{"filename": "Pergaud-boutons.pdf", "content": " \nLouis Pergaud \nLLaa gguueerrrree ddeess bboouuttoonnss \nLLee rroommaann ddee mmaa ddoouuzzii\u00e8\u00e8mmee aannnn\u00e9\u00e9ee \n \n \n \n \nBeQ \n \nLouis Pergaud \nLa guerre des boutons \nLLee rroommaann ddee mmaa ddoouuzzii\u00e8\u00e8mmee aannnn\u00e9\u00e9ee \nroman \n \n \n \n \n \n \n \nLa Biblioth\u00e8que \u00e9lectronique du Qu\u00e9bec \nCollection \u00c0 tou s les vents \nVolume 293 : version 1.01 \n 2 \n \n \nDu m\u00eame auteur, \u00e0 la Biblioth\u00e8que : \n \nLe roman de Mir aut \n 3 \n \nPr\u00e9face \n \nPergaud-le-Rustique \n \nQuand Louis Pergaud arri vait chez moi, le \ndimanche, j\u2019avais l\u2019impressi on que l\u2019on ouvrait une \nfen\u00eatre... L\u2019air entrait avec lui, un air salubre et vif qui \nsentait la terre et les feu illes, l\u2019herbe mouill\u00e9e et les \nsapins . Il avait beau \u00eatre v\u00ea tu comme vous et moi , il \nm\u2019apparaissait en costume de chasse, et son chien \nMiraut l \u2019attendait en bas . Il apportait son pays, l a \nFranche- Comt \u00e9, \u00e0 l a semelle de s es gros souliers . Il \navait le parler rude, le regar d franc, la po ign\u00e9e de main \ncordiale. Il d\u00e9testait le me nsonge, les d\u00e9tours et les \nmanigances. Il appelait par leur nom les gens et les \nchoses. Il savait ha\u00efr... ; mais comme il aimait ! \nJe fis sa connaissance gr\u00e2 ce \u00e0 Mll e Louise Read, la \nD\u00e9vou\u00e9e par excellence, que son coeur n\u2019\u00e9gara jamais, \npuisqu\u2019il la conduisit chez Ba rbey d\u2019Aurevilly, chez J.-\nK. Huysmans et chez Fran\u00e7 ois Copp\u00e9e, entre autres. \nLoui s Pergaud, qui venait de publ ier De Goupil \u00e0 \nMargot , \u00e9tait encore, \u00e0 cette \u00e9p oque, instituteur, enfin \n 4\u00ab l\u2019homme en pr oie aux enf ants \u00bb. Il avait ceci de \ncommun avec L ouise Michel, qu\u2019 il aimait mieux l es \nb\u00eates que les gosses. J\u2019ai cru longtemps qu\u2019il n\u2019avait \npas raison ; je crois \u00e0 pr\u00e9sent qu\u2019il n\u2019avait pas tout \u00e0 fait \ntort. Les goss es sont souvent pl us danger eux que les \nb\u00eates ou sont nuisibles. \nBref, Per gaud n\u2019 avait ri en d\u2019 un ma\u00ee tre d\u2019 \u00e9cole. On \nle voyait plut\u00f4t le fusil de ch asse que la f \u00e9rule de cl asse \n\u00e0 la main. \nLe Prix Goncourt, en 1910, l\u2019\u00e9mancipa. Avec quelle \njoie na\u00efve il le re\u00e7ut ! Un e dame de Vi e Heureuse, \nmanif esta son raffinement de lett r\u00e9e, ma ch\u00e8re, en \ndisant que le livre du petit ins tituteur primaire \u00e9tait \u00e9crit \navec un manche de pioche. Justement ! Ce manche de \npioche nous avait s\u00e9duit, parm i les plumes d\u2019oie. Quoi ! \nDe la paille et de la terre hum ide, qui restent au f er de l a \npioche, valent bien le c heveu au bec de la plume. \nIl s\u2019agissait, pour le petit employ\u00e9 \u00e0 la Pr\u00e9fecture de \nla Seine, de conqu\u00e9ri r une seconde fois son \nind\u00e9pendance. Car il n\u2019avait qu\u2019un mois de cong\u00e9 par \nan... et c\u2019est peu pour un con teur rustique. Pendant onze \nmois, il rongeait son frein. Il avait bien emport\u00e9 sa \npioche \u00e0 \u00e9crire, mais la bonne terre natale et tout ce qui \nl\u2019anime lui manquaient pour travailler all\u00e8grement. \nChaque ann\u00e9e, au retour de s vacances, il vidait son \ncarnier, en r etirait succes sivement La Revanche du \n 5Corbeau, La Guerr e des bout ons, Miraut chien de \nchass e... Il faisait ainsi durer le plaisir longtemps, le \nplaisir de pr olonger, par la pens \u00e9e, l\u2019exi stence d\u2019un \nmois au grand air. Il aspi rait au succ\u00e8s beaucoup moins \npar esprit de lucre que pour r\u00e9 aliser le r\u00eave de vivre la \nplupart du temps \u00e0 la ca mpagne, de son m\u00e9 tier. \nIl n\u2019 \u00e9tait pas, s omme t oute, le plus \u00e0 pl aindre ; il \nsongeait \u00e0 son ami L \u00e9on Deubel, Fr anc-C omtois \ncomme lui, au po\u00e8t e mort jeune, de mis \u00e8re et \nd\u2019\u00e9puisement... Mais l\u2019 homme d\u2019action r\u00e9veille \u00e0 \nchaque instant les songeurs de cette fort e esp\u00e8ce ; et \nLouis Pe rgaud ne s\u2019a ttendrissait su r le ca marade \ndispar u, que pour r\u00e9unir s on oeuvr e dispers\u00e9e, et la \npublier. \nPergaud, chien de chasse lui-m\u00eame, suivait, par la \nplaine et par l es halli ers, l es traces de l a perdri x grise, \naux pl umes qu\u2019ell e y avait laiss \u00e9es. \nSi la guerre en surprit un , vous pouvez dir e que ce \nfut cel ui-l\u00e0. \nLe 2 ao\u00fbt, il m\u2019\u00e9crivait : \n \n\u00ab Demain lundi je pars pour Verdun et je viens vous \ndire au revoir . \nVous savez si je hais la guerr e ; mais vrai ment nous \nne sommes pas les agresseurs et nous devons nous \n 6d\u00e9fendre. \nC\u2019est dans cet esprit que je rejoins mon corps. Paris \na \u00e9t\u00e9 digne et gr ave. Hier so ir, je voyais des femmes et \ndes gosses accompagnant le mari qui allait partir... et \nj\u2019\u00e9tais saisi de rage contre les mis\u00e9rables qui ont \npr\u00e9par\u00e9 et voulu l\u2019immonde bo ucherie qui se pr\u00e9pare. \nTant pis pour eux si le sort nous est favorable ! \nJe vous embr asse. \nLoui s PERGAUD , \nSergent, 29e Compagnie du 166e d\u2019Infanterie. \u00bb \n \nJe courus chez Perg aud, rue Ma rguerin... Il venait de \npartir. Je ne l\u2019ai pas revu. \nJe ne l\u2019ai pas revu : mais il me donnait souvent de \nses nouvelles ; il m\u2019en donnait encore lorsqu\u2019il n\u2019avait \nplus que quelques jours \u00e0 vi vre et qu\u2019il se savait \ncondamn\u00e9... \nIl avait l\u2019esprit de corps, ce mobilis\u00e9 antimilitariste. \nIl m\u2019\u00e9crivait, le 13 mars 1915 : \n \n\u00ab Notr e 166e est un r\u00e9giment des plus s olides et des \nplus vaillants : \u00e7a \u00e9t\u00e9 un de s piliers de la d\u00e9fense de \nVerdun. On y trouve pas mal de P arisiens, des gens de \n 7la Meus e et de Meurt he-et-Mosell e, et beaucoup de \nmineurs du Nor d et du Pas -de-C alais. Ce sont de vr ais \npoilus qui ont du mordant, de l\u2019entrain et de l\u2019esprit \nparfoi s, souvent m\u00eame. \u00bb \n \nIl me citait leurs mots, les plais anteries gr asses dont \nl\u2019auteur de La Guerr e des bout ons s\u2019amus ait. \nIl avait un bon col onel, p\u00e8 re d\u2019un jeune confr\u00e8re qui \nd\u00e9butait dans la presse. D\u2019autres chefs lui t\u00e9m oignaient \nleur estime, parmi lesquels M. de Moro-Giafferi. \nJe lui avais demand\u00e9 de me d\u00e9signer les hommes de \nsa compagni e, la 2e, qui ne recevaient aucun colis. Il \nm\u2019envoya les noms d\u2019une qu inzaine d\u2019entre eux... et \nhuit jours avant sa mort, au lendemain de deux attaques \nmeurtri\u00e8res, il me rass urait sur leur compte. \nC\u2019\u00e9tait au mois de mars 1915 ; il venait d\u2019\u00eatre \nnomm\u00e9 sous-lieutenant... et d\u00e9j\u00e0 quelques-unes de ses \nillusions s\u2019\u00e9taient dissip\u00e9es , mais sans amoindrir \nsensibl ement, comme on va le voir , son bloc mor al. \n \n\u00ab Vous savez avec quelle arde ur je suis parti, me \ndisait-il dans une de s es lettres . Pacifis te et \nantimilitariste, je ne voulais pas plus de la botte du \nKaiser que de n\u2019importe qu elle botte \u00e9peronn\u00e9e pour \nmon pays ; je d\u00e9fendais ce vi eil esprit pour lequel il me \n 8sembl e avoir d\u00e9j\u00e0 combattu par la pl ume. J\u2019 \u00e9tais \ndispos \u00e9 \u00e0 oublier tout , \u00e0 pass er sur tout, persuad\u00e9 que \ndans l e danger tout se fond rait... Je me battrai, cert es, \navec la m\u00eame \u00e9nergie qu\u2019aupa ravant ; mais si j\u2019ai le \nbonheur d\u2019en revenir, ce sera, je crois, plus \nantimilitariste encore qu\u2019avant mon d\u00e9part. \nC\u2019est dans la souffrance , dans la promiscuit\u00e9 \ndouloureuse, que l\u2019on d\u00e9couvre bien les bas-fonds de \nl\u2019\u00e2me humai ne avec s es recoins de crass e et d\u2019 \u00e9go\u00efs me, \net j\u2019ai pu jeter la sonde d ans bien des coeurs. Mon Di eu, \nil y a du bon, \u00e9vi demment, et rien n\u2019 est d\u00e9ses p\u00e9r\u00e9 ; mais \nles hauts comme les bas ont le urs salet\u00e9s ! Que doit \u00eatre \nl\u2019Allemagne militariste ? Quel gigantesque fumier, \nquelle pourriture morale !... Allons-y jusqu\u2019au bout et \njetons bas tout \u00e7a ! Je croi s vraiment que c\u2019est l\u2019oeuvre \nde 93 que nous conti nuons. Dommage qu\u2019il ne suffise \npas d\u2019avoir du coeur au ventre pour triompher. \u00bb \n \nIl \u00e9cri vait cela au crayon, sur ses genoux, dans la \ncloaque des tranch\u00e9es. Et le crayon fai sait ce qu\u2019il \npouvait pour grincer comme une plume, en tra\u00e7ant \nencore ceci : \n \n\u00ab Je voudrais que les sal auds qui parlent du conf ort \ndes tranch\u00e9es et qui donnen t aux patriotes en chambre \n 9des phot os tr uqu\u00e9es de t ranch\u00e9es d\u2019op\u00e9ra-comique, \nfussent oblig\u00e9s de passer vingt-quatre heures devant \nMarch\u00e9ville, dans les marais de la Wo\u00ebvre que nous \noccupons. La tranch\u00e9e es t un ruisseau avec quelques \n\u00eelots o\u00f9 l\u2019on s\u2019agrippe en nau frag\u00e9s. Ces \u00eelots sont de la \nboue sur laquelle on pose des claies qui s\u2019 enfoncent peu \n\u00e0 peu. Pour \u00e9tablir des abris, il faut exhausser le \nplancher, si j\u2019os e dire, et l\u2019 on doit r ester pli \u00e9 en deux l\u00e0-\ndessous , trop heureux encor e qu\u2019il y ait de la pl ace. \nMalgr\u00e9 cela, pas de graves maladies. Les hommes, d\u00e8s \nqu\u2019ils voient un quart de vin et quelques brins de paille \ns\u00e8che, repr ennent cour age et bonne humeur . \u00bb \n \nNous rappr ochons de la fin \u2013 pour Pergaud. \nLa lettre suivante est da t\u00e9e du 22 mars 1915 : \n \n\u00ab Je viens de vi vre quel ques journ\u00e9es inoubliables. \nLe 19, on nous a lanc\u00e9s \u00e0 l\u2019 assaut de tranch\u00e9es boches \nformidablement retranch\u00e9es su r lesquelles l\u2019artillerie, \nmalgr\u00e9 une \u00ab bouzillade \u00bb furi euse n\u2019avait aucun effet. \nJ\u2019ai vu tomber \u00e0 mes c\u00f4t \u00e9s quantit \u00e9 de br aves dont le \nsacrifice h\u00e9ro\u00efque m\u00e9 ritait mieux que \u00e7a. Au \ndemeur ant, c\u2019\u00e9t ait une op \u00e9ration stupide \u00e0 tous les \npoints de vue... ; mais il f allait sans dout e une troisi \u00e8me \n\u00e9toile au c... sini stre qu i commande l a divisi on de \n 10marche et qui a nom B... de M... Je vous donne l\u00e0 \nl\u2019opi nion de t out le r\u00e9giment qui , sans rien dire, a ob\u00e9i \ncomme il devait, se faisant hacher par les mitrailleuses \net les marmites . Comme ai -je pu passer au tr avers ? Je \nl\u2019ignore ; mais je n\u2019oubl ierai jamais ce champ de \nbataille tragique, les morts, les bless\u00e9s, les mares de \nsang, les fragments de cer velle, les plai ntes, l a nuit \nnoire illumin\u00e9e de fus\u00e9es, et le 75 achevant nos bless\u00e9s \naccroch\u00e9s aux fils de fer qui nous s\u00e9parent des lignes \nennemies. \u00c7a va recommenc er demain... mais on ne \npassera que sur nos cadavres ; je suis aussi s\u00fbr de mes \npoilus que de moi- m\u00eame. \u00bb \n \n\u00c0 sa femme, Pergaud \u00e9crivai t, \u00e0 la m\u00eame date, la \nm\u00eame chose : \n \n\u00ab 19 mar s. \u2013 Nous recherchons no s bless\u00e9s. On est \nen admiration devant nous. .. N\u2019emp\u00eache qu\u2019il y a 111 \nmort s, 15 bless \u00e9s et aut ant de dis parus. Et pour quoi ? \nPour que le c... sinistre qui a nom B. de M., ait sa \ntroisi\u00e8me \u00e9toile ! La prise de March\u00e9ville ne signifie \nrien, rien. Il est idiot de so nger \u00e0 pr endre un village et \ndes tranch\u00e9es aussi puissamme nt retranch\u00e9s, avec des \neffectifs aussi r\u00e9duits que le s n\u00f4tres, nos poilus fussent-\nils des lions. Ce soir, la premi\u00e8re compagni e seule doit \nrecommencer l\u2019 op\u00e9rati on. C\u2019est ri dicul e et odieux. Et le \n 1175 nous tape dessus, achevant nos bless\u00e9s. \n20 mars. \u2013 Nous mangeons un peu et nous nous \ncouchons. On parle de la fo lie dangereuse de B. de M. \net des camarades morts. \n21 mars . \u2013 Conversation avec les capitaines L... V... \net P... Le soir, on se r\u00e9unit po ur chasser l e cafard et on \nplais ante les cr \u00e9tins de la Di vision de mar che, qui vous \nenvoient \u00e0 la mort et qui se terrent, eux, au moindre \ndanger. \u00bb \n \nLe drame est-il assez saisissa nt, dans la nuit lugubre, \nsous ce ciel d\u2019encre que perc e la troisi\u00e8me \u00e9t oile ?... \nQue dites-vous de ce B. de M. qui doit abso lument faire \nquelque chos e pour appeler l\u2019 attention s ur lui ? Qu\u2019 \u00e0 \ncela ne tienne ! Il n\u2019a pas, comme Napol\u00e9on, cent mille \nhommes de rente ; mais il jouit tout de m\u00eame d\u2019une \ncertaine aisance, avec un e compagnie \u00e0 d\u00e9penser par \njour. Pour quoi s e g\u00eaner ait-il, du moment que des \nillumin\u00e9s comme Pergaud s\u2019im aginent continuer 93 ?... \nLa derni\u00e8re lettre que je re\u00e7us de Pergaud est du 3 \navril. \n \n\u00ab La vi eille vi e, disait-il, a repris jusqu\u2019\u00e0... peut-\u00eatre \nla semai ne pr ochai ne... Je devine autour de not re \nsecteur une acti vit\u00e9 formi dable et des mouvements de \n 12troupes rassurants. Mais que lles visions de notre dernier \nengagement ! Un de nos m\u00e9dec ins auxili aires , en plei n \njour et prot\u00e9g\u00e9 par son s eul br assard, est all \u00e9 ramass er \nnos bless\u00e9s jusque devant les tranch\u00e9es ennemies, \u00e0 six \npas des Boches... qui n\u2019 ont pas tir\u00e9. Vous dire notre \n\u00e9motion \u00e0 nous... Que de fois n\u2019ont-ils pas fusill\u00e9 \u00e0 bout \nportant nos ma jors et nos brancardiers... Au ssi de la \njourn\u00e9e, plus une seule ca rtouche n\u2019a \u00e9t\u00e9 tir\u00e9e, d\u2019un \nc\u00f4t\u00e9 comme de l\u2019autre... \u00bb \n \nC\u2019\u00e9tait trop beau pour dur er. Quatr e jours apr \u00e8s, le 7 \navril, \u00e0 8 heur es du soi r, l\u2019or dre arri vait de part ir \nimm\u00e9diatement pour Fresnes-e n-Wo\u00ebvre, par une pl uie \nbattante. \u00c0 Fres nes, la compagni e rass embl\u00e9e au pi ed \nde la statue du g\u00e9n\u00e9r al Ma rgueritte, recevait l\u2019ordre \nd\u2019attaquer la c\u00f4t e 233 \u00e0 2 heures du mati n. Et l\u2019on se r e-\nremettait en marche, \u00e0 traver s des marais, avec de l\u2019eau \njusqu\u2019aux genoux. \n\u00c0 2 heur es exact ement, Pergaud et les hommes de \nsa section, la premi\u00e8re, sortaient de la tran ch\u00e9e de \nd\u00e9part. La deuxi\u00e8me sectio n \u00e9tait command\u00e9e par le \nsergent Louis Desprez, qui a racont\u00e9 ainsi l\u2019affaire : \n \n\u00ab Il faisait une nuit tr\u00e8s noire. Quand les assaillants \narriv\u00e8rent \u00e0 proximit\u00e9 du r\u00e9 seau, la fusillade commen\u00e7a \n 13\u00e0 cr\u00e9pit er. Sous les bal les, nous entra\u00een\u00e2mes nos \nhommes jusqu\u2019aux fils de fer. Mais l\u00e0, ils trouv\u00e8rent le \nr\u00e9seau intact : impossible de passer. Tremp\u00e9s par la \npluie, ils avaient perdu la directi on et obli qu\u00e9 hor s du \nsecteur pr\u00e9par\u00e9 par le g\u00e9nie. Les hommes et leurs chefs \ntent\u00e8rent de se frayer un chemin quand m\u00eame \u00e0 travers \nl\u2019entre-croissement bar bel\u00e9 ; mais ils offraient une ci ble \ntrop faci le et ils finir ent par prendre l e parti de se \ncoucher et d\u2019attendre. Aux pr emi\u00e8res lueurs du jour, ils \nre\u00e7urent l\u2019ordre de se replier. Le sergent De sprez fut \nfrapp\u00e9 d\u2019 une balle au moment o\u00f9 il rassemblait ce qui \nlui rest ait de sa s ection. L es d\u00e9bris de cell e de Per gaud \nrentr\u00e8rent seuls : notre brave ami avait disparu. On croit \nqu\u2019il a voul u travers er le r\u00e9seau et qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 f ait \nprisonnier dans la tranch\u00e9e e nnemie. Il se trouvait, au \nmoment de l\u2019attaque, \u00e0 trente-cinq m\u00e8tres du pont \nSaint-Pierre, \u00e0 droite en alla nt de March\u00e9ville \u00e0 Saulx. \u00bb \n \nCes d\u00e9t ails me s ont conf irm\u00e9s par M. Ravet on, \nl\u2019avou\u00e9 parisien, qui \u00e9tait au 166e, avec Pergaud depuis \nle d\u00e9but de la guerre et qu i prit part \u00e0 l\u2019attaque du 8 \navril. \n \n\u00ab Apr\u00e8s avoir franchi deux r angs de fils de fer dans \nlesquels l\u2019artillerie avait fa it des br\u00e8ches, nous nous \nsommes trouv\u00e9s en face d\u2019un troisi\u00e8me r ang de fils que \n 14l\u2019artillerie avait laiss\u00e9 intacts, \u00e0 quelques m\u00e8tres de la \ntranch\u00e9e. L\u2019alarme a \u00e9t\u00e9 ra pidement donn\u00e9e chez les \nBoches... Aussit\u00f4t un feu d\u2019artifice nous \u00e9clairait \ncomme au 14 juillet et un e fusillade nourrie nous \nd\u00e9molissait. C\u2019\u00e9tait fini ; il n\u2019 y avait plus moyen de ri en \nfaire. Ordre a \u00e9t\u00e9 donn\u00e9 de se replier. Au petit jour, la \nfusillade ayant un peu dimi nu\u00e9, l\u2019ordre put \u00eatre \nex\u00e9cut \u00e9 ; mais nous lais sions beaucoup de monde sur le \nterrain, beaucoup de bless\u00e9s notamment qui furent faits \nprisonniers. J\u2019ai eu des nouvelles d\u2019 un de mes \ncamarades qui est mort en captivit\u00e9. Je n\u2019en ai jamais \neu de Pergaud. Il est t omb\u00e9 ; des hommes l\u2019ont vu et \npensaient qu\u2019il \u00e9tait bless\u00e9 au pied. Il commandait, \u00e0 ce \nmomen t-l\u00e0 : En avant !... \u00e0 sa section. Cette attaque se \npassait s ous la pl uie, une plui e qui ne dis continuait pas \ndepuis huit jours, et le terr ain \u00e9tait un vrai mar\u00e9cage o\u00f9 \nl\u2019on enfon\u00e7ait jusq u\u2019\u00e0 la ceinture. \u00bb \n \nOn a cherch\u00e9 partout Pergau d... ; et n\u2019est-ce pas le \nchercher encore que d\u2019 \u00e9crire sur lui ? Et, \u00e0 f orce de l e \nchercher, ne finira-t-on pas pa r le retrouver tout entier \ndans ses livres qu\u2019 on reli ra, dans sa correspondance \u00e0 \npublier, dans l\u2019amiti\u00e9 qui se souvient de son commerce \navec lui ? \nTout enti er ? Non. \u00c0 moiti \u00e9 seulement . Pauvre cher \nPergaud ! Je ne rever rai plus , le di manche, dans \n 15l\u2019encadrement de la porte, so n visage m\u00e2le et p\u00e2l e, ses \nyeux noirs, sa maigre mous tache, la m\u00e8che rebelle qui \nbalayait son beau front , sa ma in tendue, l\u2019\u00e9lan de sa \npersonne et de son coeur. \nOn peut t oujours pousser la porte... ; mais la fen\u00eatre \nferm\u00e9e, il ne l\u2019ouvrir a plus, en entr ant. \n \nLUCIEN DESCAVES . \n 16 \n \n \n \n \nLa guerre des boutons \n \n \n\u00c0 mon ami Edmond Rocher. \n 17 \n \n \n \n \nCy n\u2019 entrez pas, hypocrites, bigotz, \nVieulx matagots, marm iteux borsouflez... \nFRAN\u00c7OI S RABELAIS . \n 18 \n \nPr\u00e9face \n \nTel qui s\u2019esj ouit \u00e0 lir e Rabel ais, ce gr and et vrai \ng\u00e9nie fran\u00e7ais, accueillera, je cr ois, avec plaisir, ce livre \nqui, malgr\u00e9 son titre, ne s\u2019ad resse ni aux petits enfants, \nni aux jeunes pucelles. \nFoin des pudeurs (toutes ver bales ) d\u2019un temps ch\u00e2tr\u00e9 \nqui, sous leur hypocrite mant eau, ne fl eurent tr op \nsouvent que la n\u00e9vrose et le poison ! Et foin aussi des \npurs latins : je suis un Celte. \nC\u2019est pour quoi j\u2019 ai voulu fair e un l ivre sai n, qui f \u00fbt \n\u00e0 la f ois gaul ois, \u00e9pi que et rabelaisien, un livre o\u00f9 \ncoul\u00e2t la s\u00e8ve, l a vie, l\u2019enthousiasme, et ce rire, ce \ngrand rire joyeux qui devait secouer les tripes de nos \np\u00e8res : beuveurs t r\u00e8s ill ustres ou goutteux tr\u00e8s pr\u00e9cieux. \nAussi n\u2019ai-j e point cr aint l\u2019 expressi on cr ue, \u00e0 \ncondition qu\u2019elle f\u00fb t savoureuse, ni le geste leste, \npourvu qu\u2019il f\u00fbt \u00e9pique. \nJ\u2019ai voulu restituer un inst ant de ma vie d\u2019enfant, de \nnotre vie enthousiaste et brutale de vigoureux \nsauvageons dans ce qu\u2019elle eu t de franc et d\u2019h\u00e9ro\u00efque, \nc\u2019est-\u00e0-dire lib\u00e9r\u00e9e des hypocri sies de la famille et de \n 19l\u2019\u00e9col e. \nOn con\u00e7oit qu\u2019il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 impossible, pour un tel \nsujet, de s\u2019en tenir au se ul vocabul aire de Raci ne. \nLe souci de la si nc\u00e9rit \u00e9 serait mon pr\u00e9texte, si je \nvoulais me f aire par donner les mots hardis et l es \nexpressions vi olemment color \u00e9es de mes h\u00e9ros . Mais \npersonne n\u2019est oblig\u00e9 de me lir e. Et apr \u00e8s cett e pr\u00e9f ace \net l\u2019\u00e9pigraphe de Ra belais adornant la couverture, je ne \nreconnais \u00e0 nul ca\u00efman, la\u00efq ue ou religieux, en mal de \nmorales plus ou moi ns d\u00e9g o\u00fbtantes, le droit de se \nplaindre. \nAu demeurant, et c\u2019est ma meilleure excuse, j\u2019ai \ncon\u00e7u ce livre dans la joie, je l\u2019ai \u00e9cr it avec volupt\u00e9, il a \namus \u00e9 quel ques amis et fait rir e mon \u00e9dit eur1 : j\u2019ai le \ndroit d\u2019 esp\u00e9rer qu\u2019il pl aira aux \u00ab hommes de bonne \nvolont\u00e9 \u00bb selon l\u2019\u00e9vangile de J\u00e9sus et pour ce qui est du \nreste, comme dit Lebrac, un de mes h\u00e9ros, je m\u2019en fous. \n \nL. P. \n \n1 Ceci par anticipation. \n 20 \n \n \n \n \nLivre I \n \nLa guerre \n 21 \n \nLa d\u00e9claration de guerre \n \nQuant \u00e0 la guerre... il est plaisant \u00e0 \nconsid\u00e9rer p ar com bien de vaines o ccasions \nelle e st ag it\u00e9e e t par com bien l\u00e9gi\u00e8 res \noccasions \u00e9teinte : toute l\u2019Asie se p erdit et s e \nconsomm a en guerre pour le m aquerelage de \nParis. \nMontaigne ( Livre secon d, ch. XII). \n \n\u2013 Attends-moi, Grangi bus ! h\u00e9la B oulot, ses l ivres et \nses cahiers sous le bras. \n\u2013 Grouille-toi, alors, j\u2019ai pas le temps de cotainer1, \nmoi ! \n\u2013 Y a du neuf ? \n\u2013 \u00c7a se pourrait ! \n\u2013 Quoi ? \n\u2013 Viens toujours ! \nEt Bou lot ayant re joint les deu x G ibus, ses \n \n1 Cotainer signifie m user et bavarder inutilem ent \u2013 se dit surtout en \nparlan t des comm \u00e8res. \n 22camarades de classe, tous tr ois continu\u00e8rent \u00e0 marcher \nc\u00f4te \u00e0 c\u00f4te dans la direct ion de la maison commune. \nC\u2019\u00e9tait un mati n d\u2019octobre. Un ciel tourment\u00e9 de \ngros nuages gri s limita it l\u2019horizon aux collines \nprochaines et rendait la campagne m\u00e9lancolique. Les \npruniers \u00e9tai ent nus, l es pommiers \u00e9tai ent jaunes, l es \nfeuilles de noyer to mbaient en une sorte de vol plan\u00e9, \nlarge et lent d\u2019 abord, qui s\u2019accentuait d\u2019 un seul coup \ncomme un plongeon d\u2019\u00e9pervier d\u00e8s que l\u2019angle de chute \ndevenait moins obtus. L\u2019air \u00e9t ait humide et t i\u00e8de. Des \nondes de vent cour aient par i ntervalles. Le ronflement \nmonotone des batteu ses donnait sa note sour de qui se \nprolongeait de t emps \u00e0 autr e, quand la ger be \u00e9tait \nd\u00e9vor\u00e9e, en une plainte lu gubre comme un sanglot \nd\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 d\u2019agonie ou un vagissement douloureux. \nL\u2019\u00e9t\u00e9 venait de fini r et l\u2019automne nai ssait. \nIl po uvait \u00eatre huit heures du matin. Le soleil r\u00f4d ait \ntriste derri\u00e8re les nues, et de l\u2019angoisse, une angoisse \nimpr\u00e9cise et vague, pesait sur le village et sur la \ncampagne. \nLes travaux des champs \u00e9taient achev\u00e9s et, un \u00e0 un \nou par petits groupes, depuis deux ou trois semaines, on \nvoyait revenir \u00e0 l\u2019\u00e9cole le s petits bergers \u00e0 la peau \ntann\u00e9e, bronz\u00e9e de soleil, au x cheveux drus coup\u00e9s ras \n\u00e0 la tondeuse (la m\u00eame qui se rvait pour l es boeufs) , aux \npantalons de dr oguet ou de moulin\u00e9 rapi\u00e9c\u00e9s, \n 23surcharg\u00e9s de \u00ab pattins \u00bb aux genoux et au fond ; mais \npropres, aux blouses de gr isette neuves , raides, qui , en \nd\u00e9teignant, leur faisaient, le s premiers jours, les mains \nnoires comme des patt es de crapauds , disaient-ils. \nCe jour-l\u00e0, ils tra\u00eenaient le long des chemins et leurs \npas s emblai ent alour dis de toute la m\u00e9l ancolie du \ntemps, de la saison et du paysage. \nQuelques-uns cependant, les grands, \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 \ndans la cour de l\u2019 \u00e9cole et di scutaient avec animation. Le \np\u00e8re Si mon, l e ma\u00eetr e, sa calotte en arri\u00e8r e et ses \nlunettes sur l e front, dominant les yeux, \u00e9tait install\u00e9 \ndevant la porte qui donnait su r la rue. Il surveillait \nl\u2019entr\u00e9e, gour mandait l es tra\u00eenar ds, et , au fur et \u00e0 \nmesure de leur arriv\u00e9e, les petits gar\u00e7ons, soulevant leur \ncasquette, passaient devant lui, travers aient le coul oir et \nse r\u00e9pandaient dans la cour. \nLes deux Gibus du Vernois et Boulot, qui les avait \nrejoints en cours de rout e, n\u2019 avaient pas l\u2019air d\u2019 \u00eatre \nimpr\u00e9gn\u00e9s de cette m\u00e9lanc olie douce qui rendait \ntra\u00eenassants les pas de leurs camarades. \nIls avaient au moins ci nq minutes d\u2019avance sur les \nautres jours, et l e p\u00e8re Simo n, en les voyant arriver, tira \npr\u00e9cipitamment sa montre qu\u2019il porta ensuite \u00e0 son \noreille pour s\u2019assurer qu\u2019e lle marchait bien et qu\u2019il \nn\u2019avait point laiss\u00e9 passe r l\u2019heure r\u00e9glementaire. \n 24Les tr ois compai ngs entr \u00e8rent vit e, l\u2019air pr \u00e9occup\u00e9, \net imm\u00e9diatement gagn\u00e8rent, derri\u00e8re les cabinets, le \ncarr\u00e9 en retrait abrit\u00e9 par la maison du p\u00e8re Gugu \n(Auguste), le voisin, o\u00f9 ils retrouv\u00e8rent la plupart des \ngrands qui les y avaient pr\u00e9c\u00e9d\u00e9s. \nIl y avait l\u00e0 Lebrac, le che f, qu\u2019on appela it encore le \ngrand B raque ; son pr emier li eutenant Camu, ou \nCamus , le fin gri mpeur ai nsi nomm\u00e9 parce qu\u2019il n\u2019avait \npas son pareil pour d\u00e9nicher le s bouvreuils et que, l\u00e0-\nbas, les bouvr euils s\u2019appel lent des camus ; il y avait \nGambette de sur la C\u00f4te do nt le p\u00e8re, r \u00e9publi cain de \nvieille souche, fils lui-m\u00ea me de quarante-huitard, avait \nd\u00e9fendu Gambett a aux heur es p\u00e9nibles ; il y avait La \nCrique, qui savait tout, et Tin tin, et Guignar d le bigl e, \nqui se tournait de c\u00f4t\u00e9 pour v ous voir de face, et T\u00e9tas \nou T \u00e9tard, au cr \u00e2ne mas sif, br ef les plus forts du \nvillage, qui discutaient une affaire s\u00e9rieuse. \nL\u2019arriv\u00e9e des deux Gibus et de Boulot n\u2019interrompit \npas la discussion ; le s nouveaux venus \u00e9taient \napparemment au courant de l\u2019 affaire, une vieille affaire \n\u00e0 coup s\u00fbr, et i ls se m\u00eal\u00e8r ent imm\u00e9di atement \u00e0 la \nconversat ion en apport ant des faits et des ar gument s \ncapitaux. \nOn se tut . \nL\u2019a\u00een\u00e9 des Gibus, qu\u2019on appelait par cont raction \nGrangibus pour le distingue r du P\u2019tit Gibus ou Tigibus \n 25son cadet, parla ainsi : \n\u2013 Voil\u00e0 ! Quand nous sommes ar riv\u00e9s, mon fr \u00e8re et \nmoi, au contour des Menelo ts, les Velrans se sont \ndress\u00e9s tout d\u2019un coup pr\u00e8s de la marni \u00e8re \u00e0 J ean-\nBaptiste. Ils se sont mis \u00e0 gueuler comme des veaux, \u00e0 \nnous foutre des pierres et \u00e0 nous montrer des triques . \nIls nous ont trait\u00e9s de cons , d\u2019andouilles, de voleurs, \nde cochons, de pourri s, de crev\u00e9s, de merdeux, de \ncouilles molles, de... \n\u2013 De couilles molles, reprit Le brac, le front pliss\u00e9, et \nqu\u2019est-ce que tu leur z\u2019 y as redit l\u00e0- dessus ? \n\u2013 L\u00e0-dessus on \u00ab s\u2019a ens auv\u00e9 \u00bb, mon fr\u00e8re et moi, \npuisque nous n\u2019\u00e9tions pas en nombre, tandis qu\u2019eusses, \nils \u00e9taient au moins tienze1 et qu\u2019ils nous auraient \ns\u00fbrement foutu la pile. \n\u2013 Ils vous ont trait\u00e9s de couilles molles ! scanda le \ngros Camus , visiblement choq u\u00e9, bless\u00e9 et furieux de \ncette appellation qui les atte ignait tous, car les deux \nGibus, c\u2019 \u00e9tait s\u00fbr, n\u2019 avaient \u00e9t\u00e9 attaqu\u00e9s et i nsult\u00e9s que \nparce qu\u2019 ils appart enaient \u00e0 la commune et \u00e0 l \u2019\u00e9cole de \nLongeverne. \n\u2013 Voil\u00e0, reprit Gr angibus, je vous dis mai ntenant, \nmoi, que si nous ne sommes pas des andouilles, des \n \n1 Quinze. \n 26jeanf outres et des l\u00e2ches , on le ur z\u2019y fera voir si on en \nest des couilles molles. \n\u2013 D\u2019abord, qu\u2019est-ce que c\u2019est t\u2019y que \u00e7a, des \ncouilles molles ? fit Tintin. \nLa Crique r\u00e9fl\u00e9chissait. \n\u2013 Couille molle !... Des couilles, on sait bien ce que \nc\u2019est, pardine, puisque tout le monde en a, m\u00eame le \nMiraut de Lis\u00e9e, et qu\u2019 elles ressemblent \u00e0 des marrons \nsans bogue, mais couille mo lle !... couille molle !... \n\u2013 S\u00fbrement que \u00e7a veut dire qu\u2019on est des pas \ngrand-chose, coupa Tigi bus, puisque hier soir, en \nrigolant avec Narcisse, not\u2019 meuni er, je l \u2019ai appel\u00e9 \ncouille molle comme \u00e7a, pour voir, et mon p\u00e8re, que \nj\u2019avais pas vu et qui pas sait justement, sans rien me \ndire, m\u2019 a foutu aussit\u00f4t une bonne pair e de cl aques. \nAlors... \nL\u2019argument \u00e9tait p\u00e9remptoir e et chacun le sentit. \n\u2013 Alors, bon Di eu ! il n\u2019 y a pas \u00e0 rebeuil ler1 plus \nlongtemps, il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 se venger, na ! conclut Lebrac. \n\u2013 C\u2019est t\u2019y vot\u2019id\u00e9e, vous autres ? \n\u2013 Foutez le camp de l\u00e0, hein, les chie-en-lit, fit \n \n1 Rebeuiller, de beuiller : voir ou bayer. \u2013 Regarder avec un \n\u00e9tonnem ent niais. \n 27Boulot aux petits qui s\u2019appr ochaient pour \u00e9couter. \nIls approuv\u00e8rent le grand Lebrac \u00e0 l\u2019inanimit\u00e9, \ncomme on disait. \u00c0 ce mome nt le p\u00e8re Si mon appar ut \ndans l\u2019encadrement de la po rte pour frapper dans ses \nmains et donner ainsi le sign al de l\u2019entr\u00e9e en classe. \nTous, d\u00e8s qu\u2019il s le vi rent, se pr \u00e9cipit\u00e8rent avec \nimp\u00e9tuosit\u00e9 vers les cabinets , car on remettait toujours \u00e0 \nla demi\u00e8re minute le so in de vaquer aux besoins \nhygi\u00e9niques r \u00e9glementai res et natur els. \nEt les cons pirateurs se mirent en r ang \nsilenci eusement, l\u2019air i ndiff\u00e9rent, comme si rien ne \ns\u2019\u00e9tait pass\u00e9 et qu\u2019ils n\u2019eusse nt pris, l\u2019instant d\u2019avant, \nune grande et terrible d\u00e9cision. \nCela ne mar cha pas tr\u00e8s bi en en classe, ce matin-l \u00e0, \net le ma\u00ee tre dut crier fort pour contr aindre ses \u00e9l\u00e8ves \u00e0 \nl\u2019attention. Non qu\u2019ils fissent du potin, mais ils \nsembl aient t ous perdus dans un nuage et rest aient \nabsolument r\u00e9fractaires \u00e0 sais ir l\u2019int \u00e9r\u00eat que peut avoi r \npour de jeunes Fran\u00e7ais r\u00e9publicains l\u2019hi storique du \nsyst\u00e8me m\u00e9trique. \nLa d\u00e9finition du m\u00e8tre, en pa rticulier, leur pa raissait \nhorriblement compliqu\u00e9e : dix millioni\u00e8me partie du \nquart, de la moiti\u00e9... du... ah, merde ! pensait le grand \nLebrac. \nEt se penchant vers son vo isin et ami Tintin, il lui \n 28glissa confidentiellement : \n\u2013 Eur\u00eaquart ! \nLe grand Lebrac voulait sans doute dire : Eur\u00eaka ! Il \navait vaguement entendu pa rler d\u2019Archim\u00e8de, qui \ns\u2019\u00e9tait battu au temps ja dis avec des lentilles. \nLa Crique lui avait laborieu sement expliqu\u00e9 qu\u2019il ne \ns\u2019agissait pas de l\u00e9gumes, car Lebrac \u00e0 la rigueur \ncomprenait bien qu\u2019on p\u00fbt se battre avec des pois qu\u2019on \nlance dans un fer de porte- plume creux, mais pas avec \ndes lentilles. \n\u2013 Et pui s, disait-il, \u00e7a ne vaut pas les tr ognons de \npommes ni les cro\u00fbtes de pain. \nLa Crique lui avait dit que c\u2019\u00e9tait un savant c\u00e9l\u00e8br e \nqui faisait des probl\u00e8mes sur de s capot es de cabri olet, et \nce dernier trait l\u2019avait p\u00e9n\u00e9 tr\u00e9 d\u2019admiration pour un \nbougre pareil, lui qui \u00e9tait aussi r\u00e9f ractaire aux beaut\u00e9s \nde la math\u00e9matique qu\u2019aux r\u00e8gles de l\u2019orthographe. \nD\u2019autres qualit\u00e9s que celles- l\u00e0 l\u2019avaient, depuis un \nan, d\u00e9sign\u00e9 comme chef in contest\u00e9 des Longeverne. \nT\u00eatu comme une mule, malin comme un singe, vif \ncomme un li \u00e8vre, il n\u2019 avait surtout pas s on pareil pour \ncasser un carr eau \u00e0 vingt pas, quel que f \u00fbt le mode de \nprojection du caill ou : \u00e0 la main, \u00e0 la fronde \u00e0 ficelle, au \n 29b\u00e2ton refendu, \u00e0 la fronde \u00e0 lastique1 ; il \u00e9tait dans les \ncorps \u00e0 corps un adversaire terrible ; il avait d\u00e9j\u00e0 jou\u00e9 \ndes tours pendables au cur\u00e9, au ma\u00eetre d\u2019\u00e9cole et au \ngarde champ\u00eatre ; il fabriquait des kisses2 merveilleuses \navec des branches de sureau grosses comme sa cuisse, \ndes kisses qui vous giclaien t l\u2019eau \u00e0 quinze pas, mon \nami, voui ! parfai tement ! et des topes3 qui p\u00e9tai ent \ncomme des pist olets et qu\u2019on ne retrouvait plus les \nballes d\u2019\u00e9toupes. Aux billes, c\u2019 \u00e9tait lui qui avait le plus \nde pouce ; il savait pointer et rouletter comme pas un ; \nquand on jouait au pot, il vous \u00ab foutait les znogs s ur \nles on\u00e7ottes \u00bb \u00e0 vous faire pleurer, et avec \u00e7a, sans \nmorgue aucune ni affectatio n, il redonnait de temps \u00e0 \nautre \u00e0 s es part enaires mal heureux quel ques-unes des \nbilles qu\u2019il leur avait gagn\u00e9e s, ce qui lu i valait une \nr\u00e9putation de grande g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9. \n\u00c0 l\u2019int erjection de s on ch ef et camarade, Tintin \njoignit les oreilles ou plut\u00f4t les fit bouger comme un \nchat qui m\u00e9dite un sale cou p et devint rouge d\u2019\u00e9motion. \n\u2013 Ah ! ah ! pensa-t-il. \u00c7 a y est ! J\u2019en \u00e9t ais bien s\u00fbr \nque ce sacr\u00e9 Lebrac trouverait le joint pour leur z\u2019y \nfaire ! \n \n1 \u00c9lastique. \n2 Kisse ou gicle : seringue faite avec une branche de sureau. \n3 Tope : esp\u00e8ce de pistolet en sureau. \n 30Et il demeura noy\u00e9 dans un r\u00eave, per du dans des \nmondes de suppositions, in sensible aux travaux de \nDelambre, de M\u00e9chain, de Machinchouette ou \nd\u2019autres ; aux mesures pris es sous diverses latitudes, \nlongitudes ou altitudes... Ah ! oui, que \u00e7a lui \u00e9tait bien \n\u00e9gal et qu\u2019il s\u2019 en foutait ! \nMais qu\u2019est-ce qu\u2019ils allaie nt prendre, les Velrans ! \nCe que fut le devoir d\u2019app lication qui suivit cette \npremi\u00e8re le\u00e7on, on l\u2019apprendr a plus tard ; qu\u2019il suffise \nde savoir que les gaillards avaient tous une m\u00e9thode \npersonnelle pour rouvrir , sans qu\u2019il y par \u00fbt, le livr e \nferm\u00e9 par or dre s up\u00e9rieur et se met tre \u00e0 couvert cont re \nles d\u00e9faillances de m\u00e9moire. N\u2019emp\u00eache que le p\u00e8re \nSimon \u00e9t ait dans une bell e rage le lundi suivant. Mais \nn\u2019anticipons pas . \nQuand onze heures sonn\u00e8r ent \u00e0 la tour du vieux \nclocher paroissial, ils atte ndirent impatiemment le \nsignal de sortie, car tous \u00e9tai ent d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9venus on ne sait \ncomment, par infiltration, pa r radiation ou d\u2019 une t out \nautre mani\u00e8r e, que L ebrac avait trouv\u00e9 quelque chose. \nIl y eut comme d\u2019hab itude quelques bonnes \nbous culades dans le coul oir, des b\u00e9ret s \u00e9chang\u00e9s, des \nsabots per dus, des coups de poi ngs sour nois, mais \nl\u2019intervention magistrale fit to ut rentrer dans l\u2019ordre et \nla sortie s\u2019op\u00e9ra quand m\u00eame normalement. \n 31Sit\u00f4t que le ma\u00eetre fut rentr\u00e9 dan s sa bo\u00eete, les \ncamarades fondirent tous su r Lebrac comme une vol\u00e9e \nde moineaux sur un crottin frais. \nIl y avait l\u00e0, avec les soldat s ordinaires et l e menu \nfretin, les dix principaux guerriers de Longeverne \navides de se repa\u00eet re de la parole du chef. \nLebrac exposa son plan, qu i \u00e9tait simple et hardi ; \nensuit e il demanda quels serai ent les ceuss es qui \nl\u2019accompagneraient le soir venu. \nTous brigu\u00e8rent cet honneur ; mais quatre suffisaient \net on d\u00e9cida que Camus, La Crique, Tinti n et Gr angibus \nseraient de l\u2019exp\u00e9dition : Gambette, habitant sur la \nC\u00f4te, ne pouvait s\u2019attarder si longtemps, Guignard n\u2019y \nvoyait pas tr\u00e8s clair la nuit et Boul ot n\u2019 \u00e9tait pas t out \u00e0 \nfait aussi leste que les quatre autres. \nL\u00e0-dessus on se s\u00e9para. \nAu s oir, sur l e coup de l\u2019 Angel us, les cinq guerri ers \nse retrouv\u00e8rent. \n\u2013 As-tu l a craie ? fit Lebrac \u00e0 La Crique, qui s\u2019\u00e9tait \ncharg\u00e9, vu sa position pr\u00e8s du tableau, d\u2019en subtiliser \ndeux ou trois morceaux dans la bo\u00eete du p\u00e8re Simon. \nLa Criqu e avait bien fait les choses ; il en avait \nchip\u00e9 cinq bouts, de grands bouts ; il en garda un pour \nlui et en remit un autre \u00e0 ch acun de ses fr\u00e8res d\u2019armes. \nDe cette fa\u00e7on, s\u2019il arrivait \u00e0 l\u2019un d\u2019eux de perdre en \n 32route son mor ceau, l es autres pourr aient facil ement y \nrem\u00e9dier. \n\u2013 Alorsse, filons ! fit Camus. \nPar la grande r ue du vill age d\u2019 abord, puis par le \ntraje1 des Chemin\u00e9es rejoignant au gros Tilleul la route \nde Velrans, ce fut un instan t une sabot\u00e9e sonore dans la \nnuit. Les cinq gars marchaient \u00e0 toute allure \u00e0 l\u2019ennemi. \n\u2013 Il y en a pour une petite demi-heure \u00e0 pied, avait \ndit Lebr ac, on peut donc y a ller dedans un quart d\u2019heure \net \u00eatre rentr\u00e9 bien avan t la fin de la veill\u00e9e. \nLa gal opade se perdit dans le noir et dans le si lence ; \npendant la moiti\u00e9 du trajet la petite trou pe n\u2019abandonna \npas le chemin ferr\u00e9 o\u00f9 l\u2019 on pouvait courir, mais d\u00e8s \nqu\u2019elle fut en territoire enn emi, les cinq conspirateurs \nprirent les bas c\u00f4t\u00e9s et ma rch\u00e8rent sur les banquettes \nque leur vieil ami le p\u00e8re Br \u00e9da, le cant onnier, \nentretenait, disaient les ma uvaises langues, chaque fois \nqu\u2019il lui tombait un oeil. Quan d ils furent t out pr\u00e8s de \nVelrans, que l es lumi\u00e8res devi nrent plus nett es der ri\u00e8re \nles vitres et les aboiements des chiens plus mena\u00e7ants, \nils firent halte. \n\u2013 \u00d4tons nos s abots, cons eilla Lebrac, et cachons-les \nderri\u00e8r e ce mur . \n \n1 Traje : sentier, raccourci. \n 33Les quat re guerri ers et le chef se d\u00e9chauss \u00e8rent et \nmirent l eurs bas dans leurs chauss ures ; puis il s \ns\u2019assur\u00e8rent qu\u2019ils n\u2019avaient pas per du leur mor ceau de \ncraie et, l\u2019un derri\u00e8re l\u2019autre, le chef en t\u00eate, la pupille \ndilat\u00e9e, l\u2019oreille tendue , le nez fr\u00e9missant, ils \ns\u2019engag\u00e8rent sur le sentier de la guerre pour gagner le \nplus dir ectement possibl e l\u2019\u00e9glis e du village ennemi, \nbut de leur entreprise nocturne. \nAttentifs au moindre bruit, s\u2019ap latissant au fond des \nfoss\u00e9s, se coll ant aux mur s ou se noyant dans \nl\u2019obscurit\u00e9 des haies, ils se glissaient, ils s\u2019avan\u00e7aient \ncomme des ombres, cr aignan t seulement l\u2019apparition \ninsolit e d\u2019une l anterne port \u00e9e par un indig\u00e8ne se rendant \n\u00e0 la veill\u00e9e ou la pr\u00e9sen ce d\u2019un voyageur attard\u00e9 \nmenant boire son carcan. Mais rien ne les ennuya que \nl\u2019aboi du chi en de Jean des Gu\u00e9s, un s alopiot qui \ngueulait continuellement. \nEnfin ils parvinrent sur la place du moutier1 et ils \ns\u2019avanc\u00e8rent sous les cloches. \nTout \u00e9tait d\u00e9sert et silenci eux. \nLe chef resta seul pendant que les quatre autres \nrevenai ent en ar ri\u00e8re pour fair e le guet . \nAlors prenant s on bout de cr aie au f ond de sa \n \n1 Moutie r : \u00e9glise. \n 34profonde, hauss\u00e9 sur ses orte ils aussi haut que possible, \nLebrac inscrivit sur le lour d panneau de ch\u00eane culott\u00e9 et \nnoirci qui fermait le sain t lieu, cette inscription \nlapidaire qui devait faire scandale le lendemain, \u00e0 \nl\u2019heur e de l a mess e, beaucoup plus par sa cr udit\u00e9 \nh\u00e9ro\u00efque et provocante qu e par son orthographe \nfantaisiste : \n \nTou l\u00e9 Velrant \u00e7on d\u00e9 paigne ku ! \n \nEt quand il se fut, pour ai nsi dire, coll\u00e9 les quinquets \nsur le bois pour voir \u00ab si \u00e7a avait bien marqu\u00e9 \u00bb, il \nrevint pr \u00e8s des quatre comp lices aux \u00e9coutes et, \u00e0 voix \nbasse et joyeusement , leur dit : \n\u2013 Filons ! \nCarr\u00e9ment, cette fois, ils s\u2019 engag\u00e8rent de front sur le \nmilieu du chemin et repartir ent, sans faire de bruit \ninutile, \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 ils ava ient abandonn\u00e9 leurs sabots \net leurs bas. \nMais sit\u00f4t rechauss\u00e9s, d\u00e9daigneux tout \u00e0 fait \nd\u2019inutiles pr\u00e9cautions, frappan t le sol \u00e0 plei ns sabots, ils \nregagn\u00e8rent Longeverne et leur domicile respectif en \nattendant avec confiance l \u2019effet de leur d\u00e9clarati on de \nguerr e. \n 35 \n \nTension diplomatique \n \nLes a mbassadeurs des deux puissances \nont \u00e9chang\u00e9 des vues au sujet de la question \ndu Maroc. \nLes journaux (\u00e9t\u00e9 1911). \n \nQuand \u00ab le second \u00bb eut sonn\u00e9 au clocher du village, \nune demi-heure avant le dernier coup de cloche \nannon\u00e7ant la messe du dimanch e, le grand Lebrac, v\u00eatu \nde sa veste de drap taill\u00e9e dans la vieille a nglaise de son \ngrand-p\u00e8re, cul ott\u00e9 d\u2019 un pa ntalon de droguet neuf, \nchauss\u00e9 de brodequins tern is par une \u00e9paisse couche de \ngraisse et coiff\u00e9 d\u2019une cas quett e \u00e0 poil, le gr and L ebrac, \ndis-je, vint s\u2019appuyer contre le mur du lavoir communal \net attendi t ses troupes pour les mett re au cour ant de l a \nsituati on et les i nformer du pl ein succ\u00e8s de l\u2019entreprise. \nL\u00e0-bas, devant la porte de Fri cot l\u2019 aubergist e, \nquelques hommes, l e br\u00fble-gueul e aux dents, s e \npr\u00e9paraient \u00e0 aller \u00ab piquer une l arme \u00bb1 avant d\u2019entrer \n\u00e0 l\u2019\u00e9glise. \n \n1 Boire la go utte. \n 36Camus arriva bient\u00f4t avec son pantalon lim\u00e9 aux \njarrets et sa cr avate rouge comme une gor ge de \nbouvreuil : ils se sourirent ; puis vi nrent les deux Gi bus, \nl\u2019air fl aireur ; puis Gambett e, qui n\u2019 \u00e9tait pas encore au \ncourant, et Guignar d et B oulot. La Crique, Guerr euillas, \nBomb\u00e9, T\u00e9tas et tout l e contingent au grand compl et \ndes combattants de Longeverne, en tout une \nquarantaine. \nLes cinq h\u00e9ros de la ve ille recommenc\u00e8rent au \nmoins dix fois chacun le r\u00e9cit de leur exp\u00e9dition, et, la \nbouche humide et les yeux brillants, les camarades \nbuvaient leurs par oles, mimaient les gestes et \napplaudis saient \u00e0 chaqu e coup fr\u00e9n\u00e9tiquement. \nEnsuite de quoi Lebrac r\u00e9su ma la situation en ces \ntermes : \n\u2013 Comme \u00e7a ils verront si on en est des couilles \nmolles ! \nAlors, s\u00fbrement, cette ap r\u00e8s-midi ils viendront se \nr\u00e9trainer par les bui ssons de la Saut e, histoi re de \nchercher rogne, et on y s era tous pour l es recevoir \u00ab un \npeu \u00bb. \nFaudra prendre tous les lance-pierres et toutes les \nfrondes. Pas besoin de s\u2019embarrasser des triq ues, on \nveut pas se colleter. Avec les habits du dimanche il faut \nfaire attention et ne pas trop se salir, p arce que, on se \n 37ferait beigner, en rentrant. \nSeulement on leur dira deux mots . \nLe troisi\u00e8me coup de cloc he (le dernier) sonnant \u00e0 \ntoute vol \u00e9e, les mit en br anle et les ramena l entement \u00e0 \nleur place accoutum\u00e9e dans les petits bancs de la \nchapelle de saint Jospeh, sym\u00e9trique \u00e0 celle de la \nVierge, o\u00f9 s\u2019installa ient l es gamines . \n\u2013 Foutr e ! fit Camus en ar rivant sous les cloches ; et \nmoi que je dois servir la messe aujord\u2019hui, j\u2019vas me \nfaire engueuler par le noir ! \nEt sans prendr e le temps de plonger sa main dans le \ngrand b\u00e9nitier de pierre o\u00f9 les camarades gavouillaient1 \nen passant, il traversa la ne f en fil ant tel un z\u00e8br e pour \naller endosser son su rplis de thurif\u00e9rai re ou d\u2019acolyte. \nQuand, \u00e0 l\u2019 Asperges me, il pass a entr e les bancs , \nportant son baquet d\u2019eau b\u00e9n ite o\u00f9 le cur\u00e9 faisait \ntrempette avec son goupill on, il ne put s\u2019emp\u00eacher de \njeter un coup d\u2019oeil sur ses fr\u00e8res d\u2019armes. \nIl vit Lebrac montrant \u00e0 Boulot une image que lui \navait donn\u00e9e la soeur de Tintin, une fleur de tulipe ou \nde g\u00e9ranium, \u00e0 moins que ce ne f\u00fbt une pens\u00e9e, \nsoulign\u00e9e du mot \u00ab souvenir \u00bb et il clignait de l\u2019oeil \n \n1 Gavouiller : agiter l\u2019eau avec la main pour faire des rem ous, des \nglouglous. \n 38d\u2019un air don j uanesque. \nAlors Camus songea lui aussi \u00e0 la Tavie1, sa bonne \namie, \u00e0 qui il avait offert der ni\u00e8rement un pain d\u2019\u00e9pices, \nde deux sous s \u2019il vous pla\u00eet, qu\u2019il avait achet\u00e9 \u00e0 la foire \nde Vercel, un joli pain d\u2019\u00e9pi ces en coeur, saupoudr\u00e9 de \nbonbonnets rouges, bleus et j aunes, orn\u00e9 d\u2019une devise \nqui lui avait sembl\u00e9 tout \u00e0 fait tr\u00e8s bien : \n \nJe mets mon coeur \u00e0 vos genoux, \nAcceptez-le, il est \u00e0 vous ! \n \nIl la chercha de l\u2019oeil dans les rangs des petites filles \net vit qu\u2019elle le regardait. La gr avit\u00e9 de son of fice lui \ninterdisait le sourire, mais il eut un choc au coeur et , \nl\u00e9g\u00e8r ement rougi ssant, s e redress a, le bidon d\u2019 eau \nb\u00e9nite \u00e0 son poignet raidi. \nCe mouvement n\u2019\u00e9chappa point \u00e0 La Crique, qui \nconfia \u00e0 Tintin : \n\u2013 \u00ab Ergarde \u00bb donc Camus s\u2019il se rebraque2 ! On \nvoit bien que l a Tavie le rel uque. \nEt Camus en lui-m\u00eame pensait : Maintenant que \n \n1 Octavie. \n2 Se rebraqu er : se redress er, porter le corps en arri\u00e8re. \n 39c\u2019est l\u2019 \u00e9cole, on va s e revoir plus souvent ! \nOui... mais la guer re \u00e9tait d\u00e9cl ar\u00e9e ! \n\u00c0 la sortie de l\u2019office de v\u00eapr es, le grand Lebrac \nr\u00e9unit t outes ses troupe s et parla en chef : \n\u2013 Allez mettr e vos bl ousons, prenez un chanteau de \npain et rappliquez au bas de la Saute \u00e0 la Carri\u00e8re \u00e0 \nPepiot. \nIls s\u2019\u00e9campill\u00e8rent comme une vol\u00e9e de moineaux \net, ci nq minutes apr\u00e8s , l\u2019un co urant derri\u00e8re l\u2019autre, le \nquignon de pai n aux dent s, se r ejoignir ent \u00e0 l\u2019endr oit \nd\u00e9sign\u00e9 par le g\u00e9n\u00e9ral. \n\u2013 Faudra pas d\u00e9passer le tournant du chemin, \nrecommanda Lebrac, conscient de son r\u00f4le et soucieux \nde sa troupe. \n\u2013 Alors tu crois qu\u2019ils vont venir ? \n\u2013 Autrement , \u00e7a s erait ri en fo ireux de leur part, et il \najouta pour expliquer son ordre : \n\u2013 Il y en a qui sont l estes, vous savez, les culs \nlourds : t\u2019entends, Boulot ! hein ! s\u2019agit pas de se fai re \nchiper. \nPrenez des godons1 \u00ab dedans \u00bb vos poches ; \u00e0 \nceusses qu\u2019ont des frondes \u00e0 \u00ab lastique \u00bb donnez-y les \n \n1 Cailloux. \n 40beaux cailloux et attention de pas les perdre. On va \nmonter j usqu\u2019au Gros B uisson. \nLe communal de la Saute, qui s\u2019\u00e9tend du bois du \nTeur\u00e9 au nor d-est au bois de Velr ans au s ud-ouest, est \nun gr and rect angle en r emblais , long de quinze cent s \nm\u00e8tres envir on et large de huit cents. Les lisi\u00e8res des \ndeux for\u00eats sont les deux pe tits c\u00f4t\u00e9s du rectangle ; un \nmur de pierre doubl\u00e9 d\u2019une ha ie prot\u00e9g\u00e9e elle-m\u00eame par \nun \u00e9pais rempart de buissons le borne en bas vers les \nchamps de l a fin ; au-dessus la limite assez ind\u00e9cise est \nmarqu\u00e9e par des carri\u00e8res abandonn\u00e9es, perdues dans \nune bande de bois non clas s\u00e9e, avec des massifs de \nnoisetiers et de coudriers formant un \u00e9pais taillis que \nl\u2019on ne coupe jamais. D\u2019aill eurs, tout le communal est \ncouvert de buissons, de mass ifs, de bos quets, d\u2019 arbres \nisol\u00e9s ou group\u00e9s qui font de ce terrain un id\u00e9al champ \nde bataille. \nUn chemin ferr\u00e9 venant du village de Longeverne \ngravit lentement en semi-diago nale le rect angle, pui s, \u00e0 \ncinquante m\u00e8tres de la lisi\u00e8re du bois de Velrans, fait un \ncontour aigu pour perme ttre aux voitures charg\u00e9es \nd\u2019atteindre s ans trop de peine le sommet du \u00ab cr\u00eatot \u00bb . \nUn grand massif avec des ch\u00eanes, des \u00e9pines, des \nprunelliers, des noisetiers, des coudriers, emplit la \nboucle du contour : on l\u2019 appelle le Gros Buisson. \nDes car ri\u00e8res \u00e0 ci el ouvert exploit \u00e9es par Pepi ot le \n 41bancal , Laugu du Mouli n, qui s\u2019i ntitulent enterpreneurs \napr\u00e8s boire, et quelquefois pa r Abel le Rat, bordent le \nchemin vers le bas. \nPour l es goss es, ell es constit uent uniquement \nd\u2019excell ents et in\u00e9puis ables magasins \nd\u2019approvisionnement . \nC\u2019\u00e9tait sur ce terrain fatal, \u00e0 \u00e9gale distance des deux \nvillages, que, depuis des a nn\u00e9es et des ann\u00e9es, les \ng\u00e9n\u00e9rations de Longeverne et de Velr ans s\u2019\u00e9tai ent \ncopieusement r oss\u00e9es, fust ig\u00e9es et lapid\u00e9es, car tous les \nautomnes et tous les hiver s \u00e7a recommen\u00e7ait. \nLes Longevernes1 s\u2019avan\u00e7aient habituellement \njusqu\u2019 au cont our, gardant la boucle du chemin, bien que \nl\u2019autre c\u00f4t\u00e9 appart\u00eent encore \u00e0 leur commune et le bois \nde Velrans aussi, mais comme ce bois \u00e9tait tout pr \u00e8s du \nvillage ennemi, il servait aux adversaires de camp \nretranch\u00e9, de champ de retra ite et d\u2019 abri s \u00fbr en cas de \npoursuite, ce qui fa isait rager Lebrac : \n\u2013 On a t oujours l\u2019air d\u2019 \u00eatre envahi, nom de D... ! \nOr, il n\u2019y avait pas cinq mi nutes qu\u2019on avait fini son \npain, que Camus le grimpeur, post \u00e9 en vi gie dans l es \nbranches du grand ch\u00eane, signal ait des remuements \n \n1 On d\u00e9signe souvent les habitant s d\u2019un pays par le nom de leur \nvillage ou du ha meau qu\u2019ils habitent; quelquefois on ajoute un di minutif \nen ot, qui se veut toujours injurieux. \n 42suspects \u00e0 la lis i\u00e8re ennemie. \n\u2013 Quand je vous le dis ais, constata Lebrac ! Calez-\nvous , hein ! qu\u2019ils croient que je s uis tout seul ! Je m\u2019 en \nvas les houksser1 ! kss ! kss ! attrape ! et si des fois ils \nse lan\u00e7aient pour me prendre... hop ! \nEt Lebrac, sortant de so n couvert d\u2019\u00e9pines, la \nconversation diplomatique su ivante s\u2019engagea dans les \nformes habituelles : \n(Que le lecteur ici ou la lectrice veuille bien me \npermettre une inci dente et un conseil. Le souci de l a \nv\u00e9rit\u00e9 hi storique m\u2019obli ge \u00e0 employer un langage qui \nn\u2019est pas pr\u00e9cis\u00e9ment celui de s cours ni des salons. Je \nn\u2019\u00e9prouve aucune hont e ni aucu n scrupule \u00e0 le restituer, \nl\u2019exempl e de R abelais, mon ma\u00eetre, m\u2019 y autorisant. \nToutefois, MM. Falli\u00e8res ou B\u00e9renger ne pouvant \u00eatre \ncompar \u00e9s \u00e0 Fr an\u00e7ois Ier, ni moi \u00e0 mon illustre mod\u00e8le, \nles temps d\u2019ailleurs \u00e9tant chang\u00e9s, je conseille aux \noreilles d\u00e9licates et aux \u00e2mes sensible s de sauter cinq \nou six pages. Et j\u2019en revi ens \u00e0 Lebr ac :) \n\u2013 Montre-toi donc, h\u00e9 grand fendu, cudot, feignant, \npourri ! Si t\u2019es pas un l\u00e2che, montr e-la ta sale gueule de \npeigne-cul ! va ! \n\u2013 H\u00e9 grand\u2019crevure, approch e un peu, toi aussi, pour \n \n1 Exciter contre quelqu\u2019un, se dit su rtout des ch iens. \n 43voir ! r\u00e9pliqua l\u2019ennemi. \n\u2013 C\u2019est l\u2019Aztec des Gu\u00e9s, f it Camus, mais je vois \nencore Touegueule, et Banca l et Tatti et Migue la \nLune : ils sont une chi\u00e9e. \nCe petit renseignement en tendu, le gr and Lebr ac \ncontinua : \n\u2013 C\u2019est toi hein, merdeu x ! qu\u2019as trait\u00e9 les \nLongevernes de couilles molle s. Je te l\u2019ai-t-y fait voir \nmoi, si on est en des couilles molles ! I gn\u2019a fallu tous \nvos pant ets1 pour effacer ce que j\u2019ai marqu\u00e9 \u00e0 la porte \nde vot \u2019\u00e9glise ! C\u2019est pas des foir eux comme vous qu\u2019 en \naurai ent os\u00e9 faire aut ant. \n\u2013 Appr oche donc \u00ab un peu \u00bb \u00ab pisque \u00bb t\u2019es si malin , \ngrand gueul ard, t\u2019as que la gueul e... et les gi gues2 pour \n\u00ab t\u2019ensauver \u00bb ! \n\u2013 Fais seulement la moiti \u00e9 du chemin, h\u00e9 ! pattier3 ! \nC\u2019est pas passe que ton p\u00e8 re t\u00e2tait les couilles des \nvaches4 sur les champs de foir e que t\u2019es devenu riche ! \n\u2013 Et toi donc ! ton bacul o\u00f9 que vous restez est tout \ncrevi5 d\u2019hypoth\u00e8ques ! \n \n1 Pantets, pans de chem ise. \n2 Jambes. \n3 Pattier, m archand de pattes, c\u2019est- \u00e0-dire de chiffons, de guenilles. \n4 Authentiqu e. \n5 Couvert. \n 44\u2013 Hypoth\u00e8que toi-m\u00eame, tra\u00eene-besache1 ! Quand \nc\u2019est t\u2019y que tu vas reprendr e le fusil de toile de ton \ngrand-p\u00e8re pour aller assommer les portes \u00e0 coups de \n\u00ab Pat er \u00bb ? \n\u2013 C\u2019est pas chez nous comme \u00e0 Longeverne, o\u00f9 que \nles poul es cr\u00e8vent de fai m en plei ne mois son. \n\u2013 Tant qu\u2019\u00e0 Velrans c\u2019es t les poux qui cr\u00e8vent sur \nvos caboches, mais on ne sait pas si c\u2019est de faim ou de \npoison. \n \nVelri \nPourri \nTra\u00eene la Murie \n\u00c0 vau les vies2\n \nOuhe !... ouhe !... ouhe !... fit derri \u00e8re s on chef le \nchoeur des guerriers Lon gevernes incapable de se \ndissimuler et de cont enir plus longtemps son \nenthousiasm e et sa co l\u00e8re. \nL\u2019Azt ec des Gu\u00e9s ripost a : \n \n1 Besace. \n2 Vies, voies, chem ins. \n 45 \nLongeverne \nPique merde, \nT\u00e2te merde, \nMont \u00e9s sur quatr e pieux \nLes diabl\u2019 te tir\u2019 \u00e0 eux ! \n \nEt le choeur des Velran s appl audit \u00e0 s on tour \nfr\u00e9n\u00e9tiquement le g\u00e9n\u00e9ral pa r des Euh ! euh ! prolong\u00e9s \net euphoniques. \nDes bo rd\u00e9es d\u2019in sultes fu rent jet\u00e9es d e part et \nd\u2019autre en rafales e t en trombes ; puis les deux chefs, \n\u00e9galement sur excit\u00e9s, apr\u00e8s s\u2019\u00eatr e lanc\u00e9 les inj ures \nclassiques et modernes : \n\u2013 Enfonceurs de portes ouvertes ! \n\u2013 \u00c9trangleurs de chats par la queue1 ! etc., ctc., \nrevenant au mode anti que, se flanqu\u00e8rent \u00e0 la face avec \ntoute la d\u00e9l oyaut\u00e9 cout umi\u00e8r e les accusati ons les plus \nabracadabrantes et les plus ig nobles de leur r\u00e9pertoire : \n\u2013 H\u00e9 ! t\u2019en souviens-tu qu and ta m\u00e8r e p... dans le \n \n1 De mon temps on ne parlait pas encore de roulure de capote ni \nd\u2019\u00e9chapp\u00e9 de bidet. On a fait des progr\u00e8s depuis. \n 46rata pour te fair e de la sauce ! \n\u2013 Et toi, quand elle demand ait les sacs au ch\u00e2treur \nde taur eaux pour t e les faire bouff er en salade ! \n\u2013 Rappelle-toi donc l e jour o\u00f9 t on p\u00e8re disait qu\u2019il \naurait plus d\u2019avantage \u00e0 \u00e9lever un veau qu\u2019un peut1 \nmerle comme toi ! \n\u2013 Et toi ? quand ta m\u00e8r e disait qu\u2019elle aimerait \nmieux faire t\u00e9ter une vache que ta soeur, passe que \u00e7a \nserait au moins pas une putain qu\u2019elle \u00e9l\u00e8verait ! \n\u2013 Ma soeur, ripostait l\u2019autr e qui n\u2019en avait pas, elle \nbat le beurre, quand elle ba ttra la m... tu viendras l\u00e9cher \nle b\u00e2ton ; ou bien : elle es t pav\u00e9e d\u2019ardoises pour que \nles petits crapauds comme toi n\u2019y puiss ent pas \ngrimper ! \n\u2013 Attention, pr \u00e9vint Camus, v\u2019l \u00e0 le Touegueul e qui \nlance des pierres avec sa fronde. \nUn caillou, en effet, siffl a en l\u2019air au-dessus des \nt\u00eates, auquel des ricanements r\u00e9pondirent, et des gr\u00eales \nde projectiles ray\u00e8rent bient\u00f4t le ciel de part et d\u2019autre, \ncependant que le flot \u00e9cumeu x et sans cesse grossissant \nd\u2019inj ures salaces conti nuait de fl uctuer du Gr os Buisson \n\u00e0 la lisi\u00e8re, le r\u00e9pertoire de s uns comme des autres \u00e9tant \naussi abondant que richement choisi. \n \n1 Vilain. \n 47 \nMais c\u2019 \u00e9tait dimanche : les deux part is \u00e9tai ent v\u00eatus \nde leurs beaux affutiaux et nul, pas plus les chefs que \nles soldats, ne se souc iait d\u2019en compromettre \nl\u2019ordonnance dans des co rps \u00e0 corps dangereux. \nAussi toute l a lutte se bor na-t-ell e ce j our-l\u00e0 \u00e0 cet \n\u00e9change de vues, si l\u2019on peut dire, et \u00e0 ce duel \nd\u2019artillerie qui ne fit d\u2019aille urs aucune victime s\u00e9rieuse, \npas plus d\u2019un c\u00f4t\u00e9 que de l\u2019 autre. \n \nQuand l e premier coup de l a pri\u00e8re s onna \u00e0 l\u2019 \u00e9glis e \nde Velr ans, l\u2019 Aztec des Gu\u00e9s donna \u00e0 son ar m\u00e9e le \nsignal du retour, non sans avoir lanc\u00e9 aux ennemis, \navec une derni\u00e8re injure et un dernier caillou, cette \nsupr\u00eame provocation : \n\u2013 C\u2019est demain qu\u2019on vous y retrouvera, les couilles \nmolles de Longeverne ! \n\u2013 Tu fous le camp ! h\u00e9 l\u00e2 che ! railla Lebrac ; attends \nun peu, oui , attends \u00e0 demain, tu verr as ce qu\u2019on vous \npassera, tas de peigne-culs ! \nEt une derni\u00e8re bord\u00e9e de cailloux salua la rentr\u00e9e \ndes Velrans dans la tranch\u00e9e du milieu qu\u2019ils suivaient \npour le retour . \n \n 48Les Longevernes, dont l\u2019horloge communale \nretardait ou dont l\u2019heur e de l a pri\u00e8r e \u00e9tait peut- \u00eatre \nrecul \u00e9e, pr ofit\u00e8r ent de la dispariti on des ennemis et \nprirent pour le lendemain le urs dispositions de combat. \nTintin eut une id\u00e9e de g\u00e9nie. \n\u2013 Il faudra, dit-il, se ca ler cinq ou six dans c e \nbuisson-l\u00e0, avant qu\u2019ils n\u2019 arrivent, et ne bouger ni pieds \nni pattes, et le premier qu i passera pas trop loin lui \ntomber su s le r\u00e2b\u2019e et \u00ab s\u2019ensauver \u00bb avec. \nLe chef d\u2019embuscade, im m\u00e9diatement approuv\u00e9, \nchoisit parmi les plus lestes l es ci nq qui \nl\u2019accompagneraient, pendant que les autres m\u00e8neraient \nl\u2019attaque de front, et tous rentr \u00e8rent au vil lage, l\u2019 \u00e2me \nbouillonnante d\u2019ardeur gue rri\u00e8re et assoiff\u00e9e de \nrepr\u00e9sailles. \n 49 \n \nUne grande journ\u00e9e \n \nVae victis ! \nUn vieux chef gaulois aux Rom ains. \n \nCe lundi matin, en classe, ce la tourna mal, pl us mal \nencore que le samedi. \nCamus , somm\u00e9 par le p\u00e8re Simon de r \u00e9p\u00e9ter en \nle\u00e7on d\u2019i nstruction civique ce qu\u2019 on lui avait s erin\u00e9 \nl\u2019avant-veille sur \u00ab le citoye n \u00bb, s\u2019attira des invectives \nd\u00e9pourvues d\u2019am\u00e9nit\u00e9. \nRien ne voul ait sortir de ses l\u00e8vres, toute sa face \nexprimait un travail de g\u00e9sine intellectuelle \nhorriblement douloureux : il lui semblait que son \ncerveau \u00e9tait mur\u00e9. \n\u2013 Citoyen ! citoyen ! pensaient les autres, moins \nahuris, qu\u2019est-ce que \u00e7a pe ut bien \u00eatre que cette \nsaloperie-l\u00e0 ? \n\u2013 Moi, m\u2019sieu ! fit La Crique en faisant claquer son \nindex et son m\u00e9dius contre son pouce. \n\u2013 Non, pas vous ! et s\u2019adressant \u00e0 C amus, debout, la \n 50t\u00eate branlante, le s yeux \u00e9perdus : \n\u2013 Alors, vous ne savez pas ce que c\u2019 est qu\u2019 un \ncitoyen ? \n\u2013 !... \n\u2013 Je vais vous coller \u00e0 to us une heure de retenue \npour ce soir ! \nDes frissons froids courure nt le long des \u00e9chines. \n\u2013 Enfin, vous ! \u00eates-vous citoyen ? fit le ma\u00eetre \nd\u2019\u00e9cole qui voulait absolu ment avoir une r\u00e9ponse. \n\u2013 Oui, m\u2019sieu ! r\u00e9pondit Camus, se souvenant qu\u2019il \navait assi st\u00e9 avec son p\u00e8r e \u00e0 une r\u00e9union \u00e9lectorale o\u00f9 \nm\u2019sieu le marquis, le d\u00e9pu t\u00e9, devait offrir un verre \u00e0 ses \n\u00e9lecteur s et leur s errer la main, m\u00eame qu\u2019il avait dit au \np\u00e8re Camus : \n\u2013 C\u2019est votre fils ce citoyen- l\u00e0 ? Il a l\u2019air intelligent ! \n\u2013 Vous \u00eates citoyen, vous ! ragea l\u2019autre, cramoisi \nde col \u00e8re, eh bi en ! oui, il es t joli le citoyen ! vous m\u2019en \nfaites un propre de citoyen ! \n\u2013 Non, m\u2019si eu, reprit C amus qui, apr\u00e8s tout , ne \ntenait pas \u00e0 ce titre. \n\u2013 Alors pourquoi n\u2019\u00eates-vous pas citoyen ? \n\u2013 !... \n\u2013 Dis-y, marmonna entre se s dents La Crique agac\u00e9, \n 51que c\u2019 est parce que t\u2019 as pas encor e de poil au c... \n\u2013 Qu\u2019 est-ce que vous dites, La Crique ? \n\u2013 Je... j e dis... que... que... \n\u2013 Que quoi ? \n\u2013 Que c\u2019est parce qu\u2019il est trop jeune ! \n\u2013 Ah ! eh bi en ! maint enant, y \u00eates-vous ? \nOn y \u00e9t ait. La r \u00e9ponse de La Crique fit l\u2019effet d\u2019une \nros\u00e9e bienfaisante sur le champ dess\u00e9ch\u00e9 de leur \nm\u00e9moire ; des lambeaux de phrases, des morceaux de \nqualit\u00e9, des d\u00e9bris de cito yen, se r\u00e9ajust\u00e8rent, se \nrepl\u00e2tr\u00e8rent petit \u00e0 petit, et Camus lui-m\u00eame, moins \nahuri, t oute s a personne r emerciant v\u00e9h\u00e9mentement La \nCrique le sauveur, contribua \u00e0 recamper \u00ab le citoyen \u00bb ! \nEnfin, c\u2019\u00e9tait t oujours \u00e7a de pass\u00e9. \nMais quand on en vint \u00e0 la correction du devoir de \nsyst\u00e8me m\u00e9tri que, cel a ne f ut pas dr \u00f4le du tout. \nPr\u00e9occup\u00e9s comme ils l\u2019\u00e9t aient l\u2019avant-veille, ils \navaient oubli \u00e9, en copi ant, de changer des mots et de \nfaire le nombre de fa utes d\u2019orthographe qui \ncorrespondait \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e0 le ur forc e respective en la \nmati\u00e8re, for ce math\u00e9mati quement dos \u00e9e par des di ct\u00e9es \nbihebdomadaires. Par contre, ils avaient saut\u00e9 des mots, \nmis des maj uscules o\u00f9 il n\u2019 en fallait pas et ponctu\u00e9 en \nd\u00e9pit de tout s ens. L a copi e de Lebrac s urtout \u00e9t ait \n 52lamentable et se ressentait visiblement de ses graves \nsoucis de chef. \nAussi fut-ce lui qui fut amen \u00e9 au tableau par le p\u00e8re \nSimon, cramoisi de col \u00e8re, les yeux luisant derri\u00e8re ses \nlunettes comme des prunelles de chat dans la nuit. \nComme tous ses ca marades d\u2019ailleurs, Lebrac \u00e9tait \nconvaincu d\u2019avoir copi\u00e9 : \u00e9videmment, \u00e7a ne faisait de \ndoute pour pers onne, inut ile de r\u00e9plique r ; mais on \nvoulait savoir au moins s\u2019il avait su tirer quelque fruit \nde cet exerci ce banni en princi pe des m\u00e9thodes de la \np\u00e9dagogie moderne. \n\u2013 Qu\u2019 est-ce que l e m\u00e8tr e, Lebr ac ? \n\u2013 !... \n\u2013 Qu\u2019est-ce que le syst\u00e8me m\u00e9tri que ? \n\u2013 !... \n\u2013 Comment a-t-on obt enu la longueur du m\u00e8tre ? \n\u2013 Euh !... \nTrop \u00e9loign\u00e9 de La Cri que, Lebrac, les oreilles \u00e0 \nl\u2019aff\u00fbt, le front effroyableme nt pliss\u00e9, suait sang et eau \npour se rappeler quelque va gue notion ayant trait \u00e0 la \nmati\u00e8re. Enfin, il se re m\u00e9mora vaguement, tr\u00e8s \nvaguement, deux noms propre s cit\u00e9s : Delambre et La \nCondami ne, mes ureurs c\u00e9l\u00e8br es de mor ceaux de \nm\u00e9ridien. Malheureusement, dans son esprit, Delambre \n 53s\u2019associait aux pi pes en \u00e9c ume qui flambaient derri\u00e8re \nla vitrine de L\u00e9on le buralis te. Aussi, hasarda-t-il, avec \ntout le doute qui convenait en si grave occurrence : \n\u2013 C\u2019est, c\u2019est, L\u00e9cume et Lecon... Lecon ! \n\u2013 Hein ! qui ! quoi donc ! fit le p\u00e8re Simon au \nparoxysme de la col\u00e8re. Voil \u00e0 que vous insultez les \nsavants maintenant ! Vous en avez un de toupet, par \nexemple, et un joli r\u00e9pe rtoire, ma foi ! mes \ncompliments, mon ami. \nEt vous savez, ajouta-t-il pour assommer le \nmalheureux, vous savez que votre p\u00e8re m\u2019a \nrecommand\u00e9 de vous soigner ! \nIl para\u00eet que vous n\u2019en fichez pas la secousse \u00e0 la \nmaison ; toujours sur les quat\u2019chemins \u00e0 faire le \ngalvaudeux, la gouape, le v oyou, au lieu de songer \u00e0 \nvous d\u00e9crasser le cerveau. \nEh bi en, mon ami ! si vous ne me r \u00e9p\u00e9tez pas \u00e0 onze \nheures tout ce que nous allons redire pour vous et pour \nvos camarades qui ne valent gu\u00e8re mieux que vous, je \nvous pr\u00e9viens, moi, que po ur commencer, je vous \nfoutrai en r etenue de quat re \u00e0 six t ous les soirs, jusqu\u2019 \u00e0 \nce que \u00e7a marche ! Voil\u00e0 ! \nLe tonnerre de Z eus, tombant s ur l\u2019assembl\u00e9e, n\u2019e\u00fbt \npas pr ovoqu\u00e9 stupeur plus pr ofonde. Tous rest aient \n\u00e9cras\u00e9s par cett e \u00e9pouvantable menace. \n 54Aussi Lebrac et l es autres , du plus grand au plus \npetit, \u00e9cout\u00e8rent-ils ce jou r-l\u00e0 avec une attention \nconcentr\u00e9e les paroles du ma\u00eetre exposant rageusement \nles abus des anciens syst\u00e8mes de poids et mesures e t la \nn\u00e9cessit \u00e9 d\u2019un syst\u00e8me uniqu e. Et s\u2019ils n\u2019approuv\u00e8rent \npoint en leur for int\u00e9ri eur la mes ure du m\u00e9ri dien de \nDunker que \u00e0 B arcelone, s\u2019i ls se r\u00e9jouirent des ennuis de \nDelambre et des emm...b\u00eatement s de M\u00e9chain, ils en \nretinrent avec s oin les incidents et p\u00e9rip\u00e9ties pour l eur \ngouverne personnelle et leur sauvetage imm\u00e9diat ; mais \nCamus et Lebrac et Tintin et La Crique m\u00eame, partisan \ndu \u00ab Progr\u00e8s \u00bb, et tous les autres, se jur\u00e8rent bien, nom \nde Di eu, qu\u2019 en souvenir de cette terrible frousse ils \npr\u00e9f\u00e9reraient toujours mesure r par pieds et par pouces, \ncomme avai ent fait leurs p\u00e8res et grands -p\u00e8res, qui n e \ns\u2019en \u00e9tai ent pas port\u00e9s pl us mal (la belle blague !) plut\u00f4t \nque d\u2019 employer ce sacr \u00e9 syst\u00e8m e de bourrique qui avait \nfailli les faire passer pour couillons aux yeux de leurs \nennemis. \nL\u2019apr\u00e8s- midi fut plus ca lme. Ils avaient retenu \nl\u2019hist oire des Gaulois qui \u00e9t aient de grands batailleurs et \nqu\u2019ils admirai ent fort. Aus si ni Lebr ac, ni Camus , ni \npersonne ne fut gard\u00e9 \u00e0 quatre heures, chacun, et le chef \nen particulier, aya nt fait de remarquables efforts po ur \ncontenter cette vieille and ouille de p\u00e8re Simon. \nCette fois, on allait voir. \n 55Tintin avec ses cinq gue rriers, qui avaient eu, \u00e0 \nmidi, la sage pr\u00e9caution de me ttre leur go\u00fbter dans leurs \npoches, prirent les devants pendant que les autres \nallaient qu\u00e9rir l eur mor ceau de pain, et quand, devant \nles ennemis apparaissant, rete ntit le cri de guerre de \nLongeverne : \u00ab \u00c0 cul les Ve lrans ! \u00bb ils \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 \nhabilement et conf ortablement dissimul\u00e9s, pr \u00eats \u00e0 t outes \nles p\u00e9rip\u00e9ties du comb at corps \u00e0 corps. \nTous avaient les poches bourr\u00e9es de cailloux ; \nquelques-uns m\u00eame en avaient rempli leur casquette ou \nleur mouchoir ; les frondeurs v\u00e9rifiaient les noeuds de \nleur arme avec pr\u00e9caution ; la plupart des grands \u00e9taient \narm\u00e9s de triques d\u2019\u00e9pines ou de lances de coudres avec \ndes noeuds polis \u00e0 la flamme et des pointes durcies ; \ncertaines s\u2019enjoli vaient de na\u00effs dessins obt enus en \nfaisant sauter l\u2019\u00e9corce : les anneaux verts et les anneaux \nblancs al ternai ent formant des bigarr ures de z\u00e8br e ou \ndes tat ouages de n\u00e8gr e : c\u2019\u00e9tait s olide et beau, dis ait \nBoul ot, dont le go\u00fbt n\u2019 \u00e9tait peut-\u00eatre pas si af fin\u00e9 que l a \npointe de sa lance. \nD\u00e8s que les avant -gardes eur ent pri s cont act par des \nbord\u00e9es r \u00e9ciproques d\u2019inj ures et un \u00e9chan ge convenable \nde moellons, les gros des de ux troupes s\u2019affront\u00e8rent. \n\u00c0 ci nquant e m\u00e8tres \u00e0 pei ne l\u2019 un de l\u2019aut re, \ndiss\u00e9min\u00e9s en tirailleurs, se dissimulant parfois derri\u00e8re \nles bui ssons, s autant \u00e0 gauche, saut ant \u00e0 dr oite pour se \n 56garer des proj ectiles, les adver saires en pr \u00e9sence se \nd\u00e9fiai ent, s\u2019inj uriaient, s \u2019invitaient \u00e0 s\u2019 approcher, s e \ntraitai ent de l \u00e2ches et de f roussards, puis se cr iblaient de \ncailloux, pour recommencer encore. \nMais il n\u2019y avait gu\u00e8re d\u2019en semble ; tant\u00f4t c\u2019\u00e9taient \nles Velr ans qui avaient l e dessus, et tout d\u2019un coup les \nLongevernes, par une poin te hardie, reprenaient \nl\u2019avantage, les triques au ve nt ; mais ils s\u2019arr\u00eataient \nbient\u00f4t devant une plui e de pier res. \nUn Velr ans avai t re\u00e7u po urtant un caillou \u00e0 la \ncheville et avait regag n\u00e9 le bois en cloch ant ; du c\u00f4t\u00e9 de \nLongeverne, Camus, perch\u00e9 sur son ch\u00eane d\u2019o\u00f9 il \nmaniait la fronde avec une dext \u00e9rit\u00e9 de si nge, n\u2019 avait pu \n\u00e9viter le godon d\u2019 un Velr ans, de Touegueule, croyait-il, \nqui lui avait choqu\u00e9 le cr\u00e2ne et l\u2019avait tout ensaign\u00e9. \nIl avait m\u00eame d\u00fb descen dre et demander un \nmouchoir pour bander sa bles sure, mais rien de pr\u00e9cis \nne se dessinait. Pourtant, Grangibus tenait absolument \u00e0 \nutiliser l\u2019embuscade de Tin tin et \u00e0 en chauffer un, \ndisait-il . C\u2019est pour quoi, ayant communiqu\u00e9 son id\u00e9e \u00e0 \nLebrac, il fit semblant de se faufiler seul du c\u00f4t\u00e9 du \nbuisson occup\u00e9 par Tintin, pour assaillir de flanc les \nennemis. Mais il s\u2019arrangea du mieux qu\u2019il put pour \n\u00eatre vu de quelques guerriers de Velrans, tout en ayant \nl\u2019air de ne pas r emarquer leur manoeuvre. Il se mit donc \n\u00e0 ramper et \u00e0 marcher \u00e0 quatre pattes du c\u00f4t\u00e9 du haut et \n 57il ricana sous cape quand il aper\u00e7ut Migue la Lune et \ndeux autres Velrans se conc ertant pour l\u2019assaillir, s\u00fbrs \nde leur force collectiv e contre un isol\u00e9. \nIl avan\u00e7a donc imprudemment, tandis que les trois \nautres se rasaient de son c\u00f4t\u00e9 . \nLebrac, \u00e0 ce moment, poussait une attaque \nvigoureuse pour occuper le gros de la troupe ennemie et \nTintin, qui voyait tout de son buisson, pr\u00e9para ses \nhommes \u00e0 l\u2019action : \n\u2013 \u00c7a va \u00ab viendre \u00bb , mes vieux, att ention ! \nGrangibus \u00e9tait \u00e0 six pas de leur retraite du c\u00f4t\u00e9 de \nVelrans quand les trois ennemis, surgissant tout \u00e0 coup \nd\u2019entre les bui ssons, s e jet\u00e8rent furieusement \u00e0 sa \npours uite. \nTout comme s\u2019il \u00e9tait surp ris de cett e attaque, l e \nLongeverne fit volte-face et battit en retraite, mais assez \nlentement pour laisser les autres gagner du terrain et \nleur faire croire qu\u2019ils allaient le pincer. \nIl repassa aussit\u00f4t devant le buisson de Tintin, serr\u00e9 \nde pr\u00e8s par Migue la Lu ne et ses deux acolytes. \nAlors Tintin, donnant l e signal de l\u2019attaque, bondit \u00e0 \nson tour avec ses cinq guerri ers, coupant la retraite aux \nVelrans et poussant de s cris \u00e9pouvantables. \n\u2013 Tous sur Migue la Lune ! avait-il dit. \n 58Ah ! cel a ne fit pas un pli. Les trois ennemis, \nparalys\u00e9s de frayeur \u00e0 ce co up de th\u00e9\u00e2tre inattendu, \ns\u2019arr\u00eat\u00e8rent net, puis croch \u00e8rent vivement pour regagner \nleur camp et deux s\u2019\u00e9chapp \u00e8rent en effet comme l\u2019avait \npr\u00e9vu Tintin. Mais Migue la Lune fut happ\u00e9 par si x \npaires de griffes et enle v\u00e9, emport\u00e9 comme un paquet \ndans le camp de Longeverne, parmi les accl amati ons et \nles hurlements de gu erre des vainqueurs. \nCe fut un d\u00e9s arroi dans l\u2019ar m\u00e9e de Velr ans, qui \nbattit en retraite sur le bois , tandis que les Longevernes, \nentourant leur pris onnier, beug laient haut leur vict oire. \nMigue l a Lune, entour \u00e9 d\u2019 une quadr uple hai e de \ngardiens, se d\u00e9battait \u00e0 peine, \u00e9cras\u00e9 sous l\u2019 avent ure. \n\u2013 Ah ! mon ami , \u00ab on s\u2019a fait choper \u00bb, fit l e grand \nLebrac, sinistre ; eh bien, attends un peu pour voir ! \n\u2013 Euh ! euh ! euh ! ne me f aites poi nt de mal , \nb\u00e9gaya Migue la Lune. \n\u2013 Oui, mon p\u2019tit, pour que tu nous traites encore de \npourri s et de couill es moll es ! \n\u2013 C\u2019est pas moi ! Oh ! mon Dieu ! Qu\u2019 est-ce que \nvous voulez me faire ? \n\u2013 Apportez le couteau, commanda Lebrac. \n\u2013 Oh ! \u00ab moman, moman \u00bb ! Qu\u2019est-ce que vous \nvoulez me couper ? \n 59\u2013 Les oreilles, beugla Tintin. \n\u2013 Et l e nez, aj outa Camus . \n\u2013 Et l e zizi, conti nua La Cri que. \n\u2013 Sans oublier les couilles, compl\u00e9ta Lebrac, on va \nvoir si tu les as molles ! \n\u2013 Faudra lui lier le sac avant de couper, comme on \nfait avec les petits taureaux, fit observer Gambette, qui \navait apparemment assist\u00e9 \u00e0 ces sortes d\u2019op\u00e9rations. \n\u2013 S\u00fbrement ! qui \u00ab c\u2019 est qu\u2019 a la ficelle \u00bb ? \n\u2013 N\u2019en v\u2019 l\u00e0, r\u00e9pondit Ti gibus. \n\u2013 Me faites point de mal ou je le dir ai \u00e0 ma \n\u00ab moman \u00bb, lar moya le pri sonnier. \n\u2013 Je me f ous aut ant de ta m\u00e8re que du pape, riposta \nLebrac, cynique. \n\u2013 Et \u00e0 m\u2019si eu le cur\u00e9 ! ajouta Migue l a Lune, \n\u00e9pouvant\u00e9. \n\u2013 Je te redis que je m\u2019e n refous ! \n\u2013 Et au ma\u00eetre, fit-il encore, miguant1 plus que \njamais. \n\u2013 Je l\u2019emme rde ! \nAh ! voi l\u00e0 que t u nous menaces par- dessus le \n \n1 Miguer : cligner des paupi\u00e8res. \n 60march\u00e9 maintenant ! Manquait plus que \u00e7a ! Attends un \npeu, mon salaud ! \nPassez-moi le ch\u00e2tre-bique1. \nEt, l\u2019eust ache en mai n, Lebrac abor da sa vi ctime. Il \npassa d\u2019 abord simplement le dos du cout eau sur les \noreilles de Migue la Lune qu i, croyant au froid du m\u00e9tal \nque \u00e7a y \u00e9tait vraiment, se mit \u00e0 sangloter et \u00e0 hurler, \npuis satisfait il s\u2019arr\u00eata dans cett e voie et se mit en \ndevoir de l ui \u00ab aff\u00fbt er \u00bb, comme i l disait, pr oprement \nses habits. \nIl comme n\u00e7a par la blouse, il a rracha les agrafes \nm\u00e9talliques du col, coupa le s boutons des manches ainsi \nque ceux qui fermaient le de vant de la blouse, puis il \nfendit enti\u00e8rement les bouton ni\u00e8res, ensuite de quoi \nCamus fit sauter ce v\u00eatement inutile ; les boutons du \ntricot et les boutonni\u00e8res s ubirent un s ort pareil ; les \nbretelles n\u2019\u00e9chapp\u00e8rent point, on fit sauter le tricot. Ce \nfut ensuite le tour de la c hemise : du col au plastron et \naux manches, pas un bout on ni une bout onni\u00e8re \nn\u2019\u00e9chappa ; ensuite le pantal on fut lui-m\u00eame \u00e9chenill\u00e9 : \npattes et boucles et poches et bout ons et bout onni\u00e8res y \npass\u00e8rent ; les jarreti\u00e8res en \u00e9lastique qui tenaient les \nbas furent confisqu\u00e9es, les co rdons de souliers taill\u00e9s en \ntrente-six morceaux. \n \n1 Ch\u00e2tre-bique : couteau. \n 61\u2013 Tas pas de \u00ab cane\u00e7on \u00bb ? non ! reprit Lebrac, en \nv\u00e9rifiant l\u2019int\u00e9rieur de la cul otte qui d\u00e9gri ngolait sur l es \njarrets. \n\u2013 Eh bien ! mai ntenant, fous le camp ! \nIl dit, et, tel un honn\u00eate jur\u00e9 qui, sous un r\u00e9gime \nr\u00e9publicain, s ans haine et s ans cr ainte, ob\u00e9it \nuniquement aux injonctions de sa conscience, il ne lui \nlan\u00e7a pour finir qu\u2019un solide et vigoureux coup de pied \n\u00e0 l\u2019endroit \u00ab ousque \u00bb le dos perd son nom. \nRien ne tenait plus des habits de Mi gue la L une et il \npleurait, mis\u00e9rable et petit, au milieu des ennemis qui le \nraillaient et le huaient. \n\u2013 Viens donc m\u2019arr \u00eater, maint enant ! invit a \nGrangibus narquois, tandis qu e l\u2019autre, ayant remis sur \nson tricot qui ne bout onnait plus sa blouse qui pendait \nen marchand de biques, essa yait en vai n de rass embl er \ndans son pantalon les pans de sa chemise d\u00e9braill\u00e9e. \n\u2013 Va voi r mai ntenant ce que veut te dir e ta m\u00e8r e, \nacheva Camus, reto urnant l e poignard dans la plai e. \nEt lent, dans le soir qui to mbait, tr a\u00eenant les pieds o\u00f9 \nses souliers tena ient \u00e0 peine, Migue la Lune, pleurant, \ngeignant et s anglot ant, rejoi gnit dans l e bois ses \ncamarades \u00e0 l\u2019aff\u00fbt qui l\u2019 attendaient anxieusement, \nl\u2019entour\u00e8rent et lui port \u00e8rent aide et secours aut ant qu\u2019il \n\u00e9tait en leur pouvo ir de le faire. \n 62Et l\u00e0-bas, au levant o\u00f9 leur groupe se distinguait mal \nmaintenant dans le cr\u00e9puscule, retentissaient les cris de \ntriomphe et les insultes na rquoises des Longevernes \nvictorieux. \nLebrac, enfin, r\u00e9su ma la situation : \n\u2013 Hein ! on leur z\u2019y a pos \u00e9 ! \u00c7a leur apprendra \u00e0 ces \nAlboches-l\u00e0 ! \nPuis, comme rien de nou veau n\u2019apparaissait \u00e0 la \nlisi\u00e8re, cette journ\u00e9e \u00e9tant d\u00e9 finitivement l a leur, i ls \nd\u00e9val\u00e8rent le communal de la Saute jusqu\u2019 \u00e0 la carri\u00e8re \u00e0 \nPepiot. \nEt de l\u00e0, par rangs de six, bras dessus, bras dessous, \nLebrac de c\u00f4t\u00e9, le b\u00e2ton br andi, Camus en avant, son \nmouchoir rouge de sang serv ant d\u2019 enseigne au bout de \nsa trique de bataille, ils partirent au commandement du \nchef, claquant des talons et marquant le pas, vers \nLongeverne en chantant de tous leurs poumons : \n \nLa vi ctoi-ren chantant, \nNous ou-vre la barri\u00e8 -re \nLa li-bert \u00e9 gui-i de nos pas , \nEt du No-rau Midi la trom-pette guerri\u00e8re \nA sonn\u00e9 l\u2019heure des com-ombats... \n 63 \n \nPremier revers \n \nIls m \u2019ont entour\u00e9 comm e la beste et \ncroyent qu\u2019on m e prend aux filetz. Moy, je \nleur veulx passer \u00e0 travers ou dessus le \nventre. \nHenri IV (Lettre \u00e0 M. de Batz, \ngouverneur de la ville d\u2019Euse, en Armagnac, \n11 m ars 1586). \n \nLes jours qui suivirent ce tte m\u00e9mor able vict oire \nfurent pl us cal mes. L e grand Lebrac et sa troupe, \nconfi ants dans leur s ucc\u00e8s, gardaient l\u2019avantage et, \nnantis de leurs lances de c oudre pointus\u00e9es au couteau \net polies avec du verre, arm\u00e9 s de sabres de bois avec \nune garde en fil de fer recouve rte de ficelle de pain de \nsucre, poussaient des charg es terribles qui faisaient \nfr\u00e9mir les Velrans et les ram enaient jusqu\u2019\u00e0 leur lisi\u00e8re \nparmi des gr \u00eales de caill oux. \nMigue la Lune, prudent, re stait au dernier rang, et \nl\u2019on ne fit pas de pr isonni ers et il n\u2019y eut pas de bles s\u00e9s. \nCela e\u00fbt pu durer longtemps ainsi ; \nmalheureusement pour L ongever ne, la cl asse du s amedi \nmatin fut d\u00e9sastreuse. Le grand L ebrac, qui s \u2019\u00e9tait t out \n 64de m\u00eame fourr\u00e9 dans la t\u00ea te les multiples et les sous-\nmulti ples du m\u00e8tre, confi ant dans la par ole du p\u00e8r e \nSimon, qui avait dit que quand on les savait pour une \nsorte de mes ures on l es savait pour toutes, ne voulut pas \nentendre dire que le kilolitre et le myrialitre n\u2019existaient \npoint. \nIl emm\u00eala si bien l\u2019hect olitre et le double et le \nboisseau et la chopine, se s connaissance s livresques \navec son exp\u00e9rience pers onnelle, qu\u2019il se vit \nfermement, et sans espoir d\u2019en r\u00e9chapper, fourrer en \nretenue de quatr e \u00e0 ci nq d\u2019abord, plus longt emps si \nc\u2019\u00e9tait n\u00e9cessai re, et s\u2019il ne satisfaisait pas \u00e0 toutes les \nexigences r\u00e9citatoires du ma\u00eetre. \n\u2013 Quel vieux s alaud quand il s\u2019y mett ait, t out de \nm\u00eame, que ce p\u00e8re Simon ! \nLe malheur voulut que Tintin se trouv\u00e2t exactement \ndans le m\u00eame cas ainsi que Grangibus et Boul ot. Seuls , \nCamus , qui y avait coup\u00e9, et La Crique, qui savait \ntoujours, restaient pour condu ire ce soir-l\u00e0 la troupe de \nLongeverne, d\u00e9j\u00e0 r\u00e9duite pa r l\u2019absence de Gambett e, \nqui n\u2019\u00e9tait pas venu ce jour-l \u00e0 parce qu\u2019il avait conduit \nleur cabe1 au bouc et de quel ques aut res obli g\u00e9s de \nrentrer \u00e0 la maison pour pr\u00e9parer la toilette du \nlendemain. \n \n1 Ch\u00e8vre. \n 65\u2013 Faudr ait peut- \u00eatre pas aller ce soir ? hasar da \nLebrac, pensif. \nCamus bondit. \u2013 Pas aller ! Ben il la baillait belle, le \ng\u00e9n\u00e9ral . Pour qui qu\u2019on le pr enait , lui, Camus ! Par \nexemple, qu\u2019on allait pa sser pour couillons ! \nLebrac \u00e9branl\u00e9 se rendit \u00e0 ce s raisons et convint que, \nsit\u00f4t li b\u00e9r\u00e9 avec Tintin, Boul ot et Gr angibus ( et ils \nallaient s\u2019y me ttre d\u2019attaque), ils se porteraient \nensembl e \u00e0 leur poste de combat. \nMais il \u00e9tait inquiet. \u00c7a l\u2019emb\u00eatait, na ! que lui, \nchef, ne f \u00fbt pas l\u00e0 pour diriger la manoeuvre en un jour \nplut\u00f4t dif ficile. \nCamus l e rass ura et, apr \u00e8s de br efs adi eux, \u00e0 quatr e \nheures, fila, flanqu\u00e9 de ses gu erriers, vers le terrain de \ncombat. \nTout de m\u00eame cette resp onsabilit\u00e9 nouvelle le \nrendait pensif, et, pr\u00e9occup\u00e9 d\u2019on ne sait quoi, le coeur \npeut-\u00eatre \u00e9 treint de somb res pre ssentiments, il ne \nsongea point \u00e0 faire se di ssimuler ses hommes avant \nd\u2019arriver \u00e0 leur retranch ement du Gros Buisson. \nLes Velr ans, eux, \u00e9tai ent arriv\u00e9s en avance. Surpris \nde ne rien voir, ils av aient charg\u00e9 l\u2019un d\u2019eux, \nTouegueule1, de grimper \u00e0 son arbre pour se rendre \n \n1 Surnom qui signifie : tord gueule. \n 66compte de la situation. \nTouegueule, de son foyard, vit la petite troupe qui \ns\u2019avan\u00e7ai t impr udemment dans le chemin, et une joie \nd\u00e9bordante et silencieuse, in ondant tout son \u00eatre, le fit \nse tortiller comme un gou jon au bout d\u2019une ligne. \nImm\u00e9diatement il fit part \u00e0 ses camarades de \nl\u2019inf\u00e9riorit\u00e9 num\u00e9rique de l\u2019 ennemi et de l\u2019 absence du \ngrand L ebrac. \nL\u2019Aztec des Gu\u00e9s, qui ne demandait qu\u2019\u00e0 venger \nMigue la Lune, imagina aussit\u00f4 t un plan d\u2019attaque et il \nl\u2019exposa. \nOn n\u2019 allait d\u2019abord faire semblant de ri en, se battre \ncomme d\u2019 habit ude, s\u2019 avancer , puis reculer , puis \navancer de nouveau jusqu\u2019\u00e0 mi-chemin, et, apr\u00e8s une \nfeinte reculade, partir de nouveau tous ensemble, \ncharger en mass e, tomber en trombe su r le camp \nennemi, cogner ceux qui r\u00e9sisteraient, faire pris onniers \ntous ceux qu\u2019 on at traper ait et les ramener \u00e0 la lisi\u00e8re, o\u00f9 \nils subiraient le sort des vaincus. \nAinsi c\u2019\u00e9tait bien compris, quand il pousserait son \ncri de guerr e : \u00ab La Muri e vous cr\u00e8ve ! \u00bb, tous \ns\u2019\u00e9lanceraient derri\u00e8re lu i, la trique au poing. \nTouegueule \u00e9tait \u00e0 peine re descendu de son foyard \nque l\u2019or gane per \u00e7ant de Camus , du centr e du Gr os \nBuisson, lan\u00e7ait le d\u00e9fi d\u2019us age : \u00ab \u00c0 cul les Velrans ! \u00bb \n 67et que la bataille s\u2019engageait dans les formes ordinaires. \nEn tant que g\u00e9n\u00e9ral, Camus aurait d\u00fb rester \u00e0 terre et \ndiriger ses troupes ; mais l\u2019 habitude, la sacr\u00e9e habitude \nde mont er \u00e0 l\u2019 arbre fit taire t ous ses s crupules de \ncommandant en chef, et il grim pa au ch\u00eane pour lancer \nde haut ses projectiles dans les rangs des adversaires. \nInstall\u00e9 dans une fourc he soigneusement choisie et \nam\u00e9nag\u00e9e, commod\u00e9ment assis, il prenait la ligne d e \nmire en tendant l\u2019\u00e9lastique, le cuir juste au milieu de la \nfourche, les bandes de caoutc houc bien \u00e9gales et l\u00e2chait \nle projectile qui partait en sifflant du c\u00f4t\u00e9 de Velrans, \nd\u00e9chiquetant des feuilles ou cognant un tronc en faisant \ntoc. \nCamus pensait qu\u2019il en se rait ce j our-l\u00e0 comme des \njours pr\u00e9c\u00e9dents et ne se doutait mie que les autres \ntenteraient une attaque et pouss eraient une charge \npuisque chaque engagement, depuis l\u2019ouverture des \nhostilit\u00e9s, avait vu leur d\u00e9fa ite ou leur reculade. \nTout alla bien pendant une demi-heure, et le \nsentiment du devoir accompli, le souci d\u2019un emploi \njudicieux de ses cailloux le ra ss\u00e9r\u00e9naient, lorsque, au cri \nde guerre de l\u2019Aztec, il vit la horde des Velrans \nchargeant son arm\u00e9e avec un e telle vitesse, une telle \nardeur, une t elle imp\u00e9t uosit\u00e9 , une telle certitude de \nvictoire qu\u2019il en demeur a abasourdi sur sa branche sans \npouvoir prof\u00e9rer un mot. \n 68Ses guerriers, en entendant cette ru\u00e9e formida ble, en \nvoyant ce brandissement d\u2019\u00e9pie ux et de triques, effar\u00e9s, \nd\u00e9moralis\u00e9s, trop peu nombr eux, battirent en retraite \naussit\u00f4t, et, prenant leurs jamb es \u00e0 leur cou, s\u2019enf uirent, \nleurs talons battant les fesse s, \u00e0 toute allure, dans la \ndirecti on de l a carri\u00e8r e \u00e0 La ugu, sans oser se retourner \net croyant que tout e l\u2019arm\u00e9e ennemie leur arrivait \ndessus. \nMalgr\u00e9 sa sup\u00e9riorit\u00e9 nu m\u00e9rique, la colonne des \nVelrans, en arrivant au Gr os Buisson, ralentit un peu \nson \u00e9lan, craignant quelque projectile d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 ; mais, \nne recevant rien, elle s\u2019en gagea brusquement sous le \ncouvert et se mit \u00e0 fouiller le camp. \nH\u00e9las ! on ne voyait rien, on ne trouvait personne, et \nl\u2019Azt ec grommelai t d\u00e9j\u00e0, quand il d\u00e9nicha Camus blott i \ndans son ar bre tel un \u00e9cureuil s urpris. \nIl eut un ah ! sonore de tr iomphe en l\u2019apercevant et, \ntout en se f\u00e9licitant int\u00e9ri eurement de ce que l\u2019assaut \nn\u2019e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9 inutile, il somma imm\u00e9diatement son \nprisonnier de descendr e. \nCamus, qui savait le sort qui l\u2019attendait s\u2019il \nabandonnait son asile et av ait encore quelques cailloux \nen poche, r\u00e9pondit par le mot de Cambr onne \u00e0 cett e \ninjonction injurieu se. D\u00e9j\u00e0 il fouillait les poches de son \npantalon, quand l\u2019Azt ec, sans r\u00e9it \u00e9rer son invitati on \ndiscourt oise, or donna \u00e0 ses hommes de l ui \u00ab descendr e \n 69cet oiseau-l\u00e0 \u00bb \u00e0 coups de cailloux. \nAvant qu\u2019il e\u00fbt band\u00e9 s a fronde, une gr\u00eal e terri ble \nlapida Camus qui croisa s es bras sur sa figure, les mains \nsur les yeux pour se prot\u00e9ger. \nBeaucoup de Velrans manqua ient heureusement leur \nbut, press\u00e9s qu\u2019ils \u00e9taient de lancer leurs projectiles, \nmais quelques-uns, mais trop touchaient : pan sur le \ndos ! pan sur la gueule ! pan sur la ratelle ! pan sur le \nr\u00e2ble ! pan sur les guibolles ! attrape encore \u00ab \u00e7ui-l\u00e0 \u00bb \nmon fils ! \n\u2013 Ah ! l\u2019 y viendras, mon s alaud ! disait l\u2019Azt ec. \nEt de fait, le pauvre C amus n\u2019avait pas ass ez de \nmains pour se pr ot\u00e9ger et s e frott er, et il allait enfi n se \nrendre \u00e0 merci, quand le cri de guerre et le rugissement \nterrible de son chef, ramenant ses troupes au combat, le \nd\u00e9livra comme par enchant ement de cette terrible \nposition. \nLentement, il d\u00e9croisa un br as, pui s un autr e, et s e \nt\u00e2ta, et regarda et... ce qu\u2019il vit... \nHorreur ! trois fois horr eur ! L\u2019 arm\u00e9e de \nLongeverne, essouffl\u00e9e, a rrivait au Gros Buisson, \nhurlante, avec Tint in et Gr angibus, tandis qu\u2019\u00e0 la lisi\u00e8re \nles Velrans, en troupeau, emmenaient, emportaient \nLebrac prisonnier. \n\u2013 Lebrac ! Lebrac ! nom de Dieu. Lebrac ! piailla-t-\n 70il. Comment que \u00e7a a pu se faire ? Ah bon Dieu de bon \nDieu de nom de Dieu de no m de Dieu de cent dieux ! \nLa mal\u00e9diction d\u00e9sesp \u00e9r\u00e9e de Camus eut un \nretentissement dans la bande de Longeverne arrivant \u00e0 \nla rescousse . \n\u2013 Lebrac ! fit Tintin en \u00e9cho. Il n\u2019est pas l\u00e0 ? Et il \nexpliqua : On arrivait au ba s de la Saut e quand on a vu \nles n\u00f4tres qui \u00ab s\u2019ensauva ient \u00bb comme des li\u00e8vr es, \nalors il s\u2019est lanc\u00e9 et leur z\u2019a dit : \n\u2013 Halt e-l\u00e0 !... O\u00f9 venez- vous ? Et Camus ? \n\u2013 Camus, qu\u2019a fait j\u2019sais plus qui, il est sur son \nch\u00eane ! \n\u2013 Et L a Crique ? \n\u2013 La Crique ?... on ne sait pas ! \n\u2013 Et vous les laissez com me \u00e7a, nom de Dieu ! \nprisonniers des Velrans ; vous n\u2019en avez donc point ! \nEn avant ! alle z ! en avant ! \nAlors il \u00ab s\u2019a lanc\u00e9 \u00bb et on est parti derri\u00e8re lui en \n\u00ab n\u2019hurlant \u00bb ; mais il \u00e9tait en avance d\u2019 au moi ns vingt \nsauts, et \u00e0 eux t ous ils l\u2019auront s\u00fbrement pinc\u00e9. \n\u2013 Mais oui, qu\u2019il est chau ff\u00e9 ! ah, nom de Dieu ! \nsouffla Camus suffoqu\u00e9, d\u00e9g ringolant de son ch\u00eane. \n\u2013 Il n\u2019y a pas \u00e0 ch..., faut l e d\u00e9prendre ! \n 71\u2013 Ils sont deux f ois plus que nous, r emarqua l\u2019un des \nfuyards rendu prudent, s\u00fbrement qu\u2019il y en aura encore \ndes chop\u00e9s, c\u2019est tout ce qu\u2019on y gagnera. Puisqu\u2019 on \nn\u2019est pas en nombr e \u00ab gn\u2019a \u00bb qu\u2019 \u00e0 attendre, apr \u00e8s tout \nils ne veulent pas le bouff er sans boir e ! \n\u2013 Non, convi nt Camus ; mais ses boutons ! Et dire \nque c\u2019 est pour me d\u00e9livr er ! Ah ! malheur de malheur ! \nIl avait bien raison de nous dire de ne pas venir ce soi r. \nFaut t oujours \u00e9couter son chef ! \n\u2013 Mais ous qu\u2019est La Cri que ? personne n\u2019a vu La \nCrique ? tu ne sais pas s\u2019il est pris ? \n\u2013 Non ! reprit Camus , je ne cr ois pas, j\u2019 ai pas vu \nqu\u2019ils l\u2019aient emmen\u00e9, il a d\u00fb se d\u00e9filer par les buissons \ndu dessus... \nPendant que les Longevernes se lamentaient et que \nCamus , dans le d\u00e9sar roi du d\u00e9sas tre, reconnaiss ait les \navantages et la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019une forte discipline, un \nrappel de perdrix les fit tressaillir. \n\u2013 C\u2019est La Crique, dit Grangibus. \nC\u2019\u00e9tait lui, en effet, qui, au moment de l\u2019as saut, \ns\u2019\u00e9tait gliss\u00e9 comme un rena rd entre les buissons et \navait \u00e9chapp\u00e9 aux Velrans. Il venait du haut du \ncommunal et avait s\u00fbr ement vu quelque chose, car il \ndit : \n\u2013 Ah ! mes amis, qu\u2019est-c e qu\u2019ils lui passent \u00e0 \n 72Lebrac ! J\u2019ai mal vu, mais ce que \u00e7a cognait dur ! \nEt il r\u00e9quisitionna la ficelle et les \u00e9pingles de la \nbande pour raffubler le s habits du g\u00e9n\u00e9ral qui \ncertainement n\u2019y couperait pas. \nEt, en effet, une sc\u00e8ne te rrible se d\u00e9roulait \u00e0 la \nlisi\u00e8re. \nD\u2019abord envel opp\u00e9, enroul\u00e9, emport \u00e9 par l e \ntourbillon des adversaires au point de n\u2019y plus rien \ncomprendr e, le grand Lebr ac s\u2019 \u00e9tait enfin reconnu, \u00e9t ait \nrevenu \u00e0 lui et, quand on voul ut le traiter en vaincu et \nl\u2019aborder l\u2019eustache \u00e0 la ma in, il leur fit voir, \u00e0 ces \npeigne-culs, ce que c\u2019est qu\u2019un L ongever ne ! \nDe la t\u00eate, des pieds, des mains, des coudes, des \ngenoux, des reins, des dents , cognant, ruant, sautant, \ngiflant, tapant, boxant, mordant, il se d\u00e9battait \nterriblement, culbutant les uns, d\u00e9chir ant les autr es, \n\u00e9borgnait cel ui-ci, giflait cel ui-l\u00e0, en bossel ait un \ntroisi\u00e8me, et pan par-ci, et toc par-l \u00e0, et zon s ur un \nautre, tant et si bien que, laissant pour compte une \ndemi-manche de blouse, il se faisait l\u00e2cher enfin par la \nmeute ennemie et s\u2019\u00e9lan\u00e7ait d\u00e9j\u00e0 vers Longeverne d\u2019un \n\u00e9lan irr\u00e9sistible, quand un tra\u00eetre croc-en-jambe de \nMigue l a Lune l\u2019all ongea net, le nez dans une \ntaupini\u00e8re, les bras en avant et la gueule ouverte. \nIl n\u2019eut pas le temps de dire ouf ; avant qu\u2019il e\u00fbt \n 73song\u00e9 s eulement \u00e0 se mett re sur les genoux, douze gars \nse pr\u00e9ci pitaient derechef sur l ui et pif ! et paf ! et \npoum ! et zop ! vous le saisissaient par les quatre \nmembres tandis qu\u2019un autre le fouillait, lui confisquait \nson couteau et le b\u00e2illonnai t de son propre mouchoir. \nL\u2019Aztec, dirigeant la m anoeuvre, arma Migue la \nLune, sauveur de la situatio n, d\u2019une verge de noisetier \net lui recommanda, pr\u00e9caution inutile, d\u2019y aller de ses \nsix coups chaque fois que l\u2019au tre tenterait la moindre \nsecousse. \nDe fait, Lebrac n\u2019\u00e9tait pa s homme \u00e0 se tenir comme \n\u00e7a : bient\u00f4t ses fess es furent bl eues de coups de \nbaguette tant qu\u2019\u00e0 la fin il dut bien se tenir tranquille. \n\u2013 Ramasse, cochon ! disait Migue la Lune. Ah ! tu \nvoulais me couper le zizi et les couilles. Eh bien ! si on \nte les coupait, \u00e0 toi, maintenant ! \nIls ne les lui coup\u00e8rent poin t, mais pas un bouton, \npas une bout onni\u00e8re, pas un e agrafe, pas un cordon, \nn\u2019\u00e9chappa \u00e0 leur vigilan ce vengeresse, et Lebrac, \nvaincu, d\u00e9pouill\u00e9 et fess\u00e9, fu t rendu \u00e0 la libert\u00e9 dans le \nm\u00eame \u00e9tat piteux que Mi gue la Lune cinq jours \nauparavant. \nMais le Longeverne ne pl eurnichait pas com me le \nVelrans ; il avait une \u00e2me de che f, lui, et s\u2019il \u00e9cumait de \nrage int\u00e9rieure, il semblait ne pas sentir l a doul eur \n 74physi que. Aus si, d\u00e8s que d\u00e9b\u00e2illonn\u00e9, il n\u2019h\u00e9sita pas \u00e0 \ncracher \u00e0 ses bourreaux, en invectives virulentes, son \nincoercible m\u00e9pris et sa haine vivace. \nC\u2019\u00e9tait un peu trop t\u00f4t, h\u00e9las ! et la horde \nvictorieuse, s \u00fbre de l e tenir \u00e0 sa merci, le lui fit bien \nvoir en le b\u00e2tonnant de nou veau \u00e0 trique qu e veux-tu et \nen le bourrant de coups de pieds. \nAlors L ebrac, vai ncu, gonf l\u00e9 de rage et de d\u00e9ses poir, \nivre de haine et de d\u00e9sir de vengeance, pa rtit enfin la \nface ravag\u00e9e, fit quelques pa s, pu is se laissa choir \nderri\u00e8re un petit buisson comm e pour pleurer \u00e0 son aise \nou cher cher quel ques \u00e9pi nes qui lui per missent de \nretenir son pant alon aut our de s es reins. \nUne col\u00e8re folle le dominait : il tapa du pied, il serra \nles poings, il grin\u00e7a des dents, il mordit la terre, puis, \ncomme s i cet \u00e2pr e bais er l\u2019e\u00fbt i nspir\u00e9 subi tement , il \ns\u2019arr\u00eata net. \nLes cuivres du couchant bai ssaient dans les branches \ndemi-n ues d e la for\u00eat, \u00e9largissant l\u2019horizon, amplifiant \nles li gnes, ennoblissant l e pays age qu\u2019 un pui ssant \nsouffl e de vent vi vifiait . Des chiens de ga rde, au loin, \naboyaient au bout de leur s cha\u00eenes ; un corbeau \nrappelait ses compagnons pour le coucher, les Velrans \ns\u2019\u00e9taient tus, on n\u2019 entendait rien des Longevernes. \nLebrac, dissimul\u00e9 derri\u00e8re son buisson, se d\u00e9chaussa \n 75(c\u2019\u00e9tait facile), mit ses bas en loques dans ses souliers \nveufs de lacets, retira son tric ot et sa culotte, les roula \nensembl e autour de s es chau ssures, mit ce rouleau dans \nsa bl ouse dont il fit ainsi un petit paquet nou\u00e9 aux \nquatre coins et ne garda su r lui que sa courte chemise \ndont l es pans friss onnaient au vent. \nAlors, saisissant son pe tit baluchon d\u2019une main, de \nl\u2019autre troussant entre deux doigts sa chemise, il se \ndressa d\u2019un seul coup devan t toute l\u2019arm\u00e9e ennemie et, \ntraitant ses vainqueurs de vaches, de cochons, de \nsalauds et de l\u00e2ches, il leur montra son cul d\u2019un index \n\u00e9nergique, puis se mit \u00e0 fuir \u00e0 toutes jambes dans le \ncr\u00e9puscule tombant, poursuivi par les impr\u00e9cations des \nVelrans, au milieu d\u2019un e gr\u00eale de cailloux qui \nbourdonnaient \u00e0 ses oreilles. \n 76 \n \nLes cons\u00e9quences d\u2019un d\u00e9sastre \n \nCoup sur coup. Deuil sur deuil. Ah ! \nl\u2019\u00e9preuve redouble. \nVictor Hugo (L\u2019Ann\u00e9e terrible) . \n \nOn a bien rais on de dir e qu\u2019un mal heur ne vient \njamais seul ! Ce fut La Criq ue qui, plus tard, formula \ncet aphor isme, dont il n\u2019 \u00e9tait pas l\u2019 auteur \nQuand Lebrac, sacrant et vocif \u00e9rant contre ces \npeigne-culs de Velrans, ar riva, cheveux, chemise et le \nreste au vent \u00e0 la boucl e du chemi n de la Saut e, ce ne \nfut pas les compaings qu\u2019il tr ouva pour le recevoir, \nmais bien le p\u00e8re Z\u00e9phir in, vieux soldat d\u2019Afrique \nqu\u2019on appel ait plus commun\u00e9ment B\u00e9doui n, et qui \nremplissait dans la commune les modestes fonctions de \ngarde champ\u00eatre, ce qui se vo yait d\u2019ailleurs \u00e0 sa plaque \njaune bien astiqu\u00e9e luisant parmi les p lis de sa blouse \nbleue toujours propre. \nDe bonheur pour le gr and Lebrac, B\u00e9douin, \nrepr\u00e9sentant de la force pub lique \u00e0 Longeverne, \u00e9tait un \npeu sour d et n\u2019y voyait plus tr\u00e8s bien. \n 77Il avait, revenant de sa tourn\u00e9e quotidienne ou \npresque, \u00e9t\u00e9 arr\u00eat\u00e9 par les hurl ements et les cris de \nguerre de Lebrac se d\u00e9batt ant aux mains des Velrans. \nComme il se trouvait, par ha sard, qu\u2019il avait d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 \nvictime de f arces et pl aisanter ies de la part de certai ns \n\u00ab galapias \u00bb du village, il ne douta mie que les \ninvectives virulentes de celu i-l\u00e0 fuyant, autant dire \u00e0 \npoil, ne fussent \u00e0 son adresse . Il en dout a de moi ns en \nmoins quand il distingua, en tre autres, les syllabes de \n\u00ab cochon \u00bb et de \u00ab salaud \u00bb qui , dans sa pens\u00e9e droite et \nlogique, ne pouvaient indub itablement s\u2019appliquer qu\u2019\u00e0 \nun repr\u00e9sentant de la \u00ab loa \u00bb1. R\u00e9solu (le devoir avant \ntout) \u00e0 punir cet insol ent qui attentait du m\u00eame coup \naux bonnes moeurs et \u00e0 sa dignit\u00e9 de magistrat, il \ns\u2019\u00e9lan\u00e7a \u00e0 sa poursuite pour le rattraper ou tout au \nmoins le reconna\u00eetre et lui faire donner par \u00ab qui de \ndroit \u00bb la fess\u00e9e qu \u2019il jugeait m\u00e9riter. \nMais Lebrac vit B\u00e9douin lu i aussi, et, reconnaissant \ndes intentions hostiles au \u00ab polisson ! \u00bb qu\u2019il poussa, il \nbiais a vivement \u00e0 gauche vers le haut du communal et \ndispar ut dans les buis sons pendant que l \u2019autre, \nbrandissant son b\u00e2ton, criait toujours de toute s a gorge : \n\u2013 Petit saligaud ! que je t\u2019attrape un peu ! \nCach\u00e9s dans l e Gros Buiss on, ahuris de cette \n \n1 Loi. \n 78apparition inattendue, les Longevernes suivaient la \npoursuite de B\u00e9douin avec des yeux ronds comme des \nprunelles de chouettes. \n\u2013 C\u2019est lui ! c\u2019est bien lui ! fit La Crique parlant de \nson chef. \n\u2013 Il leur z- y-a encor e jou\u00e9 un t our, remarqua Tintin. \nQuel bougre, tout de m\u00eame ! et l\u2019inflexion de sa voix \ndisait t oute l\u2019 admirati on qu\u2019il pr ofessai t pour son \ng\u00e9n\u00e9ral. \n\u2013 Ce vieux c... va-t-il nous emmerder l ongtemps ? \nreprit Camus , frottant de s es paumes s\u00e8ches et calleus es \nses doul oureuses meurtris sures. \nEt il songeait d\u00e9j\u00e0 \u00e0 d\u00e9l\u00e9gu er Tintin ou La Crique \npour attirer B\u00e9douin hors des lieux o\u00f9 devait se cacher \nLebrac, en poussant \u00e0 l\u2019adresse du garde quelques \ns\u00e9ries d\u2019\u00e9pith\u00e8tes color\u00e9es et fortes, telles : vieille \ntourt e, enfifr \u00e9, sodomiss , v\u00e9rol ard d\u2019Afrique et autr es \nqu\u2019ils avaient retenues au passage de certaines \nconversat ions entre les anci ens du vi llage. \nIl n\u2019en fut pas r\u00e9duit \u00e0 cet exp\u00e9dient, car l e vieux \nbriscard r edescendit bient \u00f4t le chemi n, jurant contr e ces \ngarnements \u00e0 qui il tirerait les oreilles et qu\u2019il \n\u00ab foutrait \u00bb bien, un jour ou l\u2019autre, \u00e0 \u00ab l\u2019ousteau \u00bb \ncommunal pour tenir compagnie , dur ant une heure ou \ndeux, aux rats de la fromagerie. \n 79Imm\u00e9diat ement Camus imi ta le tirouit de la perdrix \ngrise, signal de ralliement de Longeverne, et, \u00e0 la \nr\u00e9pons e qui lui vint , signal a par trois nouveaux cris \ncons\u00e9cutifs, \u00e0 son f\u00e9al aux abois, que tout danger \u00e9tait \nmomentan\u00e9ment \u00e9cart\u00e9. \nBient \u00f4t, derri\u00e8r e les bui ssons, on aper \u00e7ut, \ns\u2019approchant en effet, la s ilhouette ind\u00e9cise d\u2019abord et \nblanche de Lebrac, son petit ba luchon \u00e0 la main, puis se \ndistingu\u00e8rent les traits de sa face contract\u00e9e de col\u00e8re. \n\u2013 Ben mon vieux ! ben ma vieille ! \nCe fut tout ce que put dire Camus, qui, les larmes \naux yeux et l es dents serr \u00e9es, brandit un poing \nmena\u00e7ant dans la direction de Velrans. \nEt Lebrac fut entour\u00e9. \nTout es les ficelles et toutes les \u00e9pingles de la bande \nfurent r\u00e9quisitionn\u00e9es afin de lui refaire une tenue tant \nqu\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s pr\u00e9sentable pour rentrer au village. \u00c0 un \nsoulier, on mit de la ficelle de fouet, \u00e0 l\u2019autre de la \nficelle de pain de sucre pr ise \u00e0 une garde d\u2019 \u00e9p\u00e9e ; des \nmorceaux de tresse serr\u00e8ren t les bas aux jarrets ; on \ntrouva une \u00e9pingle de no urrice pour rejoindre et \nmaintenir les deux ouvertu res du pantalon ; Camus \nm\u00eame, i vre de s acrifice, voulait d\u00e9fai re sa fronde \u00e0 \n\u00ab lastique \u00bb pour en fabriq uer une cei nture \u00e0 son chef, \nmais l\u2019autre noblement s\u2019 y opposa ; quelques \u00e9pines \n 80bouch\u00e8r ent les plus gr os trous . La bl ouse, ma f oi, \npendait bien un peu en arri\u00e8re ; la chemise \nirr\u00e9m\u00e9diablement b\u00e2illait \u00e0 la cotisse1 et la manche \nd\u00e9chir\u00e9e dont manquait le mo rceau \u00e9tait un i rr\u00e9cusabl e \nt\u00e9moin de la lutte terrible qu \u2019avait soutenue le guerrier. \nQuand il fut tant bien que mal regaup\u00e92, jetant sur \nson accoutr ement un coup d\u2019 oeil m\u00e9l ancoli que et \n\u00e9valuant en lui-m\u00eame la qu antit\u00e9 de coups de pied au \ncul que lui vaudrait cette tenu e, il r\u00e9 suma ses \nappr\u00e9hensions en une phrase lapidaire qui fit fr\u00e9mir \njusqu\u2019au coeur toutes les fibres de ses soldats : \n\u2013 Bon Dieu ! ce que je vais \u00eatre ceris\u00e93 en rentrant ! \nUn silence morne accuei llit cette pr\u00e9vision. Le \ngroupe \u00e9videmment ne voyait pas d\u2019 objections \u00e0 f aire \net, dans la nuit qui tombait, ce fut la sabot \u00e9e lamentabl e \net silencieuse vers le village. \nQue dif f\u00e9rente f ut cett e rentr\u00e9e de celle du lundi ! La \nnuit mor ne et pesante al ourdissait leur tristesse ; pas \nune \u00e9t oile ne se l evait dans les nuages, qui , tout \u00e0 coup, \navaient envahi l e ciel ; les murs gris qui bordaient le \nchemin avaient l\u2019air d\u2019escorter en silence leur d\u00e9sastre ; \n \n1 Cotisse : co l. \n2 Regaup\u00e9 : rajust\u00e9. \n3 Ceris\u00e9 signifie apparemm ent secou\u00e9 , comme le serait un cerisier et \nm\u00eame plus. \n 81les br anches des buis sons pendaient en saule pleureur, \net eux marchaient , tra\u00ee naient les pi eds comme si l eurs \nsemelles eussent \u00e9t\u00e9 appesant ies de toute la d\u00e9tresse \nhumaine et de tout e la m\u00e9lancolie de l\u2019automne. \nPas un ne parlait pour ne point aggraver les \npr\u00e9occupations douloureuses du chef vaincu, et, pour \naugmenter encore leur peine, leur parvenait dans le vent \ndu sud-ouest le chant de vict oire des Vel rans gl orieux \nqui rentr aient dans leurs foyers : \n \nJe suis chr\u00e9tien, voil\u00e0 ma gloire, \nMon esp\u00e9rance et mon soutien... \n \nCar on \u00e9tait cal otin \u00e0 Vel rans et r ouge \u00e0 \nLongeverne. \nAu Gros Tilleul, on s\u2019arr\u00eata comme de coutume, et \nLebrac rompit le silence : \n\u2013 On se retrouvera demain ma tin, pr \u00e8s du lavoir, au \nsecond coup de la messe, fit-il d\u2019 une voi x qu\u2019il voul ait \nrendr e ferme, mai s o\u00f9 per \u00e7ait tout de m\u00eame, dans une \nsorte de chevrotement, l\u2019ango isse d\u2019un avenir trouble, \ntr\u00e8s incertain, ou plut\u00f4t trop certain. \n\u2013 Oui, r\u00e9pondit-on si mplement, et Camus l e lapi d\u00e9 \nvint lui serrer les mains en silence, pendant que la petite \n 82troupe, tr\u00e8s vite, s\u2019\u00e9grena it par les sentiers et les \nchemins qui conduisaient chacun \u00e0 son domicile \nrespectif. \nQuand L ebrac ar riva \u00e0 la maison de son p\u00e8re, pr\u00e8s \nde la fontaine du haut, il v it la lampe \u00e0 p\u00e9trole allum\u00e9e \ndans la chambre du po\u00eale et , par un entreb\u00e2illement de \nrideaux, il remarqua que sa fa mille \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 en train de \nsouper. \nIl en fr\u00e9mit. Cette co nstatation coupait net ses \nderni\u00e8res chances de ne pas \u00eatre vu en la tenue pl ut\u00f4t \nd\u00e9braill\u00e9e dans laquelle il se trouvait par le plus fatal \ndes destins. \nMais il r\u00e9fl\u00e9chit que, un peu plus t\u00f4t ou un peu plus \ntard, il fallait tout de m\u00eame y passer, et, r\u00e9solu \u00e0 tout \nrecevoir, sto\u00efquement, il leva le loquet de la cuisine, \ntraver sa la pi\u00e8ce et poussa l a porte du po\u00eal e. \nLe p\u00e8re de L ebrac tenait d\u2019 autant plus \u00e0 \n\u00ab l\u2019estruction \u00bb1 qu\u2019il en \u00e9tait lui-m\u00ea me et totalement \nd\u00e9pourvu ; aussi exigeait-il de son rejeton, d\u00e8s que \nrevenait la saison d\u2019\u00e9colage, une applicati on \u00e0 l\u2019\u00e9t ude \nqui vr aiment ne s e trouvait pas \u00eat re en rais on dir ecte des \naptitudes intellectue lles de l\u2019\u00e9l\u00e8ve Lebrac. Il venait de \ntemps \u00e0 autre conf\u00e9rer de ce sujet avec l e p\u00e8re Simon et \nlui recommandait avec insist ance de ne pas manquer \n \n1 Estruction : instruction. \n 83son garnement et de le ta nner chaque fois qu\u2019il le \njuger ait bon. C e ne s erait certes pas lui qui le \nsoutiendrait comme certains parents nouillottes \u00ab qui \nsavent pas y f aire pour le bi en de leurs enf ants \u00bb, et \nquand l e gars aurait \u00e9t \u00e9 puni en clas se, lui, le p\u00e8re, \nredoublerait la dose \u00e0 la maison. \nComme on le voit, le p\u00e8re de Lebrac avait en \np\u00e9dagogie des id\u00e9es bien arr\u00ea t\u00e9es et des principes tr \u00e8s \nnets, et il les appliquait, si non avec succ\u00e8s, du moins \navec conviction. \nIl avait justement , en ab reuvant les b\u00eates, pass\u00e9 ce \nsoir-l\u00e0 pr\u00e8s du ma\u00eetre d\u2019\u00e9c ole qui fumait sa pipe sous \nles arcades de la ma ison commune, pr\u00e8s de la fontaine \ndu milieu, et il s\u2019 \u00e9tait enqui s de la fa\u00e7on dont son fils s e \ncomport ait. \nIl avait natur ellement appri s que L ebrac jeune \u00e9t ait \nrest\u00e9 en retenue jusqu\u2019\u00e0 qua tre heures et demie, heure \u00e0 \nlaquelle il avait, sans bronche r, r\u00e9cit\u00e9 la le\u00e7on qu\u2019il \nn\u2019avait pas sue le matin, ce qui prouvait bien que, \nquand il voul ait... n\u2019 est-ce pas... \n\u2013 Le rossard ! s\u2019\u00e9tait excl am\u00e9 le p\u00e8re. Savez-vous \nbien qu\u2019 il n\u2019emporte j amais un li vre \u00e0 l a mais on ? \nFoutez-lui donc des devoirs, des lignes, des verbes, ce \nque vous voudrez ! mais n\u2019 ayez crainte, j\u2019vas le soigner \nce soir, moi ! \n 84C\u2019\u00e9tait dans cette m\u00eame di sposition d\u2019esprit qu\u2019il se \ntrouvait, quand son fils franch it le seuil de la chambre. \nChacun \u00e9tait \u00e0 sa place et av ait d\u00e9j\u00e0 mang\u00e9 sa soupe. \nLe p\u00e8re, sa casquette sur la t\u00eate, le c outeau \u00e0 la ma in, \ns\u2019appr\u00eatait \u00e0 disposer sur un ados de choux les tranches \nde lard fum\u00e9 coup\u00e9e s en morceaux plus ou moins gros \nsuivant la taille et l\u2019estomac de leur destinataire, quand \nla porte grin\u00e7a et que son fils apparut. \n\u2013 Ah ! te voil\u00e0, tout de m\u00eame ! fit-il d\u2019un petit air \nmi-sec, mi-narquois qui n\u2019 annon\u00e7ait rien de bon. \nLebrac jugea prudent de ne pas r \u00e9pondre et gagna sa \nplace au bas de la table, ig norant d\u2019aill eurs tout des \nintentions paternelles. \n\u2013 Mange ta soupe, grogna la m\u00e8re, ell e est d\u00e9j \u00e0 toute \n\u00ab r\u00e9froidiete \u00bb ! \n\u2013 Et boutonne donc ton blouso n, fit le p\u00e8re, tu m\u2019as \nl\u2019air d\u2019un marchand de cabes1. \nLebrac ramena d\u2019un geste aussi \u00e9nergique qu\u2019inutile \nsa bl ouse qui pendait dans son dos, mais n\u2019agrafa rien, \net pour cause. \n\u2013 Je te dis d\u2019 agrafer ta blouse, r \u00e9p\u00e9ta le p\u00e8re. Et \nd\u2019abord, d\u2019 o\u00f9 vi ens-tu comme \u00e7a ? Tu s ors pas de \nclasse peut-\u00eat re, \u00e0 ces heur es-ci ? \n \n1 Cabe : bique, ch\u00e8vre. \n 85\u2013 J\u2019ai perdu mon crochet de bl ouson, marmott a \nLebrac, \u00e9vitant une r\u00e9ponse directe. \n\u2013 Las-moi ! Mon doux J\u00e9sus ! s\u2019exclama la m\u00e8re, \nquels gouillands1 que ces cochons-l\u00e0 ! \u00e7a cas se tout, ils \nd\u00e9chirent tout , ils raval ent tout ! Qu\u2019 est-ce qu\u2019on veut \ndevenir avec eux ? \n\u2013 Et tes manches ? interrom pit de nouveau le p\u00e8re. \nT\u2019as perdu aussi l es boutons ? \n\u2013 Oui ! avoua Lebrac. \nApr\u00e8s cette nouvelle d\u00e9couverte , qui, avec la rentr\u00e9e \ntardive, d\u00e9celait une sit uation parti culi\u00e8re et anor male, \nun examen d\u00e9taill\u00e9 s\u2019imposait. \nLebrac se sentit de venir rouge jusqu\u2019\u00e0 la racine des \ncheveux. \n\u2013 Merde ! \u00e7a allait rien barder ! \n\u2013 Viens voir un peu ici au milieu ! \nEt le p\u00e8re, ayant lev\u00e9 l\u2019aba t-jour de la lampe, sous \nles quatre paires d\u2019yeux in quisiteurs de la famille, \nLebrac apparut dans toute l\u2019\u00e9tendue de son d\u00e9sastre, \naggrav\u00e9 encore par les r\u00e9 parations h\u00e2tives que des \nmains enthousiastes et bienve illantes certes, mais trop \nmalhabiles, avaient achev\u00e9 au lieu de le temp\u00e9rer. \n \n1 Gouilland : homm e de mauvaise vie, ivrogne et d\u00e9bauch\u00e9. \n 86\u2013 Ben, nom de Dieu ! ah salaud ! ah cochon ! ah \nvaurien ! ah rossard ! grognait le p\u00e8re apr\u00e8s chaque \nd\u00e9couverte. Pas un bouton \u00e0 so n tricot ni \u00e0 sa chemis e, \ndes \u00e9pi nes pour fermer sa braguette, une \u00e9pi ngle de \ns\u00fbret\u00e9 pour tenir son pa ntalon, des ficelles \u00e0 ses \nsouliers ! \n\u2013 Mais, d\u2019o\u00f9 sors-tu donc, nom de Dieu de saligaud, \ngronda L ebrac p\u00e8r e, dout ant que l ui, cal me ci toyen, e\u00fbt \npu procr\u00e9er un garnement pare il, tandis que la m\u00e8re se \nlamentait sur le travail con tinuel que ce polisson, ce \nboufr e de gr edin de co chon d\u2019enfant lui donnait \nquotidiennement. \n\u2013 Et tu t\u2019i magines que \u00e7a va dur er longtemps comme \n\u00e7a, peut- \u00eatre, r eprit le p\u00e8r e, que je vais d\u00e9penser des \nsous \u00e0 \u00e9l ever et \u00e0 nourri r un salopiot comme toi, qui ne \nfout rien, ni \u00e0 la mais on, ni en cl asse, ni ail leurs, m\u00eame \nque j\u2019 en ai parl \u00e9 ce s oir \u00e0 ton ma\u00eetr e d\u2019\u00e9cole ? \n\u2013 Ah ! je t\u2019en foutrai, band it ! Je vas te faire voir que \nles maisons de correction e lles sont pas faites pour les \nchiens. Ah ! rosse ! \n\u2013 !... \n\u2013 D\u2019abord, tu vas te passer de souper ! Mais vas-tu \nme r\u00e9pondre, nom de Dieu ! o\u00f9 t\u2019es-tu arrang\u00e9 comme \n\u00e7a ? \n\u2013 !... \n 87\u2013 Ah ! tu ne veux rien dire, crapul e, ah oui, \nvraiment ! eh bien, attends un peu, nom de Dieu, je \nveux bien te faire causer moi, va ! \nEt saisissant dans le fa got entam\u00e9 pr\u00e8s de la \nchemin\u00e9e un raim1 de coudr e souple et dur , arrachant la \nchemise, jetant bas la cu lotte, le p\u00e8re de L ebrac \nadministra \u00e0 son rejeton, qui se roulait, se tordait, \n\u00e9cumait, r\u00e2lait et hurlait, hurlait \u00e0 faire trembler les \nvitres, une de ces racl\u00e9es qu i compt ent dans la vie d\u2019 un \nm\u00f4me. \nPuis, sa justice ayant pass\u00e9, il ajout a d\u2019un ton sec et \nqui n\u2019admettait pas de r\u00e9plique : \n\u2013 Et file te coucher mainte nant, et vivement, hein ! \nnom de Dieu ! et que j\u2019en tende \u00ab qu\u00e9que chose \u00bb !... \nSur sa paill asse de tur quit2 et son matelas de \npaillette3, Lebrac s\u2019\u00e9tendit las intens\u00e9ment, les membres \nbris\u00e9s, le derri\u00e8re en sang, la t\u00eate bouillonnante ; il se \nretourna longtemps, m\u00e9dita longuement, longuement et \ns\u2019endormit su r son d\u00e9sastre. \n \n1 Forte baguette, m ot patois qui vient sans doute de ram eau. \n2 Paille de ma\u00efs. \n3 Balle d\u2019avoine. \n 88 \n \nPlan de campagne \n \n...dans le simple appareil \nD\u2019une beaut\u00e9 qu\u2019on vient d\u2019 arrach er au somm eil. \nRacine (Britannicus, acte II, sc. II). \n \nEn s\u2019 \u00e9veillant le l endemai n d\u2019un sommeil de plomb \nlourd comme la cuv\u00e9e d\u2019 une ivr esse, L ebrac s \u2019\u00e9tira \nlentement avec des sensati ons de meurtrissu re aux reins \net de vi de \u00e0 l\u2019 estomac. \nLe souvenir de ce qui s\u2019\u00e9t ait pass\u00e9 l ui revint \u00e0 \nl\u2019esprit, comme une bouff \u00e9e de chal eur vous monte \u00e0 l a \nt\u00eate, et le fit rougir. \nSes v\u00eatements, jet\u00e9s au pied du lit et ailleurs, \nn\u2019importe o\u00f9, n\u2019importe comm ent, attestaient par leur \nd\u00e9sor dre le troubl e pr ofond qui avait pr \u00e9sid\u00e9 au \nd\u00e9shabillage de leur propri\u00e9taire. \nLebrac songea que la col\u00e8re paternelle devait \u00eatre un \npeu \u00e9mouss\u00e9e par une nuit de sommeil ; il jugea de \nl\u2019heur e aux br uits de la mais on et de la rue ; les b\u00eates \nrentrai ent de l\u2019abr euvoir, s a m\u00e8re portait le \u00ab l\u00e9cher \u00bb \naux vaches. Il \u00e9tait temps qu \u2019il se lev\u00e2t et accompl\u00eet la \n 89besogne qui lui \u00e9tait d\u00e9volue chaque dimanche matin, \nsavoir : d\u00e9crotter et astiquer le s cinq pair es de souli ers \nde la famille, emplir de bois la caisse et d\u2019eau les \narrosoirs, s\u2019il ne voulait pas encourir de nouveau les \nrigueurs de la correction familiale. \nIl sauta du lit et mit sa cas quette ; puis il porta les \nmains \u00e0 son derri\u00e8re qui \u00e9ta it chaud et douloureux, et, \nn\u2019ayant pas de glace pour y mir er ce qu\u2019il voul ait, \ntourna autant qu\u2019il put la t\u00eate sur les \u00e9paules et reg arda : \nC\u2019\u00e9tait rouge avec des r aies viol ettes ! \n\u00c9taient-ce les coups de ve rge de Migue la Lune ou \nles marques de la trique du p\u00e8re ? Tous les deux sans \ndoute. \nUn nouvelle rougeur de honte ou de rage lui \nempourpra le front : \nSalauds de Velrans, ils lui paieraient \u00e7a ! \nImm\u00e9diatement il enfila ses ba s et se mit en qu\u00eat e de \nson vieux pantalon, celui qu\u2019 il devait porter chaque fois \nqu\u2019il avait \u00e0 accomplir une be sogne au cours de laquelle \nil risquait de salir et de d\u00e9t \u00e9riorer s es \u00ab bons habits \u00bb. \nC\u2019\u00e9tait, ficht re ! bien le cas ! Mais l\u2019ironie de sa \nsituation lui \u00e9chappa et il descendit \u00e0 la cuisine. \nIl commen\u00e7a par mettre \u00e0 profit l\u2019absence de sa \nm\u00e8re pour chi per dans l e dressoir un gr os qui gnon de \npain qu\u2019i l cacha dans s a poche et dont il arrachait de \n 90temps \u00e0 autr e, \u00e0 pleines dent s, une \u00e9norme bouch\u00e9e qui \nlui distendait les m\u00e2choires, puis il se mit \u00e0 manier les \nbrosses avec ardeur et comme si rien de particulier ne \ns\u2019\u00e9tait pass\u00e9 la veille. \nSon p\u00e8r e, raccr ochant s on fouet au crochet de fer du \npilier de pierre qui s\u2019\u00e9levait au milieu de la cuisine, lui \njeta en passant un coup d\u2019oeil rapide et s \u00e9v\u00e8re, mais ne \ndesserra pas les dents. \nSa m\u00e8re, quand il eut fini sa t\u00e2che et ap r\u00e8s qu\u2019il eu t \nd\u00e9jeun\u00e9 d\u2019 un bol de s oupe, veill a \u00e0 s on \u00e9chenill age \ndomi nical... \nIl faut dire que Lebrac, de m\u00eame que la plupart de \nses camarades, La Crique e xcept\u00e9, n\u2019avait avec l\u2019eau \nque des relations plut\u00f4t loin taines, extra-familiales, si \nl\u2019on peut dire, et qu\u2019il la craignait autant que Mitis, le \nchat de la maison. Il ne l\u2019 appr\u00e9ciait vraiment, en eff et, \nque dans les rigol es de l a rue o\u00f9 il aimait \u00e0 pat auger et \ncomme force motrice faisant tourner de petits moulins \u00e0 \naubes de sa construction, avec un axe en sureau et des \npalettes en coudre. \nAussi en semaine, malgr\u00e9 les co l\u00e8res du p\u00e8re Simon , \nne se lavait-il jamais, sauf les mains, qu\u2019il fallait \npr\u00e9sent er \u00e0 l\u2019ins pection de propr et\u00e9 et encor e, le plus \nsouvent, se servait-il de sa ble en guis e de savon. Le \ndimanche il y passait en rech ignant. Sa m\u00e8re, arm\u00e9e \nd\u2019un rude tor chon de grosse t oile bise pr \u00e9alablement \n 91mouill\u00e9 et savonn\u00e9, lui r\u00e2pait vigoureusement la face, le \ncou. et les plis des oreilles, et quant au fond d\u2019icelles, il \n\u00e9tait cur\u00e9 non moins \u00e9nergi quement avec le coin du \nlinge mouill\u00e9 tortill\u00e9 en fo rme de vrille. Ce jour-l\u00e0, \nLebrac s\u2019abstint de brailler et, quand on l\u2019eut nanti de \nses v\u00eatements du dimanche , on lui permit, lorsque \nsonna le second coup de la messe, de se rendre sur la \nplace en lui faisant toutefois remarquer, avec une ironie \ntotalement d\u00e9pourvue d\u2019\u00e9l\u00e9 gance, qu\u2019il n\u2019avait qu\u2019\u00e0 \nrecommencer comme la veille ! \nToute l\u2019arm\u00e9e de Longevern e \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 l\u00e0, p\u00e9rorant \net jacassant, rem\u00e2chant la d\u00e9faite et attendant \nanxieusement l e g\u00e9n\u00e9r al. \nIl entra simplement dans le gros de la bande, \nl\u00e9g\u00e8rement \u00e9mu tout efois de tous ces yeux brillants qui \nl\u2019interrogeaient muettement. \n\u2013 Ben oui ! fit-il, j\u2019ai re\u00e7u la dans e. Et puis quoi ! on \nn\u2019en cr\u00e8ve pas, \u00ab pisque \u00bb me voil\u00e0 ! \nN\u2019emp\u00eache que nous leur z-y devons qu\u00e9que chose \net qu\u2019ils le paieront. \nCette fa\u00e7on de parler , qui semblerait au premier \nabord, et pour quelqu\u2019un de non initi\u00e9, d\u00e9pourvue de \nlogique, fut pourtant admise par tous et du premier \ncoup, car Lebrac fut appuy\u00e9 dans son opinion par \nd\u2019unanimes approbations. \n 92\u2013 \u00c7a ne peut all er comme \u00e7a ! continua-t-i l. Non, \nfaut absolument trouver qu\u00e9que chose. J\u2019veux plus me \nfaire taugner1 \u00e0 la cambuse, \u00ab passe que \u00bb d\u2019 abord on ne \nme laisserait plus sortir et puis, il faut leur faire payer la \ntourn\u00e9e d\u2019hier. \n\u2013 Faudra y penser pendant la messe et on en \nrecausera ce soir. \n\u00c0 ce moment pass\u00e8rent les petites filles qui, en \nbande, se rendaient, elles au ssi, \u00e0 l\u2019 office. En travers ant \nla pl ace, elles r egard\u00e8r ent curieusement Lebr ac \u00ab pour \nvoir la gueule qu\u2019il faisait \u00bb, car ell es \u00e9taient au courant \nde la grande guerre et savaient d\u00e9j\u00e0 toutes, par leur fr\u00e8re \nou leur cousin, que, la veille , le g\u00e9n\u00e9ral, malgr\u00e9 une \nr\u00e9sistance h\u00e9ro\u00efque, avait su bi le sort des vaincus et \n\u00e9tait rentr\u00e9 chez soi d\u00e9p ouill\u00e9 et en piteux \u00e9tat. \nSous l es multi ples feux de tous ces regar ds, Lebrac, \nbien qu\u2019il f\u00fbt loin d\u2019\u00eatre timide, rougit jusqu\u2019au bout \ndes or eilles ; son or gueil de m\u00e2le et de chef s ouffrait \nhorriblement de sa d\u00e9faite et de cett e sorte de \nd\u00e9ch\u00e9ance passag\u00e8re, et ce fu t bien pis encore quand sa \nbonne amie, la soeur de Tin tin, lui jeta au passage un \nregar d de tendr esse aux abois, un regard d\u00e9sol\u00e9, inquiet, \nhumi de et tendr e qui dis ait \u00e9loquemment toute la part \nqu\u2019elle prenait \u00e0 son malheu r et tout l\u2019amour qu\u2019 elle \n \n1 Taugner : rosser. \n 93gardait envers et malgr\u00e9 tout pour l\u2019\u00e9lu de son coeur. \nMalgr\u00e9 ces marques non \u00e9 quivoques de sympathie, \nLebrac n\u2019y tint pas ; il voulu t \u00e0 tout prix se justifier \ncompl\u00e8t ement aux yeux de s on amie ; et, l\u00e2chant sa \nbande, il entra\u00eena Tintin \u00e0 pa rt et entre quatre-z-yeux lui \ndemanda : \n\u2013 Y as-tu au moins tout bi en racont\u00e9 \u00e0 t a soeur ? \n\u2013 Pour s\u00fbr affirma l\u2019autre : elle pleurait de rage, elle \ndisait que \u00ab si elle aurait tenu le Migue la Lune elle y \naurait crev\u00e9 les oeils \u00bb. \n\u2013 Y as-t u dit que c\u2019\u00e9t ait pour d\u00e9livr er Camus et que \nsi vous aviez \u00e9t \u00e9 plus l estes, ils ne m\u2019auraient pas chop\u00e9 \ncomme \u00e7a ? \n\u2013 Mais oui que j\u2019y ai dit ! J\u2019y ai m\u00eame dit que, tout \nle temps qu\u2019ils te saboulaien t, t\u2019avais pas pleur\u00e9 une \ngoutte et puis que pour finir tu leur z\u2019y avais montr \u00e9 ton \ncul. Ah ! ce qu\u2019 elle m\u2019 \u00e9coutait, mon vi eux. C\u2019est pas \npour dir e, tu s ais, mais ell e te gobe, not\u2019 Marie ! Elle \nm\u2019a m\u00eame dit de t\u2019 embr asser, mais ent re nous, tu \ncomprends, entr e hommes , \u00e7a ne s e fait pas, \u00e7a a l\u2019 air \nb\u00eate ; n\u2019emp\u00eache que le c oeur y est ; mon vieux, les \nfemmes, quand \u00e7a aime... E lle m\u2019a aussi dit qu\u2019une \nautre fois, quand elle aurait le temps, elle t\u00e2cherait de \nvenir par derri \u00e8re pour , des fois que si tu \u00e9t ais repri s, tu \ncomprends, elle te recoudrait des boutons. \n 94\u2013 J\u2019y ser ai pas repris, n.. d. D... ! non, j\u2019y ser ai pas , \nfit Lebrac, \u00e9mu tout de m\u00eame. \nMais quand j e \u00ab r\u2019irai \u00bb \u00e0 la foir e de Ver cel \u00ab dis-y \u00bb \nque je lui rapporterai un pa in d\u2019\u00e9pices, pas un petit \nguiguillon de rien du tout, mais un gros, tu sais, un de \nsix sous avec une double devis e ! \n\u2013 Ce qu\u2019elle va \u00eatre cont ente, la Marie, mon vieux, \nquand j\u2019 y dir ai, reprit Tint in, qui songeait avec \u00e9motion \nque s a soeur part ageait toujours avec l ui r\u00e9guli \u00e8rement \nses desserts. Il ajouta m\u00eame, se trahissant dans un \u00e9lan \nde g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 : \n\u2013 On t \u00e2chera de l e bouff er tous l es trois ens emble. \n\u2013 Mais, c\u2019est pas pour t oi que j e l\u2019ach\u00e8ter ai, ni pour \nmoi, c\u2019est pour elle ! \n\u2013 Oui, j e sais bien, oui ! mais t u comprends, des \nfois, une id\u00e9e qu\u2019elle au rait de faire comme \u00e7a ! \n\u2013 Tout de m\u00eame, convint Lebrac pensif, et ils \nentr\u00e8rent avec l es autr es \u00e0 l\u2019\u00e9glise, les cloches sonnant \u00e0 \ntoute vol \u00e9e. \nQuand ils se furent cas\u00e9s, chacun \u00e0 son post e \nrespectif, c\u2019 est-\u00e0-dire aux places que le s convenances, \nla vigueur personnelle, la so lidit\u00e9 du poing leur avaient \nfait s\u2019attribuer peu \u00e0 peu apr\u00e8s des d\u00e9bats plus ou moins \nlongs (les meilleures \u00e9tant r\u00e9 put\u00e9es les plus proches des \nbancs des petites filles), ils tir\u00e8rent de leurs poches qui \n 95un chapelet, qui un li vre de mes se, voir e une image \npieuse pour avoir \u00ab l\u2019 air plus convenable \u00bb . \nLebrac, comme l es autr es, extirpa du fond de s a \npoche de vest e un vieux par oissien au cuir us\u00e9 et aux \nlettres \u00e9normes, h\u00e9ritage d\u2019 une gr and-t ante \u00e0 la vue \nfaible, et l\u2019ouvrit n\u2019import e o\u00f9, hist oire d\u2019 avoir lui auss i \nune cont enance \u00e0 peu pr \u00e8s exempt e de repr oches. \nPeu curieux des oraisons, il tourna son livre \u00e0 \nl\u2019envers et, tout en fixant , sans l es voir, l es immens es \ncaract\u00e8res d\u2019une messe de ma riage en latin, de laquelle \nil se fichait pas mal, il r\u00e9fl\u00e9chit \u00e0 ce qu\u2019il proposerait le \nsoir \u00e0 s es sol dats, car il s e dout ait bien que ces s acr\u00e9s \nasticots-l \u00e0 ne trouver aient comme d\u2019 habit ude rien du \ntout, du tout, et se reposera ient encore sur lui du soin de \nd\u00e9cider ce qu\u2019il faudrait fair e pour rem\u00e9dier au danger \nterrible dont ils \u00e9t aient t ous pl us ou moi ns menac\u00e9s . \nTintin dut le pousser pour le faire agenouiller, lever \net ass eoir aux moments d\u00e9sign\u00e9s par le rituel et il jugea \nde la terrible contention d\u2019esprit de son chef \u00e0 ce que \ncelui-ci ne jeta pas une seul e fois les yeux sur les \ngamines, qui, elles, de temp s en temps, le re luquaient \npour voir \u00ab quelle gueule qu\u2019on f ait \u00bb quand on a r e\u00e7u \nune bonne vol\u00e9e. \nDes divers moyens qui s\u2019 offrirent \u00e0 son esprit, \nLebrac, partisan des soluti ons radicales, n\u2019en retint \nqu\u2019un, et le soir, apr\u00e8s v\u00ea pres, quand le conseil g\u00e9n\u00e9ral \n 96des guer riers de Longever ne fut r\u00e9uni \u00e0 la car ri\u00e8re \u00e0 \nPepiot, i l le pr oposa car r\u00e9ment, froidement et sans \ntergiversations. \n\u2013 Pour ne pas se faire es quinter ses habits, il n\u2019y a \nqu\u2019un moyen s\u00fbr, c\u2019est de n\u2019en pas avoir. Je propose \ndonc qu\u2019 on se batte \u00e0 poil !... \n\u2013 Tout nus ! se r\u00e9cri\u00e8rent bon nombre de camarades, \nsurpris, \u00e9tonn\u00e9s et m\u00eame un peu effray\u00e9s de ce proc\u00e9d\u00e9 \nviolent qui choquait peut-\u00eatre aussi leurs sentiments de \npudeur. \n\u2013 Parfait ement, r eprit Lebr ac. Si vous avi ez re\u00e7u l a \ndanse, vous n\u2019 h\u00e9siteriez pas \u00e0 dir e comme moi . \nEt par le menu, sans d\u00e9sir d\u2019 \u00e9pater la galerie, pour la \nconvaincre seulement, Lebr ac narra les souffrances \nphysi ques et mor ales de s a captivit\u00e9 au bord du bois et \nla rentr\u00e9e cuisan te \u00e0 la maison. \n\u2013 Tout de m\u00eame, obj ecta Boul ot, s\u2019il venait \u00e0 passer \ndu monde, si un mendiant vena it \u00e0 rouler par l\u00e0 et qu\u2019il \nnous ratiboise nos frusques, si B\u00e9douin nous retombait \ndessus ! \n\u2013 D\u2019abord, reprit Lebrac, le s habits on les cachera, \net puis au besoin on mettra qu elqu\u2019un pour les gar der ! \nS\u2019il passe des gens et que \u00e7a les g\u00eane, ils n\u2019auront \nqu\u2019\u00e0 ne pas r egarder et, pour ce qui est du p\u00e8re \nB\u00e9douin, on l\u2019emm... ! vous avez bien vu comme j\u2019ai \n 97fait hier au soir. \n\u2013 Oui, mais... fit Boul ot, qui , d\u00e9ci d\u00e9ment, n\u2019 avait \npas du tout l\u2019 air de t enir \u00e0 se montrer dans le simple \nappareil ... \n\u2013 C\u2019est bon ! coupa Camus, clouant son adversaire \npar un ar gument p\u00e9remptoi re, toi ! on sait bien pourquoi \ntu n\u2019 oses pas te mettre t out nu. C\u2019 est \u00ab passe que \u00bb t\u2019as \npeur qu\u2019on voie la tache de vin que tu as au derri\u00e8re et \nqu\u2019on se foute de ta fi ole. T\u2019as tort, Boul ot ! Ben quoi. \nla bell e affair e ! une tache au cul, c\u2019 est pas \u00eat re estr opi\u00e9 \n\u00e7a, et il n\u2019y a pas \u00e0 en avoir honte ; c\u2019est ta m\u00e8re qu\u2019a \neu une envi e quand elle \u00e9tait gross e : elle a eu id\u00e9e de \nboire du vi n et \u00ab aile \u00bb s\u2019est gratt\u00e9 l e derri\u00e8r e \u00e0 ce \nmoment- l\u00e0. C\u2019 est comme \u00e7a que \u00e7a arri ve. Et \u00e7a, \u00e7a \nn\u2019est pas une mauvais e envie. \nLes femmes grosses , y en a qu\u2019ont t outes sortes \nd\u2019id\u00e9es et des bien plus d\u00e9go\u00fbtantes, mes vieux ; moi \nj\u2019ai entendu la bonne femme1 de R ocfontai ne qui dis ait \n\u00e0 la m\u00e8r e que y en avait qui voul aient manger de la \nmerde dans ces moments-l \u00e0 ! \n\u2013 De l a merde ! \n\u2013 Oui ! \n\u2013 Oh !... \n \n1 Sage-femme. \n 98\u2013 Oui, mes vieux, parfaite ment, de la merde de \nsoldat m\u00eame et t outes sortes d\u2019 autres saloperies que l es \nchiens m\u00eame ne voudraient pas ren ifler de loin. \n\u2013 Elles sont donc folles \u00e0 ce moment-l\u00e0 ? s\u2019exclama \nT\u00e9tard. \n\u2013 Elles le sont pendant , avant et apr\u00e8s, \u00e0 ce qui \npara\u00eet. \n\u2013 Toujours est-il que c\u2019 est mon p\u00e8r e qui dit comme \n\u00e7a, et pour quant \u00e0 y croire, j\u2019y crois, on ne peut rien \nfaire sans qu\u2019elles ne gueule nt comme des poules qu\u2019on \nplumerait tout vif et pour de s choses de rien elles vous \nfoutent des mornifles. \n\u2013 Oui, c\u2019est vrai, les fe mmes c\u2019est de la sale \nengeance ! \n\u2013 C\u2019est-y entendu, oui ou non, qu\u2019on se battra \u00e0 \npoil ? r\u00e9p\u00e9ta Lebr ac. \n\u2013 Il faut vot er, exigea B oulot, qui, d\u00e9ci d\u00e9ment, ne \ntenait pas \u00e0 exhiber la tache de vi n dont l\u2019 envie \nmaternelle avait d\u00e9cor\u00e9 son post\u00e8r e. \n\u2013 Que t\u2019 es b\u00eate ! mon vieux, fit Ti ntin, puis qu\u2019on te \ndit qu\u2019 on s\u2019en fout ! \n\u2013 Je ne dis pas, vous autres , mais... les Velrans, si... \nils la voyai ent... eh bi en ! eh bi en !... \u00e7a m\u2019emb\u00eaterait, \nna ! \n 99\u2013 Voyons, intervint La Crique, essayant d\u2019arranger \nles chos es, une suppositi on que B oulot gar derait l e saint \nfrusquin et que nous autres on s e battrait ? hei n ! \n\u2013 Non, non ! opin\u00e8r ent cert ains guerri ers qui, \nintrigu\u00e9s par les r\u00e9v\u00e9lations de C amus et curieux de \nl\u2019anat omie de l eur camar ade, voul aient, de visu, se \nrendr e compt e de ce que c\u2019 est qu\u2019 une envi e et tenaient \nabsol ument \u00e0 ce que Boulot se d\u00e9shabill\u00e2t comme tout \nle monde. \n\u2013 Montre-leur z\u2019 y, va, Boul ot ! \u00e0 ces idiots-l \u00e0, reprit \nLa Cri que : ils s ont pl us b\u00eates que mes pi eds, on dir ait \nqu\u2019ils n\u2019 ont jamais rien vu, pas m\u00eame une vache qui \nv\u00eale ou une cabe qu \u2019on m\u00e8ne au bouc. \nBoul ot comprit, fut h\u00e9ro\u00efque et se r\u00e9s igna. Il \nd\u00e9bout onna ses br etelles, laiss a tomber sa cul otte, \ntrouss a sa chemis e et montra \u00e0 t ous les guerrier s de \nLongeverne, plus ou moins int\u00e9ress\u00e9s, \u00ab l\u2019envie \u00bb qui \nornait la face post\u00e9rieure de son individu. Et sit\u00f4t qu\u2019il \neut fait, la motion de Le brac, appuy\u00e9e par Camus, \nTintin, La Crique et Grangibus, fut adopt\u00e9e \u00e0 \n\u00ab l\u2019inanimit\u00e9 \u00bb, comme d\u2019habitude. \n\u2013 C\u2019est pas tout \u00e7a, mai ntenant, reprit Lebr ac : il \nfaut savoir o\u00f9 l\u2019on se d\u00e9shab illera et ousqu\u2019on cachera \nles habits. Si, des fois, Boulot voyait s\u2019amener \nquelqu\u2019un comme le p\u00e8re Si mon ou l e cur\u00e9, vaudr ait \ntout de m\u00eame mieux qu\u2019i ls ne nous voi ent pas \u00e0 poil, \n 100sans quoi on pourrait bien tous prendre quelque chose \nen rentr ant chez s oi. \n\u2013 Je sais, moi, d\u00e9cl ara Camus . Et l\u2019 \u00e9claireur \nvolontaire conduisit la petite arm\u00e9e dans une sorte de \nvieille carri\u00e8re entour\u00e9e de taillis, abrit\u00e9e de tous les \nc\u00f4t\u00e9s, et d\u2019 o\u00f9 l\u2019 on pouvai t facilement , par une es p\u00e8ce \nde sous-bois, arriver derri \u00e8re le retranchement du Gros \nBuisson, c\u2019est-\u00e0-dire au champ de bataille. \nD\u00e8s qu\u2019arriv\u00e9 s ils se r\u00e9cri\u00e8rent : \n\u2013 Chicard ! \n\u2013 Chouette ! \n\u2013 Merde ! c\u2019 est \u00e9patant ! \nC\u2019\u00e9tait tr\u00e8s bi en, en ef fet. Et il fut conclu illico que \nle lendemai n, apr\u00e8s avoir d\u00e9p\u00each\u00e9 en \u00e9cl aireurs Camus \navec deux autres bons gaillard s qui prot\u00e9geraient le gros \nde l\u2019arm\u00e9e, on vi endrait s\u2019 install er l\u00e0 pour s e mettr e, si \nl\u2019on peut dire, en tenue de campagne. \nEn s\u2019 en retournant, Lebr ac s\u2019approcha de Camus et \nconfidentiellement lui demanda : \n\u2013 Comment que t\u2019as pu f aire pour d\u00e9goter un si \nchouette coin pour se d\u00e9shabiller ? \n\u2013 Ah ! ah ! r\u00e9pondit Camus, regardant d\u2019un petit air \n\u00e9grillard son camarade et g\u00e9n\u00e9ral. \nEt passant sa langue sur ses l\u00e8vres et clignant de \n 101l\u2019oeil devant l\u2019interroga tion muette du chef : \n\u2013 Mon vi eux ! \u00e7a c\u2019est des af faires de femme ! Je te \nraconterai tout plus tard, qua nd nous ne serons rien que \nles deux. \n 102 \n \nNouvelles batailles \n \nPanurge soubdain leva en l\u2019air la main \ndextre, puys d\u2019icelle m ist le pouce dedans la \nnarine d\u2019ycellui cous t\u00e9, tenan t les quatr e \ndoigtz estenduz et serrez par leur ordre en \nligne parall\u00e8le \u00e0 la pene du nez, fer mant \nl\u2019oeil gauch e enti\u00e8rem ent, et guaignant du \ndextre avecques profonde d\u00e9pression de la \nsourcille et paulpi\u00e8re... \nRabelais (livre II, chap. XIX). \n \nLebrac arriva en classe le lundi matin \u00e0 huit heures \navec son pantalon raccommo d\u00e9 et une blouse \u00e0 deux \nmanches de coul eurs diff \u00e9rent es, ce qui lui donnait un \npeu l\u2019 air d\u2019un \u00ab carnaval \u00bb. \nSa m\u00e8re, en partant, l\u2019 avait s\u00e9v\u00e8rement pr\u00e9venu \nqu\u2019il e\u00fbt \u00e0 pr endre un soi n sp\u00e9cial de ses habits et que \nsi, le soir, on relevait dessus la pl us petit e tache de boue \nou la moindre d\u00e9chirure, il saurait de nouveau ce que \ncela lui co\u00fbterait. Aussi \u00e9tait-il un peu g\u00ean\u00e9 aux \nentournures et ass ez mal \u00e0 l\u2019aise dans ses mouvements, \nmais cela ne dura pas. \nTintin, d\u00e8s son entr\u00e9e dans la cour, lui transmit de \n 103nouveau, confidentiellement, les serments d\u2019\u00e9ternel \namour de sa soeur et les offre s plus terre \u00e0 terre, mais \nnon moi ns important es, de r\u00e9paration mobili \u00e8re des \nv\u00eatements le cas \u00e9ch\u00e9ant. \nCela leur prit une demi -minut e \u00e0 pei ne et ils \ngagn\u00e8rent imm\u00e9diatement le groupe pr incipal o\u00f9 \nGrangibus p\u00e9rorait avec vo lubilit\u00e9, expliquant pour la \nsepti\u00e8me fois comme quoi son fr\u00e8re et lui avaient failli, \nla veille au soir, tomber der echef dans l\u2019embuscade des \nVelrans, qui ne s\u2019en \u00e9tai ent pas tenus comme la \npremi\u00e8re fois \u00e0 des injures et \u00e0 des ca illoux lanc\u00e9s, mais \navaient bel et bi en voulu se s aisir de l eurs pr \u00e9cieuses \npersonnes et les immoler \u00e0 leur i nsatiable vengeance. \nHeur eusement l es Gibus n\u2019\u00e9taient pas l oin de la \nmaison ; ils avaient siffl\u00e9 Tu rc, leur gros chien danois, \nqui \u00e9tait justement l\u00e2ch\u00e9 ce jour-l\u00e0 (une veine !) et la \nvenue du mol osse qu\u2019ils avai ent \u00ab houkss \u00e9 \u00bb aussi t\u00f4t \ncontre leurs ennemis, ses grondements, ses mines de \ns\u2019\u00e9lancer, ses crocs montr\u00e9 s derri\u00e8re les babines rouges \navaient mis pr udemment en f uite la bande des Velr ans. \nEt d\u00e8s lors, disait Grangibus, ils avaient demand\u00e9 \u00e0 \nNarcisse d e d\u00e9tacher le chien tous les jours vers cinq \nheures et demie et de l\u2019envoyer \u00e0 l eur rencontr e pour \nqu\u2019il p\u00fbt, en cas de malheur, prot\u00e9ger leur rentr\u00e9e \u00e0 la \nmaison. \n\u2013 Les salauds ! gromme lait Lebrac. Ah ! les \n 104salauds ! ils nous le pa ieront, va ! et cher ! \nC\u2019\u00e9tait une belle journ\u00e9e d\u2019 automne : les nuages bas \nqui avai ent prot \u00e9g\u00e9 la t erre de la gel \u00e9e s\u2019\u00e9t aient \n\u00e9vanouis avec l\u2019aurore ; il fa isait ti\u00e8de : les brouillards \ndu ruisseau du Ver nois s emblaient se fondr e dans les \npremiers rayons du s oleil, et derri \u00e8re les buissons de la \nSaute, tout l\u00e0-bas, la lisi\u00e8re ennemie h\u00e9rissait dans la \nlumi\u00e8re les f\u00fbts jaunes et d\u00e9gar nis par endr oits de s es \nbaliveaux et de ses futaies. \nUn vr ai beau j our pour se battre. \n\u2013 Attendez un peu \u00e0 ce s oir, dis ait Lebrac, l e sourir e \naux l \u00e8vres. Un vent de joie pass ait s ur l\u2019arm\u00e9e de \nLongeverne. Les moineaux et les pinsons p\u00e9piaient et \nsifflaient sur les tas de fago ts et dans les pruniers des \nvergers ; comme les oiseaux, eux aussi, ils chantaient ; \nle soleil les \u00e9gayait, les re ndait confiants, oublieux et \nsereins. Les soucis de la ve ille et la racl\u00e9e du g\u00e9n\u00e9ral \n\u00e9taient d\u00e9j\u00e0 loin et on fit une \u00e9pique partie de saute-\nmout on jus qu\u2019\u00e0 l\u2019heure de l\u2019ent r\u00e9e en clas se. \nIl y eut, au coup de sifflet du p\u00e8re Simon, une \nv\u00e9ritable suspensi on de joi e, des pl is soucieux s ur les \nfronts, des marques d\u2019amertume aux l\u00e8vr es et du r egret \ndans les yeux. Ah ! la vi e !... \n\u2013 Sais-tu tes le\u00e7ons, Lebrac ? demanda \nconfidentiellement La Crique. \n 105\u2013 Heu oui... pas trop ! T\u00e2che de me s ouffler si tu \npeux, hein ! S\u2019agirait pas ce soir de se faire co ller \ncomme s amedi. J \u2019ai bien ap pris le syst\u00e8me m\u00e9trique, \nj\u2019sais tous les poids par coeu r : en font e, en cui vre, \u00e0 \ngodets et les petites lames par-dessus le march\u00e9, mais \nj\u2019sais pas ce qu\u2019il faut pou r \u00eatre \u00e9l ecteur . Comme mon \np\u00e8re a vu le p\u00e8r e Simon, je vais s \u00fbrement pas y couper \u00e0 \nune l e\u00e7on ou \u00e0 une autr e ! Pourvu que j\u2019y saute en \nsyst\u00e8me m\u00e9trique ! \nLe voeu de Lebrac fut exau c\u00e9, mais la chance qui le \nfavorisa faillit bien, par contre coup, \u00eatre fatale \u00e0 son \ncher Camus , et sans l\u2019i ntervention aussi habile que \ndiscr\u00e8t e de L a Crique, qui jo uait des l\u00e8vres et des mains \ncomme le plus path\u00e9tique de s mimes, \u00e7a y \u00e9tait bien, \nCamus \u00e9tait boucl \u00e9 pour le soir. \nLe pauvre gar\u00e7on qui, on s\u2019 en souvient, avait d\u00e9j\u00e0 \nfailli \u00e9coper les jours d\u2019avan t \u00e0 propos du \u00ab citoyen \u00bb, \nignorait encore et totaleme nt les conditions requises \npour \u00eatre \u00e9lecteur . \nIl sut tout de m\u00eame, gr \u00e2ce \u00e0 la mimi que de L a \nCrique brandissant sa dextre en fourchette, les quatre \ndoigts en l\u2019air et le pouce ca ch\u00e9, qu\u2019il y en avait quatre. \nPour l es d\u00e9terminer, ce fut beaucoup pl us dur . \nCamus, simu lant une amn\u00e9 sie momentan\u00e9e et partielle, \nle front pliss\u00e9, les doi gts \u00e9nerv\u00e9s, semblait \nprofond\u00e9ment r \u00e9fl\u00e9chir et ne perdait pas de vue La \n 106Crique, le sauveur, qui s\u2019ing\u00e9niait. \nD\u2019un coup d\u2019oeil expressif il d\u00e9signa \u00e0 son \ncamarade la carte de Fr ance par Vidal-Lablache \nappendue au mur ; mais Camus , peu au cour ant, se \nm\u00e9prit \u00e0 ce geste \u00e9quivoque et au lieu de dire qu\u2019il faut \n\u00eatre Fr an\u00e7ais , il r\u00e9pondit \u00e0 l\u2019ahuris sement g\u00e9n\u00e9ral qu\u2019 il \nfallait savoir \u00ab sa giogr afie \u00bb. \nLe p\u00e8re Simon lui demanda s\u2019il devenait fou ou s\u2019il \nse fichait du monde, tandis que La Crique, navr\u00e9 d\u2019\u00eatre \nsi mal compris, haussait imperceptiblement les \u00e9paules \nen tour nant la t\u00eat e. \nCamus se ressaisit. Une lueu r brilla en lui et il dit : \n\u2013 Il faut \u00eatre du pays ! \n\u2013 Quel pays ? hargna le ma\u00eetre, furieux d\u2019une \nr\u00e9pons e aussi i mpr\u00e9cise, de la Pruss e ou de l a Chine ? \n\u2013 De la France ! reprit l\u2019in terpell\u00e9 : \u00eatre Fran\u00e7ais ! \n\u2013 Ah ! t out de m\u00eame ! n ous y sommes ! Et apr\u00e8s ? \n\u2013 Apr\u00e8s ? et ses yeu x imploraient La Crique. \nCelui-ci saisit dans sa poche son cout eau, l\u2019ouvrit, \nfit semblant d\u2019 \u00e9gorger Boul ot, son vois in, et de l e \nd\u00e9valiser, puis il tourna la t\u00eate de droite \u00e0 gauche et de \ngauche \u00e0 droite. \nCamus saisit qu\u2019il ne falla it pas avoir tu\u00e9 ni vol\u00e9 ; il \nle procl ama i nconti nent et l es autr es, par l\u2019 organe \n 107autoris\u00e9 de La Crique, auquel ils m\u00eal\u00e8rent leurs voix, \ng\u00e9n\u00e9ralis\u00e8rent la r\u00e9 ponse en disant qu\u2019il fallait jouir de \nses droits civils. \nCela n\u2019allait fichtre pas si mal et Camus respirait. \nPour la troisi\u00e8me condition, La Crique fut tr\u00e8s \nexpressif : il porta la main \u00e0 son menton pour y caresser \nune abs ente bar biche, ef fila d\u2019invisibl es et longues \nmoustaches, porta m\u00eame ailleurs ses mains pour \nindiquer aussi la pr \u00e9sence en cet endroit discret d\u2019un \nsyst\u00e8me pileux particulier, puis, te l Panurge faisant \nquinaud l\u2019Angloys qui arguoit par signe, il leva \nsimultan\u00e9ment en l\u2019air et d eux fois de suite ses deux \nmains, tous doigts \u00e9cart\u00e9s, puis le seul pouce de la \ndextr e, ce qui \u00e9vi demment signifi ait vingt et un. Puis il \ntoussa en f aisant han ! et Camus, vict orieux, s ortit la \ntroisi\u00e8me condition : \n\u2013 Avoir vingt et un ans. \n\u2013 \u00c0 la quatri\u00e8me ! maintenant , fit le p\u00e8re Si mon, t el \nun patr on de jeu de tour niquet, le soir de la f\u00eate \npatronale. \nLes yeux de C amus fix\u00e8rent L a Crique, puis le \nplafond, puis le tableau, pu is de nouveau La Crique ; \nses sourcils se fronc\u00e8rent comme si sa vol ont\u00e9 \nimpuissante brassait les eaux de sa m\u00e9moi re. \nLa Crique, un cahier \u00e0 la main, tra\u00e7ait de son index \n 108d\u2019invisi bles lettres sur l a couvert ure. \nQu\u2019est-ce que \u00e7a pouvait bien voul oir dir e ? Non, \u00e7a \nne dis ait rien \u00e0 Camus ; alors le souffleur fron\u00e7a le nez, \nouvrit la bouche en s errant le s dents, la langue sur les \nl\u00e8vres, et une syllabe parvin t aux oreilles du naufrag\u00e9 : \n\u2013 Iste ! \nIl ne pigeait pas davantage et tendait de plus en plus \nle cou du c\u00f4t\u00e9 de La Crique , tant et tant que le p\u00e8re \nSimon, intrigu\u00e9 de cet air idiot que prena it l\u2019interrog\u00e9, \nfixant obstin\u00e9ment le m\u00eame po int de la salle, eut l\u2019id\u00e9e \nsaugrenue, bizarre et st upide de se retourner \nbrusquement. \nCe fut un demi-malheur, car il surprit la grimace de \nLa Crique et l\u2019interpr\u00e9ta fo rt mal, en d\u00e9duisant que le \ngarnement se livrait derri\u00e8re son dos \u00e0 une mimique \nsimiesque dont le but \u00e9tait de faire rire les camarades \naux d\u00e9pens de leur ma\u00eetre. \nAussi lui bombarda-t-il aussit\u00f4t cette phrase \nvengeresse : \n\u2013 La Crique, vous me f erez pour demain mati n le \nverbe \u00ab faire le si nge \u00bb et vo us aurez soin au futur et au \nconditionnel de mettre \u00ab je ne ferai plus \u00bb et \u00ab je ne \nferais pl us le singe \u00bb au lieu de \u00ab je ferai \u00bb. c\u2019 est \ncompris ? \nIl se trouva dans la salle un imb\u00e9cile pour rire de la \n 109punition : Bacaill\u00e9, le boiteu x, et cet acte stupide de \nmauvaise camaraderie eut po ur cons\u00e9quence imm\u00e9diate \nde mettre en col\u00e8re le ma\u00eetre d\u2019\u00e9cole, lequel s\u2019en prit \nviolemment \u00e0 Camus , qui risquait f ort la retenue : \n\u2013 Enfin vous ! allez- vous me di re la quatri\u00e8me \ncondition ? \nLa quatri\u00e8me condition ne venait pas ! La Crique \nseul la connaissait. \n\u2013 Foutu pour f outu, pens a-t-il ; il fallait au moi ns en \nsauver un, aus si avec un air pl ein de bonne vol ont\u00e9 et \nfort innocent, comme s\u2019il e\u00fbt voulu faire oublier sa \nmauvais e acti on d\u2019 auparavant, r \u00e9pondit-il en li eu et \nplace de son f\u00e9al et tr\u00e8s vite pour que l\u2019instituteur ne \np\u00fbt lui imposer silence. \n\u2013 \u00catre inscrit sur la liste \u00e9lectorale de sa commune ! \n\u2013 Mais qui est-ce qui vou s demande quelque chose ? \nEst-ce que je vous interr oge, vous, enfin ? tonna le p\u00e8re \nSimon de plus en plus mont \u00e9, tandis que son meilleur \n\u00e9colier prenait un petit air cont rit et idiot qui jurait avec \nson ressentiment int\u00e9rieur. \nAinsi s\u2019acheva la le\u00e7on sans autre anicroche ; mais \nTintin glissa dans l\u2019 oreille de Lebrac : \n\u2013 T\u2019as-t\u2019y vu, ce sale banca l ? tu sais, je crois qu\u2019il \nfaut fair e attenti on ! y a pas de fi ance \u00e0 avoi r en lui , il \ndoit cafarder ! \n 110\u2013 Tu crois ? surs auta Le brac. Ah ! par exemple ! \n\u2013 J\u2019ai pas de preuves, reprit Tintin, mais \u00e7a \nm\u2019\u00e9paterait pas, il est en \u00ab dessour \u00bb, c\u2019est un \n\u00ab surnois \u00bb et j\u2019 aime pas ces t ypes-l\u00e0, moi ! \nLes plumes grinc\u00e8rent sur le papier pour la date \nqu\u2019on mettait. Lundi... 189... \n\u00c9ph\u00e9m\u00e9rides : commencement de la guerre avec les \nPrussiens. Bataille de Forbach ! \n\u2013 Dis, Tintin, demanda Gui gnard, je vois pas bien, \nest-ce que c\u2019est F orbach ou Morbach ? \n\u2013 C\u2019est Forbach ! Des Morbachs c\u2019est l\u2019artilleur de \nchez Camus qui en parla it aux Chantelots l\u2019autre \ndimanche qu\u2019il \u00e9tait en perm ission. Forbach ! \u00e7a doit \n\u00eatre un pays ! \nLe devoir se fit en sile nce, puis un marmottement \nsourd, croissant peu \u00e0 peu en volume et en intensit\u00e9, \nindiqua qu\u2019il \u00e9tait fini et que les \u00e9coliers profitaient du \nr\u00e9pit qu\u2019ils avaient entre les deux exercices pour \nrepasser la le\u00e7on suivan te ou \u00e9changer des vues \npersonnelles sur les situati ons respectives des deux \narm\u00e9es bellig\u00e9rantes. \nLebrac triompha en syst \u00e8me m\u00e9triqu e. Les me sures \nde poids c\u2019est comme les me sures de longueur, il y a \nm\u00eame deux multiples en plus ; et il jonglait \nintell ectuellement avec les myr iagrammes et l es \n 111quintaux m\u00e9tri ques ni plus ni moi ns qu\u2019un athl\u00e8te for ain \navec des halt \u00e8res de vi ngt k ilos ; il \u00e9bahit m\u00ea me le p\u00e8re \nSimon en lui d\u00e9bitant du plus gros au plus petit tous les \npoids us uels, sans rien omettr e de leur des cription \nparticuli\u00e8re. \n\u2013 Si vous saviez toujours vos le\u00e7ons comme celle- ci, \naffirma le ma\u00eetre, je vous m \u00e8nerais au Certificat l\u2019ann\u00e9 e \nprochaine. \nLe certificat d\u2019\u00e9tudes, Lebrac n\u2019y tenait pas : \ns\u2019appuyer des dict\u00e9es, des calculs, des compositions \nfran\u00e7ais es, sans compter l a \u00ab giogr aphie \u00bb et l\u2019hist oire, \nah ! mais non, pas de \u00e7a ! Aussi les compliments ni les \npromess es ne l\u2019 \u00e9mur ent, et s\u2019il eut le sourire, ce fut tout \nsimpl ement par ce qu\u2019il se sentait s\u00fbr mai ntenant , m\u00eame \ns\u2019il flanchait un peu en histoire et en grammaire, d\u2019\u00eatre \nl\u00e2ch\u00e9 quand m\u00eame le so ir \u00e0 cause de la bonne \nimpression qu\u2019il ava it produite le matin. \nQuand quatre heures sonn\u00e8rent, qu\u2019ils eurent fil\u00e9 \u00e0 \nla maison prendre le chanteau de pain habituel et qu\u2019ils \nse trouv\u00e8rent de nouveau rassembl\u00e9s \u00e0 la carri\u00e8re \u00e0 \nPepiot, Camus, certain d\u2019\u00eat re en avance, partit avec \nGrangibus et Gambette pour surveiller la lisi\u00e8re, \npendant que le reste de l\u2019arm\u00e9e filait en toute h\u00e2te se \nmettre en tenue de bataille. \nCamus , arriv\u00e9, monta sur s on ar bre et regar da. Ri en \nencore n\u2019apparaissa it ; il en profita pour resserrer les \n 112ficelles qui rattachaient les \u00e9l astiques \u00e0 la fourche et au \ncuir de sa fronde et pour tr ier ses cailloux : les meilleurs \ndans les poches de gauche, les autres dans celles de \ndroite. \nPendant ce temps , sous la garde de B oulot, qui \nd\u00e9signait \u00e0 chacun sa place et alignait de grosses pierres \npour y pos er les habits afi n qu\u2019ils ne s e salissent poi nt, \nles soldats de L ebrac et le chef s e d\u00e9shabill aient. \n\u2013 Prends mon fiautot1, fit Tintin \u00e0 Boulot, et grimpe \nsur le ch\u00eane que voil \u00e0. Si, de s fois, tu voyais le noir ou \nle fouette-cul ou qu elqu\u2019un que tu ne c onnaisses pas, tu \nsifflerais deux coups pour qu\u2019on puisse se sauver. \n\u00c0 ce moment, Lebrac, qui \u00e9tait en tenue, poussa une \nexclamation de col\u00e8re en se frappant le front : \n\u2013 Nom de Dieu de nom de Dieu ! Comment que j\u2019y \nai pas s ong\u00e9 ? on n\u2019 a poi nt de poche pour mettre l es \ncailloux. \n\u2013 Merde ! c\u2019 est vrai ! const ata Tinti n. \n\u2013 Ce qu\u2019on est b\u00eate, conf essa La Crique. Il n\u2019y a que \nles triques, c\u2019est pas assez ! \nEt il r\u00e9fl\u00e9chit une seconde... \n\u2013 Prenons nos mouchoirs et mettons les cailloux \n \n1 Fiautot : sif flet. \n 113dedans. Quand il n\u2019y aur a pus rien \u00e0 lancer, chacun \nroulera le sien autour de son poignet. \nBien que les mouchoirs ne fussent souvent que des \nmorceaux hors d\u2019usage de vi eilles chemises de toile ou \ndes d\u00e9bris de torchons, il se trouva une bonne demi-\ndouzaine de combattants qui n\u2019 en \u00e9taient point pourvus, \net ce, pour la simple ra ison que, leurs manches de \nblouses les rempla\u00e7ant avantag eusement \u00e0 leur gr\u00e9, ils \nne tenai ent point du tout , en sages qu\u2019ils \u00e9taient, \u00e0 \ns\u2019encombrer de ces meubles inutiles. \nPr\u00e9venant l\u2019objection de ces jeunes philosophes, \nLebrac leur d\u00e9signa comme \u00ab musette \u00e0 godons \u00bb leur \ncasquette ou cell e de leur voisi n, et tout fut ainsi r \u00e9gl\u00e9 \nau mieux des int\u00e9r\u00eats de la troupe. \n\u2013 On y est ? demanda-t- il ensuite... En avant, \nalorsse ! \nEt, lui en t\u00eate, Tintin le su ivant, pui s La Crique, puis \nles autres, au petit bonheur, tous, le b\u00e2ton \u00e0 la main \ndroite, le mouchoir li\u00e9 aux quatr e coins et pl ein de \ncailloux \u00e0 l\u2019autre, ils avanc\u00e8re nt lentement, leurs f ormes \nfluettes ou rondouillardes, l\u00e9 g\u00e8rement frissonnantes, se \nd\u00e9coupant en blanc sur la couleur somb re du d\u00e9fil\u00e9. En \ncinq minu tes, ils fu rent au Gros Buisson. \nCamus, juste \u00e0 ce moment, engageait les hostilit\u00e9s et \n\u00ab ciblait \u00bb Mi gue la L une \u00e0 qui il voul ait absol ument, \n 114disait-il, casser la gueule. \nIl \u00e9tait temps cependant qu e le gros des f orces de \nLongeverne arriv\u00e2t. Les Velrans, pr\u00e9venus par \nTouegueule, \u00e9mule et rival de Camus, de la seule \npr\u00e9sence de quelques ennemis, et enfi\u00e9vr\u00e9s encore au \nsouvenir de leur victoi re de l\u2019avant-veille. se \npr\u00e9paraient \u00e0 ne f aire qu\u2019 une bouch\u00e9e de ceux qui se \ntrouvaient devant eux. Mais au moment pr \u00e9cis o\u00f9 ils \nd\u00e9bouchaient de la for\u00eat po ur se former en colonne \nd\u2019assaut, une gerbe \u00e9crasa nte de projectiles leur \nd\u00e9gri ngola sur les \u00e9paul es qui les fit tout de m\u00eame \nr\u00e9fl\u00e9chir et \u00e9mous sa leur enthousi asme. \nTouegueule, qui \u00e9tait desc endu pour prendre part \u00e0 \nla cur\u00e9e, regrimpa sur son foyard pour voir si, \nd\u2019aventur e, des r enforts n\u2019 \u00e9taient pas arriv\u00e9s au Gros \nBuisson ; mais il s\u2019aper\u00e7ut tout simplement que Camus \n\u00e9tait redescendu de son arbr e et, la fronde band\u00e9e, se \ntenait pr \u00e8s de Gr angibus et de Gambette, ces derniers \naussi sur la d\u00e9fensive. Ri en de nouveau par cons\u00e9quent. \nC\u2019est que les guerri ers de L ongeverne, tout transis et \ngrelottants, s\u2019\u00e9taient coul\u00e9s silenci eusement derri\u00e8r e les \nf\u00fbts des arbres et sous les fo urr\u00e9s \u00e9pais et ne bougeaient \n\u00ab ni pieds ni pattes \u00bb. \n\u2013 Ils vont recommencer l\u2019assa ut, pr \u00e9dit L ebrac \u00e0 mi-\nvoix ; on a eu tor t peut- \u00eatre de lancer tr op de caill oux \ntout \u00e0 l\u2019heur e ; pourvu qu\u2019ils ne s e dout ent pas qu\u2019 on \n 115les attend. \n\u2013 Attention ! prenez vos godons, laissez-les venir \ntout pr \u00e8s, alors j e commanderai l e feu et aussit\u00f4t la \ncharge ! \nL\u2019Aztec des Gu\u00e9s, rassur\u00e9 par l\u2019exploration de \nTouegueule, pensa que si les ennemis ne s e montr aient \npas et faisai ent ainsi que le samedi d\u2019 avant, c\u2019\u00e9tait \nqu\u2019ils se trouvaient, de m\u00eame que ce jour-l\u00e0, sans chef \net en \u00e9t at d\u2019inf\u00e9riorit\u00e9 num\u00e9ri que notoir e. Il d\u00e9ci da \ndonc, imm\u00e9diatement approuv\u00e9 par les grands \nconseillers, enthousiastes encore au souvenir de la prise \nde Lebrac, qu\u2019il serait bon aussi de piger Camus qui \njustement remontait sur son ch\u00eane. \nCelui-l\u00e0 s\u00fbrement n\u2019aurait pas le temps de fuir, il \nn\u2019y couperait pas cette fois , il serait \u00ab chauff\u00e9 \u00bb et y \npasserait tout comme L ebrac. Depuis longtemps d\u00e9j \u00e0 \nses cailloux et ses billes fais aient trop de bless\u00e9s dans \nleurs rangs, il \u00e9tait urgent vraiment de lui donner une \nbonne le\u00e7on et de lui rafler sa fronde. \nIls le laiss\u00e8rent commo d\u00e9ment s\u2019installer. \nLes dispositions de combat n\u2019\u00e9taient pas longues \u00e0 \nprendre pour ces escarmouches o\u00f9 la valeur personnelle \net l\u2019\u00e9l an g\u00e9n\u00e9ral d\u00e9cidai ent le plus s ouvent de l a \nvictoire ou de la d\u00e9f aite ; aussi, l\u2019instant d\u2019apr\u00e8s, les \nb\u00e2tons follement tournoyant, poussant des ah ! ahr ! \n 116gutturaux et f\u00e9roces, les Ve lrans, confiants en leur \nforce, fon dirent imp\u00e9 tueusement sur le camp ennemi. \nOn aurait ent endu voler une mouche au Gr os \nBuisson de Longeverne : seule la fronde de C amus \nclaquait, lan\u00e7ant ses projectiles... \nLes gars nus, tapis, \u00e0 genoux ou accroupis, \nfrissonnant de fr oid sans os er se l\u2019 avouer , tenaient tous \nle caillou dans la main droite et la trique en la gauche. \nLebrac au centre, au pi ed du ch\u00eane de Camus , \ndebout , le corps enti\u00e8r ement di ssimul\u00e9 par l e f\u00fbt du gr os \narbre, tendait en avant sa t\u00ea te far ouche, dardant sous s es \nsourcils fronc\u00e9s ses yeux fi xes et flamboyants, le poing \ngauche nerveusement serrant son sabre de chef \u00e0 garde \nde ficelle de fouet. \nIl suivait le mouvemen t ennemi, les l\u00e8vres \nfr\u00e9missantes, pr\u00eat \u00e0 donner le signal. \nEt tout d\u2019 un coup, se d\u00e9t endant comme un di able qui \nsort d\u2019 une bo\u00eet e, tout son corps contract\u00e9 bondit sur \nplace, en m\u00eame temps que sa gorge hurlait comme dans \nun acc\u00e8s de d\u00e9mence le commandement imp\u00e9tueux : \n\u2013 Feu ! \nUn frondonnement courut comme un frisson. \nLa rafale de cailloux de l\u2019arm\u00e9e de Longeverne \nfrappa la troupe des Velrans en plei n centr e, cassant s on \n 117\u00e9lan, en m\u00eame t emps que la voix de L ebrac, beugl ant \nrageus ement et de tous ses poumons , reprenait : \n\u2013 En avant ! en avant ! en avant, nom de Dieu ! \nEt telle une l\u00e9gion inf ernale et fant astique de \ngnomes subitement s urgis de terre, tous les soldats de \nLebrac, brandissant leurs \u00e9p ieux et leurs sabres et \nhurlant \u00e9pouvantablement, tous, nus comme des vers, \nbondirent de leur repaire myst\u00e9rieux et s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent \nd\u2019un irr\u00e9sistible \u00e9lan su r la troupe des Velrans. \nLa surprise, l\u2019effarement , la frousse, l a pani que \npass\u00e8rent succes sivement sur la bande de l\u2019Aztec des \nGu\u00e9s qui s\u2019a rr\u00eata, p aralys\u00e9e, puis, devant le danger \nimmi nent et qui gr andiss ait de seconde en seconde, \ntourna br ide d\u2019 un seul coup et plus vite encore qu\u2019elle \nn\u2019\u00e9tait venue, \u00e0 enjam b\u00e9es doubles, affol\u00e9e \nlitt\u00e9ralement, fila vers sa li si\u00e8re protectrice sans qu\u2019un \nseul parmi les fuyards os\u00e2t seulement tourner la t\u00eate. \nLebrac, en avant toujours, brandissait son sabre ; ses \ngrands bras nus gesticulai ent ; ses jambes nerveuses \nfaisaient des bonds de deux m\u00e8 tres, et toute son arm\u00e9e, \nlibre de toute entrave, heur euse de se r\u00e9chauffer, \naccour ant d\u2019 une f olle allur e, t\u00e2tait d\u00e9j\u00e0 de la pointe de \nses \u00e9pieux et de ses lance s les c\u00f4tes des ennemis qui \narrivaient enfi n \u00e0 la gr ande tr anch\u00e9e. On allait e n \nchauffer. \n 118Mais la fuite des Velr ans ne s\u2019 arr\u00eata poi nt pour si \npeu. L e mur d\u2019 encei nte \u00e9t ait l\u00e0, avec l e taillis derri \u00e8re, \nclairsem\u00e9 \u00e0 la lisi\u00e8re pour s\u2019\u00e9paissir apr\u00e8s par degr\u00e9s. \nLa troupe en d\u00e9route de l\u2019 Aztec des Gu\u00e9s ne per dit pas \nson temps \u00e0 cher cher \u00e0 pas ser \u00e0 la queue leu-leu dans la \nGrande Tranch\u00e9e. Les premiers la prirent, mais les \nderniers n\u2019h\u00e9sit\u00e8rent point \u00e0 bondir en plein taillis et \u00e0 \nse frayer, des pieds et des ma ins et co\u00fbt e que co\u00fbt e, un \nchemin de retraite. \nLa tenue simpli fi\u00e9e des Longevernes ne leur \npermettait malheureusem ent pas de continuer la \npours uite dans l es ronces et les \u00e9pi nes et, du mur de l a \nfor\u00eat, ils virent leurs enne mis fuyant, l\u00e2chant leurs \nb\u00e2tons, perdant leurs casque ttes, semant leurs cailloux, \nqui s\u2019enfon\u00e7aient meurtris , fouett\u00e9s, \u00e9grati gn\u00e9s, \nd\u00e9chir\u00e9s par mi les \u00e9pi nes et l es fourr \u00e9s de ronces \ncomme des sangliers forc\u00e9s ou des cerfs aux abois. \nLebrac, l ui, avait enfil\u00e9 la Grande Tranch\u00e9e avec \nTintin et Grangibus. Il allait poser la griffe sur l\u2019\u00e9paule \nfr\u00e9missante de peur de Mi gue la Lune, dont il venait \nd\u00e9j\u00e0 de tanner les reins av ec son sabre, quand deux \nstridents coups de siffl et venant de son camp, en \nachevant la d\u00e9route ennemie , les a rr\u00eat\u00e8rent net eux \naussi, lui et ses soldats. \nMigue la Lune, laissant derri\u00e8re lui un sillage \nodorant caract\u00e9ristique qui t\u00e9moignait de sa frousse \n 119intens e, put s\u2019 \u00e9chapper comme l es autr es et dis parut \ndans le sous-bois . \nQu\u2019y avait-il ? \nLebrac et ses guerriers s\u2019\u00e9t aient retourn\u00e9s, inquiets \ndu si gnal de B oulot et s oucieux quand m\u00eame de ne pas \nse laisser surprendre dans cette tenue \u00e9qui voque par un \ndes gardi ens la\u00efque ou eccl \u00e9siastique, naturel ou autre, \nde la morale publique de Longeverne ou d\u2019ailleurs. \nJetant un regar d de regr et sur la silhouette de Migue \nla Lune, Lebrac remonta la tranch\u00e9e pour regagner la \nlisi\u00e8re o\u00f9 ses soldats, \u00e9c arquillant l es prunell es, \ncherchaient, en att endant s on retour, \u00e0 se r endre compt e \nde ce qui avait bien pu motiv er le signal d\u2019alarme de \nBoul ot. \nCamus qui, au moment de l\u2019assaut, \u00e9tait redescendu \nde l\u2019 arbre, et avait, on s\u2019en s ouvient, gar d\u00e9 ses \nv\u00eatements, s\u2019avan\u00e7a prudemme nt jusqu\u2019au contour du \nchemin pour explor er les alentours. \nAh, ce ne fut pas lo ng ! Il vit qui ? \nParbleu, cette vadrouille de vieille brute de p\u00e8re \nB\u00e9douin, lequel, ahuri lui au ssi de ces deux coups de \nsifflet qui l\u2019avaient fait tres sauter, bourrait ses mauvais \nquinquets de tous les c\u00f4t\u00e9s, afin de saisir la cause \nmyst\u00e9rieuse de ce signal inso lite et vaguement sinistre. \n 120 \n \nJustes repr\u00e9sailles \n \nDonec ponam inimicos tuos, scabellum \npedum tuorum. \n(V\u00eapres du Dimanche. ) \n(Psalm o... nescio quo). \nJanotus de B ragmardo1. \n \nLe p\u00e8re B\u00e9douin vit Ca mus en m\u00eame t emps que \nl\u2019aper \u00e7ut celui-ci, mais si le gosse avait parfaitement \nreconnu le vieux du premier co up, la r\u00e9ciproque n\u2019\u00e9tait \nheureusement pas vr aie. \nSeulement, le garde cham p\u00eatre sentant, avec son \nflair de vieux briscard, que le galapiat qu\u2019il avait devant \nlui devait \u00eatre pour quelque chose dans cette nouvelle \naffaire ou tout au moins pourrait lui donner quelques \nrenseignements ou explica tions, il lui fit signe de \nl\u2019attendre et marcha droit \u00e0 lui. \nCela faisait bien l\u2019affaire de Boulot qui appr \u00e9hendait \nfort que ce vieux sagouin ne v\u00ee nt de son c\u00f4t\u00e9 et ne \n \n1 Par Dieu! monsieur mon a my, ma gis m agnos clericos non sunt \nmagis m agnos sapientes (livre I, chap. XXXIX, Rabelais). \n 121d\u00e9couvr\u00eet le gar de-meuble des camar ades d e \nLongeverne. Boulot, pour l\u2019em p\u00eacher de parvenir \u00e0 cet \nendroit, \u00e9tait r\u00e9solu \u00e0 tout empl oyer et le meilleur \nmoyen \u00e9tait encore l\u2019injure \u00e0 courte distance, pourvu \ntoutefois qu\u2019on e\u00fbt, comme c\u2019\u00e9t ait le cas, des ar bres et \ndes buissons afin de se dissi muler et de n\u2019\u00eatr e point \nreconnu. De cette fa\u00e7on, en jouant habilement des \njambes, on pouvait en tra\u00eener le vieux tr \u00e8s loin du terrain \nde combat : \n \nQuand l a perdrix \nVoit ses petits \nEn danger, et n\u2019ayant qu\u2019une pl ume nouvelle... \n \nBoul ot avait appr is la fabl e ; cette rus e d\u2019oiseau l ui \navait plu et, comme il n\u2019 \u00e9tait pas plus b\u00eate qu\u2019une \nperdrix dont il imitait \u00e0 s\u2019y m\u00e9prendre le \u00ab tirouit \u00bb, il \nsaurait bien, l ui aussi, entr a\u00eener au loi n et semer \nZ\u00e9phirin. \nCe petit jeu rependant n\u2019 allait pas sans quelques \nrisques et compli cations, dont les pl us gr aves \u00e9taient la \npr\u00e9sence ou la venue en ces lieux d\u2019un habitant du \nvillage ayant bon pied et bo n oeil qui le d\u00e9noncerait au \ngarde, ou m\u00eame (\u00e7a s\u2019\u00e9tait vu), s\u2019il \u00e9tait parent, alli\u00e9 ou \nami, s\u2019autoriserait de ce tte familiarit\u00e9 pour venir \n 122attraper par l\u2019oreille le d\u00e9linq uant et le conduire en cette \npostur e au repr \u00e9sentant de la for ce publi que, situati on \nf\u00e2cheuse comme on peut croire. \nEt comme B oulot \u00e9tait pr udent, il pr\u00e9f\u00e9rait ne pas se \nmettre dans le cas d\u2019encour ir ce risque. Il n\u2019avait, \nd\u2019autre part, pas de noti ons exactes sur l\u2019issue de la \nbataille et la fa\u00e7on dont Le brac avait dirig\u00e9 ses troupes. \nLes cris entendus lui av aient seulement appris qu\u2019un \ns\u00e9rieux assaut avait \u00e9t\u00e9 donn\u00e9. Oui, mais o\u00f9 en \u00e9taient \nmaintenant les camarades ? \nGraves questions ! \nCamus, lui, comme bien on pens e, ne per dit pas s on \ntemps \u00e0 attendre le garde c hamp\u00eatre. D\u00e8s qu\u2019il eut vu \nque l\u2019autre vou lait le rejoindre et se dirigeait de son \nc\u00f4t\u00e9, il fit prestement demi-t our, se baissa en sautant \ndans l e ravin et fi la ver s les camarades en leur criant, \npas tr op fort du r este, de fuir par en haut, puisque le \nCharognard, ainsi d\u00e9signait-il le trouble-guerre, venait \ndu c\u00f4t\u00e9 du bas. \nZ\u00e9phirin, voyant s\u2019enfuir Camus , ne dout a pas un \nseul instant que ces sales morveux \u00e9t aient encore en \ntrain \u00ab de lui en jouer une \u00bb ; il se souvint du coup de \nl\u2019avant-veille o\u00f9 l\u2019autre lui avait montr\u00e9 son derri\u00e8re \nsans voil es et, comme il s e sentait d\u2019attaque ce soir-l\u00e0, il \npiqua un pas de gymnastique pour rattraper le gal opin. \n 123Suant et soufflant, il arriva juste \u00e0 point pour voir la \nnich\u00e9e des gaillards, nus co mme des vers, fuir et \ndispara\u00eetre entre les buissons du haut de la Saute, tout \nen hurl ant \u00e0 son adress e des injures sur le sens \ndesquelles il n\u2019y avait pas \u00e0 se m\u00e9prendre. \n\u2013 Vieux salaud ! putassier ! v\u00e9rolard ! vieux bac ! \nh\u00e9 ! on t\u2019emm... ! \n\u2013 Petits cochons, ah ! d\u00e9go\u00fbtants, polissons, mal \n\u00e9lev\u00e9s, ri postait le vieux, r eprenant sa course. Ah ! que \nj\u2019en attrape un seulement ; je lui coupe les oreilles, je \nlui coupe le nez, je lui coupe la langu e, je lui coupe... \nB\u00e9douin voulait tout couper. \nMais pour en attraper un, il aurait fallu avoir des \njambes plus agiles que ses vi eilles guibolles ; il battit \nbien les buissons de tous c\u00f4t\u00e9 s, mais ne trouva rien et \nsuivit de loin, \u00e0 la voix, une trace qu\u2019il crut bonne, mais \nqui devait bient\u00f4t lui fair e faux bond elle aussi. \nCamus, Grangibus et La Cr ique, tous trois v\u00eatus, \npour prot\u00e9ger l e retour et la mise en tenue de leurs \ncamarades, avaient r\u00e9alis\u00e9 ce que Boulot avait eu un \ninstant l\u2019intention de faire et attir\u00e9 Z \u00e9phirin par les \np\u00e2tures de C hasalans, l oin, loin, du c\u00f4t\u00e9 de Velr ans, \nafin aussi de lui don ner le change et lui laisser c roire, sa \nfaible vue aidant, que c\u2019\u00e9t aient les gamins du village \nennemi qui \u00e9taient les seuls coupabl es de cet attentat \u00e0 \n 124sa di gnit\u00e9 de vieux d\u00e9f enseur de la \u00ab P\u00e2trie \u00bb et de \nrepr\u00e9sentant de la \u00ab lo\u00e2 \u00bb. \nTous les signaux de m\u00e9fian ce et de ralliement \u00e9tant \nconvenus d\u2019avance, le bois ennemi \u00e9tant d\u00e9sert, Camus \net ses deux acolytes, quand ils jug\u00e8rent le moment \nvenu, ces s\u00e8rent de crier des injures \u00e0 B\u00e9douin, firent un \nbrusque crochet dans les ch amps, long\u00e8rent en rampant \nle mur de la p\u00e2ture \u00e0 Fricot, rentr\u00e8rent dans le bois et, \npar la tranch\u00e9e du haut, vinrent d\u00e9boucher dans les \nbuissons du communal, \u00e0 une centaine de m\u00e8tres au-\ndessus du coude du chemin, c\u2019est-\u00e0-dire du champ de \nbataille. \nIl \u00e9tait bien d\u00e9ser t \u00e0 ce moment- l\u00e0, le champ d e \nbataille, et rien n\u2019y rappelait la lutte \u00e9pique de l\u2019heure \npr\u00e9c\u00e9dente ; mais, dans le s buissons du bas, ils \nentendirent le tirouit des Longever nes qui, \nr\u00e9guli\u00e8rement, les rapp elait. \nGr\u00e2ce \u00e0 leur habile diversi on, en effet, la troupe \nsurprise avait pu regagner le camp que gar dait B oulot \net, \u00e0 la h\u00e2t e, dar e-dare, remettr e chemises , cul ottes et \nblous ons et souli ers. B oulot, aff air\u00e9, all ait de l\u2019un \u00e0 \nl\u2019autre, aidant de t outes ses mains, n\u2019ayant pas assez de \nses dix doigts pour rentrer le s pans de chemi ses, ajuster \nles bretelles, boutonner le s pantalons, ramasser les \ncasquettes, lacer des cordons de souliers et veill er \u00e0 ce \nque pers onne ne perd\u00eet ni n\u2019 oubli\u00e2t rien. \n 125En moins de cinq minutes, jurant et grognant contre \ncette sacr\u00e9e vieille fripouille de garde qui se trouvait \ntoujours o\u00f9 on ne le demand ait pas, les soldats de \nl\u2019arm\u00e9e ayant, avec une ju ste s atisfaction, r\u00e9int\u00e9gr\u00e9 \nleurs pel ures, et demi- satisfaits d\u2019une demi-victoire \ndans laquelle on n\u2019avait pas fait de prisonniers, \ns\u2019\u00e9chelonnaient du haut en bas en quatr e ou ci nq \ngroupes pour r appel er les trois \u00e9claireurs aux pris es \navec B \u00e9douin. \n\u2013 Il me l e paier a celui-l\u00e0 ! faisait Lebrac, oui, il me \nle paiera. C\u2019est pas la premi\u00e8re fois qu e \u00e7a lui arrive de \nchercher \u00e0 me f aire des mis\u00e8res . \u00c7a ne peut pas se \npasser comme \u00e7a, ou ben y au rait pus de bon Dieu, pus \nde justice, pus rien ! Ah ! non ! nom de Di eu, non ! \u00e7a \nne se passera pas comme \u00e7a ! \nEt le cerveau de Lebr ac ruminait une vengeance \ncompliqu\u00e9e et ter rible, et ses camar ades, eux aussi, \nr\u00e9fl\u00e9chissaient profond\u00e9ment. \n\u2013 Dis donc, L ebrac, pr opos a Ti ntin, il y a ses \npommes au vi eux, si on al lait un peu l ui caress er ses \narbres \u00e0 coups \u00ab d\u2019avarchots \u00bb1, pendant qu\u2019il nous \ncherche \u00e0 Chas alans ! hein ! qu\u2019 en dis-tu ? \n\u2013 Et lui faire sauter son carr\u00e9 de choux, compl\u00e9ta \nTigibus. \n \n1 Bout de bois qu\u2019on lance pour faire tom ber les fruits. \n 126\u2013 Lui casser ses carreau x ! fit Guerreuillas. \n\u2013 \u00c7a, c\u2019est des id\u00e9es ! conv int Lebrac qui, lui aussi, \navait la sienne ; ma is attendons les autres. Et puis, on ne \npeut gu\u00e8r e faire \u00e7a de j our. De s fois que si on \u00e9tait vu, il \npourr ait bien nous f aire aller en prison avec des \nt\u00e9moins... un vieux cochon comme \u00e7a, que \u00e7a n\u2019 a ni \ncoeur ni entrailles, faut pas s\u2019y fier, vous savez. Enfin, \non verr a bien. \n\u2013 Tirouit ! int errogea-t- on dans les bui ssons du \ncouchant. \n\u2013 Les voici ! fit Lebrac, et il imita \u00e0 trois reprises le \nrappel de la perdri x gris e. \nUne forte sabot\u00e9e, frappant le sol \u00e0 coups redoubl\u00e9s, \nlui apprit la venue des trois \u00e9cl aireurs et le \nrassemblement \u00e0 son post e des divers groupes \ndiss\u00e9min\u00e9s par le coteau. Quand tout le monde fut \nr\u00e9uni, les coureurs s\u2019expliqu\u00e8rent : \nZ\u00e9phirin, assur\u00e8rent-ils, ju rait les tonnerre et les \nbordel de Dieu contre ce s sales petits morpions de \nVelrans qui venaient emmerder les honn\u00eates gens \njusque sur leur territoire, et le pauvre bougre suait et \ns\u2019\u00e9pongeait et soufflait, tel un car can pous sif qui ti re \nune voiture de deux mille, en montant une lev\u00e9e de \ngrange rapide comme un toit. \n\u2013 \u00c7a va bien ! affirma Lebrac. Il veut repasser par \n 127ici, faudra que quelqu\u2019 un reste pour le guetter. \nLa Crique, qui \u00e9t ait d\u00e9j \u00e0 psychologue et l ogicien, \n\u00e9mit une opi nion : \n\u2013 Il a eu chaud, par cons\u00e9 quent il a soif ; donc il va \ns\u2019en ret ourner t out droit au pays pour aller prendre sa \npur\u00e9e chez Fricot l\u2019aubergis te. Faudrait peut-\u00eatre bien \nque quel qu\u2019un ail le aus si par l \u00e0-bas ! \n\u2013 Oui, appr ouva le chef, c\u2019es t vrai : trois ici, trois l\u00e0-\nbas ; les autres vont tous ve nir avec moi dans le bois du \nTeur\u00e9 ; maintenant, j\u2019sais ce qu\u2019il faut faire. \n\u2013 Il en faudr a un mali n pr\u00e8s de chez Fricot, \ncontinua-t-il ; La Crique va y partir avec Chanchet et \nPirouli : vous jouerez aux bille s sans avoir l\u2019air de rien. \nBoulot, lui, restera ici, cal\u00e9 dans la carri\u00e8re avec \ndeux autres : faudra bien regar der et bien \u00e9cout er ce \nqu\u2019il dira ; quand le vieux se ra loin et qu\u2019on saura ce \nqu\u2019il va faire, vous viendrez tous nous retr ouver au bout \nde la vie1 \u00e0 Donz\u00e9, pr \u00e8s de l a Croix du J ubil\u00e9. Alors on \nverra et je vous dirai de quoi il r etourne. \nLa Crique fit remarquer qu e ni lui ni ses camar ades \nn\u2019avaient de billes et L ebrac, g\u00e9n\u00e9reusement, lui en \ndonna une douzaine (pour un sou, mon vieux) afin \nqu\u2019ils puss ent, devant l e gar de, s outenir \n \n1 Voie, chemin. \n 128convenablement leur r\u00f4le. \nEt, sur une derni\u00e8re recom mandation du chef, La \nCrique, plein de confia nce en s oi, ricana : \n\u2013 T\u2019emb\u00eate pas, ma vieille ! je me charge bien de lui \nmonter le coup proprement \u00e0 ce vi eux trou du c... l \u00e0 ! \nLa dislocation s\u2019op\u00e9ra sans tarder. \nLebrac avec le gros de la troupe gagna le bois du \nTeur\u00e9 et, sit\u00f4t qu\u2019on y fu t, ordonna \u00e0 ses hommes \nd\u2019arracher des grands arbres les plus longues cha\u00eenes de \nv\u00e9llie ou v\u00e9liere (cl\u00e9matite) qu \u2019ils pourraient trouver. \n\u2013 Pour quoi fair e ? demand\u00e8r ent-ils. Pour fumer ? \nAh ! ah ! on va faire des cigares, chouette ! \n\u2013 Ne la cassez pas, surtout, reprit Lebr ac, et tr ouvez-\nen autant que vous pourrez : vo us ver rez bi en plus tard. \nToi, Cam us, tu g rimperas aux arbres pour la \nd\u00e9tacher, tu mont eras haut , il en f aut de longs bouts. \n\u2013 Pour \u00e7a, je m\u2019 en char ge, fi t le li eutenant. \n\u2013 Auparavant, y en a-t-il qui aur aient de la ficell e, \npar has ard ? questi onna l e chef. \nTous en avaient des mo rceaux d\u2019une longueur \nvariant de un \u00e0 trois pied s. Ils les pr\u00e9sent\u00e8rent. \n\u2013 Gardez-les ! \u2013 Oui ! concl ut-il en r\u00e9pons e \u00e0 une \nquesti on int \u00e9rieure qu\u2019il s\u2019\u00e9t ait pos\u00e9e, gar dez-les et \n 129trouvons de la v\u00e9llie. \nDans l a vieill e coupe, ce n\u2019\u00e9t ait pas dif ficile \u00e0 \nd\u00e9couvrir, c\u2019\u00e9tait \u00e7a qui man quait le moins. Le long des \ngrands ch\u00eanes, des foyards, des charmes, des bouleaux, \ndes poiriers sauvages, de pr esque tous les arbres, les \nsoupl es et durs lacets montai ent, grimpaient, \ns\u2019accrochaient par leurs feu illes en vrilles aux f\u00fbts \nnoueux, s\u2019enroulaient, serp ents v\u00e9g\u00e9taux et vivaces, \npour escalader l\u2019azur, conqu\u00e9 rir la lumi\u00e8r e et boi re, \navec chaque aurore, leur lamp\u00e9e de soleil. Il y avait en \nbas et pr esque partout sur le sol des vieilles souches \ngrises, dures et raides, s\u2019\u00e9c aillant en filaments comme \ndu boeuf bouilli trop cuit, po ur s\u2019effiler au sommet en \nfouets souples et r \u00e9sistants. \nCamus grimpait ; T\u00e9tas et Guignard aussi ; ils \nformaient trois chantiers qui op\u00e9raient simultan\u00e9ment \nsous l\u2019oeil vigilant de Lebrac. \nAh ! c\u2019\u00e9t ait bi ent\u00f4t fait, l\u2019escalade. \nQuelque gros que f\u00fbt l\u2019arbre, Camus, comme un \nlutteur antique, l\u2019attaquait \u00e0 br as le corps, franchement ; \nsouvent m\u00eame ses bras trop co urts n\u2019arrivaient pas \u00e0 en \n\u00e9treindre compl\u00e8t ement l e tronc. \nQu\u2019importe ! Ses mains ap laties s\u2019accrochaient \ncomme des vent ouses \u00e0 tous les noeuds d\u2019\u00e9corce, ses \njambes s e croisaient enl a\u00e7antes comme des ceps de \n 130vigne tortus et une d\u00e9tente solide de jarrets vous le \nprojetait d\u2019un seul co up \u00e0 trente ou cinquante \ncentim\u00e8tres plus haut ; l\u00e0, nouvel agrippement de \nmains, nouvel arr image de jarrets et , en qui nze ou vingt \nsecondes, il accrochait la premi\u00e8re branche. \nAlors \u00e7a ne tra\u00eenait plus : un r\u00e9tablissement sur les \navant-bras et la poitri ne d\u2019abord, puis les genoux \narrivaient \u00e0 haut eur de cet te barre fixe naturelle et s\u2019y \ninstallaient, et puis les pieds ne tardaient pas \u00e0 \nremplacer les genoux, et la mont\u00e9e jusqu\u2019 au sommet \ns\u2019op\u00e9rait ensuite aussi nat urellement et f acilement que \npar le pl us commode des escaliers. \nLa liane v\u00e9g\u00e9tale tombait vite entre leurs m ains, car, \nau pied de l\u2019arbre, un cama rade \u00e0 l\u2019eustache tranchant \nrasait la t ige au ni veau du sol tandi s que tr ois ou quat re \nautres gars, tir ant dess us avec toutes les pr\u00e9cautions \nd\u2019usage, l\u2019amenaient \u00e0 eux par degr\u00e9s. \nQue de fois les petits berger s avaient fait cela en \u00e9t\u00e9, \n\u00e0 la Sai nt-Jean, et enguirl and\u00e9 de ver dure et de fleur s \ndes champs les cornes de leur s b\u00eates ! La cl\u00e9matite, le \nlierre, les bleuets, les coquelic ots, les marguerites, les \nscabi euses mari aient l eurs couleurs parmi la verdure \nsombre des couronnes tress\u00e9 es, pour l esquelles on \nrivalis ait d\u2019ing\u00e9niosit\u00e9 et de go\u00fbt et c\u2019\u00e9tait une j oie, le \nsoir, de voir revenir \u00e0 pas pe sants et faisant tinter leurs \nclochettes, les bonnes vache s aux grands yeux limpides, \n 131fleuries et couronn\u00e9es com me des mari\u00e9es de mai. \nEn rentr ant, on accr ochait l e bouquet au-dessus de la \nporte de la cui sine, parmi les grands clous de \n\u00ab baudrions \u00bb o\u00f9 la panoplie luisante et rustique des \nfaux jette se s feux sombres, et on l\u2019y laissait, sous l\u2019abri \nde l\u2019auvent, se dess\u00e9cher ju squ\u2019\u00e0 l\u2019ann\u00e9e suivant e et \nplus longtemps quelquefois. \nMais il ne s\u2019agissait pa s de cela aujourd\u2019hui. \n\u2013 D\u00e9p\u00eachons-nous, pressa Lebrac, qui voyait tomber \nla nuit et les brouillards du couchant se lever sur le \nmoulin de Velrans. \nEt, aya nt fait rassembler le butin, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre li vr\u00e9 \nmental ement \u00e0 des op\u00e9r ations math\u00e9mati ques \ncompliqu\u00e9es et avoir avec soin aun\u00e9 de ses bras \u00e9tendus \nles liens dont on dispos ait, il d\u00e9cida le d\u00e9part pour le \ncarrefour de l a Croix du Jubil\u00e9 en passant entre les \nhaies de la vie \u00e0 Donz\u00e9. \nLebrac avait quatre morcea ux de r\u00e9sistance, longs \nchacun d\u2019environ dix m\u00e8tres, et huit autres plus petits. \nChemin faisant, apr\u00e8s avoir soigneusemen t \nrecommand\u00e9 de ne pas casse r les gr ands bouts, il \nordonna de nouer autant qu e possible les petits deux \u00e0 \ndeux et cependant qu e seize soldats portai ent ces engins \nde combat et que les autres le s regardaient, lui, le chef, \nse mit \u00e0 r\u00e9fl \u00e9chir profond\u00e9ment j usqu\u2019\u00e0 l\u2019arriv\u00e9e au \n 132point de concentr ation. \n\u2013 Qu\u2019est-ce qu\u2019on va faire, Lebrac ? interrogeaient \ntour \u00e0 tour les gars. \nLa nuit tombait peu \u00e0 peu. \n\u2013 \u00c7a d\u00e9pend ! r\u00e9pondit \u00e9vasivement le chef. \n\u2013 Il va bi ent\u00f4t \u00eatre temps de rentr er, constat a un des \npetits. \n\u2013 Les autres ne viennent pas , ni Boul ot, ni La \nCrique ! \n\u2013 Qu\u2019est-ce qu\u2019ils font ? Qu\u2019 est-ce qu\u2019\u00e0 pu devenir \nle vieux ? \nOn s\u2019i mpatientait enfi n, et l\u2019air myst\u00e9ri eux du chef \nn\u2019\u00e9tait pas pour calmer l\u2019\u00e9nervement g\u00e9n\u00e9ral : \n\u2013 Ah ! voici Boulot ave c ses hommes ! s\u2019esjouit \nCamus. \n\u2013 Eh bien ! B oulot ? \n\u2013 Eh bien ! reprit l\u2019aut re, il a pass \u00e9 par l a grand-\nroute, t out en bas , et on au rait pu l\u2019attend re longtemps, \nsi j\u2019avais pas eu l \u2019oeil ! Il a d\u00fb redescendre le bois et \nregagner la route par le pe tit sentier qui part de la \nsommi\u00e8re. \nNous l\u2019avons vu de la Carr i\u00e8re. Il faisait des grands \nmoulinets avec ses bras, tout comme Kinkin quand il \n 133est saoul. Il doit \u00eat re salement en col \u00e8re. \n\u2013 Tigibus, commanda Lebrac, va voir ce que fait La \nCrique et tu z\u2019 y diras de venir me di re tout de suit e ce \nqui se passe. \nTigibus, docile, partit au tr iple galop, mais \u00e0 trente \nsauts du gr oupe, un \u00ab tir ouit \u00bb dis cret l\u2019arr \u00eata. \n\u2013 C\u2019est toi, La Crique ! Viens vite, mon vieux, vi ens \nvite dir e o\u00f9 que \u00e7a en est ! \nIls arriv\u00e8rent en qu elques secondes. \nLa Cri que f ut entour\u00e9 et parla. \n\u2013 Un quart d\u2019heure avant, rouge comme un coq, \nB\u00e9douin s\u2019\u00e9tait amen\u00e9 alors qu \u2019ils jouaient tous trois \nbien tr anquill ement aux bil les devant chez Fricot. \nTous en choeur lui avaient souhait\u00e9 le bonsoir et le \nvieux leur avait dit : \n\u2013 \u00c0 la bonne heure ! au moin s, vous, vous \u00eates de \nbons petits gar\u00e7ons ; c\u2019es t pas comme vos camarades, \nun tas de salauds, de grossi ers, je les foutrai dedans ! \nLa Crique avait regard\u00e9 le garde avec des quinquets \ncomme des portes de gr ange qui disai ent sa \nstup\u00e9faction, puis il avait r\u00e9pondu \u00e0 M. Z\u00e9phiri n qu\u2019il \ndevait s\u00fbrement se tromper, qu \u2019\u00e0 cette heur e tous leurs \ncamarades devaient \u00eatre rent r\u00e9s chez eux o\u00f9 ils aidaient \nla maman \u00e0 faire les provisio ns d\u2019eau et de bois pour le \n 134lendemain, ou bien secondai ent \u00e0 l\u2019\u00e9curie le papa en \ntrain d\u2019ar ranger l es b\u00eates. \n\u2013 Ah ! qu\u2019avait fai t Z\u00e9phi rin. Alorss e, qui c\u2019 est donc \nqu\u2019\u00e9t ait \u00e0 la S aute tout \u00e0 l\u2019heure ? \n\u2013 \u00c7a, m\u2019si eu le garde, j \u2019sais pas, mais \u00e7a \nm\u2019\u00e9tonnerait pas que \u00e7a \u00ab soye \u00bb les Velrans . Hier \nencore, tenez, ils ont \u00ab acaille n\u00e9 \u00bb les deux Gibus quand \nils ret ournaient au Vernois. \n\u00ab C\u2019est des gosses mal \u00e9lev\u00e9 s, on voit bien que c\u2019est \ndes cafards, allez ! avait- il ajout\u00e9 hypocritement, \nflagornant l\u2019anticl\u00e9ricalisme du vieux soldat. \n\u2013 Je m\u2019en dout ais, n.. d. D... ! grogna B\u00e9douin en \ngrin\u00e7ant ce qui lui res tait de dents, car, on s \u2019en \nsouvient, Longeverne \u00e9tait ro uge, et Velrans blanc, oui, \nn.. d. D... ! je m\u2019en doutais ; les mal \u00e9lev\u00e9s ! c\u2019est \u00e7 a \nleur religion, montrer son cu l aux honn\u00eates gens ! Race \nde cur\u00e9s, race de brigands ! ah ! les salauds ! que j\u2019en \nattrape un ! \nEt ce disant, Z\u00e9phirin, apr\u00e8s avoir souhait\u00e9 aux \ngosses de bi en s\u2019 amus er et d\u2019 \u00eatre toujours sages, \u00e9tait \nentr\u00e9 boi re sa petite \u00ab pur \u00e9e \u00bb chez Fricot. \n\u2013 Il crevait de soif ! contin ua La Crique ; aussi elle \nn\u2019a pas fait long feu, maint enant il sirote la seconde ; \nj\u2019ai laiss\u00e9 Chanchet et Pirouli l\u00e0-bas pour le surveiller et \nvenir nous pr\u00e9venir au cas o\u00f9 il sortirait avant mon \n 135retour. \n\u2013 \u00c7a va tr\u00e8s bi en ! concl ut Lebrac, se d\u00e9ridant tout \u00e0 \nfait. Mai ntenant quels s ont ceus ses qui peuvent res ter \nencore un petit moment i ci ? Nous n\u2019avons pas besoi n \nd\u2019\u00eatre tous ensemble, au contr aire ! \nHuit se d\u00e9cid\u00e8rent, les chefs naturellement. \nGambette, parmi eux, fut plus long \u00e0 prendre une \nr\u00e9solution, il habitait loin, lui ! Mais Lebrac lui fit \nremarquer que les Gibus restaient bien et que, comme \nc\u2019\u00e9tait lui le plus leste, on aurait s\u00fbrement besoin de son \nconcours. Sto\u00efque, il se rend it aux raisons de son chef, \nrisquant la racl\u00e9e paternelle si l\u2019alibi ne prenait pas. \n\u2013 Maintenant, vous autres, exposa Lebrac, c\u2019est pas \nla peine de vous faire engueul er \u00e0 la maison, allez-vous-\nen ! on fera bien sans vous ; demain on vous racontera \ncomment que l es chos es se sont pass\u00e9es ; ce soir, vous \nnous g\u00eaneriez pl ut\u00f4t, et dor mez tranquilles, le vieux va \nnous payer ses dettes. Surt out, ajouta-t-il, \u00e9campillez-\nvous, ne restez pas en bande , on pourr ait peut- \u00eatre se \ndouter de \u00ab qu\u00e9que chose \u00bb et il ne faut pas de \u00e7a. \nQuand la bande fut r\u00e9duite \u00e0 Lebrac, Camus, Tintin, \nLa Crique, Boulot, les deux Gi bus et Gambette, le chef \nexposa son plan. \nIls allaient tous, en si lence, leurs cordes de v\u00e9llie \u00e0 \nla main tra\u00eenant derri\u00e8re eux, descendre la grande r ue \n 136du village et les hommes d\u00e9 sign\u00e9s \u00e0 cet effet se \nplaceraient aux endroits voul us, entre deux fumiers se \nfaisant face. \nDeux gr oupes de deux gars suffiraient pour tendr e, \nen travers de la route, au passage du garde, les rets \ntra\u00eetres qui le feraient tr\u00e9bu cher, rouler \u00e0 terre et pas ser \npour pl us saoul encore qu\u2019i l ne ser ait. Il y aurait quatr e \nendroits o\u00f9 l\u2019on t endrait les embuscades. \nOn descendit : au fumier de chez Jean-Baptiste on \nlaissa un lien et un aut re \u00e0 ce lui de chez Groscoulas : \nBoul ot et Tigibus devaient revenir au dernier, La \nCrique et Grangibus \u00e0 l \u2019avant- dernier. En at tendant ils \ncontinu\u00e8rent tous \u00e0 avancer et Boulot, chef \nd\u2019embuscade, s\u2019arr\u00eata avec son camarade au fumier de \nchez Botot, tandis que La Crique et son copain venaient \nse poster \u00e0 celui de chez Doni. \nLes autres all\u00e8rent releve r de l eur faction C hanchet \net Pirouli qu\u2019ils renvoy\u00e8rent d\u2019abord et imm\u00e9diatement \ndans leurs foyers. Ensuite de quoi , ils s\u2019 en fur ent, \u00e0 \ntravers les carreaux, reluque r ce que faisait le vieux. \nIl en \u00e9t ait \u00e0 sa tr oisi\u00e8me absint he et p\u00e9r orait comme \nun d\u00e9put\u00e9 sur ses campagnes r\u00e9elles ou imaginaires, \nimaginair es plut \u00f4t, car on l\u2019 entendait dire : \u00ab Oui, un \njour que je m\u2019en devais venir en permission depuis \nAlger \u00e0 Marseille, j\u2019arrive ju ste n.. de D... que le bateau \nvenait de partir. \n 137\u00ab Qu\u2019est-ce que je fais ? \u2013 Y avait justement une \nbonne femme du pays qui lavait la bu\u00e9e1 au bord de la \nmer. Je ne fais ni une ni deusse, j\u2019y fous le nez dans un \nbaquet, je renverse son cuveau , je saute dedans et avec \nma crosse de fusil je rame da ns le \u00ab suillage \u00bb du bateau \net je suis arriv\u00e9 quasiment avant lui \u00e0 Marseille. \u00bb \nOn avait le temps ! Ga mbette fut laiss\u00e9 en \nembuscade derri\u00e8re un tas de fagots. Il devait, le \nmoment venu, pr\u00e9venir le s deux groupes ainsi que \nLebrac et ses aco lytes de la sortie de Z\u00e9phirin. \nEn attendant, il put entendre le r\u00e9cit de la derni\u00e8re \nentrevue de B\u00e9douin a vec son vieux copain \n\u00ab l\u2019empereur \u00bb Napol\u00e9on III. \n\u2013 Oui, comme je passai s \u00e0 Paris, pr \u00e8s des T uileries, \nje m\u2019 demandais si j\u2019ent rerais lui donner le bonj our, \nquand j\u2019sens quelqu\u2019un qui me tape sur l\u2019\u00e9paule. Je me \nretourne... \nC\u2019\u00e9tait lui ! \u2013 Oh ! ce sa cr\u00e9 Z\u00e9phirin, qu\u2019il a fait, \ncomme \u00e7a se trouve ! Entrons, on va boir e la goutt e ! \n\u2013 G\u00e9nie2, cria-t-il \u00e0 l\u2019imp\u00e9ratrice, c\u2019est Z\u00e9phirin ; on \nva trinquer, rince deux verres ! \nLes tr ois gaill ards, pendant ce t emps, remontaient l e \n \n1 Lavait la lessive. \n2 G\u00e9nie : abr\u00e9viation d\u2019E ug\u00e9nie. \n 138village et arrivaient \u00e0 la maison du garde. \nPar une lucarne de la remise, Leb rac se glissa \u00e0 \nl\u2019int\u00e9rieur, ouvrit \u00e0 ses ca marades une petite porte \nd\u00e9rob\u00e9e et tous tr ois, de c ouloir en couloir , p\u00e9n\u00e9tr\u00e8rent \ndans l\u2019 appart ement de B \u00e9douin o\u00f9, un quart d\u2019heur e \ndurant, il s se livr \u00e8rent \u00e0 un myst\u00e9rieux travail parmi les \narrosoirs, le s ma rmite s, les la mpes, le bidon de p\u00e9trole, \nles buffets, le lit et le po\u00eale. \nEnsuite de quoi, le tirouit de Gambette annon\u00e7ant le \nretour de leur victime, ils se retir\u00e8rent aussi \ndiscr\u00e8tement qu\u2019ils \u00e9taient entr\u00e9s. \nVivement ils accoururent au deuxi\u00e8me poste de \nBoul ot o\u00f9 ils arr iv\u00e8rent bien avant l a venue de ce \ndernier. \nLe p\u00e8re Z\u00e9phirin, apr\u00e8s av oir en ef fet une der ni\u00e8re \nfois encore racon t\u00e9 \u00e0 F ricot des hi stoires sur les \n\u00ab Arbis \u00bb et l es \u00ab chacails \u00bb et parl \u00e9 des \u00ab raquins \u00bb qui \ninfectaient la rade d\u2019Alger, m\u00eame qu\u2019une de ces sales \nb\u00eates avait, un jour qu\u2019ils se baignaient, coup\u00e9 le \n\u00ab zobi \u00bb \u00e0 un de ses camara des et que l a mer s\u2019\u00e9tait \ntoute teinte de sang, partit en titubant et en tra\u00eenant les \nsemelles sous les regards amus\u00e9s du bistro et de sa \nfemme. \nQuand il arriva vers ch ez Doni, pouf ! il prit une \npremi\u00e8re b\u00fbche en j urant des \u00ab tonnerre de Dieu ! \u00bb \n 139contre ce sale chemin que le p\u00e8re Br\u00e9da, le cantonnier \n(un feignant qui n\u2019avait fait que sept ans et la campagne \nd\u2019Italie, quelle foutaise !) entretenait salement mal. \nPuis, apr \u00e8s y avoir mis le temps, il se redressa et \nrepartit. \n\u2013 Je crois qu\u2019il a s a malle, jugea Fricot en refermant \nsa porte. \nUn peu plus loin, la liane de Boulot, tra\u00eetreusement \ntendue devant ses pas, le fit rouler dans l e ruisseau de \npurin, tandis que filaient en silence, emportant leur lien, \nles deux t\u00e9n\u00e9br eux machinateurs. \nAu fumier de chez Grosc oulas, il ne manqua pas \nnon plus de reprendre la b\u00fb che, en sacrant de tous ses \npoumons contre ce salaud de pays o\u00f9 l\u2019on n\u2019y voyait \npas plus clair que dans le c.. d\u2019une n\u00e9gresse. \nCependant les gens, attir \u00e9s par son vacarme, \nsortaient sur le pa s de leurs portes et disai ent : \n\u2013 Eh bien, je crois qu\u2019il a sa paille, le vieux briscard, \nce soir : pour une bell e cuite, c\u2019est une belle cuite ! \nEt qui nze ou vi ngt paires d\u2019yeux purent constat er \nque, vingt pas plus loin, le vieux, m\u00e9connaissant encore \nles lois de l\u2019\u00e9quilibre, repr enait une de ces b\u00fbches qui \ncomptent dans la vie d\u2019un poivrot. \n\u2013 J\u2019suis pourtant pas saou l ! nom de Dieu ! b\u00e9gayait-\nil en portant la main \u00e0 son front boss u\u00e9 et \u00e0 son nez \n 140meurtri. J\u2019ai pr esque ri en bu . C\u2019est la col\u00e8re qui m\u2019a \nmont\u00e9 \u00e0 la t\u00eate ! ah les salauds ! \nIl n\u2019avait plus de genoux \u00e0 son pantal on et il mit \nbien ci nq mi nutes \u00e0 tr ouver sa clef, ensevelie au fond de \nsa poche sous son ample m ouchoir \u00e0 carreaux, parmi \nson couteau, sa bourse, sa ta bati\u00e8re, sa pipe, sa blague \net sa bo\u00eete d\u2019all umettes . \nEnfin il entra. \nLes curieux qui le suivirent, au nombre desquels les \nhuit moutar ds, constat \u00e8rent d\u00e8s s es premi ers pas un \nvacarme d\u2019arrosoirs renvers\u00e9 s. C\u2019\u00e9tait pr\u00e9vu, ils les \navaient dispos\u00e9s pour cel a. En fin, le vieux, s\u2019\u00e9tant fray\u00e9 \ntout de m\u00eame un passage, a rriva au r\u00e9duit creus\u00e9 dans \nle mur o\u00f9 il logeait ses allumettes. \nIl en frotta une sur son pant alon, sur la bo\u00eete, sur le \ntuyau du po\u00eale, sur le mur : elle ne prit point ; il en \nfrotta une deuxi\u00e8me, puis un e troisi\u00e8me, une quatri\u00e8me, \nune cinqui \u00e8me, touj ours sans r\u00e9sultat malgr\u00e9 les \nchangements de frottoirs. \n\u2013 Frotte, mon vieux ! ricanait C amus qui l es avait \ntoutes tremp\u00e9es dans l\u2019eau. Frotte ! \u00e7a t\u2019amusera. \nLas de fr otter en vai n, Z\u00e9phirin en cher cha une dans \nsa poche, la frotta, l\u2019enflam ma et voul ut al lumer s a \nlampe \u00e0 p\u00e9trole ; mais la m \u00e8che fut r\u00e9calcitrante elle \naussi et ne voul ut jamais pr endre. \n 141Z\u00e9phirin par contre s\u2019\u00e9chauffait : \n\u2013 Sacr\u00e9 nom de Dieu de no m de Dieu de saloperie \nde put asserie de vache ! Ah ! nom de Dieu ! tu ne veux \npas prendr e ! ah ! tu ne veux pas prendre, vraiment ! ah \noui, c\u2019est comme \u00e7a, eh bien ! tiens ! nom de Dieu ! \nprends celle-l\u00e0, salet\u00e9, fit-il en la lan\u00e7ant de toutes ses \nforces contre son po\u00eale, o\u00f9 elle se brisa avec fracas. \n\u2013 Mais, il va foutre le feu \u00e0 sa bo\u00eete ! fit qu elqu\u2019un. \n\u2013 Pas de danger, pensait Lebrac, qui avait rempl ac\u00e9 \nle p\u00e9trole par un reste de vi n blanc tra\u00eenant au fond \nd\u2019une bouteille. \nApr\u00e8s cet exploit, le vieux, ambulant dans \nl\u2019obscurit\u00e9, heurta son po\u00eale, renversa des chaises, \ndonna du pied dans les ar rosoirs, tituba parmi les \nmarmites, beugla, jura, injuria tout l e monde, tomba, s e \nreleva, sortit, rentra et finalem ent, fatigu\u00e9 et meurtri, se \ncoucha tout habill\u00e9 su r son lit o\u00f9 un voisin, le \nlendemain matin, a lla le trouver, ronflant comme un \ntuyau d\u2019orgue au milieu d\u2019un magnifique d\u00e9sordre qui \nn\u2019\u00e9tait pas pour autant un effet de l\u2019art. \nPeu de temps apr\u00e8s, on en tendait dire par le village, \net Lebrac et les copains en ri aient sous cape, que le p\u00e8re \nB\u00e9douin \u00e9tait \u00ab si tellement \u00bb saoul la veille au soir, \nqu\u2019il \u00e9tait tomb\u00e9 huit fois en sortant de chez Fricot, \n 142qu\u2019il avait tout renvers\u00e9 en rentrant chez lui, cass\u00e9 sa \nlampe, piss\u00e9 au lit et ch.. dans sa marmite. \n 143 \n \n \n \n \nLivre II \n \nDe l\u2019argent ! \n 144 \n \nLe tr\u00e9sor de guerre \n \nL\u2019argent est le nerf de la guerre. \nBISMARCK. \n \nLes camarades, le lendem ain, en se rendant \u00e0 \nl\u2019\u00e9col e, apprir ent lambeau par lambeau l \u2019histoi re du \np\u00e8re Z \u00e9phiri n. Le vill age, tout enti er en r umeur, \ncommentait joyeusement les diverses phases de cette \nbachique \u00e9quip\u00e9e : seul le h\u00e9 ros principal, ronflant d\u2019un \nsommeil d\u2019ivrogne, ignorait e ncore les d\u00e9g\u00e2ts commis \ndans s on m\u00e9nage et les coup s de mine dont sa conduite \nde la veille avait sap\u00e9 sa r\u00e9put ation. \nDans la cour de l\u2019\u00e9cole, le groupe des grands, \nLebrac au centre, se torda it de rire, chacun racontant \ntr\u00e8s haut , pour que l e ma\u00eetre entend\u00eet, tout ce qu\u2019il \nsavait des histoires scabreuses qui courai ent les r ues, et \ntous insistaient avec force s ur les d\u00e9t ails salaces et \nverts : la marmite et le lit. Ceux qui ne disaient rien \nriaient de toutes leurs dents et leurs yeux orgueilleux \nluisaient d\u2019un feu vainqueur, car ils songeaient qu\u2019ils \navaient tous pl us ou moins coop\u00e9r\u00e9 \u00e0 ces \u00e9quitables et \ndignes r epr\u00e9saill es. \n 145Ah ! il pouvait gueuler main tenant, Z\u00e9phirin ! Qu el \nrespect voul ez-vous qu\u2019on port e \u00e0 un type qui se saoule \n\u00ab si tellement \u00bb qu\u2019on le ramasse plein comme une \nvache dans les fosses \u00e0 purin de la commune et perd la \ntramontane \u00e0 un tel point qu\u2019 il en vient \u00e0 consid\u00e9rer son \nlit comme une pissoti\u00e8re et \u00e0 prendre sa marmite pour \nun pot de chambre. \nSeulement, en sourdi ne, les pl us gr ands, les \nguerriers importants, sollic itaient des exp lications e t \nr\u00e9clamai ent des d\u00e9t ails. Bient \u00f4t tous connurent la part \nque chacun des huit avai t eue dans l\u2019oeuvre de \nvengeance. \nIls surent ainsi que le coup des arrosoirs et celui des \nallumett es \u00e9tai ent de C amus, Tintin guettant l \u2019arriv\u00e9e et \nle signal de Gambette, et que l es grosses op\u00e9r ations \n\u00e9taient les fr uits de l\u2019i magination de Lebr ac. \nLe vieux s\u2019apercevrait encore plus tard que le vin \nrestant dans sa bouteille avait un go\u00fbt de p\u00e9trole ; il se \ndemanderait quel cochon de chat avait mis le nez dans \nson bol de cancoillotte1 et pourquoi ce reste de fricot \nd\u2019oignons \u00e9t ait si sal\u00e9... \nOui, et ce n\u2019 \u00e9tait pas tout. Qu\u2019il recommen\u00e7\u00e2t \nseulement pour voir, \u00e0 em... nuyer Lebrac et sa troupe ! \net on lui r\u00e9serverait qu\u00e9que ch ose de mieux encor e et de \n \n1 From age mou particulier \u00e0 la Com t\u00e9. \n 146plus soi gn\u00e9. Le chef rumi nait, en effet, de lui boucher \nsa chemin\u00e9e avec de la marne, de lui d\u00e9monter sa \ncharr ette et d\u2019 en faire dis para\u00eetre les roues, de venir lui \n\u00ab r\u00e2per la tuile \u00bb1 tous les soirs penda nt huit jours, sans \ncompter le pillage des fruits de son verger et la mis e \u00e0 \nsac de son pot ager. \n\u2013 Ce soir, conclut-il, on se ra tranquille. Il n\u2019osera \npas s ortir. D\u2019abord il est t out \u00ab beugn\u00e9 \u00bb d\u2019avoir piqu\u00e9 \ndes t\u00eates dans les rigol es et puis il a ass ez de tr avail \nchez lui. Quand on a de la bes ogne chez soi, on ne \nfourre pas le nez dans celle des autr es ! \n\u2013 Est-ce qu\u2019 on va s e remettre encore \u00e0 poil ? \nquesti onna Boul ot. \n\u2013 Mais, puis que nous ne ser ont pas emb\u00eat\u00e9s , fit \nLebrac, bien s\u00fbr ! \n\u2013 C\u2019est que, hasard\u00e8rent plusieurs voix mon vieux, \ntu sais, il ne fais ait gu\u00e8r e chaud hi er au soir , on en \u00e9t ait \ntout \u00ab rengremesill\u00e9 \u00bb avant la charge. \n\u2013 J\u2019avais la peau comme une poule d\u00e9plum\u00e9e, moi, \nd\u00e9clara T intin, et l e zizi qu i fondait \u00ab si tellement \u00bb que \ny en avait pus. \n \n1 R\u00e2per la tuile, f arce consistan t \u00e0 frotter un e forte tuile c ontre la \nfa\u00e7ade ext\u00e9rieure du mur d\u2019une mais on. Il se produit \u00e0 l\u2019in t\u00e9rieur u n \nvacarm e myst\u00e9rieux, d \u2019autant plus myst \u00e9rieux qu\u2019on le cro it int\u00e9rieu r et \nqu\u2019on ne peut en d \u00e9couvrir la source. \n 147\u2013 Et pui s les Velr ans ne ve ulent pas venir ce soir. \nHier, ils ont tr op eu l e trac. Ils ne savai ent pas ce qui \nleur arrivait dessus. Ils ont cr u qu\u2019on tombait de la lune. \n\u2013 C\u2019\u00e9tait pas ce qui manqua it, le s lunes, remarqua \nLa Crique. \n\u2013 S\u00fbrement que ce soir ils vont mus er \u00e0 ce qu\u2019ils \npourraient bien trouver et on en serait pour se moisir l\u00e0-\nbas, sur place ! \n\u2013 Si B\u00e9doui n ne vient pas ce soi r, il peut venir \nquelqu\u2019un d\u2019autre (il a d\u00fb bl aguer chez Fricot) et on \nrisque bi en pl us encor e de se faire piger ; tout le monde \nn\u2019est pas aussi d\u00e9cati que le garde ! \n\u2013 Et puis, nom de Dieu ! non ! je ne me bats plus \u00e0 \npoil, articula Guerreuillas, levant carr\u00e9ment l\u2019\u00e9tendard \nde la r\u00e9volt e ou tout au moins de la pr otest ation \nirr\u00e9ductible. \nChose grave ! Il fut appuy\u00e9 par de tr\u00e8s nombreux \ncamarades qui s\u2019en \u00e9taient toujours remis docilement \naux d\u00e9cisions de Lebrac. La raison de ce d\u00e9s accord, \nc\u2019est que la veille, au cour s de la charge, en plus du \nfroid ressenti, ils s\u2019\u00e9taient en outre qui plant\u00e9 une \u00e9pine \ndans le pied, qui \u00e9corch\u00e9 le s orteils sur des chardons ou \nbless\u00e9 les talons en mar chant sur des cailloux. \nBient \u00f4t tout e l\u2019arm\u00e9e ban calerait ! Ce serait du \npropre ! Non vr aiment, \u00e7a n\u2019 \u00e9tait pas un m\u00e9ti er ! \n 148Lebrac, seul, ou presque, de son opinion, dut \nconvenir que le moyen qu\u2019il avait pr\u00e9conis \u00e9 offrait en \neffet de notoires inconv\u00e9nients et qu\u2019il serait bon d\u2019en \ntrouver un autre. \n\u2013 Mais lequel ? Trouvez-e n puisque vous \u00eates si \nmalins ! reprit-il, vex\u00e9 au fond du peu de succ\u00e8s en \ndur\u00e9e qu\u2019avait eu son entreprise. \nOn chercha. \n\u2013 On pourr ait peut-\u00eat re se battre en manches de \nchemises, proposa La Crique ; les blouses au moi ns \nn\u2019auraient pas de mal et, avec des ficell es pour les \nsouliers et des \u00e9pingles po ur le pantalon, on pourrait \nrentrer. \n\u2013 Pour te faire punir le lendemain par le p\u00e8re Simon \nqui t e dira que t u as une tenue d\u00e9braill\u00e9e et qui en \npr\u00e9viendra tes vieux ! hein ! Qui c\u2019est qui te remettra \ndes bout ons \u00e0 ta chemis e et \u00e0 t on tri cot ? Et tes \nbretelles ? \n\u2013 Non, c\u2019est pas un moyen \u00e7a ! Tout ou rien ! \ntrancha Lebrac. Vous ne voulez pas de ri en, il faut tout \ngarder. \n\u2013 Ah ! fit La Crique, si on avait quelqu\u2019un pour nous \nrecoudre des boutons et re faire les boutonni\u00e8res ! \n\u2013 Et aussi pour te racheter des cordons, et des \njarreti\u00e8res, et des br etelles, hei n ? Pourquoi pas pour te \n 149faire pis ser pendant que tu y es et puis torcher le \n\u00ab jacquot \u00bb \u00e0 \u00ab moci eu \u00bb quand il a fini de se vider l e \nboyau gras, hein ! \n\u2013 Ce qu\u2019il faut, j e vous le dis encore, moi, na ! \n\u00ab pisse que \u00bb vous ne trouvez rien, reprit Lebrac, ce \nqu\u2019il nous faut, c\u2019est des sous ! \n\u2013 Des sou s ? \n\u2013 Oui, bien s \u00fbr ! parfait ement ! des sous ! Avec des \nsous on peut acheter des bout ons de tout es sortes, du fi l, \ndes ai guilles, des agraf es, des bretelles, des cordons de \nsouliers, du \u00ab lastique \u00bb, to ut, que je vous dis, tout ! \n\u2013 C\u2019est bien vrai \u00e7a, to ut de m\u00eame ; mais pour \nacheter ce f ourbi que t u dis, il f audrait qu\u2019on nous en \ndonne beaucoup de sous, p\u2019t\u2019 \u00eatre bien cent s ous ! \n\u2013 Merde ! une r oue de br ouette ! jamais on n\u2019 aura \n\u00e7a. \n\u2013 Pour qu\u2019on nous les donne d\u2019un seul coup, \ns\u00fbrement non ; il n\u2019 y a pa s \u00e0 y compter, mais \u00e9coutez-\nmoi bi en, insista Lebrac, i l y aur ait un moyen t out de \nm\u00eame d\u2019avoir presque tout ce qu\u2019il nous faut. \n\u2013 Un moyen que t u... \n\u2013 \u00c9coute donc ! C\u2019est pas tous l es jour s qu\u2019 on est \nfait prisonnier, et puis nous en rechiperons des p\u2019tits \nMigue l a Lune et alors... \n 150\u2013 Alors ? \n\u2013 Alors nous les gar derons, leurs bout ons, leurs \nagrafes, leurs bretelles, aux peigne-culs de Velrans ; au \nlieu de couper les co rdons, on les mettr a de c\u00f4t\u00e9 pour \navoir une petite r\u00e9serve. \n\u2013 Il ne f aut pas vendr e la peau de l\u2019ours avant de \nl\u2019avoir pris, interrompit La Crique, qui, bien que jeune, \navait d\u00e9j\u00e0 des lettres. Si no us voul ons \u00eatr e s\u00fbrs d\u2019 avoir \ndes boutons, et nous pouvons en avoir besoin d\u2019un jour \n\u00e0 l\u2019autre, le meilleu r est d\u2019en acheter. \n\u2013 T\u2019as des ronds ? ironi sa Boulot. \n\u2013 J\u2019en ai sept dans une tirelir e en f orme de \n\u00ab guernouille \u00bb, mais il n\u2019y a pas \u00e0 compter dessus, la \nguernouille les d\u00e9gobillera pa s de sit\u00f4t ; ma m\u00e8re sait \n\u00ab combien qu\u2019il y en a \u00bb, elle garde le fourbi dans le \nbuffet. Elle dit qu\u2019elle veut m\u2019acheter un chapeau \u00e0 \nP\u00e2ques... ou \u00e0 la Trinit\u00e9, et si j\u2019en fais ais coul er un je \nrecevrais une belle dingu\u00e9e. \n\u2013 C\u2019est toujours comme \u00e7a, bon Dieu ! ragea Tintin. \nQuand on nous donne des sous , c\u2019est jamais pour nous ! \nFaut abs olument que l es vieu x pos ent le grappin dess us. \nIls dis ent qu\u2019ils font de gr ands s acrifices pour nous \n\u00e9lever, qu\u2019ils en ont bi en besoin pour nou s acheter des \nchemises , des habits, des sabot s, j\u2019sais ti quoi ! moi ; \nmais je m\u2019en fous de leurs ni ppes, je voudrais qu\u2019on me \n 151les donne, mes ronds, pour que je puisse acheter \nquelque chose d\u2019utile , ce que je voudrais : du chocolat, \ndes billes, du lastique pour une fronde, voil\u00e0 ! mais il \nn\u2019y a vr aiment que ceux qu\u2019o n accroche par-ci par-l\u00e0 \nqui sont bien \u00e0 nous et encore faut pas qu\u2019i ls tra\u00ee nent \nlongtemps dans nos poches ! \nUn coup de sifflet interrom pit la discussion, et les \n\u00e9coliers se mirent en rang pour entrer en classe. \n\u2013 Tu sais, confia Grangibus \u00e0 Lebrac, moi, j\u2019ai deux \nronds qui sont \u00e0 moi et que personne ne sait. C\u2019est \nTh\u00e9odul e d\u2019Ouvans qui es t venu au moulin et qui me \nles a donn\u00e9s passe que j\u2019ai tenu son cheval. C\u2019est un \nchic type, Th\u00e9odule, il donn e toujours qu\u00e9que chose... \ntu sais bi en, Th\u00e9odul e, le r\u00e9publicai n, cel ui qui pleur e \nquand il est saoul ! \n\u2013 Taisez-vous , Adoni s ! \u2013 Grangibus \u00e9tait \npr\u00e9nomm\u00e9 Adoni s \u2013 fit l e p\u00e8re Simon, ou j e vous \npunis ! \n\u2013 Merde ! fit Grangibus entre ses dents. \n\u2013 Qu\u2019est-ce que vous marm ottez ? reprit l\u2019autre qui \navait surpris le tremblem ent des l\u00e8vr es ; on verra \ncomme vous bavar derez tout \u00e0 l\u2019heure quand je vous \ninterrogerai sur vos devoi rs envers l\u2019\u00c9tat ! \n\u2013 Dis rien, souffl a Lebr ac, j\u2019ai une i d\u00e9e. \nEt l\u2019on entra. \n 152D\u00e8s que Lebrac fut install\u00e9 \u00e0 sa place, ses cahiers et \nses livres devant lui, il commen\u00e7a par arracher \nproprement une feuille double du milieu de son cahier \nde broui llons . Il la part agea ensuite, par pli ages \nsuccessifs, en trente-deux mo rceaux \u00e9gaux sur lesquels \nil tra\u00e7a, il condensa cette capitale interrogation : \nHattu un\u00e7ou ? (traduir e : as-tu un s ou ?) \npuis il mit sur chacun desdits morceaux, d\u00fbment pli\u00e9s, \nles noms de trente-deux de ses camarades et poussant \nd\u2019un seul coup de coude br usque Tintin, il lui glissa, \nsubrepticement et l\u2019une ap r\u00e8s l\u2019autre, les trente-deux \nmissives en les accompag nant de la phrase \nsacramentelle : \u00ab Pass e \u00e7a \u00e0 ton voisin ! \u00bb \nEnsuite, sur une grande feu ille, il r\u00e9inscrivit ses \ntrente-deux noms et pendant que le ma\u00eetre interrogeait, \nlui aussi, du regard, demandait successivement \u00e0 \nchacun de ses corr espondants la r\u00e9ponse \u00e0 sa question, \npointant au fur et \u00e0 mes ure, d\u2019une cr oix ( +) ceux qui \ndisai ent oui , d\u2019un trait hor izontal (- ) ceux qui dis aient \nnon. Puis il compt a ses croix : il y en avait vingt-sept. \n\u2013 Y a du bon ! pens a-t-il. Et il se plongea dans de \nprofondes r\u00e9flexions et de lo ngs calculs pour \u00e9tablir un \nplan dont son cerveau depui s quelques heures \u00e9bauchait \nles grandes lignes. \n\u00c0 la r\u00e9cr\u00e9ation, il n\u2019eut point besoin de convoquer \n 153ses guerriers. Tous vinrent d\u2019eux-m\u00eames \nimm\u00e9di atement se placer en ce rcle autour de lui, dans \nleur coin, derri\u00e8re les cabinets, tandis que les tout-\npetits, d\u00e9j\u00e0 complices, mais qui n\u2019avaient pas voix \nd\u00e9lib\u00e9rative, formaient en jo uant un rempart protecteur \ndevant eux. \n\u2013 Voil\u00e0, exposa le chef. Il y en a d\u00e9j\u00e0 vingt-sept qui \npeuvent payer et j\u2019ai pas pu envoyer de lettre \u00e0 tous. \nNous s ommes quarant e-cinq. Quel s sont ceux \u00e0 qui je \nn\u2019ai pas \u00e9crit et qui ont aussi un sou \u00e0 eux ? Levez la \nmain ! \nHuit mains sur treize se dress\u00e8rent. \n\u2013 \u00c7a fait vingt-sept et hui t. Voyons, vingt- sept et \nhuit... vingt-huit, vingt-neuf, trente... fit-il en comptant \nsur ses doigts. \n\u2013 Trente-cinq, va ! coupa La Crique. \n\u2013 Trente-cinq ! t\u2019es bien s\u00fbr ? \u00e7a fait donc trente-\ncinq sous. Trente-cinq sous , c\u2019est pas cent sous, en \neffet, mais c\u2019 est qu\u00e9que chose. Eh bien ! voici ce que je \npropos e : \nOn est en r\u00e9publique, on est tous \u00e9gaux, tous \ncamarades, tous fr\u00e8res : Libert\u00e9, \u00c9galit\u00e9, Fraternit\u00e9 ! on \ndoit tous s\u2019aider, hei n, et faire en sorte que \u00e7a marche \nbien. Al ors on va vot er comme qui dirait l\u2019imp\u00f4t, oui, \nun imp\u00f4t pour faire une bourse, une caisse, une \n 154cagnotte avec quoi on ach\u00e8te ra notre tr\u00e9sor de guerre. \nComme on est tous \u00e9gaux, chac un paiera une cotisation \n\u00e9gale et tous auront droit, en cas de mal heur, \u00e0 \u00eatre \nrecousus et \u00ab rarrang\u00e9s \u00bb pour ne pas \u00eatre \u00ab zonzen\u00e9s \u00bb \nen rentrant chez eux. \nIl y a la Marie de chez Tintin qui a dit qu\u2019elle \nviendrait recoudre le fourbi de ceux qui s eraient pris ; \ncomme \u00e7a, vous voyez, on pour ra y aller carr\u00e9ment. Si \non est chauff\u00e9, tant pis ; on se laisse faire sans rien dire \net au bout d\u2019 une demi- heure on rentre pr opre, \nreboutonn\u00e9, ret ap\u00e9, r equinqu\u00e9, et qui c\u2019est qu\u2019est les \ncons ? C\u2019 est les Velrans ! \n\u2013 \u00c7a, c\u2019est chouette ! Mais des sous, on n\u2019en a \ngu\u00e8re, tu sais, Lebrac ? \n\u2013 Ah ! mais, s acr\u00e9 nom de Dieu ! est-ce que vous ne \npouvez pas faire un petit sacrif ice \u00e0 la Patrie ! Seriez-\nvous des tra\u00eetres par hasard ? Je pr opos e, moi, pour \ncommencer et avoir tout de suite quelque chose, qu\u2019on \ndonne d\u00e8s demain un sou par mo is. Plus t ard, si on est \nplus riches et si on fait des pris onnier s, on ne mettra \nplus qu\u2019un sou tous les deux mois. \n\u2013 Mince, mon vieux, comm e tu y vas ! T\u2019es donc \n\u00ab m\u00e9llionnaire \u00bb, toi ? Un sou par moi ! c\u2019est des \nsommes \u00e7a ! Jamais je pour rai trouver un sou \u00e0 donner \ntous les mois. \n 155\u2013 Si chacun ne peut pas se d\u00e9vouer un tout petit peu, \nc\u2019est pas la pei ne de f aire la guerre ; vaut mieux avouer \nqu\u2019on a de l a pur\u00e9e de pomm es de terre dans les vei nes \net pas du sang rouge, du sa ng fran\u00e7 ais, nom de Dieu ! \n\u00cates-vous des Alboches ? oui ou merde ? Je comprends \npas qu\u2019 on h\u00e9sit e \u00e0 donner ce qu\u2019on a pou r assurer la \nvictoire ; moi je donnerai m\u00eame deux ronds... quand \nj\u2019en aurai. \n\u2013 Alors c\u2019est entendu, on va vot er. \nPar trent e-cinq voix cont re dix, la pr oposit ion de \nLebrac fut adopt\u00e9e. Vot\u00e8rent contr e, naturellement, l es \ndix qui n\u2019avaient pas en leur possession le sou exigible. \n\u2013 Pour ce qui est de vot\u2019affaire, trancha Lebrac, j\u2019y \nai pens \u00e9 aussi, on r\u00e9gler a \u00e7a \u00e0 quatr e heures \u00e0 la carri \u00e8re \n\u00e0 Pepi ot, \u00e0 moi ns qu\u2019on ail le \u00e0 celle ous qu\u2019on \u00e9tait hier \npour s e d\u00e9s habiller. Oui , on y ser a mieux et pl us \ntranquilles. \nOn mettra des sentinelles po ur ne pas \u00eatre surpris au \ncas o\u00f9, par hasard, les Ve lrans viendraient quand \nm\u00eame, mais j e ne cr ois pas. \nAllez , \u00e7a va bien ! ce soir tou t sera r\u00e9gl\u00e9 ! \n 156 \n \nFaulte d\u2019argent, c\u2019est doleur non pareille \n \nToustef ois, il avoit s oixante et trois \nmani\u00e8res d\u2019en trouver toujours \u00e0 son \nbesoing, dont la plus honorable et la plus \ncommune estoit par fa\u00e7on de larrecin \nfurtivem ent faict. \nRABELAIS (livre II, chap. XVI). \n \nCela pi n\u00e7ait sec, ce s oir-l\u00e0. Il fais ait un t emps cl air \nde nouvelle l une. L a fine cor ne d\u2019 argent p\u00e2l e, \ntransluci de encore aux dern iers rayons du sol eil, \npr\u00e9disait une de ces nuits br utales et franches qui vous \nrasent les feuilles, les dern i\u00e8res feuilles, claquant sur \nleurs branches d\u00e9sol\u00e9es co mme les gr elots f\u00eal\u00e9s des \ncavales du vent. \nBoulot, frileux, avait rabattu sur ses oreilles son \nb\u00e9ret bl eu ; Tinti n avait ba iss\u00e9 les oreill\u00e8res de sa \ncasquette ; les autres aussi s\u2019ing\u00e9niaient \u00e0 lutter contre \nles \u00e9pines de la bise ; seul , Lebrac, nu-t\u00eate, tann\u00e9 encore \ndu sol eil d\u2019\u00e9t\u00e9, la bl ouse ouverte, faisait fi de ces \nfroidures de rien du tout, comme il disait. \nLes premiers arriv\u00e9s \u00e0 la Carri\u00e8re attendirent les \n 157retardataires et le chef ch argea T\u00e9tas, T igibus et \nGuignard d \u2019aller un mo ment surveiller la lisi\u00e8re \nennemie. \nIl conf\u00e9r a \u00e0 T \u00e9tas les pouvoi rs de chef et lui dit : \n\u00ab Dedans \u00bb un quart d\u2019heure, quand on sifflera, si t\u2019as \nrien vu, tu monteras sur le ch\u00eane \u00e0 Camus et si tu ne \nvois rien encore, c\u2019est qu\u2019ils ne viendront s\u00fbrement \npas ; alor s vous r eviendrez nous rejoindre au camp. \nLes autres, dociles, acquies c\u00e8rent, et, pendant qu\u2019ils \nallaient pr endre leur quart de garde, le r este de la \ncolonne monta au repaire de Camus, o\u00f9 l\u2019on s\u2019\u00e9tait \nd\u00e9shabill\u00e9 la veille. \n\u2013 Tu vois bien, vieux, constata Boulot, qu\u2019on \nn\u2019aurait pas pu se d\u00e9s habiller auj ourd\u2019 hui ! \n\u2013 C\u2019est bon ! dit Lebrac : du moment qu\u2019on a d\u00e9cid\u00e9 \nde faire autre chose, il n\u2019y a pas \u00e0 revenir sur ce qui est \npass\u00e9. \nOn \u00e9t ait vr aiment bien dans la cachette \u00e0 Camus ; du \nc\u00f4t\u00e9 de Velrans, au couchant et au midi et du c\u00f4t \u00e9 du \nbas, la carri\u00e8r e \u00e0 ciel ouver t formait un r empart nat urel \nqui mett ait \u00e0 l\u2019 abri des vents de pl uie et de nei ge ; des \nautres c\u00f4t\u00e9s, de grands arbres , laissant entre eux et les \nbuissons quelques passages \u00e9tro its, arr\u00eataient les vents \ndu nord et d\u2019est pas chauds pour un liard ce soir-l\u00e0. \n\u2013 Ass eyons- nous , propos a Lebrac. \n 158Chacun choisit s on si\u00e8ge. Les gr osses pi erres plates \ns\u2019offraient d\u2019 elles-m\u00eames, il n\u2019y avait qu\u2019 \u00e0 prendre. \nChacun trouva la sienne et regar da le chef. \n\u2013 C\u2019est donc entendu, artic ula ce dernier, rap pelant \nbri\u00e8vement le vote du mati n, qu\u2019on va se cotiser pour \navoir un t r\u00e9sor de guerr e. \nLes dix pann\u00e9s protest\u00e8rent unanimement. \nGuerr euillas, ainsi nomm\u00e9 pa rce qu\u2019\u00e0 c\u00f4t \u00e9 du sien l e \nregar d de Gui gnard \u00e9tait d\u2019 un Adonis et que ses gr os \nyeux ronds lui sortaient effroy ablement de la t\u00eate, prit la \nparole au nom des sans-le-sou. \nC\u2019\u00e9tait le fils de pauvr es bougr es de pays ans qui \npeinaient du 1er janvi er \u00e0 l a Saint-Sylvestre pour nouer \nles deux bouts et qui, natur ellement, n\u2019offraient pas \nsouvent \u00e0 leur rejeton de l\u2019 argent de poche pour ses \nmenus plaisirs. \n\u2013 Lebrac ! dit-il, c\u2019est pas bien ! tu fais honte aux \npauvr es ! T\u2019as dit qu\u2019on \u00e9tait tous \u00e9gaux et tu sais bien \nque \u00e7a n\u2019 est pas vrai et que moi, que Z ozo, que B ati et \nles autres, nous ne pourrons jama is avoir un radis. J\u2019sais \nbien que t\u2019es genti l avec nous, que quand t\u2019ach\u00e8tes des \nbonbons tu nous en donnes un de temp s en temps et que \ntu nous laisses des f ois l\u00e9cher tes raies de chocol at et tes \nbouts de r\u00e9glisse ; mais tu sa is bien que si, par malheur, \non nous donne un rond, le p\u00e8re ou la m\u00e8re le prennent \n 159aussit\u00f4t pour acheter des four bis dont on ne voit jamais \nla couleur. On te l\u2019a d\u00e9j\u00e0 dit ce matin. Y a pas moyen \nqu\u2019on paye. Alor s on est des gal eux ! C\u2019est pas une \nr\u00e9publique, \u00e7a, na, et je ne peux pas me soumettre \u00e0 la \nd\u00e9cisi on. \n\u2013 Nous non pl us, firent les neuf autres. \n\u2013 J\u2019ai dit qu\u2019 on arranger ait \u00e7a, t onna l e g\u00e9n\u00e9ral, et \non l\u2019arr angera, na ! ou bi en je ne suis plus Lebrac, ni \nchef, ni r ien, nom de Di eu ! \n\u00ab \u00c9coutez-moi, t as d\u2019andouill es, puis que vous ne \nsavez pas vous d\u00e9grouiller tout seuls. \n\u00ab Croyez-vous qu\u2019on m\u2019en donne, \u00e0 moi, des ronds \net que le vieux ne me les chipe pas, lui aussi, quand \nmon parrain ou ma marraine ou n\u2019import e qui vi ent \nboire un litre \u00e0 la maison et me glisse un petit ou un \ngros sou ? Ah oui che ! Si j\u2019ai pas le temps de me tr otter \nassez t\u00f4t et dire que j\u2019ai ache t\u00e9 des billes ou du chocolat \navec le sou qu\u2019on m\u2019 a donn\u00e9, on a bient\u00f4t fait de me le \nraser. Et quand je dis que j\u2019 ai achet\u00e9 des billes, on me \nles fait montrer, passe que si c\u2019\u00e9tait pas vr ai on me le \nferait \u00ab renaquer \u00bb le sou, et quand on l es a vues , pan ! \nune paire de gifles pour m\u2019apprendre \u00e0 d\u00e9penser mal \u00e0 \npropos des s ous qu\u2019 on a ta nt de maux de gagner ; quand \nje dis que j\u2019ai achet\u00e9 des bo nbons, j\u2019ai pas besoin de les \nmontr er, on me fout l a torgnole avant, en disant que je \nsuis un d\u00e9pensier, un gourm and, un goul u, un goi nfre et \n 160je ne sais quoi encore. \n\u00ab Voil\u00e0 ! eh ben, i l faut savoir s e d\u00e9br ouiller dans l a \nvie du monde et j\u2019vas vous di re comment qu\u2019y faut s\u2019y \nprendre. \n\u00ab Je parle pas des commi ssions que tout le monde \npeut r \u00e9ussir \u00e0 faire pour la servante du cur\u00e9 ou la \nfemme au p\u00e8re Simon, ils sont si rapiats qu\u2019ils ne se \nfendent pas souvent ; je parle pas non pl us des s ous \nqu\u2019on peut r amasser aux ba pt\u00eames et aux mariages, \nc\u2019est trop rare et il n\u2019y a pas \u00e0 compter dessus ; mais \nvoici ce que t out le monde peut f aire : \n\u00ab Tous les mois le pattier1 s\u2019am\u00e8ne sur la lev\u00e9e de \ngrange de Fri cot et les femmes l ui port ent leur s vieux \nchiffons et leurs peaux de la pins ; moi je lui donne des \nos et de la ferraille, le s Gibus aussi, pas vrai, \nGrangibus ? \n\u2013 Oui, oui ! \n\u2013 Contre \u00e7a il nous donne des images, des plumes \ndans un petit tonneau, des d\u00e9 calcomanies ou bien u n \nsou ou deux, \u00e7a d\u00e9 pend de ce qu\u2019on a ; mais il n\u2019aime \npas donner des ronds, c\u2019est un sal e grippe-s ou qui nous \ncolle toujours des saloperi es qui ne d\u00e9calquent pas, \ncontr e de bons gr os os de j ambons et de la bel le \n \n1 Chiffonnier. \n 161ferraille, et puis ses d\u00e9calcoma nies \u00e7a ne sert \u00e0 rien. Il \nn\u2019y a qu\u2019\u00e0 lui dire carr\u00e9men t selon ce qu\u2019on porte : Je \nveux un rond ou deux, m\u00eame trois, s\u2019il y a beaucoup de \nfourbi . S\u2019il dit non, on n\u2019 a qu\u2019\u00e0 lui r\u00e9pondre : Mon \nvieux, t\u2019auras peau de z\u00e9bi ! et remporter son truc ; il \nveut bien vous rappeler ce sale juif-l\u00e0, allez ! \n\u00ab Je sais bien que des os et de la ferraille, il n\u2019y en a \npas des tas, mais le meilleu r c\u2019est de chiper des pattes1 \nblanches ; elles valent plus cher que les autres, et lui \nvendr e le pri x et au poi ds. \n\u2013 C\u2019est pas commode chez nous, obj ecta \nGuerr euillas, la m\u00e8re a un gr and s ac sur l e buffet et ell e \nfourr e tout dedans . \n\u2013 T\u2019as qu\u2019\u00e0 tomber sur so n sac et en faire un petit \navec. C\u2019 est pas tout . Vous avez des poules, tout le \nmonde a des poul es ; eh bien , un jour on chipe un oeuf \ndans l e nid, un autre jour un autre, deux jours apr\u00e8s un \ntroisi\u00e8me ; on y va le mati n avant que les poul es aient \ntoutes pondu ; vous cachez bi en vos oeufs dans un coi n \nde la grange, et quand vous avez votre douzaine ou vot\u2019 \ndemi-douzaine, vous prenez bi en gentiment un panier \net, tout comme s i on vous envoyait en commis sion, \nvous les port ez \u00e0 l a m\u00e8re Maillot ; elle les paye \nquelquefois en hiver jusq u\u2019\u00e0 vi ngt-quatre sous la \n \n1 Chiffons. \n 162douzaine ; avec une demi il y a pour toute une ann\u00e9e \nd\u2019imp\u00f4t ! \n\u2013 C\u2019est pas possible chez nous , affirma Z ozo. Ma \nvieille est si tellement \u00e0 ch eval sur ses g\u00e9lines que tous \nles soirs et tous les matins e lle va leur t\u00e2ter au cul pour \nsentir si elles ont l\u2019oeuf. Elle sait toujours d\u2019avance \ncombien qu\u2019elle en aura le soir. S\u2019il en manquait un, \u00e7a \nferait un beau r afut dans la cambus e ! \n\u2013 Y a encore un mo yen qu\u2019est le meilleur. Je vous le \nrecommande \u00e0 t ertous. \n\u00ab Voil\u00e0, c\u2019est quand le p\u00e8r e prend la cuit e. J\u2019s uis \ncontent, moi , quand j e vois qu\u2019il gr aisse ses brodequi ns \npour aller \u00e0 la foir e \u00e0 Ver cel ou \u00e0 B aume. \n\u00ab Il d\u00eene bien l\u00e0-bas avec les \u201cmontagnons\u201d ou les \n\u201cpays bas\u201d, il boit sec, des ap \u00e9ritifs, des petits verres, du \nvin bouch\u00e9 ; en revenant il s\u2019 arr\u00eate avec les autres \u00e0 \ntous l es bouchons et avant de rentr er il prend encor e \nl\u2019absinthe chez Fricot. Ma m\u00e8 re va le chercher, elle est \npas cont ente, elle grogne, ils s\u2019engueulent chaque fois, \npuis ils rentrent et elle l ui demande combien qu\u2019i l a \nd\u00e9pens\u00e9. Lui, il l\u2019envoie prom ener en disant qu\u2019il est le \nma\u00eetr e et que \u00e7a ne la regard e pas et puis il se couche et \nfout ses habits sur une chai se. Alors moi, pendant que la \nm\u00e8re va fermer les portes et \u201cclairer les b\u00eates\u201d, je \nfouille les poches et la bourse. \n 163Il ne sait jamais au just e ce qu\u2019il y a dedans ; alors \nc\u2019est selon, je prends deux sous, trois sous, quatre sous, \nune f ois m\u00eame j \u2019ai chip\u00e9 dix s ous, mais c\u2019 est tr op et \nj\u2019en r eprendrai jamais autant parce que l e vieux s \u2019en est \naper\u00e7u. \n\u2013 Alors, il t\u2019a fout u la peign\u00e9e ? \u00e9mit Tintin. \n\u2013 Pens es-tu, c\u2019est la m\u00e8re qui a re\u00e7u la danse, il a \ncru que c\u2019\u00e9tait elle qui l ui avai t refa it sa p i\u00e8ce et il lu i a \npass\u00e9 qu\u00e9que chose comme engueulade. \n\u2013 \u00c7a, c\u2019est vrai ment un bon tr uc, convint Boul ot, \nqu\u2019en dis -tu, Bati ? \n\u2013 Je dis, moi , que \u00e7a ne me servira \u00e0 rien du tout le \ntruc \u00e0 Lebrac, passe que mon p\u00e8re ne se saoule jama is. \n\u2013 Jamais ! s\u2019exclama en choeur toute l a bande \n\u00e9tonn\u00e9e. \n\u2013 Jamais ! reprit B ati, d\u2019 un air navr \u00e9. \n\u2013 \u00c7a, fit Lebrac, c\u2019est un malheur, mon vieux ! oui, \nun grand malheur ! un vrai malheur ! et on n\u2019y peut \nrien. \n\u2013 Alors ? \n\u2013 Alors t\u2019as qu\u2019\u00e0 rogner qua nd t\u2019iras en commission. \nJe \u00ab m\u2019esplique \u00bb : quand tu as une pi\u00e8ce \u00e0 changer, tu \ncales un sou et t u dis que tu l\u2019as perdu. \u00c7a te co\u00fbtera \nune gifl e ou deux, mais on n\u2019 a rien pour rien en ce bas \n 164monde, et puis on gueule avan t que les vieux ne tapent, \non gueule tant qu\u2019on peut et ils n\u2019osent pas taper si \nfort ; quand c\u2019est pas u ne pi\u00e8ce, par exemple quand \nc\u2019est de la chicor\u00e9e que tu vas acheter, il y a des \npaquets \u00e0 quatre sous et \u00e0 cinq sous, eh bien si t\u2019as ci nq \nsous tu prends un paquet de quatre sous et tu dis que \u00e7a \na augment\u00e9 ; si on t\u2019envoie achet er pour deux s ous de \nmoutarde, tu n\u2019en prends que pour un rond et tu \nracontes qu\u2019on ne t\u2019a donn\u00e9 que \u00e7a. Mon vieux, on ne \nrisque pas grand-chose, la m\u00e8 re dit que l\u2019\u00e9picier est un \nfilou et une fripouille et cela passe comme \u00e7a. \n\u00ab Et puis, enfin, \u00e0 l\u2019imposs ible personne n\u2019est tenu. \nQuand vous aurez trouv\u00e9 des sous, vous payerez ; si \nvous ne pouvez pas, tant pis, en attendant on \ns\u2019arrangera aut rement . \n\u00ab Nous avons besoin de sous pour acheter du \nfourbi ; eh bien ! quand vou s trouverez un bouton, une \nagrafe, un cordon, un lastiq ue, de la ficelle \u00e0 rafler, \nfoutez-les dedans votre po che et aboulez-les ici pour \ngrossir le tr\u00e9sor de guerre. \n\u00ab On esti mera ce que cel a vaut, en tenant compte \nque c\u2019 est du vieux et pas du neuf. Celui qu i garder a le \ntr\u00e9sor tiendra un calepin su r lequel il marquera les \nrecettes et les d\u00e9penses, ma is \u00e7a serait bien mieux si \nchacun arrivait \u00e0 d onner son sou. Peut -\u00eatre que, plus \ntard, on aurait des \u00e9conomies, une petit e cagnotte quoi , \n 165et qu\u2019on pourrait se payer une petite f\u00eate apr\u00e8s une \nvictoire. \n\u2013 Ce serait \u00e9patant \u00e7a, app rouva Tintin. Des pains \nd\u2019\u00e9pi ces, du chocolat... \n\u2013 Des sardines ! \n\u2013 Trouvez d\u2019abord les ronds, hein ! repartit le \ng\u00e9n\u00e9ral. \n\u00ab Voyons, il faut \u00eatre bien nouille, apr\u00e8s tout ce que \nje viens de vous dire, pour ne pas arriver \u00e0 d\u00e9goter un \nradis tous les mo is. \n\u2013 C\u2019est vrai, approuva le choeur des poss\u00e9dants. \nLes purotins, enfla mm\u00e9 s par les r\u00e9v\u00e9lations de \nLebrac, acquiesc\u00e8rent cette fo is \u00e0 la pr opositi on d\u2019i mp\u00f4t \net jur\u00e8rent que pour le mo is prochai n ils remuer aient \nciel et terre pour payer leur cotisation. Pour le mois \ncourant, ils s\u2019acquitteraient en nature et remettraient \ntout ce qu\u2019ils pourraient accrocher entre les mains du \ntr\u00e9sorier. \nMais qui serait tr\u00e9sorier ? \nLebrac et Camus en qualit \u00e9 de chef et de sous-chef \nne pouvaient remplir cet empl oi ; Gambette, manquant \nsouvent l\u2019\u00e9cole, ne pouvait lui non pl us occuper ce \nposte ; d\u2019ailleurs, ses qua lit\u00e9s de li\u00e8vre agile le \nrendaient indispensable co mme courrier en cas de \n 166malheur. Lebr ac pr opos a \u00e0 L a Crique de se charger de \nl\u2019affaire : La Cri que \u00e9t ait bon calculateur, il \u00e9crivait vite \net bien, il \u00e9tait tout d\u00e9si gn\u00e9 pour cette situation de \nconfi ance et ce m\u00e9tier difficile. \n\u2013 Je ne peux pas, d\u00e9clin a La Crique. Voyons , \nmettez-vous \u00e0 ma place. J e suis l\u2019\u00e9colier le plus pr\u00e8s du \nbureau du ma\u00eetre ; \u00e0 tout moment il voit ce que je fais. \nQuand c\u2019 est-il al ors que je po urrais tenir mes comptes ? \nC\u2019est pas possible ! Il faut que le tr\u00e9sorier soit dans les \nbancs du fond. C\u2019est Ti ntin qui doit l \u2019\u00eatre. \n\u2013 Tintin, fit Lebrac. \n\u00ab Oui, apr \u00e8s tout , mon vi eux, c\u2019est toi qui dois \nprendre \u00e7a, pui sque c\u2019est la Marie qui viendra recoudr e \nles bout ons de ceux qui auro nt \u00e9t \u00e9 faits prisonni ers. \nOui, il n\u2019y a que toi. \n\u2013 Oui, mais si je suis pris , moi, par les Velrans, tout \nle tr\u00e9sor ser a foutu. \n\u2013 Alors, tu ne te battras pas, tu resteras en arri\u00e8re et \ntu regarderas ; faut bien savoir des fois faire des \nsacrifices , ma vieil le branche. \n\u2013 Oui, oui, Tinti n tr\u00e9sorier ! \nTintin f ut \u00e9lu par acclamati ons et, comme t out \u00e9tait \nr\u00e9gl\u00e9 ou \u00e0 peu pr \u00e8s, on all a voir au Gros Buisson ce que \ndevenaient les trois sentinelle s que, dans la chal eur de \nla discussion, on avait oubli\u00e9 de rappeler. \n 167T\u00e9tas n\u2019avait rien vu et ils blaguaient en fumant des \ntiges de cl\u00e9matite ; on leur f it part de la d\u00e9cision prise, \nils approuv\u00e8rent, et il fut co nvenu que d\u00e8s le lendemain \ntout le monde apporterait \u00e0 Tintin sa cotisation, en \nargent ceux qui pourraient, et en nat ure les autres. \n 168 \n \nLa comptabi lit\u00e9 de Tintin \n \nIl est vrai que j\u2019ai donn\u00e9, depuis que je \nsuis arriv\u00e9e, d\u2019assez g rosses sommes : un \nmatin, huit cents f rancs ; l\u2019autre jour, m ille \nfrancs ; un autre jour, tro is cen ts \u00e9cus . \nLettre d e Mme de S\u00e9vig n\u00e9 \u00e0 Mme de \nGrignan. (15 juin 1680.) \n \nTintin, d\u00e8s s on arri v\u00e9e dans la cour de l\u2019\u00e9col e, \ncommen\u00e7a par pr\u00e9lever, aupr \u00e8s de ceux qui avai ent \nleurs cahiers, une feuille de papier brouillard afin de \nconfectionner t out de s uite le gr and livr e de caiss e sur \nlequel il inscrirait les recettes et les d\u00e9penses de l\u2019arm\u00e9e \nde Longeverne. \nIl re\u00e7ut ensuite des mains des cotisants les trente-\ncinq sous pr\u00e9vus, empocha de s payeurs en nature sept \nboutons de tailles et de formes diverses, plus trois bouts \nde ficelle, et se mit \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir profond\u00e9ment. \nToute la matin\u00e9e, le crayo n \u00e0 la main, il fit des \ndevis, retranchant ici, rajo utant l\u00e0 ; \u00e0 la r\u00e9cr\u00e9ation il \nconsulta Lebrac et Camus, et La Crique, les principaux \nen somme, s\u2019enquit du cours des boutons, du prix des \n 169\u00e9pingles de s \u00fbret\u00e9, de l a valeur de l\u2019\u00e9l astique, de la \nsolidit \u00e9 compar\u00e9e des cor dons de s ouliers, puis en f in \nde compte r\u00e9solut de prendre conseil de s a soeur Mari e, \nplus vers\u00e9e qu\u2019eux tous dans ces sort es d\u2019 affaires et \ncette branche du n\u00e9goce. \nAu bout d\u2019 une jour n\u00e9e de consultations et apr \u00e8s une \ncontention d\u2019esprit qui fail lit, \u00e0 plusieurs reprises, lui \nm\u00e9riter des verbes et la re tenue, il avait barbouill\u00e9 sept \nfeuilles de papier, puis dress\u00e9 tant qu\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s, et sauf \nmodifi cations, le pr ojet de budget s uivant qu\u2019il soumit \nle lendemain, d\u00e8s l\u2019arriv\u00e9e en classe, \u00e0 l\u2019examen et \u00e0 \nl\u2019approbation de l\u2019assembl\u00e9 e g\u00e9n\u00e9ral e des camar ades : \n \nBudget de l\u2019arm\u00e9e de Longeverne \nBout ons de chemi ses 1 sou \nBout ons de tricot et de vest e 4 sous \nBout ons de culotte 4 sous \nCrochets de derri \u00e8re pour patt es de pant alons 4 sous \nFicell e de pai n de sucr e pour br etelles 5 sous \nLastique pour jarreti\u00e8res 8 sous \nCordons de souliers 5 sous \nAgrafes de blouses 2 sous \n \n 170 ____________ \n T otal 33 sous \n Re ste en r\u00e9serve 2 sous \n en cas de malheur \n \n\u2013 Et les aiguilles, et le f il que t\u2019as oubli\u00e9s, observa \nLa Crique ; hei n, on s erait des pr opres cocos si j\u2019y \nsongeais pas ! avec quoi qu\u2019on se raccommoderait ? \n\u2013 C\u2019est vrai, avoua Tintin , alors changeons quelque \nchose. \n\u2013 J\u2019suis d\u2019avis qu\u2019 on ga rde les deux ronds de \nr\u00e9serve, \u00e9mit Le brac. \n\u2013 \u00c7a, oui, appr ouva Camus, c\u2019est une bonne id\u00e9e, on \npeut perdre quelque chose, une poche peut \u00eatre perc\u00e9e, \nfaut s onger \u00e0 t out. \n\u2013 Voyons, reprit La Cri que on peut rogner deux sous \nsur les boutons de tricot, \u00e7a ne se voit pas, le tricot ! \nAvec un bout on au- dessus, deux au plus , \u00e7a t ient ass ez ; \nil n\u2019y a pas bes oin d\u2019\u00eatr e boutonn\u00e9 t out du l ong comme \nun artilleur. \nEt Camus, dont le grand fr\u00e8re \u00e9tait dans l\u2019artillerie \nde forteress e et qui buvait ses moi ndres parol es, \nentonna l\u00e0-des sus, guill eret et \u00e0 mi-voi x, ce r efrain \nentendu un jour que leur soldat \u00e9tait venu en \n 171permissi on : \n \nRien n\u2019est si beau \nQu\u2019un artilleur sur un chameau ! \nRien n\u2019es t si vil ain \nQu\u2019un fantassin sur une p... ! \n \nToute la bande, \u00e9prise de choses militaires et \nenthousiaste de nouveaut \u00e9, voul ut appr endre aussit \u00f4t la \nchans on que C amus dut reprendre pl usieurs f ois de \nsuite, et puis on en revint aux affaires et, en continuant \nl\u2019\u00e9pluchage du budget , on tr ouva \u00e9gal ement que \nquat\u2019s ous pour des boucle s ou crochets de pantalon \nc\u2019\u00e9tait exag\u00e9r\u00e9, il n\u2019en fall ait jamais qu\u2019une par falzar, \nencore beaucoup de petits n\u2019 avaient-ils pas de culotte \navec patte bouclant derri\u00e8re ; donc en r\u00e9duisant \u00e0 deux \nsous ce chapitre, cel a irait encore et cela ferait quatre \nsous de disponibles \u00e0 employ er de la fa\u00e7on suivante : \n1 sou de fil blanc. \n1 sou de fil noir. \n2 sous d\u2019aiguilles assorties. \nLe budget fut vot\u00e9 ainsi ; Tintin ajouta qu\u2019il prenait \nnote des bout ons et des ficelle s que lui avaient remis les \n 172payeurs en nature et que, le lendemain, son carnet serait \nen ordre. Chacun pourrait en prendre connaissance et \nv\u00e9rifier la caisse et la comptabilit\u00e9 \u00e0 t oute heure du \njour. \nIl compl \u00e9ta ses renseignemen ts en confiant en outre \nque sa s oeur Marie, la canti ni\u00e8re de l\u2019ar m\u00e9e, si on \nvoulait bien, avait promis de l ui conf ectionner un pet it \nsac \u00e0 coulisses comme ceux \u00ab ousqu\u2019on \u00bb mettait les \nbilles, pour y remiser et concen trer le tr\u00e9sor de guerre. \nElle attendait seulement de voir la quantit\u00e9 que \u00e7a \nferait, pour ne le faire ni trop grand, ni trop petit. \nOn appl audit \u00e0 cett e offre g\u00e9n\u00e9r euse et l a Marie \nTintin, bonne amie comme chacun savait du g\u00e9n\u00e9ral \nLebrac, fut acclam\u00e9e cantin i\u00e8re d\u2019honneur de l\u2019arm\u00e9e \nde Longeverne. Camus a nnon\u00e7a \u00e9galement que sa \ncousine, la Tavie1 des Planches, se j oindrait aus si \nsouvent que possible \u00e0 la soeur de Tintin, et elle eut sa \npart dans le concert d\u2019acclamat ions ; Bacaill \u00e9, tout efois, \nn\u2019applaudit pas, il regarda m\u00ea me C amus de travers. S on \nattitude n\u2019\u00e9chappa point \u00e0 La Crique le vigilant et \u00e0 \nTintin le comptable et ils se dirent m\u00eame qu\u2019il devait y \navoir du louche par l\u00e0-dessous. \n\u2013 Ce midi, fit Tintin, j\u2019irai avec La Crique acheter le \nfourbi chez la m\u00e8re Maillot. \n \n1 Octavie. \n 173\u2013 Va plut\u00f4t chez la Jullau de, conseilla Camus, elle \nest mieux assortie qu\u2019on dit. \n\u2013 C\u2019est tous des fripouille s et des voleurs, les \ncommer\u00e7ants, trancha, po ur les mettre d\u2019accord, \nLebrac, qui semblait avoir, avec des id\u00e9es g\u00e9n\u00e9rales, \nune certaine exp\u00e9rience de la vie ; prends-en, si tu veux, \nla moiti\u00e9 chez l\u2019un, la moiti\u00e9 chez l\u2019autre : on verra \npour une autre fois ousqu\u2019 on est le moins \u00e9trill\u00e9. \n\u2013 Vaudrait peut- \u00eatre mi eux acheter en gr os, d\u00e9cl ara \nBoul ot, il y aur ait plus d\u2019avant ages. \n\u2013 Apr\u00e8s tout, fais comme tu voudras, Tintin, t\u2019es \ntr\u00e9sorier, arrange-toi, tu n\u2019 as qu\u2019\u00e0 mon trer tes comptes \nquand tu auras fini : nous, on n\u2019a pas \u00e0 y four rer le nez \navant. \nLa fa\u00e7on dont Lebrac \u00e9mit cette opinion coupa la \ndiscussion, qui e\u00fbt pu s\u2019\u00e9t erniser ; il \u00e9tait temps, \nd\u2019ailleurs, car le p\u00e8re Simon, intrigu\u00e9 de leur man\u00e8ge, \nl\u2019oreille aux \u00e9coutes, sans fair e semblant de rien, passait \net repassait pour essayer de saisir au vol quelque bribe \nde leur conversation. \nIl en fut po ur ses fra is, mais il se promit de \nsurveiller avec soin Lebr ac, qui donnait des si gnes \nmanif estes et ext ra-scolaires d\u2019exaltation i ntellectuell e. \nLa Crique, ainsi appel\u00e9 pa rce qu\u2019il \u00e9tait sec comme \nun coucou, mais par contre \u00e9v eill\u00e9 et observateur autant \n 174que t ous les aut res \u00e0 la fois, \u00e9vent a la pens \u00e9e du ma\u00eetr e \nd\u2019\u00e9cole. Aussi, comme Tintin se trouvait \u00eatr e en cl asse \nle voisin du chef, et que l\u2019un pinc\u00e9, l\u2019 autre pourr ait se \ntrouver compromis et fort em barrass\u00e9 pour expli quer la \npr\u00e9sence dans sa poche d\u2019une somme aussi \nconsid\u00e9rable, il lui confia qu\u2019il e\u00fbt, durant l e cours de la \ns\u00e9ance, \u00e0 se m\u00e9fier du \u00ab vieux \u00bb dont les intentions ne \nlui paraissaient pas propres. \n\u00c0 onze heures, Tintin et La Crique se diri g\u00e8rent vers \nla maison de la Jullaude, et, apr\u00e8s avoir sal u\u00e9 poliment \net demand\u00e9 un sou de boutons de chemis es, ils \ns\u2019enquirent du prix de l\u2019\u00e9lastique. \nLa d\u00e9bitante, au li eu de leur donner le \nrenseignement sollicit\u00e9, les fixa d\u2019un oeil curieux et \nr\u00e9pondit \u00e0 Tintin par cette doucereuse et insidieuse \ninterrogation : \n\u2013 C\u2019est pour votre maman ? \n\u2013 Non ! intervint La Crique , d\u00e9fiant. C\u2019est pour sa \nsoeur . Et comme l\u2019autre, touj ours souri ante, leur \ndonnait des pri x, il pouss a l\u00e9g\u00e8rement du coude son \nvoisi n en lui dis ant : Sort ons ! \nD\u00e8s qu\u2019ils furent dehors, La Crique expliqua sa \npens\u00e9e : \n\u2013 T\u2019as pas vu cette vieille bavarde qui voulait savoir \npourquoi, comment , ousque, quand et puis encore \n 175quoi ? \nSi nous avons envie que t out le village le sache \nbient\u00f4t que nous av ons un tr\u00e9sor de guerre, il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 \nacheter chez elle. Vois-tu, il ne faut pas prendr e ce qu\u2019il \nnous faut tout d\u2019un coup, ou bien cela donnerait des \nsoup\u00e7ons ; il vaut mieux que nous achetions un jour une \nchose, l\u2019autre jour une aut re et ai nsi de s uite, et quant \u00e0 \naller encore chez cette sa le cabe-l\u00e0, jamais ! \n\u2013 Ce qu\u2019il y a encor e de mi eux, r\u00e9pliqua Tintin, \nvois-tu, c\u2019est d\u2019envoyer ma soeur Marie chez la m\u00e8re \nMaillot. On croira que c\u2019est ma m\u00e8re qui l\u2019envoie en \ncommission et puis, tu sais, elle s\u2019y conna\u00eet mieux que \nnous pour ces affaires-l\u00e0, elle sait m\u00eame marchander, \nmon vieux ; t\u2019es s\u00fbr qu\u2019elle nous fera avoir la bonne \nmesure de fi celle et deux ou trois boutons par-dessus. \n\u2013 T\u2019as raison, convint La Crique. \nEt comme ils r ejoignaient Camus, sa fronde \u00e0 la \nmain, en train de viser des moineaux qui picoraient sur \nle fumier du p\u00e8r e Gugu, ils lui montr\u00e8r ent les boutons \nde chemise en verre blanc cousus sur un petit carton \nbleu ; il y en avait cinquante et ils lui confi\u00e8rent qu\u2019\u00e0 \ncela se bor naient leurs achats du moment, lui donn\u00e8r ent \nles raisons de leur abstention prudent e et lui af firm\u00e8rent \nque, pour une heure, tout serait quand m\u00eame achet\u00e9. \nDe fait, vers midi et de mi, comme Lebrac sortant de \n 176table se r endait en class e les mains dans les poches, en \nsifflant le refrain de Camus alors fort \u00e0 la mode parmi \neux, il aper\u00e7ut, l\u2019air tr\u00e8s a ffair\u00e9, sa bonne amie qui se \ndirigeait vers la maison de la m\u00e8re Maillot par le traje \ndes \u00ab C hemin\u00e9es \u00bb. \nComme personne n\u2019\u00e9tait \u00e0 ce moment sur le pas de \nsa porte et qu\u2019elle ne le voy ait pas, il attira son attention \npar un \u00ab tirouit \u00bb discr et qui la pr \u00e9vint de s a pr\u00e9sence. \nElle sourit, puis lui fit un signe d\u2019in telligence pour \nindiquer o\u00f9 elle allait, et Lebrac, tout joyeux, r\u00e9pondit \nlui aussi par un fr anc et lar ge sourire qui disait la belle \njoie d\u2019 une \u00e2me vi goureuse et s aine. \nDans la cour de l\u2019\u00e9col e, dans le coin du f ond, tous \nles yeux des pr\u00e9sents fixa ient obstin\u00e9ment et \nimpatiemment la porte, esp\u00e9 rant d\u2019instant en instant \nl\u2019arri v\u00e9e de Ti ntin. C hacun savait d\u00e9j \u00e0 que la M arie \ns\u2019\u00e9tait charg\u00e9e de fair e elle-m\u00eame les achats et que \nTintin l\u2019attendait derri\u00e8re le lavoir, pour recevoir de ses \nmains le tr\u00e9sor qu\u2019il alla it bient\u00f4t pr\u00e9senter \u00e0 leur \ncontr \u00f4le. \nEnfin il appar ut, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 de L a Crique, et un ah ! \ng\u00e9n\u00e9ral d\u2019exclamation, salua son entr\u00e9e. On se porta en \nmasse autour de lui, l\u2019 accablant de questions : \n\u2013 As-tu l e fourbi ? \n\u2013 Combien de boutons de veste pour un sou ? \n 177\u2013 Y en a-t-il long de ficelle ? \n\u2013 Viens voir les boucles ! \n\u2013 Est-ce que le fil est solide ? \n\u2013 Attendez ! nom de Di eu, gronda Lebrac. Si vous \ncausez tous \u00e0 l a fois, vous n\u2019 entendrez rien du tout et si \ntout le monde lui grimpe su r le dos personne ne verra. \nAllez, f aites le cercle ! Ti ntin va tout nous montrer. \nOn s\u2019\u00e9carta \u00e0 regret, chacun d\u00e9sirant se trouver \u00eatre \nle plus pr\u00e8s du tr \u00e9sorier et palper, si possi ble, le buti n. \nMais Lebrac fut intraitable et d\u00e9fendit \u00e0 Tintin de rien \nsortir de sa \u00ab profonde \u00bb avant qu\u2019il ne f\u00fbt absolument \nd\u00e9gag\u00e9. \nQuand ce fut fait, le tr\u00e9sor ier, triomphant, tira un \u00e0 \nun de sa poche divers pa quets envelopp\u00e9s de papier \njaune et d\u00e9nombra : \n\u2013 Cinquante boutons de c hemise sur un carton ! \n\u2013 Oh ! merde ! \n\u2013 Vingt-quatr e boutons de cul otte ! \n\u2013 Ah ! ah ! \n\u2013 Neuf bout ons de tri cot, un de pl us que l e compte, \najouta-t-il ; vous savez qu\u2019 on n\u2019 en donne que quatre \npour un s ou. \n\u2013 C\u2019est l a Mari e, expliqua Lebr ac, qui l\u2019 a eu en \n 178marchandant. \n\u2013 Quatr e boucles de pant alon ! \n\u2013 Un bon m\u00e8tre de lastique ! Et Tintin l\u2019\u00e9tendit pour \nfaire voir qu\u2019on n\u2019\u00e9tait pas gr ug\u00e9. \n\u2013 Deux agr afes de bl ouse ! \n\u2013 Sont-elles belles ! hein ! fit Lebrac, qui songeait \nque l\u2019autre soir, s\u2019il en avait eu une, peut-\u00eat re, enfi n... \nbref... \n\u2013 Cinq pair es de cor dons de s ouliers, rench\u00e9rit \nTintin. \n\u2013 Dix m\u00e8tres de fi celle, plus un grand bout de rabi ot \nqu\u2019elle a eu parce qu\u2019elle ac hetait pour beaucoup \u00e0 la \nfois ! \n\u2013 Onze aiguill es ! une de pl us que le compt e ! et une \npelote de fil noir et une de blanc ! \n\u00c0 chaque exposition et d\u00e9n ombrement , des oh ! et \ndes ah ! des foutre ! des mer de ! excl amatifs et \nadmiratifs saluaient le d\u00e9balle ment de l\u2019achat nouveau. \n\u2013 Chicot ! s\u2019\u00e9cri a tout \u00e0 coup Ti gibus, comme s\u2019il \ne\u00fbt jou\u00e9 \u00e0 poursuivre un ca marade ; mais \u00e0 ce signal \nd\u2019alarme, annon\u00e7ant l\u2019arri v\u00e9e du ma\u00eetre, tout le monde \nse m\u00eala, tandis que Tintin fourrait p\u00eale-m\u00eale et entassait \ndans sa poche les divers artic les qu\u2019il venait de d\u00e9baller. \nLa chos e se fit si nat urellement et d\u2019une f a\u00e7on si \n 179prompte que l\u2019aut re n\u2019y vit que du f eu et, s\u2019il remarqua \nquelque chos e, ce fut l\u2019 \u00e9panouis sement g\u00e9n\u00e9ral de \ntoutes ces frimousses qu\u2019il av ait vues l\u2019avant-veille si \nsombres et si fe rm\u00e9es. \n\u2013 C\u2019est \u00e9tonnant, pensa-t-il , combien le temps, le \nsoleil, l\u2019orage, la pluie on t d\u2019influence sur l\u2019\u00e2me des \nenfants ! Quand il va tonner ou pl euvoir on ne peut pas \nles tenir, il faut qu\u2019ils bavard ent et se chamaillent et se \nremuent ; quand une s\u00e9rie de beau temps s\u2019annonce, ils \nsont naturellement travailleur s et dociles et gais comme \ndes pins ons. \nBrave homme qui ne soup\u00e7 onnait gu\u00e8re les causes \noccultes et profondes de la joie de ses \u00e9l\u00e8ves et, le \ncerveau farci de p\u00e9 dagogies fumeuses, cherchait midi \u00e0 \nquatorze heur es. \nComme si le s en fants, v ite au cou rant des \nhypocrisi es sociales, se livraient jamais en pr \u00e9sence de \nceux qui ont sur eux une parcell e d\u2019autorit\u00e9 ! Leur \nmonde est \u00e0 part, ils ne sont eux-m\u00eames, vraiment eux-\nm\u00eames qu\u2019entre eux et loin des regards inquisiteurs ou \nindiscrets. Et le soleil comm e la l une n\u2019exer\u00e7ai ent sur \neux qu\u2019une influence en l\u2019o ccurrence bien secondaire. \nLes Longevernes commenc\u00e8re nt \u00e0 se poursuivre, \u00e0 \nse \u00ab couratter \u00bb dans l a cour , se disant l orsqu\u2019ils se \nrejoignaient : \n 180\u2013 Alors, \u00e7a y est, c\u2019est ce soir qu\u2019on leur z\u2019 y fout ! \n\u2013 Ce soir, voui ! \n\u2013 Ah ! nom de di ous, ils n\u2019ont qu\u2019\u00e0 venir, qu\u2019 est-ce \nqu\u2019on va leur passer ! \nUn coup de sifflet, puis la voix nat urellement rogue \ndu ma\u00eetre : \u00ab Allons, en rangs, d\u00e9p\u00eachons-nous ! \u00bb \ninterrompirent ces \u00e9vocatio ns de bataille et ces \nperspecti ves de pr ouess es guerri\u00e8r es futures. \n 181 \n \nLe retour des victoires \n \nReviendrez-vous un jour , \u00f4 fi\u00e8res exil\u00e9es ? \nS\u00c9B. CH. LECONTE \n(Le Masque de fer ). \n \nCe soir-l\u00e0, une fougue in descriptible animait les \nLongevernes ; rien, nul s ouci, nulle perspective \nf\u00e2cheuse n\u2019entravait leur en thousiasme. Les coups de \ntrique, \u00e7a pass e, et ils s\u2019en fichaient, et quant aux \ncailloux, on avait le temps, presque touj ours, quand il s \nne venaient pas de la fr onde de Touegueule, d\u2019\u00e9viter \nleur trajectoire. \nLes yeux riaient, p\u00e9tillant s, vifs dans les faces \n\u00e9panouies par le rire, les grosses joues rouges, \nrebondies comme de belles po mmes, hurlaient la sant\u00e9 \net la joie ; les bras, les jamb es, les pieds, l es \u00e9paul es, les \nmains, le cou, la t\u00eate, tout remuait, tout vibrait, tout \nsautait en eux. Ah ! ils ne pe saient pas lour d aux pieds, \nles sabots de peuplier, de tr emble ou de noyer et leur \nclaquement sec sur le chemin durci \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 une fi \u00e8re \nmenace pour les Velrans. \n 182Ils se r\u00e9criai ent, s\u2019att endaient, s e rappel aient , se \nbous culai ent, se chipot aient, s\u2019excitaient, tels des chiens \nde chasse, longtemps tenu s \u00e0 l\u2019attache, qu\u2019on m\u00e8ne \nenfin courir le li\u00e8vre ou le goupil, se mordillent les \noreilles et les jambes pour se f\u00e9liciter r\u00e9ciproquement et \nse t\u00e9moigner leur joie. \nC\u2019\u00e9tait vraiment un enthou siasme entr a\u00eenant que l e \nleur. Der ri\u00e8re leur \u00e9lan ver s la Saut e, derri \u00e8re leur joie \nen marche, comme \u00e0 la su ite d\u2019une musique guerri\u00e8re, \ntoute la vie jeune et s aine du vill age s emblait happ\u00e9e et \nemport\u00e9e : les petites filles tim ides et rougissantes les \nsuivirent jusqu\u2019au gros tille ul, n\u2019osant aller plus loin, \nles chiens couraient sur leur flanc en gambadant et en \njappant, les chats eux-m\u00eame s, les prudents matous, \ns\u2019avan\u00e7ai ent sur les murs d\u2019 enclos avec une vague id\u00e9e \nde les suivre, les gens s ur le s euil des portes l es \ninterrogeaient du regard. Ils r\u00e9pondaient en riant qu\u2019ils \nallaient s\u2019amus er, mais \u00e0 quel jeu ! \nLebrac, d\u00e8s l a Carri \u00e8re \u00e0 Pepi ot, canalis a \nl\u2019enthousiasme en invit ant ses guerr iers \u00e0 bourr er leur s \npoches de cailloux. \n\u2013 Faudra n\u2019en garder sur soi qu\u2019une demi-douzaine, \ndit-il, et poser le reste \u00e0 terr e sit\u00f4t qu\u2019on sera arriv\u00e9, car, \npour pousser l a char ge, il ne s\u2019agit pas de peser comme \ndes s acs de farine. \nSi on manque de munitions , six des petits prendront \n 183chacun deux b\u00e9rets et partir ont les remplir \u00e0 la carri\u00e8re \ndu Rat ( c\u2019est l a plus pr \u00e8s du camp). Il d\u00e9signa ceux qui, \nle cas \u00e9ch\u00e9ant, seraient ch arg\u00e9s du ravitaillement ou \nplut\u00f4t du r\u00e9approvisionnement des munitions. Puis il fit \nexhiber \u00e0 Tintin les divers es pi\u00e8ces du tr \u00e9sor de guerr e \nafin que les camarades fuss ent tous tranquilles et bien \naffermis, et il donna l e signal de la marche en avant, lui \nprenant la t\u00eat e et comme t oujours s ervant d\u2019 \u00e9claireur \u00e0 \nsa troupe. \nSon arriv\u00e9e fut salu\u00e9e par le passage d\u2019un caillou qui \nlui frisa le front et lui fit bai sser le cr\u00e2ne ; il se retourna \nsimplement pour indiquer aux autres, par un petit \nhochement de t\u00eate, que l\u2019action \u00e9tait commenc\u00e9e. \nAussit\u00f4t ses soldats s\u2019\u00e9campill \u00e8rent et il les laissa se \nplacer \u00e0 leur convenance, chac un \u00e0 son poste habituel, \nassur\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait que l eur flair guerr oyeur ne ser ait pas \nce soir-l\u00e0 mis en d\u00e9faut. \nQuand C amus fut juch\u00e9 sur son arbre, il exposa la \nsituation. \nIls y \u00e9tai ent tous \u00e0 leur lis i\u00e8re, les Velr ans, du pl us \ngrand au plus petit , de T ouegueule le grimpeur \u00e0 Migue \nla Lune l\u2019ex\u00e9cut\u00e9. \n\u2013 Tant mieux ! concl ut Lebrac, ce sera au moi ns une \nbelle bataille. \nPendant un quart d\u2019 heure, le flot coutumier d\u2019inj ures \n 184flua et reflua entre les deux camps, mais les Velrans ne \nbougeaient pas, croyant peut- \u00eatre que leurs ennemis nus \npousseraient encore, comme l\u2019avant-veille, une charge \nce soir-l\u00e0. Aussi les attendaient -ils de pied ferme, bien \namunitionn\u00e9s qu\u2019ils \u00e9taient par un service r\u00e9cemment \norganis \u00e9 de gal opins charri ant conti nuellement et \u00e0 \npleins mouchoirs des picotins de cailloux qu\u2019ils allaient \nqu\u00e9rir aux roches du milieu du bois et venaient verser \u00e0 \nla lisi\u00e8re. \nLes Longevernes ne les voyaient que par \nintermittences derri\u00e8re leur mur et derri \u00e8re leurs ar bres. \nCela ne faisait gu\u00e8re l\u2019 affaire de Lebrac qui e\u00fbt \nvoulu les attirer tous un peu en plaine, afin de diminuer \nla distance \u00e0 parcourir pour les atteindre. \nVoyant qu\u2019ils ne se d\u00e9cida ient pas vite, il r\u00e9solut de \nprendre l\u2019offensive avec la moiti\u00e9 de sa troupe. \nCamus , cons ult\u00e9, des cendit et d\u00e9clar a que, pour \ncette affaire-l\u00e0, c\u2019\u00e9tait lui que \u00e7a r egardait. Tintin, par \nderri\u00e8r e, se mangeait l es sangs \u00e0 l es voir ai nsi s e \ntr\u00e9mouss er et s \u2019agiter. \nCamus ne perdit point de te mps. La fronde \u00e0 la \nmain, il fit prendre quatre cailloux, pas plus, \u00e0 chacun \nde ses vingt soldats, et commanda la charge. \nC\u2019\u00e9tait entendu : il ne deva it pas y avoir de corps \u00e0 \ncorps ; on devait seulement approcher \u00e0 bonne port\u00e9e \n 185de l\u2019ennemi qui serait sans do ute \u00e9bahi de cette attaque, \nlancer dans s es rangs une gr \u00eale de moellons et battre en \nretraite imm\u00e9diatement pour \u00e9viter la riposte qui serait \ns\u00fbrement dangereuse. \nEspac\u00e9s de quatre ou cinq pas en tirailleurs, Camus \nen avant, tous se pr\u00e9cipit\u00e8re nt et, en eff et, le f eu de \nl\u2019ennemi cessa un instant devant ce coup d\u2019audace. Il \nfallait en profit er. Camus saisiss ant son cuir de fr onde \nprit la ligne de mire et visa l\u2019Aztec des Gu\u00e9s, tandis que \nses hommes, faisant tournoyer leurs bras , criblaient de \ncailloux l a section ennemi e. \n\u2013 Filons, mai ntenant ! cria Camus, en voyant l a \nbande de l\u2019Aztec se ramasser pour l\u2019\u00e9lan. \nUne vol\u00e9e de pierres leur arriva sur les talons \npendant que d\u2019effroyables cris , pouss\u00e9s par les Velrans, \nleur apprenaient qu\u2019ils \u00e9tai ent poursuivis \u00e0 leur tour. \nL\u2019Aztec, ayant vu qu\u2019ils n\u2019 \u00e9taient plus d\u00e9v\u00eatus, avait \njug\u00e9 inutile et st\u00e9rile un e plus longue d\u00e9fensive. \nCamus, entendant ce vaca rme et se fiant \u00e0 ses \njambes agiles, se retourna pour voi r \u00ab comme \u00e7a en \nallait \u00bb ; mais le g\u00e9n\u00e9ral ennemi avait avec lui ses \nmeilleurs coureurs, Camus \u00e9tai t d\u00e9j\u00e0 un peu en retard \nsur les autres, il fallait filer et sec s\u2019il ne voul ait pas \u00eatre \npinc\u00e9. S es bout ons, il l e savait, non moi ns que sa \nfronde, \u00e9tai ent rudement convoit\u00e9s par la bande de \n 186l\u2019Aztec, qui l\u2019ava it rat\u00e9 le soir de Lebrac. \nAussi voulut-il jouer des jambes. \nMalheur ! un cail lou lan c\u00e9 terriblement, un caillou \nde Touegueule, bien s\u00fbr ! ah le salaud ! vint lui choquer \nviolemment la poitrine, l\u2019\u00e9bra nla, et l\u2019arr \u00eata un i nstant. \nLes autres allaient lui tomber dessus. \n\u2013 Ah ! nom de Di eu ! Foutu ! \nEt Camus, en moins de temps qu\u2019i l ne f aut pour le \ndire et pour l\u2019\u00e9crire, porta d\u2019un geste d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 sa main \n\u00e0 sa poit rine et t omba en arri\u00e8r e, sans s ouffle et la t \u00eate \ninerte. \nLes Vel rans \u00e9tai ent sur lui. \nIls avaient suivi la traj ectoire du projectile de \nTouegueule et remarqu\u00e9 le gest e de Camus, ils le virent, \np\u00e2le, s\u2019affaler de tout s on long sans mot dir e ; ils \ns\u2019arr\u00eat\u00e8rent net. \n\u2013 S\u2019il \u00e9tait tu\u00e9 !... \nUn r ugissement terri ble, le cri de r age et de \nvengeance de Longeverne, se fit en tendre aussit\u00f4t, \nmonta, grandit, emplit la combe, et un brandissement \nfantastique d\u2019\u00e9pieux et de sabres pointa d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment \nsur leur groupe. \nEn une seconde ils eurent tourn\u00e9 bride et regagn\u00e9 \nleur abri o\u00f9 ils se tinrent de nouveau sur la d\u00e9fensive, le \n 187caillou \u00e0 la main, tandis que toute l\u2019arm\u00e9e de \nLongeverne arrivait pr\u00e8s de Camus . \n\u00c0 travers ses paupi\u00e8res de mi-closes et ses cils \npapillotants, le guerrier tomb\u00e9 avait vu les Velrans \ns\u2019arr\u00eater court devant lui, puis faire demi-tour et \nfinalement s\u2019 enfuir. \nAlors, comprenant aux grondements furieux \naccourant \u00e0 lui que les siens venai ent \u00e0 la r escousse et \nles mettaient en fuite, il rouv rit les yeux, s\u2019assit sur son \nderri\u00e8r e, puis se r eleva pa isiblement, campa ses poings \nsur ses hanches et fit au x Velrans, dont les t\u00eates \ninqui\u00e8tes apparaissaient \u00e0 ni veau du mur d\u2019 enceinte, sa \nplus \u00e9l\u00e9gant e r\u00e9v\u00e9rence. \n\u2013 Cochon ! salaud ! ah tra\u00eetre ! l\u00e2che ! beuglait \nl\u2019Aztec des Gu\u00e9s, voyant qu e son pris onnier , car il \nl\u2019\u00e9tait, lui \u00e9chapp ait encore par ruse ; ah ! je t\u2019y \nrechoperai ! je t\u2019y rechoperai ! et tu n\u2019y couperas pas, \nfain\u00e9ant ! \nLors Camus , tr\u00e8s calme et toujours souriant, l\u2019ar m\u00e9e \nde Longeverne \u00e9tonn\u00e9e \u00e9tant derri\u00e8re lui, porta son \nindex \u00e0 sa gorge et le passa quatr e fois d\u2019 arri\u00e8re en \navant, du cou au menton ; puis, pour comp l\u00e9ter ce que \nce gest e avait d\u00e9j \u00e0 d\u2019 expressif, se souvenant \nopportun\u00e9ment que son gr and fr \u00e8re \u00e9tait arti lleur, il se \nfrappa vivement de l a dext re sur la cuisse droite, \nretourna la main, la paume en dehors , le pouce \u00e0 \n 188l\u2019ouverture de la braguette. \n\u2013 Et \u00e7ui-l\u00e0 ! reprit-il, quand c\u2019est-y que tu le \nchoperas, h\u00e9 ! trop b\u00eate ! \n\u2013 Bravo, br avo, Camus ! ouhe ! ouhe ! ouhe ! \nhihan ! bouaou ! meuh ! b\u00ea ! cou\u00e2 ! keureukeukeue : \nc\u2019\u00e9tait l\u2019 arm\u00e9e de Longever ne qui, par des cris di vers, \nt\u00e9moignait ainsi son m\u00e9pris po ur la sotte cr\u00e9dulit\u00e9 des \nVelrans et ses f\u00e9licitations au brave Camus, qui venait \nde l\u2019\u00e9chapper belle et de le ur jouer un si bon tour. \n\u2013 T\u2019as t out de m\u00eame r e\u00e7u le gnon, r ugissait \nTouegueule ballott\u00e9 de sen timent s divers, cont ent au \nfond de la tour nure qu\u2019 avaient pris e les chos es et \nfurieux cependant de ce que ce salaud de Camus, qui lui \navait pour rien fichu la frousse, e\u00fbt \u00e9chapp\u00e9 au \nch\u00e2timent qu\u2019il m\u00e9ritait si bien. \n\u2013 Toi, mon petit, r\u00e9pliqua Camus, qui avait son id\u00e9e, \n\u00ab soye \u00bb tranquille ! je te retrouverai ! \nEt les cailloux commen\u00e7ant \u00e0 tomber parmi les \nrangs d\u00e9couverts des Longever nes arm\u00e9s s eulement de \nleurs triques, ils firent prestement demi-t our et \nregagn\u00e8rent leur camp. \nMais l\u2019\u00e9lan \u00e9tait donn\u00e9, la bataille reprit de plus \nbelle, car les Velrans, cern\u00e9s, furieux de leur \nd\u00e9convenue \u2013 avoir \u00e9t\u00e9 jou\u00e9s, raill\u00e9s, insult\u00e9s, \u00e7a se \npaierait et tout de s uite ! \u2013 voul urent reprendr e \n 189l\u2019offensive. \nOn avait d\u00e9j\u00e0 chip\u00e9 le g\u00e9n\u00e9 ral, ce serait bien le \ntonnerr e de diable si on n\u2019 arrivait pas encor e \u00e0 pi ncer \nquelques soldats . \n\u2013 Ils vont revenir , pens ait Lebrac. \nEt Tintin, en arri\u00e8re, ne tenait pas en place. Quel \nsale m\u00e9tier que d\u2019\u00eatre tr\u00e9sorier ! \nCependant l\u2019Aztec des Gu\u00e9s, ayant de nouveau \nrassembl\u00e9 ses hommes surexc it\u00e9s et furieux et pris \nconseil, d\u00e9ci da d\u2019un ass aut g\u00e9n\u00e9ral . \nIl poussa un sonore et ru gissant : \u00ab La muri e vous \ncr\u00e8ve ! \u00bb et triques brandies , b\u00e2tons serr\u00e9s, s\u2019\u00e9lan\u00e7a \ndans la carri \u00e8re, t oute son arm\u00e9e avec lui. \nLebrac n\u2019h\u00e9sita pas davant age. Il r\u00e9pliqua par un \n\u00ab \u00c0 cul l es Vel rans ! \u00bb aussi sonor e que le cri de guerr e \nde son ri val et les \u00e9pieux et les sabr es de Longever ne \npoint\u00e8rent encore une fois en avant leurs estocs durcis. \n\u2013 Ah Prussiens ! ah salauds ! \u2013 triples cochons ! \u2013 \nandouill es de mer de ! \u2013 b\u00e2tard s de cur\u00e9s ! \u2013 enf ants de \nputains ! \u2013 charognards ! \u2013 pourriture ! \u2013 civilit\u00e9s ! \u2013 \ncrevur es ! \u2013 calot ins ! \u2013 s ectaires ! \u2013 chats crev\u00e9s ! \u2013 \ngaleux ! \u2013 m\u00e9linards ! \u2013 combisses ! \u2013 pouilleux ! telles \nfurent quel ques- unes des expr essions qui \ns\u2019entrecrois\u00e8rent avant l\u2019abordage. \n 190Non, on peut l e dire, les langues ne ch\u00f4maient pas ! \nQuelques cailloux pass\u00e8ren t encore en rafales, \nfrondonnant au-dessus des t\u00ea tes, et une effroyable \nm\u00eal\u00e9e s\u2019ensuivit : on entendit des trique s tomber sur des \ncaboches, des lances et des sa bres craquer, des coups de \npoings s onner s ur les poitrines, et des gifles qui \nclaquaient, et des sabots qui cassaient, et des gorges qui \nhurlaient, pif ! paf, pa n ! zoum ! crac ! zop ! \n\u2013 Ah tra\u00eetre ! ah l\u00e2che ! Et l\u2019on vit des h\u00e9rissements \nde chevelures, des armes cass\u00e9 es, des corps se nouer, \ndes br as d\u00e9crir e de gr ands cer cles pour ret omber de t out \nleur \u00e9lan et des poi ngs projet \u00e9s en avant comme des \nbielles et des gi gues \u00e0 terre, se d\u00e9menant, s\u2019agitant, se \ntr\u00e9moussant pour lancer de s coups de tous c\u00f4t\u00e9s. \nAinsi La Crique, jet\u00e9 bas, d\u00e8s le d\u00e9but de l\u2019action, \npar une bourrade anonyme, tournant sur une fesse, \nfaisait non pas t\u00eate mais pi ed \u00e0 tous les assaillants, \nfroiss ant des ti bias, br oyant des rotul es, tordant des \nchevilles, \u00e9crasant des orte ils, martelant des mollets. \nLebrac, h\u00e9riss\u00e9 comme un marcassin, col \nd\u00e9boutonn\u00e9, nu-t\u00eate, la triq ue cass \u00e9e, entr ait comme un \ncoin d\u2019acier dans le grou pe de l\u2019Aztec des Gu\u00e9s, \nsaisissait \u00e0 la gorge son en nemi, le secouait comme un \nprunier mal gr\u00e9 une nich\u00e9e de Velrans suspendus \u00e0 ses \ngr\u00e8gues et lui tirait les poils, le giflait, le calottait, le \nbosselait, puis ruait comme un \u00e9talon fou au centr e de \n 191la bande et \u00e9cartait violem ment ce cercle d\u2019ennemis. \n\u2013 Ah ! Je te tiens ! Nom de Dieu ! rugissait-il, \nsalaud ! tu n\u2019y coupes pas, j\u2019 te le jure ! t\u2019y passeras ! \nquand je devrais te saigner, je t\u2019emm\u00e8nerai au Gros \nBuisson et t\u2019y passeras, que je te dis, t\u2019y pa sseras ! \nEt ce di sant, le bourr ant de coups de pi eds et de \ncoups de poings, aid\u00e9 par Ca mus et par Grangibus qui \nl\u2019avai ent suivi , ils empor t\u00e8rent litt\u00e9ralement le chef \nennemi qui se d\u00e9battait de toutes ses forces. Mais \nCamus et Grangibus tenaient chacun un pied et Lebrac, \nle soulevant s ous les br as, lu i jurait avec force noms de \nDieu qu\u2019il lui serrerait la vi s s\u2019il faisait trop le malin. \nPendant ce temps les gros des deux troupes luttaient \navec un acharnement terribl e, mais l a vict oire \nd\u00e9cid\u00e9ment s ouriait aux L ongevernes ; dans l es corps \u00e0 \ncorps ils \u00e9taient bons , \u00e9tant bien r \u00e2bl\u00e9s et robust es ; \nquelques Velr ans, qui avai ent \u00e9t\u00e9 cul but\u00e9s t rop \nviolemment , reculaient, d\u2019 autres l\u00e2chai ent pied, tant et \nsi bien que, lorsqu \u2019on vit le g\u00e9n\u00e9ral lui-m\u00eame emport\u00e9, \nce fut la d\u00e9bandade et la d\u00e9r oute et la fuite en d\u00e9sordre. \n\u2013 Chopez-en donc ! chopez -en donc, nom de Dieu ! \nMais chopez-en donc, rugissait Lebrac, de loin. \nEt les guerriers de Longev erne s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent sur les \npas des vaincus, mais, co mme bien on pense, les \nfuyards ne les attendirent point et les vainqueurs ne \n 192pouss \u00e8rent pas tr op loin leur pours uite, tr op curi eux de \nvoir comment on allait tr aiter le chef ennemi. \n 193 \n \nAu poteau d\u2019ex\u00e9cution \n \nLes ayant clou\u00e9s nus aux poteaux de couleurs. \nJ.-A. RIMBAUD (Le Bateau ivre) . \n \nBien que de petite taille et d\u2019apparence ch\u00e9tive, ce \nqui l ui avait val u son s urnom, l\u2019Aztec des Gu\u00e9s n\u2019\u00e9tait \npas un gars \u00e0 se la isser faire sans r\u00e9sistance ; Lebrac et \nles deux autres l\u2019appriren t bient\u00f4t \u00e0 leurs d\u00e9pens. \nEn effet, pendant que le g\u00e9 n\u00e9ral tournait la t\u00eate pour \nexciter s es soldats \u00e0 la pour suite, le prisonnier, tel un \nrenard pi\u00e9g\u00e9 profite d\u2019un in stant de rel\u00e2chement pour se \nvenger d\u2019avance du supplice qui l\u2019attend, saisit entre \nses m\u00e2choires le pouce de so n port eur et l e mor dit \u00e0 si \nbelles dents que cela fit sang . Camus et Grangibus, eux, \nconnurent, en recevant chacun un coup de soulier dans \nles c\u00f4tes, ce qu\u2019il en co\u00fbt ait \u00e0 des serrer si peu que ce \nsoit l\u2019\u00e9treinte de la patte qu \u2019ils avaient \u00e0 maintenir entre \nleur bras et leur flanc. \nLorsque Lebr ac, d\u2019 un ma \u00eetre coup de poing en \ntravers de la gueule de l\u2019Az tec, lui eut fait l\u00e2cher son \npouce perc\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 l\u2019os, il lui jura derechef \u00e0 grand \n 194renfort de blasph\u00e8mes et d\u2019 impr\u00e9cations que tout \u00e7a \nallait se payer et illico. \nJustement, l\u2019arm\u00e9e revenait \u00e0 eux sans autre captif. \nOui, c\u2019\u00e9tait l\u2019Aztec qui allait payer pour tous. \nTintin, qui s\u2019approcha pour le d\u00e9visager, re\u00e7ut un \ncrachat en pl eine figure, mais il m\u00e9pris a cett e injure et \nricana de la belle mani\u00e8re en reconnaissant le g\u00e9n\u00e9ral \nennemi. \n\u2013 Ah ! c\u2019est toi ! ah ben ! mon s alaud, tu n\u2019 y coupes \npas. Cochon ! Si la Marie \u00e9ta it seulement l\u00e0 pour te tirer \nun peu les poils, \u00e7a lui ferait plaisir ; ah ! tu baves, \nserpent, mais t\u2019 as beau baver, c\u2019 est pas \u00e7a qui te rendr a \ntes bout ons, ni doubl era tes fess es. \n\u2013 Trouve la cordelette, Ti ntin, ordonna Camus, on \nva le ficeler ce saucisson-l\u00e0. \n\u2013 Attache-lui t outes les pattes, d\u2019abor d celles de \nderri\u00e8r e, cell es de devant apr \u00e8s ; pour fi nir on le li era au \ngros ch\u00eane et on lui fera sa petite affaire. Et je te \npromets que t u ne mor dras plus et que tu ne baver as \nplus non plus , saligaud , d\u00e9go\u00fbtant, fumier ! \nLes guerri ers qui arri vaient prir ent part \u00e0 \nl\u2019op\u00e9ration : on commen\u00e7a pa r les pieds ; mais comme \nl\u2019autre ne cess ait point de cracher sur tous ceux qui \napprochaient \u00e0 port\u00e9e de s on jet de salive et qu\u2019il \nessayait m\u00eame de mordre, Lebr ac ordonna \u00e0 Boulot de \n 195fouiller les poches de ce vilain coco-l\u00e0 et de se servir de \nson mouchoir pour lui bo ucher sa sale gueule. \nBoulot ob\u00e9it : sous les po stillons de l\u2019Aztec dont il \nse garait d\u2019une main autant que possible, il tira de la \npoche du prisonnier un ca rr\u00e9 d\u2019 \u00e9toffe de couleur \nind\u00e9cise qui avait d\u00fb \u00eatr e \u00e0 carreaux rouges, \u00e0 moins \nqu\u2019il ne f\u00fbt bl anc du temps, pa s tr\u00e8s lointain peut-\u00eatre, \nqu\u2019il \u00e9tait propre. Mais ce \u00ab tire-jus \u00bb n\u2019offrait plus \nmaintenant aux yeux de l\u2019ob servateur, par suite de \ncontacts avec des objets h\u00e9t\u00e9ro clites tr\u00e8s divers et sans \ndoute aussi les multiples usag es auxquels il avait \u00e9t\u00e9 \nvou\u00e9 : propret\u00e9, lien, b\u00e2 illon, bandeau, baluchon, \ncoiffure, bande de panseme nt, essui e-mains, port e-\nmonnai e, cass e-t\u00eate, brosse, plumeau, etc., etc., qu\u2019une \nteinte pisseuse, verd\u00e2tre ou gris\u00e2tre, rien moins \nqu\u2019attirante. \n\u2013 Bien, elle est propre, sa guenille, fit Camus ; elle \nest encore pleine de \u00ab chose \u00bb ; t\u2019as pas honte, \nd\u00e9go\u00fbtant, d\u2019avoir une salet\u00e9 pareille dans ta poche ! Et \ntu dis que t\u2019 es riche ? \nQuelle saloperie ! un mend iant n\u2019 en voudrait poi nt, \non ne sait pas par quel bout le pr endre. \n\u2013 \u00c7a ne fait rien ! d\u00e9c ida Lebrac. Mettez-y en \ntraver s du meufion1, s\u2019il y a gr as dedans il pourr a le \n \n1 Mufle. \n 196rebouff er, y aur a rien de perdu. Et des poi ngs \n\u00e9nergiques nou\u00e8rent en arri\u00e8re, \u00e0 la nuque, le b\u00e2illon sur \nles mandibules de l\u2019Aztec des Gu\u00e9s qui fut bient\u00f4t \nr\u00e9duit \u00e0 l\u2019immobilit\u00e9 et au silence. \n\u2013 Tu m\u2019as fait fouailler l\u2019autre jour, tu seras \n\u00ab auj ord\u2019hui \u00bb fess \u00e9 \u00e0 coups de verge, toi aussi. \n\u2013 Oeil pour oeil , dent pour dent ! prof \u00e9ra l e \nmoraliste La Crique. \n\u2013 Allez, Grangibus, prends la verge et cingle. Une \npetite s\u00e9ance avant le d\u00e9 culottage pour le mettre en \n\u00ab vibrance \u00bb, ce beau petit \u00ab mocieu \u00bb qui f ait tant l e \nmalin. \n\u2013 Serrez- vous , les autr es, \u00e9cartez l e cercl e ! \nEt Grangibus, consciencieus ement , appliqua d\u2019 une \nbaguett e verte, flexibl e et lourde, six coups sifflants sur \nles fesses de l\u2019autre qui, sous son b\u00e2 illon, \u00e9touffait de \ncol\u00e8re et de douleur. \nQuand ce fut fait, Lebr ac, apr\u00e8s avoir pendant \nquelques instants conf \u00e9r\u00e9 \u00e0 voi x bass e avec C amus et \nGambett e, qui s\u2019 \u00e9loign\u00e8rent s ans se f aire remar quer, \ns\u2019\u00e9cria joyeusement : \n\u2013 Et mai ntenant, aux bout ons ! Tintin, mon vieux, \npr\u00e9pare tes poches, c\u2019 est le moment, c\u2019 est l\u2019 instant, et \ncompte bien tout, et ne per ds rien ! \n 197Lebrac y alla prudemment. Il convenait en effet de \nne point d\u00e9t \u00e9riorer par des mouvements trop brusques et \ndes coups de couteau malh abiles les diverses pi\u00e8ces \ncomposant la ran\u00e7on de l\u2019 Aztec, pi\u00e8ces qui devaient \ngrossir le tr\u00e9sor de guerre de l\u2019arm\u00e9e de Longeverne. \nIl commen\u00e7a par les souliers. \n\u2013 Oh oh ! fit-il, un cor don neuf ! y a du bon ! \n\u2013 Salaud, reprit-il bient\u00f4t , il est nou\u00e9 ! Et lentement, \nl\u2019oeil guettant les liens de fi celle qui garantissaient son \nmuseau. d\u2019un coup de pied vengeur et qui e\u00fbt \u00e9t\u00e9 \nterrible, il d\u00e9lit \u00ab l\u2019embou\u00e9lage \u00bb, d\u00e9la\u00e7a le soulier et \nretira le cordon qu\u2019il remit \u00e0 Tintin. Puis il passa au \ndeuxi\u00e8me et ce fut plus ra pide. Ensuite il remonta la \njambe du pantalon pour s\u2019em parer de s jarreti\u00e8res en \n\u00e9lastique qui devaient tenir les bas. \nIci, L ebrac f ut vol \u00e9. L\u2019Aztec n\u2019avait qu\u2019une \njarreti\u00e8re, l\u2019autre bas \u00e9tan t maintenu par un m\u00e9chant \nbout de tresse qu\u2019il confis qua quand m\u00eame non sans \ngrommel er : \n\u2013 Voleur, va ! \u00e7a n\u2019 a pas m\u00eame une paire de \njarreti\u00e8res, et \u00e7a fait le ma lin. Qu\u2019est-ce qu\u2019il fait donc \nde ses sous, ton p\u00e8re ? \u2013 Il les boit ! Enfant de soulaud ! \nchien d\u2019ivrogne ! \nEnsuite Lebrac veilla \u00e0 ne pas oublier un bouton ni \nune boutonni\u00e8re. Il eut une joie au pantalon. L\u2019Aztec \n 198avait des br etelles \u00e0 double patt e et en bon \u00e9t at. \n\u2013 Du lusque1 ! fit-il ; sept boutons ce fal zar. \u00c7a, \nc\u2019est bien, l\u2019ami ! T\u2019auras un coup de baguette en plus \npour t e remer cier, \u00e7a t\u2019appr endra \u00e0 nar guer le \npauv\u2019 monde ; tu sais on n\u2019 est pas chien non plus \u00e0 \nLongeverne, pas chien de rien, pas m\u00eame de coups de \ntrique. C e qu\u2019il va \u00eatr e content, l e premier de nous qui \nsera chop\u00e9, d\u2019 avoir une s i chouett e pai re de br etelles ! \nMerde ! j\u2019ai quasiment \u00ab d\u2019envie \u00bb que \u00e7a \u00ab soye \u00bb \nmoi ! \nPendant ce temps, le pant alon, d\u00e9sustent\u00e9 de ses \nboutons, de s a boucl e et de ses cr ochets, d\u00e9gringolai t \nsur les bas d\u00e9j\u00e0 en accord\u00e9on. \nLe tricot, le gilet, la blou se et la chemise furent \u00e0 \nleur tour \u00e9chenill\u00e9s m\u00e9thod iquement ; on t rouva m\u00eame \ndans le gousset du \u00ab mect on \u00bb un s ou neuf qui all a, dans \nla comptabilit\u00e9 de Tintin , se caser au chapitre : \n\u00ab R\u00e9serve en cas de malheur. \u00bb \nEt quand plusieurs inspecti ons minutieuses eurent \nconvaincu les guerriers de Longeverne qu\u2019il n\u2019y avait \nplus rien, mais rien de rien \u00e0 gratter, qu\u2019on eut mis de \nc\u00f4t\u00e9 pour Gambette, qui n\u2019en avait pas, l e cout eau de \nl\u2019Aztec, on se d\u00e9cida enf in avec toute la prudence \nd\u00e9sirable \u00e0 d\u00e9lier les mains et les pieds de la vi ctime. Il \n \n1 Luxe. \n 199\u00e9tait t emps. \nL\u2019Azt ec \u00e9cumait sous s on b\u00e2ill on et , tout ves tige de \npudeur \u00e9teint par la souffran ce ou \u00e9t ouff\u00e9 par la col \u00e8re, \nsans s onger \u00e0 r emonter s on pant alon tomb\u00e9 qui l aissait \nvoir sous la chemise ses fesses rouges de la fess\u00e9e, son \npremier soi n fut d\u2019 arracher de sa bouche son \nmalencontreux et terrible mouchoir. \nEnsuite, respirant pr\u00e9cipita mment, il rassembla tout \nde m\u00eame sur ses reins ses hab its et se mit \u00e0 hurler des \ninjures \u00e0 ses bourreaux. \nD\u2019aucuns s\u2019appr\u00eataient \u00e0 lui sauter dessus pour le \nfouailler de nouveau, mais Le brac, faisant le g\u00e9n\u00e9reux \net qui avait sans doute pour cel a ses raisons, les arr\u00eata \nen souriant : \n\u2013 Laissez-le gueuler, ce petit ! si \u00e7a l\u2019amuse, fit-il de \nson air goguenard ; il faut bien que les enfants \ns\u2019amusent. \nL\u2019Aztec partit, tra\u00eenant les pieds et pleurant de rage. \nNaturellement, il songea \u00e0 fa ire ce qu\u2019avait fait Lebrac \nle samedi pr\u00e9c\u00e9dent : il se laissa choir derri\u00e8re le \npremier buisson venu et, r\u00e9solu \u00e0 montrer aux \nLongevernes qu\u2019il n\u2019\u00e9tait pa s plus couillon qu\u2019eux, se \nd\u00e9v\u00eatit totalement, m\u00eame de sa chemise, pour leur \nmontrer son post\u00e9rieur. \nAu camp de Longevern e, on y pens ait. \n 200\u2013 Y va se fout\u2019e de nous enc ore, tu vas voir, Lebrac, \nt\u2019aurais d\u00fb le faire \u00ab rerosser \u00bb. \n\u2013 Laissez ! laissez ! fit le g\u00e9n\u00e9ral, qui, comme \nTrochu, avait son plan. \n\u2013 Quand je te le disais, nom de Dieu ! cria Tintin. \nEt en eff et, l\u2019Azt ec, nu, s e leva d\u2019 un seul bond de \nderri\u00e8r e son bui sson, parut deva nt le front de bandi\u00e8r e \ndes Longevernes, leur montra ce qu\u2019avait dit Tintin, et \nles traita de l\u00e2ches, de brig ands, de cochons pourri s, de \ncouilles molles, de..., puis v oyant qu\u2019ils faisaient mine \nde s\u2019\u00e9l ancer prit s on \u00e9l an vers la li si\u00e8re et f ila comme \nun li\u00e8vr e. \nIl n\u2019alla pas loin , le malheureux... \nD\u2019un seul coup, \u00e0 quatr e pas devant lui, deux \nsilhouettes patibulaires et si nistres se dress\u00e8rent, lui \nbarr\u00e8rent la voie de l eurs poi ngs pr ojet\u00e9s en avant, puis \nviolemment se saisirent de sa personne et, tout en le \nbourr ant copi eusement de c oups de pied, l e ramen\u00e8rent \nde force au Gros Buisso n qu\u2019il venait de quitter. \nCe n\u2019 \u00e9tait point pour des pr unes que L ebrac avai t \nconf\u00e9r\u00e9 avec C amus et Gambett e ; il voyait cl air de \nloin, comme il disait, et, bien avant les autres, il avait \npens\u00e9 que son \u00ab boquezi zi \u00bb lui j ouerait le tour . Aussi \nl\u2019avait-il bonassement la iss\u00e9 filer, malgr\u00e9 les \nobjurgations des copai ns, pour mieux l e repincer \n 201l\u2019instant d\u2019apr\u00e8s. \n\u2013 Ah ! tu veux nous montr er ton cul, mon ami ! ah ! \ntr\u00e8s bien ! faut pas contr arier les enfants ! nous allons le \nregarder ton cul, mon petit, et toi tu le sentiras. \n\u2013 Rattachez-le \u00e0 son ch\u00eane, ce jeune \u00ab galustreau \u00bb, \net toi, Grangibus, retrouve la verge, qu\u2019o n lui marque \nun peu le bas du dos. \nGrangibus, g\u00e9n\u00e9reux au possibl e, y alla de ses douze \ncoups, pl us un de rabiot pour lui apprendre \u00e0 venir les \nemm...b\u00eater le soir quand ils rentraient. \n\u2013 Ce sera aussi pour que \u00e7a \u00ab soye \u00bb plus tendre et \nque notre Turc ne se fass e pas mal aux dents quand il \nvoudra mordre dans ta sa le bidoche, affirma-t-il. \nPendant ce temps, Camus rectifiait le baluchon \nconfis qu\u00e9 au pris onnier. \nQuand il eut les fesses bi en rouges, on le d\u00e9lia de \nnouveau et Lebrac, c\u00e9r\u00e9monieusement, lui remit son \npaquet en disant : \n\u2013 Bon voyage, monsieur le cul rouge ! et le bonsoir \n\u00e0 vos poules. \nPuis, revenant au ton naturel : \n\u2013 Ah ! tu veux nous mont rer ton cul, mon ami ! eh \nbien montre-le, ton cul ! mont re-le tant que t u voudr as ; \ntu le montreras plus qu\u2019 \u00e0 ton saoul, ton cul, va, mon \n 202ami, c\u2019est moi, Lebr ac, qui te le di s ! \nEt l\u2019Aztec, d\u00e9livr\u00e9, fila ce tte fois sans mot dire et \nrejoignit son arm\u00e9e en d\u00e9r oute. \n 203 \n \nCruelle \u00e9nigme \n \n ? \n \nSi j\u2019ai choisi ce titre empr unt\u00e9, peut-on croire, \u00e0 M. \nPaul Bourget et si, cont rairement \u00e0 l\u2019usage adopt\u00e9 \njusqu\u2019alors, j\u2019ai remplac\u00e9 le texte toujours c\u00e9l\u00e8br e plac\u00e9 \nen \u00e9pigraphe de mes chapitre s par un symbolique point \nd\u2019interrogation, que le lecteu r ou la lectri ce veuille bien \ncroire que je n\u2019 ai voul u en l\u2019occurr ence ni l e mystifi er, \nni surtout emprunter en quoi que ce f\u00fbt l\u2019in spiration des \npages qui vont suivre au \u00ab tr\u00e8s illustre \u00e9crivain \u00bb \nnomm\u00e9 plus haut. Nul n\u2019ignore d\u2019ailleurs, et mon \nexcellent ma\u00eet re Oct ave Mirbeau nous l\u2019a pl us \nparticuli\u00e8rement et en ma inte occurrence fait savoir, \nqu\u2019on ne commence \u00e0 \u00eatre une \u00e2me du ressort de M. \nPaul Bourget qu\u2019\u00e0 partir de cent mil le francs de r ente ; \nil ne saurait donc, je le r\u00e9p\u00e8 te, y avoir de rapport entre \nles h\u00e9r os du disti ngu\u00e9 et gl orieux acad\u00e9micien et la \nsaine et vigoureuse marmaille d ont je me suis fait ici le \ntr\u00e8s simple et si nc\u00e8re hi storiographe. \nL\u2019Aztec des Gu\u00e9s, en arrivant parmi ses soldats, \nn\u2019eut pas besoi n de r aconter ce qui s\u2019 \u00e9tait pass \u00e9. \n 204Touegueule, perch\u00e9 s ur son arbre, avait tout vu ou \u00e0 peu \npr\u00e8s. Les coups de verge, l\u2019 embuscade, la d\u00e9gradation \nboutonni\u00e8re, l a fuite, la repris e, la d\u00e9li vrance : les \ncamarades avaient v\u00e9cu avec lui au bout de son fil, si \nl\u2019on peut dire, ces minutes terribles de souffrance, \nd\u2019angoiss e et de rage. \n\u2013 Faut s\u2019en aller ! dit Migue la Lune, rien moins que \nrassur\u00e9 et \u00e0 qui la p\u00e9nible m\u00e9s aventure de s on chef \nrappelait, sans qu\u2019il l\u2019avou\u00e2t, de bien tristes souvenirs. \n\u2013 Faut d\u2019 abord rhabill er l\u2019 Aztec, obj ect\u00e8rent \nquelques voix. Et l\u2019on d\u00e9f it le bal uchon. L es manches \nde blouse d\u00e9li\u00e9es, on trouva les souliers, les bas, le \ngilet, le tricot, la chemise et l a casquette, mais le \npantalon n\u2019apparut point ... \n\u2013 Mon pantalon ? Qui c\u2019qu\u2019a mon \u00ab patalon \u00bb ? \ndemanda l\u2019Aztec. \n\u2013 Il n\u2019est pas dedans, d\u00e9cla ra Touegueule. Tu l\u2019as \npas perdu, des fois, en \u00ab t\u2019ensauvant \u00bb ? \n\u2013 Faut all er le \u00ab sercher \u00bb. \n\u2013 \u00ab Ergardez \u00bb voir si vous ne le voyez pas ? \nOn interrogea des yeux le champ de bataille. \nAucune l oque gisant \u00e0 terr e n\u2019indi quait le pant alon. \n\u2013 Monte sur l\u2019 arbre, va, f it l\u2019Aztec \u00e0 Touegueule, tu \nverras peut-\u00eat re \u00ab ousqu\u2019il a t omb\u00e9 \u00bb. \n 205Le grimpeur, en silence , escalada son f oyard. \n\u2013 Je ne vois ri en, d\u00e9cl ara-t-il, apr\u00e8s un instant \nd\u2019examen. \n\u00ab Rien !... non ! rien... mai s es-tu s\u00fbr de l\u2019avoir mis \ndedans quand tu t\u2019es d\u00e9shabill\u00e9 au buisson ? \n\u2013 Bien s\u00fbr, que je l\u2019avai s, r\u00e9pondit le chef, tr\u00e8s \ninquiet. \n\u2013 Ous qu\u2019il a pu passer ? \n\u2013 Ah ! bon diousse ! ah le s cochons ! s\u2019exclama tout \n\u00e0 coup Touegueule. \u00c9coutez, mais \u00e9cou tez donc, tas de \nbredouillards ! \nLes Velrans, l\u2019oreille tend ue, entendirent en effet \ntr\u00e8s dist inctement leur s ennemis s\u2019en retournant, \nchantant \u00e0 pleins poumons ce refrain populaire, de \ncirconstance \u00e0 ce qu\u2019 il semblait, et moins \nr\u00e9vol utionnair e que de cout ume : \n \nMon pantalon \nEst d\u00e9cousu ! \nSi \u00e7a continue \nOn verra le trou \nDe mon... pantalon \nQu\u2019est d\u00e9cousu... \n 206 \nEt se penchant, se tortillant , se haussant \u00e0 travers les \nbranches pour voir au loin , Touegueule hurl a, plein de \nrage : \n\u2013 Mais ils l\u2019ont, ton pantalon ! ils te l\u2019ont chip\u00e9, les \nsales salauds, les voleurs ! Je les vois, ils l\u2019ont mis au \nbout d\u2019une grande perche en guise de dr apeau. Ils sont \nbient\u00f4t \u00e0 la Carri\u00e8re. \nEt le refrain arrivait touj ours, narquois, aux oreilles \n\u00e9pouvant\u00e9es de l\u2019Aztec et de sa troupe : \n \nSi \u00e7a continue \nOn verra l\u2019trou \nDe mon... \n \nLes yeux du chef s\u2019agrandirent, papillot\u00e8rent, se \ntroubl\u00e8rent, il p\u00e2lit : \n\u2013 Ben, j\u2019en suis un pr opre, pour r entrer ! Qu\u2019 est-ce \nque je vais dire ? Comment po urrai-je faire ?... Jamais \nje n\u2019oserai traverser le village. \n\u2013 Faudr a attendre l a nuit noire, \u00e9mit quelqu\u2019un. \n\u2013 On va tous se faire engue uler si on r entre en \nretard, observa Migue la Lu ne... Faut t\u00e2cher de trouver \n 207qu\u00e9que chose. \n\u2013 Voyons, avec ta blouse, pr opos a Touegueule, en l a \nfermant bien avec des \u00e9pin gles, peut- \u00eatre qu\u2019on ne \nverrait pas grand-chose. \nOn essaya, apr\u00e8s avoir remis des ficelles aux \nsouliers et une \u00e9pingle au co l de chemise ; mais va te \nfaire fiche, comme disait Tatti, la blouse ne descendait \nm\u00eame pas jusqu\u2019\u00e0 l\u2019ourlet de la chemise ; de sorte que \nl\u2019Aztec avait l\u2019air d\u2019avoi r mis un surplis noir sur une \naube blanche ( ?). \n\u2013 On dirait un cur\u00e9, refit Tatti, sauf que c\u2019est l e \ncontr aire. \n\u2013 Voui, mais l es cur\u00e9s ne montrent pas non pl us \nleurs gui bolles comme \u00e7a, ob jecta Piss efroid ; mon \nvieux, \u00e7a ne va pas. \nSi tu mettais ta blouse co mme un jupon ; en la liant \nsur tes reins on ne verrait pas ton cul, on ferait tous \ncomme \u00e7a, l es gens cr oiraient que c\u2019est pour s\u2019amuser \net tu pourrais arriver chez vous. \n\u2013 Oui, mais en rentrant on me dira de mettre ma \nblouse comme il faut et on verra. Ah ! me s amis, \nqu\u2019est-ce que je vais recevoir ! \n\u2013 Allons touj ours du c\u00f4t \u00e9 du pays , voil\u00e0 qu\u2019il se fait \ntard, on ne pourra pas aller \u00e0 la pri\u00e8re, on va tous se \nfaire tamise r, reprit Mig ue la Lune. \n 208Le cons eil n\u2019\u00e9t ait pas mauv ais et la troupe, sous \nbois, chemina tris te et lent e cher chant une combi naison \nqui perm\u00eet au chef de regagn er, sans trop d\u2019encombres, \nses p\u00e9nates. \nAu bor d du foss\u00e9 d\u2019encei nte, apr\u00e8s avoir descendu la \ntranch\u00e9e transversale qui mena it \u00e0 la lisi\u00e8re du bois, la \nbande s\u2019arr\u00eata et r\u00e9fl\u00e9chit. \n... Ri en... personne ne trouvait rien... \n\u2013 Va falloir s\u2019en aller, larmoyaient les timides qui \ncraignaient l\u2019ir e pastoral e et la r acl\u00e9e pat ernelle. \n\u2013 On va pas laisser le chef tout seul ici, se r\u00e9cria \nTouegueule, \u00e9nergique devant le d\u00e9sastre. \nL\u2019Aztec semblait tant\u00f4t affol\u00e9, tant\u00f4t abruti. \n\u2013 Ah ! si quelqu\u2019un pouva it seulement aller chez \nnous, par derri\u00e8re, et s\u2019enfi ler dans l a chambr e du fond. \nIl y a mon vieux \u00ab falzar \u00bb qu\u2019e st derri\u00e8r e la mall e. Si je \nl\u2019avais au moi ns ! \n\u2013 Mon vi eux, si on all ait l\u00e0-bas et qu\u2019 on soit surpris \npar ta m\u00e8re ou par ton p\u00e8r e, qu\u2019est-ce qu\u2019 on z\u2019y dir ait ? \nils voudraient savoir ce qu\u2019on fait l\u00e0, ils nous \nprendraient peut-\u00eatre pour de s voleurs ; c\u2019est pas des \ncoups \u00e0 faire, \u00e7a. \n\u2013 Bon Di eu de bon Di eu ! Qu\u2019est-ce que je vas faire \nici ! \n 209\u00ab Vous al lez me l aisser tout seul ? \n\u2013 Jure pas comme \u00e7a, tour na Migue la Lune, tu \nferais pleurer la Sainte Vi erge et \u00e7a porte malheur. \n\u2013 Ah ! la Sainte Vierge ! elle fait des \u00ab miraques \u00bb \u00e0 \nLourdes , qu\u2019on di t : si seul ement elle me redonnait un \npauvre petit vieux \u00ab patalon \u00bb ! \nDing ! dong ! ding ! dong ! La pri\u00e8re sonna. \n\u2013 On peut pas rester plus longtemps, \u00e7a n\u2019avance \u00e0 \nrien ! faut s\u2019en aller ! fi rent de nombreuses voix. \nEt la moiti\u00e9 de la troupe se d\u00e9bandant, l\u00e2chant son \nchef, fila au triple galop vers l\u2019\u00e9glise, pour ne pas \u00eat re \npunie par le cur\u00e9. \n\u2013 Comment faire, Seigneur ! Comment f aire ? \n\u2013 Attendons qu\u2019il fass e nuit , va, cons ola \nTouegueule, je resterai avec to i. On sera tann\u00e9s tous les \ndeux. C \u2019est pas l a peine que ceux-ci soient engueul\u00e9s \navec nous. \n\u2013 Non ! ce n\u2019 est pas l a peine, r\u00e9p\u00e9ta l\u2019Aztec. Allez \u00e0 \nla pri \u00e8re, allez-vous- en et prie z la sainte Vierge et saint \nNicolas qu\u2019on ne \u00ab soye \u00bb pas tr op saboul\u00e9s. \nIls ne se le firent pas r\u00e9p\u00e9ter, et pendant qu\u2019ils \ns\u2019\u00e9loignaient \u00e0 toute allure, d\u00e9 j\u00e0 un peu en retard, les \ndeux comp\u00e8res se regard\u00e8rent. \nTouegueule, tout \u00e0 coup, se frappa le front. \n 210\u2013 Ce qu\u2019on est b\u00eates, tout de m\u00eame, j\u2019ai trouv\u00e9 ! \n\u2013 Dis ! oh ! dis vite, fit l\u2019Aztec, s uspendu aux l\u00e8vres \nde son copain. \n\u2013 Voici, mon vieux : moi je peux pas aller chez \nvous, mais toi tu vas y aller, toi ! \n\u2013 !... \n\u2013 Voui, mais oui , je vas me d\u00e9culotter, moi, et te \npasser mon grimpant et ma blouse. Tu vas filer chez \nvous par derri\u00e8r e, cal er tes nippes d\u00e9chir \u00e9es, en remettr e \ndes bonnes et me rapport er mes fr usques. Apr \u00e8s, on \ns\u2019en retournera. On dira qu\u2019on \u00e9tait all\u00e9 aux \nchampignons et qu\u2019on \u00e9tait loin par Ch asalans, si \ntellement loin qu\u2019on n\u2019a qu asiment pas entendu sonner. \nAllez ! \nL\u2019id\u00e9e parut g\u00e9niale \u00e0 l\u2019Azte c et sit\u00f4t dit, sit\u00f4t fait. \nTouegueule, d\u2019une taille l\u00e9g\u00e8re ment s up\u00e9rieure \u00e0 celle \nde son ami, lui enfila le pantalon dont il retr oussa en \ndedans les deux ja mbes un peu longues, il serra d\u2019un \ncran la pattelette de derri\u00e8 re, ceignit les reins du chef \nd\u2019une ficelle et lui recomm anda de filer dare-dare et \nsurtout de ne pas se faire voir. \nEt tandis que l\u2019Aztec, rasant les mu rs et les haies, \nfilait comme un chevreuil vers son logis pour y \nconqu\u00e9rir un autre pantalon , lui, Touegueule, cach\u00e9 \ndans l e foss\u00e9 du bois, r egardait de tous s es yeux et dans \n 211toutes les dir ections pou r voir si l\u2019exp\u00e9dition avait \nquelque chance de r\u00e9ussir. \nL\u2019Aztec atteignit son g\u00eete , escalada sa fen\u00eatr e, \ntrouva un pantalon \u00e0 peu pr\u00e8s semblable \u00e0 celui qu\u2019il \navait per du, des bretelles usag\u00e9es, une vieil le blouse, \narracha les cordons de ses souli ers du di manche, pui s, \nsans perdre le temp s de se reme ttre en tenue, ressauta \ndans le verger et, par le m\u00eame chemin qu\u2019il \u00e9tait venu, \ns\u2019en fut \u00e0 toute bride rejoin dre son h\u00e9ro\u00efque compagnon \naccroupi, gr elottant derri\u00e8re son mur et ser rant aut ant \nqu\u2019il le pouvait sa mince chem ise de toile rude sur ses \ncuisses rougies. \nIls eurent en se revoyant un large rire silencieux \ncomme en ont les bons P eaux-Rouges dans les romans \nde Feni more Cooper et, sans per dre une minute, ils \n\u00e9chang\u00e8r ent leurs v\u00eatement s. \nQuand tous deux eurent r\u00e9int\u00e9gr\u00e9 leurs pelures \npersonnelles, l\u2019Aztec, aya nt enfin une chemise \u00e0 \nboutons, une bl ouse pr opre et des cordons \u00e0 ses \nsouliers, je ta un regard inquiet et m\u00e9lancolique sur ses \nhabits en lambeaux. \nIl songea que, le jour o\u00f9 sa m\u00e8re les d\u00e9couvrirait, il \nrecevrait s\u00fbrement la pile et subirait l\u2019engueulade et \npeut-\u00eatre la claustration \u00e0 la chambre et au lit. \nCette derni\u00e8re consid\u00e9ratio n lui fit aussit\u00f4t prendre \n 212une r\u00e9s olution \u00e9nergique. \n\u2013 As-tu des allumettes ? de manda-t-il \u00e0 Touegueule. \n\u2013 Oui, fit l\u2019autr e, pour quoi ? \n\u2013 Donne-m\u2019en une, reprit l\u2019Aztec. \nEt, ayant frott \u00e9 le phos phore contre une pier re, apr\u00e8s \navoir r\u00e9uni en une sorte de petit b\u00fbcher expiatoire la \nblouse et la chemise, t\u00e9moin s de sa d\u00e9faite et de sa \nhonte et sujet s d\u2019inqui\u00e9tude pour l\u2019avenir, il y mit le feu \nsans h\u00e9sitations afin d\u2019effacer \u00e0 tout jamais le souvenir \nde ce jour n\u00e9faste et maudit. \n\u2013 Je m\u2019arranger ai pour ne pas avoir bes oin de \nchanger de pant alon, r\u00e9pondit-il \u00e0 l\u2019int errogation de \nTouegueule. Et jamais ma m\u00e8re n\u2019aura l\u2019id\u00e9e de croire \nqu\u2019il est foutu. El le pens era plut\u00f4t qu\u2019il tra\u00ee ne quelque \npart, derri\u00e8re un meuble, avec ma bl ouse et ma chemis e. \nAinsi tranquilles tous deux et rassur\u00e9s, l\u2019\u00e9nigme \ncruelle \u00e9tant d\u00e9chiffr\u00e9e et le chenilleux probl\u00e8me \nr\u00e9solu, ils attendirent le pr emier coup de l\u2019angelus pour \nse m\u00ealer aux camarades sortant de la pri\u00e8re qui furent \ntout surpris de les rencontrer en tenue et ils rentr\u00e8rent \nchez eux comme s \u2019ils en \u00e9taient venus eux aussi. \nSi le cur\u00e9 n\u2019avait rien vu, le tour \u00e9tait jou\u00e9. Il l \u2019\u00e9tait. \nPendant ce temps une autre sc\u00e8ne se d\u00e9roulait \u00e0 \nLongeverne. \n 213Arriv\u00e9 au vieux tilleul, \u00e0 cinquante pas de la \npremi\u00e8re maison du village, Lebrac fit stopper sa troupe \net demanda le silence. \n\u2013 On va pas tra\u00eener cett e guenille par les rues, \naffirma-t-il en d\u00e9signant de l\u2019oeil le pantalon de \nl\u2019Azt ec. Les gens pourr aient bi en nous demander o\u00f9 \nque c\u2019es t qu\u2019 on l\u2019a eue, et qu\u2019est-ce qu\u2019on leur z\u2019y \ndirait ? \n\u2013 Faut la foutre dans un trou de purin, conseilla \nTigibus. Hein ! tou t de m\u00eam e, qu\u2019est-ce qu\u2019il va dire \u00e0 \nleurs gens, l\u2019Aztec, et qu\u2019est -ce que va lui repasser sa \nm\u00e8re quand elle le ve rra rentrer cul nu ? \nPerdre un mouchoir, \u00e9garer sa casquette, casser un \nsabot, nouer un cor don, \u00e7a va bien, \u00e7a se voit tous les \njours, \u00e7a vaut une ou deux paires de claques et encore, \nquand c\u2019est vieux... mais pe rdre sa culotte, on a beau \ndire, \u00e7a ne se voit pas si souvent. \n\u2013 Mes vieux, je voudr ais pas \u00eatr e que de lui ! \n\u2013 \u00c7a le dr essera ! affir ma Tintin dont les poches \nrebondies des d\u00e9pouilles opime s attestaient un ample \nbutin. \n\u2013 Encore deux ou trois s ecouss es comme \u00e7a, fit-il en \nfrappant sur ses cuisses, et on pourra se passer de payer \nla contribution de guerre ; on pourra faire la f\u00eate avec \nles sous. \n 214\u2013 Mais c\u2019te cul otte, qu\u2019 est-ce qu\u2019on va en fai re ? \n\u2013 La culotte, tr ancha Lebr ac, l aissons-l a dans la \ncaverne du tilleul, je m\u2019en sarge1 ; vous verrez bi en \ndemain ; seulement , vous savez, s\u2019agit pas d\u2019aller \nrancus er2, hein, vous n\u2019\u00eates pas des laveuses de lessive, \nt\u00e2chez de tenir vos langues. Je veux vous fair e bien \nrigol er demain matin. M ais si le cur \u00e9 savai t que c\u2019 est \nencore moi, y voudrait pe ut-\u00eatre pas me faire ma \npremi\u00e8re communion, comme l\u2019ann\u00e9e derni\u00e8re, passe \nque j\u2019avais lav\u00e9 mon encrier \u00ab dedans \u00bb le b\u00e9nitier. \nEt il ajouta, bravache, en vr ai fils d\u2019un p\u00e8re qui lisait \nLe R\u00e9veil des Campagnes et Le Petit Brandon, organes \nanticl\u00e9riceux de l a province : \n\u2013 Vous savez, c\u2019est pas qu e j\u2019y tienne \u00e0 sa rondelle, \nmais c\u2019est pour faire comme tout le monde. \n\u2013 Qu\u2019est-ce que tu veux fair e, Lebrac ? interrog\u00e8rent \nles camarades. \n\u2013 Rien ! que j e vous ai dit ! Vous verrez bien \ndemain matin, allons- nous-en chacun chez nous. \nEt la d\u00e9pouille de l\u2019Azte c d\u00e9pos\u00e9e dans le coeur \ncaverneux du vieux tilleul , ils s\u2019en all\u00e8rent. \n\u2013 Tu reviendras ici apr \u00e8s les huit heures, fit Lebrac \u00e0 \n \n1 Charge. \n2 D\u00e9noncer. \n 215Camus. Tu m\u2019aideras ! \nEt l\u2019autre ayant acquiesc\u00e9, ils s\u2019en furent souper et \n\u00e9tudier leurs le\u00e7ons. \nApr\u00e8s le repas, comme son p\u00e8re sommeillait sur \nl\u2019almanach du Grand Messager boiteux de Strasbourg \no\u00f9 il cher chait des indi cations sur le temps qu\u2019il ferait \u00e0 \nla prochaine foire de Ver cel, Lebrac, qui guettait ce \nmoment, gagna la porte sans fa\u00e7ons. \nMais sa m\u00e8re veillait. \n\u2013 O\u00f9 vas-tu ? fit-elle. \n\u2013 Je vais pis ser un coup, pardine ! r\u00e9pondit-i l \nnaturellement. \nEt sans attendre d\u2019autre ob jection, il pas sa dehors et \nne fit qu\u2019un saut, si l\u2019on peut dire, jusqu\u2019au vieux \ntilleul. Camus, qui l\u2019attendait, vit, malgr\u00e9 l\u2019obscurit\u00e9, \nqu\u2019il avait des \u00e9pingl es pi qu\u00e9es dans le devant de sa \nblous e. \n\u2013 Qu\u2019est-ce qu\u2019on va faire ? questi onna-t-il, pr \u00eat \u00e0 \ntout. \n\u2013 Viens, commanda l\u2019autr e apr \u00e8s avoir pris le \npantalon dont il f endit de haut en bas le derri\u00e8re et les \ndeux jambes. \nIls arriv\u00e8rent sur la place de l\u2019\u00e9glise absolument \nd\u00e9sert e et silenci euse. \n 216\u2013 Tu me passeras la guenille , fit Lebrac en montant \nsur le coin du mur o\u00f9 se trouvait la grille de fer \nentourant le saint lieu. \nIl y avai t \u00e0 l\u2019 endroit o\u00f9 \u00e9t ait le chef une statue de \nsaint (saint Joseph, croyait -il) aux jambes demi-nues, \npos\u00e9e sur un petit pi\u00e9destal de pierre que le hardi gamin \nescalada en une s econde et su r lequel il se campa tant \nbien que mal \u00e0 c\u00f4t \u00e9 de l\u2019 \u00e9poux de l a Vier ge. Camus l ui \ntendit \u00e0 bout de br as le \u00ab grimpant \u00bb de l\u2019Azt ec et \nLebrac se mit en devoir de cu lotter prestement \u00ab le petit \nhomme de fer \u00bb. Il \u00e9 tendit sur les memb res inf\u00e9rieurs de \nla statue les jambes du pantal on, les r ecousit par \nderri\u00e8r e avec quelques \u00e9pi ngles et ass ura la ceint ure \ntrop l arge et f endue comme on sait, en ceignant les \nreins de saint Joseph d\u2019un do uble bout de vi eille ficelle. \nPuis, satisfait de son oeuvre, il redescendit. \n\u2013 Les nuits sont fra\u00eeches, \u00e9mit-il sentencieusement. \nComme \u00e7a, s aint Joseph n\u2019 aura pl us froid aux gui bolles. \nLe p\u00e8re bon Dieu sera conten t et pour nous remercier il \nnous fera encore chip er des prisonniers. \n\u2013 Allons nous coucher, ma vieille ! \nLe lendemain, les bonnes femmes, la vieille du \nPotte, la Grande Ph\u00e9mie, la Griot te et les autr es qui \nvenaient comme d\u2019habitude \u00e0 la messe de s ept heur es, \nse sign\u00e8rent en arrivant su r la place de l\u2019\u00e9glise, \n 217scandalis\u00e9es d\u2019une pare ille profanation : \n\u2013 On avait mis une culo tte \u00e0 saint Joseph ! \nLe sacristain, qui d\u00e9v\u00eatit la statue, apr\u00e8s avoir \nconstat\u00e9 que l\u2019entrejambes n\u2019en \u00e9tait pas des plus \npropres et qu\u2019ell e avait ser vi tout r\u00e9cemment , ne \nreconnut pourt ant point dans ce v\u00eat ement un pantal on \nport\u00e9 par un goss e de la par oisse. \nSon enqu\u00eate, men\u00e9e avec toute la vigueur et la \npromptit ude d\u00e9sirables , n\u2019eut pas de r\u00e9s ultats. Les \ngamins interrog\u00e9s furent mu ets comme des poissons ou \nahuris comme de jeunes veaux, et le dimanche suivant, \nle cur\u00e9, convaincu que cela venait de quelque sinistre \nassociation secr\u00e8te, tonna du haut de la chair e cont re les \nimpies et les s ectaires qui, non contents de pers\u00e9cuter \nles gens de bi en, pouss aient plus loin encore le s acril\u00e8ge \nen ess ayant de ridiculis er les sai nts jus que dans l eur \npropre maison. \nLes gens de Longeverne \u00e9taient aussi \u00e9tonn\u00e9s que \nleur cur\u00e9 et nul au pays ne se douta que sain t Joseph \navait \u00e9t \u00e9 cul ott\u00e9 avec le pantal on de l\u2019Aztec des Gu\u00e9s , \nconquis en combat loyal pa r l\u2019arm\u00e9e de Longeverne sur \nles peigne-culs de Velrans. \n 218 \n \nLes malheurs d\u2019un tr\u00e9sorier \n \nIl n\u2019est pas toujours bon d\u2019avoir un haut em ploi. \nLA FONTAIN E (Les Deux Mulets) . \n \nD\u00e8s le lendemain matin le tr\u00e9sorier, install\u00e9 \u00e0 sa \nplace dans un banc du fond et qui avait d\u00e9j\u00e0 cent fois et \nplus compt\u00e9, recompt \u00e9 et r\u00e9capitul \u00e9 les di verses pi\u00e8ces \ndu tr \u00e9sor commi s \u00e0 sa gar de, se pr\u00e9para \u00e0 mettre \u00e0 jour \nson grand li vre. \nIl commen\u00e7a donc, de m\u00e9moire, \u00e0 transcrire dans la \ncolonne des recettes ces comptes d\u00e9taill\u00e9s : \n \nLundi \n \nRe\u00e7u de Guignard : \nUn bout on de pant alon. \nGrand comme le bras de \u00ab fisselle \u00bb de fouet. \nRe\u00e7u de Guerreuillas : \nUne vieil le jarr eti\u00e8re de sa m\u00e8re pour en fair e une \n 219paire de rechange. \nTrois boutons de chemi se. \nRe\u00e7u de Bati : \nUne \u00e9pi ngle de s \u00fbret\u00e9. \nUn vi eux cordon de s oulier en cuir. \nRe\u00e7u de F\u00e9li : \nDeux bouts de ficelle, en tout grand comme moi. \nUn bout on de vest e. \nDeux boutons de chemise. \n \nMardi \n \nConquis \u00e0 la bataille de la Saute sur le prisonnier \nl\u2019Aztec des Gu\u00e9s chop\u00e9 par Lebrac, Camus et \nGrangibus : \nUne bonne paire de co rdons de souliers. \nUne j arreti\u00e8re. \nUn bout de tress e. \nSept bout ons de pantal on. \nUne boucle de derri\u00e8re. \nUne pai re de bret elles. \n 220Une agrafe de bl ouse. \nDeux boutons de blouse en verre noir. \nTrois boutons de tricot . \nCinq boutons de chemise. \nQuatr e bout ons de gilet. \nUn sou. \nTotal du tr\u00e9sor : \nTrois sous de r\u00e9serve en cas de malheur ! \nSoixante bout ons de chemi se ! \n \n\u2013 Voyons, pensa-t-il, est-ce que c\u2019est bien soixante \nboutons ? L e vieux ne me voi t pas ! Si je recomptais ? \nEt il porta la main \u00e0 sa poche, que gonflait la \ncagnott e \u00e9pars e et m\u00eal \u00e9e \u00e0 s es pos sessions per sonnelles , \ncar la Marie n\u2019avait pas encore eu le temps, le travail \ndevant se fair e en cachett e et son fr\u00e8re \u00e9tant rentr\u00e9 trop \ntard la veille, de confectionn er le sac \u00e0 cou lisses qu\u2019elle \navait pr omis \u00e0 l\u2019 arm\u00e9e. \nLe mouchoir de Tintin form ait tampon su r la poche \ndes boutons. Il le tira sans trop r\u00e9fl\u00e9chir, br usquement , \npress\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait de v\u00e9rifier l\u2019exactitude de ses comptes \net... patat ras... de t ous c\u00f4t\u00e9s roulant s ur le pl ancher ains i \nque des noisettes ou des bille s, les boutons du tr\u00e9sor \n 221s\u2019\u00e9parpill\u00e8rent dans la salle. \nIl y eut une rumeur \u00e9touff\u00e9e, une houle de t\u00eates se \nd\u00e9tournant. \n\u2013 Qu\u2019est-ce que c\u2019 est que \u00e7a ? questionna s\u00e8chement \nle p\u00e8r e Simon, qui avait d\u00e9 j\u00e0 remarqu\u00e9 depuis deux \njours les \u00e9tranges a llures de son \u00e9l\u00e8ve. \nEt il se pr\u00e9cipita pour co nstater de ses propres yeux \nla nature du d\u00e9lit, peu confian t qu\u2019il \u00e9tait, malgr\u00e9 toutes \nses le\u00e7ons de morale et l\u2019histoire de George \nWashington et de la hachette, dans la sinc\u00e9rit\u00e9 de Tintin \nni des autres comp\u00e8res. \nLebrac n\u2019eut que le temps, son camarade trop \u00e9mu \nn\u2019y pens ant gu\u00e8r e, de rafler d\u2019une main fr\u00e9missante le \ncarnet de caisse et de le fo urrer vivement dans sa cas e. \nMais ce geste n\u2019avait point \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 l\u2019oeil vigilant \ndu ma\u00eetre. \n\u2013 Qu\u2019est-ce que vous cache z, Lebrac ? Montrez-moi \n\u00e7a tout de suite ou je vous fiche huit jours de retenue ! \nMontr er le gr and livre, me ttre \u00e0 d\u00e9couvert le secret \nqui faisait la force et la gloire de l\u2019ar m\u00e9e de \nLongeverne : allons donc, Le brac e\u00fbt mieux aim\u00e9 en \nch... fai re des ronds de chapeaux, comme di sait \n\u00e9l\u00e9gamment l e fr\u00e8re de C amus. Pourtant huit jour s de \nretenue !... \n 222Les camarades , anxieus ement, suivaient ce duel. \nLebrac f ut h\u00e9ro\u00efque, si mplement. \nIl souleva derechef le co uvercl e de sa cas e, ouvri t \nson histoire de France et tendit au p\u00e8re Simon \u2013 \nsacrifiant sur l\u2019autel de la petite patrie lo ngevernoise le \npremier gage, si cher \u00e0 son co eur, de ses jeunes amours, \n\u2013 il tendit \u00e0 cette sinistre fripouille de ma\u00eetre d\u2019\u00e9cole \nl\u2019image que la soeur de Ti ntin lui avait donn\u00e9e comme \nembl\u00e8me de sa foi, une tulip e ou une pens \u00e9e \u00e9carlate \nsur champ d\u2019azur avec, on s\u2019 en souvient, ce mot \npassionn\u00e9 : souvenir. \nLebrac se jura d\u2019ailleurs, si l\u2019autre ne la d\u00e9chirait \npas imm\u00e9diatement, d\u2019aller la rechiper dans son bureau, \nla premi\u00e8re fois qu\u2019il se rait de balayage ou que le \nma\u00eetre tournerait le pied po ur une raison ou pour une \nautre. \nQuelles \u00e9moti ons n\u2019 \u00e9prouva-t-il pas l\u2019instant d\u2019apr\u00e8s \nquand l\u2019instituteur re gagna son estrade ! \nMais l a chut e des bout ons ne s\u2019 expliquait gu\u00e8re. \nLebrac dut avouer, en ba fouillant, qu\u2019il troquait \nl\u2019image contre des bout ons... Ce genre de n\u00e9goce n\u2019en \nrestait pas moins bizar re et myst \u00e9rieux. \n\u2013 Qu\u2019est-ce que vous f aites de tous ces boutons dans \nvotre poche ? fit le p\u00e8re Simo n \u00e0 Tintin. Je parierais que \nvous l es avez vol \u00e9s \u00e0 votr e maman. Je vais la pr\u00e9venir \n 223par un petit mot... Attendez un peu, nous verrons. \n\u00ab Pour commencer, puisque vous troublez la classe, \nvous resterez ce soir une heure en retenue, tous les \ndeux. \n\u2013 Une heure de retenue, pens\u00e8rent les autr es. Ah \nbien, oui ! c\u2019\u00e9tait du pr opre. Le chef et l e tr\u00e9sori er \npinc\u00e9s. Comment se battre ? \nDepui s le jour de sa m\u00e9s aventure et de sa d\u00e9fait e, \nCamus , on l e compr end, h\u00e9sitait \u00e0 assumer de nouvea u \nles responsabilit\u00e9s de g\u00e9n\u00e9ral en chef. Si les Velrans \nvenaient quand m\u00eame !... ma foi, m...iel pour eux ! \nIl est vrai qu\u2019ils avaient re\u00e7u la veille une telle pile \nqu\u2019il \u00e9tait fort peu probable qu \u2019ils revinssent ce jour-l\u00e0 ; \nmais est-ce qu\u2019on sait ja mais avec des tocbloches1 \npareils ! \n\u2013 O\u00f9 s ont-ils donc ces bout ons ? reprit le p\u00e8r e \nSimon. Il eut beau se baisser et assujettir ses lunettes et \nregarder entre les bancs, aucun bouton ne tomba dans \nson champ visuel ; pendant l\u2019algarade, les copains, \nprudents, les avai ent tous soigneusement et \nsubrepticement ramass\u00e9s et cach\u00e9s au pl us pr ofond de \nleurs poches . Impossibl e au ma\u00eetr e de r econna\u00eetre la \nnature et la quantit\u00e9 des fa meux boutons, de sorte qu\u2019il \n \n1 Toqu\u00e9s. \n 224resta dans le doute. \nMais en regagnant sa plac e, sans doute pour se \nvenger, la vieille rosse ! il d\u00e9chira en deux la belle \nimage de la M arie Tinti n, et L ebrac en devi nt pour pre \nde rage et de douleur. N\u00e9gl igemment le ma\u00eetre en laissa \ntomber un \u00e0 un les deux d\u00e9bri s dans sa cor beille \u00e0 \npapier et reprit s a le\u00e7on i nterrompue. \nLa Cri que, qui s avait \u00e0 que l point Lebrac tenait \u00e0 \nson image, laissa fort oppor tun\u00e9ment tomber son porte-\nplume et, se baissant pour le ramass er, chipa pr estement \nles deux pr \u00e9cieux mor ceaux qu\u2019il cacha dans un livre. \nPuis, voulant faire plaisir \u00e0 son chef, il recolla en \ncachette, avec des rognures de timbre -poste, les deux \nfragment s d\u00e9sunis et, \u00e0 l a r\u00e9cr\u00e9ation m\u00eame, les r emit \u00e0 \nLebrac qui, surpris au supr \u00eame degr\u00e9, faillit en pleurer \nde joie et d\u2019\u00e9motion et ne sut comment remercier ce \nbon La Crique, ce vrai copain. \nMais l\u2019affaire de la retenu e \u00e9tait bi en emb\u00eat ante tout \nde m\u00eame. \n\u2013 Pour vu qu\u2019il ne dise ri en chez nous, pensait Tintin, \net il confi a son angoiss e \u00e0 Lebrac. \n\u2013 Oh ! fit le chef , il n\u2019 y veut plus penser . Seulement \nfais attention, tiens-toi bi en ! ne touche pas tes poches. \nS\u2019il savait que tu en as encore... \nD\u00e8s qu\u2019i ls fur ent dans la cour de r\u00e9cr\u00e9ati on, les \n 225d\u00e9tenteur s de boutons remirent au tr\u00e9s orier les unit \u00e9s \n\u00e9pars es qu\u2019ils avaient r amass\u00e9es ; nul ne lui fit de \nreproches sur son imprudence , chacun sentant trop bien \nquelle lourde responsabilit\u00e9 il avait assum\u00e9e et tout ce \nque s on poste, qui lui avai t d\u00e9j\u00e0 valu une r etenue sans \ncompter la racl\u00e9e qu\u2019il pouv ait encore bien ramasser en \nrentrant chez soi, l ui pour rait revaloir dans l\u2019avenir. \nLui-m\u00eame le sentit et se plaignit : \n\u2013 Non, t u sais ! faudr a trouver quelqu\u2019 un d\u2019 autre \npour \u00eatre tr\u00e9sorier, c\u2019est tr op emb\u00eatant et dangereux : je \nne me s uis d\u00e9j \u00e0 pas batt u hier soir et auj ourd\u2019hui je suis \npuni !... \n\u2013 Moi aussi, fit Lebrac pour le consoler, je suis en \nretenue. \n\u2013 Oui, mais hi er au s oir, en as-t u, oui z\u2019 ou non, \nfoutu des \u00ab gnons \u00bb et des cailloux et des coups de \ntrique ! \n\u2013 \u00c7a ne fait rien, va, le soir on te remplacera de \ntemps en temps pour que tu puis ses te battr e aussi. \n\u2013 Si je savais, je cacher ais les boutons maintenant \npour ne pas avoir \u00e0 les em porter ce soir chez nous. \n\u2013 Si quel qu\u2019un te voyait, par exemple le p\u00e8re Gugu \u00e0 \ntravers les planches de sa grange, et puis qu\u2019il vienne \nnous l es chiper ou l e dire au ma\u00ee tre, nous serions de \nbeaux cocos, apr\u00e8s. \n 226\u2013 Mais non ! tu ne risques rien, Tintin, reprirent en \nchoeur les autres camarade s pour le consol er, le \nrassurer et l\u2019engager \u00e0 con server par devers soi ce \ncapital de guerre, source \u00e0 la f ois d\u2019ennuis et de \nconfiance, de vicissitudes et d\u2019orgueil. \nLa derni\u00e8re heure d\u2019\u00e9cole fut triste, la fin de la \nr\u00e9cr\u00e9ation sombra dans l\u2019im mobilit\u00e9 et le demi-silence \nsem\u00e9 de coll oques myst \u00e9rieux et de conf \u00e9rences \u00e0 voi x \nbasse qui intrigu\u00e8rent le ma\u00eetr e. C\u2019\u00e9t ait une j ourn\u00e9e \nperdue, l a pers pective des retenues ayant tari net leur \nenthousiasme j uv\u00e9nile et apai s\u00e9 leur soif de \nmouvement. \n\u2013 Qu\u2019est-ce qu\u2019on p ourrait bien faire ce soir ? se \ndemand\u00e8rent ceux du village, ap r\u00e8s que Gambette et les \ndeux Gibus, d\u00e9sempar\u00e9s, se furent retir\u00e9s dans leu rs \nfoyer s, l\u2019un sur la C\u00f4te et les autres au Vernois. \nCamus pr opos a une part ie de bi lles, car on ne \nvoulait pas jouer aux barres , ce semblant de guerre \nparaissant si fade apr\u00e8s le s peign\u00e9es de la Saute. \nOn se rendit donc sur la pl ace et on joua au car r\u00e9 \u00e0 \nune bille la mise, \u00ab pour de bon et non pour de rire \u00bb, \ntandis que les punis charmaie nt l\u2019heure suppl\u00e9mentaire \nqui l eur \u00e9tait impos \u00e9e en copi ant une lect ure de \nl\u2019Histoir e de France Bl anchet qui commen\u00e7ait ai nsi : \n\u00ab Mirabeau, en naissant, avait le pied tordu et la langue \nencha\u00een\u00e9e ; deux dents mola ires form\u00e9es dans sa \n 227bouche annon\u00e7aient sa force... \u00bb, etc., ce dont ils se \nfichai ent pas mal. \nPendant qu\u2019ils copiaient, leur attention vagabonde \ncueillait par les fen\u00eatres ouve rtes les exclamations des \njoueurs : \u2013 Tout ! \u2013 Rien ! \u2013 J\u2019ai dit avant toi ! \u2013 \nMenteur ! \n\u2013 T\u2019as pas but ! \n\u2013 Vise le Camus ! \u2013 Pan ! t\u2019es tu\u00e9 ! Combi en que \nt\u2019as de billes ? \n\u2013 Trois ! \n\u2013 C\u2019est pas vr ai, t\u2019en as au moins deux de plus ! \nallez, renaque-les, sale voleur ! \n\u2013 Remets-en une au carr\u00e9 si tu veux jouer, mon \npetit. \n\u2013 Je m\u2019en f ous, j\u2019 vas m\u2019 approcher du t as et pis t out \nnettoyer. \nCe que c\u2019est chic, tout de m\u00eame, une partie de billes, \npensaient Tintin et L ebrac copiant pour la troisi\u00e8me \nfois : \u00ab Mirabeau en nai ssant avait le pi ed tordu et la \nlangue encha\u00een\u00e9e... \u00bb \n\u2013 Y devait avoir une sale gueule, ce Mirabeau, \u00e9mit \nLebrac ! Quand c\u2019 est-y que l\u2019heure sera pass\u00e9e ! \n................... .................. ................. \n 228 \n\u2013 Vous n\u2019avez pas vu mon fr\u00e8re ? demanda l a Mari e \nqui passait aux joueurs de billes disputant avec \nacharnement un coup douteux. \nSon interrogation les calma net, les petits int\u00e9r\u00eats \nsuscit\u00e9s par la partie s\u2019\u00e9van ouissant devant toute chose \nse rattachant \u00e0 la grande oeuvre. \n\u2013 J\u2019ai fait le sac, ajouta-t-elle. \n\u2013 Ah ! oh ! viens voir ! \nEt la Marie Tintin exhiba aux guerriers \u00e9bahis et \nfig\u00e9s d\u2019admiration un sac \u00e0 co ulisses en grisette neuve, \ngrand comme deux sacs de billes ordinaires, un sac \nsolide, bien cousu, avec deux tresses neuves qui \npermettai ent de s errer l\u2019 ouverture si \u00e9troitement que \nrien n\u2019en pourr ait coul er. \n\u2013 C\u2019est salement bien ! jugea Camus, exprimant \nainsi le summum de l\u2019admira tion, tandis que ses yeux \nluisaient de reconnaissance. Avec \u00e7a, \u00ab on est bons \u00bb ! \n\u2013 Est-ce qu\u2019ils veulent bi ent\u00f4t sortir ? interrogea la \nfillette qu\u2019on avait mise au c ourant de la situation de \nson fr \u00e8re et de son bon ami. \n\u2013 \u00ab Dedans \u00bb dix minut es, un peti t quart d\u2019 heure, \nfixa La Crique apr\u00e8s avoir c onsult\u00e9 la tour du cl ocher ; \nveux-tu les attendre ? \n 229\u2013 Non, r \u00e9pondit-el le, j\u2019ai peur qu\u2019 on me voi e pr\u00e8s de \nvous et qu\u2019on dise \u00e0 ma m\u00e8r e que j e suis une \n\u00ab gar\u00e7onni\u00e8re \u00bb ; je vais m\u2019en aller, mais vous direz \u00e0 \nmon f r\u00e8re qu\u2019il s\u2019 en vi enne sit\u00f4t qu\u2019il sera sorti. \n\u2013 Oui, oui ! on z\u2019y dira, tu peux \u00eatre tranquille. \n\u2013 Je serai devant l a porte, acheva-t-elle en filant vers \nleur logis. \nLa partie conti nua, l anguissante, dans l\u2019 attente des \nretenus. \nDix minutes apr \u00e8s, en eff et, Lebrac et Tintin, \nenti\u00e8rement d\u00e9go\u00fbt\u00e9s de Mi rabeau jeune au pied tordu \net... et c., arri vaient pr\u00e8s de s joueurs, qui se partag\u00e8rent \npour en finir les billes du carr\u00e9. \nD\u00e8s qu\u2019on les eut mis au co urant, Tinti n n\u2019h\u00e9sita \npas. \n\u2013 Je file, s\u2019\u00e9cria-t-il, pass e que ces sacr \u00e9s boutons \u00e7a \nme tal e la cuisse, sans compter que j \u2019ai toujours peur de \nles perdre. \n\u2013 Si tu peux, t\u00e2che de reven ir quand ils seront dans \nle sac, hein ! demanda Camus. \nTintin pr omit et s\u2019 en fut au gal op rejoindre sa soeur. \nIl arriva juste au moment pr \u00e9cis o\u00f9 s on p\u00e8r e, \nclaquant du fouet, sortait de l\u2019\u00e9curie, chassant les b\u00eates \n\u00e0 l\u2019abreuvoir . \n 230\u2013 Tu n\u2019as donc rien \u00e0 faire ? non ! fit-il en l e voyant \ns\u2019installer pr\u00e8s de la Mari e ostensiblement occup\u00e9e \u00e0 \nravauder un bas. \n\u2013 Oh ! j\u2019sais mes le\u00e7ons, r\u00e9pliqua-t-il. \n\u2013 Ah ! tiens ! tiens ! tiens ! \nEt le p\u00e8re, sur ces excl amations \u00e9quivoques, les \nlaissa pour courir sus au \u00ab Griv\u00e9 \u00bb qui se frottait \nviolemment le cou contr e la cl\u00f4ture du Gr and Coulas. \n\u2013 Iche-te !1 ! rosse ! gueulait-il en lui tapant du \nmanche de fouet sur les naseaux humides. \nD\u00e8s qu\u2019i l eut d\u00e9pass\u00e9 l a premi \u00e8re mais on, Marie \nsortit enfin le fameux sac et Tintin, vidant ses poches, \n\u00e9tala sur le t ablier de s a soeur t out le tr \u00e9sor qui les \ngonfl ait. \nAlors il s intr oduisir ent dans l es profondeurs et \nm\u00e9thodiquement, d\u2019 abord les bout ons, puis l es agr afes \net les boucles et le paquet d\u2019aiguilles soigneusement \npiqu\u00e9es dans un mor ceau d\u2019\u00e9t offe, pour finir par l es \ncordons, l\u2019\u00e9lastique, l es tresses et l a ficelle. \nIl restait encore de la pl ace pour le cas o\u00f9 l\u2019on ferait \nde nouveaux prisonniers. C\u2019\u00e9t ait vraiment tr \u00e8s bien ! \nTintin, les coulisses serr\u00e9es, levait \u00e0 hauteur de son \n \n1 Recule-toi. \n 231oeil, comme un ivrogne son verre, l e sac r empli, \nsoupes ant le tr \u00e9sor et oubli ant dans sa joie les punitions \net les soucis que lui avait d\u00e9 j\u00e0 valus sa situation, quand \nle \u00ab tac, tac, tac, tac, ta c \u00bb des sabots de La Crique, \nfrappant le sol \u00e0 coup s redoubl\u00e9s, lui fit baisser le nez et \ninterroger le chemin. \nLa Cri que, tr \u00e8s es souffl \u00e9, les yeux inquiets, arriva \ntout droit \u00e0 eux et s\u2019\u00e9cri a d\u2019une voix s\u00e9pul crale : \n\u2013 Fais attention aux boutons ! Il y a ton p\u00e8re qui \njabote avec le p\u00e8re Simon. Je n\u2019ai rien que peur que ce \nvieux sagoui n ne l ui dise qu\u2019il t\u2019a puni auj ourd\u2019 hui pour \n\u00e7a et qu\u2019 on ne te f ouille. T\u00e2che de les cacher en cas que \ncela n\u2019arrive, hei n ! moi j e me bar re ; s\u2019il me voyai t il \nse douterait peut-\u00eatre que je t\u2019ai pr\u00e9venu. \nOn entendait d\u00e9j\u00e0 au con tour les claquements de \nfouet du p\u00e8r e Tintin. La Crique se glissa entre les \ncl\u00f4tures des vergers et di sparut comme une ombr e, \ntandis que la Marie, int\u00e9ress\u00e9e autant que les gars dans \nl\u2019aventure, prenant fort op portun\u00e9ment une r\u00e9solution \naussi subite qu\u2019\u00e9nergique, trou ssait son tablier, le liait \nsolidement derri\u00e8re son do s pour former devant une \nsorte de poche et enfouiss ait dans cett e cachett e, sous \nson ouvrage, le sac et le s boutons de l\u2019arm\u00e9e de \nLongeverne. \n\u2013 Rentre ! dit- elle \u00e0 s on fr\u00e8re, et f ais semblant de \ntravailler, moi je vais re ster \u00e0 ravauder mon bas. \n 232Tout en ayant l\u2019air de ne s\u2019int\u00e9resser qu\u2019\u00e0 son \ntravail, la soeur de Tintin ne manqua pas d\u2019observer en \ndessous l a mine de s on p\u00e8r e, et ell e ne dout a null ement \nqu\u2019il y aur ait du gr abuge qua nd elle eut saisi le coup \nd\u2019oeil qu\u2019il l an\u00e7a pour s avoir si son fils se trouvait \nencore \u00e0 fain\u00e9anter au seuil de la porte. \nLes boeufs et les vaches se pressaient, se \nbous culai ent pour rentr er vite \u00e0 l\u2019 \u00e9table et t\u00e2cher, en \nlongeant la cr\u00e8che, de voler une partie du \u00ab l\u00e9cher \u00bb \nd\u00e9pos \u00e9 pour le voisi n av ant de manger leurs parts \nrespectives. Mais le paysan fit cl aquer en menace s on \nfouet, affirmant ainsi sa vol ont\u00e9 de ne poi nt tol\u00e9r er ces \nvols quot idiens et cout umiers, et, d\u00e8s qu\u2019il eut ent our\u00e9 \nle cou de chaque b\u00eate de son lien de f er, les sabots noirs \nde f umier et de puri n, il poussa la porte de \ncommuni cation qui ouvr ait sur la cuisine o\u00f9 il trouva \nson fils occup\u00e9 \u00e0 pr\u00e9parer, avec une attention \ninaccoutum\u00e9e et de trop bon aloi, une le\u00e7on \nd\u2019arithm\u00e9tique pour le lendemain. \nIl en \u00e9tait \u00e0 la d\u00e9fin ition de la soustraction. \n\u2013 \u00ab La soustraction est une op\u00e9ration qui a pour \nbut... \u00bb, marmottait-il. \n\u2013 Qu\u2019est-ce que tu fais ma intenant ? dit le p\u00e8re. \n\u2013 J\u2019apprends mon arithm\u00e9 tique pour demain ! \n\u2013 Tu savais tes le\u00e7ons tout \u00e0 l\u2019heure ? \n 233\u2013 J\u2019avais oubli\u00e9 celle-l\u00e0 ! \n\u2013 Sur quoi ? \n\u2013 Sur la soustraction ! \n\u2013 La soustraction !... Tien s ! mais il me semble que \ntu la connais, la sous traction, petite rosse ! \nEt il ajouta brusquement : \n\u2013 Viens voir ici pr\u00e8s de moi ! \nTintin ob\u00e9it en prenant un ai r aussi su rpris et aussi \ninnocent que possible. \n\u2013 Fais voir tes poches ! ordonna le p\u00e8re. \n\u2013 Mais j\u2019ai rien fait, j\u2019ai rien pris, objecta Tintin. \n\u2013 J\u2019te dis de me montrer ce qu\u2019il y a \u00ab dedans \u00bb tes \npoches, n... d. D... ! et pl us vite que \u00e7a ! \n\u2013 Y a rien, pardine ! \nEt Tinti n, nobl ement, en victime odieusement \ncalomni \u00e9e, pl ongea sa mai n dans sa poche dr oite d\u2019 o\u00f9 il \nretira un bout de guenille sa le servant de mouchoir, un \ncouteau \u00e9br\u00e9ch\u00e9 dont l e ressort ne foncti onnait pl us, un \nbout de tresse, une bille et un morceau de charbon qui \nservait \u00e0 tracer l e carr\u00e9 qu and on jouait aux billes sur un \nplancher. \n\u2013 C\u2019est tout ? demanda le p\u00e8re. \nTintin retourna la doublur e noire de crasse pour bien \n 234montr er que rien ne restait . \n\u2013 Fais voir l\u2019autre ! \nLa m\u00eame op\u00e9rati on recommen\u00e7a : Tintin \nsuccessi vement aveignit un b out de r\u00e9glisse de bois \u00e0 \nmoiti\u00e9 rong\u00e9, un cro\u00fbton de pain, un trognon de \npomme, un noyau de pruneau, des coquilles de noisette \net un caillou rond (un bo n caillou pour la fronde). \n\u2013 Et t es bout ons ? fit le p\u00e8re. \nLa m\u00e8re Tintin rentrait \u00e0 ce moment. En entendant \nparler de boutons, ses in stincts \u00e9conomes de bonne \nm\u00e9nag\u00e8re s\u2019\u00e9murent. \n\u2013 Des boutons ! r\u00e9pondit Tintin. J\u2019en ai pas ! \n\u2013 T\u2019en as pas ? \n\u2013 Non ! j\u2019ai pas de b outons ! quels boutons ? \n\u2013 Et ceux que tu avais cette apr\u00e8s-midi ? \n\u2013 Cette apr\u00e8s-midi ? reprit Tintin, l\u2019air vague, \ncherchant \u00e0 rassembl er ses souvenirs. \n\u2013 Fais pas la b\u00eat e, nom de Dieu ! s\u2019exclama le p\u00e8re, \nou je te calotte, sacr\u00e9 petit morveux, t\u2019avais des boutons \ncette apr\u00e8s-midi, puis que tu en as perdu une poi gn\u00e9e en \nclasse ; le ma\u00eetre vient de me dire que tu en avais plein \ntes poches ! Qu\u2019 en as-t u fait ? O\u00f9 les avais-t u pris ? \n\u2013 J\u2019avais pas de boutons ! C\u2019est pas moi, c\u2019est ... \n 235c\u2019est Lebrac qui voulait m\u2019 en vendr e contr e une i mage. \n\u2013 Ah ! pardi\u00e9 ! fit la m\u00e8 re. C\u2019est donc pour \u00e7a qu\u2019il \nn\u2019y a jamais plus rien dans ma cor beille \u00e0 ouvr age et \ndans les tiroirs de ma machine \u00e0 coudre ; c\u2019est ce \n\u00ab sapr\u00e9 \u00bb petit cochon-l\u00e0 qui me les prend : on ne trouve \njamais rien ici, on a beau tous l es jours achet er et \nracheter, c\u2019est comme si on chantait, ils en voleraient \nbien autant qu\u2019un cur\u00e9 en pourr ait b\u00e9nir ! Et quand il s \nne prennent pas ce qu\u2019il y a ici, ils d\u00e9chirent ce qu\u2019ils \nont sur le dos, il s cass ent leurs sabots , perdent l eurs \ncasquettes, s\u00e8ment leurs m ouchoirs de poche, n\u2019ont \njamais de cordons de souliers entiers. Ah ! mon Dieu ! \nJ\u00e9sus ! Marie ! Joseph ! qu\u2019est-ce qu\u2019on veut devenir \navec des \u00ab gouillands \u00bb comme \u00e7a ? \n\u2013 Mais qu\u2019est-ce qu\u2019ils peuvent bien faire de ces \nboutons ? \n\u2013 Ah ! sacr\u00e9 arsouille ! Je vais t\u2019apprendre un peu \nl\u2019ordre et l\u2019\u00e9conomie, et \u00ab pisse que \u00bb les mots ne \nservent de rien, c\u2019est \u00e0 coups de pied au derri\u00e8re que je \nvais t\u2019instruire, moi, tu vas voir \u00e7a, gronda le p\u00e8re \nTintin. \nAussit\u00f4t, joignant le geste \u00e0 la parole, saisissant son \nrejeton par le bras et le faisant pivoter devant lui, il lui \nimprima sur le bas du dos, avec ses sabots noirs de \npurin, quelques cachets de ga rantie qui, pensait-il, le \ngu\u00e9riraient pendant quelque temps du d\u00e9sir et de la \n 236manie de chiper des boutons dans le \u00ab catrignot \u00bb1 de sa \nm\u00e8re. \nTintin, se lon les principes formul\u00e9s pa r Leb rac les \njours d\u2019avant, gueula et hurl a de toutes s es forces avant \nm\u00eame que son p\u00e8re ne l\u2019e\u00fb t touch\u00e9, il piailla encore \nplus haut et pl us effroyabl ement quand l es semelles de \nbois prirent contact avec s on post\u00e8re, il poussa m\u00eame \ndes cris si aigus que la Mari e, tout \u00e9mue et effar\u00e9e, \nrentra les larmes aux yeux et que l a m\u00e8r e, elle- m\u00eame, \nsurprise, pria son \u00e9poux de ne pas taper si fort, croyant \nque son f ils souff rait vrai ment le martyr e ou pr esque. \n\u2013 Je ne l\u2019ai presque pas touch\u00e9, ce salaud-l\u00e0, \nr\u00e9pliqua le p\u00e8re. Une autre fois je lui apprendrai \u00e0 \ngueuler pour quelque chose. \n\u2013 Que je t\u2019y repr enne un peu, ajouta-t-il, \u00e0 feuner2 \ndans l es tiroirs de t a m\u00e8re, et que j \u2019en retrouve des \nboutons dans tes poches ! \n \n1 Corbeille \u00e0 ouvrage. \n2 Feuner : fureter, ou m ieux fouiner. \n 237 \n \nAutres combinaisons \n \nPlus j\u2019ai cherch\u00e9, Madam e, et plus je cherche encor... \nRacine (Britannicus, acte II, sc. III). \n \n\u2013 Non, non, je n\u2019en veux plus du tr\u00e9s or ! J\u2019en ai \nassez, moi, de ne pas me ba ttre, de copier des conneries \nsur Mirabeau, de faire des re tenues et de recevoir des \npiles ! Merde pour les b outons ! Les prendra qui \nvoudra. C\u2019est pas toujours au x m\u00eames d\u2019 \u00eatre taugn\u00e9s . Si \nmon p\u00e8re retrouve un bouto n dans mes poches, il a dit \nqu\u2019il me refoutr ait une dans e comme j\u2019en ai encore \njamais re\u00e7u. \nAinsi parla Tintin le tr\u00e9sorier, le lendemain matin, \nen remet tant \u00e8s mai ns du g\u00e9n\u00e9ral le jo li sac rebondi, \nconfectionn\u00e9 par s a soeur. \n\u2013 Faut pourtant que quelqu\u2019un les garde, ces \nboutons, affir ma Lebrac. C\u2019es t vrai que Tintin ne peut \nplus gu\u00e8re les conserver puis qu\u2019on le soup\u00e7onne. \u00c0 tout \nmoment i l pour rait s\u2019att endre \u00e0 \u00eatre f ouill\u00e9 et pinc\u00e9. \n\u2013 Grangibus, il te faut les pr endre, toi ! Tu ne rest es \npas au village, ton p\u00e8re ne se dout era jamais que t u les \n 238as. \n\u2013 Tra\u00eener ce sac d\u2019ici au Ver nois ; et du Ver nois ici, \ndeux fois par jour aller et retour , et ne pas me battre, \nmoi, un des plus forts , un des meill eurs soldats de \nLongeverne, est-ce qu e tu te foutrais de ma gueule, par \nhasar d ! riposta Grangibus. \n\u2013 Tintin aussi est un bon soldat, et il avait bien \naccept\u00e9 ! \n\u2013 Pour me faire chiper en classe ou en retournant \u00e0 \nla maison. Tu vois pas que les Velrans nous attendent \nun soir que Narcisse aura ou bli\u00e9 de l\u00e2cher Turc ! Et les \njours o\u00f9 nous ne vi endrons pas, qu\u2019 est-ce que vous \nferez ? Vous co\u00efonnerez, hein ! \n\u2013 On pourrait cacher le sac dans une case en classe, \n\u00e9mit Boulot. \n\u2013 Sacr\u00e9e gourde ! railla La Crique. Quand c\u2019est-y \nque tu l es mettr as en clas se, tes boutons ? C\u2019est apr \u00e8s \nquatr e heur es qu\u2019i l nous les faut j ustement , cucu, c\u2019 est \npas pendant la classe. Alor s comment veux-tu rentrer \npour les y cacher ? Di s-le voir un peu, t out mali n ! \n\u2013 Non, non, personne n\u2019y est ! C\u2019est pas \u00e7a ! rumina \nLebrac. \n\u2013 Ousqu\u2019est Camus et Gamb ette ? demanda un petit. \n\u2013 T\u2019en occupe pas, r\u00e9pond it le chef vertement, ils \n 239sont dans leur peau et moi da ns la mienne et m... pour \nla tienne, as-tu compris ? \n\u2013 Oh ! je demandais \u00e7a passe que Camus pourrait \npeut- \u00eatre le pr endre, le s ac. De s on ar bre, \u00e7a ne l e \ng\u00eanerait gu\u00e8r e. \n\u2013 Non ! Non ! reprit vi olemment Lebrac. Pas pl us \nCamus qu\u2019un autre : j\u2019ai tro uv\u00e9, il f aut tout simplement \nchercher une cachette pour y cal er le four bi. \n\u2013 Pas au village, par exem ple ! Si on la trouvait... \n\u2013 Non, conc\u00e9da le chef, c\u2019es t \u00e0 la Saute qu\u2019il faudra \ntrouver un coin, dans les vi eilles carri\u00e8res du haut, par \nexemple. \n\u2013 Il faut que ce s oit un endroit sec, passe que les \naiguilles si c\u2019est rouill\u00e9 \u00e7a ne va plus, et puis \u00e0 \nl\u2019humidit\u00e9 le fil se pourrit. \n\u2013 Si on pouvait trouver au ssi une cachette pour les \nsabres et pour les lances et pour les triques ! On ris que \ntoujours de se les faire prendre. \n\u2013 Hier, mon p\u00e8re m\u2019 a foutu mon sabr e au feu apr\u00e8s \nme l\u2019 avoir cass \u00e9, g\u00e9mit Boulot , j\u2019ai rien que pu r\u2019 avoir \nun petit bout de ficelle de la poign\u00e9e et encore il est tout \nroussi. \n\u2013 Oui, conclut Tintin, c\u2019es t \u00e7a ; il faut trouver un \ncoin, une cache, un trou pour y mettre tout le fourbi. \n 240\u2013 Si on faisait une cabane, proposa La Crique, une \nchouette cabane dans une vi eille carri\u00e8re bien abrit\u00e9e, \nbien cach\u00e9e ; il y en a o\u00f9 il y a d\u00e9j\u00e0 de grandes cavernes \ntoutes pr \u00eates, on l a finir ait en b\u00e2tis sant des mur s et on \ntrouver ait des per ches et des bout s de planches pour \nfaire le toit. \n\u2013 Ce serait rudement bien, reprit Tintin, une vraie \ncabane, avec des lits de feui lles s\u00e8ches pour s\u2019y reposer, \nun foyer pour fair e du f eu, et faire la f\u00ea te, quand on aura \ndes s ous. \n\u2013 C\u2019est \u00e7a, af firma Lebr ac, on va faire une cabane \u00e0 \nla Saute. On y cachera le tr \u00e9sor, les \u00ab minitions \u00bb, les \nfrondes, une r\u00e9serve de beaux cail loux. On fer a des \n\u00ab assetottes \u00bb pour s\u2019asseoir, des lits pour se coucher, \ndes r\u00e2teliers pour poser les sabres, on \u00e9l\u00e8vera une \nchemin\u00e9e, on ramassera du bois sec pour faire du feu. \nCe que \u00e7a va \u00eatr e bien ! \n\u2013 Il faut trouver l\u2019 endroit tout de suite, fit Tintin, qui \ntenait \u00e0 \u00eatre le plus t\u00f4t possib le fix\u00e9 sur les destin\u00e9es de \nson sac. \n\u2013 Ce soir, ce soir , oui, ce soir on cherchera, conclut \ntoute la bande enthousiaste. \n\u2013 Si les Velr ans ne viennent pas, rectifia Lebrac ; \nmais Camus et Gambette le ur arrangent quelque chose \npour qu\u2019ils nous foutent la pa ix ; si \u00e7a va bi en, on s era \n 241tranquilles tertous, si \u00e7a ne r\u00e9us sit pas, eh bien ! on en \nnommera deux pour aller chercher l\u2019endroit qui \nconviendra le mieux. \n\u2013 Qu\u2019est-ce qu\u2019il fait, Camus ? dis- nous- le, va, \nLebrac, interrogea Bacaill\u00e9. \n\u2013 Ne l ui dis pas, souffl a Tintin en le pous sant du \ncoude pour lui remettre en m\u00e9moire une ancienne \nsuspicion. \n\u2013 T\u2019as le temps de le voir, toi. J\u2019en sais rien, \nd\u2019abord ! En dehors de la gu erre et des batailles, chacun \nest bi en libre. Camus f ait ce qu\u2019il veut et moi aus si, et \ntoi itou, et tout le monde. On est en r\u00e9publique, quoi, \nnom de Dieu ! com me dit le p\u00e8re. \nL\u2019entr\u00e9e en classe se fit sans Camus et Gambette. Le \nma\u00eetre, interrogeant ses camarades sur les causes \npr\u00e9sum\u00e9es de leur abs ence, apprit des initi\u00e9s que le \npremier \u00e9tait r est\u00e9 chez lui po ur assister une vache qui \n\u00e9tait en train de v\u00ealer, tand is que l\u2019autre menait encore \nau bouc une cabe qui s\u2019obstin ait \u00e0 ne pas... prendre. \nIl n\u2019insista pas pour avoir de s d\u00e9tails et les gaillards \nle savaient bi en. Aus si, quand l\u2019 un d\u2019 eux fri pait l\u2019 \u00e9cole, \nne manquaient-ils pas, po ur l\u2019excuser, d\u2019\u00e9voquer \ninnocemment un petit motif bien scabreux sur lequel ils \n\u00e9taient d\u2019 avance cert ains que l e p\u00e8r e Simon ne \nsolliciterait pas d\u2019explicat ions compl\u00e9mentaires. \n 242Cependant Camus et Gambette \u00e9taient fort l oin de se \nsoucier de la f\u00e9condit\u00e9 respective de leurs vaches ou de \nleurs ch\u00e8vres. \nCamus , on s \u2019en souvi ent, avait en eff et promi s \u00e0 \nTouegueule de le retenir ; il avait depuis rumin\u00e9 sa \npetite vengeance et il \u00e9tait en train de mettr e son plan \u00e0 \nex\u00e9cuti on, aid\u00e9 par s on f\u00e9al et complice Gambette. \nTous deux, d\u00e8s les sept heures, avaient vu Lebrac \navec qui ils s\u2019\u00e9taient entend us et qu\u2019ils avaient mis au \ncourant de t out. \nL\u2019excuse \u00e9tant trouv\u00e9e, ils avaient quitt\u00e9 le village. \nSe dissimulant pour que pers onne ne les v\u00eet ni ne les \nreconn\u00fbt, ils avaient gagn\u00e9 le c hemin de la Saute et le \nGros B uisson d\u2019 abord, pu is la lisi\u00e8re ennemie, \nd\u00e9pourvue \u00e0 cette heure de ses d\u00e9fenseurs habituels. \nLe foyard de Touegueule s\u2019\u00e9levait l\u00e0, \u00e0 quelques pas \ndu mur d\u2019enceinte, avec son tr onc lisse et droit et poli \ndepuis quelques semaines pa r le frottement du pant alon \nde la vigie des Velr ans. Les br anches en four che, \npremi\u00e8res ramifi cations du f\u00fbt, pr enaient \u00e0 quel ques \nbrasses au-dess us de l a t\u00eate des grimpeur s. En tr ois \nsecousses, Camus atteignait une branche, se r\u00e9tablissait \nsur les avant-bras et se dre ssait sur les genoux, puis sur \nles pieds. \nUne fois l\u00e0, il s\u2019orienta. Il s\u2019agissait, en effet, de \n 243d\u00e9couvrir \u00e0 quelle fourch e et sur quelle branche \ns\u2019inst allait son ri val, afin de ne poi nt s\u2019expos er \u00e0 \naccomplir un travail inutile qui les aurait de plus \nridiculis\u00e9s aux yeux de le urs ennemis et fait baisser \ndans l\u2019estime de l eurs camarades . \nCamus regarda le Gros Buisson et plus \nparticuli\u00e8rement son ch\u00eane pour \u00eatre fix\u00e9 sur la hauteur \napproximative du poste de Touegueule, puis il examina \nsoigneusement les \u00e9raflure s des branches afin de \nd\u00e9couvrir les points o\u00f9 l\u2019au tre posait les pieds. Ensuite, \npar cett e sort e d\u2019escalier nat urel, de s ente a\u00e9ri enne, il \ngrimpa. Tel un Sioux ou un De laware r elevant une pi ste \nde Vis age P\u00e2l e, il expl ora de bas en haut tous les \nrameaux de l\u2019arbre et d\u00e9passa m\u00eame en hauteur \nl\u2019altitude du poste de l\u2019enne mi, afin de distinguer les \nbranches foul\u00e9es par le sou lier de Touegueu le de celles \no\u00f9 il ne se posait pas. Puis il d\u00e9termina exactement le \npoint de la f ourche d\u2019 o\u00f9 le frondeur lan\u00e7ait s ur l\u2019arm\u00e9e \nde Longeverne ses cailloux meurtriers, s\u2019installa \ncommod\u00e9ment \u00e0 c\u00f4t\u00e9, regard a en dess ous pour bien \njuger de la culbute qu\u2019il m\u00e9 ditait de faire prendre \u00e0 son \nennemi et tira enfin son eustache de sa poche. \nC\u2019\u00e9tait un couteau double, comme les muscles de \nTartarin ; du moins l\u2019appelait- on ainsi parce qu\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9 \nde la lame il y avait une pet ite sci e \u00e0 gros ses dents, pe u \ncoupante et aussi in commode que possible. \n 244Avec cet outil rudimentaire, Camus, qui ne doutait \nde rien, se mit en devoir de trancher, \u00e0 un fil pr\u00e8s, une \nbranche vivante et dure de foyard, grosse a u moins \ncomme s a cuiss e. Dur tr avail et qui devait \u00eatre men\u00e9 \nhabilement si l\u2019 on voul ait qu e rien ne v\u00ee nt, au moment \nfatal, \u00e9veiller les soup\u00e7 ons de l\u2019adversaire. \nPour \u00e9viter les sauts de sc ie et un \u00e9raflement trop \nvisible de la branche, Camus, qui \u00e9tait descendu sur la \nfourche inf\u00e9rieure et serrait le f\u00fbt de l\u2019arbre entre ses \ngenoux, commen\u00e7a par marque r avec la lame de son \ncouteau la place \u00e0 entailler et \u00e0 creuser d\u2019abord une \nl\u00e9g\u00e8re rainure o\u00f9 la scie s\u2019engagerait. \nEnsuite de quoi il se mit \u00e0 manier le poignet d\u2019avant \nen ar ri\u00e8re et d\u2019 arri\u00e8re en avant . \nGambette, pendant ce temps, \u00e9tait mont\u00e9 s ur l\u2019ar bre \net surveillait l\u2019op\u00e9ration. Quand Camus fut fatigu\u00e9, son \ncomplice le rempla\u00e7a. Au bo ut d\u2019 une demi-heur e, le \ncouteau \u00e9tait chaud \u00e0 n\u2019en plus pouvoir toucher les \nlames. Ils se repos\u00e8rent un moment, puis ils reprirent \nleur travail. \nDeux heur es dur ant, ils se rel ay\u00e8rent dans ce \nmaniement de s cie. L eurs doi gts \u00e0 la fin \u00e9tai ent r aides, \nleurs poignets engourdis, leur cou cass\u00e9, leurs yeux \ntroubl es et pl eins de larmes , mais une fl amme \ninextinguible les ranimait, et la scie grattait encore et \nrongeait toujours, comme une impitoyable souris. \n 245Quand il ne rest a plus qu\u2019 un centi m\u00e8tre et demi \u00e0 \nraser, ils essay\u00e8rent, en s\u2019appuyant dessus, \nprudemment , puis plus fort, la s olidit\u00e9 de la br anche. \n\u2013 Encore un peu, conclut Camus. \nGambette r\u00e9fl\u00e9chissait. Il ne faut pas que la branche \nreste attach\u00e9e au f\u00fbt, pens ait-il, sans quoi il s\u2019y \nraccr ochera et en ser a quitt e pour la peur . Il faut qu\u2019elle \ncasse net. Et il proposa \u00e0 Camus de recommencer \u00e0 \nscier d\u2019en dessous, l\u2019\u00e9paisse ur d\u2019un doigt, pour obtenir \nune rupture franche, ce qu\u2019ils firent. \nCamus, s\u2019appuyant de nouv eau assez fortement sur \nla branche, entendit un cr aquement de bon augure. \nEncore quelques petits coups, jugea-t-il. \n\u2013 Maintenant \u00e7a va. Il pourr a monter dessus sans \nqu\u2019ell e ne cass e, mais une fo is qu\u2019il sera en train de \ngigoter avec sa fronde... ah ! ah ! ce qu\u2019on va ri goler ! \nEt apr\u00e8s avoir sou ffl\u00e9 sur la sciure qui sab lait les \nrameaux pour l a faire dispar a\u00eetre, poli de leurs mains les \nbords de la fente pour rapp rocher les \u00e9 raflures d\u2019\u00e9corce \net rendre invisible l eur travail, il s des cendirent du \nfoyard de Touegueule en ay ant conscience d\u2019avoir bien \nrempli leur matin\u00e9e. \n\u2013 M\u2019sieu, fit Gambette au ma\u00eetre en arrivant en \nclasse \u00e0 une heure moins di x, je viens vous dire que \nmon p\u00e8re m\u2019 a dit de vous dire que j\u2019ai pas pu venir ce \n 246matin \u00e0 l\u2019 \u00e9cole pas se que j\u2019ai men\u00e9 not\u2019cabe... \n\u2013 C\u2019est bon, c\u2019 est bon, je sais, interrompit le p\u00e8re \nSimon, qui n\u2019aimait pas voir ses \u00e9l\u00e8ves se complai re \u00e0 \nces sortes de des criptions pour l esquelles tous faisaient \ncercle, dans l\u2019assurance qu\u2019un malin demanderait le \nplus innocemment du mo nde des explications \ncompl\u00e9ment aires. \n\u2013 \u00c7a va bien ! \u00e7a va bien , r\u00e9pondit-il de m\u00eame et \nd\u2019avance \u00e0 Camus qui s\u2019approch ait, le b\u00e9ret \u00e0 la main. \nAllez, dispersez-vous ou je vous fais rentrer. \nEt en dedans il pensa it, maugr\u00e9ant : Je ne \ncomprends pas que des parent s soient aussi insoucieux \nque \u00e7a de la moralit\u00e9 de le urs gosses pour leur flanquer \ndes s pectacles par eils sous les yeux. \nC\u2019est une rage. Ch aque fois que l\u2019\u00e9talon passe dans \nle village, tous assistent \u00e0 l\u2019 op\u00e9ration ; ils font le cercle \nautour du groupe, ils voient tout, i ls ent endent t out, et \non les laisse. Et apr\u00e8s \u00e7a on vient se plai ndre de ce \nqu\u2019ils \u00e9changent des bille ts doux avec les gamines ! \nBrave homme qui g\u00e9missa it sur la morale et \ns\u2019affligeait de bien peu de chose. \nComme si l\u2019act e d\u2019amour, da ns la nature, n\u2019\u00e9tait pas \npartout visible ! Fallait-il me ttre un \u00e9criteau pour \nd\u00e9fendre aux mouches de se chevaucher, aux coqs de \nsauter sur les poules, enfer mer les g\u00e9niss es en chal eur, \n 247flanquer des coups de fusi l aux moineaux amoureux, \nd\u00e9molir l es nids d\u2019hir ondelles, mettre des pagnes ou des \ncale\u00e7ons aux chi ens et des jupes aux chi ennes et ne \njamais envoyer un petit be rger garder l es mout ons, \nparce que les b\u00e9liers en ou blient de manger quand une \nbrebis \u00e9met l\u2019 odeur pr opitiatoir e \u00e0 l\u2019act e et qu\u2019elle est \nentour\u00e9e d\u2019 une cour de gal ants ! \nD\u2019aill eurs les goss es accordent \u00e0 ce s pectacle \ncoutumier beaucoup moi ns d\u2019importance qu\u2019 on ne le \nsuppos e. Ce qui les amus e l\u00e0- dedans , c\u2019est le \nmouvement qui a l\u2019air d\u2019une lutte ou qu\u2019ils assimilent \nquelquefois, t\u00e9moi n ce r\u00e9cit de Ti gibus, \u00e0 la \nd\u00e9sustentation intestinal e qui suit les repas. \n\u2013 Y poussait comme quand il a besoin de ch..., \ndisait-il , en parlant de leur gr os Tur c qui avait couver t \nla chienne du maire apr\u00e8s avoir ross\u00e9 tous ses riva ux. \nCe que c\u2019\u00e9tait rigolo ! Il s\u2019 \u00e9tait tellement baiss\u00e9 pour \narriver juste qu\u2019il en \u00e9tai t presque sur ses genoux de \nderri\u00e8r e et il fai sait un dos comme la bossue d\u2019Orsans. \nEt puis quand il a eu assez po uss\u00e9 en l a retenant entre \nses pattes de devant, eh bien ! il \u00ab s\u2019a redr ess\u00e9 \u00bb et puis , \nmes vieux, pas moyen de sortir . Ils \u00e9tai ent attach\u00e9s et la \nFollette, qui est petite, elle, av ait le cul en l\u2019air et ses \npattes de derri\u00e8r e ne touc haient plus par terre. \n\u00c0 ce moment-l \u00e0, le maire est sorti de chez nous : \n 248\u2013 Jetez-y de l\u2019eau ! Jetez-y de l\u2019 eau ! bon Dieu ! \nqu\u2019il gueulait. Mais la chienne braillait et Turc qu\u2019est le \nplus fort la tirait par le derr i\u00e8re, m\u00eame que ses... affai res \n\u00e9taient toutes retourn\u00e9es. \nVous save z, \u00e7a a d\u00fb lui faire salement mal \u00e0 Turc ; \nquand on a pu l es fair e se d\u00e9co ller, c\u2019\u00e9tait tout rouge et \nil \u00ab s\u2019a l\u00e9ch\u00e9 \u00bb la machine pendant au moins une demi-\nheure. \nPis Narcisse a dit : \u00ab Ah ! m\u2019sieu le Maire, j\u2019crois \nbien qu\u2019 elle en ti ent pour ses quat\u2019s ous, \nvot\u2019F olette !... \u00bb \nEt il est parti en jurant les n.. d. D... ! \n 249 \n \n \n \n \nLivre III \n \nLa cabane \n 250 \n \nLa construction de l a cabane \n \nNous aurons des lits pl eins d\u2019odeurs l\u00e9g\u00e8res, \nDes divans profonds comme des tombeaux. \nCH. BAUDELAIR E \n(La Mort des Amants) . \n \nL\u2019absence de Gambette et de Camu s et la r\u00e9serve \nmyst \u00e9rieuse du g\u00e9n\u00e9r al n\u2019avaient pas \u00e9t \u00e9 sans intri guer \nfortement les guerriers de Longeverne qui, \nindividuellement et sous le sceau du secret, \u00e9taient \nvenus, pour une raison ou pour une autre, demander \u00e0 \nLebrac des explications. \nMais tout ce que les plus favoris\u00e9s avaient pu \nobtenir comme renseignement te nait dans cette phrase : \n\u2013 Vous regarderez bien Touegueule ce soir. \nAussi, \u00e0 quatr e heur es dix minutes, des munitions en \nquantit\u00e9 imposante devant eux et le quignon de pain au \npoing, \u00e9tai ent-ils chacun \u00e0 s on post e, attendant \nimpatiemment la venue des Velr ans et pl us att entifs que \njamais. \n\u2013 Vous vous tiendrez cach\u00e9s, avait expliqu\u00e9 Camus, \n 251il faut qu\u2019il monte \u00e0 son ar bre si l\u2019on veut que \u00e7a s oit \nrigol o. \nTous les Longevernes, les yeux \u00e9carquill\u00e9s, \nsuivirent bient\u00f4t chacun des mouvements du grimpeur \nennemi gagnant son poste de vigie au haut du foyard de \nlisi\u00e8re. \nIls regard\u00e8rent et regard\u00e8r ent encore, se frottant de \nminute en minute les yeux qu i s\u2019embuaient d\u2019eau et ne \nvirent absolument rien de particulier, mais l\u00e0, rien du \ntout ! Touegueule s\u2019inst alla comme d\u2019habi tude, \nd\u00e9nombra les ennemi s, puis saisit s a fronde et se mit \u00e0 \n\u00ab acaillener \u00bb consciencieus ement les adversaires qu\u2019il \npouvait distinguer. \nMais au moment o\u00f9 un geste trop brus que du franc-\ntireur le penchait de c\u00f4t\u00e9 af in d\u2019 \u00e9viter un projectil e de \nCamus, impatient\u00e9 de vo ir que null e cat astrophe \nn\u2019advenait, un craquement s ec et de sinistre augure \nd\u00e9chira l \u2019air. L a grosse branche s ur laquell e \u00e9tait juch\u00e9 \nle Velrans cassait net, d\u2019un seul coup, et lui d\u00e9gringolait \navec elle sur les soldats qui se trouvaient en dessous. La \nsentinelle a\u00e9rienne essaya bien de se raccrocher aux \nautres rameaux, mais cogn\u00e9e de-ci, meu rtrie de-l\u00e0 sur \nles branches inf\u00e9rieures qui cr aquaient \u00e0 leur tour, la \nrepouss aient ou s e d\u00e9robaient tr a\u00eetreus ement , elle arri va \n\u00e0 terre on ne sait trop comme nt, mais \u00e0 coup s\u00fbr plus \nvite qu\u2019elle n\u2019\u00e9tait mont\u00e9e. \n 252\u2013 Ouais ! ouais ! oille ! ouille ! oh ! oh la la ! La \njambe ! La t\u00eate ! Le bras ! \nUn hom\u00e9rique \u00e9clat de rire r\u00e9pondit du Gros \nBuiss on \u00e0 ce concert de lamentati ons. \n\u2013 C\u2019est moi qu i te rechope encore, hein ! railla \nCamus , voil \u00e0 ce que c\u2019 est que de faire le malin et de \nmenacer les autres. \u00c7a t\u2019ap prendra, sale peigne-cul, \u00e0 \nme viser avec ta fron de. T\u2019as pas cass\u00e9 ton verr e de \nmontr e des f ois ? Non ! Il est bon l e cadr an ! \n\u2013 L\u00e2ches ! assassins ! crapules ! ripost aient les \nrescap\u00e9s de l\u2019arm\u00e9e des Velran s. Vous nous le paierez, \nbandits, voui ! vous le paierez ! \n\u2013 Tout de s uite, r\u00e9pondit Le brac ; et, s\u2019adressant aux \nsiens : \n\u2013 Hein ! si on poussa it une petit e char ge ? \n\u2013 Allez ! approuva-t-on. \nEt le hurlement du la ncer des quarante-cinq \nLongevernes apprit aux ennemis d\u00e9j\u00e0 d\u00e9rout\u00e9s et en \nd\u00e9sar roi qu\u2019il fall ait vi vement d\u00e9guer pir si l\u2019on ne \nvoulait pas s\u2019exposer \u00e0 la grande honte d\u2019une nouvelle \net d\u00e9sastreuse confiscation de boutons. \nLe camp retranch\u00e9 de Velr ans fut d\u00e9garni en un clin \nd\u2019oeil. Les bl ess\u00e9s, par enchantement, retrouv\u00e8rent \nleurs jambes, m\u00eame Touegueul e, qui avait eu pl us de \n 253peur que de mal et s\u2019en ti rait \u00e0 bon march\u00e9 avec des \n\u00e9gratignures aux mains, des meurtrissu res aux reins et \naux cuiss es, plus un oeil au beurr e noir. \n\u2013 Nous voil \u00e0 au moins bien tr anquill es ! const ata \nLebrac l\u2019instant d\u2019apr\u00e8s. Allons chercher \nl\u2019emplacement de la cabane. \nTout e l\u2019arm\u00e9e revint pr\u00e8s de C amus, lequel \u00e9tait \ndescendu de l\u2019arbre pour garder momentan\u00e9ment le sac \nconfectionn\u00e9 par la Mari e Tintin et qui contenait le \ntr\u00e9sor deux fois sauv\u00e9 d\u00e9j\u00e0 et quator ze fois cher de \nl\u2019arm\u00e9e de Longeverne. \nLes gars se renfonc\u00e8rent dans les profondeurs du \nGros Buisson afin de regagner sans \u00eatre vus l\u2019abri \nd\u00e9couvert par Camus, la chambre du Conseil, comme \nl\u2019avait baptis\u00e9 La Crique, et, de l\u00e0, diverger vers le haut \npar petits groupes pour rech ercher, parmi les nombreux \nemplacements utilisables, celu i qui para\u00eetrait le plus \npropice et r\u00e9pondr ait le mi eux aux bes oins de l\u2019heur e et \nde la cause. \nCinq ou six bandes s\u2019agglo m\u00e9r\u00e8rent spontan\u00e9ment, \nconduites chacune par un guerrier important et \nimm\u00e9diatement se dispers\u00e8 rent parmi les vieilles \ncarri\u00e8res abandonn\u00e9es, examin ant, cherchant, furetant, \ndiscutant, jugeant, s\u2019interpellant. \nIl ne fallait pas \u00eatre trop pr\u00e8s du chemin ni trop loin \n 254du Gros Buisson. Il falla it \u00e9galement m\u00e9nager \u00e0 la \ntroupe un chemin de retra ite parfaitement dissimul\u00e9, \nafin de pouvoir se rendre sans danger du camp \u00e0 la \nforteresse. \nCe fut La Cri que qui trouva. \nAu centre d\u2019un labyrint he de carri \u00e8res, une \nexcavation comme une petite grotte offrait son abri \nnaturel qu\u2019 un rien suf firait \u00e0 cons olider , \u00e0 fermer et \u00e0 \nrendre invisible aux profanes. \nIl appela par le si gnal d\u2019 usage L ebrac et C amus et \nles aut res, et bient\u00f4t t ous furent devant la caverne que le \ncamarade venait de red\u00e9couvri r, car tous, parbleu, la \nconnaissaient d\u00e9j\u00e0. Comment ne s\u2019en \u00e9taient-ils pas \nsouvenus ? \nPardi\u00e9, ce sacr\u00e9 La Crique, avec sa m\u00e9moire de \nchien, il se l\u2019 \u00e9tait rappel \u00e9e tout de suite. Vi ngt fois , en \neffet, ils avai ent pass \u00e9 l\u00e0 au cour s d\u2019incursi ons dans le \ncanton en qu\u00eat e de nids de merles , de nois ettes m\u00fbres, \nde prunelles gel\u00e9es ou de guilleris boutons rintris1. \nLes carri\u00e8res pr\u00e9c\u00e9dente s faisaient comme une \nesp\u00e8ce de chemin creux qu i aboutissait \u00e0 une sorte de \ncarrefour ou de t erre-plein bord\u00e9 du c\u00f4t \u00e9 du haut par \nune bande de bois rejoignant le Teur\u00e9, et sem\u00e9 ver s le \n \n1 Fruits de l\u2019 \u00e9glantier rid\u00e9 s par le g el. \n 255bas de buissons entre lesquels des sentiers de b\u00eates se \nrattachaient, en coupant le chemin, aux pr\u00e9s- bois qui se \ntrouvaient derri\u00e8re le Gros Buisson. \nTout e l\u2019arm\u00e9e ent ra dans l a caverne. Elle \u00e9tait, en \nr\u00e9alit\u00e9, peu profonde, mais se trouvait prolong\u00e9e ou \nplut\u00f4t pr \u00e9c\u00e9d\u00e9e par un l arge coul oir de roc, de s orte que \nrien n\u2019 \u00e9tait pl us facile que d\u2019 agrandir s on abri nat urel \nen pla\u00e7ant sur ces deux murs , distants de quel ques \nm\u00e8tres, un toit de branches et de feuillage. Elle \u00e9tait \nd\u2019autre part admirablement pr ot\u00e9g\u00e9e, entour\u00e9e de tous \nc\u00f4t\u00e9s, sauf vers l\u2019entr\u00e9e, d\u2019un \u00e9pais rideau d\u2019arbres et \nde buiss ons. \nOn r\u00e9tr\u00e9cirait l\u2019ouvertur e en \u00e9levant une muraille \nlarge et soli de avec les bell es pier res plat es qui \nabondaient et on serait l\u00e0-d edans absolument chez soi. \nQuand le dehors serait fait, on s\u2019occuperait de \nl\u2019int\u00e9rieur. \nIci, les instincts b\u00e2tisseurs de Lebrac se r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent \ndans toute leur pl\u00e9nitude . Son cerveau concevait, \nordonnait, distribuait la besogne avec une admirable \ns\u00fbret\u00e9 et une irr\u00e9futable logique. \n\u2013 Il faudra, dit-il, ramass er d\u00e8s ce soir tous les \nmorceaux de planches que l\u2019on trouvera, les lattes, les \n 256baudrions1, les vieux clous, les bouts de fer. \nIl chargea l\u2019un des guerrier s de trouver un marteau, \nun autre des tenailles, un troisi\u00e8me un marteau de \nma\u00e7on ; lui, apporterait une hachette, Camus une serpe, \nTintin un m\u00e8t re (en pieds et en pouces) et tous, ceci \n\u00e9tait obligatoire, tous devai ent chiper dans la bo\u00eete \u00e0 \nferraille de la famille au moins cinq clous chacun, de \npr\u00e9f\u00e9rence de forte taille, pour parer imm\u00e9diatement \naux plus pressantes n\u00e9cess it\u00e9s de construction, savoir \nentre autres l\u2019\u00e9dification du toit. \nC\u2019\u00e9tait \u00e0 peu pr \u00e8s tout ce qu\u2019 on pouvait f aire ce soir -\nl\u00e0. En fait de mat\u00e9riaux, il fallait surt out de gr osses \nperches et des planches. Or le bois offrait suffisamment \nde fortes coudr es droites et solides qui feraient joliment \nl\u2019affaire. Pour le r este, Lebrac avait appris \u00e0 dr esser des \npalissades pour barrer les p\u00e2tu res, tous savaient tresser \ndes claies et, quant aux pierres, il y en avait, dit-il, en \nveux-tu, n\u2019en voil\u00e0 ! \n\u2013 N\u2019oubliez pas les clous surtout, recommanda-t-il. \n\u2013 On laisse le sac ici ? interrogea Tintin. \n\u2013 Mais oui, fit La Crique : on va b\u00e2tir tout de s uite, \nl\u00e0 au fond, avec des pierres, un petit coffre, et on va l\u2019y \nmettr e bien au s ec, bien \u00e0 l\u2019 abri ; personne ne veut venir \n \n1 Baudrion : petite poutrelle so utenant les lattes du toit. \n 257l\u2019y trouver. \nLebrac choisit une grande pierre plat e qu\u2019 il pos a \nhorizontalement, non loin de la paroi du rocher ; avec \nquatre autres plus \u00e9paisses, il \u00e9difia quatre petits murs, \nmit au centre le tr\u00e9sor de gu erre, recouvrit le tout d\u2019une \nnouvelle pierre plate et disposa alentour et \nirr\u00e9guli\u00e8rement des caillo ux quelconques afin de \nmasquer ce que sa construc tion pouvait avoir de trop \ng\u00e9om\u00e9trique pour le cas, bien improbable, o\u00f9 un \nvisiteur inopin\u00e9 e\u00fbt \u00e9t\u00e9 intrig u\u00e9 par ce cube de pierres. \nL\u00e0-dessus, joyeuse, la band e s\u2019en retourna lentement \nau village, faisant mille proj ets, pr\u00eate \u00e0 tous les vols \ndomestiques, aux travaux l es plus rudes, aux sacrifi ces \nles plus complets. \nIls r\u00e9aliseraient leur vo lont\u00e9 : leur personnalit\u00e9 \nnaissait de cet acte fait par eux et pour eux. Ils auraient \nune maison, un palais, une forteresse, un temple, u n \npanth\u00e9on, o\u00f9 ils seraient chez eux, o\u00f9 les parents, le \nma\u00eetr e d\u2019\u00e9col e et le cur\u00e9, grands contr e-carreurs de \nprojets , ne mettr aient pas l e nez, o\u00f9 ils pour raient fair e \nen toute tranquillit\u00e9 ce qu\u2019on leur d\u00e9fendait \u00e0 l\u2019\u00e9glise, \nen clas se et dans la famil le, savoi r : se tenir mal, s e \nmettr e pieds nus ou en manch es de chemise, ou \u00ab \u00e0 \npoil \u00bb, allumer du feu, faire cuire des pommes de terre, \nfumer de la vi orne et surt out cacher les boutons et les \narmes . \n 258\u2013 On fera une chemin\u00e9e, disait Tintin. \n\u2013 Des lits de mousse et de feuilles, ajoutait Camus. \n\u2013 Et des bancs et des fauteuils, rench\u00e9rissait \nGrangibus. \n\u2013 Surtout, calez tout ce que vous pourrez en fait de \nplanches et de clous, recommanda le chef ; t\u00e2chez \nd\u2019apporter vos pr ovisi ons de rri\u00e8re le mur ou dans la \nhaie du chemin de la Saute : on repr endra tout, demai n, \nen venant \u00e0 la besogne. \nIls s\u2019endormirent fort tard, ce soir-l\u00e0. Le palais, la \nforteresse, le temple, la ca bane hantai ent l eur cerveau \nen \u00e9bullition. Leurs imagin ations vagabondaient, leurs \nt\u00eates bourdonnaient, leurs yeux fixaient le noir, les bras \ns\u2019\u00e9nervai ent, les jambes gi gotaient, les doigts de pieds \ns\u2019agitaient. Qu\u2019il leur tardait de voir poindre l\u2019aurore du \njour suivant et de comm encer la grande oeuvre. \nOn n\u2019eut pas bes oin de les appeler pour les faire \nlever ce matin-l\u00e0 et, bien av ant l\u2019heure de la soupe, ils \nr\u00f4daient par l\u2019\u00e9curie, la gran ge, la cuisine, le chari1, afin \nde mettre de c\u00f4t\u00e9 les bouts de planches et de ferraill es \nqui devai ent grossir le tr \u00e9sor commun. \nLes bo\u00eet es \u00e0 cl ous pater nelles subirent un terri ble \nassaut. Chacun voulant se dis tinguer et montrer ce qu\u2019il \n \n1 Remise, hangar. \n 259pouvait faire, ce ne fut pa s seulement deux cents clous \nque L ebrac eut l e soir \u00e0 s a disposition, mais cinq cent \nvingt-tr ois bien compt \u00e9s. T oute la journ\u00e9e, i l y eut , du \nvillage au gros tilleul et aux murs de la Saute, des all\u00e9es \net venues myst\u00e9rieuses de gaillards aux blouses \ngonfl\u00e9es, \u00e0 la d\u00e9marche p\u00e9ni ble, aux pant alons rai des, \ndissimulant entre toile et cu ir des objets h\u00e9t\u00e9roclites \nqu\u2019il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 fort ennuyeux de laisser voir aux passants. \nEt le s oir, lent ement , tr\u00e8s lent ement, Lebr ac arri va \npar le chemin de de rri\u00e8re au carrefour du vieux tilleul. \nIl avait la jambe gauche ra ide lui aussi et semblait \nboiter. \n\u2013 \u00ab Tu t\u2019as fais mal ? \u00bb interrogea Tintin. \n\u2013 \u00ab T\u2019 as tomb\u00e9 ? \u00bb reprit L a Crique. \nLe g\u00e9n\u00e9r al sourit du sourir e myst \u00e9rieux de Bas de \nCuir, ou d\u2019un autre, d\u2019un sourire qui disait \u00e0 s es \nhommes : vous n\u2019y \u00eates point. \nEt il continua \u00e0 bancaler ju squ\u2019\u00e0 ce qu\u2019ils fussent \ntous enti \u00e8rement dissi mul\u00e9s derri \u00e8re les hai es vives du \nchemin de l a Saute. Al ors il s\u2019arr\u00eata, d\u00e9boutonna sa \nculotte, saisit contre sa peau la hache \u00e0 main qu\u2019il avait \npromis d\u2019apporter et dont le manche enfil\u00e9 dans une de \nses j ambes de pantal on donnait \u00e0 sa d\u00e9marche cette \nroideur claudicante et disg racieuse. Ce fait, il se \nreboutonna et, pour montrer au x amis qu\u2019il \u00e9tait aussi \n 260ingambe que n\u2019importe leque l d\u2019entre eux, il entama, \nbrandissant sa hachette au centre de la bande, une sorte \nde dans e du s calp qui n\u2019 aurait pas \u00e9t\u00e9 d\u00e9plac\u00e9e au \nmilieu d\u2019un chapitre du Dernier des Mohicans ou du \nCoureur des Bois. \nTout le monde avait ses ou tils : on allait s\u2019y mettre. \nDeux s entinelles tout efois furent post\u00e9es au ch\u00eane de \nCantus pour pr\u00e9venir la pe tite arm\u00e9e dans le cas o\u00f9 la \nbande de l\u2019Aztec sera it venue porter la guerre au camp \nde Longeverne, et l\u2019 on r\u00e9partit les \u00e9quipes. \n\u2013 Moi, je ferai le char pentier, d\u00e9clara Lebrac. \n\u2013 Et moi, je serai le ma \u00eetre ma\u00e7on, affirma Camus. \n\u2013 C\u2019est moi \u00ab que j e pos erai \u00bb les pi erres avec \nGrangibus. Les autres les ch oisiront pour nous l es \npasser. \nL\u2019\u00e9qui pe de L ebrac devait av ant tout chercher les \npoutres et les perches n\u00e9ce ssaires \u00e0 la toiture de \nl\u2019\u00e9difice. Le chef, de sa hach ette, les couperait \u00e0 la taille \nvoulue et on ass emblerait ens uite quand le mur de \nCantus serait b\u00e2ti. \nLes autr es s\u2019occuperai ent \u00e0 fair e des clai es que l\u2019o n \ndispos erait sur la premi \u00e8re charpente pour former un \ntreillage analogue au lattis qui supporte les tuiles. Ce \nlattis-l\u00e0, en guise de produits de Montchanin, \nsupporterait tout simpleme nt un ample lit de feuilles \n 261s\u00e8ches qui s eraient mai ntenues en place, car il fallait \npr\u00e9voir les coups de vent, pa r un treillage de b\u00e2tons. \nLes clous du tr\u00e9sor, so igneusement recompt\u00e9s, \nall\u00e8rent se joindre aux boutons du sac. Et l\u2019on se mit \u00e0 \nl\u2019oeuvre. \nJamais Celtes narguant le tonnerre \u00e0 coups de \nfl\u00e8ches, compagnons glorieux du si\u00e8cle de s cath\u00e9drales \nsculptant leur r\u00eave de pier re, volontaires de la grande \nR\u00e9volution s\u2019enr\u00f4lant \u00e0 la voix de Danton quarante-\nhuitards plantant l \u2019arbre de la Libert \u00e9 n\u2019entreprir ent leur \nbesogne avec plus de foug ue joyeuse et de fr\u00e9n\u00e9tique \nenthousiasme que les quar ante-cinq soldats de L ebrac \n\u00e9difiant, dans une car ri\u00e8re per due des pr \u00e9s-bois de l a \nSaute, la mais on commune de leur r\u00eave et de leur \nespoir. \nLes id\u00e9es jaillissaient comm e des sources aux flancs \nd\u2019une mont agne bois \u00e9e, les mat\u00e9r iaux s\u2019 accumulai ent \nen monceaux ; Camus emp ilait des cailloux ; Lebrac, \npoussant des han ! formidab les, cognait et tranchait d\u00e9j\u00e0 \n\u00e0 grands coups, ayant trouv\u00e9 plus pr atique, au lieu de \nfouiller le taillis pour y tro uver des poutrelles, de faire \nenlever dans l es \u00ab tas \u00bb voisi ns de l a coupe une \nquarantai ne de f ortes perche s qu\u2019une corv \u00e9e de vingt \nvolontair es \u00e9tait all\u00e9e voler sans h\u00e9sitation. \nPendant ce temps, une \u00e9q uipe coupait des rameaux, \nune autr e tressai t des cl aies et l ui, la hache ou le \n 262marteau \u00e0 la main, entailla it, creusait, clouait, \nconsolidait la partie in f\u00e9rieure de sa toiture. \nPour que la charpente f\u00fbt solidement arrim\u00e9e, il \navait fait creuser le sol afin d\u2019embo\u00eeter ses poutres dans \nla terre : il les entourera it, pensait-il, de cailloux \nenfonc\u00e9s de f orce et destin\u00e9s autant \u00e0 les ma intenir en \nplace qu\u2019 \u00e0 les prot\u00e9ger de l \u2019humi dit\u00e9 de la t erre. Apr \u00e8s \navoir pris ses mesures, il avait \u00e9bauch\u00e9 son ch\u00e2ssis et \nmaintenant il l\u2019assemblait \u00e0 force de clous avant de \nl\u2019ajuster dans les entaille s creus\u00e9es par Tintin. \nAh ! c\u2019\u00e9tait solide, et il l\u2019avait \u00e9prouv\u00e9 en posant \nl\u2019ensemble sur quatre grosse s pierres. Il avait march\u00e9, \nsaut\u00e9, dans\u00e9 dessus, rien n\u2019avait boug\u00e9, rien n\u2019avait \nfr\u00e9mi, rien n\u2019avait craqu\u00e9 : \u00ab c\u2019\u00e9tait de la belle ouvrage \nvraiment ! \u00bb \nEt jusqu\u2019\u00e0 la nuit, jusqu\u2019\u00e0 la nuit noire, m\u00eame apr\u00e8s \nle d\u00e9part du gros de la ba nde, il resta l\u00e0 encore avec \nCamus, La Crique et Tintin pour tout mettre en ordre et \ntout pr\u00e9voir. \nLe lendemain on poserait le toit et on ferait un \nbouquet, parbleu ! tout comme les char penti ers lors que \nla charpente est achev\u00e9e et qu \u2019ils \u00ab prennent le chat \u00bb. \nL\u2019emb\u00eatement, c\u2019est qu\u2019on n\u2019aurait pas un litre ou deux \n\u00e0 boire pour comm\u00e9morer di gnement cette c\u00e9r\u00e9monie. \n\u2013 All ons-nous-en, fit Tinti n. \n 263Et ils rejoignirent le bas de la Saut e et la carri\u00e8r e \u00e0 \nPepiot en pass ant par la \u00ab chambre du conseil \u00bb. \n\u2013 Tu m\u2019as toujours pas dit comment que t\u2019avais \ntrouv\u00e9 ce coin-l\u00e0, h\u00e9 Ca mus, rappela le g\u00e9n\u00e9ral. \n\u2013 Ah ! ah ! repartit l\u2019 autre. Eh ben, voil\u00e0 ! \n\u00ab Cet \u00e9t\u00e9 nous \u00e9tions aux champs avec la Titine de \nchez Jean-Claude et puis le be rger du \u00ab Poron \u00bb, tu sais \ncelui de Laiviron, qui miguait1 tout le temps. Et puis y \navait encore les deux Ronfou s de sur la C\u00f4te, qui son t \n\u00ab \u00e0 ma\u00eetr e \u00bb2 maintenant. \n\u00ab Alors on a s ong\u00e9 : Si on s \u2019amus ait \u00e0 dir e la \nmesse ! \n\u00ab Le berger du P oron3 a voulu faire le cur\u00e9 ; il a \u00f4t\u00e9 \nsa chemise et il l\u2019a pass\u00e9e sur ses habits pour avoi r \ncomme qui dirait un surplis ; on a fait un autel avec des \ncailloux et des bancs aussi : les deux Ronfous \u00e9taient \nles servants , mais ils n\u2019 ont pas voulu mettr e leur \nchemise sur leur tricot. Il s ont dit que c\u2019\u00e9tait passe \nqu\u2019ell es \u00e9tai ent d\u00e9chir \u00e9es, mais j e pari erais bien que \nc\u2019est parce qu\u2019ils avai ent ch ... fait dedans ; enfin, bref, \nle berger nous a mari \u00e9s, la Titine et moi. \n \n1 Clignait de l\u2019oeil. \n2 Au service comme berger. \n3 Parrain. \n 264\u2013 T\u2019avais pas de bagues pou r y mett re au doi gt ? \n\u2013 J\u2019y ai mis des bouts de tresse. \n\u2013 Et la couronne ? \n\u2013 On avait du ch\u00e8vrefeuille. \n\u2013 Ah ! \n\u2013 Oui, et puis l\u2019autre avait un paroissien, il a dit des \nDominus vobiscum, or emus prends t es puces, \nsecundum secula, un tas de chichis, quoi, comme le \nnoir, kifkifre ! puis apr\u00e8s \u00ab Ite, Missa es t \u00bb, all ez en \npaix, mes enfants ! \n\u00ab Alors on est parti les deux la Titine, et on leur a dit \nde ne pas venir, que c\u2019\u00e9tait la nuit de noce, que \u00e7a ne les \nregardait pas, qu\u2019on rester ait pas longtemps et qu\u2019on \nreviendrait le lendemain matin pour la messe des \nparents d\u00e9f unts. \n\u00ab On a foutu le camp par les buissons et on est venu \njuste t omber l\u00e0 \u00e0 c\u2019t e carri\u00e8r e o\u00f9 que nous venons de \npasser. Alors on s\u2019a c ouch\u00e9 sur les cailloux. \n\u2013 Et puis ? \n\u2013 Et puis, je l\u2019ai embrass\u00e9e, pardine ! \n\u2013 C\u2019est tout ! Tu y as pas mis ton doigt au... ? \n\u2013 Pens es-tu, mon vieux, pour me l \u2019emplir de jus , \nc\u2019est bien trop sale ; ben y avait pas de danger , et puis \n 265qu\u2019est-ce qu\u2019aurait pens\u00e9 la Tavie ? \n\u2013 C\u2019est vrai que c\u2019 est sale, les femmes ! \n\u2013 Et encore ce n\u2019est rien quand elles sont petites, \nmais quand elles \u00ab viennent \u00bb grandes, leurs pantets \nsont pl eins de f ourbi... \n\u2013 Pouah ! fit Tintin, tu vas me faire d\u00e9gobiller. \n\u2013 Filons, filons ! coupa Le brac, voil\u00e0 six heures et \ndemie qui sonnent \u00e0 la tour ; on va s e faire attraper ! Et \nsur ces r\u00e9flexions misogyne s, ils regagn\u00e8rent leurs \np\u00e9nates. \n 266 \n \nLes grands jours de Longeverne \n \n...Qui consid\u00e9rera aussi la grande \npr\u00e9voyance dont il u sa pour l\u2019am unitionn er \net y \u00e9tablir vivres, m unitions, r\u00e9glem entez, \npollices... qui m ettra aussi devant les yeux le \nbel ordre de guerre qu\u2019il y ordonna... \nBrant\u00f4m e (Grands capitaines fran\u00e7ois. \n\u2013 M. de Guize) . \n \nHo, his se ! ho, hiss e ! ahanait la corv\u00e9e des dix \nchantiers de Lebrac soulevant, pour la mettre en place, \nla premi \u00e8re et l ourde charpen te du toit de la forteresse. \nEt au rythme imprim \u00e9 par ce commandement \nr\u00e9ciproque, vi ngt br as cris pant ens emble l eurs mus cles \nvigoureux enlevaient l\u2019assemb lage et le portaient au-\ndessus de la car ri\u00e8re, afin de bien poser l es poutr elles \ndans les entailles cr eus\u00e9es par Tintin. \n\u2013 Doucement ! doucement ! disait Lebrac ; bien \nensemble ! ne cassons rien ! Attention ! Avance encore \nun peu, B\u00e9bert ! L\u00e0, \u00e7a va bi en ! \n\u2013 Non ! Tintin, \u00e9l argis un peu l e premier trou, il est \ntrop en ar ri\u00e8re ! Pr ends la hache ; allez, vas-y ! \n 267\u2013 Tr\u00e8s bien, \u00e7a ent re ! \n\u2013 As pas peur , c\u2019est soli de ! \nEt Lebrac, pour bien mont rer que s on oeuvr e \u00e9tait \nbonne, se coucha en travers de ce b\u00e2ti surplombant le \nvide. Pas une pi\u00e8ce du bloc ne broncha. \n\u2013 Hein ! cr\u00e2na-t-il fi\u00e8rement en se redressant. \nMaintenant, poso ns les claies. \nDe son c\u00f4t \u00e9, Camus , par le moyen r udimentai re \nd\u2019escali ers de pi erres, r\u00e9alisant une sorte de plan \ninclin\u00e9, posait au-dessus de son mur les derniers \nmat\u00e9riaux ; c\u2019\u00e9t ait un mur larg e de plus de trois pieds, \nh\u00e9riss \u00e9 en dehors de par l a volont \u00e9 du constr ucteur qui \nvoulait, pour cacher l\u2019entr\u00e9e , dissi muler la r\u00e9gularit\u00e9 de \nsa ma\u00e7onnerie, mais, au de dans, rectiligne autant que \ns\u2019il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 \u00e9difi\u00e9 \u00e0 l\u2019aide du fil \u00e0 plomb et soign\u00e9, poli, \nfignol \u00e9, l\u00e9ch\u00e9, dr ess\u00e9 tout enti er avec des pier res de \nchoix. \nLes blous\u00e9es de feuilles mo rtes, apport\u00e9es par les \npetits devant la caverne, fo rmaient \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un matelas \nde mous se un tas respectabl e ; les haies s\u2019alignaient \npropres et bien tress\u00e9es ; \u00e7a avait march\u00e9 rondement et \non n\u2019\u00e9tait pas des fain\u00e9ant s \u00e0 Longeverne ... quand on \nvoulait. \nL\u2019ajustement des claies fut l\u2019affai re d\u2019une minut e et \nbient\u00f4t une \u00e9paisse toiture de feuilles s\u00e8ches fermait \n 268compl\u00e8tement en haut l\u2019ouvertu re de la cabane. Un seul \ntrou f ut m\u00e9nag\u00e9 \u00e0 dr oite de l a porte, afi n de permett re \u00e0 \nla fum\u00e9e (car on allumerait du f eu dans l a mais on) de \nmonter et de s\u2019\u00e9chapper. \nAvant de proc\u00e9der \u00e0 l\u2019 am\u00e9nagement int\u00e9rieur, \nLebrac et Camus, devant t outes leurs troupes r\u00e9unies, \nmass\u00e9es face \u00e0 la porte, su spendirent par un bout de \nficell e une t ouffe \u00e9nor me de beau gui d\u2019un vert dor\u00e9 et \npatin\u00e9, dans les feuilles d uquel luisaient les graines \nainsi que des perles \u00e9normes . Les Gauloi s fais aient \ncomme \u00e7a, pr\u00e9tendait La Criq ue, et on dit que \u00e7a por te \nbonheur. \nOn poussa des hourrah ! \n\u2013 Vive la cabane ! \n\u2013 Vive nous ! \n\u2013 Vive Longeverne ! \n\u2013 \u00c0 cul les Velrans ! Enlevez-les ! \n\u2013 C\u2019est des peigne-culs ! \nCeci fait, et l\u2019 enthou siasme un peu calm\u00e9, on \nnettoya l\u2019int\u00e9rieu r de la b\u00e2tisse. \nLes cailloux in\u00e9gaux furent enlev\u00e9s et remplac\u00e9s par \nd\u2019autres. Chacun eut sa besog ne. Lebrac distribuait les \nr\u00f4les et dirigeait, tout en travaillant comme quatre. \n\u2013 Ici au fond, contr e le rocher, on mettr a le tr\u00e9sor et \n 269les ar mes ; du c\u00f4t \u00e9 gauche, dans un empl acement limit\u00e9 \npar des planches, en face du foyer, une esp\u00e8ce de liti\u00e8re \nde feuilles et de mousses formant un lit douillet pour les \nbless\u00e9s et les \u00e9r eint\u00e9s, puis quel ques si \u00e8ges. De l\u2019 autre \nc\u00f4t\u00e9, de part et d\u2019 autre du foyer , des bancs et des si \u00e8ges \nde pi erre ; au m ilieu, un passage. \nChacun voulut avoir sa pier re et sa place attitr\u00e9e \u00e0 \nun banc. La Crique, fix\u00e9 su r les questions de pr\u00e9s\u00e9ance, \nmarqua les si\u00e8ges de pierre avec du charbon et les bancs \navec de la cr aie, afin qu\u2019 aucune di scussi on ne v\u00ee nt \u00e0 \njaillir plus tard \u00e0 ce sujet. La place de Lebrac \u00e9tait au \nfond, devant le tr\u00e9sor et l es triques . \nUne perche h\u00e9riss\u00e9e de clous fut tendue entre les \nparois de la muraille, derri\u00e8r e la pierre du g\u00e9n\u00e9ral. L\u00e0, \nchacun y eut aussi son clou, matricul\u00e9, pour mettre son \nsabre et y appuyer sa lance ou son b\u00e2ton. Les \nLongevernes, on le voit, \u00e9t aient partisans d\u2019une forte \ndisci pline et s avaient s\u2019y soumettr e. \nL\u2019affaire de Camus, la se maine d\u2019avant, n\u2019 avait pas \n\u00e9t\u00e9 non plus pour ne point contenir ni calmer les \nvell\u00e9it\u00e9s anarchiq ues de quelques guerriers, et la \nsup\u00e9ri orit\u00e9 de Lebr ac \u00e9tait vraiment i ncontest able. \nCamus avait install\u00e9 le foye r en posant sur le sol une \nimmense pierre plate, une lave, comme on disait ; il \navait \u00e9lev\u00e9 \u00e0 l\u2019arri\u00e8re et su r les c\u00f4t\u00e9s trois petits murs, \npuis pos\u00e9 sur les d eux murs des c\u00f4t\u00e9s une autre pierre \n 270plate, laissant en arri \u00e8re, juste en dessous du trou \nm\u00e9nag\u00e9 dans le toit, une ouve rture libre qui favorisait le \ntirage. \nQuant au sac, il y f ut d\u00e9pos\u00e9 par Lebr ac, tout au \nfond, comme un ciboire sacr \u00e9 dans un tabernacl e de \nroc, et mur \u00e9 solennellement jusqu\u2019\u00e0 l\u2019heure o\u00f9 l\u2019on \naurait besoin d\u2019y recourir. \nAvant de le d\u00e9poser dans le caveau, il l\u2019offrit une \nderni \u00e8re fois \u00e0 l\u2019adorati on des fid\u00e8l es, v\u00e9rifi a les li vres \nde Tintin, compta minutieusem ent toutes les pi\u00e8ces, l es \nlaissa regarder et palper par tous ceux qui le d\u00e9sir\u00e8rent \net remit sacer dotalement le tout dans son aut el de \npierre. \n\u2013 \u00c7a manque un peu d\u2019imag es par ici, remarqua, en \nplissant les paupi\u00e8res, La Cr ique chez qui s\u2019\u00e9veillait un \ncertain sens est h\u00e9tique et l e go\u00fbt de l a coul eur. \nLa Crique avait dans sa poche un miroir de deux \nsous qu\u2019il sacrifia \u00e0 la cause commune et d\u00e9posa sur un \nentablement de roc. C e fut le premier ornement de la \ncabane. \nEt tandis que les uns pr\u00e9para ient le lit et b\u00e2tissaient \nles si\u00e8ges, les autres parta ient en exp\u00e9dition pour \nchercher dans le sous -bois de nouveaux matelas de \nfeuilles mortes et des pr ovisions de bois sec. \nComme on ne pouvait pas encombrer la maison \n 271d\u2019une si grande quantit \u00e9 de combustibl e, on d\u00e9ci da \nimm\u00e9di atement de b\u00e2tir, t out \u00e0 c\u00f4t\u00e9, une remi se bass e et \nassez vaste pour y entasser de suffisantes pr ovisions de \nbois. \u00c0 dix pas de l\u00e0, s ous un abri de r oc, on eut vite \nfait de monter trois murailles la issant du c\u00f4t\u00e9 de la bise \nun tr ou libre et entre lesq uelles on pouvait faire tenir \nplus de deux st\u00e8res de qu artelage. On fit trois tas \ndistincts : du gr os, du moyen, du fin. C omme \u00e7a, on \n\u00e9tait par\u00e9, on pouvait attend re et narguer les mauvais \njours. \nLe lendemain, l\u2019oeuvre fu t parachev\u00e9e. Lebrac avait \napport\u00e9 des suppl\u00e9ments illustr\u00e9s du Petit Parisien et du \nPetit Journal, La Crique de vieux ca lendriers, d\u2019autres \ndes images divers es. L e pr\u00e9sident F \u00e9lix F aure regardait \nde son air fat et niais l\u2019histoire de Bar be Bleue. Une \nrenti\u00e8re \u00e9gorg\u00e9e faisait face \u00e0 un suicide de cheval \nenjambant un parapet, et un vi eux Gambett a, d\u00e9ni ch\u00e9, \nest-il besoin de le dire , par Gambette, fixait \n\u00e9trangement de son puissant oeil de borg ne une jolie \nfille d\u00e9collet\u00e9e, la cigarette aux l\u00e8vres et qui ne fumait, \naffirmait la l\u00e9gende, que du N il ou du Riz la +, \u00e0 moins \nque ce ne f\u00fbt du J ob1. \nC\u2019\u00e9tait chatoyant et ga i ; les couleurs crues \n \n1 J\u2019esp\u00e8re bien que ces trois m aisons, reconn aissantes de la r\u00e9clam e \nspontan\u00e9e que je leur fais ici, vont m\u2019envoyer chacune une caisse de leur \nmeilleur pro duit. (Note d e l\u2019auteur.) \n 272s\u2019harmonisaient \u00e0 la sauvageri e de ce cadre dans lequel \nla Joconde ap\u00e2lie, et si lo intaine maintenan t sans doute, \ne\u00fbt \u00e9t\u00e9 tout \u00e0 f ait d\u00e9pl ac\u00e9e. \nUn bout de balai, chip\u00e9 parmi l es vieux qui ne \nservaient plus en cl asse, trouvait l\u00e0 son emploi et \ndressait dans un coin son ma nche noirci par la crasse \ndes mains. \nEnfin, comme il restait de s planches disponibles, on \nb\u00e2tit, en les clouant ensemble , une feuille de table. \nQuatre piquets, fich\u00e9s en te rre devant le si\u00e8ge de Lebrac \net cons olid\u00e9s \u00e0 gr and r enfort de cailloutis, s ervirent de \npieds. Des clous scell\u00e8rent la feuille \u00e0 ces supports et \nl\u2019on eut ainsi quelque chose qu i n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre pas de \nla premi\u00e8re \u00e9l\u00e9gance, mais qui tenait bon comme tout \nce qu\u2019on avait fait jusqu\u2019alors. \nPendant ce temps, que devenaient les Velrans ? \nChaque jour on avait renou vel\u00e9 les sentinelles au \ncamp du Gros Buisson et, \u00e0 aucun moment, les vigies \nn\u2019avaient eu \u00e0 si gnaler, par les tr ois coups de siff let \nconvenus, l\u2019attaque des ennemis. \nIls \u00e9taient venus pourtant, les peigne-culs ; pas le \npremier jour, mais le second. \nOui, le deuxi\u00e8me jour, un groupe \u00e9tait apparu aux \nyeux de Tigibus, chef de patrouille ; ils avaient \nsoigneusement \u00e9pi\u00e9, lui et ses hommes, les faits et \n 273gestes de ces ni guedouill es, mais les autr es avai ent \ndisparu myst\u00e9rieusement. Le lendemain, deux ou trois \nguerriers de Velrans vinrent encor e, passifs, s e post er \u00e0 \nla lisi\u00e8re et firent face con tinuellement aux sentinelles \nde Longeverne. \nIl se pass ait quel que chos e de pas or dinair e au camp \nde l\u2019Aztec ! La pile du chef, la d\u00e9gringolade de \nTouegueule n\u2019avaient pas \u00e9t\u00e9 s\u00fb rement pour arr\u00eater leur \nardeur guerri\u00e8r e. Que pouvai ent-ils bien m\u00e9dit er ? Et \nles sentinelles ruminaient, imaginaient, n\u2019ayant rien \nd\u2019autre \u00e0 faire ; quant \u00e0 Lebr ac il \u00e9tait trop heureux de \nprofiter du r\u00e9pit l aiss\u00e9 par les ennemis pou r se soucier \nou s\u2019enqu\u00e9rir de la fa\u00e7on do nt ils passai ent ces heur es \nhabituell ement cons acr\u00e9es \u00e0 l a guerr e. \nPourt ant, vers l e quatri \u00e8me jour, comme on \n\u00e9tablissait l\u2019itin\u00e9raire le plus court pour se rendre en se \ndissimulant de la cabane au Gros Buisson, on apprit par \nun homme de communi cation d\u00e9p\u00each\u00e9 par le chef \n\u00e9claireur, que les vigies ennem ies venaient de prof\u00e9rer \ndes menaces sur l\u2019importan ce desquelles on ne pouvait \npoint se m\u00e9pr endre. \n\u00c9videmment l e gros de leur troupe avait \u00e9t \u00e9, lui \naussi, occup\u00e9 ailleurs ; peut-\u00eatre avait-elle \u00e9difi\u00e9 de son \nc\u00f4t\u00e9 un repaire, fortifi\u00e9 ses positions, creus\u00e9 des \nchausse-trapes dans la tranch\u00e9e , on ne s avait quoi ? La \nsuppositi on la plus l ogique \u00e9tai t encor e pour la \n 274construction d\u2019une cabane. Mais qui avait bien pu leur \ndonner cette id\u00e9e ? il est vrai que les id\u00e9es, quand elles \nsont dans l\u2019air, circul ent myst\u00e9rieusement. Le fait \ncertain, c\u2019est qu\u2019ils mijota ient quelque chose, car, \nautrement, comment expliquer pourquoi ils ne s\u2019\u00e9t aient \npas \u00e9lanc\u00e9s sur les gardiens du Gros Buisson ? \nOn verrait bien. \nLa semaine pass a ; la fort eresse s\u2019approvisionna de \npommes de terre chip\u00e9es, de vieilles casseroles bien \nnettoy\u00e9es et r\u00e9cur\u00e9es pour la circonstance, et on se tint \nsur la d\u00e9fensive, on attendit, car, malgr \u00e9 la propositi on \nde Grangibus, nul ne voulut se charger d\u2019une p\u00e9rilleuse \nreconnaissance au sein de la for\u00eat ennemie. \nMais le dimanche apr\u00e8s-mi di, les deux arm\u00e9es au \ngrand complet \u00e9chang\u00e8rent force injures e t force \ncailloux. Il y avait de par t et d\u2019 autre l e redoublement \nd\u2019\u00e9nergie et l\u2019intransigea nte arrogance que donnent \nseules une f orte organis ation et une abs olue confi ance \nen soi. La journ\u00e9e du lundi serait chaude. \n\u2013 Apprenons bien nos le\u00e7ons, avait recommand\u00e9 \nLebrac ; s\u2019agit pas de se fa ire mettr e en r etenue demai n, \ny aura du grabuge. \nEt jamais en effet le\u00e7ons ne furent r\u00e9cit\u00e9es comme \nce lundi, au grand \u00e9bahisseme nt de l\u2019i nstituteur, dont \nces alt ernatives de pares se et de travail, d\u2019attention et de \n 275r\u00eavas serie, boulevers aient tous les pr\u00e9jug\u00e9s \np\u00e9dagogiques. Allez donc b\u00e2 tir des th\u00e9ories sur la \npr\u00e9tendue exp\u00e9rience des fa its quand les v\u00e9ritables \ncauses, les mobil es profonds vo us sont aussi cach\u00e9s que \nla face d\u2019 Isis s ous son voil e de pier re. \nMais cela allait barder. \nCamus , en accr ochant sa premi\u00e8re branche pour s e \nr\u00e9tablir, commen\u00e7a par d\u00e9grin goler de s on ch\u00eane, de \npas tr\u00e8s haut heureusement, et sur ses pattes encore. \nC\u2019\u00e9tait la revanche de Touegueule : il s\u2019y devait \nattendre, mais il pensait que l\u2019autre s\u2019attaquerait lui \naussi \u00e0 une branche de son \u00ab assetotte \u00bb. N\u2019emp\u00eache \nque sit \u00f4t remont\u00e9 il v\u00e9ri fia so igneusement la solidit\u00e9 de \nchacune d\u2019elles avant de s\u2019in staller ; d\u2019ailleurs il allait \nredes cendre pour prendre part \u00e0 l\u2019assaut et au cor ps \u00e0 \ncorps, et s\u2019il pin\u00e7ait Touegu eule il ne manquerait pas de \nlui faire payer cette petite tourn\u00e9e-l\u00e0. \n\u00c0 part ceci, ce fut une bataille franche. \nQuand chacun des camps en pr\u00e9sence eut \u00e9puis\u00e9 sa \nr\u00e9serve de cailloux, les guerriers s\u2019avanc\u00e8rent \nr\u00e9solument de par t et d\u2019 autre, les armes \u00e0 la mai n, pour \nse cogner en toute conscience. \nLes Velrans avan\u00e7aient en coin, les Longevernes en \ntrois petits groupes : au cen tre L ebrac, \u00e0 droite Camus, \n\u00e0 gauche Grangibus. \n 276Pas un ne dis ait mot . Ils avan\u00e7aient au pas , \nlentement, comme des chat s qui s e guett ent, les sour cils \nfronc\u00e9s , les yeux t erribles, les fr onts pliss \u00e9s, les gueul es \ntordues, les dents serr\u00e9es, les poings raidis sur le \ngourdin, les sabres ou les lances. \nEt la distance diminuait et , au fur et \u00e0 mes ure, les \npas se rapetiss aient encor e ; les trois groupes de \nLongeverne se con centraient sur la masse triangulaire \nde Velrans. \nEt quand les deux chefs fure nt presque nez \u00e0 nez, \u00e0 \ndeux pas l\u2019un de l\u2019autre, ils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent. Les deux \ntroupes \u00e9taient immobiles, mais de l\u2019immobilit\u00e9 d\u2019une \neau qui va bouill ir, h\u00e9riss \u00e9es, terri bles ; des col \u00e8res \ngrondaient sour dement en tous, les yeux d\u00e9cochaien t \ndes \u00e9clairs, les poings trem blaient de rage, les l\u00e8vres \nfr\u00e9miss aient. \nQui le premier, de l\u2019Az tec ou de L ebrac, all ait \ns\u2019\u00e9lancer ? on s entait qu\u2019 un geste, un cri, al lait \nd\u00e9cha\u00eener ces col\u00e8res, d\u00e9brid er ces rages, affoler ces \n\u00e9nergies, et le ges te ne se f aisait pas et le cri ne s ortait \npoint et il planait sur les deux arm\u00e9es un grand silence \ntragique et s ombre que rien ne r ompait. \nCou\u00e2, cou\u00e2, cro\u00e2 ! une bande de corbeaux rentrant \nen for\u00eat pass\u00e8rent sur le ch amp de bataille en jetant, \n\u00e9tonn\u00e9s , une raf ale de cri s. \n 277Cela d\u00e9clencha tout. \nUn hurlement sans nom jai llit de la gorge de Lebrac, \nun cri terrible sauta des l\u00e8vres de l\u2019 Aztec, et ce fut des \ndeux c\u00f4t \u00e9s une ru\u00e9e impitoyabl e et f antastique. \nImpos sible de ri en di stinguer . Les deux arm\u00e9es \ns\u2019\u00e9taient enfonc\u00e9es l\u2019 une dans l\u2019 autre, le coin des \nVelrans dans le groupe de Le brac, les ailes de Camus et \nde Grangibus dans les flancs de la troupe ennemie. Les \ntriques ne servaient \u00e0 ri en. On s\u2019\u00e9treignait, on \ns\u2019\u00e9tranglait, on se d\u00e9chirait, on se griffait, on \ns\u2019assommait, on se morda it, on arrachait des cheveux ; \ndes manches de bl ouses et de chemises vola ient au bout \ndes doigts crisp\u00e9s, et les coffres des poitrines, heurt\u00e9es \nde coups de poing, sonnaie nt comme des t ambour s, les \nnez sai gnaient, l es yeux pleur aient. \nC\u2019\u00e9tait s ourd et haletant, on n\u2019entendait que des \ngrognements , des hurl ements, des cris rauques, \ninarticul\u00e9s : han ! ahi ! ran ! pan ! rab ! crac ! ahan ! \ncharogne ! m\u00eal\u00e9s de plaintes \u00e9t ouff\u00e9es : euh ! oille ! ah ! \net cel a se m\u00ealait ef froyabl ement. \nC\u2019\u00e9tait un immense t orchis hurlant de croupes et de \nt\u00eates, h\u00e9riss\u00e9 de bras et de jambes qui se nouaient et se \nd\u00e9nouai ent. Et tout ce bl oc se r oulait et se d\u00e9roulait et \nse mass ait et s \u2019\u00e9talait pour r ecommencer encor e. \nLa vict oire serait aux plus forts et aux pl us brutaux. \n 278Elle devait sourire encore \u00e0 Lebrac et \u00e0 son ar m\u00e9e. \nLes plus attei nts partir ent individuellement . Boul ot, \nle nez \u00e9cras\u00e9 par un anonyme c oup de sabot, regagna le \nGros Buisson en s\u2019\u00e9pongea nt comme il pouvait ; mais \ndu c\u00f4t\u00e9 des Velrans c\u2019\u00e9ta it la d\u00e9bandade : Tatti, \nPissefr oid, Lat aupe, Bous bot, et s ept ou huit autr es \nfilaient \u00e0 cloche- pied ou le bras en \u00e9charpe ou la gueule \nen compote et d\u2019 autres encore l es suivi rent et encor e \nquelques-uns, de sort e que le s valides, se voyant petit \u00e0 \npetit abandonn\u00e9s et presque s\u00fbrs de leur perte, \ncherch\u00e8rent eux aussi leur sa lut dans la fuite, mais pas \nassez vit e cependant pour que T ouegueul e, Migue la \nLune et quatre autres ne fu ssent bel et bien envelopp\u00e9s, \nchip\u00e9s, empoign\u00e9s et emmen\u00e9 s tout vifs au camp du \nGros B uisson, \u00e0 gr and renf ort de coups de pied au cul. \nCe fut vraiment une belle journ\u00e9e. \nLa Marie, pr\u00e9venue, \u00e9tait \u00e0 la cabane. Gambette y \nconduisit Boul ot pour l e faire pans er. L ui-m\u00eame pr it \nune casserole et fila dare dare \u00e0 la source la plus proche \npuiser de l\u2019eau fr a\u00eeche pour laver le pif endommag\u00e9 de \nson vaillant compaing, tandis que, durant ce temps, les \nvainqueurs d\u00e9sustentaient le urs prisonniers des objets \ndivers encombrant leur s poches et tranchaient \nimpitoyablement tous les boutons. \nIls y pass\u00e8rent chacun \u00e0 so n tour. Ce fut Touegueule \nqui eut les honneurs de la soir\u00e9e ; Camus le soigna \n 279particuli\u00e8rement, n\u2019omit poin t de lui confisquer sa \nfronde et l\u2019obligea \u00e0 res ter \u00e0 cul nu devant tout le \nmonde, jusqu\u2019\u00e0 la fin de l\u2019ex\u00e9cution. \nLes quatre autres, qui n\u2019avaient pas encore \u00e9t\u00e9 \npinc\u00e9s, furent \u00e9chenill\u00e9s \u00e0 leur tour simplement, \nfroidement, sans barbarie inutile. \nOn avait r\u00e9serv\u00e9 Migue la L une pour l e derni er, \npour la bonne bouc he, comme on disa it. N\u2019avait-il pas \nderni \u00e8rement por t\u00e9 une griffe sacril\u00e8ge sur le g\u00e9n\u00e9ral \napr\u00e8s l\u2019avoir fait tr\u00e9bucher tr a\u00eetreusement ! Oui, c\u2019\u00e9tait \nce pleurnicheur, ce \u00ab jean-gro gnard \u00bb, cette \u00ab mort aux \nrats \u00bb qui avait os\u00e9 frapper d\u2019une baguett e les fes ses \nd\u2019un guerri er d\u00e9sar m\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait bien i ncapabl e de \nprendre. La r\u00e9ciproque s\u2019 imposait. Il serait fess\u00e9 \nd\u2019importance. Mais une o deur caract\u00e9ristique \u00e9manait \nde sa personne, une odeur in supportabl e, infect e, qui, \nmalgr\u00e9 leur endu rance, fit se bo ucher le nez aux \nex\u00e9cuteurs des hautes oeu vres de Longeverne. \nCe salaud-l\u00e0 p\u00e9tait comme un ronsin1 ! Ah ! il se \npermettai t de p\u00e9t er ! \nMigue l a Lune bal butiait des syll abes ini ntelligibles, \nlarmoyant et pleurnichant, la gorge secou\u00e9e de sanglots. \nMais quand, tous les boutons \u00e9tant tranch\u00e9s, le pantalon \ntomba et qu\u2019on d\u00e9couvrit la sour ce d\u2019i nfection, on \n \n1 \u00c9talon. \n 280s\u2019aper\u00e7ut, en effet, que l\u2019odeur pouvait perdurer avec \ntant de v\u00e9h\u00e9mence. Le ma lheureux avait fait dans sa \nculotte et ses maigres fesses conchi\u00e9es r\u00e9pandaient tout \nalentour un parf um p\u00e9n\u00e9t rant et \u00e9pouvantable, tant que, \ng\u00e9n\u00e9reux quand m\u00eame, le g \u00e9n\u00e9ral Lebrac renon\u00e7a aux \ncoups de verge vengeurs et renvoya son prisonnier \ncomme l es autr es, sans pl us de d\u00e9pens, heureux, au \nfond, et j ubilant de cett e punition naturelle inflig\u00e9e, par \nsa couardise, au plus sale guerrier que les Velrans \ncomptai ent dans leurs r angs de peigne- culs et de \nfoireux. \n 281 \n \nLe festin dans la for\u00eat \n \nQu\u2019on boute du vin en la tasse, \nSoum elier ! Qu\u2019on en verse tan t \nQu\u2019il se resp ande dans la place ! \nQu\u2019on m ange, qu\u2019on boive d\u2019autant ! \nRonsard (Odes) . \n \nQu\u2019allait-il se passer dans la troupe de l\u2019Aztec \nross\u00e9e, meurtrie, pill\u00e9e et ab attue ? Lebrac, apr\u00e8s tout, \ns\u2019en f...i chait et son arm\u00e9e au ssi. On avait la vict oire, on \navait fait six p risonniers. Jama is \u00e7a ne s\u2019\u00e9tait vu depuis \ndes temps et des temps. La traditi on des haut s faits de \nguerre, religieusement cons erv\u00e9e et transmise, ne \nsignal ait, La Crique s\u2019 en po rtait garant, aucune de ces \nprises fabuleuses et de ces ross \u00e9es fantasti ques. Lebr ac \npouvait s e consi d\u00e9rer comme l e plus gr and capit aine qui \ne\u00fbt j amais command\u00e9 \u00e0 Lo ngeverne, et son arm\u00e9e \ncomme la phalange la plus vaillante et la plus \u00e9prouv\u00e9e. \nLe butin \u00e9tait l\u00e0 en tas : amas de bout ons et de \ntresses, de cordons et de bo ucles et d\u2019objets h\u00e9t\u00e9roclites \ntr\u00e8s divers, car on avait fa it main basse sur tout ce que \n 282renfermaient les poches, le s mouchoir s except \u00e9s. On \nvoyait de petits os de cochon perc\u00e9s au mili eu, travers\u00e9s \nd\u2019un double cordon de laine qu i faisait en se roulant et \nse d\u00e9roulant tourner en frondonnant l\u2019osselet : on \nappelait ce joujou un \u00ab fredot \u00bb ; on voyait aussi des \nbilles, des couteaux, ou, pour \u00eat re plus juste, de vagues \nlames mal emmanch\u00e9es ; il s\u2019y trouvait \u00e9galement \nquelques cl\u00e9s de bo\u00eet es de sa rdines, un p\u00e8re La Colique \nen plomb accr oupi dans une posture intime, et des tubes \nchalumeaux pour lancer des pois. Tout cela, entass\u00e9 \np\u00eale-m\u00eale, devait aller gr ossir le tr\u00e9s or commun ou \nserait tir\u00e9 au sort. \nMais le tr\u00e9sor, du coup, serait certainement doubl\u00e9. \nEt c\u2019\u00e9tait le surlendemain qu\u2019on devait justement payer \nau tr\u00e9sorier l a seconde contr ibution de guerr e. \nLa premi \u00e8re id\u00e9e de L ebrac lui r evint \u00e0 l\u2019 esprit. Si \non employait cet argent \u00e0 faire la f\u00eate ? \nComme il \u00e9tait homme de r\u00e9alisation, il s\u2019enquit \nimm\u00e9diatement aupr\u00e8s de se s soldats des sommes que \npourrait r\u00e9cup\u00e9rer le tr\u00e9sorier. \n\u2013 Qui c\u2019est qui n\u2019a pas son sou pour payer l\u2019imp\u00f4t \nde guerre ? \nPersonne ne dit mot ! Tout le monde a bien compris. \nLevez la main ceu sses qui n\u2019 ont pas leur s ou d\u2019imp\u00f4t ? \nAucune main ne se l eva. Un silence religieux \n 283planait. \u00c9tait-ce possible ? Ils avaient tous trouv\u00e9 le \nmoyen d\u2019acqu\u00e9rir leur \u00ab rond \u00bb ! Les bons cons eils du \ng\u00e9n\u00e9ral avai ent port\u00e9 l eurs fruits : aussi f\u00e9licita-t-il \nchaudement ses troupes : \n\u2013 Vous voyez bien que vous n\u2019\u00eates pas si b\u00eates que \nvous croyiez, hei n ! Il suffit de voul oir, on tr ouve \ntoujours. Mais il ne faut pa s \u00eatre une nouille, pardine, \nsans quoi on est t oujours roul\u00e9 dans la vie du monde. \n\u00ab Ici dedans, fit-il en d\u00e9signant les d\u00e9pouilles \nopimes, i l y a au moi ns pour quarante sous de fourbi, eh \nbien ! mes petits, puisqu\u2019on a \u00e9t\u00e9 assez courageux pour \nle conqu\u00e9rir avec nos poings, il n\u2019y a pas besoin de \nd\u00e9penser nos sous \u00e0 en acheter d\u2019autre. \n\u00ab Nous allons avoir demai n quarant e-cinq s ous. \nPour f\u00eater la victoire et \u00ab prendre le chat \u00bb de la \nconstruction de la cabane, on va faire la bringue tous \nensembl e jeudi pr ochai n apr\u00e8s-midi. \n\u00ab Qu\u2019en dites-vous ? \n\u2013 Oui, oui, oui ! bravo, br avo ! c\u2019est \u00e7a ! cri\u00e8rent, \nbeugl\u00e8rent, hurl\u00e8rent quarant e voi x, c\u2019est \u00e7a, vive la \nf\u00eate, vive la noce ! \n\u2013 Et maintenant, \u00e0 la caban e ! reprit le chef. Tinum, \npasse-moi ton b\u00e9ret que je l\u2019 emplisse de butin, pour le \njoindr e \u00e0 notr e cagnott e. \nIl n\u2019y a plus personne l\u00e0-bas ! questionna-t-il en \n 284d\u00e9signant la lisi\u00e8re du boi s de Velrans. \nCamus grimpa au ch\u00ean e pour s\u2019en assurer. \n\u2013 Pens es-tu, fit-il au bout d\u2019un instant d\u2019 examen, \napr\u00e8s une pareille tatouill e ils ont fil\u00e9 comme des \nli\u00e8vres. \nL\u2019arm\u00e9e de Longeverne rejoignit \u00e0 la cabane \nBoul ot, Gambett e et la Marie qui s\u2019appr\u00eatait \u00e0 partir. Le \nbless\u00e9, qui avait abondamment saign\u00e9, avait le nez tout \nbleu et enfl\u00e9 comme une pomm e de terre, mais il ne se \nplaignait pas trop t out de m\u00eame, songeant au nombre de \ntignasses cr\u00eap\u00e9es par ses doigts et \u00e0 la quantit\u00e9 \nrespectable de coups de po ing qu\u2019il avait \u00e9quitablement \ndistribu\u00e9s de c\u00f4t\u00e9 et d\u2019autre. \nOn s\u2019 arrangea pour racont er qu\u2019 en cour ant il \u00e9tai t \ntomb\u00e9 sur une bille de bois et qu\u2019il n\u2019avait pas eu le \ntemps de porter le s mains en avant pour prot\u00e9ger sa \nface. \nJeudi, il serait gu\u00e9ri, il pourra it faire la f\u00eate avec les \nautres, et comme c\u2019\u00e9t ait lui qui avait, en l\u2019occurr ence, \n\u00e9t\u00e9 le plus malmen\u00e9, on lu i revaudrait \u00e7a en nature \u00e0 \nl\u2019heur e du partage des pr ovisions. \nLe lendemain, Lebrac et Tintin, ayant per\u00e7u \nl\u2019argent, discut\u00e8rent avec le s camarades de la fa\u00e7on \ndont on devrait l\u2019employer. \nOn fit des propositions. \n 285\u2013 Du chocolat. \nTout le monde \u00e9tait d\u2019 accord pour cet achat. \n\u2013 Comptons, fit La Crique. La tablette de dix raies \nco\u00fbte huit sous : il en f aut \u00e0 chacun un assez gros \nmorceau : avec tr ois tablettes, trente raies, on en aura \nchacun plus d\u2019une demie ; oui, reprit-il apr\u00e8s calcul, \ncela fera just e deux tier s de raie \u00e0 chacun, c\u2019est tr\u00e8s \nbien. \n\u00ab On le mangera comme \u00e7a , sec ou avec son pain. \nTrois t ablettes \u00e0 huit s ous, \u00e7a fait vi ngt-quatre sous. De \nquarante-cinq, il rester a vingt et un ronds. \n\u00ab Qu\u2019est-ce qu\u2019on va acheter avec ? \n\u2013 Des croquets ! \n\u2013 Des biscuits ! \n\u2013 Des bonbons ! \n\u2013 Des sardines ! \n\u2013 Nous n\u2019 avons que vingt et un sous, s ouligna \nLebrac. \n\u2013 Faut acheter des sardines, insinua Tintin. C\u2019est \nbon les sa rdines. Ah ! tu sais p as ce q ue c\u2019est, \nGuerreuillas ! Eh bien mon vieux, c\u2019est des petits \npoissons sans t \u00eate cuits \u00ab dedans \u00bb une bo\u00eete en fer-\nblanc, mais tu sai s, c\u2019est salement bon ! Seulement on \nn\u2019en ach\u00e8te pas souvent ch ez nous \u00ab passe que \u00bb c\u2019est \n 286cher. \nAchet ons-en une bo\u00eet e, voulez -vous ? Il y en a dix, \ndouze, m\u00eame quelquefois \u00ab tienze \u00bb par bo\u00eet e, on \npartagera. \n\u2013 Ah oui ! que c\u2019est bon, r ench\u00e9rit T igibus, et l\u2019huil e \naussi, mes ami s ; moi, ce que j e l\u2019ai me l\u2019huil e de \nsardine ! je rel\u00e8che les bo\u00eet es quand on en ach\u00e8te ; c\u2019est \npas comme l\u2019huile \u00e0 salade. \nOn vota d\u2019enthousiasme l\u2019achat d\u2019une bo\u00eete de \nsardines de onze sous. \nRestaient dix sous de dis ponibl es. \nLa Criqu e, en le faisant rem arquer, crut devoir \najouter cet avis : \n\u2013 On f erait bien de pr endre quelque chos e qu\u2019 on \npuisse partager plus facile ment et dont on aurait \nplusi eurs morceaux pour un sou. \nLes bonbons s\u2019imposaient : les petits bonbons ronds \net aussi la r\u00e9glisse en bois qu\u2019il faisait si bon sucer et \nm\u00e2cher en class e, der ri\u00e8re le paravent des pupitres \nouverts. \n\u2013 Partageons donc, conclut Lebrac, cinq sous de \nbonbons, cinq sous de r\u00e9glisse en bois. \nC\u2019est r\u00e9gl\u00e9 comme \u00e7a ; mais ce n\u2019est pas tout, vous \nsavez. Il faudra chiper des pommes et des poires \u00e0 la \n 287cave, on fer a auss i cuir e des pommes de t erre, Camus \nfera des cigar es de \u00ab v\u00e9lli e \u00bb. \n\u2013 Faud ra boire aussi, d\u00e9clara Grangibus. \n\u2013 Si on pouvait avoir du vi n ? \n\u2013 Et de l a goutt e ? \n\u2013 Du cas sis ? \n\u2013 Du sirop ? \n\u2013 De la \u00ab gueurnadine \u00bb ? \n\u2013 C\u2019est bien difficile ! \n\u2013 Je sais ous qu\u2019est la bonbonne de goutt e \u00e0 la \nchambre haute, fit Lebrac, si y a moyen d\u2019en prendre un \n\u00ab maillet \u00bb1, as pas peur, on en aura, mais du vin, \nbernique ! \n\u2013 Et puis, on n\u2019a pas de verres. \n\u2013 Faudr a au moi ns avoi r de l\u2019eau dans quel que \nchose. \n\u2013 Il y a des cass eroles l\u00e0-bas ! \n\u2013 C\u2019est pas ass ez grand ! \n\u2013 Si on pouvait avoir un petit tonneau ou m\u00eame un \nvieil arrosoir. \n \n1 Litre, bou teille. \n 288\u2013 Un arrosoir ! il y a le vieux de l\u2019\u00e9cole qu\u2019est au \nfond du \u00ab collidor \u00bb ; si on le chipait ! il y a bien un trou \nau fond et il est plei n de poussi \u00e8re, mais c\u2019 est pas une \naffaire, on bouchera le \u00ab poutiu \u00bb1 avec une cheville et \non r\u00e9curera le fer-blanc avec du sable ! \u00e7a y est-il ? \n\u2013 Oui, acquies\u00e7a Lebrac, c\u2019est une bonne id\u00e9e. \u00c0 \nquatre heures ce soir, j\u2019suis de balayage, je le foutrai \nderri\u00e8r e le mur de la cour en venant vider l e chenit2 ; le \nsoir, \u00e0 la nuit, je viendrai le prendre et j\u2019irai le cacher en \nattendant dans la caverne du Tilleul ; on le r\u00e9curera \ndemain. \n\u00ab Pour les achats, voici comment il faudra faire : \nmoi j\u2019ach\u00e8terai une plaque de chocolat, Grangibus une \nautre, Tintin la troisi\u00e8me ; La Crique ir a chercher les \nsardines, Boulot les bonbons et Gambette la r\u00e9glisse. \nPersonne ne pourra se douter de rien. On portera tout le \nfourbi \u00e0 la cabane avec les pommes et les \u00ab patat es \u00bb et \ntout ce qu\u2019on pourra rabioter. \n\u00ab Ah ! j\u2019oubliai s ! Du s ucre ! T\u00e2chez de chiper du \nsucre pour manger avec la go utte... si on en a. On f era \ndes canar ds ! \n\u00ab C\u2019est facile \u00e0 prendr e, du sucre, quand la vieille \ntourne le pied. \u00bb \n \n1 Pertuis, trou. \n2 Chenit : balayures. \n 289Aucune de ces excellentes recommandations ne fut \noubli\u00e9e ; chacun s\u2019\u00e9tait charg\u00e9 d\u2019une t\u00e2che particuli\u00e8re \net s\u2019appliquait \u00e0 la remplir consciencieusement. Aussi \nle jeudi apr\u00e8s-midi, Lebrac, Ca mus, Tintin, La Crique et \nGrangibus, lesquels avaient pr is les devants, re\u00e7urent-ils \nleurs camarades qui arrivaient l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre ou par \npetites bandes avec les poches garnies et bourr\u00e9es, mais \nbourr \u00e9es \u00e0 t aper. \nEux, les chefs, avaient au ssi d es surp rises \u00e0 fa ire \u00e0 \nleurs invit\u00e9s. \nUn feu clair , dont l a flamme montait \u00e0 plus d\u2019 un \nm\u00e8tre de haut, emplissait la cabane d\u2019une clart\u00e9 chaude \net faisait chat oyer les coul eurs vi olentes des gravures. \nSur la table rustique, o\u00f9 les jour naux \u00e9tendus \nrempla\u00e7aient la nappe, les pr ovisions achet\u00e9es, en bel \nordre, s\u2019 alignai ent ; et der ri\u00e8re, \u00f4 joie ! \u00f4 triomphe ! \ntrois bouteilles pleines, troi s bouteilles myst\u00e9rieuses, \nd\u00e9rob\u00e9es \u00e0 coup de g\u00e9ni e par l es Gibus et par L ebrac, \ndressaient leurs formes \u00e9l\u00e9gantes. \nL\u2019une r enfermait de l\u2019 eau-de-vie, les deux autres du \nvin. \nSur une sorte de pi\u00e9desta l de pierre, l\u2019arrosoir \nr\u00e9cur\u00e9, neuf, dont les cabo ssures brillaient, brandissait \nen avant son goulot poli qui d\u00e9vers erait une eau limpi de \net pure puis\u00e9e \u00e0 la source voisi ne ; des tas de pommes \n 290de ter re p\u00e9tai ent sous la cendre chaude. \nQuelle belle journ\u00e9e ! \nIl avait \u00e9t\u00e9 entendu qu\u2019 on partageait tout, chacun \ndevant s eulement garder so n pain. Aussi, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des \nplaques de chocolat et de la bo\u00eete de sardines, une pile \nde morceaux de sucre mont a bient\u00f4t que La Crique \nd\u00e9nombra avec soin. \nIl \u00e9tait impossi ble de fair e tenir les pommes sur la \ntable, il y en avait plus de tr ois doubl es. On avait \nvraiment bien f ait les chos es, mais ici encore le g\u00e9n\u00e9ral, \navec sa bouteille de goutte , battait tous les records. \n\u2013 Chacun aura son cigare, affirma Camus, d\u00e9signant \nd\u2019un gest e large une pil e r\u00e9guli\u00e8re et serr\u00e9e de bouts de \ncl\u00e9matite, soigneusement choi sis, sans noeuds, lisses, \navec de beaux petits trous ro nds qui disaient que cela \ntirerait bien. \nLes uns se tenaient dans la cabane, d\u2019autres ne \nfaisaient qu\u2019y passer ; on en trait, on sortait, on riait, on \nse tapait sur le ventr e, on s e fichait pour rire de grands \ncoups de poi ng dans l e dos, on se congratulait. \n\u2013 Ben, mon vieux, \u00e7a biche ? \n\u2013 Crois-tu qu\u2019on est des types, hein ? \n\u2013 Ce qu\u2019on va rigoler ! \nIl \u00e9tait entendu que l\u2019on commencerait d\u00e8s que les \n 291pommes ce ter re seraient pr\u00eates : Camus et Tigibus en \nsurveillaient la cuis son, repoussaient les cendres, \nrejetaient les braises, tiran t de temps \u00e0 autre avec un \npetit b\u00e2ton les savoureux tubercul es et les t\u00e2tant du bout \ndes doigts ; ils se br\u00fblaien t et seco uaient les ma ins, \nsouffl aient s ur leurs ongl es, puis rechargeaient le feu \ncontinuel lement . \nPendant ce temps, Lebrac, Tintin, Grangibus et La \nCrique, apr \u00e8s avoi r calcul \u00e9 le nombr e de pommes et de \nmorceaux de sucre auxque ls chacun aurait droit, \ns\u2019occupai ent \u00e0 un \u00e9quitabl e partage des tablettes de \nchocolat, des petits bonbons et des bouts de r\u00e9glisse. \nUne gros se \u00e9moti on les \u00e9treignit en ouvrant la bo\u00eete \nde sardines : seraient-ce des petit es ou des gros ses ? \nPourrait-on r\u00e9partir \u00e9galemen t le contenu entre tous ? \nAvec la poi nte de son cout eau, d\u00e9tour nant celles du \ndessus, La Crique compta : huit, neuf, dix, onze ! Onze, \nr\u00e9p\u00e9ta-t-il. Voyons, trois fo is onze trente-trois, quatre \nfois onze quarante-quatre ! \n\u2013 Merde ! bon di ous ! nous s ommes quar ante- cinq, \nun de trop ! Il y en a un qui s\u2019en passera. \nTigibus, \u00e0 croupetons devant son brasier, entendit \ncette exclamation sinistr e et, d\u2019un geste et d\u2019 un mot, \ntrancha l a diffi cult\u00e9 et r\u00e9solut le probl\u00e8me : \n\u2013 Ce sera moi qui n\u2019en aurai poi nt si vous voul ez, \n 292s\u2019\u00e9cria-t-il ; vous me donnere z la bo\u00eete avec l\u2019huile pour \nla rel\u00e9cher, j\u2019aime autant \u00e7a ! Est-ce que \u00e7a ira ? \nSi \u00e7a irait ? c\u2019\u00e9tait m\u00eame \u00e9patant ! \n\u2013 Je croi s bien que les pommes de terr e sont cuites, \n\u00e9mit Camus, repoussant vers le fond, avec une f ourche \nen coudre plus qu\u2019\u00e0 moiti \u00e9 br\u00fbl\u00e9e, le brasier \nrougeoyant, afin d\u2019aveindre son butin. \n\u2013 \u00c0 tabl e alors ! r ugit Lebr ac. \nEt se portant \u00e0 l\u2019entr\u00e9e : \n\u2013 Eh bien, la coterie, on n\u2019entend rien ? \u00c0 tabl e \nqu\u2019on vous dit ! Amenez-vous ! Y a pus d\u2019amour, \nquoi ! y a pus moyen ! Fa ut-il aller chercher la \nbanni\u00e8re ? \nEt l\u2019on se massa dans la cabane. \n\u2013 Que chacun s\u2019asseye \u00e0 sa place, ordonna le chef ; \non va partager. Les patate s d\u2019abord, faut commencer \npar qu\u00e9que chos e de chaud, c\u2019 est mi eux, c\u2019 est plus chi c, \nc\u2019est comme \u00e7a qu\u2019on f ait dans les grands d\u00eener s. \nEt les quarante gaillards, al ign\u00e9s sur leurs si\u00e8ges, les \njambes serr\u00e9es, les geno ux \u00e0 angle droit comme des \nstatues \u00e9gyptiennes, le qui gnon de pain au poing, \nattendi rent la di stribution. \nElle se fit dans un religi eux silence : les derniers \nservis lorgnai ent les boul es grises dont la chair d\u2019 une \n 293blancheur mate fumait en \u00e9pand ant un bon parfum sain \net vigoureux qui aiguisait les app\u00e9tits. \nOn \u00e9vent rait la cr o\u00fbte, on mor dait \u00e0 m\u00eame, on se \nbr\u00fblait, on se retirait vivem ent et la pomme de terre \nroulait quelquefois sur les g enoux o\u00f9 une main leste la \nrattrapait \u00e0 temps ; c\u2019 \u00e9tait s i bon ! Et l\u2019on riait, et l\u2019on se \nregar dait, et une cont agion de joie les secouait tous, et \nles langues commen\u00e7aie nt \u00e0 se d\u00e9lier. \nDe temps en temps on alla it boire \u00e0 l\u2019arrosoir. Le \nbuveur ajustait sa bouche co mme un su\u00e7oir au goul ot de \nfer-blanc, aspirait un bon coup et, la bouche pleine et \nles joues gonfl\u00e9es, avalait t out, hoquet ant sa gor g\u00e9e ou \nrecrachait l\u2019eau en gerbe, en \u00e9clat ant de rir e sous les \nlazzi des camarades. \n\u2013 Boira ! boir a pas ! pari que si ! parie que ni ! \nC\u2019\u00e9tait le tour des sardines. \nLa Crique, religieusement, avait partag\u00e9 chaque \npoisson en quatre ; il avait op\u00e9r \u00e9 avec tout l e soin et la \npr\u00e9cision d\u00e9sir ables, af in que les fr actions ne \ns\u2019\u00e9miettassent point et il s\u2019 occupait \u00e0 remettre \u00e0 chacun \nla part qui lui revenait. D\u00e9licat ement , avec le cout eau, il \nprenait dans la bo\u00eete que port ait Tintin et mettait sur le \npain de chacun l a portion l\u00e9gal e. Il avait l\u2019air d\u2019 un \npr\u00eatre faisant communier les fid\u00e8les. \nPas un ne toucha \u00e0 son mo rceau avant que tous ne \n 294fussent servis : Tigibus, com me il \u00e9tait convenu, eut la \nbo\u00eete avec l \u2019huile ainsi qu e quelques petits bouts de \npeau qui nageaient dedans. \nIl n\u2019 y en avait pas gr os, mais c\u2019 \u00e9tait du bon ! Il \nfallait en jouir. Et tous flaira ient, r eniflai ent, pal paient, \nl\u00e9chaient le morceau qu\u2019ils avaient sur leur pain, se \nf\u00e9licitant de l\u2019aubaine, se r\u00e9 jouissant au plaisir qu\u2019 ils \nallaient prendr e \u00e0 le masti quer, s\u2019attristant \u00e0 pens er que \ncela durerait si peu de temps. Un coup d\u2019 engoul oir et \ntout s erait fini ! Pas un ne se d\u00e9cidait \u00e0 attaquer \nfranchement . C\u2019\u00e9t ait si mi nime. Il fallait jouir, jouir, et \nl\u2019on j ouissait par les yeux, par les mains, par le bout de \nla langue, par le nez, par le nez surtout, jusqu\u2019au \nmoment o\u00f9 Tigi bus, qui po mpait, torchait, \u00e9pongeait \nson reste de \u00ab sauce \u00bb avec de la mie de pain fra\u00eeche, \nleur demanda i roniquement s\u2019ils voulai ent fair e des \nreliques de leur pois son, qu\u2019 ils n\u2019avaient dans ce cas \nqu\u2019\u00e0 porter leurs morceaux au cur\u00e9 pour qu\u2019il p\u00fbt les \njoindr e aux os de lapi ns qu\u2019il faisait bais er aux vieill es \ngribi ches en leur disant : \u00ab Passe tes cornes1 ! \u00bb \nEt l\u2019on mangea lentement , sans pain, par petites \nportions \u00e9gal es, \u00e9puis ant le suc, pompant par chaque \npapille, arr\u00eatant au passag e le morceau d\u00e9lay\u00e9, noy\u00e9, \nsubmerg\u00e9 dans un flux de saliv e pour le ramener encore \n \n1 Sans doute : Pax tecum! \n 295sous la langue, le remast iquer de nouveau et ne le \nlaisser filer enfin qu\u2019\u00e0 regret. \nEt cel a finit ainsi religi eusement . Ens uite \nGuerreuillas confessa qu\u2019en effet c\u2019\u00e9tait rudement bon, \nmais qu\u2019il n\u2019y en avait gu\u00e8re ! \nLes bonbons \u00e9taient pour le dessert et la r\u00e9glisse \npour ronger en s\u2019 en retournant. R estaient l es pommes et \nle chocolat. \n\u2013 Voui, mais va-t-on pas boire bient \u00f4t ? r\u00e9cl ama \nBoul ot. \n\u2013 Il y a l \u2019arrosoir, r\u00e9p ondit Grangibus, fac\u00e9tieux. \n\u2013 Tout \u00e0 l\u2019heur e, r\u00e9gla L ebrac, l e vin et l a gniaule \nc\u2019est pour la fin, pour le cigare. \n\u2013 Au chocol at, maintenant ! \nChacun eut s a part, les uns en deux morceaux, les \nautres en un s eul. C\u2019\u00e9tait le pl at de r\u00e9sistance, on l e \nmangea avec le pa in ; tout efois, quel ques-uns, des \nraffin\u00e9s, sans doute, pr \u00e9f\u00e9r\u00e8rent manger l eur pain sec \nd\u2019abord et le chocolat ensuite. \nLes dents croquaient et mastiquaient, les yeux \np\u00e9tillaient. La flamme du foye r, raviv\u00e9e par une brass\u00e9e \nde brandes, enluminait les jo ues et rougissait les l\u00e8vres. \nOn parlait des batailles pass\u00e9e s, des combats futurs, des \nconqu\u00eates prochaines, et les bras commen\u00e7aient \u00e0 \n 296s\u2019agiter et les pi eds s e tr\u00e9mouss aient et les tor ses se \ntortillaient. \nC\u2019\u00e9tait l\u2019heure des pommes et du vin. \n\u2013 On boira chacun \u00e0 son t our dans la petit e \ncasserole, proposa Camus. \nMais La Crique, d\u00e9daig neusement, r\u00e9pliqua : \n\u2013 Pas du tout ! Chacun aur a son ver re ! \nUne telle affirmation bouleversa les convives. \n\u2013 Des verres ! T\u2019as des verres ? Chacun son verre ! \nT\u2019es pas fou , La Criq ue ! Co mment \u00e7a ? \n\u2013 Ah ! ah ! ricana le comp\u00e8 re. Voil \u00e0 ce que c\u2019 est que \nd\u2019\u00eatre malin ! Et ces pom mes pour qui que vous les \nprenez ? \nPersonne ne voyait o\u00f9 La Crique en voulait venir. \n\u2013 Tas de gourdes ! reprit-il, sans respect pour la \nsoci\u00e9t \u00e9, pr enez vos couteaux et faites comme moi . Ce \ndisant, l\u2019inventeur, l\u2019eustache \u00e0 la main, creusa \nimm\u00e9diatement dans les chai rs rebondies d\u2019une belle \npomme rouge un tr ou qu\u2019i l \u00e9vida avec soin, \ntransf ormant en coupe ori ginale l e beau fr uit qu\u2019il avait \nentaill\u00e9. \n\u2013 C\u2019est vrai tout de m\u00eame : sacr \u00e9 La Crique ! C\u2019es t \n\u00e9patant ! s\u2019excl ama L ebrac. \n 297Et imm\u00e9diatement il fit fa ire l a distri bution des \npommes. Chacun se mit \u00e0 la taille de son gobelet, tandis \nque La Crique, loquace et triomphant, expliquait : \n\u2013 Quand j\u2019allais aux champs et que j\u2019avais soif, je \ncreus ais une gr osse pomme et j e trayais une vache et \nvoil\u00e0, je m\u2019enfil ais comme \u00e7a mon peti t bol de lait \nchaudot. \nChacun ayant conf ectionn\u00e9 s on gobel et, Gr angibus \net Lebrac d\u00e9bouch\u00e8rent le s litres de vin. Ils se \npartag\u00e8rent les convives. Le litre de Grangibus, plus \ngrand que l\u2019autre, devait cont enter vingt-tr ois guerri ers, \ncelui de son chef vingt- deux . Les verres heureusement \n\u00e9taient petits et le partage fu t \u00e9quitable, du moins il faut \nle croire, car il ne donna lie u \u00e0 aucune r\u00e9crimination. \nQuand chacun f ut servi, Lebrac, levant sa pomme \npleine, formul a le toast d\u2019us age, simple et bref : \n\u2013 Et mai ntenant, \u00e0 la n\u00f4tr e, mes vi eux, et \u00e0 cul les \nVelrans ! \n\u2013 \u00c0 la tienne ! \n\u2013 \u00c0 la n\u00f4tre ! \n\u2013 Vive nous ! \n\u2013 Vivent les L ongever nes ! \nOn choqua les pommes, on brandit les coupes, on \nbeugla des injures au x ennemis, on exalta le courage, la \n 298force, l\u2019h\u00e9ro\u00efsme de Longeverne, et on but, on l\u00e9cha, on \nsu\u00e7a la pomme jusqu\u2019au tr\u00e9fonds des chair s. \n\u2013 Si on en poussait une, maintenant ! proposa \nTigibus. \n\u2013 All ez, Camus ! Ta chanson ! \nCamus entonna : \n \nRien n\u2019est si beau \nQu\u2019un artilleur sur un chameau... \n \n\u2013 C\u2019est pas assez long ! C\u2019est dommage ! Elle est \nbelle. \n\u2013 Alors on va tous chanter ensemble : Aupr\u00e8s de ma \nblonde. Tout le monde l a sait. Allons-y. Une ! deuss e ! \nEt toutes les voix juv\u00e9 niles lanc\u00e8rent \u00e0 pleins \npoumons la vie ille chanson : \n \nAu jardin de mon p\u00e8re \nLes lauriers sont fleuris, \nTous les oiseaux du monde \nViennent faire leur nid, \nOui ! \n 299Aupr\u00e8s de ma blonde \nQu\u2019il fait bon, fait bon, fait bon ! \nAupr\u00e8s de ma blonde \nQu\u2019il fait bon dormir ! \n \nTous les oiseaux du monde \nViennent faire leur nid, \nLa caill\u2019, la tourterelle \nEt la jolie perdrix, \nOui ! \nAupr\u00e8s de ma blonde... \n \nLa caille, la tourterelle \nEt la jolie perdrix, \nEt la blanche colombe \nQui chante jour et nuit, \nOui ! \nAupr\u00e8s de ma blonde... \n \nEt la blanche colombe \n 300Qui chante jour et nuit, \nQui chante pour les belles \nQui n\u2019ont pas de mari, \nOui ! \nAupr\u00e8s de ma blonde... \n \nQuand on eut fini cell e-l\u00e0, on en voulut \nrecommencer une autre et ce fut Tintin qui entonna : \n \nPetit tambour s\u2019en re venant de guerre (bis) \nS\u2019en revenant de guerre \nPan pl an ra-t a-plan... \n \nMais on la l\u00e2cha en cours de route, car maintenant \nqu\u2019on avait bu, il fallait autr e chos e, quel que chose de \nmieux. \n\u2013 Allez , Camus ! Dis-n ous Madeleine s\u2019en fut \u00e0 \nRome. \n\u2013 Oh ! J\u2019sais rien que deux morceaux de deux \ncouplets, c\u2019est pas la peine ; personne ne la sait ! Quand \nles cons crits voi ent qu\u2019on approche pour \u00e9couter, ils \ns\u2019arr\u00eatent et ils nous dis ent de foutre le camp. \n 301\u2013 C\u2019est pass e que c\u2019est ri golo. \n\u2013 Non, j\u2019cr ois que c\u2019es t passe que c\u2019est des \ncochoncet\u00e9s ! \n\u00ab Y a un sacr\u00e9 t ruc, mais j\u2019sais pas ce que c\u2019est , \nousqu\u2019on y fourre la Madeleine, l\u2019Estitut et le Pat\u00e9on, \nun r\u00e9giment d\u2019infanterie la ba\u00efonnette au canon et \nencore un tas d\u2019aut\u2019fourbi s \u00ab que je peux pas me \nraviser \u00bb. \n\u2013 Plus tard, quand on sera conscrit, on le saura nous \naussi, va, affirma Tigibus, po ur exhorter ses camarades \n\u00e0 la patience. \nOn essaya alors de se r appeler la chanson de D\u00e9biez \nquand il est saoul : \n \nSoupe \u00e0 l\u2019oignon, bouillon d\u00e9mocratique... \n \nOn \u00e9corcha encore tant bi en que mal le r efrain de \nKinkin le braconnier : \n \nCar le Paradis la\u00efri, \nCar le Paradis la\u00efri \nCar le Paradis \nAux ivrogn\u2019 est pr omis . \n 302 \nPuis, de guerre lasse, l\u2019en semble manquant, il y eut \nun court silence \u00e9tonn\u00e9. \nAlors Boulot, pour le rompre, pr oposa : \n\u2013 Si on f aisait des tours ? \n\u2013 Faire voir le diable dan s une manche de veste ! \n\u2013 Si on j ouait \u00e0 pi geon vol e ? reprit un autr e. \n\u2013 Pens es-tu ! un j eu de gamines \u00e7a ; pour quoi pas \nsauter \u00e0 la corde ! \n\u2013 Et notr e goutte, nom de Dieu ! rugit L ebrac. \n\u2013 Et mes cigares ! beugla Camus. \n 303 \n \nR\u00e9cits des temps h\u00e9ro\u00efques \n \nEn ces tem ps, \u00e9poque lointaine, m erveilleuse... \nCHAR LES CALLET (Contes anciens ). \n \nChacun, \u00e0 l\u2019 exclamati on des chefs , reprit s a pomme, \net tandis que Camus, pass ant entre les rangs, offrait \navec une nonchalante \u00e9l\u00e9gance les cigares de \u00ab v\u00e9llie \u00bb, \nGrangibus, lui, distribuait les morceaux de sucre. \n\u2013 Tout de m\u00eame, quelle noce ! \n\u2013 M\u2019en parle pas, quelle bringue ! \n\u2013 Quel gueuleton ! \n\u2013 Quelle bombe ! \nLebrac, en connaisseur, ag itait son litre d\u2019eau-de-vi e \no\u00f9 des bulles d\u2019air se formai ent qui venaient s\u2019\u00e9panouir \net crever en couronne au goulot. \n\u2013 C\u2019est de la bonne, affi rma-t-il. Elle a de la \nreligion, elle fait le chapelet . Attention, j\u2019vas passer ; \nque personne ne bouge ! \nEt, lentement, il partagea entre l es quarante- cinq \nconvives le litre d\u2019alcool. Cela dura bien dix minutes, \n 304mais personne ne but avant le signal. On porta alors de \nnouveaux toasts plus verts et plus violents que jamais ; \nensuit e on tr empa les mor ceaux de sucre et on pompa le \nliquide \u00e0 petits coups. \nVingt dieux ! ce qu\u2019elle \u00e9tait forte ! Les petits en \n\u00e9ternuaient, touss aient, cr achaient, devenai ent rouges, \nviolets, cramoisis , mais pas un ne voul ait avouer que \ncela lui br\u00fblait la gor ge et qu e \u00e7a lui tordait les tripes. \nC\u2019\u00e9tait chi p\u00e9, donc c\u2019 \u00e9tait bon : c\u2019\u00e9tait m\u00eame \nd\u00e9licieux, exquis, et il n\u2019en fallait pas perdre une goutte. \nAussi, d\u00fbt-on en crever, on avala la gniaule jusqu\u2019\u00e0 \nla derni\u00e8re mol\u00e9cule, et on l\u00e9cha la pomme et on la \nmangea pour ne rien perdre du jus qui avait pu p\u00e9n\u00e9tr er \n\u00e0 l\u2019int\u00e9rieur des chair s. \n\u2013 Et mai ntenant, allumons ! propos a Camus. \nTigibus le chauffeur fit pa sser des tisons enflamm\u00e9s. \nOn emboucha les morceaux de \u00ab v\u00e9llie \u00bb et tous, \nfermant \u00e0 demi les yeux, tor dant les baj oues, pin\u00e7ant l es \nl\u00e8vres, plissant le front, se mirent \u00e0 tirer de tout e leur \n\u00e9nergie. Parfoi s m\u00eame, t ant on y mett ait d\u2019 ardeur, il \narrivait que la cl\u00e9matite, bi en s\u00e8che, s\u2019enflammait et \nalors on admir ait et t ous s\u2019appli quaient \u00e0 r \u00e9aliser cet \nexploit. \n\u2013 Pendant que nous avons le s pattes au chaud et le \nventr e plein, qu\u2019on est bi en tranqui lle en tr ain de f umer \n 305un bon ci gare, si on disait des r acontottes1 ? \n\u2013 Ah ! oui, c\u2019 est \u00e7a, ou bi en des devi nettes ? Pour \nrigoler, on donnerait des gages. \n\u2013 Mes vieux, coupa La Criq ue, les jambes crois\u00e9es, \ngrave, le cigare aux dents, moi, si vous voulez, j\u2019vas \nvous dir e quelque chos e, qu\u00e9que chose de s\u00e9ri eux, de \nvrai, que j\u2019ai appris y a pas longtemps. C\u2019est m\u00eame \npresque de l\u2019hi stoire. Oui, je l\u2019ai entendu du vieux Jean-\nClaude qui le racon tait \u00e0 mon parrain. \n\u2013 Ah ! quoi ? quoi donc ? interrog\u00e8rent plusieurs \nvoix. \n\u2013 C\u2019est l a caus e pour quoi qu\u2019on s e bat avec l es \nVelrans. Vous savez, mes pe tits, c\u2019est pas d\u2019aujourd\u2019hui \nni d\u2019hier que \u00e7a du re : il y a des ann\u00e9es et des ann\u00e9es. \n\u2013 C\u2019est depuis le commenc ement du monde, pardi\u00e9, \ninterrompit Gambette, parce qu \u2019ils ont t oujours \u00e9t\u00e9 des \npeigne-culs ! et voil\u00e0 ! \n\u2013 C\u2019est des peigne-culs tant que tu voudras, pourtant \nc\u2019est pas depuis l e moment que t u dis quand m\u00eame , \nGambett e, c\u2019est apr\u00e8s , bien ap r\u00e8s, mais il y a t out de \nm\u00eame une belle lurette depu is ce temps-l\u00e0 au jour \nd\u2019aujord\u2019hui. \n\u2013 Ben, puisque tu le sais, dis-nous \u00e7a, ma vieille, \u00e7a \n \n1 Histoires. \n 306doit \u00eatre s\u00fbrement passe qu e c\u2019est rien qu\u2019une sale \nbande de foutus cochons. \n\u2013 Tout j uste des f ain\u00e9ants et des gouris1 ! Et ils ont \nos\u00e9 trait er les L ongever nes de voleurs encore par-\ndessus le march\u00e9 ces salauds-l\u00e0. \n\u2013 Ah ! par exempl e, quel toupet ! \n\u2013 Oui, fit La Crique co ntinuant. Quant \u00e0 pouvoir \ndire au juste l\u2019ann\u00e9e o\u00f9 que c\u2019est arriv\u00e9, je peux pas, le \nvieux Jean-Claude y sait pas non plus, personne ne se \nrappelle ; pour savoir, il f audrait regarder dans les vieux \npapiers, dans les archi ves, qu\u2019ils di sent, et je sais pas ce \nque c\u2019 est que ces cochonner ies-l\u00e0. \n\u00ab C\u2019\u00e9tait au t emps o\u00f9 qu\u2019 on parl ait de l a Murie. L a \nMurie, voil\u00e0, on ne sait plus bien ce que c\u2019 est ; peut- \u00eatre \nune sal e maladie, quel que chos e comme un fant\u00f4me qui \nsortait tout vi vant du vent re des b\u00eates cr ev\u00e9es qu\u2019on \nlaissait pourrir dans les coins et qui voyageait, qui se \nbaladait dans les champs, da ns les bois, dans les rues \ndes villages, la nuit. On ne la voyait pas : on la sentait, \non l a reniflait ; les b\u00eate s meuglaient, les chiens \njappaient \u00e0 la mort quand elle \u00e9tait par l\u00e0, aux alent ours, \n\u00e0 r\u00f4der. Les gens, eux, se si gnaient et dis aient : Y a un \nmalheur qu\u2019est en r oute ! Alors, au matin, quand on \nl\u2019avait sentie passer, les b\u00eates qu\u2019elle avait touch\u00e9es \n \n1 Gouris : gorets. \n 307dans leurs \u00e9tables tombaient et p\u00e9rissaient, et les gens \naussi crevaient comme des mouches. \n\u00ab La Murie venait surtout quand il faisait chaud. \n\u00ab Voil\u00e0 : on \u00e9t ait bien, on riait, on mangeait, on \nbuvait, et puis, sans savoi r pourquoi ni comment, une \nou deux heures apr\u00e8s, on devenait tout noir, on \nvomissait du sang pourri et on claquait. Rien \u00e0 faire et \nrien \u00e0 dire. P ersonne n\u2019arr\u00ea tait la Murie, les malades \n\u00e9taient fi chus. On avait beau jeter de l\u2019 eau b\u00e9nite, di re \ntoutes s ortes de pri\u00e8res , fair e venir l e cur\u00e9 pour \nmarmonner ses oremus, invoq uer tous les saints du \nParadis, la Vie rge, J\u00e9sus-Christ, le p\u00e8re Bon Dieu, \nc\u2019\u00e9tait comme si on avait pi ss\u00e9 dans un vi olon ou puis \u00e9 \nde l\u2019eau avec une \u00e9cumoire, tout crevait quand m\u00eame et \nle pays \u00e9t ait ruin\u00e9 et les gens \u00e9t aient foutus . \n\u00ab Aussi, quand une b\u00eate venait \u00e0 p\u00e9rir, vous pouvez \ncroire qu\u2019on l\u2019 encrottait vivement. \n\u00ab C\u2019est la Murie qui a am en\u00e9 la guerre entre les \nVelrans et les Longevernes. \u00bb \nLe conteur ici fit un e pause, savourant son \npr\u00e9ambul e, jouiss ant de l\u2019 attention \u00e9veill\u00e9e, puis il tira \nquelques bouff \u00e9es de son ci gare de cl\u00e9matit e et repri t, \nles yeux des camarade s dard\u00e9s su r lui : \n\u2013 Savoir au juste comment que c\u2019est arriv\u00e9, c\u2019est pas \npossible, on n\u2019a pas assez de renseignements. On croit \n 308pourtant que des esp\u00e8ces de maquignons, peut-\u00eatre bien \ndes voleurs, \u00e9taient venus au x foires de Morteau ou de \nMa\u00eeche et s\u2019 en retour naient dans le pays bas. I ls \nvoyageaient la nuit ; peut-\u00eatre se cachaient-ils, surtout \ns\u2019ils avaient vol\u00e9 des b\u00eates. Toujour s est-il que comme \nils passaient l\u00e0-haut par le s p\u00e2tures de Chasalans, une \ndes vaches qu\u2019ils emmenaient s\u2019est mise \u00e0 meugler, \u00e0 \nmeugler, puis elle n\u2019a plus voulu marcher ; elle s\u2019est \n\u00ab accout\u00e9 le cul \u00bb comme un \u00ab murot \u00bb et ell e est r est\u00e9e \nl\u00e0 \u00e0 meugler toujours. Les autr es ont eu beau tirer sur la \nlonge et lui flanquer des coups de trique, rien n\u2019y a fait, \nelle n\u2019a plus boug\u00e9 ; au b out d\u2019un moment elle s\u2019est \nfichue par terr e, s\u2019est all ong\u00e9e toute rai de ; elle \u00e9t ait \ncrev\u00e9e, foutue. \n\u00ab Les \u201ctypes\u201d ne pouvai ent pas l\u2019 emporter , \u00e0 quoi \nleur aurait-elle servi ? Ils n\u2019ont rien dit du tout, et \ncomme c\u2019\u00e9tait la nuit, loin des villages \u2013 ni vu, ni connu \nje t\u2019embr ouille \u2013 ils ont fi chu l e camp et on ne l es a \njamais revus et on n\u2019a jamais su ni qui ils \u00e9taient, ni \nd\u2019o\u00f9 ils venai ent. \n\u00ab Faut di re que c\u2019 \u00e9tait en \u00e9t\u00e9 que \u00e7a se passait. \n\u00ab \u00c0 ce moment-l\u00e0 c\u2019 \u00e9taient les Velr ans qui \np\u00e2turaient les comm unaux de Chasalans et qui faisaient \nles coupes du bois qu\u2019on a t oujours appel\u00e9 depuis bois \nde Velr ans, l e bois ous qu\u2019ils vi ennent pour nous \nattaquer , pardi \u00e9 ! \n 309\u2013 Ah ! ah ! interrompir ent des voi x. C\u2019est bien l e \nn\u00f4tre pourtant , ce bois -l\u00e0, nom d. D... ! \n\u2013 Oui, c\u2019est le n\u00f4tre et vous allez bien le voir, mais \n\u00e9coutez. Comme il faisait tr \u00e8s chaud cet \u00e9t\u00e9-l\u00e0, bient\u00f4t \nla vache crev\u00e9e a commenc\u00e9 de sentir mauvais ; au bout \nde trois ou quat re jours , elle empoisonnait ; elle \u00e9tait \npleine de mouches, de sa les mouches vertes, de \nmouches \u00e0 murie, comme on di sait. Alors les gens qui \nont eu l \u2019occasi on de pass er par l \u00e0 ont bien renifl\u00e9 \nl\u2019odeur, ils se sont approch\u00e9s et ils ont vu la charogne \nqui pourrissait l\u00e0 , sur pl ace. \n\u00ab \u00c7a pres sait ! Ils n\u2019 ont f ait ni une ni deuss e, ils ont \nfil\u00e9 subito trouver les anci ens de Velrans et ils leur \nz\u2019ont dit : \n\u00ab \u2013 Voil\u00e0, y a une charo gne qui pourrit dedans \nvot\u2019p\u00e2turage de Chasal ans et \u00e7a empoisonne jusqu\u2019au \nmilieu du Chanet, faut vite aller l\u2019encrotter avant que \nles b\u00eates n\u2019attrapent la Murie. \n\u00ab \u2013 La Murie, qu\u2019ils on t r\u00e9pondu, mais c\u2019est nous \nqu\u2019on l\u2019 attraperai t peut-\u00eat re en enf ouissant la b\u00eat e : \nencrottez-la vous-m\u00eames puis que vous l\u2019avez trouv\u00e9e ; \nd\u2019abord, qu\u2019 est-ce qui pr ouve qu\u2019ell e est s ur not\u2019 \nterritoire ? La p\u00e2ture est au tant \u00e0 vous qu\u2019 \u00e0 nous ; \u00e0 \npreuve, c\u2019est que vos b\u00eate s y sont tout le temps \nfourr \u00e9es. \n 310\u00ab \u2013 Quand par hasard elles y vont, vous s avez bi en \nnous gueuler apr\u00e8s et les aca illener, qu\u2019ont r\u00e9pondu les \nLongevernes (ce qui \u00e9tait la pure v\u00e9rit\u00e9). Vous n\u2019avez \npoint de temps \u00e0 perdr e ou bien, autant \u00e0 Velr ans qu\u2019\u00e0 \nLongeverne, les b\u00eates vont bi ent\u00f4t crever par la Murie, \net les gens itou. \n\u00ab \u2013 M urie vous- m\u00eame ! qu\u2019ont r\u00e9pondu les Velrans. \n\u00ab \u2013 Ah ! vous ne voulez pas l\u2019encrotter, ah ben ! on \nverra voi r ; d\u2019abor d vous n\u2019\u00eates que des pr opres-\u00e0-rien \net des peigne-culs ! \n\u00ab \u2013 C\u2019est vous qui n\u2019 \u00eates que des jeanf outres ; \npuisque vous avez tr ouv\u00e9 la charogne, eh ben ! c\u2019est la \nv\u00f4tre, gardez-la, on vous la donne. \n\u2013 Sal auds ! interrompir ent quelques audit eurs, \nfurieux de retrouver l\u2019antique mauvaise foi des Velrans. \n\u2013 Alors, qu\u2019est-ce qui s\u2019est pass\u00e9 ? \n\u2013 Ce qui s\u2019est pass\u00e9, reprit La Crique. Eh bien ! \nvoici : \n\u00ab Les Longevernes sont r evenus au pays ; ils sont \nall\u00e9s trouver tous les anciens et le cur\u00e9 et ceusses qui \navaient du bien et qu\u2019aur aient fait comme qui dirait le \nConseil Muni cipal d\u2019 aujourd\u2019 hui, et ils leur ont racont\u00e9 \nce qu\u2019ils avai ent vu et \u201csentu\u201d et ce qu\u2019avai ent dit les \nVelrans... \n 311\u00ab Quand les femmes ont su ce qu\u2019il y avait, elles ont \ncommenc\u00e9 \u00e0 chougner1 et \u00e0 gueuler ; elles ont dit que \ntout \u00e9t ait fout u et qu\u2019on all ait p\u00e9rir. Alors l es vieux ont \nd\u00e9cid\u00e9 de foutr e le camp \u00e0 Besan\u00e7on que j e crois, ou \nailleurs, je sais pas trop au juste, trouver les grosses \nl\u00e9gumes, les juges et le gouverneur. Comme c\u2019\u00e9tait \npressant, tout e la grande s \u00e9quell e a rappli qu\u00e9 aussit \u00f4t, et \nils ont fait venir \u00e0 Chasalan s les Longevernes et les \nVelrans pour qu\u2019ils s\u2019essepliquent. \n\u00ab Les Velrans ont dit : Mess eigneurs, la p\u00e2ture n\u2019est \npas \u00e0 nous, nous le jurons devant le Bon Dieu et la \nsainte Vierge qu\u2019est notre sainte patronne \u00e0 tertous ; \nelle est aux L ongever nes, c\u2019est \u00e0 euss es d\u2019encrott er la \nb\u00eate. \n\u00ab Les Longever nes ont dit : Sauf vot\u2019res pect, \nMesseigneurs, c\u2019est pas vrai , c\u2019est des menteurs ! \u00c0 \npreuve c\u2019est qu\u2019ils la p\u00e2turent toute l\u2019ann\u00e9e et qu\u2019ils \nfont les coupes de bois. \n\u00ab L\u00e0-dessus, les autres on t rejur\u00e9 en crachant par \nterre que le terr ain n\u2019 \u00e9tait pas \u00e0 eux. \n\u00ab Les gens de la haut e \u00e9taient bi en emb\u00eat\u00e9s . Tout de \nm\u00eame, comme \u00e7a ne sentait pa s bon et qu\u2019il fallait en \nfinir, ils ont jug\u00e9 sur pl ace et ont dit : \n \n1 Pleurer. \n 312\u00ab Puisque c\u2019est comme \u00e7a, comme l es Velrans jurent \nque l a propri\u00e9t \u00e9 ne leur appa rtient pas, les Longevernes \nencrotteront l a b\u00eate... Alor s les Velrans ont ri , passe \nque, vous savez, ce qu\u2019elle empoisonnait, la vache ! et \nles beaux messieurs ils ne s\u2019en approchaient que de \nloin... M ais, qu\u2019il s ont aj out\u00e9, pui squ\u2019ils l\u2019encrott eront, \nla p\u00e2tur e et le bois s eront acqui s d\u00e9finit ivement \u00e0 \nLongeverne attendu que les Ve lrans n\u2019en veulent pas. \n\u00ab Alors, apr\u00e8s \u00e7a, les Velr ans ont ri jaune et \u00e7a les \nemm... b\u00eatait bien, mais ils av aient jur\u00e9 en crachant par \nterre, ils ne pouvaient pas se d\u00e9dire devant le cur\u00e9 et les \nmessieurs. \n\u00ab Les gens de Longeverne ont tir\u00e9 \u00e0 la courte b\u00fbche \nqui c\u2019est qu\u2019encrotterait la vache et ceux-l\u00e0 ont eu \ndouble affouage de bois pendant les quatre coupes \nqu\u2019on a fait es ! Seul ement sit\u00f4t que la b\u00eate a \u00e9t\u00e9 \nencrott\u00e9e et qu\u2019 on n\u2019a pl us eu peur de la Murie, les \nVelrans ont pr\u00e9tendu que le bois \u00e9tait toujours \u00e0 eux et \nils ne voulaient pas que les gens de Longeverne fassent \nles coupes. \n\u00ab Ils tr aitaient nos vieux de voleurs et de rel\u00e8che-\nmurie, ces fain\u00e9ants-l\u00e0 qu\u2019 avaient pas eu le courage \nd\u2019enterrer leur pourriture. \n\u00ab Ils ont fait un pr oc\u00e8s \u00e0 L ongeverne, un proc\u00e8s qu\u2019a \ndur\u00e9 l ongtemps, l ongtemps , et ils ont d\u00e9pens \u00e9 des tas de \nsous ; mais ils ont perdu \u00e0 Baume, ils ont perdu \u00e0 \n 313Besan\u00e7on, ils ont perdu \u00e0 Dijo n, ils ont perdu \u00e0 Paris : \npara\u00eet qu\u2019ils ont mis plus de cent ans \u00e0 en d\u00e9finir. \n\u00ab Et \u00e7a les \u201choukssait\u201d salement de voir les \nLongevernes venir leur coupe r le bois \u00e0 leur nez ; \u00e0 \nchaque coup ils les appel aient voleurs de bois ; \nseulement nos vieux qu\u2019avaie nt des bonnes poi gnes ne \nse le laissaient pas dire deux fois : ils leur tombaient sur \nle r\u00e2b\u2019e et ils leur foutaien t des pei gn\u00e9es, des pei gn\u00e9es ! \nah, quell es peign\u00e9es ! \n\u00ab \u00c0 toutes les foires de Vercel, de Baume, de \nSancey, de Belleherbe, de Ma\u00eeche, sit\u00f4t qu\u2019ils avaient \nbu un petit coup, ils se repren aient de gueule et pan ! \na\u00efe donc ! Ils s\u2019en foutai ent, ils s\u2019en f outaient j usqu\u2019\u00e0 ce \nque l e sang coul e comme vach e qui piss e, et c\u2019 \u00e9taient \npas des feignants, ceux-l\u00e0, ils savaient cogner. Aussi, \npendant deux cents ans, trois cents ans peut- \u00eatre, jamai s \nun L ongever ne ne s\u2019 est mari \u00e9 avec une Velr ans et \njamais un Velrans n\u2019est ven u \u00e0 la f\u00eate \u00e0 Longeverne. \n\u00ab Mais c\u2019\u00e9tait le dimanche de la f\u00eate de la Paroisse \nqu\u2019ils se retrouvaient r \u00e9guli\u00e8rement . Tout l e monde y \nallait en bande, tous les ho mmes de Longeverne et tous \nceux de Velrans. \n\u00ab Ils faisaient d\u2019abord le tour du pays pour prendre \nle vent , ensuite de quoi ils en traient dans l es auber ges et \ncommen\u00e7aient \u00e0 boire pour se mettre \u201cen vibrance\u201d. \nAlors , d\u00e8s qu\u2019 on voyait qu \u2019ils commen\u00e7aient \u00e0 \u00eatre \n 314saouls , tout le monde f outait le camp et se cachait. \u00c7a \nne manquait j amais. \n\u00ab Les Longevernes allaie nt s\u2019enfiler dans le \n\u201cbouchon\u201d o\u00f9 \u00e9taient les Velrans, ils me ttaient bas leurs \nvestes et leurs \u201cblaudes\u201d et allez- y, \u00e7a commen\u00e7ait. \n\u00ab Les tables , les bancs, l es chaises, les verres, les \nbouteilles, tout sautait, tout dansait, tout volait, tout \nronflait. On cognait \u00e0 un bo ut, pan ! par-ci, pan ! par-\nl\u00e0 ! \u00e0 grands coups de pieds et de poings, de tabourets et \nde litres ; tout \u00e9tait bi ent\u00f4t cass\u00e9, les chandelles \nroulai ent et s\u2019\u00e9t eignai ent ; on cognait quand m\u00eame dans \nla nuit, on roulait sur les te ssons de bouteilles et les \nd\u00e9bris de verre, le sang cou lait comme du vin et quand \non n\u2019y voyait plus rien, rien du tout, qu\u2019il y en avait \ndeux ou trois qui r\u00e2laient et criaient mis\u00e9ricorde, tous \nceux qui pouvaient encor e se tra\u00eener foutai ent le camp. \n\u00ab Il y en avait touj ours un ou deux de cab\u00e9s1, il y en \navait des \u00e9borgn\u00e9s, des autr es qu\u2019avaient les bras \ncass\u00e9s, les guibolles \u00e9reint \u00e9es, le nez \u00e9crabouill\u00e9, les \noreilles arrach\u00e9es ; quant \u00e0 sa voir celui ou ceusses qui \navaient tu\u00e9, jamais, jamais on ne l\u2019 a su et tous les ans, \npendant cent ans et plus , il y en a eu au moins un \nd\u2019esquint\u00e9 par f\u00eate patronale. \n\u00ab Quand il n\u2019y avait point de morts, nos vieux \n \n1 Tu\u00e9s. \n 315disaient : Nous n\u2019avons pas bien fait la f\u00eate ! \n\u00ab C\u2019\u00e9taient des bougr es, et tous y allai ent, tous s e \nbattaient, les jeunes comme les vieux ; c\u2019\u00e9tait le bon \ntemps ; plus tard \u00e7a n\u2019a plus \u00e9t\u00e9 que les conscrits qui se \nrossaient le jour du tirage au sort et du conseil de \nr\u00e9vision, et maintenant... maintenant il n\u2019y a plus que \nnous pour d\u00e9f endre l\u2019hon neur de Longeverne. C\u2019est \ntriste d\u2019 y songer ! \u00bb \nLes yeux, dans la f um\u00e9e bl eue des cigares de \ncl\u00e9matit e, flamboyai ent comme les tisons du foyer. L e \nconteur, tr\u00e8s excit \u00e9, continua : \n\u2013 Et puis \u00e7a n\u2019 est pas l \u00e0 toute l\u2019affaire. \n\u00ab Non, le plus beau de l\u2019hist oire et le plus rigolo, \u00e7a \na \u00e9t\u00e9 le p\u00e8l erinage \u00e0 la S ainte Vierge de Ranguell e ; \nRanguell e... vous savez, c\u2019 est la chapelle qui se trouve \ndu c\u00f4t\u00e9 de Baume, derri\u00e8r e le bois de Vaudrivillers. \n\u00ab Vous vous r appel ez, c\u2019 est l\u00e0 que nous sommes \nall\u00e9s l\u2019ann\u00e9e derni\u00e8re avec le cur\u00e9 et la vieille Pauline : \nc\u2019\u00e9tait au moment des z\u2019hanne tons ; on en secouait tout \nle long du bois et on les me ttait sur la soutane du \u201cnoir\u201d \net sur l a caul e1 de la vieille. Ils \u00e9taient tout fleuris de \n\u201ccancoines\u201d qui gonflaient le urs ail es pour s \u2019essayer et \nqui partaient de temps en te mps en zonzonnant. C\u2019\u00e9tait \n \n1 Coiffe, bonnet tuyaut\u00e9. \n 316bien rigolo. \n\u00ab Oui, mes amis, eh bien ! un jour du vieux temps, \nau moment o\u00f9 l\u2019her be allai t devenir bonne \u00e0 faucher et \n\u00e0 rentrer, les Longevernes, conduits par leur cure, s\u2019 en \nsont tous all\u00e9s, hommes, femme s et enfants, en \np\u00e8lerinage \u00e0 la Notre-Dame de Ranguelle demander \u00e0 la \nSainte Vierge qu\u2019elle leur fasse avoir du soleil pour \nbien faire les foins. \n\u00ab Malheureusement, le m\u00eame jour, le cur\u00e9 de \nVelrans avait d\u00e9cid\u00e9 de conduir e ses oi es, \u2013 c\u2019 est \ncomme \u00e7a qu\u2019on dit, je croi s... \n\u2013 Non, c\u2019 est ses oilles1, recti fia Camus. \n\u2013 Ses oilles, alors, si tu veux, reprit La Crique, \u00e0 la \nm\u00eame S ainte Vi erge, pass e que y en a pas des chi \u00e9es de \nsaintes vierges dans le pays, a vec tous les trucs de saint \nsacrement et autr es fourbis : eux i ls voul aient de la \npluie pour leurs choux qui ne t\u00e9taient pas... \n\u00ab Alors bon ! les voil\u00e0 partis de bonne heure, le cur\u00e9 \nen t\u00eate avec ses surplis et son calice, les servants avec le \ngoupillon et l\u2019ostensoir, le ma rguillier avec ses livres de \nKyrie ; derri\u00e8r e eux venaient l es goss es, puis l es \nhommes et pour fi nir les gamines et les f emmes. \n\u00ab Quand les Longevernes ont pass\u00e9 le bois, qu\u2019est-\n \n1 C\u2019est : ouailles, que voulait dire Camus. \n 317ce qu\u2019ils voient ? \n\u00ab Pardi\u00e9 ! toute cette bande de grands d\u00e9pendeurs \nd\u2019andouil les de Velrans qui beugl aient des l itanies en \ndemandant de l\u2019eau. \n\u00ab Vous pens ez si \u00e7a l eur a f ait plais ir aux \nLongevernes, eux qui vena ient justement pour \ndemander du soleil. \n\u00ab Alors, ils se sont mis de tout es leurs f orces \u00e0 \ngueuler les pri\u00e8res qu\u2019il fa ut dire pour avoir le beau \ntemps, tandis que les autres r\u00e2laient comme des veaux \npour avoir la pl uie. \n\u00ab Les Longevernes ont voulu arriver les premiers et \nils ont allong\u00e9 le pas ; quand les Velrans s\u2019en sont \naper\u00e7us ils se s ont mis \u00e0 courir. \n\u00ab Il n\u2019 y avait plus bien loin pour arriver \u00e0 la \nchapell e, peut- \u00eatre deux cents camb\u00e9es1, alors ils ont \ncouru eux aus si ; puis ils se sont regard\u00e9s de travers : ils \nse sont trait\u00e9s de feignants, de voleurs, de salauds, de \npourri s et, de plus en plus, l es deux bandes se \nrappr ochaient. \n\u00ab Quand les hommes n\u2019ont pl us \u00e9t\u00e9 qu\u2019\u00e0 dix pas les \nuns des autr es, ils ont comm enc\u00e9 \u00e0 se menacer, \u00e0 se \nmontr er le poing, \u00e0 se bour rer des quinquets comme des \n \n1 Enjam b\u00e9es. \n 318matous en chal eur, puis les femme s se sont amen\u00e9es \nelles aussi ; elles se sont trait\u00e9es de gourmandes, de \nrouleus es, de vaches, de puta ins, et les cur\u00e9s aussi, mes \nvieux, se regardaien t d\u2019un sale oeil. \n\u00ab Alors tout le monde a commenc\u00e9 par r amasser des \ncailloux, \u00e0 couper des triques, et on se les lan\u00e7ait \u00e0 \ndistance. Mais \u00e0 force de s\u2019ex citer en gueulant, la rage \nles a pris et ils se sont to mb\u00e9s dessus \u00e0 grands coups et \nils se sont mis \u00e0 taper avec t out ce qui leur tombait sous \nla main : pan, \u00e0 coups de s ouliers ! pan, \u00e0 coups de \nlivres de messe ! Les femmes piaillaient, les gosses \nhurlai ent, les hommes juraient comme des chiff onniers : \nah ! vous voul ez de la pl uie, tas de cochons, on vous en \nfoutra ! Et pan par-ci et a\u00efe donc par-l\u00e0... Les hommes \nn\u2019avaient plus d\u2019habits , les femmes avaient leur s jupes \n\u201craval\u00e9es\u201d, leurs caracos d\u00e9chir\u00e9 s, et le plus dr\u00f4le c\u2019est \nque les cur\u00e9s, qui ne se gobaient pas non plus, comme \nje vous l\u2019ai dit, apr\u00e8s s\u2019\u00eat re maudits l\u2019un l\u2019autre et \nmenac\u00e9s du tonnerre du diable , se sont mis \u00e0 cogner \neux auss i. Ils ont mis bas leurs surplis, trouss\u00e9 leurs \nsoutanes, et all ez donc, comm e de bons bougres, apr\u00e8s \ns\u2019\u00eatre engueul\u00e9s comme des artilleurs, beugn\u00e9s \u00e0 coups \nde pi eds, lanc\u00e9s des caill oux, tir\u00e9 les poils, quand ils \nn\u2019ont pl us su sur quoi tomber, ils se sont foutu leur s \ncalices et leurs bons di eux par la gueule ! \u00bb \n\u00c7a a d\u00fb \u00eatre rudement bien , tout de m\u00eame, songeait \n 319Lebrac, tr\u00e8s \u00e9mu. \n\u2013 Et qui est- ce qui a eu raison aupr \u00e8s de la Notr e-\nDame ? c\u2019est-y les Velrans ou les Longevernes ? Est-ce \nqu\u2019ils ont eu le soleil ou bi en la pluie ? \n\u2013 Pour s\u2019en venir , acheva L a Crique \nnonchalamment, ils ont tous eu la gr\u00eale ! \n 320 \n \nQuerelles intestines \n \nCe n\u2019est que dans le sang qu\u2019on lave un tel outrage. \nCorneille (Le Ci d, acte I, sc. IV). \n \nC\u2019\u00e9tait l\u2019heure de l\u2019entr\u00e9e da ns la cour de l\u2019\u00e9cole, ce \nvendr edi mati n. \n\u2013 Ce qu\u2019on s\u2019est bien amus \u00e9 hier , tout de m\u00eame ! \n\u2013 Tu sais que Ti gibus a d\u00e9gu eul\u00e9 tout le long du mur \ndes Menelots , en s\u2019en r etournant. \n\u2013 Ah ! Guerr euillas aus si ; il a s\u00fbr ement tout \nrecrach\u00e9 ses patates et son pa in, pour quant aux sardines \net au chocolat on ne sait pas. \n\u2013 C\u2019est les cigares ! \n\u2013 Ou bi en la goutt e ! \n\u2013 Tout de m\u00eame, quelle belle f\u00eate ! Faudra t\u00e2cher de \nrecommencer le mois prochain. \nAinsi, dans le recoin du fond qu\u2019abritait la grange \ndu p\u00e8re Gugu, Lebrac, Grang ibus, Tintin et Boul ot \ncontinuaient \u00e0 se cong ratuler et se f\u00e9liciter et se loue r de \nla fa\u00e7on admirable dont ils avaient pass\u00e9 leur apr\u00e8s-\n 321midi du jeudi. \n\u00c7\u2019avait \u00e9t\u00e9 vrai ment tr\u00e8s bien, puis qu\u2019en s\u2019 en \nretour nant ils \u00e9tai ent t ous aux tr ois quart s saouls et \nqu\u2019une bonne demi-douzaine s\u2019 \u00e9taient trouv\u00e9s en proie \n\u00e0 un chavirant mal au coeur qui l es avait contr aints \u00e0 \ns\u2019arr\u00eater et s\u2019 asseoir n\u2019impo rte o\u00f9, sur un mur, sur une \npierre, \u00e0 terre, le cou te ndu, la langue p\u00e2teuse, \nl\u2019estomac en r\u00e9volution. \nOn causait de ces joies pe rdurables et pures qui \ndevaient hanter longtemps les m\u00e9moir es vier ges et \nsensibles, quand de grands cr is de rage accompagn\u00e9s de \ngifles sonores et suivis d\u2019 injures violentes attir\u00e8rent \nl\u2019attention de tout le monde. \nOn se pr\u00e9cipita vers le coin d\u2019o\u00f9 venait le bruit. \nCamus, de la main gauch e tenant Bacaill\u00e9 par la \ntignasse, le calottait de l\u2019au tre pui ssamment, tout en lui \nhurlant aux oreilles qu\u2019il n\u2019 \u00e9tait qu\u2019 un sal e sour nois et \nun foutu sal aud, et il l ui en fichait, le gars, pour lui \napprendre, disait-il, \u00e0 ce cochon-l\u00e0 ! \nLui apprendre quoi ? Nu l des grands ne savait \nencore. \nLe p\u00e8re Simon arrivant en h\u00e2te, attir\u00e9 par le bruit des \ngifles et les injures des deux bellig\u00e9rants, commen\u00e7a \npar les s\u00e9parer de force et \u00e0 les planter devant lui, un au \nbout de son br as droit , l\u2019autre au bout de son br as \n 322gauche, puis , pour cal mer toute vell\u00e9it \u00e9 de r\u00e9volt e, \u00e0 \nleur flanquer \u00e9quitablement et \u00e0 chacun une retenue ; \nensuite de quoi, assur\u00e9 pour son compt e, apr\u00e8s ce coup \nde force, d\u2019 avoir la pai x, il voul ut bien conna\u00eetr e les \ncauses de cette subite et violente quer elle. \nUne r etenue \u00e0 Camus ! pens ait Lebrac. C omme \u00e7a \ntombe bi en ! On a just ement besoin de lui ce soir. Les \nVelrans vont veni r et on ne ser a pas de trop. \n\u2013 J\u2019ai toujours pens\u00e9, qua nt \u00e0 moi, rappel a Tinti n, \nque ce sale bancal jouerait un vil ain tour \u00e0 Camus un \njour ou l\u2019 autre. Mon vi eux, au f ond, c\u2019est par ce qu\u2019il est \njaloux de la T avie et qu\u2019 elle se fout de s a fiole. \n\u00ab Depui s longt emps d\u00e9j \u00e0 il cherche \u00e0 emb\u00eater \nCamus et \u00e0 le faire punir. Je l\u2019ai bien vu et La Crique \naussi, y avait pas besoin d\u2019\u00eatre sorcier pour le \nremarquer. \n\u2013 Mais pourquoi se sont- ils donc attrap\u00e9s comme \n\u00e7a ? \nUn petit rens eigna di scr\u00e8tement Lebr ac et ses \nf\u00e9aux... Tous \u00e9taient d\u2019ai lleurs d\u2019avance convaincus \nque, dans cette affaire, Camu s avait raison ; ils l\u2019\u00e9taient \nd\u2019autant plus que l e lieut enant avait tout e leur \nsympathi e et qu\u2019il \u00e9tait n\u00e9cess aire \u00e0 la bande ce soir -l\u00e0 ; \naussi, spontan\u00e9ment, song\u00e8 rent-ils \u00e0 tenter avec \nensemble une manifestation en sa faveur et \u00e0 prouver \n 323par leur t\u00e9moignage que, en l\u2019occurrence, Bacaill\u00e9 avait \ntous l es torts, tandis que s on rival \u00e9t ait innocent comme \nle cabri qui vient de na\u00eetre. \nAinsi, l e p\u00e8re Si mon, f orc\u00e9 dans ses sentiments \nd\u2019\u00e9quit\u00e9 par cet assaut de t\u00e9moi gnages et cett e \nmagnifique manif estation, se devrait, s\u2019il ne voulait pas \nfaire perdre toute confiance en lui \u00e0 ses \u00e9l \u00e8ves et t uer \ndans l\u2019 oeuf leur notion de la justice, d\u2019acqui tter Camus \net de condamner le bancal. \nCe qui s\u2019\u00e9tait pass \u00e9 \u00e9tait bi en simpl e. \nCamus devant tous le dit ca rr\u00e9ment, tout en omett ant \navec prudence certains d\u00e9tails pr\u00e9parat oires qui avaient \npeut-\u00eatre leur importance. \n\u00c9tant aux cabinets avec Ba caill\u00e9, celui-ci lui avait \nd\u2019essequepr\u00e8s1 tra\u00eetreusement piss\u00e9 dessus, injure qu\u2019il \nn\u2019avait, comme de juste, pu tol\u00e9 rer ; de l\u00e0 ce cr\u00eapage de \ntoisons et la s\u00e9rie d\u2019\u00e9pit h\u00e8tes color \u00e9es qu\u2019il avait \nenvoy\u00e9es avec une ra fale de gifl es \u00e0 la face de son \ninsulteur. \nLa chose, en r\u00e9alit\u00e9, \u00e9ta it un peu plus compliqu\u00e9e. \nBacaill\u00e9 et Camus, entr\u00e9s da ns le m\u00eame cabinet pour y \nsatisfaire le m\u00eame besoin, avaient fait conver ger leurs \njets vers l\u2019orifice destin\u00e9 \u00e0 les recueillir. Une \u00e9mulation \n \n1 Expr\u00e8s, volontairem ent. \n 324naturelle avait jailli sponta n\u00e9ment de cet acte simple \ndevenu jeu... C\u2019\u00e9tait Baca ill\u00e9 qui avait affirm\u00e9 sa \nsup\u00e9riorit\u00e9 : il cherch ait rogne \u00e9videmment. \n\u2013 Je vais plus loin que t oi, avait-il fait remarquer. \n\u2013 \u00c7a n\u2019est pas vrai , ripost a Camus , fort de sa bonne \nfoi et de l\u2019exp\u00e9rience des faits. Et lors, tous deux, \nhauss\u00e9s sur la pointe des pieds, bombant le ventre \ncomme un baril, s\u2019\u00e9t aient mut uellement ef forc\u00e9s \u00e0 se \nsurpasser. \nAucune preuve convaincante de la sup\u00e9riorit\u00e9 de \nl\u2019un d\u2019eux n\u2019\u00e9tant jaillie avec les jets de cette rivalit\u00e9, \nBacaill\u00e9, qui voulait avoir sa querelle, trouva autre \nchose. \n\u2013 C\u2019est la mienne qu\u2019est la plus grande, affirma-t-il. \n\u2013 Des n\u00e9f\u2019es ! rip osta Camus, c\u2019est la mienne ! \n\u2013 Menteur ! M esurons. \nCamus s e pr\u00eata \u00e0 l\u2019examen. Et c\u2019\u00e9t ait au moment de \nla comparaison que Bacaill\u00e9 , gardant en r\u00e9serve une \npartie de ce qu\u2019il aurait d\u00fb l\u00e2cher pr\u00e9c\u00e9demment, \ncompissa aigrement et tra\u00eetr euseme nt la main et le \npantalon de Camus, s ans d\u00e9fense. \nUne gifl e bien appliqu\u00e9e av ait suivi cette ouverture \nsal\u00e9e des hostilit\u00e9s, puis vinrent sans d\u00e9lai la \nbousculade, le cr\u00eapage des tignasses , la chut e des \n 325casquettes, le d\u00e9foncement de la porte et le s candal e de \nla cour. \n\u2013 Sale salaud ! d\u00e9go\u00fbtant ! fumier ! r\u00e2lait Camus, \nhors de l ui. \n\u2013 Assassin ! ripostait Bacaill\u00e9. \n\u2013 Si vous ne vous taisez pa s tous les deux, je vous \ncolle \u00e0 chacun huit pages d\u2019 histoir e \u00e0 copi er et \u00e0 r\u00e9cit er \net quinze jours de retenue. \n\u2013 M\u2019si eu, c\u2019est lui qu\u2019a com menc\u00e9, j\u2019lui faisas rien, \nmoi, j\u2019lui disais ri en \u00e0 ce... \n\u2013 Non, m\u2019sieu ! c\u2019est pas vrai ; c\u2019est lui qui m\u2019a dit \nque j\u2019 \u00e9tais un menteur . \nCela devenait \u00e9pineux et d\u00e9licat. \n\u2013 Il m\u2019a piss\u00e9 dessus, re prenait Camus. Je ne \npouvais pourt ant pas le lai sser faire. \nC\u2019\u00e9tait le moment d\u2019intervenir. \nUn oh ! g\u00e9n\u00e9r al d\u2019 exclamati on d\u00e9go\u00fbt\u00e9e et \nd\u2019unanime r\u00e9probation prouva au joyeux grimpeur et \nlieutenant que toute la tr oupe prenait son parti, \ncondamnant le boiteux sourno is, fielleux et rageur qui \navait cherch\u00e9 \u00e0 l e faire punir. \nCamus, comprenant bien le sens de cette \nexclamat ion, s \u2019en remett ant \u00e0 la haute justice du ma\u00eetre, \ninfluenc\u00e9 d\u00e9j\u00e0 par les t\u00e9 moignages spontan\u00e9s des \n 326camarades, s\u2019\u00e9cria noblement : \n\u2013 M\u2019sieu, je veux rien di re, moi, mais demandez-\nleur-z-y aux autr es si c\u2019 est pas vrai que c\u2019 est lui qu\u2019 a \ncommenc\u00e9 et que j\u2019y avais rien fait et que j\u2019 y avais pas \ndit de noms. \nTour \u00e0 tour, Tintin, La Crique, Lebrac, les deux \nGibus confir m\u00e8rent les di res de Camus et n\u2019eurent pas \nassez de termes \u00e9nergiques congruents pour fl\u00e9trir \nl\u2019acte malpr opre et de mauvai se camaraderi e de \nBacaill\u00e9. \nPour se d\u00e9fendre, ce der nier les r\u00e9cusa, all\u00e9guant \nleur absence du lieu du conflit au moment o\u00f9 il \n\u00e9clatait ; il insist a m\u00eame sur l eur \u00e9loi gnement et l eur \nisolement suspects dans un co in retir\u00e9 de la cour. \n\u2013 Demandez aux petits, al ors, m\u2019sieu, r\u00e9pliqua \nvertement Camus, demandez-l eur-z-y, eux il s \u00e9tai ent l\u00e0, \npeut- \u00eatre. \nLes petits, individuellement interpell\u00e9s, r\u00e9pondirent \ninvariablement : \n\u2013 C\u2019est comme C amus dit, que c\u2019 est vrai, B acaill\u00e9 a \ndit des ment es1. \n\u2013 C\u2019est pas vr ai, c\u2019est pas vrai, pr otest a l\u2019accus \u00e9 ; \nc\u2019est pas vrai et puisque c\u2019est \u00e7a je veux dir e tout, na ! \n \n1 Mentes pour m enteries ou m ensonges. \n 327Lebrac fut \u00e9nergique et prit les devants. \nIl se campa r\u00e9sol ument devant lui, \u00e0 la barbe du p\u00e8re \nSimon intrigu\u00e9 de ces petits myst\u00e8res, et, fixant Bacaill\u00e9 \nde ses yeux de l oup, il lui rugit \u00e0 la face, le d\u00e9fi ant de \ntoute sa personne : \n\u2013 Dis-le donc un peu ce que tu as \u00e0 dire, ment eur, \nsalaud, d\u00e9go\u00fbtant, dis-le, si tu n\u2019es pas un l\u00e2che ! \n\u2013 Lebrac, interrompit le ma \u00eetre, si vous ne mod\u00e9rez \npas vos expressions, je vou s punirai vous aussi. \n\u2013 Mais, m\u2019si eu, r\u00e9pli qua le chef, vous le voyez bien \nque c\u2019est un menteur ; qu\u2019il le dise si on lui a jamais fait \ndu mal ! Il cher che encor e quelles menteries il pourrait \nbien inventer cette sale cabe-l\u00e0 ; quand il ne fait pas le \nmal, il le pense. \nDe fait, Bacaill\u00e9, m\u00e9dus\u00e9 pa r les regards, les gestes, \nla voix et toute l\u2019attitude du g\u00e9n\u00e9ral, restait l\u00e0 muet et \nconfondu. \nUn court instant de r\u00e9flexion lui permit d e se rendre \ncompte que s es aveux et d\u00e9nonciations, m\u00eame s\u2019ils \n\u00e9taient pris au s\u00e9rieux, ne pouvaient en d\u00e9finitive que \nfaire corser sa punition, et, somme toute, il n\u2019y tenait \npoint. \nIl jugea donc bon de changer d\u2019attitude. \nPortant les mains \u00e0 ses yeux , il se mit \u00e0 pleurnicher, \n 328\u00e0 larmoyer, \u00e0 sangloter, \u00e0 parler en ph rases \nentrecoup\u00e9es, \u00e0 se plaindre de ce que, parce qu\u2019il \u00e9tait \nfaible et infirme, les autres se moquaient de lui, lui \ncherchaient querel le, l\u2019inj uriaient, le pin\u00e7ai ent dans les \ncoins et le bous culaient \u00e0 ch aque entr\u00e9e et \u00e0 toutes les \nsorties. \n\u2013 Par exemple ! Si c\u2019est permis ! rugissait Lebrac. \nAutant dire qu\u2019on est des sa uvages, des assassins ; dis \ndonc, mais dis -le o\u00f9 et quand on t\u2019a dit \u00ab qu\u00e9que \u00bb \nchose de vesxant1, quand c\u2019est-y qu\u2019on t\u2019a emp\u00each\u00e9 de \njouer avec nous ? \n\u2013 C\u2019est bon, concl ut le p\u00e8r e Simon, \u00e9difi \u00e9 et press\u00e9 \npar l\u2019heure, je verrai ce que j\u2019ai \u00e0 faire. Bacaill\u00e9, en \nattendant, aura sa retenu e ; quant \u00e0 Camus, tout \nd\u00e9pendr a de l a fa\u00e7on dont il se comportera pendant la \nclasse d\u2019 aujourd\u2019hui. \n\u00ab D\u2019ailleurs huit heures sonnent. Mettez-vous en \nrangs , vivement et en sil ence. \nEt il frappa plusieurs fois de suite dans ses mains \npour confirmer ce t ordre verbal. \n\u2013 Sais-tu tes le\u00e7ons ? de manda Tintin \u00e0 Camus. \n\u2013 Oui, oui ! mais pas trop ! Dis \u00e0 La Crique de me \nsouffler quand m\u00eame, hein ! s\u2019il le peut. \n \n1 Vexant. \n 329\u2013 M\u2019sieu, fit d\u2019une voix rogue Bacaill\u00e9, ils me disent \ndes noms , les Gibus et L a Crique ! \n\u2013 Quoi ? Qu\u2019 est-ce qu\u2019il y a ! \n\u2013 Ils me disent : vache espagnole ! boquezizi ! \npeigne... \n\u2013 C\u2019est pas vrai, m\u2019sieu, c\u2019est pas vrai, c\u2019est un \nmenteur, on l\u2019a \u00e0 peine \u00ab ergard\u00e9 \u00bb, ce menteur-l \u00e0 ! \nIl faut croire que les regards \u00e9taient \u00e9loquents. \n\u2013 Allons, fit le ma\u00eetre d\u2019un ton sec, en voil\u00e0 assez ; \nle premi er qui r edira quel que chos e et qui r eviendra sur \nce sujet me copi era deux f ois d\u2019un bout \u00e0 l\u2019autre la liste \ndes d\u00e9partements avec les pr\u00e9fectures et sous-\npr\u00e9fect ures. \nBacaill\u00e9, \u00e9tant englob\u00e9 dans cette menace de \npunition qui ne se confondait pas avec la retenue, se \nr\u00e9solut momentan\u00e9ment \u00e0 se ta ire, mais il se jura bien, \nlorsqu\u2019elle se pr\u00e9senterait, de ne pas perdre l\u2019occasion \nde se venger. \nTintin avait communiqu\u00e9 \u00e0 La Criq ue le voeu de \nCamus, lui souffler, consig ne presque inutile puisque \nLa C rique \u00e9tait tr\u00e8s \u00e9qui tablement, comme on l\u2019a vu \nd\u00e9j\u00e0, le souffleur attitr\u00e9 de toute la classe. Camus plus \nque jamais pouvait compter su r lui. \nLe lieutenant et grimpeur, contrairement \u00e0 \n 330l\u2019habit ude, y sauta en arithm\u00e9ti que. \nIl avait pris dans son li vre quelque teinture de la \nmati\u00e8re de l a le\u00e7on et r \u00e9pondait tant bien que mal, \nvigoureusement second\u00e9 pa r La Crique, dont la \nmimi que expr essive corr igeait ses d\u00e9faillances de \nm\u00e9moi re. \nMais Bacaill\u00e9 veillait. \n\u2013 M\u2019si eu, y a L a Crique qui lui souffle. \n\u2013 Moi ! fit La Crique indign\u00e9, je n\u2019ai pas dit un mot. \n\u2013 En effet, je n\u2019ai ri en entendu, af firma le p\u00e8r e \nSimon, et je ne suis pas sourd. \n\u2013 M\u2019sieu, c\u2019est avec ses doigts qu\u2019il lui souffl e, \nvoulut expliquer Bacaill\u00e9. \n\u2013 Avec ses doigts ! reprit le ma\u00eetre, ahuri. Bacaill\u00e9, \nscanda-t- il magi stralement, j e cr ois que vous \ncommencez \u00e0 m\u2019\u00e9chauffer les oreilles. Vous accus ez \u00e0 \ntort et \u00e0 travers tous vos camarades quand personne ne \nvous demande ri en. Je n\u2019 aime pas les d\u00e9nonciateurs, \nmoi ! Il n\u2019y a que quand je demande qui a fait une faute \nque le coupable doit me r\u00e9 pondre et se d\u00e9noncer. \n\u2013 Ou pas, compl\u00e9t a \u00e0 voi x basse L ebrac. \n\u2013 Si je vous entends encor e, et c\u2019est mon dernier \navertissement, je vous en mets pour huit jours ! \n 331\u2013 Bis que, bisque, enrage ! rancus eur1 ! sale cafard ! \nmarmottait \u00e0 voix basse Ti gibus en lui faisant les \ncornes. Tra\u00eetre ! judas ! vendu ! peigne-cul ! \nBacaill\u00e9, pour qui d\u00e9cid\u00e9me nt cela tournait mal, \nravalant en silence sa rage, se mit \u00e0 bouder, la t\u00eate dans \nles mains. \nOn le laissa ainsi et l\u2019on poursuivit la le\u00e7on, tandis \nqu\u2019il ruminait ce qu\u2019il pourrait bien f aire pour se venger \nde ses camarades qui, du coup, allaient fort \nprobablement le mettre en qua rantaine et le bannir de \nleurs jeux. \nIl songea, il imagina des ve ngeances folles, des pots \nd\u2019eau jet \u00e9s en pl eine fi gure, des gicl\u00e9es d\u2019encre sur les \nhabits, des \u00e9pi ngles plant\u00e9es sur les bancs pour de petits \nempalages, des livres d\u00e9chir \u00e9s, des cahier s torchonn\u00e9s ; \nmais peu \u00e0 peu, la r\u00e9flexio n aidant, il abandonna chacun \nde ces projets, car il conve nait d\u2019agir avec prudence, \nLebrac, Camus et les aut res n\u2019 \u00e9tant poi nt des gaill ards \u00e0 \nse laisser faire sans fr apper dur et cogner sec. \nEt il attendit les \u00e9v\u00e9nements. \n \n1 Rancuseur : d\u00e9nonciateur. \n 332 \n \nL\u2019honneur et la culotte de Tintin \n \nDieu et ta D ame ! \n(Devise des anciens chevaliers.) \n \nOn se battait ce soir-l\u00e0 \u00e0 la Saute. Le tr \u00e9sor gonfl \u00e9 \nde boutons de toutes sortes et de toutes tailles, d\u2019agrafes \nmultiples, de cordons dive rs, d\u2019\u00e9pingles complexes, \nvoire d\u2019une magnifique pair e de bret elles (celles de \nl\u2019Aztec, parbleu !) donnait confiance \u00e0 tous, stimulait \nles \u00e9nergies et ravivait les audaces. \nCe fut le jour, si l\u2019on peut dire, des initiatives \nindividuelles et des corps \u00e0 corps, \u00e0 coup s\u00fbr plus \ndangereux que les m\u00eal\u00e9es. \nLes camps, \u00e0 peu pr\u00e8s d\u2019 \u00e9gale force, avaient \ncommenc\u00e9 la bataille par le du el collectif de cailloux, et \npuis, ces munit ions manquant, d\u2019 enjamb\u00e9es en \nenjamb\u00e9es, de s auts en av ant en sauts en avant, on \ns\u2019\u00e9tait tout de m\u00eame af front\u00e9 et col let\u00e9. \nCamus saboulait (il disait sagoulait) Touegueule, \nLebrac \u00ab cerisait \u00bb l\u2019Aztec, le reste \u00e9tait occup\u00e9 avec \ndes guerr iers de moindr e enverg ure, mais Tintin, lui, se \n 333trouvait \u00eatre aux prises av ec Tatti, un grand \u00ab conot \u00bb \nqui \u00e9tait b\u00eate comme \u00ab trente-six cochons mari\u00e9s en \nseconde noce \u00bb, mais qui, de ses longs bras de pieuvre, \nle paralysait et l\u2019\u00e9touffait. \nIl avait beau lui enfoncer ses poings dans le ventr e, \nlui lancer des crocs-en-j ambe \u00e0 faire tr\u00e9bucher un \n\u00e9l\u00e9phant (un petit), lui bourre r le menton de coups de \nt\u00eate et les chevilles de coups de sabots, l\u2019autre, patient \ncomme une bonne br ute, l\u2019 \u00e9treignait par le milieu du \ncorps , le serr ait comme un boudin et le pliait, le \nbalan\u00e7ait , tant et s i bien que, vl an ! ils bas cul\u00e8rent enfi n \ntous deux, lui dessus, Tintin dessous, parmi les groupes \ns\u2019entrecognant \u00e9pars sur le champ de bataille. \nLes vainqueurs, dessus, grognaient, mena\u00e7ants, \ntandis que les vaincus, parmi lesquels Tintin, silencieux \npar fi ert\u00e9, tapaient comme des sourds aus si fort que \npossible chaque fois qu\u2019ils le pouvaient et n\u2019importe o\u00f9 \npour reconqu\u00e9rir l\u2019avantage. \nEmmener un pris onnier da ns l\u2019un ou l\u2019autre camp \nsembl ait diffi cile s inon i mpossi ble. \nCeux qui \u00e9taient debout se boxaient comme des \nlutteurs, se garant de droi te, se gardant \u00e0 gauche, et \nceux qui \u00e9tai ent \u00e0 terr e y \u00e9t aient bien ; au r este, chacu n \navait assez \u00e0 faire \u00e0 se d\u00e9p\u00eatrer soi-m\u00eame \nTintin et Tatti \u00e9taient pa rmi les plus occup\u00e9s. \n 334Enlac\u00e9s sur le sol, ils se mordaient et se boss elaient, \nroulant l\u2019un sur l\u2019autre et pa ssant alternativ ement, apr\u00e8s \ndes eff orts plus ou moins longs, t ant\u00f4t des sus, tant\u00f4t \ndessous . Mais ce que Ti ntin, ni l es autr es Longevernes, \nni les Velrans eux-m\u00eames trop pr\u00e9occup\u00e9s ne voyaient \npoint, c\u2019est que cet idiot de Tatti, qui n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre \npas tout \u00e0 fait aussi b\u00eat e qu\u2019 on ne l \u2019imagi nait, \ns\u2019arrangeait toujours pour fa ire rouler Tintin ou pour \nrouler lui-m\u00eame du c\u00f4t\u00e9 de la lisi\u00e8re du bois, s\u2019isolant \nainsi de plus en plus des au tres groupes bellig\u00e9rants aux \nprises par le champ de bataille. \nIl arriva ce qui devait arrive r, et le duo Tatti-Tintin \nfut bient \u00f4t, sans que l e Longeverne dans le feu de \nl\u2019action s\u2019en f\u00fbt aper\u00e7u le moins du monde, \u00e0 cinq ou \nsix pas du camp de Velr ans. \nLe premier coup de cloch e annon\u00e7ant la pri\u00e8re, \nsonnant \u00e0 on ne sait quelle paroisse, ayant \ninstantan\u00e9ment d\u00e9sagr\u00e9g\u00e9 les groupes, les Velrans \nregagnant leur lisi\u00e8re, n\u2019eu rent pour ainsi dire qu\u2019\u00e0 \ncueillir Tintin gigotant de t ous ses membres, le dos sur \nle sol o\u00f9 le maintena it son tenace adversaire. \nLes Longevernes n\u2019avaient ri en vu de cett e pris e, \nlorsque, se retrouvant au Gr os Buisson et proc\u00e9dant des \nyeux \u00e0 un d\u00e9nombr ement mut uel, ils dur ent bon gr \u00e9 mal \ngr\u00e9 reconna\u00eetre que Tintin manquait \u00e0 l\u2019appel. \nIls pouss\u00e8rent le \u00ab tirouit \u00bb de ralliement. Rien ne \n 335r\u00e9pondit. \nIls cri\u00e8rent, ils hurl\u00e8rent le nom de Tintin, et une \nhu\u00e9e moqueuse parvin t \u00e0 leurs oreilles. \nTintin \u00e9tait chauff\u00e9. \n\u2013 Gambette, commanda Lebrac , cours, cours vite au \nvillage et va dire \u00e0 la Marie qu\u2019elle vienne tout de suite, \nque s on fr\u00e8r e est pris onnier ; toi, Boul ot, va-t\u2019en \u00e0 la \ncabane, d\u00e9fais l\u2019armoire du tr\u00e9sor, et pr\u00e9pare tout ce \nqu\u2019il faut pour le \u00ab rafistolage \u00bb du tr\u00e9sorier ; trouve les \nboutons, enfile l es aiguill\u00e9es de fil afin qu\u2019il n\u2019y ait pas \nde temps de perdu. Ah ! les cochons ! Mais comment \nont-il s fait ? Qui est- ce qui a vu quelque chos e ? C\u2019est \npresque pas pos sible ! \nPersonne ne pouvait r\u00e9pon dre, et pour cause, aux \nquesti ons du chef , nul n\u2019avait rien r emarqu\u00e9. \n\u2013 Faut att endre qu\u2019ils le l\u00e2chent. \nMais Tintin, ligot\u00e9, b\u00e2illonn \u00e9 derri\u00e8re le rideau de \ntaillis de la lisi\u00e8re, \u00e9t ait long \u00e0 revenir. \nEnfin, parmi des cris, des hu\u00e9es et des ronfl ements \nde cailloux, on le vit tout de m\u00eame repara\u00eetre, d\u00e9braill\u00e9, \nses habit s sur s on bras, dans l e m\u00eame appar eil que \nLebrac et l\u2019Aztec apr\u00e8s le urs ex\u00e9cutions respectives, \nc\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 cul nu ou pres que, sa trop courte chemise \nvoilant mal ce qu\u2019il est habitu el de d\u00e9rober d\u2019ordinaire \naux regar ds. \n 336\u2013 Tiens, fit Camus, sans r\u00e9fl \u00e9chir, il leur z- y a \nmontr\u00e9 son derri\u00e8re, lu i aussi. C\u2019est \u00e9patant ! \n\u2013 Comment \u00e7a se fait-il qu\u2019ils l\u2019aient laiss\u00e9 faire et \nqu\u2019ils ne l\u2019aient pas repris ? objecta La Crique qui \nflairait quelque chose de pl us grave. C\u2019est louche ! On \nleur a pourtant appris la fa\u00e7on de s\u2019 y prendre. \nLebrac grin\u00e7a des dents, fr on\u00e7a le nez et fit bouger \nses cheveux, signe de pe rplexit\u00e9 col\u00e9reuse. \n\u2013 Oui, r\u00e9pondit-il \u00e0 La Crique, il y a s \u00fbrement \nquelque chos e de plus . \nTintin se rapprochait, hoqu etant, ravalant sa salive, \nle nez humi de des t erribles efforts qu\u2019il faisait pour \ncontenir ses larmes. Ce n\u2019 \u00e9tait point l\u2019attitude d\u2019un \ngaillard qui vient de jouer un bon t our \u00e0 ses ennemis. \nIl arrivait aussi vite q ue le lui permettaient ses \nsouliers d\u00e9lac\u00e9s. On l\u2019 entoura avec sollicitude. \n\u2013 Ils t\u2019ont fait du mal ! Qui c\u2019est ceusses qui t\u2019ont \ntap\u00e9 dessus ! Dis-le, nom de Dieu, qu\u2019on les rechope \nceux-l\u00e0 ! C\u2019est encore au mo ins ce sale Migue la Lune, \nce foi reux d\u00e9go\u00fbt ant, il es t aussi l\u00e2che que m\u00e9chant. \n\u2013 Ma culotte ! Ma cul otte ! heu ! heue ! Ma culotte ! \ng\u00e9mit Tintin, se d\u00e9gonflant un peu dans une crise de \nsangl ots et de lar mes. \n\u2013 Hei n ! quoi ! ben on te la recoudra, ta culotte ! la \n 337belle affaire ! Gambette est all\u00e9 chercher ta soeur et \nBoul ot pr\u00e9pare le fil. \n\u2013 Heue !... euhe ! Ma cul otte ! M a culott e ! \n\u2013 Viens voir c\u2019te culotte ! \n\u2013 Heue ! Je l\u2019ai pas, ils me l\u2019ont chip\u00e9e, ma culotte, \nles voleurs ! \n\u2013 !... \n\u2013 Oui, l\u2019Aztec a dit comme \u00e7a : Ah ! c\u2019est toi qui \nm\u2019as chi p\u00e9 mon pant alon l\u2019autr e fois, eh ben, mon \nsalaud, c\u2019est le moment de le payer ; change pour \nchange ; t\u2019as eu le \u00ab mienn e \u00bb toi et tes rel\u00e8che-murie \nd\u2019amis, moi je confixe1 celui-ci. \u00c7a nous servira de \ndrapeau. \nEt ils me l\u2019ont pris et apr\u00e8 s ils m\u2019ont tout ch\u00e2tr\u00e9 mes \nboutons et pui s ils m\u2019ont tous f outu leur pi ed au cul. \nComment que je vais faire pour rentrer ? \n\u2013 Ah ! ben m..., zut ! C\u2019 est salement emmerdant \ncette histoire-l\u00e0 ! s \u2019exclama Lebr ac. \n\u2013 T\u2019as-t-y pas des autres \u00ab pat alons \u00bb chez vous ! \ninterrogea Camus. Faut en voyer quelqu\u2019un au-devant \nde Gambett e et faire dire \u00e0 l a Marie qu\u2019ell e t\u2019en \nrapport e un autr e. \n \n1 Confisque. \n 338\u2013 Oui, mais on verrait bi en que c\u2019est pas \u00e7ui que \nj\u2019avais ce matin ; je l\u2019avais justement mis tout propre et \nma m\u00e8re m\u2019a dit que s\u2019il \u00e9tait crott\u00e9 ce soir je saur ais ce \nque \u00e7a me co\u00fbt erait. Qu\u2019e st-ce que je veux dire ? \nCamus eut un grand geste \u00e9vasif et ennuy\u00e9, \n\u00e9voquant les piles paternelle s et les j\u00e9r\u00e9miad es d es \nm\u00e8res. \n\u2013 Et l\u2019honneur ! nom de Dieu ! rugit Lebrac. Vous \nvoulez qu\u2019 on dis e que les Longevernes s e sont l aiss\u00e9 \nchiper la cul otte de Ti ntin tout comme un mer deux \nd\u2019Azt ec des Gu\u00e9s , vous voul ez \u00e7a, vous ? Ah ! non ! \nnom de Dieu ! non ! jamais ! ou bien on n\u2019est rien \nqu\u2019une bande de pignoufs just e bon s \u00e0 servir la messe et \n\u00e0 empiler du bois de rri\u00e8re le fourneau. \nLes autres ouvraient su r Lebrac des yeux \ninterrogateurs ; il r\u00e9pondit : \n\u2013 Il faut reprendr e la cul otte de Tintin, il le faut \u00e0 \ntout prix, quand \u00e7a ne serait que pour l\u2019honneur, ou bien \nje ne veux plus \u00eatre chef, ni me battre ! \n\u2013 Mais comment ? \nTintin, nu-jambes, grelotta it en pleurant au centre de \nses amis. \n\u2013 Voil\u00e0, reprit Lebr ac qui avait r amass \u00e9 ses id\u00e9es et \ncombin\u00e9 son plan : Tinti n va partir \u00e0 la cabane rejoindre \nBoulot et attendre la Mari e. Pendant ce temps-l\u00e0, nous \n 339autres, au triple galop, ave c nos triques et nos sabres , \nnous all ons filer par les champs de la f in dess ous, \nlonger le bas du bois et aller les attendre \u00e0 leur tranch\u00e9e. \n\u2013 Et l a pri\u00e8re ? fit quel qu\u2019un. \n\u2013 Merde pour la pri\u00e8r e ! riposta le chef. Les Velrans \nvont certainement aller \u00e0 le ur cabane, car ils en ont une, \nils en ont s\u00fbrement une ; pendant ce temps-l\u00e0, on a le \ntemps d\u2019 arriver ; on se cal era da ns les rejets de la jeune \ncoupe, le long de la tranch\u00e9e qui descend. \n\u00ab Eux, \u00e0 ce moment-l\u00e0, n\u2019 auront pl us de tri ques, ils \nne se douteront de rien ; alors, \u00e0 mon commande.ment, \ntout d\u2019 un coup, on l eur tombera dessus et on leur \nreprendra bien la culotte. \u00c0 grands coups de trique, \nvous savez, et s\u2019il s font de la rebiffe, cassez-leur-z\u2019y la \ngueule ! \n\u00ab C\u2019est entendu, a llez, en r oute ! \n\u2013 Mais s\u2019ils ont cach\u00e9 la culotte dans leur cabane ? \n\u2013 On verra bi en apr \u00e8s, c\u2019est pas le moment de \ncancaner, et puis y aura to ujours l\u2019honneur de sauv\u00e9 ! \nEt comme rien ne bougeait plus \u00e0 la lisi\u00e8re ennemie, \ntous l es guerri ers valides de Longeverne, entra\u00een\u00e9s par \nle g\u00e9n\u00e9ral, d\u00e9val\u00e8rent co mme un ouragan la pente en \nremblai du coteau de la Saut e, sautant les murgers et les \nbuissons, trouant les haies, franchissant les foss\u00e9s, vifs \ncomme des li\u00e8vr es, h\u00e9ris s\u00e9s et furieux comme des \n 340sangli ers. \nIls long\u00e8rent le mur d\u2019en ceinte du bois et touj ours \ngalopant en silence, en se rasant l e plus possi ble, ils \narriv\u00e8rent \u00e0 la tranch\u00e9e qu i s\u00e9parait les coupes des deux \npays. Ils la remont\u00e8r ent \u00e0 la queue leu leu, vi vement, \nsans br uit et, sur un si gne du chef qui les fit pass er \ndevant et resta en queue , par petits paquets ou \nindividuellement , se bl ottirent dans l es mas sifs de \nbuissons \u00e9pais qui grandi ssaient entre les baliveaux de \nla coupe de Velrans. \nIl \u00e9tait temps vraiment. \nDes profondeurs du taillis une rumeur montait de \ncris, de rires et de pi\u00e9tinem ents ; encore un peu et l\u2019on \ndistingua les voix. \n\u2013 Hein, tra\u00eenait Tatti, que je l\u2019ai bien attrap\u00e9 \u00e7ui-l\u00e0, \nil n\u2019a rien pu. Qu\u2019est-ce qu \u2019il doit faire maintenant \n\u00ab avec sa culotte qu\u2019il n\u2019a plus \u00bb ? \n\u2013 Il pour ra touj ours fair e la colbut e1 sans perdre ce \nqu\u2019il y a dans ses poches. \n\u2013 On va la mettre au bout de la perche, \u00e7a y est-il ? \nEst-elle pr\u00eate, Touegueule, ta perche ? \n\u2013 Attends un peu, je suis en train de \u00ab siver \u00bb les \nnoeuds pour ne pas me \u00ab grafigner \u00bb les mains ; na ! \u00e7a \n \n1 Colbute : culbute. \n 341y est ! \n\u2013 Mets-y les pattes en l\u2019air ! \n\u2013 On va marcher l\u2019un derri \u00e8re l\u2019autre, ordonna \nl\u2019Aztec, et on va chanter not\u2019cantique : s\u2019ils entendent \n\u00e7a les fera bisquer ! \nEt l\u2019Aztec ent onna : \n \nJe suis chr\u00e9tien, voil\u00e0 ma gloire, \nMon esp\u00e9rance... \n \nLebrac avec Camus, tous deux cach\u00e9s dans un \nbuisson un peu plus bas que la tranch\u00e9e du milieu, s\u2019ils \nvoyaient mal l e spect acle, ne perdaient rien des paroles. \nTous leurs soldats, le poin g crisp\u00e9 sur les gourdins, \nrestaient muets comme les souches sur lesquelles ils \n\u00e9taient \u00e0 croppet ons. Le g\u00e9n\u00e9ral, les dents serr \u00e9es, \nregar dait et \u00e9coutait. Qu and les voix des Velrans \nreprirent apr\u00e8s le chef : \n \nJe suis chr\u00e9tien, voil\u00e0 ma gloire... \n \nil m\u00e2cha entre ses dents cette menace : \n 342\u2013 Attendez un peu, nom de Dieu ! je vais vous en \nfoutre, moi, de la gloir e ! \nCependant, triomphante, la troupe arrivait. \nTouegueule en t\u00eate, la cu lotte de Tintin servant \nd\u2019enseigne au bout d\u2019 une grande perche. \nQuand il s furent \u00e0 peu pr \u00e8s tous align\u00e9s dans la \ntranch\u00e9e et qu\u2019ils commenc\u00e8re nt, au r ythme l ent du \ncantique, \u00e0 la descendre, Le brac eut un rugissement \n\u00e9pouvantable comme le cri d\u2019un taureau qu\u2019 on \u00e9gor ge. \nIl se d\u00e9tendit tel un ressor t terriblement band\u00e9 et bondit \nde son buiss on pendant que to us ses soldats, enlev\u00e9s par \nson \u00e9lan, emport\u00e9s par son cri, f on\u00e7aient comme des \ncatapultes sur la muraille d\u00e9sarm\u00e9e des Velrans. \nAh ! cel a ne fit pas un pli. L e bloc vi vant des \nLongevernes, triques sifflant, vint frapper, hurlant, la \nligne ahurie des Ve lrans. To us fu rent culbut\u00e9s du m\u00eame \ncoup et beugn\u00e9s de coups de triques terribles, tandis que \nle chef , mart elant de s es talons Touegueule \u00e9pouvant\u00e9, \nlui reprenait d\u2019un tour de ma in la culotte de son am i \nTintin en jurant effroyablement. \nPuis, en possession du v\u00eatement reconquis avec \nl\u2019honneur, il commanda sans h\u00e9s itation la retraite qui se \nfit en vitesse par cette m\u00eame tranch\u00e9e du milieu que les \nennemis venaient de quitter. \nEt tandis que, piteux et roul \u00e9s une fois de plus, ils se \n 343relevaient, le sous-bois silenc ieux retentissait des rires, \ndes hu\u00e9es et des vertes in jures de Lebrac et de son \narm\u00e9e regagnant leur camp au galop derri\u00e8re la culotte \nreconquise. \nBient\u00f4t ils arriv\u00e8rent \u00e0 la cabane o\u00f9 Gambette, \nBoul ot et Tinti n, ce der nier tr\u00e8s i nquiet sur le sort de \nson pant alon, ent ouraient la Marie qui, de ses doi gts \nagiles, achevait de remettre aux v\u00eat ements de son fr \u00e8re \nles indispensables accessoires dont ils avaient \u00e9t\u00e9 \nrudement d\u00e9pouill\u00e9s. \nLa victime cependant, sa blouse descendue comme \nun jupon par pudeur pour le vois inage de sa soeur , re\u00e7ut \nson pantalon avec des larmes de joi e. \nIl faillit embrasser Lebrac, mais, pour \u00eatre plus \nagr\u00e9abl e \u00e0 son ami, il d\u00e9clara qu\u2019il chargeait sa soeur de \nce soin et il se cont enta de lui affir mer d\u2019 une voix \ntrembl ante encor e d\u2019\u00e9motion qu \u2019il \u00e9tait un vrai fr\u00e8re et \nplus qu\u2019un fr\u00e8re pour lui . \nChacun comprit et appl audit discr\u00e8tement. \nLa Marie Tintin eut sit\u00f4t fa it de remettre \u00e0 la culotte \nde son f r\u00e8re les bout ons qui ma nquaient et on la laissa, \npar prudence, partir seul e un peu en avance. \nEt ce s oir-l\u00e0, l\u2019 arm\u00e9e de Longever ne, apr \u00e8s avoir \npass\u00e9 par de terribles tran ses, rentr a au vil lage \nfi\u00e8rement, aux m\u00e2les accents de la musique de M\u00e9hul : \n 344 \nLa vi ctoire en chantant... \n \nheureuse d\u2019 avoir reconqui s l\u2019honneur et l a culotte de \nTintin. \n 345 \n \nLe tr\u00e9sor pill\u00e9 \n \nLe temple est en ruine au haut du promontoire. \nJ.-M. de Heredia (Les Troph\u00e9es) . \n \nOn n\u2019avait, malgr\u00e9 tout, pas gard\u00e9 rancune \u00e0 \nBacaill\u00e9 de sa querelle avec Camus, non plus que de ses \ntentatives de chantage et de ses vell\u00e9it\u00e9s de cafardage \naupr\u00e8s du p\u00e8re Simon. \nSomme t oute, il avait eu l e dessous, il avait \u00e9t\u00e9 puni. \nOn se gar derait \u00e0 carreau a vec lui et sauf quelques \nirr\u00e9ductibles, dont La Crique et Tintin, le reste de \nl\u2019arm\u00e9e et m\u00eame Camus avait g\u00e9n\u00e9reusement pass\u00e9 \nl\u2019\u00e9ponge sur cette sc\u00e8ne regr ettable, mai s apr\u00e8s tout \nassez habituelle, qui avait fa illi, \u00e0 un moment critique, \nsemer la discorde et la zi zanie au camp de Longeverne. \nMalgr\u00e9 cette attitude tol\u00e9 rante dont il profitait, \nBacaill\u00e9 n\u2019avait point d\u00e9sarm\u00e9. Il avait toujours sur le \ncoeur, sinon sur les joues, les gifles de Camus, la \nretenue du p\u00e8re Simon, le t\u00e9moignage de toute l\u2019arm\u00e9e \n(grands et petits) contre lui et surtout il avait contre \nl\u2019\u00e9claireur et li eutenant de Lebrac la haine que donne \n 346l\u2019affreuse jalousie de l\u2019\u00e9vin c\u00e9 en amour. Et tout cela, \nnon ! il ne le pardonnait pas. \nD\u2019un aut re c\u00f4t \u00e9 il avait r \u00e9fl\u00e9chi qu\u2019il lui serait plus \nfacile d\u2019exercer sur tous le s Longevernes en g\u00e9n\u00e9ral et \nsur Camus en particulier des repr\u00e9sailles myst\u00e9rieuses \net de leur dresser des emb\u00fbches s\u2019il continuait \u00e0 \ncombattre dans leurs rangs. Aussi, sa punition finie, il \nse rapprocha de la bande. \nS\u2019il ne fut pas du combat fameux au cours duquel la \nculotte de Tintin, comme une r edoute c\u00e9l\u00e8bre, fut pris e \net reprise, il ne songea po int \u00e0 s\u2019en pendr e, comme l e \nbrave Crillon, mais il vint \u00e0 la Saute les soirs suivants et \nprit une part modeste et effac\u00e9e aux grands duels \nd\u2019artillerie, ainsi qu\u2019aux assa uts houleux et vocif\u00e9rants \nqui les suiv aient g\u00e9n\u00e9raleme nt. \nIl eut la joie pure de n\u2019 \u00eatre pas pinc\u00e9 et de voir \nprendre tant\u00f4t par les uns, ta nt\u00f4t par les autres, car il les \nha\u00efssait tous, quelques gue rriers des deux partis que \nl\u2019on renvoya ou qui revi nrent en pit eux \u00e9t at. \nIl restait, lui, prudemment \u00e0 l\u2019arri \u00e8re-garde, riant en \ndedans quand un Longeve rne \u00e9tait pinc\u00e9, plus \nbruyamment quand c\u2019 \u00e9tait un Velr ans. Le tr \u00e9sor \nfonctionnait, si l\u2019on peut dire. T out l e monde, et \nBacaill\u00e9 comme les autres, a llait, avant de rentrer, \nd\u00e9pos er les armes \u00e0 l a cabane et v\u00e9rifier l a cagnotte qui, \nselon les victoi res ou les r evers, fluctuait, montait avec \n 347les pris onniers qu\u2019on fais ait, baissait quand il y avait un \nou plusieurs vaincus (c\u2019\u00e9tait rare !) \u00e0 retaper pour la \nrentr\u00e9e. \nCe tr\u00e9sor, c\u2019\u00e9tait la joie, c\u2019\u00e9tait l\u2019orgueil de Lebrac \net des L ongever nes, c\u2019\u00e9t ait leur consolation dans le \nmalheur, leur panac\u00e9e cont re le d\u00e9sespoir, leur \nr\u00e9confort apr\u00e8s le d\u00e9sastre. Bacaill\u00e9 un jour pensa : \n\u00ab Tiens, si je le leur chi pais et que j e le fi che au vent ! \nC\u2019est pour le coup qu\u2019ils en feraient une gueule et \u00e7a \nserait bien tap\u00e9 comme vengeance. \u00bb \nMais Bacaill\u00e9 \u00e9tait prudent . Il songea qu\u2019il pouvait \n\u00eatre vu r\u00f4dant seul de ce c\u00f4t\u00e9, que les soup\u00e7ons se \ndirigeraient naturellement sur lui et qu\u2019alors, oh ! alors ! \nil faudr ait tout cr aindr e de la justice et de la col\u00e8re de \nLebrac. \nNon, il ne pouvait pas lu i-m\u00eame pr endre le tr\u00e9sor. \nSi je caf ardais \u00e0 mo n p\u00e8re ? pensa-t-il. \nAh ! oui ! ce serait encore pis. On saurait tout de \nsuite d\u2019 o\u00f9 partait le coup et moins que jamais il \n\u00e9chappait au ch\u00e2timent. \nNon, ce n\u2019\u00e9tait pas cela ! \nPourt ant, et son es prit et sa pens \u00e9e sans cesse y \nrevenai ent, c\u2019 \u00e9tait l\u00e0 qu\u2019il fa llait frapper, il le sentait \nbien, c\u2019\u00e9tait par l\u00e0 qu\u2019il les atteindrait au vif. \n 348Mais comment ? comment ? voil\u00e0 !... \nApr\u00e8s tout, il avait le te mps : l\u2019occasion s\u2019offrirait \npeut- \u00eatre tout e seule. \nLe jeudi suivant, de bon ma tin, le p\u00e8re de Bacaill\u00e9 \naccompagn\u00e9 de son fils partit \u00e0 la foire \u00e0 Baume. Sur le \ndevant de la voiture \u00e0 planche s \u00e0 laquelle on avait att el\u00e9 \nBichette, la vieille jument, ils s\u2019install\u00e8rent sur une \nbotte de paill e dis pos\u00e9e en tr avers ; en arri\u00e8re, sur une \nliti\u00e8re fra\u00eeche, tout le cor ps dans un sac serr\u00e9 en \ncoulisse autour de son cou, un petit veau de six \nsemaines montrait sa t\u00eate \u00e9t onn\u00e9e. Le p\u00e8re Bacaill\u00e9, qui \nl\u2019avait vendu au boucher de Baume, profitait de \nl\u2019occasion qu\u2019offrait la foir e pour le conduire \u00e0 son \nacqu\u00e9reur. Comme c\u2019\u00e9tait je udi et qu\u2019il devait toucher \nde l\u2019argent, il emmena it son fils avec lui. \nBacaill\u00e9 \u00e9tait joyeux. Ces bonheurs-l\u00e0 n\u2019arrivaient \npas souvent. Il \u00e9voquait d\u2019a vance toutes les jouissances \nde la journ\u00e9e : il d\u00eenerait \u00e0 l\u2019 auberge, boirait du vin, des \npetits verres ou des sirops dans le gobelet de son p\u00e8re, il \nach\u00e8terait des pain s d\u2019\u00e9pices, un sifflet, et il se \nrengor geait encor e en pens ant que ses camarades, ses \nennemis, enviaient ce rtainement son sort. \nCe jour-l\u00e0 il y eut entre Longeverne et Velrans une \nbataille terrible. On ne fit, il est vrai, pas de prisonniers, \nmais les cailloux et les trique s fire nt rage, et les bless\u00e9s \nn\u2019avaient gu\u00e8re, le soir, envie de rire. \n 349Camus avait une bosse \u00e9po uvantable au front, une \nbosse avec une belle entaille rouge, qui avait saign\u00e9 \ndurant deux heur es ; Tintin ne s entait pl us son br as \ngauche ou plut \u00f4t il ne le se ntait que trop ; Boulot avait \nune jambe tout e noire. La Crique n\u2019y voyait plus s ous \nl\u2019enflur e de l a paupi\u00e8r e droite, Grangibus avait les \norteils \u00e9cras \u00e9s, son fr \u00e8re remuait avec une peine i nfinie \nle poi gnet droit et l\u2019 on comptait pour rien les \nmeurtrissures multiples qui ta touaient les c\u00f4tes et les \nmembres du g\u00e9n\u00e9ral, de son lieutenant et de la plupar t \ndes autres guerriers. \nMais on ne se plaignait pa s trop, car du c\u00f4t\u00e9 des \nVelrans c\u2019\u00e9t ait s \u00fbrement pis encore. Bien s\u00fbr qu\u2019on \nn\u2019\u00e9tait pas all\u00e9 inventorier les \u00ab gnons \u00bb re\u00e7us par les \nennemis, mais c\u2019\u00e9tait une b\u00e9n\u00e9diction s\u2019il n\u2019y en avait \npas, dans le tas des \u00e9char p\u00e9s, quel ques-uns qui se \nmissent au lit avec des m\u00e9ningi tes, des foulures graves, \ndes luxations ou des fi\u00e8vres carabin\u00e9es. \nBacaill\u00e9, entre ses planches, sur sa botte de paille, \nrentra le soir un peu \u00e9m\u00e9ch\u00e9, l\u2019air triomphant, et ri cana \nm\u00eame m\u00e9chamment au nez des camarades qui \nd\u2019aventur e assist \u00e8rent \u00e0 sa descente de voiture. \n\u2013 Fait-il l e \u00ab zig \u00bb ! bon Dieu ! pour une f ois qu\u2019il va \n\u00e0 la foire, ce coco-l\u00e0 ! Dirait-on pas qu\u2019il descend de \n 350cal\u00e8che et que son calandeau1 est un pur s ang ! \nMais l\u2019autre, d\u2019un air de vengeance satisfaite et de \nprofond d\u00e9dain, conti nuait \u00e0 ricaner en le s regardant. \nAu reste, ils ne pouva ient se comprendre. \nLe lendemain, vu la qu antit\u00e9 d\u2019unit\u00e9s hors de \ncombat, il \u00e9tait impossi ble de songer \u00e0 se batt re. \nD\u2019ailleurs, les Velrans, eux, ne pourraient certainement \npas venir ! On se reposa donc, on se soigna, on se pansa \navec des herbages simples ou compliqu\u00e9s chip\u00e9s dans \nles vieilles bo\u00eetes \u00e0 rem\u00e8 des des mamans, au petit \nbonheur des trouvailles. Ains i La Crique se faisait des \nlavages de camomille \u00e0 la paup i\u00e8re et Tintin pansait son \nbras avec de la tisane de ch iendent. Il jurait d\u2019ailleurs \nque cela lui faisait beaucoup de bien. En m\u00e9decine \ncomme en r eligion il n\u2019 y a que l a foi qui s auve. \nEt puis on fit quelques parties de billes pour se \nchanger un peu des distracti ons violentes de l a veill e. \nLe samedi on ne devait pas plus que le vendredi se \nrendr e au Gr os Buiss on. Pourt ant Camus , Lebrac, \nTintin et La Crique, que l\u2019 ennui taraudait, r\u00e9solurent, \nnon poi nt d\u2019all er cher cher noise ou reconna\u00eetre \nl\u2019ennemi, mais bien d\u2019alle r faire un petit tour \u00e0 la \ncabane, la ch\u00e8re caban e qui abritait le tr\u00e9sor et o\u00f9 l\u2019on \n \n1 Carcan, vieux cheval. \n 351\u00e9tait si tranquille et si bien pour faire la f\u00eate. \nIls ne confi\u00e8rent \u00e0 personn e leur projet, pas m\u00eame \naux Gi bus et \u00e0 Gambette. \u00c0 quatr e heures, ils partir ent \nchacun vers son domicile resp ectif et, un moment apr\u00e8s, \nse retrouv\u00e8rent \u00e0 la vi e \u00e0 Donz\u00e9 pour gagner, \u00e0 travers \nle bois du Teur\u00e9, l\u2019empl acement de la f orteresse. \nChemin faisant ils parlaien t de la gra nde bataille du \njeudi. Tintin, son bras en \u00e9charpe, et La Crique, un \nbandeau sur l\u2019oeil, deux de s plus maltrait\u00e9s de la \njourn\u00e9e, revivaient avec d\u00e9 lices les coups de pieds \nqu\u2019ils avaient fout us et les coups de trique qu\u2019ils \navaient distribu\u00e9s avant de re cevoir, l\u2019un le poing de \nTouegueule dans l\u2019oeil, l\u2019autr e le b\u00e2ton de Pissefroid \nsur le radius... ou le cubitus. \n\u2013 Il a f ait han ! comme un boeuf qu\u2019on as somme, \ndisait Tintin en parlant de son grand ennemi Tatti, \nquand j\u2019 y ai f outu mon talon dans l\u2019est omac ; j\u2019ai cru \nqu\u2019il ne voul ait pas r eprendre son s ouffle : \u00e7a lui \napprendra \u00e0 me refiler ma culott e. \nLa Crique \u00e9voquait les dent s cass\u00e9es et les crachats \nrouges de Touegueule recevant son coup de t\u00eate sous la \nm\u00e2choir e et t out cela l eur faisait oubli er les peti tes \nsouffrances de l\u2019heure pr\u00e9sente. \nOn \u00e9tait maintenant sous bo is, dans le vieux chemin \nde d\u00e9fruit, r\u00e9tr\u00e9ci d\u2019ann\u00e9e en ann\u00e9e par les pousses \n 352vigoureuses du taillis envahis sant qui obligeait \u00e0 se \ncourber ou \u00e0 se baisser pour \u00e9viter la gifle s\u00e8che d\u2019une \nramille d\u00e9feuill\u00e9e. \nDes corbeaux, qui rentraient en for\u00eat \u00e0 l\u2019appel d\u2019un \nv\u00e9t\u00e9ran, tournoyaient en cr oassant au-dess us de leur \ngroupe... \n\u2013 On dit que c\u2019 est des ois eaux qui portent mal heur \ntout comme les chouettes qui chantent la nuit annoncent \nune mort dans la mais on. Crois-t u que c\u2019est vrai , toi, \nLebrac ? demanda Camus. \n\u2013 Peuh ! fit le g\u00e9n\u00e9ral , c\u2019est des hist oires de vieill e \nfemme. S\u2019il arrivait un malheu r chaque fois qu\u2019on voit \nun \u00ab cro \u00bb, on ne pourr ait plus vivre sur la t erre ; mon \np\u00e8re dit touj ours que ces corbeaux-l\u00e0 s ont moi ns \u00e0 \ncraindre que ceuss es qui n\u2019 ont poi nt d\u2019 ailes. Faut \ntoucher du fer quand on en vo it un de ceux-l\u00e0, pour \nd\u00e9tourner la malchance. \n\u2013 C\u2019est-il vrai qu\u2019i ls vivent cent ans ces b\u00eat es-l\u00e0 ? Je \nvoudrais bien \u00eatre que d\u2019eux : ils voient du pays et ils \nne vont pas en classe, envia Tintin. \n\u2013 Mon vieux, reprit La Cr ique, pour savoir s\u2019ils \nvivent si longtemps, et \u00e7a se peut bien, il faudrait \u00eatre l\u00e0 \net en marquer un au nid. Se ulement quand on vi ent au \nmonde on n\u2019 a pas toujours un cor beau sous la main et \npuis on n\u2019y pens e gu\u00e8r e, tu sais, s ans compter qu\u2019il n\u2019 y \n 353a pas beaucoup de types qui viennent \u00e0 cet \u00e2ge-l\u00e0. \n\u2013 Parlez plus de ces b\u00eat es-l\u00e0, demanda C amus, moi \nje crois quand m\u00eame que \u00e7a porte malheur. \n\u2013 Faut pas \u00eatr e \u00ab superticieux \u00bb, Camus. C\u2019\u00e9tait bon \npour l es gens du vi eux temps, mai ntenant on es t \ncivilis\u00e9, y a la science... \nEt l\u2019on continua \u00e0 marche r, tandis que La Crique \ninterrompait sa phrase et l\u2019\u00e9loge des temps modernes \npour \u00e9viter la caress e brusque d\u2019 une br anche bass e \nqu\u2019avait d\u00e9pl ac\u00e9e le pas sage de Lebr ac. \n\u00c0 la sortie de la for\u00eat on obliqua vers la droite pour \ngagner les carri\u00e8res. \n\u2013 Les autres ne nous ont pas vus, remarqua Lebrac. \nPersonne ne sait qu\u2019on est venu. Ah ! notre cabane est \nvraiment bien cach\u00e9e ! \nOn fit chorus. Ce su jet \u00e9tait in\u00e9puisable. \n\u2013 C\u2019est moi \u00ab que je l\u2019ai trouv\u00e9e \u00bb ! hein ! rappela \nLa Crique, riant d\u2019un large rire triomphant malgr\u00e9 son \noeil au beurre noir. \n\u2013 Entrons, coupa Lebrac. \nUn cri de stup\u00e9factio n et d\u2019horreur jaillit \nsimultan\u00e9ment des quatre poitrines, un cri \n\u00e9pouvantable, d\u00e9chirant, o\u00f9 il y avait de l\u2019angoisse, de \nla terreur et de la rage. \n 354La cabane \u00e9tait d\u00e9vast\u00e9e, pill\u00e9e, ravag\u00e9e, an\u00e9antie. \nDes gens \u00e9taient venus l\u00e0, des ennemis, les Velrans \nassur\u00e9ment ! Le tr\u00e9sor avait dispar u, les armes \u00e9t aient \ncass\u00e9es ou d\u00e9rob\u00e9es, la table arrach\u00e9e, le foyer d\u00e9moli, \nles bancs renvers\u00e9s, la mousse et les feuilles br\u00fbl\u00e9es, les \nimages d\u00e9chir\u00e9es, le miroir bris\u00e9, l\u2019arrosoir caboss \u00e9 et \nperc\u00e9, le toit d\u00e9fonc\u00e9 et le balai, supr\u00eame insulte, le \nvieux balai d\u00e9rob\u00e9 au stock de l\u2019\u00e9cole, plus d\u00e9paill\u00e9 et \nplus s ale que jamais, d\u00e9ris oirement plant \u00e9 en terr e au \nmilieu de ce d\u00e9sordre, com me un t\u00e9moin vivant du \nd\u00e9sastre et de l\u2019 ironie des pillards. \n\u00c0 chaque d\u00e9couverte, c\u2019\u00e9tai ent de nouveaux cris de \nrage, et des voci f\u00e9rations, et des blas ph\u00e8mes, et des \nserments de vengeance. \nOn avait d\u00e9moli les cass eroles et... souill\u00e9 les \npommes de ter re ! \nC\u2019\u00e9taient s\u00fbrement les Ve lrans qui avaient fait le \ncoup : La Crique, avec son intuitive finesse et sa \nlogique habit uelle, le prouva incontinent. \n\u2013 Voyons, un homme de Longeverne qui aurait \ntrouv\u00e9 par aventure la cabane n\u2019aurait fait qu\u2019en rire ; il \nen aurait jas\u00e9 au village et on l\u2019aurait su ; un \u00e9tranger \nn\u2019avait ri en \u00e0 prendre l \u00e0 et s\u2019en serait fichu ; B\u00e9douin, \nlui, \u00e9tait bien trop nouille pour trouver tout seul une \ncache pareill e et d\u2019 ailleurs, depuis sa derni \u00e8re \n 355soulographie, il ne se hasard ait plus en rase campagne \net, comme un s age, culti vait et r entrait l es l\u00e9gumes et \nles fruits de son jardin. \nRestaient donc les Velrans. \n\u2013 Quand ? La veille parbleu ! puisque le jeudi soir \ntout \u00e9tait intact et qu\u2019 aujourd\u2019hui il leur aurait \u00e9t\u00e9 \nimpossible de trouver apr\u00e8s quatre heur es le t emps \nmat\u00e9riel n\u00e9cessaire pour pe rp\u00e9trer un pareil saccage, \u00e0 \nmoins toutefois qu\u2019ils ne f ussent venus le matin, mais \nils \u00e9taient bien trop frou ssards pour oser friper une \nclasse ! \n\u2013 Ah ! si nous \u00e9tions au moins venus hier , se \nlamentait Lebrac. Dire que j\u2019 y ai pens\u00e9 ! Car enfin ils \nn\u2019ont pas pu t ous venir, il y en avait trop d\u2019 \u00e9clop\u00e9s \nparmi eux, je le sais bien, peut- \u00eatre, moi, comme i ls \n\u00e9taient arrang\u00e9s : ils \u00e9taient s\u00fbr ement pl us mal f outus \nque nous encore. \nAh ! si on leur \u00e9tait tomb \u00e9 dessus. B on Dieu de nom \nde Dieu ! je les \u00e9tranglais ! \n\u2013 Cochons ! canailles ! bandits ! \n\u2013 C\u2019est tout de m\u00eame l \u00e2che, vous savez, ce qu\u2019ils \nont fait l\u00e0, jugea Camus. \n\u2013 Et nous en s ommes des propr es pour nous \nrebattre ! \n 356\u2013 Il faudra trouver leur cabane aussi, nous, reprit \nLebrac ; il n\u2019y a plus que \u00e7a, parbleu, plus rien que \u00e7a ! \n\u2013 Oui, mais quand ? Ap r\u00e8s quatre heures, ils \nviendront faire le guet \u00e0 la lisi\u00e8re, il n\u2019y a que pendant \nla clas se qu\u2019 on pourr ait cher cher, mais f audrait la \ngouepper1 au moi ns huit j ours de s uite \u00ab passe que \u00bb il \nne faut gu\u00e8re compter qu\u2019on tombera dessus le premier \nmatin. Qu\u2019 est-ce qui veut oser faire ce coup-l\u00e0 pour \nrecevoir une tatouille carabin\u00e9 e de son p\u00e8re et attraper \nun mois de ret enue du ma\u00eet re d\u2019\u00e9cole ? \n\u2013 Il n\u2019 y a que Gambette ! \n\u2013 Mais comment ont-ils bi en pu la tr ouver, l es \nsalauds ? Une cabane si bien cach\u00e9e, que personne ne \nconnaissait et o\u00f9 ils ne nous avaient jamais vus venir ! \n\u2013 C\u2019est pas possible ! on leur a dit ! \n\u2013 Tu crois ? M ais qui ? il n\u2019y a que nous qui \nsachi ons o\u00f9 ell e est ! Il y aurait donc un tra\u00eetre ? \n\u2013 Un tra\u00eetre ! ruminait La Cr ique. \u2013 Puis se frappant \nle fr ont sans s ouci de s on oeil, illumin\u00e9 malgr\u00e9 son \nbandeau d\u2019une pens\u00e9e subite : \n\u2013 Oui ! l\u00e0 ! nom de Di eu ! rugit-il, oui, il y a un \ntra\u00eetre et je le connais, le salaud, je sais qui c\u2019est ! Ah, \nje vois tout, je devine tout maintenant, le d\u00e9go\u00fbtant, le \n \n1 Manquer, friper. \n 357Judas , le pourri ! \n\u2013 Qui ? interrogea Camus. \n\u2013 Qui ? reprirent les deux autres. \n\u2013 Bacaill\u00e9 ! pardi ! \n\u2013 Le bancal ! Tu crois ? \n\u2013 J\u2019en suis s\u00fbr. \u00c9coutez-moi : \n\u00ab Jeudi, i l n\u2019\u00e9tait pas avec nous , il est all\u00e9 avec son \np\u00e8re \u00e0 l a foire \u00e0 Baume, hein ? vous vous souvenez ? \nRappelez-vous bien maintenan t la gueule qu\u2019il faisait \nen rentrant : il avait l\u2019air de no us narguer, de se fout\u2019 de \nnous , par faitement ! Eh bi en, en revenant de Baume il \nest pass\u00e9 par Velrans avec son p\u00e8re ; ils \u00e9taient un peu \n\u00e9m\u00e9ch\u00e9s, ils se sont arr\u00eat\u00e9s chez quelqu\u2019 un l\u00e0-bas, je ne \nsais pas chez qui, mais je pari erais tout ce qu\u2019 on \nvoudr ait que c\u2019 est comme \u00e7a ; peut-\u00eatre bien m\u00eame \nqu\u2019il s\u2019en est revenu avec des Velrans et alors il leur z\u2019y \na dit s\u00fbrement, il leur z\u2019y a dit ousqu\u2019\u00e9tait not\u2019cabane. \n\u00ab Alors l\u2019autre qui n\u2019\u00e9ta it pas \u00e9clop\u00e9 s\u2019est amen\u00e9 \nhier ici avec les moins malades ; et voil\u00e0, parbleu, \nvoil\u00e0 ! \n\u2013 Le cochon ! le tra\u00eetre ! la crapule ! m\u00e2chonnait \nLebrac ; si c\u2019est vrai, bon Di eu ! gare \u00e0 sa peau ! je le \nsaigne ! \n\u2013 Si c\u2019 est vrai ? Mais c\u2019est s\u00fbr comme un et un f ont \n 358\u00ab deuss e \u00bb, comme je m\u2019appe lle La Crique et que j\u2019ai \nl\u2019oeil noir comme un cu l de marmite, pardine ! \n\u2013 Faut l e d\u00e9masquer, al ors ! concl ut Tintin. \n\u2013 Allons-nous-en, il n\u2019 y a plus rien \u00e0 faire ici, \u00e7a me \nretourne les sangs et \u00e7a me chavire le coeur de voir \u00e7a, \ng\u00e9mit Camus . On caus era bien en s\u2019en all ant et il ne \nfaut pas s urtout qu\u2019on se do ute que nous sommes venus \naujourd\u2019hui. \n\u2013 C\u2019est demai n diman che, reprit-il, on le \nd\u00e9masquera bi en, on le fera avouer, et alors... \nCamus n\u2019acheva pas. Mais son poin g ferm\u00e9, brandi \nvers le ciel, compl\u00e9tait \u00e9nergiquement sa pens\u00e9e. \nEt par le m\u00eame chemin qu \u2019ils \u00e9taient venus, ils \nrentr\u00e8rent au village apr\u00e8 s avoir, d\u2019un commun accord, \npris de s\u00e9v\u00e8res dispositio ns pour le lendemain. \n 359 \n \nLe tra\u00eetre ch\u00e2ti\u00e9 \n \nLe trouble de m on \u00e2m e \u00e9tant sans \ngu\u00e9rison, \nLe voeu de la vengeance est un voeu \nl\u00e9gitim e. \nMALHERBE (Sur la mort de son fils) . \n \n\u2013 Si on allait faire un to ur \u00e0 la cabane ? proposa \ninsidi eusement L a Crique, le dimanche apr\u00e8s v\u00eapres, \nquand tous ses camarades fu rent r\u00e9unis, sous l\u2019auvent \nde l\u2019abreuvoir, autour du g\u00e9n\u00e9ral. \nBacaill\u00e9 fr\u00e9mit de joie sans se douter le moins du \nmonde qu\u2019il \u00e9tait observ\u00e9 discr\u00e8tement. \nAu reste, \u00e0 part les quatr e chefs qui avaient pris part \n\u00e0 la promenade de la veille, nul, pas m\u00eame les Gibus, ni \nGambett e, ne s e dout ait de l\u2019\u00e9t at dans lequel se trouvait \nla cabane. \n\u2013 Faudra pas se battre aujo urd\u2019hui, conseilla Camus, \nallons-y par la vie \u00e0 Donz\u00e9. \nOn acquies\u00e7a \u00e0 ces propositi ons diverses et la petite \narm\u00e9e, babill ante, gaie et sans penser \u00e0 mal, s\u2019achemina \n 360vers la forteresse. \nLebrac, s elon s on habitude, tenait la t\u00eate ; Tintin, au \nmilieu de la colonne et sans avoir l\u2019air de penser \u00e0 rien, \nmarchait \u00e0 haut eur de B acaill\u00e9 sur qui il ne jetait m\u00eame \npas les yeux ; \u00e0 l\u2019arri\u00e8re-gard e, ferman t la marche et ne \nperdant point de vue l\u2019accus\u00e9 , venaient La Crique et \nCamus dont les blessures \u00e9t aient en bonne voie de \ngu\u00e9ris on. \nBacaill\u00e9 \u00e9tait visiblem ent agit\u00e9 de pens\u00e9es \ncomplexes, car il ne sava it rien au juste de ce \nqu\u2019avaient fait les Velrans : qu\u2019allait-on trouver \u00e0 la \ncabane ? Quelle gueu le feraient Lebra c et Camu s et les \nautres si... \nIl les regardait de temps \u00e0 autr e \u00e0 la d\u00e9rob\u00e9e, et ses \nyeux p\u00e9tillaient malgr\u00e9 lui de malice contenue, de joie \nrefr\u00e9n\u00e9e et aussi d\u2019un l \u00e9ger sentiment de crai nte. \nEt s\u2019ils allaient se douter ! Mais comment \npourraient-ils savoir et surtout prouver ? \nOn avan\u00e7ait dans le sentie r du bois. Et La Crique \npench\u00e9 vers le gr impeur lui disait : \n\u2013 Hein, Camus, tes corbeaux d\u2019hier, tu te souviens... \nj\u2019aurais j amais cr u. C\u2019 est tout de m\u00eame vr ai que \u00e7a \nporte malheur quelquefo is ces b\u00eates-l\u00e0 ! \n\u2013 Demande voir \u00e0 Bacaill\u00e9, ripost a Camus , qui, par \nun i nexplicabl e revi rement , redevenait sceptique, \n 361demande-z\u2019y voir s\u2019il en a vu ce matin, des corbeaux. Il \nne se doute gu\u00e8re que nous s avons et ne sait pas ce qui \nl\u2019attend. Regarde-le, mais regar de-le donc un peu ce \nsalaud-l\u00e0 ! \n\u2013 Crois-tu qu\u2019il a du t oupet ? Oh ! il se croit bien s \u00fbr \net bien tranquille ! \n\u2013 Tu sais, fa ut pas le laisser \u00e9chapper ! \n\u2013 Pens es-tu, un bancal comme \u00e7a ! \n\u2013 Oh ! mais il court bi en tout de m\u00eame, ce s auter\u00e9-\nl\u00e01 ! \n\u00c0 l\u2019autre extr\u00e9mit\u00e9 de la colonne, on entendait \nBoul ot qui disait : \n\u2013 Ce que je ne comprends pas, c\u2019est qu\u2019ils \nreviennent encore apr\u00e8s les ta touilles qu\u2019on leur z\u2019y a \nfoutues ! \n\u2013 Pour moi, r \u00e9pondait Lebr ac, ils doivent avoir une \ncache, eux aussi. Vous avez bi en vu que pour la culotte \nde Tintin ils n\u2019avaient plus de triques en sortant du bois. \n\u2013 Oui, ils ont s\u00fbrement une cabane comme nous, \nconcluait Tigi bus. \nBacaill\u00e9, \u00e0 cette affirmation, eut un ricanement muet \nqui n\u2019\u00e9chappa poi nt \u00e0 Ti ntin pa s plus qu\u2019\u00e0 La Crique ni \n \n1 Sauter\u00e9 : probablem ent m \u00e2le de sauterelle, sauteur. \n 362\u00e0 Camus. \n\u2013 Eh bien ! es-t u s\u00fbr mai ntenant ? fit La Cri que. \n\u2013 Oui ! r\u00e9pondit l\u2019autre. Ah ! la crapule ! Faudra \nbien qu\u2019il avoue ! \nOn s ortait du bois , on all ait arriver, on s\u2019engageait \ndans les chemins creux. \n\u2013 Ah ! nom de Dieu ! s\u2019ex clama Lebrac s \u2019arr\u00eatant, \net, ai nsi que c\u2019 \u00e9tait convenu , jouant la rage et la \nsurprise, comme s\u2019il e\u00fb t tout ignor\u00e9. \nIl y eut un vacarme effroy able de cris et de \nbous culades pour voir pl us vite, et ce f ut bient\u00f4t un \nconcert farouche de mal\u00e9dictions. \n\u2013 Bon Dieu de bon Dieu ! C\u2019est- y possi ble ! \n\u2013 Cochons de cochons ! \n\u2013 Qui est -ce qui a bi en pu faire \u00e7a ? \n\u2013 Le tr\u00e9sor ? \n\u2013 Rien, pus rien ! r\u00e2lait Grangibus. \n\u2013 Et notre toit, et nos sabres, not\u2019arrosoir, nos \nimages, le lit, la glace, la table ! \n\u2013 Le balai ? \n\u2013 C\u2019est les Velrans ! \n\u2013 Pour s\u00fbr ! qui \u00e7a ser ait-il ? \n 363\u2013 Peut-on savoir, hasard a Bacaill\u00e9, pour dire \nquelque chos e lui aussi. \nTous \u00e9t aient entr \u00e9s der ri\u00e8re le chef. Seuls, C amus et \nLa Crique , somb res et silen cieux, leur trique au poing, \ncomme l e Ch\u00e9roub au seui l du paradis perdu, gardaient \nla port e. \nLebrac laissa ses soldats se plaindre, se lamenter et \nhurler ai nsi que des chi ens qui sentent la mort. Lui, \ncomme \u00e9cras\u00e9, s\u2019 assit \u00e0 t erre, au fond, sur les pierres \nqui avaient cont enu le tr\u00e9s or, et, la t\u00eate dans les mains, \nsembla s\u2019abandonner \u00e0 son d\u00e9sespoir. \nPersonne ne songeait \u00e0 so rtir : on criait, on \nmena\u00e7ait ; puis l\u2019effervescence de cris se cal ma et cet te \ngrande col\u00e8re bruyan te et vaine fit place \u00e0 la pr ostration \nqui suit les irr\u00e9parables d\u00e9sastres. \nCamus et La Crique gar daient t oujours la port e. \nEnfin Lebrac, relevant la t\u00eate et se redressant, \nmontra sa figure ravag\u00e9e et ses traits crisp\u00e9s. \n\u2013 C\u2019est pas possible, rugit- il, que les Velrans aient \nfait \u00e7a tout seuls ; non, c\u2019 est pas possibl e qu\u2019ils aient \nr\u00e9ussi \u00e0 trouver not\u2019cabane sa ns qu\u2019on leur ait enseign\u00e9 \no\u00f9 elle \u00e9tait ! C\u2019est pas possib le, on leur a dit ! Il y a un \ntra\u00eetre ici ! \nEt son accusation prof \u00e9r\u00e9e tomba dans le grand \nsilence comme un coup de fouet cinglant sur un \n 364troupeau d\u00e9sempar\u00e9. \nLes yeux s\u2019\u00e9carquill\u00e8rent et papillot\u00e8rent. Un silence \nplus lourd plana. \n\u2013 Un tra\u00ee tre ! reprirent en \u00e9 cho lointain et affaibli \nquelques voi x, comme si c\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 monstrueux et \nimpossible. \n\u2013 Un tra\u00eetre ! oui ! tonna derechef Lebrac. Il y a un \ntra\u00eetre et je le connais. \n\u2013 Il est ici, glapit La Cri que, br andiss ant son \u00e9pi eu \nd\u2019un gest e ext erminateur. \n\u2013 Regardez et vous l e verrez, l e tra\u00eetre ! reprit \nLebrac, fixant Bacaill\u00e9 de ses yeux de loup. \n\u2013 C\u2019est pas vr ai ; c\u2019est pas vrai ! balbuti a le bancal \nqui rougissait, bl\u00eamissait, verdissait, tremblait devant \ncette accusation muette comm e toute une frondaison de \nbouleau et chancelait s ur ses jambes . \n\u2013 Vous voyez bi en qu\u2019il se d\u00e9nonce t out seul, le \ntra\u00eetre. Le tra\u00eetre, c\u2019est Bacaill\u00e9 ! L\u00e0, le voyez-vous ? \n\u2013 Judas ! va, hurla Gambett e, terriblement \u00e9mu, \ntandis que Grangibus, fr\u00e9missa nt, lui posait la griffe sur \nl\u2019\u00e9paule et le secou ait comme un prunier. \n\u2013 C\u2019est pas vr ai, c\u2019est pas vr ai ! pr otestait de \nnouveau Bacaill\u00e9 ; quand est-ce que j\u2019aurais pu leur \ndire, moi, je ne les vois pa s, les Velrans, je ne les \n 365connais pas ! \n\u2013 Silence, menteur ! coupa le chef. Nous savons \ntout. Jeudi la cabane \u00e9tait intacte, c\u2019est vendredi qu\u2019on \nl\u2019a sacqu\u00e9e, puisqu\u2019hier elle y \u00e9tait d\u00e9j \u00e0. Allez, dit es-le, \nceux qui sont venus hi er soir avec moi ! \n\u2013 Nous l e jurons, firent en semble Camus, Tintin et \nLa Crique, levant la main droite pr\u00e9alablement mouill\u00e9e \nde salive et crachant par terre, serment solennel. \n\u2013 Et tu vas dire, canaille, ou je t\u2019\u00e9trangle, t\u2019entends ! \ntu vas avouer \u00e0 qui tu l\u2019as dit jeudi en revenant de \nBaume ! C\u2019est j eudi que t\u2019 as vendu tes fr\u00e8res ! \nUne secou\u00e9e brutale rappela \u00e0 Bacaill\u00e9 ahuri sa \nsituation terrible. \n\u2013 C\u2019est pas vrai, na ! cont inua-t-il \u00e0 ni er, et j\u2019veux \nm\u2019en aller puisque c\u2019est comme \u00e7a. \n\u2013 On ne passe pas, grogna La Criq ue, lev ant son \nb\u00e2ton. \n\u2013 L\u00e2ches ! vous \u00eates des l\u00e2 ches ! riposta Bacaill\u00e9. \n\u2013 Canaille ! gibier de bagne ! beugl a Camus ; il nous \ntrahit, il nous fait voler et il nous insulte encore par-\ndessus le march\u00e9 ! \n\u2013 Liez-le ! or donna L ebrac d\u2019 un ton sec. \nEt, avant que la chose f\u00fbt faite, il se saisit du \nprisonnier et l e calotta vi goureusement. \n 366\u2013 La Crique, int errogea-t-i l ensuit e, d\u2019 un air grave, \ntoi qui connais ton hist oire de France, dis- nous un peu \ncomment on s\u2019y prenait au bo n vieux temps pour faire \navouer leurs crimes aux coupables ? \n\u2013 On l eur \u00ab roustis sait \u00bb l es doi gts de pi ed. \n\u2013 D\u00e9chaussez l e tra\u00eetre, alor s, et all umez du f eu. \nBacaill\u00e9 se d\u00e9battait. \n\u2013 Oh ! tu as beau fair e, pr \u00e9vint le chef, t u \nn\u2019\u00e9chapperas pas ; avoue ras-tu, canaille ? \nUne fum\u00e9e \u00e9pais se et bl anche montait d\u00e9j \u00e0 d\u2019un \namas de mouss e et de f euilles s\u00e8ches. \n\u2013 Oui, fit l\u2019autre affol\u00e9, oui ! \nEt le bancal, toujour s maintenu par des fi celles et \ndes mouchoirs roul\u00e9s en forme de lien, au milieu du \ncercle mena\u00e7ant et furibond des guerriers de \nLongeverne, avoua par petite s phrases qu\u2019il \u00e9tait en \neffet revenu de Baume avec Boguet de Velrans et le \np\u00e8re d\u2019i celui, qu\u2019i ls s\u2019\u00e9taient arr\u00eat\u00e9s chez eux, l\u00e0-bas, \npour boire un litre et une g outte, et qu\u2019il avait, \u00e9tant \nsaoul, racont \u00e9, sans croir e mal f aire, o\u00f9 s e trouvait la \ncabane de Longeverne. \n\u2013 C\u2019est pas la peine d\u2019es sayer de nous mont er le \ncoup, tu sais, coupa La Crique , j\u2019ai bien vu la gueule \nque tu faisais en rentrant de Baume, tu savais bien ce \n 367que t u disais ; et en venant i ci tout \u00e0 l\u2019 heure, nous \nt\u2019avons bien vu aussi. Tu savais ! \n\u2013 Tout \u00e7a, \u00ab c\u2019est passe que tu bis ques \u00bb de ce que l a \nTavie aime mi eux Camus . Elle a s \u00fbrement rais on de se \nfoutre de ta gueule ! Mais est-ce qu\u2019on t\u2019avait fait du \nmal apr\u00e8s l\u2019affaire de vend redi ? Est-ce qu\u2019on t\u2019 a \nseulement emp\u00each\u00e9 de reve nir t e battr e avec nous ? \nPour quoi alors que tu te ve nges aussi salement ? T\u2019as \npas \u00ab d\u2019escuses \u00bb ! \n\u2013 Voil\u00e0, conclut Lebrac, se rrez les noeuds. On va le \njuger. \nUn grand silence tomba. \nCamus et La Crique, ge\u00f4lie rs sinistres, barraient \ntoujours le seuil. Une houle de poings se tendaient vers \nBacaill\u00e9. Comprenant qu\u2019il n\u2019avait pas de piti\u00e9 \u00e0 \nattendre des ge\u00f4lier s et sentant venir l\u2019heur e des \nexpiations supr\u00eames, il eut une r\u00e9volte d\u00e9s esp\u00e9r\u00e9e et \nterrible et ess aya de r uer, de s e d\u00e9battre et de mor dre. \nMais Gambette et les Gibu s, qui avaient assum\u00e9 le \nr\u00f4le de garde- chiourme, \u00e9tai ent des gars solides et \nr\u00e2bl\u00e9s , et on ne le leur fa isait pas comme \u00e7a, d\u2019autant \nque la col\u00e8re, une col\u00e8re folle qui leur faisait les oreilles \nrouges, d\u00e9cuplait encore leurs forces. \nLes poignets de Bacaill\u00e9, se rr\u00e9s dans des \u00e9taux de \nfer, devi nrent bleus, s es jambes furent en un cli n d\u2019oeil \n 368ligot\u00e9es plus \u00e9tr oitement enco re et on l e jeta comme un \npaquet de chiffons au milieu de la cabane, sous le trou \ndu toit, d\u00e9fonc\u00e9, du toit si solide que, malgr\u00e9 tous leurs \nefforts, les Velrans ne l\u2019avai ent pu crever qu\u2019en un seul \nendroit. \nLebrac en chef parla : \n\u2013 La cabane, dit-il, est f outue ; on conna\u00eet notre \ncache ; tout est \u00e0 refaire ; mais \u00e7a ce n\u2019est rien : il y a le \ntr\u00e9sor qui a dis paru, il y a l\u2019honneur qui est atteint. \n\u00ab L\u2019honneur on le redresse ra, on sait ce que valent \nnos poings, mai s le tr\u00e9sor... l e tr\u00e9sor val ait bien cent \nsous ! \n\u00ab Bacaill\u00e9, conti nua-t-il gr avement, tu es complice \ndes voleurs, t u es un voleur, t u nous a vol\u00e9 cent s ous ; \nas-tu un \u00e9cu de ci nq liv res \u00e0 nous rendre ? \u00bb \nLa ques tion \u00e9tai t de pure f orme et L ebrac ne \nl\u2019ignorait pas. Qui est-ce qui avait jamais eu cent sous \u00e0 \nsoi, cent sous ignor\u00e9s des par ents et sur les quels ces \nderni ers ne puss ent avoir \u00e0 toute heure droi t de haut e \nmain ? \nPersonne ! \n\u2013 J\u2019ai trois sous , g\u00e9mit Bacaill\u00e9. \n\u2013 Fous-t oi-les \u00ab qu\u00e9que \u00bb part tes t rois s ous ! rugit \nGambett e. \n 369\u2013 Messieurs, reprit Lebrac, solennel, voici un tra\u00eetre \net nous al lons le juger et l\u2019ex\u00e9cuter sans r\u00e9mission. \n\u2013 Sans haine et s ans cr ainte, redr essa La Cri que, qui \nse rem\u00e9morait des lambeaux de phrases d\u2019instruction \ncivique. \n\u2013 Il a avou\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait coupable, mais il a avou\u00e9 \nparce qu\u2019il ne pouvait pas fa ire aut rement et que nous \nconnais sions son crime. Quel s upplice doit- on lui faire \nsubir ? \n\u2013 Le saigner ! rugi rent di x voix. \n\u2013 Le pendr e ! beugl\u00e8r ent dix autr es. \n\u2013 Le ch\u00e2trer ! grond\u00e8rent quelques-unes. \n\u2013 Lui couper la langue ! \n\u2013 On va d\u2019abord, interromp it le chef, plus prudent et \ngardant inconsciemment, malg r\u00e9 sa col\u00e8re, u ne plus \nsaine i d\u00e9e des chos es et de s cons\u00e9quences de leur acte, \non va d\u2019abor d lui nettoyer tous ses boutons pour \nreconstituer un noyau de tr\u00e9s or et remplacer en partie \ncelui qui nous a \u00e9t\u00e9 vol \u00e9 par ses ami s les Velr ans. \n\u2013 Mes habits du dimanche ? sursauta le pris onnier. \nJ\u2019veux pas, j\u2019veux pas ! je l\u2019dirai \u00e0 nos gens1 ! \n\u2013 Chante toujours, mon petit, tu nous amuses ; mais \n \n1 Nos gens, expression com toise pour \u00ab m es parents \u00bb. \n 370tu sais , tu n\u2019 as qu\u2019 \u00e0 recommencer \u00e0 cafar der pour voir \nun peu, et j\u2019te pr\u00e9viens que si tu brailles trop fort ici on \nte la boucle, ta gueule, avec ton \u00ab tire-jus \u00bb, comme on \na fait \u00e0 l\u2019Aztec des Gu\u00e9s ! \nComme ces menaces ne d\u00e9ci daient point Bacaill\u00e9 \u00e0 \nse taire, on le b\u00e2illonna et on fit sauter tous ses boutons. \n\u2013 Ce n\u2019est pas tout \u00e7a, n.. d. D... ! reprit La Crique, \nsi on ne fait que \u00e7a \u00e0 un tra\u00eetr e, c\u2019est vr aiment pas la \npeine ! Un tra\u00eetre !... c\u2019est un tr a\u00eetre ! n.. d. D... ! et \u00e7a \nn\u2019a pas le dr oit de vivr e ! \n\u2013 On va le f ouetter, pr oposa Grangibus, chacun son \ncoup pui squ\u2019il nous a f ait du mal \u00e0 tertous . \nOn ligota de nouveau Bacaill\u00e9 nu sur les planches de \nla table d\u00e9molie. \n\u2013 Commencez ! ordonna Lebrac. \nUn \u00e0 un, la baguette de coudre \u00e0 la main, les \nquarante Longevernes d\u00e9fil\u00e8re nt devant Bacaill\u00e9, qui, \nsous leurs coups, hurlait \u00e0 fendre le roc, et ils lui \ncrach\u00e8rent sur le dos, su r les reins, su r les cuisses, su r \ntout le corps en signe de m\u00e9pris et de d\u00e9go\u00fbt. \nDurant ce temps une di zaine de guerri ers, s ous la \nconduit e de La Cr ique, \u00e9t aient sortis avec les habits du \ncondamn\u00e9. \nIls revinrent quand finissait l\u2019op\u00e9ration et Bacaill\u00e9, \n 371d\u00e9b\u00e2illonn\u00e9 et d\u00e9li\u00e9, re\u00e7ut au bout de longs b\u00e2tons les \ndiverses pi\u00e8ces de son hab illement veuves de boutons \nqui avai ent \u00e9t\u00e9 de pl us largement compiss\u00e9es et \nabondamment souill\u00e9es d\u2019au tre fa\u00e7on encore par les \njusticiers de Longeverne. \n\u2013 Va te faire recoudre \u00e7a par les Velrans ! lui \nconseilla-t-on pour finir. \n 372 \n \nTragiques rentr\u00e9es \n \nLes sanglo ts des martyrs et des \nsupplic i\u00e9s \nSont une sym phonie enivrante sans \ndoute... \nCH. BAUDELAIR E (Les Fl eurs du Mal). \n \nBacaill\u00e9, d\u00e9p\u00eatr\u00e9 de ses liens, les fesses en sang, la \nface congestionn\u00e9e, les yeux r\u00e9 vuls\u00e9s d\u2019horreur, re\u00e7ut \nen plei ne figur e les paquets malodorants qu\u2019\u00e9taient ses \nhabits, cependant que toute l\u2019 arm\u00e9e, suivant ses chefs, \nl\u2019abandonnait \u00e0 son sort et quittait dignement la cabane \npour aller un peu plus loin, dans un endroit d\u00e9sert et \ncach\u00e9, se concerter sur ce qu\u2019il convenait de faire en si \npressante et p\u00e9ni ble occurrence. \nPas un ne se demandait ce qu\u2019il allait advenir du \ntra\u00eetre d\u00e9masqu\u00e9, ch\u00e2ti\u00e9, fe ss\u00e9, d\u00e9shonor \u00e9, empuanti. \n\u00c7a, c\u2019\u00e9tait son affaire, il n\u2019 avait que ce qu\u2019il m\u00e9ritait et \ntout juste en core. Des r\u00e2les et des hoquets de rage, des \nsangl ots d\u2019 un homme qu\u2019 on ass assine parvenai ent bi en \njusqu\u2019\u00e0 leurs oreilles, ils ne s\u2019en souci\u00e8rent point. \nBient \u00f4t, par degr \u00e9s, l\u2019 autre repr enant cons cience et \n 373se sauvant \u00e0 toute allure, les sanglots et les cris et les \nhurlements di minu\u00e8rent et l\u2019 on n\u2019entendit plus rien. \nAlors Lebrac commanda : \n\u2013 Il faut aller pr endre \u00e0 la cabane tout ce qui peut \nservir encore et al ler le cacher ailleurs en attendant. \n\u00c0 deux cents m\u00e8tres de l\u00e0 , dans le taillis, une petite \nexcavation, insuffisante pou r remplacer celle que l\u2019on \nvenait de perdre par le crime de Bacaill\u00e9, pouvait, faute \nde mieux, abriter momentan\u00e9m ent les d\u00e9bris de ce qui \navait \u00e9t\u00e9 le pal ais de gl oire de l\u2019arm\u00e9e de Longeverne. \n\u2013 Il f aut tout apporter, ici , d\u00e9cida-t-il. Et \nimm\u00e9diatement la majeure par tie de la troupe s\u2019occupa \n\u00e0 ce travail. \n\u2013 Fichez aussi le mur en ba s, compl\u00e9ta-t-il, enlevez \nle toit et murez la provision de bois ; il faut qu\u2019on ne \nvoie plus rien de r ien. \nLes ordres \u00e9tant donn\u00e9s, pendant que les soldats \nvaquaient \u00e0 ces corv\u00e9es r\u00e9glem entaires et press \u00e9es, il \nconf\u00e9ra avec les autres chefs : Camus , La Cri que, \nTintin, B oulot, Gr angibus et Gambet te. \nCe fut une conf \u00e9rence l ongue et mys t\u00e9rieus e. \nL\u2019avenir et le pr \u00e9sent y f urent conf ront\u00e9s au pass\u00e9, \nnon sans regret s et sans plai ntes, et surtout l\u2019on agita la \nquesti on de reconqu\u00e9rir le tr\u00e9s or. \n 374Ce tr \u00e9sor \u00e9tait s\u00fbrement dans la cabane des Velrans \net la cabane \u00e9tait dans le bo is ; mais comment le trouver \net surtout quand pourrait- on le cher cher ? \nIl n\u2019 y avait que Gambett e habit ant sur la C\u00f4te et \nquelquefois Grangibus occup\u00e9 au moulin qui pouvai ent \ninvoquer des moti fs plausibles d\u2019absence sans courir le \nrisque d\u2019un contr\u00f4le imm\u00e9diat et s\u00e9rieux. \nGambett e n\u2019h\u00e9sit a pas. \n\u2013 Je gouepperai1 l\u2019\u00e9cole tant qu\u2019il faudra ; je battrai \nle bois en long, en large, en haut, en travers, j\u2019en \nlaisserai pas un po uce d\u2019inesqueplor\u00e92, tant que j \u2019aurai \npas d\u00e9moli leur cabane et repris n otre sac. \nGrangibus d\u00e9clara que, toutes les fois qu\u2019il pourrait \nse joindre \u00e0 lui, il le trouver ait \u00e0 la carri\u00e8re \u00e0 Pepiot, une \ndemi- heure envir on avant l\u2019 entr\u00e9e en cl asse. \nD\u00e8s que l a traque de Gambette aur ait abouti et qu\u2019 on \naurait reconquis le tr\u00e9sor, on reb\u00e2tirait la cabane sur un \nemplacement qu\u2019on d\u00e9terminer ait plus tard, apr\u00e8s les \nrecherches les plus pr\u00e9cieuses. \nPour l\u2019heure, on se conten terait de prot\u00e9ger jusqu\u2019au \ncontour des Menelots et \u00e0 la marni\u00e8re de Jean-Baptiste \nle retour au Vernois des Gibus. \n \n1 Manquerai. \n2 Inexplor\u00e9. \n 375Le transport des mat\u00e9ri aux \u00e9tait achev\u00e9 ; les \nguerri ers vinrent se grouper autour des chef s. \nLebrac, au nom du Consei l, annon\u00e7a gravement que \nla guerr e \u00e0 la Saute \u00e9t ait sus pendue jus qu\u2019\u00e0 une dat e \nprochaine qu\u2019 on fixerait de fa\u00e7on pr \u00e9cise d\u00e8s qu\u2019 on \naurait retrouv\u00e9 ce qu\u2019il fallait. \nLe Conseil, prudent, gard ait en effet pour lui le \nsecret de ses gr andes d\u00e9cisions. \nOn effa\u00e7a aussi bien que possible les traces qui \nmenaient de l\u2019ancienne caban e \u00e0 la nouvelle r\u00e9serve, \napr\u00e8s quoi, le soleil baissant, on se r\u00e9solut \u00e0 regagner le \nvillage sans se douter qu\u2019\u00e0 cette heure il \u00e9tait en pleine \nr\u00e9vol ution. \nLes conscrits qui jouaient aux quilles, les hommes \nqui buvaient leur litre \u00e0 l\u2019auberge de Fricot, les \ncomm\u00e8r es all ant fair e la ca usette avec la voisine, les \ngrandes filles s\u2019exer\u00e7ant \u00e0 la broderie ou au crochet \nderri\u00e8re les rideaux de la fen\u00ea tre, toute la population de \nLongeverne, se r\u00e9cr\u00e9ant ou se repos ant, fut tout d\u2019 un \ncoup attir\u00e9e, aspir\u00e9e devrait-on dire, au milieu de la rue, \npar des cris \u00e9pouvantables, par les r\u00e2les qui n\u2019avaient \nplus rien d\u2019 humai n d\u2019un malheur eux qui est \u00e0 bout, qui \nva tomber, rendr e l\u2019\u00e2me, et chacun, les yeux arrondis \nd\u2019angoisse, se demanda it ce qu\u2019il y avait. \nEt voil \u00e0 que l\u2019 on vit sur gir du \u00ab traje \u00bb des \n 376Chemin\u00e9es, bancalant plus que jamais et courant et \nhurlant autant qu\u2019on peut hurler, Bacaill\u00e9 tout nu ou \npresque, car il n\u2019 avait sur son dos que sa chemise et aux \npieds des so uliers sa ns cordons. Il ten ait sur ses bras \ndeux paquets d\u2019 habits et il sentait, il empois onnait pl us \nque trente-six charogne s en train de pourrir. \nLes premiers qui accouru rent \u00e0 sa rencontre \nrecul\u00e8rent en se bouchant le nez, puis , un peu aguerris, \nse rapproch\u00e8rent tout de m\u00eame, compl\u00e8t ement ahuris, \ninterrogeant : \n\u2013 Qu\u2019est-ce qu\u2019il y a ? \nBacaill\u00e9 avait les fesses ro uges de sang, des rigoles \nde crachat lui descendaient le long des cuisses, ses yeux \nchavir\u00e9s n\u2019avaient plus de larmes , ses cheveux \u00e9t aient \ntout droits et aggl utin\u00e9s comme l es poils d\u2019un h\u00e9riss on, \net il tremblait comme une feuille morte qui va se \nd\u00e9tacher de son rameau et s\u2019envoler au vent. \n\u2013 Qu\u2019 est-ce qu\u2019il y a ? Qu\u2019est-ce qu\u2019il y a ? \nBacaill\u00e9 ne pouvait rien dire : il hoquetait, r\u00e2lait, se \ntordait, hochait la t\u00eate , se laissait aller. \nSon p\u00e8re et sa m\u00e8re acc ourus l\u2019emport\u00e8rent \u00e0 la \nmaison \u00e0 demi \u00e9va noui, cependant que tout le village \nintrigu\u00e9 les suivait. \nOn pansa les fesses de Ba caill\u00e9, on le d\u00e9barbouilla, \non mit tremper ses habits dans une seille \u00e0 la remise, on \n 377le coucha, on lui c hauffa des briques, des cruchons, des \nbouillottes ; on lui fit boire du th\u00e9, du caf\u00e9, des grogs et, \ntoujours hoquetant, il se cal ma un peu et baissa les \npaupi\u00e8res. \nUn quart d\u2019heure apr\u00e8s, un peu remis, il rouvrait les \nyeux et racontait \u00e0 ses parent s, ainsi qu\u2019aux nombreuses \nfemmes qui entouraient sa c ouche, tout ce qui venait de \nse pas ser \u00e0 la cabane, en omettant tout efois \nsoigneusement de sp\u00e9cifier les motifs qui lui avaient \nvalu ce tr aitement barbar e, c\u2019est-\u00e0-dire sa trahison. \nIl dit tout le reste : il vendit tous les secrets de \nl\u2019arm\u00e9e de Longeverne, il narr a les escapades \u00e0 la Saute \net les batailles, il confessa les boutons chip\u00e9s et la \ncontri bution de guerr e, il d\u00e9voila tous l es trucs de \nLebrac, d\u00e9non\u00e7a tous ses co nseils ; il chargea Camus \nautant qu\u2019il put ; il dit les planches d\u00e9rob\u00e9es, les cl ous \nsoustraits, les outils emprunt\u00e9 s et la no ce, la go utte, le \nvin, les pommes et le sucr e vol\u00e9s, les chants obsc\u00e8nes , \nla d\u00e9gueulade au retour, et les farces \u00e0 B \u00e9douin et le \nculottage de saint Jo seph avec les d\u00e9 pouilles de l\u2019Aztec \ndes Gu\u00e9s , tout , tout, tout ; il se d\u00e9gonfl a, se vida, s e \nvengea et s\u2019endormit l\u00e0-dessu s avec la fi\u00e8vre et le \ncauchemar. \nMarchant sur la pointe de s pieds, une \u00e0 une ou par \npetits groupes, s\u2019arr\u00eatant de temps \u00e0 autre pour jeter un \ncoup d\u2019oeil sur l\u2019in t\u00e9ressant malade, le s visiteuses se \n 378retir\u00e8rent. Mais elles s\u2019attendi rent au seuil de la porte, \net, tout es r\u00e9uni es, conf \u00e9r\u00e8rent, s\u2019 anim\u00e8r ent, s \u2019excit \u00e8rent, \nse mont\u00e8rent jusqu\u2019\u00e0 la fu reur folle : oeufs vol\u00e9s, \nboutons rafl \u00e9s, cl ous chi p\u00e9s, sans compter ce qu\u2019on ne \nsavait pas, et bient\u00f4t pas un chat dans le village \u2013 si \ntoutefois ces gracieux animaux eurent le mauvais go\u00fbt \nde pr\u00eater l\u2019oreille aux disc ours de leurs patronnes \u2013 \nn\u2019ignora un mot de la terrible affaire. \n\u2013 Les gredins ! les gouill ands ! les gouapes ! les \nvoyous ! les saligauds ! \n\u2013 Attendez un peu qu\u2019il r entre, j\u2019vais le soigner. \n\u2013 J\u2019vais lui servir qu\u00e9que chose aussi, au n\u00f4tre ! le \nmien ! \n\u2013 Si c\u2019est permis, des gamins de leur \u00e2ge ! \n\u2013 Y a pus d\u2019enfant s, voyez- vous ! \n\u2013 Moi, c\u2019est son p\u00e8re qu i va lui en foutre ! \n\u2013 Att endez seul ement qu\u2019 ils reviennent ! \nLe fait est qu\u2019il s ne par aissaient point autrement \npress\u00e9s de r entrer, les gars de Longever ne, et ils \nl\u2019auraient \u00e9t\u00e9 bien moins encore s\u2019ils avaient pu se \ndouter de l\u2019\u00e9tat de sur excitation dans lequel l e retour et \nles r\u00e9v\u00e9lations de Bacaill\u00e9 avaient mis les aut eurs de \nleurs jours. \n\u2013 Vous ne les avez pas encore revus ? \n 379\u2013 Non ! quelles sottises peuvent-ils bien \u00eatre encore \nen trai n de f aire ? \nLes p\u00e8r es venai ent de rentr er pour ar ranger les b\u00eat es, \nleur donner \u00e0 manger, les mene r boire et renouveler la \nliti\u00e8re. Ils criaient moins qu e leurs \u00e9pouses, mais ils \navaient les traits crisp\u00e9s et durcis. \nLe p\u00e8re Bacaill\u00e9 avait parl \u00e9 de mal adie, pr oc\u00e8s, \ndommages-i nt\u00e9r\u00eats, et, dame ! quand il \u00e9tait questi on de \nleur faire desserrer les co rdons de la bourse, cela \nn\u2019allait point ; aussi prometta ient-ils int\u00e9rieurement, et \nm\u00eame \u00e0 haut e voi x, de fa buleuses racl\u00e9es \u00e0 leurs \nrejetons. \n\u2013 Les voici, annon\u00e7a la m\u00e8re Camus, du haut de sa \nlev\u00e9e de grange, la main en abat-jour sur les yeux. \nEt, en effet, presque auss it\u00f4t, se poursuivant et \ndiscutant comme \u00e0 l\u2019ordina ire, les gamins du village \nappar urent dans l e chemin pr \u00e8s de la fontai ne. \n\u2013 File chez nous, t out de suite, command a \ns\u00e8chement \u00e0 son fils le p\u00e8 re Tintin, qui abreuvait ses \nb\u00eates. \n\u00ab Lebrac, ajouta-t-il, et toi aussi, Camus, y a ton \np\u00e8re qui t\u2019a d\u00e9j\u00e0 appel\u00e9 trois fois. \n\u2013 Ah bien ! on y va al ors, r\u00e9pondir ent \nnonchalamment les deux chefs. \n 380Et bient\u00f4t, de tous les coin s, su r tous le s seuils, on \nvit sur gir des mamans ou des papas h\u00e9l ant \u00e0 haut e voix \nleur fils et le priant de rentrer imm\u00e9diatement. \nLes Gibus et Gambette, presque inst antan\u00e9ment \nabandonn\u00e9s, se r\u00e9solurent, pu isqu\u2019il en \u00e9tait ainsi, \u00e0 \nregagner \u00e9galement l eurs domicil es respectifs ; mais \nGambett e, en montant la c\u00f4t e, et les Gibus, la derni\u00e8re \nbicoque d\u00e9pass\u00e9e, s\u2019 arr\u00eat\u00e8rent court. \nDe toutes les maisons du village, des cris, des \nhurlements, d es vocif\u00e9rations, des r\u00e2les, m\u00ea l\u00e9s \u00e0 des \ncoups de pieds claquant, \u00e0 de s coups de poings sonnant, \n\u00e0 des tonnerres de chaises et de meubl es s\u2019\u00e9croulant, se \nmariaient \u00e0 des jappements \u00e9pouvant\u00e9s de chiens se \nsauvant, de chats faisant claquer les chati\u00e8res pour le \nplus effroyable charivari qu\u2019or eille humaine p\u00fbt r\u00eaver. \nOn e\u00fbt dit que partout \u00e0 la fois on s\u2019\u00e9gorgeait. \nGambette, le coeur serr\u00e9 , immobile, \u00e9coutait. \nC\u2019\u00e9taient ... oui, c\u2019\u00e9tai ent bien les voix de ses ami s : \nc\u2019\u00e9taient les r ugissements de Lebr ac, les cris de put ois \nde La Crique, les meuglements de Camus, les \nhurlements de Tintin, les pi aillements de Boulot, les \npleurs des autres et leurs gr incements de dents : on les \nbattait, on les rossait, on le s \u00e9trillait, on les assommait ! \nQu\u2019est-ce que \u00e7a pouvait bien signifier ? \nEt il revint par derri\u00e8re, \u00e0 travers les vergers , n\u2019osant \n 381repasser devant chez L\u00e9on, le buraliste, o\u00f9 quelques \nc\u00e9libataires endur cis, f umant l eur bouff arde, jugeai ent \ndes coups d\u2019apr\u00e8s les cris et discutaient avec ir onie sur \nla vigueur compar\u00e9e de s poignes paternelles. \nIl aper \u00e7ut les deux Gibus , arr\u00eat\u00e9s, aux aussi, comme \ndes li\u00e8vres qui \u00e9coutent la chass e, l\u2019oeil r ond et l es \ncheveux h\u00e9riss\u00e9s... \n\u2013 Entends-tu ? entendez-vous ? \n\u2013 Ils les \u00e9reintent ! Pourquoi ? \n\u2013 Bacaill \u00e9 !... fit Grangi bus, c\u2019est \u00e0 cause de \nBacaill\u00e9, je parierais ! Oui, il est rentr\u00e9 tout \u00e0 l\u2019heure au \nvillage, peut-\u00eatre tel qu\u2019on l\u2019 avait laiss\u00e9, avec ses habits \npleins de mer de, et il a d\u00fb r ecafarder ! \n\u2013 Peut- \u00eatre qu\u2019il a tout racont\u00e9, le salaud ! \n\u2013 Alors, nous aussi, quand les vieux le sauront, on \nva recevoir la danse ! \n\u2013 S\u2019il n\u2019 a pas dit nos noms et qu\u2019on en parle chez \nnous , on dira qu\u2019 on n\u2019y \u00e9tai t pas. \n\u2013 \u00c9cout e ! \u00e9cout e !... \nUne bord\u00e9e de sanglots et de r \u00e2les et de cris et \nd\u2019injures et de menaces s\u2019 \u00e9vadait de chaque maison, \nmontait, se m\u00ealait, emplissa it la rue pour une effarante \ncacophonie, un sabbat infern al, un vrai concert de \ndamn\u00e9s . \n 382Toute l\u2019arm\u00e9e de Longeverne, du g\u00e9n\u00e9ral au plus \nhumble soldat, du plus gran d au plus petit, du plus \nmalin au moins d\u00e9gourdi, tous recevaient la pile et les \npaternels y all aient sans se retenir (la questi on d\u2019 argent \nayant \u00e9t\u00e9 \u00e9voqu\u00e9e), \u00e0 grands coups de poings et de \npieds, de souliers et de sabots , de martinets et de \ntriques ; et les m\u00e8res s\u2019 en m\u00ealaient elles aussi, \nfarouches, impitoyables sur les questions de gros sous, \ntandis que les soeurs, na vr\u00e9es et un peu complices, \npleuraient, se lamentaient et suppliaient qu\u2019 on ne t u\u00e2t \npas pour si peu leur pauvre petit fr\u00e8re. \nLa M arie Tinti n voul ut intervenir directement. Elle \nre\u00e7ut de sa m\u00e8r e une pai re de gi fles lanc\u00e9es \u00e0 t oute \nvol\u00e9e avec cette menace : \n\u2013 Toi, petite garce, m\u00eale-toi de ce qui te regarde, et \nque j\u2019entende dire encore par les voisines que tu \nfricotes avec ce jeune gou illand de Lebrac, je veux \nt\u2019apprendre ce qui est de ton \u00e2ge. \nLa Marie voul ut lui r\u00e9pli quer : une nouvelle paire de \nclaques du p\u00e8re lui en coupa l\u2019envie et elle s\u2019en fut \npleurer silencieusem ent dans un coin. \nEt Gambette et les Gibu s, \u00e9pouvant\u00e9s, s\u2019en furent \naussi, chacun de leur c\u00f4t\u00e9 , apr\u00e8s avoir convenu que \nGrangibus irait en classe le lendemain matin pour avoir \ndes renseignements sur ce qu i s\u2019\u00e9tait pass\u00e9 et qu\u2019il \naccompagnerait le ma rdi Gambette \u00e0 la Saute dans sa \n 383recherche de la c abane des Velrans po ur lui raconter \ncomment tout \u00e7a avait tourn\u00e9. \n 384 \n \nDerni\u00e8res paroles \n \nEt s\u2019il n\u2019en reste qu\u2019 un, je serai celui-l\u00e0 ! \nVICTOR HUGO (Les Ch\u00e2timents) . \n \nSous la pressi on de la poigne tout e-puissante et des \nirr\u00e9sistibles arguments que s ont des coups de pi ed au \ncul bi en appliqu\u00e9s , une pr omess e, un s erment avai ent \n\u00e9t\u00e9 arr ach\u00e9s \u00e0 pres que tous les guerrier s de \nLongeverne : la promesse de ne plus se battre avec les \nVelrans, le serment de ne pl us d\u00e9tourner \u00e0 l\u2019avenir ni \nboutons, ni cl ous, ni planche s, ni oeufs , ni s ous au \nd\u00e9triment du m\u00e9nage. \nSeuls les Gibus et Gambett e, habit ant des m\u00e9tairi es \n\u00e9loign\u00e9es du centre, avaient momentan\u00e9ment \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 \nla sauce ; quant \u00e0 Lebrac, plus t\u00eatu qu\u2019une demi-\ndouzaine de mules, il n\u2019avait ri en voul u avouer ni s ous \nla menace, ni sous la trique. Il n\u2019avait rien promis, ni \njur\u00e9 ; il \u00e9tait rest\u00e9 muet com me une carpe, c\u2019est-\u00e0-dire \nqu\u2019il n\u2019 avait pas pr of\u00e9r\u00e9, durant la bast onnade f urieus e \nqu\u2019il re\u00e7ut, de sons humaine ment articul\u00e9s ; mais, par \ncontr e, il s\u2019\u00e9tait copi eusement rattr ap\u00e9 en beugl ement s, \nen rugissements, en henni ssements , en hurl ements qui \n 385aurai ent pu rendr e jaloux tous les animaux sauvages de \nla cr\u00e9ation. \nEt naturellement tous le s jeunes Longevernois se \ncouch\u00e8rent ce soir-l\u00e0 sans s ouper ou bien eurent pour \ntoute pitance, avec le mo rceau de pai n sec, l a \npermission d\u2019aller boire un coup \u00e0 l\u2019arrosoir ou au \nbassin1. \nOn leur d\u00e9fendit le lendemai n de s\u2019amuser avant la \nclasse, on leur ordonna de rentr er imm\u00e9di atement apr\u00e8s \nonze et quatre heures ; inte rdiction aussi de parler aux \ncamarades, recommandation au p\u00e8re Simon de donner \ndes devoirs suppl\u00e9mentaire s et des le\u00e7ons itou, de \nveiller \u00e0 l\u2019isolement, de pun ir dur et de doubler chaque \nfois qu\u2019un audacieux osera it troubler le silence et \nenfrei ndre la d\u00e9fens e g\u00e9n\u00e9ral e donn\u00e9e de concert par \ntous les chefs de famille. \n\u00c0 huit heures moins cinq minutes on les l\u00e2cha. \nLes Gibus, arrivant, voulurent interpeller Tintin, qui \nfilait sous les yeux de son p\u00e8 re, Tintin, les yeux rouges \net les \u00e9paules renfonc\u00e9es, qui eut en les entendant un \nregard affol\u00e9 et se tut obst in\u00e9ment comme si le chat lui \ne\u00fbt mang\u00e9 l a langue. Ils n\u2019 eurent pas pl us de s ucc\u00e8s \n \n1 Quand j\u2019\u00e9tais enfant, chez presque tous les paysans, on mettait la \nprovision d\u2019eau dans des seilles de boi s; on y puisait \u00e0 l\u2019aide d\u2019un bassin \nde cuivre. Quand on avait soif, chacun pouvait aller boire au bassin. \n 386aupr\u00e8s de Boulot . \nD\u00e9cid\u00e9ment, \u00e7a devenait grave. \nTous les p\u00e8res \u00e9taient sur le seui l de l eur port e. \nCamus fut aussi muet que Tin tin, et La Crique eut un \ngeste d\u2019 \u00e9paul es qui en disai t long, tr \u00e8s long. \nGrangibus pens ait se ratt raper dans la cour de \nl\u2019\u00e9cole. Mais le p\u00e8re Si mon ne leur per mit pas d\u2019 y \nentrer. \nEn arr\u00eat devant la porte, il les parquait par deux d\u00e8s \nleur arriv\u00e9e avec d\u00e9fens e d\u2019ouvrir la bouche. \nGrangibus regretta am\u00e8rem ent de n\u2019 avoir pas s uivi \nson impulsion premi\u00e8re qui lui commandait \nd\u2019accompagner Gambette dans ses recherches et d\u2019avoir \nlaiss\u00e9 \u00e0 son fr\u00e8re le soin de les r enseigner . \nOn entra. \nLe ma\u00eetr e, du haut de sa chair e, droit et s \u00e9v\u00e8re, s a \nr\u00e8gle d\u2019\u00e9b\u00e8ne \u00e0 la main, comme n\u00e7a par fl\u00e9trir en termes \n\u00e9nergiques leur conduite sauva ge de la veille, indigne \nde cit oyens ci vilis\u00e9s, vi vant en R\u00e9publique dont la \ndevise \u00e9tait : libert\u00e9, \u00e9galit\u00e9, fraternit\u00e9 ! \nIl les compara ensuite aux \u00eatres apparemme nt les \nplus horr ifiques et les pl us d\u00e9gr ad\u00e9s de l a cr\u00e9ation : aux \napaches, aux anthropophages, aux ilotes antiques, aux \nsinges de Sumat ra et de l\u2019 Afrique \u00e9quatoriale, aux \n 387tigres, aux l oups, aux indi g\u00e8nes de B orn\u00e9o, aux \nBachibouzouks, aux Barbares de s temps jadis, et, c\u2019\u00e9tait \nle plus grave, comme conclu sion \u00e0 ce dis cours, d\u00e9cl ara \nqu\u2019il ne tol\u00e9r erait pas un mot , que le pr emier gest e de \ncommunication qu\u2019il surprendra it soit en classe, soit en \nr\u00e9cr\u00e9ation vaudrait, \u00e0 son aute ur, trente jours de retenue \net di x pages , par soir, d\u2019hist oire de Fr ance ou de \ng\u00e9ogr aphie \u00e0 copier et \u00e0 r\u00e9ci ter. \nCe fut une classe morne po ur tous ; on n\u2019entendait \nque l e bruit criss ant des plumes mordant rageusement le \npapier, quelques claquements de sabots, le frottement \nl\u00e9ger et \u00e9touff \u00e9 des pupitr es lev\u00e9s avec prudence, et, \nquand venait l\u2019 heure des l e\u00e7ons, l a voix rogue du p\u00e8re \nSimon et le r \u00e9citatif h\u00e9sit ant et timide de l\u2019interrog\u00e9. \nLes Gi bus pourt ant aurai ent bien voul u \u00eatr e fix\u00e9s , \ncar l\u2019appr\u00e9hension de la r acl\u00e9e, comme une \u00e9p\u00e9e de \nDamocl\u00e8s, pendait toujours sur leur destin. \n\u00c0 la fin, Grangibus, par l\u2019interm\u00e9diaire de ses \nvoisi ns et avec d\u2019i nfinies pr \u00e9cautions, f it passer \u00e0 \nLebrac un court bi llet interrogateur. \nLebrac, par le m\u00eame tr uchement, r\u00e9ussit \u00e0 lui \nr\u00e9pondre, \u00e0 lui narrer en que lques phrases poignantes la \nsituati on, et l ui indiquer en quelques mots concis la \nconduit e \u00e0 tenir. \n\u00ab Bacaill\u00e9 oli av\u00e8que la fiai vre, s ai d\u00e8s mani er. Hi la \n 388tout vandu lamaiche. Tout le monde a ait\u00e9 roc\u00e9. \nD\u00e9fense de cos\u00e9 ou bi en nou vaile danse, sairman de pas \nrecommenc\u00e9, mais on \u00e7anf ou, les Velrant repaieron tou. \nRechaircher le tr\u00e9ssor quand m\u00eame. \u00bb \nGrangibus en savait asse z. Il \u00e9tait inutile de \ns\u2019exposer davantage. \nL\u2019apr\u00e8s-midi m\u00eame, il fripa it la classe et filait \nrejoindre Gambette, tandis que son fr\u00e8re l\u2019excusait \naupr\u00e8s du ma\u00eetre en dis ant que Nar cisse, le domestique, \ns\u2019\u00e9tant fait m al au bras, son fr\u00e8re le remp la\u00e7ait \nmomentan\u00e9ment au tr avail du moulin. \nLe mar di et le mercr edi furent, comme le l undi, des \njours mor nes et studi eux. Les le\u00e7ons \u00e9taient sues \nimpert urbablement et l es devo irs so ign\u00e9s, fign ol\u00e9s et \nparachev\u00e9s. \nOn n\u2019essaya pas d\u2019 enfreindre les ordr es, c\u2019\u00e9tait trop \ngrave, on fit comme les chats , patte douce, on eut l\u2019 air \nsoumis. \nTigibus, tous les jours, passait le m\u00eame billet \u00e0 \nLebrac : \n\u2013 Rien ! \nLe vendredi, la surveillance un peu se r el\u00e2cha : ils \n\u00e9taient si sages et sans doute si bien corrig\u00e9s, totalement \ngu\u00e9ris, et puis on apprit que Bacaill\u00e9 s\u2019\u00e9tait lev\u00e9. \n 389La cr ainte de l a justice et des dommages-i nt\u00e9r\u00eat s se \ndissipant avec l a gu\u00e9ris on du mal ade, les p\u00e8res et l es \nm\u00e8res sen tirent s\u2019apaiser par degr\u00e9s leur rancune et se \nmontr\u00e8rent moins rogues. Ma is on se garda \u00e0 carreau \ntout de m\u00eame dans le petit monde des gosses. \nLe samedi, comme Bacaill\u00e9 \u00e9tait sorti, la tension \ndiminua encore ; on l eur perm it de jouer dans la cour et \nils purent, au cours des pa rties or ganis \u00e9es, m\u00eal er aux \nexpressions r\u00e9glementaires du jeu quelques phrases \nrelatives \u00e0 leur situation, phrases br\u00e8ves, prudentes et \u00e0 \ndouble entente, car ils se sentaient \u00e9pi\u00e9s. \nLe dimanche, un peu avant la messe, ils purent se \nr\u00e9unir autour de l\u2019abreuvoir et caus er enfin de leurs \naffaires. \nIls vi rent pass er, tenant son p\u00e8re par l a main, \nBacaill\u00e9, enti\u00e8rement remis et plus narquois que jamais \ndans ses habits \u00ab rappr opri\u00e9s \u00bb. Apr\u00e8s v\u00eapres, ils \ncrurent habil e et pr udent de rentrer avant qu\u2019on les y \ninvit\u00e2t. \nBien l eur en pri t, en eff et, car ce der nier trait \nd\u00e9sar ma tout \u00e0 f ait les par ents et le ma\u00eetre si bi en que, l e \nlundi, on les laissa libres de jouer et de bavarder comme \navant la sauce, ce qu\u2019ils ne manqu\u00e8rent pas de faire \u00e0 \nquatre heures, loin des ore illes inquisitoriales et des \nregar ds mali ntent ionn\u00e9s. \n 390Mais l e mar di, tous eur ent une gross e \u00e9motion : \nGrangibus arriva \u00e0 l\u2019\u00e9cole av ec son fr\u00e8re, et Gambet te \nlui aussi descendit de l a C\u00f4t e avant huit heur es. Il \napportait au p\u00e8re Simon un chiffon de papier graisseux \npli\u00e9 en quatre, que l\u2019autre ouvrit et sur lequel il lut : \n \n Moci eu le ma\u00eetr e, \nJe vous envoi s\u00e9 deux mot s pour vous dir e que j\u2019 ai \ngard\u00e9 L\u00e9on \u00e0 la m\u00e9s on \u00e0 caus e de mes r umatiss es pour \narrang\u00e9 les b\u00eates. \nJean-B aptiste C assard. \n \nC\u2019\u00e9tait Gambette qui ava it r\u00e9dig\u00e9 le billet, et \nGrangibus qui l\u2019avait sign\u00e9 po ur le p\u00e8re de l\u2019absent, \nafin que les deux \u00e9crit ures ne s e ressembl assent poi nt : \nil passa haut la main. \nLa chose, d\u2019ailleurs, n\u2019i nqui\u00e9tait pas les guerriers ; \nGambette, on le savait, \u00e9tait souvent retenu \u00e0 la maison. \nMais si Gambette revenait avec Grangibus, c\u2019est \nqu\u2019il avait trouv\u00e9 la cabane des Velrans et repris le \ntr\u00e9sor. \nLes yeux de Lebrac flambo yaient comme ceux d\u2019un \nloup ; les camarades n\u2019\u00e9tai ent pas moins int\u00e9ress\u00e9s. \nAh ! comme elle \u00e9tait oubli\u00e9 la pile de l\u2019avant-dernier \n 391dimanche, et comme les prom esses et les serments \narrach\u00e9s de force \u00e0 leurs l\u00e8 vres pesaient peu \u00e0 leurs \n\u00e2mes de douze ans ! \n\u2013 \u00c7a y est ti ? interrogea-t-il. \n\u2013 Oui, \u00e7a y est, fit Gambette. \nLebrac faillit p\u00e2lir et tomb er, il ravala sa salive. \nTintin, La Crique, Boulot avai ent ent endu la \ndemande et la r\u00e9ponse ; eux aussi \u00e9taient p\u00e2les. \nLebrac d\u00e9cida : \n\u2013 Faud ra se r\u00e9unir ce soir ! \n\u2013 Oui, \u00e0 quatr e heur es, \u00e0 la carri \u00e8re \u00e0 Pepi ot. T ant \npis si on est chop\u00e9 ! \n\u2013 On s\u2019ar ranger a, expos a La Crique, pour jouer \u00e0 la \ncachette, on filera chacun par un chem in de ce c\u00f4t \u00e9-l\u00e0 \nsans rien dire \u00e0 personne. \n\u2013 Entendu ! \n......................... ........................ ...................... \n \nC\u2019\u00e9tait un soir gris et sombre. La bise avait couru \ntout le jour, balayant la po ussi\u00e8re des routes : elle \ns\u2019arr\u00eatait un peu de souffl er ; un calme fr oid pes ait sur \nles champs ; des nuages pl omb\u00e9s, de gros nuages \ninformes s\u2019\u00e9battai ent \u00e0 l\u2019 horizon ; la neige n\u2019\u00e9tait pas \n 392loin sans doute, mais aucu n des chefs accourus \u00e0 la \ncarri\u00e8re ne s entait la fr oidure, ils avai ent un br asier dans \nle coeur, une illuminat ion dans le cerveau. \n\u2013 O\u00f9 est- il ? demanda L ebrac \u00e0 Gambett e. \n\u2013 L\u00e0-haut, \u00e0 la nouvelle ca che, r\u00e9pondit l\u2019autre ; et \ntu sais, il a fait des petits ! \n\u2013 Ah ! \nEt comme B oulot, toujours bon dernier, arrivait, ils \nfil\u00e8rent tous au tr iple gal op vers l eur abri provisoir e o\u00f9 \nGambette extirpa de dessous un amas de planches et de \nclous un sac \u00e9norme, reb ondi, p\u00e9tant de boutons, \nalour di de t outes les muniti ons des guerriers de Velrans. \n\u2013 Comment as-tu fait pour le trouver ? Tu as d\u00e9moli \nleur cabane ? \n\u2013 Leur cabane !... s\u2019excl ama Gambette... cabane ! \nPeuh ! pas une cabane, ils sont trop b\u00eat es pour en b\u00e2t ir \nune comme nous, pas m\u00eame un bacul, un petit machin \nde rien du t out, accout \u00e9 contre un bout de rocher et \nqu\u2019on ne pouvait m\u00eame pas voir ! \n\u00ab C\u2019est \u00e0 pei ne si on p ouvait y entrer \u00e0 genoux ! \n\u2013 Ah ! \n\u2013 Oui, leurs sabr es, leur s triques, leurs lances \u00e9taient \nempil\u00e9s l\u00e0-dedans et on a commenc\u00e9 par leur z\u2019y casser \ntous l\u2019 un apr \u00e8s l\u2019autre, tant qu\u2019 \u00e0 force on en avait mal \n 393aux genoux. \n\u2013 Et l e sac ? \n\u2013 Mais je vous ai pas dit comment qu\u2019on l\u2019avait \ntrouv\u00e9, l eur bacul ? Ah ! mes vieux, ce qu\u2019 on a eu du \nmal ! \n\u2013 Depuis huit jours qu\u2019on cherchait pour rien, \nrench\u00e9rit Grangibus, \u00e7a commen\u00e7ai t \u00e0 \u00eatre \nemm...b\u00eatant ! \n\u2013 Et devi nez comment qu\u2019on l\u2019a trouv\u00e9 ? \n\u2013 J\u2019donne ma part au ch at, pr essa La Crique. \n\u2013 Et moi aussi, fir ent tous les autres, impatients. \n\u2013 Non, vous ne devineriez jamais, et ce qu\u2019 on a eu \nde la veine de r egarder en l\u2019air ! \n\u2013 ?... \n\u2013 Oui, mes vi eux, on avait d\u00e9j\u00e0 bien pas s\u00e9 quatre ou \ncinq fois par l\u00e0, quand, sur un ch\u00eane, un p eu plus loin, \non a vu une boule d\u2019\u00e9cureu il et Grangibus m\u2019a dit : \n\u2013 Je ne sais s\u2019il est dedans ? Si tu montais voir \ncomme c\u2019est ? \n\u2013 Alors, j\u2019ai pris entre mes dents un petit b\u00e2ton pour \nfourgonner, parce que s\u2019il avait \u00e9t\u00e9 dedans, quand \nj\u2019aurais mis la main il aurait pu me mordre l es doi gts. J e \nmonte, j\u2019 arrive, je t\u00e2te, et qu\u2019est-ce que j e trouve ? \n 394\u2013 Le sac ! \n\u2013 Mais non, ri en du tout ; alors je fous la boul e en \nbas et alor s, en r egardant , c\u2019est l\u00e0 que dans un \ncontrebas, un peu plus du c\u00f4t\u00e9 de bise, j\u2019ai vu le bacul \nde ces cochons de Velrans. \n\u00ab Ah ! j\u2019ai bient\u00f4t \u00e9t\u00e9 en bas. Grangibus croyait que \nl\u2019\u00e9cureuil m\u2019avait mordu et que je d\u00e9gringolais de \nfrouss e, mais quand il m\u2019a vu couri r, il s\u2019est dout \u00e9 tout \nde suite qu\u2019il y avait du nouve au et c\u2019est al ors que nous \navons fichu leur cambuse \u00e0 sac. \n\u00ab Les boutons \u00e9taient au fond, sous une grosse \npierre ; on n\u2019y voyait pr esque pas clair, je les ai trouv\u00e9s \nen t\u00e2t ant. \n\u00ab Ah ! ce qu\u2019on \u00e9tait content ! \n\u00ab Mais vous savez, c\u2019est pa s tout. Avant de partir, je \nme suis d\u00e9culott\u00e9 au fond de leur cab ane... j\u2019ai rebouch\u00e9 \navec la pierre, on a bien re mis tous les morceaux de \nsabres et de lances comme il s \u00e9taient, et quand ils iront \nmettre la main sous la pie rre, ils sentiront comment il \nest fait maintenant leur tr\u00e9sor ! j\u2019ai t\u2019i bien travaill\u00e9 ? \u00bb \nOn serra la main de Gamb ette, on lui tapa sur le \nventre, on lui ficha des coup s de poing dans le dos pour \nle f\u00e9liciter co mme il convenait. \n\u2013 Alors ! reprit-i l, interr ompant le concert de \nlouanges qu\u2019on lui d\u00e9 cernait, alors vous , vous avez re\u00e7u \n 395la pile ? \n\u2013 Ah ! mon vieux, ce qu\u2019ils nous ont pass\u00e9 ! Et le \n\u00ab noir \u00bb a dit , ajouta Lebr ac, que j e ferais encore pas de \npremi\u00e8re communion cett e ann\u00e9e, rapport \u00e0 la culotte \nde saint Joseph, mais je m\u2019en fous ! \n\u2013 Tout de m\u00eame, des par ents comme les n\u00f4tr es, c\u2019est \npas ri golo ! Ils s ont char ognes au f ond, tout comme s i, \neux, ils n\u2019en avaient pas fait autant. Et dire qu\u2019ils se \nfigurent, maintenant qu\u2019ils nous ont bien tann\u00e9 la peau, \nque t out est pass\u00e9 et qu\u2019on ne s ongera pl us \u00e0 \nrecommencer. \n\u2013 Non, mais des fois, est- ce qu\u2019ils nous prennent \npour des c... ! Ah ! ils aur ont beau dir e, sit\u00f4t qu\u2019 ils \nauront un peu oubli\u00e9, on l es retrouvera les autres, hein, \nfit Lebrac, on recommence ! \n\u00ab Oh ! ajouta-t-il, j\u2019sais bien qu\u2019il y a \u201cqu\u00e9que\u201d \nfrouss ards qui ne r eviendront pas, mais vous tous, vous, \ns\u00fbrement vous r eviendrez, et bien d\u2019autres encore, et \nquand j e devr ais \u00eatre tout s eul, moi, je reviendrais et je \nleur z\u2019 y dirai s aux Velrans qu e je l es emm... et que c\u2019est \nrien que des peigne-culs et des vaches sans lait, voui ! \nje leur z\u2019y dirai s ! \n\u2013 On y s era aussi, nous aut res, on z\u2019 y sera s \u00fbrement \net fl\u00fbte pour les vieux ! \n\u00ab Comme si on ne s avait pa s ce qu\u2019ils ont fait eux \n 396aussi, quand ils \u00e9taient jeunes ! \n\u00ab Apr\u00e8s souper, ils nous envoient au plumard et eux, \nentre voisins, ils se mettent \u00e0 blaguer, \u00e0 jouer \u00e0 la b\u00eate \nhombr\u00e9e, \u00e0 casser des noix, \u00e0 manger de la \n\u201ccancoillotte\u201d, \u00e0 boire des litr es, \u00e0 li cher des gouttes, et \nils se racont ent leurs t ours du vi eux temps. \n\u00ab Parce qu\u2019on f erme l es yeux ils se fi gurent qu\u2019 on \ndort et il s en di sent, et on \u00e9coute et ils ne savent pas \nqu\u2019on s ait tout. \n\u00ab Moi, j\u2019ai ent endu mon p\u00e8re, un soir de l\u2019hi ver \npass\u00e9, qui racont ait aux aut res comment il s\u2019y prenait \nquand il allait vo ir ma m\u00e8re. \n\u00ab Il entrait par l\u2019\u00e9curie, croyez-vous, et il attendait \nque les vieux aillent au lit po ur aller coucher avec elle, \nmais un s oir mon gr and-p\u00e8re a bi en manqu\u00e9 de l e pincer \nen venant clairer les b\u00eates ; oui, le paternel, il s\u2019\u00e9tait \ncach\u00e9 sous la cr\u00e8che devant les naseaux des boeufs qui \nlui soufflaient au nez, et il n\u2019\u00e9tait pas fier, allez ! \n\u00ab Le vieux s\u2019est amen\u00e9 av ec sa lanterne tout \nbonnement et il s\u2019est tourn\u00e9 par hasar d de s on c\u00f4t\u00e9 \ncomme s\u2019il le regar dait, m\u00eame que mon p\u00e8re se \ndemandait s\u2019il n\u2019allait pas lui sauter dessus. \n\u00ab Mais pas du tout, le p\u00e9p\u00e91 n\u2019y songeait gu\u00e8re : il \n \n1 Grand-p\u00e8re. \n 397s\u2019est d\u00e9boutonn\u00e9, puis il s\u2019est mis \u00e0 pisser \ntranquillement, et mon p\u00e8re di sait qu\u2019il en finissait pas \nde secouer son outil et qu \u2019il trouvait le temps \nbougr ement l ong parce que \u00e7a le piquait \u00e0 la \u201cgargotte\u201d1 \net qu\u2019il avait peur de tousse r ; alors sit\u00f4t que le grand-\npapa a \u00e9t\u00e9 parti, il a pu se redr esser et reprendr e son \nsouffl e, et un quar t d\u2019heure apr\u00e8s il \u00e9tait \u201cpieut\u00e9\u201d avec \nma m\u00e8re, \u00e0 la chambre haute. \n\u00ab Voil\u00e0 ce qu\u2019ils faisaient ! Est-ce qu\u2019on a jamais \nfait des \u201ctrueri es\u201d comme \u00e7a, nous autres ? Hei n, je \nvous l e demande, c\u2019est \u00e0 peine si on embr asse de temps \nen temps nos bonn\u2019amies q uand on leur donne un pain \nd\u2019\u00e9pices ou une orange, et pour un s ale tra\u00eet re et voleur \nqu\u2019on f ouaille un tout peti t peu, ils font des chichis et \ndes histoi res comme si un boeuf \u00e9tait cr ev\u00e9. \n\u2013 Mais c\u2019est pas \u00e7a qui emp\u00eachera qu\u2019on fasse son \ndevoir. \n\u2013 Tout de m\u00eame, bon Di eu ! qu\u2019i l y a pi ti\u00e9 aux \nenfants d\u2019avoir des p\u00e8re et m\u00e8re ! \nUn long silence suivit cette r\u00e9flexion. Lebrac \nrecachait le tr\u00e9sor jusqu\u2019 au jour de la nouvell e \nd\u00e9claration de guerr e. \nChacun songeait \u00e0 sa fess\u00e9e, et, comme on \n \n1 Gargotte : g orge. \n 398redescendait entre les buissons de la Saute, La Crique, \ntr\u00e8s \u00e9mu, plein de la m\u00e9lancol ie de la neige proc haine et \npeut-\u00eatre aussi du pressent iment des illusions perdues, \nlaissa tomber ces mots : \n\u2013 Dire que, quand nous se rons grands, nous serons \npeut- \u00eatre aussi b\u00eat es qu\u2019eux ! \n 399 \n \n \n \n \nAnnexe \n 400 \n \n \n \nLoui s Pergaud (1882- 1915) es t l\u2019auteur de romans et \nde recueil de nouvelles, dont : La Guerre des boutons , \nassez connu par le film qu\u2019on en a tir\u00e9, et De Goupil \u00e0 \nMargot , prix Goncourt en 1910 . Les deux r\u00e9cits qui \nsuivent sont tir\u00e9s de Les Rustiques : nouvelles \nvillageoises ; dans le dernier, l\u2019on retrouve les m\u00eames \nenfants de La Guerre des boutons. \n \n \nLouis Pergaud, Les Rustiques : nouvelles \nvillageoises , Paris, Mercure de France, 1921. Deuxi\u00e8me \n\u00e9dition. \n 401 \n \nL\u2019assassinat de la Vouivre \n \nLe vieux Jean-Claude avait eu son enfance berc\u00e9e \nau r\u00e9cit des l\u00e9gendes de la Vouivre, en qui il croyait de \ntoutes les forces de s on \u00e2me. \nSa grand\u2019m\u00e8re lui avait a ffirm\u00e9, devant le po\u00eale \nronronnant et le chat myst\u00e9r ieux, quand sifflait la bise \net tourbillonnait la neige, l\u2019avoir vue de s es propres \nyeux, l es soir s de cl air de lu ne et les nuit s d\u2019\u00e9toiles, \npromener par l es pr\u00e9s humi des de l a Morai e sa sveltesse \nrobust e de s erpent ail \u00e9. Dans les miroir s des flaques \nencadr\u00e9es de pr\u00e8les scin tillaient les feux de son \nescarboucle de diamant qu \u2019elle d\u00e9posait \u00e0 son c\u00f4t\u00e9 \navant de se pencher sur la nacre cristalline des \nruisseaux pour s\u2019y d\u00e9salt\u00e9rer se lon le rite. Et la foi, bue \navec les paroles de l\u2019a\u00efeule mort e, s\u2019\u00e9tait i mplant\u00e9e s i \nprofond\u00e9ment en lui que tout es les railleries et les \nhochements incr\u00e9dules des fortes t\u00eates n\u2019en avaient \njamais eu raison. \nAh ! pouvoir lui ravir l\u2019es carboucl e, l\u2019escarboucle \nqui e\u00fbt ass ur\u00e9 la fortune et la puissance au h\u00e9ros de \ncette fabuleuse aventure ! Nul audacieux des temps \njadis n\u2019avait os\u00e9 le faire. La b\u00eate l\u2019e\u00fbt d\u00e9vor\u00e9 ! \n 402Jean-Clau de, par ce soir d\u2019automne, revenait du \nvillage voisin o\u00f9 il avait li vr\u00e9 \u00e0 un paysan, cultivateur \ncomme lui, une g\u00e9nisse qu\u2019 il lui avait vendue. Ses \u00e9cus \nde cinq livres, entass\u00e9s dan s un petit sac \u00e0 plomb, se \nfroissaient doucement sous la doublure de sa veste et \ncaressaient son oreille de leur bruissement argentin. \nIl sortit du boi s du C h\u00eanois, longeant l es pr\u00e9s \nhumi des d\u2019\u00c9 penouse, o\u00f9 ser pentaient des r uisselets \ngrossis par l es pluies froides des j ours pr \u00e9c\u00e9dents. L es \nfeuilles tombaient des arbr es avec des cr\u00e9pitements \ngr\u00eales ; dans l\u2019azur lav\u00e9, le s \u00e9toiles scintillaient et le \ncroissant gonfl \u00e9 d\u2019un pr emie r quartier de lune s\u2019avivait \n\u00e0 l\u2019occi dent. Il allait arri ver \u00e0 la source de la Morai e et \nsongeait en lui-m\u00eame : \n\u2013 Oui, ils l\u2019ont vue jadis et elle existe toujours, bien \ns\u00fbr ; ma is elle se cache, car elle sait que les hommes ont \nmaintenant des fusils, qu\u2019ils ne craignent plus ni dieux \nni diables et que s a force et son agili t\u00e9 n\u2019aur aient rais on \nde leur adr esse et de leur avarice ! \nAh ! lui ravir l\u2019escarboucle ! \nVoil\u00e0 pourtant les lieux qu\u2019e lle hantait jadis. Elle a \nr\u00f4d\u00e9 sous ces saules, elle s\u2019 est mir \u00e9e \u00e0 ce r uisseau et \nelle y r evient s ans dout e encor e de temps \u00e0 autre, par les \nnuits s ombres et les bis es d\u2019hi ver. C\u2019\u00e9t ait son endr oit \nfavori ; la \u00ab m\u00e9m\u00e9 \u00bb m\u2019 a tant dit qu\u2019elle pr\u00e9f\u00e9rait notre \nMorai e aux \u00e9t angs cr oupis sants de Chambotte et \u00e0 la \n 403rivi\u00e8re de Br\u00e9mondans. \nMais... \nEt Jean-Claude sentit ses jambes s\u2019amollir et \nflageoler sous lui. \nDerri\u00e8re le premier rideau de saules que les rayons \nde lune trouai ent de l eurs ciseaux d\u2019argent, un objet \n\u00e9norme, comme un diamant fa ntastique, scintillait, \njetant tout \u00e0 l\u2019entour des fe ux bl ancs \u00e9blouis sants. Et il \nlui sembla que quelque chos e avait cr aqu\u00e9 par derri\u00e8r e. \n\u2013 C\u2019est el le, mon Dieu ! pen sa Jean-Claude. \nCinq cents m\u00e8tres \u00e0 peine le s\u00e9paraient du village ; il \nles franchit en cinq minutes et vint pouss er viol emment \nl\u2019hui s du gr and Bapti ste, chez qui les amis s\u2019\u00e9t aient \nrassembl \u00e9s pour la premi \u00e8re veill \u00e9e. \n\u2013 La Vouivre ! cri a-t-il, j \u2019ai vu la Vouivr e ! \nTous le fix\u00e8rent avec des yeux ronds. \nMais la foi d\u00e9bordait des yeux de Jean-Claude ; il \nn\u2019eut pas de peine \u00e0 les convaincre et \u00e0 briser le l\u00e9ger \nvernis d\u2019incr\u00e9dulit\u00e9 vantard e derri\u00e8re lequel voulaient \ns\u2019abriter leur ignorance na\u00efv e et leur candeur pu\u00e9rile. \n\u2013 Pourquoi pas ? apr\u00e8s tout ! On voit tant de choses \nsi bizarres et pl us incompr \u00e9hensi bles. \nMais Jean-Claude poursuivit : \n 404\u2013 Nous al lons pr endre des f usils et l a cerner ; nous l a \ntuerons et son escarboucle nous fera tous riches ! \nPersonne ne discuta. Un r\u00eave de lucr e plana s ur \nl\u2019assembl\u00e9e. \nDeux mi nutes apr \u00e8s, les tricots boutonn\u00e9s, les gros \nbrodequi ns lac\u00e9s, ils \u00e9taient pr\u00eats \u00e0 partir, le fusil \u00e0 la \nmain. \nLe plan d\u2019attaque \u00e9tait simple. \nOn allait remonter la Mora ie en profitant de l\u2019abri \ndes buissons, s\u2019espacer \u00e0 ga uche pour lui couper la \nretraite sur les bois de Valrim ont et se rabattre en demi-\ncercle vers l\u2019endroit d\u00e9sign\u00e9 par Jean-Claude. Il n\u2019y \naurait de libre que l\u2019espace d\u00e9couvert assez restreint du \ncouchant par o\u00f9, si elle voul ait fuir, on pourrait la tirer \navec des chances de l\u2019atteindre. \nNarcisse, le chasseur, un des meilleurs fusils du \ncanton, tirerait le premier. \nD\u00e9valant la combe des pr\u00e9s , les tirailleurs, en grand \nsilence, s\u2019\u00e9gaill\u00e8rent so us le clair de l une. \nSans bruit, au centre, J ean-Claude rampait pr\u00e8s de \nNarcisse ; ils allaient lent ement, comme englu\u00e9s dans la \nbrume. \u00c0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019 eux, l e ruisseau chant ait sur l es \ngraviers, \u00e9levant la voix aux tournants comme pour \nappeler les petits flots reta rdaires qui musaient aux \nberges ; la nuit \u00e9tait limpide et le croissant de lune \n 405brillait clair dans l\u2019azur noirci. \n\u00c0 quarante pas de l\u2019endr oit o\u00f9 il avai t vu l a b\u00eate, di x \nminutes auparavant, Jean-Claude serra le bras de \nNarcisse, mu rmuran t d\u2019une voix basse comme le \nsouffle d\u2019un mourant : \n\u2013 La vois-tu ?... L \u00e0-bas, derri\u00e8r e ! \nNarcisse pencha la t\u00eate en avant, les sourcils \nfronc\u00e9s, les yeux fixes, sa longue barbe noire, raide et \ncomme fi g\u00e9e. \nC\u2019\u00e9tait vrai ! L\u00e0-bas quelque chose brillait \nintens \u00e9ment et cette clar t\u00e9 myst\u00e9rieuse ne pouvait \nprovenir d\u2019 une s ource naturelle de l umi\u00e8re. \nVers la gauche, une branc he craqua : les autres \n\u00e9taient proches. \n\u2013 Attention ! Elle va se sauver ! Vois, \u00e7a remue, \nbredouilla Jean-Claude. \nLe pr ofil de bouc de Nar cisse s\u2019inclina sur le canon \ndu lef aucheux \u00e0 deux coups char g\u00e9 de chevrot ines. \nUne d\u00e9t onation formidable f it tressauter la nuit et il \ny eut comme un bond d\u00e9sesp\u00e9r \u00e9 \u00e0 c\u00f4t \u00e9 de l\u2019 escarboucle, \nqui sembla p\u00e2lir un peu. \nAu m\u00eame moment, une raf ale de coups de feu \nravagea le silence : les autres tiraient aussi. \n\u2013 En avant ! rugit Narci sse, qui avait remplac\u00e9 sa \n 406cartouche vide. \n\u2013 En avant ! rugir ent les autres, en formidable \u00e9cho. \nMalgr\u00e9 l\u2019enthousiasme de leurs cris, pas un \nn\u2019apparut , et Nar cisse ava n\u00e7a seul, tr\u00e8s prudemment \nd\u2019ailleurs, le fusil \u00e0 l\u2019\u00e9pau le, pr\u00eat \u00e0 faire feu. Jean-\nClaude, \u00e0 trois pas derri\u00e8re lu i, tremblait d\u2019\u00e9motion et \nde peur. \nLe vieux chass eur arri va sur le lieu du massacre. Un \n\u00e9clat de r ire hom\u00e9rique l e secoua de la t\u00eate aux pieds. \n\u00c0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un fond de b outeille cass\u00e9 en mille \nmorceaux et qui scintillait \u00e0 la lune, un grand li\u00e8vre, \ncribl\u00e9 de pl ombs , gisait, saignant, l es membres cass \u00e9s, \nla t\u00eate trou\u00e9e, les tr ipes hors du ventre. \nRass ur\u00e9s par le ri re de Narc isse, les au tres su rgirent \nenfin lentement des buissons voisins et s\u2019approch\u00e8rent \u00e0 \nleur tour. \nUn peu hont eux de s\u2019 \u00eatre laiss\u00e9 pr endre au mirage \nfacile du r\u00eave de lucr e et \u00e0 la fascination de la l\u00e9gende \nancienne, ils essayai ent de s\u2019excuser, all\u00e9guant leur \nincr\u00e9dulit \u00e9 int\u00e9rieure et l eur pa ss\u00e9 de gens \u00e0 qui on ne la \nfait pas. \n\u2013 Tout de m\u00eame, trancha Na rcisse, on fera bien de \nn\u2019en rien dir e, les gens des alentours se ficherai ent de \nnous . Ce qu\u2019il y a de mie ux \u00e0 f aire, c\u2019 est de manger \nl\u2019oreillard. \n 407Comme les \u00e9moti ons de cette noct urne \u00e9quip\u00e9e avait \naffam\u00e9 les traqueurs, ce fut ce m\u00eame soir qu\u2019on leva le \ncuir du li \u00e8vre et qu\u2019 on le m it \u00e0 la casserole. Jean-Claude \nfut condamn\u00e9 \u00e0 fournir la sauce et \u00e0 payer quatre litres \nau lieu de deux pour appren dre \u00e0 voul oir en conter aux \ncamarades et aussi pour a rroser le bon march\u00e9 qu\u2019il \navait fait en vendant sa g\u00e9nisse. \nEt voil\u00e0 pour quoi maint enant les gens de B \u00e9mont-\nen-Comt\u00e9, quand on leur parle de la Vouivre, hochent \nla t\u00eate et clignent de l\u2019oe il d\u2019un air entendu et un peu \nnarquois en vous disant : \n\u2013 La Vouivre, il y a beau temps qu\u2019on l\u2019a tu\u00e9e ! \n 408 \n \nLa traque aux nids \n \nY avait Michaud, y avait Langlois, \nY avait Land ouillard... \n \nComme dans l a chans on, nous \u00e9ti ons sept ; c\u2019est-\u00e0-\ndire, non, ne dramatisons rien et restons sinc\u00e8re, nous \nn\u2019\u00e9tions que six : Lebr ac, Camus, Gambette, Tintin, \nGrangibus et La Crique. \nV\u00e9t\u00e9rans chevronn\u00e9s de la guerre des bout ons, \ngrands maraudeurs de pomm es et abatteurs de noix, \ntous, gar nements de di x \u00e0 douze ans, nous avions ce \nprintemps-l\u00e0 reform\u00e9 notr e association de bandits \ngrimpeurs, pillards a\u00e9riens et d\u00e9trousseurs de nids. Pour \nle partage, ainsi qu\u2019on le verr a, nous \u00e9tions toujours un \nde trop, sinon deux ; pour la besogne, la criminelle \nbesogne, nous \u00e9tions de tr op tous les six. \nCe n\u2019\u00e9tait point pourtant aux petits oiseaux que nous \nen voulions, sauf Camus qui av ait conserv\u00e9 un go\u00fbt tr\u00e8s \nvif pour les bouvreuils, pr\u00e9dilection qui lui avait \nd\u2019ailleurs valu son nom : un bouvreuil, l\u00e0-bas, \ns\u2019appelant un camus. Donc, les pinsons, chardonnerets, \nlinots , serins, f auvett es et m\u00e9s anges pouvai ent b\u00e2tir en \n 409paix, pondre, couver et fair e \u00e9clore sans h\u00e2te avec \nnous ; c\u2019\u00e9tait dans le grand que nous donnions et par les \nbois que se perp\u00e9t raient nos rapts et nos meur tres. \nNous tr aquions les j eunes merles pour l eur \napprendre \u00e0 si ffler, les geai s pour leur apprendre \u00e0 \nparler , les cor beaux pour leur appr endre \u00e0 se saouler, \nles pies pour leur apprendre \u00e0 chaparder et les grives \npour rien, pour l\u2019 \u00e9galit \u00e9 devant l e malheur s ans dout e. \nOr l a tactique et les r\u00e8gles de notre ass ociation \n\u00e9taient les sui vantes : \nNous entrions en for\u00eat \u00e0 un endroit d\u00e9termin\u00e9 et, \u00e0 \nnous six, nous battions en tous sens un espace donn\u00e9, \nhabituell ement le gr and r ectangle compris entre une \ntranch\u00e9e sommi\u00e8re et deux tranch\u00e9es transversales, plus \nou moi ns selon le bois et le temps dont nous disposi ons. \nD\u00e8s que l\u2019un des traqueurs apercevait un nid, il \nl\u2019annon\u00e7ait aux autres en criant de tous ses poumons : \nPreu ! Imm\u00e9di atement on en tendait : seu ! puis trois ! \nquat\u2019 ! cinq ! et enfin, comme un grognement grave, \nder ! \nCes di verses excl amations affirmaient que le pr eu \nou premi er, cel ui qui avait trouv\u00e9 l e nid, avait le dr oit \nde choisir parmi les oisillons celui qui lui semblerait le \nplus beau ; le s eu ou se cond venait imm\u00e9diatement \napr\u00e8s, puis le troisi \u00e8me et ainsi de s uite. \n 410Comme i l \u00e9tait assez r are que l e nid cont\u00ee nt plus de \ncinq petits, le der ou dernier \u00ab se bombait \u00bb \ng\u00e9n\u00e9ral ement. S elon l es lois de l\u2019 exp\u00e9rience et d\u2019 une \nsage approximation, les trois premiers \u00e9taient s\u00fbrs, le \nquatri \u00e8me avait de fort es chances et pouvait esp\u00e9rer, \nquant au ci nqui\u00e8me s es esp\u00e9r ances s e trouvai ent \nconsid\u00e9rablement amoindries. On pouvait d\u2019ailleurs \n\u00e9changer son num\u00e9ro comme on vend un billet de \nloterie et, quand tous \u00e9taient r\u00e9unis au pied de l\u2019arbre, \navant la mont\u00e9e, on troquait, on marchandait, on \nvendait : \n\u2013 Je te passe ma place con tre la tienne, proposait \nhabituell ement le quatr e au ci nq. \n\u2013 All ez ! \n\u2013 Seulement, tu me donne ras quat\u2019 billes et une \nagate ! \n\u2013 Quatre billes et une agat e ! ben, mon cochon, t\u2019en \nas du culot ; j\u2019te donne d eux billes et une blanche, \nvoil\u00e0. J\u2019sais pas ce qu\u2019y a dans c\u2019nid : on n\u2019 a pas \nseulement vu la m\u00e8re. S\u2019il \u00e9tait coucout\u00e9 ? \n\u2013 Ou s\u2019il est parti, appuyait un copain ! \n\u2013 Voui, mais s\u2019il y a qua tre beaux petits bien drus, \nqui c\u2019est qui sera l e c... s\u2019il n\u2019a pas fait le mar ch\u00e9 ? \n\u2013 Et s\u2019il n\u2019 y en a que tr ois ? \n 411\u2013 Veux-tu pour quat\u2019 billes ? \n\u2013 Non, deux ! \n\u2013 Eh bien ! garde ton num\u00e9ro cinq et tu te taperas, tu \nn\u2019es rien qu\u2019un r apia ! \n\u2013 C\u2019est toi que tu n\u2019en es qu\u2019un et puis que c\u2019 est \ncomme \u00e7a, je voudrais que l\u2019 nid soille plei n de m... ! \n\u2013 Sal aud ! \nLes dis cussions n\u2019 allaient g\u00e9n\u00e9r alement pas pl us \nloin ; une fois les combina isons faites, les march\u00e9s \nconsacr\u00e9s en t apant dans la main, celui dont le t our \u00e9tait \nvenu, \u00ab montait l e nid \u00bb et annon\u00e7ait. S\u2019il \u00e9tait pr \u00eat on \nle prenait ; s\u2019il ne l\u2019\u00e9tait pas, on attendait, mais il n\u2019y \navait plus \u00e0 reveni r sur ce qui avait \u00e9t\u00e9 r \u00e9gl\u00e9. \nOn ne sut jamais ce que Lebrac faisait de ses \noiseaux. Gambette et Ca mus les revendaient \u00e0 des \namateur s ; La Cri que \u00e0 qui son p\u00e8re avait formellement \ninterdit ce genre de chasse et Tintin qui \u00e9tait dans le \nm\u00eame cas troquai ent r\u00e9guli\u00e8rement leurs parts de pri se \navec Grangibus qui, au mou lin o\u00f9 il avait en abondance \ndes graines et des fa rines ai nsi que des cages, se livrait \navec rage \u00e0 l\u2019\u00e9levag e de ses captifs. \nPourt ant, Grangibus n\u2019 avait pas de veine : beaucoup \nde ses oisillons, priv\u00e9s des so ins maternels, p\u00e9rissaient ; \nun corbeau d\u00e9j\u00e0 dress\u00e9 et comment (il buvait du vin), \navait jug\u00e9 bon n\u00e9anmoins de renoncer aux bienfaits de \n 412la civilisation et de reprendr e la cl\u00e9 des bois ; une pie, \nmalgr\u00e9 ses ailes \u00e0 de mi-rog n\u00e9es, avait agi de m\u00eame ; un \nmerle qui sifflait la Marseillaise : \u00ab Aux armes , \ncitoyens ! \u00bb \u00e9tait mort , sans dout e d\u2019une fi \u00e8vre \npatriotique ; enfin un geai qui donnait les plus belles \nesp\u00e9rances \u2013 \u00ab il bouf fait, mon ami, comme un \ncochon \u00bb \u2013 bouffa si bien qu\u2019un jour il avala, avec la \nbouillie de ma\u00efs que lui te ndait Grangibus, la petite \npalette en bois qui lui servait de fourchette et s\u2019\u00e9trangla, \ncomme de j uste. \nCes accidents ne d\u00e9sesp\u00e9rai ent point l\u2019\u00e9leveur qui \navec de nouveaux su jets, faisait de no uveaux essais et \nmettait, au jour le jour, les camarades au cour ant des \nprogr\u00e8s r\u00e9alis\u00e9s par ses pensionnaires. \nSes r\u00e9cits \u00e9b louirent Tintin qui se r\u00e9solut, ma lgr\u00e9 le \nveto familial, \u00e0 dresser lu i aussi, merles et geais. \nIl eut moins de vei ne encor e que Gr angibus. \nLe premier soir comme il se ramenait \u00e0 la maison \navec deux geais et un merle, son p\u00e8re lui tomba dessus \net, pour lui apprendre l\u2019ob\u00e9issance et le respect des \nnids, l\u2019obligea \u00e0 tordre le cou \u00e0 ses malheureus es \nvictimes qui t ournaient d\u00e9j \u00e0 de l\u2019 oeil, \u00e0 les plumer, \u00e0 l es \nvider, \u00e0 les barder de lard, \u00e0 les cuir e lui-m\u00eame et \u00e0 l es \nmanger pour son souper. \nD\u2019\u00e9coeurement, de d\u00e9go\u00fbt et d\u2019ingestion, Tintin \n 413vomit tripes et boyaux et faillit en crever pendant la \nnuit. \nLe lendemain, il d \u00e9clara qu\u2019il quittait l\u2019association. \nCamus le suivit bient\u00f4t et elle fut d\u00e9finitivement \ndissoute, voi ci dans quelles m\u00e9morables circonstances : \n\u00c0 une heure moins cinq mi nutes, un beau jour, \nLebrac d\u00e9couvrit sur un peuplie r, au bor d d\u2019une s ource, \nun ni d de pi es et cria : pr eu ! Camus arriva bon dernier. \nDepui s longtemps, pourt ant, il d\u00e9sirait une agace. \nC\u2019\u00e9tait le temps o\u00f9 celle de Grangibus commen\u00e7ait \u00e0 \nchiper les petites cuillers. \nCompter sur un cinqui\u00e8me oisillon \u00e9tait hasardeux ! \nL\u2019heure de la classe arrivant , on d\u00e9ci da que l e nid ne \nserait mont\u00e9 qu\u2019 \u00e0 quatr e heur es et l\u2019 ont vint \u00e0 l\u2019\u00e9col e. \nCamus, de m\u00eame que T rochu, avait son plan. \nPersonne ne le remarqua lo rsque, au nom de sa m\u00e8re \net pour on ne s ait quell e fabuleuse commissi on, il \ndemanda au ma\u00eetre la permissi on de sortir \u00e0 quatre \nheures moins un quart et , le moment venu, il r\u00e9ussit \u00e0 \ns\u2019\u00e9clipser san s \u00eatre vu . \nQuand l a sorti e s\u2019effectua, les camarades furent bien \n\u00e9tonn\u00e9s de ne pas le voir. La Crique, pris d\u2019un soup\u00e7on, \ncommuniqua son id\u00e9e aux as soci\u00e9s et tous, craignant \nd\u2019avoir \u00e9t\u00e9 roul \u00e9s par le gaillard, fil\u00e8 rent ventre \u00e0 terre, \n 414dans la di rection du peuplier o\u00f9 \u00e9tait le nid. \nIls arriv\u00e8rent. \nCamus , au pi ed de l\u2019arbr e, gisait couch\u00e9 sur le dos, \ntout p\u00e2l e, les yeux clos . Nul doute qu\u2019il n\u2019 \u00e9tait mont\u00e9 \u00e0 \nl\u2019arbre et avait d\u00e9gringol\u00e9 . D\u2019oiseaux, il n\u2019en avait \npoint ent re sa chemise et s a peau, dans \u00ab ses estomacs \u00bb \ncomme on disait ; mais le nid vide \u00e9tait \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui et, \nau fond de sa poche, un oeuf d\u2019agace, pourri, cass\u00e9, qui \npoissait la doublur e et empestait. \n\u2013 Bon Dieu ! il est peut-\u00eatre tu\u00e9 ! \nLa Crique t\u00e2ta le coeur qui battait encore l entement. \n\u2013 Non ! affirma-t-il. \nOn se mit \u00e0 fricti onner vigour eusement le bl ess\u00e9 ; on \nlui versa de l\u2019eau froide sur la figure et Gambette, ayant \ngard\u00e9 dans son bi ssac un peu de vin qui lui restait de \nson d\u00e9jeuner, approcha le goul ot de sa petit e bout eille \ndes l\u00e8vres de Camus qu i ouvrit enfin les yeux. \nD\u2019un oeil ahuri il regarda les copains, puis se \nsouvi nt sans dout e, port a les mains \u00e0 son derri\u00e8re qui lui \ncuisait et se t\u00e2ta les c\u00f4 tes en faisant la grimace. \n\u2013 Ben, m... ! affirma-t -il en gui se de remerciement, \nj\u2019y irai pus aux nids ! \nVoyant qu\u2019il en \u00e9t ait quitt e pour la peur , les quatre \nassoci\u00e9s qu\u2019il avait voulu flouer l\u2019attrap\u00e8rent \n 415v\u00e9h\u00e9mentement : \n\u2013 \u00c7a t\u2019apprendra, b ougre de cochon ! \n\u2013 C\u2019est bien fait, tu l\u2019as pas vol\u00e9 ! \n\u2013 Tu recomme nceras, sale barboteur ! \n\u2013 C\u2019est le bon Di eu qui t\u2019a puni ! \nDevant ce d\u00e9bor dement d\u2019 injures, Camus, malgr \u00e9 \nson ahuri ssement, \u00e9prouva t out de m\u00eame le besoin de se \nrebiffer et, tout en se fro ttant les fesses, il cr\u00e2na, \nmena\u00e7ant et blasph\u00e9matoire : \n\u2013 Si que la branche aura it \u00e9t\u00e9 solide, j e m\u2019en \nfoutrerais pas mal de vot\u2019 bon Dieu ! \n 416 \n \n 417 \n \nTable \n \nPergaud- le-Rustique ........................................... 4 \nPr\u00e9face .............................................................. 19 \nI. La guerre ...................................................................... 21 \nLa d\u00e9cl aration de guerr e................................... 22 \nTension dipl omati que....................................... 36 \nUne gr ande jour n\u00e9e.......................................... 50 \nPremier revers ................................................... 64 \nLes cons\u00e9quences d\u2019un d\u00e9s astre....................... 77 \nPlan de campagne ............................................. 89 \nNouvelles batailles ......................................... 103 \nJustes repr\u00e9saill es........................................... 121 \nII. De l\u2019argent ! ................................................................. 144 \nLe tr \u00e9sor de guerr e.......................................... 145 \nFaulte d\u2019argent, c\u2019 est doleur non pareille ....... 157 \nLa comptabilit\u00e9 de Tintin ............................... 169 \nLe retour des vict oires .................................... 182 \n 418Au poteau d\u2019ex\u00e9cution .................................... 194 \nCruelle \u00e9nigme ............................................... 204 \nLes malheurs d\u2019 un tr\u00e9s orier............................ 219 \nAutres combi naisons...................................... 238 \nIII. La cab ane..................................................................... 250 \nLa construction de la cabane .......................... 251 \nLes grands jours de Longeverne ..................... 267 \nLe festin dans la for\u00eat..................................... 282 \nR\u00e9cits des temps h\u00e9ro\u00efques ............................. 304 \nQuerelles intestines ......................................... 321 \nL\u2019honneur et la culotte de Tintin .................... 333 \nLe tr\u00e9sor pill\u00e9 .................................................. 346 \nLe tra\u00eetre ch\u00e2ti\u00e9 ............................................... 360 \nDerni\u00e8res pa roles............................................ 385 \nIV. Annexe .......................................................................... 400 \nL\u2019assassinat de la Vou ivre.............................. 402 \nLa traque aux nids .......................................... 409 \n \n 419 \n 420 \n \n \n \nCet ouvr age est l e 293\u00e8me publi \u00e9 \ndans la collection \u00c0 tous les vents \npar la Biblioth\u00e8que \u00e9lec tronique du Qu\u00e9bec. \n \n \nLa Biblioth\u00e8que \u00e9lectronique du Qu\u00e9bec \nest la propri\u00e9t\u00e9 exclusive de \nJean-Yves Dupuis. \n \n \n 421"}