{"filename": "Stevenson-tresor.pdf", "content": " \nRobert-Louis Stevenson \n \nLL\u2019\u2019\u00ee\u00eellee aauu ttrr\u00e9\u00e9ssoorr \n \n \n \n \n \n \nBeQ \n \n \nRobert-Louis Stevenson \nL\u2019\u00eele au tr\u00e9sor \nroman \n \nTraduction de D\u00e9odat Serval \n \n \n \n \n \nLa Biblioth\u00e8que \u00e9lectronique du Qu\u00e9bec \nCollection \u00c0 tou s les vents \nVolume 591 : version 1.0 \n 2 \n \n \nDu m\u00eame auteur, \u00e0 la Biblioth\u00e8que : \n \nLe cas \u00e9t range du doct eur Jekyll \nNouvelles Mille et une nuits \n 3 \n \n \n \n \nL\u2019\u00eele au tr\u00e9sor \n \n\u00c9dition de r\u00e9f\u00e9rence : \n\u00c9ditions Rencontre, Lausanne, 1968. \n 4 5\n \n \n \n \n \nPremi\u00e8re partie \n \nLe vieux flibustier \n 6 \n \nI \n \nLe vieux loup de mer de l\u2019 Amiral Benbow \n \nC\u2019est sur les instances de M. le chevalier Trelawney, \ndu docteur Lives ey et de tous ces messieurs en g\u00e9n\u00e9ral, \nque je me suis d\u00e9cid\u00e9 \u00e0 me ttre par \u00e9crit t out ce que je \nsais concernant l\u2019\u00eele au tr\u00e9sor , depui s A jus qu\u2019\u00e0 Z, sans \nrien excepter que la position de l\u2019\u00eele, et cela uniquement \nparce qu\u2019il s\u2019y trouve toujours une partie du tr\u00e9sor. Je \nprends donc la plume en cet an de gr\u00e2ce 17..., et \ncommence mon r\u00e9cit \u00e0 l\u2019\u00e9poq ue o\u00f9 mon p\u00e8re t enait \nl\u2019auberge de l\u2019 Amiral B enbow , en ce jour o\u00f9 le vieux \nmarin, au visage basan\u00e9 et balafr\u00e9 d\u2019un coup de sabre, \nvint prendre g\u00eete s ous notr e toit. \nJe me le rappelle, comme si c\u2019\u00e9t ait d\u2019hi er. Il arriva \nd\u2019un pas lourd \u00e0 la porte de l\u2019auberge, suivi de sa \ncantine charri \u00e9e sur une brouett e. C\u2019 \u00e9tait un gr and \ngaillard solide, aux cheveux t r\u00e8s bruns tordus en une \nqueue poisseuse qui retombait sur l e coll et d\u2019 un habit \nbleu malpropre ; il avait les mains coutur\u00e9es de \ncicatrices, les ongles noirs et d\u00e9chiquet\u00e9s, et la balafre \ndu coup de s abre, d\u2019un blanc sale et livide, s\u2019\u00e9t alait en \n 7traver s de sa j oue. Tout en sifflotant, il parcourut la \ncrique du regard, puis de sa vieille voix stridente et \nchevr otante qu\u2019 avaient rythm\u00e9e et cass \u00e9e les \nman\u0153uvres du cabestan, il entonna cette antique \nrengaine de mat elot qu\u2019il de vait nous chanter si souvent \npar la suite : \n \nNous \u00e9tions quinze su r le coffre du mort... \nYo-ho-ho ! et une bo uteille de rhum ! \n \nApr\u00e8s quoi, de son b\u00e2ton, une sorte d\u2019anspect, il \nheurta contre la porte et, \u00e0 mon p\u00e8re qui s\u2019empressait, \ncommanda br utalement un verre de rhum. Aussit\u00f4t \nservi, il le but pos\u00e9ment et le d\u00e9gusta en connaisseur, \nsans cess er d\u2019 examiner t our \u00e0 t our les fal aises et notre \nensei gne. \n\u2013 Voil\u00e0 une crique commode, dit-il \u00e0 la fin, et un \ncabaret agr\u00e9abl ement sit u\u00e9. Beaucoup de client\u00e8le, \ncamarade ? \nMon p\u00e8r e lui r\u00e9pondit n\u00e9gati vement : tr\u00e8s peu de \nclient\u00e8le ; si peu que c\u2019en \u00e9tait d\u00e9solant. \n\u2013 Eh bien ! alors, reprit-il, je n\u2019 ai plus qu\u2019 \u00e0 jeter \nl\u2019ancr e... H\u00e9 ! l\u2019ami, cri a-t-il \u00e0 l\u2019homme qui poussait la \nbrouette, accostez ici et aid ez \u00e0 monter mon coffr e... J e \n 8resterai i ci quel que temps , continua-t-il. Je ne suis pas \ndifficile : du r hum et des \u0153ufs au lard, il ne m\u2019en faut \npas pl us, et cett e point e l\u00e0-haut pour regar der passer les \nbateaux. Comment vous po urriez m\u2019appeler ? Vous \npourriez m\u2019appeler capitaine... Ah ! je vois ce qui vous \ninqui\u00e8te... Tenez ! (Et il jeta sur le comptoir trois ou \nquatr e pi\u00e8ces d\u2019or .) Vous me di rez quand j\u2019aurai tout \nd\u00e9pens\u00e9, fit-il, l\u2019air haut ain comme un capitai ne de \nvaisseau. \nEt \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9, en d\u00e9pit de ses pi\u00e8tres effets et de son \nrude langage, il n\u2019avait pas du tout l\u2019air d\u2019un homme \nqui a navigu\u00e9 \u00e0 l\u2019avant : on l\u2019 e\u00fbt pris pl ut\u00f4t pour un \nsecond ou pour un capi taine qui ne souffre pas la \nd\u00e9sob\u00e9issance. L\u2019homme \u00e0 la brouette nous raconta que \nla malle-poste l\u2019avait d\u00e9pos\u00e9 la veille au Royal George , \net qu\u2019il s\u2019\u00e9tait inform\u00e9 des auberges qu\u2019o n trouvait le \nlong de la c\u00f4te. On lui avait dit du bien de la n\u00f4tre, je \nsuppose, et pour son isolem ent il l\u2019avait choisie comme \ng\u00eete. Et ce fut l\u00e0 tout ce que nous appr\u00ee mes de notr e \nh\u00f4te. \nIl \u00e9tait ordinairement tr\u00e8s t aciturne. Tout le jour il \nr\u00f4dait alentour de la baie, ou sur les falaises, muni \nd\u2019une lunett e d\u2019approche en cu ivre ; toute la soir\u00e9e il \nrestait dans un coin de la salle, aupr\u00e8s du feu, \u00e0 boire \ndes grogs au rhum tr\u00e8s forts. La plupart du temps, il ne \nr\u00e9pondait pas quand on s\u2019ad ressait \u00e0 lui , mais vous \n 9regar dait brus quement d\u2019 un ai r f\u00e9roce, en soufflant par \nle nez telle une corne d\u2019alar me ; aussi, tout comme ceux \nqui fr \u00e9quent aient notr e maison, nous appr\u00eemes vit e \u00e0 le \nlaisser tranquille. Chaque j our, quand il rentrait de sa \npromenade, il s\u2019i nformait s\u2019il \u00e9t ait pass \u00e9 des gens de \nmer quelconques sur la route. Au d\u00e9but, nous cr\u00fbmes \nqu\u2019il nous posait cette questi on parce que la soci\u00e9t\u00e9 de \nses pareils lui manquait ; mais \u00e0 la longue, nous nous \naper\u00e7\u00fbmes qu\u2019il pr \u00e9f\u00e9rait les \u00e9viter. Quand un marin \ns\u2019arr\u00eatait \u00e0 l\u2019Amiral Benbow \u2013 comme faisaient parfois \nceux qui gagnaient Bristol par la route de l a c\u00f4te \u2013 il \nl\u2019examinait \u00e0 travers le ri deau de la porte avant de \np\u00e9n\u00e9trer dans la salle et, tant que le marin \u00e9tait l\u00e0, il ne \nmanquait jamais de rester muet comme une carpe. Mais \npour moi il n\u2019y avait pas de myst\u00e8re dans cette \nconduit e, car je partici pais en quelque sorte \u00e0 ses \ncraintes. Un j our, me pr enan t \u00e0 part, il m\u2019avait promis \nune pi\u00e8ce de di x sous \u00e0 chaque pr emier de moi s, si je \nvoulais \u00ab veiller au grain \u00bb et le pr\u00e9venir d\u00e8s l\u2019instant \no\u00f9 para\u00eetrait \u00ab un homme de me r \u00e0 une j ambe \u00bb. Le plus \nsouvent, lorsque venait le premier du mois et que je \nr\u00e9clamais mon salaire au capi taine, il se contentait de \nsouffler par le nez et de me foudroyer du regard ; mais \nla semaine n\u2019 \u00e9tait pas \u00e9coul \u00e9e qu\u2019il se ravisait et me \nremett ait ponct uellement mes di x sous, en me r\u00e9it \u00e9rant \nl\u2019ordre de veill er \u00e0 \u00ab l\u2019 homme de mer \u00e0 une j ambe \u00bb. \nSi ce personnage hantait mes songes, il est inutile de \n 10le dire. Par les nuits de te mp\u00eate o\u00f9 le vent secouait la \nmaison par les quatre co ins tandis que le ressac \nmugissait dans la crique et contre les falaises, il \nm\u2019apparaissait sous mille formes diverses et avec mille \nphysionomies diaboliques. Ta nt\u00f4t la jambe lui manquait \ndepuis le genou, tant\u00f4t d\u00e8s la hanche ; d\u2019autres fois \nc\u2019\u00e9tait un monstr e qui n\u2019 avait jamais poss\u00e9d\u00e9 qu\u2019une \nseule jambe, situ\u00e9e au milieu de son cor ps. Le pire de \nmes cauchemars \u00e9tait de le voir s\u2019\u00e9lancer par bonds et \nme poursuivre \u00e0 travers cha mps. Et, somme toute, ces \nabominables imaginations me faisaient payer bien cher \nmes dix sous mens uels. \nMais, en d\u00e9pit de la terre ur que m\u2019inspirait l\u2019homme \nde mer \u00e0 une jambe, j\u2019a vais beaucoup moins peur du \ncapitaine en personne que tous les aut res qui le \nconnaissaient. \u00c0 certains so irs, il buvait du grog \nbeaucoup plus qu\u2019il n\u2019en p ouvait supporter ; et ces \njours-l\u00e0 il s\u2019attardait parfoi s \u00e0 chanter ses sinistres et \nfarouches vieilles complaintes de matelot, sans souci de \npersonne. Mais, d\u2019autres fois, il commandait une \ntourn\u00e9e g\u00e9n\u00e9ral e, et obligea it l\u2019assistance intimid\u00e9e \u00e0 \nou\u00efr des r\u00e9cits ou \u00e0 repr endre en ch\u0153ur s es refrains. \nSouvent j\u2019ai entendu la mais on retentir du \u00ab Yo-ho-ho ! \net une bouteille de rhum ! \u00bb, alors que tous ses voisins \nl\u2019accompagnaient \u00e0 qui mi eux mieux pour \u00e9viter ses \nobser vations. Car c\u2019\u00e9t ait, dur ant ces acc\u00e8s , l\u2019homme l e \nplus t yrannique du monde : il claquait de la main sur la \n 11table pour exiger le silence, il se mettait en fureur \u00e0 \ncause d\u2019une question, ou voire m\u00eame si l\u2019on n\u2019en posait \npoint, car il jugeait par l\u00e0 qu e l\u2019on ne suivait pas son \nr\u00e9cit. Et il n\u2019admett ait poi nt que pers onne quitt \u00e2t \nl\u2019auberge avant que lui-m\u00eame, ivre mort, se f\u00fbt tra\u00een\u00e9 \njusqu\u2019\u00e0 son lit. \nCe qui effrayait surtout le monde, c\u2019\u00e9taient ses \nhistoi res. Histoir es \u00e9pouvan tables, o\u00f9 il n\u2019\u00e9tait question \nque d\u2019 hommes pendus ou jet\u00e9 s \u00e0 l\u2019 eau, de t emp\u00eates en \nmer, et des \u00eel es de l a Tortue, et d\u2019 affreux expl oits aux \npays de l \u2019Am\u00e9ri que es pagnol e. De son pr opre aveu, il \ndevait avoir v\u00e9cu parmi les pires sacripants auxquels \nDieu perm\u00eet jamais de navi guer. Et le langage qu\u2019il \nemployai t dans ses r \u00e9cits scandalisait nos braves \npaysans pr esque \u00e0 l\u2019\u00e9gal des for faits qu\u2019il narrait . Mon \np\u00e8re ne ces sait de dire qu\u2019il causer ait la rui ne de \nl\u2019auberge, car les gens refuseraient bient\u00f4t de venir s\u2019y \nfaire tyranniser et humili er, pour aller ens uite tr embl er \ndans leurs lits ; mais je croi rais plus volontiers que son \ns\u00e9jour nous \u00e9tait profitable. Sur le moment, les gens \navaient peur, mai s \u00e0 la r\u00e9flexion ils ne s\u2019 en plaignai ent \npas, car c\u2019\u00e9tait une fameus e distraction dans la morne \nroutine villageoise. Il y eut m\u00eame une coterie de jeunes \ngens qui affect\u00e8r ent de l\u2019 admi rer, l\u2019appelant \u00ab un vrai \nloup de mer \u00bb, \u00ab un authentiq ue vi eux flambart \u00bb, et \nautres noms s emblables, ajout ant que c\u2019\u00e9t aient les \nhommes de cette tr empe qui font l \u2019Angl eterre \n 12redoutabl e sur mer . \nDans un sens, \u00e0 l a v\u00e9rit\u00e9, il nous acheminait vers la \nruine, car il ne s\u2019en allait toujours pas : des semai nes \ns\u2019\u00e9coul\u00e8rent, puis des mois , et l\u2019acompte \u00e9tait depuis \nlongtemps \u00e9puis\u00e9, sans que mon p\u00e8re trouv\u00e2t jamais le \ncourage de l ui r\u00e9clamer l e compl \u00e9ment. L orsqu\u2019il y \nfaisait la moindre allusion, le capitaine soufflait par le \nnez, avec un br uit tel qu\u2019 on e\u00fbt di t un rugi ssement, et \nfoudroyait du regard mon pauv re p\u00e8re, qu i s\u2019empressait \nde quitter la sa lle. Je l\u2019ai vu se tordre les ma ins apr\u00e8 s \nl\u2019une de ces r ebuffades, et je ne doute pas que le souci \net l\u2019effroi o\u00f9 il vivait h\u00e2t\u00e8 rent de beaucoup sa fin \nmalheureuse et anticip\u00e9e. \nDe tout le temps qu\u2019il logea chez nous, \u00e0 part \nquelques pair es de bas qu\u2019il achet a d\u2019un colporteur, l e \ncapitai ne ne renouvel a en rien sa toilette. L\u2019un des coins \nde son tricorne s\u2019\u00e9tant cass\u00e9 , il le laissa pendre depuis \nlors, bien que ce lui f\u00fbt d\u2019 une grande g\u00eane par temps \nventeux. Je r evois l\u2019aspect de son habit, qu\u2019il rafistolait \nlui-m\u00eame dans s a chambr e de l\u2019\u00e9tage et qui, d\u00e8s avant \nla fin, n\u2019 \u00e9tait pl us que pi\u00e8ces. J amais il n\u2019\u00e9cr ivit ni ne \nre\u00e7ut une lettre, et il ne parl ait jamais \u00e0 personne qu\u2019aux \ngens du voisinage, et cela m\u00eame presque uniquement \nlorsqu\u2019il \u00e9tait ivre de rhum. Son grand coffre de marin, \nnul d\u2019entre nous ne l\u2019 avait jamais vu ouvert. \nOn ne lui r\u00e9sista qu\u2019une seul e fois , et ce f ut dans l es \n 13derni ers temps, al ors que mon pauvr e p\u00e8re \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 \ngravement atteint de la phtis ie qui devait l\u2019emporter. Le \ndocteur Livesey, venu ver s la fin de l\u2019 apr\u00e8s-mi di pour \nvisiter son patient, accepta que ma m\u00e8re lui serv\u00eet un \nmorceau \u00e0 manger , puis, en a ttendant que son cheval f\u00fbt \nramen\u00e9 du hameau \u2013 car nous n\u2019avions pas d\u2019\u00e9curie au \nvieux Benbow \u2013 il s\u2019en alla fume r une pipe dans la \nsalle. Je l\u2019y suivis, et je me rappelle encore le contraste \nfrappant que faisait le docteur, bien mis et all\u00e8gre, \u00e0 la \nperruque poudr\u00e9e \u00e0 blanc, aux yeux noirs et vifs, au \nmaintien distingu\u00e9, avec les paysans rust auds, et surt out \navec notre sale et bl\u00eame \u00e9pouvantail de pirate, avachi \ndans l\u2019ivresse et les coudes sur la table. Soudain, il se \nmit \u2013 je parle du capitaine \u2013 \u00e0 ent onner son sempit ernel \nrefrain : \n \nNous \u00e9tions quinze su r le coffre du mort... \n Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum ! \nLa boisson et le diable ont exp\u00e9di\u00e9 les autres, \n Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum ! \n \nAu d\u00e9but , j\u2019avais cr u que \u00ab le coffr e du mor t \u00bb \u00e9tait \nsa grande cantine de l\u00e0-haut dans la chambre de devant, \net cette imagination s\u2019\u00e9 tait amalgam\u00e9e dans me s \ncauchemars avec celle de l\u2019 homme de mer \u00e0 une j ambe. \n 14Mais \u00e0 cette \u00e9poque nous avions depuis longtemps \ncess\u00e9 de faire aucune atten tion au refrain ; il n\u2019\u00e9tait \nnouveau, ce soir-l\u00e0, que pour le seul doct eur Livesey, et \nje m\u2019aper\u00e7us qu\u2019il produisait su r lui un effet rien moins \nqu\u2019agr\u00e9able, car le docteur le va un instant les yeux avec \nune v\u00e9ritable irritation avant de continuer \u00e0 entretenir le \nvieux Taylor , le jardinier, d\u2019un nouveau trait ement pour \nses rhumatismes. Cependant, le capitaine s\u2019excitait peu \n\u00e0 peu \u00e0 s a propre musi que, et il finit par claquer de la \nmain sur sa tabl e, d\u2019une ma ni\u00e8re que nous connaissi ons \ntous et qui exigeait le silenc e. Aussit\u00f4t, ch acun se tut, \nsauf le doct eur Li vesey qui pours uivit comme devant, \nd\u2019une voix clair e et courtoi se, en tir ant une forte \nbouff\u00e9e de sa pipe tous les deux ou trois mots. Le \ncapitaine le d\u00e9visagea un in stant avec courr oux, f it \nclaquer de nouveau sa main , puis le toisa d\u2019un air \nfarouche, et enfin la n\u00e7a avec un vil et grossier juron : \n\u2013 Silence, l\u00e0-bas dans l\u2019entrepont ! \n\u2013 Est-ce \u00e0 moi que ce dis cours s \u2019adress e, monsieur ? \nfit le docteur. \nEt quand le butor lui eut d\u00e9clar\u00e9, avec un nouveau \njuron, qu\u2019il en \u00e9tait ainsi : \n\u2013 Je n\u2019ai qu\u2019une chose \u00e0 vous dire, monsieur, \nr\u00e9pliqua le doct eur, c\u2019 est qu e si vous continuez \u00e0 boir e \ndu rhum de l a sorte, le mond e sera vite d\u00e9barrass\u00e9 d\u2019un \ntr\u00e8s i gnoble gr edin ! \n 15La fureur du vi eux dr \u00f4le fu t terrible. Il se dressa \nd\u2019un bond, tir a un cout elas de marin qu\u2019il ouvrit, et le \nbalan\u00e7ant sur la main ouverte , s\u2019appr\u00eata \u00e0 clouer au mur \nle docteur. \nCelui-ci ne broncha point. Il continua de lui parler \ncomme pr\u00e9c\u00e9demment, par-dess us l\u2019\u00e9paule, et du m\u00eame \nton, un peu plus \u00e9lev\u00e9 peut- \u00eatre, pour que toute la salle \nentend\u00eet, mais parfaite ment cal me et pos\u00e9 : \n\u2013 Si vous ne remettez \u00e0 l\u2019instant ce couteau dans \nvotre poche, je vous jure sur mon honneur que vous \nserez pendu aux pro chaines assises. \nIls se mesu r\u00e8rent du regard ; mais le capitaine c\u00e9da \nbient\u00f4t, remisa son arme, et se rassit, en grondant \ncomme un chi en battu. \n\u2013 Et mai ntenant, monsi eur, conti nua le doct eur, \nsachant d\u00e9sormais qu\u2019il y a un tel personnage dans ma \ncirconscription, vous pouv ez compter que j\u2019aurai l\u2019\u0153il \nsur vous nuit et jour. J e ne suis pas seulement m\u00e9deci n, \nje suis aussi magistrat ; et s\u2019il m\u2019arrive la moindre \nplainte contr e vous, f \u00fbt-ce pour un es clandre comme \ncelui de ce s oir, je prendrai les mesures efficaces pour \nvous faire arr\u00eater et expulser du pays. Vous voil\u00e0 \npr\u00e9venu. \n 16Peu apr \u00e8s on amenait \u00e0 l a porte le cheval du docteur \nLivesey, et celui-ci s\u2019en alla ; mais le capitaine se tint \ntranquille pour cette soir\u00e9e-l\u00e0 et nombre de suivantes. \n 17 \n \nII \n \nO\u00f9 Chien-Noir fait une br\u00e8ve apparition \n \nCe fut peu de temps ap r\u00e8s cette algarade que \ncommen\u00e7a la s\u00e9rie des my st\u00e9rieux \u00e9v\u00e9nements qui \ndevaient nous d\u00e9liv rer enfin du capita ine, mais non, \ncomme on le verra, des suites de sa pr\u00e9sence. Cet hiver-\nl\u00e0 fut tr\u00e8s froid et marqu\u00e9 par des gel\u00e9es fortes et \nprolong\u00e9es ainsi que par de r udes temp\u00eates ; et, d\u00e8s son \nd\u00e9but, nous compr\u00eemes que mon pauvre p\u00e8re avait peu \nde chances de voir le printe mps. Il baissait chaque jour, \net comme nous avions, ma m\u00e8re et moi, tout le travail \nde l\u2019auberge sur les bras, no us \u00e9tions trop occup\u00e9s pour \naccorder grande attention \u00e0 notre f\u00e2cheux pensionnaire. \nC\u2019\u00e9tait par un jour de janvier, de bon matin. Il faisait \nun froid glacial. Le givre bl anchissait toute la crique, le \nflot clapotait doucement sur le s galets, le soleil encore \nbas illuminait \u00e0 peine la cr\u00eate des collines et luisait au \nloin sur la mer. Le capita ine, l ev\u00e9 pl us t\u00f4t que de \ncoutume, \u00e9tait parti sur l a gr\u00e8ve, s on cout elas ball ant \nsous les larges basques de s on vieil habit bleu, sa \nlunette de cuivre sous le bras , son tricorne rejet\u00e9 sur la \n 18nuque. Je vois encore son haleine flotter derri\u00e8re lui \ncomme une fum\u00e9e, tandis qu\u2019 il s\u2019\u00e9l oignait \u00e0 grands pas . \nLe dernier son que je pe r\u00e7us de lui, comme il \ndispar aissait derr i\u00e8re l e gros rocher, fut un vi olent \nreniflement de col\u00e8re, \u00e0 fa ire croire qu\u2019il pensait \ntoujours au docteur Livesey. \nOr, ma m\u00e8r e \u00e9tait mont\u00e9e aupr\u00e8s de mon p\u00e8r e, et, en \nattendant le retour du capitaine, je dressais la table pour \nson d\u00e9jeuner, lorsque la porte de la salle s\u2019 ouvrit, et un \nhomme entra, que je n\u2019avais jamais vu. Son teint avait \nune p\u00e2l eur de cir e ; il lu i manquait deux doi gts de la \nmain gauche et, bien qu\u2019il f\u00fbt ar m\u00e9 d\u2019un coutel as, il \nsemblait peu combatif. Je ne cessais de guetter les \nhommes de mer, \u00e0 une j ambe ou \u00e0 deux, mais je me \nsouvi ens que cel ui-l\u00e0 m\u2019 embarrassa. Il n\u2019avait rien d\u2019 un \nmatelot, et n\u00e9anmoins il s\u2019exhalait de son aspect \ncomme un relent mariti me. \nJe lui demandai ce qu\u2019il y avait pour son service, et \nil me commanda un r hum. Je m\u2019 appr\u00eatais \u00e0 sortir de la \nsalle pour l\u2019aller chercher, lo rsque mon client s\u2019assit sur \nune t able et me fi t signe d\u2019 approcher. Je m\u2019arr\u00eatai sur \nplace, ma serviette \u00e0 la main. \n\u2013 Viens ici, fiston, reprit-il. Plus pr\u00e8s. \nJe m\u2019avan\u00e7ai d\u2019un pas. \n\u2013 Est-ce que cette tabl e est pour mon camarade \n 19Bill ? interrogea-t-il, en \u00e9bauchant un clin d\u2019\u0153il. \nJe lui r \u00e9pondis que j e ne connaissais pas son \ncamarade Bill, et que la ta ble \u00e9tait pour une personne \nqui logeait chez nous, et que nous appelions le \ncapitaine. \n\u2013 Au f ait, dit-il, je ne voi s pas pour quoi t on \ncapitai ne ne s erait pas mon camarade Bill. Il a une \nbalafre sur la joue , mon camarade Bill, et des mani\u00e8res \ntout \u00e0 fait gracieuses, en particulier lorsqu\u2019il a bu. \nMettons, pour voir, que t on capitaine a une balafre sur \nla joue, et mettons, si tu le veux bien, que c\u2019est sur la \njoue droite. Hein ! qu\u2019est-c e que je te disais ! Et \nmaintenant, je r\u00e9p\u00e8te : mon camarade Bill est-il dans la \nmaison ? \nJe lui r\u00e9pondis qu\u2019il \u00e9tait parti en promenade. \n\u2013 Par o\u00f9, fiston ? Par o\u00f9 est-il all\u00e9 ? \nJe d\u00e9signai le rocher, et af firmai que le capitaine ne \ntarderait sans doute pas \u00e0 rentrer ; puis, quand j\u2019eus \nr\u00e9pondu \u00e0 quelques autres questions : \n\u2013 Oh ! dit-il, \u00e7a lui fera au tant de plaisir que de boire \nun coup, \u00e0 mon camarade Bill. \nIl pronon\u00e7a ces mots d\u2019 un air d\u00e9nu\u00e9 de toute \nbienveillance. Mais apr\u00e8s tout ce n\u2019 \u00e9tait pas mon \naffaire, et d\u2019ailleurs je ne savais quel parti prendre. \nL\u2019\u00e9tr anger demeur ait post\u00e9 t out cont re la porte de \n 20l\u2019auberge, et surveillait le tournant comme un chat qui \nguette une souris. \n\u00c0 un moment, j e me hasard ai sur la route, mais il \nme rappela aussit\u00f4t, et comme je n\u2019ob\u00e9issais pas assez \nvite \u00e0 son gr\u00e9, sa face cireuse prit une expression \nmena\u00e7ante, et avec un blasph\u00e8me qui me fit sursauter, il \nm\u2019ordonna de revenir. D\u00e8s que je lui eus ob\u00e9i, il revint \n\u00e0 ses allures premi\u00e8res, mi -caressantes, mi-railleuses, \nme tapota l\u2019\u00e9paule, me d \u00e9clara que j\u2019 \u00e9tais un br ave \ngar\u00e7on, et que je lui inspirai s la pl us vive s ympat hie. \n\u2013 J\u2019ai moi-m\u00eame un fils, aj outa-t-il, qui te ressemble \ncomme deux gouttes d\u2019eau, et il fait toute la joie de \nmon c\u0153ur. Mais le gr and poi nt pour les enfants est \nl\u2019ob\u00e9issance, fist on... l\u2019ob\u00e9issance. Or, si tu avais \nnavigu\u00e9 avec Bill, tu n\u2019aura is pas attendu que je te \nrappelle deux fois... certes non. C e n\u2019\u00e9tait pas \nl\u2019habitude de Bill, ni de ceu x qui naviguaient avec lui. \nMais voil\u00e0, en v\u00e9rit\u00e9, mo n camarade Bill, avec sa \nlunette d\u2019approche sous le bras, Dieu le b\u00e9niss e, ma \nfoi ! Tu vas te reculer avec moi dans la salle, fiston, et \nte mettre derri\u00e8re la porte : nous allons faire \u00e0 Bill une \npetite surprise... Qu e Die u le b\u00e9nisse ! je le r\u00e9p \u00e8te ! \nCe disant, l\u2019inconnu m\u2019attir a dans la salle et me \npla\u00e7a der ri\u00e8re lui dans un co in o\u00f9 la porte ouverte nous \ncachait tous les deux. J\u2019\u00e9tai s fort ennuy\u00e9 et inquiet, \ncomme bien on pense, et mes cr aintes s\u2019 augmentai ent \n 21encore de voir l\u2019\u00e9tranger, lu i aus si, visibl ement effray\u00e9 . \nIl d\u00e9gagea la poign\u00e9e de son coutelas, et en fit jouer la \nlame dans sa gaine ; et t out le temps que dura notre \nattente, il ne cessa de ravale r sa salive, comme s\u2019il avait \neu, comme on dit, un crapaud dans la gorge. \n\u00c0 la fin, le capitaine en tra, fit cl aquer l a porte \nderri\u00e8r e lui sans regar der ni \u00e0 dr oite ni \u00e0 gauche, et \ntraversant la pi\u00e8ce, alla dro it vers la table o\u00f9 l\u2019attendait \nson d\u00e9j euner. \n\u2013 Bill ! lan\u00e7a l\u2019\u00e9tranger, d\u2019un e voix qu\u2019il s\u2019effor\u00e7ait, \nme parut-il, de rendre forte et ass ur\u00e9e. \nLe capitaine pivota sur ses ta lons, et nous fit face : \ntout h\u00e2le avait di sparu de son vi sage, qui \u00e9tait bl\u00eame \njusqu\u2019au bout du nez ; on e\u00fb t dit, \u00e0 son air, qu\u2019il venait \nde voir appara\u00eetre un fant \u00f4me, ou le diable, ou pis \nencore, s\u2019il se peut ; et j\u2019avoue que je le pris en piti\u00e9, \u00e0 \nle voir tout \u00e0 coup si vieilli et si d\u00e9fait. \n\u2013 Allons, Bill, tu me reco nnais ; tu reconnais un \nvieux camarade de bo rd, pas vrai, Bill ? \nLe capit aine eut un s oupir spasmodi que : \n\u2013 Chien-Noir ! fit-il. \n\u2013 Et qui serait-ce d\u2019autre ? reprit l\u2019\u00e9tranger avec plus \nd\u2019assurance. Chien-Noir pl us que jamais , venu voir s on \nvieux camarade de bord, Bill, \u00e0 l\u2019auberge de l\u2019 Amiral \nBenbow ... Ah ! Bill, Bill, nous en avons vu des choses, \n 22tous l es deux, depuis que j\u2019 ai perdu ces deux doigts, \najouta-t-il, en \u00e9leva nt sa main mutil\u00e9e. \n\u2013 Eh bien, voyons, fit le capitaine, vous m\u2019avez \nretrouv\u00e9 : me voici. Pa rlez donc. Qu\u2019y a-t-il ? \n\u2013 C\u2019est bien toi, Bill, r\u00e9pl iqua Chien-Noir. Il n\u2019y a \npas d\u2019 erreur, Bill y. Je vais me fair e servir un verr e de \nrhum par ce cher enfant-ci, qui m\u2019inspire tant de \nsympathie, et nous allons nous asseoir, s\u2019il te pla\u00eet, et \ncauser franc comme deux vieux copains. \nQuand j e revins avec le rhum, ils \u00e9tai ent d\u00e9j \u00e0 \ninstall \u00e9s de chaque c\u00f4t \u00e9 de l a table servie pour le \nd\u00e9jeuner du capit aine : Chi en-No ir aupr\u00e8s de la porte, et \nassis de biais comme pour surv eiller d\u2019un \u0153il son vieux \ncopain, et de l\u2019autre, \u00e0 mon id\u00e9e, s a ligne de r etraite. \nIl m\u2019enjoignit de sortir en laissant la porte grande \nouverte. \n\u2013 On ne me la fait pas avec les trous de serrure, \nfiston, ajouta-t-il. \nJe les laissai donc ensemb le et me r \u00e9fugiai dans \nl\u2019estaminet. \nJ\u2019eus beau pr\u00eater l\u2019oreille , comme de juste, il se \npassa un bon moment o\u00f9 je ne saisis rien de leur \nbavardage, car ils parlaient \u00e0 voix basse ; mais peu \u00e0 \npeu ils \u00e9lev\u00e8r ent le ton, et je dis cernai quel ques mot s, \nprinci palement des jur ons, lanc\u00e9s par le capit aine. \n 23\u2013 Non, non, non, et mille fois non ! et en voil\u00e0 \nassez ! cria-t-il une fois. \nEt une autre : \n\u2013 Si cela finit par la pot ence, tous ser ont pendus , je \nvous dis ! \nEt tout \u00e0 coup il y eut une effr oyable explosion de \nblasph\u00e8mes : chais es et t able culbut \u00e8rent \u00e0 la fois ; un \ncliquetis d\u2019acier retentit, puis un hurlement de douleur, \net une seconde plus tard je vis Chien-Noir fuir \u00e9perdu, \nserr\u00e9 de pr \u00e8s par le capit aine, tous deux coutelas au \npoing, et le premier sai gnant abondamment de l\u2019\u00e9paule \ngauche. Arriv\u00e9 \u00e0 la porte, le capitaine assena au fuyard \nun dernier coup fo rmidable qui lui aurait s\u00fbrement \nfendu le cr \u00e2ne, s i ce coup n\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 arr\u00eat\u00e9 par notre \nmassive enseigne de l\u2019 Amiral B enbow . On voit encore \naujourd\u2019hui la br \u00e8che sur la partie inf\u00e9rieure du tableau. \nCe coup mit fin au combat. Aussit\u00f4t sur la route, \nChien- Noir, en d\u00e9pit de s a blessur e, prit ses jambes \u00e0 \nson cou, et avec une agilit\u00e9 merveilleuse, disparut en \nune demi -minut e derri\u00e8r e la cr\u00eate de la colline. Pour le \ncapitaine, il restait \u00e0 b\u00e9er devant l\u2019enseigne, comme \nsid\u00e9r\u00e9. Apr\u00e8s quoi, il se pass a la main sur les yeux \u00e0 \nplusi eurs repris es, et fi nalement r entra dans la maison. \n\u2013 Jim, me dit-il, du rhum ! \nEt comme il parlait, il tituba l\u00e9g\u00e8rement et s\u2019appuya \n 24d\u2019une main contr e le mur . \n\u2013 \u00cates-vous bless\u00e9 ? m\u2019\u00e9criai-je. \n\u2013 Du rhum ! r\u00e9p\u00e9ta-t-il. Il faut que je m\u2019en aille \nd\u2019ici. Du rhum ! du r hum ! \nJe courus lui en chercher ; mais, tout boulevers\u00e9 par \nce qui venait d\u2019arriver, je cas sai un verre et faussai le \nrobinet, s i bien que j\u2019\u00e9t ais toujours occup\u00e9 de mon c\u00f4t\u00e9 \nlorsque j \u2019entendi s dans l a salle l e bruit d\u2019 une lour de \nchute. Je me pr\u00e9cipitai et vis le capitai ne \u00e9tal\u00e9 de t out \nson long sur le carreau. \u00c0 la m\u00eame minute, ma m\u00e8re, \nalarm\u00e9e par les cris et la bagarre, descendait quatre \u00e0 \nquatre pour venir \u00e0 mon ai de. \u00c0 nous deux, nous lui \nrelev\u00e2mes la t\u00eate. Il respira it bruyamment et avec peine, \nmais il avait les yeux ferm\u00e9s et le visage d\u2019une teinte \nhideuse. \n\u2013 Mon Dieu, mon Di eu ! s\u2019\u00e9cria ma m\u00e8re, quel \nmalheur pour notr e mais on ! Et ton pauvre p\u00e8re qui est \nmalade ! \nCependant nous n\u2019avions au cune id\u00e9e de ce qu\u2019il \nconvenait de faire pour secou rir le capitaine, et nous \nrestions persuad\u00e9s qu\u2019il avai t re\u00e7u un coup mortel dans \nsa lutte avec l\u2019\u00e9tranger. \u00c0 tout hasard, je pris le verre de \nrhum et tentai de lui en introduire un peu dans le \ngosier ; mais il avait l es dents \u00e9troitement serr\u00e9es et les \nm\u00e2choires contract\u00e9es comme un \u00e9tau. C e fut pour nous \n 25une vr aie d\u00e9li vrance de voir la port e s\u2019ouvri r et livrer \npassage au docteur Livesey, venu pour visiter mon p\u00e8re. \n\u2013 Oh ! doct eur ! cri\u00e2mes- nous , que f aire ? O\u00f9 est -il \nbless\u00e9 ? \n\u2013 Lui, bless\u00e9 ? Taratata ! fit le docteur. Pas pl us \nbless\u00e9 que vous ni moi. Cet homme vient d\u2019avoir une \nattaque d\u2019apoplexie, comme je le lui avais pr\u00e9dit. \nAllons, madame Hawki ns, remontez vit e aupr \u00e8s de \nvotre mari, et autant que possi ble ne lui parlez de rien. \nDe mon c\u00f4t\u00e9, je dois faire de mon mieux pour sauver la \nvie tr ois fois indi gne de ce mis\u00e9rable, et pour cela Jim \nici pr\u00e9sent va m\u2019ap porter une cuvette. \nQuand je rentrai avec la cuvette, le docteur avait \nd\u00e9j\u00e0 retrouss\u00e9 la manche du capit aine et mis \u00e0 nu s on \ngros bras musculeux. Il \u00e9tait couvert de tatouages : \n\u00ab Bon vent \u00bb et \u00ab Billy Bone s s\u2019en fiche \u00bb se lisaient \nfort nettement sur l\u2019avant-bras ; et plus haut vers \nl\u2019\u00e9paule on voyait le dess in d\u2019une potence avec son \npendu \u2013 dessin ex\u00e9cut \u00e9 \u00e0 mo n sens avec beaucoup de \nverve. \n\u2013 Proph\u00e9tique ! fit le doct eur, en t ouchant du doi gt \nce croquis. Et maintenant, ma \u00eetre Billy Bones, si c\u2019est \nbien l\u00e0 votre nom, nous allo ns voir un peu l a couleur de \nvotre sang... Jim, avez -vous peur du sang ? \n\u2013 Non, monsieur. \n 26\u2013 Bon. Alors, tenez la cuvette. \nEt l\u00e0-dessus il prit sa lanc ette et ouvrit la veine. \nIl fallut tirer beaucoup de sang au capitaine avant \nqu\u2019il s oulev\u00e2t l es paupi \u00e8res et promen\u00e2t autour de lui un \nregard vague. D\u2019abord il fron\u00e7a le sourcil en \nreconnaissant le m\u00e9decin ; puis son regard s\u2019arr\u00eata sur \nmoi, et il sembla rass ur\u00e9. Mais soudai n il changea de \ncouleur et s\u2019effor\u00e7a de se lever, en criant : \n\u2013 O\u00f9 est Chien- Noir ? \n\u2013 Il n\u2019y a de chien noir ici que dans votre \nimagination, r\u00e9pliqua le do cteur. Vous avez bu du \nrhum ; vous avez eu une at taque, tout comme je vous le \npr\u00e9disais, et je viens, f ort \u00e0 regret, de vous arracher \u00e0 la \ntombe o\u00f9 vous piqui ez une t\u00eate. Et maint enant , ma\u00eet re \nBones... \n\u2013 Ce n\u2019est pas mon nom, interr ompit -il. \n\u2013 Peu i mporte ! C\u2019est cel ui d\u2019un fl ibusti er de ma \nconnaissance, et je vous appe lle ainsi pour abr\u00e9ger. Ce \nque j\u2019ai \u00e0 vous dir e, le voi ci : un ver re de rhum ne vous \ntuera pas , mais si vous en prenez un, vous en prendrez \nun second, et un troisi\u00e8me, et je gagerais ma perruque \nque, si vous ne cessez pas net, vous mourr ez... \nentendez-vous bien ?... vous mourrez, et vous irez \u00e0 \nvotre vraie place, comme il est dit dans la Bible. Allons, \nvoyons, faites un effort. Je vous aiderai \u00e0 vous mett re \n 27au lit, pour cette fois. \n\u00c0 nous deux, et non sans pe ine, nous arriv\u00e2mes \u00e0 le \nporter en haut et \u00e0 le d\u00e9pose r sur son lit. Sa t\u00eate retomba \nsur l\u2019oreiller, comme s\u2019il allait s\u2019\u00e9vanouir. \n\u2013 Maintenant, dit le doct eur, r appelez-vous bien ce \nque je vous d\u00e9clare en consc ience : le rhum pour vous \nest un arr\u00eat de mort. \nEt l\u00e0-dessus il me prit par le bras et m\u2019entr a\u00eena vers \nla chambre de mon p\u00e8re. \n\u2013 Ce ne sera rien, me dit- il, sit\u00f4t la porte referm\u00e9e. \nJe lui ai tir\u00e9 assez de sang pour qu\u2019il se tienne un \nmoment tranquille. Le mieux pour vous et pour lui \nserait qu\u2019il rest\u00e2t au lit une huitaine ; mais une nouvelle \nattaque l \u2019emporter ait. \n 28 \n \nIII \n \nLa tache noire \n \nVers midi, char g\u00e9 de bois sons rafra\u00ee chissantes et de \nm\u00e9dicaments, je p\u00e9n\u00e9trai chez le capitaine. Il se trouvait \n\u00e0 peu pr\u00e8s dans le m\u00eame \u00e9tat , quoi que un peu r anim\u00e9, et \nil me parut \u00e0 la fois faible et ag it\u00e9. \n\u2013 Jim, me dit-il, tu es le seul ici qui vaille quelque \nchose. Tu le sais, j\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 bon pour toi : pas un \nmois ne s\u2019est pas s\u00e9 o\u00f9 tu n\u2019 aies r e\u00e7u tes dix sous . Et \nmaintenant, camarade, tu voi s comme je suis aplati et \nabandonn\u00e9 de tous. Dis, Jim, tu vas m\u2019apporter un petit \nverre de rhum, tout de suite , n\u2019est-ce pas, camarade ? \n\u2013 Le doct eur... commen\u00e7ai -je. \nMais il \u00e9clata en mal\u00e9di ctions contre le doct eur, \nd\u2019une voix lasse quoique passionn\u00e9e. \n\u2013 Les docteurs s ont t ous des sagoui ns, fit-il ; et \ncelui-l\u00e0, hein, qu\u2019est-ce qu\u2019 il y conna\u00eet, aux gens de \nmer ? J\u2019ai \u00e9t\u00e9 dans des end roits chauds comme braise, \no\u00f9 les copains tombaient l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, de la fi\u00e8vre \njaune, o\u00f9 les sacr\u00e9s trembl ements de t erre fais aient \n 29onduler le sol com me une mer !... Qu\u2019est-ce qu\u2019il y \nconna\u00eet, ton docteur, \u00e0 des pays comme \u00e7a ?... et j e ne \nvivais que de rhum, je te di s. C\u2019 \u00e9tait ma boiss on et ma \nnourrit ure, nous \u00e9t ions comme ma ri et femme. Si je n\u2019ai \npas tout de suite mon rhum , je ne suis plus qu\u2019une \npauvre vieille carcasse \u00e9cho u\u00e9e, et mon sang retombera \nsur toi, Jim, e t sur ce sagouin de docteur. (Il se remit \u00e0 \nsacrer.) Vois, Jim, comme mes doigts s\u2019agitent, \ncontinua- t-il d\u2019 un ton plaintif. Je ne peux pas les arr\u00eater, \nje t\u2019assure. Je n\u2019ai pas bu une goutte de toute cette \nmaudite journ\u00e9e. Ce docteur est un idiot, je te dis. Si je \nne bois pas un coup de rh um, Jim, je vais avoir des \nvisions : j\u2019en ai d\u00e9j\u00e0. Je vois le vieux Flint dans ce coin-\nl\u00e0, derri\u00e8re toi ; je le vois au ssi net qu\u2019en peinture. Et si \nj\u2019attrape des visions, comme ma vie a \u00e9t \u00e9 orageuse, ce \nsera \u00e9pouvantable. Ton doct eur l ui-m\u00eame a dit qu\u2019 un \nverre ne me fer ait pas de mal. Jim, je te paierai une \nguin\u00e9e d\u2019or pour une topette. \nSon agitation croissait toujou rs, et cela m\u2019inqui\u00e9tait \npour mon p\u00e8r e, qui, \u00e9t ant au plus bas ce jour-l\u00e0, avait \nbesoin de repos. D\u2019ailleurs, si la tentative de corruption \nm\u2019offensait un peu, j\u2019\u00e9tais rassur\u00e9 par l es parol es du \ndocteur que me r appelait le capit aine. \n\u2013 Je ne veux pas de votr e argent, lui dis-j e, sauf \ncelui que vous devez \u00e0 mon p\u00e8 re. Vous aurez un verre, \npas plus . \n 30Quand je le lui apportai, il le saisit avidement et \nl\u2019absorba d\u2019un trait. \n\u2013 Ah ! oui, fit-il, \u00e7a va un peu mieux, pour s\u00fbr. Et \nmaintenant, camara de, ce docteur a-t- il dit combien de \ntemps je resterais clou\u00e9 ici sur cette vieille paillasse ? \n\u2013 Au moins une huitaine. \n\u2013 Tonnerre ! Une huit aine ! Ce n\u2019 est pas pos sible ! \nD\u2019ici l\u00e0 ils m\u2019auront flanqu\u00e9 la tache noire. En ce \nmoment m\u00eame, ces ganaches s ont en train de prendre le \nvent sur moi : des fain\u00e9ants incapables de conserver ce \nqu\u2019ils ont re\u00e7u, et qui veul ent fli buster la par t d\u2019autr ui. \nEst-ce l\u00e0 une conduite digne d\u2019un mari n, je te le \ndemande ? Mais je suis \u00e9 conome dans l\u2019\u00e2me, moi. \nJamais je n\u2019ai gaspill\u00e9, ni perdu mon bon argent, et je \nleur ferai encore la nique. Je n\u2019ai pas peur d\u2019 eux. J e vais \nlarguer un ris, camarade, et les distancer \u00e0 nouveau. \nTout en parlant ainsi, il s\u2019\u00e9tait lev\u00e9 de sa couche, \u00e0 \ngrand-peine, en s e tenant \u00e0 mon \u00e9paul e, qu\u2019il serrait \nquasi \u00e0 me faire crier, et mouvant ses jambes comme \ndes masses inertes. La v \u00e9h\u00e9mence de ses paroles, quant \n\u00e0 leur signification, contr astait am\u00e8rement avec la \nfaiblesse de la voix qui l es prof\u00e9rait. Une f ois assis au \nbord du lit, il s\u2019immobilisa. \n\u2013 Ce docteur m\u2019a tu\u00e9, balbutia-t-il. Mes oreilles \ntintent. Recouche-moi. \n 31Je n\u2019eus pas le temps de l\u2019assister, il retomba dans \nsa position premi\u00e8re et re sta silencieux une minute. \n\u2013 Jim, dit-il enfin, tu as vu ce mari n de t ant\u00f4t ? \n\u2013 Chien-Noir ? \n\u2013 Oui ! Chien-Noir !... C\u2019en est un mauvais, mais \nceux qui l\u2019ont envoy\u00e9 sont pires. Voil\u00e0. Si je ne \nparvi ens pas \u00e0 m\u2019en all er, et qu\u2019ils me flanquent la \ntache noire, rappelle-toi qu\u2019 ils en veulent \u00e0 mon vieux \ncoffre de mer. Tu montes \u00e0 cheval... tu sais monter, \nhein ? Bon. Donc, tu montes \u00e0 cheval, et tu vas chez... \neh bi en oui , tant pis pour eu x !... chez ce s empiternel \nsagouin de docteur, lui dire de rassembler tout son \nmonde... Magistrats et le re ste... et il leur mettra le \ngrappin dessus \u00e0 l\u2019 Amiral Benbow ... tout l\u2019 \u00e9quipage du \nvieux Flint, petits et grands , tout ce qu\u2019i l en rest e. \nJ\u2019\u00e9tais premier officier, moi, premier officier du vieux \nFlint, et je suis le seul qui connaisse l\u2019endroit. Il m\u2019a \nlivr\u00e9 le secret \u00e0 Savannah, sur son lit de mort, \u00e0 peu \npr\u00e8s comme j e pourr ais faire \u00e0 pr\u00e9s ent, vois- tu. M ais il \nne te faut les livrer que s\u2019 ils me flanquent la tache noire, \nou si t u vois encor e ce Chie n-Noir, ou bien un homme \nde mer \u00e0 une j ambe, Jim... celui-l \u00e0 surtout . \n\u2013 Mais qu\u2019 est-ce que cette tache noire, capitaine ? \n\u2013 C\u2019est un avertiss ement, camar ade. Je t\u2019expli querai, \ns\u2019ils en viennent l\u00e0. Mais cont inue \u00e0 ouvrir l\u2019\u0153il, Jim, et \n 32je partagerai avec toi \u00e0 \u00e9galit\u00e9, paro le d\u2019honneur ! \nIl divagua encore un peu, d\u2019 une voi x qui \ns\u2019affaiblissait ; mais je lui donnai sa potion ; il la prit, \ndocile comme un enfant, et fit la remarque que \u00ab si \njamais un marin avait eu beso in de dr ogues, c\u2019\u00e9t ait bi en \nlui \u00bb ; apr\u00e8s quoi il tomb a dans un s ommeil pr ofond \ncomme une syncope, o\u00f9 je le laissai. \nQu\u2019aurais-je fait si to ut s\u2019\u00e9tait normalement pass\u00e9 ? \nJe l\u2019ignore. Il est probable que j\u2019aurais tout racont\u00e9 au \ndocteur, car je craignais terriblement que l e capit aine s e \nrepent\u00eet de ses aveux et se d\u00e9barrass\u00e2t de moi. Mais il \nadvint que mon pauvre p\u00e8re mourut cett e nuit-l\u00e0, f ort \u00e0 \nl\u2019improviste, ce qui me fit n\u00e9gli ger tout autre s ouci. \nNotre l\u00e9gitime d\u00e9solation, le s visites des voisins, les \nappr\u00eats des fun\u00e9railles et tout le travail de l\u2019auberge \u00e0 \nsoutenir entre-temps, m\u2019accapar\u00e8rent si bien que j\u2019eus \u00e0 \npeine le loisir de songer au capitaine, et moins encore \nd\u2019avoir peur de lui . \nIl descendit le lendemain mati n, \u00e0 vr ai dir e, et prit \nses repas comme d\u2019habitude ; il mangea peu, mais but \ndu rhum, je le cr ains, plus qu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire, car il se \nservit lui-m\u00eame au comptoir, l\u2019air farouche et soufflant \npar le nez, sans que personne os\u00e2t s\u2019y opposer. Le soir \nqui pr \u00e9c\u00e9da l\u2019 enterrement, il \u00e9t ait plus ivre que jamais, \net cela scandalisait, dans cette maison en deuil, de l\u2019ou\u00efr \nchanter son sinistre vieux refrain de mer. Mais, en d\u00e9pit \n 33de sa faiblesse, il nous in spirait \u00e0 tous une crai nte \nmort elle, et le docteur, appel \u00e9 subitement aupr\u00e8s d\u2019 un \nmalade qui habitait \u00e0 plusieurs milles, resta \u00e9loign\u00e9 de \nchez nous apr\u00e8s le d\u00e9c\u00e8s de mon p\u00e8re. Je viens de dire \nque le capitaine \u00e9tait faible ; en r\u00e9alit\u00e9, il paraissait \ns\u2019affaiblir au lieu de repr endre des forces. Il grimpait et \ndescendait l\u2019escal ier, all ait et venait de l a sall e \u00e0 \nl\u2019estaminet et r\u00e9ci proquement , et parfois mettait le nez \nau-dehor s pour humer l\u2019 air sa lin, mais il marchait en se \ntenant aux murs, et respirait vite et avec f orce, comme \non fait en escaladant une montagne. Pas une fois il ne \nme parla en particulier, et je suis persuad\u00e9 qu\u2019il avait \nquasi oubli\u00e9 s es confi dences. Mai s son humeur \u00e9t ait \nplus instable, et en d\u00e9pit de sa faiblesse corporelle, plus \nagres sive que j amais. L orsqu\u2019il avait bu, il prenait la \nmanie inqui \u00e9tant e de tir er son coutelas et de gar der la \nlame \u00e0 sa port \u00e9e sur sa table. Mais tout compte fait, il se \nsouciait moins des gens et avait l\u2019air plong\u00e9 dans ses \npens\u00e9es et \u00e0 demi absent. Un e fois, par exemple, \u00e0 notre \ngrande surprise, il entonna un air nouveau, une sorte de \nrustique chans on d\u2019 amour qu\u2019il avait d\u00fb conna\u00eetr e tout \njeune avant de naviguer. \nAinsi all\u00e8rent les choses jusqu\u2019au lendemain de \nl\u2019enterrement. Vers les troi s heur es, par un apr\u00e8s -midi \n\u00e2pre, de br ume gl ac\u00e9e, je m\u2019 \u00e9tais mis sur le seuil une \nminute, songeant tristement \u00e0 mon p\u00e8re, lorsque je vis \nsur la r oute un i ndividu qui s\u2019approchait avec lenteur. Il \n 34\u00e9tait \u00e0 coup s\u00fbr aveugle, ca r il tapotait devant lui avec \nson b\u00e2ton et portait sur les yeux et le nez une grande \nvisi\u00e8re verte ; il \u00e9tait cour b\u00e9 par les ans ou par la \nfatigue, et son vaste caban de marin, tout loqueteux, le \nfaisait para\u00eetr e vraiment dif forme. De ma vie je n\u2019 ai vu \nplus sinistre pers onnage. Un peu avant l\u2019auberge, il fit \nhalte et, \u00e9levant l a voix sur un t on de m\u00e9l op\u00e9e bizarr e, \ninterpella le vi de devant lui : \n\u2013 Un ami compat issant vo udrait-il indiquer \u00e0 un \npauvre aveugle... qui a perdu l e don pr\u00e9cieux de l a vue \nen d\u00e9fendant son cher pays nata l, l\u2019Angleterre, et le roi \nGeor ge, que Di eu b\u00e9ni sse... o\u00f9 et en quel lieu de ce \npays il peut bien se trouver pr\u00e9sentement ? \n\u2013 Vous \u00eates \u00e0 l\u2019 Amiral Benbow , crique du Mont-\nNoir, mon br ave homme, lui r\u00e9pondis-je. \n\u2013 J\u2019entends une voi x, reprit-il, une voix jeune. \nVoudriez-vous me donner l a main, mon ai mabl e jeune \nami, et me f aire entrer ? \nJe lui tendis la main, et le hideux aveugle aux \nparoles mielleuses l\u2019a grippa sur-le-champ comme dans \ndes tenailles. Tout effray\u00e9, je voulus me d\u00e9gager, mais \nl\u2019aveugle, d\u2019un simple effort , m\u2019attira tout contr e lui : \n\u2013 Maintenant, peti t, m\u00e8ne- moi aupr\u00e8s du capitaine. \n\u2013 Monsieur, r\u00e9pliquai-je, sur ma par ole je vous j ure \nque j e n\u2019ose pas . \n 35\u2013 Ah ! ricana-t-il, c\u2019 est comme \u00e7a ! M\u00e8ne- moi tout \nde suite \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, ou sinon je te casse le bras. \nEt tout en parlant il me le tordit, si fort que je \npouss ai un cri. \n\u2013 Monsieur, repris-je, c\u2019est pour vous ce que j\u2019en \ndis. L e capitai ne n\u2019 est pas comme d\u2019 habitude. I l a \ntoujours l e cout elas tir\u00e9. Un autre monsieur... \n\u2013 Allons, voyons, marc he ! interrompit-il. \nJamais j e n\u2019ou\u00efs voix pl us fr oidement cr uelle et \nodieuse que celle de cet av eugle. Elle m\u2019intimida plus \nque l a doul eur, et je me mi s aussit\u00f4t en devoir de lui \nob\u00e9ir. J e franchis le seuil et me dirigeai dr oit ver s la \nsalle o\u00f9 se tenait, abruti de rhum, not re vieux forban \nmalade. L\u2019aveugle, me serrant dans sa poigne de fer, \nm\u2019att achait \u00e0 lui et s\u2019appuyait sur moi pr esque \u00e0 me \nfaire succomber. \n\u2013 M\u00e8ne-moi directement \u00e0 lui, et d\u00e8s que j e serai en \nsa pr\u00e9sence, crie : \u00ab Bill ! voici un ami pour vous. \u00bb Si \ntu ne fai s pas \u00e7a, moi je te ferai ceci ... \nEt il m\u2019infligea une saccade dont je pensai \nm\u2019\u00e9vanouir. Dans cette alter native, mon abs olue terreur \ndu mendiant aveugl e me fit oublier ma peur du \ncapitaine ; j\u2019ouvris la porte de la salle et criai d\u2019une \nvoix trembl ante la phras e qui m\u2019\u00e9tait dict \u00e9e. \nLe pauvre capitaine leva les yeux. En un clin d\u2019\u0153il \n 36son ivr esse dis parut, et il resta b\u00e9ant, d\u00e9gris\u00e9. Son \nvisage exprimait, plus que l\u2019 effroi, un hor rible d\u00e9go\u00fbt . \nIl alla pour se lever, mais je crois qu\u2019il n\u2019 en aurait pl us \neu la force. \n\u2013 Non, Bill, dit le mendia nt, reste assis l\u00e0. Je n\u2019y \nvois point, mais j\u2019entends remu er un doigt. Les affaires \nsont les affaires. Tends- moi ta main gauche. Petit, \nprends sa main gauche par le poignet et approche-la de \nma dr oite. \nNous l ui ob\u00e9\u00eemes tous deux exactement, et je le vis \nfaire pas ser quel que chos e du cr eux de l a mai n qui \ntenait son b\u00e2ton, entre les doi gts du capitaine, qui se \nreferm\u00e8rent dessus instantan\u00e9ment. \n\u2013 Voil\u00e0 qui est fait, dit l\u2019aveugle. \n\u00c0 ces mots , il me l\u00e2cha s oudain et, avec une \ndext\u00e9rit\u00e9 et une pr estess e incroyables, il d\u00e9guerpit de la \nsalle et gagna la route. Fi g\u00e9 sur place, j\u2019entendis \nd\u00e9cro\u00eetre au loi n le tapot ement de son b\u00e2t on. \nIl nous f allut pl usieurs minut es, au capit aine et \u00e0 \nmoi, pour recouvrer nos espr its. \u00c0 la fin, et presque \nsimultan\u00e9ment, je laissai alle r son poignet que je tenais \ntoujours et il retira la main po ur jeter un bref coup d\u2019\u0153il \ndans sa paume. \n\u2013 \u00c0 dix heur es ! s\u2019\u00e9cria- t-il. Cel a me donne six \nheures. Nous pouvons encore les flibuster. \n 37Il se leva d\u2019un bond. Mais au m\u00eame instant, pris de \nvertige, il porta la main \u00e0 sa gorge, vacilla une minute, \npuis, avec un r\u00e2le \u00e9trange, s\u2019abattit de son haut, la face \ncontre terre. \nJe courus \u00e0 lui, tout en appelant ma m\u00e8re. Mais \nnotre empr essement f ut vai n. Frapp\u00e9 d\u2019apoplexi e \nfoudroyante, le capitain e avait succomb\u00e9. Chose \nsinguli\u00e8re \u00e0 dire, bien que su r la fin il \u00e9veill\u00e2t ma piti\u00e9, \njamais certes je ne l\u2019avais aim\u00e9 ; pourtant, d\u00e8s que je le \nvis mort, j\u2019\u00e9clatai en sanglot s. C\u2019\u00e9tait le second d\u00e9c\u00e8s \nque je voyais, et le chagrin d\u00fb au premier \u00e9tait encore \ntout frais dans mon c\u0153ur. \n 38 \n \nIV \n \nLe coffre de mer \n \nSans perdre un insta nt, je racontai alors \u00e0 ma m\u00e8re \ntout ce que je savais, co mme j\u2019aurais peut-\u00eatre d\u00fb le \nfaire depuis longt emps. Nous v\u00eemes d\u2019embl\u00e9e le p\u00e9ri l et \nla diffi cult\u00e9 de notr e situation. L\u2019ar gent du capi taine \n(s\u2019il en avait) nous \u00e9tait bien d\u00fb en partie ; mais quelle \napparence y avait-il que les complices de notre homme, \net surtout les deux \u00e9chant illons que j\u2019en connaissais, \nChien-Noir et le mendiant aveugl e, fuss ent dispos \u00e9s \u00e0 \nl\u00e2cher leur buti n pour r\u00e9gl er les dettes du d\u00e9funt ? Or, si \nje suivais les instructions du capit aine et all ais aus sit\u00f4t \npr\u00e9venir le docteur Livesey, je laissais ma m\u00e8re seule et \nsans d\u00e9fense : je n\u2019y pouvai s donc songer. D\u2019ailleurs, \nnous nous senti ons tous deux i ncapabl es de res ter \nbeaucoup plus longtemps dans la maison. Les charbons \nqui s\u2019\u00e9boul aient dans le fourneau de l a cuisi ne, et \njusqu\u2019au tic-tac de l\u2019horl oge, nous p\u00e9n\u00e9traient de \ncrainte. Le voisinage s\u2019emp lissait pour nous de bruits \nde pas imaginaires ; et pl ac\u00e9 entre le cadavre du \ncapitai ne gis ant sur le car reau de la salle, et la pens\u00e9e de \n 39l\u2019inf\u00e2me mendiant aveugle r\u00f4dant aux envir ons et pr \u00eat \u00e0 \nrepara\u00eetre, il y avait des mo ments o\u00f9, comme on dit, je \ntrembl ais dans mes culott es, de terreur. Il nous fallait \nprendre une d\u00e9ci sion i mm\u00e9diat e. Finalement, l\u2019i d\u00e9e \nnous vint de partir tous l es deux chercher du secours au \nhameau voisi n. Aus sit\u00f4t dit, aussit\u00f4t fait. Sans m\u00eame \nnous couvrir la t\u00eate, nous no us \u00e9lan\u00e7\u00e2mes dans l e soir \ntombant et le brouillard glac\u00e9. \nLe hameau n\u2019 \u00e9tait qu\u2019\u00e0 quel que cent t oises, mais \ncach\u00e9 \u00e0 la vue, de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la crique voisine ; et, \nce qui me rassurait beaucoup , il se trouvait dans la \ndirecti on oppos\u00e9e \u00e0 cell e par o\u00f9 l\u2019aveugle avait fait son \napparition et par o\u00f9 il s\u2019en \u00e9tait apparemment retourn\u00e9. \nLe tr ajet nous pri t peu de minutes, et cependant nous \nnous arr\u00eat\u00e2mes plusieurs fois pour pr\u00eater l\u2019oreille. Mais \non n\u2019entendait aucun bruit su spect : rien que le l\u00e9ger \nclapotis du ressac et le croa ssement des corbeaux dans \nle bois . \nLes chandelles s\u2019allumaient quand nous attei gn\u00eemes \nle hameau, et jamais je n\u2019 oublierai mon s oulagement \u00e0 \nvoir leur jaune clart\u00e9 aux port es et aux f en\u00eatres. M ais ce \nfut l\u00e0, tout compte fait, le meilleur de l\u2019assistance que \nnous obt\u00ee nmes de ce c\u00f4t \u00e9. Car, soit dit \u00e0 la honte de ces \ngens, personne ne consentit \u00e0 nous accompagner \njusqu\u2019\u00e0 l\u2019 Amiral Benbow . Plus nous leur disions nos \nennuis, plus ils se cramponn aient \u2013 hommes , femmes et \n 40enfants \u2013 \u00e0 l\u2019abri de leurs maisons. Le nom du capitaine \nFlint, inconnu de moi, mais familier \u00e0 beaucoup d\u2019entr e \neux, r\u00e9pandait la terreur . Des hommes qui avaient \ntravaill\u00e9 aux champs, plus loin que l\u2019 Amiral Benbow , se \nsouvenai ent aussi d\u2019avoir vu sur la rout e plusieurs \n\u00e9trangers dont ils s\u2019\u00e9taient \u00e9cart\u00e9s, les prenant pour des \ncontrebandiers, et l\u2019un ou l\u2019autre avait vu un petit \nchass e-mar\u00e9e \u00e0 l\u2019 abri dans ce que nous appelions la cale \nde Kitt. C\u2019est pourquoi il suffi sait d\u2019\u00eatre une relation du \ncapitaine pour leur causer une frayeur mortelle. Tant et \nsi bien que, si nous en tr ouv\u00e2mes plusi eurs dispos \u00e9s \u00e0 \nse rendre \u00e0 cheval jusque chez le doc teur Livesey, qui \nhabitait dans une autre directio n, pas un ne voul ut nous \naider \u00e0 d\u00e9fendre l\u2019auberge. \nLa l\u00e2chet\u00e9, dit- on, est contagieus e ; mais l a \ndiscus sion, au contr aire, donne du courage. Aussi, \nquand chacun eut parl \u00e9, ma m\u00e8r e leur dit leur fait \u00e0 \ntous. Ell e ne voulait pas , d\u00e9cl ara-t-elle, per dre de \nl\u2019argent qui appartenait \u00e0 son fils orphelin. Elle \nconclut : \n\u2013 Si aucun d\u2019 entre vous n\u2019 ose veni r, Jim et moi nous \noserons . Nous allons r etourner d\u2019 o\u00f9 nous s ommes \nvenus, et sans vous dire merci, tas de gros gaillards \npires que des poul es mouill \u00e9es. Nous ouvrirons ce \ncoffr e, d\u00fbt-il nous en co\u00fbt er la vie. Et je vous emprunte \nce sac, madame Crossley, pour emporter notre d\u00fb. \n 41Comme de juste, je me d\u00e9clarai pr\u00eat \u00e0 accompagner \nma m\u00e8re, et, comme de juste aussi, tous se r\u00e9cri\u00e8rent \ndevant notre t\u00e9m\u00e9rit\u00e9 ; mais m\u00eame alors, pas un homme \nne s\u2019offrit \u00e0 nous escorter. Tout ce qu\u2019ils firent, ce fut \nde me donner un pistolet charg\u00e9, pour le cas o\u00f9 l\u2019 on \nnous attaquerait, et de nous promettr e qu\u2019il s tiendraient \ndes chevaux tout sell\u00e9s, po ur le cas o\u00f9 l\u2019on nous \npoursuivrait lors de notre retour ; cependant qu\u2019un \ngar\u00e7on s\u2019 appr\u00eatait \u00e0 gal oper jusque chez le docteur afin \nd\u2019obtenir le secours de l a force arm\u00e9e. \nMon c\u0153ur battait fort qu and, par la nuit glac\u00e9e, nous \nnous engage\u00e2mes dans cette p\u00e9rilleuse aventure. La \npleine lune, rouge\u00e2tre et d\u00e9j \u00e0 haute, transparaissait vers \nla limite sup\u00e9rieure du br ouillard. Notre h\u00e2te s\u2019en \naccrut, car il ferait \u00e9videmme nt aussi clair qu\u2019en plein \njour avant que nous pussions quitter la maison, et notre \nd\u00e9part serait expos\u00e9 \u00e0 tous les yeux. Nous nous \nfaufil\u00e2mes au long des haies , prompts et silencieux, \nsans rien voir ni ent endre qui augment\u00e2t nos \ninqui\u00e9tudes. Enfin, \u00e0 notre grand s oulagement, la por te \nde l\u2019Amiral Benbow se referma sur nous. \nJe poussai bien vite le ve rrou, et nous rest\u00e2mes une \nminute dans le noir, tout pa ntelants, seuls sous ce toit \navec le cadavre du capitai ne. Puis ma m\u00e8re prit une \nchandelle dans l\u2019estaminet, et, nous tenant par la main, \nnous p\u00e9n\u00e9tr\u00e2mes dans l a salle. Le corps gisait toujour s \n 42dans la m\u00eame position, le s yeux b\u00e9ants et un bras \n\u00e9tendu. \n\u2013 Baisse le store, Jim, chuchota ma m\u00e8re ; s\u2019ils \narrivaient ils nous verraient du dehors... L\u00e0... Et \nmaintenant, il nous faut trou ver la clef sur ce cadavre : \nje voudrais bien savoir qui de nous va y toucher ! \nEt elle eut une sorte de sanglot. \nJe m\u2019agenouillai \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du mo rt. Pr\u00e8s de sa main, sur \nle parquet, je vis un petit rond de papier noirci sur une \nface. C\u2019 \u00e9tait \u00e9vi demment la tache noire . Je pris le \npapier et le ret ournai. Au vers o, corr ectement tr ac\u00e9 \nd\u2019une main f erme, je lus ce cour t mess age : \u00ab Tu as \njusqu\u2019 \u00e0 dix heur es du s oir. \u00bb \n\u2013 M\u00e8re, dis-j e, il avait j usqu\u2019\u00e0 di x heur es. \n\u00c0 cet instant pr\u00e9cis, notre vieille horloge se mit \u00e0 \nsonner. Ce fracas inattendu no us f\u00eet une peur affreuse ; \nmais tout allait bien : il n\u2019\u00e9tait que si x heur es. \n\u2013 All ons, Jim, r eprit ma m\u00e8r e, cette cl ef. \nJ\u2019explorai les poches, l\u2019une apr\u00e8s l\u2019autre. Quelque \nmenue monnaie, un d\u00e9, du fil et de gr osses aiguill es, un \nr\u00f4le de tabac mordu par le bout, le couteau \u00e0 manche \ncourbe, une bous sole portativ e et un bri quet, formaient \ntout leur cont enu. Je commen\u00e7ai \u00e0 d\u00e9s esp\u00e9rer. \n\u2013 Elle est peut-\u00eatre \u00e0 son cou, hasarda ma m\u00e8re. \n 43Surmontant une vive r\u00e9pu gnance, j\u2019arrachai au col \nla chemise du cadavre, et la clef nous apparut, enfil\u00e9e \u00e0 \nun bout de corde goudronn\u00e9e, qu e je tranchai \u00e0 l\u2019aide de \nson propre couteau. Ce succ \u00e8s nous remplit d\u2019espoir, et \nnous gri mp\u00e2mes en t oute h\u00e2t e \u00e0 la petit e chambr e o\u00f9 le \ncapitaine avait couch\u00e9 si long temps, et d\u2019o\u00f9 sa malle \nn\u2019avait pas boug\u00e9 depuis le jour de son arriv\u00e9e. \nC\u2019\u00e9tait, d\u2019apparence, un coffre de marin comme tous \nles autr es, aux angl es d\u00e9t\u00e9ri or\u00e9s par les heurts d\u2019 un \nservice prolong\u00e9. Sur le c ouvercle se lisait l\u2019initiale \n\u00ab B \u00bb, imprim\u00e9e au fer chaud. \n\u2013 Passe- moi la cl ef, me dit ma m\u00e8r e. \nBien que la serrure f\u00fbt tr\u00e8s dure, elle l\u2019ouvrit en un \nclin d\u2019\u0153il et souleva le couvercle. \nUn fort relent de tabac et de goudron s\u2019\u00e9chappa du \ncoffr e, mais on n\u2019 y voyait rien, au premi er abor d, qu\u2019un \ntr\u00e8s bon habit complet, soigneu sement bross\u00e9 et pli\u00e9. Il \nn\u2019avait jamais servi, au dire de ma m\u00e8re. Dessous, le \np\u00eale-m\u00eale commen\u00e7ait : un qu art de cercle, un gobelet \nde fer -blanc, pl usieurs rouleaux de tabac, deux paires de \ntr\u00e8s beaux pist olets, un lingot d\u2019 argent, une vieil le \nmontre espagnole et quelques autres bibelots de peu de \nvaleur, pres que tous d\u2019ori gine \u00e9trang\u00e8re, un compas de \nmath\u00e9matiques \u00e0 branches de cuivre et cinq ou six \ncurieux coquillages des Indes occidentales. Je me suis \ndemand\u00e9 souvent, par la suite , pourquoi il transportait \n 44avec lui ces coquillages, dans sa vie errante de criminel \npourchass\u00e9. \nJusqu\u2019ici, le lingot d\u2019argen t et l es bibel ots avai ent \nseuls quelque pri x, mais cel a ne fais ait pas not re affaire. \nPar-des sous, il y avait un vi eux sur o\u00eet blanchi aux \nembr uns de bien des m\u00f4l es. Ma m\u00e8 re le retira \nimpatiemment, et le dernier contenu de la malle nous \nappar ut : un paquet envel opp\u00e9 de toile cir\u00e9e, qui \nsemblait renfermer des papiers , et un s ac de t oile qui \n\u00e9mit sous nos doigts le tintement de l \u2019or. \n\u2013 Je ferai voir \u00e0 ces bandits que je suis une honn\u00eate \nfemme, dit ma m\u00e8re. Je pr endrai mon d\u00fb, et pas un \nrouge liard de plus. Donne-moi le sac de Mme Crossley. \nEt elle se mit en devoir de faire passer, du s ac de \nmatelot dans ce lui que je tenais, le montant de la dette \ndu capitaine. \nLa t\u00e2che \u00e9tait longue et ar due, car il y avait l\u00e0, \nentass\u00e9es au hasard, des pi\u00e8ces de tous pays et de t ous \nmodules : doubl ons, louis d\u2019 or, gui n\u00e9es, pi\u00e8ces de huit \net d\u2019 autres que j \u2019ignor e. Les gui n\u00e9es, du rest e, se \ntrouvaient en minorit\u00e9, et ce lles-l\u00e0 seules permettaient \u00e0 \nma m\u00e8r e de s\u2019 y retrouver dans son compte. \nSoudain, comme nous \u00e9ti ons presque \u00e0 moiti\u00e9 de \nl\u2019op\u00e9r ation, je posai ma ma in sur son bras. Dans l\u2019air \nsilencieux et glac\u00e9 je venais de percevoir un bruit qui fit \n 45cesser mon c\u0153ur de battr e : c\u2019\u00e9tait le tapotement du \nb\u00e2ton de l\u2019aveugle sur l a route gel \u00e9e. L e bruit se \nrapprochait. Nous retenion s notre souffle. Un coup \nviolent heurta l a porte de l\u2019auberge ; nous entend\u00eemes \nqu\u2019on tour nait la poi gn\u00e9e, et le verrou cliqueta sous les \nefforts du mis\u00e9rable. Puis il y eut un long i ntervalle de \nsilence, dedans comme dehors. \u00c0 la fin le tapotement \nreprit et, \u00e0 notre joie indicibl e, s\u2019affaiblit peu \u00e0 peu dans \nle lointain et s\u2019\u00e9v anouit tout \u00e0 fait. \n\u2013 M\u00e8re, dis-j e, prends le tout et all ons-nous-en. \nJ\u2019\u00e9tais certain, en effet, que la porte verrouill\u00e9e avait \nparu suspecte, et que cela no us attirerait bient\u00f4t tout le \ngu\u00eapier aux oreilles. Pourtant je me f\u00e9licitais de l\u2019avoir \nverrouill \u00e9e, et cela \u00e0 un poi nt difficilement croyable \npour qui n\u2019a jamais rencontr \u00e9 ce terri fiant vieil aveugle. \nMais, en d\u00e9pit de sa frayeur, ma m\u00e8re se refu sait \u00e0 \nprendre rien au- del\u00e0 de s on d\u00fb, et ne voul ait abs olument \npas se cont enter de moi ns. Il n\u2019\u00e9t ait pas encor e sept \nheures, disait-ell e, et de loi n ; elle connaiss ait son dr oit \net voul ait en us er. Elle discut ait encor e avec moi, \nlorsqu\u2019un bref et l\u00e9ger coup de sifflet retentit au loin sur \nla hauteur. C\u2019en fut assez, et plus qu\u2019 assez, pour elle et \npour moi. \n\u2013 J\u2019emporte toujours ce qu e j\u2019ai, fit-ell e en s e \nrelevant. \n 46\u2013 Et j\u2019emporte ceci pour arrondir le compte, \najoutais-je, empoignant le paquet de toile cir\u00e9e. \nUn inst ant de pl us, et l aissant la l umi\u00e8re aupr\u00e8s du \ncoffr e vide, nous descendions l\u2019 escalier \u00e0 t\u00e2tons ; un \nautre encore, et, la po rte ouverte, notre exode \ncommen\u00e7ait. Il n\u2019 \u00e9tait que temps de d\u00e9guer pir. Le \nbrouillard se dissipa it rapidement ; d\u00e9j\u00e0 la lune brillait, \ntout \u00e0 fait d\u00e9gag\u00e9e, sur les ha uteurs voisines, et c\u2019\u00e9tait \nuniquement au creux du ravi n et devant l a port e de \nl\u2019auberge, qu\u2019un mi nce voile de brume flottait encore, \npour cacher les premiers pas de not re fuit e. Bien avant \nla mi-chemin du hameau, tr\u00e8s peu au-del\u00e0 du pied de la \nhauteur, nous arri verions en plein clair de lune. Et ce \nn\u2019\u00e9tait pas tout , car d\u00e9j\u00e0 nous per cevions l e bruit de pas \nnombreux qui accouraient. No us tourn\u00e2mes la t\u00eate dans \nleur direction : une l umi\u00e8re bal anc\u00e9e de droite et de \ngauche, et qui se rapprochait rapi dement, nous montra \nque l\u2019 un des arri vants portait une lanterne. \n\u2013 Mon petit, me dit soud ain ma m\u00e8re, prends \nl\u2019argent et fuis . Je vais m\u2019\u00e9vanouir . \nC\u2019\u00e9tait, je le compris, la fin irr\u00e9missible pour tous \ndeux. C ombien je maudiss ais la l\u00e2chet\u00e9 de nos voisi ns ! \nCombien j\u2019en voulais \u00e0 ma pauvre m\u00e8re pour son \nhonn\u00eat et\u00e9 et son avi dit\u00e9, pour s a t\u00e9m\u00e9rit \u00e9 pass\u00e9e et sa \nfaiblesse pr\u00e9sent e ! \nPar bonheur, nous \u00e9tions pr \u00e9cis\u00e9ment au petit pont, \n 47et je guidai ses pas chancel ants j usqu\u2019au talus de la \nberge, o\u00f9 elle poussa un soupir et retomba sur mon \n\u00e9paule. Je ne sais comment j\u2019en eus la for ce, et je cr ains \nbien d\u2019avoir agi brutalement, ma is je r\u00e9ussis \u00e0 la tra\u00eener \nle long de la berge et jusq u\u2019\u00e0 l\u2019entr \u00e9e de la vo\u00fbt e. La \npouss er plus loin me f ut impossible, car le pont \u00e9tait \ntrop bas, et ce f ut \u00e0 pl at vent re et non sans peine que je \nm\u2019introduisis dessous. Il nous fallut donc rester l\u00e0, ma \nm\u00e8re presque enti\u00e8rement visibl e, et tous deux \u00e0 port\u00e9e \nd\u2019ou\u00efe de l\u2019auber ge. \n 48 \n \nV \n \nLa fin de l\u2019aveugle \n \nMa curiosit\u00e9, du reste, l\u2019em porta sur ma peur. Je me \nsentis incapable de rester dans ma cachette, et, rampant \n\u00e0 reculons, regagnai la berge. De l\u00e0, dissimul\u00e9 derri\u00e8re \nune t ouffe de gen\u00eat , j\u2019avais vue sur l a route j usque \ndevant notre porte. \u00c0 pein e \u00e9tais-je install \u00e9, que mes \nennemis arriv\u00e8rent au nombre de sept ou huit, en une \ncourse rapide et d\u00e9sordonn\u00e9 e. L\u2019homme \u00e0 la lanterne \nles pr\u00e9c\u00e9dait de quelques pas. Trois couraient de front, \nse tenant par la main, et au m ilieu de ce trio je devinai, \nmalgr\u00e9 le brouillard, le mendiant aveugle. Un instant \nplus tard, sa voix me pr ouvait que j e ne me trompais \npas. \n\u2013 Enfoncez la porte ! cria-t-il. \n\u2013 On y va, monsieur ! r\u00e9po ndirent deux ou trois des \nsacripant s qui s \u2019\u00e9lanc\u00e8rent vers l\u2019 Amiral B enbow , suivis \ndu porteur de lanterne. \nJe les vis alors faire halte et les entendis converser \u00e0 \nmi-voi x, comme s \u2019ils \u00e9t aient surpris de trou ver la porte \n 49ouverte. Mais la halte fut br \u00e8ve, car l\u2019aveugle se remit \u00e0 \nlancer des or dres. Il \u00e9levait et grossissait le ton, br\u00fblant \nd\u2019impatience et de rage. \n\u2013 Entrez ! entrez donc ! cria-t-il, en les injuriant \npour leur lenteur. \nQuatr e ou ci nq d\u2019 entre eux ob\u00e9irent, tandis que deux \nautres restaient sur la route avec le redout able \nmendiant. Il y eut un silence, puis un cri de surprise, et \nune exclamation jaillit de l\u2019int\u00e9rieur : \n\u2013 Bill est mort ! \nMais l\u2019aveugle maudit \u00e0 no uveau leur lenteur. Il \nhurla : \n\u2013 Que l\u2019un de vous le fouille, tas de fain\u00e9ants, et que \nles aut res mont ent cher cher le cof fre ! \nJe les entendis se ruer dan s notre vieil escalier, avec \nune vi olence \u00e0 \u00e9branler toute la maison. Presque \naussit\u00f4t de nouveaux cris d\u2019 \u00e9tonnement s\u2019\u00e9l ev\u00e8rent ; la \nfen\u00eatre de la chambre du ca pitaine s\u2019ouvrit avec fracas \ndans un cliquetis de carr eaux cass\u00e9s, et un homme \napparut dans le clair de lune , la t\u00eate pench\u00e9e, et d\u2019en \nhaut interpella l\u2019ave ugle sur la route : \n\u2013 Pew, cria-t-il, on nous a devanc\u00e9s ! Quelqu\u2019un a \nretourn\u00e9 le coffre de fond en comble. \n\u2013 Est- ce que l a chos e y est ? r ugit Pew. \n 50\u2013 Oui, l\u2019argent y est ! \nMais l\u2019 aveugl e envoya l\u2019 argent au diabl e. \n\u2013 Le paquet de Flin t, je veux dire ! \n\u2013 Nous ne l e trouvons null e part, r\u00e9pliqua l\u2019individu. \n\u2013 H\u00e9 ! ceux d\u2019en bas, est-il sur Bill ? cria de \nnouveau l\u2019aveugle. \nL\u00e0-dessus, un autre pers onnage, probablement celui \nqui \u00e9tait rest\u00e9 en bas \u00e0 fou iller le cadavre du capitaine, \nparut sur le seui l de l\u2019auberge : \n\u2013 Bill a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 fouill\u00e9 : ses poches sont vides. \n\u2013 Ce sont ces gens de l\u2019au berge, c\u2019est ce gamin... \nQue ne l ui ai-je arr ach\u00e9 l es yeux ! cria l\u2019aveugle. Ils \n\u00e9taient i ci il n\u2019 y a qu\u2019 un instant : la porte \u00e9tait \nverrouill\u00e9e quand j\u2019ai essay\u00e9 d\u2019entrer. Cher chez partout, \ngar\u00e7ons, et trouvez-les-moi. \n\u2013 C\u2019est juste, \u00e0 preuve qu\u2019ils ont laiss\u00e9 leur \ncamoufle ici, cria l\u2019homme de la fen\u00eatre. \n\u2013 Grouillez donc ! Chambardez la maison, mais \ntrouvez-les-moi ! r\u00e9it\u00e9ra Pew, en battant la route de sa \ncanne. \nAlors, du haut en bas de no tre vieille auberge, il se \nfit un grand tohu-bohu de lourdes semelles courant \u00e7\u00e0 et \nl\u00e0, de meubles renvers\u00e9s et de portes enfonc\u00e9es, \u00e0 \nr\u00e9veiller tous les \u00e9chos du voisinage ; puis nos \n 51individus reparur ent l\u2019un apr\u00e8s l \u2019autre sur la r oute, \nd\u00e9clarant que nous \u00e9ti ons introuvabl es. Mais \u00e0 cet \ninstant le m\u00eame sifflet qui nous avait inqui \u00e9t\u00e9s, ma \nm\u00e8re et moi , alors que nous \u00e9ti ons \u00e0 compt er l\u2019argent \ndu d\u00e9funt capitaine, retentit dans la nuit, r\u00e9p\u00e9t\u00e9 par \ndeux fois. J\u2019avais cru d\u2019abord qu e c\u2019\u00e9tait l\u00e0 un signal de \nl\u2019aveugl e pour lancer s es troupes \u00e0 l\u2019ass aut ; mais je \ncompris cett e fois que le son pr ovenait de la haut eur \nvers le hameau, et, \u00e0 en juger par son effet sur les \nflibustiers, il les avertissait de l\u2019approche du p\u00e9ril. \n\u2013 C\u2019est encor e Dirk, dit l\u2019 un. Deux coups, l es gars ! \nIl s\u2019agit de d\u00e9caniller ! \n\u2013 De d\u00e9caniller, capon ! s\u2019\u00e9cria Pew. Dirk n\u2019a \njamais \u00e9t\u00e9 qu\u2019un l\u00e2che imb\u00e9 cile, ne vous occupez pas \nde lui... Ils doivent \u00eatr e tout pr \u00e8s. Impossi ble qu\u2019ils \nsoient loin. Vous les avez \u00e0 port\u00e9e de la main. Grouillez \net cherchez apr\u00e8s, tas de salauds ! Le diabl e ait mon \n\u00e2me ! Ah ! si j\u2019 y voyais ! \nCette harangue ne rest a pas sans eff et ; deux des \ncoquins se mirent \u00e0 chercher \u00e7\u00e0 et l\u00e0 parmi le saccage, \nmais plut \u00f4t \u00e0 cont rec\u0153ur et sans cesser de penser \u00e0 la \nmenace de danger. Les autres rest\u00e8rent sur la route, \nirr\u00e9solus. \n\u2013 Vous avez sous la main des mille et des mille, tas \nd\u2019idi ots, et vous h\u00e9sitez ! Vous s erez riches comme des \nrois si vous trouvez l\u2019objet. Vous savez qu\u2019il est ici, et \n 52vous tirez au flanc ! Pas un de vous n\u2019e\u00fbt os\u00e9 affronter \nBill, et je l\u2019ai affront\u00e9, moi un aveugle ! Et je perdrais \nma chance \u00e0 cause de vous ! Je ne serais qu\u2019un pauvre \nabject, mendiant un verre de rhum, alors que je pourrais \nrouler carrosse ! Si vous aviez seulement le courage \nd\u2019un cancrelat qui ronge un bisc uit, vous les auriez d\u00e9j\u00e0 \nempoign\u00e9s. \n\u2013 Au di able, Pew ! grommela l\u2019un. Nous tenons les \ndoublons ! \n\u2013 Ils auront cach\u00e9 ce sacr \u00e9 machi n, dit un autr e. \nPrends l es georges1, Pew, et ne reste pas ici \u00e0 beugler. \nC\u2019\u00e9tait le cas de le dire , tant la col\u00e8re de Pew \ns\u2019exaltait devant ces objectio ns. \u00c0 la fin, la rage le \ndomi na tout \u00e0 fai t ; il se mit \u00e0 taper dans le tas au \nhasar d, et son b\u00e2t on r\u00e9sonna s ur plusieur s cr\u00e2nes . De \nleur c\u00f4t\u00e9, les mal andrins, s ans pouvoi r r\u00e9ussir \u00e0 \ns\u2019empar er de l\u2019 arme et \u00e0 la lui arracher, agonisaient leur \ntyran d\u2019i njures et d\u2019atroces menaces . \nCette rixe fut notre salut. Elle durait toujours, \nlorsqu\u2019un autre bruit se fit entendre, qui pr ovenait de la \nhauteur du c\u00f4t\u00e9 du hameau \u2013 un bruit de chevaux lanc\u00e9s \nau gal op. Presque en m\u00eame t emps, l\u2019 \u00e9clair et la \nd\u00e9tonation d\u2019un coup de pi stolet jaillirent d\u2019une haie. \nC\u2019\u00e9tait l\u00e0, \u00e9videmment, le si gnal du sauve-qui-peut, car \n \n1 Les livres sterling, \u00e0 l\u2019effigie du roi George. \n 53les flibustiers prirent la fu ite aussit\u00f4t et s\u2019encoururent \nchacun de son c\u00f4t\u00e9, si bi en qu\u2019 en une demi- minute il s \navaient tous dis paru, s auf Pew. L\u2019avaient-ils abandonn\u00e9 \ndans l\u2019 \u00e9moi de l eur pani que ou bien pour se venger de \nses injures et de ses coups ? Je l\u2019ignore. Le fait est qu\u2019il \ndemeur a seul, af fol\u00e9, t apotant au hasard sur la route, \ncherchant et appelant ses camarades. Finalement il prit \nla mauvaise dir ection et cour ut vers le hameau. Il me \nd\u00e9pass a de quelques pas , tout en appelant : \n\u2013 Johnny, Chien-Noir, Dirk (et d\u2019autres noms), vous \nn\u2019allez pas abandonner votre vieux Pew, camarades... \npas votr e vieux P ew ! \n\u00c0 cet instant, la cavalcade d\u00e9bouchait sur la hauteur, \net l\u2019on vit au clai r de l a lune quatre ou cinq cavaliers \nd\u00e9valer la pent e au triple galop. \nPew comprit son err eur. Avec un grand cri, il se \nd\u00e9tourna et courut droit au fo ss\u00e9, dans lequel il s\u2019abattit. \nIl se remit sur pied en une seconde et s\u2019\u00e9lan\u00e7a de \nnouveau, totalement affol \u00e9, en pl ein sous l es sabots du \ncheval le plus proche. \nLe cavalier tenta de l\u2019\u00e9vite r, mais ce fut en vain. \nAvec un hurl ement qui r\u00e9s onna dans l a nuit , Pew \ntomba, et les quatre fers le heurt\u00e8rent et le mart el\u00e8rent \nau passage. Il roula de c\u00f4t\u00e9 , puis s\u2019affaissa mollement, \nla face contre terre, et ne bougea plus. \n 54Je bondis , en h\u00e9lant les c avaliers. Ils s\u2019\u00e9 taient arr\u00eat\u00e9s \nau plus vite, hor rifi\u00e9s de l\u2019accident. Je les reconnus \nbient\u00f4t. L\u2019un, qui suivait le s autres \u00e0 distance, \u00e9tait ce \ngars du hameau qui avait couru chez le docteur \nLivesey ; les autres \u00e9taient des officiers de la douane \nqu\u2019il avait rencontr\u00e9s sur son ch emin et qu\u2019il avait eu le \nbon es prit de ramener aus sit\u00f4t. L es bruits concer nant le \nchasse-mar\u00e9e de la cale de Kitt \u00e9taient parvenus aux \noreilles de l\u2019inspecteur Dance , et l\u2019avaient amen\u00e9 ce \nsoir-l \u00e0 de notr e c\u00f4t\u00e9. C\u2019 est \u00e0 ce hasard que ma m\u00e8re et \nmoi nous d\u00fbmes d\u2019\u00e9 chapper au tr\u00e9pas. \nPew \u00e9tait mort, et bien mo rt. Quant \u00e0 ma m\u00e8re, une \nfois transport\u00e9e au hamea u, quelques gouttes d\u2019eau \nfroide et des sels eurent vite fait de la ranimer. \nCependant, l\u2019inspecteur galopait \u00e0 toute vitesse jusqu\u2019\u00e0 \nla cale de Kitt ; mais ses hommes durent mettre pied \u00e0 \nterre et descendr e le r avin \u00e0 t\u00e2t ons, en menant leurs \nchevaux et parfois les soutenan t, le tout dans la crainte \nd\u2019une s urprise. Aussi, quand ils atteignirent la cale, le \nchasse-mar\u00e9e avait d\u00e9j\u00e0 pris la mer. Comme il \u00e9tait \nencore t out pr oche, l\u2019ins pecteur le h\u00e9la. Une voi x lui \nr\u00e9pondit qu\u2019il e\u00fbt \u00e0 se garer du cl air de lune, s\u2019il ne \nvoulait recevoir du pl omb. En m\u00eame t emps, une balle \nsiffla, l ui \u00e9raflant le br as. Peu apr \u00e8s, le chass e-mar\u00e9e \ndoubla l a pointe et dispar ut. M . Dance r esta l\u00e0, selon \nson expr ession, \u00ab comme un poisson hors de l\u2019eau \u00bb, et \nil dut se contenter de d \u00e9p\u00eacher un homme \u00e0 B... pour \n 55avertir le cotre de la douane. Il ajouta : \u00ab C\u2019est \nd\u2019ailleurs bien inutile. Ils ont fil\u00e9 pour de bon, et la \nchose est r\u00e9gl\u00e9e. \u00c0 part cel a, je me f \u00e9licite d\u2019avoir \nmarch\u00e9 sur les cors \u00e0 M. Pe w. \u00bb Car \u00e0 ce moment il \navait ou\u00ef mon r \u00e9cit. \nJe m\u2019en retournai avec lui \u00e0 l\u2019 Amiral Benbow . On ne \npeut imaginer l\u2019\u00e9tat de saccage o\u00f9 se trouvait la maison. \nDans leur chasse fr\u00e9n\u00e9tique, ces gredins avaient jet\u00e9 bas \njusqu\u2019 \u00e0 l\u2019horloge, et bi en qu \u2019ils n\u2019 eussent r ien emport\u00e9 \nque la bours e du capit aine et la monnaie du comptoir, je \nvis d\u2019 un coup d\u2019 \u0153il que nous \u00e9ti ons rui n\u00e9s. M. Dance, \nlui, ne comprenait ri en au s pectacle. \n\u2013 Ils ont trouv\u00e9 l\u2019argent, dites-vous, Hawkins ? \nAlors, que diantre cherchaient -ils ? D\u2019 autre argent, je \nsuppos e... \n\u2013 Non, monsieur, j e ne le pense pas, r\u00e9pliquai-je. Au \nfait, monsieur, je crois avoir l\u2019 objet dans ma poche, et, \u00e0 \nvrai dire, j\u2019ai merais le mettre en s\u00fbret\u00e9. \n\u2013 Bien entendu, mon petit, c\u2019es t trop juste. Je vais le \nprendre, si vous voul ez. \n\u2013 Je songeais que peut-\u00eatre le docteur Li vesey... \ncommen\u00e7ai-j e. \n\u2013 Parfaitement juste, appro uva-t-il. Parfaitement. \nC\u2019est un galant homme et un magistrat. Et maintenant \nque j\u2019 y pens e, je ferais bien d\u2019 aller de ce c\u00f4t \u00e9, moi \n 56aussi, pour rendre compte, \u00e0 lui ou au chevalier. Ma\u00eetre \nPew est mort , apr\u00e8s t out ; non pas que j e le regrette, \nmais il est mort, voyez- vous, et les gens ne \ndemanderaient pas mieux que de se servir de cela \ncontre un officier des douanes de Sa Majest\u00e9. Or donc, \nHawkins, si vous voul ez, je vous emm\u00e8ne. \nJe le remer ciai cordi alement de son offr e, et nous \nregagn\u00e2mes le hameau, o\u00f9 se trouvaient les chevaux. Le \ntemps d\u2019aviser ma m\u00e8re, et tout e la troupe \u00e9tait en selle. \n\u2013 Dogger , dit M. Dance \u00e0 l\u2019un de ses compagnons, \nvous avez un bon cheval ; pr enez ce gar\u00e7on en croupe. \nD\u00e8s que je fus install\u00e9, me tenant au ceinturon de \nDogger, l\u2019inspecteur donna le signal du d\u00e9part, et l\u2019on \nse mit en rout e au gr and trot vers l a demeur e du doct eur \nLivesey. \n 57 \n \nVI \n \nLes papiers du capitaine \n \nNous all \u00e2mes bon tr ain jusqu\u2019\u00e0 la porte du docteur \nLivesey, o\u00f9 l\u2019 on fit halt e. La fa\u00e7ade de la maison \u00e9tait \nplong\u00e9e dans l\u2019obscurit\u00e9. \nM. Dance m\u2019ordonna de sa uter \u00e0 bas et d\u2019all er \nfrapper , et Dogger me pr\u00eat a son \u00e9tr ier pour descendr e. \nLa porte s\u2019ouvrit aussit\u00f4t et une servante parut. \n\u2013 Est-ce que l e doct eur Livesey est chez l ui ? \ndemandai-je. \nElle me r\u00e9pondit n\u00e9gativemen t. Il \u00e9tait rentr\u00e9 dans \nl\u2019apr\u00e8s-midi, mais \u00e9tait ress orti pour d\u00eener au ch\u00e2t eau et \npasser la soir\u00e9e avec le chevalier. \n\u2013 Eh bien, gar \u00e7ons, allons-y, dit M. Dance. \nCette fois, comme la distance \u00e9tait br\u00e8ve, j e restai \u00e0 \npied et cour us aupr\u00e8s de Dogger, en me tenant \u00e0 la \ncourroie de son \u00e9trier. On passa la grille et on remonta \nl\u2019avenue aux ar bres d\u00e9pouill \u00e9s, entr e de vast es et \nv\u00e9n\u00e9rabl es jardi ns dont l e ch\u00e2teau, tout blanc sous le \n 58clair de l une, fermait la pers pecti ve. Ar riv\u00e9 l\u00e0 M. Dance \nmit pied \u00e0 terre, et fut au premier mot introduit dans la \nmaison, o\u00f9 je l\u2019accompagnai. \nNous suiv\u00eemes le valet au long d\u2019un corridor tapiss\u00e9 \nde nattes, et p\u00e9n\u00e9tr\u00e2mes en fin dans une biblioth\u00e8que \nspacieuse aux multiples rayo ns charg\u00e9s de livres et \nsurmont\u00e9s de bustes, o\u00f9 le chevalier et le docteur \nLivesey fumai ent leur pi pe, assis aux deux c\u00f4t \u00e9s d\u2019un \nfeu ronflant. \nJe n\u2019 avais jamai s vu le chevali er d\u2019aussi pr\u00e8s . \nC\u2019\u00e9tait un homme de haute ta ille, d\u00e9passant six pieds, et \nde carr ure proport ionn\u00e9e, \u00e0 la mine fi\u00e8r e et brus que, au \nvisage tann\u00e9, couperos\u00e9 et rid\u00e9 par ses longues \np\u00e9r\u00e9gri nations . Ses sourcils tr\u00e8s noirs et tr\u00e8s mobiles lui \ndonnai ent un air non pas m\u00e9chant \u00e0 vr ai dire, mais \nplut\u00f4t vif et haut ain. \n\u2013 Entrez, monsieur Dance, dit-il avec une majest\u00e9 \nfamili\u00e8re. \n\u2013 Bonsoir, Dance, fit le do cteur avec un signe de \nt\u00eate. Et bons oir aussi, ami Jim. Quel bon vent vous \nam\u00e8ne ? \nL\u2019inspecteur, dans une attit ude militaire, d\u00e9bita son \nhistoi re comme une l e\u00e7on ; et il fallait voir les deux \nmessieurs avancer la t\u00eate et s\u2019 entreregarder, si surpris et \nattentifs qu\u2019ils en oubliai ent de fumer. Lorsque le \n 59narrat eur leur cont a le r etour de ma m\u00e8r e \u00e0 l\u2019auber ge, le \ndocteur Livesey se donna une claque sur l a cuis se, et le \nchevalier cria : \u00ab Bravo ! \u00bb en cassant sa longue pipe \ncontre la grille du foyer. Bien avant la fin du r\u00e9cit, M. \nTrelawney (tel \u00e9tait, on s\u2019 en souviendra, le nom du \nchevali er) s\u2019\u00e9tait l ev\u00e9 de sa chai se et arpent ait la pi\u00e8ce. \nLe docteur, comme pour mie ux entendr e, avait r etir\u00e9 sa \nperruque poudr\u00e9e, ce qui lui donnait, avec son cr\u00e2ne \naux cheveux noirs et tondus ras, l\u2019aspect l e plus \nsinguli er. \nSon r\u00e9cit termin\u00e9, M. Dance se tut. \n\u2013 Monsieur Dance, lui dit l e chevalier, vous \u00eates un \ntr\u00e8s digne compagnon. Pour le fait d\u2019avoir pass\u00e9 sur le \ncorps de ce sinist re et inf \u00e2me gr edin, c\u2019est \u00e0 mon sens \nune \u0153uvr e pie, monsieur , comme c\u2019 en est une d\u2019 \u00e9cras er \nun cafard. Notre petit Hawkins es t un brave, \u00e0 ce que je \nvois. Hawki ns, voul ez-vous sonner ? M. Dance boira \nbien un verre de bi\u00e8re. \n\u2013 Ainsi donc, Jim, interr ogea le docteur, vous avez \nl\u2019obj et qu\u2019ils cher chaient, n\u2019 est-ce pas ? \n\u2013 Le voici, monsieur. \nEt je lui remis le pa quet de toile cir\u00e9e. \nLe docteur l\u2019 examina en tous sens . Visi blement l es \ndoigts l ui d\u00e9mangeaient de l\u2019ouvrir ; mais il s\u2019en \nabstint, et le glissa tranqui llement dans la poche de son \n 60habit. \n\u2013 Chevalier, dit-il, quand Da nce aur a bu s a bi\u00e8r e il \nva, comme de juste, reprendre le service de Sa Majest\u00e9 ; \nmais j\u2019ai l\u2019intention de ga rder Jim Hawkins : il passera \nla nuit chez moi. En attendan t, il faut qu\u2019il soupe, et \navec votr e per mission, je pr opos e de lui f aire monter un \npeu de p\u00e2t\u00e9 fr oid. \n\u2013 Bien volontiers, Livesey, r\u00e9pliqua le chevalier ; \nmais Hawki ns a m\u00e9rit \u00e9 mieux que du p\u00e2t\u00e9 froid. \nEn cons \u00e9quence, un copi eux r ago\u00fbt de pigeon me \nfut servi sur une petite table, et je mangeai avec app\u00e9tit, \ncar j\u2019avais une faim de lo up. M. Dance, combl\u00e9 de \nnouvelles f\u00e9licitation s, se retira enfin. \n\u2013 Et mai ntenant, chevali er... dit l e doct eur. \n\u2013 Et mai ntenant, Livesey... dit le chevalier, juste en \nm\u00eame temps. \n\u2013 Chacun son tour ! pas t ous \u00e0 la f ois ! plaisanta l e \ndocteur Livesey. Vous avez en tendu parler de ce Flint, \nje suppose ? \n\u2013 Si j\u2019ai ent endu parl er de lui ! s\u2019excl ama l e \nchevalier. Vous osez le de mander ! C\u2019\u00e9tait le plus \natroce forban qui e\u00fbt j amais navi gu\u00e9. C ompar\u00e9 \u00e0 Flint , \nBarbe-Bleue n\u2019\u00e9t ait qu\u2019 un enfant. Les Espagnols \navaient de lui une peur si ex cessive que, je vous le \nd\u00e9clare, monsi eur, il m\u2019arr ivait parf ois d\u2019 \u00eatre fier qu\u2019il \n 61f\u00fbt anglais. J\u2019ai vu de mes yeux para\u00eetre ses huniers, au \nlarge de l\u2019\u00eele Trinit\u00e9, et le l\u00e2che fils d\u2019ivrognesse qui \ncommandait notre navire s\u2019est enfui... oui, monsieur, \ns\u2019est enfui et r\u00e9fugi\u00e9 dans Port-d\u2019Espagne. \n\u2013 Eh bien, moi aussi j\u2019 ai ent endu parler de lui, en \nAnglet erre, reprit le doct eur. Mai s ce n\u2019 est pas l a \nquestion. Dites-moi : poss \u00e9dait-il de l\u2019argent ? \n\u2013 S\u2019il poss\u00e9dait de l\u2019argent ! Mais n\u2019avez-vous donc \npas \u00e9cout\u00e9 l\u2019histoire ? Que cherchaient ces canailles, \nsinon de l\u2019argent ? De q uoi s\u2019inqui\u00e8tent-ils, sinon \nd\u2019argent ? Pourquoi risqueraient-ils leurs peaux \ninf\u00e2mes, sinon pour de l\u2019 argent ? \n\u2013 C\u2019est ce que nous allons voir, repartit le docteur. \nMais vous prenez feu d\u2019une fa\u00e7on d\u00e9concertante, et \navec vos exclamations, je n\u2019a rrive pas \u00e0 pl acer un mot. \nLaissez-moi vous interroger. En admett ant que j\u2019 aie ici \ndans ma poche un indi ce capable de nous gui der vers l e \nlieu o\u00f9 Flint a enter r\u00e9 son tr\u00e9s or, croyez- vous que ce \ntr\u00e9sor serait consid\u00e9rable ? \n\u2013 S\u2019il serait consid\u00e9rable, monsieur ! Il le serait \ntellement que, si nous pos s\u00e9dions l \u2019indice dont vous \nparlez, je nolis e un b\u00e2ti ment da ns le port de Brist ol, je \nvous emm\u00e8ne avec Hawkins, et j\u2019aurai ce tr\u00e9sor, d\u00fbt sa \nrecherche me prendre un an. \n\u2013 Parfait ! Alors donc, si Jim y cons ent, nous \n 62ouvrirons le paquet. \nEt il le d\u00e9posa devan t lui sur la table. \nLe paquet \u00e9tait cousu, ce qui for\u00e7a le docteur \u00e0 \nprendre dans s a trousse ses ciseaux chirurgicaux pour \nfaire sauter les points et d\u00e9gager son contenu, \u00e0 savoir : \nun cahier et un pli scell\u00e9. \n\u2013 Voyons d\u2019abord le ca hier, dit le docteur. \nCelui-ci m\u2019avait appel\u00e9 au pr\u00e8s de lui, mon repas \ntermi n\u00e9, pour me f aire partici per au plaisir des \nrecherches. Nous nous penc h\u00e2mes donc, le chevalier et \nmoi, par-dessus son \u00e9paule tandis qu\u2019il ouvrait le \ndocument. On ne voyait su r sa premi\u00e8re pa ge que \nquelques sp\u00e9cimens d\u2019\u00e9criture, comme on en trace la \nplume \u00e0 la main, par d\u00e9s\u0153uv rement ou pour s\u2019exercer. \nJ\u2019y retr ouvai l e texte du t atouage : \u00ab Billy Bones s\u2019en \nfiche \u00bb ; et aus si : \u00ab M. W. Bones, pr emier offi cier \u00bb, \n\u00ab Il l\u2019a eu au large de Palm Key \u00bb, et d\u2019autres bribes, \nprinci palement des mots isol\u00e9s et d\u00e9pour vus de \nsigni fication. J e me demandai qui l\u2019avait \u00ab eu \u00bb, et ce \nqu\u2019il avait \u00ab eu \u00bb. Un coup de poi gnard dans l e dos, \napparemment. \n\u2013 Cela ne nous appr end pas gr and-chose, dit l e \ndocteur Livesey, en to urnant le f euillet. \nLes dix ou douze pages su ivantes \u00e9taient remplies \npar une singuli\u00e8re liste de recettes. Une date figurait \u00e0 \n 63un bout de la ligne, et \u00e0 l\u2019 autre bout la mention d\u2019 une \nsomme d\u2019 argent, comme dans t ous les livres de \ncomptabilit\u00e9 ; mais entre les deux mentions il n\u2019y avait, \nen gui se de t exte explicatif , que des croi x, en nombr e \nvariable. Ainsi, le 12 ju in 1745, une somme de \nsoixante-dix livres \u00e9tait nette ment port \u00e9e au cr \u00e9dit de \nquelqu\u2019un, et six cr oix r empla\u00e7aient la d\u00e9s ignation du \nmotif . Par endr oits un nom de li eu s\u2019 y ajoutait, comme : \n\u00ab Au large de Caracas \u00bb, ou bien une simple citation de \nlatitude et longitude, par ex emple : \u00ab 62\u00b0 17\u2019 20\" \u2013 19\u00b0 \n2\u2019 40\". \u00bb \nLes relev\u00e9s s\u2019\u00e9tendaient su r une vingtaine d\u2019ann\u00e9es ; \nles chiffres des recettes su ccessives s\u2019accroissaient \u00e0 \nmesure que l e temps s\u2019 \u00e9coulait, et \u00e0 la fin, apr \u00e8s cinq ou \nsix additi ons f autives, on ava it fait le tota l g\u00e9n\u00e9ral, avec \nces mots en regard : \u00ab Po ur Bones, sa pelote. \u00bb \n\u2013 Je n\u2019y comprends ri en : cela n\u2019a ni queue ni t\u00eat e, \ndit le docteur. \n\u2013 C\u2019est pourt ant clair comme le jour, s\u2019 \u00e9cria le \nchevalier. Nous avon s ici le livre de comptes de ce noir \nsc\u00e9l\u00e9rat. Ces croix repr\u00e9sentent des va isseaux coul\u00e9s ou \ndes villes pill\u00e9es. Les sommes sont la part du bandit, et \npour \u00e9vi ter toute \u00e9quivoq ue, il ajoutait au besoin \nquelque chos e de plus pr \u00e9cis. Tenez : \u00ab Au large de \nCaracas... \u00bb Il s\u2019 agit d\u2019 un infortun\u00e9 navir e, capt ur\u00e9 dans \nces parages. Dieu ait piti \u00e9 des pauvres gens qui le \n 64montai ent... ils sont r\u00e9duits en corail depuis l ongtemps ! \n\u2013 Exact ! s\u2019\u00e9cria le docteur. Voil\u00e0 ce que c\u2019est d\u2019\u00eatre \nun voyageur. Exact ! Et tene z, plus il mont e en grade, \nplus les s ommes s \u2019\u00e9l\u00e8vent . \nEn dehor s de cel a, le cahi er ne cont enait pl us gu\u00e8r e \nque les positions de quelques lieux, not\u00e9es sur les pages \nlibres de la fin, et une table d\u2019\u00e9quivalences pour les \nmonnai es fran\u00e7ais es, anglai ses et es pagnoles . \n\u2013 Quel homme soigneux ! s\u2019\u00e9cria le doct eur. C e \nn\u2019est pas lui qu\u2019 on aurait roul\u00e9 ! \n\u2013 Et maintenant, reprit le chevalier, \u00e0 l\u2019autre ! \nLe papier avait \u00e9t \u00e9 scell \u00e9 en di vers endr oits avec un \nd\u00e9 en guise de cachet ; le d\u00e9 m\u00eame, qui sait, trouv\u00e9 par \nmoi dans la poche du capita ine. Le docteur brisa avec \npr\u00e9caution les sceaux de l\u2019 enveloppe, et il s\u2019en \u00e9chappa \nla carte d\u2019une \u00eele, o\u00f9 figuraient latitude et longitude, \nprofondeurs, noms des montagn es, baies et pass es, br ef, \ntous les d\u00e9tails n\u00e9cessaire s \u00e0 un navigateur pour trouver \nsur ses c\u00f4tes un mo uillage s\u00fbr. D\u2019envi ron neuf milles de \nlong s ur cinq de l arge, et figurant \u00e0 peu pr \u00e8s un l ourd \ndragon dress \u00e9, elle offrait deux havres bien abrit\u00e9s, et, \nvers son centre, un mont d\u00e9nomm\u00e9 la Lo ngue-Vue. Il y \navait quelques annotations d\u2019 une dat e post \u00e9rieur e, en \nparticulier trois croix \u00e0 l\u2019encr e rouge, dont deux sur la \npartie nord de l\u2019\u00eele, et une au sud-ouest, plus, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de \n 65cette derni\u00e8re, de la m\u00eame encre rouge et d\u2019une petite \n\u00e9criture soign\u00e9e sans nul rapport avec les caract\u00e8res \nh\u00e9sitants du capitaine, ces mots : \u00ab Ici le principal du \ntr\u00e9sor. \u00bb \nAu verso, la m\u00eame main av ait trac\u00e9 ces instructions \ncompl\u00e9ment aires : \n \nGrand arbre, contrefort de la Longue-Vue ; point de \ndirection N.-N.-E. quart N. \n\u00cele du Squel ette, E.-S.-E. quart E. \nDix pi eds. \nLes lingots d\u2019argent sont dans la cache nor d. Elle se \ntrouve dans la direction du mamel on est, \u00e0 dix brass es \nau sud du rocher noir qui lui fait face. \nOn tr ouver a sans pei ne les armes, dans l a dune de \nsable, \u00e0 l\u2019ext r\u00e9mit \u00e9 N. du cap de la bai e nor d, direction \nE. quart N. \nJ. F. \n \nRien d\u2019autre ; mais tout laco nique qu\u2019il \u00e9t ait, et pour \nmoi incompr\u00e9hensible, ce docu ment remplit de joie le \nchevali er et le docteur Livesey. \n\u2013 Livesey, dit le chevalie r, vous allez nous l\u00e2cher \n 66tout de suite votre stupide client\u00e8le. Demain je pars \npour Bristol. En trois se maines... que di s-je, t rois \nsemaines ! quinze jours, huit jours... nous aurons, \nmonsieur, le meilleur bateau d\u2019 Angleterre et la fleur des \n\u00e9quipages. Hawkins nous accompagnera comme gar\u00e7on \nde cabi ne. Vous fer ez un ex cellent gar \u00e7on de cabi ne, \nHawki ns. Vous, Li vesey, vous \u00eates le m\u00e9deci n du bord. \nMoi, je suis l\u2019amiral. Nous emm\u00e8nerons Redruth, Joyce \net Hunter. Nous aurons de bons vents, une travers\u00e9e \nrapide, pas la moindr e dif ficult\u00e9 \u00e0 trouver l\u2019endr oit, et \nde l\u2019argent \u00e0 gogo... \u00e0 remuer \u00e0 la pelle... \u00e0 faire des \nricochets avec, pour le restant de nos jours. \n\u2013 Trelawney, r\u00e9pli qua le docteur, j\u2019ir ai avec vous, et \nje vous garantis que Jim en fera autant et ne rechignera \npas \u00e0 la bes ogne. Il n\u2019 y a qu\u2019 un seul homme qui \nm\u2019inspire des craintes. \n\u2013 Qui donc, monsieur ? Nommez-moi ce coquin. \n\u2013 C\u2019est vous, ri posta le do cteur, car vous ne savez \npas vous taire. Nous ne sommes pas les seuls \u00e0 \nconna\u00eetr e l\u2019exist ence de ce document. Ces individus qui \nont attaqu\u00e9 l\u2019auberge cette nuit, des gredins audacieux \net sans scrupules, et leurs compagnons rest\u00e9s \u00e0 bord du \nchass e-mar\u00e9e, et d\u2019 autres encore, j e suppos e, pas bi en \nloin d\u2019i ci, du pr emier au derni er sont d\u00e9ci d\u00e9s \u00e0 tout \npour obtenir cet argent . Aucun de nous ne doit \ndemeurer seul jusqu\u2019au mo ment de l\u2019appareillage. En \n 67attendant, Jim et moi nous restons ensemble, et vous \nemmenez Joyce et Hunter po ur aller \u00e0 Bristo l. Mais \navant et par-dess us tout, pas un mot ne doit transpirer \nde notre d\u00e9couverte. \n\u2013 Livesey, vous \u00eates l a raison m\u00eame. Je serai muet \ncomme l a tombe. \n 68 \n \n \n \n \nDeuxi\u00e8me partie \n \nLe ma\u00eetre coq \n 69 \n \nVII \n \nJe me rends \u00e0 Bristol \n \nLes pr\u00e9paratifs de notre appareill age f urent pl us \nlongs que ne l\u2019avait pr\u00e9vu le chevalier, et pas un de nos \nprojets primitifs \u2013 pas m\u00eame celui du docteur Livesey, \nde me garder avec l ui \u2013 ne s e r\u00e9alis a sel on nos \nintentions. Le docteur fut oblig\u00e9 d\u2019aller \u00e0 Londres pour \ntrouver un m\u00e9deci n \u00e0 qui con fier sa client\u00e8le, le \nchevalier \u00e9tait fort occup\u00e9 \u00e0 Bristol, et je restais au \nch\u00e2teau, sous la surveill ance du vi eux Redrut h, le \ngarde- chass e. J\u2019\u00e9tais quasi pri sonnier , mais la mer \nhantait mes songes , avec les plus s\u00e9duis antes \nperspecti ves d\u2019avent ures en des \u00eeles inconnues. Des \nheures enti\u00e8res, j e r\u00eavais \u00e0 l a carte, dont j e me rappel ais \nnettement tous les d\u00e9tails. A ssis au coin du feu dans la \nchambre de l\u2019intendant, j\u2019abordais cette \u00eele, en \nimagination, par tous les c\u00f4t\u00e9 s poss ible ; je l\u2019explorais \ndans t oute sa superfici e ; j\u2019escaladais \u00e0 mill e repris es la \nmontagne dite Longue-Vue, et d\u00e9couvrais de son \nsommet des paysages aussi merveilleux que divers. \nTant\u00f4t l\u2019\u00eele \u00e9tait peupl\u00e9e de sauvages qu\u2019il nous fallait \n 70combattr e, tant \u00f4t plei ne d\u2019 animaux f\u00e9r oces qui nous \npourchassaient ; mais aucune de mes aventures \nimaginaires ne fut aussi \u00e9trange et dramatique que \ndevait l\u2019\u00eatre pour nous la r\u00e9alit\u00e9. \nPlusieurs semaines s\u2019\u00e9coul\u00e8re nt de la sorte. Un beau \njour arriva une lettre adre ss\u00e9e au docteur Livesey, avec \ncette mention : \u00ab \u00c0 son d\u00e9faut, Tom R edruth ou le \njeune Hawkins en pr endront connaissance. \u00bb Suivant \ncet avis, nous l\u00fbmes \u2013 ou pl ut\u00f4t je lus, car le garde-\nchass e n\u2019\u00e9tait gu\u00e8r e familiaris\u00e9 qu\u2019 avec l\u2019i mprim\u00e9 \u2013 l es \nimportantes nouve lles qui suivent : \n \nAuberge de la Vieille Ancre, \nBristol, ce 1er mars 17... \nMon cher Livesey, \nIgnor ant si vous \u00eat es de r etour au ch\u00e2teau ou encore \n\u00e0 Londres, je vous \u00e9cris de part et d\u2019autre en double \nexp\u00e9dition. \nJ\u2019ai achet\u00e9 et \u00e9quip\u00e9 le navi re. Il est \u00e0 l\u2019ancre, pr\u00eat \n\u00e0 appareiller. Vous ne pouv ez imaginer go\u00e9lette plus \nexquise... un enf ant la man\u0153uvrerait... deux cents \ntonneaux ; nom : Hispaniola . \nJe l\u2019ai eue par l\u2019interm \u00e9diaire de mon vieil ami \nBlandl y, qui s\u2019est conduit l\u00e0 comme l e plus \u00e9tonnant \n 71des bons bougres. Ce me rveilleux gars s\u2019est d\u00e9vou\u00e9 \nlitt\u00e9ralement \u00e0 mon service, et je dois dire que tout le \nmonde dans Brist ol en a fait autant, d\u00e8s qu\u2019 on a eu vent \ndu port vers lequel nous cing lons... c\u2019est-\u00e0-dire le \ntr\u00e9sor. \n \n\u2013 Redruth, dis-j e, inter rompant ma l ecture, voil\u00e0 qui \nne plaira gu\u00e8re au docteur Livesey. M. le chevalier a \nparl\u00e9, pour finir. \n\u2013 H\u00e9 mai s ! n\u2019en a-t-il pas bien le dr oit ? grommel a \nle garde-chasse. Ce serait un peu fort que M. le \nchevalier doive se taire \u00e0 ca use du doct eur Livesey, il \nme semble. \nSur quoi je renon\u00e7ai \u00e0 tout commentaire, et lus sans \nplus m\u2019interr ompr e : \n \nC\u2019est lui, Blandly, qui d\u00e9nicha l\u2019Hispaniola , et il \nman\u0153 uvra si admi rablement qu\u2019il r\u00e9ussit \u00e0 l\u2019 avoir pour \nun morceau de pain. Il y a dans Bristol une cat\u00e9gorie \nde gens excessivement pr\u00e9venu s contre Blandly. Ils vont \njusqu\u2019\u00e0 d\u00e9clarer que cette honn\u00eate cr\u00e9ature ferait \nn\u2019import e quoi pour de l\u2019 argent, que l\u2019Hispaniola lui \nappartenait et qu\u2019il me l\u2019a vendue ridiculement cher... \ncalomnies trop \u00e9videntes. Nul, d\u2019ailleurs, n\u2019ose \ncontester les m\u00e9rites du navire. \n 72Jusque-l\u00e0, pas une anicroch e. Les ouvriers, gr\u00e9eurs \net autr es, \u00e9t aient, il est vrai, d\u2019 une lent eur \nassommante ; mais le temps y a port\u00e9 rem\u00e8de. Mon vrai \nsouci concernait l\u2019\u00e9quipage. \nJe voul ais une bonne vingt aine d\u2019hommes en cas de \nrencontr e avec des indi g\u00e8nes, des forbans ou ces \nmaudit s Fran\u00e7ais , et j\u2019avais eu une pei ne du diable \u00e0 en \nrecrut er une pauvre demi- douzaine, lorsqu\u2019un coup de \nchance des plus re marquables me mit en pr\u00e9sence de \nl\u2019homme qu\u2019il me fallait. \nJe liai conversation avec lui par un pur ha sard, \ncomme je me trouvais sur le quai . J\u2019appris que c\u2019\u00e9t ait \nun vieux marin qui tenait un cabaret, et connaissait \ntous l es navi gateurs de B ristol. Il en devenait mal ade, \nde rester \u00e0 terre, et n\u2019at tendait qu\u2019 un bon engagement \nde ma\u00eetre coq pour reprendre la mer. C\u2019\u00e9tait, me conta-\nt-il, pour aspirer un peu l\u2019 air salin qu\u2019il s\u2019\u00e9tait tra\u00een\u00e9 \njusque-l\u00e0 ce matin. \nJe fus excessivement touch\u00e9 (vous l\u2019auriez \u00e9t\u00e9 vous-\nm\u00eame) et, par pure compassi on, je l\u2019enr\u00f4lai sur-le-\nchamp comme ma\u00eetre coq du na vire. Il s\u2019appelle Long \nJohn Silver et il lui manqu e une j ambe ; mais c\u2019 est \u00e0 \nmes yeux un m\u00e9rite, car il l\u2019 a perdue en d\u00e9fendant son \npays sous les or dres de l\u2019i mmortel Haw ke. Et il n\u2019 a pas \nde pensi on, Livesey ! Song ez en quelle abomi nable \n\u00e9poque nous vivons ! \n 73Eh bi en, monsieur, j e croyais avoir si mplement \ntrouv\u00e9 un cuisinie r, mais c\u2019est tout un \u00e9quipage que \nj\u2019avais rencontr\u00e9. \u00c0 nous de ux, Silver et moi, nous \nrecrut\u00e2mes en peu de jours une troupe des plus s olides \nvieux loups de mer qu\u2019on pui sse imaginer... pas jolis, \njolis, mais, \u00e0 en juger par leur mine, des gars d\u2019 un \ncourage \u00e0 toute \u00e9p reuve. Je vous garantis que nous \npourrions r\u00e9sister \u00e0 une fr\u00e9gate. \nM\u00eame, Long John se d\u00e9barrassa de deux hommes \nsur les six ou sept que j\u2019av ais d\u00e9j\u00e0 retenus. Il me \nd\u00e9montr a sans peine que c\u2019\u00e9t aient l\u00e0 de ces marins \nd\u2019eau douce qu\u2019 il nous falla it pr\u00e9cis\u00e9ment craindre \ndans une s\u00e9ri euse occurrence. \nJe suis d\u2019une humeur et d\u2019 une s ant\u00e9 admi rables ; je \nmange comme un ogre, je do rs comme une souche, et \nmalgr\u00e9 cela je n\u2019au rai pas un moment de r\u00e9pit avant de \nvoir mes vieux mathurins vi rer au cabestan. Au large ! \nQu\u2019importe le tr\u00e9sor ! C\u2019es t la splendeur de la mer qui \nm\u2019a tourn\u00e9 la t\u00eate. Ainsi do nc, Livesey, faites diligence, \net venez sans perd re une heure si vou s \u00eates mon ami. \nQue le jeune Hawkins aille tout de suite voir sa \nm\u00e8re, sous la garde de Re druth, et puis que tous deux \ngagnent Bristol au plus vite. \nJohn Trelawney. \n \n 74Post-scriptum . \u2013 J\u2019oubliais . Blandl y (entr e \nparenth\u00e8ses, si nous ne so mmes pas rentr\u00e9s \u00e0 la fin \nd\u2019ao\u00fbt, il doit envoyer une co nserve \u00e0 notre recherche) \nBlandl y, dis-j e, nous a trouv\u00e9 un chef navi gateur \nexcellent... un type dur, ce que je regrette, mais sous \ntous autres rapports une vrai e perle. Long John Silver a \nd\u00e9nich\u00e9 comme s econd un homme tr\u00e8s capable, un \nnomm\u00e9 Arrow. J\u2019ai un ma\u00eetre d\u2019\u00e9quipage qui sait jouer \ndu sifflet ; ainsi, Livesey, tout ira comme sur un \nvaisseau de guerre \u00e0 bord de notre excellente \nHispaniola . \nEncore un d\u00e9tail. Sil ver est un personnage \nd\u2019importance ; je sais de source certai ne qu\u2019il a un \ncompt e en banque et qu\u2019 il n\u2019a jamais d\u00e9pass\u00e9 son \ncr\u00e9dit ; il laisse son cabaret aux s oins de sa femme, et \ncelle-ci \u00e9tant une n\u00e9gresse, deux vieux c\u00e9libataires \ncomme vous et moi sont autori s\u00e9s \u00e0 cr oire que c\u2019 est \u00e0 \ncause de sa femme et non s eulement pour s a sant\u00e9 qu\u2019 il \nd\u00e9sire \u00e0 nouveau courir le monde. \nJ. T. \n \nP.-P.-S. \u2013 Hawkins peut passer vingt-quatre heures \nchez sa m\u00e8r e. \nJ. T. \n \n 75On peut imaginer l\u2019enthou siasme o\u00f9 me jeta cette \nlettre. J e ne me connaiss ais plus de joie ; je voyais avec \nun m\u00e9pris souverain le vi eux Tom Redruth, qui ne \nsavait que geindre et r\u00e9crimin er. Tous les gardes-chasse \nen second, sans exception, au raient volontiers pris sa \nplace ; mais tel n\u2019\u00e9tait pas le bon plaisir du chevalier, \nlequel bon plaisir faisait la loi parmi eux. M\u00eame, nul \nautre que le vi eux Redr uth ne se f \u00fbt hasar d\u00e9 \u00e0 \nmurmurer. \nLe lendemain matin, nous f\u00ee mes la route \u00e0 pied, lui \net moi, j usqu\u2019\u00e0 l \u2019Amiral B enbow , o\u00f9 je trouvai ma m\u00e8re \nbien portante et gaie. Le capi taine, qui nous avait tant et \nsi longtemps pers\u00e9cut\u00e9s, s\u2019 en \u00e9tait all\u00e9 l\u00e0 o\u00f9 les \nm\u00e9chants ne peuvent pl us nui re. Le chevalier avait tout \nfait r\u00e9parer dans l\u2019auberge, et repeindre l\u2019enseigne et le \nd\u00e9bit, o\u00f9 il avait ajout\u00e9 quelq ues meubles... entre autres \nun bon fauteuil pour ma m\u00e8re \u00e0 son comptoir. Il lui \navait aus si trouv\u00e9 un gamin comme appr enti, si bien \nqu\u2019ell e ne r esterait pas s eule durant mon absence. \nC\u2019est \u00e0 la vue de ce gar \u00e7on que j e commen\u00e7ai \u00e0 \ncomprendr e ma situati on. J usque-l\u00e0 j\u2019 avais pens \u00e9 \nuniquement aux aventures qui m\u2019attendaient, et non \u00e0 la \ndemeure que je quittais ; aussi, en voyant ce gauche \n\u00e9tranger destin\u00e9 \u00e0 tenir ma place aupr\u00e8s de ma m\u00e8re, \nj\u2019eus ma pr emi\u00e8re cris e de lar mes. J\u2019 ai bien peur \nd\u2019avoir f ait une vi e de chi en \u00e0 ce gar\u00e7on, car, \u00e9tant neuf \n 76au travail, il m\u2019offrit mille occasions de le r\u00e9primander \net de l\u2019humilier, et je ne manquai pas d\u2019en profiter. \nLa nuit passa, et le lendemain, apr\u00e8s d\u00eener, Redrut h \net moi nous rem\u00ee mes en route. Je dis adi eu \u00e0 ma m\u00e8r e, \u00e0 \nla crique o\u00f9 j\u2019avais v\u00e9cu d epuis ma naissance, et au \ncher vi eil Amiral Benbow ... un peu moi ns cher toutef ois \ndepuis qu\u2019il \u00e9tait repeint. L\u2019un e de me s derni\u00e8res \npens\u00e9es f ut pour le capit aine, qui avait si souvent r \u00f4d\u00e9 \nsur l a gr\u00e8ve avec son tri corne, sa bal afre et sa vi eille \nlunette de cuivre. Un instant plus tard, nous pr enions le \ntournant, et ma demeure disparaissait \u00e0 mes yeux. \nVers le soir, la ma lle-poste nous prit au Royal \nGeor ge, sur la lande. J\u2019y fus encaqu\u00e9 entre Redruth et \nun gr os vieux monsieur, mais en d\u00e9pit de notr e cours e \nrapide et du fr oid de la nuit, je ne tardai point \u00e0 \nm\u2019assoupir, et dormis comme une souche par monts et \npar vaux et de relais en re lais. Une bourrade dans les \nc\u00f4tes me r\u00e9veill a enfin, et je m\u2019aper\u00e7us en ouvrant les \nyeux qu\u2019 il fais ait gr and j our et que nous \u00e9tions arr\u00eat\u00e9s \nen face d\u2019un grand b\u00e2time nt, dans une rue de ville. \n\u2013 O\u00f9 sommes-nous ? demandai-je. \n\u2013 \u00c0 Bristol, r\u00e9pond it Tom. Descendez. \nM. Trel awney avait pris pensi on \u00e0 une auber ge \nsitu\u00e9e au bout des bassins, pour mieux s urveiller le \ntravail \u00e0 bor d de la go\u00e9l ette. Il nous f allut marcher \n 77jusque-l\u00e0, et j\u2019eus le grand plaisir de longer les quais o\u00f9 \ns\u2019alignaient une multitude de bateaux de toutes tailles, \nformes et nationalit\u00e9s. Sur l\u2019un, des matelots \naccompagnaient leur besogne en chantant ; sur un autre, \nil y avait des hommes en l\u2019air, tr\u00e8s haut, s uspendus \u00e0 \ndes cor dages mi nces en apparence comme des fils \nd\u2019araign\u00e9e. Bien que j\u2019eusse pass\u00e9 toute ma vie sur l a \nc\u00f4te, il me s emblai t n\u2019avoir jamais connu l a mer j usqu\u2019\u00e0 \npr\u00e9sent. L\u2019odeur du goudron et du sel \u00e9tait pour moi \nune nouveaut\u00e9. Je vis des fi gures de proue \u00e9tonnantes, \nqui avaient t outes parcouru les oc\u00e9ans lointa ins. Je v is \naussi beaucoup de vieux mari ns avec de s anneaux aux \noreilles, des favoris boucl\u00e9 s, des catogans goudronneux, \net \u00e0 la d\u00e9mar che lourde et i mportante. J\u2019aurai s eu moi ns \nde pl aisir \u00e0 voir autant de rois et d\u2019archev\u00eaques. \nEt j\u2019allais moi aussi nav iguer ; naviguer sur une \ngo\u00e9lette, avec un ma\u00eetre d\u2019 \u00e9quipage qui jouerait du \nsifflet, et des marins \u00e0 cat ogans, qui chant eraient ; \nnaviguer vers une \u00eele inconnue , \u00e0 la recherche de tr\u00e9sors \nenfouis ! \nJ\u2019\u00e9tais encore plong\u00e9 dans ce songe, lorsque nous \nnous tr ouv\u00e2mes s oudain en fa ce d\u2019une grande auberge, \net nous en v\u00eemes sortir M. le chevalier Trelawney, v\u00eatu \ncomme un offici er de marine , en habit gros bleu, qui \nvint \u00e0 notre rencontre d\u2019un ai r \u00e9panoui et imitant \u00e0 la \nperfecti on l\u2019allure d\u2019un marin. \n 78\u2013 Vous voici, s\u2019\u00e9cria-t-il, et le docteur est arriv\u00e9 de \nLondres hier soir. Brav o ! l\u2019 \u00e9quipage est au complet. \n\u2013 Oh ! monsi eur, m\u2019exclamai-je, quand partons-\nnous ? \n\u2013 Quand nous partons ?... Nous part ons demai n ! \n 79 \n \nVIII \n \n\u00c0 l\u2019enseigne de la Longue-Vue \n \nApr\u00e8s m\u2019avoir laiss\u00e9 d\u00e9jeuner, le chevalier me remit \nun billet adress\u00e9 \u00e0 John Silv er, \u00e0 l\u2019enseigne de la \nLongue-Vue . Pour la tr ouver, il me s uffisait de l onger \nles bassi ns et de fair e attention ; je verrais une petite \ntaverne ayant pour enseigne un gr and t\u00e9lescope de \ncuivre. C\u2019\u00e9t ait l\u00e0. J e me mis en rout e, ravi de cette \noccasion de mieux voir navi res et matelots, e t me \nfaufilant parmi une foul e \u00e9pai sse de gens, de camions et \nde ballots \u2013 car l\u2019affairem ent battait son plein sur le \nquai \u2013 j e trouvai l a taverne en question. \nC\u2019\u00e9tait un petit d\u00e9bit d\u2019allure ass ez pr osp\u00e8r e. \nL\u2019enseigne \u00e9tait peinte de fra is, on voyait aux fen\u00eatres \nde jolis r ideaux r ouges, et le car reau \u00e9t ait pr oprement \nsabl\u00e9. Situ\u00e9 entre deux rues , il avait sur chacune d\u2019elles \nune porte ouverte, ce qui do nnait assez de jour dans la \nsalle grande et basse, malg r\u00e9 des nuages de fum\u00e9e de \ntabac. \nLa pl upart des cli ents \u00e9tai ent des navi gateur s, et ils \n 80parlaient si fort que je m\u2019arr\u00ea tai sur le seuil, intimid\u00e9. \nDurant mon h\u00e9sitation, un homme s urgit d\u2019 une pi \u00e8ce \nint\u00e9rieure, et un coup d\u2019\u0153 il suffit \u00e0 me persuader que \nc\u2019\u00e9tait Long John. Il avait la jambe gauche coup\u00e9e au \nniveau de la hanche, et il po rtait sous l\u2019aisselle gauche \nune b\u00e9quille, dont il usait avec une merveilleuse \nprestesse, en s autillant dess us comme un ois eau. Il \u00e9t ait \ntr\u00e8s grand et robuste, avec un e figure aussi grosse qu\u2019un \njambon \u2013 une vil aine fi gure bl \u00eame, mais spirituelle et \nsouriante. Il semblait m\u00eame fo rt en gaiet\u00e9, sifflait tout \nen cir culant par mi les tabl es et dis tribuait des \nplaisanteries ou des tapes sur l\u2019\u00e9paule \u00e0 ses clients \nfavori s. \n\u00c0 vr ai dire, d\u00e8s la premi \u00e8re nouvelle de Long John \ncontenue dans la lettre du c hevalier Trelawney, j\u2019avais \nappr\u00e9hend\u00e9 que ce ne f\u00fbt lui le matelot \u00e0 une jambe que \nj\u2019avais si longtemps guett\u00e9 au vieux Benbow . Mais un \nregard suffit \u00e0 me renseigne r sur l\u2019homme que j\u2019 avais \ndevant moi . Connaiss ant le capitaine, Chien-Noir et \nPew l\u2019aveugle, je croyai s savoir ce qu\u2019\u00e9tait un \nflibustier : un individu tout autre, \u00e0 mon sens, que ce \ntavernier de bonne mine et d\u2019humeur af fable. \nJe r epris cour age aussit \u00f4t, franchis le seuil et \nmarchai droit \u00e0 notre homme, qui, \u00e9tay\u00e9 sur sa b\u00e9quille, \ncausait avec un consommateur. \n\u2013 Monsieur Silver, n\u2019est- ce pas, monsieur ? fis-je, en \n 81lui tendant le pli. \n\u2013 Oui, mon gar \u00e7on, c\u2019 est bien moi, r\u00e9pliqua-t-il. Et \ntoi-m\u00eame, qui es-tu ? \nMais en voyant la lettre du chevalier, il r\u00e9prima un \nhaut-l e-corps. \n\u2013 Ah ! reprit-il, en \u00e9levant la voix, je compr ends, t u \nes notre nouveau gar\u00e7on de cabine. Charm\u00e9 de faire ta \nconnaissance. \nEt il m\u2019\u00e9treignit la main dans sa vaste poigne. \nTout aussit\u00f4t, \u00e0 l\u2019autre bout de la s alle, un \nconsommat eur se leva br usquem ent et prit la porte. Il en \n\u00e9tait proche, et un instant lui suffit \u00e0 gagner la rue. Mais \nsa h\u00e2te avait attir\u00e9 mon attent ion, et je le reconnus d\u2019un \ncoup d\u2019 \u0153il. C\u2019\u00e9t ait l\u2019homme au vi sage de cire et pr iv\u00e9 \nde deux doigts qui \u00e9tait venu le premier \u00e0 l\u2019 Amiral \nBenbow . \n\u2013 Ah ! m\u2019\u00e9criai-je, arr\u00eate z-le ! C\u2019est Chien-Noir ! \n\u2013 Je ne donnerais pas deu x lia rds pour savoir qui \nc\u2019est, proclama Silver ; mais il par t sans payer. Harr y, \ncours apr\u00e8s et ram\u00e8 ne-le. \nHarry, qui \u00e9tait t out voisi n de la porte, bondit \u00e0 la \npoursuite du fugitif. \n\u2013 Quand ce serait l\u2019amiral Hawke en personne, il \npaiera son \u00e9cot ! reprit Silve r. \n 82Puis, l\u00e2chant ma main : \n\u2013 Qui dis ais-tu que c\u2019 \u00e9tait ? Noir quoi ? \n\u2013 Chien-Noir, monsieur , r\u00e9pondis-j e. M. Trel awney \na d\u00fb vous parler des flibustiers ? C\u2019en est un. \n\u2013 Hein ? Dans ma mais on ! Ben, cours pr \u00eater mai n-\nforte \u00e0 Harry. Lui , un de ces sagouins ?... Morgan, c\u2019est \nvous qui buvi ez avec l ui ? Venez i ci. \nLe nomm\u00e9 Morgan \u2013 un vi eux matelot \u00e0 cheveux \ngris et au teint d\u2019acajou \u2013 s\u2019avan\u00e7a tout piteux, en \nroulant s a chique. \n\u2013 Dites, Morgan, interrog ea tr \u00e8s s\u00e9v\u00e8rement Long \nJohn, vous n\u2019avez jamais rencont r\u00e9 ce C hien-Noir \nauparavant, hein ? \n\u2013 Non, monsieur, r \u00e9pondit Morgan, avec un salut. \n\u2013 Vous ne s aviez pas s on nom, dites ? \n\u2013 Non, monsieur. \n\u2013 Par tous les diables, To m Morgan, cela vaut mieux \npour vous ! s\u2019exclama le pa tron. Si vous aviez \u00e9t \u00e9 en \nrapport avec des gens comme \u00e7a, vous n\u2019 auriez pl us \njamais remis le pied chez mo i, je vous le garantis. Et \nqu\u2019est -ce qu\u2019il vous r acontait ? \n\u2013 Je ne sais pas au juste, monsieur. \n\u2013 Cr\u00e9di\u00e9 ! C\u2019est donc une t\u00eate de mout on que vous \n 83avez sur les \u00e9paules ? Vous ne savez pas au juste ! Vous \nne saviez peut- \u00eatre pas que vous parliez \u00e0 quelqu\u2019 un, \nhein ? Allons, vite, de quoi jasait-il ?... de voyages, de \ncapitaines, de bateaux ? Accouchez ! qu\u2019est-ce que \nc\u2019\u00e9tait ? \n\u2013 Nous parlions de car \u00e9nage, r\u00e9pondit Morgan. \n\u2013 De car\u00e9nage, vraiment ? C\u2019 est un s ujet tr\u00e8s \n\u00e9difiant, il n\u2019y a pas de doute. Allez vous rass eoir, \nmarin d\u2019eau douce. \nEt tandis que Morgan rega gnait sa place, Silver me \ndit tout bas, sur un ton confi dentiel, tr\u00e8s flatteur \u00e0 mon \navis : \n\u2013 C\u2019est un tr\u00e8s brave homme, ce Tom Morgan, \nquoique b\u00eate. Mais, voyons, continua-t-il tout haut... \nChien-Noir ? Non, je ne connais pas ce nom-l\u00e0. Et \npourt ant, j\u2019ai comme une id\u00e9e... oui, j\u2019 ai d\u00e9j\u00e0 vu le \nsagouin. Il venait parfoi s ici accompagn\u00e9 d\u2019un mendiant \naveugl e, oui , parfois. \n\u2013 Vous pouvez en \u00eatre s\u00fbr, di s-je. Et j\u2019ai connu aussi \ncet aveugle. Il se nommait Pew. \n\u2013 C\u2019est \u00e7a, s\u2019 \u00e9cria Silver , maint enant tr \u00e8s excit \u00e9. \nPew ! pas de doute, c\u2019\u00e9tait bien son nom. Et quelle t\u00eat e \nde canail le il avai t ! Si nous attr apons ce C hien-Noir, \nc\u2019est le capitaine Trelaw ney qui sera heureux de \nl\u2019appr endre ! Ben est bon \u00e0 la cour se ; peu de marins \n 84courent comme lui. Il doit le rattraper haut la main, par \ntous les diables !... Il parla it de car\u00e9nage, pas vrai ? Je \nvais te le car\u00e9ner, moi ! \nTout en lan\u00e7ant ces phrases , il b\u00e9quillait de long en \nlarge parmi la taverne, cla quant de la main sur les \ntables, et affectant une tell e chaleur qu\u2019il e\u00fbt convaincu \nun juge de cour d\u2019assises ou un limier de la police. Mes \nsoup\u00e7ons s\u2019\u00e9taient r\u00e9veill\u00e9s en trouvant Chien-Noir \u00e0 la \nLongue- Vue, et j\u2019 obser vais attentivement le ma\u00eetre coq. \nMais il \u00e9tait trop fort, trop pr ompt et trop rus \u00e9 pour moi. \nQuand l es deux hommes r entr\u00e8rent tout hor s d\u2019haleine, \navouant qu\u2019ils avaient perdu la piste dans l a foule, et \nqu\u2019on les avait pris pour des voleurs et houspill\u00e9s, je me \nserais port\u00e9 garant de l\u2019innocence de Long John. \n\u2013 Dis donc, Hawki ns, fit-il, voil\u00e0 une chos e \nfichtrement d\u00e9sagr\u00e9able pou r un homme comme moi, \nhein ! Le capit aine Tr elaw ney, que va-t-il penser ? \nVoici que j\u2019ai ce maudit fils de Hollandais install\u00e9 dans \nma mais on, \u00e0 boi re mon r hum ; voici que tu arrives et \nme dis s on fait, et voi ci, cr\u00e9n om ! que je le laisse nous \njouer la fille de l\u2019air, sous mes yeux ! Dis, Hawkins, tu \nme justifieras aupr\u00e8s du capita ine ? Tu es un gamin, pas \nvrai, mai s tu es s age comme une i mage. J e l\u2019ai vu d\u00e8s \nton entr\u00e9e. Eh bien, r\u00e9ponds, que pouvais-je faire, moi, \nclopinant sur cette vieille b\u00fbche ? Quand j\u2019\u00e9tais ma\u00eetre \nmarinier de premi\u00e8re classe, je l\u2019aurais rejoint hau t la \n 85main et empoign\u00e9 en deux temps trois mouvements ; \nmais \u00e0 cette heure... \nSoudain, il s\u2019interrompit, et resta bouche b\u00e9e, \ncomme s \u2019il se rappel ait quelque chos e. \n\u2013 L\u2019\u00e9cot ! lan\u00e7a-t- il. Trois tour n\u00e9es de r hum ! Mort \nde mes os, j\u2019 avais oubli\u00e9 l\u2019\u00e9cot ! \nEt s\u2019af falant s ur un es cabeau, il se mit \u00e0 rire, \nlitt\u00e9ralement aux larmes. Je ne pus m\u2019emp\u00eacher de \nl\u2019imiter, et les \u00e9clats r\u00e9it\u00e9r\u00e9s de nos rires ass oci\u00e9s fir ent \nretentir la taverne. \n\u2013 Vrai ! il faut que je sois un fameux veau mari n ! \nfit-il \u00e0 la fin en s\u2019essuyant le visage. Nous faisons bien \nla paire, H awkins, car on pourrait, ma foi, me \ncataloguer mous saillon. M ais mai ntenant, allons, pare \u00e0 \nvirer. C e n\u2019est pas tout \u00e7a. L e devoir avant tout, \ncamarade. Je mets mon vieux tricorne et file avec toi \nchez le capitaine Trelawney, lui conter l\u2019affaire. Car, \nnote bien, jeune Hawkins, c\u2019es t grave, cette histoire, et \nj\u2019oserai dire que ni toi ni moi n\u2019 en sortons gu\u00e8re \u00e0 not re \navantage. Non, ni toi non plus , dis ; nous n\u2019 avons pas \n\u00e9t\u00e9 fins , pas pl us l\u2019un que l \u2019autre. Mais, mort de mes os, \nc\u2019est une bonne blague , celle de l\u2019\u00e9cot ! \nEt il se remit \u00e0 rire, de si bon c\u0153ur que, tout en ne \nvoyant pas la plaisanterie comme lui, je fus \u00e0 nouveau \ncontr aint de part ager s on hilarit\u00e9. \n 86Durant notre courte promen ade au long des quais, \nmon compagnon m\u2019int\u00e9ressa fo rt en me parlant des \nnavires que nous passions en revue, de leurs diff\u00e9rents \ntypes, de leur tonnage, de leur nationalit\u00e9 ; il \nm\u2019expliquait la besogne qui s\u2019 y faisait : on d\u00e9chargeait \nla cargaison de l\u2019un, on emba rquait celle de l\u2019autre ; un \ntroisi\u00e8me allait appareiller ; et \u00e0 tout propos il me sortait \nde petit es anecdot es sur les navir es ou l es marins et me \nserinait des expressions nautiq ues pour me le faire bien \nentrer dans la t\u00eate. Je le voyai s de plus en pl us, ce s erait \nl\u00e0 pour moi un compagnon de bord inestimable. \nEn arrivant \u00e0 l\u2019auberge, nou s trouv\u00e2mes le chevalier \net le doct eur Li vesey attabl\u00e9s devant une pinte de bi\u00e8re \net des r\u00f4ties ; ils s\u2019appr\u00eatai ent \u00e0 all er faire une tour n\u00e9e \nd\u2019inspection sur la go\u00e9lette. \nLong John raconta l\u2019histoi re depuis A jusqu\u2019\u00e0 Z, \navec beaucoup de ve rve et la plus exact e franchis e. \n\u2013 C\u2019est bien \u00e7a, n\u2019est- ce pas, Hawkins ? disait-il de \ntemps \u00e0 autre. \nEt chaque fois je ne pouvai s que confirmer son r\u00e9cit. \nLes deux messieurs regrett\u00e8 rent que Chien-Noir e\u00fbt \n\u00e9chapp\u00e9 ; mais nous conv\u00eenmes tous qu\u2019il n\u2019 y avait ri en \n\u00e0 faire, et apr\u00e8s avoir re\u00e7u des f\u00e9licitations, Long John \nreprit sa b\u00e9quille et se retira. \n\u2013 Tout le monde \u00e0 bor d pour cet apr\u00e8s- midi \u00e0 quatr e \n 87heures ! l ui cria de loin le chevalier. \n\u2013 Bien, monsi eur, r\u00e9pondi t le coq, du corridor. \n\u2013 Ma foi, chevalier, dit le doct eur Li vesey, je n\u2019 ai en \ng\u00e9n\u00e9ral pas grande confianc e dans vos trou vailles, mais \nj\u2019avouerai quand m\u00eame que ce John Silver me bott e. \n\u2013 C\u2019est un parfait brave homme, d\u00e9clara le \nchevalier. \n\u2013 Et maintenant, conclut le doct eur, Jim va venir \u00e0 \nbord avec nous, n\u2019est-ce pas ? \n\u2013 Bien entendu. Mettez vo tre chapeau, Hawkins, et \nallons vis iter le navire. \n 88 \n \nIX \n \nLa poudre et les armes \n \nComme l\u2019 Hispaniola n\u2019\u00e9tait pas \u00e0 quai , il nous \nfallut , pour nous y rendre, pass er sous les f igures de \nproue et devant les ar ri\u00e8res de plusi eurs aut res navir es \ndont les amarres tant\u00f4t raclai ent la quille de notre canot \net tant\u00f4t se balan\u00e7aient au-de ssus de nos t\u00eates. \u00c0 la fin, \ncependant, nous accost\u00e2mes et pr\u00ee mes pied \u00e0 bor d. \nNous f\u00fbmes re\u00e7us et salu\u00e9s pa r le second, M. Arrow, un \nvieux marin basan\u00e9, \u00e0 boucles d\u2019oreilles et qui louchait. \nLe chevalier semblait au mieux avec lui. Je \nm\u2019aper\u00e7us vite que M. Tr elawney s\u2019ente ndait moins \nbien avec le capitaine. \nCe dernier \u00e9tait un homme \u00e0 l\u2019air s\u00e9v\u00e8re, qu\u2019on e\u00fbt \ndit m\u00e9content de t oute chos e \u00e0 bord. Et il ne tarda pas \u00e0 \nnous en dir e la raison, car \u00e0 peine \u00e9tions-nous \ndescendus dans la cabine , qu\u2019 un mat elot nous y \nrejoignit et annon\u00e7a : \n\u2013 Le capitaine Smollett, monsieur, qui demande \u00e0 \nvous parler. \n 89\u2013 Je suis touj ours aux or dres du capitai ne, r\u00e9pondit \nle chevalier. Introduisez-le. \nLe capitaine, qui suivait de pr\u00e8s son messager, entra \naussit\u00f4t et ferma la porte derri\u00e8re lui. \n\u2013 Eh bien, capitai ne Smoll ett, quelle nouvelle ? Tout \nva bi en, j\u2019esp\u00e8re ; tout est en bon or dre de navigati on ? \n\u2013 Eh bien, monsi eur, r\u00e9pondit le capit aine, mieux \nvaut, j e crois, parler f ranc, m\u00eame au risque de vous \nd\u00e9plaire. Je n\u2019ai me pas cett e croisi\u00e8r e, je n\u2019aime pas \nl\u2019\u00e9qui page et je n\u2019 aime pa s mon second. Voil\u00e0 qui est \nclair et net. \n\u2013 Et peut-\u00eat re, monsi eur, n\u2019 aimez- vous pas l e \nnavire ? interrogea le chevalie r, tr\u00e8s irrit\u00e9 \u00e0 ce que je \npus voir . \n\u2013 Quant \u00e0 lui, monsieur , je ne puis rien en dire avant \nde l\u2019avoi r vu \u00e0 l\u2019 \u0153uvr e. Il m\u2019 a l\u2019air d\u2019un fi n b\u00e2ti ment ; \nc\u2019est t out ce que j\u2019 en sais. \n\u2013 Peut-\u00eatre encore, mons ieur, n\u2019aimez-vous pas non \nplus votre armat eur ? \nMais le docteur Li vesey intervint : \n\u2013 Un inst ant ! un instant ! Des ques tions de ce genr e \nne sont bonnes qu\u2019 \u00e0 provoquer des malentendus. Le \ncapitaine en a dit trop, ou tr op peu, et je dois dire que \nj\u2019exige une expli cation de ses paroles. Vous n\u2019aimez \n 90pas, dites -vous , cette croisi \u00e8re. P ourquoi ? \n\u2013 Je me suis engag\u00e9, mons ieur, suivant le syst\u00e8me \ndit des instr uctions s cell\u00e9es, \u00e0 mener l e navir e o\u00f9 \nm\u2019ordonnera ce monsieur. C\u2019es t parfait. Tout va bien \njusque-l\u00e0. Mais je consta te que chacun des simples \nmatelots en sait pl us que moi. Tr ouvez- vous cel a bien, \nvoyons, dites ? \n\u2013 Non, fit le docteur Lives ey, ce n\u2019est pas bien, je \nl\u2019admets. \n\u2013 Ensuite j\u2019apprends que nous allons \u00e0 la recherche \nd\u2019un tr \u00e9sor... c\u2019es t mon \u00e9qui page qui me l\u2019apprend, \nremarquez. Or, les tr\u00e9sors, c\u2019 est de la besogne d\u00e9licate ; \nje n\u2019aime pas du tout les voyages au tr\u00e9sor ; et je les \naime encore moins quand ils sont s ecrets et que ( sauf \nvotre respect, monsieur Trel awney) l e secret a \u00e9t\u00e9 \nracont\u00e9 au perroquet. \n\u2013 Quel perroquet ? demanda le chevalier. Celui de \nSilver ? \n\u2013 Fa\u00e7on de parl er. Quand il a \u00e9t\u00e9 divulgu\u00e9, je veux \ndire. Je crois bi en qu\u2019aucun de vous deux, messieurs, ne \nsait ce qui l\u2019attend ; mais je vais vous dir e ce que j\u2019 en \npense : c\u2019est une questi on de vie ou de mort, et o\u00f9 il \nfaut jouer serr\u00e9. \n\u2013 Voil\u00e0 qui est bien cl air et, je dois l e dire, assez \njuste, r \u00e9pliqua le doct eur Livesey. Nous acceptons le \n 91risque ; mais nous ne sommes pas aussi na\u00effs que vous \ncroyez... En s econd lieu, di tes-vous , vous n\u2019aimez pas \nl\u2019\u00e9qui page. N\u2019 avons- nous pas de bons marins ? \n\u2013 Je ne les aime pas, mons ieur, repartit le capitaine \nSmollett. Et puisque vous en par lez, j\u2019est ime qu\u2019 on \naurait d\u00fb me laisser choisir mon \u00e9qui page moi -m\u00eame. \n\u2013 Possible, reprit le doct eur, mon ami e\u00fbt peut-\u00eatre \nd\u00fb vous consult er ; mais s\u2019il l\u2019a n\u00e9glig\u00e9, c\u2019est s ans \nmauvais e intenti on. Et vous n\u2019 aimez pas non plus M. \nArrow ? \n\u2013 Non, monsi eur, je ne l\u2019ai me pas. Je le crois bon \nmarin ; mais il est trop fam ilier avec l\u2019\u00e9quipage pour \nfaire un bon off icier. Un second doit r ester sur son \nquant-\u00e0-soi et ne pas tr inquer avec les hommes de \nl\u2019avant. \n\u2013 Voulez-vous dire qu\u2019il s\u2019enivre ? lan\u00e7a le \nchevalier. \n\u2013 Non, monsi eur : simpl ement qu\u2019il es t trop \nfamilier. \n\u2013 Et mai ntenant, l e r\u00e9sum\u00e9 de tout cel a, capitaine ? \n\u00e9mit l e doct eur. E xposez votre d\u00e9sir. \n\u2013 Messieurs, \u00eates -vous r \u00e9solus \u00e0 pours uivre cett e \ncroisi\u00e8r e ? \n\u2013 Dur comme fer, affirma le chevalier. \n 92\u2013 Tr\u00e8s bien, reprit le capit aine. Al ors, puis que vous \nm\u2019avez \u00e9cout\u00e9 fort patiemmen t vous dire des choses \nque je ne puis prouver, \u00e9coutez quelques mots de plus. \nOn est en train de loger la poudre et les arme s dans la \ncale avant. Or, vous avez sous la cabine une place \nexcellent e : pourquoi pas l\u00e0 ?... premi er point . Pui s, \nvous emmenez avec vous quatr e de vos gens, et il para\u00eet \nque pl usieurs d\u2019 entre eux vont coucher \u00e0 l\u2019avant . \nPourquoi ne pas leur donner ces cadres-l\u00e0, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la \ncabine ?... s econd poi nt. \n\u2013 C\u2019est tout ? demanda M. Trelawney. \n\u2013 Encore ceci : on n\u2019 a d\u00e9j \u00e0 que tr op bavar d\u00e9. \n\u2013 Beaucoup trop, acqu ies\u00e7a le docteur. \n\u2013 Je vais vous r\u00e9p\u00e9ter ce que j\u2019ai entendu moi-\nm\u00eame, poursuivit le capitaine Smoll ett. On di t que vous \navez une carte de l\u2019\u00eele, qu\u2019il y a s ur cett e cart e trois \ncroix pour d\u00e9signer l\u2019emplace ment du tr\u00e9sor, et que \ncette \u00eele est situ\u00e9e par... \nEt il \u00e9non\u00e7a la longitude et la latitude exactes. \n\u2013 Je n\u2019ai jamais dit cela, se r\u00e9cria le chevalier, \njamais, \u00e0 personne ! \n\u2013 Les matelots le savent pourtant, monsi eur, riposta \nle capitaine. \n\u2013 Livesey, s\u2019\u00e9cria le chevalie r, ce ne peut \u00eatre que \n 93vous ou Hawki ns. \n\u2013 Peu i mporte de savoir qui, r\u00e9pliqua le docteur. \nPas pl us que le capitai ne, je le voyais bien, il ne \ntenait gr and compt e des pr otestations de M. Trelawney. \nMoi non plus , du rest e, car le chevalier \u00e9tait un bavard \nincorri gible ; mai s en l\u2019 esp\u00e8ce je crois qu\u2019il disait vr ai, \net que personne n\u2019 avait r \u00e9v\u00e9l\u00e9 la position de l\u2019\u00eele. \n\u2013 Eh bien, messieurs, reprit le capitaine, je ne sais \npas qui de vous d\u00e9ti ent cette carte ; mais je pose en \nprinci pe qu\u2019on me le laiss era ignorer, aus si bien qu\u2019 \u00e0 \nM. Arrow. Sinon je me verr ais for c\u00e9 de vous pr \u00e9senter \nma d\u00e9mi ssion. \n\u2013 Je vois , dit le doct eur. Il faut, \u00e0 votr e avis, nous \ntenir sur la d\u00e9fensive, et fa ire de la partie arri\u00e8re du \nnavir e une cit adelle \u00e9qui p\u00e9e avec les serviteurs \npersonnels de mon ami et pour vue de t outes les armes \net muniti ons du bor d. En d\u2019autres termes, vous redoutez \nune mutinerie. \n\u2013 Monsieur, ri posta le capit aine Smollett, sans \nvouloir vous cher cher noi se, je vous cont este l e droit de \nm\u2019attribuer ind\u00fbment ces paroles. Nul capitaine, \nmonsieur, ne serait excusabl e m\u00eame d\u2019appareiller, s\u2019il \navait un motif suffisant de les prononcer. Quant \u00e0 M. \nArrow, il est, je le croi s, fonci\u00e8rement honn\u00eate ; \nquelques-uns des hommes aussi ; tous peut -\u00eatre, je ne \n 94sais. Ma is je suis responsable de la s\u00e9curit\u00e9 du navire et \nde l\u2019existence de tous ceux qu\u2019il porte. Je vois que les \nchoses ne vont pas tout \u00e0 fa it droit, \u00e0 mon id\u00e9e. Et je \nd\u00e9sire que vous preniez ce rtaines pr\u00e9cautions, ou que \nvous me laissiez d\u00e9mi ssionner. Voil\u00e0 tout. \n\u2013 Capitaine Smollett, commen\u00e7a l e doct eur avec un \nsourir e, connais sez-vous la fable de l a mont agne qui \naccouche d\u2019une souris ? Vous m\u2019excuserez, j\u2019esp\u00e8re, \nmais vous m\u2019en faites souv enir. Quand vous \u00eates entr\u00e9 \nici, j\u2019aurais gag\u00e9 ma perru que que vous attendiez de \nnous autre chose que cela. \n\u2013 Docteur, vous voyez clair. Quand je suis entr\u00e9 ici, \nje m\u2019att endais \u00e0 r ecevoir mon cong\u00e9. Je ne pensais pas \nque M. Trel awney m\u2019 \u00e9couter ait au- del\u00e0 du pr emier \nmot. \n\u2013 Et je n\u2019en \u00e9couter ai pas davantage, s\u2019\u00e9cria le \nchevali er. Sans Livesey, je vous aura is envoy\u00e9 au \ndiable. N\u2019import e, gr\u00e2ce \u00e0 l ui, je vous ai \u00e9cout\u00e9. J\u2019agirai \nselon votre d\u00e9sir ; mais j\u2019ai de vous la plus trist e \nopinion. \n\u2013 Comme il vous plair a, monsi eur, dit le capit aine. \nVous reconna\u00eetrez que je fais mon devoir. \nEt l\u00e0-dessus il prit cong\u00e9 de nous. \n\u2013 Trelawney, \u00e9mit le docteu r, contr airement \u00e0 tout es \nmes id\u00e9es, je cr ois que vous avez r\u00e9ussi \u00e0 nous amener \n 95\u00e0 bord deux honn\u00eates gens : cet homme-l\u00e0 et John \nSilver. \n\u2013 Silver, soit ; mais quant \u00e0 ce fumiste \ninsupportable, sachez que j\u2019 estime sa conduite indigne \nd\u2019un homme, d\u2019 un mari n et pl us encor e d\u2019un Anglais . \n\u2013 Bien, dit le doct eur, nous verrons. \nQuand nous mont\u00e2mes sur le pont, les hommes \n\u00e9taient d\u00e9j\u00e0 occup\u00e9s au tran sfert des armes et de la \npoudre, et travaillaient en c adence, sous la direction du \ncapitaine et de M. Arrow. \nJ\u2019approuvai tout \u00e0 fait le nouvel arrangement qui \nmodifi ait tout s ur la go\u00e9l ette. Nous avions \u00e0 l\u2019 arri\u00e8re six \ncabines, pris es sur la part ie post \u00e9rieure de la gr ande \ncale, et cett e s\u00e9rie de chambr ettes ne communiquait \navec le gaillard d\u2019 avant que par une \u00e9troite coursive \u00e0 \nb\u00e2bord, donnant sur la cuisine. Suivant les dispositions \nprimitives, le capitaine, M. Arrow, Hunter, Joyce, l e \ndocteur et le chevalier, deva ient occuper ces six pi\u00e8ces. \n\u00c0 pr\u00e9sent, deux \u00e9taient destin\u00e9es \u00e0 Redruth et \u00e0 moi, \ntandis que M. Arrow et le capitaine logeraient sur le \npont, dans le capot qu\u2019on avait \u00e9largi des deux c\u00f4t\u00e9s, en \nsorte qu\u2019il m\u00e9ritait presque le nom de dunette. C\u2019\u00e9tait \ntoujours, bi en ent endu, for t bas de pl afond, mais il y \navait place pour suspendre d eux hamacs, et le second \nlui-m\u00eame parut satisfait de cet arr angement . Il s e \nm\u00e9fiait peut-\u00eatre aussi de l\u2019 \u00e9quipage ; mais ce n\u2019est l\u00e0 \n 96qu\u2019une supposition, car, comm e on va le voir, il n\u2019eut \ngu\u00e8re le loisir de nous donner son avis. \nNous \u00e9tions en pl eine activit\u00e9, transportant \nmunitions et couchette s, quand un ou deux \nretardataires, accompagn\u00e9s de Long John, arriv\u00e8rent \ndans un canot du port. \nLe cuisinier, agile comme un singe, escalada le \nbord, et vit aussit\u00f4t de quoi il s\u2019agissait. Il s\u2019\u00e9cria : \n\u2013 Hol \u00e0, camar ades ! qu\u2019 est-ce que vous f aites ? \n\u2013 Nous d\u00e9m\u00e9nageons la poudre, r\u00e9pondit l\u2019un. \n\u2013 Mais, par tous les diables ! lan\u00e7a Long John, si on \nfait \u00e7a, on va manquer la mar\u00e9e du matin ! \n\u2013 Mes ordres, dit s\u00e8chement le capitaine. Vous \npouvez aller \u00e0 vos fourneau x, mon gar\u00e7on. L\u2019\u00e9quipage \nva r\u00e9clamer son souper. \n\u2013 Bien, monsi eur, r\u00e9pondi t le coq en saluant. \nEt il se dirigea vers sa cuisine. \n\u2013 Voil\u00e0 un brave homme, ca pitaine, dit le docteur. \n\u2013 C\u2019en a tout l\u2019air, monsi eur... r\u00e9pli qua le capitaine. \nDoucement avec \u00e7a, les hom mes, doucement, continua-\nt-il, en s\u2019adressant aux gars qui maniaient la poudre. \nPuis soudain, me surpre nant \u00e0 examiner la caronade \nque portait le bateau par so n milieu, une longue pi\u00e8ce \n 97de neuf, en bronze : \n\u2013 Dites donc, le mousse, cr ia-t-il, filez-moi de l\u00e0. \nAllez demander au cuisi nier qu\u2019 il vous donne de \nl\u2019ouvr age. \nJe m\u2019 esquivai au pl us vit e, mai s je l\u2019entendis qui \ndisait au doct eur, tr\u00e8s haut : \n\u2013 Je ne veux pas de pr ivil\u00e9gi\u00e9s sur mon navire. \nJe vous garanti s que j\u2019 \u00e9tais bi en de l\u2019 avis du \nchevali er, et que j e d\u00e9testais cordialement le capitaine. \n 98 \n \nX \n \nLe voyage \n \nTout e la nuit se pass a dans un grand affairement, \u00e0 \nmettre les choses en place, et \u00e0 recevoir des canots \nremplis d\u2019ami s du chevali er, et ent re autr es M. Blandly, \nqui vinrent lui souhaiter bon voyage et pr ompt r etour. Il \nn\u2019y eut jamais de nuit, \u00e0 l\u2019 Amira l Benbow, o\u00f9 je \ntravaillai moiti\u00e9 autant, et lors que, un peu avant le jour, \nle sifflet du ma\u00eetr e d\u2019\u00e9qui page retentit et que l\u2019\u00e9qui page \nse disposa aux barres de cabes tan, j\u2019\u00e9tais ext\u00e9nu\u00e9. Mais \nm\u00eame deux fois plus las, je n\u2019aurais pas quitt \u00e9 le pont. \nTout y \u00e9tait trop nouveau pour ma curiosit\u00e9 : les \nbrefs commandements, le so n aigu du sifflet, les \nhommes cour ant \u00e0 leurs postes dans la fai ble clart \u00e9 des \nfalots du bord. \n\u2013 Allons, Cochon-R\u00f4ti, donn e-nous un refrain, lan\u00e7a \nquelqu\u2019un. \n\u2013 Celui de jadis, cria un aut re. \n\u2013 Bien, camarades, r\u00e9pondit Long John, qui se tenait \naupr\u00e8s d\u2019eux, repos ant sur sa b\u00e9quille. \n 99Et aussit\u00f4t il attaqua l\u2019air et les paroles que je \nconnaissais trop : \n \nNous \u00e9tions quinze su r le coffre du mort... \n \nEt tout l\u2019\u00e9quipage reprit en ch\u0153ur : \n \nYo-ho-ho ! et une bo uteille de rhum ! \n \net au tr oisi\u00e8me ho ! tous po uss\u00e8rent avec ensemble sur \nles barres de cabestan. \nMalgr\u00e9 la minute palpitan te, je fus report\u00e9 sur \nl\u2019instant \u00e0 l\u2019 Amiral Benbow , et je crus entendre se m\u00ealer \nau ch\u0153ur la voi x du cap itaine. Mais coup sur coup \nl\u2019ancre sortit de l\u2019eau, rui sselante, et s\u2019accrocha aux \nbossoi rs ; puis les voil es prirent le vent, l a terre et les \nnavires d\u00e9fil\u00e8rent \u00e0 droite et \u00e0 gauche. Avant que je me \nfusse couch\u00e9 pour prendre une heure de repos, le \nvoyage de l\u2019 Hispaniola \u00e9tait commenc\u00e9, et el le voguai t \nvers l\u2019\u00eele au tr\u00e9sor. \nJe ne relaterai pas en d\u00e9ta il ce voyage. Il fut des plus \nfavori s\u00e9s. Le navire se montr a excell ent, les gens de \nl\u2019\u00e9quipage \u00e9taient de bons matelots, et le capitaine \nconnaissait \u00e0 fond son m\u00e9 tier. Tout efois, avant \n 100d\u2019atteindre l\u2019\u00eele au tr\u00e9s or, il se produisit deux ou tr ois \nincidents que je dois rapporter. \nPour comme ncer, M. Arro w se r\u00e9v\u00e9la pire encore \nque ne l e craignait le capit aine. Il n\u2019 avait pas d\u2019aut orit\u00e9 \nsur les hommes, et avec lui on ne se g\u00eanait pas. Mais ce \nn\u2019\u00e9tait pas le pl us gr ave ; car, apr \u00e8s deux ou trois j ours \nde navi gation, il ne monta pl us sur le pont qu\u2019avec des \nyeux troubles, des joues enflamm\u00e9es, une langue \nbalbutiante ; bref, avec tous les sympt\u00f4mes d\u2019ivresse. \u00c0 \nplusi eurs repris es, il fut mi s aux arr\u00eats. Parfois il \ntombait et se blessait, ou bien il passait toute la journ\u00e9e \n\u00e9tendu dans son hamac de la dunette ; d\u2019autres fois, \npour un jour ou deux, il \u00e9ta it presque de sang-froid et \nremplissait \u00e0 peu pr\u00e8s ses fonctions. \nCependant, nous n\u2019arrivions pas \u00e0 d\u00e9couvrir d\u2019o\u00f9 il \ntenait son alcool. C\u2019\u00e9tait l\u2019 \u00e9nigme du bord. Ma lgr\u00e9 \ntoutes nos recherches, nous ne p\u00fbmes la r\u00e9s oudre. \nL\u2019interrogeait-on directement, il vous riait au nez quand \nil \u00e9tait ivre, et s\u2019il \u00e9tait de sang-froid, il ju rait ses grands \ndieux qu\u2019 il ne prenait jamai s autre chos e que de l\u2019 eau. \nNon s eulement il \u00e9tait mauvais officier et d\u2019 un \nf\u00e2cheux exemple pour les homm es, mais de ce train il \nallait directement \u00e0 la mort. On fut peu surpris, e t gu\u00e8re \nplus chagrin\u00e9, quand par un e nuit noire, o\u00f9 la mer \u00e9tait \nforte et le vent debout, il disparut d\u00e9finitivement. \n\u2013 Un homme \u00e0 l a mer ! pronon\u00e7a le capit aine. M a \n 101foi, mess ieurs, cel a nous \u00e9pargne l\u2019ennui de le mettre \naux fer s. \nMais cela nous laissait d\u00e9pourvus de second ; il \nfallut donc donner de l\u2019avance ment \u00e0 l\u2019un des hommes. \nJob Anderson, le ma \u00eetre d\u2019\u00e9quipage, \u00e9ta it \u00e0 bord le plus \nqualifi\u00e9, et tout en gardant son ancien titre, il joua le \nr\u00f4le de second. M. Trel awney avait navigu\u00e9, et ses \nconnaissances nous serviren t beaucoup, car il lui \narrivait de pr endre lui aussi son quart, par temps \nmaniable. Et le quartier-ma\u00eetr e, Isra\u00ebl Hands, \u00e9tait un \nvieux marin d\u2019exp\u00e9rience, prud ent et avis\u00e9, en qui on \npouvait avoir pleine confian ce en cas de n\u00e9cessit\u00e9. \nC\u2019\u00e9tait le grand confident de L ong John Silver ; et \npuisque je viens de le nomm er, je parlerai de notre \nma\u00eetre coq, Cochon-R\u00f4ti, co mme l\u2019appelait l\u2019\u00e9quipage. \n\u00c0 bord, pour avoir les deux mains le plus libres \npossible, il portait sa b\u00e9quille suspendue \u00e0 une courroie \npass\u00e9e autour du cou. C\u2019\u00e9tait plaisir de le voir cal er \ncontr e une cl oison le pi ed de cette b\u00e9quille et, arc-bout\u00e9 \ndessus, suivant toutes les osc illations du navire, faire sa \ncuisi ne comme sur l e plancher des vaches. Il \u00e9tait \nencore plus curi eux de l e voir ci rculer sur le pont au \nplus fort d\u2019une bourrasque. Pour l\u2019aider \u00e0 franchir les \nintervalles trop larges, on av ait dispos \u00e9 quel ques bouts \nde ligne, qu\u2019on appelait les boucles d\u2019oreilles de Long \nJohn ; et il se transportait d\u2019un lieu \u00e0 l\u2019autre, soit en \n 102usant de sa b\u00e9quille, soit en la tra\u00eenant par la courroie, \naussi vite que n\u2019importe qui. Mais ceux des hommes \nqui avaient jadis navigu\u00e9 avec lui s\u2019apitoyaient de l\u2019en \nvoir r\u00e9duit l\u00e0. \n\u2013 Ce n\u2019est pas un homme ordinaire, Cochon-R\u00f4ti, \nme disait le quartier-ma\u00eetre. Il a re\u00e7u de l\u2019instruction \ndans s a jeuness e, et quand \u00e7a lui chant e il parle comme \nun li vre. Et d\u2019 une br avoure !... un li on n\u2019est r ien \ncompar \u00e9 \u00e0 L ong John ! Je l\u2019ai vu, s eul et sans ar mes, \nempoigner quatre adversaires et fracasser leurs t\u00eates les \nunes contre l es autres ! \nTout l \u2019\u00e9quipage l\u2019aimait, et voire lui ob\u00e9issait. Il \navait la mani\u00e8re de leur pa rler \u00e0 tous et de rendre \nservice \u00e0 chacun. Envers mo i, il \u00e9tait d\u2019une obligeance \ninlassable, et toujours heur eux de m\u2019accueillir dans sa \ncuisi ne, qu\u2019il tenait pr opre comme un s ou neuf , et o\u00f9 \nl\u2019on voyait des casseroles re luisantes pendues au mur, \net dans un coin une c age avec son perroquet. \n\u2013 Allons, Hawki ns, me disait-il , viens faire l a \ncausette avec John. Tu es le bienvenu entr e tous , mon \nfils. Assieds-toi pour ente ndre les nouvelles. Voici \ncapitaine Flint (j\u2019appelle mon perroquet ainsi, en \nsouvenir du fameux flibustie r), voici capitaine Flint qui \npr\u00e9dit la r\u00e9ussite \u00e0 notre voyage. Pas vrai, capitaine ? \nEt le perroquet de pr ononcer avec volubilit\u00e9 : \n\u00ab Pi\u00e8ces de huit ! pi\u00e8ces de huit ! pi\u00e8ces de huit ! \u00bb \n 103jusqu\u2019au moment o\u00f9 John couvrait la cage de son \nmouchoir. \n\u2013 Vois-tu, Hawkins, me di sait-il, cet oiseau est peut-\n\u00eatre \u00e2g\u00e9 de deux cents ans. Ils vi vent par fois plus que \ncela, et l e diable seul a vu pl us de crimes que lui. Il a \nnavigu\u00e9 avec E ngland, l e grand capitaine England, le \npirate. Il a \u00e9t\u00e9 \u00e0 Madagas car, au Malabar, \u00e0 Surinam, \u00e0 \nProvi dence, \u00e0 Por tobello. I l assist ait au r ep\u00eachage des \ngalions de l a Plat a. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il apprit : \u00ab Pi\u00e8ces de \nhuit \u00bb ; et rien d\u2019\u00e9tonnant, il y en avait trois cent \ncinquante mille, Hawkins ! Il se trouvait \u00e0 l\u2019abordage \ndu Vice-roi-des-In des, au large de Goa, oui, lui-m\u00eame. \n\u00c0 le voir on croirait un innoce nt ; mais tu as flair\u00e9 la \npoudr e, hein, capit aine ? \n\u2013 Garde \u00e0 vous ! pare \u00e0 virer ! glapissait le \nperroquet. \n\u2013 Ah ! c\u2019est un fin matois, disait le coq en lui \ndonnant du sucre tir\u00e9 de sa poche. (Et l\u2019oiseau \nbecquetait aux barreaux et lan\u00e7ait une bord\u00e9e de \nblasph\u00e8mes d\u2019 une abomi nation \u00e0 f aire fr \u00e9mir.) C\u2019 est \nainsi, mon gars ! ajoutait Jo hn, tel qui touche \u00e0 la poix \ns\u2019embar bouille. T\u00e9moi n ce pauvre vi eil innocent \nd\u2019oiseau, qui j ure feu et fl ammes, et n\u2019en sait rien, bi en \ns\u00fbr. Il jurerait tout pareil, si j\u2019ose dire, devant un cur\u00e9. \nEt John portait la main \u00e0 son front avec une gravit\u00e9 \nparticuli\u00e8re que je jugea is des plus \u00e9difiantes. \n 104Cependant, le chevalier et le capitaine Smollett s e \ntenaient toujours sur une d\u00e9fensive r\u00e9ci proque. Le \nchevali er n\u2019y allai t pas par quatre chemins : il d\u00e9testait \nle capitaine. Le capitaine, de son c\u00f4t \u00e9, ne parlait que \npour r\u00e9pondre aux questions, et encore, de fa\u00e7on nette, \nbr\u00e8ve et s\u00e8che, s ans un mo t de trop. Il reconnaissait, \nune f ois mis au pi ed du mu r, qu\u2019il s\u2019\u00e9tait apparemment \ntromp\u00e9 s ur le compt e des hommes , que cer tains \u00e9tai ent \nactifs \u00e0 souhait, et que t ous s\u2019\u00e9taient fort bi en comport \u00e9 \njusqu\u2019ici. Quant au navire , il avait con\u00e7 u pour lui un \ngo\u00fbt extr \u00eame. \n\u2013 Il navi gue au plus pr \u00e8s, mieux qu\u2019on n\u2019est en dr oit \nde l\u2019att endre de sa pr opre \u00e9pouse, monsieur... M ais, \najoutait-i l, tout ce que j e puis dir e est que nous ne \nsommes pas encore rentr\u00e9s chez nous, et que je n\u2019aime \npas cett e croisi\u00e8r e. \nLe chevalier, l\u00e0-dessus, se d\u00e9tournait et arpentait le \ntillac d\u2019un bout \u00e0 l\u2019autr e, le menton relev\u00e9. \n\u2013 Cet homme m\u2019exasp\u00e8re, disait-il ; pour un rien \nj\u2019\u00e9claterais. \nNous rencontr\u00e2mes un peu de gr os temps , et \nl\u2019Hispaniola n\u2019en montra que mi eux ses qualit\u00e9s. Tout \nle monde \u00e0 bord paraissait e nchant\u00e9, et il n\u2019en pouvait \ngu\u00e8re aller autrement, car ja mais \u00e9quipage ne fut plus \ng\u00e2t\u00e9, je crois, depuis que No \u00e9 mit son ar che \u00e0 la mer . Le \ndouble grog circulait sous le moindre pr\u00e9texte ; on \n 105servait de la tarte aux prunes en dehors des f\u00eates, pa r \nexempl e si le cheval ier apprenait que c\u2019\u00e9tait \nl\u2019anniversaire de quelqu\u2019un de l\u2019\u00e9quipage ; et il y avait \nen permanence sur le pont une barri que de pommes o\u00f9 \npuisait qui voulait . \n\u2013 Ces mani \u00e8res-l\u00e0, dis ait le capi taine au doct eur \nLivesey, n\u2019 ont j amais pr ofit\u00e9 \u00e0 personne, que je sache. \nG\u00e2tez les matelots, vous en fa ites des diables. Voil\u00e0 ma \nconviction. \nMais la barrique de pomme s nous pr ofita, comme on \nva le lire, car sans elle ri en ne nous e\u00fbt avertis, et nous \np\u00e9rissions tous par trahison. \nVoici comment la chose arriva. \nNous avions remont\u00e9 les al iz\u00e9s pour aller chercher \nle vent de l\u2019\u00eele que nous voulio ns atteindre, \u2013 je ne suis \npas autoris\u00e9 \u00e0 \u00eatre plus pr\u00e9c is \u2013 et nous courions vers \nelle, en faisant bonne veille jour et nuit . C\u2019\u00e9tait \u00e0 peu \npr\u00e8s le dernier jour de not re voyage d\u2019aller. Dans la \nnuit, ou au pl us tard le lendemain dans la matin\u00e9e, l\u2019\u00eele \nau tr\u00e9sor serait en vue. Nous avions le cap au S.-S.-O., \navec une brise bien \u00e9tablie par le travers et une mer \nbelle. L\u2019Hispaniola se balan\u00e7ait r\u00e9gul i\u00e8rement, et son \nbeaupr\u00e9 soulevait par interv alles une ger be d\u2019embr uns. \nTout es les voiles portai ent, haut es et bass es ; et comme \nla premi\u00e8re partie de notre exp\u00e9dition tirait \u00e0 sa fin, \nchacun manifestait la plus vaillante humeur. Le soleil \n 106venait de se coucher. J\u2019avais te rmin\u00e9 ma besogne, et je \nregagnais mon hamac, lorsqu e je m\u2019avisai de manger \nune pomme. Je courus sur le pont. Les gens de quart \n\u00e9taient tous \u00e0 l\u2019 avant, \u00e0 gu etter l\u2019apparition de l\u2019\u00eele. \nL\u2019homme de barre surveillait le lof de la voilure et \nsifflait tranquillement un air. \u00c0 part ce son, on \nn\u2019entendait que le bruissement des flots contre le taille-\nmer et les flancs du navire. \nJ\u2019entrai tout entier dans la barrique de pommes, qui \n\u00e9tait presque vide, et m\u2019y accroupis dans le noir. Le \nbruit des vagues et le ber cement du navire \u00e9taient sur le \npoint de m\u2019 assoupir , lors qu\u2019un homme s\u2019 assit \nbruyamment t out contr e. La bar rique os cilla s ous le \nchoc de son dos, et je m\u2019 appr\u00eatais \u00e0 sauter dehors, \nquand l\u2019 homme s e mit \u00e0 parler. J e reconnus la voi x de \nSilver, et il n\u2019avait pas pron onc\u00e9 dix mots, que je ne me \nserais pl us montr \u00e9 pour t out au monde. Je restai l\u00e0, \ntremblant et aux \u00e9coutes, d\u00e9vor\u00e9 de peur et de \ncuriosit \u00e9 : par ces di x mo ts je devenais d\u00e9sormais \nresponsable de l\u2019existence de tous les honn\u00eates gens du \nbord. \n 107 \n \nXI \n \nCe que j\u2019entendis dans la barrique de pommes \n \n\u2013 Non pas, dit Silver . Fli nt \u00e9tait capitaine ; moi, \nquarti er-ma\u00eetre, \u00e0 caus e de ma j ambe de bois . J\u2019ai per du \nma jambe dans la m\u00eame bord \u00e9e qui a co\u00fbt\u00e9 la vue \u00e0 ce \nvieux Pew. Cel ui qui m\u2019amput a \u00e9t ait doct eur en \nchirurgi e... avec t ous ses grad es universitaires... du l atin \n\u00e0 revendre et je ne sais quoi encore ; mais n\u2019emp\u00eache \nqu\u2019il fut pendu comme un chie n et s\u00e9cha au soleil avec \nles autr es, \u00e0 C orso Castle. C\u2019\u00e9taient des hommes de \nRoberts, ceux-l\u00e0, et tout le ur mal heur vint de ce qu\u2019i ls \navaient chang\u00e9 les noms de leurs navir es... la Royal \nFortune , et c\u00e6tera. Or, quand un navire est baptis\u00e9 \nd\u2019une fa\u00e7on, je dis qu\u2019il doi t rester de m\u00eame. C\u2019est ai nsi \nqu\u2019on a fait avec la Cass andr a, qui nous ramena tous \nsains et saufs du Malabar, apr\u00e8s qu\u2019England eut captur\u00e9 \nle Vice-roi-des-Indes ; de m\u00eame pour le vi eux Walrus , \nle navire de Flint, que j\u2019ai vu ruisselant de carnage et \ncharg\u00e9 d\u2019 or \u00e0 coul er. \n\u2013 Ah ! s\u2019\u00e9cria une autre voix (celle du plus jeune \nmarin du bor d, \u00e9videmment plein d\u2019 admir ation), c\u2019\u00e9t ait \n 108la fleur du troupeau, que Flint ! \n\u2013 Davis aussi \u00e9t ait un gai llard, s ous tous rapports, \nreprit Silver. Mais je n\u2019ai jamais navigu\u00e9 avec lui : \nd\u2019abord avec England, puis a vec Flint, voil\u00e0 tout ; et \ncette fois-ci pour mon propre compte, en quelque sorte. \nDu temps d\u2019England, j\u2019ai mis de c\u00f4t\u00e9 neuf cents livres, \net deux mille apr\u00e8s Flint. Ce n\u2019est pas mal pour un \nhomme de l\u2019avant. Le tout d\u00e9pos\u00e9 en banque. Gagner \nn\u2019est ri en ; c\u2019est cons erver qui import e, cr oyez-moi. \nQue sont devenus tous les hommes d\u2019England, \u00e0 \npr\u00e9sent ? Je l\u2019ignore. Et ceux de Flint ? H\u00e9 ! h\u00e9 ! la \nplupart i ci \u00e0 bor d, et bi en aises d\u2019 avoir de la tar te... \navant cel a, ils mendi aient, cert ains. Le vieux Pew, apr \u00e8s \navoir perdu la vue, n\u2019eut pa s hont e de d\u00e9penser douze \ncents livres en un an, comm e un gr and s eigneur. O\u00f9 est-\nil maintenant ? Eh bien, ma intenant il est mort, et \u00e0 \nfond de cale ; mais les deux ann\u00e9es pr\u00e9c\u00e9dentes, \nmis\u00e8re ! il crevait la faim. Il mendiait, il volait, il \n\u00e9gorgeait, et avec \u00e7a il crevait la faim, par tous les \ndiables ! \n\u2013 \u00c7a ne vaut vrai ment pas le coup, en somme, dit le \njeune matelot. \n\u2013 Pour les imb\u00e9cil es, non, \u00e7a ne vaut pas le coup, ni \n\u00e7a ni autre chos e ! s\u2019\u00e9cri a Silver. Mais tiens, \u00e9cout e : tu \nes jeune, c\u2019est vrai, mais tu es sage comme une image . \nJ\u2019ai vu cela du pr emier coup d\u2019 \u0153il, et je te parle comme \n 109\u00e0 un homme. \nOn peut se figurer ce q ue j\u2019\u00e9prouvai en entendant \ncet inf\u00e2me vi eux f ourbe em ployer avec un autre les \nm\u00eames t ermes flatteurs dont il avait us\u00e9 avec moi. Si \nj\u2019en avais eu le pouvoir, je l\u2019aurais volontiers tu\u00e9 \u00e0 \ntravers la barrique. Cependant , il pours uivit, sans gu\u00e8r e \nsoup\u00e7onner que je l\u2019\u00e9coutais : \n\u2013 Tel est le sort des genti lshommes de fortune. Ils \nont la vie dure et risquent la corde, mais ils mangent et \nboivent comme des coqs en p\u00e2 te, et quand vient la f in \nd\u2019une cr oisi\u00e8re, ce s ont des centai nes de li vres qu\u2019i ls \nont en poche, au lieu de cent aines de liards. Alors, \npresque t ous se mettent \u00e0 boi re et \u00e0 se donner du bon \ntemps, et on reprend la mer avec sa chemise sur le dos. \nMais moi , ce n\u2019est pas mon genr e. Je place t out, un peu \nici, un peu l \u00e0, et null e part de tr op, crai nte des \nsoup\u00e7ons . J\u2019ai ci nquant e ans, remar que ; une f ois de \nretour de cette cr oisi\u00e8re, je m\u2019 \u00e9tablis renti er pour de \nbon. Et ce n\u2019 est pas trop t\u00f4t, diras-tu . Oui, mais j\u2019a i \nv\u00e9cu \u00e0 l\u2019aise dans l\u2019intervalle ; jamais je ne me suis rien \nrefus\u00e9, j\u2019ai dormi sur la plum e et mang\u00e9 du bon, tout le \ntemps, sauf en mer. Et comment ai-je commenc\u00e9 ? \u00c0 \nl\u2019avant, comme toi. \n\u2013 Soit, dit l\u2019autre ; mais t out l\u2019argent que tu avais est \nperdu maint enant, pas vrai ? Tu n\u2019oseras pl us t e \nmontr er dans Bris tol apr \u00e8s ce coup- ci. \n 110\u2013 Ah bah ! o\u00f9 penses-tu donc qu\u2019il est ? demanda \nSilver, ironique. \n\u2013 \u00c0 Bristol, dans les banq ues et ailleurs, r\u00e9pondit \nson compagnon. \n\u2013 Il y \u00e9tait, il y \u00e9tait e ncore quand nous avons lev\u00e9 \nl\u2019ancre. Mais ma vieille bour geoise a le tout, \u00e0 pr\u00e9sent. \nLa Longue-Vue est vendue, bail, clie nt\u00e8le et mobilier, et \nla brave fille est partie m\u2019atte ndre. Je te dirais bien o\u00f9, \ncar j\u2019 ai confiance en t oi, mais cela ferait de la jalousie \nparmi les copains. \n\u2013 Et t u te fies \u00e0 ta bour geoise ? \n\u2013 Les gentilshommes de fortune se fient \ng\u00e9n\u00e9ralement peu les uns aux autres, et ils ont raison, \nsois- en s\u00fbr. M ais j\u2019ai ma m\u00e9t hode \u00e0 moi. Quand un \ncamarade me joue un pied de cochon \u2013 quelqu\u2019un qui \nme conna\u00eet, je veux dire \u2013 il ne reste pas longtemps \ndans le m\u00eame monde que le vieux John. Certains \navaient peur de Pew, d\u2019autres de Flint ; mais Flint lui-\nm\u00eame avait peur de moi. Il avait peur, mal gr\u00e9 son \narrogance. Ah ! ce n\u2019\u00e9ta it pas un \u00e9qui page commode, \nque celui de Flint ; le diable lui-m\u00eame aurait h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 \ns\u2019embarquer avec eux. Eh bien, tiens, je te le dis, je ne \nsuis pas vantard, mais qua nd j\u2019 \u00e9tais quartie r-ma\u00eetre, ils \nn\u2019avaient rien de l\u2019agneau, le s vieux flibustiers de Flint. \nOh ! tu peux \u00eatre s\u00fbr de ton affaire sur le navire du \nvieux J ohn. \n 111\u2013 Eh bien, maintenant je p eux te l\u2019avouer, reprit le \ngars, la combinaison ne me plaisait pas \u00e0 la moiti\u00e9 du \nquart ; mais maintenant que j\u2019ai caus\u00e9 avec toi, John, \nj\u2019en suis. Tope l\u00e0 ! \n\u2013 Tu es un brave gar\u00e7on, et fin, avec \u00e7a, r\u00e9pliqua \nSilver, en lui secouant la main si chaleureusement que \nla barrique en trembla. Je n\u2019ai jamais vu personne \nmieux d\u00e9sign\u00e9 pour faire un gentilhomme de fortune. \nJe commen\u00e7ais \u00e0 saisir le sens de leurs expressions. \nUn \u00ab gentilhomme de fortune \u00bb, pour eux, ce n\u2019\u00e9tait ni \nplus ni moi ns qu\u2019un vulgaire pirate, et le dialogue que \nje venais de surprendre par achevait la corruption de \nl\u2019un des mat elots rest\u00e9s honn\u00eat es \u2013 peut- \u00eatre le der nier \nqui f\u00fbt \u00e0 bord. M ais sur ce poi nt je devais \u00eatre bi ent\u00f4t \nfix\u00e9. Silver lan\u00e7a un l\u00e9ger coup de sifflet, et un \ntroisi\u00e8me individu survint, qui s\u2019assit aupr\u00e8s des deux \nautres. \n\u2013 Dick marche, lui dit Silver. \n\u2013 Oh ! je savais bi en que Dick marcherait, pr onon\u00e7a \nla voix du quartier-ma\u00eetre, Is ra\u00ebl Hands. Ce n\u2019est pas un \nimb\u00e9cil e que Di ck... (Il roula sa chique et cracha.) M ais \ndis, Cochon-R\u00f4ti, je voudr ais bien savoir combien de \ntemps nous all ons rester \u00e0 bouli ner comme un bateau \u00e0 \nprovisions ? Cr\u00e9nom ! j\u2019en ai plein le dos du capit aine \nSmollett. Il y a assez longtemps q u\u2019il m \u2019emb\u00eate. \nTonnerre ! Je veux aller dans la cabine, moi aussi. Je \n 112veux leurs cornichons, et leurs vi ns, et le r este. \n\u2013 Isra\u00ebl, dit Silver , tu n\u2019 as pas beaucoup de jugeotte, \net ce n\u2019est pas du nouvea u. Mais tu es capable \nd\u2019\u00e9couter, je pense ; du moins, tes oreilles sont assez \ngrandes. Or, voici ce que je dis : vous coucherez \u00e0 \nl\u2019avant, et vous aurez l a vie dur e, et vous fil erez doux, \net vous resterez sobres, jusqu\u2019\u00e0 ce que je donne l\u2019ordre \nd\u2019agir ; et tu peux m\u2019en croire, mon gars. \n\u2013 Eh ! est-ce que j e te dis l e contr aire ? grommela l e \nquarti er-ma\u00eetre. Je demande seulement : pour quand est-\nce ? Voil \u00e0 tout ce que j e dis. \n\u2013 Pour quand ? par tous le s diables ! s\u2019\u00e9cria Silver. \nEh bien donc, si tu veux le savoir, je va is te le dire, pour \nquand. Pour le plus tard qu \u2019il me sera possible, voil\u00e0 ! \nNous avons un navi gateur de premi \u00e8re clas se, l e \ncapitai ne Smollett , qui diri ge pour nous ce sacr\u00e9 navir e. \nIl y a ce chevali er et ce docteur qui ont une cart e et le \nreste... Je ne sais pas o\u00f9 e lle est, cette carte, moi. Toi \nnon pl us, n\u2019est -ce pas ? Al ors donc, je veux que ce \nchevalier et ce docteur trou vent la marchandise et nous \naident \u00e0 l\u2019embarquer, par tous les diables ! Alors nous \nverrons. Si j\u2019\u00e9tais s\u00fbr de vous tous, doubles fils de \nHollandais, j\u2019attendrais po ur faire le coup que le \ncapitaine Smollett nous a it ramen\u00e9s \u00e0 moiti\u00e9 chemin. \n\u2013 Mais quoi , nous sommes tous des navi gateurs ici \u00e0 \nbord, je pense, r\u00e9pliqua le jeune Dick. \n 113\u2013 Dis plut\u00f4t que nous sommes t ous des mat elots de \ngaillard d\u2019avant, trancha Silv er. Nous pouvons tenir une \nroute donn\u00e9e, mais qui s aura l\u2019\u00e9t ablir ? Vous en ser iez \nbien emp\u00each\u00e9s, tous t ant que vous \u00eat es, vous l es \ngentilshommes de fortune. Si on me laissait faire, \nj\u2019attendrais que le capitaine Smollett nous ait ramen\u00e9s \njusque dans les aliz\u00e9s, au moins ; comme \u00e7a, ni sacr\u00e9s \nfaux calculs, ni rationnemen t \u00e0 une cuill er\u00e9e d\u2019 eau par \njour. Mais je vous connais . J\u2019en finirai avec eux sur l\u2019\u00eele \nm\u00eame, sit\u00f4t la marchandise \u00e0 bor d, et c\u2019est un vr ai \nmalheur. Mais vous n\u2019 \u00eates jamais cont ents qu\u2019apr \u00e8s \navoir bu. Mort de mes os ! \u00e7a d\u00e9go\u00fbte de naviguer avec \ndes types comme vous ! \n\u2013 Tout doux, Long John, prot esta Isra\u00ebl. Qui donc te \ncontr edit ? \n\u2013 Hein, songez combi en de gr ands navir es j\u2019ai vu \namariner comme prises, et combien de vaillants gars \ns\u00e9cher au s oleil sur l e quai des Potences ! et t out \u00e7a \npour avoir \u00e9t\u00e9 aussi press\u00e9s, press\u00e9s, press\u00e9s. Vous \nm\u2019entendez ? J\u2019ai vu quelques petites choses, en mer, \nmoi. Si vous vouli ez simplement teni r votr e route, et au \nplus pr \u00e8s du vent, bient\u00f4t vous r ouleriez carr osse, oui ! \nMais \u00e0 d\u2019 autres ! Je vous connais. Soit ! vous aurez \nvotre lamp\u00e9e de rhum demain, et all ez vous f aire \npendre ! \n\u2013 Tu pr\u00eaches comme un cu r\u00e9, John, c\u2019est connu, \n 114r\u00e9torqua Isra\u00ebl ; mais d\u2019au tres ont su man\u0153uvrer et \ngouverner aussi bien que toi. Ils admettaient la \nplais anterie, eux. En tout cas, ils \u00e9t aient moins haut ains \net moins cassants. Ils acce ptaient les observations en \ngais compagnons, tous ceux-l\u00e0. \n\u2013 Ouais ! reprit Silver. Et o\u00f9 sont-ils maintenant ? \nPew \u00e9tait de ce cal ibre, et il a fini mendiant. Flint aussi, \net il est mort, tu\u00e9 par le rhum, \u00e0 Savannah. Ah ! \nc\u2019\u00e9taient des types \u00e0 la coul e, eux ! Seul ement, o\u00f9 s ont-\nils ? \n\u2013 Mais, intervint Dick, q uand nous les aurons \u00e0 \nnotre merci, qu\u2019est-ce qu e nous ferons d\u2019eux, pour \nfinir ? \n\u2013 Voil\u00e0 un gar\u00e7on qui me bo tte ! s\u2019\u00e9cria le cuisinier, \navec admirati on. \u00c7a s\u2019 appell e \u00eatr e pratique. E h bien, \nvotre avis ? Les abandonner \u00e0 terr e ? C\u2019e\u00fbt \u00e9t \u00e9 la \nmani\u00e8re d\u2019England. Ou bien les \u00e9gorger comme porcs ? \nC\u2019est ce qu\u2019auraient fait Flint ou Billy Bones. \n\u2013 Billy \u00e9tait homme \u00e0 \u00e7a, convint Isra\u00ebl. Les morts \nne mordent pas, qu\u2019il disait. Bah, il est mort lui-m\u00eame, \n\u00e0 pr\u00e9sent ; il est r enseign\u00e9 l\u00e0-des sus tout au l ong ; et si \njamais rude marin entra au port, ce fut Billy. \n\u2013 Tu dis bien, reprit Silver . Rude et prompt. \nRemarquez : je suis un homme doux... je suis tout \u00e0 fait \ngalant homme, pas vr ai ? mais cette fois, c\u2019est s\u00e9rieux. \n 115Les affaires avant tout, cam arades. Je vote : la mort. \nQuand je serai au Parlement et roulant dans mon \ncarrosse, je ne veux pas qu \u2019un de ces \u00ab avocats de \nmer \u00bb de la cabine s\u2019am\u00e8ne au pays, \u00e0 l\u2019improviste, \ncomme le di able \u00e0 la pr i\u00e8re. Mon princi pe est \nd\u2019attendre, mais l\u2019occasion venue, d\u2019y aller ferme ! \n\u2013 John, s \u2019\u00e9cria le quarti er-ma\u00eetre, tu es un homme. \n\u2013 Tu le diras, Isra\u00ebl, quand tu auras vu... Je ne \nr\u00e9clame qu\u2019une chose : Trel awney. De ces mains-ci, je \nlui d\u00e9visserai du corps sa t\u00ea te de veau... Dick, en gentil \ngar\u00e7on, l\u00e8ve-toi et donne -moi une pomme, pour \nm\u2019humecter un peu le gosier. \nImaginez ma terreur. J\u2019au rais saut\u00e9 dehors et pris la \nfuite, si j\u2019en avais trouv\u00e9 la force ; mais le c\u0153ur me \nmanquait, aussi bien que le s muscles. Au bruit, je \ncompris que Dick se levait ; mai s quelqu\u2019 un l\u2019arr\u00eata. \nEt j\u2019entendis la voix de Hands : \n\u2013 Bah ! laisse donc ce fond de tonneau, John. \nBuvons un coup de rhum , \u00e7a vaudra mieux ! \n\u2013 Dick, acquies\u00e7a Silver, je me fie \u00e0 toi. Il y a une \nmesure sur le baril. Voici la clef : tu empliras une \ntopette et tu nous l\u2019apporteras. \nCe devai t \u00eatre ai nsi, j\u2019y s ongeai malgr\u00e9 ma terreur, \nque M. Arrow se procurai t les spiritueux qui l\u2019avaient \ntu\u00e9. \n 116Dick parti, Isra\u00ebl profita de son absence pour parler \n\u00e0 l\u2019oreill e du coq. Je ne pus saisir que peu de mots, mais \nparmi eux, ceux-ci, qui \u00e9tai ent d\u2019importance : \u00ab Pas un \nseul des autr es ne se joindra \u00e0 nous . \u00bb Donc, il y avai t \nencore des hommes fid\u00e8les \u00e0 bord. \nDick revenu, la topette pass a de mai n en mai n. Tous \ntrois burent. L\u2019un dit : \n\u2013 \u00c0 notre r\u00e9ussite ! \nL\u2019autre : \n\u2013 \u00c0 la s ant\u00e9 du vi eux Fli nt. \nEt Silver pronon\u00e7a, su r un ton de m\u00e9lop\u00e9e : \n\u2013 Je bois \u00e0 nous, et tenez le plus pr\u00e8s, beaucoup de \nbutin et beaucoup de galette... \n\u00c0 ce moment, une vague clart \u00e9 m\u2019atteignit au f ond \nde ma barri que. Je l evai le s yeux, et vis que la lune \ns\u2019\u00e9tait lev\u00e9e, argentant la h une d\u2019artimon et brillant sur \nla blancheur de la misaine. Presque en m\u00eame temps , la \nvigie lan\u00e7a ce cri : \n\u2013 Terre ! \n 117 \n \nXII \n \nConseil de guerre \n \nDes pas pr\u00e9cipit\u00e9s se ru \u00e8rent sur le pont : l\u2019on sortait \nen toute h\u00e2te de la cabine et du gaillard d\u2019avant. Me \nglissant \u00e0 la second e hors de ma barriq ue, je me faufilai \npar-derri\u00e8re la misaine, fis un crochet vers la poupe, et \nd\u00e9bouchai sur le pont sup\u00e9 rieur , juste \u00e0 temps pou r \nrejoindre Hunt er et le do cteur Livesey qui couraient \nvers l e boss oir au vent. \nTout l\u2019 \u00e9quipage s\u2019y tr ouvait d\u00e9j \u00e0 rass embl\u00e9. Le \nbrouillard qui nous ent ourait s\u2019\u00e9tait lev\u00e9 peu apr\u00e8s \nl\u2019apparition de la lune. L\u00e0-b as, dans l e sud-ouest, on \nvoyait deux montagnes basses , distantes de deux milles \nenviron ; derri\u00e8re l\u2019une d\u2019 elles en apparaissait une \ntroisi\u00e8me, plus \u00e9lev\u00e9e, don t le sommet \u00e9t ait encor e \nengag\u00e9 dans la brume. Toutes trois semblaient abruptes \net de forme conique. \nJe vis t out cel a comme dans un r \u00eave, car je n\u2019\u00e9t ais \npas encore remis de ma peur atroce de quelques \nminutes plus t\u00f4t. Puis j\u2019en tendis la voix du capitaine \n 118Smollett qui lan\u00e7 ait des or dres. L\u2019 Hispani ola fut \norient \u00e9e de deux quarts pl us pr \u00e8s du vent , et mit le cap \nde fa\u00e7on \u00e0 \u00e9vit er l\u2019\u00eele par son c\u00f4t \u00e9 est. \n\u2013 Et maintenant, gar\u00e7ons, dit le capitaine quand la \nvoilure fut bord\u00e9e, quelqu\u2019un de vous a-t-il jamais vu \ncette terre-l\u00e0 ? \n\u2013 Moi, monsieur, r\u00e9pondit S ilver. Nous y avons fait \nde l\u2019eau avec un navire marchand sur lequel j\u2019\u00e9ta is \ncuisinier. \n\u2013 Le mouillage est au su d, derri\u00e8re un \u00eelot, je \nsuppos e ? interrogea l e capitai ne. \n\u2013 Oui, monsieur ; on l\u2019ap pelle l\u2019\u00eel ot du S quelette. \nCette \u00eele \u00e9tait autrefois un refuge de pir ates, et nous \navions \u00e0 bord un mat elot qui en savait tous les noms. \nCette mont agne au nor d, ils l\u2019appel aient le mont de \nMisaine ; il y a tr ois s ommets align\u00e9s du nor d au s ud, \nmonsi eur : mis aine, gr and m\u00e2t et art imon. M ais le grand \nm\u00e2t \u2013 c\u2019 est-\u00e0-dire le plus ha ut, avec un nuage dessus \u2013 \nils l\u2019appelaient d\u2019ordinair e la Longue-Vue, \u00e0 cause \nd\u2019une vi gie qu\u2019ils y post aient lor squ\u2019ils venai ent se \nr\u00e9parer au mouillage ; car c\u2019es t l\u00e0 qu\u2019ils r\u00e9paraient leurs \nnavir es, monsi eur, sauf votre respect. \n\u2013 J\u2019ai ici une carte, dit le capitaine Smollett. Voyez \nsi c\u2019est bien l\u2019endroit. \nLes yeux de Long John flam boy\u00e8rent quand il prit la \n 119carte ; mais \u00e0 l\u2019 aspect neuf du papi er, je compri s qu\u2019il \nserait d\u00e9\u00e7u. Ce n\u2019\u00e9tait pas la carte trouv\u00e9e dans le coff re \nde Billy Bones, mais une co pie exacte, compl\u00e8te en \ntous points \u2013 noms, altitudes et profondeurs \u2013 \u00e0 la seule \nexcepti on des cr oix rouges et des notes manuscrites. Si \nvif que f \u00fbt son d\u00e9sappoint emen t, Silver eut la force de \nle dissimuler. \n\u2013 Oui, monsieur, dit-il, c\u2019est bien l\u2019endr oit, pour s \u00fbr, \net tr\u00e8s joliment dessin\u00e9. Qui peut avoir fait cel a, je me \nle demande. L es pirat es \u00e9taient trop ignorants, je \nsuppos e... Oui , voici : \u00ab Mouill age du capit aine Ki dd. \u00bb \nJuste le nom que lui donnait mon camarade de bord. Il y \na un fort courant qui longe la c\u00f4te sud, puis remonte \nvers le nord sur la c\u00f4te ouest. Vous avez bi en fait , \nmonsieur, de courir au plus pr\u00e8s et de vous tenir au vent \nde l\u2019\u00eele. Du moins si votre intention est d\u2019atterrir pour \nvous car \u00e9ner, il n\u2019y a pas de meill eur endroi t dans ces \nparages. \n\u2013 Merci, lui dit le capi taine S mollett. Je vous \ndemanderai plus tard de no us donner un coup de main. \nVous pouvez aller. \nJ\u2019\u00e9tais surpris du cynis me avec lequel John avouait \nsa connaissance de l\u2019\u00eele, et ce ne fut pas sans quelque \nappr\u00e9hension que je le vi s s\u2019approcher de moi. \n\u00c9videmment il ne savait pas que, dissimul\u00e9 dans ma \nbarrique de pommes, j\u2019avai s surpris son conciliabule, \n 120mais j\u2019avais \u00e0 ce moment c on\u00e7u une telle horreur de sa \ncruaut\u00e9, de sa duplicit \u00e9 et de sa tyrannie, que j\u2019eus \npeine \u00e0 r \u00e9primer un fri sson quand il pos a la main s ur \nmon br as. \n\u2013 H\u00e9 ! h\u00e9 ! me dit-il, c\u2019est un gentil endroit, cette \n\u00eele... un gentil endroit pour un gar\u00e7on qui veut aller \u00e0 \nterre. Tu te baigneras, tu gr imperas aux arbres, tu feras \nla chasse aux ch\u00e8vres, et tu gambader as s ur ces \nmontagnes comme une ch\u00e8vre to i aussi. Vrai ! cela me \nrajeunit. J\u2019allais en oublier ma jambe de bois. C\u2019est une \nchose agr\u00e9abl e, sois-en s\u00fbr, que d\u2019 \u00eatre j eune et d\u2019 avoir \nses dix orteils... Quand l\u2019 envie te pr endra de f aire une \npetite exploration, tu n\u2019aura s qu\u2019\u00e0 pr\u00e9venir le vieux \nJohn, et i l te pr \u00e9parer a un en-cas, \u00e0 emporter avec toi. \nEt m\u2019ayant tap\u00e9 sur l\u2019\u00e9paule de la fa\u00e7on la plus \naffectueuse, il s\u2019 en all a clopinant et dis parut dans le \nposte. \nLe capitaine Smollett, le chevali er et l e docteur \nLivesey s\u2019entretenaient sur le tillac, et pour impatient \nque j e fusse de l eur cont er mon his toire, j e n\u2019osais les \ninterrompre ouvertement. J\u2019en \u00e9tais toujours \u00e0 chercher \nun pr \u00e9texte plausibl e, quand l e doct eur Livesey \nm\u2019appela aupr\u00e8s de lui. Il ava it laiss\u00e9 sa pipe en bas, et, \nfumeur enr ag\u00e9, il voul ait m\u2019en voyer la qu\u00e9rir ; mais d\u00e8s \nque je f us assez pr\u00e8s de lui pour parl er sans risque \nd\u2019\u00eatre entendu, je l\u00e2chai tout \u00e0 trac : \n 121\u2013 Docteur, laissez-moi dire. Emmenez le capitaine et \nle chevalier en bas, dans la cabine, et trouvez un \npr\u00e9texte pour m\u2019y fair e mander. J\u2019 ai de t erribles \nnouvelles \u00e0 vous apprendre. \nLe docteur changea un pe u de visage, mais un \ninstant lui suffit pour se dominer. \n\u2013 Merci, Jim, dit-il tr\u00e8s haut, comme s\u2019il m\u2019e\u00fbt pos\u00e9 \nune question. C\u2019est tout ce que je voulais savoir. \nSur quoi il tourna les talons et rejoignit ses deux \ninterlocuteurs. Ils convers\u00e8 rent un instant, et, bien \nqu\u2019aucun d\u2019eux n\u2019e\u00fbt tressailli, ni m\u00eame \u00e9lev\u00e9 la voix, \nil \u00e9tait cl air que l e docteur Livesey leur avait transmis \nma r equ\u00eate, car au bout d\u2019 une minut e j\u2019entendis le \ncapitai ne donner \u00e0 Job Anders on l\u2019 ordre de rass embl er \ntout le monde s ur le pont. \n\u2013 Mes gars, pronon\u00e7a le ca pitaine Smollett, j\u2019ai un \nmot \u00e0 vous dire. Cette terre qu e vous voyez est le but de \nnotre voyage. M. Trelawney, qui est un gentilhomme \ntr\u00e8s g\u00e9n\u00e9reux, comme nous le savons tous, vient de me \nposer quelques questions sur vo us, et comme j\u2019ai pu lui \naffirmer que t out le monde \u00e0 bord a fait son devoir, du \npremier au derni er, et \u00e0 ma pl eine satisfaction, eh bien ! \nlui et moi, avec le docteur, nous allons descendre dans \nla cabine pour boire \u00e0 votr e sant\u00e9 et \u00e0 votr e succ\u00e8s \u00e0 \nvous, tandis qu\u2019on vous serv ira le grog dehors et que \nvous boirez \u00e0 not re sant\u00e9 et \u00e0 not re succ\u00e8s \u00e0 nous . Je \n 122vous le d\u00e9clare, cela me pa ra\u00eet noble et g\u00e9n\u00e9reux. Et si \nvous \u00eates du m\u00eame avis, vous al lez pous ser un bon \nvivat marin en l\u2019 honneur du gentil homme qui vous \nabreuve. \nLe vivat retentit, ce qui al lait de soi ; mais il s\u2019\u00e9leva \nsi nourri et chaleureux que, je l\u2019avoue, j\u2019avais peine \u00e0 \ncroire que ces m\u00eames hommes \u00e9taient en trai n de \ncomploter notre mort. \n\u2013 Encore un vivat pour le capitaine Smollett ! cria \nLong John, quand le pr emier se fut apais\u00e9. \nEt celui-l\u00e0 aussi fut pouss\u00e9 avec ensemble. \nL\u00e0-dessus les trois messieu rs descendirent, et peu \napr\u00e8s on vint dir e \u00e0 l\u2019 avant que Jim Hawki ns \u00e9tait \ndemand\u00e9 dans la cabine. \nJe les trouvai tous trois attabl\u00e9s devant une bouteille \nde vin d\u2019Espagne et une assi ette de raisins secs. Sa \nperruque sur les genoux, ce qui \u00e9tait chez lui un signe \nd\u2019agitation, le docteur fumait. La fen\u00eatre de poupe \u00e9tait \nouverte sur la nuit chaude, et on voyait la lune se jouer \ndans le si llage du navir e. \n\u2013 Allons, Hawkins, pronon\u00e7a le chevalier, vous avez \nquelque chos e \u00e0 dire. P arlez. \nJe m\u2019 ex\u00e9cut ai, et, aussi br i\u00e8vement que possible, je \nrapport ai dans t ous ses d\u00e9tails le conciliabule de Silver. \nOn me l aissa aller jusqu\u2019 au bout s ans m\u2019i nterrompr e, et \n 123mes trois auditeurs, comp l\u00e8tement immobiles, ne \nquitt\u00e8rent pas des yeux mo n visage, du commencement \n\u00e0 la fin. \n\u2013 Jim, dit le doct eur Li vesey, prenez un si\u00e8ge. \nEt ils me firent asseoir \u00e0 leur table, me vers\u00e8rent un \nverre de vin, emplirent mes ma ins de raisins, et tous \ntrois, l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, et chacun avec un salut, burent \n\u00e0 ma sant\u00e9, me f\u00e9licitant sur ma chance et mon courage. \n\u2013 Capitaine, dit le chevalie r, vous avi ez rai son, et \nj\u2019avais tort. Je ne suis qu\u2019un sot, je l\u2019avoue, et j\u2019attends \nvos instructions. \n\u2013 Pas pl us un s ot que moi, mons ieur, r\u00e9pondit le \ncapitaine. Je n\u2019ai jamais ou \u00ef parler d\u2019un \u00e9quipage qui, \nayant l\u2019intention de se mu tiner, n\u2019en manif este au \npr\u00e9alable quelques signes, pe rmett ant \u00e0 quiconque a des \nyeux, de pr\u00e9voir le coup et de prendre ses mesures en \ncons\u00e9quence. \n\u2013 Capitaine, dit le doct eur, c\u2019est le fait de Silver. Un \nhomme des plus r emarquables. \n\u2013 Il fe rait re marquableme nt bien au bout d\u2019une \ngrand-vergue, monsieur , riposta le capitaine. Mais nous \nbavardons : cela ne m\u00e8ne \u00e0 rien. Je vois tr ois ou quatr e \npoints, et avec l a permissi on de M. Trelawney, je vais \nles \u00e9num\u00e9rer. \n\u2013 Vous \u00eates l e capitaine, monsieur, dit avec nobl esse \n 124M. Trelawney. C\u2019est \u00e0 vous de parler. \n\u2013 Premier point, commen\u00e7 a M. Smollett : il nous \nfaut aller de l\u2019avant, parce que nous ne pouvons reculer. \nSi je donne l\u2019 ordre de vir er de bor d, ils s e r\u00e9volt eront \naussit\u00f4t. Second point : nous avons du temps devant \nnous... au moins jusqu\u2019\u00e0 la d\u00e9couvert e de ce tr\u00e9sor. \nTroisi \u00e8me poi nt : il y a des matel ots fid\u00e8les. Or, \nmonsieur, comme il faudra en venir aux mains t\u00f4t ou \ntard, je propose de sais ir l\u2019occasion aux cheveux, \ncomme on dit, et d\u2019 attaquer les premiers, le jour o\u00f9 ils \ns\u2019y att endront le moins . Nous pouvons compter, je \nsuppos e, sur vos domes tiques personnels, monsieur \nTrelawney ? \n\u2013 Comme sur moi-m\u00eame. \n\u2013 Cela fait troi s. Avec nous , sept, en comptant \nHawkins. Et quant aux matelots honn\u00eates ?... \n\u2013 Apparemment les s euls hommes de Tr elawney, dit \nle docteur ; ceux qu\u2019il a choi sis lui-m\u00eame, avant de s\u2019en \nremettre \u00e0 Silver. \n\u2013 Non pas, r\u00e9pliqua le cheva lier ; Hands \u00e9tait un des \nmiens. \n\u2013 Je me s erais pourtant fi\u00e9 \u00e0 lui ! ajouta le capitaine. \n\u2013 Et dir e que ce sont tous des Anglais ! \u00e9clata l e \nchevali er. Pour un peu, mons ieur, je ferais sauter le \nnavir e ! \n 125\u2013 Eh bien, messieurs, reprit le capitaine, ce que je \npuis dir e de mi eux n\u2019 est gu\u00e8re. Il nous faut mettr e \u00e0 la \ncape, si vous voulez bien, et faire bonne veille. C\u2019est \nirritant, je le sais. Il sera it plus agr\u00e9able d\u2019en venir aux \nmains. Mais il n\u2019y a rien \u00e0 faire tant que nous ne \nconna\u00eetrons pas nos hommes. Mettre \u00e0 la cape, et \nattendre le vent, tel est mon avis. \n\u2013 Jim que voici, dit le docteur, peut nous aider \nmieux que personne. Les hommes ne se m\u00e9fient pas de \nlui, et Ji m est un gar\u00e7on obs ervateur. \n\u2013 Hawkins, ajouta le cheva lier, je mets en vous une \nconfi ance \u00e9nor me. \nMais je percevais trop mon impuissance radicale, et \nje me s entis envahir par l e d\u00e9ses poir ; et pour tant, gr \u00e2ce \n\u00e0 un concours singulier de ci rconstances, ce fut en ef fet \nmoi qui nous procurai le salut. En attendant, nous \navions beau dire, sur vingt-s ix hommes, il n\u2019y en avai t \nque sept sur qui nous pouvions compter ; et de ces s ept \nl\u2019un \u00e9tait un enf ant, si bien que nous \u00e9tions six hommes \nfaits d\u2019un c\u00f4t\u00e9 contre dix-neuf de l\u2019autre. \n 126 \n \n \n \n \nTroisi\u00e8me partie \n \nMon aventure \u00e0 terre \n 127 \n \nXIII \n \nO\u00f9 commence mon aventure \u00e0 terre \n \nQuand je m ontai sur le pont, le lendemain matin, \nl\u2019\u00eele se pr\u00e9sentait sous un as pect tout nouveau. La brise \n\u00e9tait compl \u00e8tement tomb\u00e9e , ma is nou s avions fait \nbeaucoup de chemin durant la nuit, et \u00e0 cette heure le \ncalme plat nous retenait \u00e0 un demi-mille environ dans le \nsud-est de l a bass e c\u00f4t e orientale. S ur presque tout e sa \nsuper ficie s\u2019\u00e9tendaient des bois aux tons gris \u00e2tres. C ette \nteinte uniforme \u00e9tait inte rrompue par des bandes de \nsable j aune gar nissant les creux du ter rain, et par \nquantit\u00e9 d\u2019arbres \u00e9lev\u00e9s, de la famille des pins, qui \ndominaient les autres, soit is ol\u00e9ment soit par bouquets ; \nmais le coloris g\u00e9n\u00e9ral \u00e9tai t terne et m\u00e9lancolique. Les \nmontagnes dressaient par-de ssus cette v\u00e9g\u00e9tation leurs \npitons de roc d\u00e9nud\u00e9. Toutes \u00e9taient de forme bizarre, \net la Longue- Vue, de trois ou quatr e cents pi eds la pl us \nhaute de l\u2019\u00eele, offrait \u00e9galemen t l\u2019aspect le pl us bizarr e, \ns\u2019\u00e9lan\u00e7ant \u00e0 pic de t ous c\u00f4t \u00e9s, et tronqu\u00e9e net au \nsommet comme un pi\u00e9dest al qui att end sa st atue. \nL\u2019Hispaniola roul ait bor d sur bor d dans l a houl e de \n 128l\u2019oc\u00e9an. Les poulies grin\u00e7aient, le gouvernail battait, et \nle navire entier craquait, gr ondait et fr\u00e9missait comme \nune manufacture. Je devais me tenir fer me au \ngalhauban, et tout tournait vertigineusement sous mes \nyeux, car, si j\u2019 \u00e9tais ass ez bon marin l orsqu\u2019on fais ait \nroute, rester ainsi \u00e0 danser sur place comme une \nbouteille vide, est une chos e que je n\u2019ai jamais pu \nsupport er sans quelque naus \u00e9e, en particulier le matin, \net \u00e0 jeun. \nCela en fut-il cause, ou bi en l\u2019 aspect m\u00e9l ancoli que \nde l\u2019\u00eele, avec ses bois gris \u00e2tres, ses farouches ar\u00eates de \npierre, et le ressac qui devan t nous rejaillissait avec un \nbruit de tonnerre contre le ri vage abrupt ? En tout cas, \nmalgr\u00e9 le soleil \u00e9clatant et chaud, malgr\u00e9 les cris des \noiseaux de mer qui p\u00eachaient alentour de nous, et bien \nqu\u2019on d\u00fbt \u00eatre fort aise d\u2019 aller \u00e0 terre apr \u00e8s une aus si \nlongue navigation, j\u2019avais, comme on dit, le c\u0153ur \nretour n\u00e9, et d\u00e8s ce pr emier coup d\u2019 \u0153il je pri s en grippe \n\u00e0 tout jamais l\u2019 \u00eele au tr\u00e9sor. \nNous avi ons en pers pecti ve une matin\u00e9e de travail \nardu, car il n\u2019y avait pas tr ace de vent, il fallait mettre \u00e0 \nla mer les canots et remorq uer le navire l \u2019espace de \ntrois ou quatre milles, pour doubler la pointe de l\u2019\u00eele et \nl\u2019amener par un \u00e9troit chenal au mouillage situ\u00e9 derri\u00e8re \nl\u2019\u00eelot du Squelette. Je pris passage dans l\u2019une des \nembarcat ions, o\u00f9 je n\u2019 avais d\u2019aill eurs ri en \u00e0 fair e. La \n 129chaleur \u00e9tait \u00e9t ouffante et l es hommes pest aient \nfurieusement contre leur besogne. Anderson \ncommandait mon canot, et au lieu de rappeler \u00e0 l\u2019ordre \nson \u00e9qui page, il protestait plus fort que l es autres. \n\u2013 Bah ! lan\u00e7a-t-il avec un juron, ce n\u2019est pas pour \ntoujours. \nJe vis l\u00e0 un tr\u00e8s mauvais signe ; jusqu\u2019\u00e0 ce jour , les \nhommes avai ent accompli leur travail avec entr ain et \nbonne humeur, mais il avait su ffi de la vue de l\u2019\u00eele pour \nrel\u00e2cher les liens de la discipline. \nDurant tout le trajet, Long John se tint pr\u00e8s de la \nbarre et pilot a le navir e. Il connaissait la passe comme \nsa poche, et bien que le tim onier, en sond ant, trouv\u00e2t \npartout plus d\u2019 eau que n\u2019 en indiquait la cart e, John \nn\u2019h\u00e9sit a pas une s eule fois. \n\u2013 Il y a une chas se viol ente lors du r eflux, dit-il, et \nc\u2019est comme si cette pass e avait \u00e9t\u00e9 creus\u00e9e \u00e0 la b\u00eache. \nNous mouill \u00e2mes juste \u00e0 l\u2019endr oit indi qu\u00e9 sur la \ncarte, \u00e0 environ un tiers de mille de chaque rive, la terre \nd\u2019un c\u00f4t\u00e9 et l\u2019\u00eelot du Squelette de l\u2019autre. Le fond \u00e9t ait \nde sable fin. L e plongeon de notre ancre fit s\u2019\u00e9lever du \nbois une nu\u00e9e tourbillonnante d\u2019oiseaux criards ; mais \nen moins d\u2019une minute ils se pos\u00e8rent de nouveau et \ntout redevint silencieux. \nLa rade \u00e9tait enti \u00e8rement abrit\u00e9e par les terres et \n 130entour\u00e9e de boi s dont l es arbres des cendaient jusqu\u2019 \u00e0 la \nlimite des hautes eaux ; les c\u00f4t es en g\u00e9n\u00e9ral \u00e9tai ent \nplates, et les ci mes des montagnes formaient \u00e0 la ronde \nune sorte d\u2019amphith\u00e9\u00e2tre lointa in. Deux petites rivi\u00e8res, \nou plut\u00f4t deux marigots, se d\u00e9versaient dans ce qu\u2019on \npourrait appeler un \u00e9tang ; et le feuil lage s ur cett e partie \nde la c\u00f4te avait une sorte d\u2019\u00e9clat v\u00e9n\u00e9neux. Du navire, \nimpossi ble de voi r le forti n ni son encl os, car ils \u00e9tai ent \ncompl\u00e8t ement enf ouis dans la verdure ; et s ans la cart e \n\u00e9tal\u00e9e sur le capot, nous aurions pu nous croire les \npremiers \u00e0 j eter l\u2019ancre en ce lieu depuis que l\u2019\u00eel e \u00e9tait \nsortie des flots. \nIl n\u2019y avait pas un s ouffle d\u2019 air, ni d\u2019autres bruits \nque celui du ressac tonnant \u00e0 un demi-mille de l\u00e0, le \nlong des plages et contr e les r\u00e9cifs ext\u00e9rieurs. Un relent \ncaract\u00e9ristique de v\u00e9g\u00e9taux d\u00e9tremp\u00e9s et de troncs \nd\u2019arbres pourri ssants st agnait s ur le mouillage. J e vis le \ndocteur renifler longuement , comme on flaire un \u0153uf \ng\u00e2t\u00e9. \n\u2013 Je ne sais rien du tr\u00e9sor , dit-il, mais je gagerais ma \nperruque qu\u2019il y a de la fi\u00e8vre par ici. \nSi la conduit e des hommes avait \u00e9t\u00e9 alarmant e dans \nle canot, elle devint r\u00e9elle ment mena\u00e7ante quand ils \nfurent remont\u00e9s \u00e0 bord. Il s se t enaient gr oup\u00e9s s ur le \npont, \u00e0 murmur er entr e eux. Les moi ndres or dres \u00e9tai ent \naccueillis par un regard noir, et ex\u00e9cut\u00e9s \u00e0 regret et avec \n 131n\u00e9gligence. Les matelo ts honn\u00eates eux-m\u00eames \nsembl aient s ubir la cont agion, car il n\u2019y avait pas un \nhomme \u00e0 bor d qui r\u00e9pri mand\u00e2t les autres. La mutinerie, \nc\u2019\u00e9tait cl air, nous mena\u00e7a it comme une nu\u00e9e d\u2019orage. \nEt nous n\u2019\u00e9tions pas les seuls, nous autres du parti \nde la cabine, \u00e0 comprendr e le danger. Long John \ns\u2019\u00e9vertuait, allant de groupe en groupe, et se r\u00e9pandait \nen bons avis. Personne n\u2019 e\u00fbt pu donner meilleur \nexemple. Il se surpassait en obligeance et en politesse ; \nil prodiguait les sourires \u00e0 c hacun. Donnait-on un ordre, \nJohn arrivait \u00e0 l\u2019instant sur sa b\u00e9quille, avec le plus \njovial : \u00ab Bien, monsieur ! \u00bb et quand il n\u2019y avait rien \nd\u2019autre \u00e0 fair e, il entonn ait chanson sur chanson, \ncomme pour dissi muler le m\u00e9contentement g\u00e9n\u00e9ral. \nDe tous les f\u00e2cheux d\u00e9tails de cette f\u00e2cheuse apr\u00e8s-\nmidi, l\u2019\u00e9vidente anxi\u00e9t\u00e9 de Long John apparaissait le \npire. \nOn tint conseil dans la cabine. \n\u2013 Monsieur, dit l e capitai ne au chevalier, si je risque \nencore un ordre, tout l\u2019\u00e9qu ipage nous saute dessus, du \ncoup. Oui, mons ieur, nous en s ommes l \u00e0. Suppos ez \nqu\u2019on me r\u00e9ponde grossi\u00e8rement. Si je rel\u00e8ve la chose, \nles anspects entrent en danse au ssit\u00f4t ; si je ne dis rien, \nSilver sent qu\u2019il y a quelque chose l\u00e0-dessous, et la \npartie est perdue. Pour main tenant, nous n\u2019avons qu\u2019un \nseul homme \u00e0 qui nous fier. \n 132\u2013 Et qui donc ? interr ogea le chevalier. \n\u2013 Silver, monsi eur : il est aussi d\u00e9si reux que vous et \nmoi d\u2019apaiser les cho ses. Ceci n\u2019 est qu\u2019un acc\u00e8s \nd\u2019humeur ; il le leur ferait vite passer s\u2019il en avait \nl\u2019occasion, et ce que je pro pose est de la lui fournir. \nAccordons aux hommes une ap r\u00e8s-midi \u00e0 terre. S\u2019ils y \nvont tous , eh bi en ! le navir e est \u00e0 nous. Si per sonne n\u2019 y \nva, al ors nous t enons la cabin e, et Dieu d\u00e9fendra le bon \ndroit. Si quelques-uns se ulement y vont, notez mes \nparol es, monsi eur, Silver les ram\u00e8nera \u00e0 bord doux \ncomme des agneaux. \nIl en f ut d\u00e9cid\u00e9 ainsi ; on dist ribua des pistol ets \ncharg\u00e9s \u00e0 tous l es hommes s\u00fbrs ; on mit dans la \nconfidence Humer, Joyce et Redruth, et ils accueillirent \nles nouvelles avec moin s de surprise et avec plus de \nconfiance que nous ne l\u2019avions attendu ; apr\u00e8s quoi le \ncapitai ne mont a sur le pont et harangua l\u2019\u00e9quipage. \n\u2013 Gar\u00e7ons, dit-il, la jour n\u00e9e a \u00e9t\u00e9 chaude, et nous \nsommes tous fatigu\u00e9s et pas dans notr e assiette. Une \npromenade \u00e0 t erre ne fera de mal \u00e0 per sonne. L es \nembarcat ions s ont encore \u00e0 l\u2019eau : prenez l es yol es, et \nque tous ceux qui le d\u00e9sirent s\u2019en aillent \u00e0 terre pour \nl\u2019apr\u00e8s-midi. Je ferai tirer un coup de canon une demi-\nheure avant le coucher du soleil. \nCes i mb\u00e9ciles se figurai ent sans dout e qu\u2019ils allaient \nse casser le nez sur le tr \u00e9sor aussit\u00f4t d\u00e9barqu\u00e9s. Leur \n 133maussaderie se dissipa en un instant, et ils pouss\u00e8rent \nun vivat qui r \u00e9veilla au l oin l\u2019\u00e9cho d\u2019 une mont agne et \nfit de nouveau partir une vol\u00e9e d\u2019oiseaux criards \u00e0 \nl\u2019entour du mouillage. \nLe capitaine \u00e9tait trop fin pour r ester aupr \u00e8s d\u2019eux. \nLaissant \u00e0 Silver le soin d\u2019arranger l\u2019exp\u00e9dition, il \ndisparut tout aussit\u00f4t, et je crois que cela valait mieux. \nF\u00fbt-il demeur\u00e9 sur le pont, il ne pouvait pr\u00e9tendre \ndavantage ignorer la situatio n. Elle \u00e9tait claire comme \nle jour. Silver \u00e9tai t le vrai capitaine, et il avait \u00e0 lui un \n\u00e9quipage en pleine r\u00e9volte. Les matelots honn\u00eates \u2013 et \nnous acqu\u00eemes bient\u00f4t la preu ve qu\u2019il en restait \u00e0 bord \u2013 \n\u00e9taient \u00e0 coup s \u00fbr des \u00eatr es bien s tupides. Ou plut \u00f4t, \nvoici, je crois, l a v\u00e9rit\u00e9 : l\u2019exempl e des meneurs avai t \nd\u00e9morali s\u00e9 tous les hommes , mais \u00e0 des degr\u00e9s divers, \net quelques-uns, braves gens au fond, refusaient de se \nlaisser entra\u00ee ner plus l oin. On peut \u00eatr e fain\u00e9ant et \npoltron, mais de l\u00e0 \u00e0 s\u2019em parer d\u2019un navir e et \u00e0 \nmassacrer un tas d\u2019innocents, il y a de l\u2019intervalle. \nL\u2019exp\u00e9dition, cependant, fut organis\u00e9e. Six matelots \ndevaient rester \u00e0 bord, et les tr eize autr es, y i nclus \nSilver, commenc\u00e8rent d\u2019embarquer. \nCe fut al ors que me passa pa r la t\u00eate la premi\u00e8re des \nfolles id\u00e9es qui contribu\u00e8rent tellement \u00e0 nous sauver la \nvie. Puisque Silver laissait six hommes , il \u00e9t ait cl air que \nnotre parti ne pouvait s \u2019emparer du navir e ; et puis qu\u2019il \n 134n\u2019en restait que si x, il \u00e9t ait \u00e9galement clai r que ceux de \nla cabi ne n\u2019 avaient pas un besoi n imm\u00e9diat de ma \npr\u00e9sence. Il me prit tout \u00e0 coup la fantaisi e d\u2019aller \u00e0 \nterre. En un clin d\u2019\u0153il, je m\u2019esquivai par-dessus bord et \nme blottis \u00e0 l\u2019avant du ca not le plus pr oche, qui \nd\u00e9marra presque aussit\u00f4t. \nPersonne ne fit attention \u00e0 moi, sauf l\u2019a viron de \nproue, qui me dit : \n\u2013 C\u2019est toi Jim ? Baisse la t\u00eate. \nMais Silver, dans l\u2019autre ca not, tourna vivement la \nt\u00eate et nous h\u00e9la pour sa voir si c\u2019\u00e9tait moi. D\u00e8s cet \ninstant, je commen\u00e7ai \u00e0 re gretter ce que j\u2019avais fait. \nLes \u00e9qui pes lutt \u00e8rent de vitess e pour gagner l a c\u00f4te ; \nmais l\u2019embarcation qui me portait, ayant quelque \navance et \u00e9tant \u00e0 la fois la plus l\u00e9g\u00e8re et la mieux \nman\u0153uvr\u00e9e, d\u00e9passa de loin sa concu rrente. Et l\u2019avant \ndu canot s\u2019\u00e9t ant enfonc\u00e9 parmi l es arbres du rivage, \nj\u2019avais s aisi une br anche, sa ut\u00e9 dehors et plong\u00e9 dans le \nplus proche fourr\u00e9, que Silv er et les aut res \u00e9t aient \nencore \u00e0 cinquante to ises en arri\u00e8re. \n\u2013 Jim ! Jim ! l\u2019entendis-je appeler. \nMais vous pensez bien qu e je ne m\u2019en occupai pas. \nSautant, me baissant et me frayant passage, je courus \ndroit devant moi jusqu\u2019au mo ment o\u00f9 la fatigue me \ncontraignit de m\u2019arr\u00eater. \n 135 \n \nXIV \n \nLe premier coup \n \nJ\u2019\u00e9tais si content d\u2019avoir pl ant\u00e9 l\u00e0 Long John, que je \ncommen\u00e7ai \u00e0 me divertir et \u00e0 examiner avec curiosit\u00e9 le \nlieu o\u00f9 je me trouvais, su r cette terre \u00e9trang\u00e8re. \nJ\u2019avais franchi un espace mar\u00e9cageux, encombr\u00e9 de \nsaules, de joncs et de sing uliers arbres palud\u00e9ens \u00e0 \nl\u2019aspect exotique, et j\u2019\u00e9tai s arriv\u00e9 sur les li mites d\u2019 un \nterrain d\u00e9couvert, aux ondul ations sablonneuses, long \nd\u2019un mil le envir on, pars em\u00e9 de quelques pins et d\u2019un \ngrand nombre d\u2019arbustes rabou gris, rappelant assez des \nch\u00eanes par leur aspect, ma is d\u2019un feuillage argent\u00e9 \ncomme cel ui des saules. \u00c0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du d\u00e9couvert \ns\u2019\u00e9levait l\u2019une des montagnes , dont le sol eil \u00e9cl atant \nilluminait les deux sommets, aux escarpements bizarres. \nJe connus alors pour la pr emi\u00e8re fois les joies de \nl\u2019expl orateur . L\u2019\u00eele \u00e9tait i nhabit\u00e9e ; mes compagnons, je \nles avais laiss \u00e9s en arri \u00e8re, et rien ne vi vait devant moi \nque des b\u00eat es. Je r\u00f4dais au has ard parmi l es arbres. \u00c7 \u00e0 \net l\u00e0 fleurissaient des plantes inconnues de moi ; \u00e7\u00e0 et l\u00e0 \n 136je vis des serpents, dont l\u2019un darda la t\u00eate hors d\u2019une \ncrevasse de rocher, en siffl ant avec un bruit assez \nanalogue au ronflement d\u2019une toupie. Je ne me doutais \ngu\u00e8re que j\u2019 avais l\u00e0 devant moi un ennemi mortel, et \nque ce br uit \u00e9t ait celui de l a fameus e \u00ab sonnett e \u00bb. \nJ\u2019arri vai ensuit e \u00e0 un l ong fourr\u00e9 de ces esp\u00e8ces de \nch\u00eanes \u2013 des ch\u00eanes verts, comme j\u2019appris plus tard \u00e0 \nles nommer \u2013 qui buissonnaient au ras du sabl e, tell es \ndes ronces, et entrela\u00e7aient bizarrement leurs ramures, \nserr\u00e9es dru comme un chaume. Le fourr\u00e9 partait du haut \nd\u2019un monticule de sabl e et s\u2019 \u00e9tendait, t oujours en \ns\u2019\u00e9largissant et augmentant de taille, jusqu\u2019\u00e0 la limite \ndu vaste mar ais plei n de ros eaux, par mi lequel se \ntra\u00eenait la plus proche des petites rivi\u00e8res qui \nd\u00e9bouchent dans le mouillage. Sous l\u2019ardeur du soleil, \nune exhalaison montait du mara is, et les contours de la \nLongue- Vue tr emblot aient dans la bu\u00e9e. \nTout d\u2019un coup, il se fit entre les joncs une sort e \nd\u2019\u00e9meute : avec un cri ra uque, un canard sauvage \ns\u2019envola, puis un autre, et bi ent\u00f4t, sur toute la superficie \ndu marais, une \u00e9norme nu\u00e9e d\u2019oiseaux criards tournoya \ndans l\u2019 air. Je jugeai par l\u00e0 que plusieurs de mes \ncompagnons de bord s\u2019appro chaient par les confins du \nmarigot. Et je ne me trompais pas, car je per\u00e7us bient\u00f4t \nles lointains et faibles a ccents d\u2019une voix humaine, qui \nse renfor\u00e7a et se rapprocha peu \u00e0 peu, tandis que je \n 137continuais \u00e0 pr\u00eater l\u2019oreille. \nCela me jeta dans une gran de frayeur. Je me glissai \nsous le feuillage du ch\u00eane ve rt le plus proche, et m\u2019y \naccroupis, aux aguets, sans faire plus de bruit qu\u2019une \nsouris. \nUne aut re voi x r\u00e9pondit \u00e0 la premi \u00e8re ; puis cell e-ci, \nque je reconnus pour celle de Silver, reprit et continua \nlongtemps d\u2019abondance, inte rrompue par l\u2019autre \u00e0 deux \nou tr ois repri ses seul ement. D\u2019apr\u00e8s le ton, les \ninterlocuteurs causaient avec vivacit\u00e9 et se disputaient \npresque ; mais il ne me pa rvenait aucun mot distinct. \n\u00c0 la fin, les deux hommes f irent halte, et \nprobablement ils s\u2019assirent, car non seul ement il s \ncess\u00e8rent de se rapprocher , mais les oiseaux m\u00eames \ns\u2019apais\u00e8rent peu \u00e0 peu et retourn\u00e8rent \u00e0 leurs places \ndans le marai s. \nEt al ors, je m\u2019 aper\u00e7us que je n\u00e9gligeais mon r\u00f4le. \nPuisque j\u2019avais eu la folle t\u00e9 m\u00e9rit\u00e9 de venir \u00e0 terre avec \nces sacripants, le moins que je pus se faire \u00e9tait de l es \nespionner dans leurs conciliabu les, et mon devoir clair \net \u00e9vident \u00e9tait de m\u2019ap procher d\u2019eux autant que \npossibl e, sous l e couvert pr opice des arbustes rampant s. \nJe pouvais d\u00e9terminer fort exactement la direction \no\u00f9 se trou vaient les interlocuteurs, non s eulement par le \nson des voi x, mais par l a conduit e des derni ers oiseaux \n 138qui planaient encore, effarou ch\u00e9s, au-dessus des intrus. \nM\u2019avan\u00e7ant \u00e0 quatre pattes, je me dirigeai vers eux, \nsans d\u00e9vi er, mais avec lent eur. Enfin, par une tr ou\u00e9e du \nfeuillage, ma vue plongea dans un petit creux de \nverdur e, voi sin du marais et \u00e9troitement entour\u00e9 \nd\u2019arbres , o\u00f9 L ong J ohn S ilver et un autre membre de \nl\u2019\u00e9qui page s\u2019 entret enaient t\u00eate \u00e0 t\u00eat e. \nLe soleil tombait en plein sur eux. Silver avait jet\u00e9 \nson chapeau pr\u00e8s de lui sur le sol, et il levait vers son \ncompagnon, avec l\u2019air de l\u2019e xhorter, son grand visage \nlisse et bl ond, tout verni de chal eur. \n\u2013 Mon gars, dis ait-il, c\u2019 est parce que j e t\u2019estime au \npoids de l\u2019or... oui , au poi ds de l\u2019 or, sois- en s\u00fbr ! Si je \nne tenais pas \u00e0 t oi comme de la glu, crois-tu que je \nserais ici occup\u00e9 \u00e0 te mettre en garde ? La chose est \nr\u00e9gl\u00e9e : tu ne peux rien fa ire ni emp\u00eacher ; c\u2019est pour \nsauver ta t\u00eate que je te parle, et si un de ces brutaux le \nsavait, que devi endrais-je, Tom ?... hein, dis, que \ndeviendrais-je ? \n\u2013 Silver, r\u00e9pliqua l\u2019autre (e t non seulement il avait le \nrouge au vis age mais il parl ait avec la raucit\u00e9 d\u2019un \ncorbeau, et sa voi x fr \u00e9miss ait comme une cor de \ntendue) , Silver, t u es \u00e2g\u00e9, t u es honn\u00eate, ou tu en as du \nmoins la r\u00e9putation ; de plus tu poss\u00e8des de l\u2019argent, \u00e0 \nl\u2019inverse d\u2019un tas de pauvres ma rins ; et tu es br ave, si \nje ne me trompe. Et tu vas venir me raconter que tu t\u2019es \n 139laiss\u00e9 entra\u00eener par ce r amassi s de vils sagouins ? Non ! \nce n\u2019 est pas possi ble ! Aus si vrai que Dieu me voit, j\u2019 en \nmettrais ma mai n au feu. Qu ant \u00e0 moi , si je renie mon \ndevoir... \nUn bruit soudain l\u2019inte rrompit. Je venais de \nd\u00e9couvrir en lui l\u2019un des ma telots honn\u00eat es, et voi ci \nqu\u2019en cet instant un autr e me r\u00e9v\u00e9lait son existence. Au \nloin su r le marigot avait \u00e9clat\u00e9 un br usque cri de col\u00e8r e, \naussit\u00f4t suivi d\u2019un second ; et puis vint un hurlement \naffreux et prolong\u00e9. Les rochers de la Longue-Vue le \nr\u00e9percut\u00e8rent en \u00e9chos multip li\u00e9s ; toute la troupe des \noiseaux de marai s prit une fois de plus son essor et \nassombrit le ciel dans un br uit d\u2019ailes tumultueux ; et ce \ncri d\u2019agonie me r\u00e9sonnait touj ours dans le cr\u00e2ne, alors \nque le silence r\u00e9gnait \u00e0 nouveau depuis longtemps et \nque la r umeur des oiseaux re descendants et le tonnerr e \nlointain du ressac troublaie nt seuls la t ouffeur de \nl\u2019apr\u00e8s-midi. \nTom avait bondi au bruit, comme un cheval sous \nl\u2019\u00e9peron ; mais Silver ne s ourcilla pas. Il restait en \nplace, appuy\u00e9 l\u00e9g\u00e8rement su r sa b\u00e9quille, surveillant \nson interlocuteur, comme un reptile pr\u00eat \u00e0 s\u2019\u00e9lancer. \n\u2013 John, fit le matelo t en avan\u00e7ant la main. \n\u2013 Bas les pattes ! ordonna Silver, qui sauta d\u2019une \ndemi-toise en arri\u00e8re avec l\u2019 agilit\u00e9 et la pr \u00e9cision d\u2019un \ngymnast e exer c\u00e9. \n 140\u2013 Bas les pattes, si tu veux, John Silver... C\u2019est ta \nmauvais e cons cience s eule qui t e fait avoir peur de moi. \nMais au nom du ciel, qu\u2019es t-ce que c\u2019\u00e9t ait que \u00e7a ? \nSilver sourit, mais sans se d\u00e9partir de s on attention : \ndans sa grosse figure, s on \u0153il, r\u00e9duit \u00e0 une simple t \u00eate \nd\u2019\u00e9pingle, \u00e9ti ncelait comme un \u00e9cl at de verr e. \n\u2013 \u00c7a ? r\u00e9pondit-il. Eh ! il me semble que ce devait \n\u00eatre Al an. \n\u00c0 ces mots, l\u2019in fortu n\u00e9 Tom se redressa, h\u00e9ro\u00efque : \n\u2013 Alan ! Alors , que s on \u00e2me r epose en pai x : c\u2019\u00e9tait \nun vrai mari n ! Quant \u00e0 toi, John Silver , tu as \u00e9t\u00e9 \nlongtemps mon copain, mais tu ne l\u2019es plus. Si je meurs \ncomme un chi en, je mourra i quand m\u00eame dans mon \ndevoir. Tu as fait tuer Al an, n\u2019est-ce pas ? Tue-moi \ndonc aussi, si tu en es capable, mais je te mets au d\u00e9fi. \nL\u00e0-dessus, le brave gar\u00e7on t ourna le dos au coq et se \ndirigea vers le rivage. Mais il n\u2019alla pas loin. Avec un \nhurlement, John saisit une br anche d\u2019un arbre, d\u00e9gagea \nsa b\u00e9quille de dessous son bras et la lan\u00e7a \u00e0 toute vol\u00e9e, \nla pointe en avant. Ce sing ulier projectile atteignit Tom \nen plein milieu du dos, av ec une violence foudroyante. \nLe malheureux leva les bras , poussa un cri \u00e9touff\u00e9 et \ns\u2019abattit. \n\u00c9tait-il bless \u00e9 gri\u00e8vement ou non ? Je croi s bien, \u00e0 \nen juger par le bruit, qu\u2019il eut l\u2019 \u00e9pine dor sale bris\u00e9e du \n 141coup. Mais Silver ne lui d onna pas le loisir de se \nrelever. Agile comme un si nge, m\u00eame priv\u00e9 de sa \nb\u00e9quille, le coq \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 sur lui et par deux fois \nenfon\u00e7ait son coutelas jusq u\u2019au manche dans ce corps \nsans d\u00e9fense. De ma cach ette, je l\u2019entendis ahaner en \nfrappant. \nJ\u2019ignore ce qu\u2019 est un \u00e9vanouiss ement v\u00e9ritabl e, mais \nje sais que pour une minute tout ce qui m\u2019entourait se \nperdit \u00e0 ma vue dans un brum eux tourbillon : Silver, les \noiseaux et la montagne ondula ient en tous sens devant \nmes yeux, et un tintamarre co nfus de cl oches et de voi x \nlointaines m\u2019empli ssait les oreilles. \nQuand je revins \u00e0 moi, l\u2019 inf\u00e2me, b\u00e9quille sous le \nbras, chapeau sur la t\u00eate, s\u2019 \u00e9tait ressaisi. \u00c0 ses pieds, \nTom gisait inerte sur le gazon ; mais le meurtrier n\u2019en \navait nul souci, et il ess uyait \u00e0 une touffe d\u2019herbe son \ncouteau s anglant. Rien d\u2019au tre n\u2019avait chang\u00e9, le m\u00eame \nsoleil implacable brillait toujours sur le marais \nvaporeux et sur les cimes de la montagne. J\u2019avais peine \n\u00e0 me persuader qu\u2019un meurtr e venait d\u2019\u00eatre commis l\u00e0 \net une vie humai ne cruellement tranch\u00e9e un moment \nplus t\u00f4t, sous mes yeux. \nJohn por ta la mai n \u00e0 sa poche, et y prit un sifflet \ndont il tira des modulations qui se propag\u00e8rent au loin \ndans l\u2019air chaud. J\u2019ignorais, bien entendu, la \nsigni fication de ce signal ; mais il m\u2019angoissa. On allait \n 142venir. On me d\u00e9couvrirait peut -\u00eatre. Ils avaient d\u00e9j\u00e0 tu\u00e9 \ndeux matelots fid\u00e8les : apr\u00e8 s Tom et Alan, ne serait-ce \npas mon tour ? \n\u00c0 l\u2019instant j\u2019entrepris de me d\u00e9gager, et rampai en \narri\u00e8re vers la partie moins to uffue du bois, aussi vite et \nsilencieusement que possible . J\u2019entendais les appels \nqu\u2019\u00e9changeaient le vieux fli busti er et ses camar ades, et \nla proximit\u00e9 du dang er me donnait des ailes. Sit\u00f4t sorti \ndu fourr\u00e9, je courus comme je n\u2019 avais jamais couru. \nPeu m\u2019importait la directio n, pourvu que ma fuite \nm\u2019\u00e9loign\u00e2t des meurtri ers. Et durant cette cours e la peur \nne cess a de cr o\u00eetre en moi j usqu\u2019\u00e0 m\u2019aff oler pres que. \nPersonne, en effet, pouvait-il \u00eatre plus \nirr\u00e9m\u00e9diablement perdu ? Au coup de canon, comment \noserais-je regagner les emba rcations, parmi ces bandits \nencore sanglants de leur crime ? Le pr emier qui \nm\u2019ape rcevrait ne me tordrait-il pas le cou comme \u00e0 un \npoulet ? Mon abs ence \u00e0 el le seule ne me condamnait-\nelle pas \u00e0 leurs yeux ? Tout \u00e9tait fini, pensai s-je. Adieu \nHispaniola , adieu chevali er, docteur , capitai ne ! Mouri r \nde faim ou mourir s ous les coups des r\u00e9volt\u00e9s, je \nn\u2019avais pas d\u2019 autre choi x. \nCependant, comme je l\u2019ai dit, je courais toujours, et, \nsans m\u2019en aper cevoir , j\u2019\u00e9tais a rriv\u00e9 au pied de la peti te \nmontagne \u00e0 deux sommets, dans une partie de l\u2019\u00eele o\u00f9 \nles ch\u00eanes verts croissaient moins dru et ressemblaient \n 143davantage \u00e0 des arbres fores tiers par le port et les \ndimensions. Il s\u2019y entrem\u00eala it quelques pi ns solitaires \nqui atteignaient en moyen ne cinquante pieds et \nquelques-uns jus qu\u2019\u00e0 s oixante-dix. L\u2019air, en out re, \nsembl ait plus pur que dans les bas-f onds voisi ns du \nmarigot. \nEt voici qu\u2019une nouvelle al erte m\u2019arr\u00eata court, le \nc\u0153ur pal pitant. \n 144 \n \nXV \n \nL\u2019homme de l\u2019\u00eele \n \nDu flanc de la montagne, qui \u00e9tait ici abrupte et \nrocheuse, une plui e de caill oux se d\u00e9tacha et tomba en \ncr\u00e9pit ant et ri cochant par mi les ar bres. D\u2019i nstinct, mes \nyeux se tourn\u00e8rent dans cette direction, et j\u2019entrevis une \nforme qui, d\u2019un bond rapide , s\u2019abritait par-derri\u00e8re le \ntronc d\u2019 un pin. \u00c9tait-ce un ours, un homme ou un \nsinge ? il m\u2019\u00e9tait impossi ble de l e conj ecturer. L \u2019\u00eatre \nsemblait noir et velu : je n\u2019en savais pas davantage. \nMais dans l\u2019effroi de cette nouvelle apparition, je \nm\u2019immobilisai. \nJe me voyais \u00e0 cett e heure cer n\u00e9 de tout es parts : \nderri\u00e8re moi, les meurtriers ; devant, ce je ne sais quoi \nembusqu\u00e9. Sans un i nstant d\u2019 h\u00e9sit ation, je pr\u00e9f \u00e9rai les \ndangers connus aux inconnus. C ompar \u00e9 \u00e0 cett e cr\u00e9atur e \ndes bois, Silver lui-m\u00eame m\u2019apparut moins redoutable. \nJe fis donc volt e-face, et tout en r egardant derri \u00e8re moi \navec inqui\u00e9tude, retournai su r mes pas dans la direction \ndes canots. \n 145Aussit\u00f4t la f orme repar ut et, fais ant un gr and d\u00e9t our, \nparut s\u2019 appli quer \u00e0 me couper l a retraite. J\u2019\u00e9tais las , \ncertes, mais eus s\u00e9-je \u00e9t \u00e9 aussi fr ais qu\u2019\u00e0 mon lever, j e \nvis bien qu\u2019il m\u2019\u00e9tait i mpossibl e de l utter de vit esse \navec un tel adversaire. Passant d\u2019un tronc \u00e0 l\u2019autre, la \nmyst \u00e9rieuse cr\u00e9ature filai t comme un daim. Elle se \ntenait s ur deux jambes, \u00e0 l a mani \u00e8re des hommes, mais, \nce que je n\u2019 avais jamais vu faire \u00e0 aucun homme, elle \ncourait pres que pl i\u00e9e en deux. Et malgr \u00e9 cela, je n\u2019en \npouvais plus douter, c\u2019\u00e9tait un homme. \nJe me r appelai ce que je s avais des cannibales, et f us \nsur le point d\u2019appeler au se cours. Mais le simple fait \nque c\u2019 \u00e9tait un homme, m\u00eame sauvage, suffisait \u00e0 me \nrassurer, et ma crai nte de Silver se r\u00e9veill a en \nproporti on. J e m\u2019arr\u00eatai do nc, cherchant un moyen de \nsalut, et \u00e0 la longue, le souvenir de mon pistolet me \nrevint. J e n\u2019\u00e9t ais donc pas sans d\u00e9f ense ; le cour age se \nranima dans mon c\u0153ur : je fi s face \u00e0 cet homme de l\u2019\u00eele \net mar chai d\u00e9li b\u00e9r\u00e9ment vers lui . \nIl venait de se dis simuler derri\u00e8re un tronc d\u2019arbre ; \nmais il me surveillait attent ivement, car, au premier \ngeste que je risquai dans sa direction, il reparut et fit un \npas \u00e0 ma rencontre. Puis il se ravisa, recula, s\u2019avan\u00e7a, \nderechef , et enfi n, \u00e0 mon \u00e9t onnement et \u00e0 ma confusion, \nse jeta \u00e0 genoux et te ndit vers moi des mains \nsuppli antes. \n 146Je m\u2019arr\u00eatai de nouvea u et lui demandai : \n\u2013 Qui \u00eat es-vous ? \n\u2013 Ben Gunn, me r\u00e9pondit -il, d\u2019 une voix r auque et \nembarr ass\u00e9e comme l e gri ncement d\u2019 une ser rure \nrouill\u00e9e. Je suis le pauvre Be n Gunn, oui, et depuis trois \nans je n\u2019ai pas pa rl\u00e9 \u00e0 un chr\u00e9tien. \nJe m\u2019aper\u00e7us alors que c\u2019\u00e9t ait un Blanc comme moi, \net qu\u2019il avait des traits asse z agr\u00e9ables. Sa peau, partout \no\u00f9 on l a voyait, \u00e9t ait br \u00fbl\u00e9e du s oleil ; ses l\u00e8vres m\u00eames \n\u00e9taient noirci es, et ses yeux bleus sur prenaient tout \u00e0 \nfait, dans un si s ombre visage. De tous l es mendiant s \nque j\u2019avais vus ou imagin\u00e9s, c\u2019\u00e9tait le ma\u00eetre en fait de \nhaillons. Des lambeaux de vi eille toile \u00e0 voile et de \nvieux cir\u00e9s le v\u00eataient ; et cette bizarre mosa\u00efque tenait \nensembl e par un s yst\u00e8me d\u2019attaches des plus vari \u00e9es et \ndes plus incongr ues : boutons de m\u00e9t al, liens d\u2019 osier, \nn\u0153uds de filin goudronn\u00e9. Auto ur de sa taille, il portait \nun vieux ceinturon de cuir \u00e0 b oucle de cuivre, qui \u00e9tait \nla seule partie solide de tout son accoutrement. \n\u2013 Trois ans ! m\u2019\u00e9criai-je. Vo us avez fait naufrage ? \n\u2013 Non, camar ade, r\u00e9pondit-il, marronn\u00e9 . \nJe connaissais le terme, et savais qu\u2019il d\u00e9signait un \nde ces horri bles ch\u00e2timents usit\u00e9s chez les flibustiers, \nqui cons iste \u00e0 d\u00e9poser le co upable, avec un peu de \npoudre et quelques balles , sur une \u00eele d\u00e9s erte et \n 147lointaine. \n\u2013 Marronn\u00e9 depuis trois ans, continua-t-il, et \npendant ce temps j\u2019ai v\u00e9cu de ch\u00e8vres, de fruits et de \ncoquillages. \u00c0 mon avis, n\u2019im porte o\u00f9 l \u2019on se trouve, \non peut se tir er d\u2019 affaire. Mais, camar ade, mon c\u0153ur \naspire \u00e0 une nourriture de ch r\u00e9tien. Dis, n\u2019aurais-tu pas \nsur toi, par hasard, un mo rceau de fromage ? Non ? \nAh ! c\u2019est qu\u2019il y a des nui ts et des nuits que je r\u00eave de \nfromage... grill\u00e9, surtout... et puis je me r\u00e9veille, et je \nme retrouve ici. \n\u2013 Si jamais je peux retour ner \u00e0 bord, r\u00e9pliquai-je, \nvous aurez du fro mage, au quintal. \nDurant tout ce t emps, il av ait t\u00e2t\u00e9 l\u2019\u00e9toffe de ma \nvareus e, car ess\u00e9 mes mai ns, examin\u00e9 mes souliers , et, \nbref, manifest\u00e9 un plai sir d\u2019 enfant \u00e0 voi r aupr \u00e8s de l ui \nun cong\u00e9n\u00e8re. Mais \u00e0 mes dern iers mots, il le va la t\u00eate \navec une sort e d\u2019\u00e9tonnement sour nois. \n\u2013 Si jamais tu peux retourne r \u00e0 bord, dis-tu ? r\u00e9p\u00e9ta-\nt-il. Mais, voyons, qui es t-ce qui t\u2019en emp\u00eacherait ? \n\u2013 Ce n\u2019est pas vous, je le sais. \n\u2013 S\u00fbrement non ! s\u2019\u00e9cria-t-il. Mais tiens... Comment \nt\u2019appelles-tu, camarade ? \n\u2013 Jim. \n\u2013 Jim, Jim..., fit-il avec un plaisir \u00e9vident. Eh bien, \n 148tiens , Jim, j\u2019 ai men\u00e9 une vi e si brutale que tu aurais \nhonte de l\u2019ent endre conter . Ainsi, par exemple, tu ne \ncroirais pas que j\u2019ai eu un e m\u00e8re pieuse... \u00e0 me voir ? \n\u2013 Ma foi non, pas pr\u00e9cis\u00e9ment . \n\u2013 Tu vois, fit-il. Eh bien, j\u2019en ai eu t out de m\u00eame \nune, r emarquablement pi euse. J\u2019\u00e9tais un gar\u00e7on poli et \npieux, et je pouvais d\u00e9bite r mon cat\u00e9chisme si vite \nqu\u2019on n\u2019 aurait pas distingu\u00e9 un mot de l\u2019autre. Et voici \n\u00e0 quoi cela a abouti, Jim, et cela a commenc\u00e9 en jouant \n\u00e0 la fossette sur les tombes saint es ! C\u2019est ainsi que cel a \na commenc\u00e9, mais \u00e7a ne s\u2019est pas arr\u00eat\u00e9 l\u00e0 : et ma m\u00e8re \nm\u2019avait dit et pr\u00e9dit le tout, h\u00e9las ! la pieuse femme ! \nMais c\u2019 est la Providence qui m\u2019 a plac\u00e9 ici . J\u2019ai m\u00e9dit \u00e9 \u00e0 \nfond sur tout cela dans cette \u00eele solitaire, et je suis \nrevenu \u00e0 la pi \u00e9t\u00e9. On ne m\u2019 y prendra plus \u00e0 boire aut ant \nde rhum : juste plein un d\u00e9, en r\u00e9jouissance, \nnaturellement, \u00e0 l a premi\u00e8re occasion que j\u2019au rai. Je me \nsuis jur\u00e9 d\u2019\u00eatre homme de bi en, et je sais comment je \nferai. Et puis, Ji m... \nIl regar da tout aut our de l ui, et, baissant la voix, me \ndit dans un chuchotement : \n\u2013 Je suis ric he. \nJe ne doutai plus que le pauvre gar\u00e7on f\u00fbt devenu \nfou dans son isolement. Il est pr obable que mon vis age \nexprima cette pens\u00e9e, car il r\u00e9p\u00e9ta son assertion avec \n 149v\u00e9h\u00e9mence : \n\u2013 Riche ! oui, riche ! te dis-je. Et si tu veux savoir , \nje ferai quelqu\u2019un de toi, J im. Ah ! oui, tu b\u00e9nir as ton \n\u00e9toile, oui, car c\u2019est toi le premier qui m\u2019as rencontr\u00e9 ! \nMais \u00e0 ces mots une ombre soucieuse envahit tout \u00e0 \ncoup ses traits. Il serra plus fort ma main, leva devant \nmes yeux un index mena\u00e7ant , et interrogea : \n\u2013 Allons, Jim, di s-moi la v\u00e9rit\u00e9 : ce n\u2019 est pas l e \nnavir e de Flint ? \nJ\u2019eus une heureuse inspiration. Je commen\u00e7ais \u00e0 \ncroire que j\u2019avais trouv\u00e9 un alli\u00e9, et je lui r\u00e9pondis \naussit\u00f4t : \n\u2013 Ce n\u2019est pas l e navir e de Flint, et Flint est mort ; \nmais je vais vous dire la v\u00e9rit\u00e9 comme vous me la \ndemandez... nous avons \u00e0 bord plusieurs matelots d e \nFlint ; et c\u2019est tant pis pour nous autres. \n\u2013 Pas un homme... \u00e0 une ... jambe ? haleta-t-il. \n\u2013 Silver ? \n\u2013 Oui, Silver, c\u2019\u00e9tait son nom. \n\u2013 C\u2019est le coq, et c\u2019 est aussi le meneur. \nIl me tenait toujours par le poignet, et \u00e0 ces mots, il \nme le tordit presque : \n\u2013 Si tu es envoy\u00e9 par Long Jo hn, je suis cuit, je le \n 150sais. Mais vous autres, qu\u2019es t-ce qui va vous arriver, \ncroyez-vous ? \nJe pris mon parti \u00e0 l\u2019instant , et en guise de r\u00e9ponse, \nje lui narrai toute l\u2019histoi re de notre voyage et la \nsituati on dans l aquelle nous nous tr ouvions. Il m\u2019\u00e9cout a \navec le plus vif int\u00e9r\u00eat ; quand j\u2019eus fini, il me donna \nune petite tape sur la nuque. \n\u2013 Tu es un bon gar\u00e7on, Jim, et vous \u00eates t ous dans \nune s ale passe, hein ? Eh bien, vous n\u2019avez qu\u2019\u00e0 vous \nlier \u00e0 Ben Gunn... Ben Gunn est l\u2019homme qu\u2019il vous \nfaut. Mais crois-tu probable, dis, que ton chevalier se \nmontrerait g\u00e9n\u00e9reux en cas d\u2019a ssistance... alors qu\u2019il se \ntrouve dans une sale passe, re marque ? \nJe lui aff irmai que le chevali er \u00e9tait le plus lib\u00e9r al \ndes hommes . \n\u2013 Soit, mais vois-tu, reprit Ben Gunn, je ne voudrais \npas qu\u2019 on me donne une port e \u00e0 gar der, et un habit de \nlivr\u00e9e, et le rest e : ce n\u2019 est pas mon genr e, Jim. Voici ce \nque je veux dire : serait-il capable de condescendre \u00e0 \nl\u00e2cher, mettons un millier de livres, sur l\u2019argent qui est \nd\u00e9j\u00e0 comme sien \u00e0 pr\u00e9sent ? \n\u2013 Je suis cert ain que oui. Il \u00e9tait convenu que tous \nles matelots auraient leur part. \n\u2013 Et le pass age de ret our ? ajouta-t-il, d\u2019un air tr\u00e8s \nsoup\u00e7onneux. \n 151\u2013 Voyons ! le chevalier est un gentilhomme ! Et \nd\u2019ailleurs, si nous venons \u00e0 bout des autres, nous aurons \nbesoi n de vous pour aider \u00e0 la man\u0153uvre du b\u00e2timent. \n\u2013 \u00c7\u00e0... je ne serais pas de tr op. \nEt il parut enti\u00e8rement rassur\u00e9. \n\u2013 Maintenant, reprit-il, je va is te dire quelque chose. \nJe te dirai cela, mais pas pl us. J\u2019\u00e9tais s ur le navir e de \nFlint lorsqu\u2019il enterra le tr\u00e9s or, lui avec six autres... si x \nforts marins. Ils furent \u00e0 te rre pr\u00e8s d\u2019une s emaine, et \nnous r est\u00e2mes \u00e0 l ouvoyer sur l e vieux Walrus. Un beau \njour, on aper \u00e7oit le signal, et voil\u00e0 Flint qui nous arrive \ntout seul dans un petit ca not, son cr\u00e2ne band\u00e9 d\u2019un \nfoular d bleu. L e soleil se l evait, et Flint paraissait, \u00e0 \ncontr e-jour s ur l\u2019horizon, d\u2019 une p\u00e2leur mor telle. M ais \nsonge qu\u2019il \u00e9tait l\u00e0, lui, et ses compagnons morts tous \nles six... morts et enterr\u00e9s. Comment il s\u2019y \u00e9tait pris, nul \nde nous \u00e0 bord ne put l e devi ner. Ce fut bataille, en tout \ncas, meurtre et mort subite, \u00e0 lui seul contre six. Billy \nBones \u00e9tait son premier o fficier ; Long John son \nquartier-ma\u00eetre. Ils lui dem and\u00e8rent o\u00f9 \u00e9tait le tr\u00e9sor. \n\u00ab Oh ! qu\u2019il leur dit, vous po uvez all er \u00e0 terre si \u00e7a vous \nchante, et y rester, qu\u2019il di t ; mais pour ce qui est du \nnavir e, il va couri r la mer pour de nouveau butin, mille \ntonnerres ! \u00bb Voil\u00e0 ce qu\u2019il le ur dit... Or, trois ans pl us \ntard, comme j\u2019 \u00e9tais s ur un autr e navir e, nous arri vons \nen vue de cett e \u00eele. \u00ab Gar\u00e7ons, dis-j e, c\u2019est ici qu\u2019 est le \n 152tr\u00e9sor de Flint ; atterriss ons et cherchons-le. \u00bb Le \ncapitaine fut m\u00e9content ; mais mes camarades de bord \naccept\u00e8rent avec ensemble et d\u00e9barqu\u00e8rent. Douze jours \nils cherch\u00e8rent, et chaque jour ils me traitaient plus mal, \ntant et si bien qu\u2019un beau matin tout l e monde s\u2019 en \nretourne \u00e0 bord. \u00ab Quant \u00e0 to i, Benjamin Gunn, qu\u2019ils \nme disent, voil\u00e0 un mous quet, qu\u2019ils di sent, et une \nb\u00eache, et une pioche. Tu pe ux rester ici et trouver \nl\u2019argent de Flint toi-m\u00eame, qu \u2019ils di sent... \u00bb Donc, Ji m, \nj\u2019ai pass\u00e9 trois ans ici, sa ns une bouch\u00e9e de nourriture \nchr\u00e9tienne depuis ce jour ju squ\u2019\u00e0 pr\u00e9sent. Mais voyons, \nregar de, regar de-moi. Est- ce que j\u2019 ai l\u2019air d\u2019un homme \nde l\u2019avant ? Non, que tu dis. Et je ne le suis pas non \nplus, que je dis. \nL\u00e0-dessus, il cligna de l\u2019\u0153il et me pin\u00e7a \nvigoureusement. Puis il reprit : \n\u2013 Tu rapporteras ces parole s exactes \u00e0 ton chevalier, \nJim : \u00ab Et il ne l\u2019 est pas non plus... voil \u00e0 les parol es. \nTrois ans, il resta seul sur ce tte \u00eele, jour et nuit, beau \ntemps et pluie ; et parfois il lui arrivait bien de songer \u00e0 \nprier (que tu diras), et pa rfois il lui arrivait bien de \nsonger \u00e0 sa vieill e m\u00e8re, puis se-t-elle \u00eatre en vie ! (que \ntu diras) ; mais la plupart du temps (c\u2019est ce que tu \ndiras)... l a plupart du t emps B en Gunn s\u2019 occupait \u00e0 \nautre chos e. \u00bb Et alor s tu lui donneras un pin\u00e7on, \ncomme j e fais. \n 153Et il me pin\u00e7a derechef, de l\u2019 air le plus confidentiel. \n\u2013 Alors, continua- t-il, alors tu te redresseras et tu lui \ndiras ceci : \u00ab Gunn est un ho mme de bien (que tu diras) \net il a un riche coup plus de confi ance... un riche coup \nplus, souvi ens-t oi bien... dans un gentil homme de \nnaissance que dans ces gen tilshommes de fortune, en \nayant \u00e9t\u00e9 un lui-m\u00eame. \u00bb \n\u2013 Bien, r \u00e9pliquai-je. Je ne comprends pas un mot \u00e0 \nce que vous venez de dir e. Ma is il n\u2019 en est ni plus ni \nmoins, puisque je ne sa is comment aller \u00e0 bord. \n\u2013 Oui, fit -il, \u00e7a, c\u2019est le ch iendent , pour s\u00fbr... Mais il \ny a mon canot, que j\u2019 ai fabriqu\u00e9 de mes dix doi gts. Il est \n\u00e0 l\u2019abri sous la roche bl anche. Au pis aller, nous \npouvons en essayer quand il fe ra noir... A\u00efe ! qu\u2019est-ce \nque c\u2019 est \u00e7a ? \nCar \u00e0 cet instant pr\u00e9cis, bien que le soleil e\u00fbt encore \nune heure ou deux \u00e0 briller, tous les \u00e9chos de l\u2019\u00eele \nvenaient de s \u2019\u00e9veiller et r etentissaient au tonnerre d\u2019un \ncoup de canon. \n\u2013 Ils ont commenc\u00e9 la bataille ! m\u2019\u00e9criais-je. \nSuivez-moi. \nEt, oubli ant toutes mes ter reurs, j e me mis \u00e0 courir \nvers le mouillage, tandis que l\u2019abandonn\u00e9, dans ses \nhaillons de peaux de ch\u00e8vre, ga lopait, agile et souple, \u00e0 \nmon c\u00f4t\u00e9. \n 154\u2013 \u00c0 gauche, \u00e0 gauche, me d it-il ; appuie \u00e0 ta gauche, \ncamarade Jim ! Va donc sous ces arbres ! C\u2019est l\u00e0 que \nj\u2019ai tu\u00e9 ma premi\u00e8re ch\u00e8vre. Elles ne descendent plus \njusqu\u2019i ci, \u00e0 pr \u00e9sent : elles se s ont r\u00e9fugi\u00e9es s ur les \nmontagnes, par peur de Ben Gunn... Ah ! et voici le \ncitemi\u00e8re (cimeti\u00e8re, voulait-il dire). Tu vois les \ntertres ? Je vi ens prier ici de t emps \u00e0 autr e, quand j e \npense qu\u2019il est \u00e0 peu pr \u00e8s dimanche. Ce n\u2019 est pas t out \u00e0 \nfait une chapell e, mais \u00e7a a l\u2019air plus s \u00e9rieux \nqu\u2019ailleurs ; et puis, dis, Ben Gunn \u00e9t ait mal f ourni... \nPas de cur\u00e9, pas m\u00eame une bi ble et un pavillon, dis ! \nIl continuait \u00e0 parler de la sorte, tout courant, sans \nattendre ni r ecevoir de r \u00e9pons e. \nLe coup de canon fu t suivi, apr\u00e8s un intervalle assez \nlong, d\u2019une d\u00e9charge de mousqueterie. \nEncore un temps d\u2019arr\u00eat ; et puis, \u00e0 moins d\u2019un quart \nde mille devant nous , je vis l\u2019Union Jack1 se d\u00e9ployer \nen l\u2019ai r au-dessus d\u2019un bois... \n \n1 Le pavillon britannique. \n 155 \n \n \n \n \nQuatri\u00e8me partie \n \nLa palanque1\n \n1 De l\u2019espagnol palanca . D\u00e9signa it autref ois un fortin cons titu\u00e9 par \nune palissade entourant un blockhaus en bois. \n 156 \n \nXVI \n \nLe docteur continue le r\u00e9cit : \nl\u2019abandon du navire \n \nIl \u00e9tait envir on une heur e et demi e (trois coups, \nselon l\u2019expression nautique) quand les deux canots de \nl\u2019Hispaniola partirent \u00e0 terre. Le capitaine, le chevalie r \net moi, \u00e9tions dans la cabi ne, \u00e0 di scuter la s ituati on. Y \ne\u00fbt-il eu un souffl e de vent , nous s erions tomb\u00e9s s ur les \nsix muti ns rest\u00e9s \u00e0 bor d, pui s nous aurions fil\u00e9 notre \ncha\u00eene et pris le large. Ma is la brise manquait. Pour \ncomble de mal heur, Hunter descendit, ap portant la \nnouvelle que Jim Hawkins ava it saut\u00e9 dans un canot et \ngagn\u00e9 la terre a vec les autres. \nPas un seul instant nous ne songe\u00e2mes \u00e0 douter de \nJim Hawkins ; mais nous craign\u00ee mes pour s a vie. Avec \ndes hommes d\u2019 une telle humeur, ce ser ait pur hasard si \nnous revoyions le petit. Nous cour\u00fbmes sur le pont. La \npoix bouillait dans les coutur es. L\u2019infecte puanteur du \nmouillage me donna la naus\u00e9e : cela sentait la fi\u00e8vre et \nla dysenterie \u00e0 plein nez, da ns cet abominab le lieu. Les \nsix sc\u00e9l\u00e9rats, abrit\u00e9s par une voile, \u00e9taient r\u00e9unis sur le \n 157gaillard d\u2019 avant, \u00e0 maugr \u00e9er ; ver s la terr e, pr esque \narriv\u00e9es au point o\u00f9 d\u00e9bo uchaient les rivi\u00e8res, on \npouvait voir les yol es filer r apidement, un homme \u00e0 l a \nbarre dans chacune. L\u2019un d\u2019eux sifflait Lillibullero . \nL\u2019attent e nous exc\u00e9dait. Il fut r \u00e9solu que Hunt er et \nmoi irions \u00e0 terre avec le petit canot, en qu\u00eate de \nnouvelles. \nLes yol es avaient appuy\u00e9 sur la dr oite ; mai s Hunter \net moi pouss\u00e2mes juste dans la direction o\u00f9 la pal anque \nfigurait sur la carte. Les deu x hommes rest\u00e9s \u00e0 gar der \nles embarcations s\u2019\u00e9murent de notre venue. Lillibullero \ns\u2019arr\u00eata, et j e vis le couple discuter ce qu\u2019il convenait \nde faire. Fussent-ils all\u00e9s av ertir Silver, tout aurait pu \ntourner autrement ; mais ils av aient leurs instr uctions, je \nsuppose : ils conclurent de re ster tranquillement o\u00f9 ils \n\u00e9taient, et Lillibullero reprit de plus belle. \nLa c\u00f4te offrait une l\u00e9g\u00e8re saillie, et je gouvernai \npour la placer entr e eux et nous : m\u00eame avant d\u2019att errir, \nnous f\u00fbmes ainsi hors de vue des yoles. Je sautai \u00e0 terre, \net, muni d\u2019un gran d foulard de soie sous mon chapeau \npour me tenir f rais et d\u2019 une couple de pistolets tout \namor c\u00e9s pour me d\u00e9fendre, je me mis en marche, aussi \nvite que la prudenc e le permettait. \nAvant d\u2019 avoir par couru cinquante toises, j\u2019arrivai \u00e0 \nla palanque. \n 158Voici en quoi elle consistait. Une source d\u2019eau \nlimpide jaillissait presque au sommet d\u2019un monticule. \nSur le monti cule, et enf ermant la source, on avait \u00e9dif i\u00e9 \nune f orte mais on de rondi ns, capable de tenir \u00e0 la \nrigueur une quarantaine de gens, et perc\u00e9e sur chaque \nface de meurtri\u00e8res pour la mous queterie. Tout aut our, \non avait d\u00e9nud\u00e9 un large esp ace, et le retranchement \n\u00e9tait compl \u00e9t\u00e9 par une paliss ade de si x pieds de haut , \nsans port e ni ouverture, trop f orte pour qu\u2019 on p\u00fbt l a \nrenverser sans beaucoup de temp s et de peines, et trop \nexpos \u00e9e pour abri ter les as si\u00e9geants. Les d\u00e9fenseurs du \nblockhaus les tenaient de t outes parts : ils restaient \ntranquillement \u00e0 couvert et les tiraient comme des \nperdri x. Il ne leur fallait ri en de pl us que de la vi gilance \net des vi vres ; car, \u00e0 moi ns d\u2019une compl\u00e8t e surprise, la \nplace pouvait r\u00e9sister \u00e0 un corps d\u2019arm\u00e9e. \nCe qui me s\u00e9duisait plus pa rticuli\u00e8rement, c\u2019\u00e9tait la \nsource. Car, si nous avi ons dans la cabine de \nl\u2019Hispaniola une assez bonne forteresse, avec quantit\u00e9 \nd\u2019armes et de munitions, des vivres et d\u2019excellents vins, \nnous avions n\u00e9glig\u00e9 une chos e : l\u2019eau nous manquait. Je \nr\u00e9fl\u00e9chissais l\u00e0-dessus, quand retentit sur l\u2019\u00eele le cri \nd\u2019un homme \u00e0 l \u2019articl e de la mort. Je n\u2019\u00e9t ais pas novice \nen fait de mort violente \u2013 j\u2019 ai servi S.A.R. le duc de \nCumberl and et re\u00e7u moi -m\u00eame une bl essure \u00e0 Font enoy \n\u2013 mais malgr\u00e9 cela mon pouls se mit \u00e0 battre \npr\u00e9cipitamment. \u00ab C\u2019en est fait de Jim Hawkins ! \u00bb \n 159Telle fut ma premi\u00e8re pens\u00e9e. \n\u00catre un anci en soldat, c\u2019 est d\u00e9j\u00e0 quel que chos e ; \nmais il est encor e pr\u00e9f\u00e9rable d\u2019 avoir \u00e9t\u00e9 m\u00e9deci n. On \nn\u2019a pas le loisir de tergiver ser, dans notr e prof ession. \nAussi donc, je pris \u00e0 l\u2019instan t mon parti, et sans per dre \nune minute, regagnai le rivage et sautai dans le petit \ncanot. \nPar bonheur, Hunter ramait bien. Nous volions sur \nl\u2019eau ; l\u2019embarcation fut vite accost \u00e9e et moi \u00e0 bord de \nla go\u00e9lett e. \nJe trouvai mes compagnons tout \u00e9mus, comme de \njuste. Le c hevalier, affaiss\u00e9, \u00e9tait blanc comme un li nge, \nen voyant dans quelle f\u00e2cheu se aventure il nous avait \nentra\u00een\u00e9s, la bonne \u00e2me ! Un des six matelots du \ngaillard d\u2019avant ne valait gu\u00e8re mieux. \n\u2013 Voil\u00e0, dit le ca pitaine Smollett, en nous le \nd\u00e9signant, voil\u00e0 un homme no vice \u00e0 cette besogne. Il a \nfailli s\u2019\u00e9vanouir, docteur, en en tendant le cri. Encore un \ncoup de barre, et cet homme est \u00e0 nous. \nJ\u2019exposai mon plan au cap itaine, et d\u2019un commun \naccord nous r\u00e9gl\u00e2mes le d\u00e9tail de son ex\u00e9cution. \nOn posta le vi eux Redrut h dans la coursive joignant \nla cabi ne au gai llard d\u2019 avant, avec trois ou quatre \nmousquets charg\u00e9s et un matelas pour se garantir. \nHunter amena le canot jusque sous le sabord de retraite, \n 160et Joyce et moi nous m\u00eemes \u00e0 y empiler des caisses de \npoudre, des barils de lard, un tonnel et de cognac et mon \ninestimable pharmacie portative. \nCependant, le chevalier et le capit aine r est\u00e8rent s ur \nle pont, et le capitaine h\u00e9la le quartier-ma\u00eetre, qui \u00e9tait \nle principal matelot \u00e0 bord. \n\u2013 Ma\u00eetre Hands, lui dit-il, nous voici deux avec une \npaire de pistol ets chacun. Si l\u2019un de vous s ix fait un \nsignal quelconque, c\u2019 est un homme mort. \nIls furent passablement d\u00e9contenanc\u00e9s et, apr\u00e8s une \ncourte d\u00e9lib\u00e9ration, ils s\u2019engou ffr\u00e8rent \u00e0 la file dans le \ncapot d\u2019avant, croyant sans doute nous surprendre par-\nderri\u00e8r e. Mais \u00e0 l a vue de Redrut h qui l es attendait dans \nla coursive, ils vir\u00e8rent de bord aussit\u00f4t, et une t\u00eate \n\u00e9mer gea sur l e pont. \n\u2013 \u00c0 bas, chien ! cria le capitaine. \nLa t\u00eate disparut, et il ne fut plus question, pour un \ntemps, de ces six poules mouill\u00e9es de matelots. \nNous avi ons alor s, jetant les objets au petit bonheur, \ncharg\u00e9 le canot aut ant que la prudence le permettait. \nJoyce et moi des cend\u00eemes par le sabord de retraite, et \nnous diri ge\u00e2mes de nouveau ver s la terr e, de t oute la \nvitesse de nos avirons. \nCe second voyage intrigua fort les guetteurs de la \nc\u00f4te. Lillibullero se tut derechef, et nous allions les \n 161perdre de vue derri\u00e8re la pe tite pointe, quand l\u2019un d\u2019eux \nsauta \u00e0 t erre et disparut . Je fus tent\u00e9 de modifier mon \nplan et de d\u00e9truire leurs emba rcations, mais Silver et les \nautres pouvaient \u00eatre \u00e0 port \u00e9e, et je crai gnis de tout \nperdre en voulant trop en faire. \nAyant pri s terre \u00e0 la m\u00eame place que pr\u00e9c\u00e9demment, \nnous nous m\u00eemes en devoir de ravitailler le blockhaus. \nNous f\u00eemes le premier voyage \u00e0 nous trois, lourdement \ncharg\u00e9s, et lan\u00e7\u00e2mes nos provisions par -dessus la \npalissade. Puis, laissant Joyc e pour les garder \u2013 un seul \nhomme, \u00e0 vr ai dir e, mais pourvu d\u2019une demi-douzaine \nde mous quets \u2013 Hunter et moi retourn\u00e2mes au petit \ncanot prendre un nouveau chargement. Nous \ncontinu\u00e2mes ainsi sans nous arr\u00eater pour souffler, \njusqu\u2019\u00e0 ce que la cargaison f\u00fbt en place ; alors les deux \nvalets prirent position dans le blockhaus, ta ndis que je \nramais de toutes mes forces vers l\u2019Hispaniola . \nQue nous ayons risqu\u00e9 de charger une seconde fois \nle canot, cel a par a\u00eet plus audacieux que ce ne l\u2019\u00e9tait \nr\u00e9ellement. \u00c0 coup s\u00fbr, nos adversaires avaient \nl\u2019avantage du nombre, mais il nous restait celui des \narmes . Pas un des hommes \u00e0 terre n\u2019avait un mousquet, \net, avant qu\u2019ils pussent a rriver \u00e0 port\u00e9e pour leurs \npistol ets, nous nous flatti ons de pouvoir r\u00e9gler l eur \ncompte \u00e0 une bonne demi- douzaine d\u2019entre eux. \nLe chevalier, compl\u00e8tement remis de sa faiblesse, \n 162m\u2019attendait au sabord de retr aite. Il saisit notre aussi\u00e8re, \nqu\u2019il amarra, et nous nous m\u00eemes \u00e0 charger \nl\u2019embar cation \u00e0 t oute vitesse. Lar d, poudr e et bis cuit \nform\u00e8rent la cargaison, avec un seul mous quet et un \ncoutelas par personne, pour le chevalier et moi, Redruth \net le capitaine. L e reste des ar mes et de l a poudre fut \njet\u00e9 \u00e0 la mer par deux brasse s et demie d\u2019eau, si bien \nque nous pouvions voir au-d essous de nous l\u2019 acier \nbriller au soleil sur le fond de sable fin. \n\u00c0 ce moment l a mar\u00e9e comm en\u00e7ait \u00e0 baisser, et le \nnavir e venait \u00e0 l\u2019 appel de s on ancre. On entendait des \nvoix lointaines se h\u00e9ler dans l a directi on des deux \nyoles ; et tout en nous rass urant \u00e0 l\u2019\u00e9gar d de J oyce et \nHunter, qui \u00e9tai ent pl us \u00e0 l\u2019 est, cette circonstance nous \nfit h\u00e2ter notre d\u00e9part. \nRedruth abandonna son poste de la coursive et sauta \ndans le canot, que nous men\u00e2mes vers l\u2019arri \u00e8re du pont , \npour l a commodit \u00e9 du capi taine Smollett. Celui-ci \u00e9leva \nla voi x : \n\u2013 Hol\u00e0, les homme s, m\u2019entendez-vous ? \nPas de r\u00e9pons e du gaill ard d\u2019avant. \n\u2013 C\u2019est \u00e0 vous, Abr aham Gray, c\u2019 est \u00e0 vous que je \nm\u2019adresse. \nTouj ours pas de r \u00e9pons e. \n\u2013 Gray, reprit M. Smoll ett en haussant l e ton, j e \n 163quitte ce navire, et je vous or donne de s uivre vot re \ncapitai ne. Je sais qu\u2019au f ond vous \u00eates un brave gar\u00e7on, \net je crois bien qu\u2019aucun de votre bande n\u2019est aussi \nmauvais qu\u2019il veut le para\u00eetre . J\u2019ai ma mont re en main : \nje vous donne trente secon des pour me rej oindre. \nIl y eut un silence. \n\u2013 Allons, mon ami, continua le capitaine, ne soyez \npas si lent \u00e0 virer. Je risq ue \u00e0 chaque seconde ma vie et \ncelle de ces bons messieurs. \nIl y eut une soudai ne ru\u00e9e, un br uit de lutte, et \nAbraham Gray, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant au- dehors avec une balafre le \nlong de la joue, courut \u00e0 son capitaine, com me un chien \nqu\u2019on siffle. Il lui dit : \n\u2013 Je suis avec vous, monsi eur ! \nUn instant plus tard, lui et le capit aine avai ent saut \u00e9 \n\u00e0 bord du canot, et nous pouss\u00e2mes au large. \nNous avions quitt\u00e9 le navire, mais nous n\u2019\u00e9tions pas \nencore \u00e0 terre dans notre palanque. \n 164 \n \nXVII \n \nSuite du r\u00e9cit par le docteur : le dernier \nvoyage du petit canot \n \nCe cinqui\u00e8me voyage di ff\u00e9ra compl\u00e8tement des \nautres. En premier lieu, la coque de noix qui nous \nportait se trouvait fortement surcharg\u00e9e. Cinq hommes \nadultes, dont troi s \u2013 Trel awney, Redrut h et le capitaine \n\u2013 d\u00e9passaient six pieds, c\u2019en \u00e9tait d\u00e9j \u00e0 plus qu\u2019ell e ne \ndevait porter. Ajoutez-y la poud re, le lard et les sacs de \npain. Le plat -bord affl eurait par l \u2019arri\u00e8re ; \u00e0 plusi eurs \nreprises nous embarqu\u00e2mes un peu d\u2019eau, et nous \nn\u2019avions pas fait cinquant e brasses que mes culott es et \nles pans de mon habit \u00e9t aient t out tremp\u00e9s. \nLe capitaine nous fit arrimer le canot, et nous \nr\u00e9uss\u00eemes \u00e0 l\u2019\u00e9quilibrer un peu mieux. Malgr\u00e9 cela, \nnous osions \u00e0 peine r espirer. \nEn second lieu, le jusant se faisait : un fort courant \nclapoteux portait vers l\u2019ouest, \u00e0 travers l e bassin, puis \nau sud et vers le large par le goulet que nous avions \nsuivi le matin. Le clapotis \u00e0 lui seul mettait en p\u00e9ril \n 165notre esquif surcharg\u00e9 ; mais le pis \u00e9tait que l e flux \nnous drossait hors de notre vraie route et loin du \nd\u00e9barcad\u00e8re convenable situ\u00e9 de rri\u00e8re la pointe. Si nous \navions laiss\u00e9 faire le cou rant, nous aurions abord\u00e9 \u00e0 \nc\u00f4t\u00e9 des yoles, o\u00f9 les pir ates pouvaient surgir \u00e0 tout \ninstant. \nJe gouvernais tandis que le capit aine et R edruth, \ndispos tous les deux, \u00e9taient aux avirons. \n\u2013 Je n\u2019arrive pas \u00e0 mainteni r le cap sur la palanque, \nmonsi eur, dis-je au capitai ne. La mar\u00e9e nous emporte. \nPourriez-vous souquer un peu plus fort ? \n\u2013 Pas sans remplir le canot , r\u00e9pondit -il. Il vous faut \nlaisser porter, monsieur, si vous voulez bien... laisser \nporter jusqu\u2019\u00e0 ce que vous gagniez. \nJ\u2019essayai, et vis par exp \u00e9rience que la mar\u00e9e nous \ndrossait vers l\u2019 ouest, tant que je ne mettais pas le cap en \nplein est, c\u2019 est-\u00e0-dire pr\u00e9ci s\u00e9ment \u00e0 angle dr oit de la \nroute que nous devions suivre. Je pronon\u00e7ai : \n\u2013 De cett e allur e, nous n\u2019arriverons jamais. \n\u2013 Si c\u2019es t la s eule route que nous puissi ons tenir, \nmonsi eur, tenons- la, r\u00e9pliqua le capitaine. Il nous faut \ncontinuer \u00e0 remonter le courant... Voyez-vous, \nmonsieur, si jamais nous tombons sous le vent d u \nd\u00e9barcad\u00e8re, il est difficile de dire o\u00f9 nous irons \naborder... outr e le risque d\u2019 \u00eatre attaqu\u00e9s par les yoles... \n 166D\u2019aill eurs, dans l a direction o\u00f9 nous all ons, le cour ant \ndoit dimi nuer, ce qui nous permettr ait de r etourner en \nnous d\u00e9filant l e long de l a c\u00f4te. \n\u2013 Le cour ant est d\u00e9j\u00e0 moindr e, monsi eur, dit le \nmatelot Gray, qui \u00e9tait assi s \u00e0 l\u2019avant ; vous pouvez \nmollir un peu. \n\u2013 Merci, mon gar\u00e7on, r\u00e9pondis-je, absolument \ncomme s i rien ne s\u2019\u00e9t ait pass\u00e9. \nNous avions , en eff et, tacitement convenu de le \ntraiter comme un des n\u00f4tr es. \nSoudain, le capitaine reprit la parole, et sa voix me \nparut l\u00e9g\u00e8rement alt\u00e9r\u00e9e : \n\u2013 Le canon ! fit-il. \nJe me fi gurai qu\u2019 il pens ait \u00e0 un bombardement de \nfortin. \n\u2013 J\u2019y ai song\u00e9, r \u00e9pliquai-je. Mais ils ne pourront \njamais amener le canon \u00e0 terre, et m\u00eame s\u2019ils y \nparvenai ent, ils s eraient incapabl es de le hal er \u00e0 tr avers \nbois. \n\u2013 Regardez en arri \u00e8re, doct eur, r eprit le capit aine. \nHorreur ! Nous avions tota lement oubli\u00e9 la caronade \nde neuf. Autour de la pi\u00e8ce, les cinq bandits \ns\u2019affairaient \u00e0 l ui enl ever s on pal etot, comme ils \nappelai ent le gr ossier \u00e9tui de toile goud ronn\u00e9e qui la \n 167rev\u00eat ait d\u2019 ordinaire. Et, au m\u00eame i nstant, je me \nressouvins que les boulets et la poudr e \u00e0 canon \u00e9tai ent \nrest\u00e9s \u00e0 bord, et d\u2019un coup de hache mettrait le tout \u00e0 la \ndispositi on des sc\u00e9l\u00e9r ats. \n\u2013 Isra\u00ebl a \u00e9t\u00e9 canonni er de Flint, dit Gray d\u2019une voix \nrauque. \n\u00c0 tout ri sque, nous t\u00eenmes le cap du canot dr oit sur \nle d\u00e9barcad\u00e8re. Nous av ions alors suffisamment \n\u00e9chapp\u00e9 au fort du coura nt pour pouvoir gouverner, \nm\u00eame \u00e0 notre allure de nage obligatoirement lente, et je \nr\u00e9ussis \u00e0 nous di riger ver s le but. Mais le pis \u00e9tait \nqu\u2019avec la route ainsi tenue, nous pr\u00e9sentions \u00e0 \nl\u2019Hispaniola notre flanc au lieu de notre arri\u00e8re, ce qui \noffrait une cibl e comme une gr and-porte. \nJe pus non seulement voir mais entendr e Isra\u00ebl \nHands jeter un boulet rond sur le pont. \n\u2013 Qui de vous deux est le meilleur tireur ? demanda \nle capitaine. \n\u2013 M. Tr elawney, s ans conteste, r\u00e9pondis-je. \n\u2013 Monsieur Tr elawney, r eprit le capitaine, voudriez-\nvous avoir l\u2019obl igeance de m\u2019att raper un de ces \nhommes ? Hands, si possible. \nAvec une impassibilit\u00e9 d\u2019ai rain, Trelawney v\u00e9rifia \nl\u2019amorce de son fusil. \n 168\u2013 Maintenant, dit le capi taine, doucement avec ce \nfusil, monsieur , ou si non vous allez r emplir le canot . \nAttention, que tout le monde s\u2019appr\u00eate \u00e0 nous \u00e9quili brer \nquand il ajustera. \nLe chevalier \u00e9paula, la nage cessa, et nous nous \nport\u00e2mes sur l\u2019 autre bor d pour fair e contrepoids . Tout \nse passa si bien que l\u2019on n\u2019embarqua pas une goutte \nd\u2019eau. \nCependant, l\u00e0-bas, ils avaien t fait pivoter l e canon \nsur s on axe, et Hands, qui se tenait \u00e0 la bouche avec \nl\u2019\u00e9couvillon, \u00e9tait en cons\u00e9q uence le plus expos\u00e9. Mais \nnous n\u2019e\u00fbmes pas de chance, car il se baissa juste au \nmoment o\u00f9 Tr elawney f aisait feu. La balle siffla par -\ndessus sa t\u00eate, et ce fut un de ses quatre compagnons \nqui tomba. \nSon cri f ut r\u00e9p\u00e9t\u00e9, non s eulement par ceux du bord, \nmais par une foule de voix sur le rivage, et regardant \ndans cett e direction, je vis les pirates d\u00e9boucher en \nmasse du bois et s e pr\u00e9cipi ter pour prendre place dans \nles canots. \n\u2013 Voil\u00e0 les yoles qui arrivent, monsieur ! m\u2019\u00e9criai-\nje. \n\u2013 En route, alors ! lan\u00e7a le capitaine. Et vite ! au \nrisque d\u2019embarquer. Si nous n\u2019 arrivons pas \u00e0 t erre, tout \nest perdu. \n 169\u2013 Une seule des yoles est ga rnie, monsieur , repris-j e, \nl\u2019\u00e9quipage de l\u2019autre va sans doute fair e le tour par le \nrivage afin de nous couper. \n\u2013 Ils auront chaud \u00e0 courir, monsieur, riposta le \ncapitaine. Vous connaissez les mathurins \u00e0 terre. Ce \nn\u2019est pas d\u2019eux que je me pr\u00e9occupe, c\u2019est du boulet. \nUn vrai jeu de salon ! Un e jeune personne ne nous \nmanquerait pas. Avertissez- nous, chevalier, quand vous \nverrez mettre le feu, et nous nagerons \u00e0 culer. \nEntre-temps , nous avi ons fait r oute \u00e0 une all ure \npassabl e pour un canot telle ment surcharg\u00e9, et dans \nnotre marche nous n\u2019avi ons embarqu\u00e9 que peu d\u2019eau. \nNous \u00e9ti ons mai ntenant pr esque ar riv\u00e9s : encore tr ente \nou quarante coups d\u2019avirons et nous accosterions la \nplage ; car d\u00e9j\u00e0 le reflux avait d\u00e9couvert une \u00e9troite \nbande de sable au pied du bouquet d\u2019arbres. La yole \nn\u2019\u00e9tait plus \u00e0 cr aindr e : la petite pointe l\u2019avait d\u00e9j\u00e0 \ncach\u00e9e \u00e0 nos yeux. Le ju sant, qui nous avait si \nf\u00e2cheusement retard\u00e9s, faisa it maintenant compensation \net retardait nos adversaires . L\u2019uni que sour ce de danger \n\u00e9tait le canon. \n\u2013 Si j\u2019osais, dit le capita ine, je stopperais pour \nabattr e encor e un homme. \nMais il \u00e9tait cl air que nos gens ne voul aient pl us \nlaisser diff\u00e9rer leur coup pa r rien. Ils n\u2019avaient m\u00eame \npas jet \u00e9 les yeux s ur leur ca marade tomb\u00e9, qui pourtant \n 170n\u2019\u00e9tait pas mort et s\u2019eff or\u00e7ait de s e tra\u00eener pl us loi n. \n\u2013 Attention ! cria le chevalier. \n\u2013 Nage \u00e0 cul er ! commanda le capit aine, prompt \ncomme un \u00e9cho. \nRedrut h et lui d\u00e9r am\u00e8rent avec une grande secousse \nqui envoya notre arri\u00e8re en plein sous l\u2019eau. Le coup \ntonna au m\u00eame instant. Ce fut le premier ent endu par \nJim, le coup de feu du ch evalier n\u2019\u00e9tant pas arriv\u00e9 \njusqu\u2019\u00e0 ses oreilles. O\u00f9 pa ssa le boulet, aucun de nous \nne le sut exactement, mais j\u2019imagine que ce fut au-\ndessus de nos t\u00eates, et son ve nt cont ribua s ans dout e \u00e0 la \ncatastrophe. \nQuoi qu\u2019il en f\u00fbt, le canot sombra par l\u2019arri\u00e8re, tout \ndoucement, dans trois pieds d\u2019eau, nous laiss ant, le \ncapitai ne et moi , debout et face \u00e0 face. Les trois autres \nprirent un bai n compl et, et r\u00e9appar urent tout ruiss elants \net bar botants. \nJusqu\u2019ici, le mal n\u2019\u00e9ta it pas grand. Il n\u2019y avait \npersonne de mort, et nous pouv ions en s\u00fbret\u00e9 gagner la \nterre \u00e0 gu\u00e9. Mais toutes nos provisions se trouvaient au \nfond et, ce qui empirait les choses, il ne nous restait \nplus en \u00e9tat de s ervice qu e deux fusils sur cinq. Le \nmien, j e l\u2019avais \u00f4t \u00e9 de mes genoux et lev\u00e9 en l\u2019air, par \nun geste instinctif. Quant au capitaine, il portait le sien \nsur le dos en bandouli\u00e8re et la cr osse en haut par \n 171prudence. Les trois autres av aient coul\u00e9 avec le canot. \nPour aj outer \u00e0 not re souci, des voi x se rapprochai ent \nd\u00e9j\u00e0 parmi les bois du ri vage. Au danger de nous voir \ncouper du fortin, dans notre \u00e9tat de quasi-impuissance, \ns\u2019ajoutait notre inqui\u00e9tude au sujet de Hunt er et de \nJoyce. Attaqu\u00e9s par une demi-douzaine d\u2019ennemis, \nauraient-ils le sang-froid et le courage de tenir ferme ? \nHunter \u00e9tait r\u00e9solu, nous le savions ; mais Joyce nous \ninspirait moins de confiance : ce valet agr\u00e9able et civil \n\u00e9tait plus apte \u00e0 brosser de s habits qu\u2019\u00e0 devenir un \nfoudre de guerre. \nAvec toutes ces pr\u00e9occupations, nous gagn\u00e2mes le \nrivage \u00e0 gu\u00e9 auss i vite que possible, laissant derri\u00e8re \nnous l\u2019infortun\u00e9 petit cano t et une bonne moiti\u00e9 de \nnotre poudre et de nos provi sions. \n 172 \n \nXVIII \n \nSuite du r\u00e9cit par le docteur : fin du \npremier jour de combat \n \nNous travers\u00e2mes en toute h\u00e2te la zone bois\u00e9e qui \nnous s\u00e9parait encore du fortin. \u00c0 chaque pas nous \nentendions se rapprocher le s voix des flibustiers. \nBient \u00f4t nous per\u00e7\u00fbmes l e bruit de leurs f oul\u00e9es et le \ncraquement des branches quan d ils traversaient un \nbuisson. \nJe compris que nous n\u2019 \u00e9viterions pas une \nescarmouche s\u00e9ri euse, et v\u00e9rifiai mon amor ce. \n\u2013 Capitaine, fis-je , Tre lawney est un excell ent tireur . \nPassez-lui votre fusil : le sien est inutilisable. \nIls \u00e9chang\u00e8rent leurs fusils, et Trelawney, \nimpassible et muet comme il l\u2019 \u00e9tait depuis l e d\u00e9but de \nla bagarre, s\u2019arr\u00eata un instan t pour v\u00e9rifier la charge. Je \nm\u2019aper \u00e7us alors que Gray \u00e9tait sans ar mes, et je lui \ntendis mon cout elas. Il cr acha dans sa main, fron\u00e7a l es \nsourcils, fit siffler sa lame en l\u2019air, et cela nous mit du \nbaume au c\u0153ur. Toute son attitude prouvait \u00e0 \n 173l\u2019\u00e9vidence que notre nouvelle recrue valait son pes ant \nde sel. \nCinquante pas plus loin, no us arriv\u00e2mes \u00e0 la lisi\u00e8r e \ndu bois et v\u00eemes devant nous la palanque. Nous \nabord\u00e2mes le retranchement par le milieu de son c\u00f4t\u00e9 \nsud, pres que au m\u00eame i nstant o\u00f9 sept mut ins, dirig\u00e9s \npar J ob Anders on, le ma\u00ee tre d\u2019\u00e9quipage, d\u00e9bouchaient \nen hurlant de l\u2019angle sud-ouest. \nIls s\u2019 arr\u00eat\u00e8rent t out d\u00e9con cert\u00e9s ; et avant qu\u2019ils se \nfussent ressaisis, non seul ement le chevalier et moi, \nmais Hunter et J oyce, du bl ockhaus, e\u00fbmes le temps de \ntirer. Les quatre coups pa rtirent en une salve peu \nr\u00e9glementaire ; mais ils furent efficaces : un de nos \nennemis tomba, et les autr es, sans h\u00e9sit ation, fir ent \ndemi-t our et s\u2019 enfonc\u00e8rent dans le fourr\u00e9. \nApr\u00e8s avoir recharg\u00e9, nous all\u00e2mes, en longeant \nl\u2019ext\u00e9rieur de la palissad e, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019ennemi abattu. \nIl \u00e9tait raide mort \u2013 une bal le en pl ein c\u0153ur. \nNous nous f \u00e9licitions de not re heur eux succ\u00e8s, \nlorsqu\u2019un coup de pistolet partit du bois, une balle \nsiffla, m\u2019effleurant l\u2019oreille , et le pauvre Tom Redruth \nvacilla, puis tomba de son long sur le sol. Le chevalier \net moi ripost\u00e2mes au coup ; mais comme nous tirions au \nhasard, ce fut probablement de la poudre perdue. Apr\u00e8s \nquoi, et nos fusils recharg \u00e9s, nous port\u00e2mes notre \n 174attention sur le bless\u00e9. \nLe capit aine et Gray l\u2019 examinai ent d\u00e9j \u00e0, et je vis \nd\u2019un coup d\u2019\u0153il que le ma lheureux \u00e9tait perdu. \nJe cr ois que par sa pr ompte r \u00e9plique, notr e salve \navait dispers\u00e9 \u00e0 nouveau les mutins, car ils nous \nlaiss\u00e8rent, sans autres ho stilit\u00e9s, emporter le vieux \ngarde-chasse. L\u2019ayant hiss\u00e9 par-dessus la palanque, \nnous le d\u00e9pos\u00e2mes , sanglant et g\u00e9miss ant, dans la \nmais on de r ondins. \nLe pauvr e vieux n\u2019 avait pa s eu un mot de surprise, \nde pl ainte ou de peur, ni m\u00eame d\u2019 acqui escement , depuis \nle d\u00e9but de nos tribulations jusqu\u2019\u00e0 ce moment o\u00f9 il \nattendait la mort. Il s\u2019\u00e9t ait post \u00e9 derri \u00e8re s on matel as \ndans la coursive, comme un h\u00e9ros d\u2019Hom\u00e8re ; il avait \nob\u00e9i \u00e0 t ous les or dres, en s ilence, avec r\u00e9solution et \nponctuellement. Il \u00e9tait de vi ngt ans le plus \u00e2g\u00e9 de notr e \nparti, et maintenant, ce vieux serviteur fid\u00e8le et r\u00e9sign\u00e9, \nc\u2019\u00e9tait lui qui allait mourir. \nLe chevalier se jeta \u00e0 geno ux aupr\u00e8s de lui et lui \nbaisa la main, en pleur ant comme un enfant. \n\u2013 Est-ce que je vais vous quitter, docteur ? demanda \nle bless\u00e9. \n\u2013 Tom, mon ami, lui r\u00e9pondis-je, vous allez \nregagner la c\u00e9l este patrie. \n\u2013 Avant \u00e7a, j\u2019aur ais bi en voul u fai re t\u00e2ter de mon \n 175fusil \u00e0 ces salauds-l\u00e0. \n\u2013 Tom, pronon\u00e7a le chevalie r, dites-moi que vous \nme pardonnez, voulez-vous ? \n\u2013 Serait- ce bien convena ble, de moi \u00e0 vous , \nmonsieur le chevalier ? N\u00e9anmo ins, ainsi soit-il, amen ! \nApr\u00e8s un petit intervalle de silence, il exprima le \nsouhait d\u2019entendre lire une pri\u00e8re. \u00ab C\u2019est la coutume, \nmonsi eur \u00bb, aj outa-t-il, en mani\u00e8re d\u2019 excus e. Et peu \napr\u00e8s , sans un mot de plus , il expi ra. \nCependant, le capitaine, do nt j\u2019av ais rema rqu\u00e9 la \npoitrine et les poches \u00e9tonnam ment bourr\u00e9es, en avait \nsorti une foule d\u2019 objets h\u00e9t\u00e9roclites : un pavillon \nbritannique, une bible, un r ouleau de corde assez forte, \nde quoi \u00e9crir e, le livre de bo rd, et du tabac en quantit\u00e9. \nIl avait trouv\u00e9 dans l\u2019enclos un pin de bonne taille, \nabattu et d\u00e9pouill \u00e9, et, avec l\u2019aide de Hunter, il l\u2019avait \n\u00e9rig\u00e9 au coi n de la mais on, dans l\u2019angl e for m\u00e9 par \nl\u2019entrecroisement des madriers. \nPuis, grimpant sur le toit, il avait de sa propre main \nd\u00e9ploy\u00e9 et hiss\u00e9 le pavillon. \nCela parut le r\u00e9conforter b eaucoup. Il rentra dans la \nmaison, et parut s\u2019absorber to ut entier dans l\u2019inventaire \ndes pr ovisions. Mais il n\u2019 en jeta pas moi ns un coup \nd\u2019\u0153il s ur le tr\u00e9pas de R edruth ; et, d\u00e8s que t out f ut fini, \nil s\u2019approcha, muni d\u2019un autr e pavillon qu\u2019il \u00e9tendit \n 176pieus ement s ur le cadavr e. \n\u2013 Ne vous affectez pas, mo nsieur, dit-il au chevalier, \nen lui serrant la main. Tout va bien pour lui : il n\u2019y a \nrien \u00e0 cr aindr e pour un mat elot tu\u00e9 en faisant son devoir \nenvers son capitaine et son ar mateur. Ce n\u2019 est peut- \u00eatre \npas correct comme th\u00e9ologie, mais c\u2019est la r\u00e9alit\u00e9. \nPuis il me tira \u00e0 part : \n\u2013 Docteur Lives ey, dans combien de semai nes \nattendez-vous la conserve, le chevalier et vous ? \nJe lui exposai que ce n\u2019\u00e9t ait pas une question de \nsemaines, mais bien de mois. Si nous n\u2019\u00e9tions pas de \nretour \u00e0 la fi n d\u2019ao\u00fbt, Bl andly devait envoyer \u00e0 notre \nrecher che, mais ni pl us t\u00f4t ni plus tard. \n\u2013 Comptez vous- m\u00eame, aj outai-je. \nLe capitaine se gratta la t\u00eate. \n\u2013 Eh bien ! mons ieur, reprit-il, tout en faisant une \nlarge par t aux bienf aits de la Provi dence, je peux dir e \nque nous avons couru au plus pr\u00e8s. \n\u2013 Que voulez- vous dir e ? demandai- je. \n\u2013 Que c\u2019 est mal heur, monsieur, d\u2019 avoir per du cette \nseconde cargaison. Voil\u00e0 ce qu e je veux dire. Quant aux \nmunitions, cela peut aller. Mais les vivr es s ont \ninsuffisants, fort insuffisants. .. si insuffisants, docteur \nLivesey, que peut-\u00eatre somm es-no us aussi b ien sans \n 177cette bouche en plus. \nEt il d\u00e9signa le corps \u00e9t endu sous le pavillon. \n\u00c0 la m\u00eame minute, avec un ronflement stri dent, un \nboulet passa dans les hauteurs par-dessus le toit de la \nmaison et alla tomber bien au-del\u00e0, dans le bois. \n\u2013 Ho ! ho ! dit le capita ine. Feu roulant ! Vous \nn\u2019avez d\u00e9j\u00e0 pas t rop de poudre, les gars ! \nLe second coup fut mieux point\u00e9, et l e boulet \ns\u2019abattit \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de l\u2019en clos, en soulevant un nuage \nde sable, mais sans causer d\u2019autre d\u00e9g\u00e2t. \n\u2013 Capitaine, dit le ch evalier, le fortin est \ncompl\u00e8tement invisible du na vire. Ce doit \u00eatre sur le \npavillon qu\u2019ils visent. Ne se rait-il pas plus sage de le \nrentrer ? \n\u2013 Amener mon pavillon ! s\u2019\u00e9cria le capitaine. Non, \nmonsi eur, jamai s ! \nEt \u00e0 peine eut-il dit ces mots que nous \nl\u2019approuv\u00e2mes tous. Car ce n\u2019 \u00e9tait pas l\u00e0 simplement la \nsaillie vigoureuse d\u2019un vrai marin ; c\u2019\u00e9tait en outre une \nmesure de bonne politique , et qui prouvait \u00e0 nos \nennemis que nous m\u00e9pris ions leur canonnade. \nPendant toute la soir\u00e9e, ils continu\u00e8rent \u00e0 nous \nbombar der. L\u2019 un apr \u00e8s l\u2019autre, les boulets nous \npassai ent par- dessus la t \u00eate, ou tombaient court, ou \n 178faisaient voler le sable de l\u2019en clos ; mais le tir \u00e9tait si \nplongeant que le projectile arrivait sans force et \ns\u2019enterrai t dans le sable mou. On n\u2019 avait \u00e0 cr aindr e nul \nricochet . Un boul et, il est vr ai, p\u00e9n\u00e9tra par le toit dans la \nmais on de r ondins et s\u2019 engouffra au travers du \nplancher ; mais nous nous hab itu\u00e2mes vit e \u00e0 cett e sorte \nde jeu brutal , qui ne nous \u00e9mouvait pas pl us que l e \ncricket. \n\u2013 Il y a une bonne chos e dans tout cela, nous fit \nremarquer le capitaine : c\u2019est qu\u2019il n\u2019y a s ans dout e \npersonne dans le bois deva nt nous. La mar\u00e9e baisse \ndepuis un bon moment, et nos pr ovisions doivent \u00eatr e \u00e0 \nd\u00e9couver t. Des volont aires pour aller nous chercher du \nlard ! \nGray et Hun ter fu rent les premie rs \u00e0 s\u2019offrir. Bien \narm\u00e9s, ils s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent hors de la palanque ; mais leur \nmissi on fut vai ne. Les mutins \u00e9taient pl us hardis que \nnous l\u2019i magini ons, ou ils av aient plus de confiance que \nnous dans le pointage d\u2019Isra\u00ebl, car il y en avait d\u00e9j\u00e0 \nquatre ou cinq occup\u00e9s \u00e0 enlev er nos provisions. Ils les \ntransport aient \u00e0 gu\u00e9 dans l \u2019une des yol es qui \u00e9tait l \u00e0 tout \npr\u00e8s et que des coups d\u2019avir on espac\u00e9s maintenaient en \nplace contre le courant. Silv er, inst all\u00e9 \u00e0 l\u2019 arri\u00e8re, \ncommandait s es hommes , qui \u00e9tai ent mai ntenant tous \npourvus de mous quets pr ovena nt de quelque cachette \u00e0 \neux. \n 179Le capit aine s\u2019 assit devant son journal de bor d, et y \ninscrivit ce qui suit : \n\u00ab Alexandre Smollett, cap itaine ; Davi d Livesey, \nm\u00e9decin du bord ; Abraha m Gray, charpentier en \nsecond ; John Trelawney, armateur ; John Hunter et \nRichar d Joyce, valets de l\u2019 armateur, terriens \u2013 les seuls \nqui s oient rest \u00e9s fid\u00e8les de tout l\u2019\u00e9quipage du navire \u2013 \nmunis de vi vres pour di x jours \u00e0 demi-rati on, ont \nabord\u00e9 ce jourd\u2019hui et d\u00e9 ploy\u00e9 le pavillon britannique \nsur la maison de r ondins de l\u2019\u00eele au tr\u00e9sor. Thomas \nRedrut h, val et de l\u2019 armateur, terri en, tu\u00e9 par les \nr\u00e9volt\u00e9s ; James Hawkins, gar\u00e7on de cabi ne... \u00bb \nEt, tandis qu\u2019il \u00e9crivait, je m\u2019interrogeais sur le sort \ndu pauvre Jim Hawkins. \nUn appel s\u2019\u00e9leva du c\u00f4t\u00e9 de la terre. \n\u2013 Quelqu\u2019un nous h\u00e8le, dit Hunt er, qui \u00e9tait de \ngarde. \n\u2013 Docteur ! chevalier ! capitaine ! Hallo ! Hunter, \nc\u2019est vous ? criait-on. \nEt je cour us \u00e0 l a porte, assez t\u00f4t pour voir Jim \nHawkins, sain et sauf, qui es caladait le retranchement. \n 180 \n \nXIX \n \nJim Hawkins reprend son r\u00e9cit : la \ngarnison de la palanque \n \nEn apercevant le pavillon, Ben Gunn fit halte, me \nretint par le bras, et s\u2019assit. \n\u2013 \u00c0 pr\u00e9sent, dit-il, ce s ont tes amis, pour s\u00fbr. \n\u2013 Il est plus pr obabl e que ce s ont l es muti ns, \nr\u00e9pondis-je. \n\u2013 Avec \u00e7a ? insista-t-il. Allons donc ! dans un lieu \ncomme celui-ci o\u00f9 il ne vien t que des gentilshommes de \nfortune, le pavillon que d\u00e9plo ierait Silver, c\u2019est le Jolly \nRoger1, il n\u2019y a pas de doute l\u00e0-d essus. Non, ce sont tes \namis. Il y a eu bataille, du reste, et je suppose que tes \namis ont eu le dessus et les voici \u00e0 terre dans ce vieux \nfortin construit par Flint il y a des ann\u00e9es et des ann\u00e9es. \nAh ! il en avait une caboche, ce Flint ! Rhum \u00e0 part, on \nn\u2019a jamais vu s on par eil. Il n\u2019 eut jamai s peur de \npersonne, sauf de Silver... Ou i, Silver avait cet honneur. \n \n1 Le pavillon noir des pirates. \n 181\u2013 Bien, dis-je, c\u2019est pos sible, et je vous cr ois ; mais \nraison de plus pour que je me d\u00e9p\u00eache de rejoindre mes \namis . \n\u2013 Nenni, camarade, r\u00e9pondit Ben, pas du tout. Tu es \nun bon gars, si je ne m\u2019abuse, mais tu n\u2019es qu\u2019un gamin \npour fi nir. Or, B en Gunn est rensei gn\u00e9. M \u00eame pour du \nrhum, on ne me ferait pas alle r l\u00e0 o\u00f9 tu vas. Non, pas \npour du rhum... jusqu\u2019 \u00e0 ce que j\u2019 aie vu t on \ngentilhomme de naissance et re\u00e7u sa parole d\u2019honneur. \nEt n\u2019oublie pas mes paroles : \u00ab Un riche coup (voil\u00e0 ce \nque tu diras), un riche coup plus de conf iance... \u00bb et \npuis tu le pi nces. \nEt il me pin\u00e7a pour l a troisi\u00e8me foi s avec le m\u00eam e \nair entendu. \n\u2013 Et quand on aura besoin de Ben Gunn, tu sauras \no\u00f9 le trouver, Jim. L\u00e0 m\u00eame o\u00f9 tu l\u2019as trouv\u00e9 \naujourd\u2019hui. Et que cel ui qui vi endra porte quelque \nchose de blanc \u00e0 la mai n, et qu \u2019il vienne seul... ah ! et \npuis tu diras ceci : \u00ab Ben G unn, que tu diras, a ses \nraisons \u00e0 lui. \u00bb \n\u2013 Bien, r\u00e9pliquai-je, il me semble que je comprends. \nVous avez une proposition \u00e0 fa ire, et vous d\u00e9sirez voir \nle chevalier ou le docteur ; et on vous trouvera o\u00f9 je \nvous ai trouv\u00e9. E st-ce tout ? \n\u2013 Et \u00e0 quel moment, di s ? ajouta-t-il. E h bien, \n 182mettons entr e midi et tr ois heur es environ. \n\u2013 Bon. Et maintenant puis-j e m\u2019en al ler ? \n\u2013 Tu n\u2019oubli eras pas ? demanda-t -il inqui \u00e8tement . \n\u00ab Un riche coup \u00bb et \u00ab des r aisons \u00e0 lui \u00bb, que t u diras. \nDes raisons \u00e0 lui, voil\u00e0 le principal ! Je te le dis en \nconfidence. Eh bien donc (e t il me tenait toujours), je \npense que tu peux aller, Jim. Et puis, Jim, si par hasard \ntu vois Silver, tu n\u2019iras pas vendre Ben Gunn ? On ne t e \ntirera pas les vers du nez ? \u00c0 aucun prix, dis ? Et si ces \npirates campent \u00e0 terre, Jim, que diras-tu s\u2019il y a des \nveuves au matin ? \nIl fut interrompu par une d\u00e9 tonation vi olent e, et un \nboulet de canon arriva, fr acassant les branches, et alla \ns\u2019enfoncer dans le sable, \u00e0 mo ins de cinquante toises de \nl\u2019endr oit o\u00f9 nous \u00e9tions arr\u00eat\u00e9s \u00e0 caus er. \u00c0 l\u2019i nstant, \nnous pr\u00ee mes la fuite \u00e0 t outes j ambes, chacun de notre \nc\u00f4t\u00e9. \nDurant une heure, l\u2019\u00eele tr embla sous les d\u00e9tonations \nr\u00e9p\u00e9t\u00e9es, et les boulets ne cess\u00e8rent de ravager les bois. \nJe passai s d\u2019une cachett e \u00e0 l\u2019autre, touj ours pour suivi, \nou du moins je m e l\u2019im aginais, par ces terrifiants \nprojectiles. Mais vers la fin du bombardement, sans \noser encore m\u2019aventurer du c\u00f4 t\u00e9 du fortin, o\u00f9 tombaient \nla plupart des boul ets, j\u2019 avais retr ouv\u00e9 mon cour age ; et , \napr\u00e8s un long circuit dans l\u2019es t, je descendi s au ri vage \nen me gli ssant par mi les ar bres. \n 183Le soleil venait de se coucher, la brise de mer se \nlevait, agitant les ramures et la surf ace terne du \nmouillage ; la mar\u00e9e, par aille urs, \u00e9tait presque basse, et \nd\u00e9couvrait de larges bancs de sable ; le vent, apr\u00e8s \nl\u2019ardeur du jour, me fai sait friss onner s ous ma var euse. \nL\u2019Hispaniola \u00e9tait touj ours ancr \u00e9e \u00e0 la m\u00eame place ; \nmais le Jolly Roge r se d\u00e9ployait \u00e0 son m\u00e2t. Tandis que \nje la consid\u00e9rais, je vis ja illir un nouvel \u00e9clair de feu, \nune autre d\u00e9tonation r\u00e9veilla les \u00e9chos, et un boulet de \nplus d\u00e9chira les airs. Ce fu t la fin de la canonnade. \nJe rest ai quelque temps \u00e0 \u00e9cout er le hour vari qui \nsucc\u00e9dait \u00e0 l\u2019attaque. Sur le rivage voisin de la \npalanque, on d\u00e9molissait qu elque chose \u00e0 coups de \nhache : notre infortun\u00e9 petit canot, comme je l\u2019appris \npar la suite. Plus loin, vers l\u2019embouchure de la rivi\u00e8re, \nun gr and br asier fl amboyait parmi l es arbres, et entr e ce \npoint et le navir e, une yol e faisait la navett e. Tout en \nmaniant l\u2019avi ron, l es hommes que j\u2019 avais vus si \nrenfrogn\u00e9s chantaient comme des enfants. Mais \u00e0 \nl\u2019intonation de leurs voix, on comprenait qu\u2019ils avai ent \nbu. \n\u00c0 la fin, je crus pouvoir regagner la palanque. Je me \ntrouvais ass ez loin sur la langue de terr e bass e et \nsablonneuse qui ferme le mou illage \u00e0 l\u2019est et se relie \nd\u00e8s la mi-mar\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00eelot du Squelette. En me mettant \ndebout, je d\u00e9couvris, un peu pl us loin sur la langue de \n 184terre et s\u2019\u00e9levant d\u2019entre les buissons bas, une roche \nisol\u00e9e, assez haute et d\u2019une blancheur particuli\u00e8re. Je \nm\u2019avis ai que ce devait \u00eatr e la roche blanche \u00e0 pr opos de \nlaquelle Ben Gunn m\u2019 avait dit que si un jour ou l\u2019autre \non avait besoi n d\u2019un canot , je saurais o\u00f9 l e trouver. \nPuis, longeant les bois, j\u2019at teignis enfin les derri\u00e8res \nde la palanque, du c\u00f4t\u00e9 du rivage, et fus bient\u00f4t \nchaleureusement accueilli par le parti fid\u00e8le. \nQuand j\u2019 eus bri \u00e8vement cont\u00e9 mon aventur e, je pus \nregar der aut our de moi . La ma ison \u00e9tait faite de troncs \nde pins non \u00e9quarris, qui co nstituaient le toit, les murs \net le plancher. C elui-ci dominait par endr oits d\u2019un pi ed \n\u00e0 un pi ed et demi le ni veau du sable. Un vestibule \npr\u00e9c\u00e9dait la porte, et sous ce vestibule la petite source \njaillissait dans une vasque ar tificielle d\u2019un genre assez \ninsolit e : ce n\u2019 \u00e9tait rien moins qu\u2019 un gr and chaudr on de \nnavir e, en fer, d\u00e9pour vu de son f ond et ent err\u00e9 dans le \nsable \u00ab jusqu\u2019\u00e0 la flottais on \u00bb, comme di sait le \ncapitaine. \nIl ne res tait gu\u00e8r e de la maison que la charpente : \ntoutefois dans un coin on vo yait une dalle de pierre qui \ntenait lieu d\u2019\u00e2tre, et une vie ille corbeille de fer rouill\u00e9e \ndestin\u00e9e \u00e0 cont enir le feu. \nSur l es pent es du monticul e et dans tout l\u2019i nt\u00e9rieur \ndu retranchement, on avai t abattu le bois pour \nconstruire le fortin, et les souches t\u00e9moignaient encore \n 185de la l uxuriance de cett e futaie. Apr\u00e8s sa destruction, \npresque toute la terre v\u00e9g\u00e9ta le avait \u00e9t\u00e9 d\u00e9lay\u00e9e par les \npluies ou ens evelie sous la dune ; au seul endr oit o\u00f9 l e \nruisselet se d\u00e9go rgeait du chaudron, un \u00e9pais tapis de \nmouss e, quel ques foug\u00e8r es et des buissons rampants \nverdoyaient encore parmi le s sables . Entourant l a \npalanque de tr\u00e8s pr\u00e8s \u2013 de tr op pr\u00e8s pour la d\u00e9fense, \ndisai ent mes compagnons \u2013 la for\u00eat po ussait tou jours \nhaute et dr ue, exclusivement compos\u00e9e de pins du c\u00f4t \u00e9 \nde la terre, et avec une fo rte proportion de ch\u00eanes verts \ndu c\u00f4t\u00e9 de la mer. \nL\u2019aigre brise du s oir dont j \u2019ai parl\u00e9 sifflait par tout es \nles fiss ures de la r udiment aire constr uction, et \nsaupoudr ait le plancher d\u2019 une plui e continuel le de s able \nfin. Il y avait du sable dans nos yeux, du sable entre nos \ndents, du sabl e dans notr e souper, du sable qui dansait \ndans la source au fond du ch audron, rappelant tout \u00e0 fait \nune soupe d\u2019avoine qui commence \u00e0 bouillir. Une \nouverture carr\u00e9e dans le to it formait notre chemin\u00e9e : \nelle n\u2019\u00e9vacuait qu\u2019une faible pa rtie de la f um\u00e9e, et l e \nreste tournoyait dans la ma ison, ce qui nous faisait \ntousser et larmoyer. \nAjoutez \u00e0 cela que Gray, notre nouvelle recrue, avait \nla t\u00eate envelopp\u00e9e d\u2019un bandage, \u00e0 cause d\u2019une \nestafilade qu\u2019il avait re\u00e7ue en \u00e9chappant aux mutins, et \nque le cadavre du vieux Re druth, non ent err\u00e9 encor e, \n 186gisait aup r\u00e8s du mur, roide, sous l\u2019Un ion Jac k. \nS\u2019il nous e\u00fbt \u00e9t \u00e9 permi s de rest er ois ifs, nous seri ons \ntomb\u00e9s dans la m\u00e9lancolie ; mais on n\u2019avait rien \u00e0 \ncraindre de ce genre avec le capitain e Smollett. Il nous \nfit tous ranger devant lui et nous distribua en bord\u00e9es. \nLe docteur, Gr ay et moi, d\u2019une part ; le chevali er, \nHunter et Joyce, de l\u2019autre. Malgr\u00e9 la fatigue g\u00e9n\u00e9rale, \ndeux hommes furent envoy\u00e9s \u00e0 la corv\u00e9e de bois \u00e0 \nbr\u00fbler ; deux autres occup\u00e9 s \u00e0 creuser une fosse pour \nRedruth ; le docteur fut nomm\u00e9 cuisinier ; je montai la \ngarde \u00e0 la porte ; et le capi taine lui-m\u00eame allait de l\u2019un \n\u00e0 l\u2019autre, nous stimul ant et donnant un coup de mai n o\u00f9 \nil en \u00e9t ait besoin. \nDe temps \u00e0 autre, le docteur venait \u00e0 la porte pour \nrespirer un peu et reposer ses yeux tout rougis par la \nfum\u00e9e, et il ne manquait jamais de m\u2019adresser la parole. \n\u2013 Ce Smollett, pronon\u00e7a-t -il une fois, vaut mieux \nque moi, Jim. Et ce que je dis l\u00e0 n\u2019est pas un mince \n\u00e9loge. \nUne autre fois, il resta d\u2019abord un moment \nsilencieux. Puis il pencha la t\u00eate de c\u00f4t\u00e9 et me \nconsid\u00e9ra, en demandant : \n\u2013 Ce Ben Gunn est -il un homme comme l es autr es ? \n\u2013 Je ne sais, mon sieur, r\u00e9pondis-je. Je ne suis pas s\u00fbr \nqu\u2019il soit sain d\u2019esprit. \n 187\u2013 S\u2019il y a l\u00e0-dessus le mo indre doute, c\u2019est qu\u2019il \nl\u2019est. Quand on a pass\u00e9 troi s ans \u00e0 se ronger les ongles \nsur une \u00ee le d\u00e9s erte, on ne peut vrai ment par a\u00eetre aus si \nsain d\u2019 esprit que vous et mo i. Ce serait contraire \u00e0 la \nnature. C\u2019est bi en du fr omag e dont il dit qu\u2019il a envie ? \n\u2013 Oui, monsieur, du fr omage. \n\u2013 Eh bien, Jim, voyez qu\u2019il est parfois bon d\u2019avoir le \ngo\u00fbt raffin\u00e9. Vous connai ssez ma tabati\u00e8re, n\u2019est-ce \npas ? et vous ne m\u2019avez j amais vu pris er : la raison en \nest que je garde dans cette tabati\u00e8re un morceau de \nparmesan... un fromage fait en Italie, tr\u00e8s nutritif. Eh \nbien ! voil\u00e0 pour Ben Gunn ! \nAvant de manger notr e souper , nous enter r\u00e2mes le \nvieux Tom dans le sable, et rest\u00e2mes autour de lui \nquelques instants \u00e0 nous recueillir, t\u00eate nue sous la \nbrise. On avait r entr\u00e9 une bonne pr ovisi on de boi s \u00e0 \nbr\u00fbler, mais le capitaine la ju gea insu ffisan te ; \u00e0 sa vue, \nil hocha la t\u00eate et nous d\u00e9 clara qu\u2019\u00ab il faudrait s\u2019y \nremettr e demain un peu pl us acti vement \u00bb. Puis, not re \nlard mang\u00e9, et quand on eu t distribu\u00e9 \u00e0 chacun un bon \nverre de gr og \u00e0 l\u2019 eau-de-vi e, les troi s chefs s e r\u00e9unirent \ndans un coin pour exam iner la situation. \nIls se trouvaient, para\u00eet-il, fort en peine, car les \nprovisions \u00e9taient si basses que la famine devait nous \nobliger \u00e0 capituler bien avant l\u2019arriv\u00e9e des secours. \nNotre meilleur espoir, conclure nt-ils, \u00e9tait de tuer un \n 188nombre de fli bustiers as sez gr and pour les d\u00e9ci der, soit \n\u00e0 baisser pavillon, soit \u00e0 s\u2019enfuir avec l\u2019 Hispaniola . De \ndix-neuf au d\u00e9but, ils \u00e9taien t d\u00e9j\u00e0 r\u00e9duits \u00e0 quinze ; ils \navaient de plus deux bl ess\u00e9s, dont l\u2019un au moins \u2013 \nl\u2019homme atteint \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du ca non \u2013 l\u2019 \u00e9tait gri \u00e8vement, si \nm\u00eame il vivait encore. Chaque fois qu\u2019une occasion se \npr\u00e9senterait de faire feu sur e ux, il fallait la saisir, tout \nen m\u00e9nageant nos vies avec to ut le soin possi ble. En \noutre, nous avions de ux puissants alli\u00e9s : le rhum et le \nclimat. \nPour le pr emier, bien qu \u2019\u00e9tant \u00e0 envir on un demi-\nmille des mutins, nous les en tendions brailler et chanter \njusqu\u2019\u00e0 une heure avanc\u00e9e de la nuit ; et pour le second, \nle docteur gageait sa perruq ue que, camp\u00e9s dans le \nmarigot et d\u00e9pourvus de rem \u00e8des, la moiti\u00e9 d\u2019entre eux \nserait sur le flanc avant huit jours. \n\u2013 Et alors, ajouta-t-il, si nous ne sommes pas tous \ntu\u00e9s auparavant, ils seront bi en aises d e se remba ller su r \nla go\u00e9l ette. C\u2019est toujours un navir e, et ils pourr ont se \nremettre \u00e0 la flibuste. \n\u2013 Le premier b\u00e2timent que j\u2019 aurai jamais perdu ! \nsoupira le capitaine Smollett. \nJ\u2019\u00e9tais mort de f atigue, comme on peut le cr oire ; et \nlorsque j\u2019allai me coucher, ce qui arriva seulement \napr\u00e8s encore beaucoup de va-e t-vient, je dormis comme \nune souche. \n 189Les autres \u00e9taient lev\u00e9s de puis longtemps, avai ent \nd\u00e9j\u00e0 d\u00e9jeun\u00e9 et augment \u00e9 de pr\u00e8s de moiti \u00e9 la pile de \nbois \u00e0 br \u00fbler, quand je f us \u00e9veill\u00e9 par une alert e et un \nbruit de voix. \n\u2013 Un parlementaire, en tendis-je prononcer. \nPuis, tout aussit\u00f4t, avec une exclamation \nd\u2019\u00e9tonnement : \n\u2013 Silver en personne ! \nJe me levai d\u2019un bond et , me frottant les yeux, \ncourus \u00e0 une meur tri\u00e8re. \n 190 \n \nXX \n \nL\u2019ambassade de Silver \n \nEn effet, juste au-del\u00e0 du retranchement, il y avait \ndeux hommes : l\u2019un agitait une \u00e9toffe blanche, l\u2019autre, \nrien moins que Silver lui-m\u00ea me, se tenait paisiblement \n\u00e0 son c\u00f4t \u00e9. \nIl \u00e9tait encore tr\u00e8s t\u00f4t, et il faisait ce matin-l\u00e0 plus \nfroid que je ne l\u2019ai jamais \u00e9prouv\u00e9 dans ce voyage. On \nfrissonnait, transi jusqu\u2019aux moell es. Le ciel s\u2019\u00e9t alait \nclair et s ans nuage, et le soleil rosissait les cimes des \narbres. Mais l\u2019endroit o\u00f9 se trouvait Silver et son \nacolyte \u00e9tait encor e dans l\u2019ombr e, et ils enfon\u00e7ai ent \njusqu\u2019aux genoux dans un br ouillard \u00e9pais et blanc qui \n\u00e9tait mont\u00e9 du marigot pendan t la nuit . Ce froid et ce \nbrouillard pris ensembl e donna ient de l\u2019\u00eele une pi\u00e8tre \nopinion. C\u2019\u00e9tait \u00e9vi demment un endroit humide, \nfi\u00e9vreux et mals ain. \n\u2013 Restez \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, mes amis, or donna le \ncapitaine. Dix contre un que c\u2019est une ruse ! \nPuis, h\u00e9lant le flibustier : \n 191\u2013 Qui vive ? Halte-l\u00e0 , ou l\u2019on fait feu ! \n\u2013 Pavillon parlementaire ! cria Silver. \nLe capitaine \u00e9tait sous le vesti bule, se d\u00e9filant \nsoigneusement, par crainte d\u2019un e balle tir\u00e9e en tra\u00eetrise. \nIl s\u2019adressa \u00e0 nous : \n\u2013 La bord\u00e9e du docteur, \u00e0 veiller ! Docteur Livesey, \nprenez le c\u00f4t\u00e9 nord, s\u2019il vous pla\u00eet ; Jim, l\u2019est ; Gray, \nl\u2019ouest . L\u2019autre bord\u00e9e, tout le monde \u00e0 char ger les \nmous quets. Vi vement, l es hommes, et m\u00e9fiez-vous. \nPuis, derechef aux mutins : \n\u2013 Et qu\u2019est-ce que vous vou lez, avec votre pavillon \nparlementaire ? \nCette fo is, ce fut l\u2019au tre indivi du qui r\u00e9pondi t : \n\u2013 C\u2019est le capit aine Silver , monsi eur, qui vi ent vous \nfaire des propositi ons. \n\u2013 Le capitaine Silver ? Connais pas ! Qui est-ce ? \ns\u2019\u00e9cria le capitaine. \nEt nous l\u2019entend\u00eemes ajouter \u00e0 part lui : \n\u00ab Capitaine ? ah bah ! Ma par ole, en voil\u00e0 de \nl\u2019avancement ! \u00bb \nLong John r\u00e9pliqua lui-m\u00eame : \n\u2013 C\u2019est moi , monsieur . Ces pauves gar s m\u2019ont chois i \ncomme capit aine, monsi eur, apr\u00e8s votre d\u00e9sertion. (Et il \n 192appuya fortement sur le mo t.) Nous s ommes pr\u00eats \u00e0 \nnous soumettre sans bargui gner, si nous pouvons en \nvenir \u00e0 un accor d avec vous . Tout ce que je vous \ndemande, capitaine Smollett, c\u2019est votre parole de me \nlaisser sortir sain et sauf de cette palanque et de me \ndonner une minute pour me mettre hors de port\u00e9e, avant \nd\u2019ouvrir le feu. \n\u2013 Mon gar\u00e7on, dit le capitai ne Smollett, je n\u2019ai pas \nla moindre envie de causer avec vous. Si vous d\u00e9sirez \nme parler, vous pouvez ve nir, voil\u00e0 tout. S\u2019il y a \nquelque tra\u00eetrise, elle viendra de votre c\u00f4t\u00e9, et que le \nSeigneur vous en pr\u00e9s erve. \n\u2013 Cela me suffit, capitain e, lan\u00e7a gaiement Long \nJohn. Un mot de vous me su ffit. Je sais reconna\u00eetre un \ngalant homme, vous po uvez en \u00eatre s\u00fbr. \nNous v\u00ee mes l\u2019i ndividu au dr apeau bl anc tent er de \nretenir Silver. Et cela se comprenait, vu la r\u00e9ponse \ncavali\u00e8re faite par le capitain e. Mais Silver lui \u00e9clata de \nrire au nez et lu i donna une claque da ns le dos, comme \ns\u2019il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 abs urde de s\u2019 alarmer. Puis il s\u2019approcha de \nla palissade, jeta sa b\u00e9qu ille par-dessus, lan\u00e7a une \njambe en l\u2019air, et \u00e0 f orce de vigueur et d\u2019adresse, r\u00e9ussit \n\u00e0 escalader le retranchement et \u00e0 r etomber s ans accident \nde l\u2019autre c\u00f4t\u00e9. \nJe dois avouer que j\u2019\u00e9tai s beaucoup trop occup\u00e9 de \nce qui se passait pour \u00eatre de la moindre utilit\u00e9 comme \n 193sentinelle. En effet, j\u2019 avais d\u00e9j\u00e0 abandonn\u00e9 ma \nmeurtri\u00e8re de l\u2019est, pour me glisser derri\u00e8re le capitaine. \nIl s\u2019\u00e9tait assis sur le seuil, les coudes aux genoux, la t\u00eate \nentre le s ma ins, et les ye ux fix \u00e9s su r l\u2019eau qui \ngargouillait parmi le sable au sortir du vieux chaudron \nde fer. Il sifflait entre se s dents : \u00ab Venez, filles et \ngar\u00e7ons. \u00bb \nSilver eut une peine effroy able \u00e0 parvenir au haut du \nmonticule. Gr\u00e2ce \u00e0 la roideu r de la pente, aux multiples \nsouches d\u2019arbres et au sable mou, il \u00e9tait aussi emp\u00eatr\u00e9 \navec sa b\u00e9quille qu\u2019un batea u par vent debout. Mais il \ns\u2019acharna muettement, comme un brave, et ar riva enfi n \ndevant le capitaine, qu\u2019il salu a de la plus noble fa\u00e7on. Il \ns\u2019\u00e9tait par\u00e9 de son mieux : un habit bleu d\u00e9mesur\u00e9, \nsurcharg\u00e9 de boutons de cu ivre, lui pendait jusqu\u2019aux \ngenoux, et un chap eau superbement ga lonn\u00e9 se campait \nsur son occiput. \n\u2013 Vous voil \u00e0, mon gar\u00e7on, lui dit le capit aine en \nrelevant la t\u00eate. Je vous conseille de vous asseoir. \n\u2013 N\u2019allez-vous pas me la isser entrer, capitaine ? \nr\u00e9clama Long John. Il fait bien froid ce matin, \nmonsieur, pour s\u2019asseoir dehors sur le sable. \n\u2013 Eh ! Silver, r\u00e9pondit le capitaine, si vous aviez \nconsenti \u00e0 rester un honn\u00eate homme, vous seriez \nmaintenant assis dans votre cu isine. C\u2019est votre faute. \nVous \u00eates, ou bien le coq de mon navir e \u2013 et vous \n 194n\u2019aviez pas \u00e0 vous pl aindre \u2013 ou bi en le capitaine \nSilver, un vul gaire muti n, un pirate, et dans ce cas , vous \npouvez aller vous faire pendre ! \n\u2013 Bien, bien, capitaine, r\u00e9 pondit le ma\u00eetre coq, en \ns\u2019asseyant sur le s able comme on l\u2019 y invitait , vous me \ndonnerez un coup de main pour me relever, voil\u00e0 tout. \nUn bien joli endroit que vous avez choisi l\u00e0. Tiens, \nvoici Jim ! Je te souhaite bien le bonjour, Jim. Docteur, \nje vous pr\u00e9sente mes respects. Allons, vous \u00eates tous \nr\u00e9unis comme une heureuse famille, pour ainsi \nm\u2019expri mer... \n\u2013 Si vous avez quelque chos e \u00e0 dire, mon gar\u00e7on, je \nvous conseille de parler, in terrompit le capitaine. \n\u2013 Vous avez raison, capita ine Smollett. Le devoir \navant tout, pour s\u00fbr. Eh bi en, dites donc, vous nous \navez jou\u00e9 un bon to ur la nuit derni\u00e8re. Je ne le nie pas, \nc\u2019\u00e9tait un bon tour . Cert ains d\u2019entr e vous s ont joliment \nhabiles \u00e0 manier l\u2019anspect. Et je ne nie pas non plus qu e \nplusieurs de mes gens en ont \u00e9t\u00e9 un peu \u00e9branl\u00e9s... voire \ntous l\u2019ont \u00e9t\u00e9 ; voire je l\u2019ai \u00e9t\u00e9 moi- m\u00eame, et c\u2019est peut-\n\u00eatre pour cela que je suis ve nu ici offrir des conditions. \nMais faites attention, capitai ne, \u00e7a ne prendrait pas deux \nfois, cr\u00e9 tonnerr e ! Nous allons monter l a garde, et \nmollir d\u2019un quart ou deux sur le chapitre du rhum. Vous \npensez peut- \u00eatre que nous \u00e9tions tous compl \u00e8tement \ngris. Mai s je puis vous affi rmer que, moi, je n\u2019 avais pas \n 195bu ; seulement, j\u2019 \u00e9tais crev\u00e9 de f atigue ; et si je m\u2019\u00e9t ais \nr\u00e9veill \u00e9 une s econde pl us t\u00f4t, je vous attrapais sur le \nfait. Il n\u2019 \u00e9tait pas mort quand j e suis arri v\u00e9 aupr \u00e8s de \nlui, non, pas encore. \n\u2013 Apr\u00e8s ! fit le capitaine Smollett, aussi impassible \nque j amais. \nTout ce que Silver venait de lui dire \u00e9tait pour lui de \nl\u2019h\u00e9breu, mais on ne l\u2019aurait jamais cru \u00e0 son \nintonation. Quant \u00e0 moi, je commen\u00e7ais \u00e0 deviner. Les \nderniers mots de Ben Gunn me revinrent \u00e0 l a m\u00e9moi re. \nJe compris qu\u2019il avait re ndu visite aux flibustiers \npendant qu\u2019ils gisaient tous ivres morts autour de leur \nfeu, et je me r\u00e9jouis de calculer qu\u2019il ne nous restait \nplus que quat orze ennemis \u00e0 combat tre. \n\u2013 Eh bien, voi ci, dit Silver . Nous voul ons ce tr\u00e9s or, \net nous l\u2019 aurons : voil \u00e0 notre poi nt de vue. Vous d\u00e9s irez \ntout aut ant sauver vos exis tences, j e suppos e : voil\u00e0 le \nv\u00f4tre. Vous avez une carte, pas vrai ? \n\u2013 C\u2019est bien possible, r\u00e9pliqua le capitaine. \n\u2013 Oh ! si fait, vous en avez une, je le sais... Ce n\u2019est \npas la peine d\u2019 \u00eatre si rai de avec les gens, cela n\u2019a rien \u00e0 \nvoir avec le service, croyez-mo i... Ce que je veux dire, \nc\u2019est qu\u2019 il nous f aut votr e carte. Mais je ne vous veux \npas de mal, pour ma part... \n\u2013 \u00c7a ne prend pas avec moi, mon gar\u00e7on, \n 196interrompit le capitaine. Nous connaissons exactement \nvos intentions, et peu nous importe, car d\u00e9sormais, \nsachez-le, vous ne pouv ez plus les r\u00e9aliser. \nEt, le regardant avec placid it\u00e9, le capitaine se mit \u00e0 \nbourr er une pi pe. \n\u2013 Si Abraham Gray... commen\u00e7a Silver. \n\u2013 Assez ! cria M. Smolle tt. Gr ay ne m\u2019a ri en \nracont\u00e9, et je ne lui ai rien de mand\u00e9 ; et qui plus est, je \npr\u00e9f\u00e9rer ais vous voir, vous et lui et tout e cett e \u00eele, s auter \nen l\u2019air et retomber en mille morceaux. Voil\u00e0 ce que \nvous devez savoir, mon gar\u00e7on, \u00e0 ce sujet. \nCette petite bouff\u00e9e d\u2019humeu r eut pour r\u00e9sultat de \ncalmer Silver . Son d\u00e9but d\u2019i rritation tomba, et il se \nressaisit : \n\u2013 \u00c7a se peut ben, dit-il. Je n\u2019ai pas \u00e0 d\u00e9t erminer ce \nque les gens comme il faut peuvent juger correct ou \nnon, suivant le cas. Et pu isque vous vous appr\u00eatez \u00e0 \nfumer une pipe, capitai ne, je prendrai la libert\u00e9 d\u2019en \nfaire aut ant. \nIl bourra sa pipe et l\u2019alluma. Pendant un bon \nmoment, les deux hommes rest\u00e8rent \u00e0 fumer sans mot \ndire, t ant\u00f4t se regardant co mme des chiens de fa\u00efence, \ntant\u00f4t renfor\u00e7ant leur taba c, tant\u00f4t se penchant pour \ncracher. On se sera it cru au spectacle. \n\u2013 Maintenant, reprit Silver, voici. Vous nous donnez \n 197la carte pour nous permettre de trouver le tr\u00e9sor, et vous \ncessez de canarder les pauvres ma telots et de leur casser \nla t\u00eate pendant leur sommeil. Faites cela, et nous vous \ndonnons \u00e0 choisir... Ou bien vous venez \u00e0 bord avec \nnous , une f ois le tr\u00e9s or embar qu\u00e9, et al ors je pr ends \nl\u2019engagement, sur ma pa role d\u2019honneur, de vous \nd\u00e9poser \u00e0 terre quelque part sains et saufs. Ou, si cela \nn\u2019est pas de votre go\u00fbt, vu que plusieurs de mes \nhommes sont un pe u brutaux et ont de vieilles rancunes \n\u00e0 caus e des puni tions , alors vous pouvez rest er ici. \nNous partagerons les provis ions avec vous, \u00e0 parts \n\u00e9gales ; et je prends l\u2019 engagement, comme ci-devant, \nd\u2019avertir le premier bateau que je rencontrerai et de \nl\u2019envoyer ici vous pr endre. Vo il\u00e0 qui est parler, vous le \nreconna\u00eetrez. De meilleure pr oposition, vous ne pouviez \npas en attendre, c\u2019est impossible. Et j\u2019esp\u00e8re (il \u00e9leva la \nvoix) que tous l es matel ots pr\u00e9sents dans ce blockhaus \nr\u00e9fl\u00e9chiront \u00e0 mes paroles, car ce que je dis pour l\u2019un, je \nle dis pour t ous. \nLe capitaine Smollett se leva de s a place, et, d\u2019 un \ncoup sec sur la paume de sa main gauch e, vida le cul ot \nde sa pipe. \n\u2013 Est-ce tout ? demanda-t-il. \n\u2013 C\u2019est mon t out dernier mot, cr\u00e9 tonnerre ! r\u00e9pondit \nJohn. Refusez cela, et vous n\u2019aurez plus de moi que des \nballes de mousquet. \n 198\u2013 Tr\u00e8s bien, dit l e capitai ne. \u00c0 mon tour de parler. Si \nvous venez ici un par un, d\u00e9 sarm\u00e9s, je m\u2019engage \u00e0 vous \nflanquer tous aux fers, et \u00e0 vous ramener en Anglet erre \no\u00f9 vous serez jug\u00e9s dans les formes. Si vous refusez, \nsachez que je m\u2019appelle Al exandre Smollett, que j\u2019ai \nhiss\u00e9 les couleur s de mon souver ain, et que j e vous \nexp\u00e9di erai tous \u00e0 ma\u00eetr e Luci fer... Vous ne pouvez pas \nd\u00e9couvrir le tr\u00e9sor. Vous ne pouvez pas man\u0153uvrer le \nnavir e... il n\u2019est pas un homme par mi vous qui en s oit \ncapable. Vous ne pouvez pa s nous combattre... Gray, \nque voil\u00e0, est venu \u00e0 bout de cinq des v\u00f4tres. Votre \nnavir e est livr\u00e9 au vent, ma\u00eetr e Silver ; vous \u00eates pr \u00eat \u00e0 \nfaire c\u00f4te, et vous ne tarder ez pas \u00e0 vous en apercevoir. \nJe reste ici, je vous le d\u00e9clar e ; et c\u2019est la derni\u00e8re fois \nque je vous parle en ami, ca r, j\u2019en att este le ci el, la \nprochaine fois que je vous r encontrerai, je vous logerai \nune ball e dans l e dos. Oust e, mon gar\u00e7on. D\u00e9barr assez-\nnous le plancher , je vous prie, un peu vite, et au trot. \nLe vis age de Silver \u00e9tait \u00e0 peindre : de fureur, les \nyeux lui sortaient de la t\u00eate. Il sec oua sa pipe encore en \nfeu. \n\u2013 Aidez-moi \u00e0 me rele ver ! s\u2019\u00e9c ria-t-il. \n\u2013 Jamais de la vi e, r\u00e9pliqua le capitaine. \n\u2013 Qui va m\u2019aider \u00e0 me relever ? hurla-t-il. \nPersonne ne bougea. Poussant les plus affreuses \n 199impr\u00e9cations, il se tra\u00eena su r le sable jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il \np\u00fbt s\u2019accrocher \u00e0 la paroi du vestibule et se r\u00e9installer \nsur sa b\u00e9quille. Puis il cracha dans la source. \n\u2013 Voil\u00e0, cria-t-il, voil \u00e0 ce que je pens e de vous. \nAvant que l\u2019heure soit \u00e9cou l\u00e9e, je vous flamberai \ncomme un bol de punch, da ns votre vieux blockhaus. \nRiez, cr \u00e9 tonnerr e ! riez ! av ant que l\u2019heure soit \u00e9coul\u00e9e, \nvous rirez \u00e0 l\u2019envers. Ceux qui mourront seront les plus \nheureux. \nEt avec un effroyable blasph\u00e8me, il s\u2019\u00e9loigna \np\u00e9niblement , labour ant le s able mou ; puis , apr\u00e8s quat re \nou cinq t entatives infructueuses, il franchit la palissade \navec l\u2019aide de l\u2019homme au pavillon blanc, et disparut \nentre les arbres. \n 200 \n \nXXI \n \nL\u2019attaque \n \nD\u00e8s que Silver eut dispar u, le capitaine, qui n\u2019avait \ncess\u00e9 de le s urveiller, se retourna vers l\u2019i nt\u00e9rieur de l a \nmaison et constata que, sa uf Gray, personne n\u2019\u00e9tait \u00e0 \nson poste. Ce fut la premi\u00e8 re fois que nous le v\u00eemes \nr\u00e9ellement en col \u00e8re. \n\u2013 \u00c0 vos postes ! rugit-il. (Puis, quand nous e\u00fbmes \nregagn\u00e9 nos places :) Gray, je vous si gnalerai sur le \njournal de bord ; vous avez accompli votre devoir en \nvrai marin. Monsieur Tr elawney, votr e condui te \nm\u2019\u00e9tonne. Et vous, docteur, vous avez port\u00e9 l\u2019uniforme \nroyal, je pense. Si c\u2019es t ainsi que vous serviez \u00e0 \nFontenoy, monsieur, vous au riez mieux fait ce jour-l\u00e0 \nde rester couch\u00e9. \nLa bor d\u00e9e du doct eur \u00e9tait retour n\u00e9e au x \nmeurtri\u00e8res ; les autres s\u2019occupaient \u00e0 charger les \nmousquets de r\u00e9serve, mais chacun \u00e9tait rouge et avait \nl\u2019oreille basse. \nLe capitaine nous regard a une minut e en silence. \n 201Puis il reprit la parole : \n\u2013 Mes amis, j\u2019ai envoy\u00e9 une bord\u00e9e \u00e0 Silver. Je l\u2019ai \nchauff \u00e9 au rouge, \u00e0 dess ein. Avant que l\u2019heure soit \n\u00e9coul\u00e9e, comme i l dit, nous serons attaqu\u00e9s . Ils ont la \nsup\u00e9riorit\u00e9 du nombre, inutile de vous le dire, mais \nnous combattrons \u00e0 couvert ; et, il y a une minute, \nj\u2019aurais ajout\u00e9 : avec disciplin e. Nous les rosserons, si \nvous le voul ez, j\u2019 en suis persuad\u00e9. \nPuis il fit sa ronde, et v it, comme il disait, que tout \n\u00e9tait par \u00e9. \nSur les deux petits c\u00f4t\u00e9s du fortin, \u00e0 l\u2019est et \u00e0 \nl\u2019ouest, il n\u2019y avait que deux meurtri\u00e8res ; du c\u00f4t\u00e9 sud, \no\u00f9 se trouvait l\u2019entr\u00e9e, deux \u00e9g alement , et du c\u00f4t\u00e9 nor d, \ncinq. Nous disposions, pour nous sept, d\u2019une vingtaine \nde mous quets. On avait en tass\u00e9 le bois \u00e0 br \u00fbler en \nquatre piles, formant des ta bles, une vers le milieu de \nchaque c\u00f4t\u00e9, et sur ces tables se trouvaient dispos\u00e9s, \u00e0 \nport\u00e9e des d\u00e9fenseurs, de s muni tions avec quatr e \nmousquets charg\u00e9s. Au centre, s\u2019alignai ent les cout elas. \n\u2013 Renversez le feu, dit le capit aine, le fr oid est \npass\u00e9, et il ne nous faut pa s de fum\u00e9e dans les yeux. \nLa corbeille de fer fut em port\u00e9e en bloc au-dehors \npar M. Trel awney, qui di spersa les char bons dans le \nsable. \n\u2013 Hawkins n\u2019a pas eu \u00e0 d\u00e9 jeuner. Hawkins, prenez \n 202votre portion, et retour nez la manger \u00e0 votr e post e. \nVivement donc, mon gar\u00e7on : ce n\u2019 est pas l\u2019heur e de \ntra\u00eener. Hunter, distribue une tourn\u00e9e d\u2019eau-de-vie \u00e0 \ntout le monde. \nEt, pendant que ces ordres s\u2019ex\u00e9cutaient, le capitaine \nr\u00e9glait dans sa t\u00eate le plan de d\u00e9f ense. \n\u2013 Docteur, vous occuperez la porte. Il faut que vous \nvoyiez, s ans vous exposer : tirez par le ves tibule, de \nl\u2019int\u00e9rieur. Hunter, prenez le c\u00f4t\u00e9 est, ou i, celui-l\u00e0. \nJoyce, restez \u00e0 l\u2019ouest, mon gar\u00e7on. Monsieur \nTrelawney, vous \u00eates le meilleur tireur : vous prendrez \navec Gray le grand c\u00f4t\u00e9 du nord, aux ci nq meurtri\u00e8r es ; \nc\u2019est l\u00e0 que se trouve le danger. S\u2019ils par viennent \njusque-l\u00e0, et qu\u2019ils tiren t sur nous par nos pr opres \nsabor ds, \u00e7a commencer a \u00e0 s entir mauvai s. Hawki ns, \nvous ne val ez gu\u00e8re pl us que moi comme t ireur : nous \nresterons l\u00e0 pour recharger et pr\u00eat er main-forte. \nSur ces entrefaites, le froi d \u00e9tait pass\u00e9. Aussit\u00f4t qu\u2019il \neut d\u00e9pass\u00e9 notre enceinte d\u2019 arbres, le soleil dans sa \nforce dar da sur la clairi \u00e8re, et but d\u2019un trait les vapeurs. \nBient \u00f4t le sable f ut br\u00fblant et l a r\u00e9sine s e liqu\u00e9fi a dans \nles troncs du blockhaus. On d\u00e9pouilla vareuses et \nhabits, on rabattit les cols de s chemises, on retroussa les \nmanches jusqu\u2019aux \u00e9paules, et nous attend\u00eemes l\u00e0, \nchacun \u00e0 s on poste, enfi\u00e9vr \u00e9s par la chal eur et \nl\u2019inqui\u00e9tude. \n 203Une heur e s\u2019\u00e9coul a. \n\u2013 Zut pour eux ! fit le cap itaine. On s \u2019assomme i ci \nplus que dans le pot- au-noir. Gray, siffl ez pour fai re \nvenir l e vent . \nCe fut alors que se manifest\u00e8rent les premiers \nsympt\u00f4mes de l\u2019attaque. \n\u2013 Pardon, monsieur, dit Joyc e, si je vois quel qu\u2019un, \ndois-je tirer dessus ? \n\u2013 Je vous l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit ! s\u2019impatienta le capitaine. \n\u2013 Merci, monsi eur, r \u00e9pliqua Joyce, avec l a m\u00eame \npolitesse placide. \nIl ne se produisit rien tout d\u2019abor d, mais la remarque \nnous avait tous mis en aler te. L\u2019\u0153il et l\u2019oreille aux \naguets, les mousquetaires soupe saient leurs fusils. Isol\u00e9 \nau centre du blockhaus, le capitaine pin\u00e7ait les l\u00e8vres \nd\u2019un air soucieux. \nQuelques secondes pass\u00e8ren t. Soudain Joyce \u00e9paula \net fit feu. La d\u00e9tonation r oulait encore, que plusieurs \nautres lui r\u00e9pliqu\u00e8rent en une d\u00e9charge prolong\u00e9e, par \ncoups successifs venant \u00e0 la file indi enne, de t ous l es \nc\u00f4t\u00e9s de l\u2019encl os. Plusieurs balles frapp\u00e8rent la maison \nde rondins, mais pas une n\u2019y p\u00e9n\u00e9tra. Quand la fum\u00e9e \nse fut dissip\u00e9e, la palanque et les bois d\u2019alentour \nr\u00e9apparur ent, aussi tranquill es et d\u00e9serts qu\u2019auparavant. \nPas une branche ne remuait, pas un canon de fusil ne \n 204luisait, qui eussent r\u00e9v\u00e9l\u00e9 la pr\u00e9sence de nos ennemis. \n\u2013 Avez-vous touch\u00e9 vot re homme ? demanda le \ncapitaine. \n\u2013 Non, monsi eur, r\u00e9pondi t Joyce. Je ne crois pas, \nmonsi eur. \n\u2013 \u00c7a ressembl e fort \u00e0 la v\u00e9r it\u00e9, mur mura le \ncapitaine. Chargez son fu sil, Hawki ns. Combi en \npensez-vous qu\u2019ils \u00e9taient de votre c\u00f4t\u00e9, docteur ? \n\u2013 Je puis le di re exact ement . On a tir \u00e9 trois coups de \nce c\u00f4t\u00e9. J\u2019ai vu les tro is \u00e9clairs... deux tout pr\u00e8s l\u2019un de \nl\u2019autre, et un plus \u00e0 l\u2019 ouest . \n\u2013 Trois ! r\u00e9pliqua le capitai ne. Et combi en de vot re \nc\u00f4t\u00e9, monsieur Trelawney ? \nMais la r\u00e9ponse fut moins ais\u00e9e. Il en \u00e9tait venu \nbeaucoup, du nord... sept au compte du chevalier, huit \nou neuf suivant Gray. De l\u2019est et de l\u2019ouest un s eul \ncoup. Il \u00e9tait donc \u00e9vi dent que l\u2019attaque viendrait du \nnord, et que s ur les trois autres c\u00f4t \u00e9s, nous n\u2019 aurions \u00e0 \nfaire face qu\u2019\u00e0 un simul acre d\u2019hostilit\u00e9s. Mais le \ncapitaine Smollett ne modifi a en rien ses dispositions. \nSi les mutins, raisonnait-il, arrivaient \u00e0 franchir la \npalanque, ils prendraient possession de toutes les \nmeurtri\u00e8res inoccup\u00e9es et n ous canarderaient comme \ndes rats dans notre forteresse m\u00eame. \nD\u2019ailleurs on ne nous laissa gu\u00e8re le temps de \n 205r\u00e9fl\u00e9chir. Pouss ant un vi olent hourra, une minuscule \nnu\u00e9e de pirates s\u2019\u00e9lan\u00e7a des bo is, c\u00f4t\u00e9 nord, et accourut \ndroit \u00e0 la palanque. En m\u00ea me temps, de derri\u00e8re les \narbres, la fusillade reprit, et un bisca\u00efen, traversant \nl\u2019entr\u00e9e, fit voler en \u00e9clats le mousquet du docteur. \nTelle une bande de singes , les assaillants surgirent \nau haut de la cl\u00f4ture. Le che valier et Gray tir\u00e8rent coup \nsur coup : trois hommes t omb\u00e8r ent, l\u2019un t\u00eat e premi\u00e8re \ndans le retranchement, deux \u00e0 la renverse, au-dehors. \nMais l\u2019 un de ceux- ci \u00e9tait \u00e9videmment plus eff ray\u00e9 que \nbless\u00e9, car il se retrouva debou t \u00e0 la seconde, et disparut \naussit\u00f4t parmi les arbres. \nDeux ennemis avaient mord u la poussi \u00e8re, un \u00e9tait \nen fuite, quatre avaient r\u00e9u ssi \u00e0 prendre pied dans nos \nretranchements ; et, \u00e0 l\u2019abri des bois, sept ou huit \nhommes , sans nul doute munis chacun de pl usieurs \nmous quets, diri geaient s ur la maison de ro ndins un feu \nroulant, mais inefficace. \nLes quatre qui avai ent p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 cour urent droit \ndevant eux vers l e fortin, en poussant des clameurs que \nles hommes cach\u00e9s parmi le bois renfor\u00e7aient par des \ncris d\u2019 encour agement. On tira pl usieur s coups , mais \navec une telle pr\u00e9cipitation qu\u2019aucun ne porta. E n un \ninstant, les quatre pirates av aient gravi le monticule : ils \n\u00e9taient sur nous. \nLa t\u00eate de J ob Anders on, le ma\u00eetre d\u2019\u00e9qui page, \n 206apparut \u00e0 la meurtr i\u00e8re du milieu. \n\u2013 \u00c0 eux, tout le monde... no us les avons ! hurla-t-il, \nd\u2019une voix de tonnerre. \nAu m\u00eame moment, un autre pirate empoigna par le \ncanon le mousquet de Hunter , le lui arracha des ma ins, \nl\u2019attira par la meurtri\u00e8re, et, d\u2019un coup formidable, \n\u00e9tendit sur le sol le pauvre gar\u00e7on in anim\u00e9. Cependant, \nun tr oisi\u00e8me cont ourna la mais on impun\u00e9ment , surgit \nsoudain \u00e0 l\u2019entr \u00e9e et s e jeta, couteau lev\u00e9, sur le \ndocteur. \nLa situation \u00e9tait compl\u00e8 tement retourn\u00e9e. Une \nminute plus t\u00f4t, nous tirio ns, abrit\u00e9s, sur un ennemi \u00e0 \nd\u00e9couver t ; mai ntenant, c\u2019 \u00e9tait \u00e0 notr e tour de nous voi r \nsans abri et incapables de riposte. \nLa mais on de r ondins \u00e9t ait pleine de fum\u00e9e, ce \u00e0 \nquoi nous devions une s\u00e9cu rit\u00e9 relative. Des cris \ntumultueux, avec les d\u00e9tonatio ns des coups de pist olet, \net une plainte affr euse, m\u2019emplissaient les oreilles. \n\u2013 Dehors , gar \u00e7ons, dehor s, et combattons \u00e0 l\u2019air \nlibre ! Les coutelas ! ordonna le capitaine. \nJ\u2019empoignai un coutelas dans le tas, et quelqu\u2019un \nqui en pr enait un autr e en m\u00eame temps, me fit sur l es \ndoigts une est afilade que j e senti s \u00e0 pei ne. Je m\u2019\u00e9l an\u00e7ai \nhors de la port e, \u00e0 l a lumi\u00e8re du sol eil. Quelqu\u2019 un, \nj\u2019ignore qui, me suivit de pr\u00e8s . Juste devant moi , au bas \n 207du monticule, le docteur re poussait un assaillant : \u00e0 \nl\u2019instant o\u00f9 je jetai les yeux sur lui, il rabattait la lame \nde son ennemi, et l\u2019envoya r ouler les quatre fers en \nl\u2019air, une large entaille en travers du visage. \n\u2013 Faites le tour de la maison , gar\u00e7ons, fait es le tour ! \nlan\u00e7a le capitaine. \nEt mal gr\u00e9 le hour vari, je devi nai \u00e0 sa voi x qu\u2019il y \navait du nouveau. \nJ\u2019ob\u00e9i s machinal ement, obli quai \u00e0 l\u2019est et, le \ncouteau lev\u00e9, cont ournai en h\u00e2te l\u2019 angle de la mais on. \nTout aussit\u00f4t je me trouvai face \u00e0 face avec Anderson. \nAvec un grand hurlement, il le va en l\u2019air sa hache, qui \nflamboya au soleil. Je n\u2019eus pas le loisir d\u2019 avoir peur, \ncar en un clin d\u2019\u0153il, avan t que le coup ne retomb\u00e2t, \nj\u2019avais fait un bond de c\u00f4t\u00e9 et , manquant le pied dans le \nsable mou, je r oulais \u00e0 ba s de la pente, la t\u00eate la \npremi\u00e8re. \nD\u00e8s le pre mier insta nt o\u00f9 j\u2019a vais surgi de la porte, \nles autres mutins s\u2019\u00e9taient d\u00e9j\u00e0 mis \u00e0 escalader la \npalissade pour en finir avec nous. Un homme au bonnet \nrouge, l e cout elas entre l es dents , \u00e9tait m\u00eame arri v\u00e9 en \nhaut et enjambait par-dess us. Or, entre ce moment-l \u00e0 et \ncelui o\u00f9 je me retrouvai sur pied, il se passa si peu de \ntemps que tous \u00e9taient enco re dans la m\u00eame posture : \nl\u2019indi vidu au bonnet r ouge n\u2019avait pas fini d\u2019 enjamber, \net un aut re mont rait \u00e0 peine sa t\u00eate par-dessus la rang\u00e9e \n 208de pieux. Et n\u00e9anmoins, da ns ce court intervalle, le \ncombat avait pris fin et la victoire \u00e9tait \u00e0 nous . \nGray, qui me suivai t de pr\u00e8s, avait \u00e9gorg\u00e9 le gros \nma\u00eetre d\u2019\u00e9quipage sans lui lais ser le loisir de reprendre \nson \u00e9qui libre. Un autr e av ait \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 d\u2019une ball e \ncomme il tirait dans la mais on par une meurtri \u00e8re, et \nagonisait \u00e9tendu sur le sol, tenant encore s on pist olet \nfumant. Le docteur, comme je l\u2019ai dit, en avait d\u00e9p\u00each\u00e9 \nun tr oisi\u00e8me. Des quatr e qui avaient es calad\u00e9 l a \npalissade, un seul restait indemne : celui-ci, \nabandonnant son coutelas su r le champ de bataille, se \nh\u00e2tait de la repasse r, talonn\u00e9 par la peur de la mort. \n\u2013 Feu ! feu de la maison ! commanda le docteur. Et \nvous , gar\u00e7ons, retournez vous abriter ! \nMais on ne l\u2019entendit point : personne ne tir a, et l e \nderni er agr esseur put s\u2019 \u00e9chapper sans mal et disparut \ndans le bois comme les autres. En trois secondes, de \ntoute la troupe des assaillan ts, il ne resta plus que les \ncinq hommes tomb\u00e9s, quatre \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur et un \u00e0 \nl\u2019ext\u00e9rieur de la palanque. \nLe docteur, Gray et moi, co ur\u00fbmes au plus vite nous \nmettre \u00e0 l\u2019abri. Les survivants auraient bient\u00f4t regagn\u00e9 \nl\u2019endroit o\u00f9 ils avaient laiss\u00e9 leurs mous quets, et la \nfusillade pouvait reprendre d\u2019un instant \u00e0 l\u2019autre. \nDans la mais on, la fum\u00e9e s\u2019\u00e9t ait un peu \u00e9cl aircie et \n 209nous v\u00ee mes d\u2019 un coup d\u2019\u0153il \u00e0 quel prix nous avions \nachet\u00e9 l a vict oire. Hunter gisait , assomm\u00e9, devant s a \nmeurtri\u00e8re ; Joyce, devant la sienne, une balle dans la \nt\u00eate, immobile \u00e0 jama is ; tandis que, au centre de la \npi\u00e8ce, le chevalier soutenait le capitaine, aussi p\u00e2le que \nlui-m\u00eame. \n\u2013 Le capi taine est bles s\u00e9, nous dit M . Trelawney. \n\u2013 Se s ont-ils enf uis ? demanda M . Smollett. \n\u2013 Tous ceux qui l\u2019ont pu, soyez-en s\u00fbr, r\u00e9pondit le \ndocteur ; mais il y en a ci nq qu i ne courront plus j amais. \n\u2013 Cinq ! s\u2019\u00e9cri a le capi taine. Allons , il y a du \nprogr\u00e8s. Cinq \u00e0 t rois nous laiss e quatre cont re neuf . La \nproporti on est mei lleure qu\u2019au d\u00e9but . Nous \u00e9t ions alors \nsept contre dix-neuf, ou du mo ins nous le pensions, ce \nqui ne vaut pas mieux1. \n \n1 Les m utins ne furent bient\u00f4t plus qu\u2019au nombre de huit, car \nl\u2019homm e atteint par M Trelawney \u00e0 bor d de la go\u00e9lette mourut de sa \nblessure le m \u00eame soir. Mais cela, naturellem ent, ne fut connu du parti \nfid\u00e8le que par la suite. (Note de l\u2019auteur.) \n 210 \n \n \n \n \nCinqui\u00e8me partie \n \nMon aventure en mer \n 211 \n \nXXII \n \nO\u00f9 commence mon aventure en mer \n \nLes mutins ne revinrent pas \u00e0 la charge. Il ne nous \narriva m\u00eame plus un coup de fusil de la for\u00eat. Ils en \navaient \u00ab pris leur dose pour ce jour-l\u00e0 \u00bb, comme disait \nle capitaine, et nous e\u00fb mes toute la tranquillit\u00e9 \nn\u00e9cessaire pour soigner les bl ess\u00e9s et pr\u00e9parer le d\u00eener. \nEn d\u00e9pit du danger, le c hevalier m\u2019aida \u00e0 faire la \ncuisi ne dehors , et m\u00eame l \u00e0 nous avions la t\u00eate \u00e0 demi \nperdue d\u2019horreur, en entendan t les plaint es affreus es des \npatients du docteur. \nDes huit hommes tomb\u00e9s dur ant l\u2019acti on, trois \nseulement respiraient encore, \u00e0 savoir : le pirate frapp\u00e9 \ndevant la meurtri\u00e8re, Hunter et le capitaine Smollett. \nLes deux premiers pouvaien t \u00eatre consid\u00e9r\u00e9s comme \nperdus : le muti n, en ef fet, tr\u00e9passa sous le bistouri d u \ndocteur, et Hunt er, en d\u00e9pit de tous nos soins, ne reprit \nplus connaissance dans ce mond e. Il languit tout le jour, \nrespirant avec forc e comme chez nous le vieux for ban \nlors de son attaque d\u2019apoplexie : il avait eu les os de la \npoitri ne bris \u00e9s du coup et le cr\u00e2ne fractur\u00e9 dans sa \n 212chute, et au cours de la nuit suivante, sans un mot, sans \nun gest e, il ret ourna ver s son Cr\u00e9ateur. \nQuant au capitai ne, ses bles sures \u00e9tai ent gr aves, \nmais non dangereuses. Aucun organe n\u2019\u00e9tait atteint \nirr\u00e9m\u00e9diablement. La balle d\u2019Ander son \u2013 qui avait tir\u00e9 \nsur lui le prem ier \u2013 lui avait fracass\u00e9 l\u2019omoplate et \natteint le poumon, mais l\u00e9g\u00e8 rement ; la s econde n\u2019 avait \nque d\u00e9chir\u00e9 et d\u00e9plac\u00e9 quel ques muscles du mollet. Il \nne manquerait pas de gu\u00e9rir, estimait le docteur, mais \u00e0 \nla condition de rester des semai nes sans mar cher, ni \nremuer l e bras, et en parlant le moi ns possibl e. \nL\u2019est afilade s ur les doigts due \u00e0 mon accident n\u2019\u00e9tait \ngu\u00e8re plus s\u00e9rieuse qu\u2019une pi q\u00fbre de moustique. L e \ndocteur Livesey me la couvrit d\u2019un empl \u00e2tre et me tira \nles oreilles par-dessus le march\u00e9. \nApr\u00e8s d\u00eener, le chevali er et le m\u00e9deci n tinrent \nconseil un moment au chevet du capitaine ; et quand ils \neurent bavard\u00e9 tout leur s o\u00fbl \u2013 il \u00e9tai t alors un peu pl us \nde midi \u2013 le docteur prit so n chapeau et ses pistolets, \ns\u2019arma d\u2019un coutelas, mit la carte dans s a poche et, le \nmousquet sur l\u2019\u00e9paule, il fra nchit la palanque par le c\u00f4t\u00e9 \nnord et d\u2019un pas rapide s\u2019enfon\u00e7a sous les arbres. \nJe m\u2019 \u00e9tais r\u00e9fugi \u00e9, en co mpagnie de Gray, tout \u00e0 \nl\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du blockhaus, afin de ne pas entendre le \nconciliabule de nos chefs. Gr ay fut tellement \u00e9bahi par \ncette sortie qu\u2019il retira sa pi pe de sa bouche et oublia \n 213compl\u00e8t ement de l \u2019y replacer. \n\u2013 Mais, par ma\u00eetre Lucifer ! est-ce que le docteur \nLivesey est f ou ? \n\u2013 Mais je ne pens e pas, r\u00e9pliquai-je. Il serait le \nderni er de nous tous \u00e0 l e devenir, j\u2019 en suis s\u00fbr . \n\u2013 Eh bien, mon gars, r eprit Gray, je me trompe peut-\n\u00eatre ; mais alors, si lui n\u2019 est pas fou, entends-tu bien, \nc\u2019est moi qui le suis. \n\u2013 Je parie, r\u00e9pliquai-je, qu e le docteur a son id\u00e9e. Si \nje ne me trompe, il s\u2019en va maint enant r endre visit e \u00e0 \nBen Gunn. \nJe ne me trompai s pas, on le sut plus tard ; mais en \nattendant, comme il faisait da ns la maison une chaleur \n\u00e9touff ante, et que le s able \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de l\u2019enclos \nirradiait sous le soleil de mi di, je con\u00e7us peu \u00e0 peu une \nautre id\u00e9e qui \u00e9tait loin d\u2019\u00eat re aussi juste. Je commen\u00e7ai \npar envi er le docteur, de ma rcher au frais, dans l\u2019ombre \ndes bois, avec autour de lui le chant des oiseaux et la \nbonne s enteur des pins, t andis que moi, j\u2019\u00e9tais \u00e0 r\u00f4tir, \navec mes habits coll\u00e9s \u00e0 la r\u00e9 sine chaude, au milieu de \ntout ce sang et ent our\u00e9 de t ous ces tristes cadavres. Mon \nd\u00e9go\u00fbt d\u2019\u00eatre l\u00e0 augmenta \u00e0 tel point qu \u2019il en devint \npresque de la terreur. \nTout le temps que je passai \u00e0 nettoyer le blockhaus, \npuis \u00e0 laver la vaisselle du d\u00eener, ce d\u00e9go\u00fbt et cette \n 214envie ne cess\u00e8rent de cro\u00eetr e, tant qu\u2019\u00e0 la fi n, comme j e \nme tr ouvais pr oche d\u2019 un sac \u00e0 pain, et que personne ne \nme regardait, je fis le prem ier pas vers mon escapade en \nrempliss ant de bis cuit les de ux poches de ma vareuse. \nJ\u2019\u00e9tais st upide si l\u2019on veut , et cert ainement j\u2019allais \ncommettre une action insens \u00e9e et t\u00e9m\u00e9raire ; mais \nj\u2019\u00e9tais r\u00e9solu \u00e0 l\u2019accomp lir avec le maximum de \nchances en mon pouvoir. Ces biscuits, en cas \nd\u2019impr\u00e9vu, m\u2019emp\u00eacheraient toujours de mourir de \nfaim jusque dans la soir\u00e9e du lendemain. \nCe dont je m\u2019emparai ensuite fut une paire de \npistolets et, comme j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 une poire \u00e0 poudre et \ndes ball es, je m\u2019es timai bi en pour vu d\u2019 armes . \nQuant au plan que j\u2019avais en t\u00eate, il n\u2019\u00e9tait pas \nmauv ais en soi. Je projetais de partir par la langue de \nsable qui s\u00e9pare \u00e0 l\u2019est le mo uillage de la haute mer, de \ngagner la roche blanche que j\u2019avais remarqu\u00e9e le soir \npr\u00e9c\u00e9dent, et de v\u00e9rifier si oui ou non c\u2019\u00e9tait l\u00e0 que Ben \nGunn cachait son canot : chos e qui en valait bien l a \npeine, je le crois encor e. Mais comme sans nul dout e on \nne me permettr ait pas de quitt er l\u2019encl os, mon s eul \nmoyen \u00e9t ait de pr endre cong\u00e9 \u00ab \u00e0 la fran\u00e7ai se1 \u00bb, et de \nprofiter pour partir d\u2019 un moment o\u00f9 per sonne ne me \nverrait ; et c\u2019 \u00e9tait l\u00e0 une mani\u00e8re d\u2019 agir si f\u00e2cheus e \n \n1 Un Fran\u00e7ais dirait : \u00ab \u00e0 l\u2019anglaise \u00bb. \n 215qu\u2019ell e rendait la chos e coupab le radicalement. Mais je \nn\u2019\u00e9tais qu\u2019un gamin, et je n\u2019en d\u00e9mordis pas. \nJustement, les circonstances me fournirent une \noccasion admirable. Le c hevalier \u00e9tait occup\u00e9 avec \nGray \u00e0 renouveler les pansem ents du capitaine : la voie \n\u00e9tait li bre. Je filai comme un trait, franchis la palanque \net m\u2019enfon\u00e7ai au plus \u00e9pais des arbres. Quand mes \ncompagnons s\u2019aper\u00e7urent de mo n absence, j\u2019\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 \nloin. \nCe fut l\u00e0 ma seconde fo lie, bi en pir e que l a \npremi\u00e8re, car je ne laissa is que deux hommes valides \npour garder le fortin ; ma is, comme la premi\u00e8re, elle \ncontribua \u00e0 notre salut commun. \nJe me di rigeai dr oit vers la c\u00f4te est de l\u2019\u00eele, car \nj\u2019avais r\u00e9solu de longer la la ngue de sable par le c\u00f4t\u00e9 de \nla mer , pour \u00e9vi ter toute chance d\u2019\u00eatre aper\u00e7u du \nmouillage. Bien que le sole il f\u00fbt encore chaud, il \u00e9tait \nd\u00e9j\u00e0 tard dans l\u2019apr\u00e8s-midi . Tout en me gliss ant parmi \nla futaie, j\u2019entendais au lo in devant moi le tonnerre \ncontinuel des bri sants ; en outr e, un br uissement de \nfeuillage et des grincements de branches \ncaract\u00e9ristiques m\u2019annon\u00e7aien t que la brise de mer \ns\u2019\u00e9tait lev\u00e9e pl us forte qu\u2019 \u00e0 l\u2019or dinair e. B ient\u00f4t des \nbouff \u00e9es d\u2019 air frai s arriv\u00e8r ent jusqu\u2019\u00e0 moi, et quel ques \npas plus loin, j\u2019atteignis la lisi\u00e8re du bois et vis la mer \nqui s\u2019 \u00e9talait bleue et ensol eill\u00e9e jus qu\u2019\u00e0 l\u2019hori zon, et le \n 216ressac qui d\u00e9ferlait, \u00e9cumant tout le long de la c\u00f4te. \nJe n\u2019ai j amais vu la mer paisible autour de l\u2019\u00eele au \ntr\u00e9sor. Que l e soleil flamboy\u00e2t au z\u00e9nith, que l \u2019air f\u00fbt \nsans un souffle et les eaux ailleurs lisses et bleues, \nmalgr\u00e9 tout ces gr andes lames d\u00e9ferl antes tonnai ent \njour et nuit, tout le long du rivage ext\u00e9rieur ; je ne crois \npas qu\u2019il y e\u00fbt un seul poi nt de l\u2019\u00eele d\u2019 o\u00f9 l\u2019on p\u00fbt ne pas \nentendre leur bruit . \nJe m\u2019avan\u00e7ai en longeant le s bris ants, d\u2019 un pas fort \nall\u00e8gr e. Quand j e me crus arri v\u00e9 as sez loi n dans le sud, \nje mis \u00e0 profit le couvert de quelques \u00e9pais buissons et \nme glissai pr\u00e9cautionneusement jusque sur la cr\u00eate de la \nlangue de terre. \nJ\u2019avais derri\u00e8re moi la mer, en face le mouillage. \nComme si elle s\u2019\u00e9tait \u00e9puis \u00e9e plus t\u00f4t que d\u2019habitude \npar sa vi olence inusit\u00e9e, l a brise de mer tombait d\u00e9j\u00e0 : il \ns\u2019\u00e9levait \u00e0 s a place un vent l\u00e9ger et instable, variant du \nsud au sud-est, qui amenait de grands bancs de brume, \net le mouillage, abrit\u00e9 par l\u2019 \u00eelot du Squelette, \u00e9tait lisse \net plomb\u00e9 comme au jour de notre arri v\u00e9e. Dans ce \nmiroir sans ride, l\u2019 Hispaniola se refl\u00e9tait exact ement , \ndepuis la pomme des m\u00e2ts jusqu\u2019\u00e0 la flottaison, y \ncompris le Jolly Roger qui pendait \u00e0 sa vergue \nd\u2019artimon. \nLe long du bord flottait une des yoles, command\u00e9e \npar Silver \u2013 lui, je le recon naiss ais touj ours \u2013 vers qui \n 217se penchaient, appuy\u00e9s au bastingage ar ri\u00e8re, deux \nhommes dont l\u2019 un, en bonnet r ouge, \u00e9t ait ce m\u00eame \nsc\u00e9l\u00e9r at que j\u2019avais vu quel ques heures auparavant \u00e0 \ncalifourchon sur la pali ssade. Probablement, ils \ncausaient et riaient, mais \u00e0 cette di stance \u2013 plus d\u2019 un \nmille \u2013 je ne pouvais, cela va de soi, entendre un mot de \nce qu\u2019il s dis aient. T out \u00e0 coup, retentirent des \nhurlements affreux et inhumain s qui me terrifi\u00e8rent tout \nd\u2019abord, mais j\u2019eus t \u00f4t fait de reconna\u00eetre la voix de \nCapitaine Flint, et je crus m\u00eame, \u00e0 son brillant plumage, \ndistinguer l\u2019ois eau pos \u00e9 sur le poi ng de s on ma\u00eetre. \nPeu apr\u00e8s le canot d\u00e9marra, nageant vers le rivage, \net l\u2019homme au bonnet rouge disparut avec son \ncamarade par le capot d\u2019\u00e9chelle. \nPresque au m\u00eame moment , le soleil se coucha \nderri\u00e8re la Longue-Vue et, comme la brume \ns\u2019\u00e9paississait rapidement, le cr\u00e9puscule commen\u00e7a \u00e0 \ntomber. Je n\u2019avais pas de te mps \u00e0 perdre si je voulais \nd\u00e9couvrir le bateau ce soir-l\u00e0. \nLa roche blanche, tr\u00e8s vi sible au- dessus de la \nbrousse, \u00e9tait bien encore \u00e0 deux cents tois es plus l oin \nsur la langue de terre, et il me f allut un bon moment \npour l\u2019at teindr e, en rampant la plupart du t emps \u00e0 \nquatre pattes, parmi le ha llier. La nuit \u00e9tait presque \ntomb\u00e9e quand je posai la main sur son flanc rugueux. \nJuste au- dessous , \u00e0 s on pi ed, il y avait un minus cule \n 218creux de gazon vert, masqu\u00e9 par des rebords et par une \n\u00e9paisse v\u00e9g\u00e9tation qui me v enait \u00e0 mi-jambe ; et au \nmilieu du trou, une petite te nte en peaux de ch\u00e8vres, \ncomme celles que les boh\u00e9miens transportent avec eux, \nen Angl eterre. \nJe sautai dans l\u2019excavation, soulevai le pan de la \ntente, et vis le canot de Ben Gunn. Cette pirogue, \nrustique au possible, consista it en une carcasse de bois \nbrut, gr ossi\u00e8r e et de f orme bis cornue, avec, t endu par -\ndessus, un r ev\u00eatement de peau de ch\u00e8vre , le poil en \ndedans. L\u2019esquif \u00e9tait fort pe tit, m\u00eame pour moi, et je \ncrois difficilement qu\u2019il aurait port\u00e9 un adulte. Il \nrenfermait un banc plac\u00e9 au ssi bas que possible, une \nsorte de mar chepied de nag e \u00e0 l\u2019avant, et une pagaie \ndouble en guis e de pr opuls eur. \n\u00c0 cette \u00e9poque-l\u00e0, je n\u2019 avais pas encore vu de \ncoracle , ce bateau des anciens Bret ons, mais j\u2019en ai vu \nun depuis, et je ne peux do nner une meilleure id\u00e9e de la \npirogue de Ben Gunn qu\u2019en disant qu\u2019ell e ress embl ait \nau pr emier et pir e coracle qui soit jamais sorti de la \nmain de l\u2019homme. Mais elle poss\u00e9dait \u00e0 coup s\u00fbr le \ngrand avantage du coracle, car elle \u00e9tait ext r\u00eamement \nl\u00e9g\u00e8r e et portati ve. \nOr, maintenant que j\u2019avais trouv\u00e9 le canot, on va \npeut-\u00eatre croire que je pouva is borner l\u00e0 mes exploits ; \nmais entre-temps j\u2019avais fo rm\u00e9 un autre projet, dont \n 219j\u2019\u00e9tais si obsti n\u00e9ment f\u00e9r u que je l\u2019aur ais ex\u00e9cut\u00e9, je \ncrois, m\u00eame au nez et \u00e0 la barbe du capitaine Smollett. \nC\u2019\u00e9tait de me faufiler, \u00e0 la faveur de la nuit, jusqu\u2019\u00e0 \nl\u2019Hispaniola , de la jeter en d\u00e9rive et de la laisser aller \u00e0 \nla c\u00f4te o\u00f9 bon lui semblerait. Je tenais pour \u00e9vident qu e \nles mutins, apr\u00e8s leur \u00e9chec de la matin\u00e9e, n\u2019auraient \nrien de plus pr ess\u00e9 que de le ver l\u2019ancre et de prendre le \nlarge. Ce serait, pe nsais-je, un beau coup de les en \nemp\u00eacher ; et comme je venais de voir qu\u2019ils laissaient \nles gardi ens du navir e d\u00e9pourvus d\u2019embarcation, je \ncroyais pouvoir ex\u00e9cut er mon proj et sans gr and ris que. \nJe m\u2019assis \u00e0 terre pour attendre l\u2019obscurit\u00e9, et \nmangeai mon biscuit de bon app\u00e9tit. C\u2019\u00e9tait pour mon \ndessein une nuit propice en tre mille. Le brouillard \ncouvrait maintenant tout le ciel. Quand les derni\u00e8res \nlueurs du jour eurent disp aru, des t\u00e9n\u00e8br es compl \u00e8tes \nensevelirent l\u2019\u00eele au tr\u00e9sor. Et quand enfin je pris le \ncoracle sur mon \u00e9paule, et me hiss ai p\u00e9ni blement hors \ndu creux o\u00f9 j\u2019avais soup\u00e9, il n\u2019 y avait plus dans tout le \nmouillage que deux poi nts visibl es. \nL\u2019un \u00e9t ait le gr and feu du rivage, autour duquel les \npirates vaincus faisaient carrousse. L\u2019autre, simple \ntache de lumi\u00e8re sur l\u2019obscur it\u00e9, m\u2019indiquait la position \ndu navire \u00e0 l\u2019ancre. Celui-ci avait tourn\u00e9 avec le reflux, \net me pr\u00e9sentait maintenant son avant, et comme il n\u2019y \navait de lumi \u00e8res \u00e0 bord qu e dans la cabine, ce que je \n 220voyais \u00e9tait uniquement le reflet sur le brouillard des \nvifs rayons qui s\u2019\u00e9chappaient de la fen\u00eatre de poupe. \nLa mar\u00e9e baissait d\u00e9j\u00e0 depuis quelque temps, et je \ndus pat auger \u00e0 tr avers un long banc de sable d\u00e9tremp\u00e9 \no\u00f9 j\u2019 enfon\u00e7ai pl usieur s fois jusqu\u2019au-dessus de la \ncheville, avant d\u2019arriver au bo rd de la mer descendante. \nJe m\u2019y avan\u00e7ai de quelques pas, et, avec un peu de \nforce et d\u2019adresse, d\u00e9posai mo n coracle, la quille par en \nbas, \u00e0 la surface de l\u2019eau. \n 221 \n \nXXIII \n \nLa mar\u00e9e descend \n \nLe coracl e \u2013 comme j\u2019 eus mai nte raison de l e savoi r \navant d\u2019\u00eatre quitte de lui \u2013 \u00e9t ait, pour quelqu\u2019un de ma \ntaille et de mon poids, un bateau tr\u00e8s s\u00fbr, \u00e0 la fois l\u00e9ger \net tenant bien la mer ; mais cette embarcation biscor nue \n\u00e9tait des plus difficiles \u00e0 condu ire. On avait beau faire, \nelle se bornait la plupart du temps \u00e0 d\u00e9river, et en fait \nde man\u0153uvre, elle ne savait gu\u00e8re que tourner en rond. \nBen Gunn lui- m\u00eame avait admis qu\u2019ell e \u00e9tait \u00ab d\u2019un \nmaniement pas tr\u00e8s commode tant qu\u2019on ne connaissait \npas s es habit udes \u00bb. \n\u00c9videmment, je ne les connaissais pas. Elle se \ntournait dans t outes les directi ons, sauf cell e o\u00f9 je \nvoulais aller ; la plupart du temps nous marchions par le \ntraver s, et il est certai n que s ans la mar\u00e9e j e n\u2019aurais \njamais atteint le navire . Par bonheur, de quelque \nmani\u00e8re que je pagayasse, la mar\u00e9e m\u2019emportait \ntoujours, et l\u2019 Hispani ola \u00e9tait l\u00e0-bas, juste dans le bon \nchemin : je ne pouvai s gu\u00e8re la manquer. \n 222Tout d\u2019abord, elle surg it devant moi comme une \ntache d\u2019 un noi r plus f onc\u00e9 qu e les t\u00e9n\u00e8br es ; puis ses \nm\u00e2ts et sa coque se profil \u00e8rent peu \u00e0 peu, et en un \ninstant \u2013 car le courant du reflux devenait plus fort \u00e0 \nmesure que j\u2019avan\u00e7ais \u2013 je me trouvai \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de son \namarre, que j\u2019empoignai. \nL\u2019amar re \u00e9tait band\u00e9e comme l a corde d\u2019un arc, t ant \nle navire tirait sur son ancre. Tout autour de la coque, \ndans l\u2019obscurit\u00e9, le clapotis du courant bouillonnait et \nbabillait comme un petit torre nt de montagne. Un coup \nde mon cout elas, et l\u2019 Hispaniola serait pa rtie, \nmurmurante, avec la mar\u00e9e. \nC\u2019\u00e9tait tr\u00e8s joli ; mais je me rappelai \u00e0 t emps que l e \nchoc d\u2019une amarre band\u00e9e que l\u2019on coupe net, est aussi \ndangereux qu\u2019une ruade de cheval. Il y avait dix \u00e0 \nparier contre un que, si j\u2019avai s la t\u00e9m\u00e9rit\u00e9 de couper le \nc\u00e2ble de l\u2019 Hispaniola , je serais pr ojet\u00e9 en l\u2019 air du m\u00eame \ncoup avec mon coracle. \nJe me butais donc l\u00e0-contr e et, sans une nouvelle \nfaveur sp\u00e9ciale du hasard , il m\u2019e\u00fbt fallu abandonner \nmon pr ojet. \nMais la l\u00e9g\u00e8re brise qui soufflait tout \u00e0 l\u2019heur e \nd\u2019entre sud et sud-est avait tour n\u00e9 au s ud-ouest apr\u00e8s la \ntomb\u00e9e de la nuit. Au beau milieu de mes r\u00e9flexions \nsurvint une bouff\u00e9e qui saisit l\u2019 Hispani ola et la refoula \n\u00e0 contre-courant. \u00c0 ma grande joie, je sentis l\u2019amarre \n 223mollir dans mon poing, et la main dont je la tenais \nplongea sous l\u2019eau pendant une seconde. \nL\u00e0-dessus ma d\u00e9cision fu t prise : je tirai mon \ncoutelas, l\u2019ouvris avec mes dents, et coupai \nsuccessi vement les tor ons du c\u00e2bl e, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019 il \nn\u2019en rest\u00e2t plus que deux po ur mai ntenir l e navir e. Je \nm\u2019arr\u00eatai alors, attendant pour trancher ces derniers que \nleur tension f\u00fbt de nouveau rel\u00e2ch\u00e9e par un souffle de \nvent. \nPendant tout ce temps-l\u00e0, j\u2019avais entendu un grand \nbruit de voi x qui pr ovenait de la cabine ; mais, \u00e0 vr ai \ndire, j\u2019 \u00e9tais si occup\u00e9 d\u2019 autres pens\u00e9es que j\u2019 y pr\u00eat ais \u00e0 \npeine l\u2019oreille. Mais \u00e0 cette heure, n\u2019ayant rien d\u2019autre \u00e0 \nfaire, je commen\u00e7ai \u00e0 leur a ccorder plus d\u2019attention. \nL\u2019une de ces voix \u00e9t ait cell e du quarti er-ma\u00eetr e, \nIsra\u00ebl Hands, l\u2019ex-cano nnier de Flint. L\u2019autre \nappartenait, comme de juste, \u00e0 mon bon ami au bonnet \nrouge. L es deux hommes en \u00e9taient manif estement au \npire degr \u00e9 de l\u2019ivress e, et ils buvaient t oujours ; car, \ntandis que j\u2019\u00e9cout ais, l\u2019 un d\u2019 eux, avec une excl amati on \nd\u2019ivrogne, ouvrit la fen\u00eatre de poupe et jeta dehors un \nobjet que je devinai \u00eatre un e bouteille vide. Mais ils \nn\u2019\u00e9taient pas seulement i vres, ils \u00e9tai ent \u00e9videmment \naussi dans une furi euse col\u00e8re. L es jurons volaient dru \ncomme gr \u00eale, et de t emps \u00e0 autr e il en s urvenait une \nexplosion telle que je m\u2019attenda is \u00e0 la voir d\u00e9g\u00e9n\u00e9rer en \n 224coups. Mais \u00e0 chaque fois la querelle s\u2019apaisait, et le \ndiapason des voi x retombait pour un instant, jusqu\u2019\u00e0 la \ncrise suivante, qui passait \u00e0 son tour sans r\u00e9sultat. \n\u00c0 terre, entre les arbres du rivage, je pouvais voir \ns\u2019\u00e9lever les haut es fl ammes du gr and feu de \ncampement. Quelqu\u2019un chanta it une vieille complainte \nde marin, triste et monotone, avec un tr \u00e9mol o \u00e0 la fi n de \nchaque couplet, et qui ne devait finir, semblait-il, \nqu\u2019avec la pati ence du cha nteur. Je l\u2019avais entendue \nplusieurs fois durant le vo yage, et me rappelais ces \nmots : \n \nUn seul survivant de tout l\u2019\u00e9quipage \nQui avait pris la mer au no mbre de soixante-quinze. \n \nEt je me dis qu\u2019 un tel refr ain n\u2019\u00e9t ait que trop \nf\u00e2cheusement appropri\u00e9 \u00e0 une bande qui avait subi de \ntelles pertes le matin m\u00eame . Mais, \u00e0 ce que je voyais, \ntous ces forbans \u00e9taient aussi insensibles que la mer o\u00f9 \nils naviguaient. \nFinalement la brise survint : la go\u00e9lette se d\u00e9pla\u00e7a \ndoucement dans l\u2019ombre et se rapprocha de moi ; je \nsentis l\u2019amarre mollir \u00e0 nouvea u, et d\u2019un bon et solide \neffort tranchai les derni\u00e8res fibres. \n 225La bris e n\u2019avait que peu d\u2019 action sur le coracle, et je \nfus presque instantan\u00e9ment plaqu\u00e9 contre l\u2019\u00e9trave de \nl\u2019Hispaniola . En m\u00eame temps, d\u2019une l ente girati on, la \ngo\u00e9lette se mit \u00e0 virer ca p pour cap, au milieu du \ncourant. \nJe me d\u00e9menai en diable , car je m\u2019attendais \u00e0 \nsombr er d\u2019un moment \u00e0 l \u2019autre ; et quand j\u2019eus constat\u00e9 \nque je ne pouvais \u00e9loigner d\u2019embl\u00e9e mon coracle, je \npoussai droit vers l\u2019arri\u00e8re. Je me vis enfin lib\u00e9r\u00e9 de ce \ndangereux voisinage ; et je donnais tout juste la \nderni\u00e8re impulsion, quand mes mains rencontr\u00e8rent un \nmince cordage qui penda it du gaillard d\u2019arri\u00e8re. \nAussit\u00f4t je l\u2019empoignai. \nQuel motif m\u2019y incita, je l\u2019 ignore. Ce fut en premier \nlieu instinct pur ; mais une fois que je l\u2019eus saisi et qu\u2019il \ntint bon, la curiosi t\u00e9 prit peu \u00e0 peu l e dess us, et je me \nd\u00e9terminai \u00e0 jeter un coup d\u2019\u0153il par la fen\u00eatre de la \ncabine. \nMe hiss ant sur le cordage \u00e0 la force des poignets, et \nnon s ans danger , je me mi s presque debout dans la \npirogue, et pus ainsi d\u00e9couvrir le plafond de la cabi ne et \nune partie de son int\u00e9rieur. \nCependant la go\u00e9lette et sa petit e cons erve filai ent \nsur l\u2019eau \u00e0 bonne vitesse ; en fait nous \u00e9tions d\u00e9j\u00e0 \narriv\u00e9s \u00e0 la haut eur du f eu du campement . Le bat eau \njasait , comme dis ent les mari ns, ass ez fort, refoulant \n 226avec un incessant bouillo nnement les innombrables \nrides du clapotis ; si bien qu\u2019avant d\u2019avoir l\u2019\u0153il par-\ndessus le rebor d de la f en\u00eatre je ne pouva is comprendre \ncomment les hommes de ga rde n\u2019avaient pas pris \nl\u2019alarme. \nMais un regard me suffit ; et de cet instable esquif \nun regard fut d\u2019 ailleurs tout ce que j \u2019osai me permettre. \nIl me montra Hands et s on compagnon enlac\u00e9s en une \nmortelle \u00e9treinte et se serra nt la gorge r\u00e9ciproquement. \nJe me laissai retomber su r le banc, mais just e \u00e0 \ntemps, car j\u2019\u00e9t ais pres que par-dessus bor d. Pour un \ninstant je ne vis plus rien d\u2019autre que ces deux f aces \nhaineuses et cramoisies, oscilla nt \u00e0 la fois sous la lampe \nfumeuse ; et je fermai les paupi\u00e8res pour laisser me s \nyeux se r\u00e9accoutu mer aux t\u00e9n\u00e8bres. \nL\u2019interminable m\u00e9lop\u00e9e avait pris f in, et aut our du \nfeu de campement toute la troupe d\u00e9ci m\u00e9e avait \nentonn\u00e9 l e ch\u0153ur que j e connaiss ais trop : \n \nNous \u00e9tions quinze su r le coffre du mort... \nYo-ho-ho ! et une bo uteille de rhum ! \nLa boisson et le diable ont exp\u00e9di\u00e9 les autres, \nYo-ho-ho ! et une bo uteille de rhum ! \n \n 227J\u2019\u00e9tais en train de songer \u00e0 l\u2019\u0153uvr e que la boisson et \nle diable accomplissaient en ce moment m\u00eame dans la \ncabine de l\u2019 Hispaniola, lorsque je fus surpris par un \nsoudain coup de roulis du cor acle. Au m\u00eame inst ant, il \nfit une violente embard\u00e9e et parut changer de direction. \nSa vitesse aussi avait au gment\u00e9 singuli\u00e8rement. \nJ\u2019ouvris les yeux aussit\u00f4t. Tout autour de moi , de \npetites rides s e h\u00e9riss aient de cr \u00eates br uissantes et \nl\u00e9g\u00e8r ement phos phorescentes . \u00c0 quel ques br asses, \nl\u2019Hispaniola elle-m\u00eame, qui m\u2019en tra\u00eenait encore dans \nson sillage, semblait h\u00e9siter sur sa direction, et je vis ses \nm\u00e2ts se bal ancer l\u00e9g\u00e8r ement sur la noir ceur de l a nuit. \nEn y regardant mieux, je m\u2019 assurai qu\u2019elle aussi virait \nvers l e sud. \nJe tournai la t\u00eate, et mon c\u0153ur bondit dans ma \npoitrine. L\u00e0, juste derri\u00e8re moi, se trouvait la lueur du \nfeu de campement. Le cour ant avait obliqu\u00e9 \u00e0 angle \ndroit et emportait avec lui la majestueuse go\u00e9lett e et le \npetit coracle bondissant ; touj ours plus vite, toujours \u00e0 \nplus gros bouill ons, touj ours avec un pl us fort murmur e, \nelle filait \u00e0 travers la pa sse vers l a haute mer. \nSoudain la go\u00e9lette fit deva nt moi une embar d\u00e9e, et \nvira de peut-\u00eatre vingt degr\u00e9s. Presque au m\u00eame \nmoment des appels se succ\u00e9d\u00e8 rent \u00e0 bord ; j\u2019entendis \ndes pas marteler l\u2019\u00e9chelle du capot, et je compris que \nles deux ivrognes, enfin \u00e9v eill\u00e9s au sentiment de la \n 228catastrophe, avai ent interrompu leur querelle. \nJe me couchai \u00e0 plat dans le f ond du mis\u00e9r able \nesquif et pieusement r ecommandai mon \u00e2me \u00e0 son \nCr\u00e9ateur. Au bout de la pas se, nous ne pouvi ons \nmanquer de tomber s ur quel que ligne de bris ants \nfurieux, qui mett raient vit e fin \u00e0 t ous mes soucis ; et \nbien que j\u2019eusse peut-\u00eatre la force de mourir, je \nsupport ais mal d\u2019 envis ager mon s ort par avance. \nIl est probable que j e rest ai ai nsi des heur es, \ncontinuel lement ballott \u00e9 sur les l ames, as perg\u00e9 par l es \nembr uns, et ne cessant d\u2019a ttendre la mort au prochain \nplongeon. Peu \u00e0 peu, la fatigue m\u2019envahit ; un \nengourdissement, une stupeu r passag\u00e8re accabla mon \n\u00e2me, en d\u00e9pit de mes t erreurs ; puis le sommeil me prit, \net dans mon cor acle ball ott\u00e9 par les flots je r\u00eavai de \nmon pays et du vieil Amiral Benbow . \n 229 \n \nXXIV \n \nLa croisi\u00e8re du coracle \n \nIl faisait grand jour lo rsque je m\u2019\u00e9veillai et me \ntrouvai voguant \u00e0 l\u2019extr\u00e9m it\u00e9 sud-ouest de l\u2019\u00eele au \ntr\u00e9sor. Le soleil \u00e9tait lev\u00e9, mais encore cach\u00e9 pour moi \nderri\u00e8re la haute masse de la Longue-Vue, qui de ce \nc\u00f4t\u00e9 descendait presque jusq u\u2019\u00e0 la mer en falaises \nformidables. \nLa poi nte His se-la-Bouline et le mont du M\u00e2t-\nd\u2019Artimon \u00e9taient tout proche s : la montagne grise et \nd\u00e9nud\u00e9e, la pointe ceinte de falaises de quarante \u00e0 \ncinquant e pieds de haut et bord\u00e9e de gr os blocs de \nrocher \u00e9boul\u00e9s. J\u2019\u00e9tais \u00e0 pe ine \u00e0 un quart de mille au \nlarge, et ma pr emi\u00e8re pens \u00e9e fut de pagayer vers la terre \net d\u2019aborder. \nCe pr ojet fut vite aban donn\u00e9. Parmi les pierres \ntomb\u00e9es, le ressac \u00e9cumait et grondait ; avec des chocs \nviolents, les lourdes lames ja illissaient et s\u2019\u00e9croulaient, \nse succ\u00e9dant de secon de en seconde ; et je pr\u00e9vis que si \nje m\u2019aventurais plus pr\u00e8s, je serais roul\u00e9 \u00e0 mort sur \n 230cette c\u00f4te sauvage, ou m\u2019\u00e9pui serais e n vain s efforts \npour escalader l es rocs s urplombants . \nEt ce n\u2019\u00e9tait pas tout, car , rampant de compagnie \u00e0 \nla surface des tables rocheu ses ou se laissan t tomb er \ndans l a mer \u00e0 grand br uit, j\u2019aper \u00e7us d\u2019\u00e9normes monst res \nlimoneux \u2013 des sortes de limace s, mais d\u2019une grosseur \nd\u00e9mesur\u00e9e \u2013 par deux ou tr ois douzaines \u00e0 la fois, qui \nfaisaient retentir les \u00e9 chos de leurs aboi ement s. \nJ\u2019ai su depuis que c\u2019\u00e9t aient des lions de mer, \nenti\u00e8rement inoff ensifs. Mais leur aspect, joint \u00e0 la \ndifficult\u00e9 du rivage et \u00e0 la viol ence du r essac, \u00e9tait pl us \nque suffisant pour me d\u00e9go\u00fbt er d\u2019atterrir l\u00e0. Je trouvai \npr\u00e9f\u00e9rabl e de mourir de fai m en mer , plut \u00f4t que \nd\u2019affronter semblables p\u00e9r ils. \nCependant j\u2019avais devant mo i une meilleure chance, \n\u00e0 ce que je croyais. Au nord du cap Hisse-la-Bouline, \nsur un espace consid\u00e9rable de c\u00f4te, la mar\u00e9e basse \nd\u00e9couvre une longue bande de sable jaune. En outre, \nplus au nor d, se pr\u00e9sente encore un autre promontoire \u2013 \nle cap des Bois, d\u2019apr\u00e8s la car te \u2013 rev\u00eatu de grands pi ns \nverts qui descendaient j usqu\u2019\u00e0 la limite des flots. \nJe me rappelai que le cou rant, au dir e de Silver , \nportait au nord sur toute la c\u00f4te ouest de l\u2019\u00eele au tr\u00e9sor, \net voyant d\u2019apr \u00e8s ma positi on que j\u2019 \u00e9tais d\u00e9j \u00e0 sous s on \ninfluence, je r\u00e9solus de la isser derri\u00e8re moi le cap \nHisse-la- Bouli ne et de r \u00e9server mes for ces pour t enter \n 231d\u2019aborder sur le cap des Bois , de plus engageant aspect. \nIl y avait sur la mer une lo ngue et tranquille houle. \nLe vent soufflait doucemen t et conti n\u00fbment du sud, \nsans nul ant agonis me entr e le courant et l ui, et les lames \ns\u2019\u00e9levaient et s\u2019 abaiss aient sans d\u00e9ferler. \nEn tout autre cas, j\u2019euss e p\u00e9ri depuis longtemps ; \nmais dans ces conditions, j\u2019\u00e9tais \u00e9tonn\u00e9 de voir \ncombien facil e et s\u00fbre \u00e9t ait la mar che de ma petit e et \nl\u00e9g\u00e8r e pirogue. Souvent , alor s que je me tenais encore \ncouch\u00e9 au fond et risquais seulement un \u0153il par-dessus \nle plat-bord, je voyais une grosse \u00e9minence bleue se \ndresser, proche et mena\u00e7ante ; mais le coracle ne faisait \nque bondir un peu, danser comme sur des ressorts, et \ns\u2019enfon\u00e7ait de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 dans le creux aussi \nl\u00e9g\u00e8r ement qu\u2019 un oiseau. \nJe ne tardai pas \u00e0 m\u2019enhard ir, et je m\u2019assis pour \n\u00e9prouver mon adresse \u00e0 paga yer. Mais le plus petit \nchangement dans la r\u00e9partiti on du poids produisait de \nviolentes pertur bations dans l\u2019all ure du coracle. Et \nj\u2019avais \u00e0 pei ne fait un m ouvement que le canot, \nabandonnant du coup son d\u00e9li cat balancement, se \npr\u00e9cipita d\u2019 embl\u00e9e \u00e0 bas d\u2019 une pente d\u2019 eau si abrupte \nqu\u2019elle me donna le vertige, et all a dans un jet d\u2019\u00e9cum e \npiquer du nez pr ofond\u00e9ment dans le flanc de l a lame \nsuivante. \nTout tremp\u00e9 et terrifi\u00e9, je me rejetai au plus vite \n 232dans ma position primitive, ce qui parut rendre aussit\u00f4t \nses es prits au cor acle, qu i me mena parmi les lames \naussi doucement qu\u2019auparavant. Il \u00e9tait clair qu\u2019il ne \nfallait pas le contrarier ; mais \u00e0 cett e allure, puis que je \nne pouvais en aucune fa\u00e7on influer sur sa course, quel \nespoir avais-j e d\u2019atteindr e la terre ? \nUne peur atroce m\u2019envahit, mais malgr\u00e9 tout je \ngardai ma raison. D\u2019abord , me mouvant avec grande \npr\u00e9caution, j\u2019\u00e9copai le cor acle \u00e0 l\u2019aide de mon bonnet \nde mari n, puis, j etant l\u2019\u0153il \u00e0 nouveau par- dessus le plat-\nbord, je me mi s \u00e0 \u00e9tudi er comment faisait mon es quif \npour se glisser si tranqu illement parmi les lames. \nJe d\u00e9couvris que chaque va gue, au lieu d\u2019\u00eatre cette \n\u00e9minence \u00e9paiss e, lisse et luisante qu\u2019elle para\u00eet du \nrivage ou du pont d\u2019un navire , \u00e9tait absolument pareille \n\u00e0 une cha\u00eene de montagnes te rrestres, avec ses pics, ses \nplateaux et s es vall\u00e9es . Le coracle, livr\u00e9 \u00e0 lui-m\u00eame, \nvirant d\u2019 un bor d sur l\u2019 autre, s\u2019enfilait, pour ainsi dir e, \nparmi les r\u00e9gi ons plus bass es, et \u00e9vitait les pentes \nescarp\u00e9es et les points cu lminants de la vague. \n\u00ab Allons, me dis -je, il est clair que j e dois rester o\u00f9 \nje suis et ne pas d\u00e9ranger l\u2019\u00e9quilibre ; mais il est clair \naussi que je puis passer la pa gaie par-dessus bord, et de \ntemps \u00e0 autre, dans les endro its unis, donner quelques \ncoups vers la terre. \u00bb Sit\u00f4t pe ns\u00e9, sit\u00f4t r\u00e9alis\u00e9. Je me \nmis sur les coudes et, dans cette position tr\u00e8s g\u00eanante, \n 233donnai de temps \u00e0 autre un ou deux coups pour orienter \nl\u2019avant vers la terre. \nC\u2019\u00e9tait un travail harassant et fastidieux. Toutefois, \nje gagnais visiblement du te rrain, et en approchant du \ncap des Bois, je vis qu\u2019\u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 je devais manquer \ninfailliblement cette pointe, mais que cepe ndant j\u2019avais \nfait quelques cents brasses vers l\u2019est. J\u2019\u00e9tais, en tout \ncas, fort pr\u00e8s de terre. Je pouvais voir les cimes des \narbres, vertes et fra\u00eeches, se balancer \u00e0 la fois sous la \nbrise, et j\u2019\u00e9tai s assur\u00e9 de pouvoir aborder sans faute au \npromont oire s uivant . \nIl \u00e9tait grand temps, car la soif commen\u00e7ai t \u00e0 me \ntourment er. L\u2019 \u00e9clat du sol eil par en haut, sa \nr\u00e9ver b\u00e9ration s ur les ondes, l\u2019eau de mer qui retombait \net s\u00e9chait sur moi, m\u2019enduisan t les l\u00e8vres de sel, se \ncombinai ent pour me parchemi ner la gor ge et \nm\u2019endolorir la t\u00eate. La vue des arbres si proches me \nrendit presque malade d\u2019impa tience ; mais le courant \neut t\u00f4t fait de m\u2019emporter au -del\u00e0 de la pointe ; et \nquand la nouvelle \u00e9tendue de mer s\u2019ouvrit devant moi, \nj\u2019aper\u00e7us un objet qui changea la nature de mes sou cis. \nDroit devant moi, \u00e0 moins d\u2019un demi-mille, je vis \nl\u2019Hispaniola sous voil es. Malgr \u00e9 ma certit ude d\u2019\u00eat re \npris, je souffrais si fort du manque d\u2019eau, que je ne \nsavais pl us si je devais me r\u00e9jouir ou m\u2019attrister de cette \nperspective. Mais bien avant d\u2019en \u00eatre arriv\u00e9 \u00e0 une \n 234conclusion, la surprise me poss\u00e9da enti\u00e8rement, et je \ndevins incapabl e de f aire autr e chose que de regarder et \nde m\u2019\u00e9bahir. \nL\u2019Hispaniola \u00e9tait sous sa gr and-voile et s es deux \nfocs : la belle toile blanche \u00e9clatait au soleil comme de \nla neige ou de l\u2019ar gent. Quand je la vis tout d\u2019abord, \ntoutes ses voil es portai ent : elle fai sait rout e vers l e \nnord- ouest ; et j e pr\u00e9sumai que l es hommes qui la \nmontaient faisaient le tour de l\u2019\u00eele pour regagner le \nmouillage. Bient\u00f4t elle appuya de plus en plus \u00e0 l\u2019ouest, \nce qui me fit croire qu\u2019ils m\u2019 avaient aper\u00e7u et allaient \nme donner la chasse. Mais \u00e0 la fin, elle t omba en plei n \ndans le lit du vent, fut repou ss\u00e9e en arri\u00e8re, et resta l\u00e0 \nun moment i nerte, les voil es battantes . \n\u00ab Les maladroits ! me dis-je, il faut qu\u2019ils soient \nso\u00fbls comme des bourriques . \u00bb Et je m\u2019imaginai \ncomment le capitaine Sm ollett les aurait fait \nman\u0153uvrer. \nCependant la go\u00e9lette abattit peu \u00e0 peu, et \nentreprenant une nouvelle bord\u00e9e, vogua rapidement \nune minute ou deux, pour s\u2019ar r\u00eater une fois encore en \nplein dans le lit du vent. Ce la se renouvela \u00e0 plusieurs \nreprises. De droite et de gauche , en long et en large, au \nnord, au sud, \u00e0 l\u2019 est et \u00e0 l\u2019ouest, l\u2019 Hispaniola navi guait \npar \u00e0-coups zigzagants, et chaque r\u00e9p\u00e9tition finissait \ncomme elle avai t d\u00e9but\u00e9 , avec des voil es batt ant \n 235paresseusement. Il devint clair pour moi que personne \nne la gouvernait. Et, dans cet te hypoth\u00e8se, que faisaient \nles hommes ? Ou bien ils \u00e9tai ent ivres morts, ou ils \navaient d\u00e9sert\u00e9, pens ai-je ; et peut-\u00eatre, si je pouvais \narriver \u00e0 bord, me serait-il possi ble de rendre le navire \u00e0 \nson capit aine. \nLe courant chassait vers le sud \u00e0 une m\u00eame vitesse \nle cor acle et l a go\u00e9l ette. Quant aux bord\u00e9es de cette \nderni \u00e8re, elles \u00e9taient si incoh\u00e9r entes et si passag\u00e8res, et \nle navire s\u2019arr\u00eatait si long temps entre chacun e, qu\u2019il ne \ngagnait certainement pas, si m\u00eame il ne perdait. Il me \nsuffirait d\u2019oser m\u2019asseoir et de pagayer pour le rattraper \n\u00e0 coup s \u00fbr. Ce projet avait un aspect aventureux qui me \ns\u00e9duis ait, et l e souvenir de la caisse \u00e0 eau pr\u00e8s du \ngaillard d\u2019avant redoubla it mon nouveau courage. \nJe me dressai donc, fus a ccueilli presque aussit\u00f4t par \nun nuage d\u2019embrun, mais cette fois je n\u2019en d\u00e9mordis \npas et me mis, de toutes mes forces et avec prudence, \u00e0 \npagayer \u00e0 la poursuite de l\u2019 Hispaniola en d\u00e9rive. Une \nfois j \u2019embarquai un si gr os coup de mer que je dus \nm\u2019arr\u00eater pour \u00e9coper, le c\u0153ur palpitant comme celui \nd\u2019un ois eau ; mais peu \u00e0 peu je trouvai la mani\u00e8re, et \nguidai mon coracle parmi le s vagues, sans plus de \ntracas que, de temps en te mps, une gifle d\u2019eau sur son \navant et un jet d\u2019\u00e9c ume dans ma fi gure. \n\u00c0 cette heure, je gagnais ra pidement sur la go\u00e9lette : \n 236je pouvais voir les cuivres briller sur la barre du \ngouvernail quand elle tapait de c\u00f4t\u00e9 ; et cependant pas \nune \u00e2me ne s e montrait sur le pont. Je ne pouvais pl us \ndouter qu\u2019elle f\u00fbt abandonn \u00e9e. Ou sinon les hommes \nronflaient en bas, ivres morts, et je pourr ais sans dout e \nles mettre hors d\u2019\u00e9tat de nuire, et disposer \u00e0 ma guise du \nb\u00e2timent. \nDepuis un moment, l\u2019 Hispaniola se comport ait aussi \nmal que possible, \u00e0 mon point de vue. Elle avait le cap \npresque en plei n sud, sans ce sser, bien entendu, de faire \ntout l e temps des embard\u00e9es . Chaque f ois qu\u2019 elle \nabattait, ses voiles se go nflaient en partie et \nl\u2019emportaient de nouveau pour une minute, droit au \nvent. C\u2019\u00e9tait l\u00e0 pour moi le pire, comme je l\u2019ai dit, car \nbien que livr\u00e9e \u00e0 elle-m\u00eame da ns cette situation, ses \nvoiles battant avec un bruit de canon et ses poulies \nroulant et se cognant sur le pont, la go\u00e9l ette n\u00e9anmoi ns \ncontinuai t \u00e0 s\u2019\u00e9loigner de mo i, et \u00e0 la vit esse du cour ant \nelle ajoutait toute celle de sa d\u00e9rive, qui \u00e9tait \nconsid\u00e9rable. \nEnfin, la chance me favori sa. Pour une mi nute, la \nbrise tomba pr esque \u00e0 ri en, et le courant agissant par \ndegr\u00e9s, l\u2019Hispaniola tourna lentement sur son axe et \nfinit par me p r\u00e9senter sa poupe, avec la fen\u00eatre grande \nouverte de la cabine o\u00f9 la lampe br\u00fblait encore sur la \ntable malgr\u00e9 le plein jour . La grand-voile, inerte, \n 237pendait comme un dra peau. \u00c0 part le courant, le navire \nrestait immobile. \nPendant les quelques derni\u00e8 res minutes, ma distance \ns\u2019\u00e9tait accrue, mais je redoubl ai d\u2019efforts , et commen\u00e7ai \nune fois de pl us \u00e0 gagner s ur le b\u00e2timent chass\u00e9. \nJe n\u2019\u00e9tais plus qu\u2019\u00e0 cinqu ante brasses de lui quand \nune brusque bouff\u00e9e de vent survint : le navire partit \nb\u00e2bord amures, et de nouveau s\u2019en fut au loin, pench\u00e9 \net rasant l\u2019eau com me une hirondelle. \nMa premi\u00e8re impulsion fut de d\u00e9s esp\u00e9rer, mais l a \nseconde incli na vers l a joie. La go\u00e9lette \u00e9vita, jusqu\u2019\u00e0 \nme pr \u00e9senter son traver s... e lle \u00e9vita jusqu\u2019\u00e0 couvrir la \nmoiti\u00e9, puis les deux tiers, puis les trois quarts de la \ndistance qui nous s\u00e9parait. Les vagues bouillonnantes \n\u00e9cumaient sous son \u00e9trave. Vue d\u2019en bas, dans mon \ncoracle, elle me semb lait d\u00e9mesur\u00e9ment haute. \nEt al ors, tout s oudain, je me r endis compte du \ndanger. Je n\u2019eus pas le temp s de r\u00e9fl\u00e9chir non plus que \nd\u2019agir pour me sauver. J \u2019\u00e9tais sur le s ommet d\u2019 une \nondulation quand, d\u00e9valant de la plus voisine, la \ngo\u00e9lette fondit sur moi. Son beaupr\u00e9 arriva au-dessus de \nma t\u00eate. Je me levai d\u2019un bo nd et m\u2019\u00e9lan\u00e7ai vers lui, \nenvoyant le coracle sous l\u2019eau. D\u2019une main, je \nm\u2019accrochai au bout-dehors de foc, tandis que mon pied \nse logeait entre la draille et le bras, et j\u2019\u00e9tais encore \ncramponn\u00e9 l \u00e0, tout pant elant, l orsqu\u2019 un choc sour d \n 238m\u2019apprit que la go\u00e9lett e venait d\u2019 aborder et de br oyer le \ncoracle, et que je me trouvais jet\u00e9 sur l\u2019 Hispaniola sans \npossibilit\u00e9 de retraite. \n 239 \n \nXXV \n \nJ\u2019am\u00e8ne le Jolly-Roger \n \nJ\u2019avais \u00e0 peine pris positio n sur le beaupr\u00e9, que le \nclin-foc battit et reprit le ve nt en changeant ses amures, \navec une d\u00e9tonation pareille \u00e0 un coup de canon. Sous \nle choc de la renverse, la go\u00e9lette trembl a jusqu\u2019\u00e0 la \nquille ; mais au bout d\u2019 un instant, comme les autres \nvoiles portaient encore, le foc revint battre de nouveau \net pendit paresseusement. \nLa secousse m\u2019avait presque lanc\u00e9 \u00e0 la mer ; aussi, \nsans perdre de temp s, je rampai le long du beaupr\u00e9 et \nculbutai sur l e pont la t\u00eate la premi\u00e8re. \nJe me trouvais s ous le vent du gaill ard d\u2019 avant, et la \ngrand-voile, qui portait enco re, me cachait une partie du \npont ar ri\u00e8re. Il n\u2019 y avait pe rsonne en vue. Le plancher, \nnon balay\u00e9 depui s la r\u00e9volte , gardait de nombreuses \ntraces de pas ; et une boute ille vide, au col bris\u00e9, se \nd\u00e9menait \u00e7\u00e0 et l \u00e0 dans les dalots, comme un \u00eatre dou\u00e9 \nde vi e. \nSoudain, l\u2019 Hispaniola prit le vent en plein. Les focs \n 240derri\u00e8r e moi cl aqu\u00e8rent avec violence ; le gouvernail se \nrabattit ; un fr\u00e9missement sinist re secoua le navire tout \nentier ; et au m\u00eame instan t le gui d\u2019artimon r evint en \ndedans du bord, et la voil e, gri n\u00e7ant sur ses driss es, me \nd\u00e9couvrit le c\u00f4t\u00e9 sous le vent du pont arri\u00e8re. \nLes deux gardiens \u00e9taient l\u00e0 : Bonnet-Rouge, \u00e9tendu \nsur le dos, raide comme un ans pect, les deux bras \u00e9tal\u00e9s \ncomme ceux d\u2019 un cr ucifix, et les l\u00e8vres entrouvertes \ndans un rictus qui l ui d\u00e9co uvrait les dents ; Isra\u00ebl \nHands, accot\u00e9 aux bastingages, le menton sur la \npoitri ne, les mai ns ouvert es \u00e0 plat devant lui sur le pont, \net le vis age, sous son h\u00e2le , aussi blanc qu\u2019une chandelle \nde suif. \nUn moment, le navire se d\u00e9battit et se coucha \ncomme un cheval vici eux ; les voil es tiraient t ant\u00f4t d\u2019un \nbord, tant\u00f4t de l\u2019autr e, et le gui, ballant de-ci de-l\u00e0, \nfaisait grincer le m\u00e2t sous l\u2019 effort. De temps \u00e0 autre, un \nnuage d\u2019embrun jaillissait pa r-dessus le bastingage, e t \nl\u2019avant du navire piquait viol emment dans la lame : ce \ngrand voi lier se comport ait beaucoup plus mal que mon \ncoracle rustique et biscornu, \u00e0 pr\u00e9sent au fond de l\u2019eau. \n\u00c0 chaque sursaut de la go\u00e9lette, Bonnet-Rouge \nglissait de c\u00f4t\u00e9 et d\u2019autre ; mais, chose hideuse \u00e0 voir, \nni sa pos ture, ni l e rictus qui l ui d\u00e9couvrait les dent s, \nn\u2019\u00e9taient modifi\u00e9s par ces d\u00e9placements brutaux. \u00c0 \nchaque sursaut \u00e9galement, on voyait Hands s\u2019affaisser \n 241davantage sur lui-m\u00eame et s\u2019 aplatir sur le pont : ses \npieds glissai ent toujours pl us loin, et tout son cor ps \ns\u2019inclinait vers la poupe, de sorte que petit \u00e0 petit son \nvisage me fut cach\u00e9, et je n\u2019 en vi s plus \u00e0 la fin qu\u2019 une \noreille et le bout hirsute d\u2019un favori. \n\u00c0 ce moment, j e remarquai autour d\u2019 eux des taches \nde sang sur le plancher, et commen\u00e7ai \u00e0 cr oire que les \ndeux ivrognes s\u2019\u00e9taient massacr \u00e9s l\u2019un l\u2019autre dans leur \nfureur homici de. \nJe regardais ce s pectacle avec \u00e9t onnement, lors que \ndans un intervalle de calme o\u00f9 le navire se tenait \ntranquille, Isra\u00ebl Hands se tourna \u00e0 demi, et avec un \ng\u00e9missement sourd et en se to rtillant, reprit la position \ndans l aquell e je l\u2019avais vu d\u2019 abord. Son g\u00e9miss ement, \nqui d\u00e9cel ait une doul eur et une fai blesse extr \u00eames, et la \nvue de s a m\u00e2choi re pendan te, \u00e9murent ma compassion. \nMais en me rem\u00e9morant le s propos que j\u2019avais ou\u00efs, \ncach\u00e9 dans ma barrique de pommes, toute piti\u00e9 \nm\u2019abandonna. \nJe m\u2019avan\u00e7ai jusq u\u2019au gr and m\u00e2t. \n\u2013 Embarquez, ma\u00eetre Hands, dis-je i roniquement . \nIl roula vers moi des yeux mornes, mais il \u00e9tait bien \ntrop abr uti pour exprimer de la surp rise. Il se borna \u00e0 \n\u00e9mettre ce souhait : \n\u2013 Eau-de-vie. \n 242Je comprenais qu\u2019il n\u2019y ava it pas de temps \u00e0 perdr e : \nesquivant le gui qui balayait de n ouveau le pont, je \ncourus \u00e0 l\u2019arri \u00e8re et des cendis par le capot d\u2019\u00e9chelle, \ndans la cabi ne. \nIl y r\u00e9gnait un d\u00e9sordre difficile \u00e0 imaginer. Tout ce \nqui fermait \u00e0 clef, on l\u2019avait ouvert de force pour y \nrechercher la carte. Il y ava it sur le plancher une couche \nde boue, aux endroits o\u00f9 les forbans s\u2019\u00e9tai ent assis pour \nboire ou d\u00e9li b\u00e9rer apr \u00e8s avoir pataug\u00e9 dans le mar ais \navoisinant leur camp. Sur les cloisons, peintes d\u2019un \nbeau blanc et encadr\u00e9es de moul ures dor \u00e9es, s\u2019\u00e9t alaient \ndes empreint es de mai ns sales. Des douzaines de \nbouteilles vides s\u2019entrechoqua ient dans les coins, au \nroulis du navir e. Un des l ivres m\u00e9dicaux du docteur \nrestait ouvert s ur la table : on en avait arrach\u00e9 la moiti\u00e9 \ndes feuillets, pour allumer des pipes, je suppose. Au \nmilieu de tout cela, la lampe jetait encore une lueur \nfumeus e et obs cure, d\u2019un br un de terre de Sienne. \nJe pass ai dans le celli er : tous les t onneaux avai ent \ndisparu, et un nombre stup\u00e9f iant de bout eilles avaient \n\u00e9t\u00e9 bues \u00e0 m\u00eame et rejet \u00e9es sur place. \u00c0 coup s\u00fbr, \ndepuis le d\u00e9but de la muti nerie, pas un de ces hommes \nn\u2019avait d\u00e9gris\u00e9. \nEn fourrageant \u00e7\u00e0 et l\u00e0, je trouvai une bouteille qui \ncontenait encor e un fond d\u2019 eau-de-vie. Je la pris pour \nHands ; et pour moi- m\u00eame j e d\u00e9ni chai quel ques \n 243biscuits , des fruit s en conser ve, une gr osse grappe de \nraisin et un morceau de fromage. Muni de ces \nprovisions, je regagnai le po nt, d\u00e9posai ma r\u00e9serve \u00e0 \nmoi derri\u00e8re la t\u00eate du gouver nail et, s ans passer \u00e0 \nport\u00e9e du quarti er-ma\u00eetre, ga gnait l\u2019avant o\u00f9 je bus \u00e0 la \nciterne une longue et d\u00e9licieu se goul\u00e9e d\u2019eau. Alors, \nmais pas avant, j e passai \u00e0 Hands s on eau- de-vie. \nIl en but bien un quart de pinte avant de r etirer l a \nbouteille de sa bouche. \n\u2013 Ah ! cr \u00e9 tonnerr e ! j\u2019en avais besoin ! fit-il. \nPour moi, as sis dans mon coi n, j\u2019avai s d\u00e9j \u00e0 \ncommenc\u00e9 \u00e0 manger. \n\u2013 Fort bless \u00e9 ? lui demandai-je. \nIl grogna, ou je devrais plut\u00f4t dire, il aboya : \n\u2013 Si ce doct eur \u00e9t ait \u00e0 bor d, je ser ais remi s sur pie d \nen un rien de temps ; mais je n\u2019ai pas de chance, vois-\ntu, moi, et c\u2019 est ce qui me d\u00e9s ole. Quant \u00e0 ce s agouin-\nl\u00e0, il est mort et bien mort, aj outa-t-il en d\u00e9si gnant \nl\u2019homme au bonnet r ouge. C e n\u2019\u00e9tait pas un mar in, \nd\u2019ailleurs... Et d\u2019o\u00f9 diantr e peux-tu bien sortir ? \n\u2013 Je suis venu \u00e0 bor d pour pr endre possession de c e \nnavire, ma\u00eetre Hands ; et jusq u\u2019\u00e0 nouvel or dre vous \u00eat es \npri\u00e9 de me consi d\u00e9rer comme votre capitaine. \nIl me regarda non sans amer tume, mais ne dit mot. \n 244Un peu de coul eur lui \u00e9t ait re venue aux j oues, bien qu\u2019 il \npar\u00fbt encore tr\u00e8s d\u00e9fait et qu\u2019il continu\u00e2t \u00e0 glisser et \u00e0 \nretomber selon les os cillations du navire. \n\u2013 \u00c0 propos, continuai-je, je ne veux pas de ce \npavillon, ma\u00eetre Hands, et avec votre permission je \nm\u2019en vais l\u2019amener. Mieux vau t rien du tout que celui-\nl\u00e0. \nEt esquivant de nouveau le gui, je courus aux drisses \nde pavillon et amenai ce maudit drapeau noir, que je \nlan\u00e7ai par-dessus bord. \n\u2013 Dieu pr ot\u00e8ge l e roi ! m\u2019exclamai-je en agitant mon \nbonnet ; c\u2019en est fini du capitaine Silver ! \nIl m\u2019observait attentivemen t, mais \u00e0 la d\u00e9rob\u00e9e et \nsans l ever le ment on de sa poitri ne. \n\u2013 J\u2019ai id\u00e9e, dit-il enfin, j\u2019 ai id\u00e9e, capitaine Hawkins, \nque tu aimer ais bien all er \u00e0 terr e, mai ntenant. Nous \ncausons, veux-tu ? \n\u2013 Mais oui, r\u00e9pliquai-j e, tr\u00e8s volontiers, ma\u00eetre \nHands. Dites t oujours. \nEt je me remis \u00e0 manger de bon app\u00e9tit. \n\u2013 Cet homme... commen\u00e7a-t- il, avec un faible signe \nde t\u00eate vers le cadavre, il s\u2019appelait O\u2019Brien... une brute \nd\u2019Irlandais... cet homme et moi avons mis les voiles \ndans l\u2019i ntention de r amener le navi re. Eh bi en, \n 245maintenant qu\u2019il est mort, lui, et bien mort, je ne vois \npas qui va f aire la man\u0153uvr e sur ce b\u00e2timent. Si je ne te \ndonne pas quelques conseils, tu n\u2019en seras pas capable, \nvoil\u00e0 tout ce que je peux dire . Eh bien, voici : tu me \ndonneras nourriture et boi sson, et un vieux foulard ou \nun mouchoir pour bander ma blessur e, hein ? et j e \nt\u2019indiquerai la man\u0153uvre. C\u2019est une pr oposition bi en \ncarr\u00e9e, je suppos e ? \n\u2013 Je vous annonce une chos e, r\u00e9pliquai-je, c\u2019est que \nje ne retourne pas au mou illage du capitaine Kidd. Je \nveux all er dans la bai e du Nord, et nous \u00e9chouer l\u00e0 \ntranquillement. \n\u2013 J\u2019en \u00e9tais s\u00fbr, s\u2019\u00e9cria-t-il. Au fond, tu sais, je ne \nsuis pas tellement andouille. Je me rends compte, pas \nvrai ? J\u2019ai tent\u00e9 mon coup, eh bien, j\u2019ai per du et c\u2019 est \ntoi qui as le dessus. La baie du Nord ? Soit, je n\u2019ai pas \nle choix, moi ! Je t\u2019aiderai \u00e0 nous mener jusqu\u2019au quai \ndes Potences, cr\u00e9 tonnerre ! c\u2019est positif. \nLa proposition ne me parut pas d\u00e9nu\u00e9e de sens. \nNous concl\u00fbmes le march\u00e9 sur-le-champ. Tr ois minutes \nplus t ard, l\u2019Hispaniola voguait paisiblement vent arri\u00e8re \net longeait la c\u00f4te de l\u2019\u00eele au tr \u00e9sor. J\u2019avais bon espoir \nde doubler sa poin te nord avant midi et de louvoyer \nensuit e jusqu\u2019\u00e0 la baie du No rd avant la mar\u00e9e haute, \nafin de nous \u00e9chouer en paix et d\u2019attendre que la mar\u00e9e \ndescendante nous pe rm\u00eet de d\u00e9barquer. \n 246J\u2019amarrai alors la barre et descendis chercher dans \nmon coffre personnel un mouc hoir de s oie fine donn\u00e9 \npar ma m\u00e8re. Je m\u2019en servis pour aider Hands \u00e0 bander \nla large blessure saignante qu\u2019il avait re\u00e7ue \u00e0 la cuisse. \nApr\u00e8s avoir mang\u00e9 un peu et aval\u00e9 quelques gorg\u00e9es \nd\u2019eau-de-vie, il commen\u00e7a \u00e0 se remont er vis iblement, \nse tint plus dr oit, parla plus haut et plus net, et par ut un \ntout autre homme. \nLa brise nous servait admirablement. Nous filions \ndevant elle comme un oise au, les c\u00f4tes de l\u2019\u00eele \nd\u00e9filaient comme l\u2019\u00e9clair et le paysage se renouvelait \nsans cesse. Les hautes terres furent bient \u00f4t d\u00e9pass\u00e9es , et \nnous cour\u00fbmes grand l argue le long d\u2019 une contr\u00e9e bas se \net sablonneuse, parsem\u00e9e de quelques pi ns rabougri s, \nau-del\u00e0 de l aquelle nous doubl \u00e2mes une poi nte de \ncollines rocheuses qui formai ent l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de l\u2019\u00eele, au \nnord. \nJ\u2019\u00e9tais tout transport\u00e9 par mon nouveau \ncommandement, et je prenais plaisir au t emps clair et \nensoleill\u00e9 et aux aspects di vers de la c\u00f4te. J\u2019avais \nd\u00e9sormais de l\u2019eau \u00e0 discr\u00e9 tion et de bonnes choses \u00e0 \nmanger, et la superbe conqu\u00eate que je venais de faire \napais ait ma consci ence, qui m\u2019avait cruellement \nreproch\u00e9 ma d\u00e9sertion. Il ne me serait plus rien rest\u00e9 \u00e0 \nd\u00e9sirer, n\u2019 eussent \u00e9t\u00e9 les yeux du quarti er-ma\u00eetre, qui \nme sui vaient ir oniquement par tout le pont, et \n 247l\u2019inqui\u00e9tant sourire qui se jouait continuellement sur \nson visage. Ce sourire contenait un m\u00e9lange de \nsouffrance et de faiblesse. .. comme le sourire h\u00e9b\u00e9t\u00e9 \nd\u2019un viei llard ; mais il y avait en outre dans son air un \ngrain de moquerie, une ombr e d\u2019ast ucieuse tr a\u00eetrise, \ntandis que de son coin il me guettait et me guettait sans \nrel\u00e2che, au cours de mon travail. \n 248 \n \nXXVI \n \nIsra\u00ebl Hands \n \nNous servant \u00e0 souhait, le vent avai t pas s\u00e9 \u00e0 l\u2019ouest . \nNous n\u2019en devions courir qu e plus ais\u00e9ment depuis la \npointe nord-est de l\u2019\u00eele jusqu\u2019 \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la baie du \nNord. Mais, comme nous \u00e9tions dans l\u2019impossibilit\u00e9 de \nmouiller l\u2019ancre et que no us n\u2019osions nous \u00e9chouer \navant que la mar\u00e9e e\u00fbt mo nt\u00e9 encore passablement, \nnous avions du temps de reste. Le quartier-ma\u00eetre \nindiqua la fa\u00e7on de mettre le navire en panne : j\u2019y \nr\u00e9ussis apr\u00e8s plusieurs tentatives, et nous nous \ninstall\u00e2mes en silence po ur faire un autre repas. \n\u2013 Capitaine, me dit-il enfi n, avec le m\u00eame sourire \ninqui\u00e9tant, il y a l\u00e0 mon vi eux camarade O\u2019 Brien ; je \nsuppos e que t u vas l e balancer par -dessus bor d. Je ne \nsuis pas trop d\u00e9licat en g\u00e9n\u00e9ra l, et je ne me reproche pas \nde lui avoir fait son affaire ; mais je ne le trouve pas \ntr\u00e8s d\u00e9coratif. Et toi ? \n\u2013 Je ne suis pa s assez fort, r\u00e9 pondis-je, et la corv\u00e9e \nne me pla\u00eet pas. Pour ce qu i me concer ne, il peut r ester \n 249l\u00e0. \n\u2013 C\u2019est un navire de malheur que cette Hispani ola, \nJim, continua-t-il en clignant de l\u2019\u0153il. Il y a eu un tas \nd\u2019hommes tu\u00e9s, s ur cett e Hispaniola ... une flop\u00e9e de \npauvr es mari ns morts et disparus depuis que toi et moi \nnous avons embarqu\u00e9 \u00e0 B ristol. Je n\u2019ai jamais vu si \ntriste chance. Tiens, cet O\u2019Brien-l \u00e0... mai ntenant il est \nmort, hein ? Moi, je ne suis pas instruit, et tu es un \ngar\u00e7on qui s ais lire et \u00e9crir e ; eh bi en, parl ons \nfranchement : crois-tu qu\u2019u n homme mort soit mort \npour de bon, ou bi en es t-ce qu\u2019il revit encore ? \n\u2013 On peut tuer le corps, ma\u00eetre Hands, mais non pas \nl\u2019esprit, vous devez l e savo ir d\u00e9j\u00e0. Cet O\u2019Brien est dans \nun autr e monde, et peut -\u00eatre qu\u2019 il nous voit en cet \ninstant. \n\u2013 Oh ! fit-il. Eh bien, c\u2019es t malheureux : on perd son \ntemps, alors, \u00e0 tuer le monde. En tout cas, l es esprits ne \ncomptent pas pour grand-chos e, \u00e0 ce que j\u2019ai vu. Je \ncourrai ma chance avec les es prits, Jim. Et maintenant \nque tu as parl\u00e9 librement, ce serait gentil \u00e0 toi de \ndescendre dans la cabine et de m\u2019en rapporter une... \nallons allons, une... mort de mes os ! je ne parviens pas \n\u00e0 le dire... ah oui, tu m\u2019app orteras une bouteille de vin, \nJim : cette eau- de-vie est trop forte pour moi. \nMais l\u2019h\u00e9sitation du quarti er-ma\u00eetre ne me sembl a \npas naturelle ; et quant \u00e0 s on affir mation qu\u2019 il pr\u00e9f \u00e9rait \n 250le vin \u00e0 l\u2019eau-de-vie, je n\u2019 en crus pas un mot. Toute \nl\u2019hist oire n\u2019 \u00e9tait qu\u2019un pr \u00e9texte. Il voulait me faire \nquitter le pont, cel a \u00e9tait net ; mais dans quel dessein, j e \nn\u2019arrivais pas \u00e0 le deviner. S es yeux fuyaient \nobstin\u00e9ment les miens : ils erra ient s ans ces se de dr oite \net de gauche, en haut et en bas, tant\u00f4t lev\u00e9s au ciel, \ntant\u00f4t lan\u00e7ant un regard fur tif au cadavr e d\u2019O\u2019Bri en. Il \nn\u2019arr\u00eatait pas de sourire, tout en tirant la langue d\u2019un air \nsi coupable et embarrass\u00e9 qu\u2019un enfant aurait devin\u00e9 \nqu\u2019il machinait quelque ruse . N\u00e9anmoi ns, je fus pr ompt \n\u00e0 la r\u00e9plique, car je me rendais compte de ma \nsup\u00e9ri orit\u00e9 sur lui et qu\u2019 avec un \u00eatre aussi abject ement \nstupide, je n\u2019aurais pas de peine \u00e0 lui cacher mes \nsoup\u00e7ons jusqu\u2019au bout. \n\u2013 Du vi n ? dis-j e. \u00c0 la bonne heure. Voulez-vous du \nblanc ou du r ouge ? \n\u2013 Ma foi, j\u2019avoue que c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s la m\u00eame \nchose pour moi, camarade : pourvu qu\u2019il soit fort et \nqu\u2019il y en ait beaucoup, cr\u00e9 no m, qu\u2019est-ce que \u00e7a fait ? \n\u2013 Tr\u00e8s bi en. J e vais vous donner du port o, ma\u00eetr e \nHands. Mais il me f audra cher cher apr\u00e8s . \nL\u00e0-dessus, je m\u2019engouffrai da ns le capot avec tout le \nfracas possible, retirai mes so uliers, filai sans bruit par \nla coursive, montai l\u2019\u00e9che lle du gaillard d\u2019avant, et \npassai ma t\u00eate hors du capot avant. Je savais qu\u2019il ne \ns\u2019attendrait pas \u00e0 me voir l\u00e0 , mais j e ne n\u00e9gli geais \n 251aucune pr\u00e9caution, et assu r\u00e9ment les pir es de mes \nsoup\u00e7ons se trouv\u00e8rent confirm\u00e9s. \nIl s\u2019\u00e9tait dress\u00e9 sur les ma ins et les genoux, et, bien \nque sa jambe le f\u00eet bea ucoup souffrir \u00e0 chaque \nmouvement \u2013 car je l\u2019entendi s \u00e9touffer une plai nte \u2013 il \nn\u2019en tr avers a pas moi ns le pont \u00e0 une bonne allure. En \nune demi-minute, il avait attein t les dalots de b\u00e2bord, et \nextrait d\u2019 un rouleau de fili n un long cout elas ou plut \u00f4t \nun court poignard, teint\u00e9 de s ang jusqu\u2019\u00e0 la garde. Il le \nconsi d\u00e9ra d\u2019 un air f\u00e9roce, en essaya la pointe sur s a \nmain, puis, le cachant en h\u00e2 te sous sa var euse, regagna \npr\u00e9cipitamment sa place prim itive contre le bastingage. \nJ\u2019\u00e9tais renseign\u00e9. Isra\u00ebl pouvait se mouvoir ; il \u00e9tait \narm\u00e9 \u00e0 pr\u00e9s ent, et tout le mal qu\u2019il s\u2019\u00e9tait donn\u00e9 pour \nm\u2019\u00e9loigner me d\u00e9signait clairement pour \u00eatre sa \nvictime. Que ferait-il ensu ite ? s\u2019efforcerait-il de \ntraverser l\u2019\u00eele en rampant de puis la baie du Nord \njusqu\u2019au camp du marigot, ou bien tirerait-il le canon, \ndans l\u2019 espoir que ses camarades viendrai ent \u00e0 s on ai de ? \nL\u00e0-dessus, j\u2019 \u00e9tais enti\u00e8rement r\u00e9duit aux conj ectures. \nTout efois, je pouvais certai nement me fi er \u00e0 lui sur \nun point, auquel nous avions un int \u00e9r\u00eat commun, et qui \n\u00e9tait l e sort de l a go\u00e9l ette. Nous souhaitions, lui comme \nmoi, l\u2019\u00e9chouer en un lieu s\u00fbr et abrit\u00e9, de sorte qu\u2019elle \np\u00fbt \u00eat re remis e \u00e0 flot en temps opport un avec un \nminimum de peine et de danger. Jusque-l\u00e0, me \n 252semblait-il, je n\u2019avais assu r\u00e9ment ri en \u00e0 crai ndre. \nTout en retour nant ce pr obl\u00e8me dans mon es prit, je \nn\u2019\u00e9tais pas rest \u00e9 physiquement inactif . J\u2019avais vol \u00e9 \nderechef \u00e0 la cabine, r emis mes s ouliers et attrap\u00e9 au \nhasard une bouteille de vin. Puis, muni de cette derni\u00e8re \npour justifier ma lenteur, je fis ma r\u00e9apparition sur le \npont. \nHands gisait tel que je l\u2019avais quitt\u00e9, tout affaiss\u00e9 \nsur lui-m\u00eame, les paupi\u00e8res closes, comme s \u2019il e\u00fbt \u00e9t \u00e9 \ntrop faible pour supporter la lumi\u00e8re. Il leva les yeux, \nn\u00e9anmoins, \u00e0 ma venue, cassa le cou de la bouteille \ncomme un homme qui en a l\u2019habitude, et absorba une \nbonne goul \u00e9e, en port ant sa sant \u00e9 favorit e : \u00ab \u00c0 not re \nr\u00e9ussite ! \u00bb Puis il se tint tr anquille un moment, et alors, \ntirant un r\u00f4le de tabac, me demanda de lui couper une \nchique. \n\u2013 Coupe-moi un bout de \u00e7a, me dit-il, car je n\u2019ai pas \nde cout eau ; et m\u00eame si j\u2019 en avai s un, ma f orce n\u2019 est \npas suffisante. Ah ! Jim, Jim, j\u2019avoue que j\u2019ai manqu\u00e9 \u00e0 \nvirer ! Coupe-moi une chi que, \u00e7a s era pr obabl ement la \nderni \u00e8re, mon gars, car je vai s m\u2019en all er d\u2019o\u00f9 on ne \nrevient pl us, il n\u2019y a pas d\u2019erreur. \n\u2013 Soit, r\u00e9pliquai -je, je vais vous couper du tabac ; \nmais si j\u2019\u00e9tais \u00e0 votre pl ace et que j e me s ente si bas, je \ndirais mes pri \u00e8res, comme un chr \u00e9tien. \n 253\u2013 Pourquoi ? fit-il. Allons, dis-moi pourquoi. \n\u2013 Pourquoi ? m\u2019\u00e9criai-je. Vous venez de \nm\u2019int erroger \u00e0 pr opos du mort. Vous avez manqu\u00e9 \u00e0 \nvos engagements ; vous avez v\u00e9cu dans le p\u00e9ch\u00e9, le \nmens onge et l e sang ; l\u2019homme que vous avez t u\u00e9 g\u00eet \u00e0 \nvos pi eds en ce moment m\u00ea me, et vous me demandez \npourquoi ? Que Dieu me pa rdonne, ma\u00eetre Hands, mais \nvoil\u00e0 pourquoi ! \nJe parl ais avec une cert aine chal eur, \u00e0 l\u2019id\u00e9e du \npoignard ensanglant\u00e9 que le mis\u00e9rable avait cach\u00e9 dans \nsa poche, \u00e0 dessein d\u2019en fini r ave c moi. Quant \u00e0 lui, il \nbut un long trait de vi n et parla avec la plus \nextraordinaire solennit\u00e9 : \n\u2013 Pendant trente ans j\u2019ai pa rcouru les mers, j\u2019ai vu \ndu bon et du mauvais, du me illeur et du pire, du beau \ntemps et de la temp\u00eate ; j\u2019ai vu les provisions \u00e9puis\u00e9es , \nles couteaux en jeu, et le re ste. Eh bien, sache-le donc, \nje n\u2019 ai jamais vu encore l e bien sor tir de la bont \u00e9. Je \nsuis pour celui qu i frappe le premie r : les mo rts n e \nmordent pas ; voil\u00e0 mon opin ion... amen, ainsi soit-il. \nEt maintenant, \u00e9coute, ajouta -t-il, changeant soudain de \nton, \u00e7a suffit de ces b\u00eatises ! La mar\u00e9e est assez haute \u00e0 \npr\u00e9sent. Je vais te don ner mes ordres, capitaine \nHawkins, et nous allons nous mettre au plein et en finir. \nTout compt e fait, nous n\u2019 avions gu\u00e8re plus de deux \nmilles \u00e0 parcourir ; mais la navigation \u00e9tait d\u00e9licate, \n 254l\u2019acc\u00e8s de ce mouillage nord \u00e9tait non seulement \u00e9troit \net peu pr ofond, mais ori ent\u00e9 de l\u2019est \u00e0 l\u2019ouest, en sorte \nque la go\u00e9lette avait besoin d\u2019une main habile pour \nl\u2019attei ndre. J\u2019 \u00e9tais, je crois, un bon et prompt \nsubalterne, et Hands \u00e9tait, \u00e0 coup s\u00fbr, un excellent \npilote, car nous ex\u00e9cut\u00e2me s des virages r\u00e9p\u00e9 t\u00e9s et \nfranch\u00eemes la passe en fr\u00f4l ant les bancs de sable avec \nune pr \u00e9cision et une \u00e9l\u00e9gance qui faisaient plaisir \u00e0 voir. \nSit\u00f4t l\u2019entr\u00e9e du goulet d\u00e9pass\u00e9e, la terre nous \nentoura de tout es parts. L es rivages de la baie du Nord \n\u00e9taient aussi abondamment bois\u00e9s que ceux du \nmouillage sud ; mais elle \u00e9ta it de for me plus \u00e9tr oite et \nallong\u00e9e, et ressemblait da vantage \u00e0 l\u2019estuaire d\u2019une \nrivi\u00e8re, comme elle l\u2019\u00e9tait en effet. Droit devant nous , \u00e0 \nl\u2019extr\u00e9mit\u00e9 sud, on voya it les d\u00e9bris d\u2019un navire \nnaufr ag\u00e9, au der nier degr\u00e9 du d\u00e9labr ement : jadis un \ngrand tr ois-m\u00e2ts , ce vaiss eau \u00e9tait rest \u00e9 si longtemps \nexpos\u00e9 aux injures des saison s que les algues pendaient \nalentour en l arges r\u00e9seaux d\u00e9goutt ants, et que les \nbuissons du ri vage s \u2019\u00e9taient pr opag\u00e9s s ur le pont et le \ncouvraient d\u2019une floraison dense. Spectacle \nm\u00e9lancolique, mais qui nous d\u00e9montr ait le cal me du \nmouillage. \n\u2013 Maintenant, dit Hands , regar de : voil \u00e0 un j oli \nendroit pour y \u00e9chouer un navir e. Un fond pl at de s able \nfin, pas une ri de, des ar bres tout autour, et des fleurs \n 255pouss ant comme un j ardin sur ce vieux navire. \n\u2013 Et une fois \u00e9chou\u00e9s, demandai-je, comment nous \nremettr e \u00e0 fl ot ? \n\u2013 Eh bien, voil\u00e0 : \u00e0 mar\u00e9 e basse, tu portes une \namarre \u00e0 terre l\u00e0-bas de l\u2019au tre c\u00f4t\u00e9 ; tu la tournes sur \nun de ces gros pins ; tu la r am\u00e8nes , tu la tournes aut our \ndu cabest an et tu attends l e flot. \u00c0 mar\u00e9e haute, tout le \nmonde hale sur l\u2019amarre, et le bat eau pa rt en douceur. \nEt maintenant, mo n gar\u00e7on, attentio n. Nous sommes \ntout pr \u00e8s de l \u2019endroit, et nous gar dons encor e trop \nd\u2019erre. Tribord un peu... bien ... tout droit... tribord... \nb\u00e2bord... un peu... tout droit ... tout droit ! \nIl lan\u00e7ait ses commandemen ts, auxquels j\u2019ob\u00e9issais \nsans s ouffler. Enfi n tout \u00e0 coup il s\u2019\u00e9cria : \n\u2013 Et maintenant, hardi ! lofe ! \nJe mis la barre au vent toute, et l\u2019 Hispaniola vira \nrapidement et courut l\u2019 \u00e9trave haute vers le rivage bas et \nbois\u00e9. \nL\u2019excitation de ces dern i\u00e8res man\u0153uvres avait un \npeu rel\u00e2ch\u00e9 la vigilance que j\u2019exer\u00e7ais jusque-l\u00e0, avec \nassez d\u2019 attenti on, sur le qu artier-ma\u00eetre. Tout absorb\u00e9 \ndans l\u2019attente que le na vire touch\u00e2t, j\u2019en avais \ncompl\u00e8t ement oubli\u00e9 l e p\u00e9ril suspendu sur ma t\u00eate, et \ndemeurais pench\u00e9 sur le bastingage de tribord, \nregar dant les ondulati ons qui s\u2019\u00e9l argiss aient devant l e \n 256taille-mer. Je serais tomb\u00e9 sa ns lutter pour d\u00e9fendre ma \nvie, n\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 la soudaine in qui\u00e9tude qui s\u2019empara de \nmoi et me fit tourner la t\u00ea te. Peut-\u00eatre avais-je entendu \nun craquement ou aper\u00e7u du coin de l\u2019\u0153il s on ombr e se \nmouvoir ; peut- \u00eatre fut -ce un i nstinct anal ogue \u00e0 cel ui \ndes chats ; en tout cas, lorsque je me retournai, je vis \nHands, le poignard \u00e0 la ma in, d\u00e9j\u00e0 pr esque s ur moi. \nQuand nos yeux se rencon tr\u00e8rent, nous pouss\u00e2mes \ntous deux un gr and cri ; mais tandis que le mien \u00e9tait le \ncri ai gu de la t erreur, le si en fut le beuglement de furie \nd\u2019un taur eau qui charge. \u00c0 la m\u00eame seconde il s\u2019\u00e9lan\u00e7a, \net je fis un bond de c\u00f4t\u00e9 vers l\u2019avant. Dans ce geste, je \nl\u00e2chai la barre, qui se raba ttit violemment sur b\u00e2bord ; \net ce fut sans doute ce qui me s auva la vi e, car ell e \nfrappa Hands en plei ne poitr ine et l\u2019arr\u00eata, pour un \nmoment, tout \u00e9tourdi. \nIl n\u2019en \u00e9t ait pas revenu q ue je me trouvais en s\u00fbret\u00e9, \nhors du coi n o\u00f9 il m\u2019avai t accul\u00e9, avec tout le pont \ndevant moi . Juste au pi ed du grand m\u00e2t, je m\u2019arr\u00eatai, \ntirai un pistol et de ma poch e, et visai avec sang-froid, \nbien que l\u2019ennemi e\u00fbt d\u00e9j\u00e0 fait volte-face et rev\u00eent \nencore une fois sur moi. Je pressai la d\u00e9tente. Le chien \ns\u2019abattit, mais il n\u2019y eut ni \u00e9c lair ni d\u00e9tonation. L\u2019eau de \nmer avait g\u00e2t\u00e9 la poudre. Je maudis ma n\u00e9gligence. \nPour quoi n\u2019avoir pas de puis longtemps renouvel\u00e9 \nl\u2019amor ce et rechar g\u00e9 mes s eules ar mes ? Je n\u2019aurais pas \n 257\u00e9t\u00e9 comme \u00e0 pr \u00e9sent un mouton en fuit e devant le \nboucher. \nMalgr\u00e9 sa blessure, c\u2019\u00e9ta it merveille comme il allait \nvite, avec ses cheveux grisonnants lui voltigeant sur la \nfigure, et son visage lui-m\u00eame aussi rouge de \npr\u00e9cipitation, et de furie, que le rouge d\u2019un pavillon. Je \nn\u2019avais pas le temp s d\u2019essayer mon autr e pistol et, et \ngu\u00e8re l\u2019envie non plus, car j\u2019 \u00e9tais s\u00fbr que ce serait en \nvain. Je voyais cl airement une chose : il ne me fallait \npas simplement reculer dev ant mon adversaire, car il \nm\u2019aurait bient\u00f4t accul\u00e9 cont re l\u2019avant, comme il venait, \nun instant plus t \u00f4t, de m\u2019 acculer presque \u00e0 la poupe. \nUne fois pris ainsi, neuf ou dix pouces du poignard \nteint\u00e9 de sang mettraient fin \u00e0 mes aventures de ce c\u00f4t\u00e9-\nci de l\u2019 \u00e9ternit\u00e9. J\u2019 appliquai mes paumes contre le grand \nm\u00e2t, qui \u00e9tait de bonne gross eur, et attendis, t ous les \nnerfs en suspens. \nVoyant que j e m\u2019appr\u00eatais \u00e0 me d\u00e9rober , il s\u2019arr \u00eata \nlui aussi, et une minute ou deux se pass\u00e8ren t en feintes \nde sa part, et en mouvemen ts correspondants de la \nmienne. C\u2019\u00e9tait l\u00e0 un j eu de cache-ca che auquel je \nm\u2019\u00e9tais mai ntes fois amus \u00e9 durant mon enf ance, par mi \nles r ochers de l a crique du Mont -Noir ; mais je n\u2019 y \navais encore jamais jou\u00e9, on peut le croire, d\u2019une fa\u00e7on \naussi \u00e2pr ement palpitante que cett e fois-ci. Pourtant, j e \nle r\u00e9p\u00e8te, c\u2019 \u00e9tait un j eu d\u2019 enfant, et je me cr oyais \n 258capable de surpasser en ag ilit\u00e9 un marin d\u2019un certain \n\u00e2ge, et bles s\u00e9 \u00e0 la cuis se. En somme, mon courage \ns\u2019accrut tellement que je me permis quelques furtives \nr\u00e9flexions sur l \u2019issue de l\u2019af faire. Mai s tout en \nconstatant que je pouvais la retarder longtemps, je ne \nvoyais nul espoir de salut d\u00e9finitif. \nLes choses en \u00e9taient l\u00e0, quand soudain l\u2019 Hispani ola \ntoucha, h\u00e9sita, racla un inst ant le sable de sa quille, \npuis, prompt e comme un coup de poi ng, chavira s ur \nb\u00e2bor d, de t elle sorte que le pont r esta inclin\u00e9 sous un \nangle de quarant e-cinq degr\u00e9s , et que la val eur d\u2019 une \ndemi-tonne d\u2019eau jaillit par le s ouvertures des dalots et \ns\u2019\u00e9tala en une flaque entre le pont et le basti ngage. \nNous f\u00fbmes tous deux renvers\u00e9s en m\u00eame temps, et \nroul\u00e2mes presque ensemble dans les dalots, o\u00f9 le \ncadavre roidi de Bonnet-Rouge , les bras toujours en \ncroix, vi nt s\u2019af faler apr \u00e8s nous . Nous \u00e9ti ons si proches, \nen v\u00e9rit\u00e9, que ma t\u00eate donna contre le pied du quartier-\nma\u00eetre, avec un heurt qui f it s\u2019entrechoquer mes dents. \nEn d\u00e9pit du coup, je fus le premier relev\u00e9, car Hands \ns\u2019\u00e9tait emp\u00eatr\u00e9 dans le cadav re. La soudaine inclinaison \ndu navir e avait r endu le pont impropre \u00e0 la course : il \nme fallait trouver un nouv eau moyen d\u2019\u00e9chapper \u00e0 mon \nennemi, et cela sur-le-champ, car il allait m\u2019atteindre. \nPrompt comme l a pens \u00e9e, je bondis dans les haubans \nd\u2019artimon, escaladai les enfl\u00e9chures l\u2019une apr\u00e8s l\u2019autre, \n 259et ne repris haleine qu\u2019une fo is \u00e9tabli sur les barres de \nperroquet. \nMa promptitude m\u2019avait sauv\u00e9 : le poignard frappa \nmoins d\u2019un demi-pied au-desso us de moi , tandis que je \npoursuivais ma fuite vers le s hauteurs. Isra \u00ebl Hand s \nresta l\u00e0, la bouche ouverte et le visage renvers\u00e9 vers \nmoi : on e\u00fbt dit en v\u00e9 rit\u00e9 la statue de la surprise et du \nd\u00e9sappoi ntement. \nProfitant de ce r\u00e9pit, je re chargeai s ans plus attendr e \nl\u2019amor ce de mon pistolet qui avait rat\u00e9, et lorsque celui-\nci fut en \u00e9tat, pour plus de s\u00e9curit \u00e9 je me mis \u00e0 vi der \nl\u2019autre et \u00e0 le recharger enti\u00e8rement de frais. \nEn pr\u00e9sence de ma nouve lle occupation, Hands \ndemeura tout \u00e9baubi : il com men\u00e7ait \u00e0 s\u2019apercevoir que \nla chance tournait contre lu i ; et apr\u00e8s une h\u00e9sitation \nvisible, lui aussi se hiss a pesamment dans les haubans \net, le poignard entre les de nts, se mit \u00e0 monter ave c \nlenteur et maladresse. C ela lui co\u00fbta un temps infini et \nmaint grognement, de tirer ap r\u00e8s lui sa jambe bless\u00e9e ; \net j\u2019avais achev\u00e9 en paix me s pr\u00e9paratifs, qu\u2019il n\u2019avait \npas encore d\u00e9pass\u00e9 le tiers du trajet. \u00c0 ce moment, un \npistolet dans chaque ma in, je l\u2019interpellai : \n\u2013 Un pas de plus, ma\u00eetre H ands, et je vous fais \nsauter l a cervelle !... Le s morts ne mordent pas, vous \nsavez bien, aj outai-je avec un ricanement. \n 260Il s\u2019arr\u00eata aussit\u00f4t. Je vi s au jeu de sa physionomie \nqu\u2019il ess ayait de r \u00e9fl\u00e9chir , mais l\u2019op\u00e9ration \u00e9tait si lente \net laborieuse que, dans ma s\u00e9curit\u00e9 recouvr \u00e9e, je \npouss ai un \u00e9cl at de rire. Enfin, et non s ans ravaler \npr\u00e9alablement s a salive, il parl a, le vi sage encor e \nempr eint d\u2019une extr\u00eame per plexit\u00e9. Il dut, pour parler, \n\u00f4ter le poignard de sa bouche , mais il ne fit pas d\u2019autre \nmouvement. \n\u2013 Jim, dit-il, je vo is que nous som mes mal partis, toi \net moi, et que nous devons conc lure la paix. Je t\u2019aurais \neu, sans ce coup de r oulis ; mais moi je n\u2019ai pas de \nchance, et je vois qu\u2019il me fa ut mett re les pouces , ce qui \nest dur, vois-t u, pour un ma\u00eetre mari nier, \u00e0 l\u2019 \u00e9gard d\u2019un \nblanc-bec comme toi, Jim. \nJe buvais ses paroles en so uriant, aussi vai n qu\u2019un \ncoq sur un mur, quand, tout d\u2019une haleine, il ramena sa \nmain droite par-dessus s on \u00e9paule. Quelque chose siffla \nen l\u2019 air comme une fl\u00e8che ; je sentis un choc suivi \nd\u2019une douleur aigu\u00eb, et me trouvai clou\u00e9 au m\u00e2t par \nl\u2019\u00e9paule. Dans l\u2019exc\u00e8s de ma douleur et dans la surprise \ndu moment \u2013 je ne puis dir e si ce f ut de mon plein gr \u00e9, \net je suis en t out cas cert ain que j e ne vis ai pas \u2013 mes \npistolets partirent tous les de ux \u00e0 la fois, et tous les \ndeux m\u2019\u00e9chapp\u00e8rent des main s. Ils ne tomb\u00e8rent pas \nseuls : avec un cri \u00e9touff\u00e9, le quart ier-ma\u00eetre l\u00e2cha l es \nhaubans et plongea dans l\u2019 eau la t\u00eate la premi\u00e8re. \n 261 \n \nXXVII \n \n\u00ab Pi\u00e8ces de huit ! \u00bb \n \nVu la bande que donnait le navire, les m\u00e2ts \npenchaient longuement au-de ssus de l\u2019eau, et juch\u00e9 sur \nmes barres de perroquet, je n\u2019avais sous moi que \nl\u2019\u00e9tendue de la baie. Hands, qu i n\u2019\u00e9tait pas si haut, s e \ntrouvait par cons \u00e9quent plus pr \u00e8s du navir e, et il t omba \nentre moi et les bastingages. Il reparut une fois \u00e0 la \nsurface dans un tour billon d\u2019\u00e9cume et de sang, puis \ns\u2019enfon\u00e7a de nouveau pour de bon. Quand l\u2019eau se fut \n\u00e9claircie, je l\u2019aper \u00e7us conf us\u00e9ment affal\u00e9 sur le fond de \nsable fi n et cl air, dans l\u2019 ombre projet\u00e9e par le flanc du \nnavir e. Deux ou trois poissons fil\u00e8rent le long de son \ncorps. Par instants, gr\u00e2c e \u00e0 l\u2019ondulation de l\u2019eau, il \nsemblait remuer un peu, comme s\u2019il essayait de se \nlever. Mais il \u00e9tait bien mort, \u00e0 la fois perc\u00e9 de balles et \nnoy\u00e9, et il s\u2019appr\u00eatait \u00e0 nour rir les poissons sur les lieux \nm\u00eames o\u00f9 il avait projet\u00e9 de m\u2019\u00e9gorger. \nSit\u00f4t convaincu du fait, je commen\u00e7ai \u00e0 me sentir \nvertigineux d\u2019\u00e9puisement et d\u2019horreur. Le sang ti\u00e8de \nruisselait sur ma poitrine et sur mon dos. Le poignard, \u00e0 \n 262l\u2019endroit o\u00f9 il avait clou \u00e9 mon \u00e9paule au m\u00e2t, me \nbr\u00fblait comme un fer rouge, et n\u00e9anmoins , ce qui me \ntorturait ce n\u2019\u00e9tait pas cet te souffrance physique, que \nj\u2019aurais, \u00e0 elle seule, support \u00e9e sans murmure, c\u2019\u00e9tait la \npeur qui m\u2019emplissait l\u2019esprit, de tomber des barres de \nperroquet dans cette immobile eau verte. \nJe me cramponnai des deux mains avec une force \u00e0 \nm\u2019endol orir les ongles , et f ermai les yeux pour ne plus \nvoir le danger. Insensibl ement je recouvrai mes esprits, \nmon poul s apais \u00e9 reprit une c adence plus naturelle, et je \nme sentis de nouveau en possession de moi-m\u00eame. \nMa premi\u00e8re pens\u00e9e fut d\u2019 arracher le poignard ; \nmais, soit qu\u2019il t\u00eent trop fort, soit que le c\u0153ur me faill\u00eet, \nj\u2019y renon\u00e7ai avec un viol ent frisson. Chos e bizarr e, ce \nfrisson m\u00eame op\u00e9ra ma d\u00e9livr ance. Il s\u2019en \u00e9tait fallu \nd\u2019un rien, en effet, que la la me me manqu\u00e2t tout \u00e0 fait : \nelle me retenait par une simp le languette de peau, que \nce friss on d\u00e9chir a. Le s ang coul a plus rapidement, il est \nvrai, mai s j\u2019\u00e9tais redevenu mon ma\u00eetre, et ne tenais plus \nau m\u00e2t que par ma va reuse et ma chemise. \nJe les arrachai d\u2019une secousse , puis regagnai le pont \npar les haubans de tribord. P our rien au monde je ne me \nserais aventur\u00e9 de nouveau, \u00e9m u comme j e l\u2019\u00e9tais, sur \nles haubans surplombants de b\u00e2bor d, d\u2019o\u00f9 Isra\u00ebl \u00e9tai t \ntomb\u00e9 si r\u00e9cemment. \nJe descendis en bas, et bandai comme je pus ma \n 263blessure. Elle me faisait be aucoup souffrir, et saignait \ntoujours abondamment, mais elle n\u2019 \u00e9tait ni prof onde ni \ndangereuse et ne g\u00eanait gu\u00e8re lorsque je me servais de \nmon br as. Puis je regar dai autour de moi, et comme l e \nnavire \u00e9tait devenu, en quelque sorte, ma propri\u00e9t\u00e9, je \nsongeai \u00e0 le d\u00e9barrass er de son dernier passager, le mort \nO\u2019Bri en. \nIl avait culbut\u00e9, comme je l\u2019ai dit, contre les \nbastingages, o\u00f9 il gisait pa reil \u00e0 quelque hideux pantin \ndisloqu\u00e9, de gr andeur nat urelle, certes, mais combi en \n\u00e9loign\u00e9 des coul eurs et de l a soupl esse de la vie ! Dans \ncette position, j\u2019en vins \u00e0 bout facilement ; et mes \naventures tragiques ayant, pa r l\u2019habitude, fort \u00e9mouss\u00e9 \nmon horreur des morts, je le pris \u00e0 bras le corps tel un \nvulgaire sac de son, et, d\u2019 une bonne pouss\u00e9e, l\u2019envoyai \npar-dessus bord. Il s\u2019enfon\u00e7a avec un plouc ! \nretentissant, perdant son bonnet rouge qui se mit \u00e0 \nflotter \u00e0 la surface. D\u00e8s que l\u2019eau eut repris son niveau, \nje vis O\u2019Brien c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te a vec Isra\u00ebl, tous deux agit\u00e9s \npar le mouvement ondulato ire de l\u2019eau. O\u2019Brien, \nmalgr\u00e9 sa jeunesse, \u00e9tait tr \u00e8s chauve. Il gisait l\u00e0, sa \ncalvitie pos\u00e9e sur les geno ux de l\u2019homme qui l\u2019avait \ntu\u00e9, et les poissons rapide s \u00e9voluaient capricieusement \nsur tous deux. \nJ\u2019\u00e9tais d\u00e9sor mais seul sur le navire. La mar\u00e9e venait \nde renverser. Le soleil \u00e9ta it si pr\u00e8s de se coucher que \n 264d\u00e9j\u00e0 l\u2019ombr e des pins de la rive ouest s\u2019allongeait tout \nen travers du mouillage et mettait sur le pont ses \nd\u00e9coupures. La brise du soir s\u2019\u00e9tait lev\u00e9e, et, bien qu\u2019on \nf\u00fbt ici prot\u00e9g\u00e9 par la m ontagne aux deux sommets, \nsitu\u00e9e \u00e0 l \u2019est, l es cordages commen\u00e7ai ent \u00e0 siffler un e \npetite chanson et l es voiles flasques battaient \u00e7\u00e0 et l\u00e0. \nJ\u2019aper\u00e7us le dange r que courait le navire. Je me \nh\u00e2tai de filer les focs et les amenai en t as sur le pont ; \nmais ce fut plus dur avec la grand-voile. \nBien entendu, lors du chavir ement de la go\u00e9lette, le \ngui avait saut\u00e9 en dehors du bord, et sa pointe m\u00eame \nplongeait sous l\u2019eau, avec un pied ou deux de l a voile. \nCette circonstance augmenta it encore le danger ; mais \nla tensi on \u00e9t ait si fort e que j e craignais pr esque \nd\u2019int ervenir. E nfin, je pris mon couteau et coupai l es \ndriss es. Le pic d\u2019 artimon t omba aussit\u00f4t, la toile s\u2019\u00e9tala \nsur l\u2019eau comme un grand ba llon vide ; mais ensuite \nj\u2019eus beau tirer, il me fut im possible de remuer le hale-\nbas. J\u2019avais accompli tout ce dont j\u2019\u00e9tais capable : pour \nle reste, l\u2019 Hispaniola devai t s\u2019en r emettr e \u00e0 la chance, \ncomme moi-m\u00eame. \nPendant ce temps, l\u2019ombr e avait envahi tout le \nmouillage. Les derniers rayons du soleil, je m\u2019en \nsouviens, jaillirent par une trou\u00e9e du bois et jet\u00e8rent \ncomme un \u00e9cl at de pier reries sur la toison en fleurs de \nl\u2019\u00e9pave. Il commen\u00e7ait \u00e0 fa ire froid ; la mar\u00e9e fluait \n 265rapidement ver s la mer , et la go\u00e9lette se couchait de \nplus en plus s ur le c\u00f4t\u00e9. \n\u00c0 grand-peine je gagnai l\u2019 avant, o\u00f9 je me penchai. \nL\u2019eau semblait assez peu profonde, et pour plus de \ns\u00fbret\u00e9 me tenant des deux ma ins \u00e0 l\u2019amarr e coup\u00e9e, je \nme laissai doucement gliss er par -dessus bor d. L\u2019eau me \nvenait \u00e0 p eine \u00e0 la poitrine , le sable \u00e9tait dur et couvert \nde rides, et je pass ai all \u00e8grement le gu\u00e9 ju squ\u2019au rivage, \nlaissant l\u2019 Hispaniola sur le flanc avec sa grand-voile \nlarge \u00e9tal \u00e9e \u00e0 l a surface de la baie. Presque aussit\u00f4t l e \nsoleil acheva de dispara\u00eetre et la brise se mit \u00e0 siffler \ndans le cr \u00e9puscule parmi l es pins fr\u00e9miss ants. \nEn fin de compte, j\u2019\u00e9tais hors de la mer, et je n\u2019en \nrevenai s pas les mai ns vides. La go\u00e9lette \u00e9tait l\u00e0, libre \nenfin de flibustiers et pr\u00eat e \u00e0 recevoir nos hommes et \u00e0 \nreprendre le large. Je n\u2019a vais plus d\u2019autre d\u00e9sir que de \nme voir rentr\u00e9 \u00e0 la palanque o\u00f9 j e me gl orifierais de \nmes exploits. On pouvait bi en me bl\u00e2mer un peu \u00e0 \ncause de ma fugue, mais la reprise de l\u2019 Hispaniola \u00e9tait \nun argument sans r\u00e9plique, et j\u2019esp\u00e9rais que le capitaine \nSmollett lui-m\u00eame avouerait que je n\u2019avais pas perdu \nmon t emps. \nMis en excellente humeur par cette id\u00e9e, je me \ndisposai \u00e0 retourner au bl ockhaus aupr\u00e8s de mes \ncompagnons. Je me rappelai que la plus orientale des \nrivi\u00e8res qui se d\u00e9versent dan s le mouillage du capitaine \n 266Kidd venait de la montagne \u00e0 deux sommets situ\u00e9e sur \nma gauche ; et je me dirigeai de ce c\u00f4t\u00e9, afin de passer \nle cours d\u2019eau \u00e0 sa naissanc e. Le bois \u00e9tait f ort \npraticable et, en suivant les contreforts in f\u00e9rieurs de \ncette montagne, je l\u2019eus vite contourn\u00e9e. Peu apr\u00e8s je \ntraversais le ruisseau qui me venait \u00e0 mi-jambe. \nCela me conduisi t tout pr \u00e8s de l\u2019endroit o\u00f9 j\u2019avais \nrencontr\u00e9 Ben Gunn, le marron ; et je marchai avec plus \nde circonspection, ayant l\u2019\u0153 il de tous c\u00f4t\u00e9s. La nuit \n\u00e9tait pres que compl\u00e8t e, et lors que j e d\u00e9bouchai du col \nsitu\u00e9 entre les deux sommets, j\u2019aper\u00e7us dans le ciel une \nr\u00e9ver b\u00e9ration vaci llante. Je suppos ai que l\u2019 homme de \nl\u2019\u00eele \u00e9t ait l\u00e0-bas \u00e0 cuir e son souper sur un brasier ardent. \nTout efois, je m\u2019\u00e9t onnais en mon for int\u00e9rieur qu\u2019il se \nmontr \u00e2t si impr udent. Ca r si j\u2019aper cevais cett e \nradiation, ne pouvait-elle aussi frapper les yeux de \nSilver camp\u00e9 sur le rivage du marigot ? \nLa nuit s\u2019\u00e9paississait par degr \u00e9s ; c\u2019est tout au plus \nsi je pouvais me guider ap proximativement vers mon \nbut : derr i\u00e8re moi , la doubl e mont agne, et la Longue-\nVue s ur ma dr oite, devenaient presque i ndistinct es ; on \nvoyait \u00e0 peine quelques faibles \u00e9toiles ; et s ur le terrain \nbas que j e parcour ais, je tr\u00e9b uchais sans cesse contre les \nbuissons et tombais dans des trous de sable. \nSoudai n, une lueur vague se r\u00e9pandit autour de moi. \nJe levai les yeux : une p\u00e2le clart\u00e9 lunaire illuminait le \n 267sommet de la Longue-Vue ; peu apr\u00e8s un large disque \nargent\u00e9 surgit derri\u00e8re les arbr es : la lune \u00e9tait lev\u00e9e. \nFavoris \u00e9 par cett e circonst ance, je franchis \nrapidement l e reste du traj et ; dans mon i mpatience de \nme rapprocher de la palanque , je mar chais et cour ais, \nalternativement. Toutefois, en p\u00e9n\u00e9trant dans le bois qui \nla pr\u00e9c\u00e8de, je ne fus pas assez \u00e9tour di pour ne pas \nralentir, et m\u2019avan\u00e7ai avec plus de prudence. C\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 \npi\u00e8trement finir mes aventur es que d\u2019attraper une balle \ndes n\u00f4tr es, par m\u00e9pris e. \nLa lune s\u2019\u00e9l evait ; sa l umi\u00e8re tombait \u00e7\u00e0 et l\u00e0 en \nflaques dans les parties moins \u00e9paisses du bois ; et juste \ndevant moi une lueur d\u2019une te inte diff\u00e9rente apparut \nentre les arbres. Elle \u00e9tait d\u2019 un rouge ar dent, et \ns\u2019obscurcissait un peu de temp s \u00e0 autre, comme si ell e \nf\u00fbt pr ovenue des ti sons d\u2019 un br asier expir ant. \nMalgr\u00e9 tous mes e fforts je ne devinais pas ce que ce \npouvait \u00eatre. \nJ\u2019arri vai enfin aux li mites de la cl airi\u00e8re. S on \nextr\u00e9mit\u00e9 ouest \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 baig n\u00e9e de clair de l une ; le \nreste, avec le blockhaus m\u00eame, reposait encore dans \nune ombre noi re que rayai ent de longues stries de \nlumi\u00e8re argent\u00e9e. De l\u2019 autre c\u00f4t\u00e9 de la maison, un \n\u00e9norme feu s\u2019\u00e9t ait r\u00e9duit en brais es vives dont \nl\u2019immobile et rouge r\u00e9verb\u00e9r ation formait un vigoureux \ncontraste avec la blanche clar t\u00e9 de la lune. Pas un bruit \n 268humain, nul autre son que l es fr\u00e9mis sements de la bri se. \nJe m\u2019arr\u00eatai avec beaucoup d\u2019\u00e9tonnement, et peut-\n\u00eatre aus si un peu d\u2019effr oi. C e n\u2019\u00e9tait pas not re usage de \nfaire de grands feux : nous \u00e9 tions, en effet, par ordre du \ncapitai ne, ass ez regardants sur le bois \u00e0 br\u00fbler, et je \ncommen\u00e7ais \u00e0 cr aindr e que les choses n\u2019eussent mal \ntourn\u00e9 en mon absence. \nJe fis le tour par l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 orientale de la palanque, \nen me tenant tout contre, dans l\u2019ombre, et, \u00e0 un endroit \npropice, o\u00f9 l es t\u00e9n\u00e8bres \u00e9t aient pl us \u00e9pais ses, je franchis \nla cl\u00f4t ure. \nPour plus de s\u00fbret\u00e9, je me tins \u00e0 quatre pattes et \nrampai sans bruit vers l\u2019angl e de l a mais on. En \napprochant j\u2019\u00e9prouvai un so udain et grand soulagement. \nLe br uit n\u2019 a rien d\u2019agr \u00e9able en soi, et j e m\u2019en suis \nsouvent plai nt, \u00e0 d\u2019autr es moments ; mai s en cett e \nminute-l\u00e0 ce me fut une musi que c\u00e9leste que d\u2019entendre \nmes amis ro nfler av ec ensemble, d \u2019un somme il si \nprofond et paisible. Le cri mariti me de l a vigie, ce \nbeau : \u00ab Ouvre l\u2019\u0153il ! \u00bb ne pa rut jamais plus rassurant \u00e0 \nmes oreil les. \nN\u00e9anmoi ns, une chos e n\u2019\u00e9tait pas dout euse : ils se \ngardaient de fa\u00e7on ex\u00e9crable. Que Silver et ses amis \nfussent survenus maintenant au lieu de moi, pas une \n\u00e2me n\u2019aurait vu lever le j our. \u00ab Voil\u00e0 ce que c\u2019 est, \npensai-je, d\u2019avoir un capit aine bless \u00e9. \u00bb Et, une f ois de \n 269plus, je me reprochai vivem ent de les avo ir abandonn\u00e9s \ndans ce danger avec si peu d\u2019hommes pour monter la \ngarde. \nCependant j\u2019\u00e9tais arriv\u00e9 \u00e0 la porte. Je m\u2019arr\u00eatai. Il \nfaisait tout noir \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur , et mes yeux n\u2019 y pouvai ent \nrien distinguer. P ar l\u2019ou\u00efe, je percevais le tranquille \nbourdon des ronfleurs, et pa r intervalles un petit bruit, \nun tr \u00e9moussement et un becqu\u00e8tement dont j e ne \npouvais d\u00e9terminer l\u2019origine. \nLes bras tendus devant moi, je p\u00e9n\u00e9tr ai sans bruit. \nJ\u2019irais me coucher \u00e0 ma plac e (pens ais-je avec un pet it \nrire muet ) et m\u2019amus erais \u00e0 vo ir leurs t\u00eates quand ils me \nd\u00e9couvriraient au matin. \nMon pied heurta quel que chos e de mou : c\u2019\u00e9tait l a \njambe d\u2019un dormeur, qui se retourna en grognant, mais \nsans s e r\u00e9veill er. \nEt alors , tout d\u2019 un coup, une voi x strident e \u00e9clat a \ndans les t\u00e9n\u00e8bres : \n\u2013 Pi\u00e8ces de huit ! pi\u00e8ces de huit ! pi\u00e8ces de huit ! \npi\u00e8ces de huit ! pi\u00e8ces de hui t ! et ainsi de suite, sans \narr\u00eat ni changement, comme un cli quet de mouli n. \nLe perroquet vert de Silver , Capitaine Flint ! C\u2019\u00e9tait \nlui que j\u2019avais entendu be cqueter un morceau d\u2019\u00e9corce ; \nc\u2019\u00e9tait lui, qui, faisant meilleure veille que nul \u00eatre \nhumain, annon\u00e7ait ainsi mon arriv\u00e9e par sa fastidieuse \n 270rengaine ! \nJe n\u2019 eus pas l e temps de me r econna\u00eetr e. Aux cris \naigus et assourdissants du perroquet, les dormeurs \ns\u2019\u00e9veill \u00e8rent et bondir ent. Avec un \u00e9norme juron, la \nvoix de Silver cria : \n\u2013 Qui vi ve ? \nJe tentai de f uir, me jetai violemment cont re \nquelqu\u2019un, r eculai, et courus droit entr e les bras d\u2019 un \nsecond indi vidu, qui l es referma et me r etint \nsolidement. \n\u2013 Apporte une torche, Dick , ordonna Silver , lors que \nma capture fut ainsi assur\u00e9e. \nEt l\u2019un des hommes sortit de la maison, pour rentrer \npresque aussit\u00f4t porteur d\u2019un brandon enflamm\u00e9. \n 271 \n \n \n \n \nSixi\u00e8me partie \n \nLe capitaine Silver \n 272 \n \nXXVIII \n \nDans le camp ennemi \n \nLa rouge flamb\u00e9e de la torche, en illuminant \nl\u2019int\u00e9rieur du blockhaus, me fit voir que mes pires \ncraintes s\u2019\u00e9t aient r\u00e9alis \u00e9es. L es pirat es \u00e9tai ent en \npossession du fortin et de s approvisionnements : il y \navait l\u00e0 le tonnelet de cogn ac, il y avait le lard et le \nbiscuit, comme auparavant ; et, ce qui d\u00e9cuplait mon \nhorreur , pas tr ace de pris onnier s. J \u2019en conclus \nlogiquement que tous avaient p\u00e9ri, et ma conscience me \nreprocha am\u00e8rement de n\u2019\u00eatre pas r est\u00e9 pour p\u00e9rir avec \neux. \nIls \u00e9t aient en t out six f orbans ; personne autre n\u2019\u00e9tait \ndemeur \u00e9 vivant. C inq d\u2019ent re eux, brus quement tir \u00e9s du \npremier sommeil de l\u2019i vresse, \u00e9taient debout , encor e \nrouges et bouffis . Le sixi \u00e8me s\u2019 \u00e9tait seul ement dr ess\u00e9 \nsur un coude : il \u00e9tait d\u2019un e p\u00e2leur affreuse, et le \nbandage tach\u00e9 de sang qui lu i enveloppait la t\u00eate \nprouvait qu\u2019il avai t \u00e9t\u00e9 bl ess\u00e9 depui s peu, et encor e plus \nr\u00e9cemment pans\u00e9. Je me souv ins que, lors de la grande \nattaque, un homme, fr app\u00e9 d\u2019 une ball e, s\u2019\u00e9tait enf ui \u00e0 \n 273traver s bois, et j e ne dou tai point que ce f\u00fbt lui. \nLe perroquet se lissait les plumes, perch\u00e9 sur \nl\u2019\u00e9paule de Silver. Celui-ci me parut un peu plus p\u00e2l e et \nplus grave que de coutume. Il portait encore le bel habit \nde drap sous lequel il avait rempli sa mission, mais cet \nhabit \u00e9tait, par un contraste amer, souill\u00e9 de glaise et \nd\u00e9chir\u00e9 aux ronces ac\u00e9r\u00e9es des bois. \n\u2013 Ainsi donc, fit Silver, vo il\u00e0 Jim Hawkins, mort de \nmes os ! En visit e, on dir ait, h\u00e9 ? All ons, soit, je pr ends \nla chos e ami calement. \nIl s\u2019a ssit sur le tonnelet d\u2019eau-de-vie, et s e bourr a \nune pi pe. \n\u2013 Passe- moi la torche, Di ck, reprit-i l. \nPuis, apr\u00e8s avoir allum\u00e9 : \n\u2013 \u00c7a ira, gar\u00e7on : tiens, pique cette chandelle dans le \ntas de bois ; et vous, me sseigneurs, amenez-vous !... \ninutile de rester debout pour M. Hawkins : il vous \nexcusera, soyez-en s\u00fbrs. Et ainsi, Jim (et il tassa son \ntabac), te voil\u00e0 ? La surprise est tout \u00e0 fait agr\u00e9able pour \nce pauvre vieux John. J\u2019ai bien vu que tu \u00e9tais sage, d\u00e8s \nla premi\u00e8re fois que j\u2019ai jet\u00e9 les yeux sur toi ; mais ceci \nme passe, en v\u00e9rit\u00e9. \n\u00c0 tout cela, comme on peut le croire, je ne r\u00e9pliquai \nrien. On m\u2019 avait plac\u00e9 le do s au mur ; je restais l\u00e0, \nregar dant Silver dans les yeux, et faisant montre, je \n 274l\u2019esp\u00e8re, d\u2019 une pass able fermet\u00e9, mais le c\u0153ur pl ein \nd\u2019un sombr e d\u00e9sespoir. \nSilver tira tr\u00e8s pos\u00e9ment deux ou trois bouff\u00e9es de \nsa pipe, et pour suivit ainsi : \n\u2013 Maintenant, voi s-tu, Ji m, puisque aussi bien t u es \nici, je vais te dire un peu ma fa\u00e7on de penser. Je t\u2019ai \ntoujours estim\u00e9 comme un gar\u00e7on d\u2019esprit et comme \nmon propre portrait lorsque j\u2019\u00e9tais jeune et de bonne \nmine. J\u2019ai toujours d\u00e9sir\u00e9 qu e tu t\u2019enr\u00f4les avec nous, \npour recevoir ta part et mourir en gentilhomme. Et \nmaintenant, mon brave, tu vas y venir. Le capitaine \nSmollett est un bon marin, je le reconna\u00eetrai toujours, \nmais \u00e0 cheval s ur la discipline. \u00ab Le devoir avant tout \u00bb, \nqu\u2019il dit, et il a raison. Il fa ut te garer du capit aine. Le \ndocteur lui-m\u00eame est f \u00e2ch\u00e9 \u00e0 mort contr e toi. \u00ab Un \ningrat chenapan \u00bb, voil \u00e0 ses paroles ; et le r\u00e9sum\u00e9 de \nl\u2019hist oire est \u00e0 peu pr \u00e8s celui-ci : tu ne peux plus \nretourner chez tes gens, car ils ne voudr aient pl us de \ntoi ; et \u00e0 moins que tu ne formes \u00e0 toi tout seul un \ntroisi\u00e8me \u00e9quipage, ce qui manquer ait un peu de \nsoci\u00e9t\u00e9, il va falloir t\u2019enr\u00f4 ler avec le capitaine Silver. \nTout allait bien j usque-l\u00e0. Mes amis, donc, \u00e9taient \nencore vivants, et bien que je cr usse vraie en par tie \nl\u2019affirmation de Silver qu e ceux de la cabine m\u2019en \nvoulaient pour ma d\u00e9sertio n, j\u2019\u00e9tais plus r\u00e9confort\u00e9 \nqu\u2019abattu par ce que je venais d\u2019entendre. \n 275\u2013 Et quoi que t u sois en not re pouvoir, reprit Silver, \net que tu y sois bien, crois-moi, je n\u2019en parlerai pas. J e \nsuis uni quement pour la per suasion ; la menace n\u2019 a \njamais produit rien de bon. Si le service te pla\u00eet, eh \nbien, tu t\u2019enr\u00f4leras avec nous : et dans le cas contraire, \nJim, ma foi, t u es libre de r\u00e9pondre non... li bre comme \nl\u2019air, camarade ; et je veux p\u00e9rir s\u2019il est en ce monde un \nmarin pour parler mieux que cela ! \n\u00c0 travers tout ce persiflage , j\u2019avais bien dis cern\u00e9 la \nmenace de mort suspendue sur moi ; mes j oues \u00e9t aient \nbr\u00fblantes et mon c\u0153ur batt ait douloureusement dans ma \npoitrine. Je demandai d\u2019 une voix tremblante : \n\u2013 Alors, il faut que je r \u00e9ponde ? \n\u2013 Mon gars, repartit Silver, personne ne te presse. \nRel\u00e8ve t a positi on. P ersonne ici ne voudrait te presser, \ncamarade : le temps passe trop agr\u00e9ablement en ta \nsoci\u00e9t \u00e9, vois-t u. \n\u2013 Eh bien, fis-je, quelque peu enhardi, si je dois \nchoisir, je d\u00e9clare que j\u2019ai le droit de savoir ce qu\u2019il en \nest, pourquoi vous \u00eates ic i, et o\u00f9 sont mes amis. \n\u2013 Ce qu\u2019i l en est, r\u00e9p\u00e9t a l\u2019un des flibusti ers avec un \nsourd grognement ; ah ! il aurait de la chance, celui qui \nle saurait. \n\u2013 Tu pourrais peut-\u00eatre fermer tes \u00e9coutilles en \nattendant qu\u2019on te parle, mon ami ! lan\u00e7a farouchement \n 276Silver \u00e0 l\u2019interrupteur. \nPuis, reprenant son ton ai mable, il me r\u00e9pondit : \n\u2013 Hier matin, ma\u00eetre Hawkin s, durant le quart de \nquatre heures \u00e0 huit heures , voil\u00e0 que nous arrive le \ndocteur Livesey, muni du pa villon parlementaire. Il me \ndit : \u00ab Capitaine Silver, vous \u00eates trahi : le navire n\u2019est \nplus l \u00e0... \u00bb Eh bien, peut-\u00eatre avions-nous pr is un ver re \net chant \u00e9 un peu pour l e faire passer. Je ne dirais pas \nnon. E n tout cas, pers onne d\u2019 entre nous n\u2019 avait \nremar qu\u00e9 la chos e. Nous rega rdons et, cr\u00e9 tonnerr e ! ce \nvieux b\u00e2timent n\u2019\u00e9tait plus l\u00e0 ! Je n\u2019ai jamais vu band e \nde jocrisses avoir l\u2019air pl us st upides, cr ois-moi. \u00ab Eh \nbien, dit le docteur, faisons un march\u00e9... \u00bb Nous avons \ntrait\u00e9, lui et moi, et nous sommes ici avec provisions, \neau-de-vie, blockhaus, le bois \u00e0 br\u00fbler que vous avez eu \nla pr\u00e9voyance de couper, et, po ur ainsi dire, avec tout l e \nsacr\u00e9 bateau, de la quille \u00e0 la pomme des m\u00e2ts. Quant \u00e0 \neux, ils se sont trott\u00e9s ; je ne sais pas o\u00f9 ils sont. \nDe nouveau, il tira placidemen t sur sa pipe et reprit : \n\u2013 Et afin qu e tu ne te me ttes pas dan s la t\u00eate qu e tu \nes compris dans le trait\u00e9, voici les derniers mo ts qu i \nfurent pr ononc\u00e9s : \u00ab Combien \u00eat es-vous, que je dis, \u00e0 \npartir ? \u2013 Quatre, qu\u2019il dit, dont un bless\u00e9 ; quant \u00e0 ce \ngar\u00e7on, je ne sais pas o\u00f9 il est, qu\u2019il aille au diable, \nqu\u2019il dit, je n\u2019en ai cure : nous s ommes f atigu\u00e9s de \nlui... \u00bb Ce sont l\u00e0 ses paroles. \n 277\u2013 Est- ce tout ? \n\u2013 Oui, c\u2019 est tout ce que t u dois savoir, mon fi ls. \n\u2013 Et mai ntenant, i l me f aut choisir ? \n\u2013 Et mai ntenant, i l te faut choisi r, crois-moi. \n\u2013 Eh bien, je ne suis pas ass ez sot pour ne pas tr \u00e8s \nbien savoir ce que j\u2019ai \u00e0 attendre. Quoi qu\u2019il doive \nm\u2019arriver, cela m\u2019est \u00e9gal. J\u2019 en ai trop vu mourir depuis \nque j e vous ai rencontr \u00e9. Mais il y a deux ou tr ois \nchoses que je dois vous racont er, dis-je, tr\u00e8s surexcit\u00e9 \u00e0 \nce moment. Voici la premi\u00e8 re. Vous \u00eates dans une \nmauvais e passe : navir e perdu, tr\u00e9sor perdu, hommes \nperdus : tout e vot re entr eprise a f ait naufr age ; et s i \nvous voulez s avoir \u00e0 qui vous le devez, eh bien, c\u2019est \u00e0 \nmoi ! J\u2019\u00e9tais dans la barri que de pommes le soi r de \nnotre arriv\u00e9e en vue de t erre, et je vous ai entendus, \nvous John, et vous Dick Jo hnson, et Hands, qui est \npr\u00e9sentement au fond de la mer, et j\u2019 ai r\u00e9p\u00e9t \u00e9 sur \nl\u2019heur e jus qu\u2019\u00e0 la der ni\u00e8re de vos par oles. Et quant \u00e0 l a \ngo\u00e9lette, c\u2019est moi qui ai co up\u00e9 son c\u00e2ble, et c\u2019est moi \nqui ai t u\u00e9 les hommes que vous aviez \u00e0 s on bor d, et \nc\u2019est moi qui l\u2019ai men\u00e9e l\u00e0 o\u00f9 aucun de vous ne la \nrever ra jamais. L es rieurs ser ont de mon c\u00f4t \u00e9 ; j\u2019ai eu, \nd\u00e8s le d\u00e9but, la haute main sur vous dans cette affaire ; \nje ne vous crai ns pas pl us qu\u2019un moucheron. Tuez-moi \nou \u00e9pargnez-moi, \u00e0 votre gr\u00e9. Mais je vous dirai encore \nune chos e : si vous m\u2019 \u00e9pargnez, j\u2019 oubli erai le pass \u00e9, et \n 278quand vous passerez tous en ju gement pour piraterie, je \nvous aiderai de tout mon pouvoir . C\u2019est \u00e0 vous de \nchoisir . Tuez- en un de plus sans pr ofit pour vous, ou \n\u00e9pargnez-moi et gar dez ai nsi un t\u00e9moin qui vous \nsauvera de la potence. \nJe m\u2019arr\u00eatai, car, en v\u00e9rit\u00e9 , j\u2019\u00e9tais \u00e0 bout de souffle. \n\u00c0 mon gr and \u00e9t onnement, pas un d\u2019 entre eux ne \nbroncha, et tous rest\u00e8rent \u00e0 me consid\u00e9r er tel qu\u2019un \ntroupeau de moutons. Et tand is qu\u2019ils me regardaient \nencore, je repris : \n\u2013 Et maintenant, ma\u00eetre Silver , je crois que vous \u00eates \nici le meilleur de tous : si le s choses en viennent au pis, \nje vous serai obli g\u00e9 de fai re savoir au doct eur l a fa\u00e7on \ndont je me suis comport\u00e9. \n\u2013 Je ne l\u2019 oublierai pas, d it Silver avec une intonation \nsi particuli\u00e8re que je n\u2019aura is pu, m\u00eame au prix de ma \nvie, d\u00e9ci der s\u2019il se raill ait de ma requ\u00eate ou si mon \ncourage l\u2019avait favora blement impr essionn\u00e9. \n\u2013 J\u2019ajouterai quel que chos e \u00e0 cel a, s\u2019\u00e9cri a le vieux \nmarin \u00e0 teint d\u2019a cajou (le nomm\u00e9 Morgan que j\u2019avais \nvu dans la taver ne de Silver , sur les quais de Bristol), \nc\u2019est lui qui a r econnu Chien-Noir. \n\u2013 Et tenez, reprit le ma\u00eetr e coq, j\u2019ajouterai encore \nautre chose \u00e0 cela, cr\u00e9 tonnerr e ! c\u2019est ce m\u00eame gar\u00e7on \nqui a subtilis\u00e9 la carte \u00e0 Billy Bones. D\u2019un bout \u00e0 \n 279l\u2019autre, nous nous sommes but\u00e9s contre Jim Hawkins ! \n\u2013 Alors, voici pour lui ! fit Morgan avec un \nblasph\u00e8me. \nEt il bondit, en ti rant son cout eau avec une ardeur \njuv\u00e9nile. \n\u2013 Halte-l\u00e0 ! cria Silver. Que t e crois-tu donc i ci, \nTom M organ ? Capitaine, hei n ? Par tous les diables, je \nt\u2019apprendrai le contraire ! Me ts-toi \u00e0 ma traverse, et tu \niras o\u00f9 tant de bons bougres ont \u00e9t\u00e9 avant toi , du \npremi er au dernier, depuis vingt ans... l es uns \u00e0 bout de \nvergue, mort de ma vie ! et d\u2019autres par le sabord, et \ntous \u00e0 nourrir les poisso ns. Jamais personne ne m\u2019a \nregard\u00e9 entre les deux yeux, qui ait vu ensuite un jour \nde bonheur, Tom Morgan, je te le garantis. \nMorgan se tut, mais les autres firent ent endre un \nrauque murmure. \n\u2013 Tom a rais on, di t quel qu\u2019un. \n\u2013 J\u2019ai \u00e9t\u00e9 emb\u00eat\u00e9 ass ez longtemps par un capitaine, \ndit un second. Que je sois p endu si je me laisse faire \nencore par toi, John Silver ! \n\u2013 Y en a-t-il un de vous autr es, mes seigneurs, qui \nveut veni r s\u2019expli quer dehor s avec moi ? rugit Silver de \ndessus son tonnelet, en avan\u00e7 ant fortement le haut du \ncorps et agitant vers eux sa pipe brasillante. Si c\u2019est \ncela que vous voulez, dites -le : vous n\u2019\u00eat es pas muet s, \n 280je suppose. Celui qui le d\u00e9sir e sera servi. Aura i-je donc \nv\u00e9cu tant d\u2019ann\u00e9es pour me voir fi nalement braver en \nface par un fils d\u2019ivr ogne sse ? Vous connaissez le \nsyst\u00e8me, puisque vous \u00eates tous gentilshommes de \nfortune, \u00e0 vous entendre. Eh bien, je suis pr\u00eat. Qu\u2019il \nprenne un coutelas, celui qui ose, et je verrai la couleur \nde ses tripes, tout b\u00e9quillard que je suis, avant la fin de \ncette pipe. \nPersonne ne broncha ; personne ne r \u00e9pondit. \n\u2013 Voil\u00e0 votr e genr e, n\u2019est-ce pas ? ajouta- t-il, en \nportant de nouveau sa pipe \u00e0 sa bouche. Eh bien, vous \n\u00eates rigol os \u00e0 voir , en tout cas. M ais pas bi en fameux \npour vous battre, \u00e7a non. Mais si je parle anglais \ncomme il faut , vous me compr endrez peut-\u00eat re. Je suis \nvotre capitai ne par \u00e9lecti on. J e suis votr e capit aine \nparce que je suis le meilleu r de tous, d\u2019un bon mille \nmarin. Vous r efusez de vous battr e comme l e devr aient \ndes gent ilshommes de f ortune ; alors, cr\u00e9 tonnerre ! \nvous ob\u00e9irez, je ne vous dis que \u00e7a ! J\u2019aime ce gar\u00e7on, \u00e0 \npr\u00e9sent : je n\u2019ai jamais vu me illeur gar\u00e7on que l ui. Il est \nplus cr\u00e2ne que deux quelco nques des capons que vous \n\u00eates t ous ici ; et voi ci ce que je dis : je voudrais voir \nd\u00e9sor mais que quelqu\u2019 un porte l a main s ur lui. Voil \u00e0 ce \nque je dis, et vous pouvez vous en rapport er \u00e0 \u00e7a. \nIl y eut un l ong silence. J\u2019 \u00e9tais debout, adoss\u00e9 au \nmur, et mon c\u0153ur batt ait comme un mart eau de \n 281forgeron, mais \u00e0 pr\u00e9sent un rayon d\u2019espoir luisait en \nmoi. Silver se laissa aller cont re le mur, les bras crois\u00e9s, \nla pipe au coin des l\u00e8vres , aussi impassible que s\u2019il e\u00fbt \n\u00e9t\u00e9 l\u2019\u00e9glise ; pourtant son re gard allait \u00e0 la d\u00e9rob\u00e9e vers \nses fougueux partisans, et il ne cessait de les observer \ndu coin de l\u2019\u0153il. Quant \u00e0 eux, ils se rassemblaient \ngraduellement vers l\u2019autre extr\u00e9mit\u00e9 du blockhaus, et \nleurs confus chuchotements fa isaient dans mes oreilles \nun br uit continu de r uisseau. L\u2019 un apr\u00e8s l\u2019autr e ils \nlevaient les yeux, et la rouge lueur de la torche \u00e9clairait \npendant une seconde leurs vi sages inquiets ; mais ce \nn\u2019\u00e9tait pas vers moi, c\u2019\u00e9t ait vers Silver que se \ndirigeaient leur s regards. \n\u2013 Vous parais sez en avoir joli ment \u00e0 dire, f it \nremarquer Silver, en lan\u00e7ant au loin un jet de salive. \nChantez-moi \u00e7a, que je l\u2019en tende, ou si non mettez en \npanne. \n\u2013 Demande par don, capi taine, r\u00e9pliqua l\u2019 un des \nhommes , tu en pr ends par tr op \u00e0 t on ais e avec certai nes \nde nos r\u00e8gles . Cet \u00e9qui page est m\u00e9content ; cet \n\u00e9quipage n\u2019aime pas l\u2019intimidation plus que les coups \nd\u2019\u00e9pissoir ; cet \u00e9quipage a ses droits comme tous les \n\u00e9quipages, je prends la libert \u00e9 de le dire ; et de tes \npropres r\u00e8gles, je retien s que nous pouvons causer \nensemble. Je te demande pa rdon, reconnaissant que tu \nes mon capit aine en ce mome nt ; mais je r\u00e9clame mon \n 282droit, et j e sors pour aller tenir conseil. \nEt avec un correct sal ut ma ritime, cet i ndividu, un \nhomme de trente-cinq ans, e fflanqu\u00e9, de mauvaise mine \net aux yeux jaunes, se dirige a froidement vers la porte \net dis parut au- dehors. T our \u00e0 tour , les autr es suivirent \nson exemple. Chacun saluait en passant et ajoutait \nquelques mots d\u2019 excus e. \u00ab Conform\u00e9ment aux r \u00e8gles \u00bb, \ndit l\u2019un. \u00ab Conseil de gaillar d d\u2019avant \u00bb, dit Morgan. Et \nsuccessivement tous sortirent ai nsi, et je restai seul avec \nSilver devant la torche. \n\u00c0 l\u2019instant, le ma\u00eetre coq l \u00e2cha sa pi pe. \n\u2013 Maintenant, attention, Jim Hawkins, me dit-il \nd\u2019une voix nette, mais si bas que je l\u2019entendais \u00e0 peine, \ntu es \u00e0 deux doigts de la mort et, ce qui est bien pir e, de \nla torture. Ils vont me des tituer. Mais, note-le, je te \nsoutiendrai \u00e0 travers tout. Je n\u2019en avais pas l\u2019intention, \ncertes, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019heure o\u00f9 tu as parl\u00e9. J \u2019\u00e9tais quasi \nd\u00e9ses p\u00e9r\u00e9 de per dre toute cett e grosse galette, et d\u2019 \u00eatre \npendu par-dess us le march\u00e9. Mais j\u2019 ai vu que t u \u00e9tais de \nla bonne sorte. Je me suis dit en moi-m\u00eame : \u00ab Soutiens \nJim Hawkins, John, et Hawkin s te soutiendra. Tu es sa \nderni \u00e8re carte et, par le tonnerr e de Dieu, John, il est la \ntienne. Dos \u00e0 dos, c\u2019est dit. Tu sauves ton t\u00e9m oin \u00e0 \nd\u00e9charge, et il sauvera ta t\u00eate ! \u00bb \nJe commen\u00e7ais vaguemen t \u00e0 c omprendre. Je \nl\u2019interrogeai : \n 283\u2013 Vous voul ez dir e que t out est per du ? \n\u2013 Oui, sacr\u00e9di\u00e9, que je le dis ! r\u00e9pondit-il. Le navire \nparti, adieu ma t\u00eate : \u00e7a se r\u00e9s ume l\u00e0. Quand j \u2019ai \nregar d\u00e9 dans l a baie, Jim Hawk ins, et que je n\u2019ai plus \nvu la go\u00e9lette... eh bien, je su is un dur \u00e0 cuire, mais j\u2019ai \nrenonc\u00e9. Pour ce qui est de cette bande et de leur \nconseil, not e-le, ce sont des so ts et des couards en plein. \nJe te sauverai la vie, si cela est en mon pouvoir, malgr\u00e9 \neux. Mais attention, Jim : donnant donnant ... tu sauves \nLong John de la corde. \nJe n\u2019en revenais pas : cela me semblait d\u2019une telle \nimpossibilit\u00e9, ce qu\u2019il me de mandait l\u00e0, lui, le vieux \nflibustier, lui, le meneur d\u2019un bout \u00e0 l\u2019 autre... J e \nr\u00e9pliquai : \n\u2013 Ce que je pourr ai faire, je le ferai. \n\u2013 March\u00e9 conclu ! s\u2019\u00e9cria Long John. Tu parles \ncr\u00e2nement, et j\u2019ai une chance, cr\u00e9 tonnerre ! \nIl clopina jusqu\u2019\u00e0 la torche , qui \u00e9tait fich\u00e9e dans le \ntas de bois, et y ralluma sa pipe. \n\u2013 Comprends-moi bien, Ji m, dit-il en r evenant . J\u2019ai \nune t\u00eate sur mes \u00e9paules, moi. Je s uis du c\u00f4t \u00e9 du \nchevali er, d\u00e9sormais. J e sais que tu as mis ce navir e en \ns\u00fbret\u00e9 quelque part. Comment tu as fait, je n\u2019en sais \nrien, mais il est en s\u00fbret\u00e9 . Je suppose que Hands et \nO\u2019Brien ont tourn\u00e9 casaque. Je n\u2019ai jamais eu grande \n 284confiance en aucun d\u2019eux. Ma is note mes paroles. Je ne \npose pas de ques tions , pas pl us que je ne m\u2019en laisse \nposer. Je reconnais quand une partie est perdue, moi ; et \nje reconnais quand un gars est de parole. Ah ! toi qui es \njeune... toi et moi, que de belles choses nous aurions pu \nfaire ens emble ! \nIl emplit au tonnelet de cognac une mesure d\u2019\u00e9tain. \n\u2013 En veux-tu, camarade ? me demanda-t-il. \nEt, su r mon refus : \n\u2013 Eh bien, moi , je vais boir e un coup, J im. J\u2019 ai \nbesoin de me calfater, car no us allons avoir du grabuge. \nEt \u00e0 pr opos de gr abuge, Ji m, pourquoi ce docteur m\u2019a-t-\nil donn\u00e9 la carte ? \nMon visage exprima un \u00e9to nnement si sinc\u00e8re qu\u2019il \njugea inutile de me questi onner davantage. Il reprit : \n\u2013 Enfin, n\u2019import e, il me l\u2019a donn\u00e9e. Et il y a sans \ndoute quelque chose l\u00e0-de ssous ... s\u00fbrement quelque \nchose l\u00e0-dessous, Jim... du mauvais ou du bon. \nEt il aval a encore une goul \u00e9e de cognac , en secouant \nsa gr osse t\u00eate bl onde, de l\u2019 air de quelqu\u2019un qui n\u2019augure \nrien de bon. \n 285 \n \nXXIX \n \nEncore la tache noire \n \nLe conseil des flibustiers durait depuis un moment, \nlorsque l \u2019un d\u2019 eux rentr a dans l a mais on, et avec une \nr\u00e9p\u00e9tition du m\u00eame salut, qui avait \u00e0 mes yeux un sens \nironique, demanda \u00e0 emprun ter la torche pour une \nminute. Silver acquies\u00e7a d\u2019un mot, et l\u2019envoy\u00e9 se retira, \nnous laissant tous deux dans l\u2019obscurit\u00e9. \n\u2013 Voil\u00e0 le coup de temps qui appr oche, Ji m, me di t \nSilver, qui avait pris alors un ton t out \u00e0 f ait ami cal et \nfamilier. \nJ\u2019allai regarder \u00e0 la meurtr i\u00e8re la plus voisine. Les \nbraises du gr and feu s\u2019\u00e9t aient presque consum\u00e9es, et \nleur lueur faible et obscure me fit comprendre pourquoi \nles cons pirateurs d\u00e9sir aient une t orche. Au bas du \nmonticul e, \u00e0 peu pr \u00e8s \u00e0 mi-c hemin de la palissade, ils \nformaient un groupe. L\u2019un t enait la lumi\u00e8re ; un autre \n\u00e9tait agenouill\u00e9 au milieu d\u2019eux, et je vis \u00e0 son poing la \nlame d\u2019un couteau ouvert refl\u00e9t er les lueurs diverses de \nla lune et de la torche. Le s autres se penchaient pour \n 286suivre ses op\u00e9rations. Tout ce que je pus di stinguer, ce \nfut qu\u2019il tenait en main, outre le couteau, un livre ; et \nj\u2019en \u00e9t ais encor e \u00e0 m\u2019\u00e9t onne r de voir en leur possession \ncet objet inattendu, lors que l\u2019homme agenouill\u00e9 se \nreleva, et toute la bande se remit e n marche vers la \nmaison. \n\u2013 Ils viennent, dis -je. \nEt je m\u2019en retournai \u00e0 ma place primitive, car il me \nsemblait au-dessous de ma dignit\u00e9 d \u2019\u00eatre surpris \u00e0 les \n\u00e9pier. \n\u2013 Eh ! qu\u2019ils viennent, mon gar\u00e7on, qu\u2019ils viennent, \ndit Silver, jovialement. J\u2019ai encore plus d\u2019un tour dans \nmon sac. \nLa porte s\u2019ouvrit, et les ci nq hommes, s\u2019arr\u00eatant tout \n\u00e0 l\u2019entr\u00e9e en un tas, pouss\u00e8 rent en avant un des leurs. \nEn toute autr e circonst ance, il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 comi que de l e \nvoir marcher avec lenteur, d\u00e9pla\u00e7ant un pied apr\u00e8s \nl\u2019autre avec h\u00e9sit ation, et tenant devant lui sa main \nferm\u00e9e. \n\u2013 Avance, mon gars, lui dit Silver. Je ne te mangerai \npas. Donne-moi \u00e7a, marin d\u2019 eau douce. Je connais les \nr\u00e8gles, voyons : je n\u2019ir ai pas faire du mal \u00e0 un \n\u00e9missaire. \nSur cet encouragement, le flibustie r acc\u00e9l\u00e9ra, et \napr\u00e8s avoir pass\u00e9 quelque chose \u00e0 Silver, de la main \u00e0 la \n 287main, il s\u2019en retourna vers ses compagnons plus \nprestement encore. \nLe coq regarda ce qu \u2019on lui avait rem is. \n\u2013 La tache noi re ! fit-il. Je m\u2019 en dout ais. O\u00f9 avez-\nvous donc pris ce papier ? A\u00efe ! a\u00efe ! voyez donc : ce \nn\u2019est pas de chance ! Vous avez \u00e9t\u00e9 couper \u00e7a dans une \nbible. Quel imb\u00e9ci le a mutil \u00e9 une bi ble ? \n\u2013 L\u00e0 ! l\u00e0 ! dit Morgan, vous voyez ! Qu\u2019est-ce que je \nvous disais ? Il n\u2019en s ortira rien de bon, c\u2019 est cert ain. \n\u2013 Eh bien, c\u2019est maintenan t chose r\u00e9gl\u00e9e pour tous, \ncontinua Silver. Vous serez t ous pendus, je crois. Quel \nest le ramolli d\u2019andouille qui poss\u00e9dait une bible ? \n\u2013 C\u2019est Dick, r \u00e9pondit une voi x. \n\u2013 Dick, vr aiment ? Alors , Dick peut se \nrecommander \u00e0 Dieu. Il a eu sa tranche de bon t emps, \nDick, vous pouvez en \u00eatre s\u00fbrs. \nMais al ors l e grand mai gre aux yeux jaunes \nl\u2019interrompit : \n\u2013 Amarr e \u00e7a, J ohn Silver. Assez caus \u00e9. Cet \u00e9quipage \nt\u2019a d\u00e9cer n\u00e9 la tache noir e en cons eil pl\u00e9ni er, comme il \nse doit ; retourne donc le papier, comme il se doit aussi, \net vois ce qui est \u00e9crit. Alors tu pourr as caus er. \n\u2013 Merci, George, r\u00e9pli qua le coq. Tu es t oujours \nactif en affaires, et tu sais les r\u00e8gl es par c\u0153ur, Geor ge, \n 288comme j \u2019ai le pl aisir de le const ater. Eh bi en, qu\u2019est- ce \nque c\u2019est ? voyons donc ? Ah ! D\u00e9pos\u00e9 ... c\u2019est bien \u00e7a, \nhein ? Tr\u00e8s joliment \u00e9crit, pour s\u00fbr : on jurerait de \nl\u2019imprim\u00e9. Est-ce de ta main , cett e \u00e9criture, Geor ge ? \nEh ! eh ! tu es devenu un homme tout \u00e0 fait en vue dans \ncet \u00e9quipage. Tu serais bien t\u00f4t capitaine que \u00e7a ne \nm\u2019\u00e9tonnerait pas... Ayez do nc l\u2019obligeance de me \nrepas ser la t orche, voul ez-vous ? Ma pi pe est mal \nallum\u00e9e. \n\u2013 Allons, voyons, repartit George, ne te moque pas \nplus longtemps de cet \u00e9quipage. Tu aimes blaguer, on le \nsait ; mai s tu n\u2019es plus rien mai ntenant, et t u pour rais \npeut-\u00eatre descendre de ce tonne au pour prendre part au \nvote. \n\u2013 Je croyais t\u2019avoir entendu dire que tu connaissais \nles r\u00e8gles, r\u00e9pliqua Silver avec ironie. En tout cas, si tu \nne les connais pa s, mo i je les connais ; et j\u2019attendrai \nici... et je suis toujours vo tre capitaine, \u00e0 tous, songez-\ny... jusqu\u2019au moment o\u00f9 vous me s ortirez vos gri efs et \no\u00f9 j\u2019y r\u00e9pondrai ; en attenda nt, votre tache noire ne vaut \npas un bi scuit. Apr\u00e8 s \u00e7a, nous verrons. \n\u2013 Oh ! r\u00e9pliqua George, n\u2019aie crainte, nous sommes \ntous d\u2019accord. Premi\u00e8rement, tu as fait un beau g\u00e2chis \nde cett e croisi\u00e8r e : tu n\u2019 auras pas l e front de le ni er. \nDeuxi\u00e8mement, tu as laiss\u00e9 l\u2019ennemi s\u2019\u00e9chapper de ce \npi\u00e8ge pour rien. Pourquoi tena ient-ils \u00e0 en sortir ? Je ne \n 289sais pas ; mais il est bien \u00e9vident qu\u2019ils y tenaient. \nTroisi\u00e8mement, tu n\u2019as pas voulu nous l\u00e2cher sur eux \npendant leur retraite. Oh ! nous te per\u00e7ons \u00e0 jour, John \nSilver : tu veux tricher au jeu, voil\u00e0 ce qui cloche avec \ntoi. Et puis, quatri\u00e8meme nt, il y a ce gar\u00e7on-l\u00e0. \n\u2013 Est-ce tout ? interroge a tranquillement Silver. \n\u2013 Et c\u2019est bien suffis ant ! riposta Geor ge. Nous \nserons pendus et s\u00e9ch\u00e9s au soleil pour ta maladresse. \n\u2013 Eh bien, maintenant, \u00e9c outez-moi tous. Je vais \nr\u00e9pondre sur ces quatre point s ; l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, je \nvais y r\u00e9pondre. J\u2019ai fait un g\u00e2chis de cette croisi\u00e8re, \nhein ? Allons, voyons, vo us savez tous ce que je \nvoulais ; et vous savez t ous que si on avait fait cela, \nnous s erions cette nuit comme les pr\u00e9c\u00e9dentes \u00e0 bord de \nl\u2019Hispaniola , tous bien vi vants et en bon \u00e9tat , et le \nventr e plein de bonne tart e aux prunes, et le tr\u00e9sor \narrim\u00e9 dans la ca le du b\u00e2timent, cr \u00e9 tonnerre ! Or donc, \nqui m\u2019 a contr edit ? Qui m\u2019a forc\u00e9 la mai n, \u00e0 moi , \ncapitaine l\u00e9gitime ? Qui a ouve rt le bal en me destinant \nla tache noire d\u00e8s le jour o\u00f9 nous avons pris terre ? Ah ! \nc\u2019est un joli bal... j\u2019en suis avec vous... et il ressemble \nfort \u00e0 un rigodon au bout d\u2019 une corde sur le quai des \nPotences, pr\u00e8s la ville de Lo ndres, vraiment. Oui, qui a \nfait cela ? Mais... Anderson, et Hands, et toi, Geor ge \nMerry ! Et toi, le dernier en loyaut\u00e9 de cette bande de \nbrouillons, tu as la diabo lique outrecuidance de te \n 290pr\u00e9sent er comme capitai ne \u00e0 ma pl ace... t oi qui nous as \ntous coul\u00e9s ! Mais, de par to us les diables ! \u00e7a d\u00e9passe \nles hist oires l es plus renversantes . \nSilver fit une pause, et je vis sur les traits de George \net de ses ex-camar ades qu\u2019il n\u2019avait pas parl \u00e9 en vai n. \n\u2013 Voil\u00e0 pour le num\u00e9ro un, cria l\u2019accus\u00e9, en \nessuyant la s ueur de s on front, car il s\u2019\u00e9t ait expri m\u00e9 \navec une v\u00e9h\u00e9mence qui fais ait trembler la maison. \nVrai, je vous donne ma paro le que \u00e7a me d\u00e9go\u00fbte de \ncauser avec vous. Vous n\u2019avez ni bon s ens ni m\u00e9moir e, \net je laisse \u00e0 penser o\u00f9 vos m\u00e8 res avaient la t\u00eate de vous \nenvoyer sur mer. Sur me r, vous ! Vous, des \ngentilshommes de fortune ! Allo ns donc ! tailleurs, oui, \nvoil\u00e0 ce que vous auriez d\u00fb \u00eatr e. \n\u2013 Allons, John, di t Mor gan, r\u00e9p onds sur les au tres \npoints. \n\u2013 Ah ! oui ! les autres ! C\u2019est du j oli, n\u2019 est-ce pas ? \nVous dit es que cette cr oisi\u00e8re est g\u00e2ch\u00e9e ? Ah ! cr\u00e9di\u00e9 ! \nsi vous pouviez comprendre \u00e0 quel point elle l\u2019est !... \nNous sommes si pr\u00e8s du gi bet que mon cou s e roidit \nd\u00e9j\u00e0 rien que d\u2019y pens er. Vous les avez vus, hein, les \npendus, encha\u00een\u00e9s, avec de s oiseaux voltigeant tout \nautour... et l es marins qui les montrent du doi gt en \ndescendant la rivi\u00e8re avec la mar\u00e9e... \u00ab Qui est celui-\nl\u00e0 ? \u00bb dit l\u2019un. \u00ab Celui-l\u00e0 ? Tiens ! mais c\u2019es t Long John \nSilver ; je l\u2019ai bien connu \u00bb, dit un autre... Et l\u2019on \n 291entend le cliquetis des cha\u00ee nes quand on passe et qu\u2019on \narrive \u00e0 la bou\u00e9e suivante. Or donc, voil\u00e0 \u00e0 peu pr\u00e8s o\u00f9 \nnous en sommes, nous tous fils de nos m\u00e8res, gr\u00e2ce \u00e0 \nlui, et \u00e0 Hands, et \u00e0 Anderson, et autr es calamiteux \nimb\u00e9cil es d\u2019entr e vous . Et si vous voulez savoir ce qui \nconcer ne le num\u00e9ro quat re, et ce gar\u00e7on, mais, mort de \nmes os ! n\u2019 est-il pas un ot age ? Allons-nous donc perdre \nun ot age ? Non, j amais : il serait notre dernier espoir \nque \u00e7a ne m\u2019 \u00e9tonnerait pas. Tuer ce gar\u00e7on ? jamais, \ncamarades ! Et le num\u00e9ro trois ? Eh bien, il y a \nbeaucoup \u00e0 dire, sur le num\u00e9 ro trois. Peut-\u00eat re ne \ncomptez- vous pour ri en d\u2019avoir un vr ai docteur \nd\u2019universit\u00e9 qui vous vis ite chaque j our... toi, J ohn, \navec ton cr\u00e2ne f\u00eal\u00e9... ou bi en toi, Geor ge Merr y, qui \ntrembl ais la fi\u00e8vr e il n\u2019 y a pas si x heur es, et qui \u00e0 la \npr\u00e9sente minute as encor e les yeux couleur peau de \ncitron ? Et peut-\u00eatre ne sa vez-vous pas non pl us qu\u2019 il \ndoit venir une conserve, hein ? Mais cela est ; vous \nn\u2019aurez pas longtemps \u00e0 l\u2019a ttendre, et nous verrons \nalors qui sera bi en ais e d\u2019avoir un ot age l orsqu\u2019 on en \nsera l\u00e0. Et quant au num\u00e9ro deux : pourquoi j\u2019ai conclu \nun march\u00e9... mai s vous m\u2019avez suppli \u00e9 \u00e0 genoux de le \nfaire... car vous vous tra\u00ee niez \u00e0 genoux, tant vous \u00e9tiez \nabattus... et vous seriez morts de faim, d\u2019ailleurs, si je \nne l\u2019avais pas fait... Mais ce n\u2019est l\u00e0 qu\u2019une bagatelle ! \ntenez, r egardez : voil \u00e0 ma vr aie rais on ! \nEt il jeta sur le sol un papier que je reconnus \n 292aussit\u00f4t : rien moins que la car te sur papier jauni, avec \nles tr ois cr oix r ouges, que j\u2019avais t rouv\u00e9e dans l a toile \ncir\u00e9e, au fond de la mall e du capitaine. Pourquoi le \ndocteur la lui avait donn\u00e9e , je n\u2019arrivais pas \u00e0 \nl\u2019imaginer. \nMais, tout inexplicable qu\u2019elle f\u00fbt pour moi, \nl\u2019apparition de la carte \u00e9tait encore plus incroyable pour \nles mutins survivants. Ils saut\u00e8rent dessus comme des \nchats sur une souris. Elle pass a de main en main ; on se \nl\u2019arrachait ; et \u00e0 entendre le s jurons, le s cris, le s rire s \npu\u00e9rils dont s\u2019accompagnait leur examen, on aurait cru, \nnon seulement qu\u2019ils palpaien t d\u00e9j\u00e0 l\u2019or, mais qu\u2019ils \n\u00e9taient en mer avec et , de plus , en s \u00fbret\u00e9. \n\u2013 Oui, dit l\u2019un, c\u2019est s\u00fbreme nt celle de Flint. J. F. \navec une barre dessous et les deux demi-clefs1 : il \nsignait t oujours ainsi. \n\u2013 Tr\u00e8s joli, dit George. Mais comment allons-nous \nfaire pour emporter le tr\u00e9sor, sans navir e ? \nD\u2019un bond, Silver se l eva, et s\u2019appuyant au mur \nd\u2019une main, s \u2019\u00e9cria : \n\u2013 Cette fois, je te pr \u00e9viens, Geor ge. Encor e un mot \nde ce genre, et je te pr ovoque au combat. Comment \nl\u2019emport er ?... Eh ! est- ce que je s ais, moi ? Ce s erait \n \n1 Demi-clef : sorte de n\u0153ud m arin. \n 293plut\u00f4t \u00e0 toi de me le dire... \u00e0 toi et aux autres qui avez \nperdu ma go\u00e9lette par vos ma nigances, le diable vous \ngrille ! Mais tu en es bien incapable : tu n\u2019as pas plus \nd\u2019id\u00e9es qu\u2019un pou. Mais tu peux \u00eatre poli, et tu le seras, \nGeor ge Merr y, sois-en s\u00fbr. \n\u2013 C\u2019est d\u00e9j\u00e0 bi en, la car te, dit le vieux Morgan. \n\u2013 Si c\u2019 est bien ! je te cr ois, r eprit le coq. Vous \nperdez le navire ; je trouve le tr\u00e9sor. Qu\u2019 est-ce qui vaut \nle mieux ? Et maintenant, je d\u00e9missionne, cr\u00e9 tonnerre ! \nVous pouvez \u00e9lir e qui vous voudrez comme capitaine : \nmoi, j\u2019en ai plei n le dos ! \n\u2013 Silver ! cri\u00e8r ent-ils. Cochon-R \u00f4ti pour toujours ! \nVive Cochon-R\u00f4ti ! C ochon-R\u00f4ti capitaine ! \n\u2013 Voil\u00e0 donc une nouvelle chanson, hein ? triompha \nle coq. George, m\u2019est avis qu\u2019il te faut attendre une \nautre occasion, mon ami ; et estime-toi heureux que je \nne s ois pas vindicatif . Mais ce n\u2019est pas dans mes \ncordes. E t alor s, camar ades, cette t ache noir e ? Ell e ne \nsert plus \u00e0 grand-chose, he in ? Dick a contr ari\u00e9 sa \nchance et ab\u00eem\u00e9 sa bible, voil\u00e0 tout. \n\u2013 \u00c7a comptera encore tout de m\u00eame, de baiser le \nlivre1, pas vrai ? murmura Dick, \u00e9videmment inqui\u00e9t\u00e9 \npar la mal\u00e9diction qu \u2019il s\u2019\u00e9tait attir\u00e9e. \n \n1 Pour pr\u00eater serm ent. \n 294\u2013 Une bible o\u00f9 il manque un mor ceau ! s\u2019exclama \nSilver, railleur. Que non pas ! Cela n\u2019engage pas plus \nqu\u2019un volume de chans ons. \n\u2013 Vraiment ? fit Dick, pr esque joyeux. E h bien, il \nme semble que \u00e7a vaut la peine de la garder. \n\u2013 Tiens, Jim, voi ci une curiosit\u00e9 pour t oi, me dit \nSilver. \nEt il me tendit le bout de papier. \nC\u2019\u00e9tait une r ondelle \u00e0 pe u pr\u00e8s grande comme un \n\u00e9cu. Un de s es c\u00f4t\u00e9s \u00e9tait vier ge d\u2019impri m\u00e9, car ell e \nprovenait du der nier feuillet ; l\u2019autre portait un ou deux \nverset s de l\u2019Apocal ypse, ces mots entre autr es, qui \nfrapp\u00e8r ent vivement mon es prit : \u00ab Dans les t\u00e9n\u00e8br es \next\u00e9rieures son t les in f\u00e2mes et les meurtriers. \u00bb On avait \nnoirci le c\u00f4t\u00e9 imprim\u00e9 av ec du charbon de bois, qui \ncommen\u00e7ait d\u00e9j \u00e0 \u00e0 s\u2019eff acer s ous mes doi gts ; du c\u00f4t\u00e9 \nblanc, on avait \u00e9crit avec la m\u00eame substance l\u2019unique \nmot : \u00ab D\u00e9pos\u00e9. \u00bb \u00c0 l\u2019heure m\u00eame o\u00f9 j\u2019\u00e9cris ceci, j\u2019ai \ncette curiosit\u00e9 sous les yeux : il n\u2019y reste plus d\u2019autre \ntrace d\u2019\u00e9criture qu\u2019 une simple \u00e9raflure, comme en f erait \nun coup d\u2019 ongle. \nAinsi s\u2019acheva cette nuit m ouvement\u00e9e. Peu apr\u00e8s, \non but \u00e0 la ronde et on se c oucha pour dormir. Silver \nborna sa vengeance appar ente \u00e0 mettre Geor ge Merr y \nen sentinelle et \u00e0 le menacer de mort s\u2019il n\u2019observait pas \n 295fid\u00e8lement sa consigne. \nJe fus longt emps sans pouvoir fermer l\u2019\u0153il, et Di eu \nsait si j\u2019avais mati\u00e8re \u00e0 r\u00e9 flexions : le meurtre que \nj\u2019avais commis dans l\u2019apr\u00e8s- midi, l\u2019extr\u00eame danger de \nma positi on, et sur tout le j eu peu or dinair e o\u00f9 je voyais \nSilver engag\u00e9... Silver qu i maintenait d\u2019une main les \nmutins, et de l\u2019autre s\u2019ef for\u00e7ait par to us les moyens \npossibl es et impossibl es d\u2019obtenir l a paix et de s auver \nsa mis\u00e9rable existence. Il dormait d\u2019un sommeil \ntranquille, et ronflait bruyamme nt ; mais j\u2019avais piti\u00e9 de \nlui, malgr\u00e9 sa m\u00e9chancet\u00e9 , en songeant aux sinistres \ndangers qui l\u2019environnaient et \u00e0 l\u2019inf\u00e2me gibet qui \nl\u2019attendait. \n 296 \n \nXXX \n \nSur parole \n \nJe fus r\u00e9veill\u00e9 \u2013 ou plut\u00f4t nous f\u00fbmes tous r\u00e9veill\u00e9s, \ncar je vi s la sent inelle, qui s\u2019 \u00e9tait aff aiss\u00e9e contr e un \njambage de la porte, se r edresser en sursaut \u2013 par une \nvoix vibrante et cordial e qui venait de la lisi\u00e8re du bois. \n\u2013 Ho ! du bl ockhaus, oh ! criait-on. Voici le docteur. \nC\u2019\u00e9tait lui-m\u00eame qui nous h\u00e9lait. Ma joie de \nl\u2019entendre n\u2019\u00e9t ait pas s ans m\u00e9lange. Au souvenir de \nmon escapade, \u00e0 la pens\u00e9e du danger o\u00f9 elle m\u2019avait \njet\u00e9, je rougissais de confus ion et n\u2019osais affronter la \nvue du nouvel arrivant. \nIl avait d\u00fb se lever dans le noir, car il faisait \u00e0 peine \njour. Cour ant \u00e0 une meurtri\u00e8 re, je l\u2019aper\u00e7us debout, \ncomme cett e autre fois Silv er, et bai gn\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 mi-\njambe dans un brou illard stagnant. \n\u2013 Vous, doct eur ! Bien l e bonj our, monsi eur ! s\u2019\u00e9cri a \nSilver, d\u00e9j\u00e0 r\u00e9veill\u00e9 comp l\u00e8tement et rayonnant \nd\u2019affabilit\u00e9. \u00c7a peut s\u2019appel er \u00eatre actif et matinal ; \nmais c\u2019est l\u2019oiseau matinal, comme on dit, qui attrape \n 297les bons morceaux. George, secoue tes guib olles, mon \ngars, et aide le docteur Live sey \u00e0 fr anchir le plat- bord \ndu b\u00e2timent . Tout va bien, vo s patients aussi... tous gais \net en bonne voie. \nIl bavardait ainsi, debout au haut du monticule, la \nb\u00e9quille sous l\u2019aisse lle et une main su r la paroi de la \nmaison de rondins : tout \u00e0 fait l\u2019ancien John, pour le \nton, l\u2019allure et la mine. \n\u2013 Et puis, nous avons une vraie surprise pour vous, \nmonsieur, continua-t-il ; no us avons ici un petit \nvisiteur... h\u00e9 ! h\u00e9 !... un nouveau pensionnaire, \nmonsi eur, et l\u2019 air bien port ant et dis pos \u00e0 s ouhait ; il a \ndormi comme un subr\u00e9cargue , vrai, t out \u00e0 c\u00f4t \u00e9 de \nJohn... nous sommes rest\u00e9s bord \u00e0 bord tout e la nuit. \nLe docteur Livesey \u00e9ta it alors en de\u00e7\u00e0 de la \npalissade, et assez pr\u00e8s du coq. Il demanda d\u2019une voix \nalt\u00e9r\u00e9e : \n\u2013 Ce n\u2019est pas Ji m ? \n\u2013 Si fait, r\u00e9pliqua Silver ; c\u2019est Jim, et plus lui-\nm\u00eame que j amais. \nLe docteur s\u2019arr\u00eata court, mais sans mot dire, et il \nresta plus ieurs secondes comme paralys\u00e9. \n\u2013 Bien, bien, dit-il enfi n, le devoir d\u2019abor d et l e \nplaisir ensuite, comme vous diriez vous-m\u00eame, Silver. \nOccupons-nous de nos patients. \n 298Un instant plus tard, il p\u00e9n \u00e9trait dans le blockhaus \net, m\u2019 adressant un si gne de t\u00eat e contr aint, il se mit \u00e0 \nl\u2019\u0153uvr e aupr \u00e8s des mal ades. Il ne mont rait aucune \nappr\u00e9hension, bien qu\u2019il d\u00fbt s avoir que s a vie, au mili eu \nde ces t ra\u00eetres d\u00e9mons, ne tenait qu\u2019\u00e0 un fil ; et il \ninterpellait ses patients comm e s\u2019il e\u00fbt fait une simple \nvisite prof essionnell e dans un paisi ble int \u00e9rieur \nd\u2019Angleterre. Son attitude, je suppose, r\u00e9agissait sur les \nhommes : ils se comportaie nt avec lui comme s\u2019il ne \ns\u2019\u00e9tait rien pass \u00e9... comme s\u2019il \u00e9tait touj ours l e m\u00e9deci n \ndu navire, et eux des marins de l\u2019avant fid\u00e8les \u00e0 leur \ndevoir. \n\u2013 Vous allez mieux, mon ami, dit-il \u00e0 l\u2019i ndividu \u00e0 l a \nt\u00eate band\u00e9e. Si jamais quelqu\u2019 un l\u2019a \u00e9chapp\u00e9 belle, c\u2019est \nbien vous : il faut que vous ayez le cr\u00e2ne dur comme du \nfer. Et vous , Geor ge, comment \u00e7a mar che-t-il ? \n\u00c9videmment, vous \u00eates d\u2019une jolie couleur, mais votre \nfoie, mon br ave, est mal arra ng\u00e9. Avez-vous pris cette \nm\u00e9decine ? A-t-il pris sa m\u00e9decine, les hommes ? \n\u2013 Si, si, monsi eur, il l\u2019a prise, affirma M organ. \n\u2013 Parce que, voyez-vous, de puis que je suis docteur \nde mutins, ou pour mieux dire m\u00e9decin de prison, \ncontinua le doct eur Lives ey de s on ton le plus doux, j e \nme f ais un poi nt d\u2019honneur de ne pas per dre un s eul \nhomme pour le roi George (q ue Dieu b\u00e9niss e !) et pour \nla pot ence. \n 299Les bandits s\u2019entreregard\u00e8ren t, mais encaiss\u00e8rent ce \ncoup droit en silence. L\u2019un d\u2019 eux pr onon\u00e7a : \n\u2013 Dick ne s e sent pas bien, monsi eur. \n\u2013 Est-ce vrai ? r\u00e9pliqua le docteur. Allons , venez i ci, \nDick, et faites voir votre la ngue... Certes, je serais \n\u00e9tonn\u00e9 s\u2019il se portait bien : il a une langue \u00e0 fair e peur \naux Fran\u00e7ais. Un nouveau cas de fi\u00e8vre. \n\u2013 L\u00e0, tiens ! fit Morgan. Vo il\u00e0 ce que c\u2019est d\u2019ab\u00eemer \nles bibl es. \n\u2013 Voil\u00e0 ce que c\u2019est, comme vous dites, d\u2019 \u00eatre des \n\u00e2nes fi eff\u00e9s, r\u00e9pliqua le docteur , et de n\u2019 avoir pas ass ez \nde jugeotte pour distinguer le bon air du poison, et la \nterre ferme d\u2019un vil et pestile ntiel bourbier. Il me para\u00eet \nfort pr obabl e (mais, bien ent endu, ce n\u2019 est l\u00e0 qu\u2019 une \nopinion) que ce sera le di able pour extirper cet te \nmalaria de vos organismes. Aussi, aller camper dans \nune fondri\u00e8re ! Silver, cela m\u2019\u00e9tonne de vous. Tout \ncompte f ait, vous n\u2019 \u00eates pas des plus sots, mais vous me \nsembl ez n\u2019avoir pas la plus rudimentai re notion des \nr\u00e8gles de l\u2019hygi \u00e8ne. \nApr\u00e8s les avoir m\u00e9dicament\u00e9 s \u00e0 l a ronde \u2013 et ils \nsuivaient ses prescription s avec une docilit\u00e9 bien \namus ante, plus di gne d\u2019\u00e9colier s que de pi rates \u2013 il \nconclut : \n\u2013 Eh bi en, voil \u00e0 qui est fait pour auj ourd\u2019hui ... Et \n 300maintenant, j\u2019aimerais, s\u2019il vo us pla\u00eet, avoir un entretien \navec ce gar\u00e7on. \nEt il fit dans ma direction un signe de t\u00eate n\u00e9gligent. \nGeor ge Merr y \u00e9tait \u00e0 la porte, o\u00f9 il crachait le \nmauvais go\u00fbt de quel que m \u00e9decine. \u00c0 peine le docteur \neut-il \u00e9mis sa requ\u00eate, qu\u2019 il se retourna tout rouge et \nlan\u00e7a un \u00ab non ! \u00bb accompagn\u00e9 d\u2019 un juron. \nSilver frappa l e tonnelet du pl at de s a main. \n\u2013 Silence ! rugit-il. (Et il promena autour de lui un \nvrai regard de lion.) Doct eur, cont inua-t-il de s on ton \nhabituel, connaissant votre faib le pour ce gar\u00e7on, j\u2019y ai \npens\u00e9. Nous vous s ommes tous humblement \nreconnaissants de votre bont\u00e9 ; et, comme vous voyez, \nnous avons confi ance en vous et avalons vos produits \ncomme s i c\u2019\u00e9tait du gr og. Et je cr ois que j\u2019 ai trouv\u00e9 un \nmoyen satisfaisant pour to us. Hawkins, veux-tu me \ndonner ta parole de jeune ge ntilhomme \u2013 car tu l\u2019es, en \nd\u00e9pit de t on humbl e naiss ance \u2013 ta parole de ne pas filer \nton n\u0153ud ? \nJe fis aussit\u00f4t la promesse exig\u00e9e. \n\u2013 Alors, doct eur, reprit Silver, vous all ez sortir du \nretranchement, et une fois dehors, je vous am\u00e8ne le \njeune homme tout contre les pieux, mais en dedans, et \nm\u2019est avi s que vous pourr ez caus er par l es interstices. \nJe vous souhaite le bonjour , monsieur, et tous nos \n 301respects \u00e0 M. le chevalier et au capitaine Smollett. \nLes r\u00e9criminations unanim es que contenaient seuls \nles regards mena\u00e7ants de S ilver \u00e9clat\u00e8rent aussit\u00f4t que \nle docteur eut quitt\u00e9 la ma ison. Silver fut carr\u00e9ment \naccus\u00e9 de jouer d ouble jeu, d\u2019essaye r de conclure sa \npaix s\u00e9par\u00e9e, de sacrifier les int\u00e9r\u00eats de ses com plices et \nvictimes ; on l\u2019accusa, en un mot, exactement de ce \nqu\u2019il faisait. Sa trahison, dans le cas actuel, me parut si \n\u00e9vidente que j e me demandai comment il allait \nd\u00e9tourner leur col \u00e8re. M ais cet homme valait \u00e0 lui seul \ndeux f ois tous l es autr es r\u00e9unis, et sa victoire de la nuit \npr\u00e9c\u00e9dente lui avait rendu \u00e0 leurs yeux un nouveau \nprestige. Il les traita de so ts et de but ors jusqu\u2019\u00e0 plus \nsoif, leur dit qu\u2019il \u00e9tait i ndispensable de me la isser \ncauser avec l e docteur , leur brandit l a carte sous le nez, \nleur demanda s\u2019ils allaient romp re le trait\u00e9 le jour m\u00eame \nde partir \u00e0 la chass e au tr\u00e9sor. \n\u2013 Non, cr\u00e9 tonnerre ! lan\u00e7a-t-il, c\u2019est nous qui \nd\u00e9chirerons le trait\u00e9 qua nd l e moment sera venu. \nJusque-l\u00e0, je veux flouer ce doct eur, quand je devr ais \nlui graisser les bott es avec du cognac. \nIl ordonna ensuite d\u2019allumer le feu, et se mit en \nmarche appuy\u00e9 s ur sa b\u00e9qu ille et une main sur mon \n\u00e9paule. Il laissait les mutins en d\u00e9sarroi et r\u00e9duits au \nsilence par sa volubilit\u00e9, plut\u00f4t que convaincus. \n\u2013 Doucement, petit, doucem ent, fit-il. Ils nous \n 302sauteraient dessus en un clin d\u2019\u0153il, s\u2019ils nous voyaient \nnous h\u00e2ter. \nTr\u00e8s pos \u00e9ment donc nous nous dirige\u00e2mes sur l e \nsable vers l\u2019endroit de la palanque o\u00f9 le docteur nous \nattendait de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9. D\u00e8s que nous f\u00fbmes \u00e0 bonne \ndistance pour nous entretenir, Silver s\u2019arr\u00eata. \n\u2013 Vous pr endrez not e de ce ci \u00e9galement, docteur. \nDe plus , le jeune homme vous dira comment je lui ai \nsauv\u00e9 l a vie, et comment j\u2019ai \u00e9t\u00e9 d\u00e9pos\u00e9 pour cela. \nDocteur, quand un homme gouverne aussi pr\u00e8s du vent \nque moi... quand i l joue \u00e0 pile ou f ace, pour ainsi dir e, \nle dernier souffle de son co rps... vous ne cr oirez pas \ntrop faire, peut-\u00eatre, de lui dire une parole amicale. \nVous voudrez bi en vous souvenir que ce n\u2019est pl us \nseulement ma vie, mais celle de ce gar\u00e7on qui est en jeu \n\u00e0 pr\u00e9sent ; et vous allez me pa rler gentiment , doct eur, et \nme donner un peu d\u2019espoir pour continuer, par piti\u00e9. \nUne fois l\u00e0 dehors et le dos tourn\u00e9 \u00e0 ses amis et au \nblockhaus, Silver \u00e9tait un homme tout nouveau ; ses \njoues semblaient creuses et sa voix tremblait ; il parlait \navec un s\u00e9rieux absolu. \n\u2013 Voyons, John, vous n\u2019avez pas peur ? lui demanda \nle docteur Livesey. \n\u2013 Docteur, j e ne suis pa s l\u00e2che ; non cert es... P as \nm\u00eame pour \u00e7a (et il claque des doigts). D\u2019ailleurs, si je \n 303l\u2019\u00e9tais, je n\u2019en parlerais pa s. Mais je dois reconna\u00eetre \nque je frissonne \u00e0 l\u2019id\u00e9e de la potence. Vous \u00eates un \nhomme s age... un vr ai ; je n\u2019 ai jamais vu pl us sage ! Et \nvous n\u2019oubli erez pas ce que j\u2019ai fait de bi en, pas pl us \nque vous n\u2019oubli erez le mal. Et j e me r etire, comme \nvous voyez, et j e vous l aisse en t\u00eate \u00e0 t\u00eate avec Jim. Et \nvous t\u00e9moignerez de cela au ssi en ma faveur, car c\u2019est \naller loin, certes. \n\u00c0 ces mots, il se recula de quelques pas, de fa\u00e7on \u00e0 \nne plus nous ent endre, et s\u2019ass eyant sur une souche, s e \nmit \u00e0 siffler. Il se retour nait de temps \u00e0 autre sur son \nsi\u00e8ge, de fa\u00e7on \u00e0 nous surve iller, le docteur et moi, \nalternativement avec ses in gouvernables fo rbans, qui \nfaisaient la navette sur le sable, entre le feu qu\u2019ils \ns\u2019occupai ent \u00e0 rallumer, et la maison d\u2019o\u00f9 ils \nrapportaient du lard et du biscuit pour le d\u00e9jeuner. \n\u2013 Ainsi, Jim, me dit triste ment l e docteur, vous voil \u00e0 \nici. Le vin que vous avez tir\u00e9 il f aut le boire, mon \ngar\u00e7on. Dieu sait que je n\u2019ai pas l e c\u0153ur de vous f aire \nde reproches, mais que cela vous plaise ou non, je vous \nferai remarquer ceci : quand le capitaine Smollett \u00e9tait \nbien port ant, vous n\u2019avez pas os \u00e9 partir ; et vous avez \nattendu qu\u2019il soit malade et dans l\u2019impossibilit\u00e9 de vous \nemp\u00eacher... Parbleu ! c\u2019es t absolument l\u00e2che. \nJ\u2019avoue que je me mis \u00e0 pleurer. \n\u2013 Docteur, dis -je, \u00e9par gnez-moi. J e me s uis assez \n 304fait de reproches ; ma vie es t d\u00e9sormais condamn\u00e9e, et \nje serais mort d\u00e9j\u00e0 si Silv er n\u2019avait pris mon parti. \nCroyez-moi, docteur, je saurai mourir... et je reconnais \nque je le m\u00e9rite... mais je crains la torture . S\u2019ils e n \nviennent \u00e0 me torturer... \n\u2013 Jim, int errompit- il, d\u2019un t on tout diff\u00e9r ent, Jim, je \nne veux pas de \u00e7a. Sautez la palissade et filons. \n\u2013 Docteur, j\u2019 ai donn\u00e9 ma par ole. \n\u2013 Je sais, je sai s... Mais tant pis ! Je prends tout sur \nmon dos sans h\u00e9siter, hont e et bl\u00e2me, mon gar\u00e7on ; \nmais que vous restiez ici, non. Sautez ! Un bond, et \nvous \u00eates dehors , et nous fi lerons comme des z\u00e8br es. \n\u2013 Non, repris-j e. Vous s avez tr\u00e8s bien que vous ne le \nferiez pas vous-m\u00eame ; ni vous, ni M. le chevalier, ni le \ncapitai ne, et je ne l e ferai pas non plus . Silver a \nconfiance en moi ; j\u2019ai donn\u00e9 ma parole, et je reste. \nMais, docteur, vous ne m\u2019avez pas laiss\u00e9 achever. S\u2019ils \nen vi ennent \u00e0 me torturer , je pourrai laisser \u00e9chapper un \nmot et r\u00e9v\u00e9ler o\u00f9 se trouve le navire ; car j\u2019ai pris le \nnavir e, tant par has ard que par audace, et il se trouve \ndans l a baie du Nor d, sur le rivage sud, pr esque au \nniveau de la haute mer. \u00c0 mi -mar \u00e9e, il doit \u00eat re \u00e0 s ec. \n\u2013 Le navi re ! s\u2019\u00e9cria le docteur. \nJe lui exposai bri\u00e8vement mes aventures, et il \nm\u2019\u00e9couta en silence. \n 305\u2013 Il y a comme un sort dans tout cela, me d\u00e9clara-t-il \nquand j\u2019eus fini. \u00c0 chaque pas, c\u2019est vous qui nous \nsauvez la vie. Croyez-vous donc par hasard que nous \nallons vous laisser p\u00e9rir ? Ce serait l\u00e0 une pi\u00e8t re \nr\u00e9compense, mon gar\u00e7on ! Vous avez d\u00e9couvert le \ncomplot ; vous avez trou v\u00e9 Ben Gunn... le meilleur \ncoup que vous f\u00eetes jamais, ou que vous ferez, dussiez-\nvous vi vre cent ans... Oh ! par Jupit er, \u00e0 propos de Ben \nGunn ! Vrai , ceci est le co mble du malheur... Silver ! \nappela-t-il ; Silver ! venez, que je vous donne un avis... \nEt, quand le coq se fut approch\u00e9, il continua : \n\u2013 Pour ce tr\u00e9s or, ne vous h\u00e2tez pas t rop. \n\u2013 Ma foi, monsi eur, je ferais vol ontiers tr a\u00eener les \nchoses, mais j e ne puis, sauf votre respect, sauver ma \nvie et cel le du gar \u00e7on qu\u2019en cherchant le tr\u00e9sor, je vous \nle gar antis. \n\u2013 Eh bien, Sil ver, puis qu\u2019il en est ainsi , j\u2019irai plus \nloin : veillez au grain, lorsque vous le trouverez. \n\u2013 Monsieur, entr e nous soit dit, vous en dites trop ou \npas assez. Quel est vot re but, en abandonnant le \nblockhaus, et pourquoi vous me donnez cette carte, je \nn\u2019en sais rien, moi, hein ? Et pourt ant, j\u2019 ai fait \u00e0 vot re \nvolont\u00e9, les yeux ferm\u00e9s et sans entendre un mot \nd\u2019espoir . Mais ceci, non, c\u2019es t trop. Si vous ne voulez \npas m\u2019expliquer nettement ce que cela signifie, avouez-\n 306le, et je l\u00e2che la barre. \n\u2013 Non, f it pensi vement le doct eur. Je n\u2019 ai pas l e \ndroit d\u2019 en dir e plus ; ce n\u2019est pas mon s ecret, Silver , \nvoyez-vous, sinon je vous d onne ma par ole que je vous \nl\u2019expli querai s. Mais avec vous j\u2019irai aussi l oin que je l e \npuis, et m\u00eame un peu au- del\u00e0, car ma perruque va en \nentendre du capitaine, si je ne me trompe. Et \npremi\u00e8rement, je veux vous donner un peu d\u2019espoir : \nSilver, si vous et moi nous sortons vivants de ce pi \u00e8ge \u00e0 \nloups, je ferai de mon mieu x pour vous sauver, faux \nt\u00e9moignage \u00e0 part ! \nSilver rayonnait. Il s\u2019\u00e9cria : \n\u2013 Vous ne pourr iez mi eux parler , j\u2019en s uis s\u00fbr, \nmonsi eur, fussiez-vous ma m\u00e8r e. \n\u2013 Voil\u00e0 donc ma pr emi\u00e8re concession, reprit le \ndocteur. Ma seconde est un avis. Gardez bien le petit \naupr\u00e8s de vous, et quand vous aurez besoin de secours, \nh\u00e9lez. Je m\u2019en vais de ce pas vous le chercher, et cela \nm\u00eame vous montre que je ne parle pas en l\u2019air... Au \nrevoir , Jim. \nEt le docteur Li vesey me s erra les mai ns \u00e0 travers la \npalissade, adressa un signe de t\u00eate \u00e0 Silver, et d\u2019un pas \nrapide s\u2019enfon\u00e7a dans le bois. \n 307 \n \nXXXI \n \nLa chasse au tr\u00e9sor : l\u2019indicateur de Flint \n \n\u2013 Jim, me dit Silver quand nous f\u00fbmes seuls, si je \nt\u2019ai sauv\u00e9 la vie, tu viens de me rendre la pareille, et je \nne l\u2019oublierai pas. J\u2019ai vu le docteur te faire signe de \nfiler, je l\u2019ai vu du coin de l\u2019 \u0153il ; et je t\u2019ai vu dire non, \naussi net que si je l\u2019entendais. Jim, un bon point pour \ntoi. C\u2019est mon prem ier rayon d\u2019espoir depuis l\u2019attaque \nmanqu\u00e9e, et c\u2019est \u00e0 toi que je le dois . Et maintenant, \nJim, cette chasse au tr\u00e9sor , nous allons nous y mettre, \navec des \u00ab instructions cachet\u00e9 es \u00bb pour ai nsi dire, et j e \nn\u2019aime pas \u00e7a. Il nous faudra, toi et moi, bien tenir \nensembl e, quasi dos \u00e0 dos , afin de sauver nos t\u00eat es en \nd\u00e9pit des hasar ds du s ort. \n\u00c0 cet i nstant, un homme no us appela aupr\u00e8s du feu, \ncar le d\u00e9jeuner \u00e9t ait pr\u00eat , et nous all\u00e2mes nous ass eoir \nsur le sable devant un repas compos \u00e9 de bi scuit et de \nlard frit. Ils avaient allum\u00e9 un feu \u00e0 r\u00f4tir un b\u0153uf, et ce \nfeu \u00e9tait devenu si ardent qu\u2019on ne pouvait plus \nl\u2019appr ocher que du c\u00f4t \u00e9 du vent , et non sans pr\u00e9caution. \nDans le m\u00eame esprit de gasp illage, ils avaient cuit, je \n 308pense, trois fois plus de nourriture que nous ne \npouvions en absorber : l\u2019un d\u2019 eux, avec un rire stupide, \njetait les restes dans le br asier, qui sous cet ali ment \ninsolite flamboyait et ronfla it de plus belle. Je n\u2019ai \njamais vu \u00eatres plus insoucie ux du lendemain : la seule \nexpression \u00ab au jour le j our \u00bb peut qual ifier leur \nmani\u00e8re de vivre ; et tant par la nourriture g\u00e2ch\u00e9e que \npar leurs sentinelles endormie s, et bien qu\u2019ils fussent \nassez har dis pour une br \u00e8ve escarmouche, je pouvais \nconstater leur enti\u00e8re inapti tude \u00e0 la moindre apparence \nde campagne prolong\u00e9e. \nM\u00eame Silver, qui d\u00e9vora it avec Capitaine Flint \nperch\u00e9 s ur son \u00e9paul e, n\u2019eut pas un mot de repr oche \npour l eur insouciance. Et cela m\u2019\u00e9t onnait d\u2019 autant pl us \nqu\u2019il venait de se montrer plus habile que jamais. \n\u2013 Ah ! oui, les gars, disait- il, vous avez de la veine \nque C ochon-R \u00f4ti soit l \u00e0 pour r\u00e9fl \u00e9chir \u00e0 votr e place \navec cette caboche que vo il\u00e0. J\u2019ai obtenu ce que j e \nvoulais, moi . \u00c9videmment , ils ont le navire. O\u00f9 il est, je \nne le sais pas encore ; mais une fois que nous aurons \npig\u00e9 le tr\u00e9sor, il faudra nous grouiller pour le retrouver. \nEt alors , les gars, puis que nous avons les canots , nous \naurons l\u2019avantage. \nIl discourait ainsi, la bouch e pleine de lard br\u00fblant, \net par ce moyen il leur rend ait es poir et conf iance, et \u00e0 \nla fois, je le soup\u00e7onne fo rt, il restaurait en lui ces \n 309m\u00eames senti ments. \n\u2013 Quant \u00e0 l\u2019otage, continua- t-il, c\u2019est l\u00e0 son dernier \nentretien avec ceux qu\u2019il aime tant. J\u2019ai obtenu ma part \nde nouvelles, ce d ont je lui rends gr \u00e2ces, mais c\u2019est fi ni \net termin\u00e9. Je le tiendrai en la isse pour all er \u00e0 la chass e \nau tr\u00e9sor, car nous le gard erons comme s\u2019il \u00e9tait en or, \npour le cas d\u2019 accident, note z, et en attendant mieux. \nUne f ois que nous aurons \u00e0 la fois navire et tr \u00e9sor et que \nnous serons r epartis en mer comme de gais \ncompagnons, oh ! alors, no us causerons avec M. \nHawki ns, nous, et lui r\u00e9gl erons s on compt e, bien s\u00fbr, \npour toutes ses gentillesses. \nRien d\u2019 \u00e9tonnant si les hommes \u00e9taient \u00e0 pr \u00e9sent de \nbonne humeur. Pour ma part, j\u2019 \u00e9tais horribl ement \nabattu. Si le plan qu\u2019il venait d\u2019esquisser devenait \nr\u00e9alisable, Silver, d\u00e9j\u00e0 double ment tra\u00eetre, n\u2019h\u00e9siterait \npas \u00e0 l\u2019 adopt er. Il avait encore un pied dans chaque \ncamp, et il n\u2019 y avait pas de dout e qu\u2019il ne pr \u00e9f\u00e9r\u00e2t le \nparti des pirates, avec la rich esse et l a libert \u00e9, au n\u00f4tre, \no\u00f9 il n\u2019avait rien \u00e0 attendre de pl us que de s implement \n\u00e9chapper \u00e0 la corde. \nEt m\u00eame si la force des choses l\u2019obligeait \u00e0 tenir sa \nparole envers le docteur Li vesey, m\u00eame alors, dis- je, \nquel danger nous attendait ! Quel moment ce serait \nlorsque les soup\u00e7ons de ses partisans se c hangeraient en \ncertit ude, et que lui et moi nous aur ions \u00e0 d\u00e9fendr e nos \n 310vies \u2013 lui un estr opi\u00e9 et mo i un enfant \u2013 contre cinq \nmatelots rob ustes et alertes. \nQu\u2019on ajoute \u00e0 cette double cr ainte le myst\u00e8r e qui \nenveloppait encore la condu ite de mes amis : leur \nabandon inexpliqu\u00e9 de la palanque ; l\u2019inexplicable \nremise de la carte avec, pl us incompr\u00e9hensible encore, \nle derni er avertiss ement du doct eur Lives ey \u00e0 Silver : \n\u00ab Veillez au grain quand vous le trouverez \u00bb, et l\u2019on \nconcevra ais\u00e9ment qu e je d\u00e9j eunai sans go\u00fbt et que je \nme mis en marche avec un se rrement de c\u0153ur derri\u00e8re \nmes ge\u00f4liers partis \u00e0 la conqu\u00eate du tr\u00e9sor. \nNous devions off rir un cur ieux spectacle : tous en \nsales habits de mari ns, et tous , sauf moi , arm\u00e9s \njusqu\u2019aux dents. Silver portait deux fusils en \nbandouli\u00e8re, un devant et un derri \u00e8re, out re un gr and \ncoutelas \u00e0 la ceintur e, et un pistolet dans chaque poche \nde son habit \u00e0 pans carr\u00e9s. Pour compl\u00e9ter ce singulier \n\u00e9quipage, Capitaine Flint se tenait perch\u00e9 sur son \n\u00e9paule, et caquetait des brib es incoh\u00e9rentes de pr opos \nmaritimes. Une laisse \u00e0 la ceinture, je suivais \ndocilement le coq, qui tenait l\u2019autre bout, tant\u00f4t de sa \nmain libre, tant\u00f4t entre se s dents puissantes. J\u2019\u00e9tais \nmen\u00e9 litt\u00e9ralement comme un ours apprivois\u00e9. \nLes autres personnages \u00e9tai ent diversement char g\u00e9s. \nLes uns portaient des pioch es et des pelles qu\u2019ils \navaient amen\u00e9es \u00e0 terre de l\u2019 Hispaniola , comme obj ets \n 311de toute premi\u00e8re n\u00e9cessit\u00e9 , les autres du lard, du \nbiscuit et de l\u2019eau-de-vie po ur le r epas de midi. T outes \nces provisions, je le remarq uai, provenaient de notre \nr\u00e9serve, et je pus constater ainsi la r\u00e9alit\u00e9 des paroles de \nSilver, la nuit pr\u00e9c\u00e9dente. S\u2019il n\u2019avait pas conclu un \nmarch\u00e9 avec le docteur, la disparition du navire les e\u00fbt \ncontraints, lui et ses mutins, \u00e0 subsister d\u2019eau claire et \ndes produits de leur chasse. L\u2019eau n\u2019\u00e9tait gu\u00e8re de leur \ngo\u00fbt ; un marin n\u2019est pas souvent bon tireur, et au \nsurplus, \u00e9tant si \u00e0 court de vivr es, ils n\u2019 \u00e9taient \napparemment gu\u00e8re mieux fourni s de poudr e. \nC\u2019est en cet \u00e9quipage et ma rchant \u00e0 la file, que nous \nnous m\u00ee mes tous en rout e \u2013 m\u00eame l\u2019individu \u00e0 la t\u00eate \nf\u00eal\u00e9e, qui e\u00fbt cert es mieux f ait de se tenir tranquille \u2013 et \ngagn\u00e2mes le rivage, o\u00f9 nous attendaient les deux yoles. \nElles aussi t\u00e9moignaient de la folle ivrognerie des \npirates : l\u2019une avait un banc r ompu, et t outes deux \n\u00e9taient boueus es et non \u00e9 cop\u00e9es. Nous devions les \nemmener l\u2019une et l\u2019aut re po ur plus de s\u00fbret\u00e9. Ayant \ndonc r\u00e9parti notre effectif entre elles, nous nous \navan\u00e7\u00e2mes sur la transp arence du mouillage. \nTout en r amant, on discut ait au sujet de la carte : la \ncroix r ouge \u00e9tait bien ent endu trop grande pour pouvoir \nservir de rep\u00e8r e, et les t ermes de l a note figurant au \nverso renfermaient, on va le voir, une certaine \nambigu\u00eft \u00e9. Comme l e lecteur s\u2019en souvient peut-\u00eatre, \n 312elle \u00e9tait ainsi con\u00e7ue : \n \n\u00ab Grand arbre, contrefort de la Longue-Vue, poi nt \nde dir ection N.-N.-E. quart N. \n\u00bb \u00cele du Squelett e, E.-S.-E. quart N. \n\u00bb Dix pieds. \u00bb \n \nAinsi donc, un grand arbr e constituait le principal \nrep\u00e8r e. Or, tout dr oit devant nous , le moui llage \u00e9t ait \ndomi n\u00e9 par un plateau de deux ou trois cents pieds \nd\u2019\u00e9l\u00e9vation, qui vers le nord se raccordait par une pente \nau cont refort m\u00e9ri dional de l a Longue-Vue, et \naboutissait vers le sud aux abruptes falaises formant \nl\u2019\u00e9mi nence dite du M \u00e2t-d\u2019Artimon. Sur le plateau \ncroissaient en f oule des pins de hauteurs di verses. P ar \nendroits, quelques pins d\u2019un e esp\u00e8ce particuli\u00e8re se \ndressaient isol\u00e9ment \u00e0 quaran te ou cinquante pieds au-\ndessus de leurs voi sins ; mais pour d\u00e9ter miner lequel de \nceux-ci \u00e9tait bien le \u00ab grand arbre \u00bb du capitaine Flint, il \nfallait se trouver sur les lieu x et consulter la boussole. \nMalgr\u00e9 cela, les embarcatio ns n\u2019\u00e9taient pas arriv\u00e9es \n\u00e0 moiti\u00e9 route, que chacun de ceux qui les montaient \navait son favori. Le seul Lo ng John hauss ait les \u00e9paul es \net leur conseillait d\u2019attend re qu\u2019on f\u00fbt l\u00e0-haut. \n 313On nageait mollement, pa r ordre de Silver, qui \ncraignait de fatiguer ses ho mmes trop t\u00f4t ; et apr\u00e8s une \nfort longue travers\u00e9e, on ab orda \u00e0 l\u2019embouchure de la \nseconde rivi\u00e8re, celle qui d \u00e9vale de la Longue-Vue par \nune r avine bois\u00e9e. C e fut de l\u00e0 qu\u2019en appuyant sur la \ngauche, nous entrepr\u00eemes l\u2019 ascension de l a pente qui \nmenait au plateau. \nTout d\u2019abord, le terrain gras et fangeux, et le fouillis \ndes herbes mar\u00e9cageuses, entrav\u00e8rent fortement nos \nprogr\u00e8s ; mais peu \u00e0 peu la montagne devi nt pl us \nabrupte et offrit \u00e0 notre marc he un sol rocailleux, tandis \nque le bois, changeant de cara ct\u00e8re, nous offr ait pl us \nd\u2019espace libre. C\u2019\u00e9tait en v\u00e9rit\u00e9 un coin de l\u2019\u00eele des plus \nplais ants que cel ui o\u00f9 nous p\u00e9n\u00e9trions. Un gen\u00eat au \nparfum ent\u00eatant et divers arbustes en fleurs y \nrempla\u00e7aient le g azon. Parmi les ve rts bouquets de \nmuscadiers, des pins mettaie nt \u00e7\u00e0 et l\u00e0 leurs f\u00fbts \nrouge\u00e2tres et leurs vastes om brages, et le r elent \u00e9pi c\u00e9 \ndes premiers se combinait \u00e0 l\u2019odeur aromatique des \nseconds. L\u2019air, d\u2019ailleurs, \u00e9ta it vif et frais, ce qui, sous \nles rais d\u2019un soleil vertical , nous \u00e9tait d\u2019un merveilleux \nr\u00e9confort. \nAvec des cris et des bonds, la troupe s\u2019\u00e9parpilla en \n\u00e9ventail. Vers le centre, et as sez loin en arri \u00e8re, Silver \net moi suivions les autres \u2013 moi tenu par ma longe, lu i \nlabourant \u00e0 grands ahans les cailloux roulants. De \n 314temps \u00e0 autr e, m\u00eame, je dus lui pr\u00eater mon aide pour \nl\u2019emp\u00eacher de faire un faux pas et de red\u00e9gringoler la \npente. \nNous parcour\u00fbmes de la sorte environ un demi-\nmille, et nous allions attein dre le niveau du plateau, \nlorsque l \u2019individu le plus \u00e9loign\u00e9 sur la gauche s e mit \u00e0 \npouss er des excl amations d\u2019horreur, en h\u00e9l ant ses \ncompagnons, qui coururent \u00e0 lui. \n\u2013 Ce n\u2019est pas possible qu\u2019 il ait trouv\u00e9 le tr\u00e9sor, \nnous cria l e vieux Morgan, qui arrivait de la dr oite, \npuisque le tr\u00e9sor est tout en haut . \nEn ef fet, comme nous l e d\u00e9couvr\u00ee mes une fois s ur \nles lieux, il s\u2019agis sait de bi en aut re chos e. Au pi ed d\u2019 un \nfort gros pin, et \u00e0 demi cac h\u00e9 par un buisson vert, qui \navait m\u00eame \u00e0 demi soulev\u00e9 pl usieurs des petits os, un \nsquelette humain gisait su r le sol, avec quelques \nlambeaux de v\u00eatements. Un frisson gla\u00e7a d\u2019abord tous \nles c\u0153urs. \nPlus har di que l es autr es, Geor ge Merry s \u2019avan\u00e7a \npour examiner les restes de v\u00eatements. \n\u2013 C\u2019\u00e9tait un homme de mer , d\u00e9clara-t-il. En tout cas, \nceci est bel et bi en du dr ap de mari n. \n\u2013 Bon, bon, fit Silver, il y a des chances ; tu ne \nt\u2019attendais pas \u00e0 trouver ic i un \u00e9v\u00eaque, je suppose. Mais \nqu\u2019est -ce que \u00e7a veut dir e, des os ainsi dispos\u00e9s ? Ce \n 315n\u2019est pas nat urel. \nEn effet, au second coup d\u2019\u0153il, on ne pouvait \nr\u00e9ellement cr oire que le corps f\u00fbt dans une position \nnaturelle. \u00c0 part un l\u00e9ger d\u00e9 sordre \u2013 d\u00fb sans dout e aux \noiseaux qui s \u2019\u00e9taient nour ris du cadavre, ou \u00e0 la l ente \ncroissance des pl antes qui avaient peu \u00e0 peu ens eveli \nses restes \u2013 l\u2019homme gisait en une position parfaitement \nrectiligne, les pieds orient\u00e9s dans un sens, et les bras, \nallong\u00e9s au-des sus de l a t\u00eate comme ceux d\u2019 un \nplongeur, dans l\u2019autre. \n\u2013 Il me vient une id\u00e9e dans ma vieille b\u00eate de \ncaboche, fit observer Silver. Voici le compas ; voil\u00e0 le \npoint cul minant de l\u2019\u00eel ot du Squelette, qui a l\u2019air d\u2019une \ndent. Prenez donc le rel\u00e8 vement, voulez-vous, sur \nl\u2019alignement de ces os. \nOn lui ob\u00e9it. Le corps \u00e9t ait orient\u00e9 juste dans la \ndirecti on de l\u2019\u00eel ot, et le compas donnait bien E.-S.-E. \nquart E. \n\u2013 J\u2019en \u00e9tais s\u00fbr, triompha le coq ; ceci est un \nindicateur. Par l \u00e0 tout dr oit se tr ouvent , et notre \u00e9t oile \npolaire, et la belle galette. Mais, cr\u00e9 tonnerre ! \u00e7a me \nfait fr oid dans l e dos de pens er \u00e0 Flint. Car c\u2019est l\u00e0 une \nblague de lui, il n\u2019y a pas d\u2019er reur. Je le vois ici tout \nseul avec les six. Il le s tue tou s jusqu\u2019au dernier, et \ncelui-ci, il l\u2019installe ici, or ient\u00e9 \u00e0 la boussole, mort de \nma vie !... C\u2019est le squelett e d\u2019un homme gr and, et qui \n 316avait des cheveux roux. H\u00e9 ! \u00e7a pourrait bien \u00eatre \nAllardyce. Tu ne te souvie ns pas d\u2019Allardyce, Tom \nMorgan ? \n\u2013 Si, si, r \u00e9pondit Morgan, je me souviens de lui ; il \nme devait des sous, et en d\u00e9barquant il m\u2019a emport\u00e9 \nmon cout eau. \n\u2013 En parlant de couteaux, dit un aut re, pour quoi ne \ntrouvons-nous pas le sien \u00e0 terre ic i autour ? Flint \nn\u2019\u00e9tait pas homme \u00e0 vi der les poches d\u2019 un marin ; et les \noiseaux, j e suppos e, ne l\u2019ont pas emport\u00e9. \n\u2013 Par tous les diables, voil\u00e0 qui est vrai ! fit Silver. \n\u2013 Il ne r este absolument ri en, dit Merry, qui t\u00e2tait \ntoujours le s ol aux envir ons des os, pas pl us un r ouge \nliard qu\u2019une tabati\u00e8re. \u00c7a ne me para\u00eet pas naturel. \n\u2013 Parbl eu non, \u00e7a n\u2019 est pas naturel, rench\u00e9rit Silver, \npas plus que \u00e7a n\u2019est gentil , certes . Tonnerr e de Di eu ! \nles gars, si seulement Flint \u00e9ta it l\u00e0 en vie, \u00e7a chaufferait \npour vous et moi. Ils \u00e9taient six, t out comme nous , et il \nne reste d\u2019eux que des os. \n\u2013 Je l\u2019ai vu mort , de mes deux yeux, dit Morgan. \nBilly m\u2019a fait entrer. Il \u00e9tait l\u00e0 couch\u00e9, avec des pi\u00e8ces \nde deux sous sur les yeux. \n\u2013 Mort, oui , bien s\u00fbr qu\u2019 il est mort et parti l \u00e0-\ndessous, fit l\u2019individu au bandage ; mais s\u2019il y a des \nesprits qui reviennent, ce lui de Flint doit \u00eatre du \n 317nombre. Car, mis\u00e9ricorde, il a eu une vil aine mor t, \nFlint. \n\u2013 Pour \u00e7a, oui, affirma un autre ; tant\u00f4t il d\u00e9lirait, \ntant\u00f4t il hurlait pour avoir du rhum, ou bien il chantait \nNous \u00e9ti ons qui nze... C\u2019\u00e9tait son unique chanson, \ncamarades ; et je vous assu re, je n\u2019ai plus jamais \nbeaucoup aim\u00e9 l\u2019entendre, d epuis. Comme il faisait une \nchaleur formi dable, le vasist as \u00e9t ait ouvert , et \nj\u2019entendais cette vieille ch anson qui sortait nett e et \nclaire, tandis que la mort ava it d\u00e9j\u00e0 le grapp in sur lui. \n\u2013 Allons, allons, amarr e ton hi stoire, int errompit \nSilver. Il est mort, et il ne reviendra pas, que je sache ; \nen tout cas, il ne r eviendra pas en pl ein jour, vous \npouvez en \u00eatre s\u00fbrs. Il n\u2019y a pas de bile \u00e0 se faire. En \navant pour l es doubl ons ! \nNous part\u00eemes ; mais en d\u00e9p it de l\u2019ardent soleil et du \njour \u00e9bl ouissant, les pir ates cess \u00e8rent de courir \u00e0 traver s \nbois isol\u00e9ment et de se h\u00e9 ler \u00e0 pleins poumons : ils \nrestaient c\u00f4t e \u00e0 c\u00f4te et parl aient \u00e0 mi-voi x. La terreur du \nflibustier mort s\u2019\u00e9tait em par\u00e9e de leurs esprits. \n 318 \n \nXXXII \n \nLa chasse au tr\u00e9sor : la voix d\u2019entre les arbres \n \nSous l\u2019i nfluence d\u00e9pri mante de cet te cr ainte, aussi \nbien que pour laisser reposer Silver et le malade, toute \nla bande s\u2019assit en arrivant au haut de la mont\u00e9e. \nVu la l\u00e9g\u00e8re inclinaison du plateau vers l\u2019ouest, le \npoint o\u00f9 nous \u00e9tions arriv\u00e9 s dominait des deux c\u00f4t\u00e9s \nune vaste \u00e9tendue. Devant no us, par-del\u00e0 les cimes des \narbres, on d\u00e9couvrait le ca p des Bois, frang\u00e9 d\u2019\u00e9cume ; \nderri\u00e8r e, s\u2019\u00e9t alaient \u00e0 nos pi eds le mouillage et l\u2019\u00eelot du \nSquelette, et l\u2019on voyait aussi vers l\u2019est \u2013 pl us loin que \nla langue de terr e et l a plai ne or ientale \u2013 un gr and \nespace de mer li bre. Au- dessus de nous se dressait la \nLongue-Vue, tachet\u00e9e de pi ns solitaires et stri\u00e9e de \nsombres crevasses. On n\u2019entend ait que le bruit lointain \ndu r essac s \u2019\u00e9levant de tout es part s, joint au \nbourdonnement, dans la brousse, de myriades \nd\u2019insect es. Pas un \u00eatre humai n, pas une voile en mer : \nl\u2019immensit\u00e9 de la vue ag gravait l\u2019impression de \nsolitude. \n 319Silver s\u2019assit, et rele va au compas diverses \norient ations. \n\u2013 Voil\u00e0, dit-il, tr ois \u00ab grands arbres \u00bb, \u00e0 peu pr\u00e8s \ndans l\u2019 alignement de l\u2019\u00eel ot du S quelette. \u00ab Contrefort de \nla Longue-Vue \u00bb d\u00e9signe, je suppose, ce sommet \ninf\u00e9rieur l\u00e0. D\u00e9sormais ce n\u2019 est plus qu\u2019un jeu d\u2019enfant \nde trouver la marchandise. J\u2019ai presque envie de d\u00eener \nd\u2019abord. \n\u2013 Je ne s uis pas press \u00e9, murmur a Morgan. Quand j e \npense \u00e0 F lint, j e me s ens tout chos e... \n\u2013 Ah ! pour \u00e7a, mon fils , dit Silver, tu peux \nremercier ta bonne \u00e9t oile qu\u2019il soit mort. \n\u2013 Il \u00e9tait laid comme un di able ! cria un troisi\u00e8me \npirate, en frissonnant ; et pu is cett e figure bl eue ! ... \n\u2013 C\u2019est l e rhum qui l \u2019a emport\u00e9, ajout a Merr y. \nBleu ! oui, j\u2019en conviens, qu \u2019il \u00e9tait bleu. C\u2019est le vrai \nmot. \nDepuis qu\u2019ayant d\u00e9couvert le squelette ils avaient \nlaiss\u00e9 prendre ce cours \u00e0 leur s pens\u00e9es, ils avaient parl \u00e9 \nde plus en plus bas, s i bien qu\u2019ils fi nissai ent par \nchuchoter presque, et que le bruit de leur conversation \ntroublait \u00e0 peine le silence du boi s. Tout \u00e0 coup, venant \ndes arbres situ\u00e9s en face de nous, une voix gr \u00eale, ai gu\u00eb \net trembl\u00e9e entonna l\u2019air et les paroles familiers : \n \n 320Nous \u00e9tions quinze su r le coffre du mort... \nYo-ho-ho ! et une bo uteille de rhum ! \n \nJamais je n\u2019 ai vu d\u2019 hommes pl us aff reusement \u00e9mus \nque nos pirates. Leurs six visages se d\u00e9color\u00e8rent \ncomme par enchantement. Le s uns bondirent sur leurs \npieds, les autres se cram ponn\u00e8rent \u00e0 leurs voisins. \nMorgan se d\u00e9batta it sur le sol. \n\u2013 C\u2019est Flint, de par... ! cria Merry. \nLe chant s\u2019arr\u00eata auss i brusquement qu\u2019il avait \nd\u00e9but\u00e9 ; on l\u2019e\u00fbt dit inte rrompu net au milieu d\u2019une \nnote, comme si une main s\u2019\u00e9t ait pos\u00e9e sur la bouche du \nchanteur. Venant ainsi des lointains de l\u2019atmosph\u00e8re \nclaire et ensoleill\u00e9e, d\u2019entre les verts feuillages, le son \nme semblait l\u00e9ger et m\u00e9lo dieux ; et l\u2019effet qu\u2019il \nproduisit sur mes compagnons ne m\u2019en par ut que pl us \n\u00e9trange. \n\u2013 Allons, dit Silver, remuant p\u00e9niblement ses l\u00e8vres \ncouleur de cendre, allons , \u00e7a ne pr end pas . Pare \u00e0 virer . \nCette voix fait un dr\u00f4le d\u2019effe t, et je ne peux pas mettre \nun nom sur elle, mais c\u2019est quelqu\u2019un qui nous fait une \nblague, quel qu\u2019un en chair et en os, vous pouvez en \u00eatre \ns\u00fbrs. \nTout en parlant il repr enait courage, et son visage se \nrecolorait. D\u00e9j\u00e0 le s autr es pr \u00eataient l\u2019 oreille \u00e0 so n \n 321encouragement, lorsque la m\u00eame voix retentit de \nnouveau. Ce n\u2019\u00e9tait plus un c hant, cette fois, mais un \nappel faible et lo intain, que r\u00e9percut \u00e8rent encore plus \nfaiblement les \u00e9chos de la Longue-Vue. \n\u2013 Darby Mac Gr aw ! g\u00e9mi ssait l a voix (si le mot \ng\u00e9mir peut s\u2019 appliquer \u00e0 des cris) ; Dar by Mac Gr aw ! \nDarby Mac Graw ! r\u00e9p\u00e9t\u00e9 \u00e0 dix reprises. \nPuis elle s\u2019\u00e9l eva un peu, et lan\u00e7a dans un blasph\u00e8me \nque j e n\u2019\u00e9cris point : \n\u2013 Passe- moi le rhum, Dar by ! \nLes forbans, les yeux hors de la t\u00eate, rest\u00e8rent clou\u00e9s \nau sol . La voi x s\u2019\u00e9t ait tu e depuis longtemps qu\u2019ils \nregar daient t oujours devant eux, muets et terrifi\u00e9s. \n\u2013 La question est r\u00e9gl\u00e9e, apr\u00e8s \u00e7a ! b\u00e9gaya l\u2019un. \nFichons l e camp ! \n\u2013 Ce sont l\u00e0 ses derni\u00e8res paroles, sou pira Morgan, \nses derni\u00e8res paroles dans ce monde. \nDick avait tir\u00e9 sa bible et priait avec ardeur. Car \nDick avait \u00e9t \u00e9 bien \u00e9l ev\u00e9, avant de naviguer et de \nrencontrer de m auvais compagnons. \nMais Silver doutait encore . Je l\u2019entendais claquer \ndes dent s, mai s mal gr\u00e9 cela, il ne se rendait touj ours \npas. \n\u2013 Personne dans cette \u00eele ne sait rien de Darby, \n 322murmura-t-il, personne en d ehors de nous autres. (Et \npuis, faisant un grand eff ort :) Camarades, cria-t-il, je \nsuis venu ici pour avoir cette marchandise, et je ne \nrecul erai devant homme ni di able. Flint vivant ne m\u2019a \njamais fait peur et, par tous les diables ! je le braverai \nmort . \u00c0 moi ns d\u2019un quart de m ille d\u2019ici, il y a sept cent \nmille livres enterr\u00e9es. Q uand donc un gentilhomme de \nfortune a-t-il jamais tourn\u00e9 la poupe \u00e0 autant de galette, \n\u00e0 cause d\u2019un vieux pochard de marin \u00e0 gueule bleue... et \nqui est mort, avec \u00e7a ! \nMais nulle vell\u00e9it\u00e9 de courage ne se manif estait chez \nses partisans : leur terreur, au contraire, semblait accrue \npar l\u2019impi\u00e9t\u00e9 de ses paroles. \n\u2013 Amarre \u00e7a, John ! dit Me rry. Ne va pas offenser \nun esprit . \nLes autr es \u00e9tai ent trop \u00e9p ouvant\u00e9s pour rien dire. \nTous se seraient enfuis chacun de son c\u00f4t\u00e9 s\u2019ils avaient \nos\u00e9 ; mais la peur les tenait rassembl\u00e9s et s err\u00e9s tout \ncontr e John, dont l\u2019audace le s soutenait. Quant \u00e0 lui, il \navait presque enti\u00e8rement surmont\u00e9 sa faiblesse. \n\u2013 Un esprit ? Enfin, soit, di t-il. Mais il y a l\u00e0-dedans \nquelque chos e de pas cl air po ur moi. Il y avait un \u00e9cho. \nOr, personne n\u2019a jamais vu un esprit avec une ombre ! \nEh bien donc, quel besoin aurait-elle d\u2019 un \u00e9cho ? Je \nvoudr ais bien l e savoir. Ce n\u2019est cert es pas naturel . \n 323Je trouvai l\u2019argument assez faible. Mais on ne peut \njamais savoir d\u2019avance ce qui toucher a les gens \nsuperstitieux, et, \u00e0 ma grande surprise, George Merry \nen fut beaucoup soulag\u00e9. \n\u2013 Au f ait, c\u2019est juste, appr ouva-t-il. Tu as une t \u00eate \nsur tes \u00e9paules, John, il n\u2019y a pas d\u2019erreur. \u00c0 Dieu vat, \nles gars ! Ce matelot-l\u00e0 se trompe de bord\u00e9e, que je \ncrois. Et en y r\u00e9fl \u00e9chis sant, la voix ressemb lait un peu \u00e0 \ncelle de Flint, je vous l\u2019acc orde, mais elle avait moins \nde largue, tout compte fait. On dirait plut\u00f4t la voix de \nquelqu\u2019un d\u2019 autre... on dir ait celle... \n\u2013 De Ben Gunn ! par tous les diables ! rug it Silv er. \n\u2013 Oui, c\u2019 est bi en \u00e7a, s\u2019 \u00e9cria Morgan, en se relevant \nsur les genoux. C\u2019\u00e9tait Ben Gunn ! \n\u2013 \u00c7a ne fait pas grande diff\u00e9rence, trouvez-vous \npas ? interrogea Dick. Ben Gunn, pas plus que Flint, \nn\u2019est ici pr\u00e9sent dans son corps. \nMais les a\u00een\u00e9s des mate lots accueillirent cette \nremarque avec d\u00e9dain. \n\u2013 Eh ! pers onne ne cr aint Ben Gunn, cri a Merr y. \nMort ou vivant, personne ne l\u2019a jamais craint. \nJe n\u2019en revenais pas de voi r \u00e0 quel poi nt ils avai ent \nrepris courage, et combien leurs visages avaient \nretrouv\u00e9 leurs couleurs natu relles. Bient\u00f4t ils se \nremirent \u00e0 bavarder entre eux, tout en \u00e9coutant par \n 324intervalles ; et un peu plus tard, n\u2019entendant plus rien, \nils recharg\u00e8rent les outils sur leurs \u00e9paules et se \nremirent en marche, sous la conduit e de Merry, qui \nportait le compas de Silver pour les mai ntenir dans \nl\u2019alignement de l\u2019\u00eelot du Sque lette. Merry avait dit vrai : \nmort ou vivant, personne ne cr aignait B en Gunn. \nDick seul tenait touj ours sa bi ble, et tout en \nmarchant lan\u00e7ait autour de lu i des regards apeur\u00e9s, mais \nil n\u2019\u00e9veil lait aucune s ympathi e, et Silver l e plaisanta \nm\u00eame sur ses pr\u00e9cautions. \n\u2013 Je te l\u2019avais dit, railla-t-il, je te l\u2019avais bien dit, \nque tu avais g\u00e2ch\u00e9 t a bible. Si elle ne vaut plus rien \npour j urer des sus, cr ois-tu qu\u2019 un es prit va en tenir \ncompte ? Pas \u00e7a !... \nEt s\u2019arr\u00eatant une second e sur sa b\u00e9quille, il fit \nclaquer ses gros doigts. \nMais les encouragements n\u2019avaient point prise sur \nDick ; bien plus, je ne ta rdai pas \u00e0 voir que ce gar\u00e7on \ntenait \u00e0 peine debout : sous l\u2019in fluence de la chaleur, de \nla lassitude et de la crainte, la fi\u00e8vre pr\u00e9dite par le \ndocteur Livesey montait en lui avec une ind\u00e9niable \nrapidit \u00e9. \nLe terrain d\u00e9gag\u00e9 rendait la marche facile, sur ce \nsommet, que notr e chemin l ongeait un peu de flanc, car \nle plateau s\u2019inclinait vers l\u2019ou est, com me je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit. \n 325Les pins, grands et petits, s\u2019 espa\u00e7aient largement ; et \nm\u00eame entre les bouquets de mu scadiers et d\u2019 azal\u00e9es, de \nvastes cl airi\u00e8res d\u00e9nud\u00e9es se torr \u00e9fiaient \u00e0 l\u2019ar deur du \nsoleil. Comme nous coupions l\u2019 \u00eele en diagonale vers le \nquasi nor d-ouest, nous nous rappr ochions toujour s plus \ndes contreforts de la Long ue-Vue, d\u2019une part, et de \nl\u2019autre, nous d\u00e9couvrions t oujours plus l argement cette \nbaie occi dentale o\u00f9 l e coracle m\u2019avait nagu\u00e8re ballott\u00e9 \ndurant des heures d\u2019 angoiss e. \nOn atteignit le premier de s grands arbres ; mais la \nbouss ole montr a que ce n\u2019\u00e9t ait pas le bo n. De m\u00eame \npour le second. Le troisi\u00e8me s\u2019\u00e9levait en l\u2019 air \u00e0 pr \u00e8s de \ndeux cents pieds au-dessus d\u2019 un bois taillis ; ce g\u00e9ant \nv\u00e9g\u00e9tal avait un f\u00fbt ro uge aussi \u00e9pais qu\u2019une \nmaisonnette, et il projetait une ombre as sez spaci euse \npour y f aire man\u0153uvrer une compagnie. On l\u2019 apercevai t \ndu large, aussi bi en \u00e0 l\u2019 est qu\u2019 \u00e0 l\u2019ouest, et il aur ait pu \nfigurer comme amer sur la carte. \nMais ce qui impressionnait mes compagnons, ce \nn\u2019\u00e9tait pas sa taille, mais bi en de savoir que sept cent \nmille livres en or se trouva ient enterr\u00e9es quelque part \ndans l\u2019 \u00e9tendue de son ombr e. La pens\u00e9e de l\u2019argent, \u00e0 \nmesure qu\u2019ils approchaient, r\u00e9sorbait leurs terreurs de \nnagu\u00e8re. Leurs yeux flamb oyaient, leur pas devenait \nplus vif et plus l \u00e9ger, l eur \u00e2me enti \u00e8re \u00e9tait captiv\u00e9e par \ncette richesse qui les attend ait l\u00e0, et repr\u00e9sentait pour \n 326chacun d\u2019eux toute une vie de plaisir et de d\u00e9bauche. \nSilver sautillait sur sa b\u00e9quille avec des \ngrognements ; ses narines dilat\u00e9es fr\u00e9missaient ; il \nsacrait comme un fou quand les mouches se posaient \nsur son visage luisant de sueur ; il secouait rageusement \nla longe qui me reliait \u00e0 lui, et de temps \u00e0 autre tournait \nvers moi des yeux o\u00f9 l uisait un r egard ass assin. Il ne \nprenait certes plus la peine de me cacher ses pens\u00e9es, et \nje les lisais \u00e0 livre ouvert. La proximit\u00e9 imm\u00e9diat e de \nl\u2019or lui faisait oublier tout le reste : sa promesse au \ndocteur comme l\u2019 avertiss ement de cel ui-ci \u00e9taient d\u00e9j \u00e0 \nloin, pour lui, et sans nul dout e il compt ait bien \ns\u2019empar er du t r\u00e9sor, retrouver l\u2019 Hispani ola et l\u2019aborder \n\u00e0 la faveur de la nuit, massacrer tout ce qu\u2019elle \nrenfermait d\u2019honn\u00eates gens, et remettre \u00e0 la voile \nsuivant ses intentions primitiv es, charg\u00e9 de forfaits et \nde richesses. \nCes crai ntes m\u2019 accabl aient, et j \u2019avais peine \u00e0 \nsoutenir l\u2019allure rapide des chercheurs de tr\u00e9sor. \u00c0 tout \nmoment, je tr\u00e9buchais ; et c\u2019est en ces occasions que \nSilver secouait si brutalement mon filin et me lan\u00e7ait \nses regards meurtriers. Dick , qui marchait maintenant \u00e0 \nnotre suite et formait l\u2019a rri\u00e8re-garde, pa rlait to ut seul \ndans l\u2019 excitati on de s a fi\u00e8vre croissante, et m\u00ealait les \nblasph\u00e8mes aux pri\u00e8res. Ma d\u00e9tresse s\u2019en augmenta, et \npour la couronner, mon imag ination \u00e9voquait le drame \n 327qui s\u2019 \u00e9tait autr efois d\u00e9r oul\u00e9 sur ce plat eau, l orsque le \nflibustier \u00e0 la face bleue \u2013 cet impie qui \u00e9tait mort \u00e0 \nSavannah en chantant et r\u00e9cl amant \u00e0 boire \u2013 avait de sa \npropre main \u00e9gor g\u00e9 ses si x compli ces. Je songeais aux \nhurlements qui avai ent d\u00fb empl ir alors ce boi s \naujourd\u2019hui si paisible, et je me figurais presque les \nentendre r\u00e9sonner encore. \nNous arriv\u00e2mes \u00e0 la lisi\u00e8re du taillis. \n\u2013 Hardi, les gars, to us ensemb le ! cria Merry . \nEt les plus avanc\u00e9s se mirent \u00e0 courir. \nIls n\u2019avaient pas fait dix to ises, que nous les v\u00eemes \nsoudain s\u2019arr \u00eater. Un cri de d\u00e9sappoi ntement ret entit. \nSilver redoubla de vitesse, piochant comme un poss\u00e9d\u00e9 \navec le bout de sa b\u00e9quille, et un instant plus tard, lui et \nmoi nous arr\u00eations net \u00e9galement. \nUne large excavation s\u2019ou vrait devant nous. Elle \ndatait d\u00e9j\u00e0, car ses parois s\u2019 \u00e9boulaient, et de l\u2019herbe \navait cr\u00fb au fond. Elle re nfermait le manche d\u2019une \npioche cass\u00e9 en deux et le s planches \u00e9parses de \nplusi eurs cais ses. Sur l\u2019une de ces planches je lus, \nimpri m\u00e9 au f er chaud, l e mot Walrus , le nom du navir e \nde Flint. \nTout \u00e9t ait cl air jus qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9vidence. On avait \nd\u00e9couvert la cache et rafl\u00e9 son contenu : les sept cent \nmille livres s\u2019en \u00e9taient all\u00e9es. \n 328 \n \nXXXIII \n \nLa chute d\u2019un chef \n \nOn ne vit jamais dans ce monde pareille subversion. \nTous les six, les pirates semb laient frapp\u00e9s de la foudre. \nMais Silver eut vite surmont \u00e9 le coup. Tous les d\u00e9sirs \nde son \u00e2me s\u2019\u00e9taient \u00e9lanc\u00e9s vers cet argent, comme des \nchevaux de course, et, bien qu\u2019arr\u00eat\u00e9 en une seconde, \nnet, il sut garder son sang-froid, recouvr er son \u00e9quili bre \net modifier ses plans, avant que l es autr es eussent eu l e \nloisir de bien comprendre leur d\u00e9sappointement. \n\u2013 Jim, me glissa-t-il tout ba s, prends \u00e7a, et gare l\u00e0-\ndessous au grabuge. \nEt il me passa un pistolet \u00e0 deux coups. \nD\u00e9j\u00e0 il s\u2019avan\u00e7ait tout dou cement vers le nord, et \nquelques pas lui suffir ent \u00e0 placer le trou entr e nous \ndeux et les cinq autres. Puis il me regarda en hochant la \nt\u00eate, comme pour dire : \u00ab Nous voil\u00e0 dans une sale \npasse \u00bb, ce qui \u00e9tait bien mon avis. \nSes all ures \u00e9tai ent maintenant t out \u00e0 fait ami cales, et \nces changements continuels me r\u00e9voltaient au point que \n 329je ne pus m\u2019emp\u00eacher de lui murmur er : \n\u2013 Ainsi donc vous avez enc ore une fois chang\u00e9 de \nparti... \nIl n\u2019eut pas le temps de me r\u00e9pondr e. Avec des cri s \net des bl asph\u00e8mes, les forbans avaient saut\u00e9 l\u2019un apr\u00e8s \nl\u2019autre dans la fosse, o\u00f9 ils creusaient avec leurs mains, \ntout en rejetant les planche s de c\u00f4t\u00e9. Mor gan trouva une \npi\u00e8ce d\u2019or. Il la leva en l\u2019air dans une vraie trombe de \njurons. C\u2019\u00e9tait une pi\u00e8ce de deux guin\u00e9es : pendant un \nquart de minute elle pa ssa de main en main. \n\u2013 Deux guin\u00e9es ! rugit M erry, en la br andiss ant vers \nSilver. Hein, les voil\u00e0, tes sept cent mille livres ! Tu t\u2019y \nconnais en fait de march\u00e9s, toi ! Tu dis que tu n\u2019as \njamais rien g\u00e2ch\u00e9, toi, esp\u00e8 ce d\u2019andouille, h\u00e9 ! t\u00eate de \nbois ! \n\u2013 Creusez, gar\u00e7ons, dit S ilver avec le plus froid \ncynisme ; vous trouveriez des truffes que \u00e7a ne \nm\u2019\u00e9tonnerait pas. \n\u2013 Des t ruffes ! r\u00e9p\u00e9ta Merry avec un cri \nd\u2019indignation. Vous l\u2019entendez, les gars ! Je vous le dis, \nmoi, cet homme-l \u00e0 savait t out. Regardez-le, c\u2019est \u00e9crit \nsur sa figure. \n\u2013 H\u00e9, h\u00e9 ! Merry, remarqua Silver, te voici encore \ncandidat-capitaine ? Tu es un gar\u00e7on d\u2019avenir, pour s\u00fbr. \nMais cette fois tous te naient pour Merry. Ils se \n 330mirent \u00e0 grimper hors de l\u2019excavation, en d\u00e9cochant \nderri\u00e8re eux des regards fu ribonds. Je notai une chose \nde bon augure pour nous : tous sortaient par le c\u00f4t\u00e9 \noppos \u00e9 \u00e0 Silver. \nNous r estions l\u00e0, deux d\u2019un c\u00f4t\u00e9 et cinq de l\u2019aut re, \navec la fosse entre nous, sa ns que personne trouv\u00e2t le \ncourage de porter le premier coup. Silver ne bronchait \npas ; bien droit sur sa b\u00e9qu ille, il les surveillait d\u2019un air \nplus impassi ble que jamai s. Ind\u00e9niablement, il \u00e9tait \nbrave. \n\u00c0 la fin, Merry jugea opp ortun de haranguer ses \ncompagnons. \n\u2013 Camarades, leur dit-il, en voil\u00e0 deux devant nous , \nseuls. L\u2019 un est le vieux str opiat qui nous a t ous amen\u00e9s \nici et nous a fait tomber dans ce p\u00e9trin ; l\u2019autre est ce \npetit morveux dont je tiens \u00e0 arracher le c\u0153ur. C\u2019est \nl\u2019instant, camarades... \nIl \u00e9leva le bras en m\u00eame temps que la voix. Mais \u00e0 \nla m\u00eame minute \u2013 pan ! pan ! pan ! \u2013 trois coups de \nmousquet jaillirent du fou rr\u00e9. Merry culbuta dans \nl\u2019excavation la t\u00eate la pr emi\u00e8re ; l\u2019homm e au bandage, \nfrapp\u00e9 \u00e0 mort, giroya comme un toton, s\u2019abattit d\u2019un \nbloc s ur le fl anc, et y rest a, agit\u00e9 d\u2019une der ni\u00e8re \nconvulsion ; les trois autr es firent volte-face et \nd\u00e9guerpirent \u00e0 toutes jambes. \n 331En un clin d\u2019\u0153il, Long John avait d\u00e9 charg\u00e9 les deux \ncoups d\u2019 un pist olet sur Merry qui se d\u00e9batt ait dans son \ntrou, et comme l e mori bond levait vers lui des yeux \nagonisants, il lui lan\u00e7a : \n\u2013 Geor ge, il me sembl e que nous voi l\u00e0 quitt es. \nCependant, le docteur, Gray et Ben Gunn, au poing \nleurs mous quets f umants, su rgirent des muscadi ers et \ns\u2019approch\u00e8rent de nous. \n\u2013 En avant, mes enfants ! cria le docteur. Et au trot. \nIl nous faut les emp\u00eacher d\u2019atteindre les embarcations. \nEt nous part\u00eemes \u00e0 grande vitesse, enfon\u00e7ant parfois \ndans les buis sons jusqu\u2019 \u00e0 la poitri ne. \nSilver, je vous ass ure, tenai t fort \u00e0 rester avec nous . \nLe travail que cet homme acco mplit, en bondissant sur \nsa b\u00e9quil le avec une f orce \u00e0 fair e \u00e9clater l es mus cles de \nsa poitrine, \u00e9tait un travail que n\u2019 \u00e9gala jamai s, de l\u2019avis \ndu docteur, aucun homme vali de. Malgr\u00e9 cela, il \u00e9tait \nd\u00e9j\u00e0 de vingt toises en arri\u00e8re et il n\u2019en pouvait plus, \nlorsque nous atteign\u00eemes le bord de la d\u00e9clivit\u00e9. \n\u2013 Docteur ! appela-t-il, re gardez ! rien ne presse ! \n\u00c0 coup s\u00fbr rien ne pressa it. L\u00e0-bas, sur une partie \nplus d\u00e9gag\u00e9e du plateau, no us apercevions les trois \nsurvivant s qui courai ent touj ours dans la m\u00eame \ndirecti on qu\u2019au d\u00e9but, dr oit vers le mont du M\u00e2t-\nd\u2019Artimon. D\u00e9j\u00e0 nous \u00e9tions entre eux et les canots. \n 332Aussi nous ass\u00eemes-nous to us quatre pour souffler, \ntandis que Long John, s\u2019\u00e9po ngeant le visage, approchait \nlentement de nous . \n\u2013 Mon cor dial merci, docteur. Vous \u00eates arri v\u00e9 \u00e0 pic, \nil me sembl e, pour moi et pour Hawki ns... Et c\u2019est donc \ntoi, Ben Gunn ! Eh bien, tu es gentil, il n\u2019y a pas \u00e0 dire. \n\u2013 C\u2019est moi, Ben Gunn, c\u2019es t bien moi, r\u00e9pondit le \nmarron, qui dans son embarr as se tortillait comme une \nanguille. Et (ajouta-t-il apr\u00e8s un silence prolong\u00e9) \ncomment allez-vous, ma\u00eetre S ilver ? Tr\u00e8s bi en, je vous \nremer cie, n\u2019 est-ce pas ? \n\u2013 Ben, Ben ! murmura Silver, dire que tu as caus\u00e9 \nma pert e !... \nLe docteur envoya Ben Gunn rechercher une des \npioches abandonn\u00e9es par les mu tins lors de leur fuite ; \npuis, tandis que nous d\u00e9valions sans h\u00e2te vers l\u2019endroit \no\u00f9 se trouvaient les canots, il raconta bri\u00e8vement ce qui \ns\u2019\u00e9tait pass\u00e9. Cette histoire , dont Ben Gunn, le marron \nquasi imb\u00e9cile, \u00e9tait le h\u00e9ros d\u2019un bout \u00e0 l\u2019autre, \nint\u00e9ressa profond\u00e9ment Silver. \nAu cours de ses lo ngues r\u00f4deries su r l\u2019\u00eele d\u00e9serte, \nBen avait d\u00e9couvert le squelette , et c\u2019\u00e9tait l ui qui l\u2019 avait \nd\u00e9pouill\u00e9. Il avait d\u00e9couvert le tr\u00e9sor ; il l\u2019avait d\u00e9terr\u00e9 \n(c\u2019\u00e9tait le manche bris\u00e9 de sa pioche qui gisait dans \nl\u2019excavation) ; il l\u2019avait tran sport\u00e9 sur son dos, en de \n 333nombreux et p\u00e9nibles voyage s, du pied du grand pin \njusque dans la grotte qu\u2019i l occupait sur la montagne \u00e0 \ndeux sommets, \u00e0 la pointe nord-est de l\u2019\u00eele, et c\u2019est l\u00e0 \nque t out cet or \u00e9tait rest\u00e9 em magasin\u00e9 depuis deux mois \navant l\u2019 arriv\u00e9e de l \u2019Hispaniola . \nLe docteur lui extirpa ce s ecret dans l\u2019apr\u00e8s-midi de \nl\u2019attaque. Le lendemain, vo yant le mouillage d\u00e9sert, il \nalla trouver Silver, lui remit la carte, d\u00e9sormais inutile ; \nlui remit les provisions, car la grott e de Ben Gunn \u00e9t ait \nbien approvisionn\u00e9e de viande de ch\u00e8vre sal\u00e9e par lui ; \nlui remit tout sans exceptio n, pour obtenir de quitter \nlibrement la palanque et de se retirer sur la montagne \u00e0 \ndeux s ommets, afin d\u2019y \u00eat re \u00e0 l \u2019abri de la malari a et de \nveiller sur le tr\u00e9sor. \n\u2013 Quant \u00e0 vous , Jim, me dit- il, c\u2019\u00e9t ait bien \u00e0 regr et, \nmais j\u2019 ai agi au mi eux de ce ux qui \u00e9taient rest\u00e9s fid\u00e8les \n\u00e0 leur devoir ; et s i vous n\u2019 \u00e9tiez pas du nombre, \u00e0 qui la \nfaute ? \nCe matin-l\u00e0, en d\u00e9couvrant que je serais englob\u00e9 \ndans l\u2019affreuse d\u00e9convenue qu\u2019il avait m\u00e9nag\u00e9e aux \nmutins, il avait cour u tout d\u2019une tr aite j usqu\u2019\u00e0 la grotte, \nlaissant le capitaine sous la gar de du chevalier et, \nprenant avec lui Gray et le ma rron, il avait travers\u00e9 l\u2019\u00eele \nen diagonale, pour aller s\u2019 embusquer aupr\u00e8s du pin. \nMais il s\u2019aper\u00e7ut bient\u00f4t que notre troupe avait de \nl\u2019avance sur lui. L\u2019agile Ben Gunn fut exp\u00e9di\u00e9 en \n 334\u00e9claireur pour f aire de son mieux \u00e0 lui seul. C\u2019est alors \nque Ben avait eu l\u2019id\u00e9e de mettre \u00e0 profit les \nsuperstitions de ses ex-camar ades. Il y r\u00e9ussit \u00e0 un tel \npoint que Gray et l e docteur eurent l e temps d\u2019 arriver et \nde s\u2019embusquer avan t la venue des chercheurs de tr\u00e9sor. \n\u2013 Ah ! docteur, fit Silv er, j\u2019ai eu de la chance \nd\u2019avoir Hawki ns avec moi. Vous auriez laiss\u00e9 tailler en \npi\u00e8ces l e vieux J ohn sans lui accorder une pens\u00e9e. \n\u2013 Pas une, r\u00e9pondit le m\u00e9decin avec jovialit\u00e9. \nNous \u00e9tions arriv\u00e9s aux yoles. S\u2019armant de la \npioche, le docteur d\u00e9molit l\u2019une d\u2019elles, et tout le \nmonde s\u2019embarqua dans l\u2019autr e, pour gagner par eau la \nbaie du Nor d. \nC\u2019\u00e9tait un trajet de huit \u00e0 neuf milles. Silver, bien \nque d\u00e9j \u00e0 \u00e9puis \u00e9 de fatigue, fut mis \u00e0 un avir on, comme \nles autres, et nous gliss\u00e2 mes pr estement s ur une mer \nd\u2019huile. Le goulet franchi, no us doubl\u00e2mes la pointe \nsud-est de l\u2019\u00eele, autour de laquelle nous avions, quatre \njours plus t\u00f4t, remorqu\u00e9 l\u2019 Hispaniola . \nEn doublant la montagne \u00e0 deux sommets, nous \naper\u00e7\u00fbmes l\u2019 orifice obs cur de la grotte de Ben Gunn, et \naupr\u00e8s un personnage debout, appuy\u00e9 sur son \nmousquet. C\u2019\u00e9tait le chevalie r. On agita un mouchoir, \nen pouss ant trois hourr as auxq uels Silver unit sa voix \naussi vigoureusement qu\u2019un autre. \n 335Trois milles plus loin, \u00e0 l\u2019embouchure m\u00eame de la \nbaie du Nord, devinez ce que nous rencontr\u00e2mes !... \nL\u2019Hispaniola , voguant \u00e0 l\u2019aventure . La derni\u00e8re mar\u00e9 e \nl\u2019avait remise \u00e0 flot, et y e\u00fb t-il eu beaucoup de brise, ou \nun fort jusant, comme dans le mouillage sud, nous ne \nl\u2019aurions jamais revue, ou du moins elle se serait \n\u00e9chou\u00e9e sans rem\u00e8de. En r\u00e9a lit\u00e9, \u00e0 part l a grand-voile \nen loques, il y avait peu de d\u00e9g\u00e2t. On para une autre \nancre, et l\u2019on mouilla par un e brasse et demie de fond. \nNous repart\u00eemes \u00e0 l\u2019aviron jusqu\u2019 \u00e0 la cri que du R hum, \npoint le plus rappr och\u00e9 du tr \u00e9sor de Ben Gunn ; puis \nGray s\u2019 en r etourna s eul avec la yole jus qu\u2019\u00e0 \nl\u2019Hispaniola , o\u00f9 il devait passer la nuit \u00e0 veiller. \nDu rivage \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la grotte, on acc\u00e9 dait par une \npente douce. Au haut de celle-ci le chevalier nous \nattendait. Aimable et affect ueux avec moi, il n\u2019eut pour \nma fugue pas un mot de reproche ni d\u2019\u00e9loge. Aux \nsalutations polies de Silver , il s\u2019\u00e9chauffa quelque peu. \n\u2013 John Silver, lui dit-il, vous \u00eates une canail le et un \nfourbe sans nom... oui, un fourbe inou\u00ef . On m\u2019a \ndissuad\u00e9 de vous fair e condamner . Je m\u2019 en abstiendr ai \ndonc. Mais les cadavres, mo nsieur, p\u00e8sent \u00e0 votre cou \ntelles des meules de moulin. \n\u2013 Mon cor dial merci , monsieur , r\u00e9pliqua John, en \ns\u2019inclinant \u00e0 nouveau. \n\u2013 Je vous d\u00e9fends de me reme rcier, la n\u00e7a le \n 336chevali er, car c\u2019 est l\u00e0 un outrageux abandon de mes \ndevoirs. Retirez-vous ! \nNous p\u00e9n\u00e9tr\u00e2mes dans la gr otte. Spacieuse et bien \na\u00e9r\u00e9e, elle renfermait une pe tite source et une mare \nd\u2019eau claire, o\u00f9 se mir aient des foug\u00e8res. Sur le sol de \nsable, devant un grand fe u, reposait le capitaine \nSmollett ; et dans le fo nd, o\u00f9 atteignaient \u00e0 peine \nquelques reflets du f oyer, j\u2019entr evis d\u2019\u00e9nor mes \nempilements de monnai es et des pyr amides de lingots \nd\u2019or. C\u2019\u00e9tait l\u00e0 ce tr\u00e9sor de Flint que nous \u00e9tions venus \nchercher si loin, et qui avait d\u00e9j\u00e0 co\u00fbt\u00e9 la vie \u00e0 dix-sept \nhommes de l \u2019Hispaniola. \u00c0 quel pri x l\u2019avait- on amass \u00e9, \ncombien de s ang et de doul eurs il y avait fallu, combien \nde beaux navir es coul \u00e9s \u00e0 fond, combien de braves gens \nlanc\u00e9s \u00e0 la mer, combien de coups de canon, combien \nde hontes, de mens onges et de forfaits, nul au monde \nn\u2019e\u00fbt pu le dire. Mais ils \u00e9t aient encore tr ois sur cett e \u00eele \n\u2013 Silver, le vieux Morgan et Ben Gunn \u2013 qui avaient \nchacun pris leur part de ces crimes , comme ils avaient \neu le vain espoir de pa rticiper \u00e0 la r\u00e9compense. \n\u2013 Entrez, Jim, me dit le cap itaine. Vous \u00eates un bon \ngar\u00e7on dans votre genre, Ji m, mais je ne pense pas que \nnous naviguer ons encore ens emble, vous et moi . Vous \n\u00eates, \u00e0 mon go\u00fbt, trop enf ant g\u00e2t \u00e9... C\u2019 est vous , John \nSilver ? Qu\u2019est-ce qui vous am\u00e8ne ici, matelot ? \n\u2013 Je rentre dans le devoir, monsieur, r \u00e9pondit J ohn. \n 337\u2013 Ah ! di t le capit aine. \nEt il borna l\u00e0 ses commentaires. \nQuel s ouper agr \u00e9able je fis ce soi r-l\u00e0, ent our\u00e9 de \ntous mes amis ! Comme j e go\u00fbtai ce repas, compos\u00e9 de \nviande de ch\u00e8vre sal\u00e9e par Ben Gunn, avec quelques \nfriandises et une bouteille de vin vieux provenant de \nl\u2019Hispaniola ! Jamais on ne vit, j\u2019en suis s \u00fbr, gens plus \ngais ni plus heur eux. Et Silv er \u00e9t ait l\u00e0, assis \u00e0 l\u2019\u00e9cart , \npresque en dehors de la lumi\u00e8re du foyer, mai s \nmangeant de bon app\u00e9tit, prom pt \u00e0 s\u2019\u00e9lancer quand on \nd\u00e9sirait quelque chose, joig nant m\u00eame en sourdine son \nrire aux n\u00f4t res... le m\u00eame marin placide, pol i, \nobs\u00e9quieux qu\u2019il avait \u00e9t\u00e9 durant tout le voyage. \n 338 \n \nXXXIV \n \nEt dernier... \n \nLe matin venu, on se mit au travail de bonne heure. \nIl s\u2019agiss ait de fai re par courir \u00e0 tout cet or, d\u2019 abord pr\u00e8s \nd\u2019un mil le par terre j usqu\u2019au rivage, et ensuite trois \nmilles par mer jusqu\u2019\u00e0 l\u2019 Hispaniola ; c\u2019\u00e9tait l\u00e0 une \nt\u00e2che consid\u00e9rable pour un si petit nombre de \ntravailleurs. Les trois bandits qui erraient encore sur \nl\u2019\u00eele ne nous troubl aient gu \u00e8re : une simple sentinelle \npost\u00e9e sur la hauteur suffi sait \u00e0 nous pr \u00e9munir cont re \nune attaque soudaine, et nous pensions d\u2019ailleurs qu\u2019ils \nn\u2019avaient plus aucune envie de s e battre. \nOn se mit activement \u00e0 la besogne. Gray et Ben \nGunn f aisaient la navett e avec le canot, et les autres \nprofitai ent de leur abs ence pour entasser les richesses \nsur la plage. Deux lingots, nou\u00e9s aux deux bouts d\u2019une \ncorde, constituaient une bonne charge pour un adulte, et \nencore, il lui fallait marche r lentement. Quant \u00e0 moi, \n\u00e9tant de peu d\u2019utilit\u00e9 pour le transport, on m\u2019occupa \ntoute la journ\u00e9e dans la gro tte \u00e0 emballer dans des sacs \n\u00e0 pain les esp\u00e8 ces monnay\u00e9es. \n 339Elles for maient une coll ection si nguli\u00e8r e, analogue \u00e0 \nla r\u00e9serve de Billy Bones po ur la diversit\u00e9 des pi\u00e8ces, \nmais tellement plus abondant e et vari\u00e9e que j e crois \nn\u2019avoir j amais eu plus de plaisir qu\u2019 \u00e0 les assortir. \nPi\u00e8ces angl aises, fran\u00e7ais es, espagnol es, \nportugaises, georges et louis, doublons, doubles \nguin\u00e9es, mo\u00ef dores et sequi ns, aux effi gies de t ous les \nrois d\u2019Europe depuis un si \u00e8cle, bi zarres pi\u00e8ces \norientales marqu\u00e9es de signes qu\u2019on e\u00fbt pris pour des \npelotons de fi celle ou des fr agments de toi les \nd\u2019araign\u00e9e, pi\u00e8ces rondes et pi\u00e8ces carr \u00e9es, pi \u00e8ces ave c \nun trou au milieu, comme des grains de collier, \u2013 \npresque tout es les vari\u00e9t \u00e9s de monnaie du monde \nfiguraient, je crois, dans cett e coll ection ; et quant \u00e0 l eur \nnombre, elles \u00e9galaient s\u00fbreme nt les feuilles d\u2019automne, \ncar j\u2019 en avais mal aux rei ns de me baisser, et mal aux \ndoigts de les t rier. \nCe tr avail dura plusi eurs jours : chaque soir une \nfortune se trouvait entass \u00e9e \u00e0 bord, mais une autre \nattendait son t our pour l e lendemai n ; et de tout ce \ntemps-l\u00e0 les trois mutins ne donn\u00e8rent pas signe de vie. \n\u00c0 la fin \u2013 ce devait \u00eatre le troisi\u00e8me soir \u2013 je fl\u00e2nais \navec le doct eur sur l a montagne \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 elle \ndomi ne les bass es terres de l\u2019\u00eele, lorsque du fond des \n\u00e9paisses t\u00e9n\u00e8bres le vent no us apporta un son qui tenait \ndu chant et du hur lement . Un seul l ambeau en par vint \u00e0 \n 340nos oreilles, et le sile nce primitif se r\u00e9tablit. \n\u2013 Le ciel leur pardonne ! dit le docteur ; ce sont les \nmutins. \n\u2013 Et tous ivres , monsieur, pr onon\u00e7a derri \u00e8re nous l a \nvoix de S ilver. \nSilver, j e dois l e dire, j ouissait d\u2019une enti\u00e8re libert\u00e9, \net quoiqu\u2019on le rabrou\u00e2t chaque jour, semblait se \nconsid\u00e9rer de nouveau tout \u00e0 fait comme un subalterne \nfavori s\u00e9 de pri vil\u00e8ges et d\u2019\u00e9gar ds. Je m\u2019 \u00e9tonnais de le \nvoir supporter si bien ces m\u00e9pr is et s\u2019efforcer avec s on \ninlassable politesse de rentrer en gr\u00e2ce aupr\u00e8s de tous. \nMais personne ne le traitait gu\u00e8re mi eux qu\u2019un chien ; \nsauf peut-\u00eatr e Ben Gunn, qui gar dait touj ours une peur \naffreuse de son ancien quar tier-ma\u00eetre, ou encore moi-\nm\u00eame, qui avais envers lui de r\u00e9els motifs de gratitude, \nbien que sur ce point j\u2019eusse des r aisons de penser de \nlui pl us de mal que n\u2019import e qui, apr\u00e8s l\u2019avoir vu sur \nle plateau m\u00e9diter une nouvelle tra\u00eetrise. En \ncons\u00e9quence, ce f ut d\u2019un ton fort bourru, que le docteur \nlui r\u00e9pliqua : \n\u2013 Ivres ou dans le d\u00e9lir e... \n\u2013 Vous avez raison, monsieur, reprit Silver, et peu \nnous importe lequel des deu x, \u00e0 vous comme \u00e0 moi. \nAvec un ricanement le docteur repartit : \n\u2013 Vous ne pr\u00e9tendez sa ns doute pas au titre \n 341d\u2019homme humain, ma\u00eetre Silver ? Aussi mes sentiments \nvous sur prendront peut- \u00eatre. Mais si j\u2019\u00e9tais certain \nqu\u2019ils d\u00e9lirent \u2013 et je suis moralemen t s\u00fbr que l\u2019un \nd\u2019eux, au moins, est malade de la fi\u00e8vre \u2013 je quitterais \nce camp et risquerai s ma peau afi n de leur port er les \nsecours de mes lumi\u00e8r es. \n\u2013 Sauf votre respect, monsi eur, vous auriez bi en tort, \nd\u00e9clara Silver. Vous y lai sseriez votr e pr\u00e9cieus e vie, \nsoyez- en s\u00fbr. J e suis de votr e c\u00f4t\u00e9, \u00e0 pr \u00e9sent, nous \nsommes de m\u00e8che, et j e ne d\u00e9sire pas voir notr e parti \ndiminu\u00e9, surt out de votr e personne, apr\u00e8s ce que je vous \ndois. Non, ces hommes-l \u00e0 sont incapabl es de tenir l eur \nparol e, m\u00eame \u00e0 suppos er qu\u2019ils l e veuill ent ; et, de plus, \nils ne cr oiraient pas que vous sauriez, vous, t enir la \nv\u00f4tre. \n\u2013 \u00c9videmment, fit le docteu r, vous \u00eates, vous, celui \nqui tient sa parol e, nous savons \u00e7a. \nCe f urent \u00e0 peu pr \u00e8s les derni \u00e8res nouvell es que \nnous e\u00fbmes des trois pir ates. Une seule f ois seul ement \nnous entend\u00eemes un coup de feu tr\u00e8s lointain : ils \nchassaient probablement. On tint conseil, et \u2013 \u00e0 la \njubilation de B en Gunn, j e regret te de le dire, et avec la \npleine approbation de Gray \u2013 on d\u00e9cida de les \nabandonner sur l\u2019\u00eele. Nous le ur laiss\u00e2mes de la poudre \net des balles en bonne quantit\u00e9 , le plus gros de la ch\u00e8vre \nsal\u00e9e, quel ques m\u00e9dicaments et autr es obj ets de \n 342n\u00e9cessit\u00e9, des outils, des v\u00ea tements, une voile de \nrechange, deux ou trois bras ses de corde, et, sur les \ninstances du docteur, une jolie provision de tabac. \nIl ne nous restait plus apr\u00e8 s cela qu\u2019\u00e0 quitter l\u2019\u00eele. \nD\u00e9j\u00e0 nous avions arrim\u00e9 le tr \u00e9sor et embar qu\u00e9 de l\u2019eau, \navec le restant de la viande de ch\u00e8vre, pour parer \u00e0 toute \n\u00e9ventuali t\u00e9. Finalement, un beau matin, on leva l\u2019ancre \n\u2013 ce qui \u00e9tait pr esque au-dess us de nos f orces \u2013 et \nsort\u00eemes de la baie du Nord, sous le m\u00eame pavill on que \nle capitaine avait hiss\u00e9 et d\u00e9fendu \u00e0 la palanque. \nLes trois hommes nous obser vaient de plus pr\u00e8s que \nnous ne pensions, et nous en e\u00fbmes bient\u00f4t la preuve. \nCar en s ortant du goulet i l nous fallut c\u00f4t oyer de tr\u00e8s \npr\u00e8s la point e sud, et ils \u00e9t aient l\u00e0 tous trois, agenouill\u00e9s \nl\u2019un \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de l\u2019autre sur le sable et nous tendant des \nmains suppliantes. Nous avions t ous le c\u0153ur s err\u00e9, je \npense, de les abandonner dans cette triste condition ; \nmais on ne pouvait risquer une nouvell e mutineri e ; et \nles ramener chez eux pour les envoyer \u00e0 la potence e\u00fbt \n\u00e9t\u00e9 un genr e de bont\u00e9 plut \u00f4t cruel. Le docteur les h\u00e9la et \nleur expliqua o\u00f9 ils trouverai ent les provisions laiss\u00e9es \npour eux. Mais ils ne cessai ent de nous appeler par nos \nnoms, nous suppliant pour l\u2019amour de Dieu d\u2019avoir \npiti\u00e9 et de ne pas les abandonner \u00e0 la mo rt en un tel lieu. \nEnfin, voyant que le navire poursuivait sa course \nrapide et allait arriver hors de port\u00e9e de la voix, l\u2019un \n 343d\u2019eux \u2013 j \u2019ignor e lequel \u2013 s auta sur ses pieds avec un cri \nsauvage, \u00e9paula vivement son mousquet, et une balle \nvint siffler par-dessus la t\u00eate de Silver et transpercer la \ngrand-voile. \nApr\u00e8s cela, nous nous t\u00eenmes \u00e0 l\u2019abri des \nbastingages, et l orsque j e regardai de nouveau, ils \navaient disparu de la pointe , qui d\u00e9j\u00e0 se perdait dans \nl\u2019\u00e9loi gnement. C\u2019 en \u00e9tait du moi ns fini avec eux ; et \navant midi, \u00e0 ma joie indici ble, le plus haut sommet d e \nl\u2019\u00eele au tr\u00e9sor s\u2019\u00e9tait enfo nc\u00e9 sous le cercle bleu de \nl\u2019horizon marin. \nNous \u00e9ti ons si \u00e0 court d\u2019hommes que tout le monde \n\u00e0 bord devait travailler, \u00e0 l\u2019 except ion du capit aine qui \ndonnait ses ordres couch\u00e9 \u00e0 l\u2019arri\u00e8re sur un matelas ; \ncar, malgr\u00e9 les progr\u00e8s de sa gu\u00e9rison, il avait encore \nbesoin de repos. Comme no us ne pouvions sans un \nnouvel \u00e9quipage tenter le voyage de retour, nous m\u00eemes \nle cap sur le port le pl us prochain de l\u2019Am\u00e9rique \nespagnole. Quand nous y a tteign\u00eemes, apr\u00e8s des vents \ncontr aires et quel ques violentes brises, nous \u00e9tions d\u00e9j\u00e0 \ntous \u00e0 bout de forces. \nCe fut au coucher du sole il que nous jet\u00e2mes l\u2019ancre \nau fond d\u2019un tr\u00e8s beau go lfe abrit\u00e9, o\u00f9 nous f\u00fbmes \naussit\u00f4t entour\u00e9s par des embarcations pleines de \nn\u00e8gres, d\u2019I ndiens du M exique, de mul \u00e2tres, qui \nvendaient des fruits et des l\u00e9gumes, ou offraient de \n 344plonger pour une pi\u00e8ce de mo nnaie. La vue de tant de \nvisages \u00e9panouis \u2013 et en partic ulier des noir s \u2013 la saveur \ndes fruits tropicaux, et surtout les lumi\u00e8r es qui \ns\u2019allumaient dans la vill e, formaient un contr aste \nenchanteur avec notre s\u00e9jour sur l\u2019\u00eele, sinistre et \nsangl ant. Le doct eur et le chevali er, me pr enant avec \neux, s\u2019 en all\u00e8r ent passer la soir\u00e9e \u00e0 terre. L\u00e0, ils \nrencontr\u00e8rent le capitaine d\u2019un vaisseau de guerre \nanglais, qui lia connaiss ance avec eux et les emmena \u00e0 \nbord de son navir e ; br ef, le temps pas sa si \nagr\u00e9ablement que le jou r se levait lorsque nous \naccost\u00e2mes l\u2019 Hispaniola. \nBen Gunn \u00e9tait seul sur le pont, et en nous voyant \nmonter \u00e0 bord, il se mit \u00e0 se tortiller fantastiquement et \nnous fit un aveu. Silver avait fui. Le marron l\u2019avait aid\u00e9 \n\u00e0 s\u2019\u00e9chapper dans un canot quel ques heur es plus t\u00f4t , et \nil nous assura qu\u2019il l\u2019avait fait uniquement pour \nsauvegarder nos existences, qui eussent sans nul doute \n\u00e9t\u00e9 compr omises, \u00ab si ce t homme \u00e0 une j ambe \u00e9t ait \ndemeur \u00e9 \u00e0 bor d \u00bb. Mais ce n\u2019 \u00e9tait pas tout. Le coq ne \ns\u2019en allait pas les m ains vid es. Il avait subrepticement \nperc\u00e9 une cloi son, et emport \u00e9 un des sacs de monnai e, \nvalant peut- \u00eatre trois ou qu atre cents guin\u00e9es, pour \nsubvenir \u00e0 ses besoins ult\u00e9rieurs. \nJe cr ois bien que nous f\u00fbmes tous heur eux d\u2019 \u00eatre \nquittes de l ui \u00e0 si bon march\u00e9. \n 345Enfin, pour abr\u00e9ger cette longue histoire, nous \nembarqu\u00e2mes plusieurs mate lots, f\u00eem es un bon voyage, \net M. B landly s \u2019appr\u00eatait just ement \u00e0 ar mer notr e \nconserve quand l \u2019Hispaniola rentra \u00e0 Bristol. De tous \nceux qui \u00e9taient partis avec elle, il ne restait plus que \ncinq hommes. \u00ab La boisson et le diable avaient exp\u00e9di\u00e9 \nles autres \u00bb, impitoyablement ; mai s \u00e0 vr ai dire nous \nn\u2019\u00e9tions pas tout \u00e0 fait aussi mal en point que le navire \nde la chanson : \n \nAvec un seul survivan t de tout l\u2019\u00e9quipage \nQui avait pris la mer au no mbre de soixante-quinze. \n \nNous e\u00fbmes t ous notr e large part du tr \u00e9sor, que \nchacun employa sagement ou fo llement sel on sa nature. \nLa capitaine Smollett est aujour d\u2019hui retir\u00e9 de la \nnavigation. Gr ay non seul ement sut garder son argent, \nmais , soudain mor du par l\u2019ambiti on, il \u00e9t udia son \nm\u00e9tier ; et il est aujourd\u2019hui second sur un beau navire \ndont il poss \u00e8de une part ; mari\u00e9, en outre, et p\u00e8re de \nfamille. Quant \u00e0 Ben Gunn, il re\u00e7ut mille livres, qu\u2019il \ndilapida en tr ois semaines \u2013 ou plus exact ement en di x-\nneuf j ours, car il revi nt \u00e0 s ec le vingti\u00e8me. Alors , on lui \ndonna une loge de portier \u00e0 garder, tout comme il \nl\u2019avait craint sur l\u2019\u00eele ; et il vit encore, tr\u00e8s admir\u00e9 des \n 346enfants du pays, qui en font aussi un peu leur plastron, \net chanteur distingu\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9g lise les dimanches et jours \nde f\u00eat e. \nDe Silver nous ne savons plus rien. C e redoutable \nhomme de mer \u00e0 une jambe a enfin dispar u de ma vie ; \nmais je pense qu\u2019il a retrouv\u00e9 sa vieill e n\u00e9gres se, et \npeut-\u00eatre vit-il toujours, heur eux avec elle et Capitaine \nFlint. Il faut l\u2019esp\u00e9rer, du moins, car ses chances de \nbonheur dans l\u2019autre monde sont des plus faibles. \nLes li ngots d\u2019ar gent et les armes sont t oujours \nenfouis, que j e sache, l \u00e0 o\u00f9 Fli nt les a mi s ; ce n\u2019 est \ncertes pas moi qui irai les chercher. Un attelage de \nb\u0153ufs ne r\u00e9ussirait pa s \u00e0 me tra\u00eener dans cette \u00eele \nmaudite ; et les pires de me s cauchemars sont ceux o\u00f9 \nj\u2019entends le ressac tonner sur s es c\u00f4tes et o\u00f9 j e me \ndresse en sursaut dans mon lit \u00e0 la voix stridente de \nCapitaine Flint qui me corne aux oreilles : \n\u2013 Pi\u00e8ces de huit ! pi\u00e8ces de huit ! \n 347 \n 348 \nTable \nI. Le vieux flibustier ..................................................... 6 \nI. Le vieux loup de mer de l\u2019 Amiral Benbow ........... 7 \nII. O\u00f9 Chien-Noir fait une br\u00e8ve apparition ............. 18 \nIII. La tache noire ...................................................... 29 \nIV. Le coffre de mer .................................................. 39 \nV. La fin de l\u2019aveugle .............................................. 49 \nVI. Les papiers du capitaine ...................................... 58 \nII. Le ma\u00eetre coq ........................................................... 69 \nVII. Je me rends \u00e0 Bristol ........................................... 70 \nVIII. \u00c0 l\u2019enseigne de la Longue-Vue ........................... 80 \nIX. La poudr e et les ar mes......................................... 89 \nX. Le voyage ............................................................ 99 \nXI. Ce que j\u2019entendis da ns la barrique de \npommes ............................................................ 108 \nXII. Conseil de guerre .............................................. 118 \nIII. Mon aventure \u00e0 terre ............................................ 127 \nXIII. O\u00f9 commence mon aventure \u00e0 terre .................. 128 \n 349XIV. Le pr emier coup ................................................ 136 \nXV. L\u2019homme de l\u2019\u00eele ............................................... 145 \nIV. La palanque ........................................................... 156 \nXVI. Le docteur continue le r\u00e9cit : l\u2019abandon du \nnavir e................................................................ 157 \nXVII. Suite du r\u00e9cit par le docteur : le dernier \nvoyage du petit canot ....................................... 165 \nXVIII. Suite du r\u00e9cit par le docteur : fin du premier \njour de combat .................................................. 173 \nXIX. Jim Hawkins reprend s on r\u00e9cit : la garnis on \nde la palanque ................................................... 181 \nXX. L\u2019ambassade de Silver ...................................... 191 \nXXI. L\u2019attaque ........................................................... 201 \nV. Mon aventure en mer ............................................ 211 \nXXII. O\u00f9 commence mon aventure en mer ................. 212 \nXXIII. La mar\u00e9e descend .............................................. 222 \nXXIV. La croisi\u00e8re du coracle ...................................... 230 \nXXV. J\u2019am\u00e8ne le Jolly-Roger ...................................... 240 \nXXVI. Isra\u00ebl Hands ....................................................... 249 \nXXVII. \u00ab Pi\u00e8ces de huit ! \u00bb ............................................ 262 \n 350VI. Le capit aine Silver ................................................. 272 \nXXVIII. Dans le camp ennemi ........................................ 273 \nXXIX. Encore la tache noire ......................................... 286 \nXXX. Sur parole .......................................................... 297 \nXXXI. La chas se au tr\u00e9sor : l\u2019indicateur de Flint ......... 308 \nXXXII. La chasse au tr\u00e9sor : la voix d\u2019entre les \narbres................................................................ 319 \nXXXIII. La chut e d\u2019un chef ............................................. 329 \nXXXIV. Et dernier... ........................................................ 339 \n \n 351 \n 352 \n \n \n \n \nCet ouvr age est l e 591\u00e8me publi \u00e9 \ndans la collection \u00c0 tous les vents \npar la Biblioth\u00e8que \u00e9lec tronique du Qu\u00e9bec. \n \n \n \nLa Biblioth\u00e8que \u00e9lectronique du Qu\u00e9bec \nest la propri\u00e9t\u00e9 exclusive de \nJean-Yves Dupuis. \n \n \n 353"}