu\u2019ils suivaient. \n Robin Hood et ses compagnons s\u2019arr\u00eat\u00e8rent un instant, puis \nle jeune homme examina les \u00e9trangers et leur demanda d\u2019un ton imp\u00e9rieux : \n \n\u2013 Qui \u00eates-vous ? et que faites-vous ici ? \u2013 J\u2019allais justement vous adresser les m\u00eames questions re-\npartit un des trois hommes, robuste gaillard aux \u00e9paules carr\u00e9es, et qui, arm\u00e9 d\u2019un b\u00e2ton et d\u2019un cimeterre, paraissait fort en \u00e9tat \nde r\u00e9sister \u00e0 une attaque. \n \u2013 En v\u00e9rit\u00e9 ? r\u00e9pondit Robin. Eh bien ! je suis tr\u00e8s heureux \nde vous avoir \u00e9pargn\u00e9 cette peine ; car si vous vous \u00e9tiez permis \nde me faire une aussi impertinente demande, il est probable que je vous eusse r\u00e9pondu de mani\u00e8re \u00e0 vous donner un \u00e9ternel regret \nde votre audace. \n \u2013 Vous parlez fi\u00e8rement, mon gar\u00e7on, riposta le forestier \nd\u2019un ton moqueur. \n \u2013 Moins fi\u00e8rement que je n\u2019au rais agi si vous aviez eu \nl\u2019imprudence de me questionner ; je ne r\u00e9ponds pas, moi, j\u2019interroge. Ainsi, je vous le demande une derni\u00e8re fois, qui \u00eates-vous, et que faites-vous ici ? On dirait vraiment, \u00e0 en juger par votre mine alti\u00e8re, que la for\u00eat de Sherwood est votre propri\u00e9t\u00e9. \u2013 17 \u2013 \n\u2013 Dieu merci, mon gar\u00e7on, tu as une bonne langue. Ah ! tu \nm\u2019accordes la faveur de me promettre une racl\u00e9e si je t\u2019adresse \u00e0 \nmon tour la question que tu m\u2019as faite. C\u2019est superbe ! Mainte-\nnant, jovial \u00e9tranger, je vais te donner une le\u00e7on de courtoisie et \nr\u00e9pondre \u00e0 ta demande. Cela fait, je te ferai conna\u00eetre comment je ch\u00e2tie les sots et les insolents. \n \n\u2013 Soit, r\u00e9pondit gaiement Robin ; dis-moi bien vite ton nom \net tes qualit\u00e9s, puis ensuite tu me battras si tu le peux, je le veux \nbien. \n \u2013 Je suis le gardien de cette partie de la for\u00eat ; mes droits de \nsurveillance s\u2019\u00e9tendent depuis Ma nsfeld jusqu\u2019\u00e0 un large carre-\nfour qui se trouve plac\u00e9 \u00e0 sept milles d\u2019ici. Ces deux hommes sont mes aides. Je tiens ma commission du roi Henri, et par ses or-\ndres, je prot\u00e8ge les daims contre les bandits de votre esp\u00e8ce. Avez-vous compris ? \n \u2013 Parfaitement ; mais si vous \u00eates gardien de la for\u00eat, que \nsuis-je moi, ainsi que mes compagnons ? Jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, je m\u2019\u00e9tais cru le seul homme qui e\u00fbt de s droits \u00e0 ce titre. Il est vrai \nque je ne les tiens pas de la bont\u00e9 du roi Henri, mais bien de ma propre volont\u00e9, qui est tr\u00e8s puissante ici, parce qu\u2019elle s\u2019appelle le droit du plus fort. \n \u2013 Toi le ma\u00eetre surveillant de la for\u00eat de Sherwood ? reprit \nd\u00e9daigneusement le forestier ; tu pl aisantes ! tu es un coquin, et \nrien de plus. \n \u2013 Mon cher ami, reprit vivement Robin, tu cherches \u00e0 m\u2019en \nimposer sur ta valeur personnelle ; tu n\u2019es pas le garde dont tu essaies de prendre les titres vis-\u00e0-vis de moi. Je connais l\u2019homme auquel ils appartiennent. \n \u2013 Ah ! ah ! s\u2019\u00e9cria le garde en riant. Peux-tu me dire son \nnom ? \n \u2013 18 \u2013 \u2013 Certainement. Il s\u2019appelle Jean Cokle ; c\u2019est le gros meu-\nnier de Mansfeld. \n \n\u2013 Je suis son fils, et je porte le nom de Much. \n \u2013 Toi, Much ? Je ne te crois pas. \u2013 Il dit la v\u00e9rit\u00e9, ajouta Petit-Jean ; je le connais de vue. On \nm\u2019a parl\u00e9 de lui comme d\u2019un homme habile \u00e0 manier le b\u00e2ton. \n \u2013 On ne t\u2019a pas menti, forestier, et, si tu me connais, je puis \nen dire autant de toi. Tu as une taille et une figure qu\u2019il est impos-sible d\u2019oublier. \n \u2013 Tu sais mon nom ? demanda le jeune homme. \n\u2013 Oui, ma\u00eetre Jean. \u2013 Moi, je suis Robin Hood, garde Much. \u2013 Je m\u2019en doutais, mon gaillard et je suis enchant\u00e9 de la ren-\ncontre. Une forte r\u00e9compense est promise \u00e0 celui qui mettra la main sur tes \u00e9paules. Je suis tr \u00e8s ambitieux de mon naturel et \ncette r\u00e9compense, qui est une grosse somme, ferait parfaitement mon affaire. J\u2019ai aujourd\u2019hui la chance de pouvoir m\u2019emparer de toi, et je ne veux po int la laisser \u00e9chapper. \n \u2013 Tu auras grandement raison, pourvoyeur de potence, r\u00e9-\npondit Robin d\u2019un ton de m\u00e9pris . Allons, habit bas, la main \u00e0 \nl\u2019\u00e9p\u00e9e ! je suis ton homme. \n \u2013 Arr\u00eatez ! cria Petit-Jean. Much est plus expert \u00e0 manier le \nb\u00e2ton qu\u2019\u00e0 tirer l\u2019\u00e9p\u00e9e ; battons-nou s trois contre trois. Je prends \nMuch ; Robin et toi, William, prenez les autres, la partie sera plus \u00e9gale. \n \u2013 19 \u2013 \u2013 J\u2019accepte, r\u00e9pondit le garde, car il ne sera pas dit que \nMuch, le fils du meunier de Mans feld, ait fui devant Hood et ses \njoyeux hommes. \n \n\u2013 Bien r\u00e9pondu ! cria Robin. Allons, Petit-Jean, prenez \nMuch, puisque vous le d\u00e9sirez pour adversaire ; quant \u00e0 moi, je prends ce robuste gaillard. Es-tu content de te battre avec moi ? demanda Robin \u00e0 l\u2019homme que le hasard lui avait donn\u00e9 pour \npartenaire. \n \u2013 Tr\u00e8s content, brave proscrit. \u2013 Alors, commen\u00e7ons, et que la sainte m\u00e8re de Dieu accorde \nla victoire \u00e0 ceux qui m\u00e9ritent son appui ! \n \u2013 Amen ! dit Petit-Jean. La Vierge sainte n\u2019abandonne ja-\nmais le faible \u00e0 l\u2019heure du besoin. \n \n\u2013 Elle n\u2019abandonne personne, dit Much. \u2013 Personne, dit Robin en faisant le signe de la croix. Les pr\u00e9paratifs du combat joyeusement termin\u00e9s, Petit-Jean \ncria d\u2019une voix forte : \n \u2013 Commen\u00e7ons. \u2013 Commen\u00e7ons, r\u00e9p\u00e9t\u00e8rent Will et Robin. \nUne vieille ballade, qui a consac r\u00e9 le souvenir de ce m\u00e9mo-\nrable combat, le raconte ainsi : \n \nC\u2019\u00e9tait pendant une belle jour n\u00e9e du beau milieu de l\u2019\u00e9t\u00e9 \nQu\u2019ils se mirent \u00e0 l\u2019\u0153uvre courageux et fermes. \nIls se battirent depuis huit heures du matin jusqu\u2019\u00e0 midi ; \nIls se battirent sans faillir et sans s\u2019arr\u00eater. \nRobin, Will et Petit-Jean combattirent avec vaillance ; \u2013 20 \u2013 Ils ne donn\u00e8rent point \u00e0 leurs adversaires la possibilit\u00e9 de les \nblesser. \n \n\u2013 Petit-Jean, dit Much tout haletant et apr\u00e8s avoir demand\u00e9 \nquartier, je connaissais depuis lo ngtemps ta vaillante adresse, et \nje d\u00e9sirais entrer en lutte avec toi. Mon d\u00e9sir est accompli, tu m\u2019as \nvaincu, et ton triomphe me donne une le\u00e7on de modestie qui me sera salutaire. Je me croyais un bon jouteur, et tu viens de \nm\u2019apprendre que je n\u2019\u00e9tais qu\u2019un sot. \n \u2013 Tu es un excellent jouteur, ami Much, r\u00e9pondit Petit-Jean \nen serrant la main que lui tendait le garde, et tu m\u00e9rites ta r\u00e9pu-\ntation de bravoure. \n \u2013 Je te remercie du compliment, forestier, repartit Much ; \nmais je le crois plus poli que si nc\u00e8re. Tu supposes peut-\u00eatre que \nma vanit\u00e9 souffre d\u2019une d\u00e9faite in attendue ? d\u00e9trompe-toi ; je ne \nsuis point mortifi\u00e9 d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 ba ttu par un homme de ta valeur. \n \n\u2013 Bravement dit, vaillant fils de meunier ! cria gaiement Ro-\nbin. Tu donnes la preuve que tu poss\u00e8des la plus enviable des ri-\nchesses, un bon c\u0153ur et une \u00e2me saxonne. Il n\u2019y a qu\u2019un honn\u00eate homme qui puisse accepter gaieme nt et sans la moindre rancune \nun \u00e9chec blessant pour son am our-propre. Donne-moi ta main, \nM u c h , e t p a r d o n n e - m o i l e n o m d o n t j e t \u2019 a i q u a l i f i \u00e9 l o r s q u e t u m\u2019as fait le confident de ton ambitieuse convoitise. Je ne te connaissais pas, et mon m\u00e9pris \u00e9tait adress\u00e9, non \u00e0 ta personne, mais seulement \u00e0 tes paroles. Veux-tu accepter un verre de vin du Rhin ? nous le boirons \u00e0 notre heureuse rencontre et \u00e0 notre fu-\nture amiti\u00e9. \n \n\u2013 Voici ma main, Robin Hood, je te l\u2019offre de bon c\u0153ur. J\u2019ai \nentendu parler de toi avec \u00e9loge. Je sais que tu es un noble pros-crit, et que tu \u00e9tends sur les pau vres une g\u00e9n\u00e9reuse protection. Tu \nes aim\u00e9 m\u00eame de ceux qui devraient te ha\u00efr, des Normands tes ennemis. Ils parlent de toi avec estime, et je n\u2019ai jamais entendu personne porter contre tes actes un bl\u00e2me s\u00e9rieux. On t\u2019a d\u00e9pouil-\u2013 21 \u2013 l\u00e9 de tes biens, on t\u2019a banni ; tu dois \u00eatre cher aux honn\u00eates gens, \nparce que le malheur s\u2019est fait l\u2019h\u00f4te de ta demeure. \n \n\u2013 Merci pour ces bonnes paroles, ami Much ; je ne les ou-\nblierai pas, et je veux que tu m\u2019a ccordes le plaisir de ta compagnie \njusqu\u2019\u00e0 Mansfeld. \n \n\u2013 Je suis tout \u00e0 toi, Robin, r\u00e9pondit Much. \n \n\u2013 Et moi aussi, dit l\u2019homme qui s\u2019\u00e9tait battu avec Robin. \u2013 Et moi de m\u00eame, ajouta l\u2019adversaire de Will. Ils se dirig\u00e8rent ensemble vers la ville, causant et riant et les \nbras enlac\u00e9s. \n \n\u2013 Mon cher Much, demanda Robin Hood en entrant dans \nMansfeld, vos amis sont-ils prudents ? \n \u2013 Pourquoi cette question ? \u2013 Parce que leur silence est n\u00e9cessaire \u00e0 ma s\u00e9curit\u00e9. Comme \nvous devez bien le penser, je vien s ici incognito, et si un mot in-\ndiscret faisait conna\u00eetre \u00e0 quelqu\u2019un ma pr\u00e9sence dans une au-berge de Mansfeld, le logis de mon h\u00f4telier serait promptement entour\u00e9 de soldats, et je serais oblig\u00e9 ou de fuir ou de me battre. Ni la fuite ni le combat ne me seraient agr\u00e9ables aujourd\u2019hui ; je \nsuis attendu dans le Yorkshire, et je d\u00e9sire ne point retarder mon d\u00e9part. \n \u2013 Je vous r\u00e9ponds de la discr\u00e9 tion de mes camarades. Quant \n\u00e0 l a m i e n n e , v o u s n e p o u v e z l a m e t t r e e n d o u t e ; m a i s j e c r o i s , mon cher Robin, que vous vous ex ag\u00e9rez le danger. La curiosit\u00e9 \ndes citoyens de Mansfeld serait seule \u00e0 craindre ; ils accourraient sur vos pas, tant ils seraient jaloux de voir de leurs propres yeux le c\u00e9l\u00e8bre Robin Hood, le h\u00e9ros de toutes les ballades que chan-tent les jeunes filles. \n \u2013 22 \u2013 \u2013 Le pauvre proscrit, voulez-v ous dire, ma\u00eetre Much, reprit \nle jeune homme d\u2019un ton amer ; ne craignez pas de me nommer \nainsi ; la honte de ce nom ne retombe pas sur moi, mais bien sur \nla t\u00eate de celui qui a prononc\u00e9 un arr\u00eat aussi cruel qu\u2019il est in-\njuste. \n \n\u2013 Bien, mon ami ; mais quel que soit le nom qui se trouve at-\ntach\u00e9 au v\u00f4tre, on l\u2019aime, on le respecte. Robin Hood serra les \nmains du brave gar\u00e7on. \n Ils gagn\u00e8rent sans attirer l\u2019a ttention une auberge retir\u00e9e de \nla ville et s\u2019install\u00e8rent gaieme nt autour d\u2019une table que l\u2019h\u00f4te \ncouvrit bient\u00f4t d\u2019une demi-douzain e de bouteilles aux cols allon-\ng\u00e9s, pleines de ce bon vin du Rhin qui d\u00e9lie la langue et ouvre le \nc\u0153ur. \n \nLes bouteilles se succ\u00e9d\u00e8rent rapidement, et la conversation \ndevint si expansive et si confiant e que Much \u00e9prouva le d\u00e9sir de la \nprolonger ind\u00e9finiment. En cons\u00e9quence, il proposa \u00e0 Robin Hood d\u2019entrer dans sa bande ; le s camarades de Much, ensorcel\u00e9s \npar les joyeuses descriptions d\u2019 une existence ind\u00e9pendante sous \nles grands arbres de la for\u00eat de Sherwood, suivirent l\u2019exemple donn\u00e9 par leur chef, et s\u2019engag\u00e8rent du c\u0153ur et des l\u00e8vres \u00e0 suivre Robin Hood. Celui-ci accepta l\u2019 affectueuse proposition qui lui \n\u00e9tait faite, et Much, qui voulait partir sur-le-champ, demanda \u00e0 son nouveau chef la permission d\u2019aller faire ses adieux \u00e0 toute sa famille. Petit-Jean devait attendre son retour, conduire les trois hommes \u00e0 la retraite de la for\u00eat, les y installer et reprendre le chemin de Barnsdale, o\u00f9 il trouverait William et Robin. \n Ces divers arrangements arr\u00eat\u00e9s, la conversation prit un au-\ntre cours. \n Quelques minutes avant l\u2019heure de leur d\u00e9part de l\u2019auberge, \ndeux hommes entr\u00e8rent dans la salle o\u00f9 ils \u00e9taient install\u00e9s. Le \npremier de ces hommes jeta d\u2019abord un coup d\u2019\u0153il rapide sur Ro-\nbin Hood, regarda Petit-Jean, et arr\u00eata son attention sur Will \u00c9carlate. Cette attention fut si vi v e e t s i t e n a c e q u e l e j e u n e \u2013 23 \u2013 homme s\u2019en aper\u00e7ut ; il allait in terroger le nouveau venu lorsque \ncelui-ci, s\u2019apercevant qu\u2019il avait soulev\u00e9 un sentiment \nd\u2019inqui\u00e9tude dans l\u2019esprit du jeune homme, d\u00e9tourna les yeux, \navala d\u2019un trait le verre de vin qu\u2019il s\u2019\u00e9tait fait servir, et sortit de la \nsalle avec son compagnon. \n Trop absorb\u00e9 par la joie que lu i causait l\u2019esp\u00e9rance de voir \nMaude avant la nuit, Will n\u00e9gligea de communiquer \u00e0 ses cousins \nce qui venait de se passer, et il monta \u00e0 cheval avec Robin Hood sans songer \u00e0 lui rien dire. Chemin faisant, les deux amis se trac\u00e8-\nrent un plan de conduite pour l\u2019entr\u00e9e de William au ch\u00e2teau. \n Robin voulait y para\u00eetre et pr\u00e9parer la famille \u00e0 la venue de \nWill ; mais l\u2019impatient gar\u00e7on ne voulait point accepter cet arran-gement. \n \n\u2013 M o n c h e r R o b i n , d i s a i t - i l , n e m e l a i s s e z p a s s e u l ; m o n \n\u00e9motion est si grande qu\u2019il me serait impossible de rester silen-cieux et tranquille \u00e0 quelques pas de la maison de mon p\u00e8re. Je suis tellement chang\u00e9, et mon visage porte des traces si visibles d\u2019une cruelle existence, qu\u2019il n\u2019y a point \u00e0 craindre que ma m\u00e8re me reconnaisse au premier coup d\u2019\u0153il. \n Pr\u00e9sentez-moi comme un \u00e9tranger, comme un ami de Will ; \nj\u2019aurai ainsi le bonheur de voir mes chers parents plus t\u00f4t, et de me faire reconna\u00eetre lorsqu\u2019ils auront \u00e9t\u00e9 pr\u00e9par\u00e9s \u00e0 ma venue. \n Robin c\u00e9da au d\u00e9sir de William, et les deux jeunes gens se \npr\u00e9sent\u00e8rent ensemble au ch\u00e2teau de Barnsdale. \n Toute la famille \u00e9tait r\u00e9unie da ns la salle. Robin fut re\u00e7u \u00e0 \nbras ouverts, et le baronnet adressa \u00e0 celui qu\u2019il prenait pour un \u00e9tranger les offres cordiales d\u2019une affectueuse hospitalit\u00e9. \n Winifred et Barbara s\u2019assirent aupr\u00e8s de Robin et \nl\u2019accabl\u00e8rent de questions ; car, d\u2019habitude, il \u00e9tait pour les jeunes filles l\u2019\u00e9cho des nouvelles du dehors. \n \u2013 24 \u2013 L\u2019absence de Maude et de Marianne mit Robin \u00e0 son aise. \nAussi, apr\u00e8s avoir r\u00e9pondu aux dema ndes de ses cousines, il se \nleva et dit en se tournant vers sir Guy : \n \n\u2013 Mon oncle, j\u2019ai de bonnes nouvelles \u00e0 vous donner, des \nnouvelles qui vous rendront fort joyeux. \n \u2013 Votre visite est d\u00e9j\u00e0 une grande satisfaction pour mon \nvieux c\u0153ur, Robin Hood, r\u00e9pondit le vieillard. \n \u2013 Robin Hood est un messager du ciel ! cria la jolie Barbara \nen secouant d\u2019un air mutin les grappes blondes de ses beaux che-veux. \n \u2013 \u00c0 ma prochaine visite, Barby, r\u00e9pondit gaiement Robin, je \nserai un messager de l\u2019amour : je vous apporterai un mari. \n \n\u2013 Je le recevrai avec beaucoup de plaisir, Robin, r\u00e9partit la \njeune fille en riant. \n \u2013 Vous ferez tr\u00e8s bien, ma cous ine, car il sera digne de ce \ngracieux accueil. Je ne veux point vous faire son portrait, et je me contenterai de vous dire que, aussit\u00f4t que vos beaux yeux se se-ront repos\u00e9s sur lui, vous direz \u00e0 Winifred : Ma s\u0153ur, voil\u00e0 celui qui convient \u00e0 Barbara Gamwell. \n \u2013 \u00cates-vous bien s\u00fbr de cela, Robin ? \u2013 Parfaitement s\u00fbr, charmante espi\u00e8gle. \n \n\u2013 Ah ! pour en d\u00e9cider, il faut \u00eatre en pleine connaissance de \ncause, Robin. Sans le laisser voir, je suis tr\u00e8s difficile moi, et, pour r\u00e9ussir \u00e0 me plaire il faut qu\u2019un jeune homme soit tr\u00e8s gentil. \n \u2013 Qu\u2019appelez-vous \u00eatre tr\u00e8s gentil ? \u2013 Vous ressembler, mon cousin. \u2013 25 \u2013 \u2013 Flatteuse ! \n \u2013 Je dis ce que je pense, tant pis si ma r\u00e9ponse vous semble \nune flatterie. Et je d\u00e9sire non seulement que mon mari soit beau \ncomme vous l\u2019\u00eates, mais encore qu\u2019il ait votre esprit et votre c\u0153ur. \n \u2013 Je vous plairais donc, Barbara ? \n\u2013 Certainement, vous \u00eates tout \u00e0 fait \u00e0 mon go\u00fbt. \n \u2013 Je suis \u00e0 la fois tr\u00e8s heureux et tr\u00e8s pein\u00e9 d\u2019avoir ce bon-\nheur, ma cousine ; mais, h\u00e9las ! si vous nourrissez secr\u00e8tement l\u2019espoir de ma conqu\u00eate, permettez-moi de d\u00e9plorer votre folie. Je suis engag\u00e9, Barbara, engag\u00e9 avec deux personnes. \n \u2013 Je connais ces deux personnes, Robin. \n \u2013 Vraiment ? ma cousine. \u2013 Oui, et si je voulais dire leurs noms\u2026 \u2013 Ah ! je vous en prie, ne trahissez pas mon secret, miss Bar-\nbara. \n \u2013 Soyez sans crainte, je d\u00e9sire m\u00e9nager votre modestie ; mais \npour en revenir \u00e0 moi, cher Robin, je consens, s\u2019il vous est agr\u00e9a-ble de m\u2019octroyer cette faveur, d\u2019\u00eatre la troisi\u00e8me de vos fianc\u00e9es et m\u00eame la quatri\u00e8me, car je pr\u00e9sume qu\u2019il existe pour le moins trois jeunes filles qui attendent le bonheur de porter votre illustre \nnom. \n \n\u2013 Petite moqueuse ! dit le jeune homme en riant, vous ne \nm\u00e9ritez pas l\u2019amiti\u00e9 que je vous porte. N\u00e9anmoins, je tiendrai ma promesse, et sous peu de jours, je vous am\u00e8nerai un charmant cavalier. \n \u2013 Si votre prot\u00e9g\u00e9 n\u2019est pas jeun e, spirituel et beau, je n\u2019en \nveux pas, Robin ; souvenez-vous bien de cela. \u2013 26 \u2013 \n\u2013 Il est tout ce que vous d\u00e9sirez qu\u2019il soit. \n\u2013 Fort bien. Maintenant, dites-nous la nouvelle que vous \n\u00e9tiez sur le point d\u2019annoncer \u00e0 mon p\u00e8re avant de songer \u00e0 \nm\u2019offrir un mari. \n \u2013 Miss Barbara, j\u2019allais apprendr e \u00e0 mon oncle, \u00e0 ma tante, \u00e0 \nvous \u00e9galement, ch\u00e8re Winifred, que j\u2019avais entendu parler d\u2019une \npersonne bien ch\u00e8re \u00e0 nos c\u0153urs. \n \u2013 De mon fr\u00e8re Will ? dit Barbara. \u2013 Oui, ma cousine. \u2013 Ah ! quel bonheur ! Eh bien ? \n \u2013 Eh bien ! ce jeune homme qui vous regarde d\u2019un air tout \nembarrass\u00e9, tant il est heureux de se trouver en pr\u00e9sence d\u2019une aussi charmante fille, a vu William, il y a quelques jours. \n \u2013 Mon fils est-il en bonne sant\u00e9 ? demanda sir Guy d\u2019une \nvoix tremblante. \n \u2013 Est-il heureux ? interrogea lady Gamwell en joignant les \nmains. \n \u2013 O\u00f9 est-il ? ajouta Winifred. \n\u2013 Quelle est la raison qui le re tient loin de nous ? dit Barbara \nen attachant ses yeux pleins de larmes sur le visage du compa-\ngnon de Robin Hood. \n \nLe pauvre William, la gorge en fe u, le c\u0153ur gonfl\u00e9, \u00e9tait in-\ncapable de prononcer une seule parole. Une minute de silence \nsucc\u00e9da aux pressantes questions qui venaient d\u2019\u00eatre faites. Bar-\nbara continuait pensivement de regarder le jeune homme. Tout \u00e0 \u2013 27 \u2013 coup elle jeta un cri, s\u2019\u00e9lan\u00e7a vers l\u2019\u00e9tranger, et, l\u2019entourant de ses \nbras, dit au milieu de ses sanglots : \n \n\u2013 C\u2019est Will ! c\u2019est Will ! je le reconnais. Cher Will, combien \nje suis heureuse de te voir ! Et, la t\u00eate appuy\u00e9e sur l\u2019\u00e9paule de son \nfr\u00e8re, la jeune fille se prit convulsivement \u00e0 pleurer. \n Lady Gamwell, ses fils, Winifred et Barbara entour\u00e8rent le \njeune homme, et sir Guy, tout en essayant de para\u00eetre calme, tomba sur un fauteuil et se laissa aller \u00e0 pleurer comme un en-fant. \n Les jeunes fr\u00e8res de Will semb laient ivres de bonheur. Apr\u00e8s \navoir jet\u00e9 un hourra formidable, ils enlev\u00e8rent William sur leurs \nrobustes bras, et l\u2019embrass\u00e8rent en l\u2019\u00e9touffant un peu. \n \nRobin profita de l\u2019inattention g\u00e9 n\u00e9rale pour sortir du salon \net se rendre \u00e0 l\u2019appartement de Maude. La sant\u00e9 de miss Lindsay, qui \u00e9tait fort d\u00e9licate, demandait de grands m\u00e9nagements, et il e\u00fbt peut-\u00eatre \u00e9t\u00e9 dangereux de lui annoncer \u00e0 l\u2019improviste le re-\ntour de William. \n En traversant une pi\u00e8ce qui avoi sinait la chambre de Maude, \nRobin rencontra Marianne. \n \u2013 Que se passe-t-il au ch\u00e2teau, cher Robin ? demanda la \njeune fille apr\u00e8s avoir re\u00e7u les tendres compliments de son fianc\u00e9. Je viens d\u2019entendre des cris qui me semblent bien joyeux. \n \n\u2013 Et qui le sont en effet, ch\u00e8re Marianne, car ils c\u00e9l\u00e8brent un \nretour ardemment d\u00e9sir\u00e9. \n \n\u2013 Quel retour ? demanda la jeun e fille d\u2019une voix tremblante. \nEst-ce celui de mon fr\u00e8re ? \n \u2013 H\u00e9las ! non, ch\u00e8re Marianne, r\u00e9pondit Robin en prenant \nles mains de la jeune fille, ce n\u2019es t pas encore Allan que Dieu nous \u2013 28 \u2013 envoie, mais Will ; vous vous ra ppelez bien de Will \u00c9carlate, du \ngentil William ? \n \n\u2013 Certainement, et je suis tr\u00e8s heureuse de le savoir revenu \nen bonne sant\u00e9. O\u00f9 est-il ? \n \n\u2013 Dans les bras de sa m\u00e8re ; je suis sorti de la salle au mo-\nment o\u00f9 ses fr\u00e8res se disputaient ses caresses. Je vais \u00e0 la recher-\nche de Maude. \n \n\u2013 Elle est dans sa chambre. Vo ulez-vous que je lui fasse dire \nde descendre ? \n \u2013 Non, je vais monter aupr\u00e8s d\u2019 elle, car il faut pr\u00e9parer cette \npauvre enfant \u00e0 recevoir la visite de William. La mission dont je me charge est fort difficile \u00e0 remplir, ajouta Robin en riant ; car je \nconnais beaucoup mieux les labyrinthes de la for\u00eat de Sherwood que les replis myst\u00e9rieux du c\u0153ur des femmes. \n \u2013 Ne faites pas le modeste, messire Robin, r\u00e9pondit Ma-\nrianne avec gaiet\u00e9 ; vous co nnaissez mieux que personne com-\nment il faut s\u2019y prendre pour p\u00e9n\u00e9trer dans le c\u0153ur d\u2019une femme. \n \u2013 En v\u00e9rit\u00e9, Marianne, je crois que mes cousines, Maude et \nv o u s , a v e z f a i t u n p a c t e p o u r t \u00e2 c h e r d e m e r e n d r e o r g u e i l l e u x ; vous me comblez \u00e0 l\u2019envi de compliments flatteurs. \n \u2013 Sans nul doute, sir Robin, di t Marianne en faisant au jeune \nhomme un signe de menace, vous attirez \u00e0 plaisir les amabilit\u00e9s \nde Winifred et de Barbara. Ah ! vous \u00eates en coquetterie avec vos \ncousines ; c\u2019est fort bien, je suis enchant\u00e9e de l\u2019apprendre, et je \nvais \u00e0 mon tour essayer sur le c\u0153 ur du beau Will \u00c9carlate le pou-\nvoir de mes yeux. \n \u2013 J\u2019y consens, ch\u00e8re Marianne ; mais je dois vous avertir que \nvous aurez \u00e0 combattre une riva le dangereuse. Maude est ar-\ndemment aim\u00e9e ; elle d\u00e9fendra son bonheur, et le pauvre Will rougira fort d\u2019\u00eatre plac\u00e9 ainsi entre deux charmantes femmes. \u2013 29 \u2013 \n\u2013 Si William ne sait pas mieux rougir que vous, Robin, je n\u2019ai \npas \u00e0 craindre de lui faire \u00e9prouver cette embarrassante \u00e9motion. \n \n\u2013 Ah ! ah ! dit Robin en riant, vous pr\u00e9tendez, miss Ma-\nrianne, que je ne sais pas rougir ? \n \u2013 Du moins vous ne savez plus, ce qui est bien diff\u00e9rent ; une \nfois, je m\u2019en souviens encore, un pourpre \u00e9clatant a nuanc\u00e9 vos joues. \n \u2013 \u00c0 quelle \u00e9poque ce m\u00e9morable \u00e9v\u00e9nement a-t-il eu lieu ? \u2013 Le premier jour de notre rencontre dans la for\u00eat de Sher-\nwood. \n \n\u2013 Voulez-vous me permettre de vous dire pourquoi j\u2019ai rougi, \nMarianne ? \n \u2013 Je crains de vous r\u00e9pondre affirmativement, Robin, car je \nvois poindre dans vos yeux une expression de raillerie, et vos l\u00e8-vres \u00e9bauchent un m\u00e9chant sourire. \n \u2013 Vous redoutez ma r\u00e9ponse, et cependant vous l\u2019attendez \navec impatience, miss Marianne. \n \u2013 Pas le moins du monde. \u2013 Tant pis, alors, car je croyai s vous \u00eatre agr\u00e9able en vous r\u00e9-\nv\u00e9lant le secret de ma premi\u00e8re\u2026 et de ma derni\u00e8re rougeur\u2026 \n \u2013 Vous m\u2019\u00eates toujours agr\u00e9able en me parlant de choses qui \nvous concernent, Robin, dit Marianne en souriant. \n \u2013 Le jour o\u00f9 j\u2019eus le bonheur de vous conduire \u00e0 la maison de \nmon p\u00e8re, j\u2019\u00e9prouvai un tr\u00e8s vif d\u00e9sir de voir votre visage, qui, \nenvelopp\u00e9 dans les plis d\u2019un larg e capuchon, ne me laissait voir \nque la limpide clart\u00e9 de vos yeux. Je me disais en moi-m\u00eame, tout \u2013 30 \u2013 en marchant \u00e0 vos c\u00f4t\u00e9s d\u2019un air fort modeste : \u00ab Si cette jeune \nfille a les traits aussi beaux que son regard, je lui ferai la cour. \u00bb \n \n\u2013 Comment, Robin, \u00e0 seize ans vous songiez \u00e0 vous faire ai-\nmer d\u2019une femme ! \n \n\u2013 Mon Dieu ! oui, et, au moment o\u00f9 je projetais de vous \nconsacrer ma vie enti\u00e8re, votre adorable visage, d\u00e9gag\u00e9 du som-\nbre voile qui le d\u00e9robait \u00e0 mes ye ux, apparut dans toute sa ra-\ndieuse splendeur. Mon regard \u00e9tait si ardemment suspendu au v\u00f4tre qu\u2019une nuance de pourpre en vahit vos joues. Une voix int\u00e9-\nrieure me cria : \u00ab Cette jeune fille sera ta femme. \u00bb Le sang qui \navait reflu\u00e9 vers mon c\u0153ur monta jusqu\u2019\u00e0 ma figure, et je sentis que j\u2019allais vous aimer. Voil\u00e0, ch\u00e8re Marianne, l\u2019histoire de ma premi\u00e8re et de ma derni\u00e8re rougeu r. Depuis ce jour-l\u00e0, continua \nRobin apr\u00e8s un moment de silence \u00e9mu, cet espoir, tomb\u00e9 du ciel \ncomme la promesse d\u2019un heureux av enir, s\u2019est fait le consolateur \net l\u2019appui de mon existence. J\u2019esp\u00e8re et je crois. \n \nUne clameur joyeuse monta du salon jusqu\u2019\u00e0 la pi\u00e8ce o\u00f9, les \nmains enlac\u00e9es et causant tout bas, les deux jeunes gens conti-nuaient d\u2019\u00e9changer les plus tendres paroles. \n \u2013 Vite, cher Robin, dit Marianne en pr\u00e9sentant son beau \nfront aux l\u00e8vres du jeune homme, montez \u00e0 l\u2019appartement de Maude ; moi je vais embrasser Will et lui dire que vous \u00eates au-pr\u00e8s de sa ch\u00e8re fianc\u00e9e. \n Robin gagna rapidement la chambre de Maude et y trouva la \njeune fille. \n \u2013 J\u2019\u00e9tais presque certaine d\u2019avoir entendu les cris de joie qui \nannoncent votre arriv\u00e9e, cher Robin, dit-elle en faisant asseoir le \njeune homme ; excusez-moi si je ne suis pas descendue au salon, \nmais je me sens g\u00ean\u00e9e et presque importune au milieu de la satis-faction g\u00e9n\u00e9rale. \n \u2013 Pourquoi cela, Maude ? \u2013 31 \u2013 \n\u2013 Parce que je suis toujours la seule \u00e0 qui vous n\u2019ayez jamais \n\u00e0 apprendre une heureuse nouvelle. \n \n\u2013 Votre tour viendra, ch\u00e8re Maude. \u2013 J\u2019ai perdu le courage d\u2019esp\u00e9rer, Robin, et je me sens d\u2019une \ntristesse mortelle. Je vous aime de tout mon c\u0153ur, je suis heu-\nreuse de vous voir, et cependant je ne vous donne point des preu-\nves de cette affection, et cependant je ne vous t\u00e9moigne pas com-bien votre pr\u00e9sence ici m\u2019est agr\u00e9able, quelquefois m\u00eame, cher Robin, je cherche \u00e0 vous fuir. \n \u2013 \u00c0 me fuir ! s\u2019\u00e9cria le jeune homme d\u2019un ton surpris. \u2013 Oui, Robin, car en vous \u00e9coutant donner \u00e0 sir Guy des nou-\nvelles de ses fils, complimenter Winifred de la part de Petit-Jean, \ndonner \u00e0 Barbara un message de ses fr\u00e8res, je me dis : \u00ab Je suis toujours oubli\u00e9e ; il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 la pauvre Maude que Robin n\u2019a ja-\nmais rien \u00e0 remettre. \u00bb \n \u2013 Jamais rien, Maude ! \u2013 Ah ! je ne parle pas des charmants cadeaux que vous ap-\nportez. Vous en faites toujours \u00e0 votre s\u0153ur Maude une tr\u00e8s large \npart, croyant compenser ainsi le manque de nouvelles. Votre ex-cellent c\u0153ur essaie de toutes les consolations, cher Robin ; h\u00e9las ! je ne puis \u00eatre consol\u00e9e. \n \n\u2013 Vous \u00eates une m\u00e9chante petite fille, miss Maude, dit Robin \nd\u2019un ton railleur. Comment, mademoiselle, vous vous plaignez de \nne jamais recevoir de la part de personne des t\u00e9moignages d\u2019amiti\u00e9, des preuves de bon souv enir ! Comment, vilaine ingrate, \nje ne vous donne pas \u00e0 chacune de mes visites des nouvelles de Nottingham ! Quel est celui qui, au risque de perdre sa t\u00eate, va rendre de fr\u00e9quentes visites \u00e0 votre fr\u00e8re Hal ? Quel est celui qui au risque bien grand encore d\u2019engager une partie de son c\u0153ur, s\u2019expose courageusement au feu meurtrier de deux beaux yeux ? \u2013 32 \u2013 Afin de vous \u00eatre agr\u00e9able, Maude, je brave le danger du t\u00eate-\u00e0-\nt\u00eate avec la ravissante Gr\u00e2ce, je subis le charme de son gracieux sourire, je supporte le contact de sa jolie main, j\u2019embrasse m\u00eame \nson beau front ; et pour qui, je vous le demande, vais-je exposer \nainsi le repos de mon c\u0153ur ? Pour vous, Maude, rien que pour \nvous ? \n Maude se mit \u00e0 rire. \n \n\u2013 Il faut en v\u00e9rit\u00e9 que je sois bien peu reconnaissante de mon \nnaturel, dit-elle, car la satisfac tion que j\u2019\u00e9prouve en vous enten-\ndant parler d\u2019Halbret et de sa fe mme ne suffit point aux d\u00e9sirs de \nmon c\u0153ur. \n \u2013 Tr\u00e8s bien, mademoiselle ; alors je ne vous dirai pas que j\u2019ai \nvu Hal la semaine derni\u00e8re, qu\u2019i l m\u2019a charg\u00e9 de vous embrasser \nsur les deux joues ; je ne vous dirai pas non plus que Gr\u00e2ce vous \naime de toute son \u00e2me, que sa peti te fille Maude, un ange de bon-\nt\u00e9, souhaite le bonheur \u00e0 sa jolie marraine. \n \n\u2013 M i l l e f o i s m e r c i , c h e r R o b i n , p o u r v o t r e c h a r m a n t e m a -\nni\u00e8re de ne rien dire. Je suis tr\u00e8s satisfaite de rester ainsi dans l\u2019ignorance de ce qui se passe \u00e0 Nottingham ; mais, \u00e0 propos, avez-vous fait part \u00e0 Marianne de l\u2019attention que vous accordez \u00e0 la charmante femme d\u2019Halbret ? \n \u2013 Voil\u00e0, par exemple, une malicieuse question, miss Maude. \nEh bien ! pour vous donner la pr euve que ma cons cience n\u2019a point \nde reproches \u00e0 se faire, je vous dirai que j\u2019ai confi\u00e9 \u00e0 Marianne \nune petite partie de mon admiration pour les charmes de la belle \nGr\u00e2ce. Cependant, comme j\u2019ai un faible pour ses yeux, je me suis bien gard\u00e9 d\u2019\u00eatre trop expansif sur un sujet aussi d\u00e9licat. \n \u2013 Eh ! quoi ! vous trompez Marianne ! vous m\u00e9ritez que \nj\u2019aille lui r\u00e9v\u00e9ler \u00e0 l\u2019instant m\u00eame toute l\u2019\u00e9tendue de votre crime. \n \u2013 33 \u2013 \u2013 Nous irons ensemble tout \u00e0 l\u2019heure, je vous offrirai mon \nbras ; mais avant de nous rendre de compagnie aupr\u00e8s de Ma-\nrianne, je d\u00e9sire causer avec vous. \n \n\u2013 Qu\u2019avez-vous \u00e0 me dire, Robin ? \u2013 Des choses charmantes, et qui, j\u2019en suis certain, vous don-\nneront un vif plaisir. \n \u2013 Alors vous avez re\u00e7u des no uvelles de\u2026 de\u2026 Et la jeune \nfille, l\u2019\u0153il interrogateur, les joues subitement color\u00e9es, regardait Robin avec une expression m\u00eal\u00e9e de doute, d\u2019esp\u00e9rance et de joie. \n \u2013 De qui, Maude ? \u2013 Ah ! vous vous moquez de moi, dit tristement la pauvre \nfille. \n \n\u2013 Non, ch\u00e8re petite amie, j\u2019ai vraiment \u00e0 vous apprendre \nquelque chose de tr\u00e8s heureux. \n \u2013 Dites-le-moi bien vite, alors. \u2013 Que pensez-vous d\u2019un mari ? demanda Robin. \u2013 Un mari ! Voil\u00e0 une \u00e9trange question. \u2013 Pas du tout, si ce mari \u00e9tait\u2026 \n\u2013 Will ! Will ! vous avez entendu parler de Will ? De gr\u00e2ce, \nRobin, ne jouez pas avec mon c\u0153ur. Tenez, il bat avec tant de vio-\nlence qu\u2019il me fait souffrir. Je vous \u00e9coute, parlez, Robin ; ce cher Will est-il bien portant ? \n \u2013 Sans doute, puisqu\u2019il songe \u00e0 vous nommer le plus t\u00f4t pos-\nsible sa ch\u00e8re petite femme. \n \u2013 Vous l\u2019avez vu ? o\u00f9 est-il ? quand viendra-t-il ici ? \u2013 34 \u2013 \n\u2013 Je l\u2019ai vu, il viendra bient\u00f4t. \n\u2013 \u00d4 sainte m\u00e8re de Dieu, je te remercie ! s\u2019\u00e9cria Maude les \nmains jointes et en levant vers le ciel ses yeux remplis de larmes. \nCombien je serai heureuse de le vo ir ! ajouta la jeune fille ; mais\u2026 \ncontinua Maude, l\u2019\u0153il magiquemen t attir\u00e9 vers la porte sur le \nseuil de laquelle un jeune homme se tenait debout, c\u2019est lui ! c\u2019est \nlui ! \n \nMaude jeta un cri de supr\u00eame joie, s\u2019\u00e9lan\u00e7a dans les bras de \nWilliam et perdit connaissance. \n \u2013 Pauvre ch\u00e8re fille ! murmura le jeune homme d\u2019une voix \ntremblante, l\u2019\u00e9motion a \u00e9t\u00e9 trop vi ve, trop inattendue ; elle s\u2019est \n\u00e9vanouie. Robin, soutiens-la un peu, je me sens aussi faible qu\u2019un \nenfant, il m\u2019est impossible de rester debout. \n \nRobin enleva doucement Maude d\u2019entre les bras de Will et la \nporta sur un si\u00e8ge. Quant au pauvr e William, la t\u00eate cach\u00e9e entre \nles mains, il versait d\u2019abondantes larmes. Maude revint \u00e0 elle ; sa premi\u00e8re pens\u00e9e fut pour Will, son premier regard chercha le jeune homme. Celui-ci s\u2019agenouilla tout en pleurs aux pieds de \nMaude ; il entoura de ses bras la taille de son amie, et, d\u2019une voix expressive et tendre, il murmura son nom bien-aim\u00e9. Maude ! Maude ! \n \u2013 William ! cher William ! \n\u2013 J\u2019ai besoin de parler \u00e0 Marianne, dit Robin en riant. Adieu, \nje vous laisse en t\u00eate \u00e0 t\u00eate ; n\u2019 oubliez pas trop ceux qui vous ai-\nment. \n \nMaude tendit la main au jeun e homme, et William lui envoya \nun regard plein de reconnaissance. \n \u2013 Enfin me voil\u00e0 revenu, ch\u00e8re Maude, dit Will ; \u00eates-vous \ncontente de me revoir ? \u2013 35 \u2013 \n\u2013 Comment pouvez-vous m\u2019adresser une pareille question, \nWilliam ? Oh ! oui, je suis contente, mieux que cela, je suis heu-\nreuse, tr\u00e8s heureuse. \n \n\u2013 Vous ne d\u00e9sirez plus m\u2019\u00e9loigner de vous ? \u2013 L\u2019ai-je jamais d\u00e9sir\u00e9 ? \n \n\u2013 Non ; mais il d\u00e9pend de vous seule que ma pr\u00e9sence ici soit \nun s\u00e9jour d\u00e9finitif ou une simple visite. \n \u2013 Que voulez-vous dire ? \u2013 Vous souvient-il de la dern i\u00e8re conversation que nous \navons eue ensemble ? \n \n\u2013 Oui, cher William. \u2013 Je vous quittai le c\u0153ur bien gros ce jour-l\u00e0, ch\u00e8re Maude, \nj\u2019\u00e9tais au d\u00e9sespoir. Robin s\u2019aper\u00e7ut de ma tristesse, et, press\u00e9 par ses questions, je lui en avouai la cause. J\u2019appris ainsi le nom de celui que vous aviez aim\u00e9\u2026 \n \u2013 Ne parlons pas de mes folies de jeune fille, interrompit \nMaude en nouant ses mains autour du cou de William ; le pass\u00e9 \nappartient \u00e0 Dieu. \n \u2013 Oui, ch\u00e8re Maude, \u00e0 Dieu seul, et le pr\u00e9sent \u00e0 nous, n\u2019est-\nce pas ? \n \u2013 Oui, \u00e0 nous et \u00e0 Dieu. Il se rait peut-\u00eatre n\u00e9cessaire pour \nvotre tranquillit\u00e9, cher William, ajouta la jeune fille, que vous \neussiez de mes relations avec Ro bin Hood une id\u00e9e bien claire, \nbien franche et bien arr\u00eat\u00e9e. \n \u2013 36 \u2013 \u2013 Je sais tout ce que je d\u00e9sire savoir, ch\u00e8re Maude ; Robin \nm\u2019a fait part de ce qui s\u2019\u00e9tait pass \u00e9 entre vous et lui. Une l\u00e9g\u00e8re \nrougeur monta au front de la jeune fille. \n \n\u2013 Si votre d\u00e9part e\u00fbt \u00e9t\u00e9 moins prompt, reprit Maude en ap-\npuyant sur l\u2019\u00e9paule du jeune ho mme son visage empourpr\u00e9, vous \neussiez appris que, profond\u00e9me nt touch\u00e9e de la patiente ten-\ndresse de votre amour, je voul ais y r\u00e9pondre. Pendant votre ab-\nsence, je me suis habitu\u00e9e \u00e0 rega rder Robin avec les yeux d\u2019une \ns\u0153ur, et aujourd\u2019hui je me demande, Will, si mon c\u0153ur a jamais battu pour un autre que pour vous. \n \u2013 Alors il est bien vrai que vous m\u2019aimez un peu, Maude ? dit \nWilliam les mains jointes et les yeux humides. \n \u2013 Un peu ! non ; mais beaucoup. \n \u2013 Oh ! Maude, Maude, combien vous me rendez heureux !\u2026 \nVous le voyez, j\u2019avais raison d\u2019esp\u00e9rer, d\u2019attendre, de me montrer p a t i e n t , d e m e d i r e : I l v i e n d r a u n j o u r o \u00f9 j e s e r a i a i m \u00e9 \u2026 N o u s allons nous marier, n\u2019est-ce pas ? \n \u2013 Cher Will ! \u2013 Dites oui, dites mieux encore , dites : Je veux \u00e9pouser mon \nbon William. \n \u2013 Je veux \u00e9pouser mon bon William, r\u00e9p\u00e9ta docilement la \njeune fille. \n \u2013 Donnez-moi votre main, ch\u00e8re Maude. \u2013 La voici. William baisa passionn\u00e9ment la petite main de sa \nfianc\u00e9e. \n \u2013 \u00c0 quand notre mariage, Maude ? demanda-t-il. \u2013 Je ne sais, mon ami, un de ces jours. \u2013 37 \u2013 \n\u2013 S a n s d o u t e , m a i s i l f a u t l e p r \u00e9 c i s e r ; s i n o u s d i s i o n s d e -\nmain ? \n \n\u2013 Demain, Will, vous n\u2019y pensez pas ; c\u2019est impossible ! \u2013 Impossible ! pourquoi cela ? \n\u2013 Parce que c\u2019est trop subit, trop rapide. \n \u2013 Le bonheur n\u2019arrive jamais tr op vite, ch\u00e8re Maude, et si \nnous pouvions nous marier \u00e0 l\u2019in stant m\u00eame, je serais le plus \nheureux des hommes. Puisqu\u2019il faut attendre jusqu\u2019\u00e0 demain, je m\u2019y r\u00e9signe. C\u2019est convenu, n\u2019est-ce pas, demain vous serez ma femme ? \n \n\u2013 Demain ! s\u2019\u00e9cria la jeune fille. \u2013 Oui, et pour deux raisons : la premi\u00e8re, c\u2019est que nous f\u00ea-\ntons l\u2019anniversaire de mon p\u00e8re qui vient d\u2019entrer dans sa soixante-seizi\u00e8me ann\u00e9e ; la seconde, c\u2019est que ma m\u00e8re d\u00e9sire c\u00e9l\u00e9brer mon retour par de grandes r\u00e9jouissances. La f\u00eate sera b i e n p l u s c o m p l \u00e8 t e s i e lle est encore \u00e9gay\u00e9e par \nl\u2019accomplissement de nos mutuels d\u00e9sirs. \n \u2013 Votre famille, cher William, n\u2019est point pr\u00e9par\u00e9e \u00e0 me re-\ncevoir au nombre des siens, et votre p\u00e8re dira peut-\u00eatre\u2026 \n \u2013 Mon p\u00e8re, interrompit Will, mon p\u00e8re dira que vous \u00eates \nun ange, qu\u2019il vous aime, et que depuis longtemps d\u00e9j\u00e0 vous \u00eates \nsa fille. Ah ! Maude, vous ne connaissez pas ce bon et tendre vieil-lard, puisque vous doutez qu\u2019il so it tr\u00e8s heureux du bonheur de \nson fils. \n \u2013 Vous poss\u00e9dez un si grand talent de persuasion, mon cher \nWill, que je me range enti\u00e8rement \u00e0 votre avis. \n \u2013 Ainsi vous consentez, Maude ? \u2013 38 \u2013 \n\u2013 Il le faut, je pr\u00e9sume, cher Will. \n\u2013 Vous n\u2019y \u00eates pas contrainte, miss. \n \u2013 En v\u00e9rit\u00e9, William, vous \u00eates bien difficile \u00e0 satisfaire ; \nsans doute vous pr\u00e9f\u00e9rez m\u2019entend re vous r\u00e9pondre : Je consens \nde tout mon c\u0153ur\u2026 \n \u2013 \u00c0 vous \u00e9pouser demain, ajouta Will. \u2013 \u00c0 vous \u00e9pouser demain, r\u00e9p\u00e9ta Maude en riant. \u2013 Tr\u00e8s bien, je suis content. Venez, ch\u00e8re petite femme ; al-\nlons annoncer \u00e0 nos amis notre prochain mariage. \n \nWilliam prit le bras de Maude, le glissa sous le sien et, tout \nen embrassant la jeune fille, il l\u2019entra\u00eena vers la salle, o\u00f9 toute la \nfamille \u00e9tait encore r\u00e9unie. \n Lady Gamwell et son mari donn\u00e8rent leur b\u00e9n\u00e9diction \u00e0 \nMaude, Winifred et Barbara salu\u00e8rent la jeune fille du doux nom de s\u0153ur, et les fr\u00e8res de Will l\u2019embrass\u00e8rent avec enthousiasme. \n Les pr\u00e9paratifs de la noce occup\u00e8rent les dames, qui, toutes \nanim\u00e9es d\u2019un m\u00eame d\u00e9sir, celui de contribuer au bonheur de Will et \u00e0 la beaut\u00e9 de Maude, se mire nt sur-le-champ \u00e0 composer pour \nla jeune fille une charmante toilette. \n \nLe lendemain arriva comme arrivent tous les lendemains \nlorsqu\u2019ils sont impatiemment attend us, avec une grande lenteur. \nD\u00e8s le matin la cour du ch\u00e2teau avait \u00e9t\u00e9 garnie d\u2019une fabuleuse \nquantit\u00e9 de tonneaux d\u2019ale, qui, enguirland\u00e9s de feuillage, de-\nvaient attendre patiemment que l\u2019on daign\u00e2t s\u2019apercevoir de leur pr\u00e9sence. Un festin splendide se pr\u00e9parait, les fleurs cueillies par brass\u00e9es jonchaient les salles, le s musiciens accordaient leurs ins-\ntruments et les convives attendus arrivaient en foule. \n \u2013 39 \u2013 L\u2019heure fix\u00e9e pour la c\u00e9l\u00e9bration du mariage de miss Lindsay \navec William Gamwell \u00e9tait pr\u00e8s de sonner ; Maude, par\u00e9e avec \nun go\u00fbt exquis, attendait dans la salle la venue de William, et Wil-\nliam ne venait pas. \n \nSir Guy envoya un serviteur \u00e0 la recherche de son fils. Le serviteur parcourut le parc, visita le ch\u00e2teau, appela le \njeune homme, et n\u2019entendit d\u2019autre r\u00e9ponse que l\u2019\u00e9cho de sa pro-pre voix. \n Robin Hood et les fils de sir Guy mont\u00e8rent \u00e0 cheval et fouil-\nl\u00e8rent les environs ; ils n\u2019aper\u00e7urent aucune trace du jeune homme, ils ne purent recueillir sur lui aucun renseignement. \n Les convives, divis\u00e9s par bandes, all\u00e8rent d\u2019un autre c\u00f4t\u00e9 ex-\nplorer la campagne ; mais leur recherche fut aussi inutile. \n \n\u00c0 minuit, toute la famille en pleurs se pressait autour de \nMaude, plong\u00e9e depuis une heur e dans un profond \u00e9vanouisse-\nment. \n William avait disparu. \u2013 40 \u2013 II \n \nComment nous l\u2019avons dit, le baron Fitz Alwine avait ramen\u00e9 \nau ch\u00e2teau de Nottingham sa belle et gracieuse fille lady Christa-\nbel. \n \nQuelques jours avant la disparit ion du pauvre Will, le baron \nse trouvait assis dans une chambre de son appartement particu-lier, en face d\u2019un petit vieillard splendidement v\u00eatu d\u2019un habit \ntout chamarr\u00e9 de broderies d\u2019or. \n S\u2019il pouvait y avoir de la richesse dans la laideur, nous di-\nrions que l\u2019h\u00f4te du seigneur Fitz Alwine \u00e9tait immens\u00e9ment riche. \n \u00c0 en juger par son visage, ce coquet vieillard devait \u00eatre \nbeaucoup plus \u00e2g\u00e9 que le baron ; mais il semblait ne point se sou-venir de l\u2019anciennet\u00e9 de son acte de naissance. \n \nRid\u00e9s et grima\u00e7ants comme le sont de vieux singes, nos deux \npersonnages causaient \u00e0 demi voix, et il \u00e9tait \u00e9vident qu\u2019ils cher-\nchaient \u00e0 obtenir l\u2019un de l\u2019autre, \u00e0 force de ruse et de flatterie, la \nsolution d\u00e9finitive d\u2019une affaire importante. \n \u2013 Vous \u00eates trop dur avec moi, baron, dit le tr\u00e8s laid vieillard \nen branlant la t\u00eate. \n \u2013 Ma foi ! non, r\u00e9pondit lestement lord Fitz Alwine, j\u2019assure \nle bonheur de ma fille, voil\u00e0 tout, et je vous mets au d\u00e9fi de me trouver une arri\u00e8re-pens\u00e9e, mon cher sir Tristram. \n \n\u2013 Je sais que vous \u00eates un bo n p\u00e8re, Fitz Alwine, et que le \nbonheur de lady Christabel est votre unique pr\u00e9occupation\u2026 que \ncomptez-vous lui donner pour dot, \u00e0 cette ch\u00e8re enfant ? \n \u2013 41 \u2013 \u2013 J e v o u s l \u2019 a i d \u00e9 j \u00e0 d i t , c i n q m i l l e p i \u00e8 c e s d \u2019 o r l e j o u r d e s o n \nmariage, et la m\u00eame somme plus tard. \n \n\u2013 I l f a u t p r \u00e9 c i s e r l a d a t e , b a r o n , i l f a u t p r \u00e9 c i s e r l a d a t e , \ngrommela le vieillard. \n \n\u2013 Mettons dans cinq ans. \n\u2013 Ce d\u00e9lai est long, puis la do t que vous donnez \u00e0 votre fille \nest bien modeste. \n \n\u2013 Sir Tristram, dit le baron d\u2019une voix s\u00e8che, vous soumettez \nma patience \u00e0 une trop longue \u00e9p reuve. Rappelez-vous donc, je \nvous prie, que ma fille est jeune et belle, et que vous n\u2019avez plus \nles avantages physiques que vous pouviez poss\u00e9der il y a cin-quante ans. \n \n\u2013 Allons, allons, ne vous f\u00e2chez pas, Fitz Alwine, mes inten-\ntions sont bonnes ; je puis placer un million \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de vos dix mille pi\u00e8ces d\u2019or, que dis-je ? un million, peut-\u00eatre deux. \n \u2013 Je sais que vous \u00eates riche, interrompit le baron ; malheu-\nreusement je ne suis pas \u00e0 votre niveau, et n\u00e9anmoins je veux pla-\ncer ma fille au rang des plus gr andes dames de l\u2019Europe. Je veux \nque la position de lady Christabe l soit \u00e9gale \u00e0 celle d\u2019une reine. \nVous connaissez ce paternel d\u00e9sir, et cependant vous refusez de \nme confier la somme qui doit venir en aide \u00e0 sa r\u00e9alisation. \n \u2013 Je ne comprends pas, mon ch er Fitz Alwine, quelle diff\u00e9-\nrence il peut y avoir pour le bonheur de votre fille \u00e0 ce que je garde entre mes mains l\u2019argent qu i repr\u00e9sente la moiti\u00e9 de ma \nfortune. Je place le revenu d\u2019un million, de deux millions sur la \nt\u00eate de lady Christabel, mais je garde la propri\u00e9t\u00e9 du capital. Ne \nvous tourmentez donc pas, je ferai \u00e0 ma femme une existence de reine. \n \u2013 Tout cela est fort bien\u2026 en paroles, mon cher Tristram ; \nmais permettez-moi de vous dire qu e, lorsqu\u2019il y a une tr\u00e8s grande \u2013 42 \u2013 disproportion d\u2019\u00e2ge entre deux \u00e9poux, la m\u00e9sintelligence se fait \nl\u2019h\u00f4te de leur maison. Il peut arriver que les caprices d\u2019une jeune femme vous deviennent insupport ables et que vous repreniez ce \nque vous aurez donn\u00e9. Si je tien s entre mes mains la moiti\u00e9 de \nvotre fortune, je serai tranquille sur le bonheur \u00e0 venir de ma \nfille ; elle n\u2019aura rien \u00e0 craindre, et vous pouvez vous quereller avec elle tant qu\u2019il vous plaira. \n \n\u2013 Nous quereller ! vous plaisantez, mon cher baron : jamais \nde la vie il n\u2019arrivera un malheur semblable. J\u2019aime trop tendre-\nment la belle petite colombe pour ne pas craindre de lui d\u00e9plaire. \nJ\u2019aspire depuis douze ans \u00e0 la poss ession de sa main, et vous pen-\nsez que je puis \u00eatre capable de bl \u00e2mer ses caprices ! Elle en aura \ntant qu\u2019elle voudra, elle sera riche et pourra les satisfaire. \n \u2013 Permettez-moi de vous dire, sir Tristram, que si vous refu-\nsez une fois encore d\u2019acc\u00e9der \u00e0 ma demande, je vous retirerai tr\u00e8s \nnettement la parole que je vous ai donn\u00e9e. \n \n\u2013 Vous \u00eates trop vif, baron, be aucoup trop vif, grommela le \nvieillard ; causons encore un peu de cette affaire. \n \u2013 Je vous ai dit l\u00e0-dessus tout ce qu\u2019il y avait \u00e0 dire ; ma d\u00e9ci-\nsion est prise. \n \u2013 Ne vous ent\u00eatez pas, Fitz Alwine. Voyons, si je pla\u00e7ais cin-\nquante mille pi\u00e8ces d\u2019or en votre possession ? \n \u2013 Je vous demanderais si vous avez l\u2019intention de m\u2019insulter. \n \n\u2013 Vous insulter ! Fitz Alwine, quelle opinion avez-vous donc \nde moi ?\u2026 Si je disais deux cent mille pi\u00e8ces d\u2019or ?\u2026 \n \u2013 Sir Tristram, restons-en l\u00e0. Je connais votre immense for-\ntune, et l\u2019offre que vous me faites est une v\u00e9ritable moquerie. Que voulez-vous que je fasse de vos deux cent mille pi\u00e8ces d\u2019or ? \n \u2013 43 \u2013 \u2013 Ai-je dit deux cent mille, baron ? je voulais dire, cinq cent \nmille\u2026, cinq cents, entendez-vous ? Voil\u00e0, n\u2019est-il pas vrai, une \nnoble somme, une bien noble somme ? \n \n\u2013 C\u2019est vrai, r\u00e9pondit le baron ; mais vous m\u2019avez dit tout \u00e0 \nl\u2019heure que vous pouviez placer deux millions \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des modestes dix mille pi\u00e8ces d\u2019or de ma fille. Donnez-moi un million, et ma Christabel sera votre femme d\u00e8s demain, si vous le d\u00e9sirez, mon \nbon Tristram. \n \n\u2013 Un million ! vous voulez, Fitz Alwine, que je vous confie un \nmillion ! En v\u00e9rit\u00e9, votre demande est absurde ; je ne puis en conscience placer entre vos mains la moiti\u00e9 de ma fortune. \n \u2013 Mettez-vous en doute mon honneur et ma d\u00e9licatesse ? \ns\u2019\u00e9cria le baron d\u2019une voix irrit\u00e9e. \n \n\u2013 Pas le moins du monde, mon cher ami. \u2013 Me supposez-vous un autre in t\u00e9r\u00eat que celui qui se ratta-\nche au bonheur de ma fille ? \n \u2013 Je sais que vous aimez lady Christabel ; mais\u2026 \u2013 Mais quoi ? interrompit violemment le baron ; d\u00e9cidez-\nvous sur-le-champ, ou j\u2019annule \u00e0 jamais les engagements que j\u2019ai \npris. \n \u2013 Vous ne me donnez m\u00eame pas le temps de r\u00e9fl\u00e9chir. \n \nEn ce moment un coup discr\u00e8tement frapp\u00e9 \u00e0 la porte an-\nnon\u00e7a l\u2019arriv\u00e9e d\u2019un serviteur. \n \u2013 Entrez, dit le baron. \u2013 Milord, dit le valet, un messager du roi apporte de pres-\nsantes nouvelles ; il attend pour les communiquer le bon plaisir de Votre Seigneurie. \u2013 44 \u2013 \n\u2013 Faites-le monter, r\u00e9pondit le baron. Maintenant, sir Tris-\ntram, un dernier mot, si vous n\u2019adh\u00e9rez pas \u00e0 mes d\u00e9sirs avant \nl\u2019entr\u00e9e du courrier qui se pr\u00e9sentera ici dans deux minutes, vous \nn\u2019aurez pas lady Christabel. \n \u2013 \u00c9coutez-moi, Fitz Alwine, de gr\u00e2ce, \u00e9coutez-moi. \n\u2013 Je n\u2019\u00e9couterai rien ; ma fille vaut un million ; puisque vous \nm\u2019avez dit que vous l\u2019aimiez. \n \n\u2013 Tendrement, tr\u00e8s tendrement, marmotta le hideux vieil-\nlard. \n \u2013 Eh bien ! sir Tristram, vous serez tr\u00e8s malheureux, car \nvous allez \u00eatre \u00e0 jamais s\u00e9par\u00e9 d\u2019elle. Je connais un jeune sei-\ngneur, noble comme un roi, riche, tr\u00e8s riche, et d\u2019une agr\u00e9able figure, qui n\u2019attend que ma permi ssion pour mettre son nom et sa \nfortune aux pieds de ma fille. Si vous h\u00e9sitez encore pendant la dur\u00e9e d\u2019une seconde, demain, en tendez-vous bien, demain celle \nque vous aimez, ma fille, la belle et charmante Christabel, sera la \nfemme de votre heureux rival. \n \u2013 Vous \u00eates impitoyable, Fitz Alwine ! \u2013 J\u2019entends les pas du courrier, r\u00e9pondez oui ou non. \u2013 Mais\u2026 Fitz Alwine ! \n\u2013 Oui ou non ? \n \u2013 Oui, oui, balbutia le vieillard. \u2013 Sir Tristram, mon cher ami, songez \u00e0 votre bonheur ; ma \nfille est un tr\u00e9sor de gr\u00e2ce et de beaut\u00e9. \n \u2013 Il est vrai qu\u2019elle est bien belle, dit l\u2019amoureux vieillard. \u2013 45 \u2013 \u2013 Et qu\u2019elle vaut bien un million de pi\u00e8ces d\u2019or, ajouta le ba-\nron en ricanant. Sir Tristram, ma fille est \u00e0 vous. \n \nCe fut ainsi que le baron Fitz Alwine vendit sa fille, la belle \nChristabel, \u00e0 sir Tristram de Goldsborough pour un million de \npi\u00e8ces d\u2019or. \n Aussit\u00f4t qu\u2019il eut \u00e9t\u00e9 introduit, le courrier annon\u00e7a au baron \nqu\u2019un soldat qui avait tu\u00e9 le capitaine de son r\u00e9giment avait \u00e9t\u00e9 suivi jusqu\u2019en Nottinghamshire. Le roi donnait ordre au baron \nFitz Alwine de faire saisir ce sold at par ses agents, et de le faire \npendre sans mis\u00e9ricorde. \n Le courrier cong\u00e9di\u00e9, lord Fitz Alwine serra \u00e0 deux mains les \nmains tremblantes du futur \u00e9poux de sa fille, en s\u2019excusant de le \nquitter dans un moment aussi heureux ; mais les ordres du roi \n\u00e9taient pr\u00e9cis, il fallait y ob\u00e9ir sans le moindre retard. \n Trois jours apr\u00e8s la conclusion de l\u2019honorable march\u00e9 \ncontract\u00e9 entre le baron et sir Tris tram, le soldat poursuivi fut fait \nprisonnier et enferm\u00e9 dans un donjon du ch\u00e2teau de Nottingham. \n Robin Hood continuait activement la recherche de William, \nqui \u00e9tait, h\u00e9las ! le pauvre soldat saisi par les estafiers du baron. \n D\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 de l\u2019inutilit\u00e9 de ses investigations dans tout le \ncomt\u00e9 du Yorkshire, Robin Hood re gagna la for\u00eat, esp\u00e9rant obte-\nnir quelques renseignements par ses hommes, qui, sans cesse apost\u00e9s sur les routes qui vont de Mansfeld \u00e0 Nottingham, au-\nraient peut-\u00eatre d\u00e9couvert quelque trace du jeune homme. \n \u00c0 un mille de Mansfeld, Robin Hood rencontra Much, le fils \ndu meunier ; celui-ci, mont\u00e9 ains i que le jeune homme sur un vi-\ngoureux cheval, galopait \u00e0 toute bride vers la direction que Robin venait de quitter. \n En apercevant son jeune chef, Much jeta un cri de joie et ar-\nr\u00eata sa monture. \u2013 46 \u2013 \n\u2013 Combien je suis heureux de vous rencontrer, mon cher \nami, dit-il ; j\u2019allais \u00e0 Barnsdale ; j\u2019ai des nouvelles du jeune gar\u00e7on \nqui \u00e9tait avec vous \u00e0 notre rencontre. \n \n\u2013 L\u2019avez-vous vu ? Nous sommes \u00e0 sa recherche depuis trois \njours. \n \n\u2013 Je l\u2019ai vu. \n \u2013 Quand ? \u2013 Hier au soir. \u2013 O\u00f9 ? \n\u2013 \u00c0 Mansfeld o\u00f9 je rentrais apr\u00e8s avoir pass\u00e9 quarante-huit \nheures avec mes nouveaux comp agnons. En approchant de la \nmaison de mon p\u00e8re, j\u2019aper\u00e7us deva nt la porte une troupe de che-\nvaux, et sur l\u2019un d\u2019eux se trouvait un homme, les mains \u00e9troite-ment li\u00e9es. Je reconnus votre ami. Les soldats, occup\u00e9s \u00e0 se ra-fra\u00eechir, laissaient le prisonnier \u00e0 la garde des liens qui l\u2019attachaient sur le cheval. Sans a ttirer leurs regards, je r\u00e9ussis \u00e0 \nfaire comprendre \u00e0 ce pauvre ga r\u00e7on que j\u2019allais sur-le-champ \ncourir \u00e0 Barnsdale, et vous annonc er le malheur qui lui \u00e9tait arri-\nv\u00e9. Cette promesse ranima le courage de votre ami, qui me remer-cia d\u2019un coup d\u2019\u0153il expressif. Sa ns perdre une minute, je deman-\ndai un cheval, et, tout en me me ttant en selle, j\u2019adressai \u00e0 un sol-\ndat quelques questions sur le sort qui \u00e9tait r\u00e9serv\u00e9 \u00e0 leur prison-\nnier. Il me r\u00e9pondit que, par ordre du baron Fitz Alwine, on \nconduisait ce jeune homme au ch\u00e2teau de Nottingham. \n \u2013 Je vous remercie de l\u2019empressement que vous avez mis \u00e0 \nme rendre service, mon cher Mu ch, r\u00e9pondit Robi n. Vous venez \nde m\u2019apprendre tout ce que je d\u00e9si rais savoir, et il faudra v\u00e9rita-\nblement jouer de malheur si nous ne r\u00e9ussissons pas \u00e0 pr\u00e9venir les cruelles intentions de Sa Seigneurie normande. En selle, mon \u2013 47 \u2013 cher Much, gagnons en toute h\u00e2te le centre de la for\u00eat ; l\u00e0, je \nprendrai les mesures n\u00e9cessaires \u00e0 une prudente exp\u00e9dition. \n \n\u2013 O\u00f9 est Petit-Jean ? demanda Much. \n \u2013 Il se rend \u00e0 notre retraite par un chemin oppos\u00e9 \u00e0 celui- ci. En nous s\u00e9parant nous avio ns l\u2019espoir de recueillir des \nnouvelles chacun de notre c\u00f4t\u00e9. Le sort s\u2019est d\u00e9clar\u00e9 en ma faveur, \npuisque j\u2019ai eu la joie de vous rencontrer, mon brave Much. \n \u2013 Toute la satisfaction est pour moi, mon capitaine, r\u00e9pondit \ngaiement Much ; votre volont\u00e9 est la loi qui sert de guide \u00e0 toutes mes actions. \n Robin sourit, inclina la t\u00eate et partit ventre \u00e0 terre, suivi de \npr\u00e8s par son compagnon. \n \nEn arrivant au rendez-vous g\u00e9n\u00e9 ral, Robin et Much y trouv\u00e8-\nrent Petit-Jean. Apr\u00e8s avoir co mmuniqu\u00e9 \u00e0 ce dernier les nouvel-\nles apport\u00e9es par Much, Robin lui ordonna de r\u00e9unir les hommes diss\u00e9min\u00e9s dans la for\u00eat, de les former en une seule troupe et de les conduire sur la lisi\u00e8re du bois qui avoisinait le ch\u00e2teau de Not-\ntingham. L\u00e0, cach\u00e9s sous l\u2019ombrage des arbres, ils devaient atten-dre un appel de Robin et se tenir pr\u00eats au combat. Ces disposi-tions achev\u00e9es, Robin et Much remo nt\u00e8rent \u00e0 cheval et prirent au \ntriple galop le chemin de Nottingham. \n \u2013 Mon cher ami, dit Robin lorsqu\u2019ils eurent atteint les limi-\ntes de la for\u00eat, nous voici arriv\u00e9s au but de la course ; je ne dois \npas entrer \u00e0 Nottingham, ma pr\u00e9sence dans la ville serait promp-tement connue, et on lui trouverait une raison que je d\u00e9sire tenir \ncach\u00e9e. Vous me comprenez, n\u2019est-ce pas ? Si les ennemis de Wil-liam avaient connaissance de mon apparition soudaine, ils se tiendraient sur leurs gardes, et pa r cons\u00e9quent il nous deviendrait \nfort difficile de mettre notre compagnon en libert\u00e9. Vous allez p\u00e9n\u00e9trer seul dans la ville, et vous vous rendrez dans une petite \nmaison qui se trouve \u00e0 une courte distance de Nottingham. Vous \u2013 48 \u2013 y trouverez un bon gar\u00e7on de me s amis nomm\u00e9 Halbert Lindsay ; \nen cas d\u2019absence de ce dernier, une gentille femme qui porte \u00e0 \nravir le doux nom de Gr\u00e2ce vous di ra o\u00f9 est son mari, vous irez \u00e0 \nsa recherche et vous me l\u2019am\u00e8nerez. Avez-vous compris ? \n \n\u2013 Parfaitement. \u2013 Eh bien ! allez, je vais m\u2019asseoir ici, et je vous attendrai en \nsurveillant les environs. \n Rest\u00e9 seul, Robin cacha son chev al dans le fourr\u00e9, s\u2019\u00e9tendit \nsous l\u2019ombrage d\u2019un ch\u00eane, et se mit \u00e0 combiner un plan de conduite pour tenter de secourir efficacement le pauvre Will. Tout en faisant appel aux ressources de son esprit inventif, le jeune \nhomme surveillait la route avec un e prudente attention. Bient\u00f4t il \nvit poindre \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du chemin qui monte de Nottingham \nvers la for\u00eat un jeune cavalier fort richement v\u00eatu. \n \u2013 Par ma foi ! se dit mentalement Robin, si cet \u00e9l\u00e9gant pro-\nmeneur est de race normande, bien lui en a pris de choisir cet en-droit pour respirer l\u2019air parfum\u00e9 de la campagne. Il me para\u00eet si bien trait\u00e9 par dame Fortune qu\u2019il y aura plaisir \u00e0 prendre dans ses poches le prix des fl\u00e8ches et des arcs qui vont \u00eatre bris\u00e9s de-main en l\u2019honneur de William. Son costume est somptueux, son allure hautaine ; bien certainement ce gentil monsieur est de bonne rencontre. Avance, avance, jo li damoiseau, tu seras encore \nplus l\u00e9ger lorsque nous aurons fait connaissance. Robin quitta \nprestement la position horizontale qu\u2019il avait prise, et se pla\u00e7a sur le chemin du voyageur. Celui-ci qui sans doute attendait de Robin \nun t\u00e9moignage de politesse, s\u2019arr\u00eata courtoisement. \n \u2013 Soyez le bienvenu, charmant cavalier, dit Robin en portant \nla main \u00e0 sa toque ; le temps est si obscur que j\u2019ai pris votre gra-\ncieuse apparition pour un mess ager du soleil. Votre souriante \nphysionomie \u00e9claire le paysage, et, si vous restez quelques minu-tes encore sur la lisi\u00e8re du vi eux bois, les fleurs envelopp\u00e9es \nd\u2019ombre vont vous prendre pour un rayon de chaude lumi\u00e8re. \n \u2013 49 \u2013 L\u2019\u00e9tranger se mit joyeusement \u00e0 rire. \n \u2013 Appartenez-vous \u00e0 la bande de Robin Hood ? demanda-t-\nil. \n \n\u2013 Vous jugez sur l\u2019apparence, messire, r\u00e9pondit le jeune \nhomme, et, parce que vous me voye z rev\u00eatu du costume des fores-\ntiers, vous pr\u00e9sumez que je dois appartenir \u00e0 la bande de Robin \nHood. Vous \u00eates dans l\u2019erreur, tous les habitants de la for\u00eat ne sont point attach\u00e9s au sort du chef proscrit. \n \u2013 C\u2019est possible, r\u00e9partit l\u2019\u00e9tranger d\u2019un ton de visible impa-\ntience ; j\u2019ai cru rencontrer un membre de l\u2019association des joyeux hommes, je me suis tromp\u00e9, voil\u00e0 tout. \n La r\u00e9ponse du voyageur excita la curiosit\u00e9 de Robin. \n \u2013 Messire, dit-il, votre visage respire une si franche cordiali-\nt\u00e9 que, en d\u00e9pit de la haine prof onde que depuis plusieurs ann\u00e9es \nmon c\u0153ur a vou\u00e9e aux Normands\u2026 \n \u2013 Je ne suis pas normand, sir forestier, interrompit le voya-\ngeur ; et je puis, \u00e0 votre exemple, me permettre de dire que vous juger sur l\u2019apparence : mon costume et l\u2019accent de mon langage vous induisent en erreur. Je suis saxon, quoiqu\u2019il y ait dans mes \nveines quelques gouttes de sang normand. \n \u2013 Un Saxon est un fr\u00e8re pour mo i, messire, et je suis heureux \nde pouvoir vous t\u00e9moigner ma sympathique confiance. \nJ\u2019appartiens \u00e0 la bande de Robin Hood. Comme vous le savez \nsans doute, nous employons une mani\u00e8re un peu moins d\u00e9sint\u00e9-ress\u00e9e pour nous faire conna\u00eetre aux voyageurs normands. \n \u2013 Je connais cette mani\u00e8re \u00e0 la fois courtoise et productive, \nr\u00e9pondit l\u2019\u00e9tranger en riant, j\u2019en ai fort entendu parler, et je me \nrendais \u00e0 Sherwood uniquement pour avoir le plaisir d\u2019y ren-contrer votre chef. \n \u2013 50 \u2013 \u2013 Et si je vous disais, messire, que vous \u00eates en pr\u00e9sence de \nRobin Hood ? \n \n\u2013 Je lui tendrais la main, r\u00e9pliqua vivement l\u2019\u00e9tranger en ac-\ncompagnant ces paroles d\u2019un geste amical, et je lui dirais : Ami \nRobin, avez-vous oubli\u00e9 le fr\u00e8re de Marianne ? \n \u2013 Allan Clare ! vous \u00eates Alla n Clare ! s\u2019\u00e9cria joyeusement \nRobin. \n \u2013 Oui, je suis Allan Clare, et le souvenir de votre expressive \nphysionomie, mon cher Robin, \u00e9tait si bien grav\u00e9 dans mon c\u0153ur qu\u2019au premier regard je vous ai reconnu. \n \u2013 Combien je suis heureux de vous voir, cher Allan ! reprit \nRobin Hood en serrant \u00e0 deux mains la main du jeune homme. \nMarianne ne s\u2019attend pas au bonheur que lui apporte votre venue \nen Angleterre. \n \u2013 Ma pauvre et ch\u00e8re s\u0153ur ! dit Allan avec une expression de \nprofonde tendresse. Est-elle bien portante ? est-elle un peu heu-reuse ? \n \u2013 Sa sant\u00e9 est parfaite, cher Allan, et elle n\u2019a d\u2019autre chagrin \nque celui d\u2019\u00eatre s\u00e9par\u00e9e de vous. \n \u2013 Je reviens, et je reviens po ur ne plus repartir ; ma bonne \ns\u0153ur sera ainsi tout \u00e0 fait heur euse. Avez-vous appris, cher Ro-\nbin, que j\u2019\u00e9tais entr\u00e9 au service du roi de France ? \n \u2013 Oui, un homme appartenant au baron, et le baron lui-\nm\u00eame, dans un \u00e9lan de franchise soulev\u00e9 par la peur, nous ont fait conna\u00eetre votre situation aupr\u00e8s du roi Louis. \n \u2013 Une circonstance favorable m\u2019a permis de rendre un grand \nservice au roi de France, reprit le ch evalier, et dans sa gratitude, il \ndaigna s\u2019informer de mes d\u00e9sirs et me t\u00e9moigner un vif int\u00e9r\u00eat. La bont\u00e9 du roi m\u2019enhardit : je lui fis conna\u00eetre la douloureuse situa-\u2013 51 \u2013 tion de mon c\u0153ur, je lui appris que mes biens avaient \u00e9t\u00e9 confis-\nqu\u00e9s, et je le suppliai de me permettre de rentrer en Angleterre. Le roi eut la bienveillance d\u2019exau cer ma requ\u00eate ; il me donna sur-\nle-champ une lettre pour Henri II, et sans perdre une minute, je \nme rendis \u00e0 Londres. \u00c0 la pri\u00e8re du roi de France, Henri II m\u2019a rendu les biens de mon p\u00e8re, et la tr\u00e9sorerie doit me remettre en beaux \u00e9cus d\u2019or le revenu produit par mes propri\u00e9t\u00e9s depuis l\u2019\u00e9poque de leur confiscation. Outre cela, j\u2019ai r\u00e9alis\u00e9 une forte \nsomme qui, remise entre les mains du baron Fitz Alwine, doit me \nfaire obtenir la main de ma ch\u00e8re Christabel. \n \u2013 Je connais ce contrat, dit Robin ; les sept ann\u00e9es accord\u00e9es \npar le baron sont \u00e0 la veille d\u2019expirer, n\u2019est-ce pas ? \n \u2013 Oui, demain est mon dernier jour de gr\u00e2ce. \n\u2013 Eh bien ! il faut vous h\u00e2ter de rendre visite au baron, une \nheure de retard serait votre perte. \n \u2013 Comment avez-vous appris l\u2019existence de ce contrat et les \nconditions qu\u2019il renferme ? \n \u2013 Parmon cousin Petit-Jean. \u2013 Le gigantesque neveu de sir Guy de Gamwell ? demanda \nAllan. \n \u2013 Lui-m\u00eame, vous vous souvenez donc de ce digne gar\u00e7on ? \n\u2013 Sans aucun doute. \n \u2013 Eh bien, il est aujourd\u2019hui plus grand que jamais et d\u2019une \nforce sup\u00e9rieure encore \u00e0 sa ta ille. Ce fut par lui que j\u2019eus \nconnaissance de vos engagements avec le baron. \n \u2013 Lord Fitz Alwine lui en avait fait la confidence ? dit Allan \navec un sourire. \n \u2013 52 \u2013 \u2013 Oui, Petit-Jean interrogeait Sa Seigneurie un poignard en-\ntre les mains et la menace aux l\u00e8vres. \n \n\u2013 Je comprends alors l\u2019expansion du baron. \n \u2013 Mon cher ami, reprit s\u00e9rieusement Robin, m\u00e9fiez-vous de \nlord Fitz Alwine ; il ne vous aime pas, et, s\u2019il peut parvenir \u00e0 violer \nle serment qui engage sa parole, il n\u2019h\u00e9sitera pas \u00e0 le faire. \n \u2013 S \u2019 i l t e n t a i t d e m e d i s p u t e r l a m a i n d e l a d y C h r i s t a b e l , j e \nvous jure, Robin, que je l\u2019en ferais cruellement repentir. \n \u2013 Avez-vous un moyen quelconque pour inspirer au baron la \ncrainte de vos menaces ? \n \u2013 Oui, et, du reste, n\u2019en aura is-je pas que je parviendrais \u00e0 \nobtenir l\u2019ex\u00e9cution de sa promesse ; j\u2019assi\u00e9gerais le ch\u00e2teau de \nNottingham plut\u00f4t que de renoncer \u00e0 ma bien-aim\u00e9e Christabel. \n \n\u2013 Si vous avez besoin d\u2019assistance, je suis enti\u00e8rement \u00e0 vos \nordres, mon cher Allan ; je puis mettre sur-le-champ \u00e0 votre dis-\nposition deux cents gaillards qui on t le pied vif et la main ferme. \nIls manient avec une \u00e9gale adresse l\u2019 arc, l\u2019\u00e9p\u00e9e, la lance et le bou-\nclier ; dites un mot, et ils viendront, \u00e0 mon commandement, se ranger autour de vous. \n \u2013 Merci mille fois, cher Robin, je n\u2019attendais pas moins de \nvotre bonne amiti\u00e9. \n \n\u2013 Et vous aviez raison ; main tenant, permettez-moi de vous \ndemander comment vous avez appris que j\u2019habitais la for\u00eat de \nSherwood ? \n \u2013 Apr\u00e8s avoir termin\u00e9 mes affaires \u00e0 Londres, r\u00e9pondit le \nchevalier, je vins \u00e0 Nottingham. L\u00e0 , je fus instruit du retour du \nbaron et de la pr\u00e9sence de Christabel au ch\u00e2teau. Mon c\u0153ur tran-quillis\u00e9 sur l\u2019existence de celle que j\u2019aime, je me rendis \u00e0 Gam-well. Jugez de ma stup\u00e9faction en entrant au village de ne trouver \u2013 53 \u2013 que les vestiges de la riche demeure du baronnet. Je gagnai \nMansfeld en toute h\u00e2te, et un habitant de cette derni\u00e8re ville me fit part des \u00e9v\u00e9nements qui s\u2019\u00e9taient pass\u00e9s. Il me parla de vous \navec \u00e9loge ; il me dit que la famille Gamwell s\u2019\u00e9tait secr\u00e8tement \nretir\u00e9e dans ses propri\u00e9t\u00e9s du Yorkshire. Parlez-moi de ma s\u0153ur Marianne, Robin Hood ; est-elle bien chang\u00e9e ? \n \u2013 Oui, cher Allan, elle est bien chang\u00e9e. \n \n\u2013 Pauvre s\u0153ur ! \u2013 Elle est d\u2019une beaut\u00e9 accomplie, ajouta Robin en riant, car \nchaque printemps lui a apport\u00e9 une gr\u00e2ce nouvelle. \n \u2013 Est-elle mari\u00e9e ? demanda Allan. \n\u2013 Non, pas encore. \u2013 Tant mieux. Savez-vous si elle a donn\u00e9 son c\u0153ur, si elle a \npromis sa main ? \n \u2013 Marianne r\u00e9pondra \u00e0 cette question, dit Robin en rougis-\nsant l\u00e9g\u00e8rement. Comme il fait ch aud aujourd\u2019hui ! ajouta-t-il en \npassant une main sur son front empourpr\u00e9. Mettons-nous, je \nvous prie, sous l\u2019ombrage des arbres ; j\u2019attends un de mes hom-mes, et il me semble que son absence se prolonge au-del\u00e0 du terme fix\u00e9. \u00c0 propos, Allan, vous rappelez-vous un des fils de sir \nGuy, William, surnomm\u00e9 l\u2019\u00c9carlate \u00e0 cause de la couleur un peu \ntrop ardente de sa chevelure ? \n \u2013 Un beau jeune homme aux grands yeux bleus ? \u2013 Oui ; ce pauvre gar\u00e7on, envoy\u00e9 \u00e0 Londres par le baron Fitz \nAlwine, avait \u00e9t\u00e9 incorpor\u00e9 dans un r\u00e9giment qui faisait partie du \ncorps d\u2019arm\u00e9e qui occupe encore la Normandie. Un beau jour, \nWilliam fut pris de l\u2019invincible d\u00e9 sir de revoir sa famille ; il de-\nmanda un cong\u00e9 qu\u2019il ne put obtenir, et, mis hors de lui par le persistant refus de son capitaine, il le tua. Will r\u00e9ussit \u00e0 gagner \u2013 54 \u2013 l\u2019Angleterre, un heureux hasard nous mit en pr\u00e9sence, et je \nconduisis ce cher gar\u00e7on \u00e0 Barnsdale o\u00f9 habite sa famille. Le len-demain de son arriv\u00e9e, toute la ma ison \u00e9tait en f\u00eate, car on c\u00e9l\u00e9-\nbrait non seulement le retour de l\u2019exil\u00e9 mais encore son mariage \net l\u2019anniversaire de sir Guy. \n \u2013 Will va semarier ? avec qui ? \n\u2013 Avec une charmante fille, qu e vous avez connue\u2026 miss \nLindsay. \n \n\u2013 Je ne me rappelle pas cette jeune fille. \u2013 Comment, vous aviez oubli\u00e9 l\u2019existence de la compagne, de \nl\u2019amie, de la suivante d\u00e9vou\u00e9e de Lady Christabel ? \n \n\u2013 J\u2019y suis, j\u2019y suis, r\u00e9partit Allan Clare, vous me parlez de la \njoyeuse fille du gardien de Nottingham, de l\u2019espi\u00e8gle Maude ? \n \u2013 C\u2019est cela ; Maude et William s\u2019aimaient depuis longtemps. \u2013 Maude aimait Will \u00c9carlate ! Que me dites-vous l\u00e0, Robin ? \nC\u2019\u00e9tait vous, mon ami, qui aviez gagn\u00e9 le c\u0153ur de cette jeune fille. \n \u2013 Non, non, vous \u00eates dans l\u2019erreur. \u2013 Du tout, du tout, je me souviens maintenant que, si elle ne \nvous aimait pas, ce dont je dout e, du moins vous lui portiez un \ngrand et tendre int\u00e9r\u00eat. \n \u2013 J\u2019avais alors et j\u2019ai encore aujourd\u2019hui pour elle une affec-\ntion de fr\u00e8re. \n \u2013 Vraiment ! interrogea malicieusement le chevalier. \u2013 Sur mon honneur, oui, r\u00e9pondit Robin ; mais pour vous fi-\nnir l\u2019histoire de William, voici ce qui est arriv\u00e9. Une heure avant \nla c\u00e9l\u00e9bration du mariage, il disparut, et je viens d\u2019apprendre qu\u2019il \u2013 55 \u2013 a \u00e9t\u00e9 enlev\u00e9 par les soldats du ba ron. J\u2019ai r\u00e9uni mes hommes, ils \nseront dans quelques instants \u00e0 po rt\u00e9e de ma voix, et je compte \nsur mon adresse appuy\u00e9e de leur secours pour d\u00e9livrer William. \n \n\u2013 O\u00f9 se trouve-t-il ? \u2013 Sans nul doute au ch\u00e2teau de Nottingham ; je vais bient\u00f4t \nen avoir la certitude. \n \u2013 Ne prenez pas une d\u00e9cision trop rapide, mon cher Robin, \nattendez jusqu\u2019\u00e0 demain ; je verrai le baron, et je mettrai en \u0153u-vre toute l\u2019influence que peut avoir sur lui la pri\u00e8re ou la menace \npour obtenir la mise en libert\u00e9 de votre cousin. \n \u2013 Mais si le vieux coquin agit sommairement, n\u2019aurai-je pas \n\u00e0 regretter toute ma vie d\u2019avoir perdu quelques heures ? \n \n\u2013 Avez-vous une raison de le craindre ? \u2013 Comment pouvez-vous, cher Allan, m\u2019adresser une ques-\ntion dont vous connaissez mieux que moi la cruelle r\u00e9ponse ? Vous savez bien, n\u2019est-ce pas, que lord Fitz Alwine est sans c\u0153ur, sans piti\u00e9 et sans \u00e2me. S\u2019il osai t pendre Will de ses propres mains, \nsoyez bien assur\u00e9 qu\u2019il le ferait. Je dois me h\u00e2ter d\u2019arracher Wil-\nliam de ses griffes de lion si je ne veux pas le perdre \u00e0 jamais. \n \u2013 Vous avez peut-\u00eatre raison, mon cher Robin, et mes \nconseils de prudence seraient dans ce cas dangereux \u00e0 suivre. je vais me pr\u00e9senter au ch\u00e2teau aujo urd\u2019hui m\u00eame, et, une fois dans \nla place, il me sera possible de vous \u00eatre de quelque secours. \nJ\u2019interrogerai le baron ; s\u2019il ne r\u00e9pond pas \u00e0 mes questions, je m\u2019adresserai aux soldats ; ils sero nt accessibles \u00e0 la tentation \nd\u2019une riche r\u00e9compense, je l\u2019esp\u00e8re ; comptez sur moi, et si mes efforts restent sans r\u00e9sultat, je vous ferai savoir que vous devez \nagir avec la plus grande promptitude. \n \u2013 C\u2019est entendu, chevalier. Tenez, voici mon homme qui re-\nvient ; il est accompagn\u00e9 d\u2019Halbert, le fr\u00e8re de lait de Maude. \u2013 56 \u2013 Nous allons apprendre quelque ch ose sur le sort de mon pauvre \nWill. \n \n\u2013 Eh bien ? demanda Robin apr\u00e8s avoir embrass\u00e9 son jeune \nami. \n \n\u2013 J\u2019ai peu de chose \u00e0 vous dire, r\u00e9pondit Halbert ; je sais seu-\nlement qu\u2019un prisonnier a \u00e9t\u00e9 conduit au ch\u00e2teau de Nottingham, \net Much m\u2019a appris que ce malheureux \u00e9tait notre pauvre ami \nWill \u00c9carlate. Si vous voul ez tenter de le sauver , Robin, il faut s\u2019en \noccuper sur-le-champ. Un moine p\u00e8lerin de passage \u00e0 Notting-\nham a \u00e9t\u00e9 appel\u00e9 au ch\u00e2teau pour confesser le prisonnier. \n \u2013 Sainte m\u00e8re de Dieu, ayez piti\u00e9 de nous ! s\u2019\u00e9cria Robin \nd\u2019une voix tremblante. Will, mon pauvre Will, est en danger de mort ! Il faut l\u2019enlever du ch\u00e2teau, il le faut \u00e0 tout prix ! Vous ne \nsavez rien de plus, Halbert ? ajouta Robin. \n \n\u2013 Rien qui soit relatif \u00e0 Will ; mais j\u2019ai appris que lady Chris-\ntabel allait se marier \u00e0 la fin de la semaine. \n \u2013 Lady Christabel se marier ! r\u00e9p\u00e9ta Allan. \u2013 Oui, messire, r\u00e9pondit Halbert en regardant le chevalier \nd\u2019un air surpris ; elle va \u00e9pouse r le plus riche Normand de toute \nl\u2019Angleterre. \n \u2013 Impossible ! impossible ! exclama Allan Clare. \n\u2013 C\u2019est parfaitement vrai, reprit Halbert, et l\u2019on fait au ch\u00e2-\nteau de grands pr\u00e9paratifs pour c\u00e9l\u00e9brer ce joyeux \u00e9v\u00e9nement. \n \n\u2013 Ce joyeux \u00e9v\u00e9nement ! r\u00e9p\u00e9ta le chevalier d\u2019un ton amer. \nQuel est le nom du mis\u00e9rable qui pr\u00e9tend \u00e9pouser lady Christa-bel ? \n \u2013 Vous \u00eates donc \u00e9tranger au pays, messire, continua Hal-\nbert, que vous ignorez la joie immense de Sa Seigneurie Fitz Al-\u2013 57 \u2013 wine ? Milord baron a si bien ma n\u0153uvr\u00e9 qu\u2019il a r\u00e9ussi \u00e0 conqu\u00e9rir \nune colossale fortune en la personne de sir Tristram de Goldsbo-\nrough. \n \n\u2013 Lady Christabel devenir la femme de ce hideux vieillard ! \ns\u2019\u00e9cria le chevalier au comble de la surprise ; mais cet homme est \u00e0 demi mort ! mais cet homme est un monstre de laideur et de sordide avarice ! La fille du baron Fitz Alwine est ma fianc\u00e9e, et \ntant qu\u2019un souffle de vie s\u2019\u00e9chapp era de mes l\u00e8vres, nul autre que \nmoi n\u2019aura des droits sur son c\u0153ur. \n \u2013 Votre fianc\u00e9e, messire ! Qui donc \u00eates-vous ? \u2013 Le chevalier Allan Clare, dit Robin. \u2013 Le fr\u00e8re de lady Marianne ! celui qui est si tendrement ai-\nm\u00e9 de lady Christabel ? \n \n\u2013 Oui, mon cher Hal, dit Allan. \u2013 Hourra ! cria Halbert en fa isant voler sa toque par-dessus \nsa t\u00eate ; voil\u00e0 une heureuse arriv\u00e9e. Soyez le bienvenu en Angle-terre, monsieur ; votre pr\u00e9sence changera en sourire les larmes de votre belle fianc\u00e9e. Les c\u00e9r\u00e9monies de cet odieux mariage de-vaient avoir lieu \u00e0 la fin de la semaine ; si vous d\u00e9sirez y mettre \nobstacle, vous n\u2019avez pas de temps \u00e0 perdre. \n \u2013 Je vais \u00e0 l\u2019instant m\u00eame rendre une visite au baron, dit Al-\nlan ; s\u2019il croit qu\u2019il lui est encore possible aujourd\u2019hui de se jouer \nde moi, il se trompe. \n \u2013 Comptez sur mon aide, chevalier, dit Robin ; je m\u2019engage \u00e0 \nmettre \u00e0 l\u2019accomplissement de votre malheur un obstacle tout-puissant, celui de la force unie \u00e0 la ruse. Nous enl\u00e8verons lady \nChristabel. Je suis d\u2019avis que nous nous rendions tous les quatre \nau ch\u00e2teau, vous y p\u00e9n\u00e9trerez seul , et j\u2019attendrai votre retour en \ncompagnie de Much et d\u2019Halbert. \n \u2013 58 \u2013 Les jeunes gens atteignirent bient\u00f4t les abords de la demeure \nseigneuriale. Au moment o\u00f9 le ch evalier allait prendre le chemin \nqui m\u00e8ne au pont-levis, un bruit de cha\u00eenes se fit entendre, le \npont s\u2019abaissa, et un vieillard rev\u00eatu du costume des p\u00e8lerins sor-\ntit de la poterne du ch\u00e2teau. \n \u2013 Voici le confesseur appel\u00e9 par le baron pour le pauvre Wil-\nliam, dit Halbert ; questionnez-le, Robin, il vous apprendra peut-\n\u00eatre \u00e0 quel sort est destin\u00e9 notre ami. \n \u2013 J\u2019avais la m\u00eame pens\u00e9e que vo us, mon cher Halbert, et je \nconsid\u00e8re la rencontre de ce sa int homme comme un secours en-\nvoy\u00e9 par la divine Providence. Qu e la sainte Vierge te prot\u00e8ge, \nmon bon p\u00e8re ! dit Robin en s\u2019inclinant avec respect devant le vieillard. \n \n\u2013 Ainsi soit-il \u00e0 ta bonne pri\u00e8re, mon fils ! r\u00e9pondit le p\u00e8le-\nrin. \n \u2013 Vous venez de bien loin, mon p\u00e8re ? \u2013 De la Terre sainte, o\u00f9 je suis all\u00e9 faire un long et doulou-\nreux p\u00e8lerinage pour expier les p\u00e9ch\u00e9s de ma jeunesse ; au-jourd\u2019hui, \u00e9puis\u00e9 de fatigue, je reviens pour mourir sous le ciel qui m\u2019a vu na\u00eetre. \n \u2013 Dieu vous a accord\u00e9 de longues ann\u00e9es, bon p\u00e8re. \u2013 Oui, mon fils, je vais avoir bient\u00f4t quatre-vingt-dix ans, et \nma vie ne semble plus \u00eatre qu\u2019un songe. \n \u2013 Je prie la Vierge de donner \u00e0 vos derni\u00e8res heures le calme \ndu repos, mon p\u00e8re. \n \u2013 Ainsi soit-il, cher enfant, \u00e0 l\u2019\u00e2me douce et pieuse. \u00c0 mon \ntour, je demande au ciel de r\u00e9pandre toutes les b\u00e9n\u00e9dictions sur ta jeune t\u00eate. Tu es croyant et bo n, montre-toi charitable et donne \nune pens\u00e9e \u00e0 ceux qui souffrent, \u00e0 ceux qui vont mourir. \u2013 59 \u2013 \n\u2013 Expliquez-vous, mon p\u00e8re, je ne vous comprends pas, dit \nRobin d\u2019une voix tremblante. \n \n\u2013 H\u00e9las ! h\u00e9las ! reprit le vieillard, une \u00e2me est pr\u00e8s de re-\nmonter au ciel, sa souveraine de meure ; le corps qu\u2019elle anime de \nson souffle divin compte \u00e0 peine trente ans. Un homme de ton \u00e2ge peut-\u00eatre va mourir d\u2019une mort bien cruelle ; prie pour lui, \nmon fils. \n \n\u2013 Cet homme vous a fait sa derni\u00e8re confession, mon p\u00e8re ? \u2013 Oui, dans quelques heures il sera violemment enlev\u00e9 de ce \nmonde. \n \u2013 O\u00f9 se trouve cet infortun\u00e9 ? \n \u2013 Dans un des sombres cachots de cette vaste demeure. \u2013 Il y est seul ? \u2013 Oui, mon fils, seul. \u2013 Et ce malheureux doit mourir ? interrogea le jeune \nhomme. \n \u2013 Demain matin au lever du soleil. \u2013 Vous \u00eates bien assur\u00e9, mon p\u00e8re, que l\u2019ex\u00e9cution du \ncondamn\u00e9 n\u2019aura pas lieu avant les premi\u00e8res heures du jour ? \n \u2013 J\u2019en suis certain. H\u00e9las ! n\u2019est-ce pas encore assez t\u00f4t ? Tes \nparoles me font mal, enfant ; d\u00e9sirerais-tu la mort de ton fr\u00e8re ? \n \u2013 Non, saint vieillard, non, mille fois non ! je donnerais ma \nvie pour sauver la sienne. Je co nnais ce pauvre gar\u00e7on, mon p\u00e8re, \nje le connais et je l\u2019aime. Savez-vous \u00e0 quel supplice il est \u2013 60 \u2013 condamn\u00e9 ? savez-vous encore s\u2019il doit mourir \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du \nch\u00e2teau ? \n \n\u2013 J\u2019ai appris par le ge\u00f4lier de la prison que ce malheureux \njeune homme devait \u00eatre conduit \u00e0 la potence par le bourreau de \nNottingham. Les ordres sont donn\u00e9 s pour une ex\u00e9cution publique \nsur la place de la ville. \n \n\u2013 Que Dieu nous prot\u00e8ge, murmura Robin. Cher et bon p\u00e8re, \najouta-t-il en prenant la main du vieillard, voulez-vous me rendre \nun service ? \n \n\u2013 Que d\u00e9sires-tu de moi, mon enfant ? \u2013 Je d\u00e9sire, je demande, mon p\u00e8re, que vous veuilliez bien \nrentrer au ch\u00e2teau et prier le ba ron de vous accordez la faveur \nd\u2019accompagner le prisonnier au pied de la potence. \n \n\u2013 J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 obtenu cette gr\u00e2ce, mon fils ; je serai demain ma-\ntin aupr\u00e8s de votre ami. \n \u2013 Soyez b\u00e9ni, saint p\u00e8re, soyez b\u00e9ni. J\u2019ai un mot supr\u00eame \u00e0 \ndire \u00e0 celui qui va mourir, et je voudrais vous charger, bon vieil-lard, de le lui r\u00e9p\u00e9ter pour moi. Demain matin je serai ici pr\u00e8s de ce groupe d\u2019arbres ; daignez avoir la bont\u00e9, avant d\u2019entrer au ch\u00e2-\nteau, de venir entendre ma confidence. \n \u2013 Je serai exact au rendez-vou s que tu me donnes, mon cher \nfils. \n \u2013 Merci, bon p\u00e8re ; \u00e0 demain. \u2013 \u00c0 demain, et que la paix du Seigneur soit avec toi ! Robin s\u2019inclina respectueusement, et le p\u00e8lerin, les mains \ncrois\u00e9es sur sa poitrine, s\u2019\u00e9loigna en priant. \n \u2013 61 \u2013 \u2013 Oui, \u00e0 demain, r\u00e9p\u00e9ta le je une homme ; nous verrons de-\nmain si Will sera pendu ! \n \n\u2013 Il faudrait, dit Hal, qui avait pr\u00eat\u00e9 l\u2019oreille \u00e0 la conversa-\nt i o n d e R o b i n a v e c l e c o n f e s s e u r d u p a u v r e p r i s o n n i e r , q u e v o s \nhommes fussent plac\u00e9s \u00e0 une courte distance du lieu de l\u2019ex\u00e9cution. \n \n\u2013 Ils seront \u00e0 port\u00e9e d\u2019un appel, dit Robin. \n \u2013 Comment ferez-vous pour les soustraire \u00e0 la vue des sol-\ndats. \n \u2013 Soyez sans inqui\u00e9tude, mon cher Halbert, r\u00e9pondit Robin, \nmes joyeux hommes poss\u00e8dent depu is longtemps l\u2019art de se ren-\ndre invisibles, m\u00eame sur les grands chemins, et, croyez-moi, ils \nn\u2019iront pas fr\u00f4ler de leur pourpoin t la poitrine des soldats du ba-\nron, et ils ne feront leur entr\u00e9e en sc\u00e8ne qu\u2019\u00e0 un signal indiqu\u00e9 \u00e0 \nl\u2019avance. \n \u2013 Vous me paraissez si certain d\u2019obtenir un succ\u00e8s, mon cher \nRobin, dit Allan, que j\u2019en viens \u00e0 souhaiter pour mes propres af-faires une partie de la confiance qui vous anime en ce moment. \n \u2013 Chevalier, r\u00e9pondit le jeune homme, permettez-moi de \nmettre William en libert\u00e9, de le co nduire \u00e0 Barnsdale, de le voir \nentre les mains de sa ch\u00e8re petite femme, et ensuite nous nous \noccuperons de lady Christabel. Le mariage projet\u00e9 ne doit point avoir lieu avant quelques jours, nous avons le temps de nous pr\u00e9-\nparer \u00e0 une lutte s\u00e9rieuse avec lord Fitz Alwine. \n \u2013 Je vais entrer au ch\u00e2teau, dit Allan, et j\u2019y apprendrai d\u2019une \nmani\u00e8re ou d\u2019une autre le secret de cette com\u00e9die. Si le baron a jug\u00e9 \u00e0 propos de rompre un enga gement que l\u2019honneur et la d\u00e9li-\ncatesse devaient lui rendre sacr\u00e9, je me trouverai en droit de met-\ntre en oubli tout t\u00e9moignage de respect, et il arrivera que, bon gr\u00e9, mal gr\u00e9, lady Christabel sera ma femme. \n \u2013 62 \u2013 \u2013 Vous avez raison, mon cher ami, pr\u00e9sentez-vous sur-le-\nchamp devant le baron ; il ne s\u2019attend pas \u00e0 votre visite, ce qui est \ntr\u00e8s probable, la surprise vous le livrera pieds et poings li\u00e9s. Par-\nlez-lui hardiment, et faites-lui comprendre que vous \u00eates dans \nl\u2019intention d\u2019employer la force po ur obtenir lady Christabel. Pen-\ndant que vous allez faire aupr\u00e8s du lord Fitz Alwine cette impor-\ntante d\u00e9marche, je vais aller re trouver mes hommes et les pr\u00e9pa-\nrer \u00e0 accomplir avec prudence l\u2019exp\u00e9dition que je m\u00e9dite. Si vous \navez besoin de moi, envoyez un expr\u00e8s \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 nous nous \nsommes rencontr\u00e9s il y a quelques instants, vous \u00eates certain d\u2019y \nt r o u v e r \u00e0 t o u t e h e u r e d u j o u r o u d e l a n u i t , u n d e m e s b r a v e s compagnons ; s\u2019il est n\u00e9cessaire pour vous d\u2019avoir un entretien avec votre fid\u00e8le alli\u00e9, vous vous ferez conduire \u00e0 ma retraite. Maintenant, ne craignez-vous pas qu e, une fois entr\u00e9 au ch\u00e2teau, \nil vous devienne impossible d\u2019en sortir ? \n \n\u2013 Lord Fitz Alwine n\u2019oserait agir de violence avec un homme \ncomme moi, r\u00e9pondit Allan, il s\u2019exposerait \u00e0 un trop grand dan-ger ; du reste, s\u2019il a r\u00e9ellement le projet de donner Christabel \u00e0 cet abominable Tristram, il sera tellement press\u00e9 de se d\u00e9barrasser de moi que j\u2019ai plut\u00f4t \u00e0 craindre qu\u2019il refuse de me recevoir qu\u2019\u00e0 appr\u00e9hender qu\u2019il me retienne aupr\u00e8s de lui. Ainsi, adieu, ou plu-t\u00f4t au revoir, mon cher Robin ; j\u2019irai vous retrouver bien certai-nement avant la fin du jour. \n \u2013 Je vous attendrai. Tandis qu\u2019Allan Clare se dirigeait vers la \npoterne du ch\u00e2teau, Robin, Halbert et Much gagnaient rapide-ment la ville. Introduit sans la moindre difficult\u00e9 dans l\u2019appartement de lord Fritz Alwine, le chevalier se trouva bient\u00f4t \nen pr\u00e9sence du terrible ch\u00e2telain. \n \nSi un spectre se f\u00fbt lev\u00e9 de son tombeau, il e\u00fbt caus\u00e9 moins \nd\u2019effroi et de terreur au baron que ne lui en fit \u00e9prouver la vue du \nbeau jeune homme qui, dans une atti tude digne et fi\u00e8re, se tenait \ndebout devant lui. \n Le baron lan\u00e7a \u00e0 son valet un re gard si foudroyant que celui-\nci s\u2019\u00e9chappa de la chambre de toute la vitesse de ses jambes. \u2013 63 \u2013 \n\u2013 Je ne m\u2019attendais pas \u00e0 vous voir, dit Sa Seigneurie en ra-\nmenant ses yeux enflamm\u00e9s de col\u00e8re sur le chevalier. \n \n\u2013 C\u2019est possible, milord ; mais me voil\u00e0. \u2013 Je le vois bien. Heureuseme nt pour moi que vous avez \nmanqu\u00e9 \u00e0 votre parole : le terme que je vous avais fix\u00e9 est \u00e9chu \ndepuis hier. \n \n\u2013 Votre Seigneurie fait erreur, je suis exact au gracieux ren-\ndez-vous qu\u2019elle m\u2019a donn\u00e9. \n \u2013 Il m\u2019est difficile de vous croire sur parole. \u2013 J \u2019 e n s u i s f \u00e2 c h \u00e9 , p a r c e q u e v o u s a l l e z m e m e t t r e d a n s \nl\u2019obligation de vous y contraindre. Nous avons pris de plein gr\u00e9 \ndes deux parts un engagement formel , et je suis en droit d\u2019exiger \nla r\u00e9alisation de vos promesses. \n \u2013 Avez-vous rempli toutes les conditions du trait\u00e9 ? \u2013 Je les ai remplies. Il y en avait trois : je devais \u00eatre remis \nen possession de mes biens, je devais poss\u00e9der cent mille pi\u00e8ces d\u2019or, je devais venir au bout de sept ans vous demander la main \nde lady Christabel. \n \u2013 Vous poss\u00e9dez vraiment cent mille pi\u00e8ces d\u2019or ? demanda \nle baron d\u2019un air d\u2019envie. \n \u2013 Oui, milord. Le roi Henri m\u2019a rendu mes propri\u00e9t\u00e9s et j\u2019ai \nr e \u00e7 u l e r e v e n u p r o d u i t p a r m o n p a t r i m o i n e d e p u i s l e j o u r d e l a confiscation. Je suis riche et j\u2019exige que d\u00e8s demain vous me don-niez lady Christabel. \n \u2013 Demain ! s\u2019\u00e9cria le baron, dema in ! et si vous n\u2019\u00e9tiez pas ici \ndemain, ajouta-t-il d\u2019un air so mbre, le contrat serait nul ? \n \u2013 64 \u2013 \u2013 Oui ; mais \u00e9coutez-moi, lord Fi tz Alwine : Je vous engage \u00e0 \n\u00e9loigner de votre esprit le projet diabolique que vous m\u00e9ditez en \nce moment ; je suis dans mon droit, je me trouve devant vous \u00e0 \nl\u2019heure fix\u00e9e pour y para\u00eetre et rien au monde (il ne faut pas son-\nger \u00e0 employer la force), rien au monde ne pourra me contraindre \n\u00e0 renoncer \u00e0 celle que j\u2019aime. Si vous agissez de ruse, en d\u00e9sespoir de cause, je prendrai, soyez-en certain, une revanche cruelle. Je connais une myst\u00e9rieuse particularit\u00e9 de votre vie, je la r\u00e9v\u00e9lerai. \nJ\u2019ai v\u00e9cu \u00e0 la cour du roi de Fran ce, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 initi\u00e9 aux secrets d\u2019une \naffaire qui vous concerne personnellement. \n \u2013 Quelle affaire ? interrogea le baron avec inqui\u00e9tude. \u2013 Il est inutile pour le moment que j\u2019entre avec vous dans de \nlongues explications ; qu\u2019il vous suffise de savoir que j\u2019ai appris et garde en note le nom des mis\u00e9rables Anglais qui ont offert de li-\nvrer leur patrie au joug \u00e9tranger. (Lord Fitz Alwine devint livide.) Tenez la promesse que vous m\u2019avez faite, milord, et j\u2019oublierai que vous avez \u00e9t\u00e9 l\u00e2che et f\u00e9lon envers votre roi. \n \u2013 Chevalier, vous insultez un vieillard, dit le baron en pre-\nnant une attitude indign\u00e9e. \n \u2013 Je dis la v\u00e9rit\u00e9, et rien de plus ; encore un refus, milord, \nencore un mensonge, encore un su bterfuge et les preuves de votre \npatriotisme seront envoy\u00e9es au roi d\u2019Angleterre. \n \u2013 Il est bien heureux pour vous, Allan Clare, dit le baron d\u2019un \nton doucereux, que le ciel m\u2019ait donn\u00e9 un caract\u00e8re calme et pa-\ntient ; si j\u2019\u00e9tais d\u2019une nature irritable et emport\u00e9e, vous expieriez \ncruellement votre audace, je vous ferais jeter dans les foss\u00e9s du ch\u00e2teau. \n \u2013 Cette action serait une grande folie, milord, car elle ne \nvous sauverait pas de la vengeance royale. \n \u2013 Votre jeunesse est une excuse \u00e0 l\u2019imp\u00e9tuosit\u00e9 de vos paro-\nles, chevalier ; je veux bien me montrer indulgent alors qu\u2019il me \u2013 65 \u2013 serait facile de punir. Pourquoi parler la menace aux l\u00e8vres avant \nde savoir si j\u2019ai r\u00e9ellement l\u2019intention de vous refuser la main de \nma fille ? \n \n\u2013 Parce que j\u2019ai acquis la certit ude que vous avez promis lady \nChristabel \u00e0 un mis\u00e9rable et sordide vieillard, \u00e0 sir Tristram de Goldsborough. \n \n\u2013 En v\u00e9rit\u00e9, en v\u00e9rit\u00e9 ! et quel est, je vous prie, le bavard im-\nb\u00e9cile qui vous a racont\u00e9 cette histoire ? \n \n\u2013 Ceci importe peu, toute la ville de Nottingham est en ru-\nmeur \u00e0 propos des pr\u00e9paratifs de ce riche et ridicule mariage. \n \u2013 Je ne puis \u00eatre responsable, chevalier, des stupides men-\nsonges qui circulent, autour de moi. \n \n\u2013 Alors vous n\u2019avez pas promis \u00e0 sir Tristram la main de vo-\ntre fille ? \n \u2013 Permettez-moi de ne point r\u00e9pondre \u00e0 cette question. Jus-\nqu\u2019\u00e0 demain je suis libre de penser et de vouloir \u00e0 ma guise ; de-main est \u00e0 vous : venez, je donne rai \u00e0 vos d\u00e9sirs une enti\u00e8re satis-\nfaction. Adieu, chevalier Clare, ajouta le vieillard en se levant, je vous souhaite bien le bonjour et je vous prie de me laisser seul. \n \u2013 Au plaisir de vous revoir, baron Fitz Alwine. Souvenez-\nvous qu\u2019un gentilhomme n\u2019a qu\u2019une parole. \n \n\u2013 Tr\u00e8s bien, tr\u00e8s bien, grommela le vieillard en tournant le \ndos \u00e0 son visiteur. \n \nAllan sortit de l\u2019appartement du baron le c\u0153ur rempli \nd\u2019inqui\u00e9tude. Il n\u2019y avait point \u00e0 se le dissimuler, le vieux seigneur m\u00e9ditait quelque perfidie. Son regard plein de menace avait ac-compagn\u00e9 le jeune homme jusqu\u2019au seuil de la chambre ; puis il s\u2019\u00e9tait retir\u00e9 dans l\u2019embrasure d\u2019une fen\u00eatre, d\u00e9daignant de r\u00e9-pondre au dernier salut du chevalier. \u2013 66 \u2013 \nAussit\u00f4t qu\u2019Allan eut disparu (le jeune homme se rendait \naupr\u00e8s de Robin Hood), le baron agita avec violence une sonnette \nplac\u00e9e sur la table. \n \n\u2013 Envoyez-moi Pierre le Noir, dit brusquement le baron. \u2013 \u00c0 l\u2019instant, milord. \n \nQuelques minutes apr\u00e8s, le soldat demand\u00e9 par lord Fitz Al-\nwine paraissait devant lui. \n \u2013 Pierre, dit le baron, vous avez sous vos ordres de braves et \ndiscrets gar\u00e7ons qui ex\u00e9cutent, sans les commenter, les ordres qu\u2019on leur donne ? \n \n\u2013 Oui, milord. \u2013 Ils sont courageux et savent ou blier les services qu\u2019ils sont \n\u00e0 m\u00eame de rendre ? \n \u2013 Oui, milord. \u2013 C\u2019est bien. Un cavalier, \u00e9l\u00e9gam ment v\u00eatu d\u2019un habit rouge, \nvient de sortir d\u2019ici ; suivez-le avec deux bons gar\u00e7ons et faites en \nsorte qu\u2019il ne g\u00eane plus personne. Vous comprenez ? \n \u2013 Parfaitement, milord, r\u00e9pondit Pierre le Noir avec un af-\nfreux sourire et en tirant \u00e0 moiti\u00e9 de son fourreau un gigantesque \npoignard. \n \u2013 Vous serez r\u00e9compens\u00e9, brave Pierre. Allez sans crainte, \nmais agissez secr\u00e8tement et avec pr udence ; si ce papillon suit le \nchemin du bois, laissez-le p\u00e9n\u00e9trer sous les arbres et l\u00e0 vous aurez le champ libre. Une fois exp\u00e9di\u00e9 dans l\u2019autre monde, enterrez-le au pied de quelque vieux ch\u00eane, co uvrez la place de feuillage et de \nronces ; personne ne pourra ainsi d\u00e9couvrir son cadavre. \n \u2013 67 \u2013 \u2013 Vos ordres seront fid\u00e8lement ex\u00e9cut\u00e9s, milord, et lorsque \nvous me reverrez, ce cavalier dormira sous un tapis de vert gazon. \n \n\u2013 Je vous attends ; suivez sans retard cet impertinent damoi-\nseau. Accompagn\u00e9 de deux hommes, Pierre le Noir sortit du ch\u00e2-\nteau et se trouva bient\u00f4t sur les traces du chevalier. \n Celui-ci, le front pensif, l\u2019esprit absorb\u00e9 et le c\u0153ur gonfl\u00e9 de \ntristesse, marchait lentement du c\u00f4t\u00e9 de la for\u00eat de Sherwood. En voyant le jeune homme sous l\u2019ombrage des arbres, les assassins qui \u00e9taient sur sa piste tressaillirent d\u2019une sinistre joie. Ils h\u00e2t\u00e8-\nrent le pas et se tinrent cach\u00e9s derri\u00e8re un buisson pr\u00eats \u00e0 s\u2019\u00e9lancer sur le jeune homme au moment opportun. \n Allan Clare chercha des yeux le conducteur promis par Robin \net, tout en explorant les environs, il r\u00e9fl\u00e9chissait aux moyens qu\u2019il \nfallait prendre pour arracher Christabel d\u2019entre les mains de son \nindigne p\u00e8re. \n Un bruit de pas rapides vint arracher le chevalier \u00e0 sa dou-\nloureuse r\u00eaverie ; il tourna la t\u00eate et aper\u00e7ut trois hommes aux visages sinistres qui, l\u2019\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main, s\u2019avan\u00e7aient vers lui. \n Allan s\u2019adossa contre un arbre, tira son \u00e9p\u00e9e du fourreau et \ndit d\u2019un ton ferme : \n \u2013 Mis\u00e9rables ! que me voulez-vous ? \u2013 Nous voulons ta vie, \u00e9l\u00e9gant papillon ! cria Pierre le Noir \nen s\u2019\u00e9lan\u00e7ant sur le jeune homme. \n \u2013 Arri\u00e8re, coquin ! dit Allan en frappant son agresseur au vi-\nsage. Arri\u00e8re tous ! continua-t-i l en d\u00e9sarmant avec une adresse \nincomparable le second de ses adversaires. \n Pierre le Noir redoubla d\u2019efforts, mais il ne put r\u00e9ussir \u00e0 \nfrapper son adversaire, qui avait mis non seulement un des assas-\u2013 68 \u2013 sins hors de combat en envoyant son \u00e9p\u00e9e sur les branches d\u2019un \narbre, mais qui avait encore fendu le cr\u00e2ne au troisi\u00e8me. \n \nD\u00e9sarm\u00e9 et ivre de rage, Pierre le Noir arracha un jeune ar-\nbuste et revint vers Allan. Il fra ppa le chevalier sur la t\u00eate avec \ntant de violence que celui-ci la issa \u00e9chapper son arme et tomba \nsans connaissance. \n \n\u2013 La proie est abattue ! cria joye usement Pierre en aidant ses \ncompagnons bless\u00e9s \u00e0 se remettre sur leurs jambes ; tra\u00eenez-vous \njusqu\u2019au ch\u00e2teau et laissez-moi seul, j\u2019ach\u00e8verai ce gar\u00e7on. Votre \npr\u00e9sence ici est un danger et vos plaintes me fatiguent. Allez-vous-en, je creuserai moi-m\u00eame le trou o\u00f9 je dois enfouir le corps de ce jeune seigneur. Donnez-moi la b\u00eache que vous avez appor-\nt\u00e9e. \n \n\u2013 La voici, dit un des hommes. Pierre, ajouta le mis\u00e9rable, je \nsuis \u00e0 demi mort, il me sera impossible de marcher. \n \u2013 D\u00e9campe ou je t\u2019ach\u00e8ve, r\u00e9pliqua Pierre. Les deux hommes, transis de douleur et d\u2019\u00e9pouvante, se tra\u00ee-\nn\u00e8rent p\u00e9niblement hors du fourr\u00e9. \n Rest\u00e9 seul, Pierre se mit \u00e0 l\u2019\u0153uvre ; il avait en partie achev\u00e9 \nsa terrible besogne lorsqu\u2019il re\u00e7ut su r l\u2019\u00e9paule un coup de b\u00e2ton si \n\u00e9nergiquement appliqu\u00e9, qu\u2019il tomba de tout son long sur le bord de la fosse. \n \nL o r s q u e l a v i o l e n c e d e l a d o u l eur se fut un peu apais\u00e9e, le \nmis\u00e9rable tourna les yeux vers ce lui qui venait de le gratifier \nd\u2019une aussi juste r\u00e9compense. Il ape r\u00e7ut alors le visage rubicond \nd\u2019un robuste gaillard v\u00eatu du costume des fr\u00e8res dominicains. \n \n\u2013 Comment, profane coquin au mu seau noir ! cria le fr\u00e8re \nd\u2019une voix de stentor, tu frappes un gentilhomme \u00e0 la t\u00eate et afin de cacher ton infamie, tu enterr es ta malheureuse victime ! R\u00e9-\nponds \u00e0 ma question, brigand ; qui es-tu ? \u2013 69 \u2013 \n\u2013 Mon \u00e9p\u00e9e va parler pour moi, dit Pierre en bondissant sur \nses pieds ; elle va t\u2019envoyer dans l\u2019 autre monde et l\u00e0 il te sera loi-\nsible de demander \u00e0 Satan le nom que tu d\u00e9sires savoir. \n \n\u2013 Je n\u2019aurais pas besoin de me donner cette peine si j\u2019avais le \nmalheur de mourir avant toi, insole nt coquin ; je lis sur ton visage \nta parent\u00e9 avec l\u2019enfer. Maintenant, permets-moi de donner \u00e0 ton \n\u00e9p\u00e9e le conseil de se taire, car si elle tente de remuer la langue, \nmon b\u00e2ton lui imposera un \u00e9ternel silence. Va-t\u2019en d\u2019ici, c\u2019est ce que tu as de mieux \u00e0 faire. \n \u2013 Pas avant de t\u2019avoir montr\u00e9 qu e je suis habile tireur, dit \nPierre en frappant le moine de son \u00e9p\u00e9e. \n Le coup fut si rapide, si violent, si adroitement dirig\u00e9, qu\u2019il \natteignit le fr\u00e8re \u00e0 la main gauche en lui coupant trois doigts jus-\nqu\u2019\u00e0 l\u2019os. \n \nLe moine jeta un cri, tomba sur Pierre comme la foudre, le \ncourba sous sa puissante \u00e9treinte et lui appliqua une vol\u00e9e de \ncoups de b\u00e2ton. \n Alors une sensation \u00e9trange s\u2019empara du mis\u00e9rable assassin ; \nil perdit son \u00e9p\u00e9e, ses yeux se troubl\u00e8rent, le sens des choses lui \u00e9chappa, il devint fou et perdit la force de se d\u00e9fendre. \n Lorsque le fr\u00e8re cessa de frapper, Pierre \u00e9tait mort. \n\u2013 Le fripon ! murmura le moine \u00e9puis\u00e9 de douleur et de fati-\ngue, le damn\u00e9 fripon ! Croyait-il que les doigts du pauvre Tuck \nfussent faits pour \u00eatre coup\u00e9s par un chien normand ? Je lui ai \ndonn\u00e9, je crois, une bonne le\u00e7on ; malheureusement il lui sera \ndifficile de la mettre \u00e0 profit, puisqu\u2019il a rendu le dernier souffle ; tant pis, c\u2019est sa faute et non la mi enne ; pourquoi a-t-il tu\u00e9 ce joli \ngar\u00e7on ? Ah ! mon Dieu ! s\u2019\u00e9cria le bon fr\u00e8re en portant sa main \nrest\u00e9e intacte sur le corps du ch evalier, il respire encore, son \ncorps est chaud et son c\u0153ur bat, fa iblement, il est vrai, mais assez \u2013 70 \u2013 pour r\u00e9v\u00e9ler un reste de vie. Je vais le prendre sur mes \u00e9paules et \nle porter \u00e0 la retraite. Pauvre jeune homme, il n\u2019est pas lourd ! Quant \u00e0 toi, vil assassin, ajouta Tuck en repoussant du pied le \ncorps de Pierre, reste l\u00e0, et si le s loups n\u2019ont pas encore d\u00een\u00e9, tu \nleur serviras de p\u00e2ture. \n \nCela dit, le moine se dirigea d\u2019un pas ferme et rapide dans la \ndirection de la demeure des joyeux hommes. \n Quelques mots suffiront pour expliquer la capture de Will \n\u00c9carlate. \n L\u2019homme qui avait rencontr\u00e9 Will en compagnie de Robin \nHood et de Petit-Jean dans une auberge de Mansfeld \u00e9tait, par ordre sup\u00e9rieur, \u00e0 la recherche du fugitif. Voyant le jeune homme en compagnie de cinq robustes ga illards qui pouvaient lui pr\u00eater \nmain-forte, le prudent batteur d\u2019 estrade avait retard\u00e9 le moment \nde sa capture. Il \u00e9tait sorti de l\u2019auberge, avait envoy\u00e9 \u00e0 Notting-\nham la demande d\u2019une troupe de soldats et ceux-ci, guid\u00e9s par \nl\u2019espion, s\u2019\u00e9taient rendus \u00e0 Barnsdale au milieu de la nuit. \n Le lendemain, une \u00e9trange fatalit\u00e9 conduisit Will hors du \nch\u00e2teau ; le pauvre gar\u00e7on tomba entre les mains des soldats et il fut enlev\u00e9 sans pouvoir opposer la moindre r\u00e9sistance. \n William se livra d\u2019abord \u00e0 un violent d\u00e9sespoir ; puis la ren-\ncontre de Much lui rendit quelque esp\u00e9rance. Il comprit vite qu\u2019une fois instruit de sa malhe ureuse situation, Robin Hood fe-\nrait tout au monde pour lui venir en aide, et que, s\u2019il ne pouvait \nr\u00e9ussir \u00e0 le sauver, du moins ne reculerait-il devant aucun obsta-\ncle pour venger sa mort. Il savait aussi, et c\u2019\u00e9tait l\u00e0 une grande \nconsolation pour son pauvre c\u0153ur, que bien des larmes seraient r\u00e9pandues sur sa cruelle destin\u00e9e ; il savait encore que Maude, si \nheureuse de son retour, pleurerait am\u00e8rement la perte de leur mutuel bonheur. \n Renferm\u00e9 dans un sombre cachot, Will attendait dans les \nangoisses de la crainte l\u2019heure fix\u00e9e pour son ex\u00e9cution, et chaque \u2013 71 \u2013 heure lui apportait \u00e0 la fois une esp\u00e9rance et une douleur. Le pau-\nvre prisonnier pr\u00eatait anxieusement l\u2019oreille \u00e0 tous les bruits ve-\nnus du dehors, esp\u00e9rant percevoir l\u2019\u00e9cho lointain du cor de Robin \nHood. \n \nLes premi\u00e8res lueurs du jour trouv\u00e8rent William en pri\u00e8res ; \nil s\u2019\u00e9tait pieusement confess\u00e9 au bon p\u00e8lerin, et l\u2019\u00e2me recueillie, le c\u0153ur confiant en celui dont il attendait la secourable pr\u00e9sence, \nWill se pr\u00e9para \u00e0 suivre les gardes du baron qui devaient venir le \nchercher au lever du soleil. \n \nLes soldats plac\u00e8rent William au milieu d\u2019eux et ils prirent le \nchemin de Nottingham. \n En p\u00e9n\u00e9trant dans la ville, l\u2019escorte se trouva bient\u00f4t entou-\nr\u00e9e d\u2019une grande partie des habitants qui, depuis le matin, \u00e9taient \ndans l\u2019attente de l\u2019arriv\u00e9e du fun\u00e8bre cort\u00e8ge. \n Quelque grand que f\u00fbt l\u2019espoir du malheureux jeune homme, \nil le sentit chanceler en ne voya nt autour de lui aucun visage de \nconnaissance. Le c\u0153ur de William se gonfla, des larmes, violem-ment contenues, mouill\u00e8rent sa paupi\u00e8re ; n\u00e9anmoins il esp\u00e9ra encore, car une voix secr\u00e8te lui di sait : Robin Hood n\u2019est pas loin, \nRobin Hood va venir. \n En arrivant au pied de la hideuse potence qui avait \u00e9t\u00e9 dres-\ns\u00e9e par les ordres du baron, William devint livide ; il ne s\u2019attendait pas \u00e0 mourir d\u2019une mort aussi infamante. \n \n\u2013 Je d\u00e9sire parler \u00e0 lord Fitz Alwine, dit-il. \n En sa qualit\u00e9 de sh\u00e9rif, ce dernier \u00e9tait tenu d\u2019assister \u00e0 \nl\u2019ex\u00e9cution. \n \u2013 Que voulez-vous de moi, malheureux ? demanda le baron. \u2013 Milord, ne puis-je esp\u00e9rer d\u2019obtenir gr\u00e2ce ? \u2013 72 \u2013 \u2013 Non, r\u00e9pondit froidement le vieillard. \n \u2013 Alors, reprit William d\u2019un ton calme, j\u2019implore une faveur \nqu\u2019il est impossible \u00e0 une \u00e2me g\u00e9n\u00e9reuse de me refuser. \n \n\u2013 Quelle faveur ? \u2013 Milord, j\u2019appartiens \u00e0 une no ble famille saxonne, son nom \nest le synonyme d\u2019honneur, et ja mais aucun de ses membres n\u2019a \nencouru le m\u00e9pris de ses concitoyens. Je suis soldat et gentil-homme, je dois mourir de la mort d\u2019un soldat. \n \u2013 Vous serez pendu, dit brutalement le baron. \u2013 Milord, j\u2019ai risqu\u00e9 ma vie sur les champs de bataille et je ne \nm\u00e9rite pas d\u2019\u00eatre pendu comme l\u2019est un voleur. \n \n\u2013 Ah ! ah ! vraiment, ricana le vieillard, et de quelle fa\u00e7on \nd\u00e9sirez-vous expier votre crime ? \n \u2013 Donnez-moi une \u00e9p\u00e9e et ordonnez \u00e0 vos soldats de me \nfrapper de leur lame ; je voudrais mourir comme meurt un hon-n\u00eate homme, les bras libres et le visage tourn\u00e9 vers le ciel. \n \u2013 Me croyez-vous assez imb\u00e9cile pour risquer l\u2019existence \nd\u2019un de mes hommes afin de satisfaire votre dernier caprice ? Du tout, du tout, vous allez \u00eatre pendu. \n \u2013 Milord, je vous en conjure, je vous en supplie, ayez piti\u00e9 de \nmoi ; je ne demande m\u00eame pas d\u2019\u00e9p\u00e9e, je ne me d\u00e9fendrai pas, je laisse vos hommes me tailler en morceaux. \n \u2013 Mis\u00e9rable ! dit le baron, tu as tu\u00e9 un Normand et tu implo-\nres la piti\u00e9 d\u2019un Normand ! tu es fou ! Arri\u00e8re ! tu mourras sur la potence, et bient\u00f4t, je l\u2019esp\u00e8re, tu auras pour compagnon le ban-dit qui infeste la for\u00eat de Sherwood de son entourage de fripons. \n \u2013 73 \u2013 \u2013 Si celui dont vous parlez avec tant de m\u00e9pris \u00e9tait \u00e0 port\u00e9e \nde ma voix, je rirais de vos bravades, l\u00e2che poltron que vous \u00eates ! \nSouvenez-vous de ceci, baron Fitz Alwine : si je meurs, Robin \nHood me vengera. Prenez garde de Robin Hood ; avant que la \nsemaine soit \u00e9coul\u00e9e, il sera au ch\u00e2teau de Nottingham. \n \u2013 Qu\u2019il y vienne en compagnie de toute sa bande, je ferai \ndresser deux cents potences. Bourre au, faites votre devoir, ajouta \nle baron. \n Le bourreau mit la main sur l\u2019 \u00e9paule de William. Le pauvre \ngar\u00e7on jeta autour de lui un regard d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 et ne voyant qu\u2019une foule silencieuse et attendrie, il recommanda son \u00e2me \u00e0 Dieu. \n \u2013 Arr\u00eatez ! dit la voix tremblante du vieux p\u00e8lerin, arr\u00eatez ! \nj\u2019ai une derni\u00e8re b\u00e9n\u00e9diction \u00e0 donner \u00e0 mon malheureux p\u00e9ni-\ntent. \n \u2013 Vous avez accompli tous vos devoirs aupr\u00e8s de ce mis\u00e9ra-\nble, cria le baron d\u2019un ton furieux ; il est inutile de retarder da-vantage son ex\u00e9cution. \n \u2013 Impie ! s\u2019\u00e9cria le p\u00e8lerin ; voudriez-vous priver ce jeune \nhomme des secours de la religion ? \n \u2013 H\u00e2tez-vous, r\u00e9pondit lord Fitz Alwine avec impatience, je \nsuis fatigu\u00e9 de toutes ces lenteurs. \n \u2013 Soldats, \u00e9loignez-vous un peu, dit le vieillard ; les pri\u00e8res \nd\u2019un moribond ne doivent point tomber dans des oreilles profa-nes. \n Sur un signe du baron, les soldats mirent une certaine dis-\ntance entre eux et le prisonnier. \n William et le p\u00e8lerin se trouv\u00e8rent seuls au pied de la po-\ntence. Le bourreau \u00e9coutait resp ectueusement les ordres du ba-\nron. \u2013 74 \u2013 \n\u2013 Ne bougez pas, Will, dit le p\u00e8lerin courb\u00e9 devant le jeune \nhomme, je suis Robin Hood ; je va is couper les liens qui entravent \nvos mouvements, nous nous \u00e9lancerons au milieu des soldats, la \nsurprise leur fera perdre la t\u00eate. \n \u2013 Soyez b\u00e9ni. Ah ! mon cher Robin, soyez b\u00e9ni ! murmura le \npauvre Will suffoqu\u00e9 de bonheur. \n \u2013 Baissez-vous, William, feignez de me parler ; bon ! voici \nvos liens coup\u00e9s, prenez l\u2019\u00e9p\u00e9e qui est suspendue sous ma robe ; la tenez-vous ? \n \u2013 Oui, murmura Will. \u2013 Tr\u00e8s bien ; maintenant appuyez votre dos contre le mien, \nnous allons montrer \u00e0 lord Fitz Alwine que vous n\u2019\u00eates point venu \nau monde pour \u00eatre pendu. \n Par un geste plus rapide que la pens\u00e9e, Robin Hood fit tom-\nber sa robe de p\u00e8lerin et montra aux regards \u00e9bahis de l\u2019assembl\u00e9e le costume bien connu du c\u00e9l\u00e8bre forestier. \n \u2013 Milord ! cria Robin d\u2019une voix ferme et vibrante, William \nG a m w e l l f a i t p a r t i e d e l a b a n d e d e s j o y e u x h o m m e s . V o u s m e l\u2019aviez enlev\u00e9, je suis venu le repr endre ; en \u00e9change, je vais vous \nenvoyer le cadavre du coquin qui av ait re\u00e7u de vous la mission de \ntuer l\u00e2chement le chevalier Allan Clare. \n \n\u2013 Cinq cents pi\u00e8ces d\u2019or au brave qui arr\u00eatera ce bandit ! \nhurla le baron ; cinq cents pi\u00e8ces d\u2019or au vaillant soldat qui lui \nmettra la main sur l\u2019\u00e9paule ! \n Robin Hood promena sur la foule, immobile de stupeur, un \nregard \u00e9tincelant. \n \u2013 Je n\u2019engage personne \u00e0 risquer sa vie, dit-il, je vais \u00eatre en-\ntour\u00e9 de mes compagnons. \u2013 75 \u2013 \nEn achevant ces mots, Robin sonna du cor, et au m\u00eame ins-\ntant une nombreuse troupe de fore stiers sortit du bois les mains \narm\u00e9es de leur arc tendu. \n \n\u2013 Aux armes ! cria le baron, aux armes ! Fid\u00e8les Normands, \nexterminez tous ces bandits ! \n \nUne vol\u00e9e de fl\u00e8ches enveloppa la troupe. Le baron, saisi \nd\u2019effroi, se jeta sur son cheval et le dirigea, en jetant de grands \ncris, dans la direction du ch\u00e2teau. Les citoyens de Nottingham \u00e9perdus d\u2019\u00e9pouvante, s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent sur les traces de leur seigneur, \net les soldats, entra\u00een\u00e9s par la terreur de cette panique g\u00e9n\u00e9rale, se sauv\u00e8rent au triple galop. \n \u2013 La for\u00eat et Robin Hood ! criaient les joyeux hommes en \nchassant leurs ennemis devant eux avec de grands \u00e9clats de rire. \n \nCitoyens, forestiers et soldats travers\u00e8rent la ville p\u00ealem\u00eale, \nles uns muets d\u2019effroi, les autres ri ant, les derniers la rage dans le \nc\u0153ur. Le baron p\u00e9n\u00e9tra le premier dans l\u2019int\u00e9rieur du ch\u00e2teau : tout le monde l\u2019y suivit, \u00e0 part les joyeux hommes, qui, arriv\u00e9s l\u00e0, salu\u00e8rent par des acclamations d\u00e9risoires leurs pusillanimes ad-versaires. \n Lorsque Robin Hood, accompagn\u00e9 de sa troupe, eut repris le \nchemin de la for\u00eat, les citoyens qui n\u2019\u00e9taient point bless\u00e9s et qui n\u2019avaient rien perdu dans cette \u00e9trange algarade proclam\u00e8rent le courage du jeune chef et sa fid\u00e9lit\u00e9 au malheur. \n Les jeunes filles m\u00eal\u00e8rent leur douce voix \u00e0 ce concert \nd\u2019\u00e9loges, et il arriva m\u00eame que l\u2019une d\u2019elles en vint \u00e0 d\u00e9clarer que les forestiers lui paraissaient si aimables et si bienveillants qu\u2019elle ne craindrait plus d\u00e9sormais de traverser la for\u00eat toute seule. \u2013 76 \u2013 III \n \nApr\u00e8s s\u2019\u00eatre assur\u00e9 que Robin Hood n\u2019avait pas l\u2019intention \nd\u2019assi\u00e9ger le ch\u00e2teau, lord Fitz Alwine, bris\u00e9 de corps et l\u2019esprit \nassailli par mille projets plus irr\u00e9alisables les uns que les autres, \nse retira dans son appartement. \n L\u00e0, le baron se prit \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chi r sur l\u2019\u00e9trange audace de Robin \nHood, qui, en plein jour, sans autre arme qu\u2019une \u00e9p\u00e9e inoffensive, \npuisqu\u2019il ne l\u2019avait tir\u00e9e du fourre au que pour couper les liens du \nprisonnier, avait eu l\u2019admirable pr \u00e9sence d\u2019esprit de tenir en res-\npect une nombreuse troupe d\u2019homme s. La fuite honteuse des sol-\ndats se pr\u00e9senta devant les yeux du baron, et oubliant qu\u2019il avait \n\u00e9t\u00e9 le premier \u00e0 donner l\u2019exemple de cette retraite, il maudit leur \nl\u00e2chet\u00e9. \n \u2013 Quelle terreur grossi\u00e8re ! s\u2019\u00e9criait-il, quelle \u00e9pouvante ridi-\ncule ! Que vont penser les citoyens de Nottingham ? La fuite leur \n\u00e9tait permise \u00e0 eux, ils n\u2019avaient aucun moyen de d\u00e9fense ; mais des soldats arm\u00e9s jusqu\u2019aux dents, bien disciplin\u00e9s ! Ma r\u00e9puta-\ntion de vaillance et de bravoure se trouve, par ce fait inou\u00ef, \u00e0 ja-mais perdue. \n De cette r\u00e9flexion d\u00e9solante pour son amour-propre, le ba-\nron passa \u00e0 un autre ordre d\u2019id\u00e9es. Il exag\u00e9ra tellement la honte de sa d\u00e9faite qu\u2019il finit par en rendre ses soldats tout \u00e0 fait res-ponsables ; il s\u2019imagina que, au li eu d\u2019avoir ouvert devant eux le \nchemin de la d\u00e9sertion, il avait prot\u00e9g\u00e9 leur fuite insens\u00e9e, et que, sans autre protection que son propre courage, il s\u2019\u00e9tait fray\u00e9 un chemin au milieu des proscrits. En faisant prendre au baron l\u2019id\u00e9e \npour le fait, cette bizarre conclusi on porta au comble de la fureur \nsa col\u00e8re int\u00e9rieure : il s\u2019\u00e9lan\u00e7a hors de sa chambre et se pr\u00e9cipita \ndans la cour, o\u00f9 ses hommes, r\u00e9unis en diff\u00e9rents groupes, par-laient avec m\u00e9contentement de le ur pitoyable d\u00e9faite et en accu-\u2013 77 \u2013 saient leur noble seigneur. Le baron tomba comme une bombe au \nmilieu de sa troupe, lui ordonna de se ranger en cercle, et lui d\u00e9-\nbita un long discours sur son inf\u00e2me poltronnerie. Apr\u00e8s cela, il \ncita aux soldats des exemples im aginaires de paniques insens\u00e9es, \ntout en ajoutant que jamais de m\u00e9moire d\u2019homme on n\u2019avait en-\ntendu parler d\u2019une l\u00e2chet\u00e9 comparable \u00e0 celle qu\u2019ils avaient \u00e0 se reprocher. Le baron parla avec tant de v\u00e9h\u00e9mence et d\u2019indignation, il prit un air de cour age \u00e0 la fois si invincible et si \nm\u00e9connu que les soldats, domin\u00e9s par le sentiment de respect dont ils entouraient leur suzerain, finirent par croire qu\u2019ils \u00e9taient \nv\u00e9ritablement les seuls coupables. La rage du baron leur parut une noble fureur ; ils baiss\u00e8rent la t\u00eate et en arriv\u00e8rent \u00e0 penser \nqu\u2019ils n\u2019\u00e9taient autre chose que des poltrons effray\u00e9s de leur om-bre. Lorsque le baron eut termin \u00e9 son pompeux discours, un des \nhommes proposa de poursuivre les proscrits jusque dans leur re-\ntraite de la for\u00eat. Cette proposit ion fut accueillie avec des cris de \njoie par la troupe enti\u00e8re, et le soldat qui avait \u00e9mis cette belli-\nqueuse id\u00e9e supplia le vaillant disc oureur de se mettre \u00e0 leur t\u00eate. \nMais celui-ci, fort peu dispos\u00e9 \u00e0 r\u00e9pondre \u00e0 cette intempestive demande, r\u00e9pliqua qu\u2019il \u00e9tait bi en reconnaissant d\u2019un pareil t\u00e9-\nmoignage de haute estime, mais qu e pour le moment il lui parais-\nsait infiniment plus agr\u00e9able de rester chez lui. \n \u2013 Mes braves, ajouta le baron, la prudence nous fait un de-\nvoir d\u2019attendre une occasion favorable pour nous emparer de Ro-bin Hood ; je crois tr\u00e8s sage de nous abstenir, pour le moment du moins, de toute tentative inconsid \u00e9r\u00e9e. Patience aujourd\u2019hui, cou-\nrage \u00e0 l\u2019heure de la lutte, je ne vous demande rien de plus. \n \nCela dit, le baron, qui redoutait une insistance trop vive de la \npart de ses hommes, s\u2019empressa de les abandonner \u00e0 leurs projets \nde victoire. L\u2019esprit tranquillis\u00e9 au sujet de sa r\u00e9putation de vail-lant homme de guerre, le baro n oublia Robin Hood, pour ne \ns\u2019occuper que de ses int\u00e9r\u00eats personnels et des pr\u00e9tendants \u00e0 la main de sa fille. Il va sans dire que lord Fitz Alwine appuyait en-\nti\u00e8rement la r\u00e9alisation de ses plus chers d\u00e9sirs sur l\u2019adresse \u00e9prouv\u00e9e de Pierre le Noir, et qu\u2019\u00e0 ses yeux Allan Clare n\u2019existait plus. Robin Hood, il est vrai, lu i avait annonc\u00e9 la mort de son \u2013 78 \u2013 sanglant \u00e9missaire ; mais il importait peu au baron que Pierre e\u00fbt \npay\u00e9 de sa vie le service qu\u2019il avai t rendu \u00e0 son seigneur et ma\u00eetre. \nD\u00e9barrass\u00e9 d\u2019Allan Clare, nul obstacle ne pouvait se mettre entre \nChristabel et sir Tristram, et l\u2019existence de ce dernier \u00e9tait si voi-\nsine de la tombe que la jeune \u00e9pous\u00e9e \u00e9changerait pour ainsi dire du jour au lendemain ses v\u00eateme nts de noce contre le sombre \nvoile des veuves. Jeune et belle \u00e0 miracle, d\u00e9gag\u00e9e de tout lien, \nriche \u00e0 faire envie, lady Christabel ferait alors un mariage digne \nde sa beaut\u00e9 et de son immense fortune. Mais quel mariage ? se \ndemandait le baron. Et l\u2019\u0153il illumin\u00e9 par une ardente ambition, il \ncherchait un \u00e9poux qui se trouvait \u00e0 la hauteur de ses esp\u00e9rances. L\u2019orgueilleux vieillard entrevit bi ent\u00f4t les splendeurs de la cour, \net il songea au fils de Henri II. \u00c0 cette \u00e9poque de lutte incessante entre les diff\u00e9rents partis qui s\u2019\u00e9taient partag\u00e9 le royaume d\u2019Angleterre, la n\u00e9cessit\u00e9 avait fait de l\u2019argent une grande puis-sance, et l\u2019\u00e9l\u00e9vation de lady Christabel au rang de princesse royale \nn\u2019\u00e9tait point une chose impossible \u00e0 r\u00e9aliser. L\u2019enivrant espoir con\u00e7u par lord Fitz Alwine prenait d\u00e9j\u00e0 dans son esprit les formes \nd \u2019 u n p r o j e t \u00e0 l a v e i l l e d \u2019 \u00ea t r e m i s \u00e0 e x \u00e9 c u t i o n . D \u00e9 j \u00e0 i l s e v o y a i t l\u2019a\u00efeul d\u2019un roi d\u2019Angleterre, et il se demandait \u00e0 quelle nation il \nserait avantageux d\u2019unir ses petits-fils et ses arri\u00e8re-petits-fils, lorsque les paroles de Robin lui revinrent en m\u00e9moire et renver-s\u00e8rent cet \u00e9chafaudage a\u00e9rien. Peut-\u00eatre Allan Clare existait-il encore ! \n \u2013 Il faut s\u2019en assurer sur-le-champ, cria le baron, mis hors de \nlui par cette seule supposition. \n Il agita violemment une sonnette plac\u00e9e nuit et jour \u00e0 la por-\nt\u00e9e de sa main, et un serviteur se pr\u00e9senta. \n \u2013 Pierre le Noir est-il au ch\u00e2teau ? \u2013 Non, milord ; il est sorti hi er en compagnie de deux hom-\nmes, et ces derniers sont revenus seuls, l\u2019un gri\u00e8vement bless\u00e9, l\u2019autre \u00e0 demi mort. \n \u2013 Envoyez-moi celui qui est encore debout. \u2013 79 \u2013 \n\u2013 Oui, milord. L\u2019homme demand\u00e9 se montra bient\u00f4t ; il avait \nla t\u00eate envelopp\u00e9e de bandages et le bras gauche soutenu par une \n\u00e9charpe. \n \n\u2013 O\u00f9 est Pierre le Noir ? interrogea le baron sans accorder au \nmis\u00e9rable le moindre regard de piti\u00e9. \n \n\u2013 Je l\u2019ignore, milord ; j\u2019ai laiss\u00e9 Pierre dans la for\u00eat ; il y \ncreusait une fosse pour cacher le corps du jeune seigneur que \nnous avons tu\u00e9. \n \nUn nuage de pourpre traversa la figure du baron. Il essaya de \nparler, et des mots confus se heurt\u00e8rent sur ses l\u00e8vres ; il d\u00e9tour-na la t\u00eate et fit signe \u00e0 l\u2019assassin de sortir de l\u2019appartement. \n \nCelui-ci, qui ne demandait pas mieux, s\u2019\u00e9loigna en \ns\u2019appuyant aux murs. \n \u2013 Mort ! murmura le baron avec un sentiment ind\u00e9finissa-\nble ; mort ! r\u00e9p\u00e9ta-t-il. Et, p\u00e2le \u00e0 faire douter de son existence, il balbutiait d\u2019une voix faible : Mort ! mort ! \n Laissons Fitz Alwine en proie aux secr\u00e8tes angoisses d\u2019une \nconscience en r\u00e9volte, et allons \u00e0 la recherche de l\u2019\u00e9poux qu\u2019il des-\ntine \u00e0 sa fille. \n Sir Tristram n\u2019avait point quitt\u00e9 le ch\u00e2teau, et son s\u00e9jour de-\nvait s\u2019y prolonger jusqu\u2019\u00e0 la fin de la semaine. \n Le baron d\u00e9sirait que le mariage de sa fille f\u00fbt c\u00e9l\u00e9br\u00e9 dans la \nchapelle du ch\u00e2teau, et sir Tristram, qui redoutait quelque exploit sinistre contre sa personne, voulait absolument se marier au grand jour, \u00e0 l\u2019abbaye de Linton, qui se trouve situ\u00e9e \u00e0 un mille \nenviron de la ville de Nottingham. \n \u2013 Mon cher ami, dit lord Fitz Alwine d\u2019un ton p\u00e9remptoire, \nlorsque cette question fut soulev\u00e9e, vous \u00eates un sot et un ent\u00eat\u00e9, \u2013 80 \u2013 car vous ne comprenez ni mes bonnes intentions ni vos int\u00e9r\u00eats. Il \nne faut point vous mettre dans l\u2019es prit que ma fille soit tr\u00e8s heu-\nreuse de vous appartenir et qu\u2019elle marchera joyeusement \u00e0 \nl\u2019autel. Je ne saurais vous en dire la raison, mais j\u2019ai le pressenti-\nment qu\u2019\u00e0 l\u2019abbaye de Linton, il se pr\u00e9sentera quelque circons-tance fort d\u00e9sastreuse pour nos mutuels projets. Nous sommes dans le voisinage d\u2019une troupe de bandits qui, command\u00e9e par un \nchef audacieux, est parfaitement capable de nous cerner et de \nnous d\u00e9pouiller. \n \u2013 Je me ferai escorter par mes serviteurs, r\u00e9pondit sir Tris-\ntram ; ils sont nombreux et d\u2019un courage \u00e0 toute \u00e9preuve. \n \u2013 Comme il vous plaira, dit le baron. S\u2019il arrive malheur, \nvous n\u2019aurez pas le droit de vous en plaindre. \n \n\u2013 Soyez sans inqui\u00e9tude, je pren ds sur moi la responsabilit\u00e9 \nde ma faute, si je commets une faute en choisissant le lieu o\u00f9 doit s\u2019accomplir la c\u00e9l\u00e9bration nuptiale. \n \u2013 \u00c0 propos, reprit le baron, n\u2019oubliez pas, je vous prie, que la \nveille de ce grand jour vous devez me remettre un million de pi\u00e8-ces d\u2019or. \n \u2013 La caisse qui contient cette grosse somme est dans ma \nchambre, Fitz Alwine, dit sir Tris tram en laissant \u00e9chapper un \ndouloureux soupir ; on la transportera dans votre appartement le jour du mariage. \n \n\u2013 La veille, dit le baron ; la veille, c\u2019est convenu. \n \u2013 La veille, soit. Sur ce, les deux vieillards se s\u00e9par\u00e8rent. L\u2019un \nalla faire sa cour \u00e0 lady Christabe l, l\u2019autre retomba dans l\u2019illusion \nde ses r\u00eaves de grandeur. Au ch\u00e2teau de Barnsdale, la tristesse \u00e9tait grande : le vieux sir Guy, sa femme et les pauvres s\u0153urs de William passaient les heures du jour \u00e0 se conseiller mutuellement la r\u00e9signation, et les nuits \u00e0 pleurer la perte du malheureux Will. Le lendemain de la miraculeuse d\u00e9livrance du jeune gar\u00e7on, la \u2013 81 \u2013 famille Gamwell, r\u00e9unie dans la salle, causait tristement de \nl\u2019\u00e9trange disparition de Will, lorsque le joyeux son d\u2019un cornet de \nchasse retentit \u00e0 la porte du ch\u00e2teau. \n \n\u2013 C\u2019est Robin ! cria Marianne en s\u2019\u00e9lan\u00e7ant vers une fen\u00eatre. \u2013 Il apporte bien certainement d\u2019heureuses nouvelles, dit \nBarbara. Allons, ch\u00e8re Maude, espoir et courage, William va re-\nvenir. \n \n\u2013 H\u00e9las ! que ne dites-vous vrai, ma s\u0153ur ! dit Maude en \npleurant. \n \u2013 Je dis vrai, je dis vrai ! s\u2019\u00e9cria Barbara ; c\u2019est Will, c\u2019est Ro-\nbin, puis un jeune homme de leurs amis, sans doute. \n \nMaude se jeta vers la porte ; Marianne, qui avait reconnu son \nfr\u00e8re (Allan Clare, que la douleur avait seulement priv\u00e9 de ses sens pendant quelques heures, se portait \u00e0 merveille), tomba avec Maude dans les bras tendus des jeunes gens. \n Maude, \u00e9perdue, r\u00e9p\u00e9tait follement : \u2013 Will ! Will ! cher Will ! Et Marianne, les mains nou\u00e9es au-\ntour du cou de son fr\u00e8re, \u00e9tait incapable de prononcer une seule parole. Nous n\u2019essayerons pas de d\u00e9peindre la joie de cette heu-reuse famille. Une fois encore, Dieu lui avait rendu sain et sauf celui qu\u2019elle avait pleur\u00e9 en d\u00e9sesp\u00e9rant de jamais le revoir. Les rires effac\u00e8rent jusqu\u2019au souvenir des larmes, les baisers et les \ntendres pressions de main r\u00e9unirent sous une m\u00eame caresse et \ndans une m\u00eame \u00e9treinte ces enfant s aim\u00e9s, sur le sein maternel. \nSir Guy donna sa b\u00e9n\u00e9diction \u00e0 Will et au sauveur de son fils, et \nlady Gamwell, souriante et joyeus e, pressa sur son c\u0153ur la char-\nmante Maude. \n \u2013 N\u2019avais-je pas raison de vo us assurer que Robin apportait \nde bonnes nouvelles ? dit Ba rbara en embrassant Will. \n \u2013 82 \u2013 \u2013 Oui, certainement, vous aviez raison, ch\u00e8re Barbara, r\u00e9-\npondit Marianne en pressant les mains de son fr\u00e8re. \n \n\u2013 J\u2019ai envie, reprit l\u2019espi\u00e8gle Barbara, de faire semblant de \nprendre Robin pour Will et de l\u2019embrasser de toutes mes forces. \n \n\u2013 Cette mani\u00e8re d\u2019exprimer votre reconnaissance serait d\u2019un \nmauvais exemple, ch\u00e8re Baby, s\u2019\u00e9c ria Marianne en riant ; nous \nserions oblig\u00e9es de faire comme vous, et Robin succomberait sous le poids d\u2019un trop grand bonheur. \n \u2013 Ma mort serait alors bien douce ; ne le pensez-vous pas, \nlady Marianne ? \n La jeune fille rougit. Un imperceptible sourire effleura les l\u00e8-\nvres d\u2019Allan Clare. \n \n\u2013 Chevalier, dit Will en s\u2019avan\u00e7ant vers le jeune homme, \nvous voyez quelle affection Robin a inspir\u00e9e \u00e0 mes s\u0153urs, et cette affection, il la m\u00e9rite. En vous racontant nos malheurs, Robin ne \nvous a pas dit qu\u2019il avait arrach\u00e9 \u00e0 la mort mon p\u00e8re et ma m\u00e8re ; il ne vous a point parl\u00e9 de son infatigable d\u00e9vouement pour Wini-fred et Barbara ; il ne vous a point appris qu\u2019il avait eu pour Maude, ma future petite femme, le s soins affectueux du meilleur \ndes amis. En vous donnant des no uvelles de lady Marianne, votre \nbien-aim\u00e9e, Robin n\u2019a pas ajout\u00e9 : J\u2019ai veill\u00e9 sur le bonheur de celle qui se trouvait loin de vous ; elle a eu en moi un ami fid\u00e8le, un fr\u00e8re constamment d\u00e9vou\u00e9 ; il ne\u2026 \n \n\u2013 William, je vous en prie, interrompit Robin, m\u00e9nagez ma \nmodestie, et quoique lady Marianne dise que je ne sais plus rou-\ngir, je sens une chaleur br\u00fblante me monter au front. \n \n\u2013 Mon cher Robin, dit le cheval ier en serrant avec une visible \n\u00e9motion les mains du jeune homme, je vous suis depuis long-temps redevable d\u2019une bien grande reconnaissance, et je me trouve heureux de pouvoir enfin vous la t\u00e9moigner. Je n\u2019avais pas besoin d\u2019\u00eatre assur\u00e9, par les paro les de Will, que vous aviez no-\u2013 83 \u2013 blement rempli la d\u00e9licate missi on confi\u00e9e \u00e0 votre honneur, la \nloyaut\u00e9 de toutes vos actions m\u2019en \u00e9tait un s\u00fbr garant. \n \n\u2013 \u00d4 mon fr\u00e8re, dit Marianne, si vous pouviez savoir combien \nil a \u00e9t\u00e9 bon et g\u00e9n\u00e9reux pour nous tous ! si vous pouviez savoir \ncombien sa conduite envers mo i est digne d\u2019\u00e9loges, vous \nl\u2019honoreriez, mon fr\u00e8re, et vous l\u2019aimeriez comme\u2026 comme\u2026 \n \n\u2013 Comme tu l\u2019aimes, n\u2019est-ce pas ? dit Allan avec un doux \nsourire. \n \n\u2013 Oui, comme je l\u2019aime, reprit Marianne, la figure \u00e9clair\u00e9e \npar un sentiment d\u2019orgueil indici ble, tandis que sa voix m\u00e9lo-\ndieuse tremblait d\u2019\u00e9motion. Je ne crains pas d\u2019avouer ma ten-dresse pour l\u2019homme g\u00e9n\u00e9reux qui a pris part au deuil de mon c\u0153ur. Robin m\u2019aime, cher Allan ; il m\u2019aime d\u2019une affection \u00e9gale \nen force et en dur\u00e9e \u00e0 celle que je lui porte moi-m\u00eame. J\u2019ai promis \nma main \u00e0 Robin Hood, et nous a ttendions ta pr\u00e9sence pour de-\nmander \u00e0 Dieu sa sainte b\u00e9n\u00e9diction. \n \u2013 Je rougis de mon \u00e9go\u00efsme, Marianne, dit Allan, et cette \nhonte me fait doublement appr\u00e9cier l\u2019admirable conduite de Ro-bin. Ton protecteur naturel \u00e9tait loin de toi, il t\u2019oubliait et fid\u00e8le \u00e0 son souvenir, ch\u00e8re s\u0153ur, tu attendai s son retour pour te croire le \ndroit d\u2019\u00eatre heureuse. Pardonnez-moi tous les deux ce cruel abandon ; Christabel plaidera ma cause aupr\u00e8s de vos tendres c\u0153urs. Merci, cher Robin, ajouta le chevalier, merci ; nulle parole \nne saurait vous exprimer ma si nc\u00e8re gratitude\u2026 Vous aimez Ma-\nrianne et Marianne vous aime, je vous donne sa main avec un or-\ngueilleux bonheur. \n \nEn achevant ces paroles, le chevalier prit la main de sa s\u0153ur \net la pla\u00e7a en souriant entre les mains du jeune homme. \n Celui-ci, le c\u0153ur gonfl\u00e9 de jo ie, attira Marianne sur sa poi-\ntrine palpitante et l\u2019embrassa passionn\u00e9ment. \n \u2013 84 \u2013 William semblait fou de l\u2019ivresse r\u00e9pandue autour de lui et \ndans le sinc\u00e8re d\u00e9sir de calmer un peu cette violente \u00e9motion, il \nprit Maude par la taille, baisa so n cou \u00e0 plusieurs reprises, articu-\nla quelques paroles confuses, et r\u00e9ussit enfin \u00e0 pousser un triom-\nphant hourra. \n \n\u2013 Nous nous marierons le m\u00eame jour, n\u2019est-ce pas Robin ? \ncria Will d\u2019une voix joyeuse ; ou, pour mieux dire, nous nous ma-\nrierons demain. Oh ! non, pas de main, cela porte malheur de re-\nmettre une chose qui peut se faire \u00e0 l\u2019heure m\u00eame. Nous nous \nmarierons aujourd\u2019hui ? hein, qu\u2019en dites-vous, Maude ? \n La jeune fille se mit \u00e0 rire. \u2013 Vous \u00eates trop press\u00e9, William, s\u2019\u00e9cria le chevalier. \n\u2013 Trop press\u00e9 ! il vous est fa cile, Allan, de juger ainsi mon \nd\u00e9sir ; mais si, comme moi, vous av iez \u00e9t\u00e9 enlev\u00e9 des bras de celle \nqui vous aime au moment de lui donner votre nom, vous ne diriez \npas que je suis trop press\u00e9. N\u2019ai-je pas raison, Maude ? \n \u2013 Oui, William, vous avez rais on ; mais cependant notre ma-\nriage ne peut \u00eatre c\u00e9l\u00e9br\u00e9 aujourd\u2019hui. \n \u2013 Pourquoi ? je demande pourquoi ? r\u00e9p\u00e9ta l\u2019impatient gar-\n\u00e7on. \n \u2013 Parce qu\u2019il est n\u00e9cessaire que je m\u2019\u00e9loigne de Barnsdale \ndans quelques heures, ami Will, r\u00e9pondit le chevalier, et qu\u2019il me \nserait fort agr\u00e9able d\u2019assister \u00e0 vos noces et \u00e0 celles de ma s\u0153ur. \nJ\u2019esp\u00e8re de mon c\u00f4t\u00e9 avoir le bonheur d\u2019\u00e9pouser lady Christabel, et nos trois mariages pourront \u00eatre c\u00e9l\u00e9br\u00e9s le m\u00eame jour. Atten-dez encore, William ; dans une se maine d\u2019ici tout sera arrang\u00e9 \u00e0 \nnotre mutuelle satisfaction. \n \u2013 Attendre une semaine ! cria Will ; c\u2019est impossible ! \u2013 85 \u2013 \u2013 Mais William, dit Robin, une semaine est bient\u00f4t pass\u00e9e, et \nvotre c\u0153ur a mille raisons pour l\u2019aider \u00e0 prendre patience. \n \n\u2013 Allons, je me r\u00e9signe, dit le jeune homme d\u2019un ton d\u00e9cou-\nrag\u00e9 ; vous \u00eates tous contre moi, et je suis seul pour me d\u00e9fendre. \nMaude, qui devrait me pr\u00eater l\u2019\u00e9loquence de sa douce voix, reste muette. Je me tais. Voyons, Maude, il me semble que nous avons \n\u00e0 causer de notre future m\u00e9nage ; venez faire un tour dans le jar-\ndin ; cette promenade prendra au moins deux heures, et ce sera \ntoujours autant de conquis su r l\u2019\u00e9ternit\u00e9 d\u2019une semaine. \n Sans attendre le consentement de la jeune fille, Will lui prit \nla main et l\u2019entra\u00eena en riant sous les verts ombrages du parc. \n Sept jours apr\u00e8s l\u2019entrevue qui avait mis en pr\u00e9sence Allan \nClare et lord Fitz Alwine, lady Christabel \u00e9tait seule dans sa \nchambre, assise ou plut\u00f4t \u00e0 demi renvers\u00e9e sur un si\u00e8ge. \n \nUne splendide robe de satin blanc drapait ses plis soyeux au-\nt o u r d u c o r p s a f f a i s s \u00e9 d e l a j e u n e f i l l e , e t u n v o i l e d e p o i n t d\u2019Angleterre retenu aux blondes tr esses de ses cheveux la couvrait \nenti\u00e8rement. Les traits si purs et si id\u00e9als de Christabel \u00e9taient voil\u00e9s par une p\u00e2leur profonde, se s l\u00e8vres incolores \u00e9taient fer-\nm\u00e9es et ses grands yeux, au regard sans chaleur, s\u2019attachaient avec \u00e9garement sur une porte qui leur faisait face. \n De temps \u00e0 autre une larme bri llante roulait sur les joues de \nChristabel, et cette larme, perle de douleur, \u00e9tait le seul t\u00e9moi-\ngnage d\u2019existence qui r\u00e9v\u00e9l\u00e2t ce corps affaiss\u00e9. \n Deux heures s\u2019\u00e9coul\u00e8rent dans une mortelle attente. Christa-\nbel ne vivait pas ; son \u00e2me su spendue aux souvenirs enivrants \nd\u2019un pass\u00e9 sans retour, voyait approcher avec une indicible ter-reur le moment du sacrifice. \n \u2013 Il m\u2019a oubli\u00e9e ! s\u2019\u00e9cria tout \u00e0 coup la jeune fille en pressant \nl\u2019une contre l\u2019autre ses mains plus blanches que l\u2019\u00e9tait le satin de sa robe ; il a oubli\u00e9 celle qu\u2019il di sait aimer, celle qui l\u2019aimait uni-\u2013 86 \u2013 quement ; il a viol\u00e9 ses promesses, il s\u2019est mari\u00e9. \u00d4 mon Dieu ! \nayez piti\u00e9 de moi, les forces m\u2019abandonnent, car mon c\u0153ur est bris\u00e9. J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 tant souffert ! pour lui j\u2019ai support\u00e9 les paroles \nam\u00e8res, les regards sans amour de celui que je dois aimer et res-\np e c t e r ! P o u r l u i j \u2019 a i s u p p o r t \u00e9 s a n s m e p l a i n d r e d e c r u e l s t r a i t e -\nm e n t s , l a s o m b r e s o l i t u d e d u c l o \u00ee t r e ! j \u2019 a i e s p \u00e9 r \u00e9 e n l u i e t i l m \u2019 a tromp\u00e9e ! \n \nUn sanglot convulsif souleva la poitrine de lady Christabel, et \nd\u2019abondantes larmes jaillirent de ses yeux. Un l\u00e9ger coup frapp\u00e9 \u00e0 \nsa porte vint arracher Christabel \u00e0 sa douloureuse r\u00eaverie. \n \u2013 Entrez, dit-elle d\u2019une voix mourante. La porte s\u2019ouvrit, et le visage rid\u00e9 de sir Tristram se montra \ndevant les yeux de la pauvre d\u00e9sol\u00e9e. \n \n\u2013 Ch\u00e8re lady, dit le vieillard avec un ricanement qu\u2019il croyait \n\u00eatre un joli sourire, l\u2019heure du d\u00e9part vient de sonner ; permettez-moi je vous prie, de vous offrir ma main ; l\u2019escorte nous attend, et \nnous serons les plus heureux \u00e9poux de toute l\u2019Angleterre. \n \u2013 Milord, balbutia Christabel, je suis incapable de descendre. \u2013 Comment dites-vous, mon cher amour, vous \u00eates incapable \nde descendre ? Je n\u2019y comprends ri en ; vous voil\u00e0 tout habill\u00e9e, \non nous attend. Allons, donnez-moi votre belle petite main. \n \u2013 Sir Tristram, r\u00e9pondit Christabel en se levant l\u2019\u0153il en feu \net les l\u00e8vres fr\u00e9missantes, \u00e9coutez- moi, je vous en conjure, et si \nvous avez dans l\u2019\u00e2me une \u00e9tincelle de piti\u00e9, vous \u00e9pargnerez \u00e0 une \npauvre fille qui vous implore cette terrible c\u00e9r\u00e9monie. \n \u2013 Terrible c\u00e9r\u00e9monie ! r\u00e9p\u00e9ta sir Tristram d\u2019un air fort \u00e9ton-\nn\u00e9. Qu\u2019est-ce \u00e0 dire, milady ? je ne vous comprends pas. \n \u2013 87 \u2013 \u2013 \u00c9pargnez-moi la douleur de vous donner une explication, \nr\u00e9pondit Christabel en sanglotant, et je vous b\u00e9nirai, milord, et je \nprierai Dieu pour vous. \n \n\u2013 Vous me semblez bien agit\u00e9e, ma jolie colombe, dit le vieil-\nlard d\u2019un ton doucereux. Calmez -vous, mon amour, et ce soir, \ndemain, si vous l\u2019aimiez mieux, vous me ferez vos petites confi-dences. Dans ce moment-ci, nous avons peu de temps \u00e0 perdre ; \nmais quand nous serons mari\u00e9s, il n\u2019en sera pas de m\u00eame, nous \naurons de grands loisirs, et je vous \u00e9couterai depuis le matin jus-\nqu\u2019au soir. \n \u2013 De gr\u00e2ce, milord, \u00e9coutez-moi maintenant ; si mon p\u00e8re \nvous trompe, je ne veux pas vous donner, moi, des esp\u00e9rances vaines. Milord, je ne vous aime pas, mon c\u0153ur appartient \u00e0 un jeune seigneur qui a \u00e9t\u00e9 le premier ami de mon enfance ; je pense \n\u00e0 lui au moment de vous donner ma main ; je l\u2019aime, milord, je \nl\u2019aime, et mon \u00e2me enti\u00e8re lui est ardemment attach\u00e9e. \n \u2013 Vous oublierez ce jeune homme, milady, et lorsque vous \nserez ma femme, croyez-moi, vous ne penserez plus du tout \u00e0 lui. \n \u2013 Je ne l\u2019oublierai jamais ; son souvenir s\u2019est grav\u00e9 dans mon \nc\u0153ur d\u2019une mani\u00e8re ineffa\u00e7able. \n \u2013 \u00c0 votre \u00e2ge, on croit toujours aimer pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9, mon \ncher amour ; puis le temps marche, et il efface sous ses pas l\u2019image si tendrement ch\u00e9rie. A llons, venez, nous causerons de \ntout cela plus tard, et je vous ai derai \u00e0 mettre entre le pass\u00e9 et le \npr\u00e9sent l\u2019esp\u00e9rance de l\u2019avenir. \n \u2013 Vous \u00eates sans piti\u00e9, milord ! \u2013 Je vous aime, Christabel. \u2013 Mon Dieu ! ayez piti\u00e9 de moi ! soupira la pauvre fille. \u2013 88 \u2013 \u2013 Bien certainement Dieu aura piti\u00e9, dit le vieillard en pre-\nnant la main de Christabel ; il vous enverra la r\u00e9signation et \nl\u2019oubli. \n \nSir Tristram baisa avec un resp ect m\u00eal\u00e9 de tendresse et de \nsympathique commis\u00e9ration la main froide qu\u2019il tenait dans les \nsiennes. \n \n\u2013 Vous serez heureuse, milady, dit-il. Christabel sourit tris-\ntement. \n \n\u2013 Je mourrai, pensa-t-elle. On faisait de grands pr\u00e9paratifs \u00e0 \nl\u2019abbaye de Linton pour c\u00e9l\u00e9brer le mariage de lady Christabel avec le vieux sir Tristram. \n D\u00e8s le matin la chapelle avait \u00e9t\u00e9 d\u00e9cor\u00e9e de magnifiques \ndraperies, et des fleurs odorif\u00e9rantes r\u00e9pandaient dans le sanc-\ntuaire les plus suaves parfums. L\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford, qui devait unir les deux \u00e9poux, entour\u00e9 de mo ines rev\u00eatus de blancs surplis, \nattendait au seuil de l\u2019\u00e9glise l\u2019a rriv\u00e9e du cort\u00e8ge. Quelques minu-\ntes avant la venue de sir Tristr am et de lady Christabel, un \nhomme, tenant \u00e0 la main une peti te harpe, se pr\u00e9senta devant \nl\u2019\u00e9v\u00eaque. \n \u2013 Monseigneur, dit le nouveau venu en s\u2019inclinant avec res-\npect, vous allez dire une grand-messe en l\u2019honneur des futurs \u00e9poux, n\u2019est-ce pas ? \n \u2013 Oui, mon ami, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaq ue, et pour quelle raison me \nfais-tu cette demande ? \n \u2013 Monseigneur, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9tranger, je suis le meilleur har-\npiste de France et d\u2019Angleterre, et d\u2019habitude on utilise mon sa-voir dans les f\u00eates qui se c\u00e9l\u00e8brent avec \u00e9clat. J\u2019ai entendu parler du mariage de sir Tristram le rich e avec la fille unique du baron \nFitz Alwine, et je viens offrir mes services \u00e0 Sa Haute Seigneurie. \n \u2013 89 \u2013 \u2013 Si tu as autant de talent qu e tu me parais avoir d\u2019assurance \net de vanit\u00e9, sois le bienvenu. \n \n\u2013 Merci, monseigneur. \n \u2013 J\u2019aime beaucoup le son de la harpe, reprit l\u2019\u00e9v\u00eaque, et tu \nme serais agr\u00e9able en me jouant quelque chose avant l\u2019arriv\u00e9e de la noce. \n \u2013 Monseigneur, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9tranger d\u2019un ton fier et en se dra-\npant avec majest\u00e9 dans les plis de sa longue robe, si j\u2019\u00e9tais un r\u00e2-cleur vagabond comme ceux que vous avez l\u2019habitude d\u2019entendre, je me rendrais \u00e0 vos d\u00e9sirs ; mais je ne joue qu\u2019\u00e0 heure fixe et dans des endroits convenables ; tout \u00e0 l\u2019heure je satisferai com-pl\u00e8tement votre l\u00e9gitime demande. \n \n\u2013 Tu es un insolent, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019une voix irrit\u00e9e ; je \nt\u2019ordonne de jouer \u00e0 l\u2019instant m\u00eame ! \n \u2013 Je ne toucherai pas une corde avant l\u2019arriv\u00e9e de l\u2019escorte, \ndit l\u2019\u00e9tranger avec un sang-froid imperturbable ; mais, \u00e0 ce mo-ment-l\u00e0, monseigneur, je vous ferai entendre un son qui vous \n\u00e9tonnera, soyez-en certain. \n \u2013 Nous allons \u00eatre bient\u00f4t \u00e0 m\u00eame de juger de ton m\u00e9rite, \nreprit l\u2019\u00e9v\u00eaque, car voici les mari \u00e9s. L\u2019\u00e9tranger s\u2019\u00e9loigna de quel-\nques pas, et l\u2019\u00e9v\u00eaque s\u2019avan\u00e7a au-devant du cort\u00e8ge. \n Au moment de p\u00e9n\u00e9trer dans l\u2019\u00e9glise, lady Christabel, \u00e0 demi \n\u00e9vanouie, se tourna vers le baron Fitz Alwine. \n \u2013 Mon p\u00e8re, dit-elle d\u2019une voix d\u00e9 faillante, ayez piti\u00e9 de moi ; \nce mariage sera ma mort. \n Un regard s\u00e9v\u00e8re du baron imposa silence \u00e0 la pauvre fille. \u2013 90 \u2013 \u2013 Milord, ajouta Christabel en po sant sa main crisp\u00e9e sur le \nbras de sir Tristram, ne soyez pas impitoyable ; vous pouvez en-\ncore me rendre la vie, prenez compassion de moi. \n \n\u2013 Nous parlerons de cela plus tard, r\u00e9pondit sir Tristram. Et, \nfaisant un signe \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque, il l\u2019engagea \u00e0 entrer dans l\u2019\u00e9glise. \n Le baron prit la main de sa fille ; il allait la conduire au pied \nde l\u2019autel, lorsqu\u2019une voix forte cria tout \u00e0 coup : \n \u2013 Arr\u00eatez ! Lord Fitz Alwine jeta un cri, sir Tristram s\u2019appuya \nen d\u00e9faillant contre le grand port ail de l\u2019\u00e9glise. L\u2019\u00e9tranger tenait \ndans la sienne la main de lady Christabel. \n \u2013 Pr\u00e9somptueux mis\u00e9rable ! dit l\u2019\u00e9v\u00eaque en reconnaissant le \nharpiste, qui t\u2019a permis de porter tes mains de mercenaire sur \ncette noble demoiselle ? \n \u2013 La Providence, qui m\u2019envoie au secours de sa faiblesse, r\u00e9-\npondit fi\u00e8rement l\u2019\u00e9tranger. Le baron s\u2019\u00e9lan\u00e7a sur le harpiste. \n \u2013 Qui \u00eates-vous ? lui demanda-t- il, et pourquoi venez-vous \ntroubler une sainte c\u00e9r\u00e9monie ? \n \u2013 Malheureux ! s\u2019\u00e9cria l\u2019\u00e9tranger, vous nommez une sainte \nc\u00e9r\u00e9monie l\u2019odieuse union d\u2019une jeune fille avec un vieillard ! Mi-lady, ajouta l\u2019inconnu en s\u2019inclin ant avec respect devant Christa-\nbel \u00e0 demi morte d\u2019angoisse, vous \u00eates venue dans la maison du \nSeigneur pour y recevoir le nom d\u2019un honn\u00eate homme ; ce nom \nvous le recevrez\u2026 Reprenez courag e, la divine bont\u00e9 du Seigneur \nveillait sur votre innocence. \n \nLe harpiste d\u00e9noua d\u2019une main la cordeli\u00e8re qui retenait sa \nrobe et de l\u2019autre porta \u00e0 ses l\u00e8vres un cornet de chasse. \n \u2013 Robin Hood ! cria le baron. \u2013 91 \u2013 \u2013 Robin Hood, l\u2019ami d\u2019Allan Clare ! murmura lady Christa-\nbel. \n \n\u2013 Oui, Robin Hood et ses joyeux hommes, r\u00e9pondit notre h\u00e9-\nros en montrant du regard une nombreuse troupe de forestiers \nqui s\u2019\u00e9tait gliss\u00e9e sans bruit autour de l\u2019escorte. \n Au m\u00eame moment un jeune cava lier \u00e9l\u00e9gamment v\u00eatu vint \ntomber aux genoux de lady Christabel. \n \u2013 Allan Clare ! mon cher Allan Clare ! s\u2019\u00e9cria la jeune fille en \njoignant les mains. Soyez b\u00e9ni, vous qui ne m\u2019avez point oubli\u00e9e ! \n \u2013 Monseigneur, dit Robin Hood en s\u2019approchant de l\u2019\u00e9v\u00eaque \nt\u00eate nue et l\u2019air respectueux, vous alliez, contre toutes les lois hu-\nmaines et sociales, unir l\u2019un \u00e0 l\u2019autre deux \u00eatres qui n\u2019\u00e9taient \npoint destin\u00e9s par le ciel \u00e0 vivr e sous le m\u00eame toit. Voyez cette \njeune fille, regardez l\u2019\u00e9poux que voulait lui donner l\u2019insatiable \navarice de son p\u00e8re. Lady Christabel est fianc\u00e9e depuis sa plus tendre enfance au chevalier Allan Clare. Comme elle, il est jeune, riche et noble, il l\u2019aime, et nous venons humblement vous de-mander de consacrer entre eux une l\u00e9gitime union. \n \u2013 Je m\u2019oppose formellement \u00e0 ce mariage ! cria le baron en \ncherchant \u00e0 se d\u00e9gager de l\u2019\u00e9treinte de Petit-Jean, \u00e0 qui \u00e9tait \u00e9chu le soin de garder le vieillard. \n \u2013 Paix, homme inhumain ! r\u00e9 pondit Robin Hood, oses-tu \n\u00e9lever la voix au seuil d\u2019une sainte \u00e9glise, et venir y donner un \nd\u00e9menti aux promesses que tu as faites ! \n \n\u2013 Je n\u2019ai fait aucune promesse ! rugit lord Fitz Alwine. \u2013 Monseigneur, reprit Robin Hood, voulez-vous unir ces \ndeux jeunes gens ? \n \u2013 Je ne le puis sans le consentement de lord Fitz Alwine, r\u00e9-\npondit l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford. \u2013 92 \u2013 \n\u2013 Je ne donnerai jamais ce consentement ! cria le baron. \n\u2013 Monseigneur, continua Robi n sans prendre garde aux vo-\ncif\u00e9rations du vieillard, j\u2019attends votre d\u00e9cision derni\u00e8re. \n \n\u2013 Je ne puis prendre sur moi de satisfaire \u00e0 votre demande, \nr\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque ; les bans n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 publi\u00e9s, et la loi exige\u2026 \n \u2013 Nous allons ob\u00e9ir \u00e0 la loi, dit Robin. Ami Petit-Jean, \nconfiez Sa Gracieuse Seigneurie \u00e0 un de nos hommes, et publiez les bans. \n Petit-Jean ob\u00e9it. Il annon\u00e7a trois fois le mariage d\u2019Allan \nClare avec lady Christabel Fitz Al wine. Mais l\u2019\u00e9v\u00eaque refusa une \nfois encore la b\u00e9n\u00e9diction nuptiale aux deux jeunes gens. \n \n\u2013 Votre r\u00e9solution est d\u00e9finitive, monseigneur ? demanda \nRobin. \n \u2013 Oui, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque. \u2013 Soit. J\u2019avais pr\u00e9vu le cas, et je me suis fait accompagner \nd\u2019un saint homme qui a le droit d\u2019officier. Mon p\u00e8re, continua Robin en s\u2019adressant \u00e0 un vieillard qui \u00e9tait rest\u00e9 inaper\u00e7u, veuil-\nlez entrer dans la chapelle, les \u00e9poux vont vous y suivre. \n Le p\u00e8lerin qui avait pr\u00eat\u00e9 son concours \u00e0 la d\u00e9livrance de \nWill s\u2019avan\u00e7a lentement. \n \u2013 Me voici, mon fils, dit-il ; je vais prier pour ceux qui souf-\nfrent et demander \u00e0 Dieu le pardon des m\u00e9chants. \n Maintenue par la pr\u00e9sence des joyeux hommes, l\u2019escorte p\u00e9-\nn\u00e9tra sans tumulte dans le sanctuaire de l\u2019\u00e9glise, et bient\u00f4t la c\u00e9-r\u00e9monie commen\u00e7a. L\u2019\u00e9v\u00eaque s\u2019\u00e9tait retir\u00e9 ; sir Tristram g\u00e9mis-s a i t d \u2019 u n e f a \u00e7 o n l a m e n t a b l e , e t l o r d F i t z A l w i n e g r o m m e l a i t d e sourdes menaces. \u2013 93 \u2013 \n\u2013 Qui donne cette jeune fille \u00e0 son \u00e9poux ? demanda le vieil-\nlard en \u00e9tendant ses mains tremblantes sur la t\u00eate de Christabel \nagenouill\u00e9e devant lui. \n \n\u2013 Daignez r\u00e9pondre, milord ? dit Robin Hood. \u2013 Mon p\u00e8re, de gr\u00e2ce ! supplia la jeune fille. \n \n\u2013 Non, non, mille fois non ! cria le baron hors de lui. \u2013 Puisque le p\u00e8re de cette noble enfant refuse de tenir la \npromesse sacr\u00e9e qu\u2019il a faite, dit Robin, je prends sa place. Moi, Robin Hood, je donne pour femme au chevalier Allan Clare lady Christabel Fitz Alwine. \n \nLes c\u00e9r\u00e9monies du mariage s\u2019 accomplirent sans aucun obs-\ntacle. \n \u00c0 peine Allan Clare et Christabel furent-ils unis que la fa-\nmille Gamwell apparut au seuil de l\u2019\u00e9glise. \n Robin Hood s\u2019avan\u00e7a \u00e0 la rencontre de Marianne et la \nconduisit au pied de l\u2019autel ; Wi lliam et Maude suivirent le jeune \nhomme. \n En passant aupr\u00e8s de Robin, pieusement agenouill\u00e9 aux c\u00f4-\nt\u00e9s de Marianne, Will murmura : \n \n\u2013 Enfin, Rob, mon ami, le jour heureux est arriv\u00e9. Regardez \nMaude comme elle est belle ! son cher petit c\u0153ur bat bien fort, je \nvous assure. \n \u2013 Silence, Will ; priez, Dieu nous \u00e9coute en ce moment. \u2013 Oui, je vais prier, et de toute mon \u00e2me, r\u00e9pondit le joyeux \ngar\u00e7on. \n \u2013 94 \u2013 Le p\u00e8lerin b\u00e9nit les nouveaux couples et \u00e9levant vers le ciel \nses tremblantes mains, il implora pour eux la mis\u00e9ricorde divine. \n \n\u2013 Maude, ch\u00e8re Maude, dit Will aussit\u00f4t qu\u2019il put entra\u00eener \nla jeune fille hors de l\u2019\u00e9glise, tu es enfin ma femme, ma ch\u00e8re \nfemme. Je me trouvais si malheureux de tous les retards que les circonstances ont mis \u00e0 notre bonheur qu\u2019il m\u2019est presque difficile d\u2019en comprendre toute l\u2019\u00e9tendue. Je suis fou de joie ; tu es \u00e0 moi ! \n\u00e0 moi tout seul ! As-tu bien pri\u00e9, Maude, ma ch\u00e9rie ? as-tu de-\nmand\u00e9 \u00e0 la bonne sainte Vierge de nous accorder pour toujours la radieuse joie qu\u2019elle nous donne aujourd\u2019hui ? \n Maude souriait et pleurait \u00e0 la fois, tant son c\u0153ur \u00e9tait plein \nd\u2019amour et de reconnaissance pour le tendre William. \n Le mariage de Robin jeta des tr ansports d\u2019all\u00e9gresse dans la \ntroupe des joyeux hommes, qui en sortant de l\u2019\u00e9glise, pouss\u00e8rent \nde formidables hourras. \n \u2013 Les braillards coquins ! gronda lord Fitz Alwine en suivant \n\u00e0 contrec\u0153ur le gigantesque Petit-Jean qui l\u2019avait poliment invit\u00e9 \u00e0 sortir de la chapelle. \n Quelques instants plus tard l\u2019\u00e9glise \u00e9tait d\u00e9serte. Lord Fitz \nAlwine et sir Tristram, priv\u00e9s de leurs chevaux, m\u00e9lancolique-ment appuy\u00e9s au bras l\u2019un de l\u2019autre, et dans une situation \nd\u2019esprit impossible \u00e0 d\u00e9crire, prenaient \u00e0 pas lents le chemin du ch\u00e2teau. \n \n\u2013 Fitz Alwine, dit le vieillard tout en tr\u00e9buchant, vous allez \nme rendre le million de pi\u00e8ces d\u2019or que je vous ai confi\u00e9. \n \n\u2013 Ma foi non ! sir Tristram ; car je ne suis pour rien dans la \nm\u00e9saventure qui vous arrive. Si vous aviez \u00e9cout\u00e9 mes conseils, ce d\u00e9sastre ne serait point survenu. E n v o u s m a r i a n t d a n s l a c h a -\npelle de Nottingham, j\u2019assurais notre mutuel bonheur ; mais vous avez pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 l\u2019\u00e9clat au myst\u00e8re, le grand jour \u00e0 l\u2019obscurit\u00e9, et en \u2013 95 \u2013 voil\u00e0 le r\u00e9sultat. Regardez, ce grand mis\u00e9rable emm\u00e8ne ma fille ; \nil me faut un d\u00e9dommagement : je garde le million. \n \nRenvoy\u00e9s \u00e0 Nottingham dans un \u00e9quipage aussi pi\u00e8tre que \nl\u2019\u00e9tait celui de leurs ma\u00eetres, les serviteurs des deux bords les sui-\nvaient \u00e0 distance en riant tout bas de l\u2019\u00e9trange \u00e9v\u00e9nement. \n \nLe personnel de la noce, escort \u00e9 par les joyeux hommes, ga-\ngna rapidement les profondeurs de la for\u00eat. Le vieux bois s\u2019\u00e9tait mis en frais pour recevoir les heureux couples, et les arbres ra-fra\u00eechis par la ros\u00e9e du matin, courbaient leurs verts rameaux sur \nle front de ces visiteurs. De longues guirlandes entrem\u00eal\u00e9es de fleurs et de feuillage s\u2019enla\u00e7aient les unes aux autres, et reliaient ensemble les ch\u00eanes s\u00e9culaires, les ormeaux trapus, les peupliers aux tailles sveltes. De loin en lo in on voyait appara\u00eetre un cerf \ncouronn\u00e9 de fleurs comme un dieu mythologique, un faon enru-\nbann\u00e9 bondissait sur la route, et parfois un daim, portant aussi \nson collier de f\u00eate, traversait comme une fl\u00e8che une verdoyante \npelouse. Au centre d\u2019un vaste carrefour, on avait dress\u00e9 un cou-vert, pr\u00e9par\u00e9 une salle de danse, dispos\u00e9 des jeux ; enfin, tous les plaisirs qui pouvaient ajouter \u00e0 la satisfaction g\u00e9n\u00e9rale des convi-\nves se trouvaient r\u00e9unis autour d\u2019eux. \n Une grande partie des jeunes filles de Nottingham \u00e9taient \nvenues embellir de leur aimable pr\u00e9sence la f\u00eate donn\u00e9e par Ro-bin Hood, et la plus franche cordia lit\u00e9 pr\u00e9sidait en souveraine la \njoyeuse r\u00e9union. \n Maude et William, les bras enlac\u00e9s, le sourire aux l\u00e8vres et le \nc\u0153ur plein de joie, se promenaient solitairement dans une all\u00e9e voisine de la salle de danse, lorsq ue le moine Tuck se pr\u00e9senta \u00e0 \nleurs regards. \n \u2013 Eh bien ! brave Tuck, joyeux Giles, mon gros fr\u00e8re, cria \nWill en riant, viens-tu par ici da ns la bonne intention de partager \nnotre promenade ? Sois le bienvenu , Giles, mon tr\u00e8s cher ami, et \nfais-moi la gr\u00e2ce de regarder le tr\u00e9sor de mon \u00e2me, ma femme ch\u00e9rie, mon bien le plus pr\u00e9cieux. Regarde cet ange, Giles, et dis-\u2013 96 \u2013 moi s\u2019il existe sous le ciel un \u00eatre plus charmant que ma jolie \nMaude ? Mais il me semble, ami Tuck, ajouta le jeune homme en \nregardant d\u2019un air d\u2019int\u00e9r\u00eat le vi s a g e s o u c i e u x d u m o i n e , i l m e \nsemble que tu es triste ; qu\u2019as- tu ? Viens nous confier tes cha-\ngrins, j\u2019essayerai de te consoler. Maude, ma mignonne, parlons-\nlui avec amiti\u00e9 ; viens avec nous, Giles, j\u2019\u00e9couterai d\u2019abord ta confidence, puis je te parlerai de ma femme, et ton vieux c\u0153ur se sentira rajeuni au contact de mon c\u0153ur. \n \u2013 J e n \u2019 a i p o i n t d e c o n f i d e n c e \u00e0 t e f a i r e , W i l l , r \u00e9 p o n d i t l e \nmoine d\u2019une voix quelque peu entrec oup\u00e9e, et je suis heureux de \nte savoir au comble de tes d\u00e9sirs. \n \u2013 Cela ne m\u2019emp\u00eache point, ami Tuck, de remarquer avec un \nv\u00e9ritable chagrin la sombre expression de ta physionomie. Qu\u2019as-tu, voyons ? \n \n\u2013 Rien, r\u00e9pondit le moine, rien, si ce n\u2019est pourtant une id\u00e9e \nqui me traverse l\u2019esprit, un feu follet qui incendie ma pauvre cer-velle, un lutin qui me tiraille le c\u0153ur. Eh bien ! Will, je ne sais \nvraiment si je devrais dire cela : il y a quelques ann\u00e9es, j\u2019avais l\u2019espoir que la petite sorci\u00e8re qui se serre si tendrement contre toi serait mon rayon de soleil, la joie de mon existence, mon bijou le plus cher et le plus pr\u00e9cieux. \n \u2013 Comment, mon pauvre Tuck, tu as aim\u00e9 \u00e0 ce point ma jolie \nMaude ? \n \u2013 Oui, William. \n \n\u2013 Tu l\u2019as connue avant Robin, si je me trompe ? \u2013 Avant Robin, oui. \u2013 Et tu l\u2019as aim\u00e9e ? \u2013 H\u00e9las ! soupira le moine. \u2013 97 \u2013 \u2013 Pouvait-il en \u00eatre autrement ? reprit Will d\u2019une voix tendre \net en baisant les mains de sa femme. Robin l\u2019a aim\u00e9e au premier \nregard, moi je l\u2019ai ador\u00e9e \u00e0 prem i\u00e8re vue ; et maintenant, oh ! \nMaude, maintenant tu es \u00e0 moi. \n \nUn silence suivit l\u2019exclamatio n passionn\u00e9e de Will, le moine \navait baiss\u00e9 la t\u00eate, et Maude, le front empourpr\u00e9, souriait \u00e0 son mari. \n \u2013 J\u2019esp\u00e8re bien, ami Tuck, continua William d\u2019un ton affec-\ntueux, que mon bonheur n\u2019est pas une souffrance pour toi. Si je suis heureux aujourd\u2019hui, j\u2019ai co nquis par de grandes peines le \ndroit de nommer Maude ma bien-a im\u00e9e compagne. Tu n\u2019as pas \nconnu le d\u00e9sespoir d\u2019un amour repo uss\u00e9, tu n\u2019as pas connu l\u2019exil, \ntu n\u2019as pas langui loin de celle que tu aimais, tu n\u2019as pas perdu tes forces, ta sant\u00e9, ton repos. \n \nEn faisant cette derni\u00e8re \u00e9num\u00e9ration de ses douleurs, Will \nporta les yeux sur le visage rubi c o n d d u m o i n e , e t a l o r s u n f o u \nrire s\u2019empara de lui. \n Le moine Tuck pesait pour le moins deux cent dix livres, et \nsa figure \u00e9panouie ressemb lait \u00e0 une pleine lune. \n Maude, qui avait compris la ca use du rire convulsif de Wil-\nliam, partagea son hilarit\u00e9, et Tu ck se mit na\u00efvement \u00e0 \u00e9clater de \nrire. \n \u2013 Je me porte bien, dit-il avec une charmante bonhomie ; \nmais cela n\u2019emp\u00eache pas\u2026 enfin, je m\u2019entends. Par la gr\u00e2ce de Notre Dame ! mes bons amis, ajouta-t-il en prenant dans ses lar-ges mains les mains unies des deux jeunes gens, je vous souhaite \u00e0 l\u2019un et \u00e0 l\u2019autre un parfait bonheur. Mais vraiment, douce Maude, vos yeux de gazelle m\u2019ont depuis longtemps boulevers\u00e9 la t\u00eate. Enfin, il n\u2019y faut plus penser ; je me suis fais une sage morale sur ce chapitre-l\u00e0, j\u2019ai cherch\u00e9 une consolation \u00e0 mon cruel souci \net je l\u2019ai trouv\u00e9e. \n \u2013 98 \u2013 \u2013 Vous l\u2019avez trouv\u00e9e ! s\u2019\u00e9cri\u00e8rent ensemble William et \nMaude. \n \n\u2013 Oui, r\u00e9pondit Tuck en souriant. \n \u2013 Une jeune fille aux yeux noirs ? demanda la coquette \nMaude, une jeune fille qui a su appr\u00e9cier vos bonnes qualit\u00e9s, \nma\u00eetre Giles ? \n Le moine se mit \u00e0 rire. \u2013 Oui, en v\u00e9rit\u00e9, r\u00e9pondit-il, ma consolation est une dame \naux yeux brillants, aux l\u00e8vres vermeilles. Vous me demandez, douce Maude, si elle a su appr\u00e9cier mon m\u00e9rite ? Ceci est une question difficile \u00e0 r\u00e9soudre ; ma ch\u00e8re consolation est une v\u00e9ri-table \u00e9tourdie et je ne suis pas le seul \u00e0 qui elle rende baiser pour \nbaiser. \n \u2013 Et vous l\u2019aimez ! dit Will d\u2019un ton rempli \u00e0 la fois de piti\u00e9 et \nde bl\u00e2me. \n \u2013 Oui, je l\u2019aime, r\u00e9pondit le moine, et, cependant, comme je \nviens de vous le dire, elle accord e tr\u00e8s lib\u00e9ralement ses faveurs. \n \u2013 Mais c\u2019est une femme indign e ! s\u2019\u00e9cria Maude en rougis-\nsant. \n \u2013 Comment Tuck, ajouta Will, un brave c\u0153ur, un homme \nhonn\u00eate comme toi a-t-il pu se laisser prendre dans les liens \nd\u2019une affection aussi banale ? Quant \u00e0 moi, plut\u00f4t que d\u2019aimer \nune semblable personne, je\u2026 \n \u2013 Chut ! chut ! interrompit doucement le moine Tuck, sois \nprudent, Will. \n \u2013 Prudent ! pourquoi ? \u2013 99 \u2013 \u2013 Parce qu\u2019il ne te sied pas de dire du mal d\u2019une personne \nque tu as souvent embrass\u00e9e. \n \n\u2013 Vous avez embrass\u00e9 cette femme ! s\u2019\u00e9cria Maude d\u2019une \nvoix pleine de reproches. \n \n\u2013 Maude ! Maude ! c\u2019est un mensonge ! dit Will. \n\u2013 Ce n\u2019est pas un mensonge, reprit tranquillement le moine, \nvous l\u2019avez embrass\u00e9e, non pas un e fois, mais dix fois, mais vingt \nfois. \n \n\u2013 Oh ! Will ! Will ! \u2013 Ne l\u2019\u00e9coutez pas, Maude, il vous trompe. Voyons, Tuck, di-\ntes la v\u00e9rit\u00e9. J\u2019ai embrass\u00e9 celle que vous aimez ? \n \n\u2013 Oui, et je puis vous en donner la preuve. \u2013 Vous l\u2019entendez, Will ? dit Maude pr\u00eate \u00e0 pleurer. \u2013 Je l\u2019entends, mais je ne le comprends pas, r\u00e9pondit le \njeune homme. Giles, au nom de notre bonne amiti\u00e9, je vous ad-jure de me mettre en pr\u00e9sence de cette jeune fille, nous verrons si \nelle aura l\u2019effronterie de soutenir votre imposture. \n \u2013 Je ne demande pas mieux, Will, et je le parie avec toi, non \nseulement tu seras oblig\u00e9 de reconna\u00eetre l\u2019affection que tu lui por-tes, mais encore tu lui en donneras de nouveaux t\u00e9moignages, tu \nl\u2019embrasseras. \n \n\u2013 Je ne le veux pas, dit Maude en nouant ses deux mains au-\ntour du bras de Will ; je ne veux pas qu\u2019il parle \u00e0 cette femme. \n \u2013 Il lui parlera et il l\u2019embra ssera, repartit le moine avec une \n\u00e9trange obstination. \n \u2013 C\u2019est impossible, dit Will. \u2013 100 \u2013 \n\u2013 Mat\u00e9riellement impossible, ajouta Maude. \n\u2013 Montrez-moi votre bien-aim\u00e9e, ma\u00eetre Giles ; o\u00f9 est-elle ? \n \u2013 Que vous importe, Will ? dit Maude. Vous ne pouvez d\u00e9si-\nrer sa pr\u00e9sence ; et puis\u2026 et pu is, William, il me semble que la \npersonne dont il est question ne saurait \u00eatre une connaissance \nconvenable pour ta femme, mon ami. \n \n\u2013 Tu as raison, ma ch\u00e8re petite femme, dit Will en embras-\nsant Maude sur le front ; elle n\u2019est pas digne de te voir un seul instant. Mon cher Tuck, reprit Wi lliam, tu m\u2019obligeras en cessant \nune plaisanterie qui est d\u00e9sagr\u00e9able \u00e0 Maude ; je n\u2019ai ni le d\u00e9sir ni \nm\u00eame la curiosit\u00e9 de voir celle que tu aimes ainsi ; n\u2019en parlons plus. \n \n\u2013 Il est cependant n\u00e9cessaire, pour l\u2019honneur de ma parole, \nWill, que tu sois confront\u00e9 avec elle. \n \u2013 Du tout, du tout ! dit Maude, William ne tient pas \u00e0 cette \nrencontre et elle me serait trop p\u00e9nible. \n \u2013 Je veux vous la faire voir, repr it l\u2019obstin\u00e9 Giles et la voici. \n En achevant ces mots, Tuck retira de dessous sa robe un fla-\ncon d\u2019argent et le levant \u00e0 la hauteur des yeux de William, il lui dit : \u2013 Regarde ma jolie bouteille, ma ch\u00e8re consolation, et ose dire une fois encore que tu ne l\u2019as pas embrass\u00e9e ? \n Les deux jeunes gens se mirent joyeusement \u00e0 rire. \u2013 Je confesse mon p\u00e9ch\u00e9, bon Tuck, s\u2019\u00e9cria Will en prenant \nl a b o u t e i l l e e t j e d e m a n d e \u00e0 m a c h \u00e8 r e f e m m e l a p e r m i s s i o n d e donner un amical baiser aux l\u00e8vres rouges de cette vieille amie. \n \u2013 Je te le permets, Will ; bois \u00e0 notre bonheur et \u00e0 la prosp\u00e9-\nrit\u00e9 du joyeux moine. \u2013 101 \u2013 \nWill effleura la vermeille liqueur et rendit le flacon \u00e0 Tuck, \nqui, dans son enthousiasme, le vida enti\u00e8rement. \n \nNos trois amis, les bras enlac\u00e9 s, se promen\u00e8rent quelques \ninstants ; puis, appel\u00e9s par Robin, ils rejoignirent l\u2019assembl\u00e9e. \n Robin avait pr\u00e9sent\u00e9 Much \u00e0 Barbara en lui disant que ce \nbeau jeune homme \u00e9tait le mari depuis longtemps annonc\u00e9 ; mais Barbara avait agit\u00e9 d\u2019un air mutin les grappes blondes de ses che-veux, en disant qu\u2019elle ne voulait pas encore se marier. \n Petit-Jean qui n\u2019\u00e9tait pas d\u2019un e nature tr\u00e8s expansive, fut \ntout \u00e0 fait aimable ce jour-l\u00e0. Il combla de soins sa cousine Wini-fred et il fut facile de s\u2019apercevoir que les deux jeunes gens avaient des choses fort secr\u00e8tes \u00e0 se confier, car ils causaient \u00e0 \nvoix basse, dansaient toujours ense mble et semblaient ne rien \nvoir de ce qui se passait autour d\u2019eux. \n \nQuant \u00e0 Christabel, son doux visage rayonnait de bonheur ; \nmais elle \u00e9tait encore si \u00e9mue de sa brusque s\u00e9paration d\u2019avec son p\u00e8re, si affaiblie par ses souffran ces pass\u00e9es, qu\u2019il lui \u00e9tait impos-\nsible de se m\u00ealer aux jeux. Assise aupr\u00e8s d\u2019Allan, elle ressemblait \u00e0 une jeune reine qui pr\u00e9side une f\u00eate royale donn\u00e9e \u00e0 ses sujets. \n Marianne, tendrement appuy\u00e9e au bras de son mari, parcou-\nrait avec lui la salle du bal. \n \u2013 J e v i e n d r a i v i v r e a u p r \u00e8 s d e v o u s , R o b i n , d i s a i t l a j e u n e \nfemme et jusqu\u2019au moment heureux de votre rentr\u00e9e en gr\u00e2ce, je partagerai les fatigues et l\u2019isolement de votre existence. \n \u2013 Il serait plus sage, mon amie, d\u2019habiter Barnsdale. \u2013 Non, Robin, mon c\u0153ur est avec vous, je ne veux pas quitter \nmon c\u0153ur. \n \u2013 102 \u2013 \u2013 J\u2019accepte avec orgueil ton courageux d\u00e9vouement, ma \nch\u00e8re femme, mon doux amour, r\u00e9pondit le jeune homme avec \n\u00e9motion et je ferai tout ce qui d\u00e9pendra de moi pour que tu sois \nsatisfaite et heureuse dans ta nouvelle existence. \n \nEn v\u00e9rit\u00e9, ce fut un jour de bonheur et de joie que le jour du \nmariage de Robin Hood. \u2013 103 \u2013 IV \n \nMarianne tint parole et, en d\u00e9pit de la douce r\u00e9sistance de \nRobin, elle \u00e9tablit sa demeure sous les grands arbres de la for\u00eat de \nSherwood. Allan Clare, qui, nous l\u2019avons dit, poss\u00e9dait une ma-\ngnifique r\u00e9sidence dans la vall\u00e9e de Mansfeld, ne put d\u00e9cider sa s\u0153ur \u00e0 venir s\u2019y fixer avec Christabel, Marianne \u00e9tant fermement r\u00e9solue \u00e0 ne point quitter son mari. \n \nAussit\u00f4t apr\u00e8s son mariage, le chevalier avait fait offrir \u00e0 \nHenri II de lui vendre ses propri\u00e9t\u00e9s du Huntingdonshire aux \ndeux tiers de leur valeur, \u00e0 la condition qu\u2019il confirmerait par des lettres patentes son union avec la dy Christabel Fitz Alwine. Henri \nII, qui recherchait avidement toutes les occasions de r\u00e9unir \u00e0 la couronne les plus riches domaines de l\u2019Angleterre, accepta cette proposition et, par un acte sp\u00e9cia l, il confirma le mariage des \ndeux jeunes gens. Allan Clare avait mis dans sa d\u00e9marche tant \nd\u2019adresse et de promptitude, le roi s\u2019\u00e9tait montr\u00e9 si heureux de pouvoir conclure la n\u00e9gociation d\u2019 une mani\u00e8re d\u00e9finitive, que tout \n\u00e9tait termin\u00e9 lorsque l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford et le baron Fitz Alwine arriv\u00e8rent \u00e0 la cour. \n Il va sans dire que le pr\u00e9lat et le seigneur normand excit\u00e8rent \ncontre Robin Hood toute la col\u00e8re du roi. \u00c0 leur instante de-mande, Henri II accorda \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaq ue le droit d\u2019appr\u00e9hender au \ncorps le hardi outlaw et de lui infliger sans retard ni mis\u00e9ricorde la supr\u00eame punition. \n Tandis que les deux Normands conspiraient contre le bon-\nheur de Robin Hood, celui-ci, au comble de ses d\u00e9sirs, vivait in-\nsouciant et tranquille sous les verts ombrages de la for\u00eat de Sher-wood. \n \u2013 104 \u2013 Will \u00c9carlate, en possession de sa bien-aim\u00e9e Maude, \u00e9tait \nl\u2019homme le plus heureux du mond e. Dou\u00e9 par le ciel d\u2019une ar-\ndente imagination, William s\u2019\u00e9tait figur\u00e9 que le bonheur supr\u00eame \n\u00e9tait une femme comme Maude, et il l\u2019avait na\u00efvement par\u00e9e de \ntous les charmes d\u2019un ange. Maude connaissait toute l\u2019\u00e9tendue de cette flatteuse affection et elle s\u2019effor\u00e7ait de ne pas descendre du pi\u00e9destal que lui avait \u00e9lev\u00e9 l\u2019amour de son mari. \u00c0 l\u2019exemple de Robin Hood et de Marianne, Will et sa femme avaient \u00e9tabli leur \nd e m e u r e d a n s l a f o r \u00ea t , e t i l s y v i v a i e n t e n s e m b l e d a n s l a p l u s \njoyeuse harmonie. \n Robin Hood aimait le beau sexe, d\u2019abord par inclination na-\nturelle, puis ensuite en l\u2019honneur de la charmante cr\u00e9ature qui portait son nom. Les compagnons de Robin Hood partageaient les sentiments de respect et de sympathie que lui inspiraient les femmes ; aussi les jeunes filles du voisinage pouvaient-elles tra-\nverser, sans crainte d\u2019une f\u00e2cheuse rencontre, les sentiers de la for\u00eat. Si le hasard mettait en pr\u00e9sence de ces jolies promeneuses un des hommes de la bande, elle s \u00e9taient gracieusement engag\u00e9es \n\u00e0 prendre part \u00e0 une collation ; puis, le repas termin\u00e9, on leur donnait une escorte pour traverser le bois, et il n\u2019y a jamais eu d\u2019exemple qu\u2019une jeune fille se soit plaint de la conduite de ceux qui lui avaient servi de guide. D\u00e8 s que la bienveillante courtoisie \ndes forestiers fut connue, la renomm\u00e9e la promulgua au loin, et un grand nombre de fillettes aux yeux brillants, aux pas presque aussi l\u00e9gers que leurs c\u0153urs, s\u2019aventur\u00e8rent \u00e0 travers les vall\u00e9es et les ombrages de Sherwood. \n Le jour des noces de Robin, il y eut un grand nombre de jeu-\nnes misses au doux visage dont le c\u0153ur s\u2019enflamma au contact du beau couple. Tout en dansant, le s blondes filles d\u2019\u00c8ve jet\u00e8rent de \nfurtifs regards sur leurs aimables cavaliers, et parurent fort sur-\nprises d\u2019avoir pu les redouter un seul instant, se disant tout bas \nqu\u2019il devait \u00eatre bien agr\u00e9able de partager l\u2019existence aventureuse des hardis compagnons. Dans toute l\u2019innocence de leurs jeunes c\u0153urs, elles laiss\u00e8rent p\u00e9n\u00e9trer ce secret d\u00e9sir, et les forestiers ravis song\u00e8rent aussit\u00f4t \u00e0 tirer le meilleur parti possible de la si-\ntuation. Alors les belles filles de Nottingham s\u2019aper\u00e7urent que le \u2013 105 \u2013 langage des hommes de Robin Hood \u00e9tait ainsi que leurs regards, \nd\u2019une irr\u00e9sistible \u00e9loquence. \n \nLe r\u00e9sultat de cette d\u00e9couverte fut que le fr\u00e8re Tuck se vit ac-\ncabl\u00e9 de besogne, occup\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait du matin jusqu\u2019au soir \u00e0 b\u00e9nir \ndes mariages. Tout naturellement le bon moine manifesta le d\u00e9sir de savoir si ces multiples unio ns n\u2019\u00e9taient point une \u00e9pid\u00e9mie \nd\u2019un caract\u00e8re particulier, et combien de personnes devaient en-\ncore y succomber. Mais sa question resta sans r\u00e9ponse. Apr\u00e8s \u00eatre \narriv\u00e9e \u00e0 son apog\u00e9e, la rage des mariages s\u2019abattit, les cas devin-\nrent plus rares ; n\u00e9anmoins il est curieux d\u2019observer que les \nsympt\u00f4mes se montr\u00e8rent toujours aussi violents, et qu\u2019ils se maintiennent encore de nos jours. \n La petite colonie de la for\u00eat vivait donc joyeusement. La cave \ndont nous avons parl\u00e9 avait \u00e9t\u00e9 divis\u00e9e en cellules et en apparte-\nments qui ne servaient gu\u00e8re que de chambres \u00e0 coucher. Les vas-\ntes clairi\u00e8res servaient de salon et de salle \u00e0 manger, et pendant \nl\u2019hiver seulement on avait recours \u00e0 l\u2019asile souterrain. Il est diffi-cile de s\u2019imaginer combien l\u2019existence de ces hommes \u00e9tait douce et tranquille. Presque tous d\u2019orig ine saxonne, et attach\u00e9s les uns \naux autres comme le sont les membres d\u2019une m\u00eame famille, la plupart avaient eu \u00e0 souffrir de la cruelle oppression des envahis-seurs normands. \n Deux classes de la soci\u00e9t\u00e9 \u00e9taient particuli\u00e8rement tributai-\nres de la bande de Robin Hood : les riches seigneurs normands et \nles gens d\u2019\u00c9glise ; les premiers, parce qu\u2019ils avaient enlev\u00e9 aux Saxons leurs titres de noblesse et l\u2019h\u00e9ritage de leurs p\u00e8res ; les \nseconds, parce qu\u2019ils augmentaient sans cesse, aux d\u00e9pens du peuple, leurs richesses d\u00e9j\u00e0 si consid\u00e9rables. Robin Hood impo-sait des contributions aux Normands ; mais ces contributions, tr\u00e8s on\u00e9reuses, il est vrai, se pr \u00e9levaient sans combat ni effusion \nde sang. Les ordres du jeune chef \u00e9taient strictement observ\u00e9s, car la d\u00e9sob\u00e9issance entra\u00eenait la peine de mort. La s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 de \ncette discipline avait donn\u00e9 une excellente r\u00e9putation \u00e0 la troupe de Robin Hood, dont on connaissait le caract\u00e8re loyal et chevale-resque. Plusieurs exp\u00e9ditions furent vainement tent\u00e9es pour \u2013 106 \u2013 contraindre la bande des joyeux hommes \u00e0 abandonner leur re-\ntraite ; puis les autorit\u00e9s, lasse s d\u2019une lutte sans r\u00e9sultat, cess\u00e8-\nrent leur poursuite, et l\u2019indiff\u00e9rence de Henri II finit par obliger \nles Normands \u00e0 supporter le dang ereux voisinage de leurs enne-\nmis. \n \nMarianne trouvait l\u2019existence de la for\u00eat beaucoup plus \nagr\u00e9able qu\u2019elle n\u2019avait os\u00e9 l\u2019esp\u00e9rer : elle \u00e9tait faite (la jeune \nfemme le disait en riant) pour \u00eatre la reine bien-aim\u00e9e de cette \njoyeuse tribu. Les hommages de re spect, d\u2019affection et de d\u00e9-\nvouement qui entouraient Robin flattaient singuli\u00e8rement l\u2019amour-propre de Marianne, qui se montrait fi\u00e8re d\u2019appuyer sa \nfaiblesse au bras protecteur du vaillant jeune homme. Si Robin Hood avait su conqu\u00e9rir et garder l\u2019affection de sa troupe en t\u00e9-moignant \u00e0 tous une tendresse constante, une amiti\u00e9 sinc\u00e8re, il avait su \u00e9galement se m\u00e9nager sur eux une autorit\u00e9 absolue. \n \nLa belle for\u00eat de Sherwood offr ait \u00e0 Marianne de charmantes \ndistractions : tant\u00f4t elle parcourait avec son mari les pittoresques sinuosit\u00e9s du bois, tant\u00f4t elle s\u2019 amusait \u00e0 apprendre les jeux alors \nen usage. Gr\u00e2ce aux soins de Robin, elle poss\u00e9dait une rare et pr\u00e9cieuse collection de faucons, et elle apprit \u00e0 les faire voler \nd\u2019une main s\u00fbre et exp\u00e9riment\u00e9e. Mais le jeu pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 de Marianne \n\u00e9tait celui de l\u2019arc. Avec une infa tigable patience, Robin initiait la \njeune femme \u00e0 tous les myst\u00e8res de la science des archers ; Ma-rianne suivait exactement les le\u00e7ons qui lui \u00e9taient donn\u00e9es, et jamais \u00e9l\u00e8ve ne se montra plus docile ni plus attentive ; aussi de-vint-elle en peu de temps un archer de premi\u00e8re force. C\u2019\u00e9tait pour Robin et pour les joyeux hommes un charmant spectacle \nque de voir Marianne, v\u00eatue d\u2019un justaucorps vert de Lincoln, \ntendre son arc ; sa taille majestueuse et souple se cambrait l\u00e9g\u00e8-\nrement, sa main gauche retenait l\u2019arc tandis que la droite, gra-cieusement recourb\u00e9e, ramenait la fl\u00e8che vers son oreille. Lors-que Marianne eut compris tous le s secrets d\u2019un art qui avait ren-\ndu Robin si c\u00e9l\u00e8bre, elle acqu it \u00e9galement une immense renom-\nm\u00e9e. L\u2019inimitable adresse de la je une femme excitait au plus haut \npoint l\u2019admiration et le respect des habitants de la for\u00eat, et les alli\u00e9s de la troupe, citoyens de la ville de Mansfeld et de celle de \u2013 107 \u2013 Nottingham, accouraient en foule pour \u00eatre t\u00e9moins de la mer-\nveilleuse habilet\u00e9 de Marianne. \n \nUne ann\u00e9e s\u2019\u00e9coula, ann\u00e9e de joie , de bonheur et de f\u00eate. Al-\nlan du Val (nous d\u00e9sign erons maintenant le ch evalier sous le nom \nde sa propri\u00e9t\u00e9) \u00e9tait devenu p\u00e8re : il avait re\u00e7u du ciel la b\u00e9n\u00e9dic-\ntion d\u2019une fille ; Robin et William poss\u00e9daient chacun un superbe \ngar\u00e7on, et une s\u00e9rie de bals et de r\u00e9jouissances c\u00e9l\u00e9bra ces joyeux \n\u00e9v\u00e9nements. \n Un matin, Robin Hood, Will \u00c9car late et Petit-Jean se trou-\nvaient r\u00e9unis sous un arbre, appe l\u00e9 l\u2019arbre du Rendez-Vous, parce \nqu\u2019il servait en toute occasion de point de ralliement \u00e0 la troupe, lorsqu\u2019un l\u00e9ger bruit se fit entendre. \n \u2013 \u00c9coutez ! dit vivement Robin ; le pas d\u2019un cheval r\u00e9sonne \ndans la clairi\u00e8re ; allez voir si un convive nous arrive ; vous me \ncomprenez, Petit-Jean ? \n \n\u2013 S a n s d o u t e , e t j e v o u s a m \u00e8 n e r a i l e c a v a l i e r s \u2019 i l m \u00e9 r i t e \nl\u2019honneur de partager votre repas. \n \u2013 Il sera deux fois le bienvenu, reprit Robin en riant ; car je \ncommence \u00e0 ressentir les atteintes de la faim. \n Petit-Jean et Will se gliss\u00e8rent \u00e0 travers le fourr\u00e9 dans la di-\nrection du chemin suivi par le vo yageur, et bient\u00f4t ils furent pla-\nc\u00e9s de fa\u00e7on \u00e0 l\u2019apercevoir. \n \n\u2013 Par la sainte messe ! le pauv re diable a une triste tournure, \ndit William avec un fin sourire, et je gage que sa fortune lui cause \npeu d\u2019embarras. \n \u2013 J\u2019avoue en effet que ce cavali er a l\u2019air bien mis\u00e9rable et \nbien accabl\u00e9, r\u00e9pondit Petit-Jean ; mais peut-\u00eatre la pauvret\u00e9 de cet ext\u00e9rieur n\u2019est-elle qu\u2019une habile mise en sc\u00e8ne. Gr\u00e2ce \u00e0 son apparente mis\u00e8re, ce voyageur croit pouvoir traverser impun\u00e9-\u2013 108 \u2013 ment la for\u00eat de Sherwood. Nous allons lui apprendre que, s\u2019il est \nenclin \u00e0 la dissimulation, nous sommes aussi rus\u00e9s que lui. \n \nQuoique rev\u00eatu d\u2019un costume de chevalier, le voyageur inspi-\nrait au premier regard un sent iment de commis\u00e9ration. Ses v\u00eate-\nments flottaient \u00e0 l\u2019aventure, comme si le chagrin l\u2019e\u00fbt rendu peu \nsoucieux de conserver les apparences d\u2019une mise convenable ; le \ncapuchon de sa robe tombait derri\u00e8r e son cou, et sa t\u00eate, inclin\u00e9e \ndans l\u2019attitude de la r\u00e9flexion, attestait une profonde douleur. \nL\u2019\u00e9tranger fut soudain arrach\u00e9 \u00e0 sa r\u00eaverie par la voix de basse-\ntaille du gigantesque Petit-Jean. \n \u2013 Bonjour, sir \u00e9tranger, cria no tre ami en s\u2019avan\u00e7ant \u00e0 la ren-\ncontre du voyageur ; soyez le bienvenu dans la verte for\u00eat ; on vous attend avec impatience. \n \n\u2013 On m\u2019attend ? interrogea l\u2019inconnu en arr\u00eatant sur le vi-\nsage \u00e9panoui de Jean son regard plein de tristesse. \n \u2013 Oui, seigneur, reprit Will \u00c9car late, notre ma\u00eetre vous a fait \nchercher partout, et voil\u00e0 bien pr\u00e8s de trois heures qu\u2019il d\u00e9sire votre arriv\u00e9e afin de pouvoir se mettre \u00e0 table. \n \u2013 Personne ne peut m\u2019attendre, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9tranger d\u2019un air \nsoucieux, vous vous m\u00e9prenez, ce n\u2019est pas moi qui suis le convive \nattendu par votre ma\u00eetre. \n \u2013 Je vous demande pardon, messire , c\u2019est bien vous ; il avait \nappris que vous deviez traverser aujourd\u2019hui la for\u00eat de Sher-\nwood. \n \n\u2013 Impossible, impossible, r\u00e9p\u00e9ta l\u2019\u00e9tranger. \u2013 Nous disons la v\u00e9rit\u00e9, reprit Will. \u2013 Quel est le nom de celui qui se montre si courtois envers \nun pauvre voyageur ? \n \u2013 109 \u2013 \u2013 Robin Hood, r\u00e9pondit Petit- Jean en dissimulant un sou-\nrire. \n \n\u2013 Robin Hood, le c\u00e9l\u00e8bre forestier ? demanda l\u2019\u00e9tranger d\u2019un \nton de visible surprise. \n \n\u2013 Lui-m\u00eame, messire. \n\u2013 Depuis longtemps on me parle de lui, ajouta le voyageur, et \nsa noble conduite m\u2019inspire une v\u00e9 ritable sympathie. Je suis tr\u00e8s \nheureux de rencontrer l\u2019occasion de me trouver avec Robin \nHood ; c\u2019est un c\u0153ur loyal et fid\u00e8le. J\u2019accepte donc avec joie sa bienveillante invitation, bien que je ne puisse comprendre qu\u2019il ait \u00e9t\u00e9 averti de mon passage sur ses domaines. \n \u2013 Il se fera un plaisir de vous l\u2019apprendre lui-m\u00eame, r\u00e9pondit \nPetit-Jean. \n \n\u2013 Alors, que votre volont\u00e9 soit faite, brave forestier ; mon-\ntrez-moi le chemin, j\u2019y marcherai sur vos traces. \n Petit-Jean prit le cheval du vo yageur par la bride et l\u2019engagea \ndans le sentier qui devait aboutir au carrefour o\u00f9 se tenait Robin. Will forma l\u2019arri\u00e8re-garde. \n Petit-Jean n\u2019avait pas dout\u00e9 un seul instant que cette appa-\nrence de chagrin et de pauvret\u00e9 ne f\u00fbt un masque pour servir de \npasseport au cas d\u2019une f\u00e2cheuse rencontre, tandis que William \npensait, plus justement peut-\u00eatre, que le voyageur \u00e9tait un pauvre \ndont on n\u2019obtiendrait d\u2019autre sati sfaction que celle de lui voir \nmanger un excellent d\u00eener. \n L\u2019\u00e9tranger et ses guides arriv\u00e8rent bient\u00f4t aupr\u00e8s de Robin \nHood. Celui-ci salua le nouveau ve nu, et, frapp\u00e9 de son ext\u00e9rieur \nmis\u00e9rable, il se prit \u00e0 l\u2019examiner tandis qu\u2019il rajustait tant bien \nque mal ses pauvres v\u00eatements. Un air de supr\u00eame distinction \naccompagnait les gestes de l\u2019inconn u, et Robin en arriva bient\u00f4t \u00e0 \nla m\u00eame conclusion que Petit-Jean : c\u2019est-\u00e0-dire que le voyageur \u2013 110 \u2013 affectait cette soucieuse m\u00e9lancolie et ce d\u00e9labrement de toilette \ndans la prudente intention de prot\u00e9ger sa bourse. \n \nN\u00e9anmoins le jeune chef accueillit avec une grande bienveil-\nlance le triste inconnu ; il lui offrit un si\u00e8ge, et donna l\u2019ordre \u00e0 un \nde ses hommes de prendre soin du cheval de son h\u00f4te. \n Un repas d\u00e9licieux fut servi sur le gazon, et, comme le dit \nune vieille ballade : \n \nLe pain, le vin et les cuissots de chevreuil \nY \u00e9taient servis \u00e0 profusion ; \nIl n\u2019y manquait aucun des h\u00f4tes du bois, \nPas m\u00eame les petits oiseaux des haies. \n Comme on le voit, malgr\u00e9 la triste apparence de son convive, \nRobin n\u2019avait pas failli \u00e0 sa r\u00e9putation de g\u00e9n\u00e9reuse hospitalit\u00e9. Si \nle chagrin aiguise l\u2019app\u00e9tit, nous devons reconna\u00eetre que l\u2019\u00e9tranger avait beaucoup de chag rin. Il attaquait les plats avec \nl\u2019ardeur d\u2019un estomac qui vient de subir un je\u00fbne de vingt-quatre heures, et il faisait descendre les mets avec des gorg\u00e9es de vin qui \ndonnaient la preuve de l\u2019excellence du liquide, ou bien encore que \nle chagrin a pour effet de profond\u00e9ment alt\u00e9rer. \n Apr\u00e8s le repas, Robin et son h\u00f4te s\u2019\u00e9tendirent sous le majes-\ntueux ombrage des grands arbres et parl\u00e8rent \u00e0 c\u0153ur ouvert. Les \nopinions que le chevalier profe ssait sur les hommes et sur les \nchoses donnaient bonne opinion de lui \u00e0 Robin, et, en d\u00e9pit de la pauvre mine de son convive, le jeune chef ne pouvait croire \u00e0 la \nsinc\u00e9rit\u00e9 de son apparente mis\u00e8re. De tous les vices, celui que Ro-\nbin d\u00e9testait le plus \u00e9tait la dissimulation ; sa nature franche et ouverte n\u2019aimait pas \u00e0 rencontrer la ruse. Aussi, malgr\u00e9 l\u2019estime r\u00e9elle que lui inspirait le chevalie r, r\u00e9solut-il de lui faire large-\nment payer les frais du repas. L\u2019occasion de mettre son d\u00e9sir en \u0153uvre se pr\u00e9senta bient\u00f4t ; car, apr\u00e8s avoir d\u00e9blat\u00e9r\u00e9 contre l\u2019ingratitude humaine, l\u2019\u00e9tranger ajouta : \n \u2013 111 \u2013 \u2013 J\u2019\u00e9prouve un si profond m\u00e9pris pour ce vice, qu\u2019il ne \nm \u2019 \u00e9 t o n n e p l u s ; m a i s j e p u i s a f f i r m e r q u e d e m a v i e j e n e m \u2019 e n \nrendrai coupable. Permettez-moi, Robin Hood, de vous remercier \nde tout mon c\u0153ur de votre amicale r\u00e9ception, et si jamais une \ncirconstance heureuse pour moi vous conduit dans le voisinage de l\u2019abbaye de Sainte-Marie, n\u2019oubliez pas que vous trouverez au ch\u00e2teau de la Plaine une affect ueuse et cordiale hospitalit\u00e9. \n \n\u2013 Seigneur chevalier, r\u00e9pondit le jeune homme, les person-\nnes que je re\u00e7ois dans la verte fo r\u00eat ne subissent jamais l\u2019ennui de \nma visite. \u00c0 ceux qui ont r\u00e9ellement besoin de la charit\u00e9 d\u2019un bon \nrepas, je donne avec plaisir une place \u00e0 ma table ; mais je me montre moins g\u00e9n\u00e9reux envers le s voyageurs qui peuvent payer \nmon hospitalit\u00e9. Je craindrais de blesser l\u2019orgueil d\u2019un homme favoris\u00e9 des dons de la fortune si je lui donnais gratuitement mes venaisons et mon vin. Je trouve plus convenable et pour lui et \npour moi de lui dire : \u00ab Cette for\u00eat est une auberge, j\u2019en suis l\u2019h\u00f4telier, mes joyeux hommes en sont les serviteurs. Comme de nobles h\u00f4tes, payez lib\u00e9ralement ce que vous avez re\u00e7u. \u00bb \n Le chevalier se mit \u00e0 rire. \u2013 Voil\u00e0, dit-il, une plaisante mani\u00e8re d\u2019envisager les choses, \net une fa\u00e7on ing\u00e9nieuse de lever de s imp\u00f4ts. J\u2019ai entendu vanter il \ny a quelques jours la fa\u00e7on courto ise avec laquelle vous d\u00e9barras-\nsez les voyageurs du superflu de leur richesse ; mais je n\u2019avais \njamais eu des explications aussi claires que celles-ci. \n \u2013 Eh bien ! seigneur chevalier, je vais compl\u00e9ter ces explica-\ntions. \n En parlant ainsi, Robin prenait un cor de chasse et le portait \n\u00e0 ses l\u00e8vres. Petit-Jean et Will \u00c9carlate accoururent \u00e0 l\u2019appel. \n \u2013 Messire chevalier, reprit Robin Hood, l\u2019hospitalit\u00e9 touche \u00e0 \nsa fin ; veuillez en solder le prix, mes caissiers sont tout dispos\u00e9s \u00e0 le recevoir. \n \u2013 112 \u2013 \u2013 Puisque vous consid\u00e9rez la for\u00eat comme une auberge, la \nnote des d\u00e9penses faites est sans doute proportionn\u00e9e \u00e0 son \u00e9ten-\ndue ? dit le chevalier d\u2019une voix calme. \n \n\u2013 Pr\u00e9cis\u00e9ment, messire. \u2013 Vous traitez au m\u00eame prix chevalier, baron, duc et pair \nd\u2019Angleterre ? \n \u2013 Au m\u00eame prix, r\u00e9pliqua Robin Hood, et c\u2019est justice ; vous \nne voudriez pas, j\u2019imagine, qu \u2019un pauvre paysan comme moi h\u00e9-\nberge\u00e2t gratuitement un chevalier blasonn\u00e9, un comte, un duc ou \nun prince ; ce serait contraire \u00e0 toutes les r\u00e8gles de l\u2019\u00e9tiquette. \n \u2013 Vous avez grandement raison, mon cher h\u00f4te ; mais, en v\u00e9-\nrit\u00e9, vous allez prendre une bien triste opinion de votre convive \nlorsqu\u2019il vous aura dit qu\u2019il ne po ss\u00e8de que dix pistoles pour toute \nfortune. \n \n\u2013 Permettez-moi de mettre cette assertion en doute, cheva-\nlier, r\u00e9pondit Robin. \n \u2013 Mon cher h\u00f4te, j\u2019engage vos compagnons \u00e0 s\u2019assurer par \nune visite de mes v\u00eatements de la cruelle v\u00e9rit\u00e9 de ce que j\u2019avance. \n Petit-Jean, qui laissait rarement \u00e9chapper l\u2019occasion de t\u00e9-\nmoigner de sa position sociale, s\u2019empressa d\u2019ob\u00e9ir. \n \u2013 Le chevalier a dit vrai, s\u2019\u00e9c ria Petit-Jean d\u2019un air d\u00e9sap-\npoint\u00e9 ; il ne poss\u00e8de que dix pistoles. \n \u2013 Cette petite somme repr\u00e9sente pour le moment toute ma \nfortune, ajouta l\u2019\u00e9tranger. \n \u2013 Vous avez donc d\u00e9vor\u00e9 votre h\u00e9ritage ? demanda Robin en \nriant ; ou bien cet h\u00e9ritage \u00e9tait-il de m\u00e9diocre valeur ? \n \u2013 113 \u2013 \u2013 Mon patrimoine \u00e9tait consid\u00e9rable, r\u00e9pondit le chevalier, \net je ne l\u2019ai point gaspill\u00e9. \n \n\u2013 Comment se fait-il alors que vous soyez si pauvre ? Car \nvous m\u2019avouerez que votre situ ation pr\u00e9sente ressemble beau-\ncoup aux effets de la dilapidation. \n \n\u2013 Les apparences sont trompeuses, et pour vous faire com-\nprendre mon malheur, il serait n\u00e9cessaire de vous raconter une lamentable histoire. \n \u2013 Seigneur chevalier, je vous pr\u00eate attention de tout mon \nc\u0153ur, et s\u2019il est en mon pouvoir de vous \u00eatre utile, vous pourrez \ndisposer de moi. \n \u2013 Je sais, noble Robin Hood, que vous \u00e9tendez g\u00e9n\u00e9reuse-\nment votre protection sur les opprim\u00e9s, et qu\u2019ils ont des droits \u00e0 \nvotre bienveillante sympathie. \n \u2013 Messire, \u00e9pargnez-moi, je vous prie, interrompit Robin, et \noccupons-nous des choses qui vous int\u00e9ressent. \n \u2013 Je porte le nom de Richard, continua l\u2019\u00e9tranger, et ma fa-\nmille descend du roi Ethelred. \n \u2013 Vous \u00eates saxon, alors ? dit le jeune homme. \u2013 Oui, et la noblesse de mon origine a \u00e9t\u00e9 la source de bien \ndes malheurs. \n \u2013 P e r m e t t e z - m o i d e s e r r e r l a m a i n \u00e0 u n f r \u00e8 r e , r e p r i t R o b i n \nHood avec un joyeux sourire sur les l\u00e8vres ; les Saxons, riches ou pauvres, sont gratuitement les bienvenus dans la for\u00eat de Sher-wood. \n Le chevalier r\u00e9pondit affectueusement \u00e0 l\u2019\u00e9treinte de son \nh\u00f4te, et continua ainsi : \n \u2013 114 \u2013 \u2013 On m\u2019a donn\u00e9 le surnom de sir Richard de la Plaine, parce \nque mon ch\u00e2teau se trouve situ\u00e9 au centre d\u2019un vaste terroir, \u00e0 \ndeux milles environ de l\u2019abbaye de Sainte-Marie. Je me suis mari\u00e9 \njeune encore \u00e0 une femme que j\u2019aimais depuis ma plus tendre \nenfance. Le ciel b\u00e9nit notre union, il nous donna un fils. Jamais \nun p\u00e8re et une m\u00e8re n\u2019ont aim\u00e9 leur enfant comme nous aimons notre Herbert, et jamais un enfant ne s\u2019est montr\u00e9 plus digne de cet exc\u00e8s d\u2019amour. Notre voisinage de l\u2019abbaye Sainte-Marie avait \ndonn\u00e9 lieu \u00e0 de fr\u00e9quents rapports. J\u2019\u00e9tais li\u00e9 avec les fr\u00e8res, et \nnous vivions dans une sorte d\u2019inti mit\u00e9. Un jour, un fr\u00e8re lai, au-\nquel j\u2019avais eu l\u2019occasion de t\u00e9 moigner un int\u00e9r\u00eat sympathique, \nme demanda quelques minutes d\u2019entretien, et, m\u2019emmenant \u00e0 l\u2019\u00e9cart, il me dit : \n \u00bb \u2013 Sir Richard, je suis \u00e0 la ve ille de prononcer des v\u0153ux ir-\nr\u00e9vocables, je suis \u00e0 la veille de me s\u00e9parer \u00e0 jamais du monde, et \nje laisse aupr\u00e8s de la tombe de sa m\u00e8re une pauvre orpheline sans \nfortune et sans appui. Je me suis vou\u00e9 \u00e0 Dieu pour toujours, et \nj\u2019esp\u00e8re que les aust\u00e9rit\u00e9s du clo\u00eetre me donneront le courage de supporter quelques ann\u00e9es encore le fardeau de la vie. Je viens \nvous demander, au nom de la di vine Providence, d\u2019avoir compas-\nsion de ma pauvre petite fille. \n \u00bb \u2013 Mon ch\u00e8re fr\u00e8re, dis-je \u00e0 ce malheureux, je vous remercie \nde votre confiance, et, puisque vous avez mis votre espoir en moi, \ncet espoir ne sera pas tromp\u00e9, votre fille deviendra la mienne. \n \u00bb Le fr\u00e8re, \u00e9mu jusqu\u2019aux larmes de ce qu\u2019il appelait ma g\u00e9-\nn\u00e9rosit\u00e9, me remercia chaleureus ement, et, \u00e0 ma pri\u00e8re, envoya \nchercher ma petite fille. \n \u00bb Je n\u2019ai jamais ressenti une \u00e9motion comparable \u00e0 celle que \nme fit \u00e9prouver la vue de cette enfant. \n \u00bb Elle avait douze ans ; sa taille svelte et \u00e9lev\u00e9e poss\u00e9dait une \nsupr\u00eame \u00e9l\u00e9gance, et de longs chev eux blonds couvraient de leurs \nboucles soyeuses ses mignonnes \u00e9pau les. En entrant dans la salle \no\u00f9 je l\u2019attendais, elle salua avec gr\u00e2ce et attacha sur mon visage \u2013 115 \u2013 deux grands yeux bleus empreints de m\u00e9lancolie. Comme vous \ndevez le penser, mon cher h\u00f4te, cette charmante petite fille s\u2019empara de mon c\u0153ur ; je pris ses mains dans les miennes et je \nlui donnai sur le front un paternel baiser. \n \n\u00bb \u2013 Vous le voyez, sir Richard, me dit le moine, cette tendre \nenfant m\u00e9rite une affectueuse protection. \n \n\u00bb \u2013 Oui, mon fr\u00e8re, et j\u2019avoue que de ma vie mes yeux n\u2019ont \nadmir\u00e9 une plus ravissante cr\u00e9ature. \n \n\u00bb \u2013 Lilas ressemble beaucoup \u00e0 sa pauvre m\u00e8re, me r\u00e9pondit \nle moine, et sa vue alimente mon chagrin, elle \u00e9loigne mon esprit des choses du ciel, elle ram\u00e8ne mes pens\u00e9es vers la douce cr\u00e9a-ture qui dort sous la froide pie rre du tombeau. Adoptez ma ch\u00e8re \nenfant, sir Richard, vous n\u2019aurez point \u00e0 regretter cette charitable \naction ; Lilas poss\u00e8de d\u2019excellentes qualit\u00e9s, un aimable carac-t\u00e8re ; elle est pieuse, douce et bonne. \n \u00bb \u2013 Je serai un p\u00e8re pour elle, un tendre p\u00e8re, r\u00e9pondis-je \ntout \u00e9mu. \n \u00bb La pauvre petite fille nous \u00e9c outait d\u2019un air surpris et, por-\ntant de son p\u00e8re \u00e0 moi le regard inquiet de ses grands yeux bleus, \nelle dit : \n \u00bb \u2013 Mon p\u00e8re, vous voulez\u2026 \u00bb \u2013 Je veux ton bonheur, ma fille ch\u00e9rie, r\u00e9pondit le moine ; \nnotre s\u00e9paration est devenue n\u00e9cessaire. \n \u00bb Je n\u2019essaierai pas de vous d\u00e9peindre, mon cher h\u00f4te, la \nsc\u00e8ne douloureuse qui suivit les longues explications donn\u00e9es par \nle moine \u00e0 son enfant d\u00e9sol\u00e9e ; il pleura avec elle, puis, sur un signe de ce malheureux, j\u2019enlevai Lilas de ses bras et je l\u2019emportai du couvent. \n \u2013 116 \u2013 \u00bb Pendant les premiers jours de son installation au ch\u00e2teau, \nLilas parut triste et soucieuse ; puis le temps et l\u2019aimable compa-\ngnie de mon fils Herbert parvinrent \u00e0 calmer sa douleur. Les deux \nenfants grandirent l\u2019un aupr\u00e8s de l\u2019autre, et lorsqu\u2019ils eurent at-\nteint, Lilas sa seizi\u00e8me ann\u00e9e, Herbert l\u2019\u00e2ge heureux de vingt ans, \ni l m e f u t f a c i l e d e c o m p r e n d r e q u \u2019 i l s s \u2019 a i m a i e n t d u p l u s t e n d r e amour. \n \n\u00bb \u2013 Ces jeunes c\u0153urs, dis-je \u00e0 ma femme apr\u00e8s avoir fait \ncette d\u00e9couverte, n\u2019ont pas connu le chagrin ; prot\u00e9geons-les \ncontre ses atteintes. Herbert adore Lilas, et de son c\u00f4t\u00e9 Lilas aime passionn\u00e9ment notre cher fils. Il nous importe peu que Lilas soit \nd\u2019une naissance obscure ; si son p\u00e8re n\u2019a \u00e9t\u00e9 autrefois qu\u2019un pau-\nvre cultivateur saxon, il est aujourd\u2019hui un saint homme. Gr\u00e2ce \u00e0 nos soins, Lilas poss\u00e8de toutes les qualit\u00e9s qui sont l\u2019apanage de son sexe ; elle aime Herbert, elle sera pour lui une fid\u00e8le compa-\ngne. \n \u00bb Ma femme consentit de tout son c\u0153ur au mariage de nos \ndeux enfants, et nous les fian\u00e7\u00e2mes le jour m\u00eame. \n \u00bb L\u2019\u00e9poque fix\u00e9e pour cette heureuse union \u00e9tait proche, \nlorsqu\u2019un chevalier normand, possesseur d\u2019un petit domaine situ\u00e9 dans le Lancashire, vint rendre visite \u00e0 l\u2019abbaye de Sainte-Marie. Ce Normand avait vu et admir\u00e9 ma r\u00e9sidence ; le d\u00e9sir de la pos-s\u00e9der s\u2019empara aussit\u00f4t de lui. Sans t\u00e9moigner de cette convoitise, il parvint \u00e0 apprendre que j\u2019avais sous ma garde paternelle une jolie fille bonne \u00e0 marier. Supposant \u00e0 bon droit qu\u2019une partie de mon patrimoine serait donn\u00e9e en dot \u00e0 Lilas, le Normand accou-\nrut \u00e0 ma porte, et, sous le pr\u00e9texte de visiter le ch\u00e2teau, il parvint \n\u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans le cercle de notre intimit\u00e9 de famille. Comme je v o u s l \u2019 a i d i t , R o b i n , L i l a s \u00e9 t ait fort belle, sa vue enflamma \nl\u2019imagination de mon h\u00f4te ; il renouvela sa visite, et me fit la confidence de son amour pour la fianc\u00e9e de mon fils. Sans re-pousser les offres honorables du Normand, je lui donnai connais-\nsance des engagements contract\u00e9s par la jeune fille, tout en ajou-\ntant que Lilas \u00e9tait libre de disposer de sa main. \n \u2013 117 \u2013 \u00bb Il s\u2019adressa alors directement \u00e0 elle. Le refus de Lilas fut \ngracieux, mais irr\u00e9vocable ; elle aimait Herbert. \n \n\u00bb Le Normand, exasp\u00e9r\u00e9, sortit du ch\u00e2teau en jurant de se \nvenger de ce qu\u2019il appelait notre insolence. \n \n\u00bb D\u2019abord nous ne f\u00eemes que rire de ses menaces. Les \u00e9v\u00e9-\nnements devaient nous apprendre combien elles \u00e9taient s\u00e9rieu-\nses. \n \n\u00bb Deux jours apr\u00e8s le d\u00e9part du Normand, le fils a\u00een\u00e9 d\u2019un de \nmes vassaux vint m\u2019annoncer qu\u2019il avait rencontr\u00e9, \u00e0 quatre mil-les environ du ch\u00e2teau, l\u2019\u00e9tranger venu en visite chez moi, empor-\ntant dans ses bras ma pauvre fille \u00e9plor\u00e9e. Cette nouvelle nous jeta dans un affreux d\u00e9sespoir ; je ne pouvais y ajouter foi, mais le \njeune gar\u00e7on me donna d\u2019irr\u00e9cusables preuves de notre malheur. \n \n\u00bb \u2013 Sir Richard, me dit-il, mes paroles ne sont que trop \nvraies, et voici de quelle mani\u00e8re j\u2019ai pu m\u2019assurer de l\u2019enl\u00e8vement de miss Lilas. J\u2019\u00e9tais assis sur le bord de la route lorsqu\u2019un cavalier, portant devant lui une femme tout en larmes et suivi de son \u00e9cuyer, s\u2019est arr\u00eat\u00e9 \u00e0 quelques pas de moi ; le har-nais de son cheval s\u2019\u00e9tait bris\u00e9, et il m\u2019appelait avec force menaces \npour lui pr\u00eater secours. Je me suis approch\u00e9, miss Lilas se tordait les mains. \u00ab Arrange cette bride \u00bb, me dit brusquement le cava-lier. J\u2019ob\u00e9is, et, sans \u00eatre vu, je co upai la sangle de la selle ; puis, \ntout en feignant de regarder si le fer du cheval \u00e9tait en bon \u00e9tat, je \nparvins \u00e0 glisser un caillou dans le sabot d\u2019un de ses pieds. Cela \nfait, je me suis enfui, et j\u2019accours vous pr\u00e9venir. \n \u00bb Mon fils Herbert n\u2019en \u00e9couta pas davantage, il descendit \naux \u00e9curies, sella un cheval et partit \u00e0 franc \u00e9trier. \n \u00bb La ruse du jeune paysan avait \u00e9t\u00e9 couronn\u00e9e de succ\u00e8s. \nLorsque Herbert atteignit le Normand, celui-ci \u00e9tait d\u00e9sar\u00e7onn\u00e9. \n \u2013 118 \u2013 \u00bb Il y eut d\u2019abord entre ce malheureux et mon fils un combat \nterrible ; mais la bonne cause rempor ta la victoire, mon fils tua le \nravisseur. \n \n\u00bb D\u00e8s que la mort du Normand fut connue, on envoya une \nbande de soldats \u00e0 la recherche de mon fils. Je fis dispara\u00eetre Herbert, et j\u2019adressai au roi une humble supplique. Je fis conna\u00ee-\ntre \u00e0 Sa Majest\u00e9 l\u2019inf\u00e2me conduite du Normand ; je lui repr\u00e9sentai \nque mon fils s\u2019\u00e9tait battu avec so n ennemi, et qu\u2019il ne l\u2019avait tu\u00e9 \nqu\u2019en s\u2019exposant \u00e0 \u00eatre tu\u00e9 lui-m\u00eame. Le roi me fit acheter la gr\u00e2ce d\u2019Herbert au prix d\u2019une ra n\u00e7on consid\u00e9rable. Trop heureux \nd\u2019obtenir mis\u00e9ricorde, je m\u2019occu pai sur-le-champ de satisfaire \naux d\u00e9sirs du roi. Mon coffre-fort vid\u00e9, je fis appel \u00e0 mes vassaux, je vendis ma vaisselle et mes meubles. Mes derni\u00e8res ressources \u00e9puis\u00e9es, il me manquait encore qu atre cents \u00e9cus d\u2019or. L\u2019abb\u00e9 de \nSainte-Marie me proposa alors de me pr\u00eater sur hypoth\u00e8que la \nsomme dont j\u2019avais besoin ; il va sans dire que j\u2019acceptai avec joie son offre obligeante. Les conditions du pr\u00eat furent r\u00e9gl\u00e9es ainsi : une vente simul\u00e9e de mes propri\u00e9t\u00e9s devait lui en faire acqu\u00e9rir le revenu pendant un an. Si le dernier jour du douzi\u00e8me mois de cette ann\u00e9e, je ne rendais pas les quatre cents \u00e9cus, tous mes biens resteraient en sa possession . Voil\u00e0 quelle est ma position, \nmon cher h\u00f4te, ajouta le chevalier ; le jour de l\u2019\u00e9ch\u00e9ance appro-che, et pour toute fortune, pour toute ressource, je poss\u00e8de dix pistoles. \u00bb \n \u2013 Croyez-vous que l\u2019abb\u00e9 de Sainte-Marie refuse de vous ac-\ncorder du temps pour vous lib\u00e9rer ? demanda Robin Hood. \n \n\u2013 Je suis malheureusement certain qu\u2019il ne m\u2019accordera pas \nune heure, pas une minute. Si la somme ne lui est pas rembours\u00e9e \n\u00e0 l\u2019\u00e9ch\u00e9ance jusqu\u2019au dernier \u00e9cu, mes propri\u00e9t\u00e9s resteront entre \nses mains. H\u00e9las ! je suis bien malheureux ; ma femme bien-aim\u00e9e va manquer d\u2019asile, mes pauvres enfants seront sans pain. Si je devais souffrir seul, je pren drais courage ; mais voir souffrir \nceux que j\u2019aime est une \u00e9preuve au -dessus de mes forces. J\u2019ai de-\nmand\u00e9 secours \u00e0 ceux qui dans ma prosp\u00e9rit\u00e9 se disaient mes \u2013 119 \u2013 amis, je n\u2019ai trouv\u00e9 qu\u2019un refus glacial chez les uns, indiff\u00e9rent \nchez les autres ; je n\u2019ai point d\u2019amis, Robin Hood, je suis seul. \n \nEn achevant ces paroles, le chevalier cacha son visage entre \nses mains tremblantes, et un sanglot convulsif s\u2019\u00e9chappa de ses \nl\u00e8vres. \n \u2013 Sir Richard, dit Robin Hood, votre histoire est triste ; mais \nil ne faut point d\u00e9sesp\u00e9rer de la bont\u00e9 de Dieu ; cette bont\u00e9 veille sur vous, et je crois que vous \u00eates sur le point de rencontrer un secours envoy\u00e9 par le ciel. \n \u2013 H\u00e9las ! soupira le chevalier, si je pouvais obtenir un d\u00e9lai, \npeut-\u00eatre parviendrais-je \u00e0 m\u2019acqu itter. Malheureusement, je ne \npuis offrir pour garantie qu \u2019un v\u0153u \u00e0 la sainte Vierge. \n \n\u2013 J\u2019accepte la garantie, r\u00e9pondit Robin Hood, et, au nom v\u00e9-\nn\u00e9r\u00e9 de la M\u00e8re de Dieu, notre sainte patronne, je vais vous pr\u00eater les quatre cents \u00e9cus d\u2019or dont vous avez besoin. \n Le chevalier jeta un cri. \u2013 Vous, Robin Hood ! Ah ! soyez mille fois b\u00e9ni ! Je le jure \navec toute la sinc\u00e9rit\u00e9 d\u2019un c\u0153ur reconnaissant, je vous rendrai \nloyalement cette somme. \n \u2013 J\u2019y compte, chevalier. Petit-Je an, ajouta Robin, vous savez \no\u00f9 est le tr\u00e9sor puisque vous \u00eates le caissier de la for\u00eat ; allez me \nchercher quatre cents \u00e9cus ; quant \u00e0 vous, Will, faites-moi l\u2019amiti\u00e9 \nde voir dans ma garde-robe s\u2019il ne se trouve pas un costume digne \nde notre h\u00f4te. \n \u2013 En v\u00e9rit\u00e9, Robin Hood, votre bont\u00e9 est si grande\u2026 s\u2019\u00e9cria \nle chevalier. \n \u2013 Taisez-vous, taisez-vous, inte rrompit Robin en riant ; nous \nvenons de contracter l\u2019un envers l\u2019autre un engagement, et je vous \ndois tout honneur, puisque vous \u00eat es \u00e0 mes yeux un envoy\u00e9 de la \u2013 120 \u2013 sainte Vierge. Will, ajoutez au x v\u00eatements quelques aunes de \nbeau drap ; placez ensuite un nouvel harnachement sur le cheval \ngris que l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford a co nfi\u00e9 \u00e0 nos soins ; enfin, Will, \nmon ami, joignez \u00e0 ces modestes dons tous les objets que votre \nesprit inventif pourra croire n\u00e9cessaires au chevalier. \n Petit-Jean et Will s\u2019occup\u00e8rent en toute h\u00e2te de remplir leur \nmission. \n \u2013 Mon cousin, dit Jean, vos mains sont plus agiles que les \nmiennes ; comptez l\u2019argent, moi je vais mesurer l\u2019\u00e9toffe, et mon \narc me servira d\u2019aune. \n \u2013 Eh bien ! r\u00e9pondit Will en riant, la mesure sera bonne. \u2013 Certainement, vous allez voir. Petit-Jean prit son arc d\u2019une \nmain, il d\u00e9roula de l\u2019autre une pi\u00e8c e de drap, et se mit, non \u00e0 au-\nner mais \u00e0 faire semblant de pren dre l\u2019exacte mesure du coupon. \nWilliam se mit \u00e0 \u00e9clater de rire. \n \n\u2013 Continuez, ami Jean, continue z, la pi\u00e8ce enti\u00e8re passera ; \ncomme vous y allez, trois aunes pour une ! bravo ! \n \u2013 Taisez-vous, bavard ! ne sa vez-vous pas que Robin agirait \nencore plus largement s\u2019il \u00e9tait \u00e0 notre place ? \n \u2013 Alors je vais ajouter quelques \u00e9cus, dit William. \u2013 Quelques poign\u00e9es, cousin ; nous reprendrons cela aux \nNormands. \n \u2013 Voil\u00e0 qui est fait. En voyant les largesses de Jean et la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 de Will, Ro-\nbin sourit et remercia du regard. \n \u2013 Seigneur chevalier, dit Will en mettant l\u2019or dans la main du \nchevalier, chaque rouleau contient cent \u00e9cus. \u2013 121 \u2013 \n\u2013 Mais il y a six rouleaux, mon jeune ami ! \n\u2013 Vous \u00eates dans l\u2019erreur, mon h\u00f4te, il n\u2019y en a que quatre, \nr\u00e9pondit Robin. Puis, apr\u00e8s tout, qu\u2019importe ! Serrez cet argent \ndans votre escarcelle, et n\u2019en parlons plus. \n \u2013 \u00c0 quand l\u2019\u00e9ch\u00e9ance ? demanda le chevalier. \n \n\u2013 D\u2019ici \u00e0 un an, jour pour jour, si ce d\u00e9lai vous convient, et si \nje suis encore de ce monde, dit Robin. \n \u2013 J\u2019accepte. \u2013 Sous cet arbre. \n\u2013 Je serai exact au rendez-vous, Robin Hood, reprit le cheva-\nlier en serrant avec une effusion pleine de gratitude les mains du \njeune chef ; mais avant de nous s\u00e9parer, permettez-moi de vous \ndire que tous les \u00e9loges prodigu\u00e9s \u00e0 votre noble conduite n\u2019\u00e9galent pas ceux qui remplissent mon c\u0153ur ; vous me sauvez plus que la vie, vous sauvez ma femme et mes enfants. \n \u2013 Messire, reprit Robin Hood, vous \u00eates saxon, et ce titre \nvous donne des droits \u00e0 toute mon amiti\u00e9 ; de plus, vous aviez aupr\u00e8s de moi une protection toute-puissante, le malheur. Je suis ce que les hommes appellent un band it, un voleur, soit ! mais si \nj\u2019extorque les riches, je ne prends rien aux pauvres. Je d\u00e9teste la violence, je ne verse pas le sang ; j\u2019aime ma patrie, et la race nor-\nmande m\u2019est odieuse parce qu\u2019\u00e0 son usurpation elle a joint la ty-\nrannie. Ne me remerciez pas, je n\u2019 ai pas fait une chose extraordi-\nnaire, je vous ai donn\u00e9, vous n\u2019av iez pas, c\u2019\u00e9tait donc de toute jus-\ntice. \n \u2013 Votre conduite \u00e0 mon \u00e9gard, quoi que vous en puissiez \ndire, est noble et g\u00e9n\u00e9reuse ; vous avez plus fait pour moi, qui vous suis \u00e9tranger, que ceux qui se disent mes amis. Puisse Dieu vous b\u00e9nir, Robin, car vous avez ramen\u00e9 la joie dans mon c\u0153ur. \u2013 122 \u2013 Dans tout temps et en tout lieu je serai fier de me dire votre obli-\ng\u00e9, et je prie sinc\u00e8rement le ciel de m\u2019accorder la gr\u00e2ce de vous \nt\u00e9moigner un jour mon ardente reconnaissance. Adieu, Robin \nHood, adieu mon v\u00e9ritable ami ; d a n s u n a n j e r e v i e n d r a i \nm\u2019acquitter envers vous. \n \n\u2013 Au revoir, chevalier, r\u00e9pondit Robin en serrant avec amiti\u00e9 \nla main de son h\u00f4te ; si jamais les circonstances me mettent dans \nune situation o\u00f9 votre secours me soit n\u00e9cessaire, j\u2019y ferai appel avec confiance et sans r\u00e9serve. \n \u2013 Dieu vous entende ! Mon plus grand d\u00e9sir sera alors de me \nd\u00e9vouer \u00e0 vous corps et \u00e2me. \n Sir Richard serra les mains de Wi ll et celles de Petit-Jean, et \nenfourcha le cheval gris pommel\u00e9 de l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford. La \nmonture du chevalier, charg\u00e9e des pr\u00e9sents de Robin Hood, de-vait suivre son ma\u00eetre. \n En voyant dispara\u00eetre son h\u00f4te passager au d\u00e9tour du che-\nmin, Robin Hood dit \u00e0 ses compagnons : \n \u2013 Nous avons fait un heureux ; la journ\u00e9e a \u00e9t\u00e9 bien remplie. \u2013 123 \u2013 V \n \nMarianne et Maude habitaient depuis un mois le ch\u00e2teau de \nBarnsdale, et elles ne devaient reprendre leur ancien mode \nd\u2019existence qu\u2019apr\u00e8s leur entier r\u00e9tablissement ; car on n\u2019a pas \noubli\u00e9 que les deux jeunes femmes \u00e9taient devenues m\u00e8res. \n Robin Hood ne put supporter longtemps l\u2019absence de sa \nbien-aim\u00e9e compagne. Un matin il emmena avec lui une partie de \nsa bande et l\u2019installa dans la for\u00eat de Barnsdale. William, qui na-turellement avait suivi son jeune chef, d\u00e9clara bient\u00f4t que la de-meure souterraine construite en gr ande h\u00e2te dans le voisinage du \nch\u00e2teau valait infiniment mieux qu e celle du grand bois de Sher-\nw o o d , o u d u m o i n s q u e , s \u2019 i l y m a n q u a i t d i f f \u00e9 r e n t e s c h o s e s p o u r compl\u00e9ter le bien-\u00eatre de la troupe, il y avait dans la proximit\u00e9 du hall de Barnsdale une tr\u00e8s agr\u00e9able compensation. \n \nRobin et William \u00e9taient donc enchant\u00e9s de leur changement \nde domicile, et deux jeunes gens de notre connaissance parta-geaient pour la m\u00eame cause leur expansive satisfaction. Ces deux j e u n e s g e n s s e n o m m a i e n t P e t i t - J e a n e t M u c h C o k l e , l e f i l s d u meunier. Robin s\u2019aper\u00e7ut bient\u00f4t que Petit-Jean et Much s\u2019absentaient sans motif apparent \u00e0 toute heure du jour. Cette d\u00e9sertion se renouvela tant de fo is que Robin eut le d\u00e9sir d\u2019en \nconna\u00eetre la cause ; il prit des informations, et on lui r\u00e9v\u00e9la que sa cousine Winifred, aimant fort \u00e0 se promener, avait demand\u00e9 \u00e0 \nPetit-Jean de lui faire visiter les sites les plus remarquables de la \nfor\u00eat de Barnsdale. \u00ab Bon ! dit Robin, voil\u00e0 pour Petit-Jean ; et Much ? \u00bb On r\u00e9pondit que miss Barbara, partageant la curiosit\u00e9 de sa s\u0153ur \u00e0 l\u2019endroit des beaut\u00e9s de la campagne, avait voulu \nl\u2019accompagner dans ses excursions champ\u00eatres ; mais que Petit-\nJean, avec une prudence digne d\u2019\u00e9l oge, avait fait observer \u00e0 la \njeune demoiselle que, la responsabilit\u00e9 d\u2019une femme \u00e9tant d\u00e9j\u00e0 chose grave, il lui \u00e9tait impossible d\u2019accepter sa compagnie et les \u2013 124 \u2013 charges qui en devaient r\u00e9sulter. En cons\u00e9quence, Much avait \noffert sa protection \u00e0 miss Barbara, et miss Barbara l\u2019avait accep-t\u00e9e. Les deux couples s\u2019en allaient donc errer \u00e0 travers les arbres \net dans les endroits les plus myst\u00e9rieux et les plus ombrag\u00e9s ; tout \nen causant on ne sait de quoi, ils oubliaient de regarder les objets \nqu\u2019ils \u00e9taient venus voir, et les vieux ch\u00eanes tordus, les h\u00eatres aux gracieuses branches, les ormes s\u00e9culaires passaient devant leurs yeux sans obtenir la moindre attention. Puis, une fatalit\u00e9 plus \n\u00e9trange encore que cette indiff\u00e9renc e pour les splendeurs du bois \njetait sans cesse chacun des deux couples dans un chemin \ncontraire \u00e0 la bonne route, et ils ne se rencontraient qu\u2019\u00e0 la porte \ndu ch\u00e2teau, au lever des premi\u00e8res \u00e9toiles. \n Ces promenades, qui se renouvelaient journellement, expli-\nqu\u00e8rent \u00e0 Robin la double absence de ses deux compagnons. \n \nUn soir, la journ\u00e9e avait \u00e9t\u00e9 br\u00fbl ante, et un vent ti\u00e8de rafra\u00ee-\nchissait l\u2019atmosph\u00e8re : Marianne et Maude, appuy\u00e9es aux bras de \nRobin et de William, sortirent du ch\u00e2teau pour entreprendre une longue promenade dans les clairi\u00e8res parfum\u00e9es du bois. Wini-fred et Barbara suivaient les jeunes couples, et Petit-Jean et son \nins\u00e9parable Much servaient d\u2019ombre aux deux s\u0153urs. \n \u2013 Ici, je respire, dit Marianne en pr\u00e9sentant \u00e0 la brise son vi-\nsage p\u00e2li ; il me semble que l\u2019 air me manque dans un apparte-\nment, et j\u2019ai h\u00e2te de reprendre le chemin de la for\u00eat. \n \u2013 Il est donc bien agr\u00e9able de vivre dans les bois ? demanda \nmiss Barbara. \n \u2013 Oui, reprit Marianne, il y a tant de soleil, de lumi\u00e8re, \nd\u2019ombre, de fleurs et de feuillage ! \n \u2013 Much m\u2019a dit hier, continua Barbara, que la for\u00eat de Sher-\nwood surpassait en beaut\u00e9 celle de Barnsdale ; il faut alors qu\u2019elle \nr\u00e9unisse toutes les merveilles de la cr\u00e9ation, car nous avons ici \ndes endroits ravissants. \n \u2013 125 \u2013 \u2013 Vous trouvez donc le bois de Barnsdale, tr\u00e8s joli, Barbara ? \ndemanda Robin en dissimulant un sourire. \n \n\u2013 Charmant, r\u00e9pondit la jeune fille avec vivacit\u00e9 ; il s\u2019y trouve \ndes paysages d\u00e9licieux. \n \n\u2013 Quelle est la partie du bois qui a particuli\u00e8rement attir\u00e9 \nvos regards, ma cousine ? \n \u2013 Je ne saurais r\u00e9pondre tr\u00e8s clairement \u00e0 votre question, \nRobin ; cependant, je crois que mon souvenir accorde une petite pr\u00e9f\u00e9rence \u00e0 une vall\u00e9e qui, j\u2019en suis certaine, n\u2019a pas son \u00e9gale \ndans le vieux bois de Sherwood. \n \u2013 Et cette vall\u00e9e se trouve ?\u2026 \n\u2013 Loin d\u2019ici ; mais vous ne po urriez imaginer rien de plus \nfrais, de plus silencieux, de plus parfum\u00e9 que ce petit coin de terre. Repr\u00e9sentez-vous, mon cousin, une vaste pelouse entour\u00e9e d\u2019un terrain en pente sur le somm et duquel croissent \u00e0 profusion \ndes arbres de toutes les esp\u00e8ces. La nuance diff\u00e9rente de leurs feuilles \u00e9clair\u00e9e par le soleil prend des aspects merveilleux : tant\u00f4t vous avez devant les yeux un rideau d\u2019\u00e9meraude, tant\u00f4t un voile aux couleurs multicolores se d\u00e9roule sous vos regards. Le gazon qui couvre cette vall\u00e9e ressemble \u00e0 un grand tapis vert ; pas un pli \nn\u2019en ride la surface. Aux pieds des arbres et sur la pente de ce semblant de collines, jetez des fleurs de pourpre, d\u2019iris et d\u2019or, faites courir au bas du ravin ombrag\u00e9 un mince filet d\u2019eau qui \nroule en murmurant entre ses deux rives, et vous aurez sous les \nyeux l\u2019oasis de la for\u00eat de Barnsd ale. Et puis, continua la jeune \nfille, le calme est si grand dans cette d\u00e9licieuse retraite, l\u2019air qu\u2019on \ny respire est si pur, qu\u2019on se sent le c\u0153ur tout dilat\u00e9 de joie. Enfin, \nje n\u2019ai jamais vu de ma vie un endroit aussi ravissant. \n \u2013 O\u00f9 est donc cette vall\u00e9e enchanteresse, Barbara ? demanda \nna\u00efvement Winifred. \n \u2013 126 \u2013 \u2013 Vous ne vous promeniez donc pas toujours ensemble ? in-\nterrompit Robin en souriant. \n \n\u2013 Mais si, ajouta Winifred ; seulement nous nous perdions \ntoujours\u2026 non, je voulais dire tr \u00e8s souvent\u2026 quelquefois est plus \njuste. Je veux dire enfin que Petit-Jean se trompait de chemin, et \nalors nous nous trouvions s\u00e9par\u00e9s ; nous nous cherchions et je ne \nsais comment cela se faisait, ma is nous ne parvenions jamais \u00e0 \nnous rejoindre avant d\u2019\u00eatre arriv\u00e9s au ch\u00e2teau. Cette continuelle s\u00e9paration avait lieu, je vous l\u2019assure, tout \u00e0 fait par accident. \n \u2013 Oui, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019\u00e9tait par accident, reprit Robin d\u2019un air \nmoqueur, et personne ne suppos e le contraire. Aussi, pourquoi \nrougissez-vous, Barbara ? pourquoi baissez-vous les yeux, Wini-fred ? Voyez, ni Jean ni Much ne sont embarrass\u00e9s, eux ; ils sa-\nvent si bien que vous vous \u00e9garie z dans le bois sans vous en aper-\ncevoir ! \n \n\u2013 Mon Dieu ! oui, r\u00e9pondit Much, et connaissant le go\u00fbt de \nmiss Barbara pour les endroits retir\u00e9s et tranquilles, je l\u2019avais conduite dans la petite vall\u00e9e dont elle vient de faire la descrip-tion. \n \u2013 Je suis tent\u00e9 de croire, reprit Robin, que Barbara poss\u00e8de \nune grande facilit\u00e9 d\u2019observation pour avoir pu embrasser d\u2019un coup d\u2019\u0153il toutes les choses char mantes dont elle vient de nous \nparler. Mais dites-moi, Barbara, n\u2019avez-vous pas trouv\u00e9 dans cet oasis de Barnsdale, ainsi que vous nommiez tout \u00e0 l\u2019heure la val-\nl\u00e9e d\u00e9couverte par Much, quelque chose de plus charmant encore \nque les arbres aux feuilles diapr\u00e9es, le gazon vert, le ruisseau chanteur, et les fleurs multicolores ? \n Barbara rougit. \u2013 Je ne sais ce que vous voulez dire, mon cousin. \u2013 Vraiment ! Much me comprendra mieux que vous, je \nl\u2019esp\u00e8re. Voyons, Much, r\u00e9pondez franchement : Barbara n\u2019a-t-\u2013 127 \u2013 elle point oubli\u00e9 de nous faire part d\u2019un charmant \u00e9pisode de vo-\ntre visite dans ce paradis terrestre ? \n \n\u2013 Quel \u00e9pisode, Robin ? demanda le jeune homme en \u00e9bau-\nchant un sourire. \n \n\u2013 Mon discret ami, reprit Robin, est-il jamais parvenu \u00e0 vo-\ntre connaissance que deux jeunes gens \u00e9pris l\u2019un de l\u2019autre soient \nall\u00e9s seuls dans la d\u00e9licieuse retrai te dont Barbara garde si bien le \nsouvenir au fond du c\u0153ur ? \n \nMuch rougit prodigieusement. \u2013 Eh bien ! reprit Robin, deux jeunes gens de ma connais-\nsance particuli\u00e8re ont visit\u00e9 il y a quelques jours votre paradis de verdure. Arriv\u00e9s sur les bords fleuri s du joli ruisseau, ils se sont \nassis l\u2019un aupr\u00e8s de l\u2019autre. D\u2019abord ils ont admir\u00e9 le paysage, \npr\u00eat\u00e9 l\u2019oreille aux chants a\u00e9riens de s oiseaux ; puis ils sont rest\u00e9s \nquelques minutes aveugles et mu ets ; puis le jeune homme, en-\nhardi par la solitude, par le sile nce \u00e9mu de sa tremblante compa-\ngne, a pris dans les siennes deux petites mains blanches. La jeune fille n\u2019a pas lev\u00e9 les yeux, mais elle a rougi et cette rougeur a parl\u00e9 pour elle. Alors, d\u2019une voix qui a paru \u00e0 la jeune fille plus douce \nque le chant des oiseaux, plus harmonieuse que le murmure de la brise, le jeune homme lui a dit : \u00ab Il n\u2019y a personne dans le monde entier que j\u2019aime autant que vous ; je pr\u00e9f\u00e9rerais la mort \u00e0 la perte \nde votre amour et si vous voulez \u00eatre ma femme, vous me rendrez \nle plus heureux des hommes. \u00bb Dites-moi, Barbara, ajouta Robin en souriant, pourriez-vous me dire si la jeune fille a tendrement \naccueilli l\u2019ardente pri\u00e8re de son galant cavalier ? \n \u2013 Ne r\u00e9pondez pas \u00e0 cette indiscr\u00e8te demande, Barby ! \ns\u2019\u00e9cria Marianne. \n \u2013 Parlez au nom de Barbara, Much, dit Robin. \u2013 Vous nous adressez \u00e0 l\u2019un et \u00e0 l\u2019autre des questions si bi-\nzarres, r\u00e9pondit le jeune homme, fort port\u00e9 \u00e0 croire que Robin \u2013 128 \u2013 avait assist\u00e9 \u00e0 son t\u00eate-\u00e0-t\u00eate avec Barbara, qu\u2019il m\u2019est impossible \nd\u2019en comprendre le but. \n \n\u2013 Par ma foi ! Much, dit William, il me semble que Robin \nparle au nom de la v\u00e9rit\u00e9 et s\u2019il faut en croire votre mine confuse \net les couleurs \u00e9clatantes qui parent le front et les joues de ma s\u0153ur, vous \u00eates les amoureux de la vall\u00e9e. Vive Dieu ! Barbara, si \non m\u2019appelle Will \u00c9carlate \u00e0 caus e de mes cheveux roux, on pour-\nra bient\u00f4t t\u2019appeler aussi Barby \u00c9c arlate, car ton visage est tout \u00e0 \nfait pourpre. N\u2019est-ce pas vrai, Maude ? \n \u2013 Monsieur William, dit Barbara d\u2019un air m\u00e9content, si tu \n\u00e9tais \u00e0 port\u00e9e de ma main, je t\u2019arracherais avec plaisir une boucle de ta vilaine chevelure. \n \u2013 Tu aurais le droit d\u2019agir ainsi si cette m\u00eame chevelure se \ntrouvait sur une autre t\u00eate que la mienne, dit William en jetant un \nregard \u00e0 Much ; mais la t\u00eate de ton fr\u00e8re est hors de cette at-\nteinte ; elle a son tyran particulier, n\u2019est-ce pas, Maude ? \n \u2013 Oui, Will ; mais je ne vous ai jamais tir\u00e9 les cheveux. \n \u2013 Cela viendra, ma ch\u00e8re petite femme. \u2013 Jamais, dit Maude en riant. \u2013 Ainsi, Much, vous ne voulez pas me faire conna\u00eetre la r\u00e9-\nponse de la jeune fille ? \n \n\u2013 Si vous rencontrez quelque jour cette jeune demoiselle, il \nfaudra l\u2019interroger vous-m\u00eame, Robin. \n \n\u2013 Je n\u2019y manquerai pas. Et vous, Petit-Jean, avez-vous \nconnaissance d\u2019un aimable gar\u00e7on qui adore la solitude en t\u00eate \u00e0 t\u00eate avec une charmante personne ? \n \u2013 Non, Robin ; mais si vous d\u00e9sirez conna\u00eetre ces amoureux, \nj\u2019essayerai de les d\u00e9couvrir, r\u00e9pondit na\u00efvement Petit-Jean. \u2013 129 \u2013 \n\u2013 Il me vient une id\u00e9e, Jean, s\u2019\u00e9cria Will en \u00e9clatant de rire. \nCes amoureux dont parle Robin ne vous sont pas inconnus, et je \nparie tout ce que vous voudrez que le jeune homme en question \npeut \u00eatre appel\u00e9 mon cousin, et que la jeune fille est une aimable \npersonne du voisinage. \n \n\u2013 Votre id\u00e9e est mauvaise, Will, r\u00e9pondit Jean ; il n\u2019est pas \nquestion de moi. \n \u2013 En effet, je fais fausse route, reprit Will en souriant, il ne \npeut \u00eatre question de vous, mon cousin, car vous n\u2019avez jamais \u00e9t\u00e9 amoureux. \n \u2013 Je vous demande bien pardon, Will, reprit le g\u00e9ant d\u2019un \nton tranquille ; j\u2019aime de tout mon c\u0153ur et depuis longtemps une \nbelle et charmante fille. \n \n\u2013 Ah ! ah ! s\u2019\u00e9cria Will, Petit-Jean amoureux, en voil\u00e0 du \nnouveau ! \n \u2013 Et pourquoi donc Petit-Jean ne pourrait-il \u00eatre amoureux ? \ndemanda le grand jeune homme avec bonhomie ; il n\u2019y a rien d\u2019extraordinaire \u00e0 cela, j\u2019imagine. \n \u2013 Rien du tout, mon brave ami ; j\u2019aime \u00e0 voir tout le monde \nheureux, et le bonheur, c\u2019est l\u2019 amour ; mais, par saint Paul ! je \nserai fort content de pouvoir fair e connaissance avec la dame de \nvos pens\u00e9es. \n \u2013 La dame de mes pens\u00e9es ! exclama le jeune homme ; mais \nqui donc voulez-vous que ce soit, sinon votre s\u0153ur Winifred, cou-sin Will ? votre s\u0153ur que j\u2019aime depuis l\u2019enfance autant que vous aimez Maude, autant que Much aime Barbara. \n Un \u00e9clat de rire g\u00e9n\u00e9ral r\u00e9pondit \u00e0 la franchise de Jean, et \nWinifred, entour\u00e9e de f\u00e9licitations, lan\u00e7a au jeune homme un re-gard plein de tendre reproche. \u2013 130 \u2013 \n\u2013 Vous le voyez, Much, reprit Robin, t\u00f4t ou tard la v\u00e9rit\u00e9 par-\nvient \u00e0 se faire conna\u00eetre. J\u2019avai s touch\u00e9 juste en vous d\u00e9signant \npour les h\u00e9ros de la petite sc\u00e8ne qui s\u2019est pass\u00e9e dans le bois de \nBarnsdale. \n \u2013 Vous en avez donc \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin ? demanda Much. \n\u2013 Non, je l\u2019ai devin\u00e9e, ou pour mieux dire, je me suis souve-\nnu de mes propres impressions ; il m\u2019est arriv\u00e9 la m\u00eame chose il y \na un an : Marianne m\u2019avait attir\u00e9\u2026 \n \u2013 Comment, je vous avais attir\u00e9 ! se r\u00e9cria la jeune femme ; \nc\u2019\u00e9tait bien vous, Robin, je vous prie de le croire, et si j\u2019avais pu pr\u00e9voir \u00e0 cette \u00e9poque-l\u00e0 de que lle mani\u00e8re vous me traiteriez \napr\u00e8s notre mariage\u2026 \n \n\u2013 Qu\u2019auriez-vous fait, Marianne ? interrompit Barbara. \u2013 Je me serai mari\u00e9e plus t\u00f4t, ch\u00e8re Barbara, reprit la jeune \nfemme en souriant \u00e0 Robin. \n \u2013 Voil\u00e0, je l\u2019esp\u00e8re, une r\u00e9ponse qui doit encourager la \nconfiance dont vous avez d\u00e9j\u00e0 secr\u00e8tement donn\u00e9 des preuves, \nespi\u00e8gle Barby. Voyons, parlons \u00e0 c\u0153ur ouvert, nous sommes en \nfamille. Dites-nous que vous aimez Much, et de son c\u00f4t\u00e9, Much nous fera le m\u00eame aveu. \n \u2013 Oui, je ferai cet aveu ! s\u2019\u00e9cria Much d\u2019une voix \u00e9mue ; oui, \nje dirai hautement : j\u2019aime de toutes les forces de mon \u00e2me Bar-bara Gamwell. Je dirai \u00e0 tous ceux qui veulent l\u2019entendre : les yeux de Barbara sont pour moi la lumi\u00e8re du jour ; sa voix douce et vibrante r\u00e9sonne \u00e0 mon orei lle comme le chant harmonieux \ndes petits oiseaux. Je pr\u00e9f\u00e8re l\u2019aimable compagnie de ma ch\u00e8re Barbara aux plaisirs des festins, \u00e0 l\u2019enivrement du bal sous les \nvertes feuilles du mois de mai ; je pr\u00e9f\u00e8re un tendre regard de ses \nyeux, un sourire de ses l\u00e8vres, ou une bonne pression de sa petite \nmain \u00e0 toutes les richesses du mo nde ; je suis enti\u00e8rement d\u00e9vou\u00e9 \u2013 131 \u2013 \u00e0 Barbara et plut\u00f4t que de faire une chose qui pourrait lui \u00eatre \nd\u00e9sagr\u00e9able, j\u2019irais demander au sh\u00e9rif de Nottingham de vouloir \nbien m\u2019envoyer \u00e0 la potence. Oui, mes bons amis, j\u2019aime cette \nch\u00e8re enfant, et j\u2019appelle sur sa bl onde t\u00eate toutes les saintes b\u00e9-\nn \u00e9 d i c t i o n s d u c i e l . S i e l le ve ut b i e n m \u2019 ac c o r d e r le bo n h e ur d e l a \nprot\u00e9ger de mon nom et de mon amou r, elle sera heureuse et bien \ntendrement aim\u00e9e. \n \n\u2013 Hourra ! cria Will en jetant son bonnet en l\u2019air, voil\u00e0 qui \nest bien dit. Petite s\u0153ur, essuyez vos beaux yeux et venez, je vous \nen donne la permission, pr\u00e9senter vos joues roses, \u00e9carlates, \u00e0 ce \nbrave amoureux. Si au lieu d\u2019\u00eatre un vaillant gar\u00e7on j\u2019\u00e9tais une faible fille et que mon oreille e\u00fbt entendu de si douces choses, je serais d\u00e9j\u00e0 la main ouverte et le c\u0153ur sur la main dans les bras de \nmon fianc\u00e9. N\u2019agirais-tu pas ainsi, Maude ? Certainement, n\u2019est-ce pas. \n \n\u2013 Mais non, Will, la modestie\u2026 \u2013 Nous sommes en famille, il n\u2019y a donc point \u00e0 rougir d\u2019une \naction aussi naturelle. Je suis bi en assur\u00e9, Maude, que tu es de \nmon avis. Si j\u2019\u00e9tais Much, et que tu fusses Barby, tu serais d\u00e9j\u00e0 \ndans mes bras et tu m\u2019embrasserais de tout ton c\u0153ur. \n \u2013 Je me range du parti de Wi lliam, dit Robin en souriant \navec une certaine malice. Il faut que Barbara nous donne la preuve de son affection pour Much. \n La jeune fille ainsi interpell\u00e9e s\u2019avan\u00e7a au centre du joyeux \ngroupe et dit d\u2019un air timide : \n \u2013 Je crois sinc\u00e8rement \u00e0 la tendresse que Much me t\u00e9moi-\ngne : je lui en suis tr\u00e8s reconn aissante et je dois avouer \u00e0 mon \ntour que\u2026 que\u2026 \n \u2013 Que tu l\u2019aimes autant qu\u2019il t\u2019aime, ajouta vivement Will. Tu \nas la parole bien difficile aujourd\u2019hu i, petite s\u0153ur ; je t\u2019assure qu\u2019il \nm\u2019a fallu beaucoup moins de temps \u00e0 moi pour faire comprendre \u2013 132 \u2013 \u00e0 Maude que je l\u2019aimais de toutes mes forces ; n\u2019est-ce pas, \nMaude ? \n \n\u2013 C\u2019est vrai, Will, r\u00e9pondit la jeune femme. \n \u2013 Much, continua William d\u2019un air plus s\u00e9rieux, je vous \ndonne pour femme la gentille Barbara ; elle poss\u00e8de toutes les qualit\u00e9s du c\u0153ur, et vous serez un heureux mari. Barby, mon \namour, Much est un honn\u00eate homme, un brave Saxon, fid\u00e8le \ncomme l\u2019acier ; il ne trompera pas tes tendres esp\u00e9rances, il t\u2019aimera toujours. \n \u2013 Toujours ! toujours ! cria Much en prenant les deux mains \nde sa fianc\u00e9e. \n \u2013 Embrassez votre future femme, ami Much, dit Will. Le \njeune homme ob\u00e9it et malgr\u00e9 le semblant de r\u00e9sistance oppos\u00e9 \npar miss Gamwell, il effleura ses joues couvertes de rougeur. Le \nbaronnet donna son consentement au mariage de ses filles et \nl\u2019\u00e9poque de la c\u00e9l\u00e9bration de cett e double union fut aussit\u00f4t fix\u00e9e. \nLe lendemain matin, Robin Hood, Petit-Jean et Will \u00c9carlate se trouvaient entour\u00e9s d\u2019une centaine de leurs joyeux hommes sous \nles grands arbres de la for\u00eat de Barnsdale, lorsqu\u2019un jeune gar\u00e7on \nqui paraissait avoir fait une long ue route se pr\u00e9senta devant Ro-\nbin. \n \u2013 Mon noble ma\u00eetre, dit-il, je vous apporte une bonne nou-\nvelle. \n \n\u2013 Tr\u00e8s bien, Georges, r\u00e9pondit le jeune homme ; apprends-\nnous promptement ce dont il s\u2019agit. \n \n\u2013 Il s\u2019agit d\u2019une visite de l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford. Sa Seigneurie, \naccompagn\u00e9e d\u2019une vingtaine de serviteurs, doit traverser au-jourd\u2019hui m\u00eame la for\u00eat de Barnsdale. \n \u2013 133 \u2013 \u2013 Bravo ! et voil\u00e0 en v\u00e9rit\u00e9 une bonne nouvelle. Sais-tu \u00e0 \nquelle heure monseigneur doit nous accorder l\u2019honneur de sa \npr\u00e9sence ? \n \n\u2013 Vers deux heures, capitaine. \u2013 C\u2019est parfait ; et comment as-tu \u00e9t\u00e9 inform\u00e9 du passage de \nSa Seigneurie ? \n \u2013 Par un de nos hommes qui, en passant \u00e0 Sheffield, a appris \nque l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford se disposait \u00e0 rendre une visite \u00e0 l\u2019abbaye de Sainte-Marie. \n \u2013 Tu es un brave gar\u00e7on, Georges et je te remercie d\u2019avoir eu \nla bonne pens\u00e9e de me mettre sur mes gardes. Mes enfants, ajou-\nta Robin, attention au commandement, nous allons rire. Will \n\u00c9carlate, prends avec toi une vingtaine d\u2019hommes et va garder le chemin qui se trouve dans les environs du ch\u00e2teau de ton p\u00e8re. Toi, Petit-Jean, va garder avec le m\u00eame nombre de compagnons \nle sentier qui descend vers le nord de la for\u00eat. Much, allez vous poster \u00e0 l\u2019est du bois avec le reste de la troupe. Je vais m\u2019\u00e9tablir sur le grand chemin. Il ne faut pas laisser \u00e0 monseigneur la fa-cult\u00e9 de fuir, je d\u00e9sire l\u2019inviter \u00e0 prendre place \u00e0 un royal festin ; il sera trait\u00e9 grandement, mais il payera en cons\u00e9quence. Quant \u00e0 \ntoi, Georges, tu vas choisir un da im de belle venue, un chevreuil \nbien gras, et tu pr\u00e9pareras les deux pi\u00e8ces \u00e0 recevoir les honneurs de ma table. \n Les trois lieutenants partis avec leur petite troupe, Robin or-\ndonna \u00e0 ses hommes de rev\u00eatir un costume de berger (les fores-tiers poss\u00e9daient dans leurs magasins toutes sortes de d\u00e9guise-ments) et lui-m\u00eame endossa une modeste blouse. Cette transfor-mation op\u00e9r\u00e9e, on planta des b\u00e2tons dans la terre et on y suspen-\ndit le daim et le chevreuil. Un bon feu aliment\u00e9 par des branches s\u00e8ches commen\u00e7a bient\u00f4t \u00e0 mordre de son ardente chaleur les chairs savoureuses de la venaison. \n \u2013 134 \u2013 Vers deux heures ainsi que Geor ges l\u2019avait annonc\u00e9, l\u2019\u00e9v\u00eaque \nd\u2019Hereford et sa suite parurent au b a s d e l a r o u t e , a u m i l i e u d e \nlaquelle se tenait Robin et ses hommes d\u00e9guis\u00e9s en bergers. \n \n\u2013 Notre butin approche, dit Robin en riant ; allons, mes \njoyeux amis, arrosez le r\u00f4ti, voic i notre convive. L\u2019\u00e9v\u00eaque, accom-\npagn\u00e9 de sa suite, marchait rapidement, et bient\u00f4t la noble com-pagnie se trouva aupr\u00e8s des bergers. \n \u00c0 la vue de la gigantesque broche qui tournait lentement au-\ntour du brasier, le pr\u00e9lat laissa \u00e9chapper une violente exclamation \nde col\u00e8re. \n \u2013 Qu\u2019est-ce \u00e0 dire ? coquins, que signifie ?\u2026 Robin Hood leva les yeux sur l\u2019\u00e9v\u00eaque, le regarda d\u2019un air \nstupide et ne r\u00e9pondit pas. \n \n\u2013 M\u2019entendez-vous, coquins ? r\u00e9p\u00e9ta l\u2019\u00e9v\u00eaque ; je vous de-\nmande \u00e0 qui vous destinez ce magnifique festin ? \n \u2013 \u00c0 qui ? r\u00e9p\u00e9ta Robin avec une expression de niaiserie ad-\nmirablement rendue. \n \u2013 Oui, \u00e0 qui ? Les cerfs de cette for\u00eat appartiennent au roi, et \nje vous trouve bien impudents d\u2019 avoir os\u00e9 y porter la main. R\u00e9-\npondez \u00e0 ma question : pour qui ce repas est-il appr\u00eat\u00e9 ? \n \u2013 Pour nous, monseigneur, r\u00e9pondit Robin en riant. \n \n\u2013 Pour vous, imb\u00e9cile ! pour vous ? quelle plaisanterie ! As-\nsur\u00e9ment vous ne pouvez esp\u00e9rer de me faire accroire que cette profusion de viande va servir \u00e0 votre repas. \n \u2013 Monseigneur, je dis vrai ; nous avons faim et d\u00e8s que le r\u00f4-\nti sera cuit \u00e0 point, nous nous mettrons \u00e0 table. \n \u2013 \u00c0 quelle propri\u00e9t\u00e9 appartenez-vous ? qui \u00eates-vous ? \u2013 135 \u2013 \n\u2013 Nous sommes de simples bergers, nous gardons les trou-\npeaux. Aujourd\u2019hui nous avons vo ulu nous reposer de nos fati-\ngues et nous amuser un peu. Da ns ce d\u00e9sir, nous avons tu\u00e9 les \ndeux beaux chevreuils que voici. \n \n\u2013 Vraiment, vous avez voulu vous amuser ! Cette r\u00e9ponse est \nna\u00efve. Et, dites-moi, qui vous a donn\u00e9 la permission d\u2019abattre le \ngibier du roi ? \n \u2013 Personne. \u2013 Personne, mis\u00e9rable ! et vous pensez pouvoir manger tran-\nquillement ce produit d\u2019un vol aussi audacieux ? \n \u2013 Assur\u00e9ment, monseigneur ; mais s\u2019il peut vous \u00eatre agr\u00e9a-\nble d\u2019en prendre votre part, nous serons flatt\u00e9s de l\u2019honneur. \n \n\u2013 Votre offre est une insulte, im pertinent berger ; je la re-\npousse avec indignation. Ignorez-vous que le braconnage est puni de la peine de mort ? Allons, assez de paroles inutiles ! pr\u00e9parez-vous \u00e0 me suivre en prison et de l\u00e0, on vous conduira au gibet. \n \u2013 Au gibet ! s\u2019\u00e9cria Robin d\u2019un air d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9. \u2013 Oui, mon gar\u00e7on, au gibet ! \u2013 Je n\u2019ai pas envie d\u2019\u00eatre pend u, g\u00e9mit Robin Hood avec un \naccent lamentable. \n \u2013 Je suis convaincu de cela ; mais peu importe, tes compa-\ngnons et toi m\u00e9ritez la corde. A llons, idiots, pr\u00e9parez-vous \u00e0 me \nsuivre, je n\u2019ai pas de temps \u00e0 perdre. \n \u2013 Pardon, monseigneur, mille fois pardon. Nous avons p\u00e9ch\u00e9 \npar ignorance, soyez indulgents pour de pauvres malheureux, plus dignes de piti\u00e9 que de bl\u00e2me. \n \u2013 136 \u2013 \u2013 De pauvres malheureux qui mangent d\u2019aussi bons r\u00f4tis ne \nsont point \u00e0 plaindre. Ah ! mes ga illards, vous vous nourrissez de \nla venaison du roi ; c\u2019est bien, c\u2019est fort bien ! Nous irons de com-\npagnie en pr\u00e9sence de Sa Majest\u00e9, et nous verrons si elle vous \naccordera le pardon que je vous refuse. \n \u2013 Monseigneur, reprit Robin d\u2019une voix suppliante, nous \navons des femmes, des enfants, so yez mis\u00e9ricordieux ; je vous \nimplore au nom de la faiblesse des unes, de l\u2019innocence des au-\ntres ; que deviendront sans notr e appui ces pauvres cr\u00e9atures ? \n \u2013 Vos femmes et vos enfants ne m\u2019int\u00e9ressent point, repartit \ncruellement l\u2019\u00e9v\u00eaque. Saisissez ces mis\u00e9rables, ajouta-t-il en se tournant vers les hommes de sa suit e et s\u2019ils tentent de fuir, tuez-\nles sans mis\u00e9ricorde. \n \n\u2013 Monseigneur, dit Robin Ho od, permettez-moi de vous \ndonner un bon conseil : r\u00e9tractez ces injustes paroles ; elles respi-rent la violence et manquent de charit\u00e9 chr\u00e9tienne. Croyez-moi, il serait plus sage \u00e0 vous d\u2019accepter l\u2019offre que je vous ai faite, le partage de notre d\u00eener. \n \u2013 Je vous d\u00e9fends de m\u2019adresser un seul mot ! cria furieuse-\nment l\u2019\u00e9v\u00eaque. Soldats, emparez-vous de ces bandits ! \n \u2013 N\u2019approchez pas ! cria Robin d\u2019une voix de tonnerre ou, \npar Notre Dame ! vous vous en repentirez ! \n \u2013 Chargez hardiment ces vils esclaves, r\u00e9p\u00e9ta l\u2019\u00e9v\u00eaque, et ne \nles \u00e9pargnez pas. \n Les serviteurs du pr\u00e9lat se pr \u00e9cipit\u00e8rent sur le groupe des \njoyeux hommes et la m\u00eal\u00e9e allait devenir sanglante lorsque Robin sonna du cor et instantan\u00e9ment a pparurent les diff\u00e9rentes parties \nd e l a t r o u p e q u i , a v e r t i e s d e l a pr\u00e9sence de l\u2019\u00e9v\u00eaque, s\u2019\u00e9taient \ndoucement rapproch\u00e9es. \n \u2013 137 \u2013 La premi\u00e8re action des nouvea ux venus fut de d\u00e9sarmer la \nsuite de l\u2019\u00e9v\u00eaque. \n \n\u2013 Monseigneur, dit Robin au pr \u00e9lat, muet de terreur en re-\nconnaissant en quelles mains il \u00e9t ait tomb\u00e9, vous vous \u00eates mon-\ntr\u00e9 impitoyable, nous serons \u00e9galement sans piti\u00e9. Qu\u2019allons-nous \nfaire de celui qui voulait nous co nduire \u00e0 la potence ? demanda le \njeune chef \u00e0 ses compagnons. \n \u2013 L\u2019habit qu\u2019il porte adoucit la s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 de mon jugement, r\u00e9-\npondit Jean d\u2019un air tranquille ; il ne faut point le faire souffrir. \n \u2013 Votre conduite est celle d\u2019un honn\u00eate homme, brave fores-\ntier. \n \u2013 Vous croyez, monseigneur ! reprit Jean toujours impassi-\nble ; eh bien ! je vais achever de vous transmettre mes pacifiques \nintentions : au lieu de vous tortur er le corps et l\u2019\u00e2me et de vous \nfaire mourir \u00e0 petit feu, nous allons tout simplement vous tran-cher la t\u00eate. \n \u2013 Me trancher la t\u00eate, tout simplement ! murmura l\u2019\u00e9v\u00eaque \nd\u2019une voix mourante. \n \u2013 Oui, reprit Robin, pr\u00e9parez-vous \u00e0 la mort, monseigneur. \u2013 Robin Hood, ayez piti\u00e9 de moi, je vous en conjure ! supplia \nl\u2019\u00e9v\u00eaque en joignant les mains ; accordez-moi quelques heures, je \nne veux pas mourir sans confession. \n \u2013 Votre arrogance premi\u00e8re a fait place \u00e0 une bien grande \nhumilit\u00e9, monseigneur, r\u00e9pondit froidement Robin ; mais cette h u m i l i t \u00e9 n e m e t o u c h e p a s , v o u s v o u s \u00ea t e s c o n d a m n \u00e9 v o u s -m\u00eame ; pr\u00e9parez donc votre \u00e2me \u00e0 para\u00eetre devant Dieu. Petit-Jean, ajouta Robin en faisant \u00e0 son ami un signe d\u2019intelligence, veille \u00e0 ce que rien ne manque \u00e0 la solennit\u00e9 de la c\u00e9r\u00e9monie. Monseigneur, veuillez me suivre, je vais vous conduire au tribunal de la justice. \u2013 138 \u2013 \n\u00c0 demi paralys\u00e9 par l\u2019\u00e9pouvante, l\u2019\u00e9v\u00eaque se tra\u00eena en chan-\ncelant \u00e0 la suite de Robin Hood. \n \nLorsqu\u2019ils furent arriv\u00e9s \u00e0 l\u2019arbre du Rendez-Vous, Robin fit \nasseoir son prisonnier sur un tertre de gazon, et ordonna \u00e0 un de \nses hommes d\u2019apporter de l\u2019eau. \n \n\u2013 Vous plairait-il, monseigneur, demanda poliment le jeune \nchef, de vous rafra\u00eechir les mains et la figure ? \n \nQuoique tr\u00e8s surpris de recevo ir une pareille proposition, \nl\u2019\u00e9v\u00eaque r\u00e9pondit avec condescendance. Les ablutions termin\u00e9es, Robin ajouta : \n \u2013 Me ferez-vous la gr\u00e2ce de partager mon repas ? Je vais d\u00ee-\nner, car je ne saurais rendre un jugement \u00e0 jeun. \n \n\u2013 Je d\u00eenerai, si vous l\u2019exigez, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019un ton r\u00e9si-\ngn\u00e9. \n \u2013 Je n\u2019exige pas, monseigneur, je prie. \u2013 Alors je me rends \u00e0 votre pri\u00e8re, sir Robin. \u2013 Eh bien ! \u00e0 table, monseigneur. En achevant ces mots, Ro-\nbin conduisit son h\u00f4te \u00e0 la salle du festin, c\u2019est-\u00e0-dire vers une pelouse tout en fleurs, o\u00f9 le couv ert se trouvait d\u00e9j\u00e0 confortable-\nment mis. La table surcharg\u00e9e de mets pr\u00e9sentait aux regards un \nspectacle fort r\u00e9jouissant, et son aspect parut ramener le pr\u00e9lat \nvers des id\u00e9es moins lugubres. \u00c0 jeun depuis la veille, l\u2019\u00e9v\u00eaque se \nsentait en app\u00e9tit, et l\u2019excitante odeur de la venaison lui monta au \ncerveau. \n \u2013 Voil\u00e0, dit-il en s\u2019asseyant, des viandes admirablement cui-\ntes. \n \u2013 139 \u2013 \u2013 Et d\u2019un go\u00fbt exquis, ajouta Robin en servant \u00e0 son convive \nun morceau de choix. \n \nVers le milieu du repas, l\u2019\u00e9v\u00eaque oublia ses craintes ; au des-\nsert, il ne vit plus en Robin qu\u2019un aimable compagnon. \n \n\u2013 Mon excellent ami, dit-il, votre vin est d\u00e9licieux, il me r\u00e9-\nchauffe le c\u0153ur ; tout \u00e0 l\u2019heure j\u2019avais froid, j\u2019\u00e9tais malade, cha-\ngrin, inquiet, maintenant je me sens tout gaillard. \n \n\u2013 Je suis tr\u00e8s heureux de vous entendre parler ainsi, monsei-\ngneur, car vous faites l\u2019\u00e9loge de mon hospitalit\u00e9. G\u00e9n\u00e9ralement, mes convives sont tr\u00e8s enchant\u00e9 s de la bonne gr\u00e2ce qui les ac-\ncueille ici. Cependant, il vient un quart d\u2019heure d\u00e9sagr\u00e9able pour eux, celui qui am\u00e8ne le r\u00e8glement de la d\u00e9pense ; ils aiment fort \u00e0 \nrecevoir, mais il leur para\u00eet tr\u00e8s d\u00e9sagr\u00e9able de donner. \n \n\u2013 C\u2019est vrai, c\u2019est bien vrai, r\u00e9pondit le pr\u00e9lat sans savoir le \nmoins du monde ce qu\u2019il voulait dire par cette approbation. Oui, en v\u00e9rit\u00e9, le fait existe. Versez-moi \u00e0 boire, s\u2019il vous pla\u00eet ; il me \nsemble que j\u2019ai du feu dans les veines. Ah ! ah ! savez-vous, mon \nh\u00f4te, que vous menez ici une heureuse existence ? \n \u2013 Aussi nous appelle-t-on les joyeux hommes de la for\u00eat. \u2013 C\u2019est juste, c\u2019est juste. Maintenant, monsieur\u2026 je ne \nconnais pas votre nom\u2026 permettez-moi de vous dire adieu ; il faut que je continue ma route. \n \n\u2013 Rien de plus juste, monseigneur. Payez, je vous prie, la \nnote de votre d\u00e9pense, et pr\u00e9parez-vous \u00e0 boire le coup de l\u2019\u00e9trier. \n \n\u2013 Payer ma d\u00e9pense ! grommela l\u2019\u00e9v\u00eaque ; suis-je donc ici \ndans une auberge ? Je me croyais dans la for\u00eat de Sherwood. \n \u2013 Monseigneur, vous \u00eates dans une auberge ; c\u2019est moi qui \nsuis le ma\u00eetre de la maison, et les hommes qui nous entourent \nsont mes serviteurs. \u2013 140 \u2013 \n\u2013 Comment, tous ces hommes sont vos serviteurs ! mais il y \nen a pour le moins cent cinquante \u00e0 deux cents. \n \n\u2013 Oui, monseigneur, sans compter les absents. Vous devez \ndonc comprendre qu\u2019avec un semb lable entourage de valets, je \ndoive faire payer mes h\u00f4tes le plus qu\u2019il m\u2019est possible. \n \nL\u2019\u00e9v\u00eaque poussa un soupir. \n \u2013 Donnez-moi ma note, dit-il et traitez-moi en ami. \u2013 En grand seigneur, mon h\u00f4te, en grand seigneur, r\u00e9pondit \ngaiement Robin. Petit-Jean ! appela le jeune homme. \n Celui-ci accourut. \u2013 Faites le compte de monseigneur \nl\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford. Le pr\u00e9lat regarda Jean et se mit \u00e0 rire. \n \n\u2013 Eh bien ! dit-il, petit, petit, on vous appelle petit et vous \npourriez \u00eatre le fils d\u2019un arbr e, allons, donnez-moi votre note, \ngentil caissier. \n \u2013 Inutile, monseigneur, il suffit de me faire conna\u00eetre o\u00f9 \nvous mettez votre argent, je me paierai moi-m\u00eame. \n \u2013 Insolent ! dit l\u2019\u00e9v\u00eaque ; je te d\u00e9fends de fourrer tes longs \ndoigts dans ma bourse. \n \u2013 Je voulais vous \u00e9pargner la peine de compter, monsei-\ngneur. \n \u2013 La peine de compter ! pensez-vous que je sois ivre ? Allez \nchercher ma valise et apportez-l a-moi, je vous donnerai une pi\u00e8ce \nd\u2019or. \n Petit-Jean se garda bien d\u2019ob\u00e9ir au dernier ordre du pr\u00e9lat ; \nil ouvrit le portemanteau et trouva un petit sac de cuir, Jean vida \nle sac ; il contenait trois cents pi\u00e8ces d\u2019or. \u2013 141 \u2013 \n\u2013 Mon cher Robin, s\u2019\u00e9cria Jean tout joyeux, le noble \u00e9v\u00eaque \nm\u00e9rite des \u00e9gards ; il nous a enrichis de trois cents pi\u00e8ces d\u2019or. \n \nLe seigneur d\u2019Hereford, l\u2019\u0153il demi-clos, \u00e9coutait sans y rien \ncomprendre les triomphantes exclamations de Jean, et lorsque Robin lui dit : \u00ab Monseigneur, nous vous remercions de votre g\u00e9-n\u00e9rosit\u00e9 \u00bb, il ferma les yeux et marmotta de confuses paroles, au \nmilieu desquelles Robin parvint \u00e0 saisir ces quelques mots : \n \u2013 L\u2019abbaye Sainte-Marie, \u00e0 l\u2019instant\u2026 \u2013 Il veut partir, dit Jean. \u2013 Faites venir son cheval, ajouta Robin. Sur un signe de \nJean, un des joyeux hommes amena le cheval harnach\u00e9 et la t\u00eate \ncouronn\u00e9e de fleurs. On hissa l\u2019\u00e9v\u00eaque \u00e0 moiti\u00e9 endormi sur la selle du cheval ; on l\u2019y attacha af in de pr\u00e9venir une chute qui au-\nrait pu devenir funeste, et suivi de sa petite troupe joyeusement \nanim\u00e9e par le vin et par la bonne ch \u00e8re, l\u2019\u00e9v\u00eaque prit le chemin de \nSainte-Marie. Une partie des jo yeux hommes, fraternellement \nconfondue avec l\u2019escorte du pr\u00e9lat , conduisit toute la troupe jus-\nqu\u2019aux portes de l\u2019abbaye. Il va sans dire que, apr\u00e8s avoir mis en mouvement une cloche d\u2019appel, les forestiers s\u2019\u00e9loign\u00e8rent de toute la vitesse de leurs chevaux. \n Nous n\u2019essayerons pas de d\u00e9 peindre la stup\u00e9faction et \nl\u2019\u00e9pouvante des saints fr\u00e8res lo rsque l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford parut \ndevant eux le visage enlumin\u00e9, la d\u00e9marche chancelante et les \nv\u00eatements en d\u00e9sordre. \n \nLe lendemain de ce funeste jour, le pr\u00e9lat faillit devenir fou \nde honte, de rage et d\u2019humiliatio n ; il passa de longues heures en \npri\u00e8res, demandant \u00e0 Dieu de lui pardonner ses fautes, et implo-rant la protection divine contre le mis\u00e9rable Robin Hood. \n \u00c0 la requ\u00eate du pr\u00e9lat outrag\u00e9, le prieur de Sainte-Marie fit \narmer une cinquantaine d\u2019hommes et les mit \u00e0 la disposition de \u2013 142 \u2013 son h\u00f4te. Alors, le c\u0153ur bouillonnant de col\u00e8re, l\u2019\u00e9v\u00eaque entra\u00eena \ncette petite arm\u00e9e \u00e0 la poursuite du c\u00e9l\u00e8bre outlaw. \n \nCe jour-l\u00e0, Robin Hood qui d\u00e9sirait se rendre compte par lui-\nm\u00eame de la situation de sir Richard de la Plaine, suivait solitai-\nrement un sentier dont les derni\u00e8 res limites allaient aboutir au \ngrand chemin. Le bruit d\u2019une nombreuse cavalcade attira l\u2019attention de Robin ; il h\u00e2ta le pa s dans la direction suivie par les \nnouveaux venus et se trouva face \u00e0 face avec l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford. \n \u2013 Robin Hood ! s\u2019\u00e9cria l\u2019\u00e9v\u00eaque en reconnaissant notre h\u00e9-\nros, c\u2019est Robin Hood ! Tra\u00eetre, rendez-vous ! \n Comme on doit bien le penser, Robin Hood n\u2019avait nulle-\nment le d\u00e9sir de r\u00e9pondre \u00e0 cette intimation. Cern\u00e9 de toute part, hors d\u2019\u00e9tat de se d\u00e9fendre et m\u00eame d\u2019appeler les joyeux hommes \u00e0 \nson aide, il se glissa audacieuse ment entre deux cavaliers qui fai-\nsaient mine de vouloir lui barrer le chemin, et il s\u2019\u00e9lan\u00e7a avec une v\u00e9locit\u00e9 de cerf vers une petite maison situ\u00e9e \u00e0 un quart de mille de l\u2019endroit o\u00f9 se trouvaient les soldats de l\u2019\u00e9v\u00eaque. \n Ceux-ci se mirent \u00e0 la pou rsuite du jeune homme ; mais, \noblig\u00e9s de faire un d\u00e9tour, ils ne purent atteindre aussi rapide-ment que lui la maison o\u00f9 il alla it sans doute demander un asile. \n Robin Hood avait trouv\u00e9 ouverte la porte de cette maison ; il \ny \u00e9tait entr\u00e9 et en avait barricad\u00e9 les fen\u00eatres, sans prendre garde aux clameurs d\u2019une vieille femme assise devant un rouet. \n \n\u2013 Ne craignez rien, ma bonne m\u00e8re, dit Robin lorsqu\u2019il eut \nachev\u00e9 la cl\u00f4ture des portes et celle des fen\u00eatres ; je ne suis point \nun voleur, mais un pauvre malheureux \u00e0 qui vous pouvez rendre service. \n \u2013 Quel service ? comment vous nommez-vous ? demanda la \nvieille femme d\u2019un ton fort peu rassur\u00e9. \n \u2013 143 \u2013 \u2013 Je suis un proscrit, ma bonn e m\u00e8re ; je suis Robin Hood ; \nl\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford est \u00e0 ma poursuite et en veut \u00e0 ma vie. \n \n\u2013 Eh ! quoi ! vous \u00eates Robin Hood ! dit la paysanne en joi-\ngnant les mains, le noble et g\u00e9n\u00e9reux Robin Hood ! Dieu soit lou\u00e9 \nd\u2019avoir permis \u00e0 une pauvre cr \u00e9ature comme moi de payer sa \ndette de reconnaissance au charitable proscrit. Regardez-moi, mon enfant et cherchez dans le souvenir de vos \u0153uvres bienfai-\nsantes les traits de celle qui vous parle aujourd\u2019hui. Il y a de cela deux ans : vous \u00eates entr\u00e9 ici par hasard, dirait une femme in-grate, et moi je dis amen\u00e9 par la divine Providence. Vous m\u2019avez trouv\u00e9e seule, pauvre et malade ; je venais de perdre mon mari, je \nn\u2019avais plus qu\u2019\u00e0 mourir. Vos douces et consolantes paroles me rendirent le courage, les forces, la sant\u00e9. Le lendemain, un homme envoy\u00e9 par vos ordres m\u2019apporta des vivres, des v\u00eate-ments, de l\u2019argent. Je lui demandai le nom de mon g\u00e9n\u00e9reux \nbienfaiteur, et il me r\u00e9pondit : \u00ab Il s\u2019appelle Robin Hood. \u00bb De-puis ce jour-l\u00e0, mon enfant, votr e nom s\u2019est trouv\u00e9 dans toutes \nmes pri\u00e8res. Ma maison est \u00e0 vous, ma vie est votre bien ; dispo-sez de votre servante. \n \u2013 Merci, ma bonne m\u00e8re, r\u00e9po ndit Robin Hood en serrant \navec amiti\u00e9 les mains tremblantes de la paysanne. Je demande votre assistance, non par crainte du danger, mais pour \u00e9viter une inutile effusion de sang. L\u2019\u00e9v\u00eaq ue est accompagn\u00e9 d\u2019une cinquan-\ntaine d\u2019hommes et comme vous le voyez, la lutte entre nous est impossible, je suis seul. \n \u2013 Si vos ennemis d\u00e9couvrent le lieu de votre retraite, ils vous \nassassineront, dit la vieille femme. \n \u2013 Soyez sans inqui\u00e9tude, ma bo nne m\u00e8re, ils ne pourront en \nvenir \u00e0 cette extr\u00e9mit\u00e9. Nous allons inventer un moyen de nous soustraire \u00e0 leur violence. \n \u2013 Quel moyen, mon enfant ? Pa rlez, je suis pr\u00eate \u00e0 vous \nob\u00e9ir. \n \u2013 144 \u2013 \u2013 Voulez-vous \u00e9changer vos v\u00eatements contre les miens ? \n \u2013 \u00c9changer nos v\u00eatements ! s\u2019\u00e9cria la vieille paysanne ; je \ncrains, mon fils, que cette ruse ne soit inutile ; comment voulez-\nvous pouvoir transformer une femme de mon \u00e2ge en galant cava-\nlier ? \n \u2013 Je vous d\u00e9guiserai si bien, ma bonne m\u00e8re, r\u00e9pondit Robin \nqu\u2019il vous sera possible de tromper des soldats auxquels mon vi-sage est probablement inconnu. Vous feindrez l\u2019ivresse, et mon-seigneur d\u2019Hereford sera si empre ss\u00e9 de se saisir de ma personne \nqu\u2019il ne verra que le costume. \n La transformation fut vite op \u00e9r\u00e9e. Robin endossa la robe \ng r i s e e t l a c o i f f e d e l a v i e i l l e d a m e , p u i s i l l \u2019 a i d a \u00e0 r e v \u00ea t i r s e s chausses, sa tunique et ses brodeq uins. Cela fait, Robin cacha soi-\ngneusement les cheveux gris de la paysanne sous son \u00e9l\u00e9gante \ntoque, et il lui attacha ses armes \u00e0 la ceinture. \n \nLe double d\u00e9guisement \u00e9tait achev\u00e9 lorsque les soldats arri-\nv\u00e8rent devant la porte de la petite maison. \n Ils frapp\u00e8rent d\u2019abord \u00e0 coups redoubl\u00e9s, puis un soldat pro-\nposa \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019enfoncer la po rte avec les pieds de derri\u00e8re de \nson cheval. \n Le pr\u00e9lat accueillit favorablement la proposition. Le cavalier \ntourna aussit\u00f4t son cheval et le lan\u00e7a contre la porte en le piquant de sa lance. Cette piq\u00fbre produisit un effet contraire \u00e0 celui qu\u2019en \nattendait le soldat ; car l\u2019animal, se cabrant avec force, d\u00e9sar\u00e7on-\nna son cavalier. \n L\u2019\u00e9volution du pauvre soldat (il avait travers\u00e9 l\u2019espace avec la \nrapidit\u00e9 d\u2019une fl\u00e8che) eut un r\u00e9sultat d\u00e9sastreux. L\u2019\u00e9v\u00eaque, qui s\u2019\u00e9tait approch\u00e9 afin de voir tomber la porte et fermer le passage \u00e0 \nRobin Hood, si celui-ci tentait de fuir, fut violemment frapp\u00e9 au visage par les \u00e9perons du soldat. \n \u2013 145 \u2013 La douleur occasionn\u00e9e par ce coup exasp\u00e9ra tellement le \nvieillard que, sans r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 l\u2019injuste cruaut\u00e9 de sa fureur, il leva \nl\u2019esp\u00e8ce de massue qu\u2019il portait \u00e0 la main comme un signe de son \nrang, et acheva d\u2019assommer le malheureux, \u00e9tendu demi-mort \naux pieds du cheval en r\u00e9volte. \n \nAu beau milieu de la vaillante occupation \u00e0 laquelle se livrait \nmonseigneur d\u2019Hereford, la porte de la maisonnette s\u2019ouvrit. \n \u2013 Serrez vos rangs ! cria l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019une voix imp\u00e9rative ; ser-\nrez vos rangs ! \n Les soldats se press\u00e8rent en tumulte autour de la maison. \nL\u2019\u00e9v\u00eaque descendit de cheval ; mais en mettant pied \u00e0 terre, il tr\u00e9bucha sur le corps du soldat ensa nglant\u00e9, et alla tomber la t\u00eate \nla premi\u00e8re dans l\u2019ouverture b\u00e9ante de la porte. \n \nLa confusion produite par ce grotesque accident servit \u00e0 \nmerveille les projets de Robin Hood. \u00c9tourdi et tout essouffl\u00e9, l\u2019\u00e9v\u00eaque regarda sans l\u2019examiner, un personnage qui se tenait immobile dans le coin le plus obscur de la chambre. \n \u2013 Saisissez ce coquin ! cria monseigneur en d\u00e9signant la \nvieille femme \u00e0 ses soldats ; mettez- lui un b\u00e2illon, liez-le sur un \ncheval, votre vie me r\u00e9po nd de sa capture ; car, si vous le laissiez \n\u00e9chapper, vous seriez tous pendus sans mis\u00e9ricorde ! \n Les soldats se pr\u00e9cipit\u00e8rent su r la personne indiqu\u00e9e par les \nclameurs furieuses de leur chef, et , \u00e0 d\u00e9faut de b\u00e2illon, ils enve-\nlopp\u00e8rent le visage de la vieille femme d\u2019un large mouchoir qui leur \u00e9tait tomb\u00e9 sous la main. \n Audacieux jusqu\u2019\u00e0 l\u2019imprudence, Robin Hood implora d\u2019une \nvoix tremblante la gr\u00e2ce du priso nnier ; mais l\u2019\u00e9v\u00eaque le repoussa \net sortit de la maisonnette apr\u00e8s avoir eu l\u2019extr\u00eame satisfaction de \nvoir son ennemi pieds et poings li\u00e9s sur le dos d\u2019un cheval. \n \u2013 146 \u2013 Malade et presque \u00e9borgn\u00e9 par la blessure qui avait balafr\u00e9 \nson visage, monseigneur se remit en selle et ordonna \u00e0 ses gens \nde le suivre \u00e0 l\u2019arbre du Rendez-V ous des outlaws. C\u2019\u00e9tait \u00e0 la plus \nhaute branche de cet arbre que l\u2019 \u00e9v\u00eaque se proposait de faire \npendre Robin. Il tenait fort, le digne pr\u00e9lat, \u00e0 donner aux pros-\ncrits un \u00e9pouvantable avertissement de leur sort futur s\u2019ils conti-nuaient \u00e0 suivre le mode d\u2019existence de leur mis\u00e9rable chef. \n \nAussit\u00f4t que la cavalcade se fu t enfonc\u00e9e dans les profon-\ndeurs du bois, Robin Hood sortit de la maisonnette et se dirigea \nen courant vers l\u2019arbre du Rendez-Vous. \n Il venait d\u2019entrer dans une cl airi\u00e8re lorsqu\u2019il aper\u00e7ut, mais \u00e0 \nune distance encore consid\u00e9rable, Petit-Jean, Will \u00c9carlate et Much. \n \n\u2013 Regardez donc l\u00e0-bas, au milieu de la clairi\u00e8re, disait Jean \n\u00e0 ses deux amis, l\u2019\u00e9trange personne qui nous arrive ; on dirait une \nvieille sorci\u00e8re. Par Notre Dame ! si je pouvais croire \u00e0 cette m\u00e9-g\u00e8re des intentions hostiles, je lui enverrais une bonne fl\u00e8che. \n \u2013 Ta fl\u00e8che ne saurait l\u2019atteindre, r\u00e9pondit Will en riant. \u2013 Et pourquoi donc, je te prie ? Mets-tu mon adresse en \ndoute ? \n \u2013 Pas le moins du monde ; mais si, comme tu le supposes, \ncette femme est sorci\u00e8re, elle arr\u00eatera le vol de tes fl\u00e8ches. \n \n\u2013 Ma foi ! dit Much qui n\u2019avait pas d\u00e9tourn\u00e9 son attention de \nla bizarre voyageuse, je me range \u00e0 l\u2019avis de Petit-Jean : cette \ndame me para\u00eet fort extraordinaire : sa taille est gigantesque, puis \nelle ne marche pas comme une personne de son sexe, elle en-\njambe le terrain par des bonds prodigieux, elle m\u2019effraie, et si vous le permettez, Will, nous allons mettre \u00e0 l\u2019\u00e9preuve la puis-sance de la sorcellerie dont elle nous semble si richement dot\u00e9e. \n \u2013 147 \u2013 \u2013 N\u2019agissez pas \u00e0 la l\u00e9g\u00e8re, Much, r\u00e9pondit Will ; cette pau-\nvre cr\u00e9ature porte des v\u00eatements dignes de tout notre respect ; \npuis, quant \u00e0 moi, vous le savez, je suis incapable de faire du mal \n\u00e0 une femme. Qui sait encore si ce monstre femelle est une sor-\nci\u00e8re ? Il ne faut pas se fier aux apparences ; car il arrive souvent \nqu\u2019une vilaine \u00e9corce sert d\u2019envelo ppe \u00e0 un excellent fruit. En d\u00e9-\npit du ridicule de son ext\u00e9rieur, la pauvre vieille dame est peut-\n\u00eatre une bonne personne, une honn\u00eate chr\u00e9tienne. M\u00e9nagez-la et, \nafin de vous rendre l\u2019indulgence plus douce, songez aux ordres de \nRobin : ces ordres nous interdisent toute d\u00e9monstration hostile \nou seulement irrespectueuse \u00e0 l\u2019\u00e9gard des femmes. \n Petit-Jean fit mine de bander so n arc et d\u2019en pointer la direc-\ntion de la fl\u00e8che sur la pr\u00e9tendue sorci\u00e8re. \n \u2013 Arr\u00eatez ! cria une voix grave et sonore. \u2013 Les trois jeunes \ngens jet\u00e8rent un cri de surprise. \u2013 Je suis Robin Hood, ajouta le \npersonnage qui avait si vivement occup\u00e9 l\u2019attention des forestiers \net en disant son nom, Robin arrach a la coiffe qui couvrait sa t\u00eate \net une grande partie de ses traits. \n \u2013 J\u2019\u00e9tais donc tout \u00e0 fait m\u00e9connaissable ? demanda notre \nh\u00e9ros lorsqu\u2019il eut rejoint ses compagnons. \n \u2013 Vous \u00e9tiez fort laid, mon cher ami, r\u00e9pondit Will. \u2013 Pour quelle raison avez-vou s pris un d\u00e9guisement aussi \ndisgracieux ? demanda Much. \n \nRobin raconta en peu de mots \u00e0 ses amis la m\u00e9saventure qui \nlui \u00e9tait arriv\u00e9e. \n \n\u2013 Maintenant, ajouta Robin apr\u00e8s avoir achev\u00e9 son r\u00e9cit, \nsongeons \u00e0 nous d\u00e9fendre. Il faut avant toute chose me procurer des v\u00eatements. Vous allez, mon cher Much, me rendre le service de courir en toute h\u00e2te au magasin et de m\u2019en rapporter un cos-tume convenable. Pendant ce te mps-l\u00e0, Will et Jean r\u00e9uniront \nautour de l\u2019arbre du Rendez-Vou s tous les hommes qui se trou-\u2013 148 \u2013 vent dans la for\u00eat. D\u00e9p\u00eachez-vous mes gar\u00e7ons ; je vous promets \nun d\u00e9dommagement \u00e0 tous les en nuis que nous cause monsei-\ngneur d\u2019Hereford. \n \nPetit-Jean et Will s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent dans la for\u00eat par deux direc-\ntions diff\u00e9rentes et Much alla chercher les v\u00eatements demand\u00e9s par Robin. \n \nUne heure apr\u00e8s, rev\u00eatu d\u2019un \u00e9l\u00e9gant costume d\u2019archer, Ro-\nbin se trouvait \u00e0 l\u2019arbre du Rendez-Vous. \n \nJean amena soixante hommes et Will en r\u00e9unit une quaran-\ntaine. \n Robin diss\u00e9mina sa troupe dans les fourr\u00e9s qui formaient \u00e0 \nla clairi\u00e8re une imp\u00e9n\u00e9trable ceinture, et alla s\u2019asseoir au pied du \ngrand arbre d\u00e9sign\u00e9 par monseigneur pour lui servir de potence. \n \u00c0 peine ces dispositions \u00e9taient-elles prises que l\u2019approche \nde la cavalcade fit retentir le so l ; l\u2019\u00e9v\u00eaque parut accompagn\u00e9 de \ntoute sa suite. \n Lorsque les soldats eurent p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 au centre de la clairi\u00e8re, \nle son d\u2019un cor r\u00e9sonna dans l\u2019air, le feuillage des jeunes arbres s\u2019agita, et de tous les c\u00f4t\u00e9s de cette haie de verdure sortirent des hommes arm\u00e9s jusqu\u2019aux dents. \n \u00c0 la vue de la formidable appari tion des forestiers, qui sur un \nsigne de leur chef, encore invisible \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque, se rangeaient en \nbataille, un frisson glacial parcou rut les membres du pr\u00e9lat ; il \njeta autour de lui un regard \u00e9pouvant\u00e9, et aper\u00e7ut un jeune \nhomme rev\u00eatu d\u2019une tunique \u00e9carlate, qui, les paroles du com-mandement aux l\u00e8vres, dirigeait la troupe des outlaws. \n \u2013 Quel est cet homme ? demanda l\u2019\u00e9v\u00eaque en d\u00e9signant Ro-\nbin \u00e0 un soldat proche voisin du prisonnier li\u00e9 sur le cheval. \n \u2013 149 \u2013 \u2013 Cet homme est Robin Hood, r\u00e9pondit le prisonnier d\u2019une \nvoix tremblante. \n \n\u2013 Robin Hood ! exclama l\u2019\u00e9v\u00eaque ; et qui donc es-tu, mis\u00e9ra-\nble ? \n \n\u2013 Je suis une femme, monseigneur, une pauvre vieille \nfemme. \n \u2013 Malheur sur toi, affreuse sorci\u00e8re ! cria l\u2019\u00e9v\u00eaque exasp\u00e9r\u00e9 ; \nmalheur sur toi ! Allons, mes enfa nts, ajouta monseigneur en fai-\nsant un geste d\u2019appel \u00e0 sa troupe, lancez-vous dans la clairi\u00e8re, ne craigniez rien ; tracez un chemin avec la pointe de votre \u00e9p\u00e9e \u00e0 \ntravers les rangs de ces mis\u00e9rables ; en avant, les braves c\u0153urs ! \nen avant ! \n \nLes braves c\u0153urs trouv\u00e8rent sans doute que si l\u2019ordre \nd\u2019attaquer les proscrits \u00e9tait facile \u00e0 donner, il \u00e9tait plus difficile \u00e0 mettre en action, car ils rest\u00e8rent immobiles. \n Sur un signal de Robin, les forestiers ajust\u00e8rent leurs fl\u00e8ches \net lev\u00e8rent leurs arcs avec un ensemble admirable, et leur r\u00e9puta-tion d\u2019adresse \u00e9tait si connue et si redout\u00e9e, que les soldats de l\u2019\u00e9v\u00eaque, non contents de rester inactifs, se courb\u00e8rent enti\u00e8re-\nment sur leur selle. \n \u2013 Bas les armes ! dit Robin Hood. D\u00e9tachez le prisonnier. \u2013 Les soldats ob\u00e9irent aux ordres du jeune homme. \u2013 Ma \nbonne m\u00e8re, dit Robin en attirant la vieille femme en dehors de la \nclairi\u00e8re, regagne ta demeure, je t\u2019enverrai demain la r\u00e9compense \nde ta bonne action. Va vite, je n\u2019 ai pas le temps de te remercier \naujourd\u2019hui ; mais n\u2019oublie pas que ma reconnaissance est \ngrande. \n La bonne vieille baisa les mains de Robin Hood et s\u2019\u00e9loigna \naccompagn\u00e9e d\u2019un guide. \n \u2013 150 \u2013 \u2013 Ayez piti\u00e9 de moi, Seigneur ! ayez piti\u00e9 de moi ! criait \nl\u2019\u00e9v\u00eaque en se tordant les mains. Robin Hood s\u2019approcha de son \nennemi. \n \n\u2013 Soyez le bienvenu, monseigneur, dit-il d\u2019une voix cares-\nsante et permettez-moi de vous remercier de votre visite. Mon hospitalit\u00e9, je le vois, a des charmes si grands que vous n\u2019ayez pu r\u00e9sister au d\u00e9sir d\u2019en partager encore le joyeux entrain. \n L\u2019\u00e9v\u00eaque jeta sur Robin un regard d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 et laissa \u00e9chap-\nper de ses l\u00e8vres un profond soupir. \n \u2013 Vous me paraissez triste, monseigneur ? reprit Robin ; \nquel chagrin avez-vous ? n\u2019\u00eates-vous pas heureux de me revoir ? \n \u2013 Je ne puis dire que j\u2019en sois content, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque ; car \nla position dans laquelle je me trouve rend ce sentiment impossi-\nble. Vous devinez sans peine avec quelle intention j\u2019\u00e9tais venu ici et naturellement vous vous vengerez de moi en toute libert\u00e9 de conscience, puisque vous frapperez un antagoniste. Cependant, je crois devoir vous dire ceci : Laissez-moi partir et jamais, dans aucune circonstance, je ne cherch erai \u00e0 vous faire du mal ; lais-\nsez-moi partir avec mes hommes et votre \u00e2me n\u2019aura point \u00e0 r\u00e9-pondre devant Dieu d\u2019un p\u00e9ch\u00e9 mortel ; car ce serait un p\u00e9ch\u00e9 mortel qued\u2019attenter \u00e0 l\u2019existence d\u2019un grand pr\u00eatre de la sainte \u00c9glise. \n \u2013 Je hais le meurtre et la violence, monseigneur, r\u00e9pondit \nRobin Hood et mes actions en donnent journellement la preuve. \nJe n\u2019attaque jamais ; je me contente de d\u00e9fendre ma vie et celle \ndes braves gens qui se sont confi\u00e9 s \u00e0 moi. Si j\u2019avais dans le c\u0153ur \nle moindre sentiment de haine ou de rancune contre vous, mon-seigneur, je vous infligerais le supplice que vous aviez l\u2019intention \nde me faire subir. Il n\u2019en est pas ainsi, je n\u2019ai point de haine pour \nvous et je ne me venge jamais du mal qu\u2019on n\u2019a pas r\u00e9ussi \u00e0 me faire. Je vais donc vous rendre votre libert\u00e9, mais \u00e0 une condition. \n \u2013 Parlez, messire, dit poliment l\u2019\u00e9v\u00eaque. \u2013 151 \u2013 \n\u2013 Vous allez me promettre de respecter mon ind\u00e9pendance, \nla libert\u00e9 de mes hommes, vous allez me jurer qu\u2019\u00e0 aucune \u00e9po-\nque de l\u2019avenir et dans aucune ci rconstance vous ne pr\u00eaterez les \nmains \u00e0 un attentat contre ma vie. \n \n\u2013 Je vous ai promis de mon propre gr\u00e9 de ne vous faire au-\ncun mal, r\u00e9pondit doucement l\u2019\u00e9v\u00eaque. \n \u2013 Une promesse n\u2019engage \u00e0 rien une conscience peu timor\u00e9e, \nmonseigneur ; je d\u00e9sire un serment. \n \u2013 Je jure par saint Paul de vous laisser vivre \u00e0 votre guise. \u2013 Tr\u00e8s bien, monseigneur ; maintenant vous \u00eates libre. \n\u2013 Je vous remercie mille fois, Robin Hood. Veuillez donner \nl\u2019ordre qu\u2019on r\u00e9unisse mes hommes ; ils se sont dispers\u00e9s et fra-ternisent d\u00e9j\u00e0 avec vos compagnons. \n \u2013 Je vous ob\u00e9is, monseigneur ; dans quelques minutes les \nsoldats seront en selle. Voulez-vous accepter, en attendant l\u2019heure du d\u00e9part, un l\u00e9ger rafra\u00eechissement ? \n \u2013 Rien, je ne veux rien, se h\u00e2 ta de r\u00e9pondre l\u2019\u00e9v\u00eaque, \u00e9pou-\nvant\u00e9 \u00e0 l\u2019audition seule de cette dangereuse proposition. \n \u2013 Vous \u00eates \u00e0 jeun depuis lo ngtemps, monseigneur, et une \ntranche de p\u00e2t\u00e9\u2026 \n \u2013 Pas un morceau, mon cher h\u00f4te, pas m\u00eame un morceau. \u2013 Alors une coupe de bon vin ? \u2013 Non, non, cent fois non ! \u2013 Vous ne voulez donc ni boire ni manger avec moi, mon sei-\ngneur ? \u2013 152 \u2013 \n\u2013 Je n\u2019ai ni faim ni soif ; je d\u00e9sire m\u2019\u00e9loigner, voil\u00e0 tout. Ne \ncherchez pas \u00e0 me retenir plus longtemps, je vous en supplie. \n \n\u2013 Que votre volont\u00e9 soit faite, monseigneur ; Petit-Jean, \najouta Robin, Sa Seigneurie demande \u00e0 nous quitter. \n \u2013 Sa Seigneurie en est parfaitement la ma\u00eetresse, r\u00e9pondit \nJean d\u2019un ton goguenard, et je vais lui donner sa note. \n \u2013 Ma note ! r\u00e9p\u00e9ta l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019un ton surpris ; que voulez-\nvous dire ? Je n\u2019ai ni bu ni mang\u00e9. \n \u2013 Oh ! cela ne fait rien, r\u00e9pondit Jean d\u2019un air tranquille ; du \nm o m e n t o \u00f9 v o u s \u00ea t e s d a n s l \u2019 h \u00f4 t e llerie, vous en partagez la d\u00e9-\npense. Vos hommes ont faim, ils demandent des vivres ; vos che-\nvaux sont d\u00e9j\u00e0 rassasi\u00e9s ; il ne fa ut pas non plus que, victimes de \nvotre sobri\u00e9t\u00e9, nous soyons condamn\u00e9s \u00e0 ne rien recevoir, parce qu\u2019il vous pla\u00eet de ne rien a ccepter. Nous demandons largesses \npour les serviteurs qui se fatiguent \u00e0 h\u00e9berger b\u00eates et gens. \n \u2013 Prenez ce que vous voudrez, r\u00e9pondit impatiemment \nl\u2019\u00e9v\u00eaque, et laissez-moi partir. \n \u2013 Le sac est-il toujours dans le m\u00eame endroit ? demanda Pe-\ntit-Jean. \n \u2013 Le voici, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque en d\u00e9signant un petit sac de cuir \nattach\u00e9 \u00e0 l\u2019ar\u00e7on de la selle de son cheval. \n \u2013 Il me semble plus lourd qu\u2019il ne l\u2019\u00e9tait \u00e0 votre derni\u00e8re vi-\nsite, monseigneur. \n \u2013 Je le crois bien, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque en faisant des efforts d\u00e9-\nsesp\u00e9r\u00e9s pour para\u00eetre calme, il contient une somme beaucoup \nplus forte. \n \u2013 153 \u2013 \u2013 Vous m\u2019en voyez ravi, monseigneur ; et peut-on vous de-\nmander combien il y a dans cette gentille sacoche ? \n \n\u2013 Cinq cents pi\u00e8ces d\u2019or\u2026 \n \u2013 C\u2019est admirable ! Quelle g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 de venir ici avec un pa-\nreil tr\u00e9sor ! r\u00e9pondit ironiquement le jeune homme. \n \n\u2013 Ce tr\u00e9sor, balbutia l\u2019\u00e9v\u00eaque, ce tr\u00e9sor nous allons le parta-\nger, n\u2019est-ce pas ? Vous n\u2019oseriez me d\u00e9pouiller enti\u00e8rement, me \nvoler une somme aussi consid\u00e9rable. \n \u2013 Vous voler ! r\u00e9p\u00e9ta Petit-Jean d\u2019un ton de d\u00e9dain ; quel \nmot venez-vous de dire ? Vous ne comprenez donc pas la diff\u00e9-\nrence qui existe entre voler ou prendre \u00e0 un homme ce qui ne lui appartient pas ? Vous avez conquis cet argent \u00e0 l\u2019aide de faux pr\u00e9-\ntextes, vous l\u2019avez pris \u00e0 ceux qui en ont besoin, et je d\u00e9sire le leur rendre. Vous voyez bien, monseigneur, que je ne vous vole pas. \n \u2013 Nous appelons notre mani\u00e8re d\u2019agir de la philosophie fo-\nresti\u00e8re, dit Robin Hood en riant. \n \u2013 La l\u00e9galit\u00e9 de cette philosophie est douteuse, repartit \nl\u2019\u00e9v\u00eaque ; mais, ne pouvant me d\u00e9fendre, je suis oblig\u00e9 de subir tout ce qu\u2019il vous pla\u00eet d\u2019exiger ; prenez donc ma bourse. \n \u2013 J\u2019ai encore une demande \u00e0 vous adresser, monseigneur, \nreprit Jean. \n \n\u2013 Laquelle ? interrogea anxieusement l\u2019\u00e9v\u00eaque. \n \u2013 Notre directeur spirituel, r\u00e9pondit Jean, n\u2019est pas \u00e0 Barn-\nsdale dans ce moment-ci et, comme il y a longtemps que nous n\u2019avons profit\u00e9 de sa pleine a ssistance, nous venons vous sup-\nplier, monseigneur, de vouloir nous dire une messe. \n \u2013 154 \u2013 \u2013 Quelle profane demande os ez-vous m\u2019adresser ? s\u2019\u00e9cria \nl\u2019\u00e9v\u00eaque ; je pr\u00e9f\u00e9rerais la mort \u00e0 l\u2019accomplissement d\u2019une pareille \nimpi\u00e9t\u00e9. \n \n\u2013 Il est cependant de votre devoir, monseigneur, dit Robin, \nde nous aider en tout temps \u00e0 adorer Dieu ; Petit-Jean a raison, depuis plusieurs semaines nous n\u2019 avons eu le bonheur d\u2019assister \nau saint sacrifice de la messe et nous ne pouvons laisser perdre \nl\u2019heureuse occasion qui se pr\u00e9sente aujourd\u2019hui ; veuillez donc vous pr\u00e9parer, je vous prie, \u00e0 satisfaire \u00e0 notre juste demande. \n \u2013 Ce serait un p\u00e9ch\u00e9 mortel, un crime et je m\u2019attendrais \u00e0 \n\u00eatre frapp\u00e9 de la main de Dieu si je consentais commettre cet in-\ndigne sacril\u00e8ge ! r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque pourpre de col\u00e8re. \n \u2013 Monseigneur, reprit gravemen t Robin, nous r\u00e9v\u00e9rons avec \nl\u2019humilit\u00e9 la plus chr\u00e9tienne les divins symboles de la religion ca-\ntholique, et, croyez-moi, vous ne trouverez jamais, m\u00eame dans l\u2019enceinte de votre vaste cath\u00e9drale, des auditeurs plus attentifs ni plus recueillis que le seront les outlaws de la for\u00eat de Sherwood. \n \u2013 Puis-je ajouter foi \u00e0 vos paroles ? interrogea l\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019un \nton rempli de doute. \n \u2013 Oui, monseigneur, et vous allez bient\u00f4t en reconna\u00eetre \nl\u2019exacte v\u00e9rit\u00e9. \n \u2013 Allons, je veux bien vous croire ; conduisez-moi \u00e0 la cha-\npelle. \n \u2013 Venez, monseigneur. Robin se dirigea, suivi de l\u2019\u00e9v\u00eaque, \nvers un enclos situ\u00e9 \u00e0 une courte distance de l\u2019arbre du Rendez-\nVous. L\u00e0, au centre d\u2019une esp\u00e8ce de vall\u00e9e, se trouvait un autel de \nterre, garni d\u2019une couche \u00e9paisse de mousse entrem\u00eal\u00e9e de fleurs. Tous les objets n\u00e9cessaires \u00e0 la c\u00e9l\u00e9bration du saint sacrifice \u00e9taient dispos\u00e9s sur le ma\u00eetre-autel avec un go\u00fbt exquis et Sa R\u00e9-\nv\u00e9rence parut \u00e9merveill\u00e9e de la fra\u00eecheur de ce reposoir naturel. \n \u2013 155 \u2013 Ce fut alors un touchant specta cle que de voir cette troupe, \ncompos\u00e9e de cent cinquante \u00e0 deux cents hommes, pieusement \nagenouill\u00e9e, t\u00eate nue, le c\u0153ur et l\u2019esprit en pri\u00e8res. \n \nApr\u00e8s la messe, les joyeux hommes t\u00e9moign\u00e8rent au pr\u00e9lat \ntoute leur gratitude et celui-ci avait \u00e9t\u00e9 si \u00e9tonn\u00e9 de l\u2019attitude res-pectueuse des forestiers pendant le cours du saint office, qu\u2019il ne put r\u00e9sister au d\u00e9sir d\u2019adresser \u00e0 Robin une foule de questions sur \nsa mani\u00e8re de vivre sous les grands arbres du vieux bois. \n Tandis que Robin r\u00e9pondait avec une courtoisie charmante \naux interrogations de l\u2019\u00e9v\u00eaque, les forestiers faisaient attabler les soldats devant un copieux repas et Much veillait \u00e0 la pr\u00e9paration du plus d\u00e9licat festin qui se f\u00fbt jamais servi dans la verte for\u00eat. \n Insensiblement, amen\u00e9 par Robin devant les joyeux convi-\nves, l\u2019\u00e9v\u00eaque les consid\u00e9ra d\u2019un \u0153il d\u2019envie et la vue de leur gaiet\u00e9 \ndissipa les derniers vestiges de sa mauvaise humeur. \n \n\u2013 Vos hommes emploient tr\u00e8s bien leur temps, dit Robin en \nd\u00e9signant \u00e0 Sa R\u00e9v\u00e9rence le groupe le plus vorace de toute l\u2019assembl\u00e9e. \n \u2013 Ils mangent en effet avec un grand app\u00e9tit. \u2013 Ils devaient avoir faim, monseigneur ; il est deux heures et \nmoi-m\u00eame je sens le besoin de prendre quelque chose ; voulez-vous accepter votre part d\u2019un petit d\u00eener sans fa\u00e7on ? \n \n\u2013 Merci, mon cher h\u00f4te, merci, r\u00e9pondit l\u2019\u00e9v\u00eaque en t\u00e2chant \nde rester sourd aux appels r\u00e9it\u00e9r\u00e9s de son estomac. Je ne veux \nrien, quoique j\u2019\u00e9prouve une l\u00e9 g\u00e8re atteinte de la faim. \n \u2013 Il ne faut jamais contrarier les besoins de la nature, mon-\nseigneur, r\u00e9pondit Robin d\u2019un air s\u00e9rieux ; l\u2019esprit et le c\u0153ur en souffrent et la sant\u00e9 se perd. Allo ns, prenez place sur ce tapis de \nverdure ; on va vous servir et vo us ne mangerez qu\u2019un peu de pain \nsi vous craignez de retarder votre d\u00e9part. \u2013 156 \u2013 \n\u2013 Il faut donc absolument vous ob\u00e9ir ? dit l\u2019\u00e9v\u00eaque avec une \nexpression de joie vainement dissimul\u00e9e. \n \n\u2013 Vous n\u2019y \u00eates pas contraint, monseigneur, r\u00e9pliqua Robin \nd\u2019un ton malicieux et s\u2019il vous d\u00e9 pla\u00eet de go\u00fbter avec moi \u00e0 ce d\u00e9-\nlicieux p\u00e2t\u00e9 de venaison, au vin exquis contenu dans cette bou-\nteille, abstenez-vous, je vous prie car il est encore plus dangereux \nde forcer son estomac \u00e0 recevoir de s aliments que de le priver de \ntoute nourriture pendant plusieurs heures. \n \u2013 Oh ! je ne force pas mon es tomac, repartit l\u2019\u00e9v\u00eaque en \nr i a n t ; j e s u i s d o u \u00e9 d \u2019 u n e x c e l l e n t a p p \u00e9 t i t , e t , c o m m e i l y a f o r t longtemps que je suis \u00e0 jeun, je crois pouvoir faire honneur \u00e0 vo-\ntre aimable invitation. \n \n\u2013 Alors, \u00e0 table, monseigneur, et bon app\u00e9tit ! L\u2019\u00e9v\u00eaque \nd\u2019Hereford d\u00eena bien ; il aimait \u00e0 boire et le vin que Robin Hood lui versait \u00e9tait si capiteux qu\u2019\u00e0 la fin du repas Sa Seigneurie de-vint tout \u00e0 fait ivre ; puis, vers le soir, monseigneur rentra \u00e0 l\u2019abbaye de Sainte-Marie dans une situation d\u2019esprit et de corps qui fit jeter de nouveaux cris d\u2019 horreur et d\u2019indignation aux pieux \nmoines du monast\u00e8re. \u2013 157 \u2013 VI \n \n\u2013 Je serais bien aise de savoir comment se porte aujourd\u2019hui \nl\u2019\u00e9v\u00eaque d\u2019Hereford, disait Will \u00c9carlate \u00e0 son cousin Petit-Jean, \nqui, suivi de Much, accompagnait Will \u00e0 Barnsdale. \n \n\u2013 La t\u00eate du pauvre pr\u00e9lat doit \u00eatre un peu lourde, r\u00e9pondit \nMuch ; quoiqu\u2019on puisse pr\u00e9sumer que Sa Seigneurie a une cer-\ntaine habitude de l\u2019abus du vin. \n \u2013 Votre observation est tr\u00e8s juste, mon ami, reprit Jean ; \nmonseigneur d\u2019Hereford poss\u00e8de la facult\u00e9 de boire consid\u00e9ra-blement sans perdre la raison. \n \u2013 Robin l\u2019a plaisamment trait\u00e9, reprit Much ; en agit-il de \nm\u00eame avec tous les eccl\u00e9siastiques qu\u2019il rencontre ? \n \n\u2013 Oui, lorsque ces eccl\u00e9siastiques, \u00e0 l\u2019exemple de l\u2019\u00e9v\u00eaque \nd\u2019Hereford, abusent de leur pouvoir spirituel et temporel pour d\u00e9pouiller le peuple saxon. Il est m\u00eame arriv\u00e9 \u00e0 Robin non seule-ment d\u2019attendre la venue de ces pieux voyageurs, mais encore de \nse d\u00e9tourner de son chemin pour aller se mettre sur leur passage. \n \u2013 Qu\u2019entendez-vous par cette expression : se d\u00e9tourner de \nson chemin ? demanda Much. \n \u2013 Une histoire que je vais vous raconter tout en marchant \nvous expliquera mes paroles. \n \u00bb Un matin, Robin Hood apprit que deux moines noirs, por-\nteurs d\u2019une forte somme d\u2019argent destin\u00e9e \u00e0 leur abbaye, devaient traverser une partie de la for\u00eat de Sherwood. Cette nouvelle fut tr\u00e8s agr\u00e9able \u00e0 Robin ; nos fonds \u00e9taient en baisse et cet argent nous arrivait avec un \u00e0-propos admirable. Sans rien dire \u00e0 per-\u2013 158 \u2013 sonne (l\u2019arrestation de deux moines \u00e9tait une petite affaire), Ro-\nbin rev\u00eatit une longue robe de p\u00e8lerin et alla se poster sur la route que devaient suivre les religieux. \n \n\u00bb L\u2019attente fut courte, les moines se montr\u00e8rent bient\u00f4t aux \nregards de Robin : c\u2019\u00e9taient deux hommes de haute taille, solide-ment camp\u00e9s sur la selle de leurs chevaux. \n \n\u00bb Robin s\u2019avan\u00e7a \u00e0 leur rencontre, les salua jusqu\u2019\u00e0 terre, sai-\nsit en se relevant la bride des ch evaux, qui marchaient c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te \net dit avec un accent lamentable : \n \n\u00bb \u2013 Soyez b\u00e9nis, saints fr\u00e8res, et permettez-moi de vous dire \ncombien je suis heureux de vous avoir rencontr\u00e9s. C\u2019est un grand \nbonheur pour moi et j\u2019en remercie humblement le ciel. \n \n\u00bb \u2013 Que signifie ce d\u00e9luge de paroles ? demanda un des moi-\nnes. \n \u00bb \u2013 Mon p\u00e8re, il exprime ma joie. Vous \u00eates les repr\u00e9sentants \ndu Seigneur, du Dieu de bont\u00e9, vous \u00eates l\u2019image de la mis\u00e9ri-\ncorde divine. J\u2019ai besoin de secou r s , j e s u i s u n m a l h e u r e u x , j \u2019 a i \nfaim ; mes fr\u00e8res, je meurs de faim, faites-moi l\u2019aum\u00f4ne de quel-ques provisions. \n \u00bb \u2013 Nous n\u2019avons pas de provisions avec nous, r\u00e9pondit le \nmoine qui avait d\u00e9j\u00e0 pris la pa role. Ainsi votre inutile demande \ndoit s\u2019arr\u00eater l\u00e0 ; laissez-nous tranquillement poursuivre notre \nroute. \n \u00bb Robin Hood, qui tenait d\u00e9j\u00e0 entre ses mains la bride des \nchevaux, emp\u00eacha les moines de tenter une fuite. \n \u00bb \u2013 Mes fr\u00e8res, reprit-il d\u2019une voix encore plus douloureuse \net plus d\u00e9faillante, ayez piti\u00e9 de ma mis\u00e8re et, puisque vous n\u2019avez \npas de pain \u00e0 me donner, faites-moi l\u2019aum\u00f4ne d\u2019une petite pi\u00e8ce de monnaie. J\u2019erre dans ce bois depuis hier matin, je n\u2019ai encore \u2013 159 \u2013 ni bu ni mang\u00e9. Chers fr\u00e8res, au nom de la divine m\u00e8re du Christ, \nfaites-moi, je vous en conjure, cette humble charit\u00e9. \n \n\u00bb \u2013 Voyons, bavard imb\u00e9cile, l\u00e2chez la bride de nos montu-\nres, laissez-nous en repos, no us ne voulons pas perdre notre \ntemps avec un idiot de votre esp\u00e8ce. \n \n\u00bb \u2013 O u i , a j o u t a l e s e c o n d m o i n e e n r \u00e9 p \u00e9 t a n t m o t p o u r m o t \nles paroles de son confr\u00e8re, nous ne voulons pas perdre notre \ntemps avec un idiot de votre esp\u00e8ce. \n \u00bb \u2013 De gr\u00e2ce, bons moines, quelques pence pour \nm\u2019emp\u00eacher de mourir de faim ! \n \u00bb \u2013 En supposant m\u00eame que je voulusse vous faire l\u2019aum\u00f4ne, \nmendiant \u00e0 t\u00eate dure, cela me serait impossible, nous ne poss\u00e9-\ndons pas un denier. \n \u00bb \u2013 Cependant, mes fr\u00e8res, vous n\u2019avez point l\u2019ext\u00e9rieur de \ngens d\u00e9pourvus de ressources : vous \u00eates bien mont\u00e9s, bien \u00e9qui-\np\u00e9s et vos joviales figures respirent le bonheur. \n \u00bb \u2013 Nous avions de l\u2019argent il y a quelques heures \u00e0 peine, \nmais nous avons \u00e9t\u00e9 d\u00e9pouill\u00e9s par des voleurs. \n \u00bb \u2013 Ils ne nous ont pas laiss\u00e9 un penny, ajouta le moine qui \nsemblait avoir mission de r\u00e9p\u00e9ter comme un \u00e9cho les paroles de son sup\u00e9rieur. \n \n\u00bb \u2013 Je crois fort, dit Robin, que vous mentez tous les deux \navec une rare impudence. \n \n\u00bb \u2013 Tu nous accuses de mensonge, mis\u00e9rable coquin ! s\u2019\u00e9cria \nle moine. \n \u00bb \u2013 Oui ; d\u2019abord vous n\u2019avez pas \u00e9t\u00e9 vol\u00e9s, car il n\u2019y a pas de \nvoleurs dans le vieux bois de Sh erwood ; ensuite vous me trompez \nen disant que vous \u00eates sans argent . Je hais le mensonge et j\u2019aime \u2013 160 \u2013 \u00e0 conna\u00eetre la v\u00e9rit\u00e9. En cons\u00e9quence, vous trouverez naturel que \nje m\u2019assure par mes propres investigations de la fausset\u00e9 de vos paroles. \n \n\u00bb En achevant cette mena\u00e7ante r\u00e9ponse, Robin laissa tomber \nla bride des chevaux et porta la main sur un sac qui pendait \u00e0 la \nselle du premier moine. Celui-ci, \u00e9pouvant\u00e9, \u00e9peronna son cheval \net s\u2019\u00e9loigna au galop, suivi de pr\u00e8s par le second fr\u00e8re. Robin, qui, \nvous le savez, a des jambes de cerf , rejoignit les voyageurs, et d\u2019un \ntour de main les d\u00e9monta l\u2019un et l\u2019autre. \n \n\u00bb \u2013 Bon mendiant, \u00e9pargnez-nous, murmura le gros moine, \nayez piti\u00e9 de vos fr\u00e8res ; nous n\u2019av ons, je vous l\u2019assure, ni argent \nni provisions \u00e0 vous offrir ; il est donc raisonnablement impossi-\nble d\u2019exiger de nous un secours imm\u00e9diat. \n \n\u00bb \u2013 Nous ne poss\u00e9dons rien, bon mendiant, ajouta l\u2019\u00e9cho du \nmoine sup\u00e9rieur, pauvre diable fo rt maigre et que l\u2019\u00e9pouvante \navait rendu livide. Nous ne pouvons vous donner ce que nous n\u2019avons pas. \n \u00bb \u2013 Eh bien, mes p\u00e8res, reprit Robin, je veux bien ajouter foi \n\u00e0 l\u2019apparente sinc\u00e9rit\u00e9 de vos paroles. Aussi vais-je vous indiquer un moyen pour obtenir les uns et les autres un peu d\u2019argent. Nous allons nous agenouiller tous les trois et demander \u00e0 la sainte \nVierge de venir \u00e0 notre secours. Notre ch\u00e8re Dame ne m\u2019a jamais \nabandonn\u00e9 \u00e0 l\u2019heure du besoin et je suis s\u00fbr qu\u2019elle accordera \u00e0 mes supplications une faveur supr\u00eame. J\u2019\u00e9tais en pri\u00e8re lorsque vous \u00eates arriv\u00e9s au bas de la route et, croyant que le ciel vous \nenvoyait \u00e0 mon aide, je vous ai adress\u00e9 ma modeste requ\u00eate. Vo-\ntre refus ne m\u2019a point d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 ; vous n\u2019\u00eates pas les mandataires \nde la divine Providence, voil\u00e0 tout ; mais vous \u00eates ou vous devez \u00eatre des hommes pieux ; nous allons prier et nos voix r\u00e9unies por-teront mieux l\u2019invocation aux pieds du Seigneur. \n \u00bb Les deux moines refus\u00e8rent de s\u2019agenouiller et Robin Hood \nne parvint \u00e0 les y contraindre qu\u2019e n les mena\u00e7ant de visiter leurs \npoches. \u00bb \u2013 161 \u2013 \n\u2013 Comment, interrompit Will \u00c9carlate, ils se mirent tous les \ntrois \u00e0 genoux pour demander au ciel un envoi d\u2019argent ? \n \n\u2013 Oui, r\u00e9pondit le narrateur et ils pri\u00e8rent, sur l\u2019ordre de Ro-\nbin, \u00e0 haute et intelligible voix. \n \u2013 Ce tableau devait \u00eatre plaisant, dit Will. \n \n\u2013 Tr\u00e8s plaisant. Robin avait eu la force de conserver son s\u00e9-\nrieux ; il \u00e9coutait gravement la pri\u00e8re des moines : \u00ab Sainte Vierge, disaient-ils, envoyez-nous de l\u2019argent, pour nous sauver \ndu danger. \u00bb Il est inutile de vous dire que l\u2019argent n\u2019arrivait pas. \nLa voix des moines avait pris de minute en minute un accent plus triste et plus lamentable, si bien que Robin Hood, ne pouvant plus garder son s\u00e9rieux devant cet \u00e9trange spectacle, se mit joyeu-\nsement \u00e0 rire. \n \u00bb Les moines, rassur\u00e9s par ce transport de folle gaiet\u00e9, es-\nsay\u00e8rent de se mettre debout ; mais Robin leva son b\u00e2ton et de-manda : \n \u00bb \u2013 Avez-vous re\u00e7u de l\u2019argent ? \u00bb \u2013 Non, r\u00e9pondirent-ils, non. \u00bb \u2013 Priez encore. Les moines subirent pendant une heure \ncette fatigante torture ; ils en arriv\u00e8 rent \u00e0 se tordre les mains, \u00e0 se \nd\u00e9sesp\u00e9rer, \u00e0 s\u2019arracher les cheveu x, \u00e0 pleurer de rage. Ils \u00e9taient \naccabl\u00e9s de fatigue et d\u2019humiliation ; cependant ils pr\u00e9tendaient toujours qu\u2019ils ne poss\u00e9daient rien. \n \u00bb \u2013 La sainte Vierge ne m\u2019a jamais abandonn\u00e9, leur disait \nRobin en mani\u00e8re de consolation ; je n\u2019ai pas encore entre les mains les preuves de sa bont\u00e9, ma is elles ne se feront pas atten-\ndre. Ainsi, mes amis, ne vous d\u00e9 couragez pas, priez au contraire \navec plus de ferveur. Les deux moines se lament\u00e8rent tellement \nque Robin finit par se lasser de les entendre. \u2013 162 \u2013 \n\u00bb \u2013 Maintenant, mes chers fr\u00e8res, leur dit-il, voyons un peu \nquelle somme d\u2019argent le ciel vous a envoy\u00e9e. \n \n\u00bb \u2013 Pas un denier ! s\u2019\u00e9cria le gros moine. \u00bb \u2013 Pas un denier ! r\u00e9p\u00e9ta Robin ; comment cela ? Mes bons \nfr\u00e8res, dites-moi, pouvez-vous \u00eatre bien certains que je n\u2019ai pas \nd\u2019argent, bien que je vous ai affirm\u00e9 le vide de mes poches ? \n \n\u00bb \u2013 Non, en effet, nous ne pouvons en \u00eatre certains, dit un \ndes moines. \n \u00bb \u2013 Il y a alors un moyen de vous en assurer. \u00bb \u2013 Lequel ? interrogea le gros moine. \n \u00bb \u2013 Un moyen bien simple, reprit Robin, il faut me fouiller ; \nmais comme il vous importe fort peu que j\u2019aie oui ou non de \nl\u2019argent, et que la question m\u2019int\u00e9 resse seul, je vais me permettre \nde regarder dans vos poches. \n \u00bb \u2013 Nous ne pouvons subir un pareil outrage ! s\u2019\u00e9cri\u00e8rent les \nmoines d\u2019un commun accord. \n \u00bb \u2013 Il n\u2019y a point d\u2019outrage, mes fr\u00e8res ; je d\u00e9sire vous prou-\nver que, si le ciel a \u00e9cout\u00e9 mes pri\u00e8res, il m\u2019a envoy\u00e9 un secours \npar vos pieuses mains. \n \n\u00bb \u2013 Nous n\u2019avons rien, rien. \n \u00bb \u2013 C\u2019est ce dont je vais m\u2019assu rer. Quelle que soit la somme \nd\u2019argent qui vous est \u00e9chue en part age, nous la diviserons en deux \nparts, une pour vous, l\u2019autre pour moi. Fouillez-vous, je vous prie, et dites-moi ce que vous poss\u00e9dez. \n \u00bb Les moines ob\u00e9irent machinalement ; chacun d\u2019eux mit la \nmain \u00e0 sa poche et n\u2019en retira rien. \u2013 163 \u2013 \n\u00bb \u2013 Je vois, mes fr\u00e8res, dit Robin Hood, que vous voulez me \ndonner le plaisir de vous fouiller. Eh bien ! soit. \n \n\u00bb Les moines oppos\u00e8rent encore une vive r\u00e9sistance ; mais \nRobin Hood, arm\u00e9 de son terrible b\u00e2ton, les mena\u00e7a d\u2019un ton si \ns\u00e9rieux de les rouer de coups, qu\u2019ils se r\u00e9sign\u00e8rent \u00e0 subir une minutieuse visite. \n \u00bb Apr\u00e8s quelques minutes de re cherche, Robin Hood r\u00e9unit \ncinq cents \u00e9cus d\u2019or. \n \u00bb D\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 de la perte de ses \u00e9cus, le gros moine demanda \nanxieusement \u00e0 Robin : \n \u00bb \u2013 Ne partagerez-vous point cet argent avec nous ? \n \u00bb \u2013 Pensez-vous qu\u2019il vous ait \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 par le ciel depuis \nque nous sommes ensemble ? r\u00e9pondit Robin en regardant les deux hommes avec s\u00e9v\u00e9rit\u00e9. \u2013 Les moines gard\u00e8rent le silence. \u2013 Vous avez menti, vous avez prot est\u00e9 ne pas avoir d\u2019argent alors \nque vous portiez dans vos poches la ran\u00e7on d\u2019un honn\u00eate homme ; vous avez refus\u00e9 l\u2019aum\u00f4ne \u00e0 celui qui se disait affam\u00e9 et mourant ; croyez-vous l\u2019un et l\u2019autre que ce soit la conduite d\u2019une \u00e2me chr\u00e9tienne ? Je vous pardonne n\u00e9anmoins et je veux tenir en partie la promesse que je vous ai faite. Voil\u00e0, pour chacun de vous, cinquante \u00e9cus d\u2019or. Allez, et si vous rencontrez sur votre route un pauvre mendiant, souvene z-vous que Robin Hood vous a \nlaiss\u00e9 le pouvoir de lui venir en aide. \n \u00bb \u00c0 ce nom de Robin Hood, les moines tressaillirent et atta-\nch\u00e8rent sur notre ami un regard plein de stupeur. \n \u00bb Sans prendre garde \u00e0 leur mine effar\u00e9e, Robin les salua du \ngeste et disparut dans la clairi\u00e8re. \n \u2013 164 \u2013 \u00bb \u00c0 peine le bruit de ses pas se fut-il perdu dans \nl\u2019\u00e9loignement, que les deux moines se pr\u00e9cipit\u00e8rent sur leurs che-\nvaux et s\u2019enfuirent sans tourner la t\u00eate. \u00bb \n \n\u2013 Il fallait que Robin f\u00fbt costum\u00e9 avec beaucoup d\u2019art pour \nne pas avoir \u00e9t\u00e9 reconnu par les moines, dit Much. \n \u2013 Robin Hood poss\u00e8de en cela une habilet\u00e9 merveilleuse ; du \nreste, vous avez d\u00fb vous en aper cevoir \u00e0 sa mani\u00e8re de contrefaire \nla vieille femme. Je pourrais vous raconter des centaines de tours o\u00f9 il s\u2019est d\u00e9guis\u00e9 et n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 reconnu et je vous assure que \nce fut une bonne plaisanterie que celle qu\u2019il joua au sh\u00e9rif de Not-tingham. \n \u2013 Oui, dit Much, le tour \u00e9tait joli et il a eu du retentisse-\nment ; chacun se moqua du sh\u00e9rif et applaudit \u00e0 l\u2019audace de Ro-\nbin Hood. \n \u2013 Quelle est donc cette histoire ? demanda William ; je n\u2019en \nai jamais entendu parler. \n \u2013 Comment, vous ne connaissez pas l\u2019aventure de Robin d\u00e9-\nguis\u00e9 en boucher ? \n \u2013 Non ; contez-la-moi, Petit-Jean. \u2013 Volontiers. \u00bb Il y a environ quatre ans, une grande disette \nde viande se fit sentir dans le comt\u00e9 de Nottingham ; les bouchers maintenaient si haut le prix de la viande, qu\u2019il n\u2019\u00e9tait permis \nqu\u2019aux gens riches d\u2019en fournir leur table. Robin Hood, qui est \ntoujours \u00e0 l\u2019aff\u00fbt des nouvelles, appr it cet \u00e9tat de choses et r\u00e9solut \nde porter rem\u00e8de aux souffrance s des malheureux. Un jour de \nmarch\u00e9, Robin se mit en embuscad e sur le chemin que devait sui-\nvre \u00e0 travers la for\u00eat de Sherwood un marchand de bestiaux, prin-cipal fournisseur de la ville de Nottingham. Robin rencontra son homme mont\u00e9 sur un cheval pur sa ng, et chassant devant lui un \nimmense troupeau de b\u00eates \u00e0 cornes. Robin acheta le troupeau, la jument, le costume du boucher, sa discr\u00e9tion et comme garantie \u2013 165 \u2013 de cette derni\u00e8re emplette, il confia l\u2019homme \u00e0 nos soins jusqu\u2019\u00e0 \nson retour dans la for\u00eat. \u00bb Robin, qui avait l\u2019intention de donner sa viande \u00e0 tr\u00e8s bas prix, pensa qu e, s\u2019il n\u00e9gligeait de s\u2019assurer \nune protection, celle du sh\u00e9rif par exemple, les bouchers pour-\nraient s\u2019entendre entre eux et rendre nulles ses bonnes intentions \u00e0 l\u2019\u00e9gard des pauvres. \u00bb Le sh\u00e9rif tenait une grande auberge o\u00f9 se r\u00e9unissaient les marchands des environs lorsqu\u2019ils venaient \u00e0 Nottingham. Robin savait cela et, afin de pr\u00e9venir toute collusion \nentre ses confr\u00e8res et lui, il conduisit les bestiaux sur la place du \nmarch\u00e9, choisit parmi eux l\u2019animal l e p l u s g r a s e t l \u2019 e m m e n a \u00e0 \nl\u2019auberge du sh\u00e9rif. \u00bb Celui-ci se tenait sur le seuil de sa porte et il tomba en admiration devant le jeune b\u0153uf conduit par Robin. Notre ami, enchant\u00e9 de l\u2019accueil peut-\u00eatre int\u00e9ress\u00e9 du sh\u00e9rif, lui \ndit qu\u2019il poss\u00e9dait le plus beau tr oupeau du march\u00e9 et qu\u2019il serait \nheureux de pouvoir lui faire accepter ce jeune b\u0153uf. \n \n\u00bb Le sh\u00e9rif se r\u00e9cria modestement sur la richesse de ce don. \u00bb \u2013 Sir sh\u00e9rif, reprit Robin, je suis \u00e9tranger aux coutumes du \npays, je ne connais pas mes confr\u00e8re s et j\u2019ai grand peur qu\u2019ils ne \nme cherchent querelle. Je vous serai donc oblig\u00e9 de vouloir ac-corder votre protection \u00e0 un homme tr\u00e8s d\u00e9sireux de vous \u00eatre agr\u00e9able. \n \u00bb Le sh\u00e9rif jura aussit\u00f4t (sa reconnaissance \u00e9galait pour le \nmoment la grosseur du b\u0153uf) qu\u2019il ferait pendre le compagnon assez audacieux pour inqui\u00e9ter notr e ami ; il jura encore que Ro-\nbin \u00e9tait aimable gar\u00e7on et le plus joli boucher qui e\u00fbt jamais vendu de la viande. \n \u00bb Tranquillis\u00e9 sur ce point important, Robin gagna la place \ndu march\u00e9 et lorsque la vente commen\u00e7a, une foule de pauvres gens vint s\u2019informer du prix de la viande ; malheureusement pour leur petite bourse, ce prix \u00e9tait toujours tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9. \n \u00bb Apr\u00e8s avoir vu s\u2019\u00e9tablir les pr ix, Robin offrit pour un penny \nautant de viande que ses confr\u00e8 res en donnaient pour trois. \n \u2013 166 \u2013 \u00bb La nouvelle de ce bon march\u00e9 extraordinaire se r\u00e9pandit \npromptement dans la ville et les pauvres accoururent de toute \npart. Robin leur donna pour un penny la m\u00eame quantit\u00e9 de \nviande que ses confr\u00e8res pouvaient mat\u00e9riellement en donner \npour cinq. Bient\u00f4t on apprit \u00e0 tous les coins du march\u00e9 que Robin \nne vendait qu\u2019aux pauvres. Alors on commen\u00e7a \u00e0 avoir de lui une excellente opinion et ses confr\u00e8res, peu enclins \u00e0 suivre son exemple, le regard\u00e8rent comme un prodigue, qui dans un acc\u00e8s de \nfolle g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 gaspillait la meilleure partie de son bien. Cette \nsupposition pass\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9tat de v\u00e9rit\u00e9, les bouchers envoy\u00e8rent \u00e0 Robin les gens auxquels ils ne pouvaient rien vendre. \n \u00bb Vers le milieu du jour, les marchands de bestiaux se r\u00e9uni-\nrent et d\u2019un commun accord, ils d\u00e9cid\u00e8rent qu\u2019il fallait lier connaissance avec le nouveau venu. L\u2019un d\u2019eux se d\u00e9tacha du groupe, s\u2019approcha de Robin et lui dit : \n \n\u00bb \u2013 Charmant ami et fr\u00e8re, votre conduite nous para\u00eet \n\u00e9trange ; car, soit dit sans vous offenser, elle g\u00e2te tout \u00e0 fait le m\u00e9-tier de boucher. Mais, en revanche, comme vos intentions sont excellentes, nous ne pouvons que vous f\u00e9liciter et applaudir des deux mains \u00e0 un sentiment de g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 admirable. Mes compa-gnons, tr\u00e8s enthousiasm\u00e9s de la bont\u00e9 de votre c\u0153ur, me chargent de vous pr\u00e9senter leurs compliments et une invitation \u00e0 d\u00eener. \n \u00bb \u2013 J\u2019accepte de grand c\u0153ur cette invitation, r\u00e9pondit gaie-\nm e n t R o b i n e t j e s u i s p r \u00ea t \u00e0 v o u s s u i v r e o \u00f9 i l v o u s p l a i r a d e m\u2019emmener. \n \n\u00bb \u2013 Nous avons l\u2019habitude de nous r\u00e9unir dans l\u2019auberge du \nsh\u00e9rif, r\u00e9pondit le boucher, et si rien ne vous \u00e9loigne de cette mai-\nson\u2026 \n \n\u00bb \u2013 Comment donc ! interrompit Robin ; je serai au contraire \ntr\u00e8s heureux de me trouver en compagnie d\u2019un homme que vous honorez de votre confiance. \n \u2013 167 \u2013 \u00bb \u2013 S\u2019il en est ainsi, messire, nous allons joyeusement finir la \njourn\u00e9e. \u00bb \n \n\u2013 Vous \u00e9tiez donc avec Robin ? demanda Much, surpris de \nvoir entrer le narrateur dans tous ces d\u00e9tails. \n \n\u2013 Cela va sans dire ; pensez-vous que j\u2019eusse consenti \u00e0 lais-\nser Robin expos\u00e9 sans d\u00e9fense au danger d\u2019\u00eatre reconnu ? Il \nm\u2019avait ordonn\u00e9 de me tenir \u00e0 l\u2019\u00e9c art ; mais je n\u2019avais pas cru de-\nvoir tenir compte de cette recommandation : je m\u2019\u00e9tais plac\u00e9 presque \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s. Tout \u00e0 coup il s\u2019aper\u00e7ut de ma pr\u00e9sence, il me \nsaisit la main et me reprocha ma d\u00e9sob\u00e9issance d\u2019un ton de co-\nl\u00e8re. Je lui expliquai \u00e0 demi voix le motif qui m\u2019avait oblig\u00e9 \u00e0 transgresser ses ordres. Il se calma aussit\u00f4t et, me regardant avec ce doux sourire que vous connaissez : \u00ab M\u00eale-toi \u00e0 la foule, mon cher Jean, dit-il, et, tout en veillant \u00e0 ma s\u00fbret\u00e9, veille attentive-\nment \u00e0 la tienne. S\u2019il t\u2019arrivait malheur, je ne m\u2019en consolerais \npas. \u00bb J\u2019ob\u00e9is \u00e0 Robin et je disparus dans les groupes. Lorsque Robin, accompagn\u00e9 de la joyeuse bande des bouchers, se dirigea vers la demeure du sh\u00e9rif aubergiste, je me mis \u00e0 sa suite et j\u2019entrai avec lui dans la salle \u00e0 manger. \n \u00bb Je me fis servir un bon repas et je pris place dans \nl\u2019embrasure d\u2019une fen\u00eatre. \n \u00bb Ce jour-l\u00e0 Robin \u00e9tait fort gai ; il se mit \u00e0 table avec ses h\u00f4-\ntes et, vers la fin du d\u00eener, il les engagea \u00e0 boire le meilleur vin de la cave, ajoutant qu\u2019il se chargeait de cette derni\u00e8re d\u00e9pense. Comme vous devez le penser, l\u2019offre g\u00e9n\u00e9reuse de Robin fut ac-\ncueillie par de joyeux applaudissements ; le vin circula dans tous \nles coins de la salle et j\u2019eus ma part dans la distribution. \n \u00bb Au moment o\u00f9 la joie des convives arrivait \u00e0 son apog\u00e9e, le \nsh\u00e9rif se pr\u00e9senta sur le seuil de la porte. \n \u00bb Robin l\u2019invita \u00e0 s\u2019asseoir. Il accepta et, comme Robin lui \nparaissait \u00e0 bon droit le h\u00e9ros de la f\u00eate, il demanda des nouvelles de Robin. \u2013 168 \u2013 \n\u00bb \u2013 C\u2019est un rus\u00e9 gaillard ! s\u2019\u00e9cria un des bouchers ; une fine \nlame, un rare esprit, un bon gar\u00e7on. \n \n\u00bb Le sh\u00e9rif m\u2019aper\u00e7ut alors. Je n\u2019\u00e9tais pas ivre et le calme de \nmon visage lui inspira le d\u00e9sir de m\u2019interroger. \n \u00bb \u2013 Ce jeune homme, me dit-il en d\u00e9signant Robin du re-\ngard, doit \u00eatre un prodigue qui, apr\u00e8s avoir vendu terres, maison \nou ch\u00e2teau, a l\u2019intention de gaspiller follement son argent. \n \u00bb \u2013 C\u2019est possible, r\u00e9pondis-je avec indiff\u00e9rence. \u00bb \u2013 Peut-\u00eatre poss\u00e8de-t-il encore quelque bien ? reprit le \nsh\u00e9rif. \n \n\u00bb \u2013 C\u2019est vraisemblable, messire. \u00bb \u2013 Pensez-vous qu\u2019il soit dispos\u00e9 \u00e0 vendre \u00e0 bon compte le \nb\u00e9tail qui peut lui rester ? \n \u00bb \u2013 Je l\u2019ignore ; mais il y a un moyen bien simple de s\u2019en as-\nsurer. \n \u00bb \u2013 Lequel ? demanda niaisement le sh\u00e9rif. \u00bb \u2013 Pardieu ! c\u2019est de le lui demander. \u00bb \u2013 Vous avez raison, sir \u00e9tranger. Cela dit, le sh\u00e9rif \ns\u2019approcha de Robin et, apr\u00e8s lui avoir adress\u00e9 de pompeux \u00e9lo-ges sur sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, il le f\u00e9licita du noble emploi qu\u2019il faisait de \nsa fortune. \n \u00bb \u2013 Mon jeune ami, ajouta le sh \u00e9rif, n\u2019avez-vou s point encore \n\u00e0 vendre quelques b\u00eates \u00e0 cornes ? Je vous trouverai un acheteur \net, tout en vous rendant ce service, je me permettrai de vous dire qu\u2019un homme de votre rang et de votre ext\u00e9rieur ne peut, sans compromettre sa dignit\u00e9, se faire marchand de bestiaux. \u2013 169 \u2013 \n\u00bb Robin comprit parfaitement le v\u00e9ritable mobile de cette as-\ntucieuse r\u00e9flexion ; il se mit \u00e0 rire et r\u00e9pondit \u00e0 l\u2019obligeant sh\u00e9rif \nqu\u2019il poss\u00e9dait un millier de b\u00eates \u00e0 cornes dont il se d\u00e9ferait vo-\nlontiers moyennant cinq cents \u00e9cus d\u2019or. \n \u00bb \u2013 Je vous en offre trois cents, dit le sh\u00e9rif. \n\u00bb \u2013 Au cours actuel, reprit Robin, mes b\u00eates valent l\u2019une \ndans l\u2019autre deux \u00e9cus par t\u00eate. \n \n\u00bb \u2013 S i v o u s c o n s e n t e z \u00e0 m e v e n d r e l e t r o u p e a u e n b l o c , j e \nvous donnerai trois cents \u00e9cus, tout en vous faisant remarquer, mon galant gentilhomme, que trois cents \u00e9cus d\u2019or seront mieux plac\u00e9s dans votre bourse que mille b\u00eates \u00e0 cornes dans vos p\u00e2tu-rages. Allons, d\u00e9cidez-vous ; le march\u00e9 tient-il pour trois cents \n\u00e9cus d\u2019or ? \n \u00bb \u2013 C\u2019est trop mal pay\u00e9, r\u00e9pondit Robin en me jetant un fur-\ntif regard. \n \u00bb \u2013 Un c\u0153ur lib\u00e9ral comme le v\u00f4tre, milord, reprit le sh\u00e9rif \nen essayant de la flatterie, ne saurait marchander pour quelques \n\u00e9cus. Allons, le march\u00e9 est fait. Tapez l\u00e0. O\u00f9 sont vos bestiaux ? je d\u00e9sirerais les voir tous ensemble. \n \u00bb \u2013 Tous ensemble ! r\u00e9p\u00e9ta Robin en riant d\u2019une id\u00e9e qui lui \ntraversait l\u2019esprit. \n \n\u00bb \u2013 Certainement, mon jeune ami, et si l\u2019endroit o\u00f9 se trouve \nce magnifique troupeau n\u2019est pas tr\u00e8s \u00e9loign\u00e9 d\u2019ici, nous pouvons \ny aller \u00e0 cheval et conclure le marc h\u00e9 sur les lieux. Je vais prendre \nde l\u2019argent et si vous \u00eates raison nable, l\u2019affaire se terminera avant \nnotre retour \u00e0 Nottingham. \n \n\u00bb \u2013 Je poss\u00e8de \u00e0 un mille environ de la ville plusieurs mesu-\nres de terre, r\u00e9pondit Robin ; mes bestiaux y sont parqu\u00e9s et vous pourrez les voir tout \u00e0 fait \u00e0 votre aise. \u2013 170 \u2013 \n\u00bb \u2013 \u00c0 un mille de Nottingham, reprit le sh\u00e9rif, plusieurs me-\nsures de terre\u2026 Je connais les environs et je ne puis cependant \nme rendre compte de la situation de votre propri\u00e9t\u00e9. \n \n\u00bb \u2013 Silence, murmura Robin en se penchant vers le sh\u00e9rif ; je \nd\u00e9sire, pour des raisons particuli\u00e8res, cacher mon nom et mes qualit\u00e9s. Un mot explicatif sur l\u2019emplacement que mon b\u00e9tail oc-\ncupe trahirait un incognito n\u00e9cessaire \u00e0 mes int\u00e9r\u00eats. Vous com-\nprenez, n\u2019est-ce pas ? \n \u00bb \u2013 Parfaitement, mon jeune ami, r\u00e9pondit le sh\u00e9rif en cli-\ngnant de l\u2019\u0153il d\u2019un air malin ; les amis sont \u00e0 craindre, la famille \u00e0 \nredouter ; je comprends, je comprends. \n \u00bb \u2013 Vous poss\u00e9dez une p\u00e9n\u00e9tration d\u2019esprit admirable, reprit \nRobin d\u2019un air de myst\u00e8re et je suis tent\u00e9 de croire que nous nous \nentendrons \u00e0 merveille. Eh bien ! si vous le voulez, nous allons mettre \u00e0 profit l\u2019inattention des bouchers et nous esquiver secr\u00e8-tement. \u00cates-vous pr\u00eat \u00e0 me suivre ? \n \u00bb \u2013 Comment donc ! c\u2019est moi qui vous attends. Je vais faire \nseller nos chevaux en toute h\u00e2te. \n \u00bb \u2013 Allez, je vous rejoins sans retard. \u00bb Le sh\u00e9rif sortit de la salle et, sur l\u2019ordre de Robin, j\u2019allai re-\ntrouver nos joyeux compagnons, qu \u2019en cas de m\u00e9saventure j\u2019avais \nprudemment post\u00e9s \u00e0 distance du son du cor et je leur annon\u00e7ai \nla visite du sh\u00e9rif. \n \n\u00bb Quelques minutes apr\u00e8s mon d\u00e9part, le sh\u00e9rif fit monter \nRobin dans son appartement particu lier, le pr\u00e9senta \u00e0 sa femme, \njeune et jolie personne d\u2019une vingtaine d\u2019ann\u00e9es et, le priant de s\u2019asseoir, il lui dit qu\u2019il allait s\u2019occuper de compter son argent. \n \u2013 171 \u2013 \u00bb Lorsque le sh\u00e9rif rentra dans la chambre o\u00f9 il avait laiss\u00e9 \nRobin en t\u00eate \u00e0 t\u00eate avec sa femm e, il trouva le jeune homme aux \npieds de la dame. \n \n\u00bb Cette vue irrita fort l\u2019ombrageux \u00e9poux ; mais son espoir \nd\u2019entra\u00eener Robin dans un march\u00e9 de dupe lui donna la force de dompter sa col\u00e8re. Il se mordit les l\u00e8vres et dit \u00e0 Robin : \n \n\u00bb \u2013 Je suis pr\u00eat \u00e0 vous suivre, mon gentilhomme. \n \u00bb Robin envoya un baiser \u00e0 la jolie dame et, \u00e0 la grande fu-\nreur du mari scandalis\u00e9, il lui annon\u00e7a son prochain retour. \n \u00bb Bient\u00f4t apr\u00e8s, le sh\u00e9rif et Robin sortirent \u00e0 cheval de la \nville de Nottingham. \n \n\u00bb Robin conduisit son compagno n par les sentiers les plus \nd\u00e9serts du bois au carrefour o\u00f9 nous devions le rencontrer. \n \u00bb \u2013 Voici, dit Robin en \u00e9tendant le bras vers une d\u00e9licieuse \nvall\u00e9e du vieux Sherwood, quelques-unes de mes mesures de terre. \n \u00bb \u2013 Vous me dites une chose parfaitement absurde et fausse, \nr\u00e9pondit le sh\u00e9rif, qui crut \u00e0 une mystification. Cette for\u00eat et tout ce qu\u2019elle renferme est la propri\u00e9t\u00e9 du roi. \n \u00bb \u2013 C\u2019est possible, repartit Robin ; mais, comme je m\u2019en suis \nempar\u00e9, tout cela est \u00e0 moi. \n \u00bb \u2013 Comment, \u00e0 vous ? \u00bb \u2013 Sans doute ; vous allez bient\u00f4t apprendre de quelle ma-\nni\u00e8re. \n \u00bb \u2013 Nous sommes dans un endroit d\u00e9sert et dangereux, dit le \nsh\u00e9rif ; le bois est infest\u00e9 de brigands ; que Dieu nous garde de tomber entre les mains du mis\u00e9r able Robin Hood ! Si un pareil \u2013 172 \u2013 malheur nous arrivait, nous serions bient\u00f4t d\u00e9pouill\u00e9s de tout ce \nque nous poss\u00e9dons. \n \n\u00bb \u2013 Nous verrons bien ce qu\u2019il fera, r\u00e9pondit Robin en riant ; \ncar il y a mille \u00e0 parier contre un que tout \u00e0 l\u2019heure nous allons \nnous trouver face \u00e0 face avec lui. \n \n\u00bb Le sh\u00e9rif devint tr\u00e8s p\u00e2le et jeta dans les taillis des regards \ntr\u00e8s effar\u00e9s. \n \u00bb \u2013 Je souhaiterais, dit-il, que vos propri\u00e9t\u00e9s fussent plac\u00e9es \ndans un endroit moins mal entour\u00e9 et si vous m\u2019eussiez averti des \ndangers qui les environnent, bien certainement je ne serais pas \nvenu ici. \n \u00bb \u2013 Je vous affirme, mon cher monsieur, reprit Robin, que \nnous sommes sur mes terres. \n \n\u00bb \u2013 Que voulez-vous dire ? de quelles terres parlez-vous ? \ndemanda le sh\u00e9rif avec anxi\u00e9t\u00e9. \n \u00bb \u2013 Il me semble, r\u00e9pondit Robin, que mes paroles ont une \nsignification fort claire. Je vous montre ces clairi\u00e8res, ces vall\u00e9es, ces carrefours et je vous dis : \u00ab Voil\u00e0 mes propri\u00e9t\u00e9s. \u00bb Ne dites-vous pas, en parlant de votre femme : \u00ab Ma femme ? \u00bb \n \u00bb \u2013 Oui, oui, sans doute, balbutia le sh\u00e9rif. Et comment vous \nnommez-vous, je vous prie ? J\u2019ai h\u00e2te de conna\u00eetre le nom d\u2019un \naussi riche propri\u00e9taire. \n \u00bb \u2013 Votre l\u00e9gitime curiosit\u00e9 va bient\u00f4t \u00eatre satisfaite, r\u00e9pon-\ndit en riant Robin Hood. \u2013 Au m\u00eame instant un immense trou-\npeau de daims traversa le sentier. \u2013 Tenez, tenez, messire, regar-dez \u00e0 votre droite ; voici une centaine de mes b\u00eates \u00e0 cornes ; elles sont grasses et belles \u00e0 voir, qu\u2019en dites-vous ? \n \u00bb Le sh\u00e9rif tremblait de tous ses membres. \u2013 173 \u2013 \u00bb \u2013 Je voudrais bien n\u2019\u00eatre pas venu ici, dit-il en explorant \nles profondeurs du bois d\u2019un regard alarm\u00e9. \n \n\u00bb \u2013 Pourquoi donc ? demanda Ro bin : le vieux Sherwood est, \nje vous l\u2019assure, une ravissante de meure ; d\u2019ailleurs, qu\u2019avez-vous \n\u00e0 craindre ? ne suis-je pas avec vous ? \n \n\u00bb \u2013 C\u2019est l\u00e0 justement sujet de mon inqui\u00e9tude, sir \u00e9tranger ; \ndepuis quelques instants, je l\u2019avoue, votre compagnie ne m\u2019est rien moins qu\u2019agr\u00e9able. \n \u00bb \u2013 F o r t h e u r e u s e m e n t p o u r m o i , i l e x i s t e p e u d e g e n s q u i \nsoient de cet avis, sir sh\u00e9rif, r\u00e9pondit Robin en riant ; mais puis-que, \u00e0 mon grand d\u00e9plaisir, vous \u00eates du nombre de ces gens-l\u00e0, il est inutile de prolonger notre t\u00eate-\u00e0-t\u00eate. \n \n\u00bb Cela dit, Robin s\u2019inclina d\u2019un air ironique devant son com-\npagnon et porta un cor de chasse \u00e0 ses l\u00e8vres. \n (J\u2019avais oubli\u00e9 de vous dire, mes amis, que nous suivions pas \n\u00e0 pas les deux promeneurs. Au premier appel nous accour\u00fbmes.) \n \u00bb Le sh\u00e9rif \u00e9pouvant\u00e9 faillit tomber \u00e0 la renverser sur son \ncheval. \n \u00bb \u2013 Que d\u00e9sirez-vous, mon noble ma\u00eetre ? dis-je \u00e0 Robin. \nVeuillez, je vous prie, me donner vos ordres, ils seront ex\u00e9cut\u00e9s \u00e0 \nl\u2019instant m\u00eame. \u00bb \n \n\u2013 Vous parlez toujours ainsi \u00e0 Robin, Petit-Jean ? fit obser-\nver Will \u00c9carlate. \n \n\u2013 Oui, Will, parce que c\u2019est mon devoir et mon plaisir, r\u00e9-\npondit le grand jeune homme avec bonhomie. \n \u00bb \u2013 J\u2019ai amen\u00e9 jusqu\u2019ici le puissant sh\u00e9rif de Nottingham, \nr\u00e9pondit Robin ; Sa Seigneurie d\u00e9sire examiner quelques-unes de mes b\u00eates \u00e0 cornes et partager mon souper. Veillez, mon cher \u2013 174 \u2013 lieutenant, \u00e0 ce que notre h\u00f4te soit trait\u00e9 avec les \u00e9gards et la \nsplendeur dus \u00e0 sa distinction. \n \n\u00bb \u2013 On lui servira les mets les plus recherch\u00e9s, r\u00e9pondis-je, \ncar je suis certain qu\u2019il paiera son d\u00eener tr\u00e8s g\u00e9n\u00e9reusement. \n \n\u00bb \u2013 Payer ! exclama le sh\u00e9rif ; qu\u2019entendez-vous par-l\u00e0 ? \n\u00bb \u2013 L\u2019explication viendra \u00e0 son heure, messire, r\u00e9pondit Ro-\nbin ; et maintenant, permettez-moi de r\u00e9pondre \u00e0 la question que \nvous m\u2019avez fait l\u2019honneur de m\u2019adresser en entrant dans le bois. \n \u00bb \u2013 Quelle question ? murmura le sh\u00e9rif. \u00bb \u2013 Vous m\u2019avez demand\u00e9 mon nom. \u00bb \n\u00bb \u2013 H\u00e9las ! g\u00e9mit l\u2019aubergiste. \u00bb \u2013 Je m\u2019appelle Robin Hood, messire. \u00bb \u2013 Je le vois bien, dit le sh\u00e9r if en montrant du regard la \njoyeuse troupe. \n \u00bb \u2013 Quant \u00e0 ce que nous entendons par payer, le voici. Nous \ntenons table ouverte pour les pauvres ; mais nous faisons large-ment rembourser nos d\u00e9penses par les h\u00f4tes qui ont le bonheur \nd\u2019avoir une escarcelle bien fournie. \n \u00bb \u2013 Quelles sont vos conditions ? demanda le sh\u00e9rif d\u2019une \nvoix lamentable. \n \u00bb \u2013 Nous n\u2019avons pas de conditions et nous ne fixons pas de \nprix ; nous prenons sans compter tout l\u2019argent que poss\u00e8de notre convive. Ainsi, par exemple, vo us avez dans votre poche trois \ncents \u00e9cus d\u2019or. \n \u00bb \u2013 Seigneur ! seigneur ! murmura le sh\u00e9rif. \u2013 175 \u2013 \u00bb \u2013 Votre d\u00e9pense co\u00fbtera trois cents \u00e9cus. \n \u00bb \u2013 Trois cents \u00e9cus ! \n \n\u00bb \u2013 Oui, et je vous engage \u00e0 manger autant que possible, \u00e0 \nboire autant que vous pourrez le fa ire, afin de ne point payer ce \nque vous n\u2019aurez pas consomm\u00e9. \n \n\u00bb Un excellent repas fut servi sur l\u2019herbe. Le sh\u00e9rif n\u2019avait \npas faim, il mangea donc fort peu ; mais en revanche il but consi-\nd\u00e9rablement. Nous suppos\u00e2mes que cette soif d\u00e9mesur\u00e9e \u00e9tait un effet de son d\u00e9sespoir. \n \u00bb Il nous donna les trois cents \u00e9cus d\u2019or, et sit\u00f4t que la der-\nni\u00e8re pi\u00e8ce eut disparu dans mon escarcelle, il manifesta un vif \nd\u00e9sir de nous fausser compagnie. Robin fit amener le cheval du \nsh\u00e9rif, aida celui-ci \u00e0 se mettre en selle, lui souhaita un bon voyage et le pria tr\u00e8s instamment de ne pas l\u2019oublier aupr\u00e8s de sa charmante femme. \n \u00bb Le sh\u00e9rif ne r\u00e9pondit point \u00e0 nos compliments ; il avait une \ntelle h\u00e2te de quitter le bois qu\u2019il mit son cheval au galop et s\u2019\u00e9loigna sans mot dire. \n \u00bb Ainsi se termina l\u2019aventure de Robin Hood avec les bou-\nchers de Nottingham. \u00bb \n \u2013 Je voudrais bien, dit Will \u00c9carlate, mettre mon habilet\u00e9 \u00e0 \nl\u2019\u00e9preuve en me d\u00e9guisant un jo ur. Avez-vous d\u00e9j\u00e0 tent\u00e9 une m\u00e9-\ntamorphose, Petit-Jean ? \n \u2013 Oui, afin d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 un ordre de Robin. \u2013 Et comment vous en \u00eates-vous tir\u00e9 ? demanda Will. \u2013 Assez bien pour ce dont il s\u2019agissait, r\u00e9pondit Jean. \u2013 Et de quoi s\u2019agissait-il ? demanda Much. \u2013 176 \u2013 \n\u2013 Voici. Un matin Robin Hood se disposait \u00e0 aller rendre une \nvisite \u00e0 Halbert Lindsay et \u00e0 sa jolie petite femme, lorsque je lui \nfis observer qu\u2019il y avait du danger pour lui \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer ouverte-\nment dans la ville. Apr\u00e8s ce qui s\u2019\u00e9tait pass\u00e9 avec le sh\u00e9rif \u00e0 pro-pos de la vente imaginaire des bestiaux, nous avions fort \u00e0 redou-ter une s\u00e9rieuse vengeance. Robin Hood se moqua de mes crain-tes et me r\u00e9pondit que pour mieux tromper son monde, il fallait \nse d\u00e9guiser en Normand. Il rev\u00eatit \u00e0 cet effet un magnifique cos-\nt u m e d e c h e v a l i e r , a l l a v o i r H a l b e r t e t d e l a m a i s o n d u j e u n e garde, il se rendit \u00e0 l\u2019auberge du sh\u00e9rif. L\u00e0 il fit grande d\u00e9pense, complimenta la femme de son h\u00f4te sur sa gracieuse beaut\u00e9, causa avec le sh\u00e9rif qui le comblait de pr\u00e9venances, puis, quelques mi-\nnutes avant de quitter la maison, il emmena le sh\u00e9rif \u00e0 l\u2019\u00e9cart et \nlui dit en riant : \n \n\u00bb \u2013 Mille fois merci, mon cher h\u00f4te, pour l\u2019accueil plein de \ncourtoisie que vous avez daign\u00e9 faire \u00e0 Robin Hood. \n \u00bb Le sh\u00e9rif n\u2019\u00e9tait pas encore revenu de la stupeur dans la-\nquelle l\u2019avaient jet\u00e9 les paroles de Robin que celui-ci avait dispa-ru. \u00bb \n \u2013 Tr\u00e8s bien ! dit William ; mais cette nouvelle preuve de \nl\u2019habilet\u00e9 de Robin ne nous apprend pas de quelle mani\u00e8re vous vous \u00eates d\u00e9guis\u00e9, Petit-Jean. \n \u2013 J\u2019ai pris le costume d\u2019un mendiant. \n\u2013 Dans quelle circonstance ? \n \u2013 Pour ob\u00e9ir, comme je viens de vous le dire, \u00e0 un ordre de \nRobin. Robin voulait mettre mon habilet\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9preuve ; il d\u00e9sirait savoir si j\u2019\u00e9tais capable de seconder son admirable adresse. Le choix du d\u00e9guisement me fut laiss\u00e9 et, ayant appris la mort d\u2019un \nriche Normand dont les propri\u00e9t\u00e9s avoisinaient la ville de Not-\ntingham, je r\u00e9solus de me m\u00eale r aux pauvres qui devaient escor-\nter son convoi mortuaire. J\u2019avais sur la t\u00eate un vieux chapeau or-\u2013 177 \u2013 n\u00e9 de coquilles, un \u00e9norme b\u00e2ton, l\u2019habit d\u2019un p\u00e8lerin, un sac \npour y renfermer mes provisions de bouche et une petite bourse destin\u00e9e \u00e0 recevoir les aum\u00f4nes en argent. Mes v\u00eatements avaient \nun ext\u00e9rieur mis\u00e9rable et je ressemblais si bien \u00e0 un v\u00e9ritable \npauvre que nos gais compagnons furent tent\u00e9s de me faire l\u2019aum\u00f4ne. \n \u00bb \u00c0 un mille environ de notre re traite, je rencontrai plusieurs \nmendiants ; comme moi ils se dirigeaient vers le ch\u00e2teau du d\u00e9-funt. L\u2019un de ces coquins paraissait \u00eatre aveugle, le second boitait douloureusement ; les deux derniers n\u2019avaient d\u2019autre signe dis-tinctif que de mis\u00e9rables haillons. \n \u00bb \u2013 Voil\u00e0, me dis-je en les consid\u00e9rant du coin de l\u2019\u0153il, des \ngaillards qui peuvent me servir de mod\u00e8le ; je vais les accoster et \nfaire en sorte de m\u2019instruire \u00e0 leur \u00e9cole. Bonjour, mes fr\u00e8res, \nm\u2019\u00e9criai-je d\u2019un air gracieux ; je suis enchant\u00e9 du hasard qui nous rapproche. Quel chemin suivez-vous ? \n \u00bb \u2013 Nous suivons la route, r\u00e9pondit s\u00e8chement le gars auquel \nje m\u2019\u00e9tais particuli\u00e8rement adress\u00e9. \n \u00bb Les compagnons du dr\u00f4le me tois\u00e8rent de la t\u00eate aux pieds \net leur figure exprima un \u00e9tonnement craintif. \n \u00bb \u2013 Ne prendrait-on pas ce gai llard-l\u00e0 pour la tourelle de \nl\u2019abbaye de Linton ? dit un des pauvres en se reculant. \n \u00bb \u2013 On peut me prendre sans crainte de se tromper pour un \nhomme qui n\u2019a peur de rien, r\u00e9pondis-je d\u2019un ton de menace. \n \u00bb \u2013 Allons, allons, la paix ! grommela un mendiant. \u00bb \u2013 La paix, soit, repris-je ; mais qu\u2019y a-t-il donc \u00e0 gruger au \nbout de la route, que je vois surgir de toute part notre sainte confr\u00e9rie des haillons ? Pourquoi donc les cloches de l\u2019abbaye de Linton tintent-elles d\u2019une fa\u00e7on si lamentable ? \n \u2013 178 \u2013 \u00bb \u2013 Parce qu\u2019un Normand vient de mourir. \n \u00bb \u2013 Vous allez donc \u00e0 son enterrement ? \n \n\u00bb \u2013 Nous allons prendre notr e part des largesses que l\u2019on \ndistribue aux pauvres diables comme nous \u00e0 l\u2019occasion des fun\u00e9-\nrailles : vous \u00eates libre de nous accompagner. \n \n\u00bb \u2013 Je le crois bien et je ne vous remercie pas de la permis-\nsion, r\u00e9pondis-je d\u2019un ton moqueur. \n \n\u00bb \u2013 Grand manche \u00e0 balai crasseux ! s\u2019\u00e9cria le plus valide des \nmendiants, nous ne sommes pas dispos\u00e9s, puisqu\u2019il en est ainsi, \u00e0 supporter plus longtemps ta sott e compagnie. Tu ressembles \u00e0 un \nv\u00e9ritable coquin et ta pr\u00e9sence nous est d\u00e9sagr\u00e9able. Va-t\u2019en et \nre\u00e7ois en guise de compliment cette f\u00ealure sur la t\u00eate. \n \n\u00bb En achevant ces mots, le grand gueux m\u2019allongea sur le \ncr\u00e2ne un coup \u00e9pouvantable. \n \u00bb Cette agression inattendue me mit en fureur, continua Pe-\ntit-Jean. Je tombai sur le bandit et, d\u2019un tour de main, je lui ad-ministrai une vol\u00e9e de coups. \n \u00bb Le mis\u00e9rable devint bient\u00f4t impuissant \u00e0 se d\u00e9fendre et \ndemanda gr\u00e2ce. \n \u00bb \u2013 \u00c0 vous maintenant, chiens maudits ! m\u2019\u00e9criai-je en me-\nna\u00e7ant de mon b\u00e2ton les autres m\u00e9cr\u00e9ants. Vous auriez ri, je vous \nassure, mes bons amis, de voir l\u2019av eugle ouvrir les yeux et suivre \nmes mouvements avec \u00e9pouvante, le boiteux courir \u00e0 toutes jam-\nbes vers le bois. J\u2019imposai silence aux braillards, car ils criaient \u00e0 \nm\u2019assourdir et je fis m\u00e9thodiquement retentir mon b\u00e2ton sur leurs fortes \u00e9paules. Une besace d\u00e9chir\u00e9e par mes coups laissa \u00e9chapper quelques pi\u00e8ces d\u2019or ; le coquin auquel appartenaient \nles \u00e9cus se jeta \u00e0 deux genoux devant son tr\u00e9sor ; il esp\u00e9rait sans doute le d\u00e9rober \u00e0 mes regards. \n \u2013 179 \u2013 \u00bb \u2013 Oh ! Oh ! m\u2019\u00e9criai-je, voil\u00e0 qui change la face des choses, \nmis\u00e9rables gueux, ou pour mieux dire, voleurs que vous \u00eates. \nVous allez me donner \u00e0 l\u2019instant m\u00eame et jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re \nobole l\u2019argent que vous poss\u00e9dez, sinon je vous r\u00e9duis tous les \ntrois en compote. Les l\u00e2ches me demand\u00e8rent gr\u00e2ce une fois en-\ncore et comme mon bras commen\u00e7a it \u00e0 se fatiguer de frapper \nsans rel\u00e2che, je me montrai g\u00e9n\u00e9reux. \n \n\u00bb Lorsque j\u2019abandonnai les mendiants, les poches remplies \nde leurs d\u00e9pouilles, ils pouvaient \u00e0 peine se tenir debout. \n \n\u00bb Je repris bien vite, enchant\u00e9 de mes prouesses, car il y a \njustice \u00e0 d\u00e9valiser les voleurs, le chemin de la for\u00eat. \n \u00bb Robin Hood, entour\u00e9 de sa band e joyeuse, s\u2019exer\u00e7ait au tir \nde l\u2019arc. \n \n\u00bb \u2013 Eh quoi ! Petit-Jean, s\u2019\u00e9cria-t-il en me voyant para\u00eetre, \nvous voil\u00e0 de retour ? N\u2019avez-vou s pas eu le courage de jouer jus-\nqu\u2019au bout votre r\u00f4le de fr\u00e8re mendiant ? \n \u00bb \u2013 Pardonnez-moi, cher Robin, j\u2019ai rempli mon devoir et ma \nqu\u00eate a \u00e9t\u00e9 productive. Je rapporte six cents \u00e9cus d\u2019or. \n \u00bb \u2013 Six cents \u00e9cus d\u2019or ! s\u2019\u00e9cria- t-il ; vous avez donc d\u00e9valis\u00e9 \nun prince de l\u2019\u00c9glise ? \n \u00bb \u2013 Non, capitaine, j\u2019ai r\u00e9colt\u00e9 cette somme parmi les mem-\nbres de la tribu des mendiants. \n \u00bb Robin Hood prit un air grave. \u00bb \u2013 Expliquez-vous, Jean, me dit-il ; je ne puis croire que \nvous ayez d\u00e9pouill\u00e9 de pauvres gens. \n \u00bb Je racontai l\u2019aventure \u00e0 Robin, en lui faisant observer que \ndes mendiants cousus d\u2019or ne pouvaient \u00eatre que des voleurs de profession. \u2013 180 \u2013 \n\u00bb Robin fut de mon avis et son visage reprit aussit\u00f4t une ex-\npression souriante. \u00bb \n \n\u2013 La journ\u00e9e avait \u00e9t\u00e9 bonne, dit Much en riant, six cents \n\u00e9cus d\u2019or d\u2019un seul coup de filet ! \n \u2013 Le soir m\u00eame, reprit Jean, Je distribuai aux pauvres des \nenvirons de Sherwood la moiti\u00e9 de mon butin. \n \u2013 Brave Jean ! dit Will en se rrant la main du jeune homme. \n \u2013 G\u00e9n\u00e9reux Robin ! voulez-vous dire, William ; car, en agis-\nsant ainsi, je ne faisais qu\u2019ob\u00e9ir aux ordres de mon chef. \n \u2013 Nous voici arriv\u00e9s \u00e0 Barnsdal e, dit Much ; la route ne m\u2019a \npas sembl\u00e9 longue. \n \n\u2013 Je dirai cela \u00e0 ma s\u0153ur, cria Will en riant. \u2013 Et moi j\u2019ajouterai, r\u00e9pondit Much, que je n\u2019ai cess\u00e9 un seul \ninstant de penser \u00e0 elle. \u2013 181 \u2013 VII \n \nSept jours s\u2019\u00e9taient d\u00e9j\u00e0 \u00e9coul\u00e9s depuis que William, Much et \nPetit-Jean habitaient le ch\u00e2teau de Barnsdale, et l\u2019heureuse mai-\nson se mettait en f\u00eate pour c\u00e9l\u00e9br er le mariage de Winifred et de \nBarbara. Sous les ordres de Will \u00c9c arlate, le parc et les jardins du \nch\u00e2teau avaient \u00e9t\u00e9 transform\u00e9s en ar\u00e8nes et en salle de bal ; car \nl\u2019aimable jeune homme veillait av ec une constante attention au \nbien-\u00eatre de tout le monde en g\u00e9 n\u00e9ral, au bonheur de chacun en \nparticulier. Infatigable dans ses efforts, il mettait la main \u00e0 tout, \ns\u2019occupait de tout, et remplissait la maison de son amusante gaie-t\u00e9. \n En travaillant ainsi, il causait, il riait, interpellant Robin, ta-\nquinant Much. Tout \u00e0 coup une id\u00e9e folle traversa l\u2019esprit de Will \n\u00c9carlate, et il se mit \u00e0 rire aux \u00e9clats. \n \n\u2013 Qu\u2019avez-vous donc, William ? demanda Robin. \u2013 Mon cher ami, je vous donne \u00e0 deviner la cause de mon hi-\nlarit\u00e9, r\u00e9pondit Will et je parie que vous n\u2019y parviendrez pas. \n \u2013 Cette cause doit \u00eatre fort divertissante, puisqu\u2019elle vous \namuse au point d\u2019en rire tout seul. \n \u2013 Fort divertissante, en effet. Vous connaissez mes six fr\u00e8res, \nn\u2019est-ce pas ? Ils sont tous b\u00e2tis \u00e0 peu pr\u00e8s sur le m\u00eame mod\u00e8le : blonds comme les bl\u00e9s, doux, tranquilles, braves et honn\u00eates. \n \u2013 O\u00f9 voulez-vous en venir, William ? \n \n\u2013 \u00c0 ceci : ces bons gar\u00e7ons ne connaissent pas l\u2019amour. \u2013 Eh bien ? demanda Robin en souriant. \u2013 182 \u2013 \n\u2013 Eh bien, reprit Will \u00c9carlate, il m\u2019est venu une id\u00e9e qui \npourra nous procurer infiniment de plaisir. \n \n\u2013 Quelle id\u00e9e ? \u2013 J e p o s s \u00e8 d e , c o m m e v o u s l e s a v e z , u n e t r \u00e8 s g r a n d e i n -\nfluence sur mes fr\u00e8res ; je vais leur persuader aujourd\u2019hui m\u00eame \nqu\u2019ils doivent tous se marier. \u2013 Ro bin se mit \u00e0 rire. \u2013 Je vais les \nrassembler dans un coin de la cour, reprit Will et je leur mettrai en t\u00eate la fantaisie de prendre femme le m\u00eame jour que Much et Petit-Jean. \n \u2013 La chose est impossible \u00e0 faire, mon cher Will, r\u00e9pondit \nRobin ; vos fr\u00e8res sont d\u2019un naturel trop paisible et trop flegmati-que pour s\u2019enflammer \u00e0 vos paroles ; d\u2019ailleurs ils ne sont, que je \nsache, amoureux de personne. \n \n\u2013 Tant mieux, ils seront oblig\u00e9s de faire leur cour aux jeunes \namies de mes s\u0153urs et ce sera un spectacle des plus r\u00e9jouissants. \nImaginez-vous un peu la mise de Gr \u00e9goire le rang\u00e9, le lourd, le \nbon gar\u00e7on, de Gr\u00e9goire cherchant \u00e0 plaire \u00e0 une femme. Venez avec moi, Robin, car il n\u2019y a pas de temps \u00e0 perdre, nous n\u2019avons que trois jours \u00e0 leur donner pour faire un choix. Je vais donc r\u00e9-unir mes fr\u00e8res et leur adresser d\u2019une voix grave une paternelle harangue. \n \u2013 Le mariage est un acte s\u00e9rieux, Will, et il ne faut pas le trai-\nter l\u00e9g\u00e8rement. Si, persuad\u00e9s par votre \u00e9loquence, vos fr\u00e8res \nconsentent \u00e0 se marier, et que pl us tard ils se trouvent malheu-\nreux d\u2019un choix irr\u00e9fl\u00e9chi, n\u2019aure z-vous pas \u00e0 regretter vivement \nd\u2019avoir contribu\u00e9 au chagrin de toute leur vie ? \n \n\u2013 Soyez tranquille \u00e0 cet \u00e9gard-l\u00e0, Robin. Je me fais fort de \ntrouver pour mes fr\u00e8res des jeunes filles dignes dans le pr\u00e9sent \na u s s i b i e n q u e d a n s l \u2019 a v e n i r d u p l u s t e n d r e a m o u r . J e c o n n a i s d\u2019abord une jolie petite personne qui aime passionn\u00e9ment mon fr\u00e8re Herbert. \u2013 183 \u2013 \n\u2013 Cela ne suffit pas, Will. Cette jeune personne est-elle digne \nd\u2019appeler mes s\u0153urs Winifred et Barbara ? \n \n\u2013 Sans aucun doute, et de plus je suis certain qu\u2019elle fera une \nexcellente femme. \n \u2013 Herbert a-t-il d\u00e9j\u00e0 vu cette demoiselle ? \n \n\u2013 Certainement : mais le pauvre et na\u00eff gar\u00e7on ne s\u2019imagine \npas le moins du monde qu\u2019il puisse \u00eatre l\u2019objet d\u2019une pr\u00e9f\u00e9rence quelconque. \u00c0 diff\u00e9rentes reprises j\u2019ai essay\u00e9 de lui faire aperce-voir qu\u2019il \u00e9tait toujours le bienvenu dans la maison de miss Anna Maydow. Peine inutile. Herbert ne me comprenait pas ; il est si \njeune malgr\u00e9 ses vingt-neuf ans ! Maintenant que la part de celui-\nl\u00e0 est faite, passons \u00e0 un autre. Je suis li\u00e9 d\u2019amiti\u00e9 avec une char-\nmante demoiselle qui, sous tous les rapports, conviendrait parfai-tement \u00e0 Egbert ; ensuite Maude m\u2019a parl\u00e9 hier d\u2019une jeune fille du voisinage qui trouve Harold fort joli gar\u00e7on. Ainsi, vous le voyez, Robin, nous avons d\u00e9j\u00e0 un e p a r t i e d e c e q u \u2019 i l n o u s f a u t \npour r\u00e9aliser mon projet. \n \u2013 Malheureusement, cela ne su ffit pas, Will, puisque vous \navez six fr\u00e8res \u00e0 marier. \n \u2013 Ne vous inqui\u00e9tez pas, je va is me mettre en qu\u00eate et je \ntrouverai encore trois jeunes filles. \n \u2013 Tr\u00e8s bien. Mais lorsque vous aurez trouv\u00e9 ces demoiselles, \npensez-vous que vos fr\u00e8res leur conviendront, \u00e0 elles ? \n \u2013 J\u2019en suis s\u00fbr ; mes fr\u00e8res sont jeunes, robustes, leur figure \nest agr\u00e9able, ils me ressemblent au physique, ajouta Will avec une nuance de fatuit\u00e9 dans la voix et, s\u2019ils ne sont pas aussi s\u00e9duisants \nque vous, Robin, s\u2019ils n\u2019ont pas un caract\u00e8re pr\u00e9cis\u00e9ment aimable \net enjou\u00e9, en revanche ils n\u2019ont ri en dans leur ext\u00e9rieur qui puisse \noffusquer les regards d\u2019une fille sage et raisonnable, d\u2019une fille qui \ncherche un bon mari. Voil\u00e0 Herbert, dit Will en tournant la t\u00eate \u2013 184 \u2013 vers un jeune homme qui traversait une all\u00e9e du jardin ; je vais \nl\u2019appeler, Herbert, viens ici, mon gar\u00e7on ! \n \n\u2013 Que d\u00e9sires-tu, Will ? demanda le jeune homme en \ns\u2019approchant. \n \n\u2013 Je d\u00e9sire causer avec toi, mon ami. \n\u2013 Je t\u2019\u00e9coute, Will. \n \u2013 Ce que j\u2019ai \u00e0 te dire concerne aussi nos fr\u00e8res, va les cher-\ncher. \n \u2013 J\u2019y cours. Pendant les quelques instants que dura l\u2019absence \nd\u2019Herbert, Will resta pensif. \n \nLes jeunes gens accoururent \u00e0 son appel, le front riant et le \nsourire aux l\u00e8vres. \n \u2013 Nous voici, William, dit l\u2019a\u00een\u00e9 d\u2019une voix joyeuse ; \u00e0 quelle \ncause devons-nous attribuer ton d\u00e9 sir de nous r\u00e9unir autour de \ntoi ? \n \u2013 \u00c0 une cause grave, mes chers fr\u00e8res : voulez-vous me per-\nmettre d\u2019abord de vous adresser une question ? Les jeunes gens firent un signe affirmatif. \n \u2013 Vous aimez tendrement notre p\u00e8re, n\u2019est-ce pas ? \n\u2013 Qui oserait douter de notre amour pour lui ? demanda \nGr\u00e9goire. \n \n\u2013 Personne ; cette question n\u2019est qu\u2019un point de d\u00e9part. \nDonc, vous aimez tendrement notre p\u00e8re, vous avez trouv\u00e9 que le digne vieillard s\u2019\u00e9tait toujours conduit en homme d\u2019honneur, en v\u00e9ritable Saxon ? \n \u2013 185 \u2013 \u2013 Certainement, s\u2019\u00e9cria Egbert ; mais au nom du ciel, Will, \nque signifient vos paroles ? quelqu \u2019un a-t-il calomni\u00e9 le nom de \nnotre p\u00e8re ? D\u00e9signez-moi le mis\u00e9rable et je me charge de venger \nl\u2019honneur des Gamwell. \n \n\u2013 L\u2019honneur des Gamwell est intact, chers fr\u00e8res, et s\u2019il e\u00fbt \n\u00e9t\u00e9 souill\u00e9 par le mensonge, la tach e serait d\u00e9j\u00e0 lav\u00e9e dans le sang \ndu calomniateur. Je veux vous parler d\u2019une chose moins grave, et \ncependant s\u00e9rieuse ; seulement, il ne faut pas m\u2019interrompre si \nv o u s v o u l e z e n t e n d r e a v a n t l a f i n d u j o u r l e d e r n i e r m o t d e m a \nharangue. Approuvez ou d\u00e9sapprouv ez mes paroles par des signes \nde t\u00eate ; attention, je recommence. La conduite de notre p\u00e8re est celle d\u2019un honn\u00eate homme ; elle doit nous servir de guide et de mod\u00e8le. \n \u2013 Oui, r\u00e9pondirent six t\u00eates blondes en s\u2019inclinant d\u2019un com-\nmun accord. \n \n\u2013 Notre m\u00e8re a suivi le m\u00eame chemin, reprit Will ; son exis-\ntence a \u00e9t\u00e9 l\u2019accomplissement de tous les devoirs, l\u2019exemple de toutes les vertus ? \n \u2013 Oui, oui. \u2013 Notre cher p\u00e8re et notre tendre m\u00e8re se sont aim\u00e9s, ils ont \nv\u00e9cu ensemble, ils ont fait mutu ellement le bonheur l\u2019un de \nl\u2019autre. Si notre p\u00e8re ne s\u2019\u00e9tait pas mari\u00e9, nous n\u2019existerions pas et par cons\u00e9quent le bonheur de vivre nous serait inconnu. Est-ce clair, cela ? \n \u2013 Oui, oui. \u2013 Eh bien ! mes gar\u00e7ons, nous devons \u00eatre reconnaissants \u00e0 \nnotre p\u00e8re et \u00e0 notre m\u00e8re de s\u2019\u00eatre mari\u00e9s, de nous avoir mis au monde et d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 la cause de notre existence ? \n \u2013 Oui, oui. \u2013 186 \u2013 \u2013 Comment se fait-il alors que vous restiez aveugles devant \nle tableau d\u2019un si grand bonheur ? comment se fait-il que vous \nvous montriez ingrats envers la Providence ? comment se fait-il \nque vous refusiez de donner \u00e0 no s parents un t\u00e9moignage de res-\npect, de tendresse et de gratitude ? \n \nLes jeunes auditeurs de Will ouvrirent de grands yeux \u00e9ton-\nn\u00e9s ; ils ne comprenaient rien aux paroles de leur fr\u00e8re. \n \u2013 Que veux-tu dire, William ? demanda Gr\u00e9goire. \u2013 Je veux dire, messieurs que, \u00e0 l\u2019exemple de notre p\u00e8re, \nvous devez vous marier et par cet acte faire preuve de votre admi-\nration pour la conduite de notre p\u00e8re, qui s\u2019est mari\u00e9, lui. \n \u2013 \u00d4 mon Dieu ! s\u2019\u00e9cri\u00e8rent les jeunes gens d\u2019un air peu satis-\nfait. \n \n\u2013 Le mariage, c\u2019est le bonheur, reprit Will ; songez combien \nvous serez heureux lorsque vous aurez une ch\u00e8re petite cr\u00e9ature suspendue \u00e0 votre bras comme l\u2019es t une fleur \u00e0 un vigoureux ar-\nbrisseau, une ch\u00e8re petite cr\u00e9ature qui vous aimera, qui pensera \u00e0 vous et dont vous serez toute la joie. Regardez autour de vous, coquins, et vous verrez les doux fruits du mariage. D\u2019abord, Maude et moi, que vous enviez, j\u2019 en suis certain, lorsque nous \njouons tous les deux avec notre cher petit enfant. Puis Robin et \nMarianne. Songez \u00e0 Petit-Jean et imitez l\u2019exemple de ce digne \ngar\u00e7on. Voulez-vous encore des pr euves du bonheur que le ciel \nr\u00e9pand sur les jeunes \u00e9poux ? A llez rendre une visite \u00e0 Halbert \nLindsay et \u00e0 sa jolie Gr\u00e2ce ; descendez dans la vall\u00e9e de Mansfeld et vous y trouverez Allan Clare et lady Christabel. Vous \u00eates \nd\u2019affreux \u00e9go\u00efstes de n\u2019avoir jamais eu la pens\u00e9e qu\u2019il \u00e9tait en vo-\ntre pouvoir de rendre une femme heureuse. Ne secouez pas la t\u00eate, vous ne persuaderez jamais \u00e0 personne que vous \u00eates de \nbons et g\u00e9n\u00e9reux gar\u00e7ons. Je rougis pour vous de la s\u00e9cheresse de \nvotre \u00e2me et je suis navr\u00e9 d\u2019entendre dire partout : \u00ab Les fils du vieux baronnet sont de mauvais c\u0153u rs. \u00bb J\u2019ai r\u00e9solu de mettre fin \u2013 187 \u2013 \u00e0 cet \u00e9tat de choses et je veux, te nez-vous-en pour avertis, je veux \nvous marier. \n \n\u2013 Vraiment ! dit Rupert d\u2019un ton de r\u00e9volte. Eh bien ! moi je \nne veux pas de femme. Le mariag e est peut-\u00eatre une chose fort \nagr\u00e9able, mais cela m\u2019importe peu dans ce moment-ci. \n \n\u2013 Tu ne veux pas de femme ? r\u00e9pondit Will ; c\u2019est possible, \nmais tu en prendras une, car je connais une jeune fille qui te fera \nrevenir sur cette d\u00e9cision. \u2013 Rupert secoua la t\u00eate. \u2013 Voyons, nous sommes en famille, dis-moi la v\u00e9rit\u00e9 ; aimes-tu une femme plus particuli\u00e8rement que les autres ? \n \u2013 Oui, r\u00e9pondit le jeune homme d\u2019un ton grave. \u2013 Bravo ! s\u2019\u00e9cria Will tout surpris d\u2019une confidence aussi \ninattendue, car Rupert fuyait la soci\u00e9t\u00e9 des jeunes demoiselles. \nQui est-elle ? dis-nous le nom. \n \u2013 C\u2019est ma m\u00e8re, dit le na\u00eff gar\u00e7on. \u2013 Ta m\u00e8re ! r\u00e9p\u00e9ta Will d\u2019un ton quelque peu moqueur ; tu \nne m\u2019apprends rien de nouveau. Je sais depuis longtemps que tu \naimes, que tu v\u00e9n\u00e8res, que tu resp ectes notre m\u00e8re. Je ne te parle \npas de l\u2019affection filiale dont on entoure ses parents ; je te parle de tout autre chose, de l\u2019amour. L\u2019amour est un sentiment qui\u2026 \nune tendresse que\u2026 enfin une sensation qui fait bondir le c\u0153ur vers une jeune femme. On peut en m\u00eame temps adorer sa m\u00e8re et ch\u00e9rir une charmante fille. \n \u2013 Je ne veux pas me marier non plus, dit Gr\u00e9goire. \u2013 Tu crois donc avoir une volont\u00e9, mon gar\u00e7on ? reprit Will ; \ntu verras tout \u00e0 l\u2019heure que tu es dans l\u2019erreur. Voyons, peux-tu me dire pour quelle raison tu refuses de te marier ? \n \u2013 Non, murmura craintivement Gr\u00e9goire. \u2013 188 \u2013 \u2013 Veux-tu vivre pour toi-m\u00eame ? \u2013 Gr\u00e9goire garda le silence. \n\u2013 Auras-tu l\u2019audace de me r\u00e9pond re, s\u2019\u00e9cria Will en affectant un \nair indign\u00e9, que tu partages l\u2019op inion des coquins qui d\u00e9daignent \nla compagnie d\u2019une femme ? \n \n\u2013 Je ne dis pas cela, et je le pense moins encore ; mais\u2026 \u2013 Il n\u2019y a pas de mais qui tie nne devant des raisons aussi p\u00e9-\nremptoires que celles que je vous donne \u00e0 tous. Ainsi, pr\u00e9parez-\nvous \u00e0 entrer en m\u00e9nage, mes gar\u00e7ons, car vous serez mari\u00e9s \u00e0 la m\u00eame heure que Winifred et Barbara. \n \u2013 Comment, s\u2019\u00e9cria Egbert, dans trois jours ! Tu es fou, Will, \nnous n\u2019aurons pas le temps de trouver des femmes. \n \u2013 Confiez-moi ce soin, je me charge de vous satisfaire mieux \nencore que votre naturelle modestie n\u2019ose l\u2019esp\u00e9rer. \n \n\u2013 Quant \u00e0 moi, je refuse positivement d\u2019engager ma libert\u00e9, \ndit Gr\u00e9goire. \n \u2013 Je ne pensais pas trouver tant d\u2019\u00e9go\u00efsme dans le fils de ma \nm\u00e8re, dit William d\u2019un ton bless\u00e9. Le pauvre Gr\u00e9goire rougit. \n \u2013 Voyons, Gr\u00e9goire, dit Rupert, laisse Will agir comme il \nl\u2019entend ; il ne veut que notre bonheur apr\u00e8s tout et, s\u2019il a la bont\u00e9 de me chercher une femme, je la prendrai pour mienne. Tu sais \nbien, fr\u00e8re, que la r\u00e9sistance est inutile, William a toujours dispo-s\u00e9 de nous suivant son caprice. \n \u2013 Puisque Will veut absolument nous marier, ajouta St\u00e9-\nphen, j\u2019aime autant \u00e9pouser ma fu ture dans trois jours que dans \nsix mois. \n \u2013 Je partage l\u2019avis de St\u00e9phen, dit le timide Harold. \u2013 Moi, je c\u00e8de \u00e0 la force, ajouta Gr\u00e9goire ; car Will est un vrai \ndiable ; il parviendrait t\u00f4t ou tard \u00e0 me prendre dans ses filets. \u2013 189 \u2013 \n\u2013 Tu me remercieras bient\u00f4t d\u2019 avoir mis en d\u00e9route tes faus-\nses all\u00e9gations et ton bonh eur sera ma r\u00e9compense. \n \n\u2013 Je me marie pour t\u2019obliger, Will, dit encore Gr\u00e9goire ; mais \nj\u2019esp\u00e8re cependant que, afin de m\u2019obliger \u00e0 mon tour, tu me don-\nneras une jolie petite fille. \n \n\u2013 Je vous pr\u00e9senterai tous \u00e0 de jeunes et charmantes demoi-\nselles et, si vous ne les trouvez pas adorables, vous pourrez dire \npartout que Will \u00c9carlate ne se conna\u00eet pas en jolis visages. \n \n\u2013 Je puis t\u2019\u00e9pargner la peine de courir pour moi, dit Herbert, \nma femme est d\u00e9j\u00e0 trouv\u00e9e. \n \u2013 Ah ! ah ! s\u2019\u00e9cria Will en rian t, vous allez voir, Robin, que \nmes gaillards sont pourvus et que leur apparente r\u00e9pulsion pour \nle mariage \u00e9tait un aimable jeu. Comment s\u2019appelle la bien-aim\u00e9e, \nHerbert ? \n \u2013 Anna Maydow. Il est conven u entre nous que notre ma-\nriage aura lieu en m\u00eame temps que celui de mes s\u0153urs. \n \u2013 Rus\u00e9 coquin ! dit Will en donna nt \u00e0 son fr\u00e8re un l\u00e9ger coup \nsur l\u2019\u00e9paule ; je t\u2019ai parl\u00e9 avant-hier de cette jeune fille et tu ne m\u2019as rien dit. \n \u2013 J\u2019ai obtenu ce matin seulem ent une r\u00e9ponse satisfaisante \nde ma ch\u00e8re Anna. \n \u2013 Tr\u00e8s bien ; mais lorsque j\u2019ai fait allusion \u00e0 son amour pour \ntoi, tu ne m\u2019as pas r\u00e9pondu. \n \u2013 Je n\u2019avais rien \u00e0 te r\u00e9pondre. Tu me disais : \u00ab Miss Anna \nest tr\u00e8s jolie, elle poss\u00e8de un ch armant caract\u00e8re, elle fera une \nexcellente femme. \u00bb Comme je sais tout cela depuis longtemps, tes r\u00e9flexions \u00e9taient l\u2019\u00e9cho des miennes. Tu as encore ajout\u00e9 : \n\u00ab Miss Anna t\u2019aime beaucoup. \u00bb Je le crois, tu le pensais, nous \u2013 190 \u2013 \u00e9tions aussi bien instruits l\u2019un que l\u2019autre et par cons\u00e9quent je \nn\u2019avais rien \u00e0 t\u2019apprendre. \n \n\u2013 Parfaitement r\u00e9pondu, discret Herbert, et je vois, d\u2019apr\u00e8s \nle silence de nos fr\u00e8res, que seul tu es digne de mon estime. \n \n\u2013 J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 pris la r\u00e9soluti on de me marier, dit Harold ; \nMaude m\u2019en avait inspir\u00e9 le d\u00e9sir. \n \u2013 Maude a-t-elle choisi une fe mme pour toi ? demanda Will \nen riant. \n \u2013 Oui, mon fr\u00e8re ; Maude m\u2019a dit qu\u2019il \u00e9tait tr\u00e8s agr\u00e9able de \nvivre avec une charmante petite fe mme et je suis un peu de son \navis. \n \n\u2013 Hourra ! cria Will au comble de l\u2019enchantement. Mes chers \nfr\u00e8res, consentez-vous de plein gr\u00e9 et la main sur le c\u0153ur \u00e0 vous \nmarier le m\u00eame jour que Winifred et Barbara ? \n \u2013 Nous consentons, dirent deux voix \u00e9nergiquement accen-\ntu\u00e9es. \n \u2013 Nous consentons, murmur\u00e8rent les jeunes gens qui \nn\u2019avaient point de femme en perspective. \n \u2013 Hourra pour le mariage ! cr ia encore Will en jetant son \nbonnet en l\u2019air. \n \n\u2013 Hourra ! r\u00e9p\u00e9t\u00e8rent d\u2019un m\u00eame accord les six voix r\u00e9unies. \n \u2013 Will, dit Egbert, songeons \u00e0 nos futures ; il faut te h\u00e2ter de \nnous pr\u00e9senter \u00e0 elles, car elles vo udront causer un peu avec nous \navant de nous \u00e9pouser. \n \u2013 C\u2019est probable ! venez tous avec moi ; j\u2019ai une gentille de-\nmoiselle pour Egbert et je crois conna\u00eetre trois jeunes filles qui conviendront parfaitement \u00e0 Gr\u00e9goire, \u00e0 Rupert et \u00e0 St\u00e9phen. \u2013 191 \u2013 \n\u2013 Mon bon Will, dit Rupert, je d\u00e9sire une jeune fille blonde \net mince ; je ne veux pas \u00e9pouser une personne trop forte de \ntaille. \n \n\u2013 Je connais tes go\u00fbts romantiques et je te traite en cons\u00e9-\nquence ; ta fianc\u00e9e est fr\u00eale comme un roseau et jolie comme un ange. Venez, mes gar\u00e7ons, je vous pr\u00e9senterai les uns apr\u00e8s les \nautres ; vous ferez votre cour et si vous ne savez comment il faut \ns\u2019y prendre pour plaire \u00e0 une femme, je vous donnerai des conseils, mieux que cela encore, je vous remplacerai aupr\u00e8s de \nvotre belle. \n \u2013 Il est bien dommage que tu ne puisses pas \u00e9pouser nos fu-\ntures femmes, ami Will, l\u2019affaire marcherait infiniment plus vite. \n \nWilliam adressa \u00e0 son fr\u00e8re un geste de menace, prit le bras \nde Gr\u00e9goire et sortit de Barnsdale accompagn\u00e9 de son cort\u00e8ge d\u2019amoureux. \n Les sept fr\u00e8res arriv\u00e8rent bient\u00f4t au village ; l\u00e0 Herbert se \ns\u00e9para de ses compagnons pour aller rendre visite \u00e0 sa bien-aim\u00e9e, Harold disparut quelques instants apr\u00e8s et Will se dirigea, accompagn\u00e9 de ses fr\u00e8res, vers la demeure de la jeune fille qu\u2019il destinait \u00e0 Egbert. \n Miss Lucy ouvrit elle-m\u00eame la porte de sa maison. C\u2019\u00e9tait \nune jeune fille charmante, au visage rose, aux yeux noirs p\u00e9til-lants de malice. Son sourire exprim ait la bont\u00e9 et elle souriait \ntoujours. \n William pr\u00e9senta son fr\u00e8re \u00e0 miss Lucy et lui parla des bon-\nnes qualit\u00e9s d\u2019Egbert ; il se montra si persuasif et si \u00e9loquent que l\u2019aimable fille, du consentement de sa m\u00e8re, permit \u00e0 Will d\u2019esp\u00e9rer que ses d\u00e9sirs seraient accomplis. \n \u2013 192 \u2013 William, enchant\u00e9 de la bienveillance de miss Lucy, laissa \nEgbert continuer en t\u00eate \u00e0 t\u00eate une cour si bien commenc\u00e9e et \ns\u2019\u00e9loigna avec ses fr\u00e8res. \n \n\u00c0 peine les jeunes gens furent-ils hors de la maison que St\u00e9-\nphen dit \u00e0 Will : \n \u2013 Je serais heureux si je pouvais parler avec autant d\u2019esprit, \nd\u2019entrain et de bonne gr\u00e2ce que tu en mets dans ta conversation. \n \u2013 Rien n\u2019est facile comme de parler gracieusement \u00e0 une \nfemme, mon cher ami ; les paroles en elles-m\u00eames importent peu ; il n\u2019est pas indispensable de les fleurir de jolis mots, il suffit seulement de dire des choses vraies et de les dire avec bont\u00e9. \n \u2013 La personne que tu as choisie pour moi est-elle jolie ? \n \u2013 Fais-moi conna\u00eetre tes go\u00fbts, dis-moi le genre de beaut\u00e9 \nque tu aimes. \n \u2013 Oh ! r\u00e9pondit St\u00e9phen, je ne suis pas bien difficile ; une \nfemme qui ressemblerait \u00e0 Maude me conviendrait assez ! \n \u2013 Une femme qui ressemblerait \u00e0 Maude me conviendrait \nassez ! r\u00e9p\u00e9ta Will au comble de la stup\u00e9faction. Mais, en v\u00e9rit\u00e9, mon cher, je le crois bien, et permets-moi de te dire que tu n\u2019es pas modeste dans tes d\u00e9sirs. Par saint Paul ! St\u00e9phen, une femme comme Maude est une chose rare, po ur ne pas dire introuvable. \nSais-tu bien, pauvre ambitieux, qu \u2019il n\u2019existe pas sur la terre une \ncr\u00e9ature comparable \u00e0 ma ch\u00e8re petite femme ! \n \u2013 Tu crois, Will ? \u2013 J\u2019en suis certain, repartit l\u2019\u00e9poux de Maude d\u2019un ton p\u00e9-\nremptoire. \n \u2013 Vraiment, je ne le savais pas ; il faut excuser mon igno-\nrance, Will. Je n\u2019ai point encore voyag\u00e9, r\u00e9pondit na\u00efvement le \u2013 193 \u2013 jeune homme ; mais si tu pouvai s me donner une femme dont la \nbeaut\u00e9 f\u00fbt dans le genre de celle de Maude\u2026 \n \n\u2013 Il n\u2019existe personne au monde qui poss\u00e8de une seule des \nperfections de Maude, r\u00e9pondit William \u00e0 demi irrit\u00e9 du d\u00e9sir de \nson fr\u00e8re. \n \u2013 Eh bien ! alors, Will, donne-moi pour femme celle que tu \nas choisie \u00e0 ton go\u00fbt, repartit St\u00e9phen d\u2019un ton d\u00e9courag\u00e9. \n \u2013 Tu en seras content. Je vais d\u2019abord te dire son nom : elle \ns\u2019appelle Minny Meadoros. \n \u2013 Je la connais, dit St\u00e9phen en souriant : c\u2019est une jeune fille \naux yeux noirs, aux cheveux boucl\u00e9s. Minny avait l\u2019habitude de se moquer de moi ; elle disait que j\u2019avais l\u2019air nigaud et endormi. \nCependant elle me plaisait malgr\u00e9 ses taquineries. Un jour que \nnous \u00e9tions seuls, elle me demand a en riant si jamais de ma vie \nj\u2019avais embrass\u00e9 une jeune fille. \n \n\u2013 Qu\u2019as-tu r\u00e9pondu \u00e0 la question de Minny ? \u2013 Je lui ai r\u00e9pondu que bien certainement j\u2019avais embrass\u00e9 \nmes s\u0153urs. Minny se mit \u00e0 rire aux \u00e9clats et elle me demanda en-core : \u00ab N\u2019avez-vous point embrass\u00e9 d\u2019autres femmes que vos s\u0153urs ? Pardonnez-moi, miss, lui r\u00e9pondis-je, j\u2019ai embrass\u00e9 ma \nm\u00e8re. \u00bb \n \u2013 Ta m\u00e8re, grand nigaud ! Eh bien ! que t\u2019a-t-elle dit apr\u00e8s \navoir entendu cette belle r\u00e9ponse ? \n \u2013 Elle a ri encore plus fort. Puis elle m\u2019a demand\u00e9 si je ne d\u00e9-\nsirais pas embrasser d\u2019autres dames que mes s\u0153urs et ma m\u00e8re. Je lui ai r\u00e9pondu : \u00ab Non, mademoiselle. \u00bb \n \u2013 Grand b\u00eata ! il fallait embrasser Minny : voil\u00e0 la r\u00e9ponse \nque m\u00e9ritaient ses questions. \n \u2013 194 \u2013 \u2013 Je n\u2019y ai m\u00eame pas song\u00e9, repartit tranquillement St\u00e9phen. \n \u2013 Comment vous \u00eates-vous s\u00e9par\u00e9s apr\u00e8s cette aimable \nconversation ? \n \n\u2013 Minny m\u2019a appel\u00e9 imb\u00e9cile ; puis elle s\u2019est sauv\u00e9e en riant \ntoujours. \n \n\u2013 J\u2019approuve tout \u00e0 fait l\u2019\u00e9pith\u00e8te dont tu as \u00e9t\u00e9 qualifi\u00e9 par \nta future femme. Te convient-elle r\u00e9ellement ? \n \n\u2013 Oui. Et que lui dirai-je lorsque nous serons en t\u00eate \u00e0 t\u00eate ? \u2013 Tu lui diras toutes sortes de jolies choses. \u2013 Je comprends. Mais dis-moi, Will, comment faut-il com-\nmencer une jolie phrase ? C\u2019est toujours le premier mot qui est \ndifficile \u00e0 trouver. \n \u2013 Quand tu seras seul avec Minny, tu lui diras que tu d\u00e9sires \nrecevoir quelques le\u00e7ons dans l\u2019ar t d\u2019embrasser les jeunes filles et \ntout en parlant tu l\u2019embrasseras. Ce premier pas franchi, tu ne \nseras pas embarrass\u00e9 pour continuer la marche. \n \u2013 Je n\u2019oserai jamais montrer tant de hardiesse, dit crainti-\nvement St\u00e9phen. \n \u2013 Je n\u2019oserai jamais ! r\u00e9p\u00e9ta Will d\u2019un ton moqueur. Sur \nmon \u00e2me ! St\u00e9phen, si je n\u2019\u00e9tais pas s\u00fbr que tu es un brave et vail-\nlant forestier, je pourrais te prendre pour quelque grande fille habill\u00e9e en homme. \n St\u00e9phen rougit. \u2013 Mais, dit-il en h\u00e9sitant, si la jeune fille se trouvait bless\u00e9e \nde ma mani\u00e8re d\u2019agir ? \n \u2013 195 \u2013 \u2013 Eh bien ! tu l\u2019embrasserais encore et tu lui dirais : \u00ab Char-\nmante miss, adorable Minny, je ne cesserai de vous embrasser \nqu\u2019apr\u00e8s avoir obtenu votre pardon. \u00bb Du reste, retiens bien ceci \net fais en sorte de t\u2019en souvenir \u00e0 l\u2019occasion : une jeune fille ne \nrepousse jamais s\u00e9rieusement un ba iser de celui qu\u2019elle aime. Ah ! \nsi le cavalier lui d\u00e9pla\u00eet, ceci change de th\u00e8se : alors elle se d\u00e9fend \ne t e l l e s e d \u00e9 f e n d s i b i e n q u e l \u2019 o n n e p e u t r e c o m m e n c e r . T u n \u2019 a s pas \u00e0 craindre de la part de Minn y un v\u00e9ritable refus. J\u2019ai appris \nde bonne source que la ch\u00e8re petite fille te voit avec amiti\u00e9. \n St\u00e9phen s\u2019arma de courage et promit \u00e0 William de surmonter \nsa timidit\u00e9. Minny \u00e9tait seule et dans sa maison. \n \u2013 Bonjour, charmante Minny, di t Will en prenant la main \ntendue de la jeune fille, qui rougi ssait en saluant avec gr\u00e2ce ; je \nvous am\u00e8ne mon fr\u00e8re St\u00e9phen, il a quelque chose de tr\u00e8s impor-\ntant \u00e0 vous dire. \n \n\u2013 Lui, s\u2019\u00e9cria la jeune fille ; et que peut-il avoir \u00e0 me dire de \nsi important ? \n \u2013 J\u2019ai \u00e0 vous dire, repartit vivement St\u00e9phen, tout en deve-\nnant p\u00e2le \u00e0 faire peur, que je souhaite prendre quelques le\u00e7ons\u2026 \n \u2013 Chut ! chut ! interrompit Will ; ne va pas si vite, mon gar-\n\u00e7on. Ch\u00e8re Minny, St\u00e9phen vous expliquera tout \u00e0 l\u2019heure ce qu\u2019il d\u00e9sire obtenir de votre bont\u00e9. En attendant, permettez-moi de \nvous annoncer le mariage de mes s\u0153urs. \n \n\u2013 J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 entendu parler des belles f\u00eates qui se pr\u00e9parent au \nch\u00e2teau. \n \n\u2013 J\u2019esp\u00e8re bien, ch\u00e8re Minny, que vous voudrez partager nos \nplaisirs ? \n \u2013 Avec bonheur, Will ; les jeunes filles du village s\u2019occupent \nd\u00e9j\u00e0 de leur toilette, et je me fais une joie extr\u00eame de danser \u00e0 un bal de noces. \u2013 196 \u2013 \n\u2013 Vous am\u00e8nerez votre amoureux, n\u2019est-ce pas, Minny ? \n\u2013 Mais non, mais non, interro mpit St\u00e9phen ; tu oublies, \nWill\u2026 \n \n\u2013 Je n\u2019oublie rien, interrompit Will. Fais-moi le plaisir de \ngarder le silence pendant quelqu es secondes. Vous am\u00e8nerez vo-\ntre amoureux, n\u2019est-ce pas, Minny ? continua le jeune homme en r\u00e9p\u00e9tant sa question. \n \u2013 Je n\u2019ai pas d\u2019amoureux, r\u00e9pondit la jeune fille. \u2013 Est-ce bien vrai, Minny ? demanda Will. \u2013 C\u2019est bien vrai ; je ne connais personne \u00e0 qui je puisse don-\nner le nom de mon amoureux. \n \n\u2013 Si vous le voulez, Minny, je serai votre amoureux, s\u2019\u00e9cria \nSt\u00e9phen en prenant d\u2019une main tremblante les mains de la jeune fille. \n \u2013 Bravo ! St\u00e9phen, dit Will. \u2013 Oui, reprit le jeune homme encourag\u00e9 par l\u2019approbation de \nson fr\u00e8re, oui, Minny, je veux \u00eat re votre amoureux ; je viendrai \nvous chercher le jour de la f\u00eate, et nous nous marierons en m\u00eame temps que mes s\u0153urs. \n \n\u00c9tourdie par cette brusque d\u00e9clar ation, la jeune fille ne sut \nque r\u00e9pondre. \n \n\u2013 \u00c9coutez-moi, ch\u00e8re Minny, di t Will : mon fr\u00e8re vous aime \nd e p u i s l o n g t e m p s , e t l e s i l e n c e qu\u2019il a gard\u00e9 vient, non de son \nc\u0153ur, mais de l\u2019extr\u00eame timidit\u00e9 de son caract\u00e8re. Je vous jure sur mon honneur que St\u00e9phen vous parle avec la sinc\u00e9rit\u00e9 de l\u2019amour. Vous \u00eates libre de tout engagement, St\u00e9phen est un beau \ngar\u00e7on, mieux encore, un bon, un ex cellent gar\u00e7on. Il fera un mari \u2013 197 \u2013 digne de vous. Si votre consentement et celui de votre famille \nnous est accord\u00e9, votre mariage sera c\u00e9l\u00e9br\u00e9 avec celui de mes s\u0153urs. \n \n\u2013 En v\u00e9rit\u00e9, Will, r\u00e9pondit la jeune fille en baissant les yeux \nd\u2019un air confus, j\u2019\u00e9tais si peu pr\u00e9 par\u00e9e \u00e0 votre demande, elle est si \nvive et si inattendue que je ne sais comment y r\u00e9pondre. \n \n\u2013 R\u00e9pondez : j\u2019accepte St\u00e9phen pour mon mari, dit le jeune \nhomme tout \u00e0 fait mis \u00e0 l\u2019aise par les doux regards de la jolie de-\nmoiselle. J\u2019\u00e9prouve une tr\u00e8s grande affection pour vous, Minny, continua-t-il, et je serai le plus heureux des hommes si vous vou-lez bien m\u2019accorder votre main. \n \u2013 Il m\u2019est impossible de r\u00e9pondre aujourd\u2019hui \u00e0 votre hono-\nrable proposition, dit la jeune fi lle en faisant un salut plein de \ngentillesse et d\u2019espi\u00e8glerie \u00e0 son timide amoureux. \n \n\u2013 Je vais vous laisser en t\u00eate \u00e0 t\u00eate, mes bons amis, reprit \nWilliam ; ma pr\u00e9sence g\u00eane vos \u00e9panchements, et je suis certain, si Minny aime un peu Winifred et Barbara, qu\u2019elle voudra bien les nommer ses s\u0153urs. \n \u2013 J\u2019aime de toute mon \u00e2me Winifred et Barbara, r\u00e9pondit la \njeune fille d\u2019un air tr\u00e8s attendri. \n \u2013 Alors, dit St\u00e9phen, je puis esp\u00e9rer, mademoiselle, que, en \nconsid\u00e9ration de votre amiti\u00e9 pour mes s\u0153urs, vous daignerez me \ntraiter g\u00e9n\u00e9reusement. \n \u2013 Nous verrons cela, r\u00e9pondit la jeune fille avec coquetterie. \u2013 Au revoir, ma charmante Minny, dit William en souriant. \nSoyez, je vous en prie, indulgente et bonne pour un gentil gar\u00e7on qui vous aime tendrement, bien qu\u2019il ne sache pas t\u00e9moigner son amour d\u2019une mani\u00e8re fort \u00e9loquente. \n \u2013 198 \u2013 \u2013 Vous \u00eates s\u00e9v\u00e8re, Will, r\u00e9pondit gravement la jeune fille. Je \ntrouve, moi, que St\u00e9phen s\u2019exprime on ne peut mieux. \n \n\u2013 Allons, reprit Will, je m\u2019aper\u00e7ois que vous \u00eates tout \u00e0 fait \nune excellente personne, aimable Minny. Permettez-moi de vous \nbaiser les mains et de vous dire une fois encore : Au revoir, ma s\u0153ur. \n \n\u2013 Dois-je vraiment r\u00e9pondre \u00e0 William : Au revoir, mon \nfr\u00e8re ? demanda la jeune fille en se tournant vers St\u00e9phen. \n \n\u2013 Oui, ch\u00e8re miss, oui, s\u2019\u00e9cria St\u00e9phen d\u2019une voix joyeuse ; \ndites-lui : Au revoir, mon fr\u00e8re, afin qu\u2019il s\u2019en aille bien vite. \n \u2013 Tu fais des progr\u00e8s, mon gar\u00e7on, reprit Will en riant ; il \npara\u00eet que mes le\u00e7ons \u00e9taient bonnes. \n \nCela dit, William embrassa Minny et s\u2019\u00e9loigna avec Gr\u00e9goire \net Rupert. \n \u2013 Maintenant \u00e0 nous, n\u2019est-ce pas, Will ? dit Gr\u00e9goire ; j\u2019ai \nh\u00e2te de voir la femme que je dois \u00e9pouser. \n \u2013 Moi aussi, ajouta Rupert. \u2013 O\u00f9 demeure-t-elle ? demanda Gr\u00e9goire. \u2013 Verrai-je ma fianc\u00e9e aujourd\u2019hui ? continua Rupert. \n\u2013 Votre naturelle curiosit\u00e9 va \u00eatre satisfaite, r\u00e9pondit Will. \nVos femmes futures sont cousines, elles s\u2019appellent Mabel et Edi-\ntha Harowfeld. \n \u2013 Je les connais toutes les deux, dit Gr\u00e9goire. \u2013 Je les connais aussi, ajouta Rupert. \u2013 199 \u2013 \u2013 Ce sont deux jolies filles, reprit William, et je ne suis point \nsurpris que leur charmant visage ai t attir\u00e9 vos regards. Je suis \u00e0 \nBarnsdale depuis dix-huit mois \u00e0 peine, et cependant il n\u2019existe \npas dans tout le comt\u00e9 une demoiselle brune ou blonde qui me \nsoit inconnue. Comme vous j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 port\u00e9 mon attention sur Mabel et sur Editha. \n \u2013 Je n\u2019ai jamais vu, dit Gr\u00e9goire, un gaillard de ton esp\u00e8ce, \nWill ; tu connais toutes les femmes, tu es toujours par voie et par chemin ; en v\u00e9rit\u00e9, nous ne te ressemblons gu\u00e8re. \n \u2013 Malheureusement pour vous, mes gar\u00e7ons ; car si vous me \nressembliez le moins du monde, je ne serais pas oblig\u00e9 de vous \nchercher des femmes et de vous apprendre \u00e0 faire la cour \u00e0 celles qui vous plaisent. \n \n\u2013 Oh ! reprit Gr\u00e9goire d\u2019un air d\u00e9cid\u00e9, il ne sera pas tr\u00e8s dif-\nficile pour nous de faire la cour \u00e0 Mabel et \u00e0 Editha. Rupert trouve Mabel charmante, et moi je suis persuad\u00e9 qu\u2019Editha est une bonne cr\u00e9ature ; je vais donc tout simplement lui demander \nsi elle veut \u00eatre la femme de Gr\u00e9goire Gamwell. \n \u2013 Il ne faudra pas adresser ce tte demande avec brusquerie, \nmon cher gar\u00e7on ; car tu courrais le risque de la voir refus\u00e9e. \n \u2013 Dis-moi alors comment je dois m\u2019y prendre pour expliquer \nmes intentions \u00e0 Editha. Je ne connais pas les ruses du d\u00e9tour ; mon d\u00e9sir est de l\u2019avoir pour femme, et je croyais tout naturel de lui dire : Editha, je suis pr\u00eat \u00e0 vous \u00e9pouser. \n \u2013 Tu mettrais cette jeune fille dans un grand embarras, si tu \nlui lan\u00e7ais \u00e0 br\u00fble-pourpoint cette d\u00e9claration. \n \u2013 Quefaut-il faire alors ? demanda Gr\u00e9goire d\u2019un air d\u00e9ses-\np\u00e9r\u00e9. \n \u2013 Il faut amener tout doucement la conversation vers la \nroute que tu d\u00e9sires suivre : parler d\u2019abord du bal qui se donne au \u2013 200 \u2013 ch\u00e2teau dans trois jours, du bonheu r de Petit-Jean, de la joie de \nMuch, faire une adroite allusion \u00e0 ton prochain mariage, et, \u00e0 ce \npropos, demander \u00e0 Editha, comme je l\u2019ai demand\u00e9 \u00e0 Minny, si \nelle songe \u00e0 se marier, si elle vi endra \u00e0 la f\u00eate de Barnsdale avec \nun amoureux. \n \n\u2013 Si Editha me r\u00e9pond : Oui, Gr \u00e9goire, j\u2019irai au bal avec un \namoureux ? \n \u2013 Eh bien ! tu lui diras : Miss, cet amoureux ce sera moi. \n \u2013 Mais, hasarda encore le pauvre Gr\u00e9goire, si Editha refuse \nma main ? \n \u2013 Alors tu l\u2019offriras \u00e0 Mabel. \n\u2013 Et moi ? dit Rupert. \u2013 Editha ne refusera pas, reprit Will ; ainsi, soyez tranquil-\nles, chacun de vous aura pour femme la jeune fille qui lui pla\u00eet. \n Les jeunes gens travers\u00e8rent la place du village et \ns\u2019arr\u00eat\u00e8rent devant une charmante maison, sur le seuil de laquelle \ndeux jeunes filles se tenaient debout. \n \u2013 Bonjour \u00e0 la brune Editha et \u00e0 la blonde Mabel, dit Will en \nsaluant les deux cousines ; nous venons, mes fr\u00e8res et moi, les inviter \u00e0 un bal de noces. \n \n\u2013 Soyez les bienvenus, messires, dit Mabel d\u2019une voix douce \ncomme un chant d\u2019oiseau. Faites-nou s le plaisir d\u2019entrer dans la \nsalle et d\u2019accepter quelques rafra\u00eechissements. \n \n\u2013 Mille gr\u00e2ces vous soient rendues, charmante Mabel, r\u00e9-\npondit William ; une offre obligeante et gracieusement formul\u00e9e ne rencontre jamais de refus. Nous allons boire un pot d\u2019ale \u00e0 vo-tre sant\u00e9 et \u00e0 votre bonheur. \n \u2013 201 \u2013 Editha et Mabel, qui \u00e9taient de spirituelles et bienveillantes \npersonnes, accueillirent en riant les galanteries des trois fr\u00e8res ; \npuis, apr\u00e8s une heure de joyeuse conversation. Gr\u00e9goire prit son \ncourage \u00e0 deux mains et demanda timidement \u00e0 Editha si elle \navait l\u2019intention de se faire accompagner au ch\u00e2teau par son amoureux. \n \u2013 Je me laisserai accompagner non par un amoureux, mais \npar une demi-douzaine d\u2019aimables gar\u00e7ons, r\u00e9pondit gaiement la coquette Editha. \n Cette r\u00e9partie inattendue jeta une grande confusion dans les \nid\u00e9es du pauvre Gr\u00e9goire. Il laissa \u00e9chapper un soupir, et se tour-\nnant vers son fr\u00e8re, il lui dit \u00e0 mi-voix : \n \u2013 Mon affaire est faite, hein ! qu\u2019en penses-tu ? je ne puis pas \nlutter avec une demi-douzaine de pr\u00e9tendants. En v\u00e9rit\u00e9, il ne \nfaut pas avoir de chance ; je sera i donc oblig\u00e9 de rester gar\u00e7on. \n \u2013 Puisque tu ne voulais pas te ma rier, cela t\u2019arrange, dit Will \nd\u2019un air taquin. \n \u2013 Je n\u2019y pensais pas, voil\u00e0 tout : mais depuis que ce d\u00e9sir \nm\u2019est entr\u00e9 dans le c\u0153ur, je suis tourment\u00e9 de la crainte de ne pas \ntrouver une femme. \n \u2013 Tu auras Editha ; laisse-moi faire. Miss Editha, dit Wil-\nliam, notre visite avait un double but : d\u2019abord celui de vous invi-ter \u00e0 notre f\u00eate de famille, puis ensuite je voulais vous pr\u00e9senter, \nnon pas un amoureux de bal, un adorateur de vingt-quatre heu-\nres, vous en poss\u00e9dez six, et le septi\u00e8me ferait mauvaise figure, \nmais bien un honn\u00eate gar\u00e7on, rang\u00e9, sage, riche, ce qui ne g\u00e2te rien, et qui se trouverait tr\u00e8s fier et tr\u00e8s heureux de vous offrir son \nc\u0153ur, sa main et son nom. \n Miss Editha devint toute pensive. \u2013 Parlez-vous s\u00e9rieusement, Will ? demanda-t-elle. \u2013 202 \u2013 \n\u2013 Tr\u00e8s s\u00e9rieusement, miss. Gr\u00e9goire vous aime ; du reste, il \nest l\u00e0 et, si vous fermez les ye ux \u00e0 l\u2019\u00e9loquence de ses regards, \nveuillez accorder quelque attention \u00e0 la sinc\u00e9rit\u00e9 de ses paroles. \nJe veux bien lui laisser le plaisir de plaider une cause qui est, je crois, en partie gagn\u00e9e, ajouta le jeune homme en interpr\u00e9tant en faveur de son fr\u00e8re le joyeux sourire \u00e9panoui sur les l\u00e8vres d\u2019Editha. \n William laissa Gr\u00e9goire s\u2019approcher de la jeune fille et cher-\ncha Rupert du regard, afin de lui venir en aide si la n\u00e9cessit\u00e9 s\u2019en faisait sentir. Le secours de Will \u00e9tait inutile \u00e0 Rupert : le jeune homme causait tout bas avec Mabel ; il tenait les mains de la jeune fille et, \u00e0 demi agenouill\u00e9 de vant elle, il paraissait lui t\u00e9moi-\ngner une vive gratitude. \n \n\u2013 Bon, se dit Will, il marche tout seul ; je puis l\u2019abandonner \u00e0 \nses propres forces. \n Le jeune homme consid\u00e9ra un instant les couples \nd\u2019amoureux, et sans attirer leur atte ntion, il sortit de la salle et \nregagna le ch\u00e2teau en courant. \n En arrivant au hall de Barnsd ale, Will rencontra Robin, Ma-\nrianne et Maude. Il leur raconta ce qui venait de se passer, leur d\u00e9signa la g\u00eane craintive des futu rs \u00e9poux, puis enfin il finit par \nreconna\u00eetre que les quatre jeunes gens s\u2019\u00e9taient bravement tir\u00e9s de leur position difficile. \n \nVers le soir, les nouveaux fianc\u00e9s reparurent au ch\u00e2teau ; ils \nrayonnaient de joie, leur victoire avait \u00e9t\u00e9 compl\u00e8te : ils avaient \ntous obtenu le consentement de leur belle. \n Les parents de nos jeunes demo iselles trouv\u00e8rent bien que \nc\u2019\u00e9tait folie de se marier avec tant de pr\u00e9cipitation. Mais l\u2019honneur de faire partie de la noble famille des Gamwell leva tous les scrupules. \n \u2013 203 \u2013 Sir Guy, habilement pr\u00e9par\u00e9 par Robin \u00e0 donner son appro-\nbation au choix de ses fils, accueillit avec une bienveillance par-\nfaite les six jolies fianc\u00e9es. Les huit mariages furent c\u00e9l\u00e9br\u00e9s au \njour dit avec une grande pompe, et chacun se trouva content du \nbonheur qui lui \u00e9tait \u00e9chu en partage. \u2013 204 \u2013 VIII \n \nUn mois apr\u00e8s les \u00e9v\u00e9nements que nous venons de raconter, \nRobin Hood, sa femme et la troupe enti\u00e8re des joyeux hommes se \nretrouvaient install\u00e9s sous les gran ds arbres de la for\u00eat de Sher-\nwood. \n \nVers cette \u00e9poque, un grand nombre de Normands, lib\u00e9ra-\nlement pay\u00e9s de leurs services militaires par Henri II, vinrent \nprendre possession des domaines dont les gratifiait la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 \ndu roi. Quelques-uns de ces Normands, oblig\u00e9s de traverser la \nfor\u00eat de Sherwood afin de gagner leurs nouvelles propri\u00e9t\u00e9s, fu-rent contraints par la joyeuse bande des outlaws \u00e0 payer lib\u00e9ra-lement leur passage. Les nouveaux venus jet\u00e8rent les hauts cris et \nport\u00e8rent leurs plaintes aux arbitres de la ville de Nottingham. Mais ces plaintes, tax\u00e9es d\u2019exag\u00e9ration, n\u2019obtinrent point de r\u00e9-ponse. Voici pourquoi les sh\u00e9rifs et autres puissants personnages \nde la ville gard\u00e8rent un prudent mutisme. \n Un tr\u00e8s grand nombre des hommes de la bande de Robin \nHood se trouvaient apparent\u00e9s av ec les habitants de Nottingham, \net tout naturellement ces derniers usaient de leur influence sur les chefs de l\u2019ordre civil ou mili taire pour pr\u00e9venir toute mesure \nrigoureuse contre les h\u00f4tes de la for\u00eat. Ils avaient grand peur, les dignes gens, si une attaque vict orieuse parvenait \u00e0 expulser les \njoyeux hommes de leur verte deme ure, de ressentir quelque ma-\ntin la m\u00e9lancolique satisfaction de voir un de leurs parents pendu par le cou \u00e0 la potence de la ville. \n Cependant, comme il \u00e9tait n\u00e9cessaire de faire parade aux \nyeux des plaignants d\u2019une apparence d\u2019indignation et de justice, on doubla la r\u00e9compense promise \u00e0 celui qui r\u00e9ussirait \u00e0 enlever \nRobin Hood. Quiconque se pr\u00e9senta it recevait imm\u00e9diatement un \npermis d\u2019arr\u00eater le c\u00e9l\u00e8bre outl aw. Plusieurs hommes d\u2019une force \u2013 205 \u2013 de corps remarquable ou d\u2019un esprit d\u00e9termin\u00e9 avaient tent\u00e9 \nl\u2019aventure ; mais il \u00e9tait arriv\u00e9 une chose tout \u00e0 fait inattendue : \nils s\u2019\u00e9taient de leur propre inspiration enr\u00f4l\u00e9s dans la bande des \njoyeux forestiers. \n \nUn matin, Robin et Will \u00c9carlate se promenaient dans la fo-\nr\u00eat, lorsqu\u2019ils virent tout \u00e0 coup appara\u00eetre devant eux Much hale-\ntant de sueur et hors d\u2019haleine. \n \u2013 Que vous est-il donc arriv\u00e9, Much ? demanda Robin avec \ninqui\u00e9tude. Avez-vous \u00e9t\u00e9 poursuivi ? vous \u00eates tout en nage. \n \u2013 Ne vous effrayez pas, Robin, r\u00e9pondit le jeune homme en \nessuyant son visage empourpr\u00e9 ; je n\u2019ai fait, gr\u00e2ce au ciel, aucune \nrencontre qui puisse \u00eatre danger euse. Je viens tout simplement \nd e f a i r e a s s a u t a u b \u00e2 t o n a v e c A r t h u r l e P a c i f i q u e . D i e u m e \ndamne ! ce gar\u00e7on a dans les bras la force d\u2019un g\u00e9ant. \n \u2013 Vous dites vrai, mon cher Much, et c\u2019est une rude t\u00e2che \nque de se battre avec Arthur, lorsqu \u2019il prend le combat au s\u00e9rieux. \n \u2013 Arthur conserve toujours son sang-froid, reprit Much ; \nmais comme il ignore les v\u00e9ritables r\u00e8gles de l\u2019art, il ne doit son succ\u00e8s qu\u2019\u00e0 l\u2019immense force de ses muscles. \n \u2013 Vous a-t-il contraint \u00e0 demander quartier ? \u2013 Je crois bien, sans cela il m\u2019e\u00fbt enlev\u00e9 jusqu\u2019au dernier \nsouffle ; dans ce moment, il est aux prises avec Petit-Jean ; mais, \navec un pareil adversaire, la d\u00e9faite d\u2019Arthur ne peut \u00eatre mise en \ndoute, car d\u00e8s qu\u2019il commence \u00e0 frapper avec trop de vigueur, Pe-tit-Jean lui enl\u00e8ve son b\u00e2ton et lui donne quelques bons coups sur les \u00e9paules afin de lui apprendre \u00e0 mod\u00e9rer l\u2019emportement de sa vigueur. \n \u2013 \u00c0 quel propos avez-vous engag\u00e9 une lutte avec \nl\u2019indomptable Arthur ? demanda Robin. \n \u2013 206 \u2013 \u2013 Sans cause ni raison, tout simplement pour passer une \nheure agr\u00e9able et exercer nos me mbres dans un salutaire exer-\ncice. \n \n\u2013 Arthur est un terrible lutteur, reprit Robin, et un jour il \nm\u2019a vaincu au b\u00e2ton. \n \u2013 Vous ! s\u2019\u00e9cria Will. \n \n\u2013 Oui, mon cher cousin, il m\u2019a trait\u00e9 \u00e0 peu pr\u00e8s de la m\u00eame \nfa\u00e7on qu\u2019il a trait\u00e9 Much : le gailla rd se sert de son b\u00e2ton de ch\u00eane \ncomme d\u2019une barre de fer. \n \u2013 Dans quelles circonstances vous a-t-il battu ? dans quel \nendroit la lutte a-t-elle eu lieu ? demanda curieusement Will. \n \n\u2013 La lutte a eu lieu dans la for\u00eat, et voici comment je fis \nconnaissance avec Arthur. \n \u00bb J\u2019\u00e9tais seul, et je me promenais dans une all\u00e9e d\u00e9serte du \nbois, lorsque j\u2019aper\u00e7us le gigantesque Arthur appuy\u00e9 sur un b\u00e2ton ferr\u00e9, les yeux et la bouche largement ouverts, examinant un troupeau de daims qui passait \u00e0 ce nt pas de lui. Son aspect de \ng\u00e9ant, l\u2019air de na\u00efvet\u00e9 candide qui \u00e9panouissait sa large figure, me \ndonn\u00e8rent le d\u00e9sir de m\u2019amuser \u00e0 ses d\u00e9pens. Je me glissai adroi-tement derri\u00e8re lui, et j\u2019abordai mon homme par un vigoureux coup de poing entre les deux \u00e9paule s. Arthur tressaillit, tourna la \nt\u00eate, et me regarda en face d\u2019un air plein de courroux. \n \n\u00bb \u2013 Qui es-tu ? lui dis-je, et da ns quel but viens-tu vagabon-\nder dans le bois ? Tu ressembles furieusement \u00e0 un voleur qui se \npropose d\u2019enlever un daim. Fais-moi le plaisir de filer \u00e0 l\u2019instant \nm\u00eame ; je suis le garde de cette partie de la for\u00eat, et je n\u2019y souffre point la pr\u00e9sence des gaillards de ton esp\u00e8ce. \n \u00bb \u2013 Eh bien ! me r\u00e9pondit-il avec une grande insouciance, \nessaie si tu le peux de me faire d\u00e9guerpir, car je ne veux pas m\u2019en aller. Appelle des aides, si tel est ton plaisir ; je ne m\u2019y oppose pas. \u2013 207 \u2013 \n\u00bb \u2013 Je n\u2019ai besoin de personne pour faire respecter la loi et \nma volont\u00e9, mon bel ami, r\u00e9pliquai- je ; je suis habitu\u00e9 \u00e0 me servir \nde mes propres forces qui, vous le voyez, sont dignes d\u2019inspirer le \nrespect. J\u2019ai deux bons bras, un sabre, un arc et des fl\u00e8ches. \n \u00bb \u2013 Mon petit forestier, dit Arthur en me toisant de la t\u00eate \naux pieds d\u2019un regard d\u00e9daigneux, si je vous appliquais sur les \nd o i g t s u n s e u l c o u p d e m o n b \u00e2 t o n , v o u s n e p o u r r i e z p l u s v o u s servir ni de votre sabre ni m\u00eame de votre arc. \n \u00bb \u2013 Parler poliment, mon gar\u00e7on, r\u00e9pondis-je, si vous ne \nvoulez pas recevoir une roul\u00e9e de coups. \n \u00bb \u2013 Oui, mon petit ami, fouettez un ch\u00eane avec un roseau. \nQui donc pensez-vous \u00eatre, jeune prodige de valeur ? Apprenez \ndonc que je ne me soucie pas de vous le moins du monde. Cepen-dant, si vous voulez luttez, je suis votre homme. \n \u00bb \u2013 Vous n\u2019avez pas de sabre, fis-je observer. \u00bb \u2013 Je n\u2019ai pas besoin de sabre, puisque je tiens mon b\u00e2ton. \u00bb \u2013 Alors je vais prendre un b\u00e2ton de la m\u00eame longueur que \nle v\u00f4tre. \n \u00bb \u2013 Soit, dit-il. Et Arthur se mit en garde. \u00bb Je lui portai aussit\u00f4t le premier coup, et je vis le sang jaillir \nde son front et ruisseler le long de ses joues. \u00c9tourdi par ce choc, \nil fit un mouvement en arri\u00e8re. Je baissai mon arme, mais en \nvoyant ce geste qui lui parut, sans doute, une expression de triomphe, il se remit \u00e0 manier son b\u00e2ton avec une force et une habilet\u00e9 extraordinaires. C\u2019est \u00e0 peine, tant il frappait avec vio-\nlence, si j\u2019avais la force de parer les coups et de maintenir mon b\u00e2ton entre mes mains crisp\u00e9es. En faisant un bond en arri\u00e8re pour \u00e9viter une atteinte terrible, je n\u00e9gligeai de me tenir sur mes \ngardes ; il prit avantage de l\u2019occa sion et m\u2019ass\u00e9na sur le cr\u00e2ne le \u2013 208 \u2013 plus formidable coup que j\u2019aie jamais re\u00e7u. Je tombai en arri\u00e8re \ncomme si j\u2019avais \u00e9t\u00e9 perc\u00e9 d\u2019une fl\u00e8che ; cependant je ne perdis pas connaissance, je rebondis sur mes pieds. La lutte un instant \nsuspendue recommen\u00e7a de nouveau ; Arthur faisait pleuvoir ses \ncoups avec une force si terrifiante , qu\u2019\u00e0 peine me laissait-il le \ntemps de me d\u00e9fendre. Nous nous batt\u00eemes ainsi pendant pr\u00e8s de quatre heures ; nous faisions r\u00e9sonner sous nos coups les \u00e9chos \ndu vieux bois, tournant autour l\u2019un de l\u2019autre comme deux san-\ngliers qui se battent. Enfin, pensant qu\u2019il n\u2019\u00e9tait pas fort utile de \ncontinuer une lutte o\u00f9 je n\u2019avais rien \u00e0 gagner, pas m\u00eame la satis-\nfaction de rosser mon adversaire, je jetai mon b\u00e2ton. \n \u00bb \u2013 En voil\u00e0 assez, lui dis-je. Terminons notre querelle ; nous \npourrions nous frapper jusqu\u2019\u00e0 de main et nous r\u00e9duire mutuel-\nlement en poussi\u00e8re sans gagner un \u00e9pi. Je vous octroie toute li-bert\u00e9 de parcours dans la for\u00eat, car vous \u00eates un vaillant gar\u00e7on. \n \n\u00bb \u2013 Grand merci de la faveur grande, me r\u00e9pondit-il d\u00e9dai-\ngneusement ; j\u2019ai achet\u00e9 le droit d\u2019agir \u00e0 ma guise avec l\u2019aide de mon b\u00e2ton, c\u2019est donc \u00e0 lui et no n \u00e0 vous que je dois des remer-\nciements. \n \u00bb \u2013 Tu as raison, mon brave ; mais tu auras quelque peine \u00e0 \nd\u00e9fendre ton droit si tu n\u2019as pas ton b\u00e2ton pour le faire valoir. Il y a de bons jouteurs dans la verte fo r\u00eat, et tu ne pourras conserver \nta libert\u00e9 qu\u2019au moyen de cr\u00e2nes cass\u00e9s et de membres endoloris. \nCrois-moi, l\u2019existence de la ville est encore pr\u00e9f\u00e9rable \u00e0 celle que \ntu aurais ici. \n \n\u00bb \u2013 Cependant, reprit Arthur, je voudrais vivre dans le vieux \nbois. \n \n\u00bb \u2013 La r\u00e9ponse de mon vaillant adversaire me donna \u00e0 r\u00e9fl\u00e9-\nchir, continua Robin. J\u2019examinai sa haute taille, la franchise ami-\ncale de sa physionomie, et je me dis que la conqu\u00eate d\u2019un pareil gaillard pouvait \u00eatre une bonne fortune pour notre petite com-munaut\u00e9. \n \u2013 209 \u2013 \u00bb \u2013 Tu n\u2019aimes donc pas le s\u00e9jour de la ville ? lui demandai-\nje. \n \n\u00bb \u2013 Non, r\u00e9pondit-il ; je suis las d\u2019\u00eatre esclave des maudits \nNormands, je suis fatigu\u00e9 de m\u2019entendre appeler chien, serf et \nvalet. Mon ma\u00eetre m\u2019a qualifi\u00e9 ce matin des \u00e9pith\u00e8tes les plus in-jurieuses du vocabulaire, et, non content de me harceler avec sa \nlangue de vip\u00e8re, il a voulu me frapper. Je n\u2019ai pas attendu le \ncoup ; un b\u00e2ton se trouvait \u00e0 la port\u00e9e de ma main, je m\u2019en suis servi, et je lui ai appliqu\u00e9 sur les \u00e9paules un coup qui lui a fait \nperdre connaissance. Cela fait, je me suis enfui. \n \u00bb \u2013 Quel est ton m\u00e9tier ? lui demandai-je. \u00bb \u2013 Je suis tanneur, me r\u00e9pondit-il, et j\u2019habite depuis plu-\nsieurs ann\u00e9es la province de Nottingham. \n \n\u00bb \u2013 Eh bien ! mon brave ami, lui dis-je, si vous n\u2019avez pas \nune pr\u00e9dilection trop forte pour vo tre m\u00e9tier, vous pouvez lui dire \nadieu et vous \u00e9tablir ici. Je me nomme Robin Hood. Ce nom vous \nest-il connu ? \n \u00bb \u2013 Bien certainement. Mais \u00eates-vous Robin Hood ? Vous \nm\u2019avez dit tout \u00e0 l\u2019heure que vous \u00e9tiez un des gardes forestiers \ndu bois. \n \u00bb \u2013 J e s u i s R o b i n H o o d , j e v o u s e n d o n n e m a p a r o l e \nd\u2019honneur ! r\u00e9pliquai-je en tendan t la main au pauvre gar\u00e7on ef-\nfar\u00e9 de surprise. \n \u00bb \u2013 Bien vrai ? r\u00e9p\u00e9ta-t-il. \u00bb \u2013 Sur mon \u00e2me et sur ma conscience ! \u00bb \u2013 Alors, je suis vraiment fort heureux de vous avoir ren-\ncontr\u00e9, ajouta Arthur avec une ex pression de joie manifeste ; car \nj\u2019\u00e9tais venu \u00e0 votre recherche, g\u00e9n\u00e9reux Robin Hood. Lorsque vous m\u2019avez dit que vous \u00e9tiez un gardien du bois, je l\u2019ai cru, et je \u2013 210 \u2013 n\u2019ai point os\u00e9 vous faire part du projet qui m\u2019amenait \u00e0 Sher-\nwood. Je d\u00e9sire me joindre \u00e0 votre bande, et si vous m\u2019acceptez pour compagnon, vous n\u2019aurez pas de serviteur qui vous soit plus \nd\u00e9vou\u00e9 et plus fid\u00e8le qu\u2019Arthur le Pacifique, tanneur \u00e0 Notting-\nham. \n \n\u00bb \u2013 Ta franchise me pla\u00eet, Arthur, lui r\u00e9pondis-je, et je \nconsens volontiers \u00e0 te joindre aux joyeux hommes qui compo-\nsent ma bande. Nos lois sont simples et peu nombreuses, mais \nelles doivent \u00eatre observ\u00e9es. Sur tout autre point, libert\u00e9 com-\npl\u00e8te. Tu seras, en outre, bien v\u00eatu, bien nourri et bien trait\u00e9. \n \u00bb \u2013 Mon c\u0153ur tressaille dans ma poitrine en vous \u00e9coutant, \nRobin Hood, et la pens\u00e9e que je va is \u00eatre des v\u00f4tres me rend tout \nh e u r e u x . J e n e v o u s s u i s p a s a u s s i c o m p l \u00e8 t e m e n t \u00e9 t r a n g e r q u e vous pourriez le croire : Petit- Jean est un de mes parents. Mon \noncle maternel a \u00e9pous\u00e9 la m\u00e8re de Jean, qui \u00e9tait une s\u0153ur de sir \nGuy de Gamwell. Je verrai bient\u00f4 t Petit-Jean, n\u2019est-ce pas ? je \nbr\u00fble du d\u00e9sir de l\u2019embrasser. \n \u00bb \u2013 Je vais le faire accourir aupr\u00e8s de nous, dis-je \u00e0 Arthur. \u00bb Et je sonnai du cor. Quelques instants apr\u00e8s cet appel, Pe-\ntit-Jean parut dans la clairi\u00e8re. \n \u00bb \u00c0 la vue du sang qui marbrait nos deux figures de taches \neffrayantes, Petit-Jean s\u2019arr\u00eata court. \n \u00bb \u2013 Qu\u2019y a-t-il, Robin ? s\u2019\u00e9cria Jean d\u2019un air \u00e9pouvant\u00e9 ; vous \navez le visage dans un \u00e9tat affreux. \n \u00bb \u2013 Il y a que je viens d\u2019\u00eatre ross\u00e9, r\u00e9pondis-je tranquille-\nment, et devant vous se trouve le coupable. \n \u00bb \u2013 Si ce gaillard-l\u00e0 vous a battu, c\u2019est qu\u2019il manie joliment le \nb\u00e2ton, s\u2019\u00e9cria Petit-Jean. Eh bien ! je vais lui rendre avec usure les coups dont il vous a gratifi\u00e9. Avance ici, mon grand gar\u00e7on. \n \u2013 211 \u2013 \u00bb \u2013 Retiens ton bras, ami Jean, et donne la main \u00e0 un fid\u00e8le \nalli\u00e9, \u00e0 un parent ; ce jeune homme s\u2019appelle Arthur. \n \n\u00bb \u2013 Arthur de Nottingham, surnomm\u00e9e le Pacifique ? de-\nmanda Jean. \n \n\u00bb \u2013 Lui-m\u00eame, r\u00e9pliqua Arthur. Nous ne nous sommes ja-\nmais rencontr\u00e9 depuis notre enfanc e, n\u00e9anmoins je te reconnais, \ncousin Jean. \n \u00bb \u2013 Je ne puis dire la m\u00eame chose, dit Jean avec sa na\u00efve \nfranchise ; je ne me rappelle aucun de tes traits ; mais il importe peu, tu le dis, mon cousin, sois le bienvenu. Comme tel, tu trouve-ras bons c\u0153urs et bons visages dans la verte for\u00eat de Sherwood. \n \u00bb \u2013 Arthur et Jean s\u2019embrass\u00e8re nt, et le reste de la journ\u00e9e \ns\u2019\u00e9coula gaiement. \u00bb \n \n\u2013 Depuis cette \u00e9poque, avez-v ous jou\u00e9 au b\u00e2ton avec Ar-\nthur ? demanda Will \u00e0 Robin. \n \u2013 L\u2019occasion ne s\u2019en est pas encore pr\u00e9sent\u00e9e ; du reste, il est \nprobable que je serais encore vaincu , et ce serait pour la troisi\u00e8me \nfois. \n \u2013 Comment ! pour la troisi\u00e8me fois ? s\u2019\u00e9cria Will. \u2013 Oui, j\u2019ai re\u00e7u de Gaspard l\u2019\u00e9tameur une rude vol\u00e9e. \n\u2013 En v\u00e9rit\u00e9 ! Et quand cela ? Sa ns doute avant qu\u2019il ne se f\u00fbt \nenr\u00f4l\u00e9 dans la bande. \n \n\u2013 Oui, r\u00e9pliqua Robin ; j\u2019ai pr is l\u2019habitude d\u2019\u00e9prouver par \nmoi-m\u00eame le courage et la forc e d\u2019un homme avant de lui accor-\nder ma confiance. Je ne veux pas avoir pour compagnons des c\u0153urs faibles et des t\u00eates \u00e0 d\u00e9monter. Un matin, je rencontrai Gaspard l\u2019\u00e9tameur sur la route de Nottingham. Vous connaissez la carrure de sa vigoureuse personne, et je n\u2019ai pas besoin de vous \u2013 212 \u2013 faire une description du gaillard ; sa mine me plut, il marchait \nd\u2019un pas ferme en sifflant un air joyeux. \n \n\u00bb Je m\u2019avan\u00e7ais \u00e0 sa rencontre. \u00bb \u2013 Bonjour, mon brave ami, \nlui dis-je ; vous voyagez, \u00e0 ce que je vois. Il circule, dit-on, de \nmauvaises nouvelles ; sont-elles vraies ? \n \u00bb \u2013 De quelles nouvelles voulez-vous parler ? me demandait-\nil ; je n\u2019en connais aucune qui soit digne de r\u00e9cit ; du reste, j\u2019arrive \nde Bamburg, je suis chaudronnier de mon \u00e9tat, et je ne songe qu\u2019\u00e0 \nmon travail. \n \u00bb \u2013 La nouvelle dont il est qu estion doit cependant vous in-\nt\u00e9resser, mon brave. J\u2019ai entendu dire que dix drouineurs vien-nent d\u2019\u00eatre mis aux fers pour s\u2019\u00eatre enivr\u00e9s. \n \n\u00bb \u2013 Votre nouvelle ne vaut pas un denier, me r\u00e9pondit-il ; si \non mettait aux fers tous ceux qui boivent, vous seriez certain d\u2019avoir une place au premier ra ng des condamn\u00e9s ; car vous \nn\u2019avez pas l\u2019air d\u2019un homme qui m\u00e9prise le bon vin. \n \u00bb \u2013 Non, en v\u00e9rit\u00e9, je ne suis point ennemi de la rouge bou-\nteille, et je ne pense pas qu\u2019il se t r o u v e d a n s l e m o n d e u n c \u0153 u r \njovial qui m\u00e9prise le vin. Quelle cause vous am\u00e8ne de Bamburg dans ces parages ? car assur\u00e9ment ce n\u2019est pas l\u2019int\u00e9r\u00eat seul de votre m\u00e9tier. \n \u00bb \u2013 Ce n\u2019est pas mon m\u00e9tier, en effet, r\u00e9pondit Gaspard. Je \nsuis \u00e0 la recherche d\u2019un band it qu\u2019on nomme Robin Hood. Une \nr\u00e9compense de cent \u00e9cus d\u2019or es t promise \u00e0 celui qui parviendra \u00e0 \ns\u2019emparer du brigand, et je d\u00e9si re fort gagner cette r\u00e9compense. \n \u00bb \u2013 Comment vous proposez-vous de prendre Robin Hood ? \ndemandai-je au drouineur ; car j\u2019\u00e9t ais fort surpris de l\u2019air s\u00e9rieux \net tranquille avec lequel il m\u2019av ait fait cette \u00e9trange confidence. \n \u00bb \u2013 J\u2019ai un ordre de prise de corps sign\u00e9 du roi, me r\u00e9pliqua \nGaspard. \u2013 213 \u2013 \n\u00bb \u2013 Cet ordre est-il en r\u00e8gle ? \n\u00bb \u2013 Parfaitement en r\u00e8gle : il m\u2019autorise \u00e0 arr\u00eater Robin, et \nme promet la r\u00e9compense. \n \n\u00bb \u2013 Vous parlez de cette arrestat ion, d\u00e9j\u00e0 si inutilement ten-\nt\u00e9e, comme si elle \u00e9tait la chose du monde la plus facile \u00e0 faire. \n \u00bb \u2013 E l l e n e s e r a p a s t r \u00e8 s d i f f i c i l e p o u r m o i , r e p r i t l e d r o u i -\nneur ; je suis solidement b\u00e2ti, j\u2019ai des muscles d\u2019acier, un courage \u00e0 toute \u00e9preuve et beaucoup de patience. Comme vous le voyez, je puis esp\u00e9rer de surprendre mon homme. \n \u00bb \u2013 Si vous le rencontriez par hasard, le reconna\u00eetriez-vous ? \n \n\u00bb \u2013 Je ne l\u2019ai jamais vu ; si je connaissais son visage, ma t\u00e2-\nche serait \u00e0 moiti\u00e9 accomplie. \u00cates-vous plus heureux que moi \u00e0 cet \u00e9gard-l\u00e0 ? \n \u00bb \u2013 Oui, j\u2019ai rencontr\u00e9 deux fois Robin Hood, et il me sera \npeut-\u00eatre possible de vous venir en aide dans votre entreprise. \n \u00bb \u2013 Mon beau gar\u00e7on, si vous fa ites cela, me dit-il, je vous \ndonnerai une bonne partie de l\u2019argent que j\u2019aurai gagn\u00e9. \n \u00bb \u2013 Je vous d\u00e9signerai un endroit o\u00f9 vous pourrez le ren-\ncontrez, lui r\u00e9pondis-je. Mais avan t d\u2019aller plus loin dans nos mu-\ntuels engagements, je d\u00e9sirerais voir l\u2019ordre de prise de corps ; \npour \u00eatre valable, il faut qu\u2019il soit r\u00e9guli\u00e8rement fait. \n \n\u00bb \u2013 Je vous suis bien oblig\u00e9 de la pr\u00e9voyance, me r\u00e9pondit le \ndrouineur d\u2019un ton d\u00e9fiant ; je ne confierai ce papier \u00e0 personne. Je suis certain qu\u2019il est valable et r\u00e9gulier ; cette conviction me suffit, tant pis pour vous si vous ne la partagez pas. L\u2019ordre du roi \nsera vu par Robin Hood alors que pieds et poings li\u00e9s je le tien-drai en mon pouvoir. \n \u2013 214 \u2013 \u00bb \u2013 Vous avez peut-\u00eatre raison, mon brave homme, r\u00e9pon-\ndis-je d\u2019un air indiff\u00e9rent ; je ne tiens pas autant que vous parais-\nsez le croire \u00e0 m\u2019assurer de la valeur de votre permis. Je vais \u00e0 \nNottingham autant par curiosit\u00e9 que par d\u00e9s\u0153uvrement, car j\u2019ai \nentendu dire ce matin que Robin Hood devait descendre dans la \nville ; si vous voulez venir avec moi, je vous montrerai le c\u00e9l\u00e8bre \noutlaw. \n \n\u00bb \u2013 Je te prends au mot, mo n gar\u00e7on, repartit vivement le \ndrouineur ; mais si, arriv\u00e9s \u00e0 destination, je m\u2019aper\u00e7ois de quel-\nque supercherie de ta part, tu feras connaissance avec mon b\u00e2ton. \n \u00bb Je haussai les \u00e9paules en signe de d\u00e9dain. \u00bb Il vit le geste, et se mit \u00e0 rire. \n\u00bb \u2013 Vous ne serez pas f\u00e2ch\u00e9 de m\u2019avoir \u00e9t\u00e9 utile, dit-il, car je \nne suis point un homme ingrat. \n \u00bb Lorsque nous f\u00fbmes arriv\u00e9s \u00e0 Nottingham, nous nous arr\u00ea-\nt\u00e2mes \u00e0 l\u2019auberge du Pat, et je de mandai au ma\u00eetre de la maison \nune bouteille de bi\u00e8re d\u2019une esp\u00e8ce toute particuli\u00e8re. Le droui-neur, qui \u00e9tait en marche depuis le matin, mourait litt\u00e9ralement de soif, et la bi\u00e8re eut bient\u00f4t dis paru. Apr\u00e8s la bi\u00e8re, je fis servir \ndu vin, et apr\u00e8s le vin encore de la bi\u00e8re, ainsi de suite pendant \nune heure. Le drouineur avait vid\u00e9 sans s\u2019en apercevoir toutes les bouteilles plac\u00e9es devant lui ; car pour moi, peu enclin de ma na-ture \u00e0 faire un usage immod\u00e9r\u00e9 du vin, je m\u2019\u00e9tais content\u00e9 d\u2019en boire quelques verres. Je n\u2019ai pas besoin de vous dire que le brave \nhomme se grisa compl\u00e8tement. Une fois ivre, il me fit un r\u00e9cit pompeux des exploits qu\u2019il allait accomplir pour s\u2019emparer de Robin Hood ; il en arriva, apr\u00e8s av oir fait prisonnier le chef des \njoyeux hommes, \u00e0 arr\u00eater toute la bande et \u00e0 la conduire \u00e0 Lon-dres. Le roi r\u00e9compenserait la vaillance de Gaspard en lui don-nant la fortune et les privil\u00e8ges d\u2019un grand dignitaire de l\u2019\u00c9tat ; mais au moment o\u00f9 l\u2019illustre va inqueur allait \u00e9pouser une prin-\ncesse d\u2019Angleterre, il tomba de son si\u00e8ge, et, tout endormi, alla rouler sous la table. \u2013 215 \u2013 \n\u00bb Je pris la bourse du drouineur ; elle contenait, avec son ar-\ngent, l\u2019ordre de prise de corps. Je payai la note de notre d\u00e9pense, \net dis \u00e0 l\u2019aubergiste : \n \n\u00bb \u2013 Lorsque cet homme se r\u00e9vei llera, vous lui r\u00e9clamerez le \nprix des rafra\u00eechissements ; puis, s\u2019il vous demande qui je suis et dans quel endroit on peut me re ncontrer, vous lui r\u00e9pondrez que \nj\u2019habite le vieux bois, et mon nom est Robin Hood. \n \u00bb L\u2019aubergiste, excellent homme en qui j\u2019ai toute confiance, \nse mit gaiement \u00e0 rire. \n \u00bb \u2013 Soyez tranquille, messire Robin, me dit-il, je suivrai \nponctuellement vos ordres, et si le drouineur d\u00e9sire vous revoir, il n\u2019aura qu\u2019\u00e0 se mettre \u00e0 votre recherche. \n \n\u00bb \u2013 Vous avez compris, mon brave, lui r\u00e9pondis-je, en enle-\nvant le sac du chaudronnier. Du reste, il y a tout lieu de croire que le bonhomme ne me fera pas attendre longtemps sa visite. \n \u00bb Cela dit, je saluai amicalement l\u2019aubergiste et je sortis de la \nmaison. \n \u00bb Apr\u00e8s avoir dormi pendant quelques heures, Gaspard se \nr\u00e9veilla. Il s\u2019aper\u00e7ut bien vite de mon absence et de la perte de sa \nbourse. \n \u00bb \u2013 Aubergiste ! vocif\u00e9ra-t-il d\u2019une voix de tonnerre, je suis \nvol\u00e9, je suis ruin\u00e9 ! O\u00f9 est le brigand ? \n \u00bb \u2013 De quel brigand me parlez-vous ? demanda l\u2019h\u00f4telier \navec le plus grand sang-froid. \n \u00bb \u2013 De mon compagnon. Il m\u2019a d\u00e9valis\u00e9. \u2013 216 \u2013 \u00bb \u2013 Voil\u00e0 une chose qui ne m\u2019arrange pas du tout, s\u2019\u00e9cria \nl\u2019aubergiste d\u2019un air m\u00e9content ; car vous avez ici une longue note \n\u00e0 r\u00e9gler. \n \n\u00bb \u2013 Une note \u00e0 r\u00e9gler ! r\u00e9p\u00e9ta Gaspard en g\u00e9missant ; je n\u2019ai \nrien, absolument rien, le mis\u00e9rable m\u2019a compl\u00e8tement d\u00e9pouill\u00e9. J\u2019avais dans ma bourse un mandat de prise de corps d\u00e9livr\u00e9 par le \nroi ; \u00e0 l\u2019aide du mandat je pouva is faire ma fortune, je pouvais \nm\u2019emparer de Robin Hood. Ce bandit d\u2019\u00e9tranger m\u2019avait promis son secours ; il devait me condui re en pr\u00e9sence du chef des ou-\ntlaws. Ah ! le mis\u00e9rable ! il a abus\u00e9 de ma confiance, il m\u2019a enlev\u00e9 mon pr\u00e9cieux papier. \n \u00bb \u2013 Comment ! reprit l\u2019aubergiste, vous avez fait part \u00e0 ce \njeune homme des mauvaises intent ions qui vous am\u00e8nent \u00e0 Not-\ntingham ? \n \n\u00bb Le drouineur jeta un regard de travers \u00e0 son h\u00f4te. \u00bb \u2013 Il para\u00eet, dit-il, que vous ne pr\u00eateriez pas main-forte au \nvaillant gar\u00e7on qui voudrait arr\u00eater Robin Hood ? \n \u00bb \u2013 Ma foi ! r\u00e9pondit l\u2019aubergiste, Robin Hood ne m\u2019a fait \naucun mal, et ses affaires avec les autorit\u00e9s du pays ne sont point de mon ressort. Mais comment di able se fait-il, continua \nl\u2019aubergiste, que vous trinquiez joyeusement avec lui en lui com-\nmuniquant votre petit papier, au li eu de vous emparer de sa per-\nsonne ? \n \n\u00bb Le drouineur ouvrit de grands yeux effar\u00e9s. \n \u00bb \u2013 Que voulez-vous dire ? demanda-t-il. \u00bb \u2013 J e v e u x d i r e q u e v o u s a v e z m a n q u \u00e9 l \u2019 o c c a s i o n d e s a i s i r \nRobin Hood. \n \u00bb \u2013 Comment cela ? \u2013 217 \u2013 \u00bb \u2013 Eh ! nigaud que vous \u00eates ! Robin Hood \u00e9tait l\u00e0 tout \u00e0 \nl\u2019heure ; vous \u00eates entr\u00e9s ici ense mble, vous avez bu ensemble, je \nvous ai cru de sa bande. \n \n\u00bb \u2013 J\u2019ai bu avec Robin Hood ! j\u2019ai trinqu\u00e9 avec Robin Hood ! \ns\u2019\u00e9cria le drouineur stup\u00e9fait. \n \u00bb \u2013 Oui, oui, mille fois oui ! \n \n\u00bb \u2013 C\u2019est trop fort ! exclama le pauvre homme en retombant \nassis sur sa chaise. Mais il ne sera pas dit qu\u2019il se sera jou\u00e9 impu-\nn\u00e9ment de Gaspard l\u2019\u00e9tameur. Ah ! coquin ! ah ! bandit ! hurla le \ndrouineur ; attends, attends, je vais me mettre \u00e0 ta recherche. \n \u00bb \u2013 Je d\u00e9sirerais toucher le montant de ma note avant de \nvous laisser partir, dit l\u2019aubergiste. \n \n\u00bb \u2013 \u00c0 combien s\u2019\u00e9l\u00e8ve votre note ? demanda Gaspard d\u2019un \nton courrouc\u00e9. \n \u00bb \u2013 \u00c0 dix schellings, r\u00e9pondit l\u2019h\u00f4te tout r\u00e9joui de la mine fu-\nribonde du malheureux drouineur. \n \u00bb \u2013 Je n\u2019ai pas un penny \u00e0 vous donner, reprit Gaspard en \nretournant ses poches ; mais je vais, en garantie du paiement de cette malencontreuse dette, vous laisser mes outils ; ils repr\u00e9sen-tent trois ou quatre fois la vale ur que vous me r\u00e9clamez. Pourriez-\nvous me dire dans quel endroit je puis rencontrer Robin Hood ? \n \n\u00bb \u2013 Ce soir, je n\u2019en sais rien ; mais demain vous trouverez vo-\ntre homme en train de chasser les chevreuils du roi. \n \n\u00bb \u2013 Eh bien ! donc, \u00e0 demain la prise du bandit, riposta le \ndrouineur avec une assurance qui donna \u00e0 penser \u00e0 l\u2019aubergiste ; \nc a r , a j o u t a R o b i n , e n m e r a c o n t ant ceci, l\u2019h\u00f4te m\u2019a avou\u00e9 qu\u2019il \navait eu grand peur pour moi de la fureur de Gaspard. \n \u2013 218 \u2013 \u00bb Le lendemain matin, je me mis en qu\u00eate, non d\u2019un che-\nvreuil, mais de la rencontre du ch audronnier : je ne fus pas oblig\u00e9 \nde chercher longtemps. \n \n\u00bb Aussit\u00f4t que son regard m\u2019eut d\u00e9couvert, il jeta un cri et \ns\u2019\u00e9lan\u00e7a vers moi en brandissant un \u00e9norme b\u00e2ton. \n \u00bb \u2013 Quel est le maroufle, m\u2019\u00e9criai-je, qui ose se pr\u00e9senter \u00e0 \nmes yeux d\u2019une mani\u00e8re aussi peu convenable ? \n \u00bb \u2013 Il n\u2019y a pas de maroufle, r\u00e9pondit le drouineur ; il y a un \nhomme maltrait\u00e9, fermement r\u00e9solu de prendre sa revanche. \n \u00bb En parlant ainsi, il commen\u00e7a \u00e0 m\u2019attaquer avec son b\u00e2-\nton ; je me pla\u00e7ai hors de sa port\u00e9e, et je tirai mon sabre. \n \n\u00bb \u2013 Arr\u00eatez, lui dis-je, nous ne nous battons pas avec des ar-\nmes \u00e9gales ; il me faut un b\u00e2ton. \n \u00bb Gaspard me laissa tranquillement pr\u00e9parer une branche de \nch\u00eane, puis il recommen\u00e7a l\u2019attaque. \n \u00bb Il tenait son b\u00e2ton des deux mains et frappait sur moi \ncomme un b\u00fbcheron sur un arbre. Mes bras et mes poignets commen\u00e7aient \u00e0 faiblir, lorsque je demandai une tr\u00eave ; car il n\u2019y \navait aucun honneur \u00e0 gagner dans un semblable combat. \n \u00bb \u2013 Je veux te pendre au premier arbre du chemin, me dit-il \nd\u2019une voix furieuse en jetant son b\u00e2ton. \n \u00bb Je fis un bond en arri\u00e8re et sonnai du cor ; le gaillard \u00e9tait \nde force \u00e0 m\u2019envoyer dans l\u2019autre monde. \n \u00bb Petit-Jean et la bande joyeuse accoururent \u00e0 mon appel. \u00bb Je m\u2019\u00e9tais assis sous un arbre, \u00e9puis\u00e9 de fatigue, et sans \nrien dire, je montrai du geste \u00e0 Gaspard le renfort qui me venait en aide. \u2013 219 \u2013 \n\u00bb \u2013 Qu\u2019y a-t-il ? demanda Jean. \n\u00bb \u2013 Mon cher, r\u00e9pondis-je, voici un drouineur qui m\u2019a rude-\nment ross\u00e9, et je vous le recomma nde, car il m\u00e9rite notre consid\u00e9-\nration. Mon bonhomme, ajoutai-je, si vous voulez prendre rang \ndans ma troupe, vous serez le bienvenu. \n \n\u00bb Le drouineur accepta, et depuis cette \u00e9poque, comme vous \nle savez, il fait partie de notre association. \u00bb \n \n\u2013 Je pr\u00e9f\u00e8re l\u2019arc et les fl\u00e8ches \u00e0 tous les b\u00e2tons du monde, \ndit William ; soit qu\u2019on les consid\u00e8re comme un jeu, soit qu\u2019on les prenne pour des armes offensives ou d\u00e9fensives. Il vaut mieux, \u00e0 \nmon avis du moins, \u00eatre exp\u00e9di\u00e9s hors du monde d\u2019un seul coup que de s\u2019en aller par fraction ; et la blessure faite par une fl\u00e8che \nest mille fois pr\u00e9f\u00e9rable aux sou ffrances qui r\u00e9sultent d\u2019un coup \nde b\u00e2ton. \n \u2013 Mon cher ami, reprit Robin, le b\u00e2ton rend de tr\u00e8s grands \nservices l\u00e0 o\u00f9 l\u2019arc est impuissant. Ses effets ne d\u00e9pendent pas d\u2019un carquois plein ou vide, et lo rsque vous ne d\u00e9sirez pas la mort \nde votre ennemi, une forte vol\u00e9e lu i laisse des souvenirs plus cui-\nsants que la blessure d\u2019une fl\u00e8che. \n Tout en causant, les trois amis se dirig\u00e8rent vers la route de \nNottingham ; tout \u00e0 coup une jeun e fille en pleurs se pr\u00e9senta \u00e0 \nleurs regards. \n \nRobin courut \u00e0 la rencontre de la belle \u00e9plor\u00e9e. \n \u2013 Pourquoi pleures-tu, mon enfant ? lui demanda-t-il d\u2019un \nton affectueux. La jeune fille \u00e9clata en sanglots. \n \u2013 Je d\u00e9sire voir Robin Hood, r\u00e9pondit-elle, et si vous avez \nquelque piti\u00e9 dans l\u2019\u00e2me, messire, conduisez-moi aupr\u00e8s de lui. \n \u2013 220 \u2013 \u2013 Je suis Robin Hood, ma belle enfant, r\u00e9pondit le jeune \nhomme avec douceur ; mes hommes ont-ils manqu\u00e9 de respect \u00e0 \nla candeur de tes seize ans ? ta m\u00e8 re est-elle malade ? viens-tu me \ndemander des secours ? Parle, je suis enti\u00e8rement \u00e0 ta disposi-\ntion. \n \n\u2013 Messire, un grand malheur vient de nous frapper ; trois de \nmes fr\u00e8res, qui font partie de votre bande ont \u00e9t\u00e9 faits prisonniers \npar le sh\u00e9rif de Nottingham. \n \n\u2013 Dis-moi le nom de tes fr\u00e8res, mon enfant. \u2013 Adalbert, Edelbert et Edroin, les c\u0153urs joyeux, r\u00e9pondit la \nfillette en sanglotant. \n Une exclamation douloureuse s\u2019\u00e9chappa des l\u00e8vres de Robin. \n \u2013 Chers compagnons, dit-il, ce sont les plus vaillants, les plus \nhardis de tous ceux qui compos ent ma troupe. Comment sont-ils \ntomb\u00e9s au pouvoir du sh\u00e9rif, ma petite amie ? demanda Robin. \n \u2013 En d\u00e9livrant un jeune homme qui, pour avoir d\u00e9fendu sa \nm\u00e8re contre l\u2019agression de plusieurs soldats, \u00e9tait emmen\u00e9 en prison. En ce moment, seigneur Robin Hood, on dresse le gibet aux portes de la ville ; mes fr\u00e8res doivent y \u00eatre pendus. \n \u2013 Essuie tes pleurs, ma belle enfant, r\u00e9pondit Robin avec \nbont\u00e9 ; tes fr\u00e8res n\u2019ont rien \u00e0 crai ndre ; il n\u2019existe pas un seul \nhomme dans la for\u00eat de Sherwood qui ne soit pr\u00eat \u00e0 donner sa vie \npour sauver celle de ces trois braves. Nous allons descendre \u00e0 \nNottingham ; rentre dans ta demeure, console de ta voix douce le \nc\u0153ur de ton vieux p\u00e8re, et dis \u00e0 ta bonne m\u00e8re que Robin Hood \nlui rendra ses enfants. \n \u2013 Je prie le ciel de vous b\u00e9nir, messire, murmura la jeune \nfille en souriant \u00e0 travers ses pleurs. J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 entendu dire que vous \u00e9tiez toujours pr\u00eat \u00e0 rendre service aux malheureux, \u00e0 prot\u00e9-\u2013 221 \u2013 ger les pauvres. Mais, de gr\u00e2ce, seigneur Robin, h\u00e2tez-vous, mes \nfr\u00e8res bien-aim\u00e9s sont en danger de mort. \n \n\u2013 Aie confiance en moi, ch\u00e8re enfant ; j\u2019arriverai \u00e0 l\u2019heure \npropice. Regagne bien vite Notting ham et ne parle \u00e0 personne de \nla d\u00e9marche que tu viens de faire. \n \nLa jeune fille prit les mains de Robin Hood et les baisa cha-\nleureusement. \n \u2013 Je prierai toute ma vie pour votre bonheur, messire, dit-\nelle d\u2019une voix \u00e9mue. \n \u2013 Que Dieu te garde, mon enfant ! au revoir. La jeune fille reprit en courant le chemin de la ville et dispa-\nrut bient\u00f4t sous l\u2019ombrage des arbres. \n \n\u2013 Hourra ! dit Will, nous allons avoir quelque chose \u00e0 faire, \nje m\u2019amuserai un peu. Maintenant, Robin, vos ordres. \n \u2013 Rendez-vous aupr\u00e8s de Petit- Jean, dites-lui de rassembler \nautant d\u2019hommes qu\u2019il en pourra tr ouver sous sa main, et de les \nconduire, bien entendu avec consigne de s\u2019y tenir invisibles, sur la \nlisi\u00e8re du bois qui avoisine No ttingham. Puis, d\u00e8s que vous en-\ntendrez le son de ma trompe, vous vous fraierez un chemin jus-qu\u2019\u00e0 moi, l\u2019arc tendu ou le sabre \u00e0 la main. \n \u2013 Que comptez-vous faire ? demanda Will. \n \n\u2013 Je vais gagner la ville afin de voir s\u2019il y a un moyen quel-\nconque de retarder l\u2019ex\u00e9cution. N\u2019oubliez pas, mes amis, qu\u2019il faut agir avec une extr\u00eame prudence, car si le sh\u00e9rif venait \u00e0 appren-dre que je suis pr\u00e9venu de la situ ation critique dans laquelle se \ntrouvent mes hommes, il pr\u00e9viend rait de ma part toute tentative \nde d\u00e9livrance, et ferait pendre nos compagnons \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du \nch\u00e2teau. Voil\u00e0 pour les prisonniers. Quant \u00e0 nous, vous savez que Sa Seigneurie s\u2019est hautement vant\u00e9e, si jamais nous venions \u00e0 \u2013 222 \u2013 tomber entre ses mains, de nous a ccrocher au gibet de la ville. Le \nsh\u00e9rif a men\u00e9 l\u2019affaire des joyeux c\u0153urs si rapidement qu\u2019il ne \npeut avoir \u00e0 craindre que j\u2019aie \u00e9t \u00e9 averti du sort qu\u2019il leur pr\u00e9-\npare ; en cons\u00e9quence, et dans le but d\u2019inspirer une sage frayeur \naux citoyens de Nottingham, il rendra publique la pendaison de nos camarades. Je me rends au pas de course \u00e0 la ville ; rejoignez \nvivement vos hommes, et suivez \u00e0 la lettre mes recommanda-tions. \n Cela dit, Robin Hood s\u2019\u00e9loigna en toute h\u00e2te. \u00c0 peine le jeune homme s\u2019\u00e9tait-il s\u00e9par\u00e9 de ses compagnons \nqu\u2019il rencontra un p\u00e8lerin de l\u2019ordre des mendiants. \n \u2013 Quelles sont les nouvelles de la ville, bon vieillard ? de-\nmanda Robin. \n \n\u2013 Les nouvelles de la ville, jeune homme, r\u00e9pondit le p\u00e8lerin, \nannoncent des larmes et des g\u00e9missements. Trois compagnons de Robin doivent \u00eatre pendus par ordre du baron Fitz Alwine. \n Une id\u00e9e subite traversa l\u2019esprit de Robin. \u2013 Mon p\u00e8re, dit-il, je voudrais, sans \u00eatre reconnu pour \u00eatre \nun des gardes du vieux bois, assi ster \u00e0 l\u2019ex\u00e9cution de ces bracon-\nniers. Peux-tu \u00e9changer tes v\u00eatements contre les miens ? \n \u2013 Vous voulez plaisanter, jeune homme ? \n\u2013 Non, mon p\u00e8re ; je d\u00e9sire tout simplement te donner mon \ncostume et endosser ta robe. Si tu acceptes ma proposition, je te \ndonnerai quarante schellings dont tu pourras disposer \u00e0 ta fantai-\nsie. \n \nLe vieillard examina curieuse ment celui qui lui adressait \ncette \u00e9trange demande. \n \u2013 223 \u2013 \u2013 Vos v\u00eatements sont beaux, dit-il, et ma robe est d\u00e9chir\u00e9e. Il \nn\u2019est donc point croyable que vous d\u00e9siriez changer votre brillant \ncostume contre de mis\u00e9rables haillons. Celui qui insulte un vieil-\nlard commet une grande faute ; il offense Dieu et le malheur. \n \n\u2013 Mon p\u00e8re, reprit Robin, je re specte tes cheveux blancs, et \nje prie la Vierge de te prendre sous sa divine protection. Ce n\u2019est point avec une pens\u00e9e offensante da ns le c\u0153ur que je t\u2019adresse ma \ndemande ; elle est n\u00e9cessaire \u00e0 l\u2019accomplissement d\u2019une bonne \n\u0153uvre. Tiens, ajouta Robin en o ffrant au vieillard une vingtaine \nde pi\u00e8ces d\u2019or, voici les arrhes de notre march\u00e9. \n Le p\u00e8lerin jeta sur les \u00e9cus un regard de convoitise. \u2013 La jeunesse a souvent des id\u00e9es folles, dit-il, et si vous \u00eates \ndans un acc\u00e8s de rieuse fantaisie, je ne vois pas pour quelle raison \nje refuserais de vous satisfaire. \n \u2013 Voil\u00e0 qui est bien dit, r\u00e9pliqua Robin, et si tu veux te d\u00e9s-\nhabiller\u2026 Tes chausses ont \u00e9t\u00e9 fa\u00e7onn\u00e9es par les \u00e9v\u00e9nements, re-prit Robin avec gaiet\u00e9 ; car, \u00e0 en juger par l\u2019innombrable quantit\u00e9 \nde morceaux dont elles se composent, elles ont r\u00e9uni \u00e0 elles les \u00e9toffes des quatre saisons. \n Le p\u00e8lerin se mit \u00e0 rire. \u2013 Mon v\u00eatement ressemble \u00e0 la conscience d\u2019un Normand, \nr\u00e9pondit-il ; il se compose de pi\u00e8ces et de morceaux, tandis que votre pourpoint est l\u2019image d\u2019un c\u0153ur saxon : il est fort et sans \ntache. \n \n\u2013 Tu parles d\u2019or, mon p\u00e8re, dit Robin en endossant les gue-\nnilles du vieillard avec toute l\u2019agilit \u00e9 dont il \u00e9tait capable, et si je \ndois rendre hommage \u00e0 ton esprit, il est de mon devoir d\u2019accorder une louange au m\u00e9pris manifeste qu e t\u2019inspire la richesse, car ta \nrobe est d\u2019une simplicit\u00e9 tout \u00e0 fait chr\u00e9tienne. \n \u2013 Dois-je conserver vos armes ? demanda le p\u00e8lerin. \u2013 224 \u2013 \n\u2013 Non, mon p\u00e8re, car elles me sont n\u00e9cessaires. Maintenant \nque notre mutuelle transformation est op\u00e9r\u00e9e, permets-moi de te \ndonner un conseil. \u00c9loigne-toi de cette partie de la for\u00eat, et sur-\ntout, dans l\u2019int\u00e9r\u00eat de ta conserva tion, garde-toi bien de chercher \n\u00e0 me suivre. Tu as mes habits sur tes \u00e9paules, mon argent dans ta \npoche, tu es riche et bien v\u00eatu , va chercher fortune \u00e0 quelques \nmilles de Nottingham. \n \n\u2013 Je te remercie du conseil, bon jeune homme : il r\u00e9pond \ntout \u00e0 fait \u00e0 mes secrets d\u00e9sirs. Re\u00e7ois la b\u00e9n\u00e9diction d\u2019un vieil-lard, et si l\u2019action que tu vas entreprendre est honn\u00eate, je te sou-haite un prompt succ\u00e8s. \n Robin salua gracieusement le p\u00e8lerin, et s\u2019\u00e9loigna en toute \nh\u00e2te dans la direction de la ville. \n \nAu moment o\u00f9 Robin, ainsi d\u00e9guis\u00e9 et n\u2019ayant pour toute \narme qu\u2019un b\u00e2ton de ch\u00eane, arrivait \u00e0 Nottingham, une cavalcade d\u2019hommes de guerre sortait du ch\u00e2teau et s\u2019acheminait vers l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la ville, o\u00f9 l\u2019on avait dress\u00e9 trois potences. \n Tout \u00e0 coup, une nouvelle inattendue circula dans la foule ; \nle bourreau \u00e9tait malade, et sur le point de tr\u00e9passer lui-m\u00eame, il \nne pouvait lancer personne dans l\u2019 \u00e9ternit\u00e9. Par ordre du sh\u00e9rif, on \nfit une proclamation : on demandait un homme qui, en vue d\u2019une honn\u00eate r\u00e9compense, consent\u00eet \u00e0 remplir l\u2019office de bourreau. \n Robin, qui s\u2019\u00e9tait plac\u00e9 en t\u00eate du cort\u00e8ge, s\u2019avan\u00e7a au devant \ndu baron Fitz Alwine. \n \u2013 Noble sh\u00e9rif, dit-il d\u2019une voix nasillarde, que me donneras-\ntu si je consens \u00e0 remplacer l\u2019 ex\u00e9cuteur de la haute police ? \n Le baron se recula de que lques pas comme un homme qui \nredoute un contact dangereux. \n \u2013 225 \u2013 \u2013 Il me semble, r\u00e9pondit le noble seigneur en toisant Robin \nde la t\u00eate aux pieds, que si je t\u2019 offrais un assortiment de costumes, \ntu pourrais accepter cette r\u00e9compen se. Ainsi, mendiant, si tu veux \nnous tirer d\u2019embarras, je te ferai donner six v\u00eatements neufs, et \nde plus, la gratification accord\u00e9e au bourreau, qui est de treize sols. \n \u2013 Et combien me donnerez-vous, monseigneur, si je vous \npends par-dessus le march\u00e9 ? demanda Robin en se rapprochant du baron. \n \u2013 Tiens-toi \u00e0 une distance respectueuse, mendiant, et r\u00e9p\u00e8te-\nmoi ce que tu viens de me dire, je ne l\u2019ai pas entendu. \n \u2013 Vous m\u2019avez offert six v\u00eateme nts neufs et treize sols, repar-\ntit Robin, pour pendre ces pauvres gars ; je demande ce que vous \najouteriez \u00e0 ma r\u00e9compense si je me chargeais de vous pendre, vous et une douzaine de vos chiens normands. \n \u2013 Effront\u00e9 coquin ! que signifient tes paroles ? s\u2019\u00e9cria le sh\u00e9-\nrif fort \u00e9tonn\u00e9 de l\u2019audace du p\u00e8lerin. Sais-tu \u00e0 qui tu t\u2019adresses ? Insolent valet, un mot de plus et tu feras le quatri\u00e8me oiseau se \nbalan\u00e7ant \u00e0 cet arbre de potence. \n \u2013 Avez-vous remarqu\u00e9, seigneur, re prit Robin, que je suis un \npauvre homme bien mis\u00e9rablement accoutr\u00e9 ? \n \u2013 Oui, en v\u00e9rit\u00e9, bien mis\u00e9r ablement accoutr\u00e9, r\u00e9pondit le \nsh\u00e9rif en faisant une grimace de d\u00e9go\u00fbt. \n \u2013 Eh bien ! reprit notre h\u00e9ros, cette mis\u00e8re ext\u00e9rieure cache \nun grand c\u0153ur, une nature impressi onnable. Je suis tr\u00e8s sensible \n\u00e0 l\u2019insulte, et je ressens le d\u00e9dain et l\u2019injure pour le moins autant que vous, noble baron. Vous n\u2019avez mis aucun scrupule \u00e0 accepter \nmes services, et cependant vous insultez \u00e0 ma mis\u00e8re. \n \u2013 Tais-toi, mendiant discoureur ; oses-tu bien te comparer \u00e0 \nmoi, \u00e0 moi lord Fitz Alwine ? Allons, tu es fou ! \u2013 226 \u2013 \n\u2013 Je suis un pauvre homme, dit Robin, un pauvre homme \nbien malheureux. \n \n\u2013 Je ne suis pas venu ici pour \u00e9couter les bavardages d\u2019un \nindividu de ton esp\u00e8ce, reprit le baron avec impatience. Si tu refu-\nses mes offres, va-t\u2019en : si tu les acceptes, mets-toi en devoir de remplir ton office. \n \u2013 Je ne sais pas au juste en quoi peut consister mon office, \nreprit Robin qui essayait de gagn er du temps afin de permettre \u00e0 \nses hommes d\u2019arriver \u00e0 la lisi\u00e8re du bois. Je n\u2019ai jamais servi de bourreau, et j\u2019en rends gr\u00e2ce \u00e0 la sainte Vierge. Mal\u00e9diction sur \nl\u2019inf\u00e2me m\u00e9tier et sur le mis\u00e9rable qui l\u2019exerce ! \n \u2013 Ah \u00e7a ! manant, te moques-tu de moi ? rugit le baron mis \nhors de lui par l\u2019impudence de Robin. \u00c9coute, si tu ne te mets pas \n\u00e0 la besogne sur-le-champ, je te fais rouer de coups. \n \n\u2013 En serez-vous plus avanc\u00e9 pour cela, monseigneur ? repar-\ntit Robin ; trouverez-vous plus promptement un homme dispos\u00e9 \u00e0 ob\u00e9ir \u00e0 vos ordres ? Non. Vous venez de faire une proclamation \nqui a \u00e9t\u00e9 entendue de tous, et n\u00e9anmoins je suis le seul qui me soit offert pour accomplir vos d\u00e9sirs. \n \u2013 Je vois bien o\u00f9 tu veux en venir, mis\u00e9rable coquin ! s\u2019\u00e9cria \nle sh\u00e9rif outr\u00e9 de col\u00e8re ; tu ve ux que l\u2019on augmente la somme qui \nt\u2019est promise pour exp\u00e9dier ces tr ois manants dans l\u2019autre monde. \n \nRobin haussa les \u00e9paules. \n \u2013 Faites-les pendre par qui bon vous semblera, r\u00e9pondit-il \nen affectant une compl\u00e8te indiff\u00e9rence. \n \u2013 Du tout, du tout, reprit le sh\u00e9rif d\u2019une voix radoucie ; tu \nvas te mettre \u00e0 l\u2019\u0153uvre. Je double la r\u00e9compense, et si tu ne rem-plis pas exactement ton office, j\u2019aurai le droit de dire que tu es le bourreau le moins consciencieux de la terre. \u2013 227 \u2013 \n\u2013 Si je voulais donner la mort \u00e0 ces malheureux, r\u00e9pondit \nRobin, je me contenterais de la r\u00e9compense que tu m\u2019as offerte ; \nmais je refuse nettement de so uiller mes mains au contact d\u2019une \npotence. \n \n\u2013 Qu\u2019est-ce \u00e0 dire, mis\u00e9rable ? rugit le baron. \n\u2013 Attendez, monseigneur, je vais appeler des gens qui, \u00e0 mon \ncommandement, vous d\u00e9livreront \u00e0 jamais de la vue de ces af-\nfreux coupables. \n \nEn achevant ces mots, Robin fi t r\u00e9sonner sur sa trompe une \njoyeuse fanfare, et saisit \u00e0 deux mains le baron \u00e9pouvant\u00e9. \n \u2013 Monseigneur, dit-il, votre existence d\u00e9pend d\u2019un geste ; si \nvous faites un mouvement, je vous enfonce mon couteau dans le \nc\u0153ur. D\u00e9fendez \u00e0 vos serviteurs de vous porter secours, ajouta Robin en brandissant au-dessus de la t\u00eate du vieillard un im-\nmense couteau de chasse. \n \u2013 Soldat, restez \u00e0 vos rangs ! cria le baron d\u2019une voix de sten-\ntor. \n Le soleil \u00e9tincelait sur la lame brillante du couteau, et ce re-\nflet lumineux donnait des \u00e9blouisse ments au vieux seigneur et lui \nfaisait appr\u00e9cier la puissance de son adversaire : c\u2019est pourquoi, au lieu de tenter une r\u00e9sistance impossible, il se soumit en g\u00e9mis-sant. \n \u2013 Que d\u00e9sires-tu de moi, honn\u00eate p\u00e8lerin ? dit le baron en \nessayant de donner \u00e0 sa voix une conciliante douceur. \n \u2013 La vie des trois hommes que vous voulez pendre, milord, \nr\u00e9pondit Robin Hood. \n \u2013 Je ne puis t\u2019accorder cette gr\u00e2ce, cher brave homme, r\u00e9-\npondit le vieillard ; ces malheur eux ont tu\u00e9 les daims qui appar-\u2013 228 \u2013 t e n a i e n t a u r o i , e t c e d \u00e9 l i t d e c h a s s e e s t p u n i d e m o r t . T o u t e l a \nville de Nottingham conna\u00eet leur crime et leur condamnation, et si, par une coupable faiblesse, je c\u00e9dais \u00e0 tes supplications, le roi \nserait instruit d\u2019une condescendance tout \u00e0 fait inexcusable. \n \n\u00c0 ce moment, un grand tumulte s\u2019 op\u00e9ra dans la foule, et l\u2019on \nentendit siffler le bruit des fl\u00e8ches. Robin, qui avait reconnu l\u2019arriv\u00e9e de ses hommes, laissa \u00e9chapper un cri. \n \u2013 Ah ! vous \u00eates Robin Hood ! s\u2019\u00e9cria le baron avec un accent \nlamentable. \n \u2013 Oui, milord, r\u00e9pondit notre h\u00e9ros, je suis Robin Hood. Amicalement prot\u00e9g\u00e9s par les habitants de la ville, les joyeux \nhommes arrivaient de toute part. Will \u00c9carlate et ceux-ci se \nconfondirent bient\u00f4t avec leurs compagnons. \n Les prisonniers une fois libres, le baron Fitz Alwine comprit \nque le seul moyen de se tirer lu i-m\u00eame sain et sauf d\u2019une situa-\ntion aussi critique \u00e9tait de se concilier Robin Hood. \n \u2013 Emmenez bien vite les condamn\u00e9s, lui dit-il ; mes soldats \nexasp\u00e9r\u00e9s par le souvenir d\u2019une r\u00e9 cente d\u00e9faite, pourraient mettre \nobstacle \u00e0 la r\u00e9ussite de votre projet. \n \u2013 Cet acte de courtoisie vous est dict\u00e9 par la crainte, repartit \nRobin Hood en riant. Je n\u2019ai point \u00e0 redouter la r\u00e9volte de vos soldats ; le nombre et la vaillance de mes hommes les rendent \ninvuln\u00e9rables. \n \nCela dit, Robin Hood salua ir oniquement le vieillard, lui \ntourna le dos, et ordonna \u00e0 ses hommes de reprendre le chemin de la for\u00eat. \n Les traits livides du baron respiraient \u00e0 la fois la rage et la \nfrayeur ; il r\u00e9unit sa troupe, re monta \u00e0 cheval, et s\u2019\u00e9loigna en \ntoute h\u00e2te. \u2013 229 \u2013 \nLes citoyens de Nottingham, qui envisageaient le braconnage \ncomme une action fort peu digne de bl\u00e2me, entour\u00e8rent les c\u0153urs \njoyeux en poussant des hourras de f\u00e9licitations. Puis les notables \nde la ville, mis \u00e0 l\u2019aise par la fuite du baron, adress\u00e8rent \u00e0 Robin \nHood les t\u00e9moignages de leur sy mpathie, tandis que les parents \ndes jeunes prisonniers embrassaient les genoux du lib\u00e9rateur de leurs fils. \n Les remerciements humbles et sinc\u00e8res de ces pauvres gens \nparlaient mieux au c\u0153ur de Robin Hood que n\u2019auraient pu le faire \ndes sentiments exprim\u00e9s dans une rh\u00e9torique fleurie. \u2013 230 \u2013 IX \n \nUne ann\u00e9e enti\u00e8re s\u2019\u00e9tait \u00e9coul \u00e9 e d e p u i s l e j o u r o \u00f9 R o b i n \navait si g\u00e9n\u00e9reusement secouru sir Richard de la Plaine, et depuis \nquelques semaines les joyeux ho mmes \u00e9taient de nouveau \u00e9tablis \ndans la for\u00eat de Barnsdale. \n \nD \u00e8 s l e m at i n d u j o ur f i x \u00e9 p o ur l a vi s i t e d u c h e val i e r , R o bi n \nHood se pr\u00e9para \u00e0 le recevoir ; mais l\u2019heure du rendez-vous \nn\u2019amena point le d\u00e9biteur attendu. \n \n\u2013 Il ne viendra pas, dit Will \u00c9carlate, qui assis avec Petit-\nJean et Robin Hood sous l\u2019ombrag e d\u2019un arbre, ex plorait avec une \ncertaine impatience la route qui se d\u00e9roulait sous ses yeux. \n \u2013 L\u2019ingratitude de sir Richard nous servira de le\u00e7on, r\u00e9pondit \nRobin ; elle nous apprendra \u00e0 ne point nous fier aux promesses \ndes hommes ; mais, pour l\u2019amour du genre humain, je ne vou-drais pas \u00eatre tromp\u00e9 par sir Richard, car je n\u2019ai jamais vu un homme qui port\u00e2t sur sa figure une empreinte plus visible de \nloyaut\u00e9 et de franchise, et j\u2019av oue que si mon d\u00e9biteur manque \u00e0 \nsa parole, je ne saurais plus \u00e0 quel signe ext\u00e9rieur on peut recon-na\u00eetre un honn\u00eate homme. \n \u2013 Moi, j\u2019attends avec certitude la venue de ce bon chevalier, \ndit Petit-Jean ; le soleil n\u2019est pas encore cach\u00e9 derri\u00e8re les arbres, et avant une heure sir Richard sera ici. \n \u2013 Que Dieu vous entende, mo n cher Jean, r\u00e9pondit Robin \nHood, et je veux esp\u00e9rer avec vous que la parole d\u2019un Saxon est \nun engagement d\u2019honneur. Je resterai \u00e0 cette place jusqu\u2019au lever \ndes premi\u00e8res \u00e9toiles, et si le chevalier ne vient pas, son absence sera pour moi le deuil d\u2019un ami. Prenez vos armes, mes gar\u00e7ons, \nappelez Much, et allez vous promen er tous les trois sur le chemin \u2013 231 \u2013 qui conduit \u00e0 l\u2019abbaye de Sainte -Marie. Peut-\u00eatre apercevrez-vous \nsir Richard ; \u00e0 d\u00e9faut de cet ingrat, quelque riche Normand, ou \nm\u00eame un pauvre diable affam\u00e9. Je d\u00e9sire voir un visage inconnu, \nallez \u00e0 la recherche d\u2019une aventu re, et amenez-moi un convive \nquelconque. \n \n\u2013 Voil\u00e0, par exemple, une \u00e9trange mani\u00e8re de vous consoler, \nmon cher Robin, dit Will en riant ; mais qu\u2019il en soit ainsi que \nvous le d\u00e9sirez. Nous allons no us mettre en qu\u00eate d\u2019une passag\u00e8re \ndistraction. \n \nLes deux jeunes gens appel\u00e8rent Much, et lorsque celui-ci \neut r\u00e9pondu \u00e0 l\u2019appel, ils s\u2019engag\u00e8rent de compagnie dans la di-rection indiqu\u00e9e par Robin. \n \u2013 Robin est bien triste aujourd\u2019hui, dit Will en mani\u00e8re de \nr\u00e9flexion. \n \n\u2013 Pourquoi ? demanda Much d\u2019un ton surpris. \u2013 Parce qu\u2019il craint de s\u2019\u00eatre tromp\u00e9 en accordant sa \nconfiance \u00e0 sir Richard de la Plaine, r\u00e9pondit Petit-Jean. \n \u2013 J e n e v o i s p a s c o m m e n t i l p e u t y a v o i r d a n s c e t t e e r r e u r \nune cause de chagrin pour Robin, dit Will ; nous n\u2019avons pas be-soin d\u2019argent, et quatre cents \u00e9cus de plus ou de moins dans notre caisse\u2026 \n \u2013 Robin ne songe pas \u00e0 l\u2019argent, interrompt Jean d\u2019une voix \npresque irrit\u00e9e, et ce que vous dites l\u00e0, mon cousin, est une v\u00e9ri-\ntable sottise. Robin souffre d\u2019avoir oblig\u00e9 un c\u0153ur ingrat, voil\u00e0 tout. \n \u2013 J\u2019entends les pas d\u2019un cheval, dit Will ; arr\u00eatons-nous. \u2013 Je vais \u00e0 la rencontre du vo yageur, cria Much qui s\u2019\u00e9loigna \nen courant. \n \u2013 232 \u2013 \u2013 Si c\u2019est le chevalier, appelez-nous, dit Jean. \n William et son cousin attendirent, et bient\u00f4t Much se montra \nau bout du sentier. \n \n\u2013 Ce n\u2019est pas sir Richard, dit-il en arrivant aupr\u00e8s de ses \namis, deux fr\u00e8res dominicains accompagn\u00e9s d\u2019une douzaine d\u2019hommes. \n \u2013 Si ces dominicains ont un cort\u00e8ge sur leurs talons, dit \nJean, ils sont richement pourvus de pi\u00e8ces d\u2019or, soyez-en s\u00fbrs. En \ncons\u00e9quence, il faut les inviter \u00e0 partager le repas de Robin. \n \u2013 Faut-il appeler quelques-uns des joyeux hommes ? de-\nmanda Will. \n \n\u2013 C\u2019est inutile, le c\u0153ur des valets est plac\u00e9 dans leurs jambes, \net il est tellement l\u2019esclave de ce s derni\u00e8res que tout cela ne fait \nqu\u2019un et ne comprend qu\u2019une chose en pr\u00e9sence du danger, la fuite. Vous allez \u00eatre juges de la v\u00e9rit\u00e9 de mes paroles. Attention, voici les moines. Souvenez-vou s qu\u2019il faut absolument les \nconduire \u00e0 Robin ; il s\u2019ennuie, et ce lui sera une amusante distrac-tion. Pr\u00e9parez vos arcs, et tenez-vous pr\u00eats \u00e0 barrer le chemin \u00e0 cette belle cavalcade. \n William et Much ex\u00e9cut\u00e8rent pres t e m e n t l e s o r d r e s d e l e u r \nchef. En tournant un coin de la route qui serpentait capricieuse-ment entre deux lignes d\u2019arbres, les voyageurs aper\u00e7urent les fo-restiers et la position hostile qu\u2019ils avaient prise. \n Les hommes, \u00e9pouvant\u00e9s par cette rencontre dangereuse, ar-\nr\u00eat\u00e8rent leurs chevaux, et les moines, qui occupaient le premier rang de la petite colonne, tent\u00e8rent de se dissimuler derri\u00e8re leurs serviteurs. \n \u2013 Ne bougez pas, mes p\u00e8res, cria Jean d\u2019une voix imp\u00e9rieuse, \nsinon je vous frappe de mort. \n \u2013 233 \u2013 Les moines p\u00e2lirent alternativement ; mais, se sentant \u00e0 la \nmerci des forestiers, ils ob\u00e9irent \u00e0 l\u2019ordre qui leur \u00e9tait donn\u00e9 \navec tant de violence. \n \n\u2013 Doux \u00e9tranger, dit un des moin es en grima\u00e7ant le plus ai-\nmable sourire, que d\u00e9sirez-vous d\u2019un pauvre serviteur de la sainte \u00c9glise ? \n \n\u2013 Je d\u00e9sire que vous h\u00e2tiez le pas de vos chevaux ; mon ma\u00ee-\ntre vous attend depuis trois heures, et le d\u00eener va se refroidir. \n \nLes dominicains \u00e9chang\u00e8rent un regard plein d\u2019inqui\u00e9tude. \n \u2013 Le sens de vos paroles es t une \u00e9nigme pour nous, mon \nami ; veuillez vous expliquer, r\u00e9pondit le moine d\u2019un ton miel-leux. \n \n\u2013 Je vous dis une fois encore, et ceci ne demande pas \u00e0 \u00eatre \nexpliqu\u00e9 : Mon ma\u00eetre vous attend. \n \u2013 Qui est votre ma\u00eetre, mon ami ? \u2013 Robin Hood, r\u00e9pondit laconiquement Petit-Jean. Un fris-\nson d\u2019\u00e9pouvante passa comme un so uffle glac\u00e9 sur l\u2019\u00e9piderme des \nhommes qui accompagnaient les moines. Ils jet\u00e8rent autour d\u2019eux des regards pleins de frayeur, croyant sans doute voir surgir un outlaw du centre des buissons et du massif des arbustes. \n \u2013 Robin Hood ! r\u00e9p\u00e9ta le moine d\u2019une voix plus criarde \nqu\u2019elle ne s\u2019\u00e9tait montr\u00e9e musicale ; je connais Robin Hood : c\u2019est un voleur de profession dont la t\u00eate est mise \u00e0 prix. \n \u2013 Robin Hood n\u2019est pas un voleur, r\u00e9pondit furieusement Pe-\ntit-Jean, et je ne conseille \u00e0 personne de se faire l\u2019\u00e9cho de l\u2019insolente accusation que vous venez de porter contre mon noble ma\u00eetre. Mais je n\u2019ai pas le temp s de discuter avec vous sur un \npoint aussi d\u00e9licat. Robin Hood vo us invite \u00e0 d\u00eener, suivez-moi \nsans r\u00e9sistance. Quant \u00e0 vos servit eurs, je les engage \u00e0 me tourner \u2013 234 \u2013 les talons s\u2019ils veulent avoir la vie sauve. Will et Much, faites tom-\nber le premier homme qui fera mine de vouloir rester ici malgr\u00e9 \nma volont\u00e9. \n \nLes forestiers, qui avaient abaiss\u00e9 leurs arcs pendant la \nconversation du moine avec Petit- Jean, les relev\u00e8rent aussit\u00f4t et \nse tinrent pr\u00eats \u00e0 envoyer la dangereuse fl\u00e8che. \n \nEn voyant les arcs lev\u00e9s et tourn\u00e9s contre eux, les serviteurs \ndes dominicains \u00e9peronnaient le urs montures et se sauvaient \navec une pr\u00e9cipitation qui faisai t hautement l\u2019\u00e9loge de la pru-\ndence de leur caract\u00e8re. \n \nLes moines se disposaient \u00e0 suivre l\u2019exemple de la petite \ntroupe lorsqu\u2019ils furent arr\u00eat\u00e9s par Jean, qui saisit la bride des \nchevaux et les contraignit \u00e0 rester stationnaires. Derri\u00e8re les moi-\nnes, Jean aper\u00e7ut un groom qui paraissait avoir la charge de \nconduire un cheval de somme, et pr\u00e8s de ce groom se tenait, muet de frayeur, un petit gar\u00e7on v\u00eatu d\u2019un costume de page. \n Plus courageux que les hommes de l\u2019escorte, les deux enfants \nn\u2019avaient point d\u00e9sert\u00e9 leur poste. \n \u2013 Gardez-moi \u00e0 vue ces jeunes dr\u00f4les, dit Jean \u00e0 Will \u00c9car-\nlate ; je leur accorde la permission de suivre leurs ma\u00eetres. \n Robin \u00e9tait rest\u00e9 assis sous l\u2019arbre du Rendez-Vous et, d\u00e8s \nqu\u2019il aper\u00e7ut Jean et ses compagnons, il se leva vivement, s\u2019avan\u00e7a \u00e0 leur rencontre et salua affectueusement les moines. \n Cette politesse ne laissant pas supposer aux dominicains \nqu\u2019ils se trouvaient en pr\u00e9sence de Robin Hood, ils ne lui rendi-rent pas son salut. \n \u2013 Ne faites pas attention \u00e0 ces impertinents, Robin, dit Jean \nirrit\u00e9 de l\u2019irr\u00e9v\u00e9rence des moines ; ce sont des \u00eatres sans \u00e9duca-tion ; ils n\u2019ont jamais de bienveillantes paroles pour les pauvres, ni de courtoisie \u00e0 l\u2019\u00e9gard de qui que ce soit. \u2013 235 \u2013 \n\u2013 N\u2019importe, r\u00e9pondit Robin ; je connais les moines et je \nn\u2019attends d\u2019eux ni bonnes paroles ni gracieux sourires. La poli-\nt e s s e e s t u n d e v o i r d o n t j e s u i s l \u2019 e s c l a v e . M a i s q u \u2019 a v e z - v o u s l \u00e0 , \nWill ? ajouta Robin en regardant le s deux pages et le cheval de \nsomme. \n \u2013 Les d\u00e9bris d\u2019une troupe compos\u00e9e d\u2019une douzaine \nd\u2019hommes, r\u00e9pondit le jeune homme en riant. \n \u2013 Qu\u2019avez-vous fait du corp s de cette vaillante arm\u00e9e ? \n \u2013 Rien ; la vue de nos arcs tendus a jet\u00e9 l\u2019\u00e9pouvante et la d\u00e9-\nroute dans ses rangs ; il a fui sans m\u00eame tourner la t\u00eate. Robin se mit \u00e0 rire. \n \n\u2013 Mais, dignes fr\u00e8res, reprit-il en s\u2019adressant aux moines, \nvous devez avoir grand faim apr\u00e8s une aussi longue promenade ; voulez-vous partager mon repas ? \n Les dominicains regardaient les joyeux hommes accourus \u00e0 \nl\u2019appel du cor d\u2019un air si effar\u00e9, que Robin leur dit doucement, afin de calmer leur \u00e9pouvante : \n \u2013 Ne craignez rien, bons moines, il ne vous sera fait aucun \nmal ; mettez-vous \u00e0 table et mangez \u00e0 votre faim. \n Les moines ob\u00e9irent ; mais il \u00e9tai t facile de voir qu\u2019ils \u00e9taient \nfort peu rassur\u00e9s par les bienveillantes paroles du jeune chef. \n \u2013 O\u00f9 est situ\u00e9e votre abbaye ? demanda Robin et quel nom \nporte-t-elle ? \n \u2013 J\u2019appartiens \u00e0 l\u2019abbaye de Sain te-Marie, r\u00e9pondit l\u2019a\u00een\u00e9 des \nmoines et je suis le grand ce ll\u00e9rier (pourvoyeur) du couvent. \n \u2013 Soyez le bienvenu, fr\u00e8re cell\u00e9rier, dit Robin ; je suis heu-\nreux de recevoir un homme de votre valeur. Vous allez me donner \u2013 236 \u2013 une opinion sur mon vin, car vous devez \u00eatre \u00e0 cet \u00e9gard-l\u00e0 un \nexcellent juge ; mais j\u2019ose esp\u00e9rer que vous le trouverez \u00e0 votre go\u00fbt, car, \u00e9tant moi-m\u00eame fort difficile, je bois toujours du vin de \npremi\u00e8re qualit\u00e9. Les moines prirent confiance ; ils mang\u00e8rent de \nbon app\u00e9tit et le cell\u00e9rier reconnut l\u2019excellence des mets et le bon cr\u00fb des vins, ajoutant que c\u2019\u00e9tait un v\u00e9ritable plaisir de d\u00eener sur \nl\u2019herbe en si joyeuse compagnie. \n \n\u2013 Mon cher fr\u00e8re, dit Robin Ho od vers la fin du repas, vous \navez paru surpris d\u2019\u00eatre attend u \u00e0 d\u00eener par un homme que vous \nne connaissez pas. Je vais en peu de mots vous expliquer le mys-\nt\u00e8re de cette invitation. J\u2019ai pr\u00eat\u00e9, il y a un an, une somme d\u2019argent \u00e0 un ami de votre prieur, et j\u2019ai accept\u00e9 pour caution la m\u00e8re de Notre Seigneur J\u00e9sus, notre sainte patronne. Mon inalt\u00e9-rable confiance en la bont\u00e9 de l a V i e r g e d i v i n e m \u2019 a d o n n \u00e9 l a \nconfiance que, au dernier terme de l\u2019\u00e9ch\u00e9ance de cette dette, je \nrecevrais par une voie quelconque l\u2019 argent que j\u2019ai pr\u00eat\u00e9. J\u2019ai donc \nenvoy\u00e9 trois de mes compagnons \u00e0 la rencontre des voyageurs ; \nils vous ont vus, ils vous ont amen\u00e9s vers moi. Vous appartenez \u00e0 \nun couvent et je ne puis mettre en doute la d\u00e9licate mission qui \nvous a \u00e9t\u00e9 confi\u00e9e par la pr\u00e9voyan te et g\u00e9n\u00e9reuse bienveillance de \nvotre bien sainte patronne. Vous venez me rendre en son nom \nl\u2019argent donn\u00e9 \u00e0 un pauvre, soyez les bienvenus. \n \u2013 La dette dont vous me parlez m\u2019est compl\u00e8tement \u00e9tran-\ng\u00e8re, messire, r\u00e9pondit le moine, et je ne vous apporte point d\u2019argent. \n \u2013 Vous vous trompez, mon p\u00e8re , je suis certain que les cof-\nfres-forts qui sont plac\u00e9s sur le cheval confi\u00e9 \u00e0 vos pages contien-nent la somme qui m\u2019est due. Co mbien avez-vous de pi\u00e8ces d\u2019or \ndans cette jolie petite malle en cu ir si solidement attach\u00e9e sur le \ndos de ce malheureux quadrup\u00e8de ? \n L e m o i n e , f o u d r o y \u00e9 p a r l a q u e s t i o n d e R o b i n H o o d , d e v i n t \naffreusement p\u00e2le et balbutia d\u2019une voix inintelligible : \n \u2013 237 \u2013 \u2013 Je poss\u00e8de bien peu de chose, messire : une vingtaine de \npi\u00e8ces d\u2019or tout au plus. \n \n\u2013 Vingt pi\u00e8ces d\u2019or seulement ? repartit Robin en attachant \nsur le moine un regard fixe et dur. \n \n\u2013 Oui, messire, r\u00e9pondit le moine dont le visage livide \ns\u2019\u00e9claira soudain d\u2019une profonde rougeur. \n \u2013 Si vous dites vrai, mon fr\u00e8re, reprit Robin d\u2019un ton amical, \nje n\u2019enl\u00e8verai pas un denier \u00e0 votr e petite fortune. Mieux que cela \nencore, je vous donnerai tout l\u2019argent dont vous pourriez avoir besoin. Mais, en revanche, si vous avez eu le mauvais go\u00fbt de me faire un mensonge, je ne vous la isserai pas entre les mains la va-\nleur d\u2019un penny. Petit-Jean, ajouta Robin, visitez le petit coffre \ndont il est question : si vous n\u2019y trouvez que vingt pi\u00e8ces d\u2019or, res-\npectez la propri\u00e9t\u00e9 de notre h\u00f4te ; si la somme est double ou tri-\nple, prenez-la tout enti\u00e8re. \n Petit-Jean s\u2019empressa d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 l\u2019ordre de Robin. Le visage \ndu moine perdit ses couleurs ; une larme de rage roula le long de \nses joues, il croisa convulsiveme nt ses deux mains, et laissa \n\u00e9chapper de sa gorge une sourde exclamation. \n \u2013 Ah ! ah ! dit Robin en consid\u00e9rant le fr\u00e8re, il para\u00eet que les \nvingt pi\u00e8ces d\u2019or sont en nombreuse compagnie. Eh bien ! Jean, demanda Robin, notre h\u00f4te est-il aussi pauvre qu\u2019il veut bien le dire ? \n \n\u2013 Je ne sais s\u2019il est pauvre, r\u00e9pondit Jean, mais ce dont je \nsuis certain, c\u2019est que je viens de trouver dans le petit coffre huit \ncents pi\u00e8ces d\u2019or. \n \u2013 Laissez-moi cet argent, messire, dit le moine ; il ne \nm\u2019appartient pas, et j\u2019en suis responsable devant mon sup\u00e9rieur. \n \u2013 \u00c0 qui portiez-vous ces huit cents pi\u00e8ces d\u2019or ? demanda \nRobin. \u2013 238 \u2013 \n\u2013 Aux inspecteurs de l\u2019abbaye Sainte-Marie, de la part de no-\ntre abb\u00e9. \n \n\u2013 Les inspecteurs abusent de la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 de votre prieur, \nmon fr\u00e8re, et c\u2019est tr\u00e8s mal \u00e0 eux de se payer si cher quelques in-dulgentes paroles. Cette fois-ci, ils n\u2019auront rien, et vous leur di-\nrez que Robin Hood ayant eu besoin d\u2019argent, s\u2019est empar\u00e9 de \ncelui qu\u2019ils attendent. \n \n\u2013 Il y a encore un autre coffre, dit Jean, dois-je l\u2019ouvrir ? \u2013 Non, r\u00e9pondit Robin, je me contente des huit cents pi\u00e8ces \nd\u2019or. Sir moine, vous \u00eates libre de continuer votre route. Vous \navez \u00e9t\u00e9 trait\u00e9 avec courtoisie, et j\u2019esp\u00e8re vous voir partir satisfait en tout point. \n \n\u2013 Je n\u2019appelle pas de la courtois ie une invitation forc\u00e9e et un \nvol manifeste, r\u00e9pondit le moine d\u2019un ton rogue. Me voil\u00e0 oblig\u00e9 \nde rentrer au couvent, et que dirai-je au prieur ? \n \u2013 Vous le saluerez de ma part, r\u00e9pondit Robin Hood en riant. \nI l m e c o n n a \u00ee t , l e d i g n e f r \u00e8 r e , e t c e s o u v e n i r d e b o n n e a m i t i \u00e9 l u i sera extr\u00eamement sensible. \n Les moines remont\u00e8rent \u00e0 cheval, et le c\u0153ur gonfl\u00e9 de col\u00e8re, \nils reprirent au galop le chemin qui devait les conduire \u00e0 l\u2019abbaye de Sainte-Marie. \n \n\u2013 Quela sainte Vierge soit b\u00e9ni e ! s\u2019\u00e9cria Petit-Jean ; elle \nnous a rendu l\u2019argent que vous avez pr\u00eat\u00e9 \u00e0 sir Richard, et si ce \ndernier a manqu\u00e9 de parole, nous pouvons encore nous consoler \npuisque nous n\u2019avons rien perdu. \n \u2013 Je ne me console pas avec tant de facilit\u00e9 d\u2019avoir perdu \nconfiance en la parole d\u2019un Saxon, r\u00e9pondit Robin, et j\u2019eusse pr\u00e9-f\u00e9r\u00e9 recevoir la visite de sir Richard, pauvre et d\u00e9pouill\u00e9 de tout, que d\u2019avoir la conviction qu\u2019il est ingrat et sans honneur. \u2013 239 \u2013 \n\u2013 Mon noble ma\u00eetre, cria tout \u00e0 coup une voix joyeuse venant \nde la clairi\u00e8re, un chevalier suit la grande route ; il est accompa-\ngn\u00e9 d\u2019une centaine d\u2019hommes, arm\u00e9s jusqu\u2019aux dents. Faut-il se \npr\u00e9parer \u00e0 leur barrer passage ? \n \u2013 Sont-ce des Normands ? demanda vivement Robin. \n\u2013 On voit peu de Saxons aussi richement habill\u00e9s que le sont \nces voyageurs, r\u00e9pondit le je une gar\u00e7on qui avait annonc\u00e9 \nl\u2019approche de cette respectable troupe. \n \n\u2013 Alerte, alors, mes joyeux hommes ! cria Robin. \u00c0 vos arcs \net \u00e0 vos cachettes ; pr\u00e9parez vos fl\u00e8ches, mais ne tirez pas avant d\u2019avoir re\u00e7u l\u2019ordre de commencer l\u2019attaque. \n \nLes hommes disparurent, et le carrefour o\u00f9 se tenait Robin \nparut bient\u00f4t enti\u00e8rement d\u00e9sert. \n \u2013 Vous ne venez donc pas avec nous ? demanda Jean \u00e0 Ro-\nbin, qui restait immobile au pied d\u2019un arbre. \n \u2013 Non, r\u00e9pondit le jeune homme ; je veux attendre les \u00e9tran-\ngers et reconna\u00eetre \u00e0 qui nous allons avoir affaire. \n \u2013 Alors je reste avec vous, reprit Jean ; votre isolement pour-\nrait devenir dangereux : une fl\u00e8che est si vite lanc\u00e9e. Si on vous frappe, je serai au moins \u00e0 port\u00e9e de vous d\u00e9fendre. \n \n\u2013 Je me fais \u00e9galement votre garde du corps, dit Will en \ns\u2019asseyant aupr\u00e8s de Robin qui s\u2019\u00e9tait nonchalamment \u00e9tendu sur \nl\u2019herbe. \n L\u2019arriv\u00e9e, si inattendue, d\u2019un corps d\u2019hommes presque for-\nmidable, vu le petit nombre de forestiers, qui la plupart du temps, \u00e9taient diss\u00e9min\u00e9s dans tous les co ins du bois, inqui\u00e9tait l\u00e9g\u00e8re-\nment Robin, et il ne voulait pa s commencer les hostilit\u00e9s avant \nd\u2019\u00eatre certain que la victoire pouvait \u00eatre possible. \u2013 240 \u2013 \nLes cavaliers avan\u00e7aient rapidement le long de la clairi\u00e8re ; \nlorsqu\u2019ils furent parvenus \u00e0 port\u00e9e de fl\u00e8che de l\u2019endroit o\u00f9 se \ntenait Robin, celui qui paraissait \u00eatre leur chef s\u2019\u00e9lan\u00e7a au galop \nde son cheval \u00e0 l\u2019encontre de Robin. \n \n\u2013 C\u2019est sir Richard ! cria Jean d\u2019une voix joyeuse apr\u00e8s avoir \nregard\u00e9 le fougueux cavalier. \n \u2013 Sainte m\u00e8re, je te remercie ! s\u2019\u00e9cria Robin en bondissant \nsur ses pieds ; un Saxon n\u2019a pas viol\u00e9 sa parole ! \n Sir Richard descendit rapidement de son cheval, courut vers \nRobin et se jeta dans ses bras. \n \u2013 Que Dieu te garde, Robin Ho od, dit-il, en embrassant pa-\nternellement le jeune homme ; que Dieu te garde en joie et en \nsant\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 ton dernier jour ! \n \u2013 Sois le bienvenu dans la verte for\u00eat, doux chevalier, r\u00e9pon-\nd i t R o b i n a v e c \u00e9 m o t i o n ; j e s u i s h e u r e u x d e t e v o i r f i d \u00e8 l e \u00e0 t a promesse et le c\u0153ur rempli de bons sentiments pour ton d\u00e9vou\u00e9 serviteur. \n \u2013 Je serais venu m\u00eame les mains vides, Robin Hood, tant je \nme fais gloire et bonheur de te serrer les mains ; heureusement \npour la satisfaction de mon c\u0153ur, je puis te rendre l\u2019argent que tu m\u2019as pr\u00eat\u00e9 avec tant de gr\u00e2ce, de bont\u00e9 et de courtoisie. \n \n\u2013 Tu es donc rentr\u00e9 dans l\u2019enti\u00e8re possession de tes biens ? \ndemanda Robin Hood. \n \n\u2013 Oui, et que Dieu te rende en prosp\u00e9rit\u00e9 tout le bonheur que \nje te dois. \n Les hommes, magnifiquement v\u00eatu s \u00e0 la mode du temps, qui \nformaient une ligne \u00e9tincelante auto ur de sir Richard, attir\u00e8rent \nbient\u00f4t l\u2019attention de Robin. \u2013 241 \u2013 \n\u2013 Cette belle troupe t\u2019appartient ? demanda le jeune homme. \n\u2013 Elle m\u2019appartient dans ce moment-ci, r\u00e9pondit le chevalier \nen souriant. \n \n\u2013 J\u2019admire la tenue des hommes et leurs martiales figures, \nreprit Robin Hood d\u2019un ton de r\u00e9elle surprise ; ils paraissent par-\nfaitement disciplin\u00e9s. \n \n\u2013 Oui, ils sont braves et fid\u00e8les, et tous d\u2019origine saxonne ; \nleur caract\u00e8re est loyal, j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 mis \u00e0 l\u2019\u00e9preuve les qualit\u00e9s que je \nte signale. Tu me rendrais un v\u00e9 ritable service, mon cher Robin, \nsi tu voulais donner l\u2019ordre \u00e0 tes gens d\u2019h\u00e9berger mes compa-gnons ; ils ont fait une longue ro ute et doivent avoir besoin de \nquelques heures de repos. \n \n\u2013 Ils vont apprendre ce que c\u2019est que l\u2019hospitalit\u00e9 foresti\u00e8re, \nr\u00e9pondit Robin avec empressement. Mes joyeux hommes, dit-il \u00e0 sa troupe qui commen\u00e7ait \u00e0 surgir de tous les coins du fourr\u00e9, ces \u00e9trangers sont des fr\u00e8res, des Saxons ; ils ont faim et soif. Mon-trez-leur, je vous prie, comment nous traitons les amis qui nous \nrendent visite dans la verte for\u00eat. \n Les forestiers ob\u00e9irent aux ordres de Robin avec une promp-\ntitude qui dut satisfaire sir Richard ; car, avant de se retirer \u00e0 l\u2019\u00e9cart avec son h\u00f4te, il vit le gazo n couvert de vivres , de pots d\u2019ale \net de bouteilles remplies de bon vin. \n \nRobin Hood, sir Richard, Petit-Jean et Will s\u2019attabl\u00e8rent de-\nvant un succulent repas, et au dessert le chevalier commen\u00e7a ain-\nsi le r\u00e9cit des \u00e9v\u00e9nements qui s\u2019\u00e9t aient pass\u00e9s depuis le jour de sa \npremi\u00e8re rencontre avec notre h\u00e9ros. \n \n\u2013 Je ne puis vous d\u00e9peindre, mes chers amis, avec quels sen-\ntiments de gratitude et de joie infinie je sortis de cette for\u00eat, il y a aujourd\u2019hui un an. Mon c\u0153ur bondissait dans ma poitrine, et j\u2019avais une telle h\u00e2te de revoir ma femme et mes enfants que je \u2013 242 \u2013 gagnai le ch\u00e2teau en moins de temps qu\u2019il n\u2019en faut pour vous \nraconter toute mon histoire. \n \n\u00bb \u2013 Nous sommes sauv\u00e9s ! m\u2019\u00e9criai-je en attirant sur mon \nc \u0153 u r m a p a u v r e f a m i l l e . M a f e m m e f o n d i t e n l a r m e s e t f a i l l i t \ns\u2019\u00e9vanouir, tant sa surprise et son \u00e9motion \u00e9taient grandes. \n \u00bb \u2013 Comment se nomme le g\u00e9n\u00e9reux ami qui est venu \u00e0 no-\ntre aide ? demanda Herbert. \n \u00bb \u2013 Mes enfants, r\u00e9pondis-je, j\u2019ai frapp\u00e9 inutilement \u00e0 toutes \nles portes, j\u2019ai inutilement implor\u00e9 le secours de ceux qui disaient \u00eatre nos amis, et je n\u2019ai trouv\u00e9 de piti\u00e9 qu\u2019aupr\u00e8s d\u2019un homme \u00e0 qui j\u2019\u00e9tais inconnu. Cet homme bienfaisant est un noble proscrit, le protecteur des pauvres, le soutien des malheureux, le vengeur des opprim\u00e9s ; cet homme, c\u2019est Robin Hood. \n \n\u00bb \u2013 Mes enfants s\u2019agenouill\u00e8rent aupr\u00e8s de leur m\u00e8re et, \nd\u2019une voix pieuse, ils \u00e9lev\u00e8rent vers Dieu les sinc\u00e8res remercie-\nments d\u2019une profonde reconnaissance. \n \u00bb \u2013 Ce devoir de c\u0153ur accomp li, Herbert me supplia de lui \npermettre de te rendre visite ; mais je fis comprendre \u00e0 mon fils que la spontan\u00e9it\u00e9 de cette d\u00e9marche serait pour toi plut\u00f4t une g\u00eane qu\u2019un v\u00e9ritable plaisir, parce que tu n\u2019aimais pas \u00e0 entendre \nparler de tes bonnes actions. \u00bb \n \u2013 Mon cher chevalier, interrompit Robin, laissons un peu de \nc\u00f4t\u00e9 cette partie de ton histoire, et apprends-nous comment tu as \narrang\u00e9 ton affaire avec l\u2019abb\u00e9 de Sainte-Marie. \n \n\u2013 Patience, mon cher h\u00f4te, patience, dit sir Richard en sou-\nriant ; je ne veux pas faire votre \u00e9loge, soyez sans inqui\u00e9tude ; \u00e0 \ncet \u00e9gard-l\u00e0, je connais votre admirable modestie ; n\u00e9anmoins, je crois devoir vous dire que la douce Lilas joignit ses pri\u00e8res aux instances d\u2019Herbert, et qu\u2019il me fallut user de toute mon autorit\u00e9 paternelle pour arriver \u00e0 mettre un peu de r\u00e9signation dans ces \u2013 243 \u2013 jeunes c\u0153urs. J\u2019ai promis en votre nom \u00e0 mes enfants qu\u2019ils au-\nraient le bonheur de vous voir au ch\u00e2teau. \n \n\u2013 Vous avez bien fait, sir Richard ; je vous promets d\u2019aller un \nde ces jours vous demander l\u2019hospitalit\u00e9, dit affectueusement Ro-\nbin. \n \u2013 Merci, mon cher h\u00f4te. Je fera i part \u00e0 Lilas et \u00e0 Herbert de \nl\u2019engagement que vous venez de pr endre, et l\u2019espoir de vous re-\nmercier de vive voix les comblera de satisfaction. \n \u00bb D\u00e8s le lendemain de mon arriv\u00e9e, continua sir Richard, je \nme pr\u00e9sentai \u00e0 l\u2019abbaye de Sainte-Marie. \n \u00bb J\u2019appris plus tard que, \u00e0 l\u2019heure m\u00eame o\u00f9 je m\u2019acheminais \nvers le couvent, l\u2019abb\u00e9 et le prieur, r\u00e9unis dans la salle du r\u00e9fec-\ntoire, parlaient de moi en ces termes : \n \u00bb \u2013 Il y a aujourd\u2019hui un an, di sait l\u2019abb\u00e9 au prieur, un cheva-\nlier dont le domaine touche aux limites du couvent, m\u2019a emprunt\u00e9 quatre cents pi\u00e8ces d\u2019or ; il doit me rembourser cet argent avec l\u2019int\u00e9r\u00eat, ou me laisser la libre disposition de tous ses biens. Selon moi, le jour commenc\u00e9 finit \u00e0 midi : je consid\u00e8re donc l\u2019heure de l\u2019\u00e9ch\u00e9ance comme arriv\u00e9e, et je me crois ma\u00eetre absolu de la tota-lit\u00e9 de son h\u00e9ritage. \n \u00bb \u2013 Mon fr\u00e8re, r\u00e9pondit le prieur d\u2019un ton indign\u00e9, vous \u00eates \ncruel ; un pauvre homme qui a une dette \u00e0 payer doit, en toute justice, avoir un dernier d\u00e9lai de vingt-quatre heures. Il serait \nhonteux \u00e0 vous de r\u00e9clamer une pr opri\u00e9t\u00e9 sur laquelle vous n\u2019avez \nencore aucun droit. En agissant ainsi, vous ruinerez un malheu-\nreux, vous le r\u00e9duirez \u00e0 la mis\u00e8re, et votre devoir comme membre d e l a t r \u00e8 s s a i n t e \u00c9 g l i s e v o u s f a it une obligation d\u2019all\u00e9ger autant \nque possible le fardeau de chagrin qui p\u00e8se sur nos malheureux fr\u00e8res. \n \u00bb \u2013 Gardez vos conseils pour ceux qui veulent bien les rece-\nvoir, r\u00e9pondit l\u2019abb\u00e9 avec col\u00e8re : je ferai ce que bon me semble \u2013 244 \u2013 sans prendre souci de vos r\u00e9flexio ns hypocrites. \u2013 En ce moment, \nle grand cell\u00e9rier entra dans le r\u00e9fectoire. \u2013 Avez-vous re\u00e7u des \nnouvelles de sir Richard de la Plaine ? lui demanda l\u2019abb\u00e9. \n \n\u00bb \u2013 Non, mais cela ne m\u2019importe gu\u00e8re. Tout ce que je sais, \nmonsieur l\u2019abb\u00e9, c\u2019est que sa propri\u00e9t\u00e9 est maintenant la v\u00f4tre. \n \u00bb \u2013 Le grand juge est ici, reprit l\u2019abb\u00e9 ; je vais apprendre de \nlui si je puis r\u00e9clamer comme m\u2019 appartenant le ch\u00e2teau de sir Ri-\nchard. \n \u00bb L\u2019abb\u00e9 alla trouver le grand juge, et celui-ci, moyennant fi-\nnance, r\u00e9pondit au moine : \n \u00bb \u2013 Sir Richard ne viendra pas aujourd\u2019hui ; en cons\u00e9quence \ntu peux te consid\u00e9rer comme \u00e9tant le possesseur de tous ses \nbiens. \n \u00bb Ce jugement inique venait d\u2019 \u00eatre rendu lorsque je me pr\u00e9-\nsentai \u00e0 la porte du couvent. \n \u00bb Afin de mettre \u00e0 l\u2019\u00e9preuve la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 de mon cr\u00e9ancier, \nje m\u2019\u00e9tais v\u00eatu d\u2019un habit mesquin, et les hommes qui m\u2019accompagnaient \u00e9taient aussi fort pauvrement accoutr\u00e9s. \n \u00bb Le portier de l\u2019abbaye vint \u00e0 ma rencontre. J\u2019avais eu des \nbont\u00e9s pour lui au temps heureux de ma prosp\u00e9rit\u00e9, et le brave homme en avait conserv\u00e9 un souv enir reconnaissant. Le portier \nme fit part de la conversation qu i venait d\u2019avoir lieu entre l\u2019abb\u00e9 \net le prieur. Je n\u2019en fus pas surpris : je savais bien que je n\u2019avais \u00e0 attendre aucune gr\u00e2ce du saint homme. \n \u00bb \u2013 Soyez le bienvenu, continua le moine ; votre arriv\u00e9e va \nsurprendre tr\u00e8s agr\u00e9ablement le prieur. Milord abb\u00e9 sera moins satisfait sans doute, car il se croi t d\u00e9j\u00e0 propri\u00e9taire de votre belle \nhabitation. Vous trouverez beaucoup de monde dans la grande salle, des gentilshommes, plusieurs lords. J\u2019esp\u00e8re, sir Richard, que vous n\u2019avez accord\u00e9 aucune confiance aux mielleuses paroles \u2013 245 \u2013 de notre sup\u00e9rieur, et que vous apportez de l\u2019argent, ajouta le \nbrave portier d\u2019un ton d\u2019affectueuse inqui\u00e9tude. \n \n\u00bb Je rassurai le bon moine, et je p\u00e9n\u00e9trai seul dans la salle, \no\u00f9 toute la communaut\u00e9 r\u00e9unie en grand conseil prenait ses ar-\nrangements pour me faire signifier l\u2019expropriation de mes terres. \n \u00bb La noble assembl\u00e9e fut si d\u00e9 sagr\u00e9ablement surprise \u00e0 mon \naspect qu\u2019on e\u00fbt dit que j\u2019\u00e9tais un horrible fant\u00f4me venu tout ex-pr\u00e8s de l\u2019autre monde pour leur ravir une proie si ardemment \nconvoit\u00e9e. \n \u00bb Je saluai humblement l\u2019honorable compagnie, et d\u2019un air \nde fausse humilit\u00e9, je dis \u00e0 l\u2019abb\u00e9 : \n \u00bb \u2013 Vous le voyez, sir abb\u00e9, j\u2019ai tenu ma promesse ; me voici. \n \u00bb \u2013 M\u2019apportez-vous de l\u2019argent ? demanda vivement le saint \nhomme. \n \u00bb \u2013 H\u00e9las ! pas un penny\u2026 \u00bb Un sourire de joie entrouvrit les l\u00e8vres de mon g\u00e9n\u00e9reux \ncr\u00e9ancier. \n \u00bb \u2013 Alors que viens-tu faire ici, si tu n\u2019es pas en mesure de \npouvoir acquitter ta dette ? \n \u00bb \u2013 Je viens vous supplier de m\u2019accorder un d\u00e9lai de quel-\nques jours. \n \u00bb \u2013 C\u2019est impossible ; selon nos conventions, tu dois payer \naujourd\u2019hui m\u00eame. Si tu ne pe ux le faire, tes propri\u00e9t\u00e9s \nm\u2019appartiennent ; du reste, le grand juge en a d\u00e9cid\u00e9 ainsi. N\u2019est-il pas vrai, milord ? \n \u2013 246 \u2013 \u00bb \u2013 O u i , r \u00e9 p o n d i t l e j u g e . S i r R i c h a r d , a j o u t a - t - i l e n m e j e -\ntant un regard de d\u00e9dain, les te rres de vos anc\u00eatres sont la pro-\npri\u00e9t\u00e9 de notre digne abb\u00e9. \n \n\u00bb Je feignis un grand d\u00e9sespoir, et je suppliai l\u2019abb\u00e9 d\u2019avoir \ncompassion de moi, de m\u2019accorder trois jours ; je lui d\u00e9peignis le sort mis\u00e9rable qui attendait ma femme et mes enfants s\u2019il les chassait de leur demeure. L\u2019abb\u00e9 resta sourd \u00e0 mes pri\u00e8res, il se \nlassa de ma pr\u00e9sence, et me donna imp\u00e9rieusement l\u2019ordre de quitter la salle. \n \u00bb Exasp\u00e9r\u00e9 par cet indigne traitement, je relevai fi\u00e8rement la \nt\u00eate, et m\u2019avan\u00e7ant au milieu de la pi\u00e8ce, je d\u00e9posai sur la table un sac plein d\u2019argent. \n \u00bb \u2013 Voici les quatre cents pi\u00e8ces d\u2019or que vous m\u2019avez pr\u00ea-\nt\u00e9es ; le cadran n\u2019a pas encore ma rqu\u00e9 l\u2019heure de midi ; j\u2019ai donc \nsatisfait \u00e0 toutes les exigences de nos conventions, et en d\u00e9pit de \nvos subterfuges, mes propri\u00e9t\u00e9s ne changent pas de ma\u00eetre. \n \n\u00bb Tu ne saurais concevoir, Robin, ajouta le chevalier en riant, \nla stup\u00e9faction, la rage et la fureur de l\u2019abb\u00e9 ; il tournait la t\u00eate \u00e0 \ndroite et \u00e0 gauche, il ouvrait les yeux, murmurait d\u2019indistinctes paroles ; il ressemblait \u00e0 un fou. Apr\u00e8s avoir joui un instant du \nspectacle de cette muette fureur, je so rtis de la salle et je gagnai la \nloge du portier. L\u00e0, je rev\u00eatis des v\u00eatements convenables, mes hommes s\u2019habill\u00e8rent, et accompagn\u00e9 d\u2019une escorte digne de mon rang, je rentrai dans la salle. \n \n\u00bb La m\u00e9tamorphose de mon ext\u00e9rieur sembla frapper tout le \nmonde d\u2019une vive surprise ; je m\u2019avan\u00e7ai d\u2019un air calme vers le \nsi\u00e8ge occup\u00e9 par le grand juge. \n \n\u00bb \u2013 Je m\u2019adresse \u00e0 vous, milord , dis-je d\u2019une voix haute et \nferme, pour vous demander, en pr\u00e9sence de l\u2019honorable compa-\ngnie qui vous entoure, si, ayant rempli toutes les conditions de mon trait\u00e9, les terres et ch\u00e2teau de la Plaine ne sont pas \u00e0 moi ? \n \u2013 247 \u2013 \u00bb \u2013 Ils sont \u00e0 vous, r\u00e9pondit le juge \u00e0 contrec\u0153ur. \n \u00bb Je m\u2019inclinai devant la justice de cette d\u00e9cision, et je sortis \ndu couvent la joie dans le c\u0153ur. \n \n\u00bb Sur la route qui conduisait \u00e0 ma demeure, je rencontrai ma \nfemme et mes enfants. \n \n\u00bb \u2013 Soyez heureux, mes chers c\u0153urs, leur dis-je en les em-\nbrassant, et priez pour Robin Hood , car sans lui nous serions des \nmendiants. Et maintenant, t\u00e2chons de montrer au g\u00e9n\u00e9reux Ro-\nbin Hood que nous n\u2019oublions pas le service qu\u2019il nous a rendu. \n \u00bb Nous nous m\u00eemes au travail d\u00e8 s le lendemain, et bien culti-\nv\u00e9es, mes terres produisirent bient\u00f4t la valeur de l\u2019argent que tu m\u2019avais pr\u00eat\u00e9. Je t\u2019apporte cinq cents pi\u00e8ces d\u2019or, mon cher Ro-\nbin, une centaine d\u2019arcs du meilleur if, autant de fl\u00e8ches et de carquois, et de plus, je te fais cadeau de la troupe d\u2019hommes dont tu admirais tout \u00e0 l\u2019 heure la belle tenue. Ces hommes sont soli-\ndement arm\u00e9s, et chacun poss\u00e8de un excellent cheval de guerre. Accepte-les pour serviteurs, ils te serviront avec reconnaissance et fid\u00e9lit\u00e9. \u00bb \n \u2013 Je me ferais un grand tort d a n s m a p r o p r e e s t i m e s i \nj\u2019acceptais ce riche pr\u00e9sent, mon cher chevalier, r\u00e9pondit Robin a v e c \u00e9 m o t i o n . J e n e v e u x m \u00ea m e p a s r e c e v o i r l \u2019 a r g e n t q u e t u m\u2019apportes. Le grand pourvoyeur de l\u2019abbaye de Sainte-Marie a \nd\u00e9jeun\u00e9 avec moi ce matin, et la d\u00e9pense qu\u2019il a faite ici nous a \nmis en caisse huit cents pi\u00e8ces d\u2019or. Je ne re\u00e7ois jamais de l\u2019argent \ndeux fois le m\u00eame jour ; j\u2019ai pris l\u2019or du moine \u00e0 la place du tien, \net tu es quitte envers moi. Je sais, mon cher chevalier que les res-sources de ta propri\u00e9t\u00e9 ont \u00e9t\u00e9 appauvries par les exigences du \nroi, et qu\u2019elles demandent \u00e0 \u00eatre m\u00e9nag\u00e9es. Songe \u00e0 tes enfants ; je suis riche, moi, les Normands affluent dans nos parages et ils \nsont cousus d\u2019or. Ne parlons plus entre nous de service et de re-connaissance, \u00e0 moins que je puisse \u00eatre utile \u00e0 la prosp\u00e9rit\u00e9 de ta fortune et au bonheur de ceux que tu aimes. \n \u2013 248 \u2013 \u2013 Tu as une mani\u00e8re d\u2019agir si no ble et si g\u00e9n\u00e9reuse, r\u00e9pondit \nsir Richard d\u2019une voix attendrie, que je croirais commettre une \nindiscr\u00e9tion en persistant \u00e0 te faire accepter les pr\u00e9sents que tu \nrefuses. \n \n\u2013 Oui, sir chevalier, n\u2019en parlons plus, dit gaiement Robin ; \net dites-moi comment il se fait que vous soyez arriv\u00e9 si tard \u00e0 no-tre rendez-vous. \n \u2013 En venant ici, r\u00e9pondit sir Richard, j\u2019ai travers\u00e9 un village \no\u00f9 se tenait une r\u00e9union des meilleurs yeomen du pays de l\u2019Ouest ; ils \u00e9taient occup\u00e9s \u00e0 lutter de force les uns contre les au-tres. Les prix destin\u00e9s au vainqu eur \u00e9taient un taureau blanc, un \ncheval, une selle et une bride garnies de clous d\u2019or, une paire de gantelets, un anneau d\u2019argent et un tonneau de vieux vin. Je \nm\u2019arr\u00eatai un instant pour assister \u00e0 ce combat. Un yeoman de \ntaille ordinaire donnait des preuves d\u2019une vigueur si admirable qu\u2019il \u00e9tait \u00e9vident que les prix a llaient couronner son triomphe ; \nen effet, apr\u00e8s avoir terrass\u00e9 tous ses adversaires, il resta debout \net ma\u00eetre absolu du champ de bataille. On allait lui donner les objets qu\u2019il avait si l\u00e9gitimement conquis lorsqu\u2019il fut reconnu pour \u00eatre de ta bande. \n \u2013 C\u2019\u00e9tait vraiment un de mes hommes ? demanda vivement \nRobin. \n \u2013 Oui, on l\u2019appelait Gaspard le Drouineur. \u2013 Alors il a gagn\u00e9 les prix, ce brave Gaspard ? \n \n\u2013 Il les a tous gagn\u00e9s ; mais, sous le pr\u00e9texte qu\u2019il faisait par-\ntie de la troupe des joyeux hommes, on lui disputait ses droits. Gaspard d\u00e9fendait vaillamment sa cause ; alors deux ou trois des combattants se mirent \u00e0 joindre \u00e0 ton nom d\u2019injurieuses \u00e9pith\u00e8-\nt e s . I l f a l l ai t v o i r av e c q u e l l e v i g u e u r d e p o u m o n s e t d e m u s c l e s Gaspard prenait ta d\u00e9fense ; il parlait si haut et gesticulait si bien que des couteaux furent tir\u00e9s. Ton pauvre Gaspard allait \u00eatre \nvaincu par le nombre ou par la tra\u00eetrise de ses ennemis, lorsque, \u2013 249 \u2013 aid\u00e9 de mes hommes, je mis tout le monde en fuite. Ce petit ser-\nvice rendu au brave gar\u00e7on, je lu i donnai cinq pi\u00e8ces d\u2019or pour \nson vin, et j\u2019engageai les fuyards \u00e0 faire connaissance avec le \ncontenu du tonneau. Comme tu dois le penser, ils ne refus\u00e8rent \npas, et j\u2019emmenai Gaspard, afin de le soustraire \u00e0 une vengeance r\u00e9trospective. \n \u2013 Je te remercie d\u2019avoir prot\u00e9g\u00e9 un de mes braves serviteurs, \nmon cher chevalier, dit Robin ; celui qui pr\u00eate l\u2019appui de sa force \u00e0 mes compagnons a des droits \u00e9ternels \u00e0 mon amiti\u00e9. Si jamais tu as besoin de moi, viens me de mander l\u2019objet de ton d\u00e9sir, mon \nbras et ma bourse sont \u00e0 ta disposition. \n \u2013 Je te traiterai toujours en v\u00e9ritable ami, Robin, r\u00e9pondit le \nchevalier, et j\u2019esp\u00e8re que tu en agiras de m\u00eame \u00e0 mon \u00e9gard. \n \nLes derni\u00e8res heures de l\u2019apr\u00e8s-midi s\u2019\u00e9coul\u00e8rent joyeuse-\nment, et vers le soir, sir Richard accompagna Robin, Will et Petit-Jean au ch\u00e2teau de Barnsdale, o\u00f9 tous les membres de la famille \nGamwell se trouvaient rassembl\u00e9s. \n Sir Richard ne put s\u2019emp\u00eacher de sourire en admirant les dix \ncharmantes femmes qui lui furent pr\u00e9sent\u00e9es. Apr\u00e8s avoir attir\u00e9 \nl\u2019attention du chevalier sur sa bien-aim\u00e9e Maude, Will entra\u00eena son h\u00f4te \u00e0 l\u2019\u00e9cart, et lui demanda \u00e0 l\u2019oreille s\u2019il lui \u00e9tait jamais arriv\u00e9 de voir un visage aussi ra vissant que l\u2019\u00e9tait celui de Maude. \n Le chevalier se mit \u00e0 rire, et r\u00e9pondit tout bas \u00e0 Will que ce \nserait manquer de galanterie envers les autres dames d\u2019oser se \npermettre d\u2019avancer hautement ce qu\u2019il pensait de l\u2019adorable \nMaude. \n William, enchant\u00e9 de cette gracieuse r\u00e9ponse, alla embrasser \nsa femme avec la conviction qu\u2019il \u00e9tait le plus favoris\u00e9 des maris \net l\u2019homme le plus heureux de la terre. \n \u00c0 la tomb\u00e9e de la nuit, sir Rich ard quitta Barnsdale, et escor-\nt\u00e9 par une partie des hommes de Robin qui devaient guider sa \u2013 250 \u2013 marche \u00e0 travers la for\u00eat, il rentra bient\u00f4t avec ses nombreux ser-\nviteurs dans les murs du ch\u00e2teau de la Plaine. \u2013 251 \u2013 X \n \nLe sh\u00e9rif de Nottingham (nous parlons de lord Fitz Alwine, \nd\u2019heureuse m\u00e9moire) ayant appris que Robin Hood et une partie \nde ses hommes se trouvaient dans le Yorkshire, crut qu\u2019il lui se-\nrait possible, avec l\u2019aide d\u2019une forte troupe de ses vaillants sol-\ndats, de d\u00e9barrasser la for\u00eat de Sherwood des bandits qui, s\u00e9par\u00e9s \nde leur chef, devaient \u00eatre dans l\u2019impossibilit\u00e9 de se d\u00e9fendre. Tout en projetant cette adroite ex p\u00e9dition, lord Fitz Alwine se \npromettait de faire surveiller les abords du vieux bois, afin d\u2019arr\u00eater Robin au moment de son retour. Les h\u00e9ros du baron n\u2019\u00e9taient point, on le sait, des h\u00e9ros de courage ; aussi le baron fit-il venir de Londres une troupe de braves et les dressa lui-\nm\u00eame \u00e0 la chasse qu\u2019ils allaient tenter contre les proscrits. \n Les joyeux hommes connaissaient tant de monde \u00e0 Notting-\nham qu\u2019ils furent avertis du sort que leur pr\u00e9parait la bienveil-\nlance du baron avant m\u00eame que celui-ci e\u00fbt fix\u00e9 le jour qui devait \n\u00e9clairer la sanglante bataille. \n \nCe laps de temps donna aux forestiers le loisir de se mettre \nsur la d\u00e9fensive et de se pr\u00e9parer \u00e0 recevoir les troupes du grand \nsh\u00e9rif. \n Fortement surexcit\u00e9s par l\u2019app\u00e2t d\u2019une riche r\u00e9compense, les \nhommes du baron march\u00e8rent \u00e0 l\u2019a ttaque avec un air de bravoure \nindomptable. Mais \u00e0 peine eurent-ils p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 sous bois qu\u2019ils re-\u00e7urent une vol\u00e9e de fl\u00e8ches si terri ble que la moiti\u00e9 de leurs rangs \njoncha le sol de cadavres. \n \n\u00c0 cette premi\u00e8re vol\u00e9e succ\u00e9da une seconde, plus vive, plus \npress\u00e9e, plus meurtri\u00e8re ; chaque fl\u00e8che atteignait son but et les \ntireurs restaient invisibles. \n \u2013 252 \u2013 Apr\u00e8s avoir jet\u00e9 l\u2019\u00e9pouvante et la confusion dans le corps en-\nnemi, les forestiers s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent hors de leurs cachettes en jetant \nde grands cris, et terrass\u00e8rent tous ceux qui essayaient de r\u00e9sister \n\u00e0 leur puissante \u00e9treinte. \n \nAlors une panique effroyable dispersa la troupe, et dans un \n\u00e9tat de d\u00e9sordre indescriptible, elle regagna le ch\u00e2teau de Not-tingham. \n Il n\u2019y eut pas un seul des joyeux hommes de bless\u00e9 dans cet \n\u00e9trange combat, et vers le soir, repos\u00e9s de leurs fatigues, frais et dispos comme ils l\u2019\u00e9taient avant l\u2019attaque, ils r\u00e9unirent sur des \nbrancards les corps des soldats tu\u00e9s, et all\u00e8rent les d\u00e9poser aux portes ext\u00e9rieures du ch\u00e2teau de lord Fitz Alwine. \n Furieux et d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, le baron passa la nuit \u00e0 g\u00e9mir sur son \nmalheur ; il accusa ses hommes, il se dit abandonn\u00e9 de son saint \npatron, il s\u2019en prit \u00e0 tout le monde du mauvais succ\u00e8s de ses ar-mes et se proclama un chef vaillant, mais victime du mauvais vouloir de ses subordonn\u00e9s. \n Le lendemain de ce triste jour, lord Fitz Alwine re\u00e7ut la visite \nd\u2019un Normand de ses amis, qui vi nt le soir accompagn\u00e9 d\u2019une \ncinquantaine d\u2019hommes. Le baron lui raconta sa pitoyable m\u00e9sa-venture, en ajoutant, sans dout e pour motiver ses \u00e9ternelles d\u00e9-\nfaites, que la bande de Robin Hood \u00e9tait invisible. \n \u2013 Mon cher baron, r\u00e9pondit tranquillement sir Guy de Gis-\nborne (c\u2019\u00e9tait le nom du visiteur), Robin Hood serait-il le diable \nen personne que, s\u2019il me prenait fantaisie de lui arracher ses cor-\nnes, je les lui arracherais. \n \u2013 Des paroles ne sont pas des faits, mon ami, r\u00e9pondit ai-\ngrement le vieux seigneur, et il est tr\u00e8s facile de dire : Si je vou-lais, je ferais ceci, je ferais cela ; je vous mets au d\u00e9fi de vous em-parer de Robin Hood. \n \u2013 253 \u2013 \u2013 Si mon plaisir \u00e9tait de le prendre, r\u00e9pondit le Normand \navec nonchalance, je n\u2019aurais pa s besoin d\u2019y \u00eatre excit\u00e9. Je me \nsens assez fort pour dompter un lion, et apr\u00e8s tout, votre Robin \nHood n\u2019est rien de plus qu\u2019un homme ; un homme habile, je \nl\u2019admets, mais non un personnage diabolique et insaisissable. \n \u2013 Vous en direz ce que vous voud rez, sir Guy, ajouta le baron \nvisiblement d\u00e9cid\u00e9 \u00e0 pousser le Normand \u00e0 tenter une entreprise \ncontre Robin Hood ; mais il n\u2019ex iste pas, en Angleterre un homme \nqui soit capable, paysan, soldat ou grand seigneur, de courber devant lui la t\u00eate de cet h\u00e9ro\u00efque outlaw. Il ne craint rien, il n\u2019a peur de rien ; une arm\u00e9e tout enti\u00e8re ne l\u2019intimiderait pas. \n Sir Guy de Gisborne sourit avec d\u00e9dain. \u2013 Je ne doute pas le moins du monde, dit-il, de la vaillance \nde ce brave proscrit ; mais av ouez, baron, que jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent \nRobin Hood n\u2019a eu \u00e0 combattre que des fant\u00f4mes. \n \n\u2013 Comment ! s\u2019\u00e9cria le baron cruellement bless\u00e9 dans son \namour-propre de g\u00e9n\u00e9ral en chef. \n \u2013 Eh ! oui, des fant\u00f4mes, je le r\u00e9p\u00e8te, mon vieil ami. Vos sol-\ndats sont p\u00e9tris, non de chair et d\u2019os, mais de boue et de lait. Qui a vu de pareils dr\u00f4les ? Ils fuient devant les fl\u00e8ches des outlaws, et le nom seul de Robin Hood leur donne le frisson. Oh ! si j\u2019\u00e9tais \u00e0 votre place ! \n \u2013 Que feriez-vous ? demanda avidement le baron. \n \n\u2013 Je ferais pendre Robin Hood. \u2013 Ce n\u2019est ni le d\u00e9sir ni la bonne volont\u00e9 qui me manquent \u00e0 \ncet \u00e9gard-l\u00e0, r\u00e9pondit le baron d\u2019un air sombre. \n \u2013 Je m\u2019en aper\u00e7ois bien, baron : c\u2019est le pouvoir. Eh bien ! il \nest fort heureux pour votre ennemi qu\u2019il ne se soit jamais trouv\u00e9 \nface \u00e0 face avec moi. \u2013 254 \u2013 \n\u2013 Ah ! ah ! s\u2019\u00e9cria le baron en riant, vous lui auriez pass\u00e9 vo-\ntre lance au travers du corps, n\u2019 est-ce pas ? Vous m\u2019amusez beau-\ncoup, mon ami, avec toutes vos fanfaronnades. Laissez donc, vous \ntrembleriez de la t\u00eate aux pieds si je vous disais seulement : Voil\u00e0 Robin Hood ! \n Le Normand bondit sur son si\u00e8ge. \n \n\u2013 Sachez bien, dit-il d\u2019une voix furieuse, que je n\u2019ai peur ni \ndes hommes, ni du diable, ni de qui que ce soit au monde, et, \u00e0 m o n t o u r , j e v o u s m e t s a u d \u00e9 f i d e m e p l a c e r d a n s u n e s i t u a t i o n au-dessus de mon courage. Puisqu e le nom de Robin Hood a servi \nde point de d\u00e9part \u00e0 notre entretien, je vous demande comme une faveur de me mettre sur les traces de cet homme, qu\u2019il vous pla\u00eet de croire invincible parce que vous n \u2019 a v e z p u l e v a i n c r e ; j e m e \nfais fort de le saisir, de lui couper les oreilles et de le pendre par le \npied, ni plus ni moins qu\u2019un pour ceau. Dans quel endroit peut-on \nrencontrer cet homme puissant ? \n \u2013 Dans la for\u00eat de Barnsdale. \u2013 \u00c0 quelle distance cette for\u00eat se trouve-t-elle de Notting-\nham ? \n \u2013 Deux jours de marche peuvent nous y conduire par des \nchemins d\u00e9tourn\u00e9s, et comme je serais d\u00e9sol\u00e9, mon cher sir Guy, qu\u2019il vous arriv\u00e2t malheur par ma faute, si vous voulez bien le permettre, je joindrai mes hommes aux v\u00f4tres, et nous irons de \ncompagnie \u00e0 la recherche de ce coquin. J\u2019ai appris de bonne \ns o u r c e q u e p o u r l e m o m e n t i l s e t r o u v e s \u00e9 p a r \u00e9 d e l a m e i l l e u r e partie de ses hommes ; il nous sera donc facile, si nous agissons avec prudence, de cerner le repaire de ces bandits, de nous empa-rer de leur chef, et d\u2019abandonner la troupe \u00e0 la juste vengeance de nos soldats. Les miens ont grandement souffert dans la for\u00eat de Sherwood, et ils seront fort heureux de prendre une \u00e9clatante re-vanche. \n \u2013 255 \u2013 \u2013 J\u2019accepte de grand c\u0153ur votre offre obligeante, mon cher \nami, r\u00e9pliqua le Normand ; car elle me donnera la satisfaction de \nvous prouver que Robin Hood n\u2019est ni un diable ni un homme \ninvisible, et afin, non seulement d\u2019\u00e9galiser la partie entre ce pros-\nc r i t e t m o i , m a i s e n c o r e d e v o u s m o n t r e r q u e j e n \u2019 a i p a s l\u2019intention d\u2019agir en dessous main, je vais prendre un costume de yeoman, et je combattrai corps \u00e0 corps avec Robin Hood. \n \nLe baron dissimula le plaisir que lui causait l\u2019orgueilleuse r\u00e9-\nponse de son h\u00f4te, et hasarda d\u2019un ton craintif et affectueux quel-\nques timides observations sur le danger qu\u2019allait courir son excel-\nlent ami, sur l\u2019imprudence d\u2019un d\u00e9guisement qui allait le mettre en contact direct avec un homme renomm\u00e9 pour son adresse et sa \nforce de corps. \n Le Normand, tout gonfl\u00e9 de vaniteuse confiance en lui-\nm\u00eame, arr\u00eata court les fausses do l\u00e9ances du baron, et celui-ci \ncourut avec une prestesse remarquable pour son \u00e2ge, donner \nl\u2019ordre \u00e0 sa troupe de se mettre sous les armes. \n Une heure apr\u00e8s, sir Guy de Gisborne et lord Fitz Alwine, ac-\ncompagn\u00e9s d\u2019une centaine d\u2019hommes, prenaient d\u2019un air conqu\u00e9-rant le chemin de traverse qui devait les conduire \u00e0 la for\u00eat de Barnsdale. \n Il avait \u00e9t\u00e9 convenu entre le baron et son nouvel alli\u00e9 que ce-\nlui-ci laisserait Fitz Alwine di riger sa troupe vers une partie du \nbois d\u00e9sign\u00e9e d\u2019avance, et que, pr ot\u00e9g\u00e9 contre toute apparence de \nmauvaise intention par son costume de yeoman, sir Guy pren-\ndrait une autre direction, chercherait Robin Hood, et se battrait \navec lui de gr\u00e9 ou de force, et bi en entendu l\u2019enverrait dans l\u2019autre \nmonde. Le succ\u00e8s du Normand (ajo utons que ce succ\u00e8s n\u2019\u00e9tait pas \nun doute pour lui) serait annonc\u00e9 au baron par une fanfare parti-culi\u00e8re sonn\u00e9e avec un cor de cha sse. \u00c0 l\u2019appel triomphant de ce \ncor, le sh\u00e9rif devait proclamer la victoire du Normand et accourir au triple galop des chevaux sur le lieu du combat. La victoire \nconstat\u00e9e par la vue du cadavre de Robin Hood, les soldats de-vaient fouiller les taillis, les fourr\u00e9s, les retraites souterraines et \u2013 256 \u2013 tuer ou faire prisonniers, le choix leur \u00e9tait b\u00e9n\u00e9volement laiss\u00e9, \ntous les outlaws assez malheureu x pour leur tomber entre les \nmains. \n \nTandis que la troupe gagnait avec myst\u00e8re les abords de la \nfor\u00eat de Barnsdale, Robin Hood, nonchalamment \u00e9tendu sous l\u2019\u00e9pais feuillage de l\u2019arbre du Rendez-Vous, dormait d\u2019un profond sommeil. \n Petit-Jean, assis aux pieds de so n chef, veillait sur son repos \ntout en pensant aux qualit\u00e9s de c\u0153ur et d\u2019esprit de sa charmante femme, la douce Winifred, quand il fut troubl\u00e9 dans cette tendre r\u00eaverie par le chant aigu d\u2019une grive qui, perch\u00e9e sur une basse branche de l\u2019arbre du Rendez-Vous, s\u2019\u00e9gosillait \u00e0 siffler en battant des ailes. \n \nCe ramage strident r\u00e9veilla br usquement Robin, qui se leva \navec un geste d\u2019\u00e9pouvante. \n \u2013 Eh bien ! dit Jean, qu\u2019y a-t-il, mon cher Robin ? \u2013 Rien, reprit le jeune homme en se remettant un peu ; j\u2019ai \nr\u00eav\u00e9, et je ne sais si je dois le dire, j\u2019ai eu peur. Je me croyais atta-qu\u00e9 par deux yeomen ; ils me batta ient \u00e0 outrance, et je leur ren-\ndais les coups avec une g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 sans pareille. Cependant j\u2019allais \u00eatre vaincu, je voyais la mort me tendre les bras, lorsqu\u2019un \noiseau venant je ne sais d\u2019o\u00f9, me dit dans son langage chanteur : Prends courage, je vais t\u2019envoyer du secours. Je me suis \u00e9veill\u00e9, je ne vois ni le danger ni l\u2019oiseau ; donc, tout songe est mensonge, \najouta Robin en souriant. \n \n\u2013 Je ne suis pas de votre avis, capitaine, r\u00e9pondit Jean d\u2019un \nair soucieux ; car une partie de votre r\u00eave s\u2019est r\u00e9alis\u00e9e. Il y avait l\u00e0 tout \u00e0 l\u2019heure, sur la branch e qui vous touche, une grive qui \nchantait \u00e0 tue-t\u00eate. Votre r\u00e9veil l\u2019a mise en fuite. Peut-\u00eatre vous donnait-elle un avertissement. \n \u2013 257 \u2013 \u2013 Sommes-nous donc superstitieux, ami Jean ? demanda \nRobin avec gaiet\u00e9. Allons, \u00e0 notre \u00e2g e ce serait ridicule ; il faut \nlaisser cet enfantillage aux jeunes filles et aux petits gar\u00e7ons, mais \nnous ! Cependant, continua Robin, il est peut-\u00eatre sage, dans le \ncours d\u2019une existence aussi aventureuse que la n\u00f4tre, de faire at-tention \u00e0 tout ce qui se passe. Qu i sait, la grive nous a peut-\u00eatre \ndit : Sentinelle, garde \u00e0 vous ! Et nous sommes les sentinelles avanc\u00e9es d\u2019une troupe de braves gens. En avant donc, un danger \npr\u00e9vu est en partie \u00e9vit\u00e9. \n \nRobin sonna du cor, et les joyeux hommes, dispers\u00e9s dans \nles clairi\u00e8res voisines, accoururent \u00e0 son appel. \n Robin les envoya dans le chemin qui descendait de York, car \nde ce c\u00f4t\u00e9 seulement une attaque pouvait \u00eatre \u00e0 craindre, et ac-compagn\u00e9 de Jean, il alla fouiller la partie oppos\u00e9e du bois. Wil-\nliam et deux vigoureux forestie rs se rendirent sur la route de \nMansfeld. \n Apr\u00e8s avoir parcouru du regard les sentiers et les routes vers \nlesquels ils s\u2019\u00e9taient dirig\u00e9s, Robin et Jean s\u2019engag\u00e8rent dans le chemin suivi par Will \u00c9carlate. L\u00e0, au d\u00e9tour d\u2019une vall\u00e9e, ils ren-\ncontr\u00e8rent un yeoman, le corps envelopp\u00e9 dans une peau de che-\nval qui lui servait de manteau. \u00c0 cette \u00e9poque, ce bizarre v\u00eate-\nment \u00e9tait en grande faveur pr\u00e8s des yeomen de Yorkshire, qui pour la plupart s\u2019occupaient de l\u2019\u00e9l\u00e8ve des chevaux. \n Le nouveau venu portait \u00e0 ses c\u00f4 t\u00e9s une \u00e9p\u00e9e et une dague, et \nsa physionomie, \u00e0 l\u2019expression cr uelle, disait assez l\u2019usage homi-\ncide qu\u2019il avait l\u2019habitude de faire de ses armes. \n \u2013 Ah ! ah ! cria Robin en l\u2019apercevant, voici, sur mon \u00e2me, un \nfieff\u00e9 coquin ; il suinte le crime. Je vais l\u2019interroger, et s\u2019il ne r\u00e9-pond pas en honn\u00eate homme \u00e0 ma qu estion, je tenterai de voir la \ncouleur de son sang. \n \u2013 258 \u2013 \u2013 Il ressemble \u00e0 un molosse pourvu de bonnes dents, mon \ncher Robin ; prenez garde, restez sous cet arbre, je me charge de \nlui demander ses nom, pr\u00e9noms et qualit\u00e9s. \n \n\u2013 Mon cher Jean, repartit viveme nt Robin, je me sens un ca-\nprice pour ce gaillard-l\u00e0. Laissez-moi l\u2019\u00e9triller \u00e0 ma mani\u00e8re. Il y a longtemps que je me suis battu, et par la sainte M\u00e8re, ma bonne \nprotectrice ! je ne pourrais jamais \u00e9changer une gourmade avec \npersonne si je pr\u00eatais l\u2019oreille \u00e0 vos prudentes r\u00e9flexions. Prends \ngarde, ami Jean, ajouta Robin d\u2019un e voix empreinte d\u2019affection, il \nviendra une heure o\u00f9, \u00e0 d\u00e9faut d\u2019ad versaire, je serai oblig\u00e9 de te \nrouer de coups, oh ! seulement po ur m\u2019entretenir la main ; mais \ntu n\u2019en seras pas moins la victim e de ta bienveillante g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9. \nVa rejoindre Will, et ne revenez aupr\u00e8s de moi qu\u2019\u00e0 l\u2019appel d\u2019une \nfanfare de triomphe. \n \n\u2013 Votre volont\u00e9 est une loi pour moi, Robin Hood, r\u00e9pondit \nJean d\u2019un ton f\u00e2ch\u00e9, et je me fais un devoir d\u2019y ob\u00e9ir, quoique ce soit \u00e0 contrec\u0153ur. \n Nous laisserons Robin continuer son chemin \u00e0 la rencontre \nde l\u2019\u00e9tranger, et nous suivrons Petit-Jean, qui en esclave fid\u00e8le \ndes ordres de son chef, h\u00e2tait le pas afin d\u2019atteindre William, lan-\nc\u00e9 avec deux hommes sur la grande route de Mansfeld. \n \u00c0 trois cents m\u00e8tres environ de l\u2019endroit o\u00f9 Petit-Jean aban-\ndonnait Robin en t\u00eate \u00e0 t\u00eate avec le yeoman, il trouva Will \u00c9car-late et ses deux compagnons occup\u00e9s \u00e0 ferrailler de toute la vi-gueur de leurs muscles contre une di zaine de soldats. Jean jeta un \ncri, et d\u2019un bond se trouva aux c\u00f4t\u00e9s de ses amis. Mais le danger d\u00e9j\u00e0 si difficile \u00e0 combattre le devint bien davantage lorsqu\u2019un \ncliquetis d\u2019armes et un bruit de pas de chevaux eut attir\u00e9 l\u2019attention du jeune homme vers l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la route. \n Au bout du chemin, et dans la demi-p\u00e9nombre projet\u00e9e par \nles arbres parut une compagnie de soldats, et \u00e0 sa t\u00eate, caracolait un cheval richement capara\u00e7onn\u00e9. Sur ce cheval si\u00e9geait, l\u2019air hautain et la lance en arr\u00eat, le sh\u00e9rif de Nottingham. \u2013 259 \u2013 \nJean s\u2019\u00e9lan\u00e7a \u00e0 la rencontre des nouveaux venus, pr\u00e9para \nson arc et visa le baron. Les mouvements du jeune homme \ns\u2019\u00e9taient succ\u00e9d\u00e9 avec tant de rapidit\u00e9 et de violence que l\u2019arc trop \ntendu se brisa comme un fil de verre. \n Jean laissa \u00e9chapper une mal\u00e9diction sur la fl\u00e8che inoffen-\nsive, et saisit un nouvel arc que venait de lui tendre un proscrit \nbless\u00e9 \u00e0 mort par les soldats que combattait William. \n Le baron avait compris le geste et les intentions de l\u2019archer ; \nil se courba sous son cheval de mani\u00e8re \u00e0 ne faire qu\u2019un corps avec l\u2019animal, et la fl\u00e8che dest in\u00e9e \u00e0 lui donner la mort envoya \nrouler dans la poussi\u00e8re un homme qui se trouvait derri\u00e8re lui. \n La chute exasp\u00e9ra la troupe en ti\u00e8re, qui fermement d\u00e9cid\u00e9e \u00e0 \nremporter la victoire, et se voyant en nombre, \u00e9peronna les che-\nvaux et s\u2019avan\u00e7a rapidement. \n Des deux compagnons de William, un \u00e9tait mort, l\u2019autre se \nbattait encore ; mais il \u00e9tait faci le de comprendre que le moment \nde sa d\u00e9faite \u00e9tait pr\u00e8s de sonner. Jean s\u2019aper\u00e7ut du p\u00e9ril auquel son cousin \u00e9tait expos\u00e9 ; il tomba sur le groupe des combattants, arracha Will de leurs mains en leur criant de fuir. \n \u2013 Jamais ! r\u00e9pondit \u00e9nergiquement Will. \u2013 Par piti\u00e9, Will, disait Jean, tout en continuant de frapper \nses agresseurs, va chercher Robin Hood, appelle les joyeux hom-\nmes. H\u00e9las ! il y aura aujourd\u2019hu i sur l\u2019herbe verte des ruisseaux \nde sang ; le chant de la grive \u00e9tait un avertissement du ciel. \n \nWilliam se rendit \u00e0 la pri\u00e8re de son cousin ; il \u00e9tait facile d\u2019en \ncomprendre toute la port\u00e9e en co nsid\u00e9rant le nombre de soldats \nqui commen\u00e7aient \u00e0 envahir la clairi\u00e8re. Il porta un coup terrible \u00e0 un homme qui essayait de lui ba rrer le passage et disparut dans \nun fourr\u00e9. \n \u2013 260 \u2013 Petit-Jean se battait comme un lion ; mais c\u2019\u00e9tait folie que de \nvouloir lutter seul contre tant d\u2019 ennemis ; Jean fut vaincu ; il \ntomba, les soldats lui li\u00e8rent les pieds et les mains et l\u2019adoss\u00e8rent \ncontre un arbre. \n \nL\u2019arriv\u00e9e du baron allait d\u00e9cider du sort de notre pauvre ami. \nLord Fitz Alwine, appel\u00e9 \u00e0 grands cris, s\u2019empressa d\u2019accourir. \u00c0 la \nvue du prisonnier, un sourire de haine satisfaite donna aux traits \ndu baron une expression de f\u00e9rocit\u00e9. \n \u2013 Ah ! ah ! dit-il en savouran t avec un bonheur indicible la \njoie de son triomphe, vous voil\u00e0 donc entre mes mains, grande perche de la for\u00eat ! Je vous ferai payer cher votre insolence avant de vous envoyer dans l\u2019autre monde. \n \u2013 Ma foi ! dit Jean d\u2019un ton d\u00e9 gag\u00e9 tout en mordant avec fu-\nreur sa l\u00e8vre inf\u00e9rieure, quelles qu e soient les tortures qu\u2019il vous \nplaira de m\u2019infliger, elles ne pou rront vous faire oublier que j\u2019ai \ntenu votre vie entre mes mains et qu e si vous avez encore la puis-\nsance de martyriser les Saxons, c\u2019 est \u00e0 ma bont\u00e9 que vous le de-\nvez. Maintenant, tenez-vous sur vo s gardes : Robin Hood va venir \net vous n\u2019aurez pas avec lui la vict oire aussi facile que vous l\u2019avez \neue avec moi. \n \n\u2013 Robin Hood ! reprit le baron en ricanant. Robin Hood va \nbient\u00f4t entendre sonner sa derni\u00e8re heure. J\u2019ai donn\u00e9 l\u2019ordre de lui couper la t\u00eate et de laisser son corps ici afin qu\u2019il serve de p\u00e2-ture aux loups carnassiers. Soldats, ajouta le baron en se tournant \nvers deux hommes, esclaves serviles de ses commandements, pla-\ncez ce coquin sur le dos d\u2019un cheval et attendons sans nous \u00e9car-\nter de cet endroit le retour de sir Guy ; il est \u00e0 pr\u00e9sumer qu\u2019il nous apportera la t\u00eate du mis\u00e9rable Robin Hood. \n Les hommes descendus de cheval se tinrent pr\u00eats \u00e0 remonter \nen selle et le baron, commod\u00e9ment assis sur un tertre de verdure, attendit sans impatience l\u2019appel du cor de sir Guy de Gisborne. \n \u2013 261 \u2013 Laissons Sa Seigneurie se repo ser de ses fatigues et allons \nvoir ce qui se passait entre Robi n Hood et l\u2019homme rev\u00eatu d\u2019une \npeau de cheval. \n \n\u2013 Bon matin ! messire, dit Robin en s\u2019approchant de \nl\u2019\u00e9tranger. On pourrait croire, \u00e0 en juger par l\u2019excellent arc que vous tenez \u00e0 la main, que vous \u00eates un brave et honn\u00eate archer. \n \n\u2013 J\u2019ai perdu ma route, repartit le promeneur, d\u00e9daignant de \nr\u00e9pondre \u00e0 la r\u00e9flexion interrogatoire qui lui \u00e9tait adress\u00e9e et je \ncrains fort de m\u2019\u00e9garer dans ce d\u00e9dale de carrefours, de clairi\u00e8res et de sentiers. \n \u2013 Les chemins de la for\u00eat me sont tous connus, messire, r\u00e9-\npondit Robin Hood avec politesse et si vous voulez bien me dire \u00e0 quelle partie du bois vous d\u00e9sirez vous rendre, je vous servirai de \nguide. \n \u2013 Je ne vais pas pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 un endroit d\u00e9termin\u00e9, r\u00e9pon-\ndit l\u2019\u00e9tranger en examinant son in terlocuteur avec attention ; je \nd\u00e9sire me rapprocher du centre de ce bois ; car j\u2019ai lieu d\u2019esp\u00e9rer la rencontre d\u2019un homme avec lequel je serais bien aise de causer un peu. \n \u2013 Cet homme est sans doute de vos amis ? demanda Robin \nd\u2019un air aimable. \n \u2013 Non, repartit vivement l\u2019\u00e9tranger ; c\u2019est un coquin de la \nplus dangereuse esp\u00e8ce, un proscrit qui m\u00e9rite la corde. \n \u2013 Ah ! ah ! dit Robin toujours souriant et peut-on vous de-\nmander sans indiscr\u00e9tion le nom de ce gibier de potence ? \n \u2013 Certainement ; il s\u2019appelle Robin Hood, et voyez-vous, \njeune homme, je donnerais de grand c\u0153ur une dizaine de pi\u00e8ces d\u2019or pour avoir le plaisir de me rencontrer avec lui. \n \u2013 262 \u2013 \u2013 Mon cher monsieur, dit Robin, f\u00e9licitez-vous du hasard qui \nvous a plac\u00e9 sur ma route ; car je puis, sans mettre votre g\u00e9n\u00e9rosi-\nt\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9preuve, vous conduire en pr\u00e9sence de Robin Hood. Permet-\ntez-moi seulement de vous demander votre nom. \n \n\u2013 Je m\u2019appelle sir Guy de Gisborne, je suis riche et je pos-\ns\u00e8de un grand nombre de vassa ux. Mon costume, comme vous \ndevez bien le comprendre, est un habile d\u00e9guisement, Robin \nHood, ne pouvant se mettre en ga rde contre un pauvre diable si \npi\u00e8trement accoutr\u00e9, me laissera arriver jusqu\u2019\u00e0 lui. La question \nest donc tout simplement de savoir o\u00f9 il se trouve. Ah ! une fois \u00e0 \nport\u00e9e de ma main, il mourra, je vous le jure, sans avoir ni le \ntemps ni la possibilit\u00e9 de se d\u00e9fendre ; je le tuerai sans mis\u00e9ri-corde. \n \u2013 Robin Hood vous a donc fait beaucoup de mal ? \n \u2013 \u00c0 moi ? jamais ? Je ne le connaissais pas m\u00eame de nom il y \na quelques heures et, comme vous le verrez si vous me conduisez aupr\u00e8s de lui, mon visage lui est totalement inconnu. \n \u2013 Alors pour quelle raison d\u00e9si rez-vous attenter \u00e0 son exis-\ntence ? \n \u2013 Je n\u2019ai pas de raison ; c\u2019est mon plaisir, voil\u00e0 tout. \u2013 Un plaisir singulier, permettez-moi de vous le dire et, de \nplus, je vous plains grandement d\u2019avoir les id\u00e9es aussi sanguinai-\nres. \n \u2013 Eh bien ! c\u2019est ce qui vous trompe, je ne suis pas m\u00e9chant \net sans cet idiot de Fitz Alwine, je serais, \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 je vous parle, tranquillement en chemin pour rentrer chez moi. C\u2019est lui qui m\u2019a pouss\u00e9 \u00e0 tenter l\u2019aventure, en me mettant au d\u00e9fi de vain-cre Robin Hood. Mon amour-propre est engag\u00e9, il faut donc \u00e0 tout prix que je remporte la vi ctoire. Mais \u00e0 propos, ajouta sir \nGuy, maintenant que je vous ai dit mon nom, mes qualit\u00e9s et mes \nprojets, \u00e0 votre tour de r\u00e9pondre \u00e0 mes questions. Qui \u00eates-vous ? \u2013 263 \u2013 \n\u2013 Qui je suis ? r\u00e9p\u00e9ta Robin la voix haute et le regard s\u00e9-\nrieux ; tu vas le savoir : je suis le comte de Huntingdon, le roi de \nla for\u00eat ; je suis l\u2019homme que tu cherches, je suis Robin Hood ! \n \nLe Normand fit un bon en arri\u00e8re. \u2013 Alors, pr\u00e9pare-toi \u00e0 recevoir la mort ! cria-t-il en tirant son \n\u00e9p\u00e9e. Sir Guy de Gisborne n\u2019a qu\u2019une parole : il a jur\u00e9 de te tuer, \ntu vas mourir ! Fais ta pri\u00e8re, Robin Hood, car dans quelques mi-\nnutes le son de mon cor de chas se annoncera \u00e0 mes compagnons, \nqui se trouvent ici pr\u00e8s, que le chef des outlaws n\u2019est plus qu\u2019un cadavre informe, un cadavre sans t\u00eate. \n \u2013 Au vainqueur appartiendra le droit et le pouvoir de dispo-\nser du corps de son adversaire, r\u00e9pondit froidement Robin Hood. \nEn garde donc ! Tu as jur\u00e9 de ne pas m\u2019\u00e9pargner, je jure \u00e0 mon tour, si la sainte Vierge m\u2019accorde la victoire, de te traiter comme tu le m\u00e9rites. Allons, point de quartier ni pour l\u2019un ni pour l\u2019autre ; la vie et la mort se trouvent en pr\u00e9sence. \n Cela dit, les deux adversaires crois\u00e8rent l\u2019\u00e9p\u00e9e. Le Normand \n\u00e9tait non seulement un v\u00e9ritable hercule, mais encore d\u2019une force sup\u00e9rieure dans l\u2019art de l\u2019escrime. Il attaqua Robin avec tant de \nfureur que le jeune homme, serr\u00e9 de pr\u00e8s, fut contraint de reculer \net s\u2019enchev\u00eatra les jambes dans les racines d\u2019un ch\u00eane. Sir Guy, \nl\u2019\u0153il aussi alerte qu\u2019il avait la main prompte, s\u2019aper\u00e7ut bient\u00f4t de l\u2019avantage qu\u2019il venait d\u2019obtenir ; il redoubla ses coups et plu-\nsieurs fois Robin sentit son \u00e9p\u00e9e vaciller sous la nerveuse \u00e9treinte \nde sa main. La position de Robin devenait inqui\u00e9tante ; g\u00ean\u00e9 dans \nses mouvements par les rugueuses racines de l\u2019arbre qui heur-\ntaient ses chevilles, il ne pouvait ni avancer ni reculer ; il prit \nalors le parti de bondir hors du cercle o\u00f9 il se trouvait enferm\u00e9 et, par un \u00e9lan de cerf aux abois, il franchit le revers du sentier ; mais \nen faisant ce saut, Robin rencontra une branche rampante qui enla\u00e7a son pied gauche et l\u2019envo ya rouler dans la poussi\u00e8re. \n \u2013 264 \u2013 Sir Guy n\u2019\u00e9tait pas homme \u00e0 la isser \u00e9chapper une semblable \noccasion de vengeance ; il jeta un cri de triomphe et se pr\u00e9cipita \nsur Robin avec la pens\u00e9e \u00e9vidente de lui fendre la t\u00eate. \n \nRobin vit le danger ; il ferma les yeux et murmura avec une \nardente ferveur : \n \u2013 S a i n t e m \u00e8 r e d e D i e u , v e n e z \u00e0 mon aide ! Ch\u00e8re Dame de \nBon Secours, me laisseriez-vous tu er par la main de ce mis\u00e9rable \nNormand ? \n Robin achevait \u00e0 peine de prononcer ces paroles que sir Guy \nn\u2019osa interrompre, les prenant sans doute pour un acte de contri-\ntion, qu\u2019il sentit une force nouvelle p\u00e9n\u00e9trer dans ses membres ; il tourna vers son ennemi la pointe de son \u00e9p\u00e9e et, tandis que celui-ci cherchait \u00e0 \u00e9carter l\u2019arme mena\u00e7ante, Robin bondissait sur ses \npieds et se retrouvait debout, libre et fort, au milieu du chemin. Le combat un instant suspendu recommen\u00e7a avec une nouvelle fureur ; mais la victoire avait chan g\u00e9 de face, elle s\u2019\u00e9tait mise avec \nRobin, Sir Guy, d\u00e9sarm\u00e9 et attein t en pleine poitrine, tomba sans \npousser un cri : il \u00e9tait mort. Apr\u00e8s avoir remerci\u00e9 Dieu du succ\u00e8s de ses armes, Robin s\u2019assura que sir Guy avait bien r\u00e9ellement rendu le dernier soupir et, en examinant les traits du Normand, Robin se rappela que cet homme n\u2019\u00e9t ait pas venu seul \u00e0 sa recher-\nche, qu\u2019il avait amen\u00e9 avec lui une troupe de compagnons et que cette troupe, cach\u00e9e dans quelque partie du bois, attendait l\u2019appel du cor de chasse. \n \u2013 Je crois qu\u2019il serait sage, se dit mentalement Robin, d\u2019aller \nvoir si ces braves gens ne sont pas les soldats du baron Fitz Al-\nwine et de me rendre personnellement compte de tout le plaisir que pourrait lui donner la nouvelle de ma mort. Je vais rev\u00eatir les \nv\u00eatements de sir Guy, lui couper la t\u00eate et attirer ici ses patients compagnons. \n Robin Hood d\u00e9pouilla le corps du Normand des principales \npi\u00e8ces de son costume, les endossa, non sans \u00e9prouver une sorte de d\u00e9go\u00fbt et, lorsqu\u2019il eut jet\u00e9 sur ses \u00e9paules la peau du cheval, il \u2013 265 \u2013 ressembla \u00e0 s\u2019y m\u00e9prendre \u00e0 sir Guy de Gisborne. Le d\u00e9guisement \nop\u00e9r\u00e9, la t\u00eate du Normand rendue m\u00e9connaissable \u00e0 premi\u00e8re vue, Robin Hood sonna du cor. Un hourra de triomphe r\u00e9pondit \u00e0 \nl\u2019appel du jeune homme, qui s\u2019\u00e9lan\u00e7a en courant vers l\u2019endroit o\u00f9 \nles voix joyeuses se faisaient entendre. \n \u2013 \u00c9coutez, \u00e9coutez encore, cria Fitz Alwine en se levant ; est-\nce bien le son du cor du sir Guy ? \n \u2013 Oui, milord, r\u00e9pondit un homme appartenant au chevalier, \nil n\u2019y a pas \u00e0 s\u2019y tromper ; le cor de mon ma\u00eetre poss\u00e8de un son particulier. \n \u2013 Victoire, alors ! reprit le vieux seigneur ; le brave et digne \nsir Guy a tu\u00e9 Robin. \n \n\u2013 Une centaine de sir Guy ne pourraient r\u00e9ussir \u00e0 frapper \nRobin Hood, s\u2019ils l\u2019attaquaient un \u00e0 un et loyalement ! rugit le \npauvre Jean, bien qu\u2019une terribl e angoisse lui serr\u00e2t le c\u0153ur. \n \u2013 Taisez-vous, idiot aux longues jambes ! r\u00e9pondit brutale-\nment le baron et si vous avez de bons yeux, regardez \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la clairi\u00e8re, vous y verrez, se dirigeant vers nous au pas de \ncourse, le vainqueur de votre mis\u00e9rable chef, le vaillant sir Guy de Gisborne. \n Jean se souleva et vit, ainsi que l\u2019annon\u00e7ait le baron, un yeo-\nman, le corps \u00e0 demi envelopp\u00e9 dans une peau de cheval. Robin \nimitait si bien la d\u00e9marche du chevalier que Jean crut reconna\u00eetre \nl\u2019homme qu\u2019il avait laiss\u00e9 en t\u00eate \u00e0 t\u00eate avec son ami. \n \nUn cri de rage impuissante s\u2019\u00e9chappa de la poitrine de Jean. \u2013 Ah ! le bandit ! ah ! le m\u00e9cr\u00e9ant ! vocif\u00e9ra le jeune homme \nau d\u00e9sespoir ; il a tu\u00e9 Robin Hood ! il a tu\u00e9 le plus brave Saxon de toute l\u2019Angleterre ! Vengeance ! vengeance ! vengeance ! Robin Hood a des amis et il se trouve dans le comt\u00e9 de Nottingham des milliers de mains qui parviendront \u00e0 punir son meurtrier. \u2013 266 \u2013 \n\u2013 Dis tes pri\u00e8res, chien ! cria le baron et laisse-nous en re-\npos ; ton ma\u00eetre est mort et tu vas mourir comme lui. Dis tes pri\u00e8-\nres et t\u00e2che de pr\u00e9server ton \u00e2me des tortures qui attendent ton \ncorps. Crois-tu acqu\u00e9rir des droits \u00e0 notre mis\u00e9ricorde en pour-suivant de tes vaines menaces le noble chevalier qui a purg\u00e9 la \nterre d\u2019un inf\u00e2me bandit ? Approc he, brave sir Guy, continua lord \nFitz Alwine en s\u2019adressant \u00e0 Robin Hood qui s\u2019avan\u00e7ait avec rapi-\ndit\u00e9 ; tu m\u00e9rites tous nos \u00e9loges et toute notre reconnaissance : tu \nas d\u00e9barrass\u00e9 ton pays de l\u2019invasi on du brigandage, tu as tu\u00e9 un \nhomme que la terreur populaire avai t d\u00e9clar\u00e9 invincible, tu as tu\u00e9 \nle c\u00e9l\u00e8bre Robin Hood ! Demand e-moi la r\u00e9compense due \u00e0 tes \nbons offices ; je mets \u00e0 ta disposition ma faveur \u00e0 la cour, l\u2019appui de mon \u00e9ternelle amiti\u00e9 ; demande ce que tu d\u00e9sires, noble cheva-lier, je suis pr\u00eat \u00e0 te satisfaire. \n \nRobin avait jug\u00e9 la situation d\u2019un coup d\u2019\u0153il et le f\u00e9roce re-\ngard que Jean dardait sur lui r\u00e9 v\u00e9lait mieux encore que les pro-\ntestations de gratitude du vieux se igneur la r\u00e9ussite de sa m\u00e9ta-\nmorphose. \n \u2013 Je ne m\u00e9rite pas tant de remerciements, r\u00e9pondit Robin en \nrendant comme un \u00e9cho fid\u00e8le le son de voix du chevalier. J\u2019ai tu\u00e9 dans un combat loyal celui qui m\u2019avait attaqu\u00e9 et, puisque vous voulez bien me permettre, mon ch er baron, de vous r\u00e9clamer le \nprix de ma victoire, je vous de mande, en r\u00e9compense du service \nque je viens de vous rendre, la permission de me battre avec le coquin que vous avez arr\u00eat\u00e9 ; il me d\u00e9vore des yeux et son regard \nme fatigue ; je vais l\u2019envoyer tenir compagnie dans l\u2019autre monde \n\u00e0 son aimable compagnon. \n \n\u2013 \u00c0 votre aise ! r\u00e9pondit lord Fitz Alwine en se frottant les \nmains d\u2019un air tout joyeux ; tuez-le si bon vous semble, sa vie vous appartient. \n La voix de Robin Hood n\u2019avait pu tromper Petit-Jean et un \nsoupir d\u2019indicible satisfaction avait enlev\u00e9 de son c\u0153ur le poids de la terrible angoisse qu\u2019il venait de ressentir. \u2013 267 \u2013 \nRobin s\u2019approcha de Jean, le baron le suivit. \n\u2013 Milord, dit Robin en riant, veuillez me laisser seul avec ce \ncoquin ; j\u2019ai enti\u00e8re conviction que la peur d\u2019une mort ignomi-\nnieuse le d\u00e9cidera \u00e0 me confier le secret de la retraite des hommes \nqui font partie de la bande. \u00c9loi gnez-vous et faites \u00e9carter vos \ngens, sinon je me charge de traiter les curieux de la m\u00eame ma-\nni\u00e8re que j\u2019ai trait\u00e9 l\u2019homme dont voici la t\u00eate. \n \nEn achevant ces mots, Robin lan\u00e7a son sanglant troph\u00e9e \nd a n s l e s b r a s d e l o r d F i t z A l w i n e . L e v i e i l l a r d j e t a u n c r i d\u2019horreur : la t\u00eate d\u00e9figur\u00e9e de sir Guy roula sur le sol, le front dans la poussi\u00e8re. \n Les soldats effray\u00e9s s\u2019\u00e9loign\u00e8rent vivement. Robin Hood, res-\nt\u00e9 seul avec Petit-Jean, s\u2019empressa de couper ses liens, et lui mit \nentre les mains l\u2019arc et les fl\u00e8che s appartenant \u00e0 sir Guy ; puis il \nsonna du cor. \u00c0 peine le son s\u2019\u00e9tait-il r\u00e9pandu dans les profon-deurs du bois qu\u2019une clameur furieu se se fit entendre et les bran-\nches des arbres, violemment repouss\u00e9es, livr\u00e8rent passage, d\u2019abord \u00e0 Will \u00c9carlate, dont la figure \u00e9tait d\u2019un rouge si vif que pour le moment elle paraissait de pourpre, puis \u00e0 un corps de joyeux hommes, l\u2019\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main. Cette foudroyante apparition se \nmontra au sh\u00e9rif plut\u00f4t semblable \u00e0 un r\u00eave qu\u2019\u00e0 une r\u00e9alit\u00e9. Il \nregarda sans voir, il \u00e9couta sans entendre, il avait l\u2019esprit et le \ncorps enti\u00e8rement paralys\u00e9s par une accablante terreur. Cette \nminute de supr\u00eame angoisse parut av oir la dur\u00e9e d\u2019un si\u00e8cle ; il fit \nun pas vers celui qu\u2019il avait pris pour le chevalier normand et se \ntrouva en face de Robin, qui, d\u00e9barrass\u00e9 de la peau du cheval et l\u2019\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main, tenait en resp ect les soldats non moins abattus \nque leur chef. \n Le baron, les dents serr\u00e9es, incapable de prononcer une \nseule parole, se d\u00e9tourna brusquement, remonta \u00e0 cheval et, sans donner l\u2019ordre \u00e0 sa troupe, s\u2019\u00e9loigna ventre \u00e0 terre. \n \u2013 268 \u2013 Les soldats, entra\u00een\u00e9s par un exemple si digne d\u2019\u00e9loges, imi-\nt\u00e8rent leur chef et s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent \u00e0 toute bride sur les traces du ba-\nron. \n \n\u2013 Puisse le d\u00e9mon te tenir bient\u00f4 t dans ses griffes ! cria Jean \nd\u2019une voix furieuse, et ta couardis e ne te sauvera pas ; mes fl\u00e8ches \nportent assez loin pour t\u2019atteindre \u00e0 la t\u00eate. \n \n\u2013 Ne tire pas, Jean, dit Robin en retenant le bras de son \nami ; tu vois bien que, suivant les lois de la nature, cet homme a \npeu de temps \u00e0 vivre, pourquoi h\u00e2ter de quelques jours la mort d\u2019un vieillard ? Laisse-le \u00e0 ses remords, \u00e0 son isolement de sou-tien de famille, \u00e0 son impuissance haineuse. \n \u2013 \u00c9coutez, Robin, je ne puis laisser le vieux brigand se sau-\nver ainsi ; permettez-moi de lui donner une bonne le\u00e7on, un sou-\nvenir de son passage dans la for\u00eat ; je ne le tuerai pas, je vous en donne ma parole. \n \u2013 Soit alors ; tire, mais tire vite , il va dispara\u00eetre au d\u00e9tour du \nsentier. \n Jean envoya sa fl\u00e8che et, \u00e0 en juger par le saut que le baron \nfit sur sa selle, par l\u2019empresseme nt qu\u2019il mit \u00e0 la retirer de \nl\u2019endroit qu\u2019elle avait atteint, il \u00e9tait impossible de mettre en doute que de longtemps le baron ne remonterait \u00e0 cheval ou ne resterait tranquillement assis sur sa chaise. \n Petit-Jean serra avec reconnaissance les mains de son sau-\nveur ; Will demanda \u00e0 Robin le r\u00e9cit de ses prouesses et les der-ni\u00e8res heures de ce jour m\u00e9morable s\u2019\u00e9coul\u00e8rent joyeusement. \u2013 269 \u2013 XI \n \nLe baron Fitz Alwine regard ait Robin Hood comme le cau-\nchemar de son existence et l\u2019insatiable d\u00e9sir qu\u2019il avait de se ven-\nger largement de toutes les humiliations que le jeune homme lui \navait fait subir ne perdait point de sa t\u00e9nacit\u00e9. Sans cesse battu par son ennemi, le baron revenait \u00e0 la charge, se jurant, aussi bien avant l\u2019attaque qu\u2019apr\u00e8s la d\u00e9faite, d\u2019exterminer toute la bande des outlaws. \n Lorsque le baron se vit contraint de reconna\u00eetre qu\u2019il lui se-\nrait \u00e9ternellement impossible de va incre Robin par la force, il r\u00e9-\nsolut d\u2019avoir recours \u00e0 la ruse. Ce nouveau plan de conduite lon-guement m\u00e9dit\u00e9, il esp\u00e9ra avoir d\u00e9couvert un moyen pacifique d\u2019attirer Robin dans ses filets. Sans perdre une minute, le baron envoya chercher un riche marchand de la ville de Nottingham et \nlui confia ses projets en lui re commandant de garder sur eux le \nplus profond silence. \n \nCet homme, qui \u00e9tait d\u2019un caract\u00e8r e faible et irr\u00e9solu, fut fa-\ncilement amen\u00e9 \u00e0 partager la haine que le baron paraissait res-sentir contre celui qu\u2019il nommait un d\u00e9trousseur de grand che-min. \n D\u00e8s le lendemain de son entrevue avec lord Fitz Alwine, le \nmarchand, fid\u00e8le \u00e0 la promesse qu\u2019il avait faite \u00e0 l\u2019irascible vieil-lard, r\u00e9unit dans sa maison les pr incipaux citoyens de la ville et \nleur proposa de venir avec lui demander au sh\u00e9rif la faveur d\u2019\u00e9tablir un tir public o\u00f9 viendraient lutter d\u2019adresse les hommes du Nottinghamshire et ceux du Yorkshire. \n \u2013 Ces deux comt\u00e9s se jalousen t quelque peu, ajouta le mar-\nchand, et, pour l\u2019honneur de la ville, je serais heureux d\u2019offrir \u00e0 nos voisins un moyen de prouver leur habilet\u00e9 d\u2019archer, ou, pour \u2013 270 \u2013 mieux dire une occasion de faire ressortir l\u2019incontestable sup\u00e9rio-\nrit\u00e9 de nos adroits tireurs ; et, af in d\u2019\u00e9galiser la partie entre les \ncamps rivaux, nous \u00e9tablirons le tir aux limites des deux pays, la \nr\u00e9compense du vainqueur serait un e fl\u00e8che au dard en argent et \naux plumes en or. \n \nLes citoyens convoqu\u00e9s par l\u2019a lli\u00e9 du baron accueillirent la \nproposition qui leur \u00e9tait faite avec un g\u00e9n\u00e9reux empressement \net, accompagn\u00e9s du marchand, ils all\u00e8rent demander \u00e0 lord Fitz Alwine la permission d\u2019annoncer un concours au jeu de l\u2019arc entre les deux pays rivaux. \n Le vieillard, enchant\u00e9 de la prompte r\u00e9ussite de la premi\u00e8re \npartie de son projet, dissimula son intime satisfaction et, d\u2019un air de profonde indiff\u00e9rence, donna le consentement demand\u00e9, ajou-\ntant m\u00eame que si sa pr\u00e9sence pouvait \u00eatre de quelque charme ou \nde quelque utilit\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9clat de la f\u00eate , il se ferait \u00e0 la fois un plaisir \net un devoir de pr\u00e9sider les jeux. \n Les citoyens s\u2019\u00e9cri\u00e8rent d\u2019une voix unanime que la pr\u00e9sence \nde leur seigneur lige serait une b\u00e9n\u00e9diction du ciel et ils parurent \naussi heureux de recevoir la promesse de la venue du baron que si celui-ci leur e\u00fbt \u00e9t\u00e9 attach\u00e9 par le s liens les plus tendres. Ils sorti-\nrent du ch\u00e2teau le c\u0153ur en joie et firent part \u00e0 leurs concitoyens \nde la complaisance du baron avec des gestes d\u2019enthousiasme, des \nyeux b\u00e9ants de surprise et une bo uche plus grande encore que ne \nl\u2019\u00e9tait leur \u00e9tonnement. Ils \u00e9taient si peu habitu\u00e9s, les bonnes gens, \u00e0 rencontrer un semblant de politesse dans les proc\u00e9d\u00e9s du seigneur normand. \n Une proclamation savamment r\u00e9dig\u00e9e annon\u00e7a qu\u2019une joute \nallait \u00eatre ouverte aux habitants des comt\u00e9s de Nottingham et de York. Le jour \u00e9tait fix\u00e9, le lieu choisi entre la for\u00eat de Bernsdale et le village de Mansfeld. Comme on avait pris soin que la nouvelle \nde cette joute publique f\u00fbt r\u00e9pandue dans tous les coins des pays pour lesquels elle \u00e9tait pr\u00e9par\u00e9e, elle arriva aux oreilles de Robin Hood. Aussit\u00f4t le jeune homme r\u00e9solut de se mettre sur les rangs et de soutenir l\u2019honneur de la ville de Nottingham. De nouvelles \u2013 271 \u2013 informations apprirent \u00e9galement \u00e0 Robin que le baron Fitz Al-\nwine devait pr\u00e9sider les jeux. Cette condescendance, si peu en harmonie avec le caract\u00e8re morose du vieillard, fit comprendre \u00e0 \nRobin le but secret vers lequel tendaient les d\u00e9sirs du noble lord. \n \n\u2013 Eh bien ! se dit notre ami, tentons l\u2019aventure avec toutes \nles pr\u00e9cautions n\u00e9cessaires \u00e0 une vaillante d\u00e9fense. \n \nLa veille du jour o\u00f9 la lutte d\u2019adresse devait avoir lieu, Robin \nr\u00e9unit ses hommes et leur annon\u00e7a que son intention \u00e9tait d\u2019aller \ngagner le prix de l\u2019arc en l\u2019honneur de la ville de Nottingham. \n \u2013 Mes gar\u00e7ons, ajouta Robin, \u00e9coutez bien ceci : le baron Fitz \nAlwine assiste \u00e0 la f\u00eate et bien certainement il a une cause toute \nparticuli\u00e8re pour se montrer si d\u00e9sireux de plaire aux yeomen. Cette cause, je crois la conna\u00eetre ; c\u2019est une tentative d\u2019arrestation \ncontre moi. Je vais donc amener au tir cent quarante compa-gnons ; j\u2019en prendrai six pour concurrents au prix de l\u2019arc, les au-tres se disperseront dans la foule de mani\u00e8re \u00e0 se r\u00e9unir au pre-mier appel en cas de trahison. \n Tenez vos armes pr\u00eates et disposez-vous \u00e0 soutenir un com-\nbat \u00e0 outrance. \n Les ordres de Robin Hood furent ponctuellement ex\u00e9cut\u00e9s, \net \u00e0 l\u2019heure du d\u00e9part, les hommes prirent par petits groupes le chemin de Mansfeld, et arriv\u00e8rent sans encombre sur la place, o\u00f9 une nombreuse foule \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 rassembl\u00e9e. \n \nRobin Hood, Petit-Jean, Will \u00c9car late, Much et cinq autres \njoyeux hommes devaient prendre part \u00e0 la lutte ; ils \u00e9taient tous \ndiff\u00e9remment v\u00eatus et se parlaient \u00e0 peine, afin d\u2019\u00e9viter tout dan-ger d\u2019\u00eatre reconnus. \n L\u2019endroit choisi pour le jeu de l\u2019arc \u00e9tait une vaste clairi\u00e8re \nsitu\u00e9e sur les bords de la for\u00eat de Barnsdale et peu \u00e9loign\u00e9e de la \ngrand route. Une foule immense, venue des pays circonvoisins, se pressait tumultueusement dans l\u2019en ceinte au centre de laquelle \u2013 272 \u2013 \u00e9taient plac\u00e9es les targes. Une estr ade avait \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9e en face du \ntir ; elle attendait le baron, \u00e0 qu i \u00e9tait d\u00e9volu l\u2019honneur de juger \nles coups et de donner le prix. \n \nBient\u00f4t le sh\u00e9rif parut, accompagn\u00e9 d\u2019une escorte de soldats. \nUne cinquantaine d\u2019hommes d\u2019 armes appartenant au baron \ns\u2019\u00e9taient gliss\u00e9s, v\u00eatus du costume yeoman, au milieu de la foule, avec ordre d\u2019arr\u00eater les gens qui leur para\u00eetraient suspects et de \nles conduire devant le sh\u00e9rif. \n \nCes pr\u00e9cautions prises, lors Fitz Alwine avait lieu d\u2019esp\u00e9rer \nque Robin Hood, dont le caract\u00e8re aventureux se jouait du dan-ger, viendrait \u00e0 la f\u00eate sans escorte, et qu\u2019il aurait enfin la satisfac-\ntion de prendre une revanche qui s\u2019\u00e9tait fait attendre au-del\u00e0 du terme de la patience humaine. \n \nLe tir s\u2019ouvrit : trois hommes de Nottingham ras\u00e8rent les tar-\nges, chacun d\u2019eux toucha la marque sans atteindre le centre. \u00c0 leur suite vinrent trois yeomen du Yorkshire ; ils obtinrent un succ\u00e8s identique \u00e0 celui de leurs adversaires. Will \u00c9carlate se pr\u00e9-s e n t a \u00e0 s o n t o u r , e t i l t r a n s p e r \u00e7 a l e c e n t r e d u p o i n t a v e c l a p l u s grande facilit\u00e9. \n Un hourra de triomphe proclama l\u2019adresse de Will, que Petit-\nJean venait de remplacer. Le je une homme envoya sa fl\u00e8che dans \nle trou qu\u2019avait fait celle de William ; puis, avant m\u00eame que le \ngarde-targe e\u00fbt eu le temps de re tirer la fl\u00e8che, Robin Hood la \nbrisa en morceaux et prit sa place. \n \nLa foule enthousiasm\u00e9e s\u2019agita tumultueusement, et les \nhommes de Nottingham engag\u00e8rent des paris consid\u00e9rables. \n \nLes trois meilleurs tireurs du Yorkshire s\u2019avanc\u00e8rent, et \nd\u2019une main ferme, ils frapp\u00e8rent le milieu de l\u2019\u0153il de b\u0153uf. \n Ce fut alors au tour des hommes du Nord \u00e0 crier victoire et \u00e0 \naccepter les paris des citoyens de Nottingham. \n \u2013 273 \u2013 Pendant ce temps-l\u00e0, le baron, fort peu int\u00e9ress\u00e9 au succ\u00e8s \nde l\u2019un ou de l\u2019autre pays, surv eillait attentivement les archers. \nRobin Hood avait attir\u00e9 son attent ion ; mais comme sa vue s\u2019\u00e9tait \ndepuis longtemps affaiblie, il lu i \u00e9tait impossible, \u00e0 une pareille \ndistance, de reconna\u00eetre les traits de son ennemi. \n \nMuch et les joyeux hommes d\u00e9sign\u00e9s par Robin pour tirer \u00e0 \nla cible touch\u00e8rent la marque sa ns effort ; quatre yeomen leur \nsucc\u00e9d\u00e8rent et firent la m\u00eame chose. \n La plupart des archers avaient une telle habitude du tir \u00e0 la \ncible que la victoire pouvait, en se morcelant ainsi, devenir nulle ou g\u00e9n\u00e9rale ; on d\u00e9cida donc qu\u2019il fallait \u00e9lever des baguettes et choisir sept hommes parmi les vainqueurs des deux camps ri-vaux. \n \nLes citoyens de Nottingham d\u00e9sign\u00e8rent pour soutenir \nl\u2019honneur de leur pays Robin Hood et ses hommes, et les habi-tants du Yorkshire prirent pour leurs champions les yeomen qui \ns\u2019\u00e9taient montr\u00e9s les meilleurs archers. \n Les yeomen commenc\u00e8rent : le premier fendit la baguette, le \nsecond l\u2019effleura, la fl\u00e8che du troisi\u00e8me la rasa de si pr\u00e8s qu\u2019il pa-raissait impossible que leurs adversaires en arrivassent \u00e0 surpas-ser leur adresse. \n Will \u00c9carlate s\u2019avan\u00e7a, et prenant nonchalamment son arc, il \ntira sous main et fendit en deux morceaux la baguette de saule. \n \n\u2013 Hourra pour Nottinghamshire ! cri\u00e8rent les citoyens de \nNottingham en jetant leurs bonnets en l\u2019air, sans songer le moins \ndu monde qu\u2019il leur serait impossible de les retrouver. \n \nOn pr\u00e9para de nouvelles baguettes ; les hommes de Robin, \ndepuis Petit-Jean jusqu\u2019au dernier des archers, les fendirent ai-s\u00e9ment. Le tour de Robin arriva ; il envoya trois fl\u00e8ches aux ba-guettes, et cela avec une telle rapi dit\u00e9 que, si l\u2019on n\u2019avait pas vu \u2013 274 \u2013 que les baguettes \u00e9taient bris\u00e9es, il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 impossible de croire \u00e0 \nune pareille adresse. \n \nPlusieurs \u00e9preuves furent encore tent\u00e9es, Robin triompha de \ntous ses adversaires, quoiqu\u2019ils fussent d\u2019habiles tireurs. \n \nQuelques personnes se mirent \u00e0 dire que le c\u00e9l\u00e8bre Robin \nHood lui-m\u00eame ne pourrait lutter avec le yeoman \u00e0 la jaquette \nrouge : c\u2019est ainsi que, dans la foule, on d\u00e9signait Robin. \n Cette r\u00e9flexion si dangereuse pour l\u2019incognito du jeune \nhomme se transforma promptement en affirmation, et le bruit circula que le vainqueur au jeu de l\u2019arc n\u2019\u00e9tait autre chose que Robin Hood lui-m\u00eame. \n Les hommes du Yorkshire, fort humili\u00e9s de leur d\u00e9faite, \ns\u2019empress\u00e8rent aussit\u00f4t de crier que la partie n\u2019\u00e9tait pas \u00e9gale en-\ntre eux et un homme de la force de Robin Hood. Ils se plaignirent \nde l\u2019atteinte port\u00e9e \u00e0 leur honneur d\u2019archers, de la perte de leur argent (ce qui \u00e9tait pour eux la plus puissante consid\u00e9ration), et \nils essay\u00e8rent, dans l\u2019espoir sans doute d\u2019\u00e9luder leurs paris, de changer la discussion en querelle. \n D\u00e8s que les joyeux hommes s\u2019ap er\u00e7urent du mauvais vouloir \nde leurs adversaires, ils se r\u00e9uniren t en corps, et form\u00e8rent, sans \nintention apparente, un groupe compos\u00e9 de quatre-vingt-six \nhommes. \n Tandis que la discorde jetait ses brandons dans la foule des \nparieurs, Robin Hood \u00e9tait condui t vers le sh\u00e9rif, au milieu des \njoyeuses acclamations des citoyens de Nottingham. \n \u2013 Place au vainqueur ! hourra po ur l\u2019habile archer ! criaient \ndeux cents voix ; voil\u00e0 celui qui a gagn\u00e9 le prix ! Robin Hood, le \nfront modestement baiss\u00e9, se tenait devant lord Fitz Alwine dans une attitude des plus respectueuses. \n \u2013 275 \u2013 Le baron ouvrit d\u00e9mesur\u00e9ment les yeux pour chercher \u00e0 d\u00e9-\ncouvrir les traits du jeune homme. Une certaine ressemblance de \ntaille, peut-\u00eatre m\u00eame de costume, portait le baron \u00e0 croire qu\u2019il \navait devant les yeux l\u2019insaisissable outlaw ; mais, pris entre deux \nsentiments oppos\u00e9s, le doute et une faible certitude, il ne pouvait, \nsans compromettre la r\u00e9ussite de son plan, montrer une trop grande pr\u00e9cipitation. Il tendit la fl\u00e8che \u00e0 Robin, esp\u00e9rant recon-n a \u00ee t r e l e j e u n e h o m m e a u s o n d e s a v o i x ; m a i s R o b i n t r o m p a \nl\u2019espoir du baron : il prit la fl\u00e8c he, s\u2019inclina poliment, et la passa \u00e0 \nsa ceinture. \n \nUne seconde s\u2019\u00e9coula ; Robin fit une fausse sortie, puis, au \nmoment o\u00f9 le baron d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 allait tenter un coup d\u00e9cisif en le \nvoyant s\u2019\u00e9loigner, il leva la t\u00eate, regarda fixement le baron, et lui dit en riant : \n \n\u2013 De vaines paroles seraient impuissantes \u00e0 vous exprimer \ntout le prix que j\u2019attache au don que vous venez de me faire, mon excellent ami. Je vais regagner, le c\u0153ur plein de reconnaissance, \nles grands arbres verts de ma solitaire demeure, et j\u2019y garderai avec soin le pr\u00e9cieux t\u00e9moignage de vos bont\u00e9s. Je vous souhaite affectueusement le bonjour, noble seigneur de Nottingham. \n \u2013 Arr\u00eatez ! arr\u00eatez ! rugit le baron ; soldats, faites votre de-\nvoir ! cet homme est Robin Hood ; emparez-vous de lui ! \n \u2013 Mis\u00e9rable l\u00e2che ! repartit Robin, vous avez proclam\u00e9 que \nce jeu \u00e9tait public, ouvert \u00e0 tous, destin\u00e9 au plaisir de tout le monde, sans danger et sans exception ! \n \u2013 Un proscrit n\u2019a aucun droit, dit le baron ; tu n\u2019\u00e9tais pas \ncompris dans l\u2019appel qu\u2019on a fait aux bons citoyens. Allons, sol-dats, saisissez ce brigand ! \n \u2013 Je tue le premier qui avance ! cria Robin d\u2019une voix de \nstentor, en dirigeant son arc vers un gaillard qui marchait vers lui ; mais, \u00e0 la vue de cette mena \u00e7ante attitude, l\u2019homme recula et \ndisparut dans la foule. \u2013 276 \u2013 \nRobin sonna du cor, et ses joyeux hommes, d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9par\u00e9s \u00e0 \nsoutenir une lutte sanglante, s\u2019av anc\u00e8rent vivement pour le pro-\nt\u00e9ger. Robin se replia au centre de sa troupe, lui ordonna de ten-\ndre les arcs et de se retirer lentement ; car le nombre des soldats \ndu baron \u00e9tait trop consid\u00e9rable pour qu\u2019il f\u00fbt possible d\u2019engager la bataille sans redouter une dangereuse effusion de sang. \n \nLe baron se pr\u00e9cipita \u00e0 la t\u00eate de ses hommes, et d\u2019une voix \nfurieuse, leur intima l\u2019ordre d\u2019 arr\u00eater les outlaws ; les soldats \nob\u00e9irent, et les citoyens du Yorkshire, irrit\u00e9s de leur d\u00e9faite, exas-\np\u00e9r\u00e9s par la perte des paris qu\u2019ils avaient engag\u00e9s, se joignirent aux hommes du baron et s\u2019\u00e9lanc\u00e8re nt avec eux \u00e0 la poursuite des \nforestiers. Mais les citoyens de Nottingham devaient \u00e0 Robin Hood trop d\u2019amiti\u00e9 et de reconnaissance pour les laisser sans se-cours \u00e0 la merci des soldats de leur seigneur. Ils ouvrirent un \nlarge passage aux joyeux hommes, et tout en les saluant de leurs \nacclamations affectueuses, ils referm\u00e8rent derri\u00e8re eux le chemin qu\u2019ils avaient ouvert. \n Malheureusement, les protecteurs de Robin Hood n\u2019\u00e9taient \nni assez nombreux ni assez forts pour prot\u00e9ger longtemps sa pru-dente fuite ; ils furent oblig\u00e9s de rompre leurs rangs, et les hom-mes d\u2019armes gagn\u00e8rent la route dans laquelle les forestiers s\u2019\u00e9taient engag\u00e9s au pas de course. \n Alors commen\u00e7a une poursuite acharn\u00e9e ; de temps en \ntemps les forestiers faisaient volte- face et envoyaient une vol\u00e9e de \nfl\u00e8ches aux soldats ; ceux-ci ripostaient tant bien que mal, et mal-\ngr\u00e9 les ravages op\u00e9r\u00e9s dans leurs rangs, ils continuaient avec cou-\nrage \u00e0 poursuivre les fuyards. \n Depuis une heure d\u00e9j\u00e0 les deux troupes \u00e9changeaient des fl\u00e8-\nches, lorsque Petit-Jean, qui marc hait avec Robin \u00e0 la t\u00eate des \nforestiers, s\u2019arr\u00eata brusquement et dit au jeune chef : \n \u2013 Mon cher ami, mon heure est venue ; je suis gravement \nbless\u00e9 et les forces me manquent, je ne puis plus marcher. \u2013 277 \u2013 \n\u2013 Comment ! s\u2019\u00e9cria Robin, tu es bless\u00e9 ? \n\u2013 Oui, r\u00e9pondit Jean ; j\u2019ai le genou atteint, et je perds depuis \nune demi-heure une si grande quantit\u00e9 de sang que mes membres \nsont \u00e9puis\u00e9s. Il m\u2019est impossible de me tenir plus longtemps de-bout. \n \nEn achevant ces mots, Jean tomba \u00e0 la renverse. \n \u2013 \u00d4 mon Dieu ! s\u2019\u00e9cria Robin qui s\u2019agenouilla aupr\u00e8s de son \nbrave ami ; Jean, mon brave Jean, reprends courage, essaie de te soulever, de t\u2019appuyer sur moi ; je ne suis pas fatigu\u00e9, je dirigerai ta marche ; encore quelques minutes, et nous serons hors d\u2019atteinte. Laisse-moi envelopper ta blessure, tu en ressentiras un \ngrand soulagement. \n \n\u2013 Non, Robin, c\u2019est inutile, r\u00e9po ndit Jean d\u2019une voix faible ; \nma jambe est comme paralys\u00e9e, il me serait impossible de faire un mouvement ; ne t\u2019arr\u00eate pas, abandonne un malheureux qui ne demande qu\u2019\u00e0 mourir. \n \u2013 T\u2019abandonner, moi ! s\u2019\u00e9cria Robi n ; tu sais bien que je suis \nincapable de commettre cette mauvaise action. \n \u2013 Ce ne sera point une mauvaise action, Rob, mais un devoir. \nTu r\u00e9ponds devant Dieu de l\u2019existence des braves gens qui se sont donn\u00e9s \u00e0 toi corps et \u00e2me. Laisse-moi donc ici ; mais, si tu m\u2019aimes, si tu m\u2019as jamais aim\u00e9, ne permets pas \u00e0 cet inf\u00e2me sh\u00e9-\nrif de me trouver vivant : enfonce-moi dans le c\u0153ur ton couteau \nde chasse, afin que je puisse mourir comme un honn\u00eate et brave Saxon. \u00c9coute ma pri\u00e8re, Robin, tue-moi, tu m\u2019\u00e9pargneras de cruelles souffrances et la douleur de revoir nos ennemis ; ils sont si l\u00e2ches, ces mis\u00e9rables Normands, qu\u2019ils prendraient plaisir \u00e0 insulter ma derni\u00e8re heure. \n \u2013 Voyons, Jean, r\u00e9pondit Robin en essuyant une larme, ne \nme demande pas une chose impossible ; tu sais bien que je ne te \u2013 278 \u2013 laisserai pas mourir sans secours et loin de moi, tu sais bien que \nje sacrifierais ma vie et celle de mes hommes \u00e0 la conservation de \nton existence. Tu sais bien encore que, loin de t\u2019abandonner, je \nverserais pour te d\u00e9fendre la derni\u00e8re goutte de mon sang. Quand \nje tomberai, Jean, ce sera \u00e0 tes c\u00f4t\u00e9s, je l\u2019esp\u00e8re, et alors nous par-tirons pour l\u2019autre monde les mains et le c\u0153ur unis comme ils l\u2019ont \u00e9t\u00e9 ici-bas. \n \n\u2013 Nous nous battrons et nous mourrons \u00e0 tes c\u00f4t\u00e9s, si le ciel \nnous retire son appui, dit Will en embrassant son cousin, et tu vas \nvoir qu\u2019il y a encore de braves gar\u00e7ons sur la terre. Mes enfants, dit Will en se tournant vers les forestiers qui avaient fait halte, \nvoici votre ami, votre compagnon, votre chef, qui est mortelle-\nment bless\u00e9 ; pensez-vous qu\u2019il fa ille l\u2019abandonner \u00e0 la vengeance \ndes coquins qui nous poursuivent ? \n \n\u2013 Non ! non ! cent fois non ! r\u00e9pondirent les joyeux hommes \nd\u2019une seule voix. Rangeons-nous autour de lui, et mourons pour le d\u00e9fendre. \n \u2013 Permettez, dit le vigoureux Much en s\u2019avan\u00e7ant, il me sem-\nble qu\u2019il est inutile au besoin de la cause de risquer notre peau. \nJean n\u2019est bless\u00e9 qu\u2019au genou, il peut donc, sans que nous ayons \u00e0 \ncraindre un \u00e9panchement du sang , supporter un transport. Je \nvais le prendre sur mes \u00e9paules, et je le porterai tant que mes \njambes me porteront moi-m\u00eame. \n \u2013 Si tu tombes, Much, dit Will, je te remplacerai, et apr\u00e8s \nmoi un autre, n\u2019est-ce pas, mes gar\u00e7ons ? \n \u2013 Oui, oui, r\u00e9pondirent bravement les forestiers. En d\u00e9pit de \nla r\u00e9sistance que Jean tenta d\u2019op poser, Much l\u2019enleva d\u2019une main \nferme, et aid\u00e9 de Robin, il pla\u00e7a le bless\u00e9 sur ses \u00e9paules. Ce soin pris, les fugitifs continu\u00e8rent rapidement leur route. La halte for-c\u00e9e faite par la petite troupe avait donn\u00e9 aux soldats le loisir de gagner du terrain, et ils commen\u00e7aient \u00e0 appara\u00eetre. Les joyeux hommes envoy\u00e8rent une vol\u00e9e de fl\u00e8ches, et redoubl\u00e8rent de vi-tesse dans l\u2019espoir d\u2019atteindre leur demeure, bien persuad\u00e9s que \u2013 279 \u2013 les soldats n\u2019auraient ni la force ni le courage de les suivre jusque-\nl\u00e0. \u00c0 un embranchement de la grande route qui allait se perdre \ndans les terres, les forestiers d\u00e9co uvrirent au milieu du feuillage \ndes arbres, les tourelles d\u2019un ch\u00e2teau. \n \n\u2013 \u00c0 qui peut appartenir ce domaine ? demanda Robin ; quel-\nqu\u2019un de vous en conna\u00eet-il le propri\u00e9taire ? \n \n\u2013 Moi, capitaine, dit un homme nouvellement enr\u00f4l\u00e9 dans la \nbande. \n \n\u2013 Bien. Sais-tu si nous serions convenablement accueillis par \nce seigneur ? Car nous sommes perdus si les portes de sa maison nous restent ferm\u00e9es. \n \u2013 Je r\u00e9ponds de la bienveillance de sir Richard de la Plaine, \nr\u00e9pondit le forestier ; c\u2019est un brave Saxon. \n \n\u2013 Sir Richard de la Plaine ! s\u2019\u00e9cria Robin ; alors nous som-\nmes sauv\u00e9s. En avant, mes gar\u00e7on s, en avant ! Que la sainte \nVierge soit b\u00e9nie ! continua Robin en se signant avec reconnais-sance ; elle n\u2019abandonne jamais les malheureux \u00e0 l\u2019heure du dan-ger. Will \u00c9carlate, prends les deva nts, et dis au gardien du pont-\nlevis que Robin Hood et une part ie de ses hommes, poursuivis \npar des Normands, demandent \u00e0 sir Richard la permission d\u2019entrer dans son ch\u00e2teau. \n William descendit avec la rapidit\u00e9 d\u2019une fl\u00e8che l\u2019espace qui le \ns\u00e9parait du domaine de sir Richard. Pendant que le jeune homme \nremplissait son message, Robin et ses compagnons se dirigeaient \nvers le ch\u00e2teau. Bient\u00f4t un drapeau blanc fut hiss\u00e9 sur le mur \nd\u2019enceinte ; un cavalier sortit du ch\u00e2teau, et suivi de Will, s\u2019\u00e9lan\u00e7a \n\u00e0 toute bride \u00e0 la rencontre de Robin Hood. Arriv\u00e9 en face du \njeune chef, il sauta \u00e0 terre et lui tendit les deux mains. \n \u2013 Messire, dit le jeune homme en serrant avec une visible \n\u00e9motion les mains de Robin Hood, je suis Herbert Gower, le fils de sir Richard. Mon p\u00e8re me charge de vous dire que vous \u00eates le \u2013 280 \u2013 bienvenu dans notre maison, et qu \u2019il se trouvera le plus heureux \ndes hommes si vous lui donnez l\u2019occasion de se lib\u00e9rer un peu des \ngrandes obligations que nous av ons contract\u00e9es envers vous. Je \nvous appartiens corps et \u00e2me, sir Robin, ajouta le jeune homme \navec un \u00e9lan de profonde gratitude, disposez de moi \u00e0 votre bon plaisir. \n \u2013 Je vous remercie de grand c\u0153ur, mon jeune ami, r\u00e9pondit \nRobin en embrassant Herbert ; votre offre est tentante, car je se-rai fier de pouvoir mettre au rang de mes lieutenants un aussi aimable cavalier. Mais pour le moment il nous faut penser au danger qui menace ma troupe. Elle est \u00e9puis\u00e9e de fatigue, le plus \ncher de mes compagnons a \u00e9t\u00e9 atteint \u00e0 la jambe par la fl\u00e8che d\u2019un Normand, et depuis pr\u00e8s de deux heures, nous sommes poursuivis par les soldats du baron Fitz Alwine. Tenez, mon en-fant, continua Robin en montrant au jeune homme une bande de \nsoldats qui commen\u00e7ait \u00e0 envahir la route ; ils vont nous attein-\ndre si nous ne nous h\u00e2tons pas de chercher un abri derri\u00e8re les murs du ch\u00e2teau. \n \u2013 Le pont-levis est d\u00e9j\u00e0 baiss\u00e9, dit Herbert ; d\u00e9p\u00eachons-\nnous ; et dans dix minutes, vous n\u2019aurez plus rien \u00e0 craindre de vos ennemis. \n Le sh\u00e9rif et ses hommes arriv\u00e8rent assez promptement pour \nassister au d\u00e9fil\u00e9 de la petite troupe sur le pont-levis du ch\u00e2teau. Exasp\u00e9r\u00e9 par cette nouvelle d\u00e9faite, le baron prit aussit\u00f4t l\u2019audacieuse r\u00e9solution de demand er au nom du roi \u00e0 sir Richard \nde lui livrer les hommes qui, en abusant sans doute de sa cr\u00e9duli-\nt\u00e9, \u00e9taient parvenus \u00e0 se placer sous sa protection. Alors, \u00e0 la de-mande de lord Fitz Alwine, le chevalier parut sur les remparts. \n \u2013 Sir Richard de la Plaine, dit le baron, \u00e0 qui ses gens avaient \nappris le nom du propri\u00e9taire du ch\u00e2teau, connaissez-vous les hommes qui viennent de p\u00e9n\u00e9trer dans votre maison ? \n \u2013 Je les connais, milord, r\u00e9pondit froidement le chevalier. \u2013 281 \u2013 \u2013 Eh, quoi ! vous savez que le mis\u00e9rable qui commande cette \nt r o u p e d e b a n d i t s e s t u n o u t l a w , u n e n n e m i d u r o i , e t v o u s l u i \ndonnez asile ? Savez-vous que vous encourez la peine des tra\u00ee-\ntres ? \n \n\u2013 Je sais que ce ch\u00e2teau et les terres qui l\u2019environnent sont \nma propri\u00e9t\u00e9 ; je sais que je suis le ma\u00eetre d\u2019agir ici \u00e0 ma guise et \nd\u2019y recevoir qui bon me semble. Voil\u00e0 ma r\u00e9ponse, monsieur ; \nveuillez donc vous \u00e9loigner sur-le-c hamp si vous d\u00e9sirez \u00e9viter un \ncombat dans lequel vous n\u2019auriez pas l\u2019avantage ; car j\u2019ai \u00e0 ma \ndisposition une centaine d\u2019hommes de guerre et les fl\u00e8ches les mieux appoint\u00e9es de tout le pays. Bonjour, monsieur. \n En achevant cette ironique r\u00e9ponse, le chevalier quitta les \nremparts. \n \nLe baron, qui se sentait trop mal appuy\u00e9 par ses soldats pour \ntenter une attaque contre le ch\u00e2teau, se d\u00e9cida \u00e0 la retraite, et ce \nfut, comme on doit bien le penser, la rage dans le c\u0153ur qu\u2019il re-prit, avec ses hommes, le chemin de Nottingham. \n \u2013 Sois mille fois le bienvenu dans la maison que je dois \u00e0 ta \nbont\u00e9, mon cher Robin Hood ! dit le chevalier en embrassant son h\u00f4te ; sois mille fois le bienvenu ! \n \u2013 Merci, chevalier, dit Robin ; mais, de gr\u00e2ce, ne me parle \nplus du faible service que j\u2019ai eu la satisfaction de te rendre. Ton amiti\u00e9 l\u2019a d\u00e9j\u00e0 pay\u00e9 au centuple et tu me sauves aujourd\u2019hui d\u2019un v\u00e9ritable danger. Dis-moi, je t\u2019am\u00e8ne un bless\u00e9, et je d\u00e9sire que tu \nle traites avec affection. \n \n\u2013 Il sera consid\u00e9r\u00e9 comme toi-m\u00eame, mon cher Robin. \u2013 Ce digne gar\u00e7on ne t\u2019est pas inconnu, chevalier, reprit Ro-\nbin : c\u2019est Petit-Jean, mon premier lieutenant, le plus cher et le plus fid\u00e8le de mes compagnons. \n \u2013 282 \u2013 \u2013 Ma femme et Lilas vont s\u2019occuper de lui, r\u00e9pondit sir Ri-\nchard, et elles le soigneront bien, tu peux \u00eatre tranquille \u00e0 cet \n\u00e9gard-l\u00e0. \n \n\u2013 Si vous voulez parler de Petit-Jean, ou, pour mieux dire, \ndu plus grand Jean qui ait jamais mani\u00e9 un b\u00e2ton, dit Herbert, il est d\u00e9j\u00e0 entre les mains d\u2019un habile m\u00e9decin de York qui est ici depuis hier au soir ; il a d\u00e9j\u00e0 pa ns\u00e9 la blessure et promis au ma-\nlade une prompte gu\u00e9rison. \n \u2013 Dieu soit lou\u00e9 ! dit Robin Hood ; mon cher Jean est hors \nde danger. Maintenant, chevalier, ajouta-t-il, je suis tout \u00e0 vous et \u00e0 votre ch\u00e8re famille. \n \u2013 Ma femme et Lilas d\u00e9sirent impatiemment ta visite, mon \ncher Robin, dit le chevalier, et elles t\u2019attendent dans la chambre \nvoisine. \n \n\u2013 Mon cher p\u00e8re, dit Herbert en riant, je viens d\u2019apprendre \u00e0 \nmon ami et en parlant ainsi, le jeune homme d\u00e9signait Will \u00c9car-late, que j\u2019\u00e9tais l\u2019heureux \u00e9poux de la plus belle femme du monde ; et savez-vous ce qu\u2019il m\u2019a r\u00e9pondu ? \u2013 Sir Richard et Ro-bin Hood \u00e9chang\u00e8rent un sourire. \u2013 Il m\u2019a affirm\u00e9, continua Her-bert, qu\u2019il poss\u00e9dait une femme dont l\u2019admirable beaut\u00e9 n\u2019avait pas de rivale. Mais il va voir Lilas, et alors\u2026 \n \u2013 Ah ! si vous aviez vu Maude, vous ne parleriez pas ainsi, \njeune homme ; n\u2019est-il pas vrai, Robin ? \n \n\u2013 Bien certainement Herbert trou verait Maude fort jolie, r\u00e9-\npondit Robin d\u2019un ton conciliant. \n \n\u2013 Sans doute, sans doute, dit Herbert, mais Lilas est belle \u00e0 \nmiracle, et \u00e0 mes yeux, il n\u2019existe pas une femme qui puisse lui \u00eatre compar\u00e9e. \n \u2013 283 \u2013 Will \u00c9carlate \u00e9coutait Herbert en fron\u00e7ant le sourcil. Le pau-\nvre gar\u00e7on se sentait quelque pe u bless\u00e9 dans son amour-propre \nde mari. \n \nMais il faut rendre \u00e0 Will cette justice que, aussit\u00f4t que ses \nregards purent contempler la femme d\u2019Herbert, il jeta un cri d\u2019admiration. \n \nLilas avait tenu toutes les prom esses de son jeune \u00e2ge ; la jo-\nlie enfant que nous avons vue au couvent de Sainte-Marie \u00e9tait \ndevenue une ravissante femme. Grande, svelte et gracieuse \ncomme l\u2019est un jeune faon, Lilas s\u2019avan\u00e7a le front baiss\u00e9 et un di-vin sourire \u00e9panoui sur ses l\u00e8vres roses au-devant des visiteurs. Elle leva sur Robin Hood deux gr ands yeux bleus timides, et lui \ntendit la main. \n \n\u2013 Notre sauveur n\u2019est pas un \u00e9t ranger pour moi, dit-elle \nd\u2019une voix suave. Robin, muet d\u2019admiration, porta \u00e0 ses l\u00e8vres la blanche main de Lilas. \n Herbert, qui s\u2019\u00e9tait gliss\u00e9 aupr\u00e8s de Robin, dit alors \u00e0 Will \navec un sourire d\u2019orgueilleuse tendresse : \n \u2013 Ami William, je vous pr\u00e9sente ma femme\u2026 \u2013 Elle est bien belle, dit tout bas Will \u00c9carlate ; mais \nMaude\u2026 ajouta-t-il plus bas encore. \n Il n\u2019en dit pas davantage, Robi n Hood lui avait intim\u00e9 d\u2019un \nr e g a r d l \u2019 o r d r e d e n e r i e n v o i r a u - d e l \u00e0 d e l a c h a r m a n t e f e m m e d\u2019Herbert. \n Apr\u00e8s un mutuel \u00e9change d\u2019affe ctueux compliments entre la \nfemme de sir Richard et ses h\u00f4tes, le chevalier laissa Will et son fils causer avec les dames, et en tra\u00eenant Robin Hood \u00e0 l\u2019\u00e9cart, il \nlui dit : \n \u2013 284 \u2013 \u2013 Mon cher Robin, je d\u00e9sire te donner la preuve qu\u2019il n\u2019existe \npas dans le monde un homme que j\u2019 aime autant que toi, et je te \nrenouvelle l\u2019affirmation de mon amiti\u00e9 afin de te mettre en de-\nmeure d\u2019agir \u00e0 ta guise et suivant tes projets. Tu seras en s\u00fbret\u00e9 \nici tant que cette maison pourra te prot\u00e9ger, tant qu\u2019il restera un \nhomme debout sur ses remparts, et je d\u00e9fierai les armes \u00e0 la main \ntous les sh\u00e9rifs du royaume. J\u2019ai donn\u00e9 l\u2019ordre de fermer les por-\ntes et de ne permettre \u00e0 personne l\u2019entr\u00e9e du ch\u00e2teau sans ma \npermission. Mes gens sont sous les armes et pr\u00eats \u00e0 opposer \u00e0 toute attaque la plus vigoureuse r\u00e9sistance. Tes hommes se repo-sent ; laisse-les jouir en paix d\u2019un e semaine de bonheur, et ce laps \nde temps \u00e9coul\u00e9, nous aviserons au parti que tu dois prendre. \n \u2013 Je consens volontiers \u00e0 rester ici pendant quelques jours, \nr\u00e9pondit Robin, mais \u00e0 une condition. \n \n\u2013 Laquelle ? \u2013 Mes joyeux hommes regagneron t demain la for\u00eat de Barn-\nsdale ; Will \u00c9carlate les accompagnera, et il reviendra ici avec sa ch\u00e8re Maude, Marianne et la femme du pauvre Jean. \n Sir Richard acquies\u00e7a de grand c\u0153ur au d\u00e9sir de Robin, et \ntout fut arrang\u00e9 \u00e0 la mutuelle satisfaction des deux amis. \n Quinze jours s\u2019\u00e9coul\u00e8rent fort joyeusement au ch\u00e2teau de la \nPlaine, et \u00e0 la fin de ces quinze jours, Robin, Petit-Jean enti\u00e8re-ment remis de sa blessure, Will \u00c9carlate, et l\u2019incomparable Maude, Marianne et Winifred se retrouv\u00e8rent une fois encore \nsous les grands arbres verts de la for\u00eat de Barnsdale. \n \nD\u00e8s le lendemain de son retour \u00e0 Nottingham le baron Fitz \nAlwine se rendit \u00e0 Londres, obtint une audience du roi, et lui ra-\nconta sa pitoyable aventure. \n \u2013 Votre majest\u00e9, dit le baron , trouvera sans doute bien \n\u00e9trange qu\u2019un chevalier \u00e0 qui Robin Hood avait demand\u00e9 asile ait \u2013 285 \u2013 r e f u s \u00e9 d e m e l i v r e r c e g r a n d c o u p a b l e l o r s q u e j e l u i e n i n t i m a i \nl\u2019ordre au nom du roi. \n \n\u2013 Comment, un chevalier a manqu\u00e9 \u00e0 ce point au respect d\u00fb \n\u00e0 son souverain ! s\u2019\u00e9cria Henri d\u2019une voix irrit\u00e9e. \n \n\u2013 Oui, sire, le chevalier Richard Gower de la Plaine a repous-\ns\u00e9 ma juste demande ; il m\u2019a r\u00e9pondu qu\u2019il \u00e9tait le roi de ses do-\nmaines, et qu\u2019il se souciait fort peu de la puissance de Votre Ma-\njest\u00e9. \n Comme on le voit, le digne baron mentait effront\u00e9ment pour \nle bien de sa cause. \n \u2013 Eh bien ! r\u00e9pondit le roi, nous allons juger par nous-\nm\u00eames de l\u2019impudence de ce coquin. Nous serons \u00e0 Nottingham \ndans quinze jours. Emmenez av ec vous autant d\u2019hommes que \nvous jugerez n\u00e9cessaire pour livrer bataille, et si un hasard ma-lencontreux ne nous permettait pas de vous rejoindre, agissez le mieux que vous le pourrez ; emparez-vous de cet indomptable Robin Hood, du chevalier Richard, emprisonnez-les dans le plus \nsombre de vos cachots, et lorsque vous les tiendrez sous les ver-rous, avertissez notre justice. Nous r\u00e9fl\u00e9chirons alors \u00e0 ce qu\u2019il nous restera \u00e0 faire. \n Le baron Fitz Alwine ob\u00e9it \u00e0 la lettre aux ordres du roi. Il ras-\nsembla une nombreuse troupe d\u2019 hommes et marcha \u00e0 leur t\u00eate \ncontre le ch\u00e2teau de sir Richard. Mais le pauvre baron jouait de \nmalheur, car il y arriva le lend emain du d\u00e9part de Robin Hood. \n L\u2019id\u00e9e de poursuivre Robin Hood jusque dans sa retraite ne \nvint pas un instant \u00e0 l\u2019esprit du vieux seigneur. Certain souvenir \net certaine douleur qui lui rendaient encore p\u00e9nibles les prome-nades \u00e0 cheval, mettaient de ce c\u00f4t\u00e9-l\u00e0 des bornes \u00e0 son ardeur. Il r\u00e9solut, ne pouvant mieux faire, de prendre sir Richard, et comme \nun assaut de la place \u00e9tait chose difficile \u00e0 tenter et dangereuse \u00e0 \nmettre en ex\u00e9cution, il prit le par ti de demander \u00e0 la ruse un suc-\nc\u00e8s plus certain. \u2013 286 \u2013 \nLe baron dispersa ses hommes, garda aupr\u00e8s de lui une ving-\ntaine de vigoureux gaillards, et se pla\u00e7a en embuscade \u00e0 une pe-\ntite distance du ch\u00e2teau. \n \nL\u2019attente fut de courte dur\u00e9e : le lendemain matin, sir Ri-\nchard, son fils et quelques serviteurs tomb\u00e8rent dans l\u2019invisible pi\u00e8ge qui leur \u00e9tait tendu, et, ma lgr\u00e9 la vaillante d\u00e9fense qu\u2019ils \noppos\u00e8rent, ils furent vaincus, b\u00e2illonn\u00e9s, attach\u00e9s sur des che-vaux et emport\u00e9s \u00e0 Nottingham. \n Un serviteur de sir Richard parv int \u00e0 s\u2019\u00e9chapper et alla, tout \nmeurtri des coups qu\u2019il avait re\u00e7us, annoncer \u00e0 sa ma\u00eetresse la triste nouvelle. \n Lady Gower, \u00e9perdue de douleu r, voulait aller rejoindre son \nmari ; mais Lilas fit comprend re \u00e0 la malheureuse femme que \ncette d\u00e9marche n\u2019am\u00e8nerait aucun r\u00e9sultat favorable \u00e0 la situa-\ntion des deux hommes ; elle conseilla \u00e0 sa m\u00e8re de s\u2019adresser \u00e0 Robin Hood ; lui seul \u00e9tait capable de juger sainement la position \nde sir Richard et d\u2019op\u00e9rer sa d\u00e9livrance. \n Lady Gower se rendit \u00e0 la pri\u00e8re de la jeune femme et, sans \nperdre un instant, elle fit choix de deux serviteurs fid\u00e8les, monta \u00e0 cheval et se rendit en tout h\u00e2te \u00e0 la for\u00eat de Barnsdale. \n Un forestier qui \u00e9tait rest\u00e9 mala de au ch\u00e2teau se trouva assez \nfort pour lui servir de guide jusqu\u2019\u00e0 l\u2019arbre du Rendez-Vous. \n \nPar un hasard providentiel, Robin Hood \u00e9tait \u00e0 son poste. \n \u2013 Que Dieu b\u00e9nisse, Robin ! s\u2019\u00e9cria lady Gower en se jetant \navec une vivacit\u00e9 f\u00e9brile \u00e0 bas de son cheval, je viens vers vous en \nsuppliante, je viens vous demander , au nom de la sainte Vierge, \nune nouvelle faveur. \n \u2013 287 \u2013 \u2013 Vous m\u2019effrayez, lady ; de gr \u00e2ce, qu\u2019avez-vous ? s\u2019\u00e9cria Ro-\nbin au comble de l\u2019\u00e9tonnement. Dites-moi ce que vous d\u00e9sirez, je \nsuis pr\u00eat \u00e0 vous ob\u00e9ir. \n \n\u2013 Ah ! Robin, sanglota la pauvre femme, mon mari, mon fils \nont \u00e9t\u00e9 enlev\u00e9s par votre ennemi, le sh\u00e9rif de Nottingham. Ah ! \nRobin, sauvez mon enfant, faites arr\u00eater les mis\u00e9rables qui les \nemm\u00e8nent ; ils sont peu nombreux et viennent \u00e0 l\u2019instant de par-\ntir du ch\u00e2teau. \n \u2013 Rassurez-vous, madame, dit Ro bin Hood, votre mari vous \nsera bient\u00f4t rendu. Songez donc que sir Richard est chevalier et \nqu\u2019\u00e0 ce titre il rel\u00e8ve de la just ice du royaume. Quelle que soit la \npuissance du baron Fitz Alwine, elle ne lui permet pas cependant de frapper de mort un noble Saxon. Il faut faire le proc\u00e8s de sir Richard, si la faute qu\u2019on lui reproche offre mati\u00e8re \u00e0 un proc\u00e8s. \nRassurez-vous, s\u00e9chez vos larmes, vo tre mari et votre fils seront \nbient\u00f4t dans vos bras. \n \u2013 Que le ciel vous entende ! s\u2019\u00e9cria lady Gower en joignant \nles mains. \n \u2013 Maintenant, madame, veuillez me permettre de vous don-\nner un conseil : rentrez au ch\u00e2tea u, tenez-en toutes les portes \nferm\u00e9es et ne laissez p\u00e9n\u00e9trer jusqu\u2019\u00e0 vous aucun \u00e9tranger. De mon c\u00f4t\u00e9, je vais r\u00e9unir mes hommes et courir \u00e0 leur t\u00eate \u00e0 la poursuite du baron de Nottingham. \n Lady Gower, \u00e0 demi rassur\u00e9e par les consolantes paroles du \njeune homme, se s\u00e9para de lui le c\u0153ur plus tranquille. \n Robin Hood annon\u00e7a \u00e0 ses hommes la capture de sir Richard \net son d\u00e9sir d\u2019arr\u00eater la marche du sh\u00e9rif. Les forestier jet\u00e8rent un cri, moiti\u00e9 d\u2019indignation contre la tra\u00eetrise du baron, moiti\u00e9 de joie d\u2019avoir une nouvelle occasion de jouer de l\u2019arc et ils firent joyeusement leurs pr\u00e9paratifs de d\u00e9part. \n \u2013 288 \u2013 Robin se mit en t\u00eate de sa vaillante troupe et, accompagn\u00e9 de \nPetit-Jean, de Will \u00c9carlate et de Much, il s\u2019\u00e9lan\u00e7a \u00e0 la poursuite \ndu sh\u00e9rif. \n \nApr\u00e8s une longue et fatigante ma rche, la troupe atteignit la \nville de Mansfeld et l\u00e0, Robin apprit d\u2019un aubergiste que, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre repos\u00e9s, les soldats du baron avaient continu\u00e9 leur route vers Nottingham. Robin Hood fit rafra\u00eechir ses hommes, laissa \nMuch et Petit-Jean avec eux et, accompagn\u00e9 de Will, il gagna au triple galop d\u2019un bon cheval l\u2019arbre du Rendez-Vous de la for\u00eat de Sherwood. Arriv\u00e9 aux abords de la demeure souterraine, Robin fit retentir les joyeuses fanfares de son cor de chasse et, \u00e0 cet appel bien connu, une centaine de forestiers accoururent. \n Robin emmena avec lui cette nouvelle troupe et la dirigea de \nmani\u00e8re \u00e0 placer entre deux trou pes l\u2019escorte du baron ; car les \nhommes laiss\u00e9s \u00e0 Barnsdale devaie nt, apr\u00e8s une heure de repos, \nprendre le chemin qui conduisait \u00e0 Nottingham. \n \nLes joyeux hommes atteignirent bient\u00f4t un endroit peu \u00e9loi-\ngn\u00e9 de la ville et, \u00e0 leur grande satisfaction, ils apprirent que la troupe du sh\u00e9rif n\u2019\u00e9tait pas enco re pass\u00e9e. Robin choisit une posi-\ntion avantageuse, fit dispara\u00eetre une partie de ses hommes et pla-\u00e7a l\u2019autre sur le revers du chemin. \n L\u2019apparition d\u2019une demi-douzaine de soldats annon\u00e7a bien-\nt\u00f4t l\u2019approche du sh\u00e9rif et de sa cavalcade. Les forestiers se pr\u00e9-\npar\u00e8rent alors en silence \u00e0 leur faire une chaleureuse r\u00e9ception. Les batteurs d\u2019estrade franchirent sans obstacle les limites de \nl\u2019embuscade et lorsqu\u2019ils furent a ssez \u00e9loign\u00e9s pour que la troupe \nqu\u2019ils pr\u00e9c\u00e9daient cr\u00fbt n\u2019avoir rien \u00e0 craindre, le son d\u2019un cor tra-\nversa l\u2019air et une vol\u00e9e de fl\u00e8ches salua le rang press\u00e9 des pre-miers soldats. \n Le sh\u00e9rif ordonna une halte et envoya une trentaine \nd\u2019hommes battre les halliers. C\u2019\u00e9tait les envoyer \u00e0 leur perte. \n \u2013 289 \u2013 Divis\u00e9s en deux groupes, les so ldats furent attaqu\u00e9s de deux \nc\u00f4t\u00e9s \u00e0 la fois et contraints par la force de d\u00e9poser leurs armes et \nde se rendre \u00e0 merci. \n \nCet exploit termin\u00e9, les joyeux hommes s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent sur \nl\u2019escorte du baron, qui, bien mont\u00e9e et habile au maniement des armes, se d\u00e9fendit avec vigueur. \n \nRobin et ses hommes combattirent en vue de d\u00e9livrer sir Ri-\nchard et son fils. De leur c\u00f4t\u00e9, les cavaliers venus de Londres \ncherchaient \u00e0 gagner la r\u00e9compense promise par le roi \u00e0 celui qui s\u2019emparerait de Robin Hood. \n La lutte \u00e9tait donc furieuse et acharn\u00e9e des deux parts, la vic-\ntoire incertaine, quand tout \u00e0 coup les cris d\u2019une seconde troupe de forestiers annonc\u00e8rent que la si tuation allait changer de face. \nC\u2019\u00e9tait Petit-Jean et sa bande qui, venant de Barnsdale, se jetaient \ndans la m\u00eal\u00e9e avec une violence irr\u00e9sistible. \n \nUne dizaine d\u2019archers entouraient d\u00e9j\u00e0 sir Richard et son fils, \nd\u00e9tachaient leurs liens, leur donnaient des armes et, sans effroi du danger auquel ils s\u2019exposaient , se battaient corps \u00e0 corps avec \ndes hommes bard\u00e9s de fer et rev\u00eatus de cottes de maille. \n Avec l\u2019\u00e9tourderie et l\u2019imp\u00e9tuosit\u00e9 de la jeunesse, Herbert \ns\u2019\u00e9tait \u00e9lanc\u00e9, suivi de quelques joyeux hommes, au centre m\u00eame \nde l\u2019escorte du baron. Pendant pr \u00e8s d\u2019un quart d\u2019heure le coura-\ngeux enfant tint t\u00eate aux cavalie rs ; mais, vaincu par le nombre, il \nallait expier sa t\u00e9m\u00e9raire imprud ence, lorsqu\u2019un archer, soit pour \nsecourir le jeune homme, soit pour h\u00e2ter l\u2019issue de la bataille, visa rapidement le baron et lui transper\u00e7a le cou d\u2019une fl\u00e8che, le pr\u00e9-cipita \u00e0 bas de son cheval et lui tr ancha la t\u00eate ; puis, l\u2019\u00e9levant en \nl\u2019air sur la pointe de son \u00e9p\u00e9e, il cria d\u2019une voix de stentor : \n \u2013 Chiens normands, regardez votre chef, contemplez une \nderni\u00e8re fois la laide figure de votre orgueilleux sh\u00e9rif et mettez bas les armes, ou pr\u00e9parez-vous \u00e0 subir le m\u00eame s\u2026 ! \n \u2013 290 \u2013 Le forestier n\u2019acheva pas : un Normand lui fendit le cr\u00e2ne et \nl\u2019envoya rouler dans la poussi\u00e8re. La mort de lord Fitz Alwine \nobligea les Normands \u00e0 d\u00e9poser le urs armes et \u00e0 demander quar-\ntier. Sur un ordre de Robin, une partie des joyeux hommes \nconduisit les vaincus jusqu\u2019\u00e0 Nottin gham, tandis que, \u00e0 la t\u00eate de \nla troupe qui lui restait, le jeun e homme faisait relever les morts, \nsecourir les bless\u00e9s et dispara\u00eetre les traces du combat. \n \n\u2013 Adieu pour toujours, homme de fer et de sang ! dit Robin \nen jetant un regard de d\u00e9go\u00fbt sur le cadavre du baron. Tu as enfin \nrencontr\u00e9 la mort et tu vas rece voir la r\u00e9compense de tes mauvai-\nses actions. Ton c\u0153ur a \u00e9t\u00e9 avide et impitoyable, ta main s\u2019est \u00e9tendue comme un fl\u00e9au sur les ma lheureux Saxons ; tu as marty-\nris\u00e9 tes vassaux, trahi ton roi, ab andonn\u00e9 ta fille ; tu m\u00e9rites tou-\ntes les tortures de l\u2019enfer. Cependant, je prie le Dieu des mis\u00e9ri-cordes infinies d\u2019avoir piti\u00e9 de ton \u00e2me et de t\u2019accorder le pardon \nde tes fautes. Sir Richard, dit Robin lorsque le corps du vieux sei-gneur eut \u00e9t\u00e9 enlev\u00e9 par les soldat s et emport\u00e9 dans la direction \nde Nottingham, voil\u00e0 une triste journ\u00e9e. Nous t\u2019avons arrach\u00e9 \u00e0 la mort, mais non \u00e0 la ruine, car te s biens vont \u00eatre confisqu\u00e9s. Je \nvoudrais, mon bon Richard, ne t\u2019avoir jamais connu. \n \u2013 Pourquoi donc ? demanda le chevalier avec une vive sur-\nprise. \n \u2013 Parce que sans mon aide tu aurais r\u00e9ussi bien certaine-\nment \u00e0 payer ta dette \u00e0 l\u2019abb\u00e9 de Sainte-Marie et que la recon-naissance ne t\u2019e\u00fbt pas mis dans l\u2019ob ligation de me rendre service. \nJe suis l\u2019involontaire cause de to ut ton malheur : tu sera banni, \nproscrit du royaume, ta maison deviendra la propri\u00e9t\u00e9 d\u2019un Nor-mand, ta ch\u00e8re famille souffrira et cela par ma faute\u2026 Tu le vois, Richard, mon amiti\u00e9 est dangereuse. \n \u2013 Mon cher Robin, dit le chevalier avec une expression \nd\u2019ineffable tendresse, ma femme et mes enfants existent, tu es mon ami, que puis-je avoir \u00e0 regre tter ? Si le roi me condamne, je \nsortirai du ch\u00e2teau de mes p\u00e8res d\u00e9nu\u00e9 de tout, mais encore heu-\u2013 291 \u2013 reux et b\u00e9nissant l\u2019heure qui m\u2019a conduit aupr\u00e8s du noble Robin \nHood ! \n \nLe jeune homme secoua doucement la t\u00eate. \n \u2013 Parlons s\u00e9rieusement de ta situation, mon cher Richard, \nreprit-il ; la nouvelle des \u00e9v\u00e9nements qui viennent de se passer sera envoy\u00e9e \u00e0 Londres et le roi sera impitoyable. Nous nous \nsommes attaqu\u00e9s \u00e0 ses propres soldat s et il te fera payer leur d\u00e9-\nfaite, non seulement par le ba nnissement, mais par une mort \nignominieuse. Quitte ta demeure, viens avec moi, je te donne ma \nparole d\u2019honn\u00eate homme que, tant qu\u2019un souffle de vie sortira de \nmes l\u00e8vres, tu seras en s\u00fbret\u00e9 sous la garde de mes joyeux hom-mes. \n \u2013 J\u2019accepte de grand c\u0153ur ton offre g\u00e9n\u00e9reuse, Robin Hood, \nr\u00e9pondit sir Richard, je l\u2019accepte avec joie et reconnaissance ; \nmais avant de m\u2019\u00e9tablir dans la fo r\u00eat, je vais essayer (l\u2019avenir de \nmes enfants m\u2019en fait un devoir) d\u2019 adoucir la col\u00e8re du roi. L\u2019offre \nd\u2019une somme consid\u00e9rable le d\u00e9cidera peut-\u00eatre \u00e0 \u00e9pargner la vie d\u2019un noble chevalier. \n Le soir m\u00eame, sir Richard envoya un message \u00e0 Londres \npour demander \u00e0 un membre puissant de sa famille de le prot\u00e9ger aupr\u00e8s du roi. Le courrier revint de Londres ventre \u00e0 terre et il annon\u00e7a \u00e0 son ma\u00eetre que Henri II, fort irrit\u00e9 de la mort du baron Fitz Alwine, avait envoy\u00e9 une co mpagnie enti\u00e8re de ses meilleurs \nsoldats au ch\u00e2teau du chevalier, avec mission de le pendre ainsi que son fils au premier arbre du chemin. Le chef de cette troupe, \nqui \u00e9tait un Normand sans fortune, avait re\u00e7u de la main du roi le \ndon du ch\u00e2teau de la Plaine, pour lui et ses descendants jusqu\u2019\u00e0 la \nderni\u00e8re g\u00e9n\u00e9ration. \n \nLe parent de sir Richard faisai t encore savoir au condamn\u00e9 \nqu\u2019on envoyait une proclamation dans les pays de Nottinghams-\nhire, de Derbyshire et de Yorkshire, ayant pour but d\u2019offrir une r\u00e9compense extraordinaire \u00e0 l\u2019homme assez adroit pour parvenir \u2013 292 \u2013 \u00e0 s\u2019emparer de Robin Hood et le remettre, mort ou vivant, entre \nles mains du sh\u00e9rif de l\u2019un ou de l\u2019autre de ces trois pays. \n \nSir Richard fit aussit\u00f4t pr\u00e9venir Robin Hood du danger qui \nmena\u00e7ait sa vie et lui annon\u00e7a son arriv\u00e9e imm\u00e9diate au milieu \ndes siens. \n Activement aid\u00e9 par ses vassaux, le chevalier d\u00e9pouilla le \nch\u00e2teau de tout ce qu\u2019il contenait et envoya ses meubles, ses ar-mes et sa vaisselle au Rendez-Vous de Barnsdale. \n Lorsque le dernier fourgon eut travers\u00e9 le pont-levis, sir Ri-\nchard, sa femme, Herbert et Lilas sortirent \u00e0 cheval de leur ch\u00e8re demeure et gagn\u00e8rent sans encombre la verte for\u00eat. \n Quand la troupe envoy\u00e9e par le roi arriva au ch\u00e2teau, les por-\ntes en \u00e9taient ouvertes et les chambres compl\u00e8tement vides. \n \nLe nouveau propri\u00e9taire des domaines de sir Richard parut \nfort d\u00e9sappoint\u00e9 de trouver la place d\u00e9serte ; mais comme il avait pass\u00e9 la meilleure partie de son existence \u00e0 lutter contre les capri-\nces de la fortune, il s\u2019arrangea de mani\u00e8re \u00e0 ne pas trop souffrir \nde la situation. En cons\u00e9quence, il renvoya les soldats et au grand d\u00e9sespoir des vassaux, il s\u2019\u00e9tablit e n m a \u00ee t r e a u c h \u00e2 t e a u d e l a \nPlaine. \u2013 293 \u2013 XII \n \nTrois ann\u00e9es de calme suiviren t les \u00e9v\u00e9nements que nous ve-\nnons de raconter. La bande de Robin Hood avait pris un d\u00e9velop-\npement extraordinaire et la renomm\u00e9e de son intr\u00e9pide chef \ns\u2019\u00e9tait r\u00e9pandue par toute l\u2019Angleterre. \n La mort de Henri II avait fait monter son fils Richard sur le \ntr\u00f4ne et celui-ci, apr\u00e8s avoir dilapid\u00e9 les tr\u00e9sors de la couronne, \n\u00e9tait parti pour les croisades, abandonnant la r\u00e9gence du \nroyaume au prince Jean son fr \u00e8re, homme de m\u0153urs dissolues, \nd\u2019une avarice extr\u00eame et qu\u2019une gr ande faiblesse d\u2019esprit rendait \nimpropre \u00e0 remplir les devoirs de la haute mission qui lui \u00e9tait \nconfi\u00e9e. \n La mis\u00e8re d\u00e9j\u00e0 si grande dans la classe du peuple sous le r\u00e8-\ngne de Henri II, devint un d\u00e9nuement complet pendant la longue \np\u00e9riode de cette sanguinaire r\u00e9genc e. Robin Hood soulageait avec \nune g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 in\u00e9puisable les cr uelles souffrances des pauvres de \nNottinghamshire et de Derbyshire ; aussi \u00e9tait-il l\u2019idole de tous ces malheureux. Mais, s\u2019il donnait aux pauvres, en revanche il \nprenait aux riches, et Normands, pr\u00e9lats et moines contribuaient largement, \u00e0 leur grand d\u00e9sespoir, aux bonnes \u0153uvres du noble proscrit. \n Marianne habitait toujours la for\u00eat et les deux \u00e9poux \ns\u2019aimaient aussi tendrement qu\u2019aux premiers jours de leur heu-reuse union. \n Le temps n\u2019avait point amoindri la passion de William pour \nsa charmante femme et, aux yeux du fid\u00e8le Saxon, Maude gardait \ncomme un pur diamant son immuable beaut\u00e9. \n \u2013 294 \u2013 Petit-Jean et Much se f\u00e9licita ient encore du choix qu\u2019ils \navaient fait en prenant pour femm e l\u2019un la douce Winifred, l\u2019autre \nl\u2019espi\u00e8gle Barbara ; et quant aux fr\u00e8res de Will, ils n\u2019avaient eu \naucune raison pour se repentir de leur brusque mariage. Ils \n\u00e9taient heureux et voyaient la vie dans un prisme couleur de rose. \n Avant de nous s\u00e9parer \u00e0 jamais de deux personnages qui ont \njou\u00e9 un r\u00f4le important dans notre r\u00e9cit, nous allons leur rendre \nune amicale visite au ch\u00e2teau du Val, dans la vall\u00e9e de Mansfeld. \n Allan Clare et lady Christabel vivaient toujours heureux l\u2019un \npar l\u2019autre. Leur habitation, cons truite en grande partie sous les \nordres du chevalier, \u00e9tait une merv eille de confort et de bon go\u00fbt. \nUne ceinture de vieux arbres inte rdisait la vue des jardins \u00e0 tout \nregard indiscret et semblait mettre une barri\u00e8re infranchissable autour de cette po\u00e9tique demeure. \n \nDe beaux enfants au doux visage, fleurs vivantes de cet oasis \nde l\u2019amour, animaient de leur tu rbulente activit\u00e9 le calme repos \ndu vaste domaine. Leurs voix rieuses en r\u00e9veillaient l\u2019\u00e9cho et les \npas agiles de leurs petits pieds laissaient leur fugitive empreinte sur le sable des all\u00e9es du parc. Allan et Christabel \u00e9taient rest\u00e9s \njeunes de c\u0153ur, d\u2019esprit et de visage, et pour eux les semaines \navaient la courte dur\u00e9e d\u2019un jour, le jour passait rapide comme une heure. \n Christabel n\u2019avait pas revu son p\u00e8re depuis l\u2019\u00e9poque de son \nmariage avec Allan Clare dans l\u2019abbaye de Linton ; car l\u2019irascible vieillard s\u2019\u00e9tait cruellement obstin\u00e9 \u00e0 repousser les tentatives de \nr\u00e9conciliation faites par sa fille et par le chevalier. La mort du ba-\nron affecta profond\u00e9ment Christabel ; mais combien sa douleur e\u00fbt \u00e9t\u00e9 plus vive si, en perdant l\u2019auteur de ses jours, elle e\u00fbt perdu un v\u00e9ritable p\u00e8re. \n Allan avait manifest\u00e9 l\u2019intention de faire valoir ses droits \u00e0 la \nbaronnie et au comt\u00e9 de Nottingham, et, sur le conseil de Robin, qui lui recommandait de h\u00e2ter le moment de cette juste r\u00e9clama-tion, il allait \u00e9crire au roi, lorsqu\u2019il apprit que le ch\u00e2teau de Not-\u2013 295 \u2013 tingham avec ses revenus et ses d\u00e9pendances \u00e9taient devenus la \npropri\u00e9t\u00e9 du prince Jean. \n \nAllan \u00e9tait trop heureux pour ri squer son repos et la perte de \nson bonheur dans une lutte que la sup\u00e9riorit\u00e9 de son adversaire \npouvait rendre aussi dangereuse qu\u2019inutile. Il ne fit donc aucune \nd\u00e9marche et ne regretta point la perte de ce magnifique h\u00e9ritage. \n \nLes attaques dirig\u00e9es par Robin Hood contre les Normands \net les eccl\u00e9siastiques devinrent si nombreuses et si pr\u00e9judiciables \n\u00e0 la fortune des riches personnages, qu\u2019elles arriv\u00e8rent \u00e0 r\u00e9veiller l\u2019attention du grand chancelier d\u2019Angleterre, Longchamp, \u00e9v\u00eaque d\u2019Ely. \n L\u2019\u00e9v\u00eaque r\u00e9solut de mettre fin \u00e0 l\u2019existence des joyeux ar-\nchers et il pr\u00e9para une s\u00e9rieuse exp\u00e9dition. Cinq cents hommes, \u00e0 \nla t\u00eate desquels se mit le prince Jean, descendirent au ch\u00e2teau de Nottingham et l\u00e0, apr\u00e8s quelques jours de repos, ils prirent des dispositions pour s\u2019emparer de Robin Hood. Celui-ci, prompte-ment inform\u00e9 des intentions de la respectable troupe, ne fit qu\u2019en rire et se pr\u00e9para \u00e0 d\u00e9jouer toutes les tentatives sans exposer ses hommes aux hasards d\u2019un combat. \n Il fit cacher sa bande, habilla une douzaine de forestiers de \ndiff\u00e9rentes fa\u00e7ons et les envoya au ch\u00e2teau o\u00f9 ils se pr\u00e9sent\u00e8rent \npour servir de guides \u00e0 la troupe dans les inextricables d\u00e9tours de la for\u00eat. \n Ces offres de service furent accept\u00e9es avec empressement \npar les chefs de la troupe et comme la for\u00eat couvrait \u00e0 peu pr\u00e8s trente milles de terrain, il est facile de se rendre compte des tours et des d\u00e9tours que les guides firent faire aux malheureux soldats. Tant\u00f4t la troupe enti\u00e8re s\u2019engouffrait dans le creux des vallons, tant\u00f4t elle s\u2019enfon\u00e7ait jusqu\u2019\u00e0 mi-jambes dans l\u2019eau bourbeuse \ndes mar\u00e9cages, tant\u00f4t enfin, \u00e9p arpill\u00e9e sur toutes les hauteurs, \nelle maugr\u00e9ait avec d\u00e9sespoir contre les devoirs du soldat, en-voyant \u00e0 tous les diables le grand chancelier d\u2019Angleterre, Robin \u2013 296 \u2013 Hood et son invisible bande ; car il est utile de faire observer que \npas un seul pourpoint vert ne parut \u00e0 l\u2019horizon. \n \n\u00c0 la chute du jour, les soldats se trouvaient invariablement \u00e0 \nsept ou huit milles du ch\u00e2teau de Nottingham, qu\u2019il fallait rega-\ngner, \u00e0 moins de passer la nuit \u00e0 la belle \u00e9toile. Ils rentraient alors \n\u00e9puis\u00e9s de fatigue, mourant de faim et n\u2019ayant rien vu qui p\u00fbt r\u00e9-\nv\u00e9ler la pr\u00e9sence des joyeux hommes. \n \nPendant quinze jours on reno uvela ces fatigantes promena-\ndes et leur r\u00e9sultat fut constamment le m\u00eame. Le prince Jean, rappel\u00e9 \u00e0 Londres par ses plaisirs, abandonna la partie et reprit \navec sa troupe le chemin de la ville. \n Deux ans apr\u00e8s cette derni\u00e8re exp\u00e9dition, Richard rentra en \nAngleterre et le prince Jean, qui redoutait \u00e0 bon droit la pr\u00e9sence \nde son fr\u00e8re, vint chercher un refuge contre la col\u00e8re du roi der-ri\u00e8re les murs du vieux ch\u00e2teau de Nottingham. \n Richard C\u0153ur-de-Lion, qui avait appris l\u2019odieuse conduite \ndu r\u00e9gent, ne resta que trois jours \u00e0 Londres et, accompagn\u00e9 d\u2019une faible troupe, marcha r\u00e9solument contre le rebelle. \n Le ch\u00e2teau de Nottingham fut mis en \u00e9tat de si\u00e8ge ; apr\u00e8s \ntrois jours de combat, il se rendit \u00e0 discr\u00e9tion et le prince Jean parvint \u00e0 s\u2019\u00e9vader. \n T o u t e n c o m b a t t a n t c o m m e l e d e r n i e r d e s e s s o l d a t s , R i -\nchard remarquait qu\u2019une troupe de vigoureux yeomen lui pr\u00eatait \nmain-forte et que c\u2019\u00e9tait gr\u00e2ce \u00e0 son vaillant secours qu\u2019il avait \nobtenu la victoire. \n Apr\u00e8s le combat, et une fois install\u00e9 au ch\u00e2teau, Richard de-\nmanda des renseignements sur les habiles archers qui \u00e9taient ve-nus \u00e0 son aide ; mais personne ne put lui r\u00e9pondre et il fut oblig\u00e9 d\u2019adresser sa question au sh\u00e9rif de Nottingham. \n \u2013 297 \u2013 Ce sh\u00e9rif \u00e9tait le m\u00eame homme \u00e0 qui Robin Hood avait jou\u00e9 \nle mauvais tour de l\u2019amener dans la for\u00eat et de lui faire payer sa \nvisite trois cents \u00e9cus d\u2019or. \n \nSous l\u2019influence de ce cuisant so uvenir, le sh\u00e9rif r\u00e9pondit au \nroi que les archers dont il \u00e9tait question n\u2019\u00e9taient autres bien cer-tainement que ceux du terrible Robin Hood. \n \n\u2013 Ce Robin Hood, ajouta le rancunier aubergiste, est un fief-\nf\u00e9 coquin ; il nourrit sa bande au x d\u00e9pens des voyageurs, il d\u00e9va-\nlise les honn\u00eates gens, tue les cerfs du roi et commet journelle-\nment toutes sortes de brigandages. \n Halbert Lindsay, le fr\u00e8re de lait de la jolie Maude, qui avait \neu la bonne fortune de conserver la place de gardien du ch\u00e2teau, se trouvait par hasard aupr\u00e8s du roi au moment de cet entretien. \nEntra\u00een\u00e9 par un sentiment de reconnaissance envers Robin et par \nl\u2019\u00e9lan naturel \u00e0 un caract\u00e8re g\u00e9n\u00e9 reux, il oublia sa modeste condi-\ntion, fit un pas vers l\u2019auguste audi teur du sh\u00e9rif et dit d\u2019un ton \np\u00e9n\u00e9tr\u00e9 : \n \u2013 Sire, Robin Hood est un ho nn\u00eate Saxon, un malheureux \nproscrit. S\u2019il d\u00e9pouille les riches du superflu de leur fortune, il \nsoulage toujours la mis\u00e8re des pa uvres et du comt\u00e9 de Notting-\nham \u00e0 celui de York le nom de Robin Hood est prononc\u00e9 avec le respect d\u2019une \u00e9ternelle reconnaissance. \n \u2013 Connaissez-vous personnellement ce brave archer ? de-\nmanda le roi \u00e0 Halbert. \n Cette question rappela Halbert \u00e0 lui-m\u00eame ; il devint pour-\npre et r\u00e9pondit avec embarras : \n \u2013 J\u2019ai vu Robin Hood, mais il y a longtemps et je r\u00e9p\u00e8te \u00e0 Vo-\ntre Majest\u00e9 le bien que disent les pauvres de celui qui les emp\u00eache de mourir de faim. \n \u2013 298 \u2013 \u2013 Allons, mon brave gar\u00e7on, dit le roi en souriant, rel\u00e8ve la \nt\u00eate et ne renie pas ton ami. Par la sainte Trinit\u00e9 ! si sa conduite \nest telle que tu viens de nous l\u2019apprendre, c\u2019est un homme dont \nl\u2019amiti\u00e9 doit \u00eatre pr\u00e9cieuse. Je serais, je l\u2019avoue, tr\u00e8s enchant\u00e9 de \nvoir ce proscrit et, comme il m\u2019a rendu service, il ne sera pas dit que Richard d\u2019Angleterre se soit montr\u00e9 ingrat, m\u00eame envers un outlaw. Demain matin, je descendr ai dans la for\u00eat de Sherwood. \n \nLe roi tint parole : d\u00e8s le lendemain, accompagn\u00e9 d\u2019une es-\ncorte de chevaliers et de soldats, conduit par le sh\u00e9rif, qui ne \ntrouvait pas cette promenade fort attrayante, il explora les sen-tiers, les routes, les clairi\u00e8res du vieux bois ; mais la recherche fut \ncompl\u00e8tement inutile, Robin Hood ne se montra pas. \n Fort m\u00e9content de l\u2019insucc\u00e8s de sa d\u00e9marche, Richard fit ap-\npeler un homme qui remplissait le s fonctions de garde forestier \ndans les bois de Sherwood et lui demanda s\u2019il connaissait un \nmoyen de rencontrer le chef des proscrits. \n \u2013 Votre Majest\u00e9 pourrait fouiller la for\u00eat pendant un an, r\u00e9-\npondit cet homme, sans apercevoir l\u2019ombre m\u00eame d\u2019un outlaw, si elle s\u2019y pr\u00e9sente accompagn\u00e9e d\u2019une escorte. Robin Hood \u00e9vite de se battre autant que possible, non par crainte, car il conna\u00eet si \nbien la for\u00eat qu\u2019il n\u2019a rien \u00e0 redo uter, m\u00eame de l\u2019attaque de cinq \nou six cents hommes, mais par mo d\u00e9ration et par prudence. Si \nVotre Majest\u00e9 d\u00e9sire voir Robin H ood, qu\u2019elle s\u2019habille en moine, \nainsi que quatre ou cinq chevaliers, je servirai de guide \u00e0 Votre Majest\u00e9. Je jure, par saint Dunsta n, que tout le monde sera en \ns\u00fbret\u00e9 ! Robin Hood arr\u00eate les eccl\u00e9siastiques, il les h\u00e9berge, il les \nd\u00e9pouille, mais il ne les maltraite pas. \n \n\u2013 De par la sainte croix ! forestier, tu parles d\u2019or ! dit le roi en \nriant, et je vais suivre ton in g\u00e9nieux conseil. Le costume d\u2019un \nmoine me si\u00e9ra fort mal ; n\u2019importe ! Qu\u2019on aille me chercher une robe de religieux. \n L\u2019impatient monarque rev\u00eatit bient\u00f4t un costume d\u2019abb\u00e9, fit \nchoix de quatre chevaliers, qui se couvrirent d\u2019une robe de moine \u2013 299 \u2013 et d\u2019apr\u00e8s un nouveau stratag\u00e8me indiqu\u00e9 par le forestier, on \nharnacha trois chevaux de mani\u00e8r e \u00e0 laisser supposer qu\u2019ils por-\ntaient la charge d\u2019un tr\u00e9sor. \n \n\u00c0 trois milles environ du ch\u00e2tea u, le garde forestier qui ser-\nvait de guide aux pr\u00e9tendus moines s\u2019approcha du roi et lui dit : \n \u2013 Monseigneur, regardez \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la clairi\u00e8re, vous y \nverrez Robin Hood, Petit-Jean et Will \u00c9carlate, les trois chefs de la bande. \n \u2013 Bon, dit joyeusement le roi. Et, faisant h\u00e2ter le pas de son cheval, Richard feignit de vou-\nloir s\u2019\u00e9chapper. \n \nRobin Hood bondit sur la route, saisit la bride de l\u2019animal et \nle maintint immobile. \n \u2013 Mille pardons, sire abb\u00e9, dit- il ; veuillez vous arr\u00eater un \npeu et recevoir mes compliments de bienvenue. \n \u2013 P\u00e9cheur profane ! s\u2019\u00e9cria Richard cherchant \u00e0 imiter le lan-\ngage habituel aux gens d\u2019\u00c9glise ; qui es-tu pour te permettre d\u2019arr\u00eater la marche d\u2019un saint homme qui va accomplir une mis-\nsion sacr\u00e9e ? \n \u2013 Je suis un yeoman de cette for\u00eat, r\u00e9pondit Robin Hood, et \nmes compagnons vivent ainsi que mo i des produits de la chasse et \ndes g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9s des pieux membres de la sainte \u00c9glise. \n \u2013 Tu es, sur mon \u00e2me ! un hardi coquin, r\u00e9pondit le roi en \ndissimulant un sourire, d\u2019oser me dire \u00e0 mon nez et \u00e0 ma barbe \nque tu manges mes\u2026 les cerfs du roi et d\u00e9valises les membres du \nclerg\u00e9. Par saint Hubert ! tu poss\u00e8des du moins le m\u00e9rite de la franchise. \n \u2013 300 \u2013 \u2013 La franchise est la seule ressource des gens qui ne poss\u00e8-\ndent rien, repartit Robin Hood ; mais ceux auxquels appartien-\nnent les rentes, les domaines, les monnaies d\u2019or et d\u2019argent, peu-\nvent s\u2019en passer, car ils n\u2019en saur aient que faire. Je crois, noble \nabb\u00e9, continua Robin d\u2019un ton de persiflage, que vous \u00eates du \nnombre des heureux dont je parle . C\u2019est pourquoi je me permets \nde vous demander de venir en aide \u00e0 nos modestes besoins, \u00e0 la mis\u00e8re des pauvres gens qui sont nos amis et nos prot\u00e9g\u00e9s. Vous \noubliez trop souvent, mes fr\u00e8res , qu\u2019il y a aux alentours de vos \nriches demeures des maisons d\u00e9pourvues de pain et cependant \nvous poss\u00e9dez encore plus d\u2019or que vous n\u2019avez de fantaisies \u00e0 satisfaire. \n \u2013 Tu dis peut-\u00eatre la v\u00e9rit\u00e9, yeoman, r\u00e9pondit le roi, oubliant \n\u00e0 demi le caract\u00e8re religieux dont il s\u2019\u00e9tait rev\u00eatu, et l\u2019expression de loyale franchise que respire ta physionomie me pla\u00eet singuli\u00e8-\nrement. Tu as l\u2019air beaucoup plus honn\u00eate que tu ne l\u2019es en r\u00e9ali-\nt\u00e9 ; n\u00e9anmoins, en faveur de ta bonne mine, et pour l\u2019amour de la \ncharit\u00e9 chr\u00e9tienne, je te fais don de tout l\u2019argent que je poss\u00e8de en c e m o m e n t - c i , q u a r a n t e p i \u00e8 c e s d \u2019 o r . J e s u i s f \u00e2 c h \u00e9 d e n \u2019 e n p o i n t avoir davantage, mais le roi, qui, tu l\u2019as appris sans doute, habite \ndepuis quelques jours le ch\u00e2teau de Nottingham, a presque enti\u00e8-rement vid\u00e9 mes poches. Cet argent est donc \u00e0 ton service, parce que j\u2019aime la belle figure et les t\u00eates \u00e9nergiques de tes robustes compagnons. \n En achevant ces mots, le roi te ndit \u00e0 Robin Hood un petit sac \nde cuir qui contenait quarante pi\u00e8ces d\u2019or. \n \n\u2013 Vous \u00eates le ph\u00e9nix des eccl\u00e9siastiques, messire abb\u00e9, dit \nRobin en riant et si je n\u2019avais fait le v\u0153u de pressurer plus ou \nmoins tous les membres de la sainte \u00c9glise, je refuserais d\u2019accepter votre g\u00e9n\u00e9reuse offrande ; cependant il ne sera pas dit \nque vous aurez eu \u00e0 souffrir tr op cruellement de votre passage \ndans la for\u00eat de Sherwood ; votre escorte et vos chevaux passe-ront en toute libert\u00e9 et, de plus, vous me permettrez de ne rece-voir que vingt pi\u00e8ces d\u2019or. \n \u2013 301 \u2013 \u2013 Tu agis noblement, forestie r, r\u00e9pondit Richard qui parut \nsensible \u00e0 la courtoisie de Robin, et je me ferai un plaisir de parler \nde toi \u00e0 notre souverain. Sa Maje st\u00e9 te conna\u00eet un peu, car elle \nm\u2019a dit de te saluer de sa part si j\u2019avais la bonne fortune de te ren-\ncontrer. Je crois, entre nous soit dit, que le roi Richard, qui aime la bravoure dans quelque lieu qu\u2019i l la rencontre, ne serait pas f\u00e2-\nch\u00e9 de remercier de vive voix le brave yeoman qui l\u2019a aid\u00e9 \u00e0 ouvrir les portes du ch\u00e2teau de Nottingham et de lui demander pour \nquelle raison il a disparu, avec ses vaillants compagnons, aussit\u00f4t \napr\u00e8s la bataille. \n \u2013 Si j\u2019avais un jour le bonheur de me trouver en pr\u00e9sence de \nSa Majest\u00e9, je n\u2019h\u00e9siterais pas \u00e0 r\u00e9pondre \u00e0 cette derni\u00e8re ques-tion ; mais, pour le moment, si r abb\u00e9, parlons d\u2019autre chose. \nJ\u2019aime tendrement le roi Richard, parce qu\u2019il est anglais de c\u0153ur et d\u2019\u00e2me, quoiqu\u2019il appartienne par les liens du sang \u00e0 une famille \nnormande. Nous sommes tous ici, pr\u00eatres et la\u00efques, les fid\u00e8les serviteurs de Sa Majest\u00e9 Tr\u00e8s Gracieuse et, si vous voulez bien y consentir, sir abb\u00e9, nous boirons de compagnie \u00e0 la sant\u00e9 du no-\nble Richard. La for\u00eat de Sherwood sait \u00eatre gratuitement hospita-li\u00e8re quand elle re\u00e7oit sous l\u2019ombrage de ses vieux arbres des c\u0153urs saxons et des moines g\u00e9n\u00e9reux. \n \u2013 J\u2019accepte avec plaisir ton aimable invitation, Robin Hood, \nr \u00e9 p o n d i t l e r o i , e t j e s u i s p r \u00ea t \u00e0 t e s u i v r e o \u00f9 i l t e p l a i r a d e m e conduire. \n \u2013 Je vous remercie de cette confiance, bon religieux, dit Ro-\nbin en dirigeant le cheval mont\u00e9 par Richard vers un atelier qui \nallait aboutir \u00e0 l\u2019arbre du Rendez-Vous. \n \nPetit-Jean, Will \u00c9carlate et les quatre chevaliers d\u00e9guis\u00e9s en \nmoines suivirent le roi pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 par Robin. \n La petite escorte \u00e9tait \u00e0 peine engag\u00e9e dans le sentier, quand \nun cerf effray\u00e9 par le bruit traversa le chemin avec rapidit\u00e9 ; mais, plus alerte encore que le pauvre animal, la fl\u00e8che de Robin lui transper\u00e7a le flanc d\u2019un coup mortel. \u2013 302 \u2013 \n\u2013 Bien frapp\u00e9 ! bien frapp\u00e9 ! cria joyeusement le roi. \n\u2013 Ce coup n\u2019a rien de merveilleux, sir abb\u00e9, dit Robin en re-\ngardant Richard d\u2019un air quelque peu surpris ; tous mes hommes \nsans exception peuvent tuer un cerf de cette fa\u00e7onl\u00e0, et ma femme elle-m\u00eame sait tirer de l\u2019arc et accomplir des tours d\u2019adresse bien sup\u00e9rieurs au faible exploit que je viens d\u2019accomplir sous vos \nyeux. \n \u2013 Ta femme ? r\u00e9p\u00e9ta le roi d\u2019un ton interrogateur ; tu as une \nfemme ? Par la messe ! je suis cu rieux de faire connaissance avec \ncelle qui partage les p\u00e9rils de ton aventureuse carri\u00e8re. \n \u2013 Ma femme n\u2019est pas la seule de son sexe, messire abb\u00e9, qui \npr\u00e9f\u00e8re un c\u0153ur fid\u00e8le et une sauvage demeure \u00e0 un amour per-\nfide et au luxe de l\u2019existence des villes. \n \n\u2013 Je te pr\u00e9senterai ma femme, sir abb\u00e9, cria Will \u00c9carlate, et \nsi tu ne reconnais pas que sa beau t\u00e9 est digne d\u2019un tr\u00f4ne, tu me \npermettras de d\u00e9clarer que tu es aveugle ou bien que ton go\u00fbt est des plus d\u00e9testables. \n \u2013 Par saint Dunstan ! repartit Richard, la voix populaire tou-\nche juste en vous appelant les joyeux hommes ; rien ne vous manque ici : jolies femmes, gibier royal, fra\u00eeche verdure, libert\u00e9 enti\u00e8re. \n \u2013 Aussi sommes-nous tr\u00e8s heureux, messire, r\u00e9pondit Robin \nen riant. \n L\u2019escorte atteignit bient\u00f4t la pelouse o\u00f9 le repas, d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9pa-\nr\u00e9, attendait les convives, et ce repas, somptueusement fourni des \nviandes parfum\u00e9es de la venaison, excita par son seul aspect le vigoureux app\u00e9tit de Richard C\u0153ur-de-Lion. \n \u2013 Par la conscience de ma m\u00e8re ! s\u2019\u00e9cria-t-il (h\u00e2tons-nous de \ndire que dame \u00c9l\u00e9onore avait si peu de conscience que c\u2019\u00e9tait \u2013 303 \u2013 pure plaisanterie d\u2019en appeler \u00e0 elle), voici un d\u00eener v\u00e9ritablement \nroyal. \n \nPuis le prince prit place et se mit \u00e0 manger avec un plaisir \nextr\u00eame. Vers la fin du repas, Richard dit \u00e0 son h\u00f4te : \n \n\u2013 Tu m\u2019as donn\u00e9 le d\u00e9sir de fa ire connaissance avec les jolies \nfemmes qui peuplent ton vaste domaine ; pr\u00e9sente-les-moi, je \nsuis curieux de voir si elles sont dignes, ainsi que me l\u2019a fait en-\ntendre ton compagnon aux cheveux rouges, d\u2019orner la cour du roi \nd\u2019Angleterre. \n Robin envoya Will \u00e0 la recherche des belles nymphes du bois \net dit \u00e0 ses hommes de pr\u00e9parer les jeux auxquels ils se livraient les jours de repos. \n \n\u2013 Mes gens vont essayer de vous divertir un peu, sir abb\u00e9, dit \nRobin en reprenant place aupr\u00e8s du roi, et vous verrez que nos plaisirs et le genre quelque peu extraordinaire de notre existence n\u2019ont rien en eux-m\u00eames de fort r\u00e9pr\u00e9hensible ; et, lorsque vous \nvous trouverez en pr\u00e9sence du bon roi Richard, vous lui direz, je vous demande cela comme une faveur, que les joyeux hommes de la for\u00eat de Sherwood ne sont ni \u00e0 craindre pour les braves Saxons, \nni m\u00e9chants \u00e0 l\u2019\u00e9gard de ceux qui compatissent aux in\u00e9vitables mis\u00e8res de leur rude existence. \n \u2013 Sois tranquille, brave yeoman, Sa Majest\u00e9 sera instruite de \ntout ce qui se passe ici aussi bien que si elle e\u00fbt \u00e0 ma place parta-g\u00e9 ton repas. \n \u2013 Vous \u00eates, messire, le plus gracieux abb\u00e9 que j\u2019aie ren-\ncontr\u00e9 de ma vie et je suis fort aise d\u2019avoir le plaisir de vous trai-ter comme un fr\u00e8re. Maintenant, veuillez accorder votre attention \u00e0 mes archers ; ils sont d\u2019une adre sse que rien n\u2019\u00e9gale et, afin de \nvous amuser, ils vont, j\u2019en suis certain, accomplir des merveilles. \n \u2013 304 \u2013 Les hommes de Robin commenc\u00e8rent alors \u00e0 tirer de l\u2019arc \navec une s\u00fbret\u00e9 de main et de co up d\u2019\u0153il si extraordinaire, que le \nroi les complimenta avec une expression de r\u00e9elle surprise. \n \nL\u2019exercice durait depuis une demi-heure environ, lorsque \nWill \u00c9carlate parut, amenant avec lui Marianne et Maude, rev\u00ea-tues d\u2019un costume d\u2019amazone vert de drap de Lincoln et portant \nl\u2019une et l\u2019autre un arc et un carquois de fl\u00e8ches. \n Derri\u00e8re ce trio marchaient Barbara, Winifred, la blanche Li-\nlas et les jolies femmes des jeunes Gamwell. \n Le roi ouvrit de grands yeux \u00e9tonn\u00e9s et contempla sans mot \ndire les charmants visages qui rougissaient sous son regard. \n \u2013 Sir abb\u00e9, dit Robin en prenant la main de Marianne, je \nvous pr\u00e9sente la reine de mon c\u0153ur, ma femme bien-aim\u00e9e. \n \n\u2013 Tu peux hardiment ajouter la reine de tes joyeux hommes, \nbrave Robin, s\u2019\u00e9cria le roi, et tu as raison d\u2019\u00eatre fier d\u2019inspirer un \ntendre amour \u00e0 une aussi charmante cr\u00e9ature. Ch\u00e8re dame, continua le roi, permettez-moi de saluer en vous la souveraine du grand bois de Sherwood et de vous rendre les hommages d\u2019un sujet fid\u00e8le. \n En achevant ces mots, le roi mit un genou en terre, prit la \nblanche main de Marianne et l\u2019effleura respectueusement. \n \u2013 Votre courtoisie est grande, sir abb\u00e9, dit Marianne d\u2019un \nton modeste, mais veuillez vous so uvenir, je vous prie, qu\u2019il ne \nsied pas \u00e0 un homme de votre sain t caract\u00e8re de s\u2019incliner ainsi \nd e v a n t u n e f e m m e ; v o u s n e d e v e z r e n d r e q u \u2019 \u00e0 D i e u c e t \u00e9 m o i -gnage d\u2019humilit\u00e9 et de respect. \n \u2013 Voil\u00e0 une r\u00e9primande bien morale pour la femme d\u2019un \nsimple forestier, murmura le roi en allant reprendre sa place sous l\u2019arbre du Rendez-Vous. \n \u2013 305 \u2013 \u2013 Sir abb\u00e9, voici ma femme ! cria Will en entra\u00eenant Maude \nsur les pas de Richard. Le prince regarda Maude et dit en sou-\nriant : \n \n\u2013 Cette belle personne est sans doute la dame qui ferait hon-\nneur au palais d\u2019un roi ? \n \u2013 Oui, messire, dit Will. \n \n\u2013 Eh bien ! mon ami, reprit Richard, je partage ton opinion \net si tu veux bien me le permettre, je prendrai un baiser sur les belles joues de celle que tu aimes. \n William sourit, et le roi, qui prit ce sourire pour une r\u00e9ponse \naffirmative, embrassa ga lamment la jeune femme. \n \n\u2013 Laissez-moi vous dire un mot \u00e0 l\u2019oreille, sir abb\u00e9, dit Will \nen se rapprochant du roi qui se pr\u00eata avec complaisance aux d\u00e9-sirs du jeune homme. Vous \u00eates un homme de go\u00fbt, continua Will et vous n\u2019aurez jamais rien \u00e0 craindre dans la for\u00eat de Sherwood. \u00c0 dater d\u2019aujourd\u2019hui, je vous promets une r\u00e9ception cordiale \nchaque fois qu\u2019un heureux hasard vous conduira au milieu de \nnous. \n \u2013 Je te rends gr\u00e2ce pour ta co urtoisie, bon yeoman, dit le roi \navec gaiet\u00e9. Ah ! ah ! mais que vois-je encore ? s\u2019\u00e9cria Richard les yeux attach\u00e9s sur les s\u0153urs de Wi ll, qui, accompagn\u00e9es de Lilas, \nse pr\u00e9sentaient devant lui. En v\u00e9rit\u00e9, mes gar\u00e7ons, vos dryades sont de v\u00e9ritables f\u00e9es. \u2013 Le roi pr it la main de la jeune Lilas. \u2013\n Par Notre Dame ! murmura-t-il, je ne croyais pas qu\u2019il p\u00fbt exister une femme aussi belle que l\u2019est ma douce B\u00e9reng\u00e8re ; mais, sur mon \u00e2me ! je suis forc\u00e9 de reconna\u00eetre que cette enfant l\u2019\u00e9gale en candeur et en beaut\u00e9. Ma mignonne, dit le roi en serrant la petite \nmain qu\u2019il tenait dans les siennes, tu as fait choix d\u2019une existence bien dure, bien d\u00e9pourvue des plaisirs de ton \u00e2ge. Ne crains-tu pas, pauvre enfant, que les vents orageux de cette for\u00eat ne vien-nent \u00e0 d\u00e9truire ta fr\u00eale vie, comme ils d\u00e9truisent les jeunes fleurs ? \u2013 306 \u2013 \n\u2013 Mon p\u00e8re, r\u00e9pondit doucement Lilas, le vent se mesure \u00e0 la \nforce des arbrisseaux ; il \u00e9pargne les plus faibles. Je suis heureuse \nici : une personne qui m\u2019est ch\u00e8re habite le vieux bois et aupr\u00e8s \nd\u2019elle je ne connais pas la douleur. \n \u2013 Tu as raison d\u2019avouer ton amour si l\u2019homme que tu aimes \nest digne de toi, ma douce enfant, r\u00e9pondit Richard. \n \u2013 Il est digne d\u2019un amour plus grand encore que celui que je \nlui porte, mon p\u00e8re, r\u00e9pondit Lilas, et cependant je l\u2019aime aussi tendrement qu\u2019il m\u2019est possible d\u2019aimer. \n En achevant ces mots, la jeune femme rougit, les grands \nyeux bleus de Richard attachaient sur elle un regard si ardent, \nque, saisie d\u2019une ind\u00e9finissable crainte, elle retira doucement sa \nmain de l\u2019\u00e9treinte du roi et alla s\u2019asseoir aupr\u00e8s de Marianne. \n \u2013 Je t\u2019avoue, ma\u00eetre Robin, dit le roi, que, dans l\u2019Europe en-\nti\u00e8re, il n\u2019y a pas une seule cour qui puisse se vanter de r\u00e9unir au-tour d\u2019un tr\u00f4ne autant de femmes jeunes et belles que j\u2019en vois autour de nous. J\u2019ai vu les femme s de divers pays et je n\u2019ai ren-\ncontr\u00e9 nulle part la tranquille et suave beaut\u00e9 des femmes saxon-nes. Je veux \u00eatre maudit si une seule des fra\u00eeches figures qu\u2019embrasse mon regard ne vaut pas une centaine des filles de \nl\u2019Orient ou de toute autre race \u00e9trang\u00e8re. \n \u2013 Je suis heureux de vous entendre parler ainsi, sir abb\u00e9, dit \nRobin ; vous me prouvez une fois de plus que le pur sang anglais \ncoule dans vos veines. Je ne puis me poser en juge sur un point \naussi d\u00e9licat, parce que j\u2019ai peu vo yag\u00e9, et que, au del\u00e0 du Derbys-\nhire et du Yorkshire, je n\u2019en connais rien. N\u00e9anmoins, je suis fort port\u00e9 \u00e0 dire avec vous que les femmes saxonnes sont les plus bel-\nles femmes du monde. \n \u2013 Bien certainement elles sont les plus belles, s\u2019\u00e9cria Will \nd\u2019un ton d\u00e9cid\u00e9. J\u2019ai travers\u00e9 un e grande partie du royaume de \nFrance et je puis certifier que je n\u2019ai pas rencontr\u00e9 une seule \u2013 307 \u2013 dame ou demoiselle qui puisse \u00eatre compar\u00e9e \u00e0 Maude. Maude \nest l\u2019id\u00e9al de la beaut\u00e9 anglaise ; voil\u00e0 mon opinion. \n \n\u2013 Vous avez servi ? demanda le roi en attachant sur le jeune \nhomme un regard attentif. \n \n\u2013 Oui, messire, r\u00e9pondit William ; j\u2019ai servi le roi Henri en \nAquitaine, en Poitou, \u00e0 Harfleur, \u00e0 \u00c9vreux, \u00e0 Beauvais, \u00e0 Rouen et \ndans bien d\u2019autres places. \n \u2013 Ah ! ah ! exclama le roi en d\u00e9tournant la t\u00eate, dans la \ncrainte que Will ne fin\u00eet par reco nna\u00eetre son visage. Robin Hood, \ncontinua-t-il, vos gens se dispos ent \u00e0 recommencer les jeux ; je \nserais bien aise d\u2019assister \u00e0 de nouveaux exercices. \n \u2013 Il va \u00eatre fait selon votre d\u00e9sir, messire ; je vais vous mon-\ntrer comment je m\u2019y prends pour former la main de mes archers. \nMuch, cria Robin, faites placer sur les baguettes du tir des guir-\nlandes de roses. \n Much ex\u00e9cuta l\u2019ordre qu\u2019il venait de recevoir et bient\u00f4t le \nh a u t d e l a b a g u e t t e s e m o n t r a perpendiculairement \u00e0 travers le \ncercle form\u00e9 par les fleurs. \n \u2013 Maintenant, mes gar\u00e7ons, cria Robin, visez la baguette ; \ncelui qui manquera son coup me fera don d\u2019une bonne fl\u00e8che et \nrecevra un soufflet. Attention, car, par Notre Dame ! je n\u2019\u00e9pargnerai pas les nigauds, il es t bien entendu que je tire avec \nvous et que, en cas de maladre sse, je subirai la m\u00eame punition. \n Plusieurs forestiers manqu\u00e8rent le but et re\u00e7urent avec \nbonne gr\u00e2ce un vigoureux soufflet. Robin Hood brisa la baguette en morceaux, une autre fut mise \u00e0 sa place ; Will et Petit-Jean manqu\u00e8rent le but et, au milieu des \u00e9clats de rire de tous les as-sistants, ils re\u00e7urent la r\u00e9compense de leur maladresse. \n \u2013 308 \u2013 Robin envoya le dernier coup ; mais, d\u00e9sirant montrer au \nfaux abb\u00e9 que dans un pareil cas il n\u2019y avait aucune distinction \nentre ses hommes et lui, il manq ua volontairement la baguette. \n \n\u2013 Ah ! ah ! cria un yeoman \u00e9tonn\u00e9, vous vous \u00eates \u00e9cart\u00e9 du \nbut, ma\u00eetre ! \n \u2013 C\u2019est ma foi vrai, et je m\u00e9rite la punition. Lequel de vous se \ncharge de me caresser la joue ? Toi, Petit-Jean, tu es le plus fort de nous tous et tu sauras frapper ferme. \n \u2013 Je n\u2019y tiens pas le moins du monde, r\u00e9pondit Jean ; la mis-\nsion est d\u00e9sagr\u00e9able, en ce sens qu\u2019elle me brouillerait \u00e0 jamais avec ma main droite. \n \u2013 Eh bien ! Will, je m\u2019adresse \u00e0 toi. \n \u2013 M e r c i , R o b i n ; j e r e f u s e d e t o u t m o n c \u0153 u r d e t e f a i r e c e \nplaisir. \n \u2013 Je refuse \u00e9galement, dit Much. \u2013 Moi aussi ! cria un homme. \u2013 Et nous de m\u00eame, ajout\u00e8rent les forestiers d\u2019une commune \nvoix. \n \u2013 Tout cela est d\u2019un enfantillage ridicule, dit Robin d\u2019un ton \ns\u00e9v\u00e8re ; je n\u2019ai pas h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 punir ceux qui s\u2019\u00e9taient mis en faute, \nvous devez me traiter avec la m\u00eame \u00e9galit\u00e9, et par cons\u00e9quent \navec autant de rigueur. Puisqu e aucun de mes hommes n\u2019ose por-\nter la main sur moi, c\u2019est \u00e0 vous , sir abb\u00e9, qu\u2019il appartient de vider \nla question. Voici ma meilleure fl\u00e8che, et je vous prie, messire, de me servir aussi largement que j\u2019ai servi mes archers maladroits. \n \u2013 Je n\u2019ose prendre sur moi de te satisfaire, mon cher Robin, \nr\u00e9pondit le roi en riant ; car j\u2019ai la main lourde et je frappe un peu fort. \u2013 309 \u2013 \n\u2013 Je ne suis ni sensible ni d\u00e9licat, sir abb\u00e9 ; prenez-en \u00e0 votre \naise. \n \n\u2013 Tu le veux absolument ? dit le roi en mettant \u00e0 d\u00e9couvert \nson bras musculeux ; eh bien ! tu vas \u00eatre servi \u00e0 souhait. \n Le coup fut si rudement appliqu\u00e9 que Robin tomba \u00e0 la ren-\nverse ; mais il se releva aussit\u00f4t. \n \u2013 Je confesse \u00e0 Dieu, dit-il, les l\u00e8vres souriantes et le visage \ntout empourpr\u00e9, que vous \u00eates le plus robuste moine de la joyeuse \nAngleterre. Il y a trop de force dans votre bras pour la tranquillit\u00e9 d\u2019un homme qui exerce une sainte profession et je parie ma t\u00eate \n(elle est estim\u00e9e quatre cents \u00e9cus d\u2019or) que vous savez mieux te-\nnir un arc ou jouer du b\u00e2ton que porter une croix. \n \n\u2013 C\u2019est possible, r\u00e9pondit le roi en riant ; ajoutons m\u00eame, si \ntu veux, manier une \u00e9p\u00e9e, une lance ou un bouclier. \n \u2013 Votre discours et votre mani\u00e8re d\u2019\u00eatre r\u00e9v\u00e8lent plut\u00f4t un \nhomme habitu\u00e9 \u00e0 la vie aventureuse du soldat qu\u2019un pieux servi-teur de la tr\u00e8s sainte \u00c9glise, reprit Robin en examinant le roi avec attention ; je d\u00e9sirerais beaucoup savoir qui vous \u00eates, car d\u2019\u00e9tranges pens\u00e9es me viennent \u00e0 l\u2019esprit. \n \u2013 Chasse ces pens\u00e9es, Robin Hood, et ne cherche pas \u00e0 d\u00e9-\ncouvrir si je suis ou non l\u2019homme q u e j e r e p r \u00e9 s e n t e d e v a n t t o i , \nr\u00e9pondit vivement le prince. \n Le chevalier Richard de la Plaine, qui \u00e9tait absent depuis le \nmatin, parut en ce moment au centre du groupe et s\u2019approcha de Robin. En apercevant le roi, le chev alier tressaillit, car la figure du \nprince lui \u00e9tait parfaitement connue. Il regarda Robin, le jeune homme paraissait ignorer compl\u00e8tement le rang \u00e9lev\u00e9 de son h\u00f4te. \n \u2013 310 \u2013 \u2013 Connais-tu le nom de celui qui porte le costume d\u2019un \nmoine sup\u00e9rieur ? demanda sir Richard \u00e0 voix basse. \n \n\u2013 Non, r\u00e9pondit Robin ; mais je crois avoir d\u00e9couvert depuis \nquelques minutes que ces cheveux roux et ces grands yeux bleus \nne peuvent appartenir qu\u2019\u00e0 un seul homme au monde, \u00e0\u2026 \n \n\u2013 Richard C\u0153ur-de-Lion, roi d\u2019Angleterre ! s\u2019\u00e9cria involon-\ntairement le chevalier. \n \u2013 Ah ! ah ! fit le faux moine en se rapprochant. Robin Hood \net sir Richard tomb\u00e8rent \u00e0 genoux. \n \u2013 Je reconnais maintenant l\u2019auguste visage de mon souve-\nrain, dit le chef des outlaws ; c\u2019est bien celui de notre bon roi Ri-chard d\u2019Angleterre. Que Dieu prot \u00e8ge Sa Vaillante Majest\u00e9 ! \u2013 Un \nbienveillant sourire \u00e9panouit les l\u00e8vres du roi. \n \n\u2013 Sire, continua Robin sans quitter l\u2019humble posture qu\u2019il \navait prise, Votre Majest\u00e9 conna\u00eet maintenant qui nous sommes : des proscrits chass\u00e9s de la demeure de nos p\u00e8res par une injuste et cruelle oppression. Pauvres et sans abri, nous avons cherch\u00e9 un refuge dans la solitude des bois ; nous avons v\u00e9cu de chasse, \nd\u2019aum\u00f4nes, exig\u00e9es sans doute, ma is sans violence et avec les \nformes de la plus pr\u00e9venante co urtoisie ; on nous donnait de \nbonne ou de mauvaise gr\u00e2ce, mais nous ne prenions pas sans \u00eatre bien certains que celui qui refusa it de venir au secours de notre \nmis\u00e8re portait dans son escarcelle la ran\u00e7on d\u2019un chevalier. Sire, j\u2019implore de Votre Majest\u00e9, la gr\u00e2ce de mes compagnons et celle \nde leur chef. \n \n\u2013 L\u00e8ve-toi, Robin Hood, r\u00e9pondit le prince avec bont\u00e9 et \nfais-moi conna\u00eetre la raison qui t\u2019a engag\u00e9 \u00e0 me pr\u00eater le secours de tes braves archers \u00e0 l\u2019assaut de la baronnie de Nottingham. \n \u2013 Sire, reprit Robin Hood, qui to ut en ob\u00e9issant \u00e0 l\u2019ordre du \nroi, se tint respectueusement incl in\u00e9 devant lui, Votre Majest\u00e9 est \nl\u2019idole des c\u0153urs vraiment anglais. Vos actions, si dignes de \u2013 311 \u2013 l\u2019estime g\u00e9n\u00e9rale, vous ont fait conqu\u00e9rir la gracieuse qualifica-\ntion du plus brave des braves, de l\u2019homme au c\u0153ur de lion, qui en \nloyal chevalier, triomphe en perso nne de ses ennemis et \u00e9tend sur \nles malheureux sa g\u00e9n\u00e9reuse protection. Le prince Jean m\u00e9ritait \nla disgr\u00e2ce de Votre Majest\u00e9 et lorsque j\u2019ai appris la pr\u00e9sence de mon roi devant les murs du ch\u00e2teau de Nottingham, je me suis secr\u00e8tement plac\u00e9 sous ses ordres. Votre Majest\u00e9 a pris le ch\u00e2teau \nqui servait de refuge au prince re belle, ma t\u00e2che \u00e9tait remplie et je \nme suis retir\u00e9 sans rien dire, par ce que la conscience d\u2019avoir loya-\nlement servi mon roi satisfaisait mes plus intimes d\u00e9sirs. \n \u2013 Je te remercie cordialement de ta franchise, Robin Hood, \nr\u00e9pondit Richard, et l\u2019affection que tu me portes m\u2019est fort agr\u00e9a-ble. Tu parles et tu agis en ho nn\u00eate homme ; je suis content et \nj\u2019accorde gr\u00e2ce pleine et enti\u00e8re aux joyeux hommes de la for\u00eat de Sherwood. Tu as eu entre les ma ins un bien grand pouvoir, celui \nde faire le mal et tu n\u2019as pas mis en \u0153uvre cette dangereuse puis-\nsance. Tu as secouru les pauvres et ils sont nombreux dans le \npays de Nottingham. Tu n\u2019as p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 de courtoises contributions que sur les riches Normands et ce la pour subvenir aux besoins de \nta bande. J\u2019excuse tes fautes ; elles ont \u00e9t\u00e9 les naturelles cons\u00e9-\nquences d\u2019une position tout \u00e0 fait exceptionnelle : seulement, comme les lois foresti\u00e8res ont \u00e9t \u00e9 viol\u00e9es, comme les princes de \nl\u2019\u00c9glise et les seigneurs suzerains se sont trouv\u00e9s dans l\u2019obligation \nde laisser entre tes mains quelques bribes de leurs immenses tr\u00e9-sors, ton pardon demande la validit\u00e9 d\u2019un \u00e9crit pour que tu puis-ses vivre d\u00e9sormais \u00e0 l\u2019abri de tout reproche et de toute poursuite. Demain, en pr\u00e9sence de mes chevaliers, je proclamerai haute-ment que le bas de proscription qui te place plus bas que le der-\nnier des serfs du royaume est compl\u00e8tement annul\u00e9. Je te rends, \u00e0 toi et \u00e0 tous ceux qui ont partag\u00e9 ton aventureuse existence, les d r o i t s e t l e s p r i v i l \u00e8 g e s d \u2019 u n h o m m e l i b r e . J \u2019 a i d i t , e t j e j u r e d e maintenir ma parole par la gr \u00e2ce du Dieu tout puissant. \n \u2013 Vive Richard C\u0153ur-de-Lion ! cri\u00e8rent les chevaliers. \u2013 312 \u2013 \u2013 Que la sainte Vierge prot\u00e8ge \u00e0 jamais Votre Majest\u00e9 ! dit \nRobin Hood d\u2019une voix \u00e9mue ; et, mettant un genou en terre, il \nbaisa respectueusement la main du g\u00e9n\u00e9reux prince. \n \nCet acte de gratitude accompli, Robin se releva, sonna du cor \net les joyeux hommes, diff\u00e9remment occup\u00e9s, les uns \u00e0 tirer de l\u2019arc, les autres \u00e0 exercer leur adresse au maniement du b\u00e2ton, abandonn\u00e8rent aussit\u00f4t leurs occu pations respectives et vinrent \nse grouper en cercle autour de leur jeune chef. \n \u2013 Braves compagnons, dit Robin, mettez tous un genou en \nterre et d\u00e9couvrez vos t\u00eates : vous \u00eates en pr\u00e9sence de notre l\u00e9gi-time souverain, du roi bien-aim\u00e9 de la joyeuse Angleterre, de Ri-\nchard C\u0153ur-de-Lion ! Rendez hommage \u00e0 notre noble ma\u00eetre et seigneur ! \u2013 Les proscrits ob\u00e9irent \u00e0 l\u2019ordre de Robin et, tandis \nque la troupe se tenait humblement inclin\u00e9e devant Richard, Ro-\nbin lui fit conna\u00eetre la cl\u00e9mence du souverain. \u2013 Et maintenant, ajouta le jeune homme, faites retentir la vieille for\u00eat de vos hour-ras joyeux ; un grand jour s\u2019est le v\u00e9 pour nous, mes gar\u00e7ons ; vous \n\u00eates libres par la gr\u00e2ce de Dieu et du noble Richard ! \n Les joyeux hommes n\u2019eurent pas besoin de recevoir un nou-\nvel encouragement \u00e0 la manifestation de leur joie int\u00e9rieure ; ils pouss\u00e8rent un hourra tellement formidable qu\u2019il n\u2019y a rien d\u2019extraordinaire \u00e0 supposer qu\u2019il ait \u00e9t\u00e9 entendu \u00e0 deux milles de l\u2019arbre du Rendez-Vous. \n Cette bruyante clameur apais\u00e9e, Richard d\u2019Angleterre reprit \nla parole et invita Robin \u00e0 l\u2019accompagner au ch\u00e2teau de Notting-\nham avec toute sa troupe. \n \n\u2013 Sire, r\u00e9pondit Robin, le flatteur d\u00e9sir que Votre Majest\u00e9 \ndaigne me t\u00e9moigner remplit mon c\u0153ur d\u2019une indicible joie. J\u2019appartiens corps et \u00e2me \u00e0 mon souverain et, s\u2019il veut bien le permettre, je ferai choix parmi mes hommes de cent quarante archers qui seront, avec un d\u00e9vo uement absolu, les humbles ser-\nviteurs de Votre tr\u00e8s Gracieuse Majest\u00e9. \n \u2013 313 \u2013 Le roi, aussi flatt\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait surpris de l\u2019humb le maintien en \nsa pr\u00e9sence de l\u2019h\u00e9ro\u00efque outlaw, remercia cordialement Robin \nHood et, en l\u2019engageant \u00e0 renvoy er ses hommes \u00e0 leurs jeux un \ninstant interrompus, il prit une co upe sur la table, la remplit jus-\nqu\u2019aux bords, l\u2019avala d\u2019un trait et dit avec une expression de gaie-\nt\u00e9 famili\u00e8re et curieuse : \n \u2013 Et maintenant, ami Robin, dis-moi, je te prie, qui est ce \ng\u00e9ant l\u00e0-bas : car il me serait difficile de d\u00e9signer autrement le gigantesque gar\u00e7on qui a \u00e9t\u00e9 dou\u00e9 par le ciel d\u2019une aussi honn\u00eate figure. Sur mon \u00e2me, je m\u2019\u00e9tais cr u jusqu\u2019\u00e0 ce jour d\u2019une taille \nextraordinaire et je vois bien que si j\u2019\u00e9tais plac\u00e9 aux c\u00f4t\u00e9s de ce gaillard-l\u00e0 j\u2019aurais l\u2019air d\u2019un in nocent poulet. Quelle carrure de \nmembres ! quelle vigueur ! Cet homme est admirablement b\u00e2ti. \n \u2013 Il est aussi admirablement bon, sire, r\u00e9pondit Robin ; sa \nforce est prodigieuse : il arr\u00eaterait \u00e0 lui seul la marche d\u2019un corps \nd\u2019arm\u00e9e et il s\u2019attendrit avec la na\u00efve candeur d\u2019un enfant au r\u00e9cit \nd\u2019une histoire touchante. L\u2019homme qui a l\u2019honneur d\u2019attirer l\u2019attention de Votre Majest\u00e9 est mon fr\u00e8re, mon compagnon, mon \nmeilleur ami ; il a un c\u0153ur d\u2019or, un c\u0153ur fid\u00e8le comme l\u2019acier de son invincible \u00e9p\u00e9e. Il manie le b\u00e2ton avec une adresse tellement \nsurprenante qu\u2019il n\u2019y a pas d\u2019exempl e qu\u2019il ait jamais \u00e9t\u00e9 vaincu ; \navec cela, il est le plus habile archer de tout le pays et le plus brave gar\u00e7on de toute la terre. \n \u2013 Voil\u00e0, en v\u00e9rit\u00e9, des \u00e9loges qui me sont doux \u00e0 entendre, \nRobin, r\u00e9pondit le roi ; car celui qui te les inspire est digne d\u2019\u00eatre \nton ami. Je d\u00e9sire causer un peu avec cet honn\u00eate yeoman. Com-\nment le nommes-tu ? \n \n\u2013 Jean Naylor, sire ; mais nous l\u2019appelons Petit-Jean, en \nconsid\u00e9ration de la m\u00e9diocrit\u00e9 de sa taille. \n \u2013 Par la messe ! s\u2019\u00e9cria le roi en riant, une bande de sembla-\nbles Petits-Jeans e\u00fbt fort \u00e9pouvant\u00e9 ces chiens d\u2019infid\u00e8les. H\u00e9 ! bel arbre forestier, tour de Babylone, Petit-Jean, mon gar\u00e7on, viens aupr\u00e8s de moi, je d\u00e9sire t\u2019examiner de plus pr\u00e8s. \u2013 314 \u2013 \nJean s\u2019approcha la t\u00eate d\u00e9couverte et attendit d\u2019un air de \ntranquille assurance les ordres de Richard. \n \nLe roi adressa au jeune homme quelques questions relatives \n\u00e0 la force extraordinaire de ses mu scles, essaya de lutter avec lui \net fut respectueusement vaincu par son gigantesque partenaire. Apr\u00e8s cet essai, le roi se m\u00eala aux jeux et aux exercices des joyeux \nhommes aussi naturellement que s\u2019il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 un de leurs camara-\ndes et d\u00e9clara enfin que depuis bien longtemps il n\u2019avait pass\u00e9 \nune journ\u00e9e aussi agr\u00e9able. \n Cette nuit-l\u00e0, le roi d\u2019Angleterre dormit sous la garde des ou-\nt l a w s d e l a f o r \u00ea t d e S h e r w o o d e t l e l e n d e m a i n , a p r \u00e8 s a v o i r f a i t honneur \u00e0 un excellent d\u00e9jeuner, il se pr\u00e9para \u00e0 reprendre le chemin de Nottingham. \n \n\u2013 Mon brave Robin, dit le prince, peux-tu mettre \u00e0 ma dispo-\nsition des v\u00eatements semblables \u00e0 ceux que portent tes hommes ? \n \u2013 Oui, sire. \u2013 Eh bien ! fais-moi donner, ainsi qu\u2019\u00e0 mes chevaliers, un \ncostume pareil au tien et nous aurons \u00e0 notre entr\u00e9e \u00e0 Notting-ham une sc\u00e8ne quelque peu divertissante. Nos gens d\u2019office sont toujours extraordinairement empr ess\u00e9s lorsqu\u2019ils sentent que le \nvoisinage d\u2019un sup\u00e9rieur le met \u00e0 m\u00eame de surveiller leur conduite et je suis certain que le brave sh\u00e9rif et ses vaillants sol-dats nous donneront des preuves de leur invincible bravoure. \n Le roi et ses chevaliers rev\u00eatirent les costumes choisis par \nRobin et apr\u00e8s un galant baiser donn\u00e9 \u00e0 Marianne en l\u2019honneur de toutes les dames, Richard, entour\u00e9 de Robin Hood, de Jean, de Will \u00c9carlate, de Much et de cent quarante archers, s\u2019achemina gaiement vers sa seigneuriale demeure. \n Aux portes de la ville de Nottingham, Richard donna l\u2019ordre \n\u00e0 sa suite de pousser un hourra de victoire. \u2013 315 \u2013 \nCe hourra formidable attira les citoyens sur le seuil de leurs \nmaisons respectives et, \u00e0 la vu e d\u2019un corps des joyeux hommes \narm\u00e9s jusqu\u2019aux dents, ils pens\u00e8rent que le roi avait \u00e9t\u00e9 tu\u00e9 par \nles outlaws et que les proscrits, aguerris par leur sanglant triom-phe descendaient sur la ville pour massacrer tous les habitants. \n\u00c9perdus d\u2019\u00e9pouvante, les pauvres gens s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent en d\u00e9sordre, \nles uns dans le recoin le plus obscur de leur demeure, les autres \ntout droit devant eux. D\u2019autres sonn\u00e8rent le tocsin, firent un ap-\npel aux troupes de la ville et cher ch\u00e8rent le grand sh\u00e9rif, qui, par \nun miracle \u00e9trange, devint tout \u00e0 fait invisible. \n Les troupes du roi allaient fair e une sortie dangereuse pour \nles outlaws, lorsque leurs chefs, peu d\u00e9sireux d\u2019entrer en lutte sans conna\u00eetre la cause du combat, mirent un frein \u00e0 leur belli-queuse ardeur. \n \n\u2013 Voici nos guerriers, dit Richard en consid\u00e9rant d\u2019un air \nnarquois les craintifs d\u00e9fenseurs de la ville ; il me semble que les citoyens ainsi que les soldats tiennent \u00e0 l\u2019existence. Le sh\u00e9rif est absent, les chefs tremblent ; vive Dieu ! ces l\u00e2ches m\u00e9riteraient une correction exemplaire. \n \u00c0 peine le roi achevait-il cette r\u00e9flexion peu flatteuse pour les \ncitoyens de Nottingham, que ses troupes personnelles, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9es d\u2019un capitaine, sortirent en toute h\u00e2te du ch\u00e2teau, en ligne de ba-taille et la lance en arr\u00eat. \n \u2013 Par saint Denis ! mes gaillards ne plaisantent pas ! s\u2019\u00e9cria \nle roi en portant \u00e0 ses l\u00e8vres le cor qui lui avait \u00e9t\u00e9 remis par Ro-bin. \n Il sonna deux fois un appel d\u00e9sign\u00e9 \u00e0 l\u2019avance au capitaine de \nses gardes, et celui-ci, reconnaissant le signal not\u00e9 par le prince, fit mettre bas les armes et attendit respectueusement l\u2019approche de son souverain. La nouvelle du retour de Richard d\u2019Angleterre, \ntriomphalement accompagn\u00e9 par le prince des proscrits, se r\u00e9-\npandit aussi rapidement que s\u2019\u00e9tait r\u00e9pandue la nouvelle de \u2013 316 \u2013 l\u2019approche des outlaws en disposition sanguinaire. Les citoyens, \nqui s\u2019\u00e9taient prudemment s\u00e9questr\u00e9s, dans les profondeurs de leurs maisons, en sortirent le visa ge p\u00e2le, mais le sourire sur les \nl\u00e8vres ; et, sit\u00f4t qu\u2019ils eurent acquis la certitude que Robin Hood \net sa bande avaient gagn\u00e9 la faveur du roi, ils s\u2019empress\u00e8rent ami-calement autour des joyeux hommes, en complimentant celui-ci, serrant les mains \u00e0 celui-l\u00e0, se proclamant \u00e0 l\u2019envi les amis et les protecteurs de tous. Du sein de la foule s\u2019\u00e9chappaient des cris de \njoie et de f\u00e9licitation, et de toute part on entendait ces mots com-plaisamment r\u00e9p\u00e9t\u00e9s : Gloire au noble Robin Hood ! au brave yeoman, au beau proscrit ! Gloire au tendre et gentil Robin Hood ! Les voix, peu \u00e0 peu enhardies, acclam\u00e8rent si hautement la pr\u00e9sence du chef des outlaws, que Richard, fatigu\u00e9 de cette as-cendante clameur, en arriva \u00e0 s\u2019\u00e9crier : \n \u2013 Par ma couronne et par mon sceptre, il me semble que \nc\u2019est toi qui es le roi ici, Robin Hood ! \n \n\u2013 Ah ! sire, r\u00e9pondit le jeune homme en souriant avec amer-\ntume ; n\u2019attachez ni importance ni valeur aux t\u00e9moignages de \ncette apparente amiti\u00e9 ; elle n\u2019est qu\u2019un vague effet de la pr\u00e9cieuse \nfaveur dont Votre Majest\u00e9 comble le proscrit. Un mot du roi Ri-chard peut changer en vocif\u00e9rations de haine ces clameurs en-thousiastes qu\u2019excite ici ma pr\u00e9sence, et ces m\u00eames hommes pas-seront aussit\u00f4t, sans remords ni r\u00e9flexion, de l\u2019\u00e9loge au bl\u00e2me, de l\u2019admiration au m\u00e9pris. \n \u2013 Tu dis vrai, mon cher Robin, r\u00e9pondit le roi en riant ; les \ncoquins sont partout les m\u00eames, et j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 acquis la preuve du \nmanque de c\u0153ur des citoyens de Nottingham. Lorsque je me suis \npr\u00e9sent\u00e9 ici avec l\u2019intention de punir le prince Jean, ils ont ac-\ncueilli mon retour d\u2019Angleterre avec une r\u00e9serve pleine de pru-dence. Pour eux le droit est celui du plus fort, et ils ignoraient q u \u2019 a v e c t o n a i d e i l m e s e r a i t f a c i l e d e m \u2019 e m p a r e r d u c h \u00e2 t e a u e t d\u2019en expulser mon fr\u00e8re. Maintenant, ils nous montrent le beau c\u00f4t\u00e9 de leur vilaine figure et nous \u00e9claboussent de leur vile flatte-rie. Ainsi va le monde. Laissons l\u00e0 ces mis\u00e9rables et pensons \u00e0 \nnous. Je t\u2019ai promis, mon cher Ro bin, une noble r\u00e9compense pour \u2013 317 \u2013 le service que tu m\u2019as rendu ; formule ton d\u00e9sir ; le roi Richard \nn\u2019a qu\u2019une parole, il tient et r\u00e9alise toujours les engagements qu\u2019il contracte. \n \n\u2013 Sire, r\u00e9pondit Robin, Votr e Gracieuse Majest\u00e9 me rend \nheureux au-del\u00e0 de toute expression en me renouvelant l\u2019offre de \nson g\u00e9n\u00e9reux appui ; je l\u2019accepte pour moi, pour mes hommes et pour un chevalier qui, frapp\u00e9 de disgr\u00e2ce par le roi Henri, a \u00e9t\u00e9 \noblig\u00e9 de chercher un refuge dans l\u2019asile protecteur de la for\u00eat de \nSherwood. Ce chevalier, sire, est un homme plein de c\u0153ur, un digne p\u00e8re de famille, un brave Saxo n, et si Votre Majest\u00e9 veut me \nfaire l\u2019honneur d\u2019\u00e9couter l\u2019histoire de sir Richard Gower de la Plaine, je suis assur\u00e9 qu\u2019elle vo udra bien m\u2019accorder la demande \nque je me permettrai de lui faire. \n \u2013 Nous t\u2019avons donn\u00e9 notre parole de roi de t\u2019accorder toutes \nles gr\u00e2ces qu\u2019il te plaira d\u2019implor er de nous, ami Robin, r\u00e9pondit \naffectueusement Richard ; parle sans crainte, et dis-nous par quel \nconcours de circonstances ce chev alier est tomb\u00e9 dans la disgr\u00e2ce \nde mon p\u00e8re. \n Robin s\u2019empressa d\u2019ob\u00e9ir aux ordres du roi, et il raconta le \nplus bri\u00e8vement possible l\u2019histoire du chevalier de la Plaine. \n \u2013 Par Notre Dame ! s\u2019\u00e9cria Richard, ce bon chevalier a \u00e9t\u00e9 \ncruellement trait\u00e9, et tu as noblement agi en lui venant en aide. Mais il ne sera pas dit, brave Ro bin Hood, que tu puisses dans ce \ncas encore, avoir surpass\u00e9 le roi d\u2019Angleterre en grandeur d\u2019\u00e2me et en g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9. Je veux, \u00e0 mon tour, prot\u00e9ger ton ami ; fais-le \nvenir en notre pr\u00e9sence. \n Robin appela le chevalier, et celui-ci, le c\u0153ur agit\u00e9 par les \n\u00e9motions d\u2019une douce esp\u00e9rance, se pr\u00e9senta respectueusement devant le prince. \n \u2013 Sir Richard de la Plaine, dit gracieusement le roi, ton vail-\nlant ami Robin Hood vient de m\u2019apprendre les malheurs qui ont frapp\u00e9 ta famille, les dangers auxq uels tu as \u00e9t\u00e9 expos\u00e9. Je suis \u2013 318 \u2013 heureux de pouvoir, en te rendant justice, t\u00e9moigner \u00e0 Robin \nl\u2019admiration sinc\u00e8re et l\u2019estime profonde que m\u2019inspirent sa conduite. Je te remets en possession de tes biens et pendant un \nan tu seras lib\u00e9r\u00e9 de tout imp\u00f4 t et de toute contribution. Outre \ncela, j\u2019an\u00e9antis le d\u00e9cret de bannissement lanc\u00e9 contre toi, afin \nque le souvenir de cet acte in juste soit compl\u00e8tement effac\u00e9, \nm\u00eame de la m\u00e9moire de tes concitoyens. Rends-toi au ch\u00e2teau ; les lettres de gr\u00e2ce pleine et enti\u00e8re te seront d\u00e9livr\u00e9es par nos \nordres. Quant \u00e0 toi, Robin Hood, demande encore quelque chose \n\u00e0 celui qui ne croira jamais avoi r pay\u00e9 sa dette de reconnaissance \nm\u00eame apr\u00e8s avoir satisfait \u00e0 tous tes d\u00e9sirs. \n \u2013 Sire, dit le chevalier en mettant un genou en terre, com-\nment puis-je vous t\u00e9moigner la gratitude qui remplit mon c\u0153ur ? \n \u2013 En me disant que tu es heureux, r\u00e9pondit gaiement le roi ; \ne n m e p r o m e t t a n t d e n e p l u s o f f e n s e r l e s m e m b r e s d e l a t r \u00e8 s \nsainte \u00c9glise. \u2013 Sir Richard baisa l a m ai n d u g \u00e9 n\u00e9 r e ux pr i nc e e t \ns\u2019effa\u00e7a discr\u00e8tement dans les gr oupes r\u00e9unis \u00e0 quelques pas du \nroi. \u2013 Eh bien ! mon brave archer, r\u00e9pondit le prince en se tour-\nnant vers Robin Hood, que d\u00e9sires-tu de moi ? \n \u2013 Rien pour le moment, sire ; pl us tard, si Votre Majest\u00e9 veut \nbien le permettre, je lui demanderai une derni\u00e8re faveur. \n \u2013 Elle te sera accord\u00e9e. Maintenant, rendons-nous au ch\u00e2-\nteau ; nous avons re\u00e7u dans la for\u00eat de Sherwood une g\u00e9n\u00e9reuse \nhospitalit\u00e9, et il faut esp\u00e9rer que le ch\u00e2teau de Nottingham offrira quelques ressources pour compos er un royal festin. Tes hommes \nont une excellente mani\u00e8re de pr\u00e9parer la venaison, et la fra\u00ee-cheur de l\u2019air, la fatigue de la marche nous avaient singuli\u00e8rement \naiguis\u00e9 l\u2019app\u00e9tit, car nous avons mang\u00e9 en v\u00e9ritable gourmand. \n \u2013 Votre Majest\u00e9 avait le droit de manger \u00e0 sa guise, r\u00e9pondit \nRobin en riant, puisque le gibier \u00e9tait son propre bien. \n \u2013 Notre bien ou celui du premier chasseur venu, repartit \ngaiement le roi ; et si tout le monde fait semblant de croire que les \u2013 319 \u2013 daims de la for\u00eat de Sherwood sont notre exclusive propri\u00e9t\u00e9, il y \na bien un certain yeoman de ton intime connaissance, mon Ro-\nbin, et les trois cents compagnons qui forment sa joyeuse troupe, \nqui se sont fort peu inqui\u00e9t\u00e9s des pr\u00e9rogatives de la couronne. \n \nTout en causant, Richard se di rigeant vers le ch\u00e2teau, et les \nacclamations enthousiastes de la populace accompagn\u00e8rent de leur bruyante clameur le roi d\u2019Angleterre et le c\u00e9l\u00e8bre proscrit \njusqu\u2019aux portes du vieux manoir. \n \nLe g\u00e9n\u00e9reux prince r\u00e9alisa le jour m\u00eame la promesse qu\u2019il \navait faite \u00e0 Robin Hood ; il signa un acte qui annulait le ban de proscription et remettait le je une homme en possession de ses \nd r o i t s e t d e s e s t i t r e s a u x b i e n s e t a u x d i g n i t \u00e9 s d e l a f a m i l l e d e Huntingdon. \n \nD\u00e8s le lendemain de cet heureux jour, Robin r\u00e9unit ses hom-\nmes dans une des cours du ch\u00e2teau et leur annon\u00e7a le change-ment inesp\u00e9r\u00e9 de sa fortune. Cette nouvelle remplit les c\u0153urs des braves yeomen d\u2019une joie sinc\u00e8re ; ils aimaient tendrement leur chef, et ils refus\u00e8rent, d\u2019un commun accord, la libert\u00e9 que Robin voulait leur rendre. Il fut donc arr\u00eat\u00e9, s\u00e9ance tenante, que les joyeux hommes cesseraient \u00e0 l\u2019aven ir de lever des contributions \nsur les Normands et sur les eccl\u00e9s iastiques, et qu\u2019ils seraient \nnourris et v\u00eatus aux frais de le ur noble ma\u00eetre, Robin Hood, de-\nvenu le riche comte de Huntingdon. \n \u2013 Mes gar\u00e7ons, ajouta Robin, puisque vous d\u00e9sirez vivre au-\npr\u00e8s de moi et m\u2019accompagner \u00e0 Londres si les ordres de notre \nbien aim\u00e9 souverain m\u2019y conduise nt, vous allez me jurer de ne \njamais r\u00e9v\u00e9ler \u00e0 personne la situation de notre cave. R\u00e9servons-\nnous ce pr\u00e9cieux refuge en pr\u00e9vision de nouveaux malheurs. \n Les hommes firent \u00e0 haute voix le serment demand\u00e9 par leur \nchef, et Robin les engagea \u00e0 faire sans retard leurs pr\u00e9paratifs de d\u00e9part. \n \u2013 320 \u2013 Le 30 mars 1194, la veille de son d\u00e9part pour Londres, Ri-\nchard tint conseil au ch\u00e2teau de Nottingham, et, au nombre des \nchoses importantes qui furent trait\u00e9es, se trouva l\u2019\u00e9tablissement \ndes droits de Robin Hood au comt\u00e9 de Huntingdon. Le roi t\u00e9moi-\ngna d\u2019une fa\u00e7on p\u00e9remptoire son d\u00e9sir de rendre \u00e0 Robin les pro-pri\u00e9t\u00e9s d\u00e9tenues par l\u2019abb\u00e9 de Ramsey, et les conseillers de Ri-chard lui promirent formellement de terminer \u00e0 son enti\u00e8re satis-faction l\u2019acte de justice qui deva it r\u00e9parer les malheurs si coura-\ngeusement support\u00e9s par le noble proscrit. \u2013 321 \u2013 XIII \n \nAvant de s\u2019\u00e9loigner, peut-\u00eatre pour toujours, de l\u2019antique fo-\nr\u00eat qui lui avait servi d\u2019asile, Robin Hood \u00e9prouva un regret si vif \ndu pass\u00e9, une appr\u00e9hension de l\u2019aven ir si peu en harmonie avec la \nperspective que lui avaient fait entrevoir les g\u00e9n\u00e9reuses promes-\nses de Richard, qu\u2019il r\u00e9solut d\u2019attendre sous l\u2019abri protecteur de sa \ndemeure de feuillage le r\u00e9sultat d\u00e9finitif des engagements contract\u00e9s par le roi d\u2019Angleterre. \n Ce fut pour Robin une heureuse d\u00e9termination que celle qui \nle retint \u00e0 Sherwood, car le sacre de Richard, qui eut lieu \u00e0 Win-chester peu de temps apr\u00e8s son retour \u00e0 Londres, absorba si bien les esprits, qu\u2019il rendit inopportune toute d\u00e9marche tendant \u00e0 rappeler les droits reconnus, mais non proclam\u00e9s, du jeune comte \nde Huntingdon. \n \nLes f\u00eates du couronnement termin\u00e9es, Richard partit pour le \ncontinent, o\u00f9 l\u2019appelait un vif d\u00e9sir de vengeance contre Philippe de France, et confiant en la parole donn\u00e9e par ses conseillers, il leur laissa le soin de r\u00e9tablir la fortune du brave Robin Hood. \n Le baron de Broughton (l\u2019abb\u00e9 de Ramsey), qui jouissait tou-\njours des biens de la famille de Huntingdon, mit en \u0153uvre tout \nson cr\u00e9dit et les ressources de son immense fortune, pour retar-der l\u2019ex\u00e9cution du d\u00e9cret rendu par Richard en faveur du v\u00e9rita-ble h\u00e9ritier des titres et du domaine de ce riche comt\u00e9 ; mais, tout en se m\u00e9nageant des protecteurs et des amis, le prudent baron ne tentait pas de s\u2019opposer ouvertement aux actes \u00e9mis par la volon-t\u00e9 de Richard, il se contentait de demander du temps, de combler \nle chancelier des plus riches cadeaux, et d\u2019en arriver ainsi \u00e0 se \nmaintenir dans la tranquille possession du patrimoine qu\u2019il avait usurp\u00e9. \n \u2013 322 \u2013 Pendant que Richard se battait en Normandie, pendant que \nl\u2019abb\u00e9 de Ramsey gagnait \u00e0 sa cause la chancellerie tout enti\u00e8re, \nRobin Hood attendait avec confiance le message qui devait lui \napprendre son entr\u00e9e en possession de la fortune de son p\u00e8re. \n \nOnze mois de passive attente affaiblirent la robuste patience \ndu jeune homme ; il s\u2019arma de cour age et, fort de la bienveillance \nque lui avait t\u00e9moign\u00e9e le roi \u00e0 son passage \u00e0 Nottingham, il \nadressa une requ\u00eate \u00e0 Hubert Walter, archev\u00eaque de Cantorb\u00e9ry, gardien des sceaux d\u2019Angleterre et grand justicier du royaume. La \ndemande de Robin Hood parvint \u00e0 sa destination, l\u2019archev\u00eaque en \nprit connaissance ; mais si cette demande si juste ne fut pas ou-vertement repouss\u00e9e, elle resta sans r\u00e9ponse et fut consid\u00e9r\u00e9e comme non avenue. \n Le mauvais vouloir de ceux qui s\u2019\u00e9taient fait fort de rendre \u00e0 \nRobin Hood les biens de sa maison se manifestait par cette iner-\ntie, et le jeune homme devina sans peine qu\u2019une lutte s\u2019engageait \nsourdement contre lui. Par malheur, l\u2019abb\u00e9 de Ramsey, devenu baron de Broughton, comte de Huntingdon, \u00e9tait un adversaire trop redoutable pour qu\u2019il f\u00fbt possible, en l\u2019absence de Richard, de tenter contre lui la moindre repr\u00e9saille. Aussi Robin r\u00e9solut-il de fermer les yeux sur les injustic es dont il \u00e9tait la victime, et \nd\u2019attendre sagement le retour du roi d\u2019Angleterre. \n Cette d\u00e9cision prise, Robin Hood envoya un second message \nau grand justicier. Il lui t\u00e9moig na un vif m\u00e9contentement de la \nvisible protection qu\u2019il accordait \u00e0 l\u2019abb\u00e9 de Ramsey, et lui d\u00e9clara \nque, tout en esp\u00e9rant une prompte justice de Richard \u00e0 sa rentr\u00e9e \nen Angleterre, il se remettait \u00e0 la t\u00eate de sa bande et continuerait \nde vivre, comme par le pass\u00e9, dans la for\u00eat de Sherwood. \n \nHubert Walter n\u2019accorda aucune attention apparente \u00e0 la se-\nconde missive de Robin ; mais, tout en prenant de s\u00e9v\u00e8res mesu-res pour r\u00e9tablir l\u2019ordre et la tranquillit\u00e9 par toute l\u2019Angleterre, tout en d\u00e9truisant les nombreuses bandes d\u2019hommes rassembl\u00e9es dans les diff\u00e9rentes parties du royaume, l\u2019archev\u00eaque laissa en repos le prot\u00e9g\u00e9 de Richard et ses joyeux compagnons. \u2013 323 \u2013 \nQuatre ann\u00e9es s\u2019\u00e9coul\u00e8rent dans le calme trompeur qui pr\u00e9-\nc\u00e8de les orages du ciel et les bouleversements r\u00e9volutionnaires. \nUn matin, la nouvelle de la mort de Richard tomba comme la \nfoudre sur le royaume d\u2019Angleterre et jeta l\u2019\u00e9pouvante dans tous \nles c\u0153urs. L\u2019av\u00e8nement au tr\u00f4ne du prince Jean, qui semblait \navoir pris \u00e0 t\u00e2che de soulever co ntre lui une haine universelle, fut \nle signal d\u2019une s\u00e9rie de crimes et de honteuses violences. \n Pendant le cours de cette d\u00e9sastreuse p\u00e9riode, l\u2019abb\u00e9 de \nRamsey traversa, accompagn\u00e9 d\u2019un e suite nombreuse, la for\u00eat de \nSherwood pour se rendre \u00e0 York, et fut arr\u00eat\u00e9 par Robin. Fait pri-\nsonnier, ainsi que son escorte, l\u2019abb\u00e9 ne put obtenir sa libert\u00e9 qu\u2019au prix d\u2019une ran\u00e7on consid\u00e9rab le. Il paya, tout en maugr\u00e9ant, \ntout en se promettant une \u00e9clatante revanche, et cette revanche ne se fit pas attendre. \n \nL\u2019abb\u00e9 de Ramsey s\u2019adressa au roi et Jean, qui avait, \u00e0 cette \n\u00e9poque, grandement besoin de l\u2019appui de la noblesse, pr\u00eata l\u2019oreille aux plaintes du baron et envoya, s\u00e9ance tenante, une cen-taine d\u2019hommes command\u00e9s par sir William de Gray, fr\u00e8re a\u00een\u00e9 de Jean Gray, favori du roi, \u00e0 la poursuite de Robin Hood, avec ordre de tailler en morceaux la bande tout enti\u00e8re. \n Le chevalier de Gray, qui \u00e9tait normand, ex\u00e9crait les Saxons, \net m\u00fb par ce sentiment de haine, il jura de d\u00e9poser bient\u00f4t aux \npieds de l\u2019abb\u00e9 de Ramsey la t\u00eate de son impudent adversaire. \n La soudaine arriv\u00e9e d\u2019une com pagnie de soldats rev\u00eatus de \ncottes de mailles et \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur belliqueux, jeta une panique g\u00e9-\nn\u00e9rale dans la petite ville de Nottingham ; mais lorsque l\u2019on ap-\nprit d\u2019elle que le but de sa marche \u00e9tait la for\u00eat de Sherwood et l\u2019extermination de la bande de Robin, la terreur fit place au m\u00e9-contentement, et quelques hommes d\u00e9vou\u00e9s aux proscrits couru-rent les avertir du malheur qui allait fondre sur eux. \n Robin Hood re\u00e7ut la nouvelle en homme qui se tient sur ses \ngardes et qui attend d\u2019un moment \u00e0 l\u2019autre les repr\u00e9sailles d\u2019un \u2013 324 \u2013 ennemi cruellement offens\u00e9, et il ne mit pas un seul instant en \ndoute la coop\u00e9ration que l\u2019abb\u00e9 de Ramsey avait prise \u00e0 cette ra-pide exp\u00e9dition. Robin r\u00e9unit ses hommes et les pr\u00e9para \u00e0 oppo-\nser \u00e0 l\u2019attaque des Normands une vigoureuse d\u00e9fense, puis il en-\nvoya sur-le-champ, \u00e0 la rencontre de ses ennemis, un habile ar-cher qui, d\u00e9guis\u00e9 en paysan, devait s\u2019offrir aux soldats pour les conduire \u00e0 l\u2019arbre connu de tout le comt\u00e9 comme \u00e9tant le point de ralliement \u00e0 la bande des joyeux hommes. \n Cette ruse si simple, et qui av ait d\u00e9j\u00e0 rendu \u00e0 Robin de tr\u00e8s \ngrands services, r\u00e9ussit compl\u00e8tement une fois encore, et le che-valier de Gray accepta sans d\u00e9fiance les offres de l\u2019envoy\u00e9 de Ro-bin. Le complaisant forestier se mit donc \u00e0 la t\u00eate de la troupe, et il la promena \u00e0 travers les buisso ns, les halliers et les ronces pen-\ndant trois heures, sans para\u00eetre s\u2019apercevoir que les cottes de mailles rendaient la marche fort difficile aux malheureux soldats. \nEnfin, lorsque ceux-ci furent acc abl\u00e9s du poids \u00e9crasant de leur \narmure, lorsqu\u2019ils furent an\u00e9antis de fatigue, le guide les condui-sit, non \u00e0 l\u2019arbre du Rendez-Vous, mais au centre d\u2019une vaste clai-\nri\u00e8re entour\u00e9e d\u2019ormes, de h\u00eatres et de ch\u00eanes s\u00e9culaires. Sur cet emplacement, dont le terrain \u00e9tait couvert d\u2019un gazon aussi frais et aussi uni que l\u2019est celui d\u2019une pelouse devant la porte d\u2019un ch\u00e2-\nteau, se tenait, les uns debout, les autres couch\u00e9s, la bande enti\u00e8re des joyeux hommes. \n La vue de l\u2019ennemi en appare nce d\u00e9sarm\u00e9 ranima les forces \ndes soldats ; sans songer au guide, qui s\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 gliss\u00e9 dans les \nrangs des outlaws, ils jet\u00e8rent un cri de triomphe et s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent imp\u00e9tueusement \u00e0 la rencontre de s forestiers. \u00c0 la grande sur-\nprise des Normands, les joyeux hommes quitt\u00e8rent \u00e0 peine la pose nonchalante qu\u2019ils avaient prise, et presque sans changer de place, ils lev\u00e8rent au-dessus de leurs t\u00eates leurs immenses b\u00e2tons et les firent tournoyer en \u00e9clatant de rire. \n Exasp\u00e9r\u00e9s par ce d\u00e9risoire accueil, les soldats se jet\u00e8rent \nconfus\u00e9ment l\u2019\u00e9p\u00e9e \u00e0 la main sur les forestiers, et ceux-ci, sans manifester la moindre \u00e9motion, co urb\u00e8rent les unes apr\u00e8s les au-\ntres les armes mena\u00e7antes sous de formidables coups de b\u00e2ton : \u2013 325 \u2013 puis, avec une rapidit\u00e9 \u00e9tourdissante, ils sangl\u00e8rent de coups \nmortels la t\u00eate et les \u00e9paules des Normands. Le bruit sourd que rendaient les cottes de mailles et les casques se m\u00ealait aux cris des \nsoldats terrass\u00e9s, aux clameurs de s yeomen, qui semblaient non \nd\u00e9fendre leur vie, mais exercer leur adresse contre des corps iner-\ntes. \n Sir William de Gray, qui dirigeait les mouvements des sol-\ndats, voyait avec rage tomber auto ur de lui la meilleure partie de \nsa troupe, et il maudissait de tout son c\u0153ur l\u2019id\u00e9e qu\u2019il avait eue de rev\u00eatir ses soldats d\u2019un accout rement aussi lourd. L\u2019adresse et \nl\u2019agilit\u00e9 du corps \u00e9taient les premiers \u00e9l\u00e9ments d\u2019une victoire d\u00e9j\u00e0 si incertaine dans un combat livr\u00e9 \u00e0 des hommes d\u2019une force pro-digieuse, et les Normands pouvai ent \u00e0 peine se mouvoir sans la \nfatigue d\u2019un grand effort. \n \nEffray\u00e9 du r\u00e9sultat probable d\u2019une d\u00e9route compl\u00e8te, le che-\nvalier fit suspendre le combat et, gr\u00e2ce \u00e0 la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 de Robin, il put ramener \u00e0 Nottingham les d\u00e9bris de sa troupe. \n Il va sans dire que le reconnaissant chevalier se promettait in \npetto de recommencer l\u2019attaque d\u00e8s le lendemain avec des hom-\nmes plus l\u00e9g\u00e8rement v\u00eatus que ne l\u2019\u00e9taient les Normands amen\u00e9s \nde Londres. \n Robin Hood, qui avait devin\u00e9 les intentions hostiles de sir \nGray, rangea ses hommes en ordre de bataille dans le m\u00eame en-droit o\u00f9 avait eu lieu le combat de la veille, et attendit tranquille-ment l\u2019apparition des soldats qui avaient \u00e9t\u00e9 rencontr\u00e9s, \u00e0 deux \nmilles de l\u2019arbre du Rendez-Vous, par un des forestiers envoy\u00e9s \nen batteurs d\u2019estrade, dans les diff\u00e9rentes parties de la for\u00eat avoi-\nsinant Nottingham. \n Cette fois-ci, les Normands avaient endoss\u00e9 le l\u00e9ger costume \ndes archers ; ils \u00e9taient arm\u00e9s d\u2019arcs, de fl\u00e8ches, de petites \u00e9p\u00e9es et de boucliers. \n \u2013 326 \u2013 Robin Hood et ses hommes \u00e9taient \u00e0 leur poste depuis une \nheure environ et les soldats attendus ne paraissaient pas. Le \njeune homme commen\u00e7ait \u00e0 croire que ses ennemis avaient \nchang\u00e9 d\u2019avis, lorsqu\u2019un archer accourut en toute h\u00e2te, d\u2019un poste \no\u00f9 il avait \u00e9t\u00e9 plac\u00e9 en sentinelle, annoncer \u00e0 Robin que les Nor-mands, \u00e9gar\u00e9s en route, marchaient directement vers l\u2019arbre du Rendez-Vous, o\u00f9 les femmes s\u2019\u00e9taient rassembl\u00e9es par ordre de Robin. \n Cette nouvelle frappa Robin d\u2019un pressentiment funeste ; il \ndevint tr\u00e8s p\u00e2le et dit \u00e0 ses hommes : \n \u2013 Courons au-devant des Norman ds, il faut les arr\u00eater en \nchemin ; malheur \u00e0 eux et \u00e0 nous s\u2019ils arrivent aupr\u00e8s de nos femmes ! \n \nLes forestiers s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent comme un seul homme du c\u00f4t\u00e9 de \nla route suivie par les soldats, se promettant de leur barrer le \nchemin ou de gagner avant eux l\u2019arbre du Rendez-Vous ; mais les soldats avaient d\u00e9j\u00e0 une avance tr op consid\u00e9rable pour qu\u2019il f\u00fbt \npossible de les arr\u00eater ou m\u00eame d\u2019aller assez vite pour pr\u00e9venir quelque effroyable malheur. Les m\u0153urs, ou pour mieux dire le d\u00e9r\u00e8glement de cette \u00e9poque de barbarie, faisaient craindre \u00e0 Ro-bin et \u00e0 ses compagnons les crue lles repr\u00e9sailles d\u2019une r\u00e9union de \nfemmes compl\u00e8tement isol\u00e9es. \n Les Normands atteignirent bien t\u00f4t l\u2019arbre du Rendez-Vous. \n\u00c0 leur vue, les femmes se lev\u00e8rent \u00e9pouvant\u00e9es, jet\u00e8rent des cris de terreur et s\u2019enfuirent \u00e9perdues dans toutes les directions qui se \ntrouvaient ouvertes devant elle s. Sir William jugea d\u2019un coup \nd\u2019\u0153il tout le parti que sa haine co ntre les Saxons pouvait tirer de \nl\u2019abandon et de la faiblesse de leurs craintives compagnes ; il r\u00e9-\nsolut de s\u2019emparer d\u2019elles et de se venger par leur mort du mau-vais succ\u00e8s de sa premi\u00e8re attaque contre Robin Hood. \n Sur l\u2019ordre de leur chef, les soldats firent halte, et sir William \nsuivit de l\u2019\u0153il pendant une seco nde les mouvements tumultueux \ndes pauvres effray\u00e9es. Une d\u2019elles courait en avant, et ses compa-\u2013 327 \u2013 gnes tentaient \u00e0 la fois de la re joindre et de prot\u00e9ger sa fuite, \nCette visible sollicitude fit comprendre au Normand la sup\u00e9riorit\u00e9 \nde celle qui dirigeait la marche : il pensa aussit\u00f4t qu\u2019il serait de \nbonne guerre de la frapper la premi\u00e8re : il prit son arc ; y mit une \nfl\u00e8che et visa froidement. Le chevalier \u00e9tait bon tireur ; la mal-heureuse femme, atteinte entre les deux \u00e9paules, tomba ensan-\nglant\u00e9e au milieu de ses compagnons, qui, sans songer \u00e0 leur pro-pre salut, s\u2019agenouill\u00e8rent autour d\u2019elle en poussant des cris d\u00e9-\nchirants. \n \nUn homme avait vu le geste homicide du mis\u00e9rable Nor-\nmand, un homme avait, esp\u00e9rant pr\u00e9venir le coup funeste, vis\u00e9 le chevalier au front. La fl\u00e8che de cet homme atteignit son but, mais \ntrop tard ; car sir William avait ti r\u00e9 Marianne avant de mourir de \nla main de Robin Hood. \n \n\u2013 Lady Marianne a \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9e ! mortellement frapp\u00e9e ! \nCette terrible nouvelle vola de bouc he en bouche ; elle fit monter \nles larmes aux yeux de tous ces braves Saxons qui aimaient leur jeune reine avec une tendresse sa ns bornes. Quant \u00e0 Robin, sa \ndouleur tenait du d\u00e9lire ; il ne pa rlait pas, il ne pleurait pas, il se \nbattait, Petit-Jean et lui bondissaient comme des tigres alt\u00e9r\u00e9s de carnage autour des Normands, et ils semaient la mort dans leurs rangs sans jeter un cri, sans desserrer leurs l\u00e8vres p\u00e2les ; leurs bras agiles semblaient dou\u00e9s d\u2019une force surhumaine : ils ven-geaient Marianne, et ils la vengeaient cruellement ! \n Ce sanglant combat dura deux heures ; les Normands furent \ntaill\u00e9s en pi\u00e8ces et n\u2019obtinrent ni gr\u00e2ce ni merci ; un soldat par-\nvint seul \u00e0 fuir, et alla raconter au fr\u00e8re de sir William de Gray le \nd\u00e9nouement fatal de l\u2019exp\u00e9dition. \n Marianne avait \u00e9t\u00e9 transport\u00e9e dans une clairi\u00e8re \u00e9loign\u00e9e \ndu champ de bataille, et Robin trouva Maude tout en pleurs es-\nsayant, mais en vain, d\u2019arr\u00eater le sang qui s\u2019\u00e9chappait \u00e0 flots \nd\u2019une affreuse blessure. \n \u2013 328 \u2013 R o b i n s e j e t a \u00e0 g e n o u x a u p r \u00e8 s d e M a r i a n n e ; l e c \u0153 u r d u \njeune homme \u00e9tait gonfl\u00e9 d\u2019angoisse ; il ne pouvait ni parler ni \nfaire un mouvement, et une sorte de r\u00e2le soulevait sa poitrine ; il \n\u00e9touffait. \n \n\u00c0 l\u2019approche de Robin, Marianne avait ouvert les yeux et \navait tourn\u00e9 vers lui un tendre regard. \n \n\u2013 Tu n\u2019es pas bless\u00e9, n\u2019est-ce pas, mon ami ? demanda la \njeune femme d\u2019une voix faible et apr\u00e8s une seconde de muette \ncontemplation. \n \n\u2013 Non, non, murmura Robin, qui pouvait \u00e0 peine desserrer \nles dents. \n \u2013 Que la sainte Vierge soit b\u00e9nie ! ajouta Marianne en sou-\nriant ; j\u2019ai pri\u00e9 pour toi Notre ch\u00e8re Dame et elle a exauc\u00e9 ma \npri\u00e8re. Ce terrible combat est-il termin\u00e9, cher Robin ? \n \u2013 Oui, ch\u00e8re Marianne ; nos ennemis ont disparu, ils ne re-\nviendront plus\u2026 Mais parlons de toi, pensons \u00e0 toi, tu es\u2026 je\u2026 sainte m\u00e8re de Dieu ! s\u2019\u00e9cria Ro bin, cette douleur est au-dessus \nde mes forces ! \n \u2013 Allons ! du courage, mon cher, mon bien-aim\u00e9 Robin ; l\u00e8ve \nla t\u00eate, regarde-moi, dit Marianne en essayant encore de sourire ; \nma blessure est peu profonde, elle gu\u00e9rira ; la fl\u00e8che a \u00e9t\u00e9 retir\u00e9e. \nTu sais bien, mon ami, que si j\u2019avais quelque chose \u00e0 craindre, je serais la premi\u00e8re \u00e0 m\u2019apercevoir que mon heure est venue\u2026 \nVoyons, regarde-moi, cher Robin. \n \nEn parlant ainsi, Marianne essayait d\u2019attirer \u00e0 elle la t\u00eate de \nRobin ; mais cet effort \u00e9puisa ses derni\u00e8res forces, et, lorsque le jeune homme leva ses yeux en pleu rs sur la pauvre bless\u00e9e, elle \n\u00e9tait \u00e9vanouie. \n \u2013 329 \u2013 Marianne revint bient\u00f4t \u00e0 elle, et apr\u00e8s avoir doucement \nconsol\u00e9 son mari, elle manifesta le d\u00e9sir de prendre quelques ins-\ntants de repos, et tomba bient\u00f4t dans un profond sommeil. \n \nD\u00e8s que Marianne fut endormie sur le lit de mousse ombrag\u00e9 \nde feuillage, qui lui avait \u00e9t\u00e9 arrang\u00e9 par ses compagnons, Robin H o o d a l l a s \u2019 i n f o r m e r d e l \u2019 \u00e9 t a t d e s a t r o u p e . I l t r o u v a J e a n , W i l l \u00c9carlate et Much occup\u00e9s \u00e0 soigner les bless\u00e9s et \u00e0 faire enterrer \nles morts. Le nombre des bless\u00e9s \u00e9tait peu consid\u00e9rable, car il se \nr\u00e9duisait \u00e0 une dizaine d\u2019hommes da ngereusement atteints, et il \nn\u2019y avait pas une seule mort \u00e0 d\u00e9plorer parmi les outlaws. Quant \naux Normands, comme on le sait, ils avaient v\u00e9cu, et plusieurs grandes fosses creus\u00e9es aux coins de la clairi\u00e8re devaient leur ser-\nvir de s\u00e9pulcre. \n En se r\u00e9veillant, apr\u00e8s trois heures d\u2019un profond sommeil, \nMarianne trouva son mari aupr\u00e8s d\u2019elle, et l\u2019ang\u00e9lique cr\u00e9ature, \nvoulant encore donner quelque es poir consolateur \u00e0 celui qui \nl\u2019aimait d\u2019un si tendre amour, se prit doucement \u00e0 dire qu\u2019elle ne \nressentait aucune faiblesse, et qu e sa gu\u00e9rison \u00e9tait prochaine. \n Marianne souffrait, Marianne \u00e9prouvait un accablement \nmortel, et elle savait qu\u2019il n\u2019y avait plus rien \u00e0 esp\u00e9rer ; mais \nl\u2019angoisse de Robin d\u00e9chirait son \u00e2me, et elle cherchait \u00e0 adoucir autant qu\u2019il \u00e9tait en son pouvoir de le faire, le coup funeste dont il \nallait bient\u00f4t \u00eatre frapp\u00e9. \n D\u00e8s le lendemain, le mal empira, l\u2019inflammation se mit dans \nla plaie, et tout espoir de gu\u00e9r ison dut s\u2019\u00e9vanouir m\u00eame dans le \nc\u0153ur de Robin. \n \u2013 Cher Robin, dit Marianne en posant ses mains br\u00fblantes \ndans les mains de son mari, ma derni\u00e8re heure approche, le mo-ment de notre s\u00e9paration sera cruel, mais non impossible \u00e0 sup-porter pour deux \u00eatres qui ont foi en la toute-puissance d\u2019un Dieu \nde mis\u00e9ricorde et de bont\u00e9. \n \u2013 330 \u2013 \u2013 \u00d4 Marianne, ma bien-aim\u00e9e Ma rianne ! s\u2019\u00e9cria Robin en \n\u00e9clatant en sanglots ; la sainte Vierge nous a-t-elle donc aban-\ndonn\u00e9s \u00e0 ce point qu\u2019elle puisse permettre l\u2019an\u00e9antissement de \nnos c\u0153urs ; je mourrai de ta mort , Marianne, car il me sera im-\npossible de vivre sans toi. \n \n\u2013 La religion et le devoir seront les appuis de ta faiblesse, \nmon bien-aim\u00e9 Robin, reprit tend rement la jeune femme ; tu te \nr\u00e9signeras \u00e0 subir le malheur qui nous accable, parce qu\u2019il t\u2019aura \u00e9t\u00e9 impos\u00e9 par un d\u00e9cret du ciel, et tu vivras, sinon heureux, du \nmoins calme et fort au milieu des hommes dont le bonheur re-pose sur ta vie. Je vais donc te quitter, ami ; mais, avant de fer-\nmer mes regards \u00e0 la lumi\u00e8re du jour, laisse-moi te dire combien je t\u2019aime, combien je t\u2019ai aim\u00e9. Si la reconnaissance qui remplit tout mon \u00eatre pouvait rev\u00eatir une forme visible, tu comprendrais la force et l\u2019\u00e9tendue d\u2019un sentiment qui n\u2019a d\u2019\u00e9gal que mon \na m o u r . J e t \u2019 a i a i m \u00e9 , R o b i n , a v e c l e c o n f i a n t a b a n d o n d \u2019 u n c \u0153 u r d\u00e9vou\u00e9 ; je t\u2019ai consacr\u00e9 ma vie en demandant \u00e0 Dieu de m\u2019accorder le don de toujours te plaire. \n \u2013 Et Dieu t\u2019a accord\u00e9 ce don, ch\u00e8re Marianne, dit Robin en \nessayant de mod\u00e9rer l\u2019effervescence de sa douleur ; car je puis te \ndire \u00e0 mon tour que, seule, tu as occup\u00e9 mon c\u0153ur, que, pr\u00e9sente \n\u00e0 mes c\u00f4t\u00e9s ou \u00e9loign\u00e9e de moi, tu as toujours \u00e9t\u00e9 mon unique \nesp\u00e9rance, ma plus douce consolation. \n \u2013 Si le ciel nous avait permis de vieillir l\u2019un aupr\u00e8s de l\u2019autre, \ncher Robin, reprit Marianne ; s\u2019il nous avait accord\u00e9 une longue suite de jours heureux, la s\u00e9para tion serait plus cruelle encore, \npuisque tu aurais moins de force pour en supporter la poignante douleur. Mais nous sommes jeunes tous deux, et je te laisse seul \u00e0 une \u00e9poque de la vie o\u00f9 la solitu de se comble par les souvenirs, \npeut-\u00eatre aussi par l\u2019esp\u00e9rance\u2026 Prends-moi dans tes bras, cher \nRobin ; c\u2019est cela\u2026 laisse-moi appuyer maintenant ma t\u00eate contre la tienne. Je veux caresser ton oreille de mes derni\u00e8res paroles ; je veux que mon \u00e2me s\u2019envole l\u00e9g\u00e8re et souriante ; je veux exhaler sur ton c\u0153ur mon dernier soupir\u2026 \n \u2013 331 \u2013 \u2013 Ma bien-aim\u00e9e Marianne, ne parle pas ainsi ! s\u2019\u00e9cria Robin \nd\u2019une voix d\u00e9chirante. Je ne puis entendre prononcer par tes l\u00e8-\nvres ce mot funeste de s\u00e9paration. \u00d4 sainte m\u00e8re de Dieu ! sainte \nprotectrice des afflig\u00e9s ! toi qu i as toujours exau c\u00e9 mes humbles \npri\u00e8res ! accorde-moi la vie de ce lle que j\u2019aime, accorde-moi la vie \nde ma femme ; je t\u2019en prie, je t\u2019 en supplie les mains jointes et \u00e0 \ndeux genoux ! \n \nEt Robin, le visage couvert de larmes, \u00e9tendait vers le ciel ses \nmains suppliantes. \n \n\u2013 Tu adresses \u00e0 la divine m\u00e8re du Sauveur des hommes une \ninutile pri\u00e8re, cher bien-aim\u00e9, dit Marianne en appuyant son front p\u00e2li sur l\u2019\u00e9paule de Robin. Mes jours, que dis-je, mes heures \nsont compt\u00e9es. Dieu m\u2019a envoy\u00e9 un r\u00eave pour m\u2019en avertir ! \n \n\u2013 Un r\u00eave ! Que veux-tu dire, ch\u00e8re enfant ? \u2013 Oui, un r\u00eave ; \u00e9coute-moi. Je t\u2019ai vu, entour\u00e9 de tes joyeux \nhommes, dans une vaste clairi\u00e8re de la for\u00eat de Sherwood. Tu \ndonnais sans doute une f\u00eate \u00e0 tes braves compagnons, car les ar-bres du vieux bois \u00e9taient enlac\u00e9s de guirlandes de roses et des banderoles de pourpre se gonflaient joyeusement sous le souffle parfum\u00e9 de la brise. J\u2019\u00e9tais assise aupr\u00e8s de toi, je tenais une de tes mains press\u00e9e entre les miennes et je me sentais le c\u0153ur en-vahi par un sentiment d\u2019indicible joie, lorsqu\u2019un \u00e9tranger au vi-\nsage p\u00e2le et aux v\u00eatements noirs se pla\u00e7a devant nous, et de la main, me fit signe de le suivre. Je me levai malgr\u00e9 moi, malgr\u00e9 \nmoi encore je r\u00e9pondis au singulier appel du sombre visiteur. \nN\u00e9anmoins, avant de m\u2019\u00e9loigner, j\u2019interrogeai tes yeux, car ma \nbouche ne pouvait laisser \u00e9chapper m\u00eame un soupir de ma poi-trine gonfl\u00e9e d\u2019angoisses : ton rega rd souriant et calme rencontra \nle mien ; je te montrai l\u2019inconnu, tu tournas la t\u00eate vers lui et tu \nsouris encore ; je te fis comprendre qu\u2019il m\u2019emmenait loin de toi ; une l\u00e9g\u00e8re p\u00e2leur se r\u00e9pandit sur ton visage, mais le sourire ne quittait pas tes l\u00e8vres. J\u2019\u00e9tais d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e, un tremblement convul-sif s\u2019empara de moi et je me pris \u00e0 sangloter la t\u00eate dans mes \nmains. \u2013 332 \u2013 \n\u00bb L\u2019inconnu m\u2019entra\u00eenait toujours. Lorsque nous nous trou-\nv\u00e2mes \u00e0 quelques pas de la clairi \u00e8re, une femme voil\u00e9e se pr\u00e9sen-\nt a d e v a n t n o u s ; l \u2019 i n c o n n u s e r e t i r a e n a r r i \u00e8 r e , e t c e t t e f e m m e , \nsoulevant le voile qui me cachait ses traits, me montra le doux visage de ma m\u00e8re. \n \u00bb Je jetai un cri, et tremblan te de surprise, de bonheur et \nd\u2019effroi, je tendis les bras vers ma m\u00e8re. \n \u00bb \u2013 Ch\u00e8re enfant, me dit-elle d\u2019une voix tendre et m\u00e9lo-\ndieuse, ne pleure pas, subis avec la r\u00e9signation d\u2019une \u00e2me chr\u00e9-tienne la destin\u00e9e commune \u00e0 tous les mortels. Meurs en paix et \nabandonne sans douleur un monde qui n\u2019a \u00e0 t\u2019offrir que de vains \nplaisirs et d\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8res joies. Il existe au-del\u00e0 de la terre un s\u00e9jour de b\u00e9atitude, infinie, viens l\u2019habiter avec moi ; mais avant de me \nsuivre, regarde ! \u2013 En achevant ces mots, ma m\u00e8re passa sur mon front sa main blanche et froide comme une main de marbre. \u00c0 ce contact, mon regard, obscurci par les larmes, se d\u00e9gagea de ses voiles, et je vis autour de moi un cercle resplendissant de jeunes filles, mais d\u2019une beaut\u00e9 surhumaine, et sur leurs figures \u00e9clatan-tes de fra\u00eecheur s\u2019\u00e9panouissait un divin sourire. Elles ne parlaient \npas, elles me regardaient et semb laient me faire comprendre que \nje devais me trouver heureuse de venir augmenter leur nombre. Tandis que j\u2019admirais mes fu tures compagnes, ma m\u00e8re \ns\u2019inclinait vers moi et me disait tendrement : \n \u00bb \u2013 Ch\u00e8re fille de mon c\u0153ur, regarde, regarde encore. \n\u00bb J\u2019ob\u00e9is \u00e0 la douce injonction de ma m\u00e8re, Tout autour de \nmoi s\u2019\u00e9tendait un immense parterre de fleurs odorif\u00e9rantes, des \narbres surcharg\u00e9s de fruits allo ngeaient leurs branches sur un \n\u00e9pais gazon, et les pommes vermeilles, les poires \u00e0 la teinte dor\u00e9e, se cachaient ensemble sous les touffes d\u2019une herbe fleurie de \nblanches p\u00e2querettes. Un parfum su ave se r\u00e9pandait dans l\u2019air, et \nune multitude d\u2019oiseaux aux couleurs multicolores voltigeaient en chantant dans cette atmosph\u00e8re embaum\u00e9e. J\u2019\u00e9tais ravie ; mon c\u0153ur si gonfl\u00e9 de chagrin se dilatait doucement, et ma m\u00e8re, sou-\u2013 333 \u2013 riante de ma joie, me dit encore avec une expression de cares-\nsante tendresse : \n \n\u00bb \u2013 Regarde, ch\u00e8re enfant, regarde. \n \u00bb Un bruit de pas l\u00e9gers se fit entendre derri\u00e8re moi. Ce bruit \n\u00e0 peine perceptible, r\u00e9sonna \u00e0 mon oreille comme une harmonie, et sans me rendre compte de la sensation qui redoublait les bat-\ntements de mon c\u0153ur, je me retournai. \n \n\u00bb Oh ! alors, Robin, mon bonheur fut au comble, car je te vis, \ntu traversais en courant les all\u00e9es du parterre, tu venais \u00e0 moi, les \nyeux brillants, les bras \u00e9tendus. \n \u00bb \u2013 Robin ! Robin ! m\u2019\u00e9criai-je en faisant un effort pour \nm\u2019\u00e9lancer vers toi. \n \n\u00bb Ma m\u00e8re me retint. \u00bb \u2013 Il va venir, me dit-elle. Il vient, le voil\u00e0. \u00bb Et, prenant nos deux mains, elle les joignit ensemble, me \nbaisa au front et nous dit : \n \u00bb \u2013 Mes enfants, vous \u00eates o\u00f9 le bonheur est \u00e9ternel, o\u00f9 \nl\u2019amour n\u2019a jamais de fin, vous \u00eates dans le s\u00e9jour des \u00e9lus ; soyez \nheureux ! \n \u00bb La fin de mon r\u00eave \u00e9chappe \u00e0 ma m\u00e9moire, cher Robin, re-\nprit Marianne apr\u00e8s un court silence. Je me suis r\u00e9veill\u00e9e et j\u2019ai compris que le ciel m\u2019envoyait un avertissement et une esp\u00e9rance. \nJe dois te quitter pour de long ues ann\u00e9es, sans doute, mais non \npour toujours ; Dieu nous r\u00e9unira dans la bienheureuse \u00e9ternit\u00e9 de l\u2019autre monde. \u00bb \n \u2013 Ch\u00e8re, ch\u00e8re Marianne ! \u2013 334 \u2013 \u2013 Mon bien-aim\u00e9, continua la jeune femme, je sens que mes \nderni\u00e8res forces s\u2019\u00e9puisent ; lais se reposer ma t\u00eate sur ton c\u0153ur, \nentoure-moi de tes bras, et semblable \u00e0 un enfant fatigu\u00e9 qui \ns\u2019endort sur le sein de sa m\u00e8re , je m\u2019endormirai du dernier som-\nmeil. \u2013 Robin embrassa fi\u00e9vreusement la mourante et des larmes \nde feu tomb\u00e8rent sur le front de Marianne. \u2013 Que Dieu te b\u00e9nisse, \nmon bien-aim\u00e9, reprit la jeune femme d\u2019une voix de plus en plus faible ; que Dieu te b\u00e9nisse, dans le pr\u00e9sent et dans l\u2019avenir, qu\u2019il \nr\u00e9pande sur toi et sur ceux que tu aimes sa divine b\u00e9n\u00e9diction. \nTout devient obscur autour de moi, et cependant je voudrais en-core te voir sourire, je voudrais encore lire dans tes yeux combien j e t e s u i s c h \u00e8 r e . R o b i n , j \u2019 e n t e n d s l a v o i x d e m a m \u00e8 r e ; e l l e m\u2019appelle, adieu !\u2026 \n \u2013 Marianne ! Marianne ! s\u2019\u00e9cria Robin en tombant \u00e0 genoux \naupr\u00e8s du lit de la jeune femme ; parle-moi ! parle-moi ! Je ne \nveux pas que tu meures ! non, je ne le veux pas. Dieu puissant ! venez \u00e0 mon aide ! Vierge sainte, prenez piti\u00e9 de nous ! \n \u2013 Cher Robin, murmura Marianne, je d\u00e9sire \u00eatre enterr\u00e9e \nsous l\u2019arbre du Rendez-Vous\u2026 Je d\u00e9sire que ma tombe soit cou-\nverte de fleurs\u2026 \n \u2013 Oui, ma tr\u00e8s ch\u00e8re Marianne , oui, mon doux ange, tu dor-\nmiras sous un tapis de verdure embaum\u00e9e, et quand ma derni\u00e8re heure sera venue, je l\u2019appelle de tous mes v\u0153ux, je demanderai une place aupr\u00e8s de toi \u00e0 celui qui me fermera les yeux\u2026 \n \u2013 Merci, mon bien-aim\u00e9 ; le dernier battement de mon c\u0153ur \nest pour toi, et je meurs heureuse, puisque je meurs dans tes bras\u2026 Adieu, ad\u2026 \n Un soupir tomba avec un baiser des l\u00e8vres de Marianne ; ses \nmains press\u00e8rent faiblement le co u de Robin autour duquel elles \n\u00e9taient enlac\u00e9es, puis elle resta immobile. \n Robin demeura longtemps pench\u00e9 sur ce doux visage ; long-\ntemps il esp\u00e9ra voir s\u2019ouvrir les yeux qui s\u2019\u00e9taient ferm\u00e9s ; long-\u2013 335 \u2013 temps il attendit une parole de ces l\u00e8vres p\u00e2les, un tressaillement \nde cet \u00eatre si cher ; mais, h\u00e9las ! il attendit en vain, Marianne \u00e9tait morte ! \n \n\u2013 Sainte m\u00e8re de Dieu ! s\u2019\u00e9cria Robin en reposant sur le lit le \ncorps inerte de la pauvre jeune femme ; elle est partie ! partie pour toujours, ma bien-aim\u00e9e, mon seul bonheur, ma femme ! \n \nEt, fou de douleur, le malheureux s\u2019\u00e9lan\u00e7a hors de la tente en \ncriant : \n \n\u2013 Marianne est morte ! Marianne est morte ! \u2013 336 \u2013 XIV \n \nRobin Hood accomplit religieusement la derni\u00e8re volont\u00e9 de \nsa femme ; il fit creuser une fosse sous l\u2019arbre du Rendez-Vous, et \nles d\u00e9pouilles mortelles de l\u2019ange qui avait \u00e9t\u00e9 l\u2019\u00e9gide et le conso-\nlateur de sa vie furent ensevelies sous une couche de fleurs. Les jeunes filles du comt\u00e9, accourues en foule pour assister \u00e0 la fun\u00e8-bre c\u00e9r\u00e9monie de l\u2019enterrement, couvrirent de guirlandes de roses la tombe de Marianne, et m\u00eal\u00e8rent leurs larmes aux sanglots du \nmalheureux Robin. \n \nAllan et Christabel, avertis par message du fatal \u00e9v\u00e9nement, \narriv\u00e8rent aux premi\u00e8res heures du jour ; tous deux \u00e9taient au d\u00e9sespoir, et ils pleur\u00e8rent am\u00e8rement la perte irr\u00e9parable de leur bien-aim\u00e9e s\u0153ur. \n Lorsque tout fut achev\u00e9, lorsque le corps de Marianne eut \ndisparu \u00e0 tous les regards, Robin Hood, qui avait pr\u00e9sid\u00e9 aux na-\nvrants d\u00e9tails de l\u2019inhumation, jeta un cri d\u00e9chirant, tressaillit de \nla t\u00eate aux pieds comme le fait un homme atteint en pleine poi-trine par une fl\u00e8che meurtri\u00e8re, et sans \u00e9couter Allan, sans r\u00e9-\npondre \u00e0 Christabel, tout effray\u00e9s de ce d\u00e9sespoir furieux, il \ns\u2019\u00e9chappa de leurs mains et disparut dans le bois. Le pauvre Ro-bin voulait \u00eatre seul, seul avec sa douleur, seul avec Dieu. \n Le temps, qui calme et adoucit les plus grandes blessures, \nn\u2019eut aucune influence sur celle qu i faisait une plaie vive du c\u0153ur \nde Robin Hood. Il pleura sans ce sse, il pleura toujours la femme \nqui avait \u00e9clair\u00e9 de son doux vi sage la demeure du vieux bois, \ncelle qui avait trouv\u00e9 le bonheur dans son amour, qui avait \u00e9t\u00e9 la \nseule joie de son existence. \n Le s\u00e9jour de la for\u00eat devint bient\u00f4t insupportable au jeune \nhomme, et il se retira au hall de Barnsdale ; mais l\u00e0, les d\u00e9chi-\u2013 337 \u2013 rants souvenirs du pass\u00e9 furent pl us vifs encore, et Robin Hood \ntomba dans la morne apathie que donne l\u2019engourdissement de \ntoutes les facult\u00e9s morales. Il ne vivait plus, ni par l\u2019esprit, ni par \nla pens\u00e9e, ni m\u00eame par le souvenir. \n \nCette tristesse spl\u00e9n\u00e9tique, si l\u2019on peut s\u2019exprimer ainsi, jeta \nsur la bande des joyeux hommes les ombres noires d\u2019une pro-fonde m\u00e9lancolie. Les larmes du jeune chef avaient \u00e9teint toute \nlueur de gaiet\u00e9, et dans les sent iers du vieux bois erraient pensi-\nvement, comme des \u00e2mes en peine, les pauvres forestiers. On \nn\u2019entendait plus retentir sous l\u2019ombrage des vertes feuilles le gros rire du moine Tuck ; on n\u2019entendait plus r\u00e9sonner au milieu d\u2019un concert de bravos les b\u00e2tons agiles luttant de vigueur et d\u2019adresse ; les fl\u00e8ches restaient in offensives dans les carquois, et \nle tir \u00e9tait abandonn\u00e9. \n \nLa privation de sommeil, le d\u00e9go\u00fbt de toute nourriture, ame-\nn\u00e8rent un visible changement dans les traits de Robin ; il p\u00e2lit, ses yeux se cercl\u00e8rent d\u2019une teinte de bistre, une toux s\u00e8che fati-gua sa poitrine, et une fi\u00e8vre lente acheva l\u2019\u0153uvre commenc\u00e9e par le chagrin. Petit-Jean, qui assistait en silence \u00e0 cette cruelle trans-formation, parvint un jour \u00e0 faire comprendre \u00e0 Robin qu\u2019il devait non seulement s\u2019\u00e9loigner de Barnsdale, mais encore du Yorkshire, et chercher dans les distractions d\u2019un voyage un soulagement \u00e0 sa \ndouleur. Apr\u00e8s une heure de r\u00e9sistance, Robin s\u2019\u00e9tait rendu aux sages conseils de Petit-Jean, et avant de se s\u00e9parer de ses compa-\ngnons, il les avait plac\u00e9s sous le commandement de son excellent ami. \n \nAfin de voyager dans le plus strict incognito, Robin avait re-\nv \u00ea t u u n c o s t u m e d e p a y s a n , e t c e f u t d a n s c e m o d e s t e \u00e9 q u i p a g e \nqu\u2019il arriva \u00e0 Scarborough. Il s\u2019 arr\u00eata pour prendre quelque repos \n\u00e0 la porte d\u2019une pauvre chaumi\u00e8r e habit\u00e9e par la veuve d\u2019un p\u00ea-\ncheur, et lui demanda l\u2019hospitalit\u00e9. La bonne vieille fit un accueil \namical \u00e0 notre h\u00e9ros, et tout en lui servant son repas, elle lui ra-conta les petites mis\u00e8res de sa vie, et lui dit qu\u2019elle poss\u00e9dait un \nbateau \u00e9quip\u00e9 par trois hommes, dont l\u2019entretien \u00e9tait pour elle bien lourd, quoique ces hommes fussent insuffisants pour \u2013 338 \u2013 conduire le bateau et le ramener \u00e0 la berge alors qu\u2019il \u00e9tait charg\u00e9 \nde poisson. \n \nD\u00e9sireux de tuer le temps d\u2019une mani\u00e8re quelconque, Robin \nHood offrit \u00e0 la vieille femme de compl\u00e9ter pour un mince salaire \nle nombre de ses compagnons, et la paysanne, tout enchant\u00e9e des \nbonnes dispositions de son h\u00f4te, accepta de grand c\u0153ur ses offres \nde services. \n \u2013 Comment vous nommez-vous, mon gentil gar\u00e7on ? de-\nmanda la vieille femme lorsque les arrangements de l\u2019installation \nde Robin Hood dans la chaumi\u00e8re furent termin\u00e9s. \n \u2013 Je porte le nom de Simon de Lee, ma brave dame, r\u00e9pondit \nRobin Hood. \n \n\u2013 E h b i e n ! S i m o n d e L e e , v o u s v o u s m e t t r e z d e m a i n \u00e0 \nl\u2019ouvrage, et si le m\u00e9tier vous convient, nous resterons longtemps ensemble. \n D\u00e8s le lendemain, Robin Hood s\u2019en alla sur mer avec ses \nnouveaux compagnons ; mais nous sommes oblig\u00e9s de dire que, \nen d\u00e9pit de tous les efforts de sa volont\u00e9, Robin, qui ignorait \nm\u00eame les premiers \u00e9l\u00e9ments de la man\u0153uvre, ne put \u00eatre utile en \nrien aux habiles p\u00eacheurs. Heureusement pour notre ami, il n\u2019avait point affaire \u00e0 de mauvais camarades, et au lieu de le \ngourmander sur son ignorance, ils se content\u00e8rent de rire de l\u2019id\u00e9e qu\u2019il avait eue d\u2019apporter avec lui ses fl\u00e8ches et son arc. \n \n\u2013 Si je tenais ces gaillards-l\u00e0 dans la for\u00eat de Sherwood, pen-\nsait Robin, ils ne seraient pas aussi empress\u00e9s de rire \u00e0 mes d\u00e9-\npens ; mais, bah ! \u00e0 chacun son m\u00e9tier ; je ne les vaux pas bien \ncertainement dans celui qu\u2019ils exercent. \n Apr\u00e8s avoir rempli le bateau de poisson jusqu\u2019au plat bord, \nles p\u00eacheurs d\u00e9ferl\u00e8rent les voiles et se dirig\u00e8rent vers la jet\u00e9e. Tout en marchant, ils aper\u00e7urent une petite corvette fran\u00e7aise qui se dirigeait sur eux. La corvette paraissait avoir peu de monde \u00e0 \u2013 339 \u2013 son bord, n\u00e9anmoins les p\u00eacheurs parurent \u00e9pouvant\u00e9s de son \napproche, et s\u2019\u00e9cri\u00e8rent qu\u2019ils \u00e9taient perdus. \n \n\u2013 Perdus ! et pourquoi donc ! demanda Robin. \n \u2013 Pourquoi ? niais que tu es ! r\u00e9pondit un des p\u00eacheurs ; \nparce que cette corvette est mo nt\u00e9e par des hommes ennemis de \nnotre nation ; parce que nous sommes en guerre avec eux ; parce \nque s\u2019ils nous abordent ils nous feront prisonniers. \n \n\u2013 J\u2019esp\u00e8re bien qu\u2019ils n\u2019y r\u00e9ussiront pas, r\u00e9pondit Robin ; \nnous t\u00e2cherons de nous d\u00e9fendre. \n \u2013 Quelle d\u00e9fense pourrions-nous opposer ? Ils sont une \nquinzaine et nous sommes trois. \n \n\u2013 Vous ne me comptez donc pas, mon brave ? demanda Ro-\nbin. \n \u2013 Non, mon gar\u00e7on ; tu as les mains trop blanches pour en \navoir jamais \u00e9corch\u00e9 l\u2019\u00e9piderme au contact de la rame et de l\u2019aviron. Tu ne connais pas la mer, et si tu tombais \u00e0 l\u2019eau, il y au-\nrait sur la terre un imb\u00e9cile de moins. Ne prends pas la mouche, \ntu es tr\u00e8s gentil, je te porte dans mon c\u0153ur ; mais tu ne vaux pas le pain que tu manges. \n Un demi-sourire effleura les l\u00e8vres de Robin. \u2013 Je n\u2019ai pas l\u2019amour-propre chatouilleux, dit-il ; cependant, \nje d\u00e9sire vous donner la preuve que je puis encore \u00eatre bon \u00e0 \nquelque chose au moment du danger. Mon arc et mes fl\u00e8ches vont nous tirer d\u2019embarras. Attachez-moi a u m \u00e2 t ; i l f a u t q u e j \u2019 a i e l a \nmain s\u00fbre, et laissez venir la corvette \u00e0 port\u00e9e de mes fl\u00e8ches. \n Les p\u00eacheurs ob\u00e9irent ; Robin fut solidement attach\u00e9 au \ngrand m\u00e2t, et son arc tendu, il attendit. \n \u2013 340 \u2013 Aussit\u00f4t que la corvette se fu t rapproch\u00e9e, Robin visa un \nhomme qui se trouvait \u00e0 l\u2019avant du vaisseau et l\u2019envoya, une fl\u00e8-\nc h e d a n s l e c o u , t o m b e r s a n s v i e au milieu du pont. Un second \nmatelot eut le m\u00eame sort. Les p\u00each eurs, un instant effar\u00e9s de sur-\nprise et de ravissement, jet\u00e8rent un cri de triomphe, et celui qui \navait la priorit\u00e9 sur ses compagnons d\u00e9signa \u00e0 Robin l\u2019homme qui \nse tenait au gouvernail de la corvette. Robin le tua aussi rapide-ment qu\u2019il avait tu\u00e9 les deux autres. \n Les deux vaisseaux se plac\u00e8rent bord \u00e0 bord ; il ne restait \nplus que dix hommes sur la corvette , et bient\u00f4t Robin eut r\u00e9duit \u00e0 \ntrois le nombre des malheureux Fran\u00e7ais. Aussit\u00f4t que les p\u00ea-cheurs se furent aper\u00e7us qu\u2019il ne restait plus que trois hommes \nsur le b\u00e2timent, ils r\u00e9solurent de s\u2019en emparer, et cela leur fut d\u2019autant plus facile que les Fran\u00e7ais, voyant que toute d\u00e9fense \u00e9tait dangereuse et inutile, avaient mis bas les armes et s\u2019\u00e9taient \nrendus \u00e0 discr\u00e9tion. Les matelots eu rent la vie sauve et la libert\u00e9 \nde regagner la France su r un bateau de p\u00eacheur. \n La corvette fran\u00e7aise \u00e9tait de bonne prise, car elle portait au \nroi de France une grosse somme d\u2019argent : douze mille livres. \n Il va sans dire qu\u2019en prenant possession de ce tr\u00e9sor inesp\u00e9-\nr\u00e9, les braves p\u00eacheurs adress\u00e8rent \u00e0 celui dont ils s\u2019\u00e9taient si bien moqu\u00e9s quelques heures auparavant d\u2019amicales excuses ; puis, avec un d\u00e9sint\u00e9ressement plein de c\u0153ur, ils d\u00e9clar\u00e8rent que la prise appartenait tout enti\u00e8re \u00e0 Ro bin, parce que Robin avait seul \nd\u00e9cid\u00e9 la victoire par son adresse et son intr\u00e9pidit\u00e9. \n \n\u2013 Mes bons amis, dit Robin, \u00e0 moi seul appartient le droit de \nr\u00e9soudre la question, et voici comment je d\u00e9sire arranger nos af-\nfaires : la moiti\u00e9 de la corvette et de son contenu deviendra la propri\u00e9t\u00e9 de la pauvre veuve \u00e0 qui appartient ce bateau, et le reste \nsera partag\u00e9 entre vous trois. \n \u2013 Non, non, dirent les hommes, nous ne souffrirons pas que \ntu te d\u00e9pouilles d\u2019un bien que tu as acquis sans l\u2019aide de per-\u2013 341 \u2013 sonne. Le vaisseau t\u2019appartient et, si tu le veux, nous serons tes \nserviteurs. \n \n\u2013 Je vous remercie, mes braves gar\u00e7ons, r\u00e9pondit Robin, \nmais je ne puis accepter les t\u00e9 moignages de votre d\u00e9vouement. Le \npartage de la corvette aura lieu suivant mon d\u00e9sir, et j\u2019emploierai \nles douze mille livres \u00e0 faire b\u00e2tir pour vous et pour les pauvres \nhabitants de la baie de Scarborough des maisons plus saines que \ncelles que vous poss\u00e9dez. \n \nLes p\u00eacheurs tent\u00e8rent, mais inutilement, de modifier le pro-\njet de Robin ; ils tent\u00e8rent de lui persuader qu\u2019en donnant \u00e0 la veuve, aux pauvres et \u00e0 eux-m\u00eame s un quart des douze mille li-\nvres, il agirait encore tr\u00e8s g\u00e9n\u00e9reusement ; mais Robin ne voulut rien entendre, et finit par imposer silence \u00e0 ses honn\u00eates compa-gnons. \n \nRobin Hood s\u00e9journa pendant quelques semaines au milieu \ndes bonnes gens que sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 avait rendus si heureux ; puis u n m a t i n , f a t i g u \u00e9 d e l a m e r , a f f a m \u00e9 d u d \u00e9 s i r d e r e v o i r l e v i e u x bois et ses chers compagnons, il r\u00e9unit les p\u00eacheurs et leur an-non\u00e7a son d\u00e9part. \n \u2013 M e s b o n s a m i s , d i t R o b i n , j e m e s \u00e9 p a r e d e v o u s l e c \u0153 u r \nplein de reconnaissance pour les soins et toutes les attentions que vous avez eus pour moi. Nous ne nous reverrons probablement jamais ; cependant, je d\u00e9sire que vous conserviez un bon souvenir \u00e0 celui qui a \u00e9t\u00e9 votre h\u00f4te, \u00e0 votre ami Robin Hood. \n \nAvant que les p\u00eacheurs, \u00e9bahis de surprise, eussent eu le \ntemps de reprendre l\u2019usage de la parole, Robin Hood avait dispa-\nru. \n \nAujourd\u2019hui encore, la petite baie qui a abrit\u00e9 sous l\u2019humble \ntoit de ses chaumi\u00e8res le c\u00e9l\u00e8bre outlaw, porte le nom de baie de Robin Hood. \n \u2013 342 \u2013 Ce fut aux premi\u00e8res heures d\u2019 une belle matin\u00e9e de juin que \nRobin atteignit les lisi\u00e8res du bois de Barnsdale. Il p\u00e9n\u00e9tra, \nl\u2019esprit agit\u00e9 par une profonde \u00e9motion, dans une \u00e9troite all\u00e9e de \nla for\u00eat, o\u00f9 bien des fois, h\u00e9las ! la ch\u00e8re cr\u00e9ature dont il devait \n\u00e9ternellement pleurer l\u2019absence \u00e9tai t venue l\u2019attendre, le c\u0153ur en \njoie et le sourire aux l\u00e8vres. Apr\u00e8 s quelques instants d\u2019une muette \ncontemplation des lieux t\u00e9moins de son bonheur perdu, Robin \nrespira plus librement ; il se sentit revivre dans le pass\u00e9, et le sou-\nvenir de Marianne glissa l\u00e9ger et suave comme une odorante va-\npeur le long des all\u00e9es sombres, sur les pelouses fleuries, dans les clairi\u00e8res largement ombrag\u00e9es par des rideaux de ch\u00eanes s\u00e9cu-laires contre les rayons du soleil. Robin Hood suivit l\u2019ombre ch\u00e9-rie, il p\u00e9n\u00e9tra avec elle dans les bosquets touffus, il descendit sur ses traces au fond des vall\u00e9es, et ce fut toujours accompagn\u00e9 par \ncette douce vision qu\u2019il arriva au carrefour o\u00f9 se tenait d\u2019habitude \nle corps principal des joyeux hommes. \n \nCe jour-l\u00e0, le vaste emplacement \u00e9tait vide : Robin porta un \ncor de chasse \u00e0 ses l\u00e8vres et fit retentir les profondeurs du bois \nd\u2019un violent appel. \n Un cri, ou plut\u00f4t une sorte de clameur r\u00e9pondit \u00e0 la voix du \ncor : les branches des arbres qui entouraient le carrefour s\u2019\u00e9cart\u00e8rent brusquement, et Wi ll \u00c9carlate, suivi de toute la \nbande, s\u2019\u00e9lan\u00e7a les bras \u00e9tendus au devant de Robin Hood. \n \u2013 Cher Rob, tr\u00e8s cher ami, murmura le beau Will d\u2019une voix \nentrecoup\u00e9e, vous voil\u00e0 donc enfi n de retour ; b\u00e9ni soit le Sei-\ngneur ! Nous vous attendions avec une bien vive impatience, \nn\u2019est-ce pas vrai, Petit-Jean ? \n \n\u2013 Oui, c\u2019est vrai, r\u00e9pondit Jean, dont les yeux pleins de lar-\nmes contemplaient douloureusement le p\u00e2le visage du voyageur ; \net Robin a eu piti\u00e9 de notre inqui\u00e9tude et de nos angoisses, puis-qu\u2019il est revenu. \n \u2013 Oui, mon cher Jean, et je l\u2019esp\u00e8re, pour ne plus te quitter. \u2013 343 \u2013 Jean prit la main de Robin Hood et la lui serra avec une vio-\nlence si pleine de tendresse qu e le jeune homme n\u2019osa pas se \nplaindre de la douleur que cette ardente passion lui fit \u00e9prouver. \n \n\u2013 Soyez le bienvenu au milieu de nous, Robin Hood ! cri\u00e8-\nrent joyeusement les forestiers ; soyez mille fois le bienvenu ! \n Les transports d\u2019all\u00e9gresse exci t\u00e9s par sa pr\u00e9sence \u00e9tendirent \nun baume rafra\u00eechissant sur l\u2019in curable plaie du c\u0153ur de notre \nh\u00e9ros. Il sentit qu\u2019il ne devait pas s\u2019abandonner plus longtemps \u00e0 \nsa douleur et laisser sans appui les braves gens qui s\u2019\u00e9taient atta-ch\u00e9s \u00e0 sa mauvaise fortune. \n Cette courageuse r\u00e9solution fit monter une rougeur br\u00fblante \nau front du pauvre Robin. H\u00e9las ! son c\u0153ur \u00e9tait en r\u00e9volte contre \nsa volont\u00e9 ; mais celle-ci fut la pl us forte, car, apr\u00e8s avoir adress\u00e9 \nau souvenir de Marianne un adieu mental, il tendit la main vers \nses fid\u00e8les serviteurs, et leur dit d\u2019une voix calme et forte : \n \n\u2013 D\u00e9sormais, chers compagnons, vous me trouverez en toute \nchose votre ami, votre guide et votre chef, Robin Hood le proscrit, le capitaine Robin Hood ! \n \u2013 Hourra ! cri\u00e8rent les forestiers en jetant leurs bonnets en \nl\u2019air ; hourra ! hourra ! \n \u2013 \u00c7a, qu\u2019on s\u2019amuse, dit Robin, et que la gaiet\u00e9 r\u00e8gne ici en-\ncore en souveraine ; aujourd\u2019hui le repos, demain la chasse et gare aux Normands ! \n Les nouveaux exploits de Robi n Hood devinrent bient\u00f4t le \nsujet de toutes les conversations en Angleterre, et les riches sei-gneurs du Nottinghamshire, du Derb yshire et du Yorkshire four-\nnirent largement aux besoins des pauvres et \u00e0 l\u2019entretien de la \nbande. \n De longues ann\u00e9es s\u2019\u00e9coul\u00e8rent sans amener de changement \ndans la situation des outlaws ; mais, avant de fermer ce livre, \u2013 344 \u2013 nous devons faire conna\u00eetre aux le cteurs la destin\u00e9e de quelques-\nuns de nos personnages. \n \nSir Guy de Gamwell et sa femme \u00e9taient morts dans un \u00e2ge \ntr\u00e8s avanc\u00e9, laissant leur fils au hall de Barnsdale, o\u00f9 ils s\u2019\u00e9taient \nretir\u00e9s en cessant de faire partie de la bande de Robin Hood. \n \nWill \u00c9carlate avait suivi l\u2019exemple donn\u00e9 par ses fr\u00e8res ; il \nhabitait une charmante maison av ec sa ch\u00e8re Maude, d\u00e9j\u00e0 m\u00e8re \nde plusieurs enfants, et toujours aussi tendrement aim\u00e9e de son mari qu\u2019aux premiers jours de leur union. Much et Barbara \u00e9taient venus s\u2019\u00e9tablir aupr\u00e8s de Maude ; mais Petit-Jean, qui \navait eu le malheur de perdre Winifred, n\u2019ayant aucune raison pour d\u00e9serter le bois, restait fid\u00e8lement aux ordres de Robin ; du reste, h\u00e2tons-nous de le dire, Je an aimait trop tendrement Robin \npour avoir jamais eu, m\u00eame un seul instant, la pens\u00e9e de le quit-\nt e r , e t l e s d e u x c o m p a g n o n s v i v a i e n t l \u2019 u n a u p r \u00e8 s d e l \u2019 a u t r e i n t i -mement convaincus que la mort se ule aurait la puissance de s\u00e9-\nparer leurs c\u0153urs. \n N\u2019oublions pas de dire quelqu es mots du brave Tuck, le \npieux chapelain qui a b\u00e9ni tant de mariages. Tuck \u00e9tait rest\u00e9 fi-d\u00e8le \u00e0 Robin ; il \u00e9tait toujours le consolateur spirituel de la bande, et il n\u2019avait rien perdu de ses remarquables qualit\u00e9s : il \u00e9tait tou-jours le digne moine ivrogne, bruyant et h\u00e2bleur. \n Halbert Lindsay, le fr\u00e8re de lait de Maude, nomm\u00e9 mar\u00e9chal \ndu ch\u00e2teau de Nottingham par Richard C\u0153ur-de-Lion, avait si bien rempli les devoirs de sa charge, qu\u2019il \u00e9tait parvenu \u00e0 la \nconserver. La femme de Hal, la jolie Gr\u00e2ce May, \u00e9tait rest\u00e9e \ncharmante en d\u00e9pit de la marche du temps, et sa petite Maude \npromettait toujours d\u2019\u00eatre dans l\u2019avenir le vivant portrait de sa m\u00e8re. \n Sir Richard de la Plaine vivait tranquille et heureux aupr\u00e8s \nde sa femme et de ses deux enfa nts Herbert et Lilas. L\u2019honn\u00eate \nSaxon gardait \u00e0 Robin Hood une reconnaissance et une affection qui ne devaient s\u2019\u00e9teindre qu\u2019a vec les derniers battements de son \u2013 345 \u2013 c\u0153ur, et c\u2019\u00e9tait f\u00eate au ch\u00e2teau lorsque Robin, attir\u00e9 par cet ai-\nmant de tendresse, y venait avec Pe tit-Jean se reposer de ses fati-\ngues. \n \nIl y avait peu de temps que la magna charta \u00e9tait sign\u00e9e, \nlorsque le roi Jean, apr\u00e8s une s\u00e9 rie d\u2019actions monstrueuses, se \nmit en personne \u00e0 la poursuite du jeune roi d\u2019\u00c9cosse, qui fuyait \ndevant lui, et marcha vers Notti ngham en semant sur son passage \nla d\u00e9solation et la terreur. Jean \u00e9tait accompagn\u00e9 de plusieurs g\u00e9n\u00e9raux, et les exploits de ces derniers leur ont valu les surnoms \n\u00e9nergiques, l\u2019un de Jaleo Sans-Ent railles, l\u2019autre de Maul\u00e9on le \nSanglant, Walter Much le Meurtrie r, Sottim le Cruel, Godeschal \nau C\u0153ur de Bronze. Ces mis\u00e9rables \u00e9taient les chefs d\u2019une bande de mercenaires \u00e9trangers, et les traces de leurs pas \u00e9taient le viol, la mort et l\u2019incendie. Le bruit de l\u2019approche de cette arm\u00e9e de bri-gands sonnait comme un glas fun\u00e8bre aux oreilles des popula-\ntions \u00e9pouvant\u00e9es, qui fuyaient en d\u00e9sordre, abandonnant leurs demeures \u00e0 la merci des Normands. \n Robin Hood apprit l\u2019odieuse conduite des soldats et il r\u00e9solut \naussit\u00f4t de leur infliger les suppli ces qu\u2019ils faisaient subir \u00e0 leurs \nfaibles victimes. \n Les forestiers r\u00e9pondirent \u00e0 l\u2019appe l de leur chef avec un en-\nthousiasme qui e\u00fbt fait frissonner les hommes du roi Jean, tant la haine du vaincu contre le vain queur, du Saxon contre le Nor-\nmand, s\u2019y montrait implacable. \n La bande pr\u00e9par\u00e9e au combat, Robin Hood attendit. \n \nEn approchant de la for\u00eat de Sherwood, les chefs normands \nenvoy\u00e8rent en \u00e9claireurs une petite troupe de batteurs d\u2019estrade, et quand le gros de l\u2019arm\u00e9e p\u00e9n\u00e9tra sous bois, il aper\u00e7ut, pendus aux branches des arbres, inanim\u00e9s sur le chemin, expirant dans la poussi\u00e8re, les hommes dont ils avaient vainement attendu le re-tour. Ce terrifiant spectacle gla\u00e7 a quelque peu l\u2019ardeur guerri\u00e8re \ndes Normands ; n\u00e9anmoins, comme ils \u00e9taient en nombre, ils continu\u00e8rent leur marche. Le plan de Robin ne pouvait \u00eatre \u2013 346 \u2013 d\u2019attaquer ouvertement une arm\u00e9e to ut enti\u00e8re, il ne devait de-\nmander le succ\u00e8s qu\u2019\u00e0 la ruse ; aussi employa-t-il adroitement \nl\u2019agilit\u00e9 de ses hommes et leur inimitable adresse. Il harassa les \nsoldats en leur envoyant la mort par des fl\u00e8ches dont le point de \nd\u00e9part restait invisible ; il se mit \u00e0 leur suite, tuant les tra\u00eeneurs et massacrant sans piti\u00e9 tous ceux qu e leur mauvaise fortune faisait \ntomber entre ses mains. Une te rreur g\u00e9n\u00e9rale paralysa les mou-\nvements de l\u2019arm\u00e9e ; elle se vit perdue, et les id\u00e9es superstitieuses \nde l\u2019\u00e9poque lui permirent de croire qu\u2019elle \u00e9tait la proie des mal\u00e9-\nfices d\u2019un g\u00e9nie infernal. Un des chefs \u00e9trangers, Sottim le Cruel, voulut essayer de mettre fin \u00e0 un massacre qui mena\u00e7ait de jeter \nle d\u00e9sordre et la d\u00e9sunion dans le corps de l\u2019arm\u00e9e ; il ordonna une halte, engagea ses hommes, dans l\u2019int\u00e9r\u00eat de leur propre sa-lut, \u00e0 se rendre ma\u00eetres de leur \u00e9pouvante, et \u00e0 la t\u00eate d\u2019une cin-quantaine de Normands d\u00e9termin\u00e9s, il alla explorer les profon-deurs des taillis. Mais \u00e0 peine cette petite troupe se fut-elle enfon-\nc\u00e9e dans les inextricables d\u00e9tours d\u2019un sentier perdu, qu\u2019une vo-\nl\u00e9e de fl\u00e8ches descendit de la cime des arbres, monta du fond des halliers, et frappa de mort Sottim le Cruel et les cinquante sol-dats. \n La disparition de ces batteurs d\u2019estrade et de leur intr\u00e9pide \nchef redoubla l\u2019instinctive terreur des Normands et leur donna des ailes pour traverser la for\u00eat de Sherwood et atteindre Not-tingham. Arriv\u00e9s l\u00e0, bris\u00e9s de fati gue et exasp\u00e9r\u00e9s de col\u00e8re, ils se \nlivr\u00e8rent avec une nouvelle rage aux exc\u00e8s inqualifiables qui \navaient signal\u00e9 leur passage dans la vall\u00e9e de Mansfeld. \n Le lendemain de ces funestes repr\u00e9sailles, l\u2019arm\u00e9e, toujours \nconduite par le roi Jean, se dirigea vers le Yorkshire, incendiant et massacrant \u00e0 plaisir les inoffensifs habitants des villages qu\u2019elle traversait. \n Tandis que les Normands se creusaient ainsi un sillon de lar-\nmes, de sang et de feu, les Saxo ns, qui avaient \u00e9t\u00e9 les uns d\u00e9pouil-\nl\u00e9s de leurs biens, les autres violemment s\u00e9par\u00e9s de leurs femmes et de leurs enfants, se joignirent, ivres \u00e0 leur tour de meurtre et de \u2013 347 \u2013 carnage, \u00e0 la bande de Robin et notr e h\u00e9ros, \u00e0 la t\u00eate de huit cents \nbraves Saxons, se jeta \u00e0 la poursuite de la sanglante cohorte. \n \nUn bonheur providentiel prot\u00e9gea contre les Normands la \npaisible demeure d\u2019Allan Clare et le ch\u00e2teau de sir Richard de la \nPlaine. Ni l\u2019une ni l\u2019autre de ces deux maisons ne se trouva sur le \nchemin suivi par les pillards, car il va sans dire que Jean n\u2019\u00e9pargnait point les riches Saxons ; il les chassait de leurs habita-\ntions et donnait \u00e0 ses favoris le droit de s\u2019installer en ma\u00eetres au \nlieu et place des malheureux gentilshommes. Mais alors arri-vaient Robin Hood et ses formid ables compagnons et le nouveau \npropri\u00e9taire, les soldats qu\u2019il avait pris \u00e0 ses gages pour l\u2019aider \u00e0 maintenir par la force les droits de cette injuste usurpation, tom-\nbaient entre les mains des outlaw s qui les tuaient impitoyable-\nment. \n \nLe roi apprit par les clameurs publiques et les plaintes de ses \ngens la marche triomphante du ve ngeur des Saxons et il envoya \ncontre lui une petite fraction de son arm\u00e9e, esp\u00e9rant qu\u2019elle par-viendrait \u00e0 cerner la bande de Robin Hood, qu\u2019on avait dit instal-l\u00e9e dans un petit bois. Nous croyon s inutile de dire que les soldats \nde Jean n\u2019eurent m\u00eame pas la sa tisfaction de revenir confesser \nleur d\u00e9faite au roi ; ils furent tu\u00e9s avant m\u00eame d\u2019avoir gagn\u00e9 le \npr\u00e9tendu camp o\u00f9 ils devaie nt surprendre Robin Hood. \n Les prouesses de notre h\u00e9ros firent grand bruit en Angleterre \net son nom devint aussi formidable pour les Normands que l\u2019avait \n\u00e9t\u00e9 celui d\u2019Hereward le Wake \u00e0 le urs pr\u00e9d\u00e9cesseurs, sous le r\u00e8gne \nde Guillaume I\ner. \n \nJean gagna \u00c9dimbourg ; mais, n\u2019ayant pu s\u2019emparer du roi \nd\u2019\u00c9cosse, il se rendit \u00e0 Douvres, en laissant \u00e0 ses troupes diss\u00e9mi-\nn\u00e9es en plusieurs endroits l\u2019ordre de le rejoindre. Mais la plus \ngrande partie de ces troupes fure nt arr\u00eat\u00e9es par les hommes de \nRobin, les unes dans le Derbyshire, les autres dans le Yorkshire. Sur ces entrefaites, le roi Jean mo urut et son fils Henri lui succ\u00e9-\nda. \n \u2013 348 \u2013 Sous le r\u00e8gne de ce nouveau prince, l\u2019existence de Robin \nHood ne fut pas aussi aventureuse et aussi active qu\u2019elle l\u2019avait \n\u00e9t\u00e9 pendant la sanglante p\u00e9riode du r\u00e8gne de Jean ; car le comte \nde Pembroke, tuteur du jeune roi, s\u2019occupa s\u00e9rieusement \nd\u2019am\u00e9liorer le sort du peuple et r\u00e9ussit \u00e0 maintenir la paix dans toute l\u2019\u00e9tendue du royaume. \n La suspension subite de toute activit\u00e9 physique et morale je-\nta Robin Hood dans l\u2019abattement et amoindrit ses forces. Il est vrai que notre h\u00e9ros n\u2019\u00e9tait plus jeune ; il avait atteint sa cin-\nquante-cinqui\u00e8me ann\u00e9e et Petit- Jean venait tout doucement de \ngagner l\u2019\u00e2ge respectable de soixan te-six ans. Comme nous l\u2019avons \ndit, le temps ne devait apporter aucun soulagement \u00e0 la douleur \nd e R o b i n H o o d e t l e s o u v e n i r d e Marianne, aussi frais et aussi \nvivace qu\u2019au lendemain de la s\u00e9paration, avait ferm\u00e9 \u00e0 tout autre amour le c\u0153ur de Robin. \n \nLa tombe de Marianne, pieusement soign\u00e9e par les joyeux \nhommes, se couvrait tous les ans de nouvelles fleurs et bien des fois, depuis le retour de la paix, les forestiers avaient surpris leur chef, p\u00e2le et sombre, agenouill\u00e9 sur la pelouse de gazon qui s\u2019\u00e9tendait comme une ceinture d\u2019\u00e9meraude autour de l\u2019arbre du Rendez-Vous. \n De jour en jour, la tristesse de Robin devint plus lourde et \nplus accablante, de jour en jour son visage prit une expression \nplus morne, le sourire disparut de ses l\u00e8vres et Jean, le patient et d\u00e9vou\u00e9 Jean, ne parvenait pas to ujours \u00e0 obtenir de son ami une \nr\u00e9ponse \u00e0 ses inqui\u00e8tes questions. \n Il arriva cependant que Robin se laissa toucher par les soins \nde son compagnon et qu\u2019il consentit, \u00e0 sa pri\u00e8re, \u00e0 aller demander des consolations religieuses \u00e0 une abbesse dont le couvent \u00e9tait peu \u00e9loign\u00e9 de la for\u00eat de Sherwood. \n L\u2019abbesse, qui avait d\u00e9j\u00e0 vu Robin Hood et qui connaissait \ntoutes les particularit\u00e9s de sa vie, le re\u00e7ut avec beaucoup \u2013 349 \u2013 d\u2019empressement et lui offrit tous les secours qu\u2019il \u00e9tait en son \npouvoir de lui donner. \n \nRobin Hood se montra sensible au bienveillant accueil de la \nreligieuse et lui demanda si elle voulait avoir la complaisance de \nlui \u00f4ter \u00e0 l\u2019instant m\u00eame quelques palettes de sang. L\u2019abbesse y \nconsentit ; elle emmena le malade dans une cellule et, avec une \nadresse merveilleuse, elle fit l\u2019op\u00e9ration demand\u00e9e ; puis, tou-\njours aussi l\u00e9g\u00e8rement qu\u2019e\u00fbt pu le faire un habile m\u00e9decin, elle \nentoura de bandages le bras du ma lade et le laissa, \u00e0 demi \u00e9puis\u00e9, \n\u00e9tendu sur un lit. \n \nUn sourire \u00e9trangement cruel de sserra les l\u00e8vres de la reli-\ngieuse lorsque, en sortant de la cellule, elle ferma la porte \u00e0 dou-ble tour et en emporta la clef. \n \nDisons quelques mots sur cette religieuse. Elle \u00e9tait parente de sir Guy de Gisborne, le chevalier nor-\nmand qui, dans une exp\u00e9dition te nt\u00e9e de concert avec lord Fitz \nAlwine contre les joyeux hommes, avait eu la mauvaise chance de \nmourir de la mort qu\u2019il pr\u00e9m\u00e9ditait de donner \u00e0 Robin Hood. Ce-pendant, il ne serait pas venu \u00e0 l\u2019esprit de cette femme de venger son cousin, si le fr\u00e8re de ce dernier, trop l\u00e2che pour exposer sa vie dans un combat loyal, ne lui e\u00fbt persuad\u00e9 qu\u2019elle accomplirait \u00e0 la \nfois un acte de justice et une bonne action en d\u00e9barrassant le \nroyaume d\u2019Angleterre du trop c\u00e9l\u00e8bre proscrit. La faible abbesse se soumit \u00e0 la volont\u00e9 du mis\u00e9rable Normand : elle accomplit le meurtre et coupa l\u2019art\u00e8re radiale du confiant Robin Hood. \n Apr\u00e8s avoir abandonn\u00e9 le malade pendant une heure \u00e0 \nl\u2019invincible sommeil qui devait r\u00e9su lter d\u2019une tr\u00e8s grande perte de \nsang, la religieuse remonta silenc ieusement aupr\u00e8s de lui, enleva \nle bandage qui fermait la veine et, lorsque le sang eut recommen-c\u00e9 \u00e0 couler, elle s\u2019\u00e9loigna sur la pointe des pieds. \n Robin Hood dormit jusqu\u2019au matin, sans ressentir aucun \nmalaise ; mais, en ouvrant les yeux, en essayant de se lever, il \u2013 350 \u2013 \u00e9prouva une si grande faiblesse qu\u2019i l se crut arriv\u00e9 \u00e0 sa derni\u00e8re \nheure. Le sang, qui n\u2019avait cess\u00e9 de se r\u00e9pandre par l\u2019ouverture \nfaite \u00e0 l\u2019art\u00e8re, inondait le lit et Robin Hood comprit alors le dan-\nger mortel de sa situation. \u00c0 l\u2019aide d\u2019une volont\u00e9 presque surhu-\nmaine, il parvint \u00e0 se tra\u00eener jusqu\u2019 \u00e0 la porte ; il essaya de l\u2019ouvrir, \ns\u2019aper\u00e7ut qu\u2019elle \u00e9tait ferm\u00e9e et, toujours soutenu par la force de son caract\u00e8re, force si puissante qu\u2019elle parvenait \u00e0 raviver l\u2019\u00e9puisement de tout son \u00eatre, il arriva \u00e0 la fen\u00eatre, l\u2019ouvrit, se \npencha pour essayer d\u2019en franchir les bords ; puis, ne pouvant le \nfaire, il jeta vers le ciel un supr\u00eame appel et, comme inspir\u00e9 par son bon ange, il prit son cor de ch asse, le porta \u00e0 ses l\u00e8vres et en \ntira p\u00e9niblement quelques faibles sons. \n Petit-Jean, qui n\u2019avait pu se s\u00e9parer sans douleur de son \nbien-aim\u00e9 compagnon, avait pass\u00e9 la nuit sous les murs du cou-vent. Il venait de se r\u00e9veiller et il se pr\u00e9parait \u00e0 tenter une d\u00e9mar-\nche pour voir Robin Hood, lorsque les mourantes intonations du cor de chasse vinrent frapper son oreille. \n \u2013 Trahison ! trahison ! cria Jean en courant comme un fou \nvers un petit bois o\u00f9 une partie des joyeux hommes avaient \u00e9tabli leur camp pour passer la nuit . \u00c0 l\u2019abbaye ! mes gar\u00e7ons, \u00e0 \nl\u2019abbaye ! Robin Hood nous appelle, Robin Hood est en danger ! \n Les forestiers furent debout en un instant et s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent \u00e0 la \nsuite de Petit-Jean, qui vint fra pper \u00e0 coups redoubl\u00e9s \u00e0 la porte \nde l\u2019abbaye. La touri\u00e8re refusa d\u2019 ouvrir ; Jean ne perdit pas une \nseconde \u00e0 lui adresser des pri\u00e8res qu\u2019il savait inutiles, il enfon\u00e7a la porte \u00e0 l\u2019aide d\u2019un bloc de gran it qui se trouvait l\u00e0 et, guid\u00e9 par \nles sons du cor, il gagna la cellule o\u00f9 gisait dans une mare de sang \nle pauvre Robin Hood. \u00c0 la vue de Robin expirant, le vigoureux \nforestier se sentit d\u00e9faillir ; deux larmes de douleur et d\u2019indignation roul\u00e8rent sur son visage bronz\u00e9 ; il tomba sur ses genoux et, prenant son vieil ami dans ses bras, il lui dit en sanglo-tant : \n \u2013 Ma\u00eetre, cher ma\u00eetre bien-aim\u00e9, qui a commis le crime in-\nf\u00e2me de frapper un malade ? quelle est la main impie qui a tent\u00e9 \u2013 351 \u2013 un meurtre dans une pieuse maison ? R\u00e9pondez, de gr\u00e2ce, r\u00e9pon-\ndez ! \n \nRobin secoua doucement la t\u00eate. \n \u2013 Qu\u2019importe, dit-il, maintenant que tout est fini pour moi, \nmaintenant que j\u2019ai perdu jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re goutte tout le sang \nde mes veines\u2026 \n \u2013 Robin, reprit Jean, dis-moi la v\u00e9rit\u00e9 ; je dois la savoir, il \nfaut que je sache ; c\u2019est \u00e0 la trahison que je dois demander compte de ce l\u00e2che assassinat ? \u2013 Robin Hood fit un signe affirmatif. \u2013 Cher bien-aim\u00e9, continua Jean , accorde-moi la supr\u00eame consola-\ntion de venger ta mort, permet s-moi de porter \u00e0 mon tour le \nmeurtre et la douleur l\u00e0 o\u00f9 a \u00e9t \u00e9 commis un meurtre, l\u00e0 o\u00f9 na\u00eet \npour moi la plus cruelle douleur. Dis un mot, fais un signe et de-\nmain il n\u2019existera pas un vestig e de cette odieuse maison : je \nl\u2019aurai d\u00e9molie pierre \u00e0 pierre ; je m e s e n s e n c o r e l a f o r c e d \u2019 u n \ng\u00e9ant et j\u2019ai cinq cents braves pour me venir en aide. \n \u2013 Non, Jean, non, je ne veux pas que tu portes tes mains pu-\nres et honn\u00eates sur des femmes vou \u00e9es \u00e0 Dieu, ce serait un sacri-\nl\u00e8ge. Celle qui m\u2019a tu\u00e9 a sans doute ob\u00e9i \u00e0 une volont\u00e9 plus forte que ne le sont ses sentiments religieux. Elle souffrira les tortures du remords dans cette vie si elle se repent et elle sera punie dans \nl\u2019autre si elle n\u2019obtient pas du ciel le pardon que je lui accorde. Tu le sais, Jean, je n\u2019ai jamais fait ni laiss\u00e9 faire de mal \u00e0 une femme et pour moi une religieuse est do ublement sacr\u00e9e et respectable. \nNe parlons plus de cela, mon ami ; donne-moi mon arc et une \nfl\u00e8che, porte-moi \u00e0 la fen\u00eatre, je veux aller rendre mon dernier \nsoupir l\u00e0 o\u00f9 ira tomber ma derni\u00e8re fl\u00e8che. \n Robin Hood, soutenu par Petit-Jean, visa au loin, tira la \ncorde de l\u2019arc et la fl\u00e8che, rasa nt comme un oiseau la cime des \narbres, alla tomber \u00e0 une distance consid\u00e9rable. \n \u2013 Adieu, mon bel arc ; adieu, mes fl\u00e8ches fid\u00e8les, murmura \nRobin d\u2019une voix attendrie en les laissant glisser de ses mains. \u2013 352 \u2013 Jean, mon ami, ajouta-t-il d\u2019un ton plus calme, porte-moi \u00e0 la \nplace o\u00f9 j\u2019ai dit que je voulais mourir. \n \nPetit-Jean prit Robin entre ses bras et descendit, charg\u00e9 de \nce pr\u00e9cieux fardeau, dans la cour du couvent, o\u00f9, par ses ordres, \nles joyeux hommes s\u2019\u00e9taient pais iblement rassembl\u00e9s ; mais, \u00e0 la \nvue de leur chef couch\u00e9 comme un enfant sur la robuste \u00e9paule de Jean, \u00e0 l\u2019aspect de son visage livide, ils jet\u00e8rent un cri de fureur et \nvoulurent sur l\u2019heure m\u00eame punir celles qui avaient frapp\u00e9 Robin. \n \n\u2013 Paix, mes gar\u00e7ons ! dit Jean ; la issez \u00e0 Dieu le soin de faire \njustice ; pour le moment, la situ ation de notre bien-aim\u00e9 ma\u00eetre \ndoit seule nous occuper. Suivez-moi tous jusqu\u2019\u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 nous trouverons la derni\u00e8re fl\u00e8che tir\u00e9e par Robin. \n La troupe se divisa en deux ra ngs afin d\u2019ouvrir au vieillard \nun passage au milieu d\u2019elle et Je an le traversa d\u2019un pas ferme, \npuis il gagna rapidement la place o\u00f9 \u00e9tait fich\u00e9e en terre la fl\u00e8che \nde Robin Hood. \n L\u00e0, Jean \u00e9tendit sur le gazon des v\u00eatements apport\u00e9s par les \njoyeux hommes et y coucha avec des pr\u00e9cautions infinies le pau-vre agonisant. \n \u2013 Maintenant, dit Robin d\u2019une voix faible, appelle tous mes \njoyeux hommes ; je veux une fois encore \u00eatre entour\u00e9 des braves c\u0153urs qui m\u2019ont servi avec tant d\u2019affection et de fid\u00e9lit\u00e9. Je veux rendre mon dernier soupir au milieu des vaillants compagnons de ma vie. \n Jean sonna du cor \u00e0 trois reprises diff\u00e9rentes, parce que \nl\u2019appel ainsi formul\u00e9, en pr\u00e9venant les outlaws d\u2019un danger im-minent, activait encore la v\u00e9locit\u00e9 de leur marche. \n Parmi les hommes qui r\u00e9pondirent \u00e0 l\u2019appel de Jean, se trou-\nvait Will \u00c9carlate ; car, tout en cessant de faire partie de la bande, Will lui prodiguait ses visites et passait rarement une semaine \u2013 353 \u2013 sans venir abattre quelque cerf, se rrer la main de ses amis et par-\ntager avec eux les produits de sa chasse. \n \nNous n\u2019essayerons pas de d\u00e9pe indre la stupeur et le d\u00e9ses-\npoir du bon William lorsqu\u2019il apprit l\u2019\u00e9tat de Robin Hood, lors-\nqu\u2019il vit le visage d\u00e9compos\u00e9 de cet ami si cher et si digne de la tendresse qu\u2019il inspirait. \n \n\u2013 Sainte Vierge ! dit Will, qu\u2019est-il arriv\u00e9, \u00f4 mon pauvre ami, \nmon pauvre fr\u00e8re, mon cher Robin ? Fais-moi conna\u00eetre ton mal, \nes-tu bless\u00e9 ? celui qui a port\u00e9 su r toi sa main maudite existe-t-il \nencore ? Dis-le-moi, dis-le-moi et demain il aura expi\u00e9 son crime. \n Robin Hood souleva sa t\u00eate endolorie du bras de Jean sur le-\nquel elle s\u2019appuyait, regarda Will avec une expression de vive ten-\ndresse et lui dit en souriant d\u2019un p\u00e2le et triste sourire : \n \n\u2013 Merci, mon bon Will, je ne veux pas \u00eatre veng\u00e9 ; \u00e9loigne de \nton c\u0153ur tout sentiment de haine contre le meurtrier de celui qui meurt, sinon sans regret, du moin s sans souffrance. J\u2019\u00e9tais arriv\u00e9 \nau terme de ma vie, sans doute, puisque la divine m\u00e8re du Sau-veur, ma sainte protectrice, m\u2019a abandonn\u00e9 \u00e0 ce moment fatal. J\u2019ai v\u00e9cu longtemps, Will, et j\u2019ai v\u00e9cu aim\u00e9 et honor\u00e9 de tous ceux qui m\u2019ont connu. Quoi qu\u2019il me soit p\u00e9nible de me s\u00e9parer de vous, bons et chers amis, continua Robin en enveloppant d\u2019un regard de tendresse Petit-Jean et Will, cette douleur est adoucie par une pens\u00e9e chr\u00e9tienne, par la certitude que notre s\u00e9paration \nne sera pas \u00e9ternelle et que Di eu nous r\u00e9unira dans un monde \nmeilleur. Ta pr\u00e9sence \u00e0 mon lit de mort est une grande consola-\ntion pour moi, cher Will, cher fr\u00e8re, car nous avons \u00e9t\u00e9 l\u2019un pour \nl\u2019autre un bon et tendre fr\u00e8re. Je te remercie de tous les t\u00e9moi-gnages d\u2019affection dont tu m\u2019as entour\u00e9 ; je te b\u00e9nis du c\u0153ur et des l\u00e8vres et je prie la sainte M\u00e8re de te rendre aussi heureux que tu m\u00e9rites de l\u2019\u00eatre. Tu diras de ma part \u00e0 Maude, ta tr\u00e8s ch\u00e8re femme, que je ne l\u2019ai point oubli\u00e9e en faisant des v\u0153ux pour ton bonheur et tu l\u2019embrasseras de la part de son fr\u00e8re Robin Hood. \u2013\n William sanglotait convulsivement. \u2013 Ne pleure pas ainsi, Will, reprit Robin apr\u00e8s un instant de silence ; tu me fais trop de mal ; \u2013 354 \u2013 ton c\u0153ur est donc devenu faible comme celui d\u2019une femme, que \ntu ne peux supporter courageusement la douleur ? \u2013 William ne r\u00e9pondit pas ; il \u00e9tait \u00e0 demi suffoqu\u00e9 par les larmes. \u2013 Mes vieux \ncamarades, chers amis de mon c\u0153ur, continua Robin en \ns\u2019adressant aux joyeux hommes si lencieusement group\u00e9s autour \nde lui, vous qui avez partag\u00e9 mes travaux et mes dangers, mes \njoies et mes chagrins avec un d\u00e9vouement et une fid\u00e9lit\u00e9 au-\ndessus de tout \u00e9loge, recevez mes derniers remerciements et ma \nb\u00e9n\u00e9diction. Adieu, mes fr\u00e8res, adieu, braves Saxons ! Vous avez \n\u00e9t\u00e9 la terreur des Normands ; vous avez conquis \u00e0 jamais l\u2019amour \net la reconnaissance des pauvres : soyez heureux, soyez b\u00e9nis et priez quelquefois notre ch\u00e8re protectrice, la m\u00e8re du Sauveur des hommes, pour votre ami absent, pour votre cher Robin Hood. \n Quelques g\u00e9missements \u00e9touff\u00e9s r\u00e9pondirent seuls aux paro-\nles de Robin ; \u00e9perdus de douleur, les yeomen \u00e9coutaient ces \nadieux sans vouloir en comprendre la cruelle signification. \n \u2013 E t t o i , P e t i t - J e a n , r e p r i t l e m o r i b o n d d \u2019 u n e v o i x q u i , d e \nminute en minute, devenait plus lente et plus faible, toi le noble c\u0153ur, toi que j\u2019aime de toutes les forces de mon \u00e2me, que vas-tu devenir, \u00e0 qui donneras-tu l\u2019affection que tu avais pour moi ? avec qui vivras-tu sous les grands arbres de la vieille for\u00eat ? \u00d4 mon Jean ! tu vas \u00eatre bien seul, bi en isol\u00e9, bien malheureux ; par-\ndonne-moi de te quitter ainsi ; j\u2019avais esp\u00e9r\u00e9 une mort plus douce, j\u2019avais esp\u00e9r\u00e9 mourir avec toi, aupr\u00e8s de toi, les armes \u00e0 la main, pour la d\u00e9fense de mon pays. Di eu en a d\u00e9cid\u00e9 autrement, que \nson nom soit b\u00e9ni ! Mon heure approche, Jean ; mes yeux se troublent ; donne-moi ta main, je veux mourir en la tenant serr\u00e9e \nentre les miennes. Jean, tu connais mon d\u00e9sir, tu connais la place \no\u00f9 ma d\u00e9pouille mortelle doit \u00eatre d\u00e9pos\u00e9e, sous l\u2019arbre du Ren-dez-Vous, aupr\u00e8s de celle qui m\u2019attend, aupr\u00e8s de Marianne. \n \u2013 Oui, oui, soupira le pauvre Je an les yeux pleins de larmes, \ntu seras\u2026 \n \u2013 Merci, mon vieil ami, je meurs heureux. Je vais rejoindre \nMarianne et pour toujours. Adieu, Jean\u2026 \u2013 355 \u2013 \nLa mourante voix de l\u2019illustre proscrit cessa de se faire en-\ntendre, une ti\u00e8de vapeur effleura le visage de Petit-Jean et l\u2019\u00e2me \nde celui qu\u2019il avait tant aim\u00e9 s\u2019envola vers le ciel. \n \n\u2013 \u00c0 genoux, mes enfants ! dit le vieillard en faisant le signe \nde la croix ; le noble et g\u00e9n\u00e9reux Robin Hood a cess\u00e9 de vivre ! \n \nTous les fronts s\u2019inclin\u00e8rent et William pronon\u00e7a sur le corps \nde Robin une courte mais ardente pri\u00e8re ; puis, avec l\u2019aide de Pe-\ntit-Jean, il emporta le corps \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 il devait trouver son dernier lit de repos. \n Deux forestiers creus\u00e8rent la fosse aupr\u00e8s de celle o\u00f9 repo-\nsait Marianne et Robin y fut d\u00e9pos\u00e9 sur une couche de fleurs et de feuillage. Petit-Jean pla\u00e7a aupr\u00e8s de Robin son arc, ses fl\u00e8ches ; et \nle chien favori du mort, qui ne de vait plus servir aucun ma\u00eetre, fut \ntu\u00e9 sur la tombe et enterr\u00e9 avec lui. \n Ainsi se termina la carri\u00e8re de ce lui qui a offert un des traits \nles plus extraordinaires des annales de ce pays. \n Paix \u00e0 ses m\u00e2nes ! Les biens de la bande furent loyalement partag\u00e9s entre ses \nmembres par Petit-Jean, qui d\u00e9sira it finir dans quelque retraite \nles derniers jours d\u2019une existence d\u00e9sormais douloureuse. Les outlaws se s\u00e9par\u00e8rent, les uns v\u00e9curent \u00e0 Nottingham, les autres se diss\u00e9min\u00e8rent \u00e7\u00e0 et l\u00e0 dans les comt\u00e9s environnants, mais pas \nun seul n\u2019eut le courage de rester dans le vieux bois. La mort de \nRobin Hood en avait rendu le s\u00e9jour trop cruellement triste. \n Petit-Jean, lui, ne pouvait se d\u00e9cider \u00e0 sortir de la for\u00eat ; il y \npassa quelques jours, r\u00f4dant co mme une \u00e2me en peine dans les \nall\u00e9es solitaires et appelant \u00e0 grands cris celui qui ne pouvait plus lui r\u00e9pondre. Il se d\u00e9cida enfin \u00e0 aller demander un asile \u00e0 Will \u00c9carlate. Will le re\u00e7ut les bras ouverts et, quoique bien triste lui-\u2013 356 \u2013 m\u00eame, essaya d\u2019apporter quelque soulagement \u00e0 cette inconsola-\nble douleur : mais Jean ne voulait pas \u00eatre consol\u00e9. \n \nUn matin, William, qui cherchait Petit-Jean, le trouva dans \nle jardin, debout, le dos appuy\u00e9 contre un vieux ch\u00eane et la t\u00eate \ntourn\u00e9e vers la for\u00eat. La figure de Jean \u00e9tait tr\u00e8s p\u00e2le, ses yeux ouverts et fixes paraissaient sans re gard. Will, effray\u00e9, prit le bras \nde son cousin en l\u2019appelant d\u2019une voix tremblante ; mais le vieil-\nlard ne r\u00e9pondit point, il \u00e9tait mort. \n \nCe coup inattendu fut une bien grande douleur pour le bon \nWilliam ; il emporta Petit-Jean dans sa maison et le lendemain toute la famille Gamwell conduisit ce second fr\u00e8re bien-aim\u00e9 au cimeti\u00e8re d\u2019Hathersage, situ\u00e9 \u00e0 six milles de Castleton, dans le Derbyshire. \n \nLe tombeau qui recouvre les restes du brave Petit-Jean existe \nencore et il se fait remarquer par l\u2019extraordinaire longueur de la pierre qui le recouvre. Cette pier re pr\u00e9sente aux regards investi-\ngateurs des curieux deux initiales, J. N., tr\u00e8s artistement creus\u00e9es \ndans le c\u0153ur du granit. \n Une l\u00e9gende rapporte qu\u2019un certain antiquaire, grand ama-\nteur du merveilleux, fit ouvrir la gigantesque tombe, enleva les \nossements qu\u2019elle recouvrait et les emporta comme une chose digne de prendre rang dans son cabinet de curiosit\u00e9s anatomi-ques. Par malheur pour le digne savant, d\u00e8s que ces d\u00e9bris hu-\nmains furent dans sa maison, il ne connut plus de repos ; la ruine, \nla maladie et la mort se firent les h\u00f4tes de la demeure et le fos-\nsoyeur qui avait pris part \u00e0 la profanation du tombeau, fut \u00e9gale-\nment frapp\u00e9 dans ses affections les plus ch\u00e8res. Les deux hommes comprirent alors qu\u2019ils avaient offe ns\u00e9 le ciel en violant le secret \nd\u2019une tombe et ils replac\u00e8rent pieusement en terre sainte les res-tes du vieux forestier. \n Depuis cette \u00e9poque, l\u2019antiquaire et le fossoyeur vivent heu-\nreux et tranquilles ; Dieu, qui fait au repentir la remise de toute faute, avait accord\u00e9 son pardon aux deux sacril\u00e8ges. \u2013 357 \u2013 Bibliographie \u2013 \u0152uvres compl\u00e8tes \nTir\u00e9 de Bibliographie des Auteurs Modernes (1801 \u2013 1934) \npar Hector Talvart et Joseph Place, Paris, Editions de la Chroni-\nque des Lettres Fran\u00e7aises, Aux Ho rizons de France, 39 rue du \nG\u00e9n\u00e9ral Foy , 1935 Tome 5. \n \n1. \u00c9l\u00e9gie sur la mort du g\u00e9n\u00e9ral Foy. Paris, S\u00e9tier, 1825, \nin-8 de 14 pp. \n \n2. La Chasse et l'Amour. \nVaudeville en un acte, par MM. Rousseau, Adolphe (M. Rib-\nbing de Leuven) et Davy (Davy de la Pailleterie : A. Dumas). \nRepr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois , \u00e0 Paris, au th\u00e9\u00e2tre de l'Am-\nbigu-Comique (22 sept.1825). Paris, Chez Duvernois, S\u00e9tier, 1825, in-8 de 40 pp. 3. Canaris. \nDithyrambe. Au profit des Grecs. \nParis, Sanson, 1826, in-12 de 10 pp. 4. Nouvelles contemporaines. \nParis, Sanson, 1826, in-12 de 4 ff., 216 pp. 5. La Noce et l'Enterrement. \nVaudeville en trois tableaux, par MM. Davy, Lassagne et Gus-tave. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, au th\u00e9\u00e2tre de la Porte-Saint-Martin (21 nov.1826). Paris, Chez Bezou, 1826, in-8 de 46 pp. \n6. Henri III et sa cour. \nDrame historique en cinq actes et en prose. \nRepr\u00e9sent\u00e9 au Th\u00e9\u00e2tre-Fran\u00e7ais (11 f\u00e9v.1829). Paris, Vezard et Cie, 1829, in-8 de 171 pp. \u2013 358 \u2013 \n7. Christine ou Stockholm, Fontainebleau et Rome. \nTrilogie dramatique sur la vie de Christine, cinq actes en vers, \navec prologue et \u00e9pilogue. \nRepr\u00e9sent\u00e9 \u00e0 Paris sur le Th\u00e9\u00e2tre Royal de l'Od\u00e9on (30 mars 1830). Paris, Barba, 1830, in-8 de 3 ff. et 191 pp. \n8. Rapport au G\u00e9n\u00e9ral La F ayette sur l'enl\u00e8vement \ndes poudres de Soissons. Paris, Impr. de S\u00e9tier, s.d. \n(1830), in-8 de 7 pp. \n 9. Napol\u00e9on Bonaparte, ou trente ans de l'histoire de \nFrance. Drame en six actes. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, sur le Th\u00e9\u00e2tre Royal de \nl'Od\u00e9on (10 janv.1831). Paris, chez Tournachon-Molin, 1831, in-8 de XVI-219 pp. 10. Antony. \nDrame en cinq actes en prose. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois sur le th\u00e9\u00e2tre de la Porte-Saint-Martin (3 mai 1831). Paris, Auguste Auffray, 1831, in-8 de 4 ff. n. ch., 106 pp.et 1 \nf.n. ch. (post-scriptum). 11. Charles VII chez ses grands vassaux. \nTrag\u00e9die en cinq actes. Repr\u00e9sent\u00e9e pour la premi\u00e8re fois sur le Th\u00e9\u00e2tre Royal de \nl'Od\u00e9on (20 oct. 1831). \nParis, Publications de Charles Lemesle, 1831, in-8 de 120 pp. 12. Richard Darlington. \nDrame en cinq actes et en prose, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 de La Maison du \nDocteur , prologue par MM. Dinaux. \nR e p r \u00e9 s e n t \u00e9 p o u r l a p r e m i \u00e8 r e f o i s s u r l e t h \u00e9 \u00e2 t r e d e l a P o r t e -Saint-Martin (10 d\u00e9c. 1831). Paris, J.-N. Barba, 1832, in-8 de 132 pp. \u2013 359 \u2013 \n13. Teresa. \nDrame en cinq actes et en prose. \nRepr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois sur le Th\u00e9\u00e2tre Royal de \nl'Op\u00e9ra-Comique (6 f\u00e9v. 1832). Paris, Barba; Vve Charles B\u00e9ch et; Lecointe et Pougin, 1832, \nin-8 de 164 pp. \n14. Le Mari de la veuve. \nCom\u00e9die en un acte et en prose, par M.***. \nRepr\u00e9sent\u00e9e pour la premi\u00e8re fois sur le Th\u00e9\u00e2tre-Fran\u00e7ais (4 avr. 1832). Paris, Auguste Auffray, 1832, in-8 de 63 pp. 15. La Tour de Nesle. \nDrame en cinq actes et en neuf tableaux, par MM. Gaillardet \net ***. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le th\u00e9\u00e2tre de la Porte-Saint-Martin (29 mai 1832). Paris, J.-N. Barba, 1832, in-8 de 4 ff., 98 pp. 16. Gaule et France. \nParis, U. Canel ; A. Guyot, 1833, in-8 de 375 pp. 17. Impressions de voyage. \nParis, A. Guyot, Charpentier et Dumont, 1834-1837, 5 vol. in-8. 18. Ang\u00e8le. \nDrame en cinq actes. Paris, Charpentier, 1834, in-8 de 254 pp. 19. Catherine Howard. \nDrame en cinq actes et en huit tableaux. Paris, Charpentier, 1834, in-8 de IV-208 pp. 20. Souvenirs d'Antony. \nParis, Librairie de Dumont, 1835, in-8 de 360 pp. \u2013 360 \u2013 \n21. Chroniques de France. Isabel de Bavi\u00e8re (R\u00e8gne de \nCharles VI). \nParis, Librairie de Dumont, 1835, 2 vol. in-8 de 406 pp. et 419 \npp. 22. Don Juan de Marana ou la chute d'un ange. \nMyst\u00e8re en cinq actes. \nRepr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le th\u00e9\u00e2tre de la \nPorte-Saint-Martin (30 avr.1836). Paris, Marchant, \u00c9diteur du Ma gasin Th\u00e9\u00e2tral, 1836 in-8 de \n303 p. 23. Kean. \nCom\u00e9die en cinq actes. Repr\u00e9sent\u00e9e pour la premi\u00e8re fois aux Vari\u00e9t\u00e9s (31 ao\u00fbt \n1836). Paris, J.-B. Barba, 1836, in-8 de 3 ff. et 263 pp. 24. Piquillo. \nOp\u00e9ra-comique en trois actes. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois sur le Th\u00e9\u00e2tre Royal de l'Op\u00e9ra-Comique (31 oct. 1837). Paris, Marchant, 1837, in-8 de 82 pp. 25. Caligula. \nTrag\u00e9die en cinq actes et en vers, avec un prologue. Repr\u00e9sent\u00e9e pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre-Fran\u00e7ais (26 d\u00e9c. 1837). \nParis, Marchant, Editeur du Ma gasin Th\u00e9\u00e2tral, 1838 in-8 de \n170 p. \n 26. La Salle d'armes. I. Pauline II. Pascal Bruno (pr\u00e9-\nc\u00e9d\u00e9 de Murat ). \nParis, Dumont, Au Salon litt\u00e9raire, 1838, 2 vol. in-8 de 376 e t \n352 pp. 27. Le Capitaine Paul \u2013 361 \u2013 (La main droite du Sire de Giac). \nParis, Dumont, 1838, 2 vol. in-8 de 316 et 323 pp. \n28. Paul Jones. \nDrame en cinq actes. \nRepr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris (8 oct. 1838). Paris, Marchant, 1838, gr. in-8 de 32 pp. \n29. Nouvelles impressions de voyage. \nQuinze jours au Sina\u00ef, par MM. A. Dumas et A. Dauzats. \nParis, Dumont, 1839, 2 vol. in-8 de 358 et 406 pp \n 30. Act\u00e9. \nParis, Librairie de Dumont, 1839, 2 vol. in-8 de 3 ff., 242 et 302 pp. \n31. La Comtesse de Salisbury. Chroniques de France. \nParis, Dumont, (et Alexandre Cadot), 1839-1848, 5 vol. in-8. 32. Jacques Ortis. \nP a r i s , D u m o n t , 1 8 3 9 , i n - 8 d e X V I p p . ( p r \u00e9 f a c e d e P i e r -Angelo-Fiorentino) et 312 pp. 33. Mademoiselle de Belle-Isle. \nDrame en cinq actes, en prose. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre-Fran\u00e7ais (2 avr. 1839). Paris, Dumont, 1839, in-8 de 202 pp. \n34. Le Capitaine Pamphile. \nParis, Dumont, 1839, 2 vol. in-8 de 307 et 296 pp. \n 35. L'Alchimiste. \nDrame en cinq actes en vers. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, sur le Th\u00e9\u00e2tre de la Renais-sance (10 avr. 1839). Paris, Dumont, 1839, in-8 de 176 pp. \u2013 362 \u2013 36. Crimes c\u00e9l\u00e8bres. \nParis, Administration de librairie, 1839-1841, 8 vol. in-8. \n \n37. Napol\u00e9on , avec douze portraits en pied, grav\u00e9s sur acier \npar les meilleurs artistes, d'apr\u00e8s les peintures et les dessins \nde Horace Vernet, Tony Johannot, Isabey, Jules Boily, etc. Paris, Au Plutarque fran\u00e7ais; Delloye, 1840, gr; in-8 de 410 pp. \n \n38. Othon l'archer. \nParis, Dumont, 1840, in-8 de 324 pp. 39. Les Stuarts. \nParis, Dumont, 1840, 2 vol. in-8 de 308 et 304 pp. 40. Ma\u00eetre Adam le Calabrais. \nParis, Dumont, 1840, in-8 de 347 pp. \n 41. Aventures de John Davys. \nParis, Librairie de Dumont, 1840, 4 vol. in-8. 42. Le Ma\u00eetre d'armes. \nParis, Dumont, 1840-1841, 3 vol. in-8 de 320, 322 et 336 pp. 43. Un Mariage sous Louis XV. \nCom\u00e9die en cinq actes. Repr\u00e9sent\u00e9e pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre-Fran\u00e7ais (1er juin 1841). Paris, Marchant; C. Tresse, 1841, in-8 de 140 pp. \n \n44. Prax\u00e8de, suivi de Don Martin de Freytas et de \nPierre-le-Cruel. Paris, Dumont, 1841, in-8 de 307 pp. 45. Nouvelles impressions de voyage. Midi de la \nFrance. Paris, Dumont, 1841, 3 vol. in-8 de 340, 326 et 357 pp. \u2013 363 \u2013 46. Excursions sur les bords du Rhin. \nParis, Dumont, 1841, 3 vol. in-8 de 328, 326 et 334 pp. \n \n47. Une ann\u00e9e \u00e0 Florence. \nParis, Dumont, 1841, 2 vol. in-8 de 340 et 343 pp. \n 48. Jehanne la Pucelle. 1429-1431. \nParis, Magen et Comon, 1842, in-8 de VII-327 pp. \n \n49. Le Speronare \nParis, Dumont, 1842, 4 vol. in-8. 50. Le Capitaine Arena. \nParis, Dolin, 1842, 2 vol. in-8 de 309 et 314 pp. 51. Lorenzino. Magasin th\u00e9\u00e2tral. Th\u00e9\u00e2tre fran\u00e7ais. \nDrame en cinq actes et en prose. \nParis, Marchant; Tarride, s. d. (1842), gr. in-8 de 36 pp. 52. Halifax. Magasin th\u00e9\u00e2tral. Choix de pi\u00e8ces nouvelles, \njou\u00e9es sur tous les th\u00e9\u00e2tres de Paris. Th\u00e9\u00e2tre des Vari\u00e9t\u00e9s. Com\u00e9die en trois actes et un prologue. Paris, Marchant; Tarride, s. d. (1842), gr. in-8 de 36 pp. 53. Le Chevalier d'Harmental. \nParis, Dumont, 1842, 4 vol. in-8. 54. Le Corricolo. \nParis, Dolin, 1843, 4 vol. in-8. \n \n55. Les Demoiselles de Saint-Cyr. \nCom\u00e9die en cinq actes, suivie d' une lettre \u00e0 l'auteur \u00e0 M. Jules \nJanin. Repr\u00e9sent\u00e9e pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre-Fran\u00e7ais (25 juill.1843). Paris, chez Marchant, et tous les \nMarchands de Nouveaut\u00e9s, 1843, gr. in-8 de 1 f. (lettre de Dumas \u00e0 son \u00e9diteur), 38 pp. et VIII pp. (lettre \u00e0 J. Janin). \u2013 364 \u2013 \n56. La Villa Palmieri. \nParis, Dolin, 1843, 2 vol. in-8. \n \n57. Louise Bernard. Magasin th\u00e9\u00e2tral. Choix de pi\u00e8ces \nnouvelles, jou\u00e9es sur tous les th\u00e9\u00e2tres de Paris. Th\u00e9\u00e2tre de la Porte-Saint-Martin. Drame en cinq actes. \nParis, Marchant; Tarride, s. d. (1843), gr. in-8 de 34 pp. \n 58. Un Alchimiste au dix-neuvi\u00e8me si\u00e8cle. \nParis, Imprimerie de Paul Dupont, 1843, in-8 de 23 pp. 59. Filles, Lorettes et Courtisanes. \nParis, Dolin, 1843, in-8. de 338 pp. \n60. Ascanio. \nParis, Petion, 1844, 5 vol. in-8. 61. Le Laird de Dumbicky. Magasin th\u00e9\u00e2tral. Choix de pi\u00e8-\nces nouvelles, jou\u00e9es sur tous les th\u00e9\u00e2tres de Paris. Th\u00e9\u00e2tre Royal de l'Od\u00e9on. Drame en cinq actes. Paris, Marchant; Tarride, s. d. (1844), gr. in-8 de 42 pp. 62. Sylvandire. \nParis, Dumont, 1844, 3 vol. in-8 de 318, 310 et 324 pp. 63. Fernande. \nParis, Dumont, 1844, 3 vol. in-8 de 320, 336 et 320 pp. 64. A. Les Trois Mousquetaires \nParis, Baudry, 1844, 8 vol. in-8. B. Les Mousquetaires \nDrame en cinq actes et douze tableaux, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 de L'Au-\nberge de B\u00e9thune , \nprologue par MM. A. Dumas et Auguste Maquet. \u2013 365 \u2013 Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre de \nl'Ambigu-Comique (27 oct. 1845). Paris, Marchant, 1845, gr. in-8 de 59 pp. \n \nC. La Jeunesse des Mousquetaires. \nPi\u00e8ce en 14 tableaux, par MM. A. Dumas et Auguste Maquet. Paris, Dufour et Mulat, 1849, in-8 de 76 pp. \nD. Le Prisonnier de la Bastille, fin des Mousquetaires. \nDrame en cinq actes et neuf tableaux. \nRepr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre Im-p\u00e9rial du Cirque (22 mars 1861). Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, s. d. (1861), gr. in-8 de 24 pp. 65. Le Ch\u00e2teau d'Eppstein. \nParis, L. de Potter, 1844, 3 vol. in-8 de 323, 353 et 322 pp. \n 66. Amaury. \nParis, Hippolyte Souverain, 1844, 4 vol. in-8. 67. C\u00e9cile. \nParis, Dumont, 1844, 2 vol. in-8 de 330 et 324 pp. 68. A. Gabriel Lambert. \nParis, Hippolyte Souverain, 1844, 2 vol. in-8. B. Gabriel Lambert. \nDrame en cinq actes et un prologue, par A. Dumas et Am\u00e9d\u00e9e de Jallais. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1866, in-18 de 132 pp. \n 69. Louis XIV et son si\u00e8cle. \nParis, Chez J.-B. Fellens et L. -P. Dufour, 1844-1845, 2 vol. gr. \nin-8 de II-492 et 512 pp. 70. A. Le Comte de Monte-Cristo. \nParis, P\u00e9tion, 1845-1846, 18 vol. in-8. \u2013 366 \u2013 B. Monte-Cristo. \nDrame en cinq actes et onze tableaux, par MM. A. Dumas et \nA. Maquet. \nParis, N. Tresse, 1848, gr. in-8 de 48 pp. \n C. Le Comte de Morcerf. \nDrame en cinq actes et dix tableaux de MM. A. Dumas et A. Maquet. \nParis, N. Tresse, 1851, gr. in-8 de 50 pp. \n D. Villefort. \nDrame en cinq actes et dix tableaux de MM. A. Dumas et A. Maquet. Paris, N. Tresse, 1851, gr. in-8 de 59 pp. 71. A. La Reine Margot. \nParis, Garnier fr\u00e8res, 1845, 6 vol. in-8. \n B. La Reine Margot. \nBiblioth\u00e8que dramatique. Th\u00e9\u00e2tre moderne. 2\u00e8me s\u00e9rie. Drame en cinq actes et en 13 tableaux, par MM. A. Dumas et \nA. Maquet. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1847, in-12 de 152 pp. 72. Vingt Ans apr\u00e8s, suite des Trois Mousquetaires. Pa-\nris, Baudry, 1845, 10 vol. 73. A. Une Fille du R\u00e9gent. \nParis, A. Cadot, 1845, 4 vol. in-8. \n \nB. Une Fille du R\u00e9gent. \nCom\u00e9die en cinq actes dont un prologue. Repr\u00e9sent\u00e9e pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre-Fran\u00e7ais (1er avr. 1846). Paris, Marchant, 1846, gr. in-8 de 35 pp. 74. Les M\u00e9dicis. Paris, Recoules, 1845, 2 vol. in-8 de 343 et \n345 pp. \u2013 367 \u2013 \n75. Michel-Ange et Rapha\u00ebl Sanzio. \nParis, Recoules, 1845, 2 vol. in-8 de 345 et 306 pp. \n \n76. Les Fr\u00e8res Corses. \nParis, Hippolyte Souverain, 1845, 2 vol. in-8 de 302 et 312 pp. 77. A. Le Chevalier de Maison-Rouge. \nParis, A. Cadot, 1845-1846, 6 vol. in-8. B. Le Chevalier de Maison-Rouge. Biblioth\u00e8que drama-\ntique. Th\u00e9\u00e2tre moderne. 2\u00e8me s\u00e9rie. \u00c9pisode du temps des Girondins, drame en 5 actes et 12 ta-bleaux, par MM. A. Dumas et A. Maquet. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1847, in-18 de 139 pp. \n 78. Histoire d'un casse-noisette. \nParis, J. Hetzel, 1845, 2 vol. pet. in-8. 79. La Bouillie de la Comtesse Berthe. \nParis, J. Hetzel, 1845, pet. in-8 de 126 pp. 80. Nanon de Lartigues. \nParis, L. de Potter, 1845, 2 vol. in-8 de 324 et 331 pp. 81. Madame de Cond\u00e9. \nParis, L. de Potter, 1845, 2 vol. in-8 de 315 et 307 pp. \n82. La Vicomtesse de Cambes. \nParis, L. de Potter, 1845, 2 vol. in-8 de 334 et 324 pp. \n 83. L'Abbaye de Peyssac. \nParis, L. de Potter, 1845, 2 vol. in-8 de 324 et 363 pp. N. B. Ces 8 volumes (n 80 \u00e0 83 ) constituent une s\u00e9rie intitu-\nl\u00e9e : La Guerre des femmes , qui a inspir\u00e9 la pi\u00e8ce : \n \u2013 368 \u2013 La Guerre des femmes. \nDrame en cinq actes et dix tableaux, par MM. A. Dumas et A. Maquet. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le \nTh\u00e9\u00e2tre Historique (1er oct. 1849). Paris, A. Cadot, 1849, gr. \nin-8 de 57 pp. 84. A. La Dame de Monsoreau. \nParis, P\u00e9tion, 1846, 8 vol. in-8. \n \nB. La Dame de Monsoreau. \nDrame en cinq actes et dix tableaux, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 de L'Etang de \nBeaug\u00e9, prologue par MM. A. Dumas et A. Maquet. \nParis, Michel L\u00e9vy, 1860, in-12 de 196 pp. 85. Le B\u00e2tard de Maul\u00e9on. \nParis, A. Cadot, 1846-1847, 9 vol. in-8. \n 86. Les Deux Diane. \nParis, A. Cadot, 1846-1847, 10 vol. in-8. 87. M\u00e9moires d'un m\u00e9decin. \nParis, Fellens et Dufour (et A. Cadot), 1846-1848, 19 vol. in-8. 88. Les Quarante-Cinq. \nParis, A. Cadot, 1847-1848, 10 vol. in-8. 89. Intrigue et Amour. Biblioth\u00e8que dramatique. \nTh\u00e9\u00e2tre moderne. 2\u00e8me s\u00e9rie. Drame en cinq actes et neuf tableaux. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1847, in-12 de 99 pp. \n 90. Impressions de voyage. De Paris \u00e0 Cadix. \nParis, Ancienne maison Delloye , Garnier fr\u00e8res, 1847-1848, 5 \nvol. in-8. 91. Hamlet, prince de Danemark. \nBiblioth\u00e8que dramatique. Th\u00e9\u00e2tre moderne. 2\u00e8me s\u00e9rie. \u2013 369 \u2013 Drame en vers, en 5 actes et 8 parties, par MM. A. Dumas et \nPaul Meurice. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1848, in-18 de 106 pp. \n \n92. Catilina. \nDrame en 5 actes et 7 tableaux, par MM. A. Dumas et A. Ma-quet. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1848, in-18 de 151 pp. \n \n93. Le Vicomte de Bragelonne. ou Dix ans plus tard, \nsuite des Trois Mousquetaires et de Vingt Ans apr\u00e8s. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1848-1850, 26 vol. in-8. 94. Le V\u00e9loce, ou Tanger, Alger et Tunis. \nParis, A. Cadot, 1848-1851, 4 vol. in-8. \n95. Le Comte Hermann. \n2\u00e8me S\u00e9rie du Magasin th\u00e9\u00e2tral\u2026 Drame en cinq actes, avec pr\u00e9face et \u00e9pilogue. Paris, Marchant, s. d. (1849), gr. in-8 de 40 pp. 96. Les Mille et un fant\u00f4mes. \nParis, A. Cadot, 1849, 2 vol. in-8 de 318 et 309 pp. 97. La R\u00e9gence. \nParis, A. Cadot, 1849, 2 vol. in-8 de 349 et 301 pp. 98. Louis Quinze. \nParis, A. Cadot, 1849, 5 vol. in-8. \n \n99. Les Mariages du p\u00e8re Olifus. \nParis, A. Cadot, 1849, 5 vol. in-8. 100. Le Collier de la Reine. \nParis, A. Cadot, 1849-1850, 11 vol. in-8. 101. M\u00e9moires de J.-F. Talma. \u2013 370 \u2013 \u00c9crits par lui-m\u00eame et recueillis et mis en ordre sur les pa-\npiers de sa famille, par A. Dumas. Paris, 1849 (et 1850), Hippolyte Souverain, 4 vol. in-8. \n \n102. La Femme au collier de velours. \nParis, A. Cadot, 1850, 2 vol. in-8 de 326 et 333 pp. 103. Montevideo ou une nouvelle Troie. \nP a r i s , I m p r i m e r i e c e n t r a l e d e N a p o l \u00e9 o n C h a i x e t C i e , 1 8 5 0 , in-18 de 167 pp. 104. La Chasse au chastre. \nMagasin th\u00e9\u00e2tral. Pi\u00e8ces nouvelles\u2026 Fantaisie en trois actes et huit tableaux. Paris, Administration de librairie th\u00e9\u00e2trale. Ancienne maison Marchant, 1850, gr. in-8 de 24 pp. \n 105. La Tulipe noire. \nParis, Baudry, s. d. (1850), 3 vol. in-8 de 313, 304 et 316 pp. 106. Louis XVI (Histoire de Louis XVI et de Marie-\nAntoinette.) Paris, A. Cadot, 1850-1851, 5 vol. in-8. \n 107. Le Trou de l'enfer. (Chronique de Charlemagne). \nParis, A. Cadot, 1851, 4 vol. in-8. 108. Dieu dispose. \nParis, A. Cadot, 1851, 4 vol. in-8. \n109. La Barri\u00e8re de Clichy. \nDrame militaire en 5 actes et 14 tableaux. \nRepr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois \u00e0 Paris sur le Th\u00e9\u00e2tre Na-tional (ancien Cirque, 21 avr. 1851). Paris, Librairie Th\u00e9\u00e2trale, 1851, in-8 de 48 pp. 110. Impressions de voyage. Suisse. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1851, 3 vol. in-18. \u2013 371 \u2013 111. Ange Pitou. \nParis, A. Cadot, 1851, 8 vol. in-8. \n \n112. Le Drame de Quatre-vingt-treize. Sc\u00e8nes de la vie \nr\u00e9volutionnaire. Paris, Hippolyte Souverain, 1851, 7 vol. \nin-8. \n 113. Histoire de deux si\u00e8cles ou la Cour, l'\u00c9glise et le \npeuple depuis 1650 jusqu'\u00e0 nos jours. Paris, Dufour et Mulat, 1852, 2 vol. gr. in-8. 114. Conscience. \nParis, A. Cadot, 1852, 5 vol. in-8. 115. Un Gil Blas en Californie. \nParis, A. Cadot, 1852, 2 vol. in-8 de 317 et 296 pp. \n 116. Olympe de Cl\u00e8ves. \nParis, A. Cadot, 1852, 9 vol. in-8. 117. Le Dernier roi (Histoire de la vie politique et pri-\nv\u00e9e de Louis-Philippe.) Paris, Hippolyte Souverain, 1852, \n8 vol. in-8. 118. Mes M\u00e9moires. Paris, A. Cadot, 1852-1854, 22 vol. in-8. 119. La Comtesse de Charny. \nParis, A. Cadot, 1852-1855, 19 vol. in-8. 120. Isaac Laquedem. \nParis, A la Librairie Th\u00e9\u00e2trale, 1853, 5 vol. in-8. 121. Le Pasteur d'Ashbourn. \nParis, A. Cadot , 1853, 8 vol. in-8. 122. Les Drames de la mer. \nParis, A. Cadot, 1853, 2 vol. in-8 de 296 et 324 pp. 123. Ing\u00e9nue. \u2013 372 \u2013 Paris, A. Cadot, 1853-1855, 7 vol. in-8. \n 124. La Jeunesse de Pierrot. par Aramis. Publications du \nMousquetaire \nParis, A la Librairie Nouvelle, 1854, in-16, 150 pp. 125. Le Marbrier. \nDrame en trois actes. \nRepr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le th\u00e9\u00e2tre du \nVaudeville (22 mai 1854). Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1854, in-18 de 48 pp. 126. La Conscience. \nDrame en cinq actes et en six tableaux. Paris, Librairie d'Alphonse Tarride, 1854, in-18 de 108 pp. \n127. A. El Salteador. \nRoman de cape et d'\u00e9p\u00e9e. Paris, A. Cadot, 1854, 3 vol. in-8. Il a \u00e9t\u00e9 tir\u00e9 de ce roman une pi\u00e8ce dont voici le titre : B. Le Gentilhomme de la montagne. \nDrame en cinq actes et huit tableaux, par A. Dumas (et Ed. Lockroy). Paris, Michel L\u00e9vy, 1860, in-18 de 144 pp. 128. Une Vie d'artiste. \nParis, A. Cadot, 1854, 2 vol. in-8 de 315 et 323 pp. \n129. Saphir, pierre pr\u00e9cieuse mont\u00e9e par Alexandre \nDumas. \nBiblioth\u00e8que du Mousquetaire. Paris, Coulon-Pineau, 1854, in-12 de 242 pp. 130. Catherine Blum. \nParis, A. Cadot, 1854, 2 vol. in-8. \u2013 373 \u2013 131. Vie et aventures de la princesse de Monaco. Re-\ncueillies par A. Dumas. \nParis, A. Cadot, 1854, 6 vol. in-8. \n \n132. La Jeunesse de Louis XIV. \nCom\u00e9die en cinq actes et en prose. Paris, Librairie Th\u00e9\u00e2trale, 1856, in-16 de 306 pp. \n133. Souvenirs de 1830 \u00e0 1842. \nParis, A. Cadot, 1854-1855, 8 vo l. in-8. \n 134. Le Page du Duc de Savoie. \nParis, A. Cadot, 1855, 8 vol. in-8. 135. Les Mohicans de Paris. \nParis, A. Cadot, 1854-1855, 19 vol. in-8. \n 136. A. Les Mohicans de Paris (Suite) Salvator le com-\nmissionnaire. Paris, A. Cadot, 1856 (-1859), 14 vol. in-8. Il a \u00e9t\u00e9 tir\u00e9 des Mohicans de Paris, la pi\u00e8ce suivante: B. Les Mohicans de Paris. \nDrame en cinq actes, en neuf tableaux, avec prologue. Paris, Michel L\u00e9vy, 1864, in-12 de 162 pp. 137. Ta\u00efti. Marquises. Californie. Journal de Madame \nGiovanni. R\u00e9dig\u00e9 et publi\u00e9 par A. Dumas. \nParis, A. Cadot, 1856, 4 vol. in-8. \n \n138. La derni\u00e8re ann\u00e9e de Marie Dorval. \nParis, Librairie Nouvelle, 1855, in-32 de 96 pp. 139. Le Capitaine Richard. (Une Chasse aux \u00e9l\u00e9-\nphants.) Paris, A. Cadot, 1858, 3 vol. in-8. \n 140. Les Grands hommes en ro be de chambre. C\u00e9sar. \nParis, A. Cadot, 1856, 7 vol. in-8. \u2013 374 \u2013 \n141. Les Grands hommes en ro be de chambre. Henri \nIV. Paris, A. Cadot, 1855, 2 vol. in-8 de 322 et 330 pp. \n \n142. Les Grands hommes en robe de chambre. Riche-\nlieu. Paris, A. Cadot, 1856, 5 vol. in-8. \n143. L'Orestie. \nTrag\u00e9die en trois actes et en vers, imit\u00e9e de l'antique. \nParis, Librairie Th\u00e9\u00e2trale, 1856, in-12 de 108 pp. 144. Le Li\u00e8vre de mon grand-p\u00e8re. \nParis, A. Cadot, 1857, in-8 de 309 pp. 145. La Tour Saint-Jacques-la-Boucherie. \nDrame historique en 5 actes et 9 tableaux, par MM. A. Dumas \net X. de Mont\u00e9pin. \nRepr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois sur le Th\u00e9\u00e2tre Imp\u00e9rial du Cirque (15 nov. 1856). A la Librairie Th\u00e9\u00e2trale, 1856, gr. in-8 de 16 pp. 146. P\u00e8lerinage de Hadji-Abd-el-Hamid-Bey (Du Cou-\nret). M\u00e9dine et la Mecque. Paris, A. Cadot, 1856-1857, 6 \nvol. in-8. 147. Madame du Deffand. \nParis, A. Cadot, 1856-1857, 8 vol. in-8. \n148. La Dame de volupt\u00e9. \nM\u00e9moires de Mlle de Luynes, publi\u00e9s par A. Dumas. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1864, 2 vol. in-18 de 284 et 332 pp. 149. L'Invitation \u00e0 la valse. \nCom\u00e9die en un acte et en prose. Repr\u00e9sent\u00e9e pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre du Gymnase (18 juin 1857). Paris, Beck, 1837 (pour 1857), in-12 de 48 pp. \u2013 375 \u2013 \n150. L'Homme aux contes. \nLe Soldat de plomb et la dans euse de papier. Petit-Jean et \nGros-Jean. \nLe roi des taupes et sa fille. La Jeunesse de Pierrot. \u00c9dition interdite en France. Bruxelles, Office de publicit\u00e9, Coll. Hetzel, 1857, in-32 de 208 pp. \n \n151. Les Compagnons de J\u00e9hu. \nParis, A. Cadot, 1857, 7 vol. in-8. 152. Charles le T\u00e9m\u00e9raire. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1860, 2 vol. in-12 de 324 et 310 pp. 153. Le Meneur de loups. \nParis, A. Cadot, 1857, 3 vol. in-8. \n 154. Causeries. \nPremi\u00e8re et deuxi\u00e8me s\u00e9ries. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1860, 2 vol. in-8. 155. La Retraite illumin\u00e9e , par A. Dumas, avec divers ap-\npendices par M. Joseph Bard et Sommeville. Auxerre, Ch. Gallot, Libraire-\u00e9diteur, 1858, in-12 de 88 pp. 156. L'Honneur est satisfait. \nCom\u00e9die en un acte et en prose. Paris, Librairie Th\u00e9\u00e2trale, 1858, in-12 de 48 pp. \n \n157. La Route de Varennes. \nParis, Michel L\u00e9vy, 1860, in-18 de 279 pp. 158. L'Horoscope. \nParis, A. Cadot, 1858, 3 vol. in-8. 159. Histoire de mes b\u00eates. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1867, in-18 de 333 pp. \u2013 376 \u2013 \n160. Le Chasseur de sauvagine. \nParis, A. Cadot, 1858, 2 vol. in-8 de chacun 317 pp. \n \n161. Ainsi soit-il. \nParis, A. Cadot, s. d. (1862), 5 vol. in-8. Il a \u00e9t\u00e9 tir\u00e9 de ce roman la pi\u00e8ce suivante: \nMadame de Chamblay. \nDrame en cinq actes, en prose. Paris, Michel L\u00e9vy, 1869, in-18 de 96 pp. 162. Black. \nParis, A. Cadot, 1858, 4 vol. in-8. 163. Les Louves de Machecoul , par A. Dumas et G. de \nCherville. \nParis, A. Cadot, 1859, 10 vol. in-8. 164. De Paris \u00e0 Astrakan, nouvelles impressions de \nvoyage. Premi\u00e8re et deuxi\u00e8me s\u00e9rie. Paris, Librairie nouvelle A. Bourdilliat et Cie, 1860, 2 vol. in-18 de 318 et 313 pp. 165. Lettres de Saint-P\u00e9tersbourg (sur le Servage en Rus-\nsie). \u00c9dition interdite pour la France. Bruxelles, Rozez, coll. Hetzel 1859, in-32 de 232 pp. \n \n166. La Fr\u00e9gate l'Esp\u00e9rance. \n\u00c9dition interdite pour la France. B r u x e l l e s , O f f i c e d e p u b l i c i t \u00e9 ; L e i p z i g , A . D \u00fc r r , c o l l . H e t z e l , 1859, in-32 de 232 pp. 167. Contes pour les grands et les petits enfants. \nB r u x e l l e s , O f f i c e d e p u b l i c i t \u00e9 ; L e i p z i g , A . D \u00fc r r , c o l l . H e t z e l , 1859, 2 vol. in-32 de 190 et 204 pp. \u2013 377 \u2013 \n168. Jane. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1862, in-18 de 324 pp. \n \n169. Herminie et Marianna. \n\u00c9dition interdite pour la France. Bruxelles, M\u00e9line, Cans et Cie, coll. Hetzel, 1859, in-32 de 174 pp. \n \n170. Ammalat-Beg. \nParis, A. Cadot, s. d. (1859), 2 vol. in-8 de 326 et 352 pp. 171. La Maison de glace. \nParis, Michel L\u00e9vy, 1860, 2 vol. in-18 de 326 et 280 pp. 172. Le Caucase. Voyage d'Alexandre Dumas. \nParis, Librairie Th\u00e9\u00e2trale, s. d. (1859), in-4 de 240 pp. \n 173. Traduction de Victor Perceval. M\u00e9moires d'un \npoliceman. Paris, A. Cadot, 1859, 2 vol. in-8 de chacun 325 \npp. 174. L'Art et les artistes contemporains au Salon de \n1859. Paris, A. Bourdilliat et Cie, 1859, 2 vol. in-18 de 188 pp. 175. Monsieur Coumbes. (Histoire d'un cabanon et d'un \nchalet.) Paris, A. Bourdilliat et Cie, 1860, in-18 de 316 pp. \nConnu aussi sous le titre suivant : Le Fils du For\u00e7at \n \n176. Docteur Maynard. Les Baleiniers, voyage aux terres \nantipodiques. Paris, A. Cadot, 1859, 3 vol. in-8. 177. Une Aventure d'amour (Herminie). \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1867, in-18 de 274 pp. \u2013 378 \u2013 178. Le P\u00e8re la Ruine. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1860, in-18 de 320 pp \n \n179. La Vie au d\u00e9sert. Cinq ans de chasse dans l'int\u00e9-\nrieur de l'Afrique m\u00e9ridionale par Gordon Cum-\nming. Paris, Impr. de Edouard Blot, s. d. (1860), gr. in-8 de 132 pp. \n180. Moullah-Nour. \n\u00c9dition interdite pour la France. \nBruxelles, M\u00e9line, Cans et Cie, coll. Hetzel, s. d. (1860), 2 vol. in-32 de 181 et 152 pp. 181. Un Cadet de famille traduit par Victor Perceval, publi\u00e9 \npar A. Dumas. Premi\u00e8re, deuxi\u00e8me et troisi\u00e8me s\u00e9rie. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1860, 3 vol. in-18. 182. Le Roman d'Elvire. \nOp\u00e9ra-comique en trois actes, par A. Dumas et A. de Leuven. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1860, in-18 de 97 pp. 183. L'Envers d'une conspiration. \nCom\u00e9die en cinq actes, en prose. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1860, in-18 de 132 pp. 184. M\u00e9moires de Garibaldi, traduits sur le manuscrit \noriginal, par A. Dumas. Premi\u00e8re et deuxi\u00e8me s\u00e9rie. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1860, 2 vol. in-18 de 312 et 268 pp. \n 185. Le p\u00e8re Gigogne contes pour les enfants. \nPremi\u00e8re et deuxi\u00e8me s\u00e9rie. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1860, 2 vol. in-18. 186. Les Drames galants. La Marquise d'Escoman. \nParis, A. Bourdilliat et Cie, 1860, 2 vol. in-18 de 281 et 291 pp. \u2013 379 \u2013 187. Jacquot sans oreilles. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1873, in-18 de XXVIII-231 pp. \n \n188. Une nuit \u00e0 Florence sous Alexandre de M\u00e9dicis. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1861, in-18 de 250 pp. \n 189. Les Garibaldiens. R\u00e9volution de Sicile et de Na-\nples. Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1861, in-18 de 376 pp. \n 190. Les Morts vont vite. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1861, 2 vol. in-18 de 322 et 294 pp. 191. La Boule de neige. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1862, in-18 de 292 pp. 192. La Princesse Flora. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1862, in-18 de 253 pp. \n 193. Italiens et Flamands. \nPremi\u00e8re et deuxi\u00e8me s\u00e9rie. Paris, Michel L\u00e9vy, 1862, 2 vol. in-18 de 305 et 300 pp. 194. Sultanetta. \nParis, Michel L\u00e9vy, 1862, in-18 de 320 pp. 195. Les Deux Reines, suite et fin des M\u00e9moires de \nMlle de Luynes. Paris, Michel L\u00e9vy fr \u00e8res, 1864, 2 vol. in-\n18 de 333 et 329 pp. \n196. La San-Felice. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1864-1865, 9 vol. in-18. \n 197. Un Pays inconnu, (G\u00e9ral-Milco; Br\u00e9sil.). \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1865, in-18 de 320 pp. 198. Les Gardes forestiers. \nDrame en cinq actes. \u2013 380 \u2013 Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Grand-\nTh\u00e9\u00e2tre parisien (28 mai 1865). Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, s. d. (1865), gr. in-8 de 36 pp. \n \n199. Souvenirs d'une favorite. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1865, 4 vol. in-18. 200. Les Hommes de fer. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1867, in-18 de 305 pp. 201. A. Les Blancs et les Bleus. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1867-1868, 3 vol. in-18. B. Les Blancs et les Bleus. \nDrame en cinq actes, en onze tableaux. Repr\u00e9sent\u00e9 pour la premi\u00e8re fois, \u00e0 Paris, sur le Th\u00e9\u00e2tre du \nCh\u00e2telet (10 mars 1869). (Michel L\u00e9vy fr\u00e8res), s. d. (1874), gr in-8 de 28 pp. 202. La Terreur prussienne. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1868, 2 vol. in-18 de 296 et 294 pp. 203. Souvenirs dramatiques. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1868, 2 vol. in-18 de 326 et 276 pp. 204. Parisiens et provinciaux. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1868, 2 vol. in-18 de 326 et 276 pp. 205. L'\u00cele de feu. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1871, 2 vol. in-18 de 285 et 254 pp. 206. Cr\u00e9ation et R\u00e9demption. Le Docteur myst\u00e9rieux. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1872, 2 vol. in-18 de 320 et 312 pp. 207. Cr\u00e9ation et R\u00e9demption. La Fille du Marquis. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1872, 2 vol. in-18 de 274 et 281 pp. 208. Le Prince des voleurs. \u2013 381 \u2013 Paris, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1872, 2 vol. in-18 de 293 et 275 pp. \n 209. Robin Hood le proscrit. \nParis, Michel L\u00e9vy fr\u00e8res, 1873, 2 vol. in-18 de 262 et 273 pp. \n 210. A. Grand dictionnaire de cuisine, par A. Dumas (et \nD.-J. Vuillemot). Paris, A. Lemerre, 1873, gr. in-8 de 1155 pp. \n \nB. Petit dictionnaire de cuisine. \nParis, A. Lemerre, 1882, in-18 de 819 pp. 211. Propos d'art et de cuisine. Paris, Calmann-L\u00e9vy, \n1877, in-18 de 304 pp. 212. Herminie. L'Amazone. Paris, Calmann-L\u00e9vy, 1888, \nin-16 de 111 pp. \u2013 382 \u2013 \u00c0 propos de cette \u00e9dition \u00e9lectronique \nTexte libre de droits. \n \nCorrections, \u00e9dition, conversion informatique et publication par \nle groupe : \n \nEbooks libres et gratuits \n \nhttp://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits \n \nAdresse du site web du groupe : \n http://www.ebooksgratuits.com/ \n \n\u2014 \nNovembre 2004 \n\u2014 \n \n\u2013 Dispositions : \nLes livres que nous mettons \u00e0 votre disposition, sont des textes li-\nbres de droits, que vous pouvez utiliser librement, \u00e0 une fin non \ncommerciale et non professionnelle . Tout lien vers notre site \nest bienvenu\u2026 \n \n\u2013 Qualit\u00e9 : \nLes textes sont livr\u00e9s tels quels sans garantie de leur int\u00e9grit\u00e9 par-faite par rapport \u00e0 l'original. 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