{"filename": "Lodyssee.pdf", "content": "l\u2019Odyss\u00e9e\nHom\u00e8reL\u2019ODYSS\u00c9EChant 1 1\nChant 2 21\nChant 3 41\nChant 4 63\nChant 5 101\nChant 6 123\nChant 7 139\nChant 8 161\nChant 9 189\nChant 10 215\nChant 11 241\nChant 12 269\nChant 13 289\nChant 14 309\nChant 15 333\nChant 16 359\nChant 17 381\nChant 18 411\nChant 19 431\nChant 20 459\nChant 21 479\nChant 22 499\nChant 23 523\nChant 24 5411\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 1\nDis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, apr\u00e8s \nqu\u2019il eut renvers\u00e9 la citadelle sacr\u00e9e de Troi\u00e8. Et il vit les cit\u00e9s de \npeuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son c\u0153ur, il \nendura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le \nretour de ses compagnons Mais il ne les sauva point, contre son \nd\u00e9sir ; et ils p\u00e9rirent par leur impi\u00e9t\u00e9, les insens\u00e9s ! ayant mang\u00e9 \nles b\u0153ufs de H\u00e8lios Hyp\u00e9rionade. Et ce dernier leur ravit l\u2019heure \ndu retour. Dis-moi une partie de ces choses, D\u00e9esse, fille de Zeus. \nTous ceux qui avaient \u00e9vit\u00e9 la noire mort, \u00e9chapp\u00e9s de la guerre et \nde la mer, \u00e9taient rentr\u00e9s dans leurs demeures ; mais Odysseus res -\ntait seul, loin de son pays et de sa femme, et la v\u00e9n\u00e9rable Nymphe \nKalyps\u00f4, la tr\u00e8s-noble d\u00e9esse, le retenait dans ses grottes creuses, \nle d\u00e9sirant pour mari. Et quand le temps vint, apr\u00e8s le d\u00e9roule -\nment des ann\u00e9es, o\u00f9 les Dieux voulurent qu\u2019il rev\u00eet sa demeure \nen Ithak\u00e8, m\u00eame alors il devait subir des combats au milieu des \nsiens. Et tous les Dieux le prenaient en piti\u00e9, except\u00e9 Poseida\u00f4n, \nqui \u00e9tait toujours irrit\u00e9 contre le divin Odysseus, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il \nf\u00fbt rentr\u00e9 dans son pays.2CHaNT 1\nEt Poseida\u00f4n \u00e9tait all\u00e9 chez les aithiopiens qui habitent au loin \net sont partag\u00e9s en deux peuples, dont l\u2019un regarde du c\u00f4t\u00e9 de \nHyp\u00e9ri\u00f4n, au couchant, et l\u2019autre au levant. Et le Dieu y \u00e9tait all\u00e9 \npour une h\u00e9catombe de taureaux et d\u2019agneaux. Et comme il se \nr\u00e9jouissait, assis \u00e0 ce repas, les autres Dieux \u00e9taient r\u00e9unis dans la \ndemeure royale de Zeus Olympien.\nEt le P\u00e8re des hommes et des Dieux commen\u00e7a de leur parler, se \nrappelant dans son c\u0153ur l\u2019irr\u00e9prochable aigisthos que l\u2019illustre \nOrest\u00e8s agamemnonide avait tu\u00e9. Se souvenant de cela, il dit ces \nparoles aux Immortels :\n\u2013 ah ! combien les hommes accusent les Dieux ! Ils disent que \nleurs maux viennent de nous, et, seuls, ils aggravent leur destin\u00e9e \npar leur d\u00e9mence. Maintenant, voici qu\u2019 aigisthos, contre le destin, \na \u00e9pous\u00e9 la femme de l\u2019a tr\u00e9ide et a tu\u00e9 ce dernier, sachant quelle \nserait sa mort terrible ; car nous l\u2019avions pr\u00e9venu par Herm\u00e9ias, \nle vigilant tueur d\u2019a rgos, de ne point tuer agamemn\u00f4n et de ne \npoint d\u00e9sirer sa femme, de peur que l\u2019 atr\u00e9ide Orest\u00e8s se venge\u00e2t, \nayant grandi et d\u00e9sirant revoir son pays. Herm\u00e9ias parla ainsi, \nmais son conseil salutaire n\u2019a point persuad\u00e9 l\u2019esprit d\u2019a igisthos, \net, maintenant, celui-ci a tout expi\u00e9 d\u2019un coup.3\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt ath\u00e8n\u00e8, la D\u00e9esse aux yeux clairs, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 notre P\u00e8re, Kronide, le plus haut des Rois ! celui-ci du moins \na \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 d\u2019une mort juste. Qu\u2019il meure ainsi celui qui agira \nde m\u00eame ! Mais mon c\u0153ur est d\u00e9chir\u00e9 au souvenir du brave \nOdysseus, le malheureux ! qui souffre depuis longtemps loin des \nsiens, dans une \u00eele, au milieu de la mer, et o\u00f9 en est le centre. Et, \ndans cette \u00eele plant\u00e9e d\u2019arbres, habite une D\u00e9esse, la fille dange -\nreuse d\u2019a tlas, lui qui conna\u00eet les profondeurs de la mer, et qui \nporte les hautes colonnes dress\u00e9es entre la terre et l\u2019Ouranos.\nEt sa fille retient ce malheureux qui se lamente et qu\u2019elle flatte tou -\njours de molles et douces paroles, afin qu\u2019il oublie Ithak\u00e8 ; mais il \nd\u00e9sire revoir la fum\u00e9e de son pays et souhaite de mourir. Et ton \nc\u0153ur n\u2019est point touch\u00e9, Olympien, par les sacrifices qu\u2019Odys -\nseus accomplissait pour toi aupr\u00e8s des nefs argiennes, devant la \ngrande Troi\u00e8. Zeus, pourquoi donc es-tu si irrit\u00e9 contre lui ?\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Mon enfant, quelle parole s\u2019est \u00e9chapp\u00e9e d\u2019entre tes dents ? \nComment pourrais-je oublier le divin Odysseus, qui, par l\u2019intelli -\ngence, est au-dessus de tous les hommes, et qui offrait le plus de \nsacrifices aux Dieux qui vivent toujours et qui habitent le large 4CHaNT 1\nOuranos ? Mais Poseida\u00f4n qui entoure la terre est constamment \nirrit\u00e9 \u00e0 cause du Kykl\u00f4ps qu\u2019Odysseus a aveugl\u00e9, Polyph\u00e8mos tel \nqu\u2019un Dieu, le plus fort des Kykl\u00f4pes. La Nymphe Tho\u00f4sa, fille \nde Phorkyn, ma\u00eetre de la mer sauvage, l\u2019enfanta, s\u2019\u00e9tant unie \u00e0 \nPoseida\u00f4n dans ses grottes creuses. C\u2019est pour cela que Poseida\u00f4n \nqui secoue la terre, ne tuant point Odysseus, le contraint d\u2019errer \nloin de son pays. Mais nous, qui sommes ici, assurons son retour ; \net Poseida\u00f4n oubliera sa col\u00e8re, car il ne pourra rien, seul, contre \ntous les dieux immortels.\nEt la D\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 notre P\u00e8re, Kronide, le plus haut des Rois ! s\u2019il pla\u00eet aux Dieux \nheureux que le sage Odysseus retourne en sa demeure, envoyons \nle Messager Herm\u00e9ias, tueur d\u2019a rgos, dans l\u2019\u00eele Ogygi\u00e8, afin qu\u2019il \navertisse la Nymphe \u00e0 la belle chevelure que nous avons r\u00e9solu le \nretour d\u2019Odysseus \u00e0 l\u2019\u00e2me forte et patiente.\nEt moi j\u2019irai \u00e0 Ithak\u00e8, et j\u2019exciterai son fils et lui inspirerai la force, \nayant r\u00e9uni l\u2019agora des akhaiens chevelus, de chasser tous les \nPr\u00e9tendants qui \u00e9gorgent ses brebis nombreuses et ses b\u0153ufs aux \njambes torses et aux cornes recourb\u00e9es. Et je l\u2019enverrai \u00e0 Spart\u00e8 et \ndans la sablonneuse Pylos, afin qu\u2019il s\u2019informe du retour de son \np\u00e8re bien-aim\u00e9, et qu\u2019il soit tr\u00e8s honor\u00e9 parmi les hommes.5\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant ainsi parl\u00e9, elle attacha \u00e0 ses pieds de belles sandales ambroi -\nsiennes, dor\u00e9es, qui la portaient sur la mer et sur l\u2019immense terre \ncomme le souffle du vent. Et elle prit une forte lance, arm\u00e9e d\u2019un \nairain aigu, lourde, grande et solide, avec laquelle elle dompte la \nfoule des hommes h\u00e9ro\u00efques contre qui, fille d\u2019un p\u00e8re puissant, \nelle est irrit\u00e9e. Et, s\u2019\u00e9tant \u00e9lanc\u00e9e du faite de l\u2019Olympos, elle des -\ncendit au milieu du peuple d\u2019Ithak\u00e8, dans le vestibule d\u2019Odysseus, \nau seuil de la cour, avec la lance d\u2019airain en main, et semblable \u00e0 \nun \u00e9tranger, au chef des Taphiens, \u00e0 Ment\u00e8s.\nEt elle vit les pr\u00e9tendants insolents qui jouaient aux jetons \ndevant les portes, assis sur la peau des b\u0153ufs qu\u2019ils avaient \ntu\u00e9s eux-m\u00eames.\nEt des h\u00e9rauts et des serviteurs s\u2019empressaient autour d\u2019eux ; et les \nuns m\u00ealaient l\u2019eau et le vin dans les krat\u00e8res ; et les autres lavaient \nles tables avec les \u00e9ponges poreuses ; et, les ayant dress\u00e9es, par -\ntageaient les viandes abondantes. Et, le premier de tous, le divin \nT\u00e8l\u00e9makhos vit ath\u00e8n\u00e8. Et il \u00e9tait assis parmi les pr\u00e9tendants, le \nc\u0153ur triste, voyant en esprit son brave p\u00e8re revenir soudain, chas -\nser les pr\u00e9tendants hors de ses demeures, ressaisir sa puissance et \nr\u00e9gir ses biens.6CHaNT 1\nOr, songeant \u00e0 cela, assis parmi eux, il vit ath\u00e8n\u00e8 : et il alla dans \nle vestibule, indign\u00e9 qu\u2019un \u00e9tranger rest\u00e2t longtemps debout \u00e0 la \nporte. Et il s\u2019approcha, lui prit la main droite, re\u00e7ut la lance d\u2019ai -\nrain et dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Salut, \u00c9tranger. Tu nous seras ami, et, apr\u00e8s le repas, tu nous \ndiras ce qu\u2019il te faut.\nayant ainsi parl\u00e9, il le conduisit, et Pallas ath\u00e8n\u00e8 le suivit. Et lors -\nqu\u2019ils furent entr\u00e9s dans la haute demeure, il appuya la lance \ncontre une longue colonne, dans un arsenal luisant o\u00f9 \u00e9taient \nd\u00e9j\u00e0 rang\u00e9es beaucoup d\u2019autres lances d\u2019Odysseus \u00e0 l\u2019\u00e2me ferme \net patiente. Et il fit asseoir ath\u00e8n\u00e8, ayant mis un beau tapis bien \ntravaill\u00e9 sur le thr\u00f4ne, et, sous ses pieds, un escabeau. Pour lui-\nm\u00eame il pla\u00e7a aupr\u00e8s d\u2019elle un si\u00e8ge sculpt\u00e9, loin des pr\u00e9ten -\ndants, afin que l\u2019\u00e9tranger ne souffert point du repas tumultueux, \nau milieu de convives injurieux, et afin de l\u2019interroger sur son \np\u00e8re absent.\nEt une servante versa, pour les ablutions, de l\u2019eau dans un bassin \nd\u2019argent, d\u2019une belle aigui\u00e8re d\u2019or ; et elle dressa aupr\u00e8s d\u2019eux une \ntable luisante. Puis, une intendante v\u00e9n\u00e9rable apporta du pain et \ncouvrit la table de mets nombreux et r\u00e9serv\u00e9s ; et un d\u00e9coupeur 7\nL\u2019ODYSS\u00c9Eservit les plats de viandes diverses et leur offrit des coupes d\u2019or ; \net un h\u00e9raut leur servait souvent du vin.\nEt les pr\u00e9tendants insolents entr\u00e8rent. Ils s\u2019assirent en ordre sur \ndes si\u00e8ges et sur des thr\u00f4nes : et des h\u00e9rauts versaient de l\u2019eau \nsur leurs mains ; et les servantes entassaient le pain dans les cor -\nbeilles, et les jeunes hommes emplissaient de vin les krat\u00e8res. Puis, \nles pr\u00e9tendants mirent la main sur les mets ; et, quand leur faim \net leur soif furent assouvies, ils d\u00e9sir\u00e8rent autre chose, la danse \net le chant, ornements des repas. Et un h\u00e9raut mit une tr\u00e8s belle \nkithare aux mains de Ph\u00e8mios, qui chantait l\u00e0 contre son gr\u00e9. Et \nil joua de la kithare et commen\u00e7a de bien chanter.\nMais T\u00e8l\u00e9makhos dit \u00e0 ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, en penchant la t\u00eate, \nafin que les autres ne pussent entendre :\n\u2013 Cher \u00c9tranger, seras-tu irrit\u00e9 de mes paroles ? La kithare et le \nchant plaisent ais\u00e9ment \u00e0 ceux-ci, car ils mangent impun\u00e9ment \nle bien d\u2019autrui, la richesse d\u2019un homme dont les ossements blan -\nchis pourrissent \u00e0 la pluie, quelque part, sur la terre ferme ou \ndans les flots de la mer qui les roule.\nCertes, s\u2019ils le voyaient de retour \u00e0 Ithak\u00e8, tous pr\u00e9f\u00e9reraient des \npieds rapides \u00e0 l\u2019abondance de l\u2019or et aux riches v\u00eatements ! Mais 8CHaNT 1\nil est mort, subissant une mauvaise destin\u00e9e ; et il ne nous reste \nplus d\u2019esp\u00e9rance, quand m\u00eame un des habitants de la terre nous \nannoncerait son retour, car ce jour n\u2019arrivera jamais.\nMais parle-moi, et r\u00e9ponds sinc\u00e8rement. Qui es-tu, et de quelle \nrace ? O\u00f9 est ta ville et quels sont tes parents ? Sur quelle nef es-tu \nvenu ? Quels matelots t\u2019ont conduit \u00e0 Ithak\u00e8, et qui sont-ils ? Car \nje ne pense pas que tu sois venu \u00e0 pied. Et dis-moi vrai, afin que \nje sache : viens-tu pour la premi\u00e8re fois, ou bien es-tu un h\u00f4te de \nmon p\u00e8re ? Car beaucoup d\u2019hommes connaissent notre demeure, \net Odysseus aussi visitait les hommes.\nEt la D\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je te dirai des choses sinc\u00e8res. Je me vante d\u2019\u00eatre Ment\u00e8s, fils du \nbrave ankhialos, et je commande aux Taphiens, amis des avi -\nrons. Et voici que j\u2019ai abord\u00e9 ici avec une nef et des compagnons, \nvoguant sur la noire mer vers des hommes qui parlent une langue \n\u00e9trang\u00e8re, vers T\u00e9m\u00e9s\u00e8, o\u00f9 je vais chercher de l\u2019airain et o\u00f9 je \nporte du fer luisant. Et ma nef s\u2019est arr\u00eat\u00e9e l\u00e0, pr\u00e8s de la campagne, \nen dehors de la ville, dans le port Rh\u00e9itr\u00f4s, sous le N\u00e9ios couvert \nde bois. Et nous nous honorons d\u2019\u00eatre unis par l\u2019hospitalit\u00e9, d\u00e8s \nl\u2019origine, et de p\u00e8re en fils.9\nL\u2019ODYSS\u00c9ETu peux aller interroger sur ceci le vieux Laert\u00e8s, car on dit qu\u2019il \nne vient plus \u00e0 la ville, mais qu\u2019il souffre dans une campagne \u00e9loi -\ngn\u00e9e, seul avec une vieille femme qui lui sert \u00e0 manger et \u00e0 boire, \nquand il s\u2019est fatigu\u00e9 \u00e0 parcourir sa terre fertile plant\u00e9e de vignes. \nEt je suis venu, parce qu\u2019on disait que ton p\u00e8re \u00e9tait de retour ; \nmais les Dieux entravent sa route. Car le divin Odysseus n\u2019est \npoint encore mort sur la terre ; et il vit, retenu en quelque lieu de \nla vaste mer, dans une \u00eele entour\u00e9e des flots ; et des hommes rudes \net farouches, ses ma\u00eetres, le retiennent par la force.\nMais, aujourd\u2019hui, je te pr\u00e9dirai ce que les immortels m\u2019inspirent \net ce qui s\u2019accomplira, bien que je ne sois point un divinateur et \nque j\u2019ignore les augures. Certes, il ne restera point longtemps \nloin de la ch\u00e8re terre natale, m\u00eame \u00e9tant charg\u00e9 de liens de fer. Et \nil trouvera les moyens de revenir, car il est fertile en ruses. Mais \nparle, et dis-moi sinc\u00e8rement si tu es le vrai fils d\u2019Odysseus lui-\nm\u00eame. Tu lui ressembles \u00e9trangement par la t\u00eate et la beaut\u00e9 \ndes yeux. Car nous nous sommes rencontr\u00e9s souvent, avant son \nd\u00e9part pour Troi\u00e8, o\u00f9 all\u00e8rent aussi, sur leurs nefs creuses, les \nautres chefs argiens. Depuis ce temps je n\u2019ai plus vu Odysseus, et \nil ne m\u2019a plus vu.10CHaNT 1\nEt le sage T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00c9tranger, je te dirai des choses tr\u00e8s sinc\u00e8res. Ma m\u00e8re dit que je \nsuis fils d\u2019Odysseus, mais moi, je n\u2019en sais rien, car nul ne sait par \nlui-m\u00eame qui est son p\u00e8re.\nQue ne suis-je plut\u00f4t le fils de quelque homme heureux qui d\u00fbt \nvieillir sur ses domaines ! Et maintenant, on le dit, c\u2019est du plus \nmalheureux des hommes mortels que je suis n\u00e9, et c\u2019est ce que tu \nm\u2019as demand\u00e9.\nEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Les dieux ne t\u2019ont point fait sortir d\u2019une race sans gloire dans \nla post\u00e9rit\u00e9, puisque P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia t\u2019a enfant\u00e9 tel que te voil\u00e0. Mais \nparle, et r\u00e9ponds-moi sinc\u00e8rement. Quel est ce repas ? Pourquoi \ncette assembl\u00e9e ? En avais-tu besoin ? Est-ce un festin ou une \nnoce ? Car ceci n\u2019est point pay\u00e9 en commun, tant ces convives \nmangent avec insolence et arrogance dans cette demeure ! Tout \nhomme, d\u2019un esprit sens\u00e9 du moins, s\u2019indignerait de te voir au \nmilieu de ces choses honteuses.11\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le sage T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00c9tranger, puisque tu m\u2019interroges sur ceci, cette demeure fut \nautrefois riche et honor\u00e9e, tant que le h\u00e9ros habita le pays ; mais, \naujourd\u2019hui, les dieux, source de nos maux, en ont d\u00e9cid\u00e9 autre -\nment, et ils ont fait de lui le plus ignor\u00e9 d\u2019entre tous les hommes. \nEt je ne le pleurerais point ainsi, m\u00eame le sachant mort, s\u2019il avait \n\u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 avec ses compagnons, parmi le peuple des Troiens, ou \ns\u2019il \u00e9tait mort entre des mains amies, apr\u00e8s la guerre. alors les \nPanakhaiens lui eussent b\u00e2ti un tombeau, et il e\u00fbt l\u00e9gu\u00e9 \u00e0 son fils \nune grande gloire dans la post\u00e9rit\u00e9.\nMais, aujourd\u2019hui, les Harpyes l\u2019ont enlev\u00e9 obscur\u00e9ment, et il est \nmort, et nul n\u2019a rien su, ni rien appris de lui, et il ne m\u2019a laiss\u00e9 que \nles douleurs et les lamentations.\nMais je ne g\u00e9mis point uniquement sur lui, et les Dieux m\u2019ont \nenvoy\u00e9 d\u2019autres peines am\u00e8res. Tous ceux qui commandent \naux \u00eeles, \u00e0 Doulikios, \u00e0 Sam\u00e8, \u00e0 Zakyntos couverte de bois, et \nceux qui commandent dans la rude Ithak\u00e8, tous recherchent ma \nm\u00e8re et \u00e9puisent ma demeure. Et ma m\u00e8re ne peut refuser des \nnoces odieuses ni mettre fin \u00e0 ceci ; et ces hommes \u00e9puisent ma \ndemeure en mangeant, et ils me perdront bient\u00f4t aussi.12CHaNT 1\nEt, pleine de piti\u00e9, Pallas ath\u00e8n\u00e8 lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ah ! sans doute, tu as grand besoin d\u2019Odysseus qui mettrait \nla main sur ces pr\u00e9tendants injurieux ! Car s\u2019il survenait et se \ntenait debout sur le seuil de la porte, avec le casque et le bouclier \net deux piques, tel que je le vis pour la premi\u00e8re fois buvant et \nse r\u00e9jouissant dans notre demeure, \u00e0 son retour d\u2019Ephyr\u00e8, d\u2019au -\npr\u00e8s d\u2019Illos Merm\u00e9rida\u00efde ; \u2013 car Odysseus \u00e9tait all\u00e9 chercher l\u00e0, \nsur une nef rapide, un poison mortel, pour y tremper ses fl\u00e8ches \narm\u00e9es d\u2019une pointe d\u2019airain ; et Illos ne voulut point le lui don -\nner, redoutant les dieux qui vivent \u00e9ternellement, mais mon p\u00e8re, \nqui l\u2019aimait beaucoup, le lui donna ; \u2013 si donc Odysseus, tel que \nje le vis, survenait au milieu des pr\u00e9tendants, leur destin\u00e9e serait \nbr\u00e8ve et leurs noces seraient am\u00e8res !\nMais il appartient aux dieux de d\u00e9cider s\u2019il reviendra, ou non, les \npunir dans sa demeure. Je t\u2019exhorte donc \u00e0 chercher comment tu \npourras les chasser d\u2019ici.\nMaintenant, \u00e9coute, et souviens-toi de mes paroles. Demain, ayant \nr\u00e9uni l\u2019agora des h\u00e9ros akhaiens, parle-leur, et prends les dieux \u00e0 \nt\u00e9moin. Contrains les pr\u00e9tendants de se retirer chez eux. Que ta \nm\u00e8re, si elle d\u00e9sire d\u2019autres noces, retourne dans la demeure de \nson p\u00e8re qui a une grande puissance. Ses proches la marieront 13\nL\u2019ODYSS\u00c9Eet lui donneront une aussi grande dot qu\u2019il convient \u00e0 une fille \nbien-aim\u00e9e. Et je te conseillerai sagement, si tu veux m\u2019en croire. \narme ta meilleure nef de vingt rameurs, et va t\u2019informer de ton \np\u00e8re parti depuis si longtemps, afin que quelqu\u2019un des hommes \nt\u2019en parle, ou que tu entendes un de ces bruits de Zeus qui dis -\npense le mieux la gloire aux hommes.\nRends-toi d\u2019abord \u00e0 Pylos et interroge le divin Nest\u00f4r ; puis \u00e0 \nSpart\u00e8, aupr\u00e8s du blond M\u00e9n\u00e9laos, qui est revenu le dernier des \nakhaiens cuirass\u00e9s d\u2019airain. Si tu apprends que ton p\u00e8re est vivant \net revient, attends encore une ann\u00e9e, malgr\u00e9 ta douleur ; mais \nsi tu apprends qu\u2019il est mort, ayant cess\u00e9 d\u2019exister, reviens dans \nla ch\u00e8re terre natale, pour lui \u00e9lever un tombeau et c\u00e9l\u00e9brer de \ngrandes fun\u00e9railles comme il convient, et donner ta m\u00e8re \u00e0 un \nmari. Puis, lorsque tu auras fait et achev\u00e9 tout cela, songe, de l\u2019es -\nprit et du c\u0153ur, \u00e0 tuer les pr\u00e9tendants dans ta demeure, par ruse \nou par force. Il ne faut plus te livrer aux choses enfantines, car tu \nn\u2019en as plus l\u2019\u00e2ge.\nNe sais-tu pas de quelle gloire s\u2019est couvert le divin Orest\u00e8s parmi \nles hommes, en tuant le meurtrier de son p\u00e8re illustre, aigisthos \naux ruses perfides ? Toi aussi, ami, que voil\u00e0 grand et beau, sois \nbrave, afin que les hommes futurs te louent. Je vais redescendre 14CHaNT 1\nvers ma nef rapide et mes compagnons qui s\u2019irritent sans doute \nde m\u2019attendre. Souviens-toi, et ne n\u00e9glige point mes paroles.\nEt le sage T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00c9tranger, tu m\u2019as parl\u00e9 en ami, comme un p\u00e8re \u00e0 son fils, et je \nn\u2019oublierai jamais tes paroles. Mais reste, bien que tu sois press\u00e9, \nafin que t\u2019\u00e9tant baign\u00e9 et ayant charm\u00e9 ton c\u0153ur, tu retournes \nvers ta nef, plein de joie, avec un pr\u00e9sent riche et pr\u00e9cieux qui te \nviendra de moi et sera tel que des amis en offrent \u00e0 leurs h\u00f4tes.\nEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ne me retiens plus, il faut que je parte. Quand je reviendrai, tu \nme donneras ce pr\u00e9sent que ton c\u0153ur me destine, afin que je \nl\u2019emporte dans ma demeure. Qu\u2019il soit fort beau, et que je puisse \nt\u2019en offrir un semblable.\nEt ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, ayant ainsi parl\u00e9, s\u2019envola et disparut \ncomme un oiseau ; mais elle lui laissa au c\u0153ur la force et l\u2019audace \net le souvenir plus vif de son p\u00e8re.\nEt lui, le c\u0153ur plein de crainte, pensa dans son esprit que c\u2019\u00e9tait \nun Dieu. Puis, le divin jeune homme s\u2019approcha des Pr\u00e9tendants. 15\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt l\u2019a oide tr\u00e8s illustre chantait, et ils \u00e9taient assis, l\u2019\u00e9coutant en \nsilence. Et il chantait le retour fatal des akhaiens, que Pallas \nath\u00e8n\u00e8 leur avait inflig\u00e9 au sortir de Troi\u00e8. Et, de la haute chambre, \nla fille d\u2019Ikarios, la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, entendit ce chant divin, et elle \ndescendit l\u2019escalier \u00e9lev\u00e9, non pas seule, mais suivie de deux ser -\nvantes. Et quand la divine femme fut aupr\u00e8s des pr\u00e9tendants, elle \nresta debout contre la porte, sur le seuil de la salle solidement \nconstruite, avec un beau voile sur les joues, et les honn\u00eates ser -\nvantes se tenaient \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s. Et elle pleura et dit \u00e0 l\u2019a oide divin :\n\u2013 Ph\u00e8mios, tu sais d\u2019autres chants par lesquels les aoides c\u00e9l\u00e8brent \nles actions des hommes et des Dieux. assis au milieu de ceux-ci, \nchante-leur une de ces choses, tandis qu\u2019ils boivent du vin en \nsilence ; mais cesse ce triste chant qui d\u00e9chire mon c\u0153ur dans ma \npoitrine, puisque je suis la proie d\u2019un deuil que je ne puis oublier. \nCar je pleure une t\u00eate bien aim\u00e9e, et je garde le souvenir\n\u00e9ternel de l\u2019homme dont la gloire emplit Hellas et argos.\nEt le sage T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ma m\u00e8re, pourquoi d\u00e9fends-tu que ce doux aoide nous r\u00e9jouisse, \ncomme son esprit le lui inspire ? Les aoides ne sont responsables \nde rien, et Zeus dispense ses dons aux po\u00e8tes comme il lui pla\u00eet.16CHaNT 1\nIl ne faut point t\u2019indigner contre celui-ci parce qu\u2019il chante la \nsombre destin\u00e9e des Danaens, car les hommes chantent toujours \nles choses les plus r\u00e9centes. aie donc la force d\u2019\u00e2me d\u2019\u00e9couter.\nOdysseus n\u2019a point perdu seul, \u00e0 Troi\u00e8, le jour du retour, et beau -\ncoup d\u2019autres y sont morts aussi. Rentre dans ta demeure ; conti -\nnue tes travaux \u00e0 l\u2019aide de la toile et du fuseau, et remets tes ser -\nvantes \u00e0 leur t\u00e2che. La parole appartient aux hommes, et surtout \n\u00e0 moi qui commande ici.\n\u00c9tonn\u00e9e, P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia s\u2019en retourna chez elle, emportant dans son \nc\u0153ur les sages paroles de son fils. Remont\u00e9e dans les hautes \nchambres, avec ses femmes, elle pleura Odysseus, son cher mari, \njusqu\u2019\u00e0 ce que ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs e\u00fbt r\u00e9pandu un doux som -\nmeil sur ses paupi\u00e8res.\nEt les pr\u00e9tendants firent un grand bruit dans la sombre demeure, \net tous d\u00e9siraient partager son lit. Et le sage T\u00e8l\u00e9makhos com -\nmen\u00e7a de leur parler :\n\u2013 Pr\u00e9tendants de ma m\u00e8re, qui avez une insolence arrogante, \nmaintenant r\u00e9jouissons-nous, mangeons et ne poussons point \nde clameurs, car il est bien et convenable d\u2019\u00e9couter un tel \naoide qui est semblable aux Dieux par sa voix ; mais, d\u00e8s l\u2019aube, 17\nL\u2019ODYSS\u00c9Erendons-nous tous \u00e0 l\u2019agora, afin que je vous d\u00e9clare nettement \nque vous ayez tous \u00e0 sortir d\u2019ici. Faites d\u2019autres repas, mangez vos \nbiens en vous recevant tour \u00e0 tour dans vos demeures ; mais s\u2019il \nvous para\u00eet meilleur de d\u00e9vorer impun\u00e9ment la subsistance d\u2019un \nseul homme, d\u00e9vorez-la.\nMoi, je supplierai les Dieux qui vivent toujours, afin que Zeus \nordonne que votre action soit punie, et vous p\u00e9rirez peut-\u00eatre \nsans vengeance dans cette demeure.\nIl parla ainsi, et tous, se mordant les l\u00e8vres, s\u2019\u00e9tonnaient que \nT\u00e8l\u00e9makhos parl\u00e2t avec cette audace. Et antinoos, fils d\u2019Eupeith\u00e8s, \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, certes, les Dieux m\u00eames t\u2019enseignent \u00e0 parler \nhaut et avec audace ; mais puisse le Kroni\u00f4n ne point te faire roi \ndans Ithak\u00e8 entour\u00e9e des flots, bien qu\u2019elle soit ton h\u00e9ritage par \nta naissance !\nEt le sage T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 antinoos, quand tu t\u2019irriterais contre moi \u00e0 cause de mes paroles, \nje voudrais \u00eatre roi par la volont\u00e9 de Zeus. Penses-tu qu\u2019il soit \nmauvais de l\u2019\u00eatre parmi les hommes ? Il n\u2019est point malheureux 18CHaNT 1\nde r\u00e9gner. On poss\u00e8de une riche demeure, et on est honor\u00e9. Mais \nbeaucoup d\u2019autres rois akhaiens, jeunes et vieux, sont dans \nIthak\u00e8 entour\u00e9e des flots. Qu\u2019un d\u2019entre eux r\u00e8gne, puisque le \ndivin Odysseus est mort. Moi, du moins, je serai le ma\u00eetre de la \ndemeure et des esclaves que le divin Odysseus a conquis pour moi.\nEt Eurymakhos, fils de Polybos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, il appartient aux Dieux de d\u00e9cider quel sera \nl\u2019akhaien qui r\u00e9gnera dans Ithak\u00e8 entour\u00e9e des flots.\nPour toi, poss\u00e8de tes biens et commande en ta demeure, et que \nnul ne te d\u00e9pouille jamais par violence et contre ton gr\u00e9, tant que \nIthak\u00e8 sera habit\u00e9e. Mais je veux, ami, t\u2019interroger sur cet \u00e9tran -\nger. D\u2019o\u00f9 est-il ? De quelle terre se vante-t-il de sortir ? O\u00f9 est \nsa famille ? O\u00f9 est son pays ? apporte-t-il quelque nouvelle du \nretour de ton p\u00e8re ? Est-il venu r\u00e9clamer une dette ? Il est parti \npromptement et n\u2019a point daign\u00e9 se faire conna\u00eetre. Son aspect, \nd\u2019ailleurs, n\u2019est point celui d\u2019un mis\u00e9rable.\nEt le sage T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eurymakhos, certes, mon p\u00e8re ne reviendra plus, et je n\u2019en croi -\nrais pas la nouvelle, s\u2019il m\u2019en venait ; et je ne me soucie point des 19\nL\u2019ODYSS\u00c9Epr\u00e9dictions que ma m\u00e8re demande au divinateur qu\u2019elle a appel\u00e9 \ndans cette demeure. Mais cet h\u00f4te de mes p\u00e8res est de Taphos ; et \nil se vante d\u2019\u00eatre Ment\u00e8s, fils du brave ankhialos, et il commande \naux Taphiens, amis des avirons.\nEt T\u00e8l\u00e9makhos parla ainsi ; mais, dans son c\u0153ur, il avait reconnu \nla d\u00e9esse immortelle. Donc, les pr\u00e9tendants, se livrant aux danses \net au chant, se r\u00e9jouissaient en attendant le soir, et comme ils se \nr\u00e9jouissaient, la nuit survint. alors, d\u00e9sirant dormir, chacun d\u2019eux \nrentra dans sa demeure.\nEt T\u00e8l\u00e9makhos monta dans la chambre haute qui avait \u00e9t\u00e9 \nconstruite pour lui dans une belle cour, et d\u2019o\u00f9 l\u2019on voyait de \ntous c\u00f4t\u00e9s.\nEt il se coucha, l\u2019esprit plein de pens\u00e9es. Et la sage Eurykl\u00e9ia por -\ntait des flambeaux allum\u00e9s et elle \u00e9tait fille d\u2019Ops Peis\u00e8n\u00f4ride, et \nLaert\u00e8s l\u2019avait achet\u00e9e, dans sa premi\u00e8re jeunesse, et pay\u00e9e du prix \nde vingt b\u0153ufs, et il l\u2019honorait dans sa demeure, autant qu\u2019une \nchaste \u00e9pouse ; mais il ne s\u2019\u00e9tait point uni \u00e0 elle, pour \u00e9viter la \ncol\u00e8re de sa femme. Elle portait des flambeaux allum\u00e9s aupr\u00e8s de \nT\u00e8l\u00e9makhos, \u00e9tant celle qui l\u2019aimait le plus, l\u2019ayant nourri et \u00e9lev\u00e9 \ndepuis son enfance. Elle ouvrit les portes de la chambre solide -\nment construite. Et il s\u2019assit sur le lit, \u00f4ta sa molle tunique et la 20CHaNT 1\nremit entre les mains de la vieille femme aux sages conseils. Elle \nplia et arrangea la tunique avec soin et la suspendit \u00e0 un clou \naupr\u00e8s du lit sculpt\u00e9. Puis, sortant de la chambre, elle attira la \nporte par un anneau d\u2019argent dans lequel elle poussa le verrou \n\u00e0 l\u2019aide d\u2019une courroie. Et T\u00e8l\u00e9makhos, couvert d\u2019une toison de \nbrebis, m\u00e9dita, pendant toute la nuit, le voyage que ath\u00e8n\u00e8 lui \navait conseill\u00e9.21\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 2\nQuand E\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, le cher fils \nd\u2019Odysseus quitta son lit. Et il se v\u00eatit, et il suspendit une \u00e9p\u00e9e \n\u00e0 ses \u00e9paules, et il attacha de belles sandales \u00e0 ses pieds bril -\nlants, et, semblable \u00e0 un dieu, il se h\u00e2ta de sortir de sa chambre. \naussit\u00f4t, il ordonna aux h\u00e9rauts \u00e0 la voix \u00e9clatante de convoquer \nles akhaiens chevelus \u00e0 l\u2019agora. Et ils les convoqu\u00e8rent, et ceux-ci \nse r\u00e9unirent rapidement. Et quand ils furent r\u00e9unis, T\u00e8l\u00e9makhos \nse rendit \u00e0 l\u2019agora, tenant \u00e0 la main une lance d\u2019airain. Et il n\u2019\u00e9tait \npoint seul, mais deux chiens rapides le suivaient. Et Pallas avait \nr\u00e9pandu sur lui une gr\u00e2ce divine, et les peuples l\u2019admiraient tan -\ndis qu\u2019il s\u2019avan\u00e7ait. Et il s\u2019assit sur le si\u00e8ge de son p\u00e8re, que les \nvieillards lui c\u00e9d\u00e8rent.\nEt, aussit\u00f4t parmi eux, le h\u00e9ros aigyptios parla le premier. Il \u00e9tait \ncourb\u00e9 par la vieillesse et il savait beaucoup de choses. Et son fils \nbien-aim\u00e9, le brave antiphos, \u00e9tait parti, sur les nefs creuses, avec \nle divin Odysseus, pour Ilios, nourrice de beaux chevaux ; mais \nle f\u00e9roce Kykl\u00f4ps l\u2019avait tu\u00e9 dans sa caverne creuse, et en avait \nfait son dernier repas. Il lui restait trois autres fils, et un d\u2019entre \neux, Eurynomos, \u00e9tait parmi les pr\u00e9tendants. Les deux autres 22CHaNT 2\ns\u2019occupaient assid\u00fbment des biens paternels. Mais aigyptios \ng\u00e9missait et se lamentait, n\u2019oubliant point antiphos. Et il parla \nainsi en pleurant, et il dit :\n\u2013 \u00c9coutez maintenant, Ithak\u00e8siens, ce que je vais dire.\nNous n\u2019avons jamais r\u00e9uni l\u2019agora, et nous ne nous y sommes \npoint assis depuis que le divin Odysseus est parti sur ses nefs \ncreuses. Qui nous rassemble ici aujourd\u2019hui ? Quelle n\u00e9cessit\u00e9 le \npresse ? Est-ce quelqu\u2019un d\u2019entre les jeunes hommes ou d\u2019entre les \nvieillards ? a-t-il re\u00e7u quelque nouvelle de l\u2019arm\u00e9e, et veut-il nous \ndire hautement ce qu\u2019il a entendu le premier ? Ou d\u00e9sire-t-il par -\nler de choses qui int\u00e9ressent tout le peuple ? Il me semble plein de \njustice. Que Zeus soit propice \u00e0 son dessein, quel qu\u2019il soit.\nIl parla ainsi, et le cher fils d\u2019Odysseus se r\u00e9jouit de cette louange, \net il ne resta pas plus longtemps assis, dans son d\u00e9sir de parler. Et \nil se leva au milieu de l\u2019agora, et le sage h\u00e9raut Peis\u00e8n\u00f4r lui mit le \nsceptre en main. Et, se tournant vers aigyptios, il lui dit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, il n\u2019est pas loin, et, d\u00e8s maintenant, tu peux le voir, \ncelui qui a convoqu\u00e9 le peuple, car une grande douleur m\u2019accable. \nJe n\u2019ai re\u00e7u aucune nouvelle de l\u2019arm\u00e9e que je puisse vous rappor -\nter hautement apr\u00e8s l\u2019avoir apprise le premier, et je n\u2019ai rien \u00e0 dire 23\nL\u2019ODYSS\u00c9Equi int\u00e9resse tout le peuple ; mais j\u2019ai \u00e0 parler de mes propres int\u00e9 -\nr\u00eats et du double malheur tomb\u00e9 sur ma demeure ; car, d\u2019une part, \nj\u2019ai perdu mon p\u00e8re irr\u00e9prochable, qui autrefois vous comman -\ndait, et qui, pour vous aussi, \u00e9tait doux comme un p\u00e8re ; et, d\u2019un \nautre c\u00f4t\u00e9, voici maintenant, \u2013 et c\u2019est un mal pire qui d\u00e9truira \nbient\u00f4t ma demeure et d\u00e9vorera tous mes biens, \u2013 que des pr\u00e9 -\ntendants assi\u00e8gent ma m\u00e8re contre sa volont\u00e9.\nEt ce sont les fils bien-aim\u00e9s des meilleurs d\u2019entre ceux qui si\u00e8gent \nici. Et ils ne veulent point se rendre dans la demeure d\u2019Ikarios, \np\u00e8re de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, qui dotera sa fille et la donnera \u00e0 qui lui \nplaira davantage. Et ils envahissent tous les jours notre demeure, \ntuant mes b\u0153ufs, mes brebis et mes ch\u00e8vres grasses, et ils en font \ndes repas magnifiques, et ils boivent mon vin noir effront\u00e9ment \net d\u00e9vorent tout. Il n\u2019y a point ici un homme tel qu\u2019Odysseus qui \npuisse repousser cette ruine loin de ma demeure, et je ne puis \nrien, moi qui suis inhabile et sans force guerri\u00e8re. Certes, je le \nferais si j\u2019en avais la force, car ils commettent des actions intol\u00e9 -\nrables, et ma maison p\u00e9rit honteusement.\nIndignez-vous donc, vous-m\u00eames. Craignez les peuples voisins \nqui habitent autour d\u2019Ithak\u00e8, et la col\u00e8re des dieux qui puniront \nces actions iniques. Je vous supplie, par Zeus Olympien, ou par \nTh\u00e9mis qui r\u00e9unit ou qui disperse les agoras des hommes, venez 24CHaNT 2\n\u00e0 mon aide, amis, et laissez-moi subir au moins ma douleur dans \nla solitude. Si jamais mon irr\u00e9prochable p\u00e8re Odysseus a opprim\u00e9 \nles akhaiens aux belles kn\u00e8mides, et si, pour venger leurs maux, \nvous les excitez contre moi, consumez plut\u00f4t vous-m\u00eames mes \nbiens et mes richesses ; car, alors, peut-\u00eatre verrions-nous le jour \nde l\u2019expiation. Nous pourrions enfin nous entendre devant tous, \nexpliquant les choses jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elles soient r\u00e9solues.\nIl parla ainsi, irrit\u00e9, et il jeta son sceptre contre terre en versant \ndes larmes, et le peuple fut rempli de compassion, et tous res -\ntaient dans le silence, et nul n\u2019osait r\u00e9pondre aux paroles irrit\u00e9es \nde T\u00e8l\u00e9makhos.\nEt antinoos seul, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, agor\u00e8te orgueilleux et plein de col\u00e8re, tu as parl\u00e9 \nen nous outrageant, et tu veux nous couvrir d\u2019une tache honteuse. \nLes pr\u00e9tendants akhaiens ne t\u2019ont rien fait. C\u2019est plut\u00f4t ta m\u00e8re, \nqui, certes, m\u00e9dite mille ruses. Voici d\u00e9j\u00e0 la troisi\u00e8me ann\u00e9e, et \nbient\u00f4t la quatri\u00e8me, qu\u2019elle se joue du c\u0153ur des akhaiens. Elle \nles fait tous esp\u00e9rer, promet \u00e0 chacun, envoie des messages et \nm\u00e9dite des desseins contraires. Enfin, elle a ourdi une autre ruse 25\nL\u2019ODYSS\u00c9Edans son esprit. Elle a tiss\u00e9 dans ses demeures une grande toile, \nlarge et fine, et nous a dit :\n\u2013 Jeunes hommes, mes pr\u00e9tendants, puisque le divin Odysseus \nest mort, cessez de h\u00e2ter mes noces jusqu\u2019\u00e0 ce que j\u2019aie achev\u00e9, \npour que mes fils ne restent pas inutiles, ce linceul du h\u00e9ros \nLaert\u00e8s, quand la Moire mauvaise de la mort inexorable l\u2019aura \nsaisi, afin qu\u2019aucune des femmes akhaiennes ne puisse me repro -\ncher, devant tout le peuple, qu\u2019un homme qui a poss\u00e9d\u00e9 tant de \nbiens ait \u00e9t\u00e9 enseveli sans linceul.\nElle parla ainsi, et notre c\u0153ur g\u00e9n\u00e9reux fut aussit\u00f4t persuad\u00e9. Et, \nalors, pendant le jour, elle tissait la grande toile, et, pendant la \nnuit, ayant allum\u00e9 les torches, elle la d\u00e9faisait. ainsi, trois ans, elle \ncacha sa ruse et trompa les akhaiens ; mais quand vint la qua -\ntri\u00e8me ann\u00e9e, et quand les saisons recommenc\u00e8rent, une de ses \nfemmes, sachant bien sa ruse, nous la dit.\nEt nous la trouv\u00e2mes d\u00e9faisant sa belle toile. Mais, contre sa \nvolont\u00e9, elle fut contrainte de l\u2019achever. Et c\u2019est ainsi que les pr\u00e9 -\ntendants te r\u00e9pondent, afin que tu le saches dans ton esprit, et que \ntous les akhaiens le sachent aussi. Renvoie ta m\u00e8re et ordonne-\nlui de se marier \u00e0 celui que son p\u00e8re choisira et qui lui plaira \n\u00e0 elle-m\u00eame. Si elle a abus\u00e9 si longtemps les fils des akhaiens, 26CHaNT 2\nc\u2019est qu\u2019elle songe, dans son c\u0153ur, \u00e0 tous les dons que lui a faits \nath\u00e8n\u00e8, \u00e0 sa science des travaux habiles, \u00e0 son esprit profond, \u00e0 \nses ruses. Certes, nous n\u2019avons jamais entendu dire rien de sem -\nblable des akhaiennes aux belles chevelures, qui v\u00e9curent autre -\nfois parmi les femmes anciennes, Tyr\u00f4, alkm\u00e8n\u00e8 et Myk\u00e8n\u00e8 aux \nbeaux cheveux. Nulle d\u2019entre elles n\u2019avait des arts \u00e9gaux \u00e0 ceux de \nP\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia ; mais elle n\u2019en use pas avec droiture. Donc, les pr\u00e9 -\ntendants consumeront tes troupeaux et tes richesses tant qu\u2019elle \ngardera le m\u00eame esprit que les dieux mettent maintenant dans sa \npoitrine. \u00c0 la v\u00e9rit\u00e9, elle remportera une grande gloire, mais il ne \nt\u2019en restera que le regret de tes biens dissip\u00e9s ; car nous ne retour -\nnerons point \u00e0 nos travaux, et nous n\u2019irons point en quelque autre \nlieu, avant qu\u2019elle ait \u00e9pous\u00e9 celui des akhaiens qu\u2019elle choisira.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 antinoos, je ne puis renvoyer de ma demeure, contre son gr\u00e9, \ncelle qui m\u2019a enfant\u00e9 et qui m\u2019a nourri. Mon p\u00e8re vit encore \nquelque part sur la terre, ou bien il est mort, et il me sera dur de \nrendre de nombreuses richesses \u00e0 Ikarios, si je renvoie ma m\u00e8re.\nJ\u2019ai d\u00e9j\u00e0 subi beaucoup de maux \u00e0 cause de mon p\u00e8re, et les \ndieux m\u2019en enverront d\u2019autres apr\u00e8s que ma m\u00e8re, en quittant \nma demeure, aura suppli\u00e9 les odieuses \u00c9rinnyes, et ce sont les 27\nL\u2019ODYSS\u00c9Ehommes qui la vengeront. Et c\u2019est pourquoi je ne prononce -\nrai point une telle parole. Si votre c\u0153ur s\u2019en indigne, sortez de \nma demeure, songez \u00e0 d\u2019autres repas, mangez vos propres biens \nen des festins r\u00e9ciproques. Mais s\u2019il vous semble meilleur et \nplus \u00e9quitable de d\u00e9vorer impun\u00e9ment la subsistance d\u2019un seul \nhomme, faites ! Moi, j\u2019invoquerai les dieux \u00e9ternels. Et si jamais \nZeus permet qu\u2019un juste retour vous ch\u00e2tie, vous p\u00e9rirez sans \nvengeance dans ma demeure.\nT\u00e8l\u00e9makhos parla ainsi, et Zeus qui regarde au loin fit voler du \nhaut sommet d\u2019un mont deux aigles qui s\u2019enlev\u00e8rent au souffle \ndu vent, et, c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te, \u00e9tendirent leurs ailes. Et quand ils furent \nparvenus au-dessus de l\u2019agora bruyante, secouant leurs plumes \n\u00e9paisses, ils en couvrirent toutes les t\u00eates, en signe de mort. Et, de \nleurs serres, se d\u00e9chirant la t\u00eate et le cou, ils s\u2019envol\u00e8rent sur la \ndroite \u00e0 travers les demeures et la ville des Ithak\u00e8siens. Et ceux-ci, \nstup\u00e9faits, voyant de leurs yeux ces aigles, cherchaient dans \nleur esprit ce qu\u2019ils pr\u00e9sageaient. Et le vieux h\u00e9ros Halithers\u00e8s \nMastoride leur parla. Et il l\u2019emportait sur ses \u00e9gaux en \u00e2ge pour \nexpliquer les augures et les destin\u00e9es. Et, tr\u00e8s-sage, il parla ainsi \nau milieu de tous :\n\u2013 \u00c9coutez maintenant, Ithak\u00e8siens, ce que je vais dire. Ce signe \ns\u2019adresse plus particuli\u00e8rement aux pr\u00e9tendants.28CHaNT 2\nUn grand danger est suspendu sur eux, car Odysseus ne res -\ntera pas longtemps encore loin de ses amis ; mais voici qu\u2019il est \nquelque part pr\u00e8s d\u2019ici et qu\u2019il pr\u00e9pare aux pr\u00e9tendants la K\u00e8r \net le carnage. Et il arrivera malheur \u00e0 beaucoup parmi ceux qui \nhabitent l\u2019illustre Ithak\u00e8. Voyons donc, d\u00e8s maintenant, comment \nnous \u00e9loignerons les Pr\u00e9tendants, \u00e0 moins qu\u2019ils se retirent d\u2019eux-\nm\u00eames, et ceci leur serait plus salutaire. Je ne suis point, en effet, \nun divinateur inexp\u00e9riment\u00e9, mais bien instruit ; car je pense \nqu\u2019elles vont s\u2019accomplir les choses que j\u2019ai pr\u00e9dites \u00e0 Odysseus \nquand les argiens partirent pour Ilios, et que le subtil Odysseus \nles commandait. Je dis qu\u2019apr\u00e8s avoir subi une foule de maux et \nperdu tous ses compagnons, il reviendrait dans sa demeure vers \nla vingti\u00e8me ann\u00e9e. Et voici que ces choses s\u2019accomplissent.\nEt Eurymakhos, fils de Polybos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 Vieillard, va dans ta maison faire des pr\u00e9dictions \u00e0 tes enfants, \nde peur qu\u2019il leur arrive malheur dans l\u2019avenir ; mais ici je suis \nde beaucoup meilleur divinateur que toi. De nombreux oiseaux \nvolent sous les rayons de H\u00e8lios, et tous ne sont pas propres aux \naugures. Certes, Odysseus est mort au loin, et pl\u00fbt aux dieux que \ntu fusses mort comme lui ! Tu ne prof\u00e9rerais pas tant de pr\u00e9dic -\ntions vaines, et tu n\u2019exciterais pas ainsi T\u00e8l\u00e9makhos d\u00e9j\u00e0 irrit\u00e9, \navec l\u2019espoir sans doute qu\u2019il t\u2019offrira un pr\u00e9sent dans sa maison.29\nL\u2019ODYSS\u00c9EMais je te le dis, et ceci s\u2019accomplira : Si, le trompant par ta science \nancienne et tes paroles, tu pousses ce jeune homme \u00e0 la col\u00e8re, tu \nlui seras surtout funeste ; car tu ne pourras rien contre nous ; et \nnous t\u2019infligerons, \u00f4 vieillard, une amende que tu d\u00e9ploreras dans \nton c\u0153ur, la supportant avec peine ; et ta douleur sera accablante.\nMoi, je conseillerai \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos d\u2019ordonner que sa m\u00e8re \nretourne chez Ikarios, afin que les siens c\u00e9l\u00e8brent ses noces et lui \nfassent une dot illustre, telle qu\u2019il convient d\u2019en faire \u00e0 une fille \nbien-aim\u00e9e. Je ne pense pas qu\u2019avant cela les fils des akhaiens \nrestent en repos et renoncent \u00e0 l\u2019\u00e9pouser ; car nous ne craignons \npersonne, ni, certes, T\u00e8l\u00e9makhos, bien qu\u2019il parle beaucoup ; et \nnous n\u2019avons nul souci, \u00f4 Vieillard, de tes vaines pr\u00e9dictions, et tu \nne nous en seras que plus odieux. Les biens de T\u00e8l\u00e9makhos seront \nde nouveau consum\u00e9s, et ce sera ainsi tant que P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia retien -\ndra les akhaiens par l\u2019espoir de ses noces. Et, en effet, c\u2019est \u00e0 cause \nde sa vertu que nous attendons de jour en jour, en nous la dispu -\ntant, et que nous n\u2019irons point chercher ailleurs d\u2019autres \u00e9pouses.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eurymakhos, et tous, tant que vous \u00eates, illustres pr\u00e9tendants, je \nne vous supplierai ni ne vous parlerai plus longtemps. Les dieux \net tous les akhaiens savent maintenant ces choses.30CHaNT 2\nMais donnez-moi promptement une nef rapide et vingt compa -\ngnons qui fendent avec moi les chemins de la mer. J\u2019irai \u00e0 Spart\u00e8 \net dans la sablonneuse Pylos m\u2019informer du retour de mon p\u00e8re \ndepuis longtemps absent. Ou quelqu\u2019un d\u2019entre les hommes m\u2019en \nparlera, ou j\u2019entendrai la renomm\u00e9e de Zeus qui porte le plus loin \nla gloire des hommes. Si j\u2019entends dire que mon p\u00e8re est vivant et \nrevient, j\u2019attendrai encore une ann\u00e9e, bien qu\u2019afflig\u00e9. Si j\u2019entends \ndire qu\u2019il est mort et ne doit plus repara\u00eetre, je reviendrai dans \nla ch\u00e8re terre de la patrie, je lui \u00e9l\u00e8verai un tombeau, je c\u00e9l\u00e9bre -\nrai d\u2019illustres fun\u00e9railles, telles qu\u2019il convient, et je donnerai ma \nm\u00e8re \u00e0 un mari.\nayant ainsi parl\u00e9, il s\u2019assit. Et au milieu d\u2019eux se leva Ment\u00f4r, \nqui \u00e9tait le compagnon de l\u2019irr\u00e9prochable Odysseus. Et celui-ci, \ncomme il partait, lui confia toute sa maison, lui remit ses biens \nen garde et voulut qu\u2019on ob\u00e9isse au vieillard. Et, au milieu d\u2019eux, \nplein de sagesse, il parla et dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi maintenant, Ithak\u00e8siens, quoi que je dise. Craignez \nqu\u2019un roi porte-sceptre ne soit plus jamais ni bienveillant, ni \ndoux, et qu\u2019il ne m\u00e9dite plus de bonnes actions dans son esprit, \nmais qu\u2019il soit cruel d\u00e9sormais et veuille l\u2019iniquit\u00e9, puisque nul \nne se souvient du divin Odysseus parmi les peuples auxquels \nil commandait aussi doux qu\u2019un p\u00e8re. Je ne reproche point aux 31\nL\u2019ODYSS\u00c9Epr\u00e9tendants orgueilleux de commettre des actions violentes \ndans un esprit inique, car ils jouent leurs t\u00eates en consumant la \ndemeure d\u2019Odysseus qu\u2019ils pensent ne plus revoir.\nMaintenant, c\u2019est contre tout le peuple que je m\u2019irrite, contre vous \nqui restez assis en foule et qui n\u2019osez point parler, ni r\u00e9primer les \npr\u00e9tendants peu nombreux, bien que vous soyez une multitude.\nEt l\u2019Eu\u00e8noride Lei\u00f4kritos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ment\u00f4r, injurieux et stupide, qu\u2019as-tu dit ? Tu nous exhortes \u00e0 \nnous retirer ! Certes, il serait difficile de chasser violemment du \nfestin tant de jeunes hommes. M\u00eame si l\u2019Ithak\u00e8sien Odysseus, sur -\nvenant lui-m\u00eame, songeait dans son esprit \u00e0 chasser les illustres \npr\u00e9tendants assis au festin dans sa demeure, certes, sa femme, \nbien qu\u2019elle le d\u00e9sire ardemment, ne se r\u00e9jouirait point alors de \nle revoir, car il rencontrerait une mort honteuse, s\u2019il combattait \ncontre un si grand nombre. Tu n\u2019as donc point bien parl\u00e9. allons ! \ndispersons-nous, et que chacun retourne \u00e0 ses travaux. Ment\u00f4r et \nHalithers\u00e8s pr\u00e9pareront le voyage de T\u00e8l\u00e9makhos, puisqu\u2019ils sont \nd\u00e8s sa naissance ses amis paternels. Mais je pense qu\u2019il restera \nlongtemps ici, \u00e9coutant des nouvelles dans Ithak\u00e8, et qu\u2019il n\u2019ac -\ncomplira point son dessein.32CHaNT 2\nayant ainsi parl\u00e9, il rompit aussit\u00f4t l\u2019agora, et ils se dispers\u00e8rent, et \nchacun retourna vers sa demeure. Et les pr\u00e9tendants se rendirent \n\u00e0 la maison du divin Odysseus.\nEt T\u00e8l\u00e9makhos s\u2019\u00e9loigna sur le rivage de la mer, et, plongeant ses \nmains dans la blanche mer, il supplia ath\u00e8n\u00e8 :\n\u2013 Entends-moi, d\u00e9esse qui es venue hier dans ma demeure, et qui \nm\u2019as ordonn\u00e9 d\u2019aller sur une nef, \u00e0 travers la mer sombre, m\u2019in -\nformer de mon p\u00e8re depuis longtemps absent. Et voici que les \nakhaiens m\u2019en emp\u00eachent, et surtout les orgueilleux pr\u00e9tendants.\nIl parla ainsi en priant, et ath\u00e8n\u00e8 parut aupr\u00e8s de lui, semblable \u00e0 \nMent\u00f4r par l\u2019aspect et par la voix, et elle lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 T\u00e8lemakhos, tu ne seras ni un l\u00e2che, ni un insens\u00e9, si l\u2019excellent \nesprit de ton p\u00e8re est en toi, tel qu\u2019il le poss\u00e9dait pour parler \net pour agir, et ton voyage ne sera ni inutile, ni imparfait. Si tu \nn\u2019\u00e9tais le fils d\u2019Odysseus et de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, je n\u2019esp\u00e9rerais pas que \ntu pusses accomplir ce que tu entreprends, car peu de fils sont \nsemblables \u00e0 leur p\u00e8re. La plupart sont moindres, peu son meil -\nleurs que leurs parents. Mais tu ne seras ni un l\u00e2che, ni un insens\u00e9, \npuisque l\u2019intelligence d\u2019Odysseus est rest\u00e9e en toi, et tu dois esp\u00e9 -\nrer accomplir ton dessein. C\u2019est pourquoi oublie les projets et les 33\nL\u2019ODYSS\u00c9Er\u00e9solutions des pr\u00e9tendants insens\u00e9s, car ils ne sont ni prudents, \nni \u00e9quitables, et ils ne songent point \u00e0 la mort et \u00e0 la k\u00e8r noire qui \nvont les faire p\u00e9rir tous en un seul jour. Ne tarde donc pas plus \nlongtemps \u00e0 faire ce que tu as r\u00e9solu. Moi qui suis le compagnon \nde ton p\u00e8re, je te pr\u00e9parerai une nef rapide et je t\u2019accompagnerai.\nMais retourne \u00e0 ta demeure te m\u00ealer aux pr\u00e9tendants.\nappr\u00eate nos vivres ; enferme le vin dans les amphores, et, dans les \noutres \u00e9paisses, la farine, moelle des hommes. Moi, je te r\u00e9unirai \ndes compagnons volontaires parmi le peuple. Il y a beaucoup de \nnefs, neuves et vieilles, dans Ithak\u00e8 entour\u00e9e des flots. Je choisi -\nrai la meilleure de toutes, et nous la conduirons, bien arm\u00e9e, sur \nla mer vaste.\nainsi parla ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus ; et T\u00e8l\u00e9makhos ne tarda pas plus \nlongtemps, d\u00e8s qu\u2019il eut entendu la voix de la D\u00e9esse. Et, le c\u0153ur \ntriste, il se h\u00e2ta de retourner dans sa demeure. Et il trouva les pr\u00e9 -\ntendants orgueilleux d\u00e9pouillant les ch\u00e8vres et faisant r\u00f4tir les \nporcs gras dans la cour. Et antinoos, en riant, vint au-devant de \nT\u00e8l\u00e9makhos ; et, lui prenant la main, il lui parla ainsi :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, agor\u00e8te orgueilleux et plein de col\u00e8re, qu\u2019il n\u2019y ait \nplus dans ton c\u0153ur ni soucis, ni mauvais desseins. Mange et bois 34CHaNT 2\nen paix comme auparavant. Les akhaiens agiront pour toi. Ils \nchoisiront une nef et des rameurs, afin que tu ailles promptement \n\u00e0 la divine Pylos t\u2019informer de ton illustre p\u00e8re.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 antinoos, il ne m\u2019est plus permis de m\u2019asseoir au festin et de me \nr\u00e9jouir en paix avec vous, orgueilleux ! N\u2019est-ce pas assez, pr\u00e9ten -\ndants, que vous ayez d\u00e9j\u00e0 d\u00e9vor\u00e9 mes meilleures richesses, tandis \nque j\u2019\u00e9tais enfant ?\nMaintenant, je suis plus grand, et j\u2019ai \u00e9cout\u00e9 les conseils des autres \nhommes, et la col\u00e8re a grandi dans mon c\u0153ur. Je tenterai donc \nde vous apporter la k\u00e8r fatale, soit en allant \u00e0 Pylos, soit ici, par \nle peuple. Certes, je partirai, et mon voyage ne sera point inu -\ntile. J\u2019irai sur une nef lou\u00e9e, puisque je n\u2019ai moi-m\u00eame ni nef, ni \nrameurs, et qu\u2019il vous a plu de m\u2019en r\u00e9duire l\u00e0.\nayant parl\u00e9, il arracha vivement sa main de la main d\u2019a ntinoos. Et \nles Pr\u00e9tendants pr\u00e9paraient le repas dans la maison. Et ces jeunes 35\nL\u2019ODYSS\u00c9Ehommes orgueilleux poursuivaient T\u00e8l\u00e9makhos de paroles outra -\ngeantes et railleuses :\n\u2013 Certes, voici que T\u00e8l\u00e9makhos m\u00e9dite notre destruction, soit qu\u2019il \nram\u00e8ne des alli\u00e9s de la sablonneuse Pylos, soit qu\u2019il en ram\u00e8ne de \nSpart\u00e8. Il le d\u00e9sire du moins avec ardeur. Peut-\u00eatre aussi veut-il \naller dans la fertile terre d\u2019Ephyr\u00e8, afin d\u2019en rapporter des poisons \nmortels qu\u2019il jettera dans nos krat\u00e8res pour nous tuer tous.\nEt un autre de ces jeunes hommes orgueilleux disait :\n\u2013 Qui sait si, une fois parti sur sa nef creuse, il ne p\u00e9rira pas loin \ndes siens, ayant err\u00e9 comme Odysseus ? Il nous donnerait ainsi \nun plus grand travail. Nous aurions \u00e0 partager ses biens, et nous \ndonnerions cette demeure \u00e0 sa m\u00e8re et \u00e0 celui qu\u2019elle \u00e9pouserait.\nIls parlaient ainsi. Et T\u00e8l\u00e9makhos monta dans la haute chambre \nde son p\u00e8re, o\u00f9 \u00e9taient amoncel\u00e9s l\u2019or et l\u2019airain, et les v\u00eatements \ndans les coffres, et l\u2019huile abondante et parfum\u00e9e. Et l\u00e0 aussi \n\u00e9taient des muids de vieux vin doux. Et ils \u00e9taient rang\u00e9s contre \nle mur, enfermant la boisson pure et divine r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 Odysseus \nquand il reviendrait dans sa patrie, apr\u00e8s avoir subi beaucoup de \nmaux. Et les portes \u00e9taient bien ferm\u00e9es au double verrou, et une \nfemme les surveillait nuit et jour avec une active vigilance ; et 36CHaNT 2\nc\u2019\u00e9tait Eurykl\u00e9ia, fille d\u2019Ops Peis\u00e8n\u00f4ride. Et T\u00e8l\u00e9makhos, l\u2019ayant \nappel\u00e9e dans la chambre, lui dit :\n\u2013 Nourrice, puise dans les amphores le plus doux de ces vins par -\nfum\u00e9s que tu conserves dans l\u2019attente d\u2019un homme tr\u00e8s-mal -\nheureux, du divin Odysseus, s\u2019il revient jamais, ayant \u00e9vit\u00e9 la k\u00e8r \net la mort. Emplis douze vases et ferme-les de leurs couvercles. \nVerse de la farine dans des outres bien cousues, et qu\u2019il y en ait \nvingt mesures. Que tu le saches seule, et r\u00e9unis toutes ces provi -\nsions, je les prendrai \u00e0 la nuit, quand ma m\u00e8re sera retir\u00e9e dans \nsa chambre, d\u00e9sirant son lit. Je vais \u00e0 Spart\u00e8 et \u00e0 la sablonneuse \nPylos pour m\u2019informer du retour de mon p\u00e8re bien-aim\u00e9.\nIl parla ainsi, et sa ch\u00e8re nourrice Eurykl\u00e9ia g\u00e9mit, et, se lamen -\ntant, elle dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Pourquoi, cher enfant, as-tu cette pens\u00e9e ? Tu veux aller \u00e0 travers \ntant de pays, \u00f4 fils unique et bien-aim\u00e9 ?\nMais le divin Odysseus est mort, loin de la terre de la patrie, chez \nun peuple inconnu. Et les pr\u00e9tendants te tendront aussit\u00f4t des \npi\u00e8ges, et tu p\u00e9riras par ruse, et ils partageront tes biens. Reste \ndonc ici aupr\u00e8s des tiens ! Il ne faut pas que tu subisses des maux \net que tu erres sur la mer indompt\u00e9e.37\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Rassure-toi, nourrice ; ce dessein n\u2019est point sans l\u2019avis d\u2019un dieu. \nMais jure que tu ne diras rien \u00e0 ma ch\u00e8re m\u00e8re avant onze ou \ndouze jours, \u00e0 moins qu\u2019elle me demande ou qu\u2019elle sache que je \nsuis parti, de peur qu\u2019en pleurant elle blesse son beau corps.\nIl parla ainsi, et la vieille femme jura le grand serment des dieux. \nEt, apr\u00e8s avoir jur\u00e9 et accompli les formes du serment, elle puisa \naussit\u00f4t le vin dans les amphores et versa la farine dans les outres \nbien cousues.\nEt T\u00e8l\u00e9makhos, entrant dans sa demeure, se m\u00eala aux Pr\u00e9tendants. \nalors la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs songea \u00e0 d\u2019autres soins. \nEt, semblable \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos, elle marcha par la ville, parlant aux \nhommes qu\u2019elle avait choisis et leur ordonnant de se r\u00e9unir \u00e0 la \nnuit sur une nef rapide. Elle avait demand\u00e9 cette nef rapide \u00e0 \nNo\u00e8m\u00f4n, le cher fils de Phronios, et celui-ci la lui avait confi\u00e9e \ntr\u00e8s-volontiers. Et H\u00e8lios tomba, et tous les chemins se couvrirent \nd\u2019ombre. alors ath\u00e8n\u00e8 lan\u00e7a \u00e0 la mer la nef rapide et y d\u00e9posa les \nagr\u00e8s ordinaires aux nefs bien pont\u00e9es.38CHaNT 2\nPuis, elle la pla\u00e7a \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du port. Et, autour de la nef, se r\u00e9u -\nnirent tous les excellents compagnons, et la d\u00e9esse exhortait cha -\ncun d\u2019eux.\nalors la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs songea \u00e0 d\u2019autres soins. Se \nh\u00e2tant d\u2019aller \u00e0 la demeure du divin Odysseus, elle y r\u00e9pandit le \ndoux sommeil sur les Pr\u00e9tendants. Elle les troubla tandis qu\u2019ils \nbuvaient, et fit tomber les coupes de leurs mains. Et ils s\u2019empres -\nsaient de retourner par la ville pour se coucher, et, \u00e0 peine \u00e9taient-\nils couch\u00e9s, le sommeil ferma leurs paupi\u00e8res. Et la D\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 \naux yeux clairs, ayant appel\u00e9 T\u00e8l\u00e9makhos hors de la maison, lui \nparla ainsi, ayant pris l\u2019aspect et la voix de Ment\u00f4r :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, d\u00e9j\u00e0 tes compagnons aux belles kn\u00e8mides sont \nassis, l\u2019aviron aux mains, pr\u00eats \u00e0 servir ton ardeur. allons, et ne \ntardons pas plus longtemps \u00e0 faire route.\nayant ainsi parl\u00e9, Pallas ath\u00e8n\u00e8 le pr\u00e9c\u00e9da aussit\u00f4t, et il suivit \nen h\u00e2te les pas de la d\u00e9esse ; et, parvenus \u00e0 la mer et \u00e0 la nef, ils 39\nL\u2019ODYSS\u00c9Etrouv\u00e8rent leurs compagnons chevelus sur le rivage. Et le divin \nT\u00e8l\u00e9makhos leur dit :\n\u2013 Venez, amis. Emportons les provisions qui sont pr\u00e9par\u00e9es dans \nma demeure. Ma m\u00e8re et ses femmes ignorent tout. Ma nourrice \nseule est instruite.\nayant ainsi parl\u00e9, il les pr\u00e9c\u00e9da et ils le suivirent. Et ils transpor -\nt\u00e8rent les provisions dans la nef bien pont\u00e9e, ainsi que le leur \navait ordonn\u00e9 le cher fils d\u2019Odysseus. Et T\u00e8l\u00e9makhos monta dans \nla nef, conduit par ath\u00e8n\u00e8 qui s\u2019assit \u00e0 la poupe. Et aupr\u00e8s d\u2019elle \ns\u2019assit T\u00e8l\u00e9makhos. Et ses compagnons d\u00e9tach\u00e8rent le c\u00e2ble et se \nrang\u00e8rent sur les bancs de rameurs. Et ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs fit \nsouffler un vent favorable, Z\u00e9phyros, qui les poussait en r\u00e9son -\nnant sur la mer sombre. Puis, T\u00e8l\u00e9makhos ordonna \u00e0 ses compa -\ngnons de dresser le m\u00e2t, et ils lui ob\u00e9irent. Et ils dress\u00e8rent le m\u00e2t \nde sapin sur sa base creuse et ils le fix\u00e8rent avec des c\u00e2bles. Puis, \nils d\u00e9ploy\u00e8rent les voiles blanches retenues par des courroies, et \nle vent les gonfla par le milieu. Et le flot pourpr\u00e9 r\u00e9sonnait le long \nde la car\u00e8ne de la nef qui marchait et courait sur la mer, faisant \nsa route. Puis, ayant li\u00e9 la m\u00e2ture sur la nef rapide et noire, ils se \nlev\u00e8rent debout, avec des krat\u00e8res pleins de vin, faisant des liba -\ntions aux Dieux \u00e9ternels et surtout \u00e0 la fille aux yeux clairs de \nZeus. Et, toute la nuit, jusqu\u2019au jour, la D\u00e9esse fit route avec eux.40CHaNT 241\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 3\nH\u00e8lios, quittant son beau lac, monta dans l\u2019Ouranos d\u2019airain, afin \nde porter la lumi\u00e8re aux immortels et aux hommes mortels sur \nla terre f\u00e9conde. Et ils arriv\u00e8rent \u00e0 Pylos, la citadelle bien b\u00e2tie de \nN\u00e8leus. Et les Pyliens, sur le rivage de la mer, faisaient des sacri -\nfices de taureaux enti\u00e8rement noirs \u00e0 Poseida\u00f4n aux cheveux \nbleus. Et il y avait neuf rangs de si\u00e8ges, et sur chaque rang cinq \ncents hommes \u00e9taient assis, et devant chaque rang il y avait neuf \ntaureaux \u00e9gorg\u00e9s. Et ils go\u00fbtaient les entrailles et ils br\u00fblaient les \ncuisses pour le dieu, quand ceux d\u2019Ithak\u00e8 entr\u00e8rent dans le port, \nserr\u00e8rent les voiles de la nef \u00e9gale, et, l\u2019ayant amarr\u00e9e, en sortirent. \nEt T\u00e8l\u00e9makhos sortit aussi de la nef, conduit par ath\u00e8n\u00e8. Et, lui \nparlant la premi\u00e8re, la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui dit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, il ne te convient plus d\u2019\u00eatre timide, maintenant que \ntu as travers\u00e9 la mer pour l\u2019amour de ton p\u00e8re, afin de t\u2019infor -\nmer quelle terre le renferme, et quelle a \u00e9t\u00e9 sa destin\u00e9e. allons ! \nva droit au dompteur de chevaux Nest\u00f4r, et voyons quelle pens\u00e9e \nil cache dans sa poitrine. Supplie-le de te dire la v\u00e9rit\u00e9. Il ne men -\ntira pas, car il est plein de sagesse.42CHaNT 3\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ment\u00f4r, comment l\u2019aborder et comment le saluer ? Je n\u2019ai point \nl\u2019exp\u00e9rience des sages discours, et un jeune homme a quelque \nhonte d\u2019interroger un vieillard.\nEt ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, tu y songeras dans ton esprit, ou un dieu te l\u2019inspi -\nrera, car je ne pense pas que tu sois n\u00e9 et que tu aies \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9 sans \nla bienveillance des dieux.\nayant ainsi parl\u00e9, Pallas ath\u00e8n\u00e8 le pr\u00e9c\u00e9da rapidement et il sui -\nvit aussit\u00f4t la d\u00e9esse. Et ils parvinrent \u00e0 l\u2019assembl\u00e9e o\u00f9 si\u00e9geaient \nles hommes Pyliens. L\u00e0 \u00e9tait assis Nest\u00f4r avec ses fils, et, tout \nautour, leurs compagnons pr\u00e9paraient le repas, faisaient r\u00f4tir \nles viandes et les embrochaient. Et d\u00e8s qu\u2019ils eurent vu les \u00e9tran -\ngers, ils vinrent tous \u00e0 eux, les accueillant du geste, et ils les firent \nasseoir. Et le Nest\u00f4ride Peisistratos, s\u2019approchant le premier, les \nprit l\u2019un et l\u2019autre par la main et leur fit place au repas, sur des \npeaux moelleuses qui couvraient le sable marin, aupr\u00e8s de son \nfr\u00e8re Thrasym\u00e8d\u00e8s et de son p\u00e8re. Puis, il leur offrit des portions 43\nL\u2019ODYSS\u00c9Ed\u2019entrailles, versa du vin dans une coupe d\u2019or, et, la pr\u00e9sentant \u00e0 \nPallas ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus temp\u00e9tueux, il lui dit :\n\u2013 Maintenant, \u00f4 mon h\u00f4te, supplie le roi Poseida\u00f4n. Ce festin \nauquel vous venez tous deux prendre part est \u00e0 lui. apr\u00e8s avoir \nfait des libations et implor\u00e9 le dieu, comme il convient, donne \ncette coupe de vin doux \u00e0 ton compagnon, afin qu\u2019il fasse \u00e0 son \ntour des libations. Je pense qu\u2019il supplie aussi les immortels. Tous \nles hommes ont besoin des dieux. Mais il est plus jeune que toi et \nsemble \u00eatre de mon \u00e2ge, c\u2019est pourquoi je te donne d\u2019abord cette \ncoupe d\u2019or.\nayant ainsi parl\u00e9, il lui mit aux mains la coupe de vin doux, et \nath\u00e8n\u00e8 se r\u00e9jouit de la sagesse et de l\u2019\u00e9quit\u00e9 du jeune homme, \nparce qu\u2019il lui avait offert d\u2019abord la coupe d\u2019or. Et aussit\u00f4t elle \nsupplia le roi Poseida\u00f4n :\n\u2013 Entends-moi, Poseida\u00f4n qui contient la terre ! Ne nous refuse \npas, \u00e0 nous qui t\u2019en supplions, d\u2019accomplir notre dessein. Glorifie \nd\u2019abord Nest\u00f4r et ses fils, et sois aussi favorable \u00e0 tous les Pyliens \nen r\u00e9compense de cette illustre h\u00e9catombe. Fais, enfin, que \nT\u00e8l\u00e9makhos et moi nous retournions, ayant accompli l\u2019\u0153uvre \npour laquelle nous sommes venus sur une nef noire et rapide.44CHaNT 3\nElle pria ainsi, exau\u00e7ant elle-m\u00eame ses v\u0153ux. Et elle donna la \nbelle coupe ronde \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos, et le cher fils d\u2019Odysseus sup -\nplia aussi le dieu. Et d\u00e8s que les Pyliens eurent r\u00f4ti les chairs sup\u00e9 -\nrieures, ils les retir\u00e8rent du feu, et, les distribuant par portions, \nils c\u00e9l\u00e9br\u00e8rent le festin splendide. Et d\u00e8s qu\u2019ils eurent assouvi le \nbesoin de boire et de manger, le cavalier G\u00e9rennien Nest\u00f4r leur \nparla ainsi :\n\u2013 Maintenant, nous pouvons demander qui sont nos h\u00f4tes, \npuisqu\u2019ils sont rassasi\u00e9s de nourriture.\n\u00d4 nos h\u00f4tes, qui \u00eates-vous ? Naviguez-vous pour quelque tra -\nfic, ou bien, \u00e0 l\u2019aventure, comme des pirates qui, jouant leur vie, \nportent le malheur aux \u00e9trangers ?\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit avec assurance, car ath\u00e8n\u00e8 \navait mis la fermet\u00e9 dans son c\u0153ur, afin qu\u2019il s\u2019inform\u00e2t de son \np\u00e8re absent et qu\u2019une grande gloire lui f\u00fbt acquise par l\u00e0 parmi \nles hommes :\n\u2013 \u00d4 Nest\u00f4r N\u00e8l\u00e8iade, grande gloire des akhaiens, tu demandes \nd\u2019o\u00f9 nous sommes, et je puis te le dire. Nous venons d\u2019Ithak\u00e8, sous \nle N\u00e8ios, pour un int\u00e9r\u00eat priv\u00e9, et non public, que je t\u2019apprendrai. \nJe cherche \u00e0 entendre parler de l\u2019immense gloire de mon p\u00e8re, le 45\nL\u2019ODYSS\u00c9Edivin et patient Odysseus qui, autrefois, dit-on, combattant avec \ntoi, a renvers\u00e9 la ville des Troiens. Nous avons su dans quel lieu \nchacun de ceux qui combattaient contre les Troiens a subi la mort \ncruelle ; mais le Kroni\u00f4n, au seul Odysseus, a fait une mort igno -\nr\u00e9e ; et aucun ne peut dire o\u00f9 il a p\u00e9ri, s\u2019il a \u00e9t\u00e9 dompt\u00e9 sur la terre \nferme par des hommes ennemis, ou dans la mer, sous les \u00e9cumes \nd\u2019amphitrite. C\u2019est pour lui que je viens, \u00e0 tes genoux, te deman -\nder de me dire, si tu le veux, quelle a \u00e9t\u00e9 sa mort cruelle, soit que \ntu l\u2019aies vue de tes yeux, soit que tu l\u2019aies apprise de quelque \nvoyageur ; car sa m\u00e8re l\u2019a enfant\u00e9 pour \u00eatre tr\u00e8s malheureux. Ne \nme flatte point d\u2019esp\u00e9rances vaines, par compassion ; mais parle-\nmoi ouvertement, je t\u2019en supplie, si jamais mon p\u00e8re, l\u2019excellent \nOdysseus, soit par ses paroles, soit par ses actions, a tenu les pro -\nmesses qu\u2019il t\u2019avait faites, chez le peuple des Troiens, o\u00f9 vous, \nakhaiens, avez subi tant de maux. Souviens-t\u2019en maintenant, et \ndis-moi la v\u00e9rit\u00e9.\nEt le cavalier G\u00e9rennien Nest\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 ami, tu me fais souvenir des maux que nous, fils indomp -\ntables des akhaiens, nous avons subis chez le peuple Troien, soit \nen poursuivant notre proie, sur nos nefs, \u00e0 travers la mer sombre, \net conduits par akhilleus, soit en combattant autour de la grande \nville du roi Priamos, l\u00e0 o\u00f9 tant de guerriers excellents ont \u00e9t\u00e9 tu\u00e9s. 46CHaNT 3\nC\u2019est l\u00e0 que gisent le brave aias, et akhilleus, et Patroklos sem -\nblable aux dieux par la sagesse, et mon fils bien-aim\u00e9 antilokhos, \nrobuste et irr\u00e9prochable, habile \u00e0 la course et courageux com -\nbattant. Et nous avons subi bien d\u2019autres maux, et nul, parmi les \nhommes mortels, ne pourrait les raconter tous. Et tu pourrais res -\nter ici et m\u2019interroger pendant cinq ou six ans, que tu retourne -\nrais, plein de tristesse, dans la terre de la patrie, avant de conna\u00eetre \ntous les maux subis par les divins akhaiens. Et, pendant neuf ans, \nnous avons assi\u00e9g\u00e9 Troi\u00e8 par mille ruses, et le Kroni\u00f4n ne nous \ndonna la victoire qu\u2019avec peine. L\u00e0, nul n\u2019\u00e9gala jamais le divin \nOdysseus par la sagesse, car ton p\u00e8re l\u2019emportait sur tous par ses \nruses sans nombre, si vraiment tu es son fils.\nMais l\u2019admiration me saisit en te regardant. Tes paroles sont sem -\nblables aux siennes, et on ne te croirait pas si jeune, tant tu sais \nparler comme lui. L\u00e0-bas, jamais le divin Odysseus et moi, dans \nl\u2019agora ou dans le conseil, nous n\u2019avons parl\u00e9 diff\u00e9remment ; et \nnous donnions aux akhaiens les meilleurs avis, ayant le m\u00eame \nesprit et la m\u00eame sagesse.\nEnfin, apr\u00e8s avoir renvers\u00e9 la haute citadelle de Priamos, nous \npart\u00eemes sur nos nefs, et un dieu dispersa les akhaiens. D\u00e9j\u00e0 \nZeus, sans doute, pr\u00e9parait, dans son esprit, un triste retour aux \nakhaiens ; car tous n\u2019\u00e9taient point prudents et justes, et une 47\nL\u2019ODYSS\u00c9Edestin\u00e9e terrible \u00e9tait r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 beaucoup d\u2019entre eux, \u00e0 cause de \nla col\u00e8re d\u2019a th\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs qui a un p\u00e8re effrayant, et qui \njeta la discorde entre les deux atr\u00e9ides. Et ceux-ci avaient convo -\nqu\u00e9 tous les akhaiens \u00e0 l\u2019agora, sans raison et contre l\u2019usage, au \ncoucher de H\u00e8lios, et les fils des akhaiens y vinrent, alourdis \npar le vin, et les atr\u00e9ides leur expliqu\u00e8rent pourquoi ils avaient \nconvoqu\u00e9 le peuple. alors M\u00e9n\u00e9laos leur ordonna de songer \nau retour sur le vaste dos de la mer ; mais cela ne plut point \u00e0 \nagamemn\u00f4n, qui voulait retenir le peuple et sacrifier de saintes \nh\u00e9catombes, afin d\u2019apaiser la violente col\u00e8re d\u2019a th\u00e8n\u00e8. Et l\u2019in -\nsens\u00e9 ne savait pas qu\u2019il ne pourrait l\u2019apaiser, car l\u2019esprit des Dieux \n\u00e9ternels ne change point aussi vite. Et tandis que les atr\u00e9ides, \ndebout, se disputaient avec d\u2019\u00e2pres paroles, tous les akhaiens aux \nbelles kn\u00e8mides se lev\u00e8rent, dans une grande clameur, pleins de \nr\u00e9solutions contraires.\nEt nous dorm\u00eemes pendant la nuit, m\u00e9ditant un dessein fatal, \ncar Zeus pr\u00e9parait notre plus grand malheur. Et, au matin, tra\u00ee -\nnant nos nefs \u00e0 la mer divine, nous y d\u00e9pos\u00e2mes notre butin et \nles femmes aux ceintures d\u00e9nou\u00e9es. Et la moiti\u00e9 de l\u2019arm\u00e9e resta \naupr\u00e8s du Roi atr\u00e9ide agamemn\u00f4n ; et nous, partant sur nos nefs, \nnous naviguions.48CHaNT 3\nUn dieu apaisa la mer o\u00f9 vivent les monstres, et, parvenus promp -\ntement \u00e0 T\u00e9n\u00e9dos, nous f\u00eemes des sacrifices aux dieux, d\u00e9sirant \nrevoir nos demeures. Mais Zeus irrit\u00e9, nous refusant un prompt \nretour, excita de nouveau une fatale dissension. Et quelques-\nuns, remontant sur leurs nefs \u00e0 double rang d\u2019avirons, et parmi \neux \u00e9tait le roi Odysseus plein de prudence, retourn\u00e8rent vers \nl\u2019atr\u00e9ide agamemn\u00f4n, afin de lui complaire.\nPour moi, ayant r\u00e9uni les nefs qui me suivaient, je pris la fuite, \ncar je savais quels malheurs pr\u00e9parait le dieu. Et le brave fils de \nTydeus, excitant ses compagnons, prit aussi la fuite ; et le blond \nM\u00e9n\u00e9laos nous rejoignit plus tard \u00e0 Lesbos, o\u00f9 nous d\u00e9lib\u00e9rions \nsur la route \u00e0 suivre. Irions-nous par le nord de l\u2019\u00e2pre Khios, ou \nvers l\u2019\u00eele Psyri\u00e8, en la laissant \u00e0 notre gauche, ou par le sud de \nKhios, vers Mimas battue des vents ? ayant suppli\u00e9 Zeus de nous \nmontrer un signe, il nous le montra et nous ordonna de traver -\nser le milieu de la mer d\u2019Euboia, afin d\u2019\u00e9viter notre perte. Et un \nvent sonore commen\u00e7a de souffler ; et nos nefs, ayant parcouru \nrapidement les chemins poissonneux, arriv\u00e8rent dans la nuit \u00e0 \nG\u00e9raistos ; et l\u00e0, apr\u00e8s avoir travers\u00e9 la grande mer, nous br\u00fbl\u00e2mes \npour Poseida\u00f4n de nombreuses cuisses de taureaux.\nLe quatri\u00e8me jour, les nefs \u00e9gales et les compagnons du domp -\nteur de chevaux Tyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s s\u2019arr\u00eat\u00e8rent dans argos, mais 49\nL\u2019ODYSS\u00c9Eje continuai ma route vers Pylos, et le vent ne cessa pas depuis \nqu\u2019un dieu lui avait permis de souffler.\nC\u2019est ainsi que je suis arriv\u00e9, cher fils, ne sachant point quels sont \nceux d\u2019entre les akhaiens qui se sont sauv\u00e9s ou qui ont p\u00e9ri. Mais \nce que j\u2019ai appris, tranquille dans mes demeures, il est juste que tu \nen sois instruit, et je ne te le cacherai point. On dit que l\u2019illustre \nfils du magnanime akhilleus a ramen\u00e9 en s\u00fbret\u00e9 les Myrmidones \nhabiles \u00e0 manier la lance. Philokt\u00e8t\u00e8s, l\u2019illustre fils de Paian, a \naussi ramen\u00e9 les siens, et Idom\u00e9neus a reconduit dans la Kr\u00e8t\u00e8 \nceux de ses compagnons qui ont \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la guerre, et la mer ne \nlui en a ravi aucun. Tu as entendu parler de l\u2019a tr\u00e9ide, bien qu\u2019ha -\nbitant au loin ; et tu sais comment il revint, et comment aigisthos \nlui infligea une mort lamentable. Mais le meurtrier est mort \nmis\u00e9rablement, tant il est bon qu\u2019un homme laisse un fils qui le \nvenge. Et Orest\u00e8s a tir\u00e9 vengeance d\u2019a igisthos qui avait tu\u00e9 son \nillustre p\u00e8re. Et toi, ami, que je vois si beau et si grand, sois brave, \nafin qu\u2019on parle bien de toi parmi les hommes futurs.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 Nest\u00f4r N\u00e8l\u00e8iade, grande gloire des akhaiens, certes, Orest\u00e8s \na tir\u00e9 une juste vengeance, et tous les akhaiens l\u2019en glorifient, et \nles hommes futurs l\u2019en glorifieront. Pl\u00fbt aux dieux que j\u2019eusse la 50CHaNT 3\nforce de faire expier aux pr\u00e9tendants les maux qu\u2019ils me font et \nl\u2019opprobre dont ils me couvrent. Mais les dieux ne nous ont point \ndestin\u00e9s \u00e0 \u00eatre honor\u00e9s, mon p\u00e8re et moi, et, maintenant, il me \nfaut tout subir avec patience.\nEt le cavalier G\u00e9rennien Nest\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 ami, ce que tu me dis m\u2019a \u00e9t\u00e9 rapport\u00e9, que de nombreux pr\u00e9 -\ntendants, \u00e0 cause de ta m\u00e8re, t\u2019opprimaient dans ta demeure. Mais, \ndis-moi, souffres-tu ces maux sans r\u00e9sistance, ou bien les peuples, \nob\u00e9issant \u00e0 l\u2019oracle d\u2019un dieu, t\u2019ont-ils pris en haine ! Qui sait si \nOdysseus ne ch\u00e2tiera pas un jour leur iniquit\u00e9 violente, seul, ou \naid\u00e9 de tous les akhaiens ? Qu\u2019a th\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs puisse t\u2019ai -\nmer autant qu\u2019elle aimait le glorieux Odysseus, chez le peuple des \nTroiens, o\u00f9, nous, akhaiens, nous avons subi tant de maux ! Non, \nje n\u2019ai jamais vu les Dieux aimer aussi manifestement un homme \nque Pallas ath\u00e8n\u00e8 aimait Odysseus. Si elle voulait t\u2019aimer ainsi et \nte prot\u00e9ger, chacun des pr\u00e9tendants oublierait bient\u00f4t ses d\u00e9sirs \nde noces !51\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, je ne pense pas que ceci arrive jamais. Les grandes \nchoses que tu pr\u00e9vois me troublent et me jettent dans la stupeur. \nElles tromperaient mes esp\u00e9rances, m\u00eame si les dieux le voulaient.\nalors, ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, quelle parole s\u2019est \u00e9chapp\u00e9e d\u2019entre tes dents ! Un \ndieu peut ais\u00e9ment sauver un homme, m\u00eame de loin.\nJ\u2019aimerais mieux, apr\u00e8s avoir subi de nombreuses douleurs, revoir \nle jour du retour et revenir dans ma demeure, plut\u00f4t que de \np\u00e9rir \u00e0 mon arriv\u00e9e, comme agamemn\u00f4n par la perfidie d\u2019a i-\ngisthos et de Klytaimnestr\u00e8. Cependant, les dieux eux-m\u00eames ne \npeuvent \u00e9loigner de l\u2019homme qu\u2019ils aiment la mort commune \u00e0 \ntous, quand la Moire fatale de la rude mort doit les saisir.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ment\u00f4r, n\u2019en parlons pas plus longtemps, malgr\u00e9 notre tristesse. \nOdysseus ne reviendra jamais, et d\u00e9j\u00e0 les dieux immortels lui \nont inflig\u00e9 la mort et la noire k\u00e8r. Maintenant, je veux interroger \nNest\u00f4r, car il l\u2019emporte sur tous par l\u2019intelligence et par la justice. 52CHaNT 3\n\u00d4 Nest\u00f4r N\u00e8l\u00e8iade, dis-moi la v\u00e9rit\u00e9 ; comment a p\u00e9ri l\u2019a tr\u00e9ide \nagamemn\u00f4n qui commandait au loin ? Quelle mort lui pr\u00e9parait \nle perfide aigisthos ? Certes, il a tu\u00e9 un homme qui lui \u00e9tait bien \nsup\u00e9rieur. O\u00f9 \u00e9tait M\u00e9n\u00e9laos ? Non dans l\u2019a rgos akha\u00efque, sans \ndoute ; et il errait au loin parmi les hommes, et aigisthos, en son \nabsence, a commis le meurtre.\nEt le cavalier G\u00e9rennien Nest\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, mon enfant, je te dirai la v\u00e9rit\u00e9 sur ces choses, et tu les \nsauras, telles qu\u2019elles sont arriv\u00e9es. Si le blond M\u00e9n\u00e9laos atr\u00e9ide, \n\u00e0 son retour de Troi\u00e8, avait trouv\u00e9, dans ses demeures, aigisthos \nvivant, sans doute celui-ci e\u00fbt p\u00e9ri, et n\u2019e\u00fbt point \u00e9t\u00e9 enseveli, et \nles chiens et les oiseaux carnassiers l\u2019eussent mang\u00e9, gisant dans \nla plaine, loin d\u2019a rgos ; et aucune akhaienne ne l\u2019e\u00fbt pleur\u00e9, car il \navait commis un grand crime.\nEn effet, tandis que nous subissions devant Ilios des combats \nsans nombre, lui, tranquille en une retraite, dans argos nourrice \nde chevaux, s\u00e9duisait par ses paroles l\u2019\u00e9pouse agamemnonienne. \nEt certes, la divine Klytaimnestr\u00e8 repoussa d\u2019abord cette action \nindigne, car elle ob\u00e9issait \u00e0 ses bonnes pens\u00e9es ; et aupr\u00e8s d\u2019elle \n\u00e9tait un aoide \u00e0 qui l\u2019a tr\u00e9ide, en partant pour Troi\u00e8, avait confi\u00e9 \nla garde de l\u2019\u00c9pouse.53\nL\u2019ODYSS\u00c9EMais quand la moire des dieux eut d\u00e9cid\u00e9 que l\u2019a oide mour -\nrait, on jeta celui-ci dans une \u00eele d\u00e9serte et on l\u2019y abandonna \npour \u00eatre d\u00e9chir\u00e9 par les oiseaux carnassiers. alors, ayant tous \ndeux les m\u00eames d\u00e9sirs, aigisthos conduisit Klytaimnestr\u00e8 dans \nsa demeure. Et il br\u00fbla de nombreuses cuisses sur les autels des \ndieux, et il y suspendit de nombreux ornements et des v\u00eate -\nments d\u2019or, parce qu\u2019il avait accompli le grand dessein qu\u2019il n\u2019e\u00fbt \njamais os\u00e9 esp\u00e9rer dans son \u00e2me. Et nous naviguions loin de \nTroi\u00e8, l\u2019a tr\u00e9ide et moi, ayant l\u2019un pour l\u2019autre la m\u00eame amiti\u00e9. \nMais, comme nous arrivions \u00e0 Sounios, sacr\u00e9 promontoire des \nath\u00e8naiens, Phoibos apoll\u00f4n tua soudainement de ses douces \nfl\u00e8ches le pilote de M\u00e9n\u00e9laos, Phrontis On\u00e8toride, au moment \no\u00f9 il tenait le gouvernail de la nef qui marchait. Et c\u2019\u00e9tait le plus \nhabile de tous les hommes \u00e0 gouverner une nef, aussi souvent que \nsoufflaient les temp\u00eates. Et M\u00e9n\u00e9laos, bien que press\u00e9 de conti -\nnuer sa course, s\u2019arr\u00eata en ce lieu pour ensevelir son compagnon \net c\u00e9l\u00e9brer ses fun\u00e9railles.\nPuis, reprenant son chemin \u00e0 travers la mer sombre, sur ses \nnefs creuses, il atteignit le promontoire Mal\u00e9ien. alors Zeus \u00e0 la \ngrande voix, s\u2019opposant \u00e0 sa marche, r\u00e9pandit le souffle des vents \nsonores qui soulev\u00e8rent les grands flots pareils \u00e0 des montagnes. \nEt les nefs se s\u00e9par\u00e8rent, et une partie fut pouss\u00e9e en Kr\u00e8t\u00e8, o\u00f9 \nhabitent les Kyd\u00f4nes, sur les rives du Iardanos. Mais il y a, sur 54CHaNT 3\nles c\u00f4tes de Gortyna, une roche escarp\u00e9e et plate qui sort de la \nmer sombre. L\u00e0, le Notos pousse les grands flots vers Phaistos, \u00e0 \nla gauche du promontoire ; et cette roche, tr\u00e8s petite, rompt les \ngrands flots. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019ils vinrent, et les hommes \u00e9vit\u00e8rent \u00e0 \npeine la mort ; et les flots fracass\u00e8rent les nefs contre les rochers, \net le vent et la mer pouss\u00e8rent cinq nefs aux proues bleues vers \nle fleuve a igyptos.\nEt M\u00e9n\u00e9laos, amassant beaucoup de richesses et d\u2019or, errait parmi \nles hommes qui parlent une langue \u00e9trang\u00e8re. Pendant ce temps, \naigisthos accomplissait dans ses demeures son lamentable des -\nsein, en tuant l\u2019a tr\u00e9ide et en soumettant son peuple. Et il com -\nmanda sept ann\u00e9es dans la riche Myk\u00e8n\u00e8. Et, dans la huiti\u00e8me \nann\u00e9e, le divin Orest\u00e8s revint d\u2019a th\u00e9na, et il tua le meurtrier de \nson p\u00e8re, le perfide aigisthos, qui avait tu\u00e9 son illustre p\u00e8re.\nEt, quand il l\u2019eut tu\u00e9, il offrit aux argiens le repas fun\u00e9raire de sa \nmalheureuse m\u00e8re et du l\u00e2che aigisthos. Et ce jour-l\u00e0, arriva le \nbrave M\u00e9n\u00e9laos, apportant autant de richesses que sa nef en pou -\nvait contenir.\nMais toi, ami, ne reste pas plus longtemps \u00e9loign\u00e9 de ta maison, \nayant ainsi laiss\u00e9 dans tes demeures tant d\u2019hommes orgueilleux, \nde peur qu\u2019ils consument tes biens et se partagent tes richesses, 55\nL\u2019ODYSS\u00c9Ecar tu aurais fait un voyage inutile. Je t\u2019exhorte cependant \u00e0 te \nrendre aupr\u00e8s de M\u00e9n\u00e9laos. Il est r\u00e9cemment arriv\u00e9 de pays \u00e9tran -\ngers, d\u2019o\u00f9 il n\u2019esp\u00e9rait jamais revenir ; et les temp\u00eates l\u2019ont pouss\u00e9 \n\u00e0 travers la grande mer que les oiseaux ne pourraient traverser \ndans l\u2019espace d\u2019une ann\u00e9e, tant elle est vaste et horrible. Va main -\ntenant avec ta nef et tes compagnons ; ou, si tu veux aller par terre, \nje te donnerai un char et des chevaux, et mes fils te conduiront \ndans la divine Lak\u00e9daim\u00f4n o\u00f9 est le blond M\u00e9n\u00e9laos, afin que tu \nle pries de te dire la v\u00e9rit\u00e9. Et il ne te dira pas de mensonges, car \nil est tr\u00e8s-sage.\nIl parla ainsi, et H\u00e8lios descendit, et les t\u00e9n\u00e8bres arriv\u00e8rent.\nEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui dit :\n\u2013 Vieillard, tu as parl\u00e9 convenablement. Mais tranchez les lan -\ngues des victimes, et m\u00ealez le vin, afin que nous fassions des liba -\ntions \u00e0 Poseida\u00f4n et aux autres immortels. Puis, nous songerons \n\u00e0 notre lit, car voici l\u2019heure. D\u00e9j\u00e0 la lumi\u00e8re est sous l\u2019horizon, et \nil ne convient pas de rester plus longtemps au festin des dieux ; \nmais il faut nous retirer.\nLa fille de Zeus parla ainsi, et tous ob\u00e9irent \u00e0 ses paroles. Et les \nh\u00e9rauts leur vers\u00e8rent de l\u2019eau sur les mains, et les jeunes hommes 56CHaNT 3\ncouronn\u00e8rent les krat\u00e8res de vin et les distribu\u00e8rent entre tous \u00e0 \npleines coupes.\nEt ils jet\u00e8rent les langues dans le feu. Et ils firent, debout, des \nlibations ; et, apr\u00e8s avoir fait des libations et bu autant que leur \nc\u0153ur le d\u00e9sirait, alors, ath\u00e8n\u00e8 et T\u00e8l\u00e9makhos voulurent tous deux \nretourner \u00e0 leur nef creuse.\nMais, aussit\u00f4t, Nest\u00f4r les retint et leur dit :\n\u2013 Que Zeus et tous les autres dieux immortels me pr\u00e9servent \nde vous laisser retourner vers votre nef rapide, en me quittant, \ncomme si j\u2019\u00e9tais un homme pauvre qui n\u2019a dans sa maison ni \nv\u00eatements ni tapis, afin que ses h\u00f4tes y puissent dormir molle -\nment ! Certes, je poss\u00e8de beaucoup de v\u00eatements et de beaux \ntapis. Et jamais le cher fils du h\u00e9ros Odysseus ne passera la nuit \ndans sa nef tant que je vivrai, et tant que mes enfants habiteront \nma maison royale et y recevront les \u00e9trangers qui viennent dans \nma demeure.\nEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Tu as bien parl\u00e9, cher vieillard. Il convient que tu persuades \nT\u00e8l\u00e9makhos, afin que tout soit pour le mieux. Il te suivra donc 57\nL\u2019ODYSS\u00c9Epour dormir dans ta demeure, et je retournerai vers notre nef \nnoire pour donner des ordres \u00e0 nos compagnons, car je me glo -\nrifie d\u2019\u00eatre le plus \u00e2g\u00e9 d\u2019entre eux. Ce sont des jeunes hommes, du \nm\u00eame \u00e2ge que le magnanime T\u00e8l\u00e9makhos, et ils l\u2019ont suivi par \namiti\u00e9. Je dormirai dans la nef noire et creuse, et, d\u00e8s le matin, \nj\u2019irai vers les magnanimes Kauk\u00f4nes, pour une somme qui m\u2019est \ndue et qui n\u2019est pas m\u00e9diocre.\nQuand T\u00e8l\u00e9makhos sera dans ta demeure, envoie-le sur le char, \navec ton fils, et donne-lui tes chevaux les plus rapides et les \nplus vigoureux.\nayant ainsi parl\u00e9, ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs disparut semblable \u00e0 \nun aigle, et la stupeur saisit tous ceux qui la virent. Et le vieillard, \nl\u2019ayant vue de ses yeux, fut plein d\u2019admiration, et il prit la main \nde T\u00e8l\u00e9makhos et il lui dit ces paroles :\n\u2013 \u00d4 ami, tu ne seras ni faible ni l\u00e2che, puisque les dieux eux-\nm\u00eames te conduisent, bien que tu sois si jeune. C\u2019est l\u00e0 un des \nhabitants des demeures Olympiennes, la fille de Zeus, la d\u00e9vas -\ntatrice Tritog\u00e9n\u00e9ia, qui honorait ton p\u00e8re excellent entre tous les \nargiens. C\u2019est pourquoi, \u00f4 reine, sois-moi favorable ! Donne-nous \nune grande gloire, \u00e0 moi, \u00e0 mes fils et \u00e0 ma v\u00e9n\u00e9rable \u00e9pouse, et \nje te sacrifierai une g\u00e9nisse d\u2019un an, au front large, indompt\u00e9e, et 58CHaNT 3\nque nul autre n\u2019a soumise au joug ; et je te la sacrifierai apr\u00e8s avoir \nr\u00e9pandu de l\u2019or sur ses cornes.\nIl parla ainsi, et Pallas- ath\u00e8n\u00e8 l\u2019entendit.\nEt le cavalier G\u00e9rennien Nest\u00f4r, en t\u00eate de ses fils et de ses gendres, \nretourna vers sa belle demeure. Et quand ils furent arriv\u00e9s \u00e0 l\u2019il -\nlustre demeure du roi, ils s\u2019assirent en ordre sur des gradins et sur \ndes thr\u00f4nes. Et le vieillard m\u00eala pour eux un krat\u00e8re de vin doux, \n\u00e2g\u00e9 de onze ans, dont une servante \u00f4ta le couvercle.\nEt le vieillard, ayant m\u00eal\u00e9 le vin dans le krat\u00e8re, supplia ath\u00e8n\u00e8, \nfaisant des libations \u00e0 la fille de Zeus temp\u00e9tueux. Et chacun \nd\u2019eux, ayant fait des libations et bu autant que son c\u0153ur le d\u00e9si -\nrait, retourna dans sa demeure pour y dormir. Et le cavalier \nG\u00e9rennien Nest\u00f4r fit coucher T\u00e8l\u00e9makhos, le cher fils du divin \nOdysseus, en un lit sculpt\u00e9, sous le portique sonore, aupr\u00e8s du \nbrave Peisistratos, le plus jeune des fils de la maison royale. Et lui-\nm\u00eame s\u2019endormit au fond de sa haute demeure, l\u00e0 o\u00f9 l\u2019\u00e9pouse lui \navait pr\u00e9par\u00e9 un lit.\nEt quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, le cava -\nlier G\u00e9rennien Nest\u00f4r se leva de son lit. Puis, \u00e9tant sorti, il s\u2019as -\nsit sur les pierres polies, blanches et brillantes comme de l\u2019huile, 59\nL\u2019ODYSS\u00c9Equi \u00e9taient devant les hautes portes, et sur lesquelles s\u2019asseyait \nautrefois N\u00e8leus semblable aux dieux par la sagesse. Mais celui-ci, \ndompt\u00e9 par la K\u00e8r, \u00e9tait descendu chez aid\u00e9s. Et, maintenant, le \nG\u00e9rennien Nest\u00f4r, rempart des akhaiens, s\u2019asseyait \u00e0 sa place, \ntenant le sceptre. Et ses fils, sortant des chambres nuptiales, se \nr\u00e9unirent autour de lui : Ekh\u00e9phr\u00f4n, et Stratios, et Perseus, et \nar\u00e8tos, et le divin Thrasym\u00e8d\u00e8s. Et le h\u00e9ros Peisistratos vint le \nsixi\u00e8me. Et ils firent approcher T\u00e8l\u00e9makhos semblable \u00e0 un dieu, \net le cavalier G\u00e9rennien Nest\u00f4r commen\u00e7a de leur parler :\n\u2013 Mes chers enfants, satisfaites promptement mon d\u00e9sir, afin que \nje me rende favorable, avant tous les dieux, ath\u00e8n\u00e8 qui s\u2019est mon -\ntr\u00e9e ouvertement \u00e0 moi au festin sacr\u00e9 de Poseida\u00f4n.\nQue l\u2019un de vous aille dans la campagne chercher une g\u00e9nisse que \nle bouvier am\u00e8nera, et qu\u2019il revienne \u00e0 la h\u00e2te. Un autre se ren -\ndra \u00e0 la nef noire du magnanime T\u00e8l\u00e9makhos, et il am\u00e8nera tous \nses compagnons, et il n\u2019en laissera que deux. Un autre ordonnera \nau fondeur d\u2019or Laerkeus de venir r\u00e9pandre de l\u2019or sur les cornes \nde la g\u00e9nisse ; et les autres resteront aupr\u00e8s de moi. Ordonnez aux \nservantes de pr\u00e9parer un festin sacr\u00e9 dans la demeure, et d\u2019appor -\nter des si\u00e8ges, du bois et de l\u2019eau pure.60CHaNT 3\nIl parla ainsi, et tous lui ob\u00e9irent. La g\u00e9nisse vint de la campagne, \net les compagnons du magnanime T\u00e8l\u00e9makhos vinrent de la nef \n\u00e9gale et rapide. Et l\u2019ouvrier vint, portant dans ses mains les ins -\ntruments de son art, l\u2019enclume, le maillet et la tenaille, avec les -\nquels il travaillait l\u2019or. Et ath\u00e8n\u00e8 vint aussi, pour jouir du sacrifice. \nEt le vieux cavalier Nest\u00f4r donna de l\u2019or, et l\u2019ouvrier le r\u00e9pandit et \nle fixa sur les cornes de la g\u00e9nisse, afin que la d\u00e9esse se r\u00e9jou\u00eet en \nvoyant cet ornement. Stratios et le divin Ekh\u00e9phr\u00f4n amen\u00e8rent la \ng\u00e9nisse par les cornes, et ar\u00e8tos apporta, de la chambre nuptiale, \ndans un bassin fleuri, de l\u2019eau pour leurs mains, et une servante \napporta les orges dans une corbeille. Et le brave Thrasym\u00e8d\u00e8s se \ntenait pr\u00eat \u00e0 tuer la g\u00e9nisse, avec une hache tranchante \u00e0 la main, \net Perseus tenait un vase pour recevoir le sang. alors, le vieux \ncavalier Nest\u00f4r r\u00e9pandit l\u2019eau et les orges, et supplia ath\u00e8n\u00e8, en \njetant d\u2019abord dans le feu quelques poils arrach\u00e9s de la t\u00eate.\nEt, apr\u00e8s qu\u2019ils eurent pri\u00e9 et r\u00e9pandu les orges, aussit\u00f4t, le noble \nThrasym\u00e8d\u00e8s, fils de Nest\u00f4r, frappa, et il trancha d\u2019un coup de \nhache les muscles du cou ; et les forces de la g\u00e9nisse furent rom -\npues. Et les filles, les belles-filles et la v\u00e9n\u00e9rable \u00e9pouse de Nest\u00f4r, \nEurydik\u00e8, l\u2019a\u00een\u00e9e des filles de Klym\u00e9nos, hurl\u00e8rent toutes.\nPuis, relevant la g\u00e9nisse qui \u00e9tait largement \u00e9tendue, ils la sou -\ntinrent, et Peisistratos, chef des hommes, l\u2019\u00e9gorgea. Et un sang 61\nL\u2019ODYSS\u00c9Enoir s\u2019\u00e9chappa de sa gorge, et le souffle abandonna ses os. aussit\u00f4t \nils la divis\u00e8rent. Les cuisses furent coup\u00e9es, selon le rite, et recou -\nvertes de graisse des deux c\u00f4t\u00e9s. Puis, on d\u00e9posa, par-dessus, les \nentrailles saignantes. Et le vieillard les br\u00fblait sur du bois, fai -\nsant des libations de vin rouge. Et les jeunes hommes tenaient en \nmains des broches \u00e0 cinq pointes. Les cuisses \u00e9tant consum\u00e9es, ils \ngo\u00fbt\u00e8rent les entrailles ; puis, divisant les chairs avec soin, ils les \nembroch\u00e8rent et les r\u00f4tirent, tenant en mains les broches aigu\u00ebs.\nPendant ce temps, la belle Polykast\u00e8, la plus jeune des filles de \nNest\u00f4r N\u00e8l\u00e8iade, baigna T\u00e8l\u00e9makhos et, apr\u00e8s l\u2019avoir baign\u00e9 et \nparfum\u00e9 d\u2019une huile grasse, elle le rev\u00eatit d\u2019une tunique et d\u2019un \nbeau manteau. Et il sortit du bain, semblable par sa beaut\u00e9 aux \nImmortels. Et le prince des peuples vint s\u2019asseoir aupr\u00e8s de Nest\u00f4r.\nLes autres, ayant r\u00f4ti les chairs, les retir\u00e8rent du feu et s\u2019assirent \nau festin. Et les plus illustres, se levant, versaient du vin dans les \ncoupes d\u2019or. Et quand ils eurent assouvi la soif et la faim, le cava -\nlier G\u00e9rennien Nest\u00f4r commen\u00e7a de parler au milieu d\u2019eux :\n\u2013 Mes enfants, donnez promptement \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos des chevaux \nau beau poil, et liez-les au char, afin qu\u2019il fasse son voyage.62CHaNT 3\nIl parla ainsi, et, l\u2019ayant entendu, ils lui ob\u00e9irent aussit\u00f4t. Et ils \nli\u00e8rent promptement au char deux chevaux rapides. Et la servante \nintendante y d\u00e9posa du pain et du vin et tous les mets dont se \nnourrissent les rois \u00e9lev\u00e9s par Zeus. Et T\u00e8l\u00e9makhos monta dans \nle beau char, et, aupr\u00e8s de lui, le Nestoride Peisistratos, chef des \nhommes, monta aussi et prit les r\u00eanes en mains. Puis, il fouetta \nles chevaux, et ceux-ci s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent avec ardeur dans la plaine, \nlaissant derri\u00e8re eux la ville escarp\u00e9e de Pylos. Et, tout le jour, ils \nsecou\u00e8rent le joug qui les retenait des deux c\u00f4t\u00e9s.\nalors, H\u00e8lios tomba, et les chemins s\u2019emplirent d\u2019ombre. Et ils arri -\nv\u00e8rent \u00e0 Ph\u00e8ra, dans la demeure de Diokleus, fils d\u2019Orthilokhos \nque l\u2019 alph\u00e9ios engendra. L\u00e0, ils pass\u00e8rent la nuit, et Diokleus leur \nfit les dons de l\u2019hospitalit\u00e9.\nEt quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, ils atte -\nl\u00e8rent les chevaux et mont\u00e8rent sur le beau char, et ils sortirent \ndu vestibule et du portique sonore.\nEt Peisistratos fouetta les chevaux, qui s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent ardemment \ndans la plaine fertile. Et ils achev\u00e8rent leur route, tant les chevaux \nrapides couraient avec vigueur. Et H\u00e8lios tomba de nouveau, et \nles chemins s\u2019emplirent d\u2019ombre.63\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 4\nEt ils parvinrent \u00e0 la vaste et creuse Lak\u00e9daim\u00f4n. Et ils se diri -\ng\u00e8rent vers la demeure du glorieux M\u00e9n\u00e9laos, qu\u2019ils trouv\u00e8rent \nc\u00e9l\u00e9brant dans sa demeure, au milieu de nombreux convives, les \nnoces de son fils et de sa fille irr\u00e9prochable qu\u2019il envoyait au fils \ndu belliqueux akhilleus. D\u00e8s longtemps, devant Troi\u00e8, il l\u2019avait \npromise et fianc\u00e9e, et les dieux accomplissaient leurs noces, et \nM\u00e9n\u00e9laos l\u2019envoyait, avec un char et des chevaux, vers l\u2019illustre \nville des Myrmidones, auxquels commandait le fils d\u2019 akhilleus.\nEt il mariait une Spartiate, fille d\u2019a lekt\u00f4r, \u00e0 son fils, le robuste \nM\u00e9gapenth\u00e8s, que, dans sa vieillesse, il avait eu d\u2019une captive. \nCar les dieux n\u2019avaient plus accord\u00e9 d\u2019enfants \u00e0 H\u00e9l\u00e8n\u00e8 depuis \nqu\u2019elle avait enfant\u00e9 sa fille gracieuse, Hermion\u00e8, semblable \u00e0 \naphrodit\u00e8 d\u2019or.\nEt les voisins et les compagnons du glorieux M\u00e9n\u00e9laos \u00e9taient \nassis au festin, dans la haute et grande demeure ; et ils se r\u00e9jouis -\nsaient, et un aoide divin chantait au milieu d\u2019eux, en jouant de \nla fl\u00fbte, et deux danseurs bondissaient au milieu d\u2019eux, aux sons \ndu chant.64CHaNT 4\nEt le h\u00e9ros T\u00e8l\u00e9makhos et l\u2019illustre fils de Nest\u00f4r s\u2019arr\u00eat\u00e8rent, \neux et leurs chevaux, dans le vestibule de la maison. Et le servi -\nteur familier du glorieux M\u00e9n\u00e9laos, Et\u00e9\u00f4neus, accourant et les \nayant vus, alla rapidement les annoncer dans les demeures du \nprince des peuples. Et, se tenant debout aupr\u00e8s de lui, il dit ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 M\u00e9n\u00e9laos, nourri par Zeus, voici deux \u00e9trangers qui semblent \n\u00eatre de la race du grand Zeus. Dis-moi s\u2019il faut d\u00e9teler leurs \nchevaux rapides, ou s\u2019il faut les renvoyer vers quelqu\u2019autre qui \nles re\u00e7oive.\nEt le blond M\u00e9n\u00e9laos lui r\u00e9pondit en g\u00e9missant :\n\u2013 \u00c9t\u00e9\u00f4neus Bo\u00e8thoide, tu n\u2019\u00e9tais pas insens\u00e9 avant ce moment, et \nvoici que tu prononces comme un enfant des paroles sans rai -\nson. Nous avons souvent re\u00e7u, en grand nombre, les pr\u00e9sents \nde l\u2019hospitalit\u00e9 chez des hommes \u00e9trangers, avant de revenir ici. \nQue Zeus nous affranchisse de nouvelles mis\u00e8res dans l\u2019avenir ! \nMais d\u00e9lie les chevaux de nos h\u00f4tes et conduis-les eux-m\u00eames \u00e0 \nce festin.\nIl parla ainsi, et Et\u00e9\u00f4neus sortit \u00e0 la h\u00e2te des demeures, et il \nordonna aux autres serviteurs fid\u00e8les de le suivre. Et ils d\u00e9li\u00e8rent 65\nL\u2019ODYSS\u00c9Eles chevaux suant sous le joug, et ils les attach\u00e8rent aux cr\u00e8ches, \nen pla\u00e7ant devant eux l\u2019orge blanche et l\u2019\u00e9peautre m\u00eal\u00e9s. Et ils \nappuy\u00e8rent le char contre le mur poli. Puis, ils conduisirent les \n\u00e9trangers dans la demeure divine.\nEt ceux-ci regardaient, admirant la demeure du roi nourrisson \nde Zeus. Et la splendeur de la maison du glorieux M\u00e9n\u00e9laos \u00e9tait \nsemblable \u00e0 celle de H\u00e8lios et de S\u00e9l\u00e9n\u00e8. Et quand ils furent ras -\nsasi\u00e9s de regarder, ils entr\u00e8rent, pour se laver, dans des baignoires \npolies. Et apr\u00e8s que les servantes les eurent lav\u00e9s et parfum\u00e9s \nd\u2019huile, et rev\u00eatus de tuniques et de manteaux moelleux, ils s\u2019as -\nsirent sur des thr\u00f4nes aupr\u00e8s de l\u2019 atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos.\nEt une servante, pour laver leurs mains, versa de l\u2019eau, d\u2019une belle \naigui\u00e8re d\u2019or, dans un bassin d\u2019argent ; et elle dressa devant eux \nune table polie ; et la v\u00e9n\u00e9rable intendante, pleine de bienveil -\nlance, y d\u00e9posa du pain et des mets nombreux. Et le d\u00e9coupeur \nleur offrit les plateaux couverts de viandes diff\u00e9rentes, et il posa \ndevant eux des coupes d\u2019or. Et le blond M\u00e9n\u00e9laos, leur donnant la \nmain droite, leur dit :\n\u2013 Mangez et r\u00e9jouissez-vous. Quand vous serez rassasi\u00e9s de nour -\nriture, nous vous demanderons qui vous \u00eates parmi les hommes. \nCertes, la race de vos a\u00efeux n\u2019a point failli, et vous \u00eates d\u2019une race 66CHaNT 4\nde rois porte-sceptres nourris par Zeus, car jamais des l\u00e2ches \nn\u2019ont enfant\u00e9 de tels fils.\nIl parla ainsi, et, saisissant de ses mains le dos gras d\u2019une g\u00e9nisse, \nhonneur qu\u2019on lui avait fait \u00e0 lui-m\u00eame, il le pla\u00e7a devant eux. Et \nceux-ci \u00e9tendirent les mains vers les mets offerts. Et quand ils \neurent assouvi le besoin de manger et de boire, T\u00e8l\u00e9makhos dit \nau fils de Nest\u00f4r, en approchant la t\u00eate de la sienne, afin de n\u2019\u00eatre \npoint entendu :\n\u2013 Vois, Nestoride, tr\u00e8s-cher \u00e0 mon c\u0153ur, la splendeur de l\u2019airain \net la maison sonore, et l\u2019or, et l\u2019\u00e9mail, et l\u2019argent et l\u2019ivoire. Sans \ndoute, telle est la demeure de l\u2019olympien Zeus, tant ces richesses \nsont nombreuses. L \u2019admiration me saisit en les regardant.\nEt le blond M\u00e9n\u00e9laos, ayant compris ce qu\u2019il disait, leur adressa \nces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Chers enfants, aucun vivant ne peut lutter contre Zeus, car ses \ndemeures et ses richesses sont immortelles. Il y a des hommes \nplus ou moins riches que moi ; mais j\u2019ai subi bien des maux, et j\u2019ai \nerr\u00e9 sur mes nefs pendant huit ann\u00e9es, avant de revenir. Et j\u2019ai vu \nKypros et la Phoinik\u00e8, et les aigyptiens, et les aithiopiens, et les \nSid\u00f4nes, et les \u00c9rembes, et la Liby\u00e8 o\u00f9 les agneaux sont cornus et 67\nL\u2019ODYSS\u00c9Eo\u00f9 les brebis mettent bas trois fois par an. L\u00e0, ni le roi ni le ber -\nger ne manquent de fromage, de viandes et de lait doux, car ils \npeuvent traire le lait pendant toute l\u2019ann\u00e9e. Et tandis que j\u2019errais \nen beaucoup de pays, amassant des richesses, un homme tuait \ntra\u00eetreusement mon fr\u00e8re, aid\u00e9 par la ruse d\u2019une femme perfide. \nEt je r\u00e8gne, plein de tristesse malgr\u00e9 mes richesses. Mais vous \ndevez avoir appris ces choses de vos p\u00e8res, quels qu\u2019ils soient. Et \nj\u2019ai subi des maux nombreux, et j\u2019ai d\u00e9truit une ville bien peu -\npl\u00e9e qui renfermait des tr\u00e9sors pr\u00e9cieux. Pl\u00fbt aux dieux que j\u2019en \neusse trois fois moins dans mes demeures, et qu\u2019ils fussent encore \nvivants les h\u00e9ros qui ont p\u00e9ri devant la grande Troi\u00e8, loin d\u2019a r-\ngos o\u00f9 paissent les beaux chevaux ! Et je pleure et je g\u00e9mis sur eux \ntous. Souvent, assis dans mes demeures, je me plais \u00e0 m\u2019attrister \nen me souvenant, et tant\u00f4t je cesse de g\u00e9mir, car la lassitude du \ndeuil arrive promptement.\nMais, bien qu\u2019attrist\u00e9, je les regrette moins tous ensemble qu\u2019un \nseul d\u2019entre eux, dont le souvenir interrompt mon sommeil et \nchasse ma faim ; car Odysseus a support\u00e9 plus de travaux que \ntous les a khaiens.\nEt d\u2019autres douleurs lui \u00e9taient r\u00e9serv\u00e9es dans l\u2019avenir ; et une \ntristesse incurable me saisit \u00e0 cause de lui qui est depuis si long -\ntemps absent. Et nous ne savons s\u2019il est vivant ou mort ; et le vieux 68CHaNT 4\nLaert\u00e8s le pleure, et la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, et T\u00e8l\u00e9makhos qu\u2019il laissa \ntout enfant dans ses demeures.\nIl parla ainsi, et il donna \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos le d\u00e9sir de pleurer \u00e0 cause \nde son p\u00e8re ; et, entendant parler de son p\u00e8re, il se couvrit les yeux \nde son manteau pourpr\u00e9, avec ses deux mains, et il r\u00e9pandit des \nlarmes hors de ses paupi\u00e8res. Et M\u00e9n\u00e9laos le reconnut, et il d\u00e9li -\nb\u00e9ra dans son esprit et dans son c\u0153ur s\u2019il le laisserait se souve -\nnir le premier de son p\u00e8re, ou s\u2019il l\u2019interrogerait en lui disant ce \nqu\u2019il pensait.\nPendant qu\u2019il d\u00e9lib\u00e9rait ainsi dans son esprit et dans son c\u0153ur, \nH\u00e9l\u00e9n\u00e8 sortit de la haute chambre nuptiale parfum\u00e9e, semblable \n\u00e0 art\u00e9mis qui porte un arc d\u2019or. aussit\u00f4t adrest\u00e8 lui pr\u00e9senta un \nbeau si\u00e8ge, alkipp\u00e8 apporta un tapis de laine moelleuse, et Phyl\u00f4 \nlui offrit une corbeille d\u2019argent que lui avait donn\u00e9e alkandr\u00e8, \nfemme de Polybos, qui habitait dans Th\u00e8b\u00e8 aigyptienne, o\u00f9 de \nnombreuses richesses \u00e9taient renferm\u00e9es dans les demeures. Et \nPolybos donna \u00e0 M\u00e9n\u00e9laos deux baignoires d\u2019argent, et deux \ntr\u00e9pieds, et dix talents d\u2019or ; et alkandr\u00e8 avait aussi offert de \nbeaux pr\u00e9sents \u00e0 H\u00e9l\u00e9n\u00e8 : Une quenouille d\u2019or et une corbeille \nd\u2019argent massif dont la bordure \u00e9tait d\u2019or. Et la servante Phyl\u00f4 \nla lui apporta, pleine de fil pr\u00e9par\u00e9, et, par-dessus, la quenouille \ncharg\u00e9e de laine violette.69\nL\u2019ODYSS\u00c9EH\u00e9l\u00e9n\u00e8 s\u2019assit, avec un escabeau sous les pieds, et aussit\u00f4t elle \ninterrogea ainsi son \u00e9poux :\n\u2013 Savons-nous, divin M\u00e9n\u00e9laos, qui sont ces hommes qui se glori -\nfient d\u2019\u00eatre entr\u00e9s dans notre demeure ? Mentirai-je ou dirai-je la \nv\u00e9rit\u00e9 ? Mon esprit me l\u2019ordonne. Je ne pense pas avoir jamais vu \nrien de plus ressemblant, soit un homme, soit une femme ; et l\u2019ad -\nmiration me saisit tandis que je regarde ce jeune homme, tant il \nest semblable au fils du magnanime Odysseus, \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos qu\u2019il \nlaissa tout enfant dans sa demeure, quand pour moi, chienne, les \nakhaiens vinrent \u00e0 Troi\u00e8, portant la guerre audacieuse.\nEt le blond M\u00e9n\u00e9laos, lui r\u00e9pondant, parla ainsi ;\n\u2013 Je reconnais comme toi, femme, que ce sont l\u00e0 les pieds, les \nmains, l\u2019\u00e9clair des yeux, la t\u00eate et les cheveux d\u2019Odysseus. Et \nvoici que je me souvenais de lui et que je me rappelais combien \nde mis\u00e8res il avait patiemment subies pour moi. Mais ce jeune \nhomme r\u00e9pand de ses paupi\u00e8res des larmes am\u00e8res, couvrant ses \nyeux de son manteau pourpr\u00e9.70CHaNT 4\nEt le Nestoride Peisistratos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, nourri par Zeus, prince des peuples, certes, il \nest le fils de celui que tu dis. Mais il est sage, et il pense qu\u2019il ne \nserait pas convenable, d\u00e8s son arriv\u00e9e, de prononcer des paroles \nt\u00e9m\u00e9raires devant toi dont nous \u00e9coutons la voix comme celle \nd\u2019un dieu.\nLe cavalier G\u00e9rennien Nest\u00f4r m\u2019a ordonn\u00e9 de l\u2019accompagner. Et il \nd\u00e9sire te voir, afin que tu le conseilles ou que tu l\u2019aides ; car il subit \nbeaucoup de maux, \u00e0 cause de son p\u00e8re absent, dans sa demeure \no\u00f9 il a peu de d\u00e9fenseurs. Cette destin\u00e9e est faite \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos, \net son p\u00e8re est absent, et il n\u2019a personne, parmi son peuple, qui \npuisse d\u00e9tourner de lui les calamit\u00e9s.\nEt le blond M\u00e9n\u00e9laos, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 dieux ! certes, le fils d\u2019un homme que j\u2019aime est entr\u00e9 dans \nma demeure, d\u2019un h\u00e9ros qui, pour ma cause, a subi tant de com -\nbats. J\u2019avais r\u00e9solu de l\u2019honorer entre tous les akhaiens, si l\u2019olym -\npien Zeus qui tonne au loin nous e\u00fbt donn\u00e9 de revenir sur la mer \net sur nos nefs rapides. Et je lui aurais \u00e9lev\u00e9 une ville dans argos, \net je lui aurais b\u00e2ti une demeure ; et il aurait transport\u00e9 d\u2019Ithak\u00e8 \nses richesses et sa famille et tout son peuple dans une des villes 71\nL\u2019ODYSS\u00c9Eo\u00f9 je commande et qui aurait \u00e9t\u00e9 quitt\u00e9e par ceux qui l\u2019habitent. \nEt, souvent, nous nous fussions visit\u00e9s tour \u00e0 tour, nous aimant et \nnous charmant jusqu\u2019\u00e0 ce que la noire nu\u00e9e de la mort nous e\u00fbt \nenvelopp\u00e9s. Mais, sans doute, un dieu nous a envi\u00e9 cette desti -\nn\u00e9e, puisque, le retenant seul et malheureux, il lui refuse le retour.\nIl parla ainsi, et il excita chez tous le d\u00e9sir de pleurer. Et l\u2019a r-\ngienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8, fille de Zeus, pleurait ; et T\u00e8l\u00e9makhos pleurait \naussi, et l\u2019a tr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos ; et le fils de Nest\u00f4r avait les yeux \npleins de larmes, et il se souvenait dans son esprit de l\u2019irr\u00e9pro -\nchable antilokhos que l\u2019illustre fils de la splendide \u00c9\u00f4s avait tu\u00e9 \net, se souvenant, il dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 atr\u00e9ide, souvent le vieillard Nest\u00f4r m\u2019a dit, quand nous nous \nsouvenions de toi dans ses demeures, et quand nous nous entre -\ntenions, que tu l\u2019emportais sur tous par ta sagesse. C\u2019est pourquoi, \nmaintenant, \u00e9coute-moi. Je ne me plais point \u00e0 pleurer apr\u00e8s le \nrepas ; mais nous verserons des larmes quand \u00c9\u00f4s n\u00e9e au matin \nreviendra. Il faut pleurer ceux qui ont subi leur destin\u00e9e. C\u2019est \nl\u00e0, certes, la seule r\u00e9compense des mis\u00e9rables mortels de couper \npour eux sa chevelure et de mouiller ses joues de larmes. Mon \nfr\u00e8re aussi est mort, et il n\u2019\u00e9tait pas le moins brave des argiens, \ntu le sais. Je n\u2019en ai pas \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin, et je ne l\u2019ai point vu, mais on 72CHaNT 4\ndit qu\u2019a ntilokhos l\u2019emportait sur tous, quand il courait et quand \nil combattait.\nEt le blond M\u00e9n\u00e9laos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 cher, tu parles comme un homme sage et plus \u00e2g\u00e9 que toi par -\nlerait et agirait, comme le fils d\u2019un sage p\u00e8re. On reconna\u00eet faci -\nlement l\u2019illustre race d\u2019un homme que le Kroni\u00f4n a honor\u00e9, qu\u2019il \na bien mari\u00e9 et qui est bien n\u00e9. C\u2019est ainsi qu\u2019il a accord\u00e9 tous les \njours \u00e0 Nest\u00f4r de vieillir en paix dans sa demeure, au milieu de \nfils sages et qui excellent par la lance. Mais retenons les pleurs qui \nviennent de nous \u00e9chapper. Souvenons-nous de notre repas et \nversons de l\u2019eau sur nos mains. T\u00e8l\u00e9makhos et moi, demain matin, \nnous parlerons et nous nous entretiendrons.\nIl parla ainsi, et asphali\u00f4n, fid\u00e8le serviteur de l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos, \nversa de l\u2019eau sur leurs mains, et tous \u00e9tendirent les mains vers les \nmets plac\u00e9s devant eux.\nEt alors H\u00e9l\u00e9n\u00e8, fille de Zeus, eut une autre pens\u00e9e, et, aussit\u00f4t, \nelle versa dans le vin qu\u2019ils buvaient un baume, le n\u00e9penth\u00e8s, qui \ndonne l\u2019oubli des maux. Celui qui aurait bu ce m\u00e9lange ne pour -\nrait plus r\u00e9pandre des larmes de tout un jour, m\u00eame si sa m\u00e8re et \nson p\u00e8re \u00e9taient morts, m\u00eame si on tuait devant lui par l\u2019airain 73\nL\u2019ODYSS\u00c9Eson fr\u00e8re ou son fils bien-aim\u00e9, et s\u2019il le voyait de ses yeux. Et la \nfille de Zeus poss\u00e9dait cette liqueur excellente que lui avait don -\nn\u00e9e Polydamna, femme de Th\u00f4s, en aigypti\u00e8, terre fertile qui pro -\nduit beaucoup de baumes, les uns salutaires et les autres mor -\ntels. L\u00e0 tous les m\u00e9decins sont les plus habiles d\u2019entre les hommes, \net ils sont de la race de Pai\u00e8\u00f4n. apr\u00e8s l\u2019avoir pr\u00e9par\u00e9, H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \nordonna de verser le vin, et elle parla ainsi :\n\u2013 atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, nourrisson de Zeus, certes, ceux-ci sont fils \nd\u2019hommes braves, mais Zeus dispense comme il le veut le bien \net le mal, car il peut tout. C\u2019est pourquoi, maintenant, mangeons, \nassis dans nos demeures, et charmons-nous par nos paroles. Je \nvous dirai des choses qui vous plairont. Cependant, je ne pourrai \nraconter, ni m\u00eame rappeler tous les combats du patient Odysseus, \ntant cet homme brave a fait et support\u00e9 de travaux chez le peuple \ndes Troiens, l\u00e0 o\u00f9 les akhaiens ont \u00e9t\u00e9 accabl\u00e9s de mis\u00e8res. Se \ncouvrant lui-m\u00eame de plaies honteuses, les \u00e9paules envelopp\u00e9es \nde vils haillons et semblable \u00e0 un esclave, il entra dans la vaste \nville des guerriers ennemis, s\u2019\u00e9tant fait tel qu\u2019un mendiant, et bien \ndiff\u00e9rent de ce qu\u2019il \u00e9tait aupr\u00e8s des nefs des akhaiens.\nC\u2019est ainsi qu\u2019il entra dans la ville des Troiens, inconnu de tous. \nSeule, je le reconnus et je l\u2019interrogeais mais il me r\u00e9pondit avec \nruse. Puis, je le baignai et je le parfumais d\u2019huile, et je le couvris 74CHaNT 4\nde v\u00eatements, et je jurais un grand serment, promettant de ne \npoint r\u00e9v\u00e9ler Odysseus aux Troiens avant qu\u2019il f\u00fbt retourn\u00e9 aux \nnefs rapides et aux tentes. Et alors il me d\u00e9couvrit tous les pro -\njets des akhaiens. Et, apr\u00e8s avoir tu\u00e9 avec le long airain un grand \nnombre de Troiens, il retourna vers les argiens, leur rapportant \nbeaucoup de secrets. Et les Troiennes g\u00e9missaient lamentable -\nment ; mais mon esprit se r\u00e9jouissait, car d\u00e9j\u00e0 j\u2019avais dans mon \nc\u0153ur le d\u00e9sir de retourner vers ma demeure, et je pleurais sur \nla mauvaise destin\u00e9e qu\u2019a phrodit\u00e8 m\u2019avait faite, quand elle me \nconduisit, en me trompant, loin de la ch\u00e8re terre de la patrie, et \nde ma fille, et de la chambre nuptiale, et d\u2019un mari qui n\u2019est priv\u00e9 \nd\u2019aucun don, ni d\u2019intelligence, ni de beaut\u00e9.\nEt le blond M\u00e9n\u00e9laos, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Tu as dit toutes ces choses, femme, comme il convient. Certes, \nj\u2019ai connu la pens\u00e9e et la sagesse de beaucoup de h\u00e9ros, et j\u2019ai \nparcouru beaucoup de pays, mais je n\u2019ai jamais vu de mes yeux \nun c\u0153ur tel que celui du patient Odysseus, ni ce que ce vail -\nlant homme fit et affronta dans le cheval bien travaill\u00e9 o\u00f9 nous \n\u00e9tions tous entr\u00e9s, nous, les princes des argiens, afin de porter le \nmeurtre et la k\u00e8r aux Troiens.75\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt tu vins l\u00e0, et sans doute un dieu te l\u2019ordonna qui voulut accor -\nder la gloire aux Troiens, et D\u00e8iphobos semblable \u00e0 un dieu te sui -\nvait. Et tu fis trois fois le tour de l\u2019emb\u00fbche creuse, en la frappant ; \net tu nommais les princes des Danaens en imitant la voix des \nfemmes de tous les argiens ; et nous, moi, Diom\u00e8d\u00e8s et le divin \nOdysseus, assis au milieu, nous \u00e9coutions ta voix. Et Diom\u00e8d\u00e8s \net moi nous voulions sortir imp\u00e9tueusement plut\u00f4t que d\u2019\u00e9cou -\nter de l\u2019int\u00e9rieur, mais Odysseus nous arr\u00eata et nous retint mal -\ngr\u00e9 notre d\u00e9sir. Et les autres fils des akhaiens restaient muets, et \nantiklos, seul, voulut te r\u00e9pondre : mais Odysseus lui comprima \nla bouche de ses mains robustes, et il sauva tous les akhaiens ; et \nil le contint ainsi jusqu\u2019\u00e0 ce que Pallas ath\u00e8n\u00e8 t\u2019e\u00fbt \u00e9loign\u00e9e.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, nourrisson de Zeus, prince des peuples, cela \nest triste, mais ces actions n\u2019ont point \u00e9loign\u00e9 de lui la mauvaise \nmort, et m\u00eame si son c\u0153ur e\u00fbt \u00e9t\u00e9 de fer. Mais conduis-nous \u00e0 \nnos lits, afin que nous jouissions du doux sommeil.\nIl parla ainsi, et l\u2019a rgienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8 ordonna aux servantes de pr\u00e9 -\nparer les lits sous le portique, d\u2019amasser des v\u00eatements beaux et \npourpr\u00e9s, de les couvrir de tapis et de recouvrir ceux-ci de laines \n\u00e9paisses. Et les servantes sortirent des demeures, portant des 76CHaNT 4\ntorches dans leurs mains, et elles \u00e9tendirent les lits, et un h\u00e9raut \nconduisit les h\u00f4tes.\nEt le h\u00e9ros T\u00e8l\u00e9makhos et l\u2019illustre fils de Nest\u00f4r s\u2019endormirent \nsous le portique de la maison. Et l\u2019a tr\u00e9ide s\u2019endormit au fond \nde la haute demeure, et H\u00e9l\u00e9n\u00e8 au large p\u00e9plos, la plus belle des \nfemmes, se coucha aupr\u00e8s de lui.\nMais quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, le brave \nM\u00e9n\u00e9laos se leva de son lit, mit ses v\u00eatements, suspendit une \u00e9p\u00e9e \naigu\u00eb autour de ses \u00e9paules et attacha de belles sandales \u00e0 ses \npieds luisants. Et, semblable \u00e0 un dieu, sortant de la chambre nup -\ntiale, il s\u2019assit aupr\u00e8s de T\u00e8l\u00e9makhos et il lui parla :\n\u2013 H\u00e9ros T\u00e8l\u00e9makhos, quelle n\u00e9cessit\u00e9 t\u2019a pouss\u00e9 vers la divine \nLak\u00e9daim\u00f4n, sur le large dos de la mer ? Est-ce un int\u00e9r\u00eat public \nou priv\u00e9 ? Dis-le-moi avec v\u00e9rit\u00e9.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, nourrisson de Zeus, prince des peuples, je \nviens afin que tu me dises quelque chose de mon p\u00e8re. Ma mai -\nson est ruin\u00e9e, mes riches travaux p\u00e9rissent. Ma demeure est \npleine d\u2019hommes ennemis qui \u00e9gorgent mes brebis grasses et mes 77\nL\u2019ODYSS\u00c9Eb\u0153ufs aux pieds flexibles et aux fronts sinueux. Ce sont les pr\u00e9 -\ntendants de ma m\u00e8re, et ils ont une grande insolence. C\u2019est pour -\nquoi, maintenant, je viens \u00e0 tes genoux, afin que, me parlant de \nla mort lamentable de mon p\u00e8re, tu me dises si tu l\u2019as vue de tes \nyeux, ou si tu l\u2019as apprise d\u2019un voyageur. Certes, une m\u00e8re mal -\nheureuse l\u2019a enfant\u00e9.\nNe me trompe point pour me consoler, et par piti\u00e9 ; mais raconte-\nmoi franchement tout ce que tu as vu. Je t\u2019en supplie, si jamais \nmon p\u00e8re, le brave Odysseus, par la parole ou par l\u2019action, a tenu \nce qu\u2019il avait promis, chez le peuple des Troiens, o\u00f9 les akhaiens \nont subi tant de mis\u00e8res, souviens-t\u2019en et dis-moi la v\u00e9rit\u00e9.\nEt, avec un profond soupir, le blond M\u00e9n\u00e9laos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 dieux ! certes, des l\u00e2ches veulent coucher dans le lit d\u2019un \nbrave ! ainsi une biche a d\u00e9pos\u00e9 dans le repaire d\u2019un lion robuste \nses faons nouveau-n\u00e9s et qui t\u00e8tent, tandis qu\u2019elle va pa\u00eetre sur \nles hauteurs ou dans les vall\u00e9es herbues ; et voici que le lion, ren -\ntrant dans son repaire, tue mis\u00e9rablement tous les faons. ainsi \nOdysseus leur fera subir une mort mis\u00e9rable. Plaise au p\u00e8re Zeus, \n\u00e0 ath\u00e8n\u00e8, \u00e0 apoll\u00f4n, qu\u2019Odysseus se m\u00eale aux Pr\u00e9tendants tel \nqu\u2019il \u00e9tait dans Lesbos bien b\u00e2tie, quand se levant pour lutter \ncontre le Philom\u00e8l\u00e9ide, il le terrassa rudement. Tous les akhaiens 78CHaNT 4\ns\u2019en r\u00e9jouirent. La vie des Pr\u00e9tendants serait br\u00e8ve et leurs noces \nseraient am\u00e8res ! Mais les choses que tu me demandes en me sup -\npliant, je te les dirai sans te rien cacher, telles que me les a dites \nle Vieillard v\u00e9ridique de la mer. Je te les dirai toutes et je ne te \ncacherai rien.\nMalgr\u00e9 mon d\u00e9sir du retour, les dieux me retinrent en aigypti\u00e8, \nparce que je ne leur avais point offert les h\u00e9catombes qui leur \n\u00e9taient dues. Les Dieux, en effet, ne veulent point que nous \noubliions leurs commandements.\nEt il y a une \u00eele, au milieu de la mer onduleuse, devant l\u2019a igyp -\nti\u00e8, et on la nomme Pharos, et elle est \u00e9loign\u00e9e d\u2019autant d\u2019es -\npace qu\u2019une nef creuse, que le vent sonore pousse en poupe, peut \nen franchir en un jour entier. Et dans cette \u00eele il y a un port \nexcellent d\u2019o\u00f9, apr\u00e8s avoir puis\u00e9 une eau profonde, on tra\u00eene \u00e0 \nla mer les nefs \u00e9gales. L\u00e0, les dieux me retinrent vingt jours, et \nles vents marins ne souffl\u00e8rent point qui m\u00e8nent les nefs sur le \nlarge dos de la mer. Et mes vivres \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 \u00e9puis\u00e9s, et l\u2019esprit \nde mes hommes \u00e9tait abattu, quand une d\u00e9esse me regarda et me \nprit en piti\u00e9, la fille du Vieillard de la mer, de l\u2019illustre Pr\u00f4teus, \nEidoth\u00e9\u00e8. Et je touchai son \u00e2me, et elle vint au-devant de moi \ntandis que j\u2019\u00e9tais seul, loin de mes compagnons qui, sans cesse, \nerraient autour de l\u2019\u00eele, p\u00eachant \u00e0 l\u2019aide des hame\u00e7ons recourb\u00e9s, 79\nL\u2019ODYSS\u00c9Ecar la faim tourmentait leur ventre. Et, se tenant pr\u00e8s de moi, elle \nparla ainsi :\n\u2013 Tu es grandement insens\u00e9, \u00f4 \u00e9tranger, ou tu as perdu l\u2019esprit, ou \ntu restes ici volontiers et tu te plais \u00e0 souffrir, car, certes, voici \nlongtemps que tu es retenu dans l\u2019\u00eele, et tu ne peux trouver aucune \nfin \u00e0 cela, et le c\u0153ur de tes compagnons s\u2019\u00e9puise.\nElle parla ainsi, et, lui r\u00e9pondant aussit\u00f4t, je dis :\n\u2013 Je te dirai avec v\u00e9rit\u00e9, qui que tu sois entre les d\u00e9esses, que je \nne reste point volontairement ici ; mais je dois avoir offens\u00e9 les \nImmortels qui habitent le large Ouranos.\nDis-moi donc, car les dieux savent tout, quel est celui des immor -\ntels qui me retarde en route et qui s\u2019oppose \u00e0 ce que je retourne \nen fendant la mer poissonneuse.\nJe parlais ainsi, et, aussit\u00f4t, l\u2019illustre d\u00e9esse me r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 \u00e9tranger, je te r\u00e9pondrai avec v\u00e9rit\u00e9. C\u2019est ici qu\u2019habite le \nv\u00e9ridique Vieillard de la mer, l\u2019immortel Pr\u00f4teus aigyptien qui \nconna\u00eet les profondeurs de toute la mer et qui est esclave de \nPoseida\u00f4n. On dit qu\u2019il est mon p\u00e8re et qu\u2019il m\u2019a engendr\u00e9e. Si tu 80CHaNT 4\npeux le saisir par ruse, il te dira ta route et comment tu retourne -\nras \u00e0 travers la mer poissonneuse ; et, de plus, il te dira, \u00f4 enfant \nde Zeus, si tu le veux, ce qui est arriv\u00e9 dans tes demeures, le bien \net le mal, pendant ton absence et ta route longue et difficile.\nElle parla ainsi, et, aussit\u00f4t, je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 Maintenant, explique-moi les ruses du Vieillard, de peur que, me \nvoyant, il me pr\u00e9vienne et m\u2019\u00e9chappe, car un dieu est difficile \u00e0 \ndompter pour un homme mortel.\nJe parlais ainsi, et, aussit\u00f4t, l\u2019illustre d\u00e9esse me r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 \u00e9tranger, je te r\u00e9pondrai avec v\u00e9rit\u00e9. Quand H\u00e8lios atteint le \nmilieu de l\u2019Ouranos, alors le v\u00e9ridique Vieillard marin sort de la \nmer, sous le souffle de Z\u00e9phyros, et couvert d\u2019une brume \u00e9paisse. \n\u00c9tant sorti, il s\u2019endort sous les grottes creuses.\nautour de lui, les phoques sans pieds de la belle Halosydn\u00e8, sor -\ntant aussi de la blanche mer, s\u2019endorment, innombrables, exha -\nlant l\u2019\u00e2cre odeur de la mer profonde. Je te conduirai l\u00e0, au lever \nde la lumi\u00e8re, et je t\u2019y placerai comme il convient, et tu choisi -\nras trois de tes compagnons parmi les plus braves qui sont sur 81\nL\u2019ODYSS\u00c9Etes nefs aux bancs de rameurs. Maintenant, je te dirai toutes les \nruses du Vieillard.\nD\u2019abord il comptera et il examinera les phoques ; puis, les ayant \ns\u00e9par\u00e9s par cinq, il se couchera au milieu d\u2019eux comme un berger \nau milieu d\u2019un troupeau de brebis. D\u00e8s que vous le verrez presque \nendormi, alors souvenez-vous de votre courage et de votre force, \net retenez-le malgr\u00e9 son d\u00e9sir de vous \u00e9chapper, et ses efforts. Il se \nfera semblable \u00e0 toutes les choses qui sont sur la terre, aux reptiles, \n\u00e0 l\u2019eau, au feu ardent ; mais retenez-le vigoureusement et serrez-le \nplus fort. Mais quand il t\u2019interrogera lui-m\u00eame et que tu le verras \ntel qu\u2019il \u00e9tait endormi, n\u2019use plus de violence et l\u00e2che le Vieillard. \nPuis, \u00f4 H\u00e9ros, demande-lui quel dieu t\u2019afflige, et il te dira com -\nment retourner \u00e0 travers la mer poissonneuse.\nElle parla ainsi et sauta dans la mer agit\u00e9e. Et je retournai vers \nmes nefs, l\u00e0 o\u00f9 elles \u00e9taient tir\u00e9es sur la plage, et mon c\u0153ur agitait \nde nombreuses pens\u00e9es tandis que j\u2019allais. Puis, \u00e9tant arriv\u00e9 \u00e0 ma \nnef et \u00e0 la mer, nous pr\u00e9par\u00e2mes le repas, et la nuit divine survint, \net alors nous nous endorm\u00eemes sur le rivage de la mer.\nEt quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, je marchais \nvers le rivage de la mer large, en suppliant les dieux ; et je condui -\nsais trois de mes compagnons, me confiant le plus dans leur 82CHaNT 4\ncourage. Pendant ce temps, la d\u00e9esse, \u00e9tant sortie du large sein de \nla mer, en apporta quatre peaux de phoques r\u00e9cemment \u00e9corch\u00e9s, \net elle pr\u00e9para une ruse contre son p\u00e8re. Et elle s\u2019\u00e9tait assise, nous \nattendant, apr\u00e8s avoir creus\u00e9 des lits dans le sable marin. Et nous \nv\u00eenmes aupr\u00e8s d\u2019elle. Et elle nous pla\u00e7a et couvrit chacun de nous \nd\u2019une peau. C\u2019\u00e9tait une embuscade tr\u00e8s dure, car l\u2019odeur affreuse \ndes phoques nourris dans la mer nous affligeait cruellement. Qui \npeut en effet coucher aupr\u00e8s d\u2019un monstre marin ? Mais la d\u00e9esse \nnous servit tr\u00e8s utilement, et elle mit dans les narines de chacun \nde nous l\u2019ambroisie au doux parfum qui chassa l\u2019odeur des b\u00eates \nmarines. Et nous attend\u00eemes, d\u2019un esprit patient, toute la dur\u00e9e \ndu matin. Enfin, les phoques sortirent, innombrables, de la mer, \net vinrent se coucher en ordre le long du rivage. Et, vers midi, le \nVieillard sortit de la mer, rejoignit les phoques gras, les compta, et \nnous les premiers parmi eux, ne se doutant point de la ruse ; puis, \nil se coucha lui-m\u00eame. aussit\u00f4t, avec des cris, nous nous jet\u00e2mes \nsur lui en l\u2019entourant de nos bras ; mais le Vieillard n\u2019oublia pas \nses ruses adroites, et il se changea d\u2019abord en un lion \u00e0 longue cri -\nni\u00e8re, puis en dragon, en panth\u00e8re, en grand sanglier, en eau, en \narbre au vaste feuillage. Et nous le tenions avec vigueur et d\u2019un \nc\u0153ur ferme ; mais quand le Vieillard plein de ruses se vit r\u00e9duit, \nalors il m\u2019interrogea et il me dit :83\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u2013 Qui d\u2019entre les dieux, fils d\u2019a treus, t\u2019a instruit, afin que tu me sai -\nsisses malgr\u00e9 moi ? Que d\u00e9sires-tu ?\nIl parla ainsi, et, lui r\u00e9pondant, je lui dis :\n\u2013 Tu le sais, Vieillard. Pourquoi me tromper en m\u2019interro -\ngeant ? Depuis longtemps d\u00e9j\u00e0 je suis retenu dans cette \u00eele, et je \nne puis trouver fin \u00e0 cela, et mon c\u0153ur s\u2019\u00e9puise. Dis-moi donc, \ncar les dieux savent tout, quel est celui des immortels qui me \nd\u00e9tourne de ma route et qui m\u2019emp\u00eache de retourner \u00e0 travers la \nmer poissonneuse ?\nJe parlai ainsi, et lui, me r\u00e9pondant, dit :\n\u2013 avant tout, tu devais sacrifier \u00e0 Zeus et aux autres dieux, afin \nd\u2019arriver tr\u00e8s promptement dans ta patrie, en naviguant sur la \nnoire mer. Ta destin\u00e9e n\u2019est point de revoir tes amis ni de regagner \nta demeure bien construite et la terre de la patrie, avant que tu \nne sois retourn\u00e9 vers les eaux du fleuve aigyptos tomb\u00e9 de Zeus, \net que tu n\u2019aies offert de sacr\u00e9es h\u00e9catombes aux dieux immor -\ntels qui habitent le large Ouranos. alors les dieux t\u2019accorderont \nla route que tu d\u00e9sires.84CHaNT 4\nIl parla ainsi, et, aussit\u00f4t, mon cher c\u0153ur se brisa parce qu\u2019il m\u2019or -\ndonnait de retourner en aigypti\u00e8, \u00e0 travers la noire mer, par un \nchemin long et difficile. Mais, lui r\u00e9pondant, je parlai ainsi :\n\u2013 Je ferai toutes ces choses, Vieillard, ainsi que tu me le recom -\nmandes ; mais dis-moi, et r\u00e9ponds avec v\u00e9rit\u00e9, s\u2019ils sont revenus \nsains et saufs avec leurs nefs tous les akhaiens que Nest\u00f4r et moi \nnous avions laiss\u00e9s en partant de Troi\u00e8, ou si quelqu\u2019un d\u2019entre \neux a p\u00e9ri d\u2019une mort soudaine, dans sa nef, ou dans les bras de \nses amis, apr\u00e8s la guerre ?\nJe parlai ainsi, et, me r\u00e9pondant, il dit :\n\u2013 atr\u00e9ide, ne m\u2019interroge point, car il ne te convient pas de \nconna\u00eetre ma pens\u00e9e, et je ne pense pas que tu restes longtemps \nsans pleurer, apr\u00e8s avoir tout entendu. Beaucoup d\u2019a khaiens ont \n\u00e9t\u00e9 dompt\u00e9s, beaucoup sont vivants. Tu as vu toi-m\u00eame les choses \nde la guerre. Deux chefs des akhaiens cuirass\u00e9s d\u2019airain ont p\u00e9ri \nau retour ; un troisi\u00e8me est vivant et retenu au milieu de la mer \nlarge. aias a \u00e9t\u00e9 dompt\u00e9 sur sa nef aux longs avirons. Poseida\u00f4n \nle conduisit d\u2019abord vers les grandes roches de Gyras et le sauva \nde la mer ; et sans doute il e\u00fbt \u00e9vit\u00e9 la mort, bien que ha\u00ef d\u2019a th\u00e8n\u00e8, \ns\u2019il n\u2019e\u00fbt dit une parole impie et s\u2019il n\u2019e\u00fbt commis une action mau -\nvaise. Il dit que, malgr\u00e9 les dieux, il \u00e9chapperait aux grands flots 85\nL\u2019ODYSS\u00c9Ede la mer. Et Poseida\u00f4n entendit cette parole orgueilleuse, et, aus -\nsit\u00f4t, de sa main robuste saisissant le trident, il frappa la roche de \nGyras et la fendit en deux ; et une partie resta debout, et l\u2019autre, \nsur laquelle aias s\u2019\u00e9tait r\u00e9fugi\u00e9, tomba et l\u2019emporta dans la grande \nmer onduleuse. C\u2019est ainsi qu\u2019il p\u00e9rit, ayant bu l\u2019eau sal\u00e9e.\nTon fr\u00e8re \u00e9vita la mort et il s\u2019\u00e9chappa sur sa nef creuse, et la \nv\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 le sauva ; mais \u00e0 peine avait-il vu le haut cap des \nMal\u00e9iens, qu\u2019une temp\u00eate, l\u2019ayant saisi, l\u2019emporta, g\u00e9missant, \u00e0 \nl\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du pays o\u00f9 Thyest\u00e8s habitait autrefois, et o\u00f9 habitait \nalors le Thyestade aigisthos. L\u00e0, le retour paraissait sans danger, \net les dieux firent changer les vents et regagn\u00e8rent leurs demeures. \nEt agamemn\u00f4n, joyeux, descendit sur la terre de la patrie, et il \nla baisait, et il versait des larmes abondantes parce qu\u2019il l\u2019avait \nrevue avec joie. Mais une sentinelle le vit du haut d\u2019un rocher o\u00f9 \nle tra\u00eetre aigisthos l\u2019avait plac\u00e9e, lui ayant promis en r\u00e9compense \ndeux talents d\u2019or. Et, de l\u00e0, elle veillait depuis toute une ann\u00e9e, de \npeur que l\u2019a tr\u00e9ide arriv\u00e2t en secret et se souvint de sa force et de \nson courage. Et elle se h\u00e2ta d\u2019aller l\u2019annoncer, dans ses demeures, \nau prince des peuples. aussit\u00f4t aigisthos m\u00e9dita une emb\u00fbche \nrus\u00e9e, et il choisit, parmi le peuple, vingt hommes tr\u00e8s braves, et \nil les pla\u00e7a en embuscade, et, d\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, il ordonna de pr\u00e9pa -\nrer un repas. Et lui-m\u00eame il invita, m\u00e9ditant de honteuses actions, \nle prince des peuples agamemn\u00f4n \u00e0 le suivre avec ses chevaux 86CHaNT 4\net ses chars. Et il mena ainsi \u00e0 la mort l\u2019a tr\u00e9ide imprudent, et il \nle tua pendant le repas, comme on \u00e9gorge un b\u0153uf \u00e0 l\u2019\u00e9table. Et \naucun des compagnons d\u2019a gamemn\u00f4n ne fut sauv\u00e9, ni m\u00eame \nceux d\u2019a igisthos ; et tous furent \u00e9gorg\u00e9s dans la demeure royale.\nIl parla ainsi, et ma ch\u00e8re \u00e2me fut bris\u00e9e aussit\u00f4t, et je pleurais \ncouch\u00e9 sur le sable, et mon c\u0153ur ne voulait plus vivre ni voir la \nlumi\u00e8re de H\u00e8lios.\nMais, apr\u00e8s que je me fus rassasi\u00e9 de pleurer, le v\u00e9ridique Vieillard \nde la mer me dit :\n\u2013 Ne pleure point davantage, ni plus longtemps, sans agir, fils \nd\u2019atreus, car il n\u2019y a en cela nul rem\u00e8de ; mais tente plut\u00f4t tr\u00e8s \npromptement de regagner la terre de la patrie. Ou tu saisiras \naigisthos encore vivant, ou Orest\u00e8s, te pr\u00e9venant, l\u2019aura tu\u00e9, et tu \nseras pr\u00e9sent au repas fun\u00e8bre.\nIl parla ainsi, et, dans ma poitrine, mon c\u0153ur et mon esprit g\u00e9n\u00e9 -\nreux, quoique tristes, se r\u00e9jouirent de nouveau, et je lui dis ces \nparoles ail\u00e9es :87\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u2013 Je connais maintenant la destin\u00e9e de ceux-ci mais nomme-moi \nle troisi\u00e8me, celui qui, vivant ou mort, est retenu au milieu de la \nmer large. Je veux le conna\u00eetre, quoique plein de tristesse.\nJe parlai ainsi, et, me r\u00e9pondant, il dit :\n\u2013 C\u2019est le fils de Laert\u00e8s qui avait ses demeures dans Ithak\u00e8. Je l\u2019ai \nvu versant des larmes abondantes dans l\u2019\u00eele et dans les demeures \nde la nymphe Kalyps\u00f4 qui le retient de force ; et il ne peut rega -\ngner la terre de la patrie. Il n\u2019a plus en effet de nefs arm\u00e9es d\u2019avi -\nrons ni de compagnons qui puissent le reconduire sur le large dos \nde la mer. Pour toi, \u00f4 divin M\u00e9n\u00e9laos, ta destin\u00e9e n\u2019est point de \nsubir la Moire et la mort dans argos nourrice de chevaux ; mais \nles dieux t\u2019enverront dans la prairie \u00c9lysienne, aux bornes de la \nterre, l\u00e0 o\u00f9 est le blond Rhadamanthos.\nL\u00e0, il est tr\u00e8s facile aux hommes de vivre. Ni neige, ni longs hivers, \nni pluie ; mais toujours le Fleuve Ok\u00e9anos envoie les douces \nhaleines de Z\u00e9phyros, afin de rafra\u00eechir les hommes. Et ce sera \nta destin\u00e9e, parce que tu poss\u00e8des H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et que tu es gendre \nde Zeus.\n\u2013 Il parla ainsi, et il plongea dans la mer \u00e9cumeuse. Et je retournai \nvers mes nefs avec mes divins compagnons. Et mon c\u0153ur agitait 88CHaNT 4\nde nombreuses pens\u00e9es tandis que je marchais. \u00c9tant arriv\u00e9s \u00e0 ma \nnef et \u00e0 la mer, nous pr\u00e9par\u00e2mes le repas, et la nuit solitaire sur -\nvint, et nous nous endorm\u00eemes sur le rivage de la mer. Et quand \n\u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, nous tra\u00een\u00e2mes \nnos nefs \u00e0 la mer divine. Puis, dressant les m\u00e2ts et d\u00e9ployant les \nvoiles des nefs \u00e9gales, mes compagnons s\u2019assirent sur les bancs \nde rameurs, et tous, assis en ordre, frapp\u00e8rent de leurs avirons \nla mer \u00e9cumeuse. Et j\u2019arr\u00eatai de nouveau mes nefs dans le fleuve \naigyptos tomb\u00e9 de Zeus, et je sacrifiais de saintes h\u00e9catombes. Et, \napr\u00e8s avoir apais\u00e9 la col\u00e8re des dieux qui vivent toujours, j\u2019\u00e9levai \nun tombeau \u00e0 agamemn\u00f4n, afin que sa gloire se r\u00e9pand\u00eet au loin. \nayant accompli ces choses, je retournai, et les dieux m\u2019envoy\u00e8rent \nun vent propice et me ramen\u00e8rent promptement dans la ch\u00e8re \npatrie. Maintenant, reste dans mes demeures jusqu\u2019au onzi\u00e8me \nou au douzi\u00e8me jour ; et, alors, je te renverrai dignement, et je te \nferai des pr\u00e9sents splendides, trois chevaux et un beau char ; et je \nte donnerai aussi une belle coupe afin que tu fasses des libations \naux dieux immortels et que tu te souviennes toujours de moi.\nEt le sage T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 atr\u00e9ide, ne me retiens pas ici plus longtemps. Certes, je consu -\nmerais toute une ann\u00e9e assis aupr\u00e8s de toi, que je n\u2019aurais le regret \nni de ma demeure, ni de mes parents, tant je suis profond\u00e9ment 89\nL\u2019ODYSS\u00c9Echarm\u00e9 de tes paroles et de tes discours ; mais d\u00e9j\u00e0 je suis un \nsouci pour mes compagnons dans la divine Pylos, et tu me retiens \nlongtemps ici. Mais que le don, quel qu\u2019il soit, que tu d\u00e9sires me \nfaire, puisse \u00eatre emport\u00e9 et conserv\u00e9. Je ne conduirai point de \nchevaux dans Ithak\u00e8, et je te les laisserai ici dans l\u2019abondance. Car \ntu poss\u00e8des de vastes plaines o\u00f9 croissent abondamment le lotos, \nle souchet et le froment, et l\u2019avoine et l\u2019orge. Dans Itakh\u00e8 il n\u2019y a \nni routes pour les chars, ni prairies ; elle nourrit plut\u00f4t les ch\u00e8vres \nque les chevaux et pla\u00eet mieux aux premi\u00e8res. aucune des \u00eeles qui \ns\u2019inclinent \u00e0 la mer n\u2019est grande, ni munie de prairies, et Ithak\u00e8 \npar-dessus toutes.\nIl parla ainsi, et le brave M\u00e9n\u00e9laos rit, et il lui prit la main, et il \nlui dit :\n\u2013 Tu es d\u2019un bon sang, cher enfant, puisque tu parles ainsi. Je chan -\ngerai ce pr\u00e9sent, car je le puis. Parmi tous les tr\u00e9sors qui sont dans \nma demeure je te donnerai le plus beau et le plus pr\u00e9cieux. Je te \ndonnerai un beau krat\u00e8re tout en argent et dont les bords sont \norn\u00e9s d\u2019or. C\u2019est l\u2019ouvrage de H\u00e8phaistos, et le h\u00e9ros illustre, roi \ndes Sid\u00f4nes, quand il me re\u00e7ut dans sa demeure, \u00e0 mon retour, \nme le donna ; et je veux te le donner.90CHaNT 4\nEt ils se parlaient ainsi, et les convives revinrent dans la demeure \ndu roi divin. Et ils amenaient des brebis, et ils apportaient le vin \nqui donne la vigueur ; et les \u00e9pouses aux belles bandelettes appor -\ntaient le pain. Et ils pr\u00e9paraient ainsi le repas dans la demeure.\nMais les pr\u00e9tendants, devant la demeure d\u2019Odysseus, se plai -\nsaient \u00e0 lancer les disques \u00e0 courroies de peau de ch\u00e8vre sur le \npav\u00e9 orn\u00e9 o\u00f9 ils d\u00e9ployaient d\u2019habitude leur insolence. antinoos \net Eurymakhos semblable \u00e0 un Dieu y \u00e9taient assis, et c\u2019\u00e9taient les \nchefs des pr\u00e9tendants et les plus braves d\u2019entre eux. Et No\u00e8m\u00f4n, \nfils de Phronios, s\u2019approchant d\u2019eux, dit \u00e0 antinoos :\n\u2013 antinoos, savons-nous, ou non, quand T\u00e8l\u00e9makhos revient de \nla sablonneuse Pylos ? Il est parti, emmenant ma nef dont j\u2019ai \nbesoin pour aller dans la grande \u00c9lis, o\u00f9 j\u2019ai douze cavales et \nde patients mulets encore indompt\u00e9s dont je voudrais mettre \nquelques-uns sous le joug.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent stup\u00e9faits, car ils ne pensaient \npas que T\u00e8l\u00e9makhos f\u00fbt parti pour la N\u00e8l\u00e9ienne Pylos, mais ils \ncroyaient qu\u2019il \u00e9tait dans les champs, aupr\u00e8s des brebis ou du ber -\nger. Et, aussit\u00f4t, antinoos, fils d\u2019Eupeith\u00e8s, lui dit :91\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u2013 Dis-moi avec v\u00e9rit\u00e9 quand il est parti, et quels jeunes hommes \nchoisis dans Ithak\u00e8 l\u2019ont suivi. Sont-ce des mercenaires ou \nses esclaves ?\nIls ont donc pu faire ce voyage ! Dis-moi ceci avec v\u00e9rit\u00e9, afin que \nje sache s\u2019il t\u2019a pris ta nef noire par force et contre ton gr\u00e9, ou si, \nt\u2019ayant persuad\u00e9 par ses paroles, tu la lui as donn\u00e9e volontairement.\nEt le fils de Phronios, No\u00e8m\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je la lui ai donn\u00e9e volontairement. Comment aurais-je fait autre -\nment ? Quand un tel homme, ayant tant de soucis, adresse une \ndemande, il est difficile de refuser. Les jeunes hommes qui l\u2019ont \nsuivi sont des n\u00f4tres et les premiers du peuple, et j\u2019ai reconnu que \nleur chef \u00e9tait Ment\u00f4r, ou un dieu qui est tout semblable \u00e0 lui ; car \nj\u2019admire ceci : j\u2019ai vu le divin Ment\u00f4r, hier, au matin, et cependant \nil \u00e9tait parti sur la nef pour Pylos !\nayant ainsi parl\u00e9, il regagna la demeure de son p\u00e8re. Et l\u2019es -\nprit g\u00e9n\u00e9reux des deux hommes fut troubl\u00e9. Et les pr\u00e9ten -\ndants s\u2019assirent ensemble, se reposant de leurs jeux. Et le fils \nd\u2019Eupeith\u00e8s, antinoos, leur parla ainsi, plein de tristesse, et une 92CHaNT 4\nnoire col\u00e8re emplissait son c\u0153ur, et ses yeux \u00e9taient comme des \nfeux flambants :\n\u2013 \u00d4 dieux ! voici une grande action orgueilleusement accomplie, \nce d\u00e9part de T\u00e8l\u00e9makhos ! Nous disions qu\u2019il n\u2019en serait rien, et \ncet enfant est parti t\u00e9m\u00e9rairement, malgr\u00e9 nous, et il a tra\u00een\u00e9 une \nnef \u00e0 la mer, apr\u00e8s avoir choisi les premiers parmi le peuple !\nIl a commenc\u00e9, et il nous r\u00e9serve des calamit\u00e9s, \u00e0 moins que \nZeus ne rompe ses forces avant qu\u2019il nous porte malheur. Mais \ndonnez-moi promptement une nef rapide et vingt compagnons, \nafin que je lui tende une embuscade \u00e0 son retour, dans le d\u00e9troit \nd\u2019Ithak\u00e8 et de l\u2019\u00e2pre Samos ; et, \u00e0 cause de son p\u00e8re, il aura couru \nla mer pour sa propre ruine.\nIl parla ainsi, et tous l\u2019applaudirent et donn\u00e8rent des ordres, et \naussit\u00f4t ils se lev\u00e8rent pour entrer dans la demeure d\u2019Odysseus.\nMais P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia ne fut pas longtemps sans conna\u00eetre leurs \nparoles et ce qu\u2019ils agitaient dans leur esprit, et le h\u00e9raut M\u00e9d\u00f4n, \nqui les avait entendus, le lui dit, \u00e9tant au seuil de la cour, tandis \nqu\u2019ils ourdissaient leur dessein \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur. Et il se h\u00e2ta d\u2019aller \nl\u2019annoncer par les demeures \u00e0 P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia. Et comme il paraissait \nsur le seuil, P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui dit :93\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u2013 H\u00e9raut, pourquoi les illustres pr\u00e9tendants t\u2019envoient-ils ? Est-ce \npour dire aux servantes du divin Odysseus de cesser de travail -\nler afin de pr\u00e9parer leur repas ? Si, du moins, ils ne me recher -\nchaient point en mariage, s\u2019ils ne s\u2019entretenaient point ici ni ail -\nleurs, si, enfin, ils prenaient ici leur dernier repas ! Vous qui vous \n\u00eates rassembl\u00e9s pour consumer tous les biens et la richesse du \nsage T\u00e8l\u00e9makhos, n\u2019avez-vous jamais entendu dire par vos p\u00e8res, \nquand vous \u00e9tiez enfants, quel \u00e9tait Odysseus parmi vos parents ?\nIl n\u2019a jamais trait\u00e9 personne avec iniquit\u00e9, ni parl\u00e9 injurieusement \nen public, bien que ce soit le droit des rois divins de ha\u00efr l\u2019un et \nd\u2019aimer l\u2019autre ; mais lui n\u2019a jamais violent\u00e9 un homme. Et votre \nmauvais esprit et vos indignes actions apparaissent, et vous n\u2019avez \nnulle reconnaissance des bienfaits re\u00e7us.\nEt M\u00e9d\u00f4n plein de sagesse lui r\u00e9pondit :\nPl\u00fbt aux dieux, reine, que tu subisses maintenant tes pires mal -\nheurs ! mais les pr\u00e9tendants m\u00e9ditent un dessein plus perni -\ncieux. Que le Kroni\u00f4n ne l\u2019accomplisse pas ! Ils veulent tuer \nT\u00e8l\u00e9makhos avec l\u2019airain aigu, \u00e0 son retour dans sa demeure ; car \nil est parti, afin de s\u2019informer de son p\u00e8re, pour la sainte Pylos et \nla divine Lak\u00e9daim\u00f4n.94CHaNT 4\nIl parla ainsi, et les genoux de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia et son cher c\u0153ur furent \nbris\u00e9s, et longtemps elle resta muette, et ses yeux s\u2019emplirent \nde larmes, et sa tendre voix fut haletante, et, lui r\u00e9pondant, elle \ndit enfin :\n\u2013 H\u00e9raut, pourquoi mon enfant est-il parti ? O\u00f9 \u00e9tait la n\u00e9cessit\u00e9 \nde monter sur les nefs rapides qui sont pour les hommes les che -\nvaux de la mer et qui traversent les eaux immenses ? Veut-il que \nson nom m\u00eame soit oubli\u00e9 parmi les hommes ?\nEt M\u00e9d\u00f4n plein de sagesse lui r\u00e9pondit\n\u2013 Je ne sais si un dieu l\u2019a pouss\u00e9, ou s\u2019il est all\u00e9 de lui-m\u00eame vers \nPylos, afin de s\u2019informer si son p\u00e8re revient ou s\u2019il est mort.\nayant ainsi parl\u00e9, il sortit de la demeure d\u2019Odysseus. Et une dou -\nleur d\u00e9chirante enveloppa l\u2019\u00e2me de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, et elle ne put \nm\u00eame s\u2019asseoir sur ses si\u00e8ges, quoiqu\u2019ils fussent nombreux dans \nla maison ; mais elle s\u2019assit sur le seuil de la belle chambre nup -\ntiale, et elle g\u00e9mit mis\u00e9rablement, et, de tous c\u00f4t\u00e9s, les servantes \njeunes et vieilles, qui \u00e9taient dans la demeure, g\u00e9missaient aussi.95\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia leur dit en pleurant :\n\u2013 \u00c9coutez, amies ! les Olympiens m\u2019ont accabl\u00e9e de maux entre \ntoutes les femmes n\u00e9es et nourries avec moi. J\u2019ai perdu d\u2019abord \nmon brave mari au c\u0153ur de lion, ayant toutes les vertus parmi les \nDanaens, illustre, et dont la gloire s\u2019est r\u00e9pandue dans la grande \nHellas et tout argos ; et maintenant voici que les temp\u00eates ont \nemport\u00e9 obscur\u00e9ment mon fils bien-aim\u00e9 loin de ses demeures, \nsans que j\u2019aie appris son d\u00e9part ! Malheureuses ! aucune de vous \nn\u2019a song\u00e9 dans son esprit \u00e0 me faire lever de mon lit, bien que \nsachant, certes, qu\u2019il allait monter sur une nef creuse et noire. Si \nj\u2019avais su qu\u2019il se pr\u00e9parait \u00e0 partir, ou il serait rest\u00e9 malgr\u00e9 son \nd\u00e9sir, ou il m\u2019e\u00fbt laiss\u00e9e morte dans cette demeure.\nMais qu\u2019un serviteur appelle le vieillard Dolios, mon esclave, que \nmon p\u00e8re me donna quand je vins ici, et qui cultive mon verger, \nafin qu\u2019il aille dire promptement toutes ces choses \u00e0 Laert\u00e8s, et \nque celui-ci prenne une r\u00e9solution dans son esprit, et vienne en \ndeuil au milieu de ce peuple qui veut d\u00e9truire sa race et celle du \ndivin Odysseus.96CHaNT 4\nEt la bonne nourrice Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ch\u00e8re nymphe, tue-moi avec l\u2019airain cruel ou garde-moi dans \nta demeure ! Je ne te cacherai rien. Je savais tout, et je lui ai port\u00e9 \ntout ce qu\u2019il m\u2019a demand\u00e9, du pain et du vin. Et il m\u2019a fait jurer \nun grand serment que je ne te dirais rien avant le douzi\u00e8me jour, \nsi tu ne le demandais pas, ou si tu ignorais son d\u00e9part. Et il crai -\ngnait qu\u2019en pleurant tu blessasses ton beau corps. Mais baigne-toi \net rev\u00eats de purs v\u00eatements, et monte dans la haute chambre avec \ntes femmes. L\u00e0, supplie ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus temp\u00e9tueux, afin \nqu\u2019elle sauve T\u00e8l\u00e9makhos de la mort. N\u2019afflige point un vieillard. \nJe ne pense point que la race de l\u2019a rkeisiade soit ha\u00efe des dieux \nheureux. Mais Odysseus ou T\u00e8l\u00e9makhos poss\u00e8dera encore ces \nhautes demeures et ces champs fertiles.\nElle parla ainsi, et la douleur de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia cessa, et ses larmes \ns\u2019arr\u00eat\u00e8rent. Elle se baigna, se couvrit de purs v\u00eatements, et, mon -\ntant dans la chambre haute avec ses femmes, elle r\u00e9pandit les \norges sacr\u00e9es d\u2019une corbeille et supplia ath\u00e8n\u00e8 :\n\u2013 Entends-moi, fille indompt\u00e9e de Zeus temp\u00e9tueux. Si jamais, \ndans ses demeures, le subtil Odysseus a br\u00fbl\u00e9 pour toi les cuisses \ngrasses des b\u0153ufs et des agneaux, souviens-t\u2019en et garde-moi mon \ncher fils. Romps le mauvais dessein des insolents pr\u00e9tendants.97\nL\u2019ODYSS\u00c9EElle parla ainsi en g\u00e9missant, et la d\u00e9esse entendit sa pri\u00e8re.\nEt les pr\u00e9tendants s\u2019agitaient tumultueusement dans les salles \nd\u00e9j\u00e0 noires. Et chacun de ces jeunes hommes insolents disait :\n\u2013 D\u00e9j\u00e0 la reine, d\u00e9sir\u00e9e par beaucoup, pr\u00e9pare, certes, nos noces, et \nelle ne sait pas que le meurtre de son fils est proche.\nChacun d\u2019eux parlait ainsi, mais elle connaissait leurs desseins, et \nantinoos leur dit :\n\u2013 Insens\u00e9s ! cessez tous ces paroles t\u00e9m\u00e9raires, de peur qu\u2019on \nles r\u00e9p\u00e8te \u00e0 P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia ; mais levons-nous, et accomplissons en \nsilence ce que nous avons tous approuv\u00e9 dans notre esprit.\nIl parla ainsi, et il choisit vingt hommes tr\u00e8s braves qui se h\u00e2t\u00e8rent \nvers le rivage de la mer et la nef rapide. Et ils tra\u00een\u00e8rent d\u2019abord \nla nef \u00e0 la mer, \u00e9tablirent le m\u00e2t et les voiles dans la nef noire, et \nli\u00e8rent comme il convenait les avirons avec des courroies.\nPuis, ils tendirent les voiles blanches, et leurs braves serviteurs \nleur apport\u00e8rent des armes. Enfin, s\u2019\u00e9tant embarqu\u00e9s, ils pous -\ns\u00e8rent la nef au large et ils prirent leur repas, en attendant la \nvenue de Hesp\u00e9ros.98CHaNT 4\nMais, dans la chambre haute, la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia s\u2019\u00e9tait couch\u00e9e, \nn\u2019ayant mang\u00e9 ni bu, et se demandant dans son esprit si son \nirr\u00e9prochable fils \u00e9viterait la mort, ou s\u2019il serait dompt\u00e9 par les \norgueilleux pr\u00e9tendants. Comme un lion entour\u00e9 par une foule \nd\u2019hommes s\u2019agite, plein de crainte, dans le cercle perfide, de \nm\u00eame le doux sommeil saisit P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia tandis qu\u2019elle roulait \nen elle-m\u00eame toutes ces pens\u00e9es. Et elle s\u2019endormit, et toutes ses \npeines disparurent.\nalors la d\u00e9esse aux yeux clairs, ath\u00e8n\u00e8, eut une autre pens\u00e9e, et \nelle forma une image semblable \u00e0 Iphthim\u00e8, \u00e0 la fille du magna -\nnime Ikarios, qu\u2019Eum\u00e8los qui habitait Ph\u00e9r\u00e8 avait \u00e9pous\u00e9e. Et \nath\u00e8n\u00e8 l\u2019envoya dans la demeure du divin Odysseus, afin d\u2019apai -\nser les peines et les larmes de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia qui se lamentait et pleu -\nrait. Et l\u2019image entra dans la chambre nuptiale le long de la cour -\nroie du verrou, et, se tenant au-dessus de sa t\u00eate, elle lui dit :\n\u2013 Tu dors, P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, afflig\u00e9e dans ton cher c\u0153ur ; mais les dieux \nqui vivent toujours ne veulent pas que tu pleures, ni que tu sois \ntriste, car ton fils reviendra, n\u2019ayant jamais offens\u00e9 les dieux.99\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, doucement endormie aux portes des Songes, \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 s\u0153ur, pourquoi es-tu venue ici, o\u00f9 je ne t\u2019avais encore jamais \nvue, tant la demeure est \u00e9loign\u00e9e o\u00f9 tu habites ? Pourquoi m\u2019or -\ndonnes-tu d\u2019apaiser les maux et les peines qui me tourmentent \ndans l\u2019esprit et dans l\u2019\u00e2me ? J\u2019ai perdu d\u2019abord mon brave mari au \nc\u0153ur de lion, ayant toutes les vertus parmi les Danaens, illustre, et \ndont la gloire s\u2019est r\u00e9pandue dans la grande Hellas et tout argos ; \net, maintenant, voici que mon fils bien-aim\u00e9 est parti sur une nef \ncreuse, l\u2019insens\u00e9 ! sans exp\u00e9rience des travaux et des discours. Et \nje pleure sur lui plus que sur son p\u00e8re ; et je tremble, et je crains \nqu\u2019il souffre chez le peuple vers lequel il est all\u00e9, ou sur la mer. De \nnombreux ennemis lui tendent des emb\u00fbches et veulent le tuer \navant qu\u2019il revienne dans la terre de la patrie.\nEt la vague image lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Prends courage, et ne redoute rien dans ton esprit. Il a une com -\npagne telle que les autres hommes en souhaiteraient volontiers, \ncar elle peut tout. C\u2019est Pallas ath\u00e8n\u00e8, et elle a compassion de tes \ng\u00e9missements, et, maintenant, elle m\u2019envoie te le dire.100CHaNT 4\nEt la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si tu es d\u00e9esse, et si tu as entendu la voix de la d\u00e9esse, parle-moi \ndu malheureux Odysseus. Vit-il encore quelque part, et voit-il la \nlumi\u00e8re de H\u00e8lios, ou est-il mort et dans les demeures d\u2019a id\u00e8s ?\nEt la vague image lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je ne te dirai rien de lui. Est-il vivant ou mort ?\nIl ne faut point parler de vaines paroles.\nEn disant cela, elle s\u2019\u00e9vanouit le long du verrou dans un souffle \nde vent. Et la fille d\u2019Ikarios se r\u00e9veilla, et son cher c\u0153ur se r\u00e9jouit \nparce qu\u2019un songe v\u00e9ridique lui \u00e9tait survenu dans l\u2019ombre de \nla nuit.\nEt les pr\u00e9tendants naviguaient sur les routes humides, m\u00e9ditant \ndans leur esprit le meurtre cruel de T\u00e8l\u00e9makhos. Et il y a une \n\u00eele au milieu de la mer pleine de rochers, entre Ithak\u00e8 et l\u2019\u00e2pre \nSamos, ast\u00e9ris, qui n\u2019est pas grande, mais o\u00f9 se trouvent pour les \nnefs des ports ayant une double issue. C\u2019est l\u00e0 que s\u2019arr\u00eat\u00e8rent les \nakhaiens embusqu\u00e9s.101\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 5\nE\u00f4s sortait du lit de l\u2019illustre Tith\u00f4n, afin de porter la lumi\u00e8re aux \nImmortels et aux mortels. Et les dieux \u00e9taient assis en conseil, et \nau milieu d\u2019eux \u00e9tait Zeus qui tonne dans les hauteurs et dont la \npuissance est la plus grande. Et ath\u00e8n\u00e8 leur rappelait les nom -\nbreuses traverses d\u2019Odysseus. Et elle se souvenait de lui avec tris -\ntesse parce qu\u2019il \u00e9tait retenu dans les demeures d\u2019une Nymphe :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, et vous, dieux heureux qui vivez toujours, craignez \nqu\u2019un roi porte-sceptre ne soit plus jamais ni doux, ni cl\u00e9ment, \nmais que, loin d\u2019avoir des pens\u00e9es \u00e9quitables, il soit dur et injuste, \nsi nul ne se souvient du divin Odysseus parmi ceux sur lesquels \nil a r\u00e9gn\u00e9 comme un p\u00e8re plein de douceur. Voici qu\u2019il est \u00e9tendu, \nsubissant des peines cruelles, dans l\u2019\u00eele et dans les demeures de \nla Nymphe Kalyps\u00f4 qui le retient de force, et il ne peut retour -\nner dans la terre de la patrie, car il n\u2019a ni nefs arm\u00e9es d\u2019avirons, \nni compagnons, qui puissent le conduire sur le vaste dos de la \nmer. Et voici maintenant qu\u2019on veut tuer son fils bien-aim\u00e9 \u00e0 son \nretour dans ses demeures, car il est parti, afin de s\u2019informer de \nson p\u00e8re, pour la divine Pylos et l\u2019illustre Lak\u00e9daim\u00f4n.102CHaNT 5\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, quelle parole s\u2019est \u00e9chapp\u00e9e d\u2019entre tes dents ? \nN\u2019as-tu point d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 toi-m\u00eame dans ton esprit pour qu\u2019Odys -\nseus revint et se venge\u00e2t ?\nConduis T\u00e8l\u00e9makhos avec soin, car tu le peux, afin qu\u2019il retourne \nsain et sauf dans la terre de la patrie, et les pr\u00e9tendants revien -\ndront sur leur nef.\nIl parla ainsi, et il dit \u00e0 Herm\u00e9ias, son cher fils :\n\u2013 Herm\u00e9ias, qui es le messager des dieux, va dire \u00e0 la Nymphe \naux beaux cheveux que nous avons r\u00e9solu le retour d\u2019Odysseus. \nQu\u2019elle le laisse partir. Sans qu\u2019aucun dieu ou qu\u2019aucun homme \nmortel le conduise, sur un radeau uni par des liens, seul, et subis -\nsant de nouvelles douleurs, il parviendra le vingti\u00e8me jour \u00e0 la \nfertile Skh\u00e9ri\u00e8, terre des Phaiakiens qui descendent des Dieux. \nEt les Phaiakiens, dans leur esprit, l\u2019honoreront comme un dieu, \net ils le renverront sur une nef dans la ch\u00e8re terre de la patrie, \net ils lui donneront en abondance de l\u2019airain, de l\u2019or et des v\u00eate -\nments, de sorte qu\u2019Odysseus n\u2019en e\u00fbt point rapport\u00e9 autant de \nTroi\u00e8, s\u2019il \u00e9tait revenu sain et sauf, ayant re\u00e7u sa part du butin. 103\nL\u2019ODYSS\u00c9Eainsi sa destin\u00e9e est de revoir ses amis et de rentrer dans sa haute \ndemeure et dans la terre de la patrie.\nIl parla ainsi, et le messager-tueur d\u2019a rgos ob\u00e9it. Et il attacha aus -\nsit\u00f4t \u00e0 ses pieds de belles sandales, immortelles et d\u2019or, qui le por -\ntaient, soit au-dessus de la mer, soit au-dessus de la terre immense, \npareil au souffle du vent. Et il prit aussi la baguette \u00e0 l\u2019aide de \nlaquelle il charme les yeux des hommes, ou il les r\u00e9veille, quand \nil le veut.\nTenant cette baguette dans ses mains, le puissant Tueur d\u2019a rgos, \ns\u2019envolant vers la Pi\u00e9ri\u00e8, tomba de l\u2019a ith\u00e8r sur la mer et s\u2019\u00e9lan\u00e7a, \nrasant les flots, semblable \u00e0 la mouette qui, autour des larges \ngolfes de la mer indompt\u00e9e, chasse les poissons et plonge ses ailes \nrobustes dans l\u2019\u00e9cume sal\u00e9e. Semblable \u00e0 cet oiseau, Herm\u00e8s rasait \nles flots innombrables.\nEt, quand il fut arriv\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00eele lointaine, il passa de la mer bleue \nsur la terre, jusqu\u2019\u00e0 la vaste grotte que la nymphe aux beaux che -\nveux habitait, et o\u00f9 il la trouva. Et un grand feu br\u00fblait au foyer, \net l\u2019odeur du c\u00e8dre et du thuia ardents parfumait toute l\u2019\u00eele. Et \nla nymphe chantait d\u2019une belle voix, tissant une toile avec une \nnavette d\u2019or. Et une for\u00eat verdoyante environnait la grotte, l\u2019aune, \nle peuplier et le cypr\u00e8s odorant, o\u00f9 les oiseaux qui d\u00e9ploient 104CHaNT 5\nleurs ailes faisaient leurs nids : les chouettes, les \u00e9perviers et les \nbavardes corneilles de mer qui s\u2019inqui\u00e8tent toujours des flots. Et \nune jeune vigne, dont les grappes m\u00fbrissaient, entourait la grotte, \net quatre cours d\u2019eau limpide, tant\u00f4t voisins, tant\u00f4t allant \u00e7\u00e0 et l\u00e0, \nfaisaient verdir de molles prairies de violettes et d\u2019aches. M\u00eame si \nun immortel s\u2019en approchait, il admirerait et serait charm\u00e9 dans \nson esprit. Et le puissant messager-tueur d\u2019a rgos s\u2019arr\u00eata et, ayant \ntout admir\u00e9 dans son esprit, entra aussit\u00f4t dans la vaste grotte.\nEt l\u2019illustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 le reconnut, car les dieux immor -\ntels ne sont point inconnus les uns aux autres, m\u00eame quand ils \nhabitent, chacun, une demeure lointaine.\nEt Herm\u00e8s ne vit pas dans la grotte le magnanime Odysseus, car \ncelui-ci pleurait, assis sur le rivage ; et, d\u00e9chirant son c\u0153ur de san -\nglots et de g\u00e9missements, il regardait la mer agit\u00e9e et versait des \nlarmes. Mais l\u2019illustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 interrogea Herm\u00e9ias, \u00e9tant \nassise sur un thr\u00f4ne splendide :\n\u2013 Pourquoi es-tu venu vers moi, Herm\u00e9ias \u00e0 la baguette d\u2019or, v\u00e9n\u00e9 -\nrable et cher, que je n\u2019ai jamais vu ici ? Dis ce que tu d\u00e9sires. Mon \nc\u0153ur m\u2019ordonne de te satisfaire, si je le puis et si cela est possible. \nMais suis-moi, afin que je t\u2019offre les mets hospitaliers.105\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant ainsi parl\u00e9, la d\u00e9esse dressa une table en la couvrant d\u2019am -\nbroisie et m\u00eala le rouge nektar. Et le messager-tueur d\u2019a rgos but \net mangea, et quand il eut achev\u00e9 son repas et satisfait son \u00e2me, \nil dit \u00e0 la d\u00e9esse :\n\u2013 Tu me demandes pourquoi un dieu vient vers toi, d\u00e9esse ; je te \nr\u00e9pondrai avec v\u00e9rit\u00e9, comme tu le d\u00e9sires. Zeus m\u2019a ordonn\u00e9 de \nvenir, malgr\u00e9 moi, car qui parcourrait volontiers les immenses \neaux sal\u00e9es o\u00f9 il n\u2019y a aucune ville d\u2019hommes mortels qui font des \nsacrifices aux dieux et leur offrent de saintes h\u00e9catombes ? Mais \nil n\u2019est point permis \u00e0 tout autre dieu de r\u00e9sister \u00e0 la volont\u00e9 de \nZeus temp\u00e9tueux. On dit qu\u2019un homme est aupr\u00e8s de toi, le plus \nmalheureux de tous les hommes qui ont combattu pendant neuf \nans autour de la ville de Priamos, et qui l\u2019ayant saccag\u00e9e dans la \ndixi\u00e8me ann\u00e9e, mont\u00e8rent sur leurs nefs pour le retour.\nEt ils offens\u00e8rent ath\u00e8n\u00e8, qui souleva contre eux le vent, les \ngrands flots et le malheur. Et tous les braves compagnons d\u2019Odys -\nseus p\u00e9rirent, et il fut lui-m\u00eame jet\u00e9 ici par le vent et les flots. \nMaintenant, Zeus t\u2019ordonne de le renvoyer tr\u00e8s promptement, \ncar sa destin\u00e9e n\u2019est point de mourir loin de ses amis, mais de \nles revoir et de rentrer dans sa haute demeure et dans la terre de \nla patrie.106CHaNT 5\nIl parla ainsi, et l\u2019illustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 fr\u00e9mit, et, lui r\u00e9pondant, \nelle dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Vous \u00eates injustes, \u00f4 dieux, et les plus jaloux des autres dieux, \net vous enviez les d\u00e9esses qui dorment ouvertement avec les \nhommes qu\u2019elles choisissent pour leurs chers maris. ainsi, quand \n\u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s enleva Ori\u00f4n, vous f\u00fbtes jaloux d\u2019elle, \u00f4 dieux \nqui vivez toujours, jusqu\u2019\u00e0 ce que la chaste art\u00e9mis au thr\u00f4ne d\u2019or \ne\u00fbt tu\u00e9 Ori\u00f4n de ses douces fl\u00e8ches, dans Ortygi\u00e8 ; ainsi, quand \nD\u00e8m\u00e8t\u00e8r aux beaux cheveux, c\u00e9dant \u00e0 son \u00e2me, s\u2019unit d\u2019amour \u00e0 \nIasi\u00f4n sur une terre r\u00e9cemment labour\u00e9e, Zeus, l\u2019ayant su aussit\u00f4t, \nle tua en le frappant de la blanche foudre ; ainsi, maintenant, vous \nm\u2019enviez, \u00f4 dieux, parce que je garde aupr\u00e8s de moi un homme \nmortel que j\u2019ai sauv\u00e9 et recueilli seul sur sa car\u00e8ne, apr\u00e8s que Zeus \neut fendu d\u2019un jet de foudre sa nef rapide au milieu de la mer \nsombre. Tous ses braves compagnons avaient p\u00e9ri, et le vent et \nles flots l\u2019avaient pouss\u00e9 ici. Et je l\u2019aimai et je le recueillis, et je me \npromettais de le rendre immortel et de le mettre pour toujours \u00e0 \nl\u2019abri de la vieillesse.\nMais il n\u2019est point permis \u00e0 tout autre dieu de r\u00e9sister \u00e0 la volont\u00e9 \nde Zeus temp\u00e9tueux. Puisqu\u2019il veut qu\u2019Odysseus soit de nouveau \nerrant sur la mer agit\u00e9e, soit ; mais je ne le renverrai point moi-\nm\u00eame, car je n\u2019ai ni nefs arm\u00e9es d\u2019avirons, ni compagnons qui le 107\nL\u2019ODYSS\u00c9Ereconduisent sur le vaste dos de la mer. Je lui r\u00e9v\u00e9lerai volontiers \net ne lui cacherai point ce qu\u2019il faut faire pour qu\u2019il parvienne \nsain et sauf dans la terre de la patrie.\nEt le messager tueur d\u2019a rgos lui r\u00e9pondit aussit\u00f4t :\n\u2013 Renvoie-le d\u00e8s maintenant, afin d\u2019\u00e9viter la col\u00e8re de Zeus, et de \npeur qu\u2019il s\u2019enflamme contre toi \u00e0 l\u2019avenir.\nayant ainsi parl\u00e9, le puissant Tueur d\u2019a rgos s\u2019envola, et la v\u00e9n\u00e9 -\nrable nymphe, apr\u00e8s avoir re\u00e7u les ordres de Zeus, alla vers le \nmagnanime Odysseus. Et elle le trouva assis sur le rivage, et \njamais ses yeux ne tarissaient de larmes, et sa douce vie se consu -\nmait \u00e0 g\u00e9mir dans le d\u00e9sir du retour, car la nymphe n\u2019\u00e9tait point \naim\u00e9e de lui. Certes, pendant la nuit, il dormait contre sa volont\u00e9 \ndans la grotte creuse, sans d\u00e9sir, aupr\u00e8s de celle qui le d\u00e9sirait ; \nmais, le jour, assis sur les rochers et sur les rivages, il d\u00e9chirait son \nc\u0153ur par les larmes, les g\u00e9missements et les douleurs, et il regar -\ndait la mer indompt\u00e9e en versant des larmes.\nEt l\u2019illustre d\u00e9esse, s\u2019approchant, lui dit :\n\u2013 Malheureux, ne te lamente pas plus longtemps ici, et ne \nconsume point ta vie, car je vais te renvoyer promptement. Va ! 108CHaNT 5\nfais un large radeau avec de grands arbres tranch\u00e9s par l\u2019airain, \net pose par-dessus un banc tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9, afin qu\u2019il te porte sur la \nmer sombre. Et j\u2019y placerai moi-m\u00eame du pain, de l\u2019eau et du vin \nrouge qui satisferont ta faim, et je te donnerai des v\u00eatements, et \nje t\u2019enverrai un vent propice afin que tu parviennes sain et sauf \ndans la terre de la patrie, si les dieux le veulent ainsi qui habitent \nle large Ouranos et qui sont plus puissants que moi par l\u2019intelli -\ngence et la sagesse.\nElle parla ainsi, et le patient et divin Odysseus fr\u00e9mit et il lui dit \nen paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Certes, tu as une autre pens\u00e9e, d\u00e9esse, que celle de mon d\u00e9part, \npuisque tu m\u2019ordonnes de traverser sur un radeau les grandes \neaux de la mer, difficiles et effrayantes, et que traversent \u00e0 peine \nles nefs \u00e9gales et rapides se r\u00e9jouissant du souffle de Zeus. Je ne \nmonterai point, comme tu le veux, sur un radeau, \u00e0 moins que tu \nne jures par le grand serment des dieux que tu ne pr\u00e9pares point \nmon malheur et ma perte.\nIl parla ainsi, et l\u2019illustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 rit, et elle le caressa de la \nmain, et elle lui r\u00e9pondit :109\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u2013 Certes, tu es menteur et rus\u00e9, puisque tu as pens\u00e9 et parl\u00e9 ainsi. \nQue Gaia le sache, et le large Ouranos sup\u00e9rieur, et l\u2019eau souter -\nraine de Styx, ce qui est le plus grand et le plus terrible serment \ndes dieux heureux, que je ne pr\u00e9pare ni ton malheur, ni ta perte.\nJe t\u2019ai offert et conseill\u00e9 ce que je tenterais pour moi-m\u00eame, si \nla n\u00e9cessit\u00e9 m\u2019y contraignait. Mon esprit est \u00e9quitable, et je n\u2019ai \npoint dans ma poitrine un c\u0153ur de fer, mais compatissant.\nayant ainsi parl\u00e9, l\u2019illustre d\u00e9esse le pr\u00e9c\u00e9da promptement, et \nil allait sur les traces de la d\u00e9esse. Et tous deux parvinrent \u00e0 la \ngrotte creuse. Et il s\u2019assit sur le thr\u00f4ne d\u2019o\u00f9 s\u2019\u00e9tait lev\u00e9 Herm\u00e9ias \net la Nymphe pla\u00e7a devant lui les choses que les hommes mortels \nont coutume de manger et de boire. Elle-m\u00eame s\u2019assit aupr\u00e8s du \ndivin Odysseus, et les servantes plac\u00e8rent devant elle l\u2019ambroisie \net le nektar. Et tous deux \u00e9tendirent les mains vers les mets pla -\nc\u00e9s devant eux ; et quand ils eurent assouvi la faim et la soif, l\u2019il -\nlustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 commen\u00e7a de parler :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, ainsi, tu veux donc retourner \ndans ta demeure et dans la ch\u00e8re terre de la patrie ? Cependant, \nre\u00e7ois mon salut. Si tu savais dans ton esprit combien de maux il \nest dans ta destin\u00e9e de subir avant d\u2019arriver \u00e0 la terre de la patrie, \ncertes, tu resterais ici avec moi, dans cette demeure, et tu serais 110CHaNT 5\nimmortel, bien que tu d\u00e9sires revoir ta femme que tu regrettes \ntous les jours. Et certes, je me glorifie de ne lui \u00eatre inf\u00e9rieure ni \npar la beaut\u00e9, ni par l\u2019esprit, car les mortelles ne peuvent lutter de \nbeaut\u00e9 avec les immortelles.\nEt le subtil Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 V\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse, ne t\u2019irrite point pour cela contre moi. Je sais \nen effet que la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia t\u2019est bien inf\u00e9rieure en beaut\u00e9 et \nmajest\u00e9. Elle est mortelle, et tu ne conna\u00eetras point la vieillesse ; et, \ncependant, je veux et je d\u00e9sire tous les jours revoir le moment du \nretour et regagner ma demeure. Si quelque dieu m\u2019accable encore \nde maux sur la sombre mer, je les subirai avec un c\u0153ur patient. \nJ\u2019ai d\u00e9j\u00e0 beaucoup souffert sur les flots et dans la guerre ; que de \nnouvelles mis\u00e8res m\u2019arrivent, s\u2019il le faut.\nIl parla ainsi, et H\u00e8lios tomba et les t\u00e9n\u00e8bres survinrent ; et tous \ndeux, se retirant dans le fond de la grotte creuse, se charm\u00e8rent \npar l\u2019amour, couch\u00e9s ensemble. Et quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, \nn\u00e9e au matin, apparut, aussit\u00f4t Odysseus rev\u00eatit sa tunique et \nson manteau, et la nymphe se couvrit d\u2019une grande robe blanche, \nl\u00e9g\u00e8re et gracieuse ; et elle mit autour de ses reins une belle cein -\nture d\u2019or, et, sur sa t\u00eate, un voile. Enfin, pr\u00e9parant le d\u00e9part du \nmagnanime Odysseus, elle lui donna une grande hache d\u2019airain, 111\nL\u2019ODYSS\u00c9Ebien en main, \u00e0 deux tranchants et au beau manche fait de bois \nd\u2019olivier. Et elle lui donna ensuite une doloire aiguis\u00e9e. Et elle le \nconduisit \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de l\u2019\u00eele o\u00f9 croissaient de grands arbres, des \naunes, des peupliers et des pins qui atteignaient l\u2019Ouranos, et \ndont le bois sec flotterait plus l\u00e9g\u00e8rement. Et, lui ayant montr\u00e9 \nle lieu o\u00f9 les grands arbres croissaient, l\u2019illustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 \nretourna dans sa demeure.\nEt aussit\u00f4t Odysseus trancha les arbres et fit promptement \nson travail.\nEt il en abattit vingt qu\u2019il \u00e9brancha, \u00e9quarrit et aligna au cordeau. \nPendant ce temps l\u2019illustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 apporta des tari\u00e8res ; \net il per\u00e7a les bois et les unit entre eux, les liant avec des che -\nvilles et des cordes. aussi grande est la cale d\u2019une nef de charge \nque construit un excellent ouvrier, aussi grand \u00e9tait le radeau \nconstruit par Odysseus. Et il \u00e9leva un pont qu\u2019il fit avec des ais \n\u00e9pais ; et il tailla un m\u00e2t auquel il attacha l\u2019antenne. Puis il fit le \ngouvernail, qu\u2019il munit de claies de saule afin qu\u2019il r\u00e9sist\u00e2t au \nchoc des flots ; puis il amassa un grand lest. Pendant ce temps, \nl\u2019illustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 apporta de la toile pour faire les voiles, \net il les fit habilement et il les lia aux antennes avec des cordes. \nPuis il conduisit le radeau \u00e0 la mer large, \u00e0 l\u2019aide de leviers. Et le \nquatri\u00e8me jour tout le travail \u00e9tait achev\u00e9 ; et le cinqui\u00e8me jour 112CHaNT 5\nla divine Kalyps\u00f4 le renvoya de l\u2019\u00eele, l\u2019ayant baign\u00e9 et couvert de \nv\u00eatements parfum\u00e9s. Et la d\u00e9esse mit sur le radeau une outre \nde vin noir, puis une outre plus grande pleine d\u2019eau, puis elle lui \ndonna, dans un sac de cuir, une grande quantit\u00e9 de vivres forti -\nfiants, et elle lui envoya un vent doux et propice.\nEt le divin Odysseus, joyeux, d\u00e9ploya ses voiles au vent propice ; \net, s\u2019\u00e9tant assis \u00e0 la barre, il gouvernait habilement, sans que le \nsommeil ferm\u00e2t ses paupi\u00e8res. Et il contemplait les Pl\u00e8iades, et \nle Bouvier qui se couchait, et l\u2019Ourse qu\u2019on nomme le Chariot, et \nqui tourne en place en regardant Ori\u00f4n, et, seule, ne touche point \nles eaux de l\u2019Ok\u00e9anos. L \u2019illustre d\u00e9esse Kalyps\u00f4 lui avait ordonn\u00e9 \nde naviguer en la laissant toujours \u00e0 gauche.\nEt, pendant dix-sept jours, il fit route sur la mer, et, le dix-hui -\nti\u00e8me, apparurent les monts bois\u00e9s de la terre des Phaiakiens. Et \ncette terre \u00e9tait proche, et elle lui apparaissait comme un bouclier \nsur la mer sombre.\nEt le puissant qui \u00e9branle la terre revenait du pays des aithiopiens, \net du haut des montagnes des Solymes, il vit de loin Odysseus tra -\nversant la mer ; et son c\u0153ur s\u2019\u00e9chauffa violemment, et secouant la \nt\u00eate, il dit dans son esprit :113\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u2013 \u00d4 dieux ! les immortels ont d\u00e9cid\u00e9 autrement d\u2019Odysseus tan -\ndis que j\u2019\u00e9tais chez les aithiopiens. Voici qu\u2019il approche de la terre \ndes Phaiakiens, o\u00f9 sa destin\u00e9e est qu\u2019il rompe la longue cha\u00eene \nde mis\u00e8res qui l\u2019accablent. Mais je pense qu\u2019il va en subir encore.\nayant ainsi parl\u00e9, il amassa les nu\u00e9es et souleva la mer. Et il sai -\nsit de ses mains son trident et il d\u00e9cha\u00eena la temp\u00eate de tous les \nvents. Et il enveloppa de nuages la terre et la mer, et la nuit se \nrua de l\u2019Ouranos. Et l\u2019Euros et le Notos souffl\u00e8rent, et le violent \nZ\u00e9phyros et l\u2019imp\u00e9tueux Bor\u00e9as, soulevant de grandes lames. Et \nles genoux d\u2019Odysseus et son cher c\u0153ur furent bris\u00e9s, et il dit \navec tristesse dans son esprit magnanime :\n\u2013 ah ! malheureux que je suis ! Que va-t-il m\u2019arriver ? Je le crains, \nla d\u00e9esse ne m\u2019a point tromp\u00e9 quand elle m\u2019a dit que je subirais \ndes maux nombreux sur la mer, avant de parvenir \u00e0 la terre de \nla patrie.\nCertes, voici que ses paroles s\u2019accomplissent. De quelles nu\u00e9es \nZeus couronne le large Ouranos ! La mer est soulev\u00e9e, les tem -\np\u00eates de tous les vents sont d\u00e9cha\u00een\u00e9es, et voici ma ruine supr\u00eame. \nTrois et quatre fois heureux les Danaens qui sont morts autre -\nfois, devant la grande Troi\u00e8, pour plaire aux atr\u00e9ides ! Pl\u00fbt aux \ndieux que j\u2019eusse subi ma destin\u00e9e et que je fusse mort le jour 114CHaNT 5\no\u00f9 les Troiens m\u2019assi\u00e9geaient de leurs lances d\u2019airain autour du \ncadavre d\u2019a khilleus ! alors on e\u00fbt accompli mes fun\u00e9railles, et les \nakhaiens eussent c\u00e9l\u00e9br\u00e9 ma gloire. Maintenant ma destin\u00e9e est \nde subir une mort obscure !\nIl parla ainsi, et une grande lame, se ruant sur lui, effrayante, ren -\nversa le radeau. Et Odysseus en fut enlev\u00e9, et le gouvernail fut \narrach\u00e9 de ses mains ; et la temp\u00eate horrible des vents confondus \nbrisa le m\u00e2t par le milieu ; et l\u2019antenne et la voile furent empor -\nt\u00e9es \u00e0 la mer ; et Odysseus resta longtemps sous l\u2019eau, ne pouvant \n\u00e9merger de suite, \u00e0 cause de l\u2019imp\u00e9tuosit\u00e9 de la mer. Et il repa -\nrut enfin, et les v\u00eatements que la divine Kalyps\u00f4 lui avait donn\u00e9s \n\u00e9taient alourdis, et il vomit l\u2019eau sal\u00e9e, et l\u2019\u00e9cume ruisselait de sa \nt\u00eate. Mais, bien qu\u2019afflig\u00e9, il n\u2019oublia point le radeau, et, nageant \navec vigueur \u00e0 travers les flots, il le ressaisit, et, se sauvant de la \nmort, il s\u2019assit. Et les grandes lames imp\u00e9tueuses emportaient le \nradeau \u00e7\u00e0 et l\u00e0. De m\u00eame que l\u2019automnal Bor\u00e9as chasse par les \nplaines les feuilles dess\u00e9ch\u00e9es, de m\u00eame les vents chassaient \u00e7\u00e0 et \nl\u00e0 le radeau sur la mer.\nTant\u00f4t l\u2019Euros le c\u00e9dait \u00e0 Z\u00e9phyros afin que celui-ci l\u2019entra\u00een\u00e2t, \ntant\u00f4t le Notos le c\u00e9dait \u00e0 Bor\u00e9as.115\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la fille de Kadmos, In\u00f4 aux beaux talons, qui autrefois \u00e9tait \nmortelle, le vit. Maintenant elle se nomme Leukoth\u00e9\u00e8 et partage \nles honneurs des dieux dans les flots de la mer. Et elle prit en \npiti\u00e9 Odysseus errant et accabl\u00e9 de douleurs. Et elle \u00e9mergea de \nl\u2019ab\u00eeme, semblable \u00e0 un plongeon, et, se posant sur le radeau, elle \ndit \u00e0 Odysseus\n\u2013 Malheureux ! pourquoi Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre est-il si \ncruellement irrit\u00e9 contre toi, qu\u2019il t\u2019accable de tant de maux ? \nMais il ne te perdra pas, bien qu\u2019il le veuille. Fais ce que je vais \nte dire, car tu ne me sembles pas manquer de sagesse. ayant \nrejet\u00e9 tes v\u00eatements, abandonne le radeau aux vents et nage de \ntes bras jusqu\u2019\u00e0 la terre des Phaiakiens, o\u00f9 tu dois \u00eatre sauv\u00e9. \nPrends cette bandelette immortelle, \u00e9tends-la sur ta poitrine et \nne crains plus ni la douleur, ni la mort. D\u00e8s que tu auras saisi le \nrivage de tes mains, tu la rejetteras au loin dans la sombre mer en \nte d\u00e9tournant.\nLa d\u00e9esse, ayant ainsi parl\u00e9, lui donna la bandelette puis elle se \nreplongea dans la mer tumultueuse, semblable \u00e0 un plongeon, et 116CHaNT 5\nle flot noir la recouvrit. Mais le patient et divin Odysseus h\u00e9sitait, \net il dit, en g\u00e9missant, dans son esprit magnanime :\n\u2013 H\u00e9las ! je crains qu\u2019un des immortels ourdisse une ruse contre \nmoi en m\u2019ordonnant de me jeter hors du radeau ; mais je ne lui \nob\u00e9irai pas ais\u00e9ment, car cette terre est encore tr\u00e8s \u00e9loign\u00e9e o\u00f9 \nelle dit que je dois \u00e9chapper \u00e0 la mort ; mais je ferai ceci, et il me \nsemble que c\u2019est le plus sage : aussi longtemps que ces pi\u00e8ces de \nbois seront unies par leurs liens, je resterai ici et je subirai mon \nmal patiemment, et d\u00e8s que la mer aura rompu le radeau, je nage -\nrai, car je ne pourrai rien faire de mieux.\nTandis qu\u2019il pensait ainsi dans son esprit et dans son c\u0153ur, \nPoseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre souleva une lame immense, \neffrayante, lourde et haute, et il la jeta sur Odysseus. De m\u00eame \nque le vent qui souffle avec violence disperse un monceau de \npailles s\u00e8ches qu\u2019il emporte \u00e7\u00e0 et l\u00e0, de m\u00eame la mer dispersa les \nlongues poutres, et Odysseus monta sur une d\u2019entre elles comme \nsur un cheval qu\u2019on dirige. Et il d\u00e9pouilla les v\u00eatements que la \ndivine Kalyps\u00f4 lui avait donn\u00e9s, et il \u00e9tendit aussit\u00f4t sur sa poi -\ntrine la bandelette de Leukoth\u00e9\u00e8 ; puis, s\u2019allongeant sur la mer, il \n\u00e9tendit les bras, plein du d\u00e9sir de nager. Et le puissant qui \u00e9branle \nla terre le vit, et secouant la t\u00eate, il dit dans son esprit :117\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u2013 Va ! subis encore mille maux, errant sur la mer, jusqu\u2019\u00e0 ce que tu \nabordes ces hommes nourris par Zeus ; mais j\u2019esp\u00e8re que tu ne te \nriras plus de mes ch\u00e2timents.\nayant ainsi parl\u00e9, il poussa ses chevaux aux belles crini\u00e8res et par -\nvint \u00e0 aigas, o\u00f9 sont ses demeures illustres.\nMais ath\u00e8n\u00e8, la fille de Zeus, eut d\u2019autres pens\u00e9es. Elle rompit le \ncours des vents, et elle leur ordonna de cesser et de s\u2019endormir. Et \nelle excita, seul, le rapide Bor\u00e9as, et elle refr\u00e9na les flots, jusqu\u2019\u00e0 \nce que le divin Odysseus, ayant \u00e9vit\u00e9 la k\u00e8r et la mort, se f\u00fbt m\u00eal\u00e9 \naux Phaiakiens habiles aux travaux de la mer.\nEt, pendant deux nuits et deux jours, Odysseus erra par les flots \nsombres, et son c\u0153ur vit souvent la mort ; mais quand \u00c9\u00f4s aux \nbeaux cheveux amena le troisi\u00e8me jour, le vent s\u2019apaisa, et la s\u00e9r\u00e9 -\nnit\u00e9 tranquille se fit ; et, se soulevant sur la mer, et regardant avec \nardeur, il vit la terre toute proche. De m\u00eame qu\u2019\u00e0 des fils est ren -\ndue la vie d\u00e9sir\u00e9e d\u2019un p\u00e8re qui, en proie \u00e0 un dieu contraire, a \nlongtemps subi de grandes douleurs, mais que les dieux ont enfin \nd\u00e9livr\u00e9 de son mal, de m\u00eame la terre et les bois apparurent joyeu -\nsement \u00e0 Odysseus. Et il nageait s\u2019effor\u00e7ant de fouler de ses pieds \ncette terre. Mais, comme il n\u2019en \u00e9tait \u00e9loign\u00e9 que de la port\u00e9e de \nla voix, il entendit le son de la mer contre les rochers. Et les vastes 118CHaNT 5\nflots se brisaient, effrayants, contre la c\u00f4te aride, et tout \u00e9tait enve -\nlopp\u00e9 de l\u2019\u00e9cume de la mer. Et il n\u2019y avait l\u00e0 ni ports, ni abris pour \nles nefs, et le rivage \u00e9tait h\u00e9riss\u00e9 d\u2019\u00e9cueils et de rochers. alors, les \ngenoux et le cher c\u0153ur d\u2019Odysseus furent bris\u00e9s, et, g\u00e9missant, il \ndit dans son esprit magnanime :\n\u2013 H\u00e9las ! Zeus m\u2019a accord\u00e9 de voir une terre inesp\u00e9r\u00e9e, et je suis \narriv\u00e9 ici, apr\u00e8s avoir sillonn\u00e9 les eaux, et je ne sais comment sor -\ntir de la mer profonde.\nLes rochers aigus se dressent, les flots imp\u00e9tueux \u00e9cument de \ntous c\u00f4t\u00e9s et la c\u00f4te est escarp\u00e9e. La profonde mer est proche, et je \nne puis appuyer mes pieds nulle part, ni \u00e9chapper \u00e0 mes mis\u00e8res, \net peut-\u00eatre le grand flot va-t-il me jeter contre ces roches, et tous \nmes efforts seront vains. Si je nage encore, afin de trouver ail -\nleurs une plage heurt\u00e9e par les eaux, ou un port, je crains que la \ntemp\u00eate me saisisse de nouveau et me rejette, malgr\u00e9 mes g\u00e9mis -\nsements, dans la haute mer poissonneuse ; ou m\u00eame qu\u2019un dieu \nme livre \u00e0 un monstre marin, de ceux que l\u2019illustre amphitrit\u00e8 \nnourrit en grand nombre. Je sais, en effet, combien l\u2019illustre qui \n\u00e9branle la terre est irrit\u00e9 contre moi.\nTandis qu\u2019il d\u00e9lib\u00e9rait ainsi dans son esprit et dans son c\u0153ur, une \nvaste lame le porta vers l\u2019\u00e2pre rivage, et il y e\u00fbt d\u00e9chir\u00e9 sa peau 119\nL\u2019ODYSS\u00c9Eet bris\u00e9 ses os, si ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, ne l\u2019e\u00fbt inspir\u00e9. \nEmport\u00e9 en avant, de ses deux mains il saisit la roche et il l\u2019em -\nbrassa en g\u00e9missant jusqu\u2019\u00e0 ce que le flot immense se f\u00fbt d\u00e9roul\u00e9, \net il se sauva ainsi ; mais le reflux, se ruant sur lui, le frappa et \nle remporta en mer. De m\u00eame que les petites pierres restent, en \ngrand nombre, attach\u00e9es aux articulations creuses du polypode \narrach\u00e9 de son abri, de m\u00eame la peau de ses mains vigoureuses \ns\u2019\u00e9tait d\u00e9chir\u00e9e au rocher, et le flot vaste le recouvrit. L\u00e0, enfin, le \nmalheureux Odysseus e\u00fbt p\u00e9ri malgr\u00e9 la destin\u00e9e, si ath\u00e8n\u00e8, la \nd\u00e9esse aux yeux clairs, ne l\u2019e\u00fbt inspir\u00e9 sagement. Il revint sur l\u2019eau, \net, traversant les lames qui le poussaient \u00e0 la c\u00f4te, il nagea, exami -\nnant la terre et cherchant s\u2019il trouverait quelque part une plage \nheurt\u00e9e par les flots, ou un port.\nEt quand il fut arriv\u00e9, en nageant, \u00e0 l\u2019embouchure d\u2019un fleuve au \nbeau cours, il vit que cet endroit \u00e9tait excellent et mis \u00e0 l\u2019abri du \nvent par des roches \u00e9gales. Et il examina le cours du fleuve, et, \ndans son esprit, il dit en suppliant :\n\u2013 Entends-moi, \u00f4 roi, qui que tu sois ! Je viens \u00e0 toi en te sup -\npliant avec ardeur, et fuyant hors de la mer la col\u00e8re de Poseida\u00f4n. \nCelui qui vient errant est v\u00e9n\u00e9rable aux dieux immortels et aux \nhommes. Tel je suis maintenant en abordant ton cours, car je 120CHaNT 5\nt\u2019approche apr\u00e8s avoir subi de nombreuses mis\u00e8res. Prends piti\u00e9, \n\u00f4 roi ! Je me glorifie d\u2019\u00eatre ton suppliant.\nIl parla ainsi, et le fleuve s\u2019apaisa, arr\u00eatant son cours et les flots ; \net il se fit tranquille devant Odysseus, et il le recueillit \u00e0 son \nembouchure. Et les genoux et les bras vigoureux du Laertiade \n\u00e9taient rompus, et son cher c\u0153ur \u00e9tait accabl\u00e9 par la mer. Tout \nson corps \u00e9tait gonfl\u00e9, et l\u2019eau sal\u00e9e remplissait sa bouche et ses \nnarines. Sans haleine et sans voix, il gisait sans force, et une vio -\nlente fatigue l\u2019accablait. Mais, ayant respir\u00e9 et recouvr\u00e9 l\u2019esprit, il \nd\u00e9tacha la bandelette de la d\u00e9esse et la jeta dans le fleuve, qui \nl\u2019emporta \u00e0 la mer, o\u00f9 In\u00f4 la saisit aussit\u00f4t de ses ch\u00e8res mains. \nalors Odysseus, s\u2019\u00e9loignant du fleuve, se coucha dans les joncs. Et \nil baisa la terre et dit en g\u00e9missant dans son esprit magnanime :\n\u2013 H\u00e9las ! que va-t-il m\u2019arriver et que vais-je souffrir, si je passe la \nnuit dangereuse dans le fleuve ?\nJe crains que la mauvaise fra\u00eecheur et la ros\u00e9e du matin ach\u00e8vent \nd\u2019affaiblir mon \u00e2me. Le fleuve souffle en effet, au matin, un air \nfroid. Si je montais sur la hauteur, vers ce bois ombrag\u00e9, je m\u2019en -\ndormirais sous les arbustes \u00e9pais, et le doux sommeil me saisirait, \n\u00e0 moins que le froid et la fatigue s\u2019y opposent. Mais je crains d\u2019\u00eatre \nla proie des b\u00eates fauves.121\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant ainsi d\u00e9lib\u00e9r\u00e9, il vit que ceci \u00e9tait pour le mieux, et il se \nh\u00e2ta vers la for\u00eat qui se trouvait sur la hauteur, pr\u00e8s de la c\u00f4te. Et \nil aper\u00e7ut deux arbustes entrelac\u00e9s, dont l\u2019un \u00e9tait un olivier sau -\nvage et l\u2019autre un olivier. Et l\u00e0, ni la violence humide des vents, \nni H\u00e8lios \u00e9tincelant de rayons, ni la pluie ne p\u00e9n\u00e9trait, tant les \nrameaux entrelac\u00e9s \u00e9taient touffus. Et Odysseus s\u2019y coucha, apr\u00e8s \navoir amass\u00e9 un large lit de feuilles, et si abondant, que deux \nou trois hommes s\u2019y seraient blottis par le temps d\u2019hiver le plus \nrude. Et le patient et divin Odysseus, joyeux de voir ce lit, se cou -\ncha au milieu, en se couvrant de l\u2019abondance des feuilles. De \nm\u00eame qu\u2019un berger, \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 d\u2019une terre o\u00f9 il n\u2019a aucun voisin, \nrecouvre ses tisons de cendre noire et conserve ainsi le germe du \nfeu, afin de ne point aller le chercher ailleurs ; de m\u00eame Odysseus \n\u00e9tait cach\u00e9 sous les feuilles, et ath\u00e8n\u00e8 r\u00e9pandit le sommeil sur ses \nyeux et ferma ses paupi\u00e8res, pour qu\u2019il se repos\u00e2t promptement \nde ses rudes travaux.122CHaNT 5123\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 6\nainsi dormait l\u00e0 le patient et divin Odysseus, dompt\u00e9 par le som -\nmeil et par la fatigue, tandis qu\u2019a th\u00e8n\u00e8 se rendait \u00e0 la ville et \nparmi le peuple des hommes Phaiakiens qui habitaient autrefois \nla grande Hyp\u00e9ri\u00e8, aupr\u00e8s des kykl\u00f4pes insolents qui les oppri -\nmaient, \u00e9tant beaucoup plus forts qu\u2019eux. Et Nausithoos, sem -\nblable \u00e0 un dieu, les emmena de l\u00e0 et les \u00e9tablit dans l\u2019\u00eele de \nSkh\u00e9ri\u00e8, loin des autres hommes. Et il b\u00e2tit un mur autour de la \nville, \u00e9leva des demeures, construisit les temples des dieux et par -\ntagea les champs. Mais, d\u00e9j\u00e0, dompt\u00e9 par la k\u00e8r, il \u00e9tait descendu \nchez aid\u00e9s. Et maintenant r\u00e9gnait alkinoos, instruit dans la \nsagesse par les dieux. Et ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, se ren -\ndait \u00e0 sa demeure, m\u00e9ditant le retour du magnanime Odysseus. \nEt elle entra promptement dans la chambre orn\u00e9e o\u00f9 dormait la \njeune vierge semblable aux Immortelles par la gr\u00e2ce et la beaut\u00e9, \nNausikaa, fille du magnanime alkinoos. Et deux servantes, belles \ncomme les Kharites, se tenaient des deux c\u00f4t\u00e9s du seuil, et les \nportes brillantes \u00e9taient ferm\u00e9es.\nath\u00e8n\u00e8, comme un souffle du vent, approcha du lit de la jeune \nvierge, et, se tenant au-dessus de sa t\u00eate, lui parla, semblable \u00e0 la 124CHaNT 6\nfille de l\u2019illustre marin Dymas, laquelle \u00e9tait du m\u00eame \u00e2ge qu\u2019elle, \net qu\u2019elle aimait. Semblable \u00e0 cette jeune fille, ath\u00e8n\u00e8 aux yeux \nclairs parla ainsi :\n\u2013 Nausikaa, pourquoi ta m\u00e8re t\u2019a-t-elle enfant\u00e9e si n\u00e9gligente ? \nEn effet, tes belles robes gisent n\u00e9glig\u00e9es, et tes noces approchent \no\u00f9 il te faudra rev\u00eatir les plus belles et en offrir \u00e0 ceux qui \nte conduiront.\nLa bonne renomm\u00e9e, parmi les hommes, vient des beaux v\u00eate -\nments, et le p\u00e8re et la m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable s\u2019en r\u00e9jouissent. allons donc \nlaver tes robes, au premier lever du jour, et je te suivrai et t\u2019aiderai, \nafin que nous finissions promptement, car tu ne seras plus long -\ntemps vierge. D\u00e9j\u00e0 les premiers du peuple te recherchent, parmi \ntous les Phaiakiens d\u2019o\u00f9 sort ta race. allons ! demande \u00e0 ton \nillustre p\u00e8re, d\u00e8s le matin, qu\u2019il fasse pr\u00e9parer les mulets et le char \nqui porteront les ceintures, les p\u00e9plos et les belles couvertures. Il \nest mieux que tu montes aussi sur le char que d\u2019aller \u00e0 pied, car \nles lavoirs sont tr\u00e8s \u00e9loign\u00e9s de la ville.\nayant ainsi parl\u00e9, ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs retourna dans l\u2019Olym -\npos, o\u00f9 sont toujours, dit-on, les solides demeures des dieux, \nque le vent n\u2019\u00e9branle point, o\u00f9 la pluie ne coule point, dont la \nneige n\u2019approche point, mais o\u00f9 la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 vole sans nuage et 125\nL\u2019ODYSS\u00c9Equ\u2019enveloppe une splendeur \u00e9clatante dans laquelle les dieux heu -\nreux se r\u00e9jouissent sans cesse. C\u2019est l\u00e0 que remonta la d\u00e9esse aux \nyeux clairs, apr\u00e8s qu\u2019elle eut parl\u00e9 \u00e0 la jeune vierge.\nEt aussit\u00f4t la brillante \u00c9\u00f4s se leva et r\u00e9veilla Nausikaa au beau \np\u00e9plos, qui admira le songe qu\u2019elle avait eu. Et elle se h\u00e2ta d\u2019aller \npar les demeures, afin de pr\u00e9venir ses parents, son cher p\u00e8re et \nsa m\u00e8re, qu\u2019elle trouva dans l\u2019int\u00e9rieur. Et sa m\u00e8re \u00e9tait assise au \nfoyer avec ses servantes, filant la laine teinte de pourpre marine ; \net son p\u00e8re sortait avec les rois illustres, pour se rendre au conseil \no\u00f9 l\u2019appelaient les nobles Phaiakiens.\nEt, s\u2019arr\u00eatant pr\u00e8s de son cher p\u00e8re, elle lui dit :\n\u2013 Cher p\u00e8re, ne me feras-tu point pr\u00e9parer un char large et \u00e9lev\u00e9, \nafin que je porte au fleuve et que je lave nos beaux v\u00eatements \nqui gisent salis ? Il te convient, en effet, \u00e0 toi qui t\u2019assieds au \nconseil parmi les premiers, de porter de beaux v\u00eatements. Tu as \ncinq fils dans ta maison royale ; deux sont mari\u00e9s, et trois sont \nencore des jeunes hommes florissants. Et ceux-ci veulent aller \naux danses, couverts de v\u00eatements propres et frais, et ces soins \nme sont r\u00e9serv\u00e9s.126CHaNT 6\nElle parla ainsi, n\u2019osant nommer \u00e0 son cher p\u00e8re ses noces fleu -\nries ; mais il la comprit et il lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je ne te refuserai, mon enfant, ni des mulets, ni autre chose. Va, \net mes serviteurs te pr\u00e9pareront un char large et \u00e9lev\u00e9 propre \u00e0 \nporter une charge.\nayant ainsi parl\u00e9, il commanda aux serviteurs, et ils ob\u00e9irent. Ils \nfirent sortir un char rapide et ils le dispos\u00e8rent, et ils mirent les \nmulets sous le joug et les li\u00e8rent au char. Et Nausikaa apporta de \nsa chambre ses belles robes, et elle les d\u00e9posa dans le char. Et sa \nm\u00e8re enfermait d\u2019excellents mets dans une corbeille, et elle versa \ndu vin dans une outre de peau de ch\u00e8vre. La jeune vierge monta \nsur le char, et sa m\u00e8re lui donna dans une fiole d\u2019or une huile \nliquide, afin qu\u2019elle se parfum\u00e2t avec ses femmes.\nEt Nausikaa saisit le fouet et les belles r\u00eanes, et elle fouetta les \nmulets afin qu\u2019ils courussent ; et ceux-ci, faisant un grand bruit, \ns\u2019\u00e9lanc\u00e8rent, emportant les v\u00eatements et Nausikaa, mais non pas \nseule, car les autres femmes allaient avec elle.\nEt quand elles furent parvenues au cours limpide du fleuve, l\u00e0 \no\u00f9 \u00e9taient les lavoirs pleins toute l\u2019ann\u00e9e, car une belle eau abon -\ndante y d\u00e9bordait, propre \u00e0 laver toutes les choses souill\u00e9es, elles 127\nL\u2019ODYSS\u00c9Ed\u00e9li\u00e8rent les mulets du char, et elles les men\u00e8rent vers le fleuve \ntourbillonnant, afin qu\u2019ils pussent manger les douces herbes. Puis, \nelles saisirent de leurs mains, dans le char, les v\u00eatements qu\u2019elles \nplong\u00e8rent dans l\u2019eau profonde, les foulant dans les lavoirs et dis -\nputant de promptitude. Et, les ayant lav\u00e9s et purifi\u00e9s de toute \nsouillure, elles les \u00e9tendirent en ordre sur les rochers du rivage \nque la mer avait baign\u00e9s. Et s\u2019\u00e9tant elles-m\u00eames baign\u00e9es et parfu -\nm\u00e9es d\u2019huile luisante, elles prirent leur repas sur le bord du fleuve. \nEt les v\u00eatements s\u00e9chaient \u00e0 la splendeur de H\u00e8lios.\napr\u00e8s que Nausikaa et ses servantes eurent mang\u00e9, elles jou\u00e8rent \u00e0 \nla balle, ayant d\u00e9nou\u00e9 les bandelettes de leur t\u00eate. Et Nausikaa aux \nbeaux bras commen\u00e7a une m\u00e9lop\u00e9e. ainsi art\u00e9mis marche sur \nles montagnes, joyeuse de ses fl\u00e8ches, et, sur le T\u00e8yg\u00e9tos escarp\u00e9 \nou l\u2019\u00c9rymanthos, se r\u00e9jouit des sangliers et des cerfs rapides. Et \nles nymphes agrestes, filles de Zeus temp\u00e9tueux, jouent avec elle, \net L\u00e8t\u00f4 se r\u00e9jouit dans son c\u0153ur.\nart\u00e9mis les d\u00e9passe toutes de la t\u00eate et du front, et on la reconna\u00eet \nfacilement, bien qu\u2019elles soient toutes belles. ainsi la jeune vierge \nbrillait au milieu de ses femmes.\nMais quand il fallut plier les beaux v\u00eatements, atteler les mulets \net retourner vers la demeure, alors ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux 128CHaNT 6\nclairs, eut d\u2019autres pens\u00e9es, et elle voulut qu\u2019Odysseus se r\u00e9veil -\nl\u00e2t et v\u00eet la vierge aux beaux yeux, et qu\u2019elle le conduis\u00eet \u00e0 la ville \ndes Phaiakiens. alors, la jeune reine jeta une balle \u00e0 l\u2019une de \nses femmes, et la balle s\u2019\u00e9gara et tomba dans le fleuve profond. \nEt toutes pouss\u00e8rent de hautes clameurs, et le divin Odysseus \ns\u2019\u00e9veilla. Et, s\u2019asseyant, il d\u00e9lib\u00e9ra dans son esprit et dans son c\u0153ur :\n\u2013 H\u00e9las ! \u00e0 quels hommes appartient cette terre o\u00f9 je suis venu ? \nSont-ils injurieux, sauvages, injustes, ou hospitaliers, et leur esprit \ncraint-il les dieux ? J\u2019ai entendu des clameurs de jeunes filles. \nEst-ce la voix des nymphes qui habitent le sommet des mon -\ntagnes et les sources des fleuves et les marais herbus, ou suis-je \npr\u00e8s d\u2019entendre la voix des hommes ? Je m\u2019en assurerai et je verrai.\nayant ainsi parl\u00e9, le divin Odysseus sortit du milieu des arbustes, \net il arracha de sa main vigoureuse un rameau \u00e9pais afin de voiler \nsa nudit\u00e9 sous les feuilles. Et il se h\u00e2ta, comme un lion des mon -\ntagnes, confiant dans ses forces, marche \u00e0 travers les pluies et les \nvents. Ses yeux luisent ardemment, et il se jette sur les b\u0153ufs, les \nbrebis ou les cerfs sauvages, car son ventre le pousse \u00e0 attaquer les \ntroupeaux et \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans leur solide demeure.\nainsi Odysseus parut au milieu des jeunes filles aux beaux che -\nveux, tout nu qu\u2019il \u00e9tait, car la n\u00e9cessit\u00e9 l\u2019y contraignait. Et il 129\nL\u2019ODYSS\u00c9Eleur apparut horrible et souill\u00e9 par l\u2019\u00e9cume de la mer, et elles \ns\u2019enfuirent, \u00e7\u00e0 et l\u00e0, sur les hauteurs du rivage. Et, seule, la fille \nd\u2019alkinoos resta, car ath\u00e8n\u00e8 avait mis l\u2019audace dans son c\u0153ur \net chass\u00e9 la crainte de ses membres. Elle resta donc seule en \nface d\u2019Odysseus.\nEt celui-ci d\u00e9lib\u00e9rait, ne sachant s\u2019il supplierait la vierge aux beaux \nyeux, en saisissant ses genoux, ou s\u2019il la prierait de loin, avec des \nparoles flatteuses, de lui donner des v\u00eatements et de lui mon -\ntrer la ville. Et il vit qu\u2019il valait mieux la supplier de loin par des \nparoles flatteuses, de peur que, s\u2019il saisissait ses genoux, la s\u2019irri -\nt\u00e2t dans son esprit. Et, aussit\u00f4t, il lui adressa la vierge ce discours \nflatteur et adroit :\n\u2013 Je te supplie, \u00f4 reine, que tu sois d\u00e9esse ou mortelle ! si tu es \nd\u00e9esse, de celles qui habitent le large Ouranos, tu me sembles \nart\u00e9mis, fille du grand Zeus, par la beaut\u00e9, la stature et la gr\u00e2ce ; \nsi tu es une des mortelles qui habitent sur la terre, trois fois \nheureux ton p\u00e8re et ta m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable ! trois fois heureux tes \nfr\u00e8res ! Sans doute leur \u00e2me est pleine de joie devant ta gr\u00e2ce, \nquand ils te voient te m\u00ealer aux ch\u0153urs dansants ! Mais plus heu -\nreux entre tous celui qui, te comblant de pr\u00e9sents d\u2019hym\u00e9n\u00e9e, te \nconduira dans sa demeure ! Jamais, en effet, je n\u2019ai vu de mes yeux \nun homme aussi beau, ni une femme aussi belle, et je suis saisi 130CHaNT 6\nd\u2019admiration. Une fois, \u00e0 D\u00e8los, devant l\u2019autel d\u2019a poll\u00f4n, je vis \nune jeune tige de palmier.\nJ\u2019\u00e9tais all\u00e9 l\u00e0, en effet, et un peuple nombreux m\u2019accompagnait \ndans ce voyage qui devait me porter malheur. Et, en voyant ce \npalmier, je restai longtemps stup\u00e9fait dans l\u2019\u00e2me qu\u2019un arbre aussi \nbeau f\u00fbt sorti de terre. ainsi je t\u2019admire, \u00d4 femme, et je suis stu -\np\u00e9fait, et je tremble de saisir tes genoux, car je suis en proie \u00e0 une \ngrande douleur. Hier, apr\u00e8s vingt jours, je me suis enfin \u00e9chapp\u00e9 \nde la sombre mer. Pendant ce temps-l\u00e0, les flots et les rapides \ntemp\u00eates m\u2019ont entra\u00een\u00e9 de l\u2019\u00eele d\u2019Ogygi\u00e8, et voici qu\u2019un dieu m\u2019a \npouss\u00e9 ici, afin que j\u2019y subisse encore peut-\u00eatre d\u2019autres maux, car \nje ne pense pas en avoir vu la fin, et les dieux vont sans doute m\u2019en \naccabler de nouveau. Mais, \u00f4 reine, aie piti\u00e9 de moi, car c\u2019est vers \ntoi, la premi\u00e8re, que je suis venu, apr\u00e8s avoir subi tant de mis\u00e8res. \nJe ne connais aucun des hommes qui habitent cette ville et cette \nterre. Montre-moi la ville et donne moi quelque lambeau pour \nme couvrir, si tu as apport\u00e9 ici quelque enveloppe de v\u00eatements. \nQue les dieux t\u2019accordent autant de choses que tu en d\u00e9sires : un \nmari, une famille et une heureuse concorde ; car rien n\u2019est plus \nd\u00e9sirable et meilleur que la concorde \u00e0 l\u2019aide de laquelle on gou -\nverne sa famille. Le mari et l\u2019\u00e9pouse accablent ainsi leurs enne -\nmis de douleurs et leurs amis de joie, et eux-m\u00eames sont heureux.131\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt Nausikaa aux bras blancs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00c9tranger, car, certes, tu n\u2019es semblable ni \u00e0 un l\u00e2che, ni \u00e0 un \ninsens\u00e9, Zeus Olympien dispense la richesse aux hommes, aux \nbons et aux m\u00e9chants, \u00e0 chacun, comme il veut.\nC\u2019est lui qui t\u2019a fait cette destin\u00e9e, et il faut la subir patiem -\nment. Maintenant, \u00e9tant venu vers notre terre et notre ville, tu \nne manqueras ni de v\u00eatements, ni d\u2019aucune autre des choses \nqui conviennent \u00e0 un malheureux qui vient en suppliant. Et je \nte montrerai la ville et je te dirai le nom de notre peuple. Les \nPhaiakiens habitent cette ville et cette terre, et moi, je suis la fille \ndu magnanime alkinoos, qui est le premier parmi les Phaiakiens \npar le pouvoir et la puissance.\nElle parla ainsi et commanda \u00e0 ses servantes aux belles chevelures :\n\u2013 Venez pr\u00e8s de moi, servantes. O\u00f9 fuyez-vous pour avoir vu cet \nhomme ? Pensez-vous que ce soit quelque ennemi ? Il n\u2019y a point \nd\u2019homme vivant, et il ne peut en \u00eatre un seul qui porte la guerre \nsur la terre des Phaiakiens, car nous sommes tr\u00e8s chers aux dieux \nimmortels, et nous habitons aux extr\u00e9mit\u00e9s de la mer onduleuse, \net nous n\u2019avons aucun commerce avec les autres hommes. Mais \nsi quelque malheureux errant vient ici, il nous faut le secourir, 132CHaNT 6\ncar les h\u00f4tes et les mendiants viennent de Zeus, et le don, m\u00eame \nmodique, qu\u2019on leur fait, lui est agr\u00e9able. C\u2019est pourquoi, ser -\nvantes, donnez \u00e0 notre h\u00f4te \u00e0 manger et \u00e0 boire, et lavez-le dans \nle fleuve, \u00e0 l\u2019abri du vent.\nElle parla ainsi, et les servantes s\u2019arr\u00eat\u00e8rent et s\u2019exhort\u00e8rent l\u2019une \nl\u2019autre, et elles conduisirent Odysseus \u00e0 l\u2019abri du vent, comme \nl\u2019avait ordonn\u00e9 Nausikaa, fille du magnanime alkinoos, et elles \nplac\u00e8rent aupr\u00e8s de lui des v\u00eatements, un manteau et une tunique, \net elles lui donn\u00e8rent l\u2019huile liquide dans la fiole d\u2019or, et elles lui \ncommand\u00e8rent de se laver dans le courant du fleuve. Mais alors \nle divin Odysseus leur dit :\n\u2013 Servantes, \u00e9loignez-vous un peu, afin que je lave l\u2019\u00e9cume de mes \n\u00e9paules et que je me parfume d\u2019huile, car il y a longtemps que \nmon corps manque d\u2019onction. Je ne me laverai point devant vous, \ncar je crains, par respect, de me montrer nu au milieu de jeunes \nfilles aux beaux cheveux.\nIl parla ainsi, et, se retirant, elles rapport\u00e8rent ces paroles \u00e0 la \nvierge Nausikaa.\nEt le divin Odysseus lava dans le fleuve l\u2019\u00e9cume sal\u00e9e qui couvrait \nson dos, ses flancs et ses \u00e9paules ; et il purifia sa t\u00eate des souillures 133\nL\u2019ODYSS\u00c9Ede la mer indompt\u00e9e. Et, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre enti\u00e8rement baign\u00e9 et par -\nfum\u00e9 d\u2019huile, il se couvrit des v\u00eatements que la jeune vierge lui \navait donn\u00e9s. Et ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus, le fit para\u00eetre plus grand et \nfit tomber de sa t\u00eate sa chevelure boucl\u00e9e semblable aux fleurs \nd\u2019hyacinthe. De m\u00eame un habile ouvrier qui r\u00e9pand de l\u2019or sur de \nl\u2019argent, et que H\u00e8phaistos et Pallas ath\u00e8n\u00e8 ont instruit, ach\u00e8ve de \nbrillantes \u0153uvres avec un art accompli, de m\u00eame ath\u00e8n\u00e8 r\u00e9pan -\ndit la gr\u00e2ce sur sa t\u00eate et sur ses \u00e9paules.\nEt il s\u2019assit ensuite \u00e0 l\u2019\u00e9cart, sur le rivage de la mer, resplendissant \nde beaut\u00e9 et de gr\u00e2ce. Et la vierge, l\u2019admirant, dit \u00e0 ses servantes \naux beaux cheveux :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, servantes aux bras blancs, afin que je dise quelque \nchose. Ce n\u2019est pas malgr\u00e9 tous les dieux qui habitent l\u2019Olympos \nque cet homme divin est venu chez les Phaiakiens. Il me semblait \nd\u2019abord m\u00e9prisable, et maintenant il est semblable aux dieux qui \nhabitent le large Ouranos. Pl\u00fbt aux dieux qu\u2019un tel homme f\u00fbt \nnomm\u00e9 mon mari, qu\u2019il habit\u00e2t ici et qu\u2019il lui pl\u00fbt d\u2019y rester ! Mais, \nvous, servantes, offrez \u00e0 notre h\u00f4te \u00e0 boire et \u00e0 manger.\nElle parla ainsi, et les servantes l\u2019entendirent et lui ob\u00e9irent ; et \nelles offrirent \u00e0 Odysseus \u00e0 boire et \u00e0 manger. Et le divin Odysseus \nbuvait et mangeait avec voracit\u00e9, car il y avait longtemps qu\u2019il 134CHaNT 6\nn\u2019avait pris de nourriture. Mais Nausikaa aux bras blancs eut \nd\u2019autres pens\u00e9es ; elle posa les v\u00eatements pli\u00e9s dans le char, y \nmonta apr\u00e8s avoir attel\u00e9 les mulets aux sabots massifs, et, exhor -\ntant Odysseus, elle lui dit :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, \u00e9tranger, afin d\u2019aller \u00e0 la ville et que je te conduise \u00e0 la \ndemeure de mon p\u00e8re prudent, o\u00f9 je pense que tu verras les pre -\nmiers d\u2019entre les Phaiakiens. Mais fais ce que je vais te dire, car tu \nme sembles plein de sagesse :\naussi longtemps que nous irons \u00e0 travers les champs et les tra -\nvaux des hommes, marche rapidement avec les servantes, der -\nri\u00e8re les mulets et le char, et, moi, je montrerai le chemin ; mais \nquand nous serons arriv\u00e9s \u00e0 la ville, qu\u2019environnent de hautes \ntours et que partage en deux un beau port dont l\u2019entr\u00e9e est \u00e9troite, \no\u00f9 sont conduites les nefs, chacune \u00e0 une station s\u00fbre, et devant \nlequel est le beau temple de Poseida\u00f4n dans l\u2019agora pav\u00e9e de \ngrandes pierres taill\u00e9es ; \u2013 et l\u00e0 aussi sont les armements des \nnoires nefs, les cordages et les antennes et les avirons qu\u2019on polit, \ncar les arcs et les carquois n\u2019occupent point les Phaiakiens, mais \nseulement les m\u00e2ts, et les avirons des nefs, et les nefs \u00e9gales sur \nlesquelles ils traversent joyeux la mer pleine d\u2019\u00e9cume ; \u2013 \u00e9vite \nalors leurs am\u00e8res paroles, de peur qu\u2019un d\u2019entre eux me bl\u00e2me \nen arri\u00e8re, car ils sont tr\u00e8s insolents, et que le plus m\u00e9chant, nous 135\nL\u2019ODYSS\u00c9Erencontrant, dise peut-\u00eatre : \u2013 Quel est cet \u00e9tranger grand et beau \nqui suit Nausikaa ? O\u00f9 l\u2019a-t-elle trouv\u00e9 ? Certes, il sera son mari. \nPeut-\u00eatre l\u2019a-t-elle re\u00e7u avec bienveillance, comme il errait hors \nde sa nef conduite par des hommes \u00e9trangers, car aucuns n\u2019ha -\nbitent pr\u00e8s d\u2019ici ; ou peut-\u00eatre encore un dieu qu\u2019elle a suppli\u00e9 \nardemment est-il descendu de l\u2019Ouranos, et elle le poss\u00e9dera tous \nles jours. Elle a bien fait d\u2019aller au-devant d\u2019un mari \u00e9tranger, car, \ncertes, elle d\u00e9daigne les Phaiakiens illustres et nombreux qui la \nrecherchent ! \u2013 Ils parleraient ainsi, et leurs paroles seraient hon -\nteuses pour moi. Je bl\u00e2merais moi-m\u00eame celle qui, \u00e0 l\u2019insu de son \ncher p\u00e8re et de sa m\u00e8re, irait seule parmi les hommes avant le \njour des noces.\n\u00c9coute donc mes paroles, \u00e9tranger, afin d\u2019obtenir de mon p\u00e8re \ndes compagnons et un prompt retour. Nous trouverons aupr\u00e8s du \nchemin un beau bois de peupliers consacr\u00e9 \u00e0 ath\u00e8n\u00e8. Une source \nen coule et une prairie l\u2019entoure, et l\u00e0 sont le verger de mon p\u00e8re \net ses jardins florissants, \u00e9loign\u00e9s de la ville d\u2019une port\u00e9e de voix. \nIl faudra t\u2019arr\u00eater l\u00e0 quelque temps, jusqu\u2019\u00e0 ce que nous soyons \narriv\u00e9es \u00e0 la ville et \u00e0 la maison de mon p\u00e8re. D\u00e8s que tu pense -\nras que nous y sommes parvenues, alors, marche vers la ville des \nPhaiakiens et cherche les demeures de mon p\u00e8re, le magnanime \nalkinoos. Elles sont faciles \u00e0 reconna\u00eetre, et un enfant pourrait y \nconduire ; car aucune des maisons des Phaiakiens n\u2019est telle que 136CHaNT 6\nla demeure du h\u00e9ros alkinoos. Quand tu seras entr\u00e9 dans la cour, \ntraverse promptement la maison royale afin d\u2019arriver jusqu\u2019\u00e0 \nma m\u00e8re. Elle est assise \u00e0 son foyer, \u00e0 la splendeur du feu, filant \nune laine pourpr\u00e9e admirable \u00e0 voir. Elle est appuy\u00e9e contre une \ncolonne et ses servantes sont assises autour d\u2019elle. Et, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019elle, \nest le thr\u00f4ne de mon p\u00e8re, o\u00f9 il s\u2019assied, pour boire du vin, sem -\nblable \u00e0 un immortel. En passant devant lui, embrasse les genoux \nde ma m\u00e8re, afin que, joyeux, tu voies promptement le jour du \nretour, m\u00eame quand tu serais tr\u00e8s loin de ta demeure. En effet, si \nma m\u00e8re t\u2019est bienveillante dans son \u00e2me, tu peux esp\u00e9rer revoir \ntes amis, et rentrer dans ta demeure bien b\u00e2tie et dans la terre de \nla patrie.\nayant ainsi parl\u00e9, elle frappa les mulets du fouet brillant, et les \nmulets, quittant rapidement les bords du fleuve, couraient avec \nardeur et en tr\u00e9pignant.\nEt Nausikaa les guidait avec art des r\u00eanes et du fouet, de fa\u00e7on \nque les servantes et Odysseus suivissent \u00e0 pied. Et H\u00e8lios tomba, \net ils parvinrent au bois sacr\u00e9 d\u2019a th\u00e8n\u00e8, o\u00f9 le divin Odysseus s\u2019ar -\nr\u00eata. Et, aussit\u00f4t, il supplia la fille du magnanime Zeus :\n\u2013 Entends-moi, fille indompt\u00e9e de Zeus temp\u00eatueux ! Exauce-moi \nmaintenant, puisque tu ne m\u2019as point secouru quand l\u2019illustre qui 137\nL\u2019ODYSS\u00c9Eentoure la terre m\u2019accablait. accorde-moi d\u2019\u00eatre le bien venu chez \nles Phaiakiens, et qu\u2019ils aient piti\u00e9.\nIl parla ainsi en suppliant, et Pallas ath\u00e8n\u00e8 l\u2019entendit, mais elle ne \nlui apparut point, respectant le fr\u00e8re de son p\u00e8re ; car il devait \u00eatre \nviolemment irrit\u00e9 contre le divin Odysseus jusqu\u2019\u00e0 ce que celui-ci \nf\u00fbt arriv\u00e9 dans la terre de la patrie.138CHaNT 6139\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 7\nTandis que le patient et divin Odysseus suppliait ainsi ath\u00e8n\u00e8, \nla vigueur des mulets emportait la jeune vierge vers la ville. Et \nquand elle fut arriv\u00e9e aux illustres demeures de son p\u00e8re, elle \ns\u2019arr\u00eata dans le vestibule ; et, de tous c\u00f4t\u00e9s, ses fr\u00e8res, semblables \naux immortels, s\u2019empress\u00e8rent autour d\u2019elle, et ils d\u00e9tach\u00e8rent les \nmulets du char, et ils port\u00e8rent les v\u00eatements dans la demeure. \nPuis la vierge rentra dans sa chambre o\u00f9 la vieille servante \u00e9pi -\nrote Eurym\u00e9dousa alluma du feu. Des nefs \u00e0 deux rangs d\u2019avirons \nl\u2019avaient autrefois amen\u00e9e du pays des \u00e9pirotes, et on l\u2019avait don -\nn\u00e9e en r\u00e9compense \u00e0 alkinoos, parce qu\u2019il commandait \u00e0 tous les \nPhaiakiens et que le peuple l\u2019\u00e9coutait comme un dieu. Elle avait \nallait\u00e9 Nausikaa aux bras blancs dans la maison royale, et elle \nallumait son feu et elle pr\u00e9parait son repas.\nEt, alors, Odysseus se leva pour aller \u00e0 la ville, et ath\u00e8n\u00e8, pleine de \nbienveillance pour lui, l\u2019enveloppa d\u2019un \u00e9pais brouillard, de peur \nqu\u2019un des Phaiakiens insolents, le rencontrant, l\u2019outrage\u00e2t par ses \nparoles et lui demand\u00e2t qui il \u00e9tait. Mais, quand il fut entr\u00e9 dans \nla belle ville, alors ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, sous la figure 140CHaNT 7\nd\u2019une jeune vierge portant une urne, s\u2019arr\u00eata devant lui, et le divin \nOdysseus l\u2019interrogea :\n\u2013 \u00d4 mon enfant, ne pourrais-tu me montrer la demeure du h\u00e9ros \nalkinoos qui commande parmi les hommes de ce pays ? Je viens \nici, d\u2019une terre lointaine et \u00e9trang\u00e8re, comme un h\u00f4te, ayant subi \nbeaucoup de maux, et je ne connais aucun des hommes qui \nhabitent cette ville et cette terre.\nEt la d\u00e9esse aux yeux clairs, ath\u00e8n\u00e8, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00f4te v\u00e9n\u00e9rable, je te montrerai la demeure que tu me demandes, \ncar elle est aupr\u00e8s de celle de mon p\u00e8re irr\u00e9prochable. Mais viens \nen silence, et je t\u2019indiquerai le chemin. Ne parle point et n\u2019in -\nterroge aucun de ces hommes, car ils n\u2019aiment point les \u00e9tran -\ngers et ils ne re\u00e7oivent point avec amiti\u00e9 quiconque vient de loin. \nConfiants dans leurs nefs l\u00e9g\u00e8res et rapides, ils traversent les \ngrandes eaux, et celui qui \u00e9branle la terre leur a donn\u00e9 des nefs \nrapides comme l\u2019aile des oiseaux et comme la pens\u00e9e.\nayant ainsi parl\u00e9, Pallas ath\u00e8n\u00e8 le pr\u00e9c\u00e9da promptement, et il \nmarcha derri\u00e8re la d\u00e9esse, et les illustres navigateurs Phaiakiens \nne le virent point tandis qu\u2019il traversait la ville au milieu d\u2019eux, car \nath\u00e8n\u00e8, la v\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse aux beaux cheveux, ne le permettait 141\nL\u2019ODYSS\u00c9Epoint, ayant envelopp\u00e9 Odysseus d\u2019un \u00e9pais brouillard, dans sa \nbienveillance pour lui. Et Odysseus admirait le port, les nefs \u00e9gales, \nl\u2019agora des h\u00e9ros et les longues murailles fortifi\u00e9es de hauts pieux, \nadmirables \u00e0 voir. Et, quand ils furent arriv\u00e9s \u00e0 l\u2019illustre demeure \ndu roi, ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, lui parla d\u2019abord :\n\u2013 Voici, h\u00f4te, mon p\u00e8re, la demeure que tu m\u2019as demand\u00e9 de te \nmontrer. Tu trouveras les rois, nourrissons de Zeus, prenant leur \nrepas. Entre, et ne crains rien dans ton \u00e2me. D\u2019o\u00f9 qu\u2019il vienne, \nl\u2019homme courageux est celui qui accomplit le mieux tout ce qu\u2019il \nfait. Va d\u2019abord \u00e0 la reine, dans la maison royale. Son nom est \nar\u00e8t\u00e8, et elle le m\u00e9rite, et elle descend des m\u00eames parents qui ont \nengendr\u00e9 le roi alkinoos. Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre engen -\ndra Nausithoos que con\u00e7ut P\u00e9riboia, la plus belle des femmes et \nla plus jeune fille du magnanime Eurym\u00e9d\u00f4n qui commanda \nautrefois aux fiers g\u00e9ants. Mais il perdit son peuple impie et p\u00e9rit \nlui-m\u00eame. Poseida\u00f4n s\u2019unit \u00e0 P\u00e9riboia, et il engendra le magna -\nnime Nausithoos qui commanda aux Phaiakiens. Et Nausithoos \nengendra Rh\u00e8x\u00e8n\u00f4r et alkinoos. apoll\u00f4n \u00e0 l\u2019arc d\u2019argent frappa \nle premier qui venait de se marier dans la maison royale et qui \nne laissa point de fils, mais une fille unique, ar\u00e8t\u00e8, qu\u2019\u00e9pousa \nalkinoos. Et il l\u2019a honor\u00e9e plus que ne sont honor\u00e9es toutes les \nautres femmes qui, sur la terre, gouvernent leur maison sous la \npuissance de leurs maris. Et elle est honor\u00e9e par ses chers enfants 142CHaNT 7\nnon moins que par alkinoos, ainsi que par les peuples, qui la \nregardent comme une d\u00e9esse et qui recueillent ses paroles quand \nelle marche par la ville. Elle ne manque jamais de bonnes pens\u00e9es \ndans son esprit, et elle leur est bienveillante, et elle apaise leurs \ndiff\u00e9rends. Si elle t\u2019est favorable dans son \u00e2me, tu peux esp\u00e9rer \nrevoir tes amis et rentrer dans ta haute demeure et dans la terre \nde la patrie.\nayant ainsi parl\u00e9, ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs s\u2019envola sur la mer \nindompt\u00e9e, et elle abandonna l\u2019aimable Skh\u00e9ri\u00e8, et elle arriva \u00e0 \nMarath\u00f4n, et, \u00e9tant parvenue dans ath\u00e9na aux larges rues, elle \nentra dans la forte demeure d\u2019Erekhtheus.\nEt Odysseus se dirigea vers l\u2019illustre maison d\u2019a lkinoos, et il \ns\u2019arr\u00eata, l\u2019\u00e2me pleine de pens\u00e9es, avant de fouler le pav\u00e9 d\u2019airain. \nEn effet, la haute demeure du magnanime alkinoos resplendis -\nsait comme H\u00e8lios ou S\u00e9l\u00e8n\u00e8. De solides murs d\u2019airain, des deux \nc\u00f4t\u00e9s du seuil, enfermaient la cour int\u00e9rieure, et leur pinacle \u00e9tait \nd\u2019\u00e9mail. Et des portes d\u2019or fermaient la solide demeure, et les \npoteaux des portes \u00e9taient d\u2019argent sur le seuil d\u2019airain argent\u00e9, et, \nau-dessus, il y avait une corniche d\u2019or, et, des deux c\u00f4t\u00e9s, il y avait \ndes chiens d\u2019or et d\u2019argent que H\u00e8phaistos avait faits tr\u00e8s habile -\nment, afin qu\u2019ils gardassent la maison du magnanime alkinoos, \n\u00e9tant immortels et ne devant point vieillir. Dans la cour, autour 143\nL\u2019ODYSS\u00c9Edu mur, des deux c\u00f4t\u00e9s, \u00e9taient des thr\u00f4nes solides, rang\u00e9s jusqu\u2019\u00e0 \nl\u2019entr\u00e9e int\u00e9rieure et recouverts de l\u00e9gers p\u00e9plos, ouvrage des \nfemmes. L\u00e0, si\u00e9geaient les princes des Phaiakiens, mangeant et \nbuvant toute l\u2019ann\u00e9e. Et des figures de jeunes hommes, en or, se \ndressaient sur de beaux autels, portant aux mains des torches \nflambantes qui \u00e9clairaient pendant la nuit les convives dans la \ndemeure. Et cinquante servantes habitaient la maison, et les unes \nbroyaient sous la meule le grain m\u00fbr, et les autres, assises, tis -\nsaient les toiles et tournaient la quenouille agit\u00e9e comme les \nfeuilles du haut peuplier, et une huile liquide distillait de la trame \ndes tissus. autant les Phaiakiens \u00e9taient les plus habiles de tous \nles hommes pour voguer en mer sur une nef rapide, autant leurs \nfemmes l\u2019emportaient pour travailler les toiles, et ath\u00e8n\u00e8 leur \navait accord\u00e9 d\u2019accomplir de tr\u00e8s beaux et tr\u00e8s habiles ouvrages. \nEt, au-del\u00e0 de la cour, aupr\u00e8s des portes, il y avait un grand jardin \nde quatre arpents, entour\u00e9 de tous c\u00f4t\u00e9s par une haie. L\u00e0, crois -\nsaient de grands arbres florissants qui produisaient, les uns la \npoire et la grenade, les autres les belles oranges, les douces figues \net les vertes olives. Et jamais ces fruits ne manquaient ni ne ces -\nsaient, et ils duraient tout l\u2019hiver et tout l\u2019\u00e9t\u00e9, et Z\u00e9phyros, en souf -\nflant, faisait cro\u00eetre les uns et m\u00fbrir les autres ; la poire succ\u00e9dait \u00e0 \nla poire, la pomme m\u00fbrissait apr\u00e8s la pomme, et la grappe apr\u00e8s \nla grappe, et la figue apr\u00e8s la figue. L\u00e0, sur la vigne fructueuse, le \nraisin s\u00e9chait, sous l\u2019ardeur de H\u00e8lios, en un lieu d\u00e9couvert, et, l\u00e0, 144CHaNT 7\nil \u00e9tait cueilli et foul\u00e9 ; et, parmi les grappes, les unes perdaient \nleurs fleurs tandis que d\u2019autres m\u00fbrissaient. Et \u00e0 la suite du jardin, \nil y avait un verger qui produisait abondamment toute l\u2019ann\u00e9e. Et \nil y avait deux sources, dont l\u2019une courait \u00e0 travers tout le jardin, \ntandis que l\u2019autre jaillissait sous le seuil de la cour, devant la haute \ndemeure, et les citoyens venaient y puiser de l\u2019eau. Et tels \u00e9taient \nles splendides pr\u00e9sents des dieux dans la demeure d\u2019a lkinoos.\nTandis que le patient et divin Odysseus suppliait ainsi ath\u00e8n\u00e8, \nla vigueur des mulets emportait la jeune vierge vers la ville. Et \nquand elle fut arriv\u00e9e aux illustres demeures de son p\u00e8re, elle \ns\u2019arr\u00eata dans le vestibule ; et, de tous c\u00f4t\u00e9s, ses fr\u00e8res, semblables \naux immortels, s\u2019empress\u00e8rent autour d\u2019elle, et ils d\u00e9tach\u00e8rent les \nmulets du char, et ils port\u00e8rent les v\u00eatements dans la demeure. \nPuis la vierge rentra dans sa chambre o\u00f9 la vieille servante \u00e9pi -\nrote Eurym\u00e9dousa alluma du feu. Des nefs \u00e0 deux rangs d\u2019avirons \nl\u2019avaient autrefois amen\u00e9e du pays des \u00e9pirotes, et on l\u2019avait don -\nn\u00e9e en r\u00e9compense \u00e0 alkinoos, parce qu\u2019il commandait \u00e0 tous les \nPhaiakiens et que le peuple l\u2019\u00e9coutait comme un dieu. Elle avait \nallait\u00e9 Nausikaa aux bras blancs dans la maison royale, et elle \nallumait son feu et elle pr\u00e9parait son repas.\nEt, alors, Odysseus se leva pour aller \u00e0 la ville, et ath\u00e8n\u00e8, pleine de \nbienveillance pour lui, l\u2019enveloppa d\u2019un \u00e9pais brouillard, de peur 145\nL\u2019ODYSS\u00c9Equ\u2019un des Phaiakiens insolents, le rencontrant, l\u2019outrage\u00e2t par ses \nparoles et lui demand\u00e2t qui il \u00e9tait. Mais, quand il fut entr\u00e9 dans \nla belle ville, alors ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, sous la figure \nd\u2019une jeune vierge portant une urne, s\u2019arr\u00eata devant lui, et le divin \nOdysseus l\u2019interrogea :\n\u2013 \u00d4 mon enfant, ne pourrais-tu me montrer la demeure du h\u00e9ros \nalkinoos qui commande parmi les hommes de ce pays ? Je viens \nici, d\u2019une terre lointaine et \u00e9trang\u00e8re, comme un h\u00f4te, ayant subi \nbeaucoup de maux, et je ne connais aucun des hommes qui \nhabitent cette ville et cette terre.\nEt la d\u00e9esse aux yeux clairs, ath\u00e8n\u00e8, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00f4te v\u00e9n\u00e9rable, je te montrerai la demeure que tu me demandes, \ncar elle est aupr\u00e8s de celle de mon p\u00e8re irr\u00e9prochable. Mais viens \nen silence, et je t\u2019indiquerai le chemin. Ne parle point et n\u2019in -\nterroge aucun de ces hommes, car ils n\u2019aiment point les \u00e9tran -\ngers et ils ne re\u00e7oivent point avec amiti\u00e9 quiconque vient de loin. \nConfiants dans leurs nefs l\u00e9g\u00e8res et rapides, ils traversent les \ngrandes eaux, et celui qui \u00e9branle la terre leur a donn\u00e9 des nefs \nrapides comme l\u2019aile des oiseaux et comme la pens\u00e9e.146CHaNT 7\nayant ainsi parl\u00e9, Pallas ath\u00e8n\u00e8 le pr\u00e9c\u00e9da promptement, et il \nmarcha derri\u00e8re la d\u00e9esse, et les illustres navigateurs Phaiakiens \nne le virent point tandis qu\u2019il traversait la ville au milieu d\u2019eux, \ncar ath\u00e8n\u00e8, la v\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse aux beaux cheveux, ne le per -\nmettait point, ayant envelopp\u00e9 Odysseus d\u2019un \u00e9pais brouillard, \ndans sa bienveillance pour lui. Et Odysseus admirait le port, les \nnefs \u00e9gales, l\u2019agora des h\u00e9ros et les longues murailles fortifi\u00e9es \nde hauts pieux, admirables \u00e0 voir. Et, quand ils furent arriv\u00e9s \u00e0 \nl\u2019illustre demeure du roi, ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, lui \nparla d\u2019abord :\n\u2013 Voici, h\u00f4te, mon p\u00e8re, la demeure que tu m\u2019as demand\u00e9 de te \nmontrer. Tu trouveras les rois, nourrissons de Zeus, prenant leur \nrepas. Entre, et ne crains rien dans ton \u00e2me. D\u2019o\u00f9 qu\u2019il vienne, \nl\u2019homme courageux est celui qui accomplit le mieux tout ce \nqu\u2019il fait.\nVa d\u2019abord \u00e0 la reine, dans la maison royale. Son nom est ar\u00e8t\u00e8, et \nelle le m\u00e9rite, et elle descend des m\u00eames parents qui ont engen -\ndr\u00e9 le roi alkinoos. Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre engendra \nNausithoos que con\u00e7ut P\u00e9riboia, la plus belle des femmes et la \nplus jeune fille du magnanime Eurym\u00e9d\u00f4n qui commanda autre -\nfois aux fiers g\u00e9ants. Mais il perdit son peuple impie et p\u00e9rit lui-\nm\u00eame. Poseida\u00f4n s\u2019unit \u00e0 P\u00e9riboia, et il engendra le magnanime 147\nL\u2019ODYSS\u00c9ENausithoos qui commanda aux Phaiakiens. Et Nausithoos engen -\ndra Rh\u00e8x\u00e8n\u00f4r et alkinoos. apoll\u00f4n \u00e0 l\u2019arc d\u2019argent frappa le pre -\nmier qui venait de se marier dans la maison royale et qui ne laissa \npoint de fils, mais une fille unique, ar\u00e8t\u00e8, qu\u2019\u00e9pousa alkinoos. Et \nil l\u2019a honor\u00e9e plus que ne sont honor\u00e9es toutes les autres femmes \nqui, sur la terre, gouvernent leur maison sous la puissance de leurs \nmaris. Et elle est honor\u00e9e par ses chers enfants non moins que par \nalkinoos, ainsi que par les peuples, qui la regardent comme une \nd\u00e9esse et qui recueillent ses paroles quand elle marche par la ville. \nElle ne manque jamais de bonnes pens\u00e9es dans son esprit, et elle \nleur est bienveillante, et elle apaise leurs diff\u00e9rends. Si elle t\u2019est \nfavorable dans son \u00e2me, tu peux esp\u00e9rer revoir tes amis et rentrer \ndans ta haute demeure et dans la terre de la patrie.\nayant ainsi parl\u00e9, ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs s\u2019envola sur la mer \nindompt\u00e9e, et elle abandonna l\u2019aimable Skh\u00e9ri\u00e8, et elle arriva \u00e0 \nMarath\u00f4n, et, \u00e9tant parvenue dans ath\u00e9na aux larges rues, elle \nentra dans la forte demeure d\u2019Erekhtheus.\nEt Odysseus se dirigea vers l\u2019illustre maison d\u2019a lkinoos, et il \ns\u2019arr\u00eata, l\u2019\u00e2me pleine de pens\u00e9es, avant de fouler le pav\u00e9 d\u2019airain. \nEn effet, la haute demeure du magnanime alkinoos resplendis -\nsait comme H\u00e8lios ou S\u00e9l\u00e8n\u00e8. De solides murs d\u2019airain, des deux \nc\u00f4t\u00e9s du seuil, enfermaient la cour int\u00e9rieure, et leur pinacle \u00e9tait 148CHaNT 7\nd\u2019\u00e9mail. Et des portes d\u2019or fermaient la solide demeure, et les \npoteaux des portes \u00e9taient d\u2019argent sur le seuil d\u2019airain argent\u00e9, et, \nau-dessus, il y avait une corniche d\u2019or, et, des deux c\u00f4t\u00e9s, il y avait \ndes chiens d\u2019or et d\u2019argent que H\u00e8phaistos avait faits tr\u00e8s habile -\nment, afin qu\u2019ils gardassent la maison du magnanime alkinoos, \n\u00e9tant immortels et ne devant point vieillir. Dans la cour, autour \ndu mur, des deux c\u00f4t\u00e9s, \u00e9taient des thr\u00f4nes solides, rang\u00e9s jusqu\u2019\u00e0 \nl\u2019entr\u00e9e int\u00e9rieure et recouverts de l\u00e9gers p\u00e9plos, ouvrage des \nfemmes. L\u00e0, si\u00e9geaient les princes des Phaiakiens, mangeant et \nbuvant toute l\u2019ann\u00e9e. Et des figures de jeunes hommes, en or, se \ndressaient sur de beaux autels, portant aux mains des torches \nflambantes qui \u00e9clairaient pendant la nuit les convives dans la \ndemeure. Et cinquante servantes habitaient la maison, et les unes \nbroyaient sous la meule le grain m\u00fbr, et les autres, assises, tis -\nsaient les toiles et tournaient la quenouille agit\u00e9e comme les \nfeuilles du haut peuplier, et une huile liquide distillait de la trame \ndes tissus. autant les Phaiakiens \u00e9taient les plus habiles de tous \nles hommes pour voguer en mer sur une nef rapide, autant leurs \nfemmes l\u2019emportaient pour travailler les toiles, et ath\u00e8n\u00e8 leur \navait accord\u00e9 d\u2019accomplir de tr\u00e8s beaux et tr\u00e8s habiles ouvrages.\nEt, au-del\u00e0 de la cour, aupr\u00e8s des portes, il y avait un grand jardin \nde quatre arpents, entour\u00e9 de tous c\u00f4t\u00e9s par une haie. L\u00e0, crois -\nsaient de grands arbres florissants qui produisaient, les uns la 149\nL\u2019ODYSS\u00c9Epoire et la grenade, les autres les belles oranges, les douces figues \net les vertes olives. Et jamais ces fruits ne manquaient ni ne ces -\nsaient, et ils duraient tout l\u2019hiver et tout l\u2019\u00e9t\u00e9, et Z\u00e9phyros, en souf -\nflant, faisait cro\u00eetre les uns et m\u00fbrir les autres ; la poire succ\u00e9dait \u00e0 \nla poire, la pomme m\u00fbrissait apr\u00e8s la pomme, et la grappe apr\u00e8s \nla grappe, et la figue apr\u00e8s la figue. L\u00e0, sur la vigne fructueuse, le \nraisin s\u00e9chait, sous l\u2019ardeur de H\u00e8lios, en un lieu d\u00e9couvert, et, l\u00e0, \nil \u00e9tait cueilli et foul\u00e9 ; et, parmi les grappes, les unes perdaient \nleurs fleurs tandis que d\u2019autres m\u00fbrissaient. Et \u00e0 la suite du jardin, \nil y avait un verger qui produisait abondamment toute l\u2019ann\u00e9e. Et \nil y avait deux sources, dont l\u2019une courait \u00e0 travers tout le jardin, \ntandis que l\u2019autre jaillissait sous le seuil de la cour, devant la haute \ndemeure, et les citoyens venaient y puiser de l\u2019eau. Et tels \u00e9taient \nles splendides pr\u00e9sents des dieux dans la demeure d\u2019a lkinoos.\nLe patient et divin Odysseus, s\u2019\u00e9tant arr\u00eat\u00e9, admira toutes ces \nchoses, et, quand il les eut admir\u00e9es, il passa rapidement le seuil \nde la demeure. Et il trouva les princes et les chefs des Phaiakiens \nfaisant des libations au vigilant tueur d\u2019a rgos, car ils finissaient \npar lui, quand ils songeaient \u00e0 gagner leurs lits. Et le divin et \npatient Odysseus, traversa la demeure, envelopp\u00e9 de l\u2019\u00e9pais \nbrouillard que Pallas ath\u00e8n\u00e8 avait r\u00e9pandu autour de lui, et il \nparvint \u00e0 ar\u00e8t\u00e8 et au roi alkinoos.150CHaNT 7\nEt Odysseus entoura de ses bras les genoux d\u2019a r\u00e8t\u00e8, et le brouil -\nlard divin tomba. Et, \u00e0 sa vue, tous rest\u00e8rent muets dans la \ndemeure, et ils l\u2019admiraient. Mais Odysseus fit cette pri\u00e8re :\n\u2013 ar\u00e8t\u00e8, fille du divin Rh\u00e8x\u00e8n\u00f4r, je viens \u00e0 tes genoux, et vers ton \nmari et vers ses convives, apr\u00e8s avoir beaucoup souffert. Que les \ndieux leur accordent de vivre heureusement, et de laisser \u00e0 leurs \nenfants les biens qui sont dans leurs demeures et les r\u00e9compenses \nque le peuple leur a donn\u00e9es ! Mais pr\u00e9parez mon retour, afin que \nj\u2019arrive promptement dans ma patrie, car il y a longtemps que je \nsubis de nombreuses mis\u00e8res, loin de mes amis.\nayant ainsi parl\u00e9, il s\u2019assit dans les cendres du foyer, devant le feu, \net tous restaient muets.\nEnfin, le vieux h\u00e9ros Ekh\u00e9n\u00e8os parla ainsi. C\u2019\u00e9tait le plus \u00e2g\u00e9 de \ntous les Phaiakiens, et il savait beaucoup de choses anciennes, et \nil l\u2019emportait sur tous par son \u00e9loquence. Plein de sagesse, il parla \nainsi au milieu de tous :\n\u2013 alkinoos, il n\u2019est ni bon, ni convenable pour toi, que ton h\u00f4te \nsoit assis dans les cendres du foyer. Tes convives attendent tous ta \nd\u00e9cision. Mais h\u00e2te-toi ; fais asseoir ton h\u00f4te sur un thr\u00f4ne orn\u00e9 \nde clous d\u2019argent, et commande aux h\u00e9rauts de verser du vin, afin 151\nL\u2019ODYSS\u00c9Eque nous fassions des libations \u00e0 Zeus foudroyant qui accom -\npagne les suppliants v\u00e9n\u00e9rables.\nPendant ce temps, l\u2019\u00e9conome offrira \u00e0 ton h\u00f4te les mets qui sont \ndans la demeure.\nD\u00e8s que la force sacr\u00e9e d\u2019a lkinoos eut entendu ces paroles, il prit \npar la main le sage et subtil Odysseus, et il le fit lever du foyer, et \nil le fit asseoir sur un thr\u00f4ne brillant d\u2019o\u00f9 s\u2019\u00e9tait retir\u00e9 son fils, le \nbrave Laodamas, qui si\u00e9geait \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui et qu\u2019il aimait le plus. \nUne servante versa de l\u2019eau d\u2019une belle aigui\u00e8re d\u2019or dans un bas -\nsin d\u2019argent, pour qu\u2019il lav\u00e2t ses mains, et elle dressa devant lui \nune table polie. Et la v\u00e9n\u00e9rable \u00e9conome, gracieuse pour tous, \napporta le pain et de nombreux mets. Et le sage et divin Odysseus \nbuvait et mangeait. alors alkinoos dit \u00e0 un h\u00e9raut :\n\u2013 Pontonoos, m\u00eale le vin dans le krat\u00e8re et distribue-le \u00e0 tous \ndans la demeure, afin que nous fassions des libations \u00e0 Zeus fou -\ndroyant qui accompagne les suppliants v\u00e9n\u00e9rables.\nIl parla ainsi, et Pontonoos m\u00eala le doux vin, et il le distribua \nen go\u00fbtant d\u2019abord \u00e0 toutes les coupes. Et ils firent des libations, 152CHaNT 7\net ils burent autant que leur \u00e2me le d\u00e9sirait, et alkinoos leur \nparla ainsi :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, princes et chefs des Phaiakiens, afin que je dise \nce que mon c\u0153ur m\u2019inspire dans ma poitrine. Maintenant que le \nrepas est achev\u00e9, allez dormir dans vos demeures.\nDemain matin, ayant convoqu\u00e9 les vieillards, nous exercerons \nl\u2019hospitalit\u00e9 envers notre h\u00f4te dans ma maison, et nous ferons \nde justes sacrifices aux dieux ; puis nous songerons au retour de \nnotre h\u00f4te, afin que, sans peine et sans douleur, et par nos soins, \nil arrive plein de joie dans la terre de sa patrie, quand m\u00eame \nelle serait tr\u00e8s lointaine. Et il ne subira plus ni maux, ni mis\u00e8res, \njusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il ait foul\u00e9 sa terre natale. L\u00e0, il subira ensuite la \ndestin\u00e9e que les lourdes Moires lui ont fil\u00e9e d\u00e8s l\u2019instant o\u00f9 sa \nm\u00e8re l\u2019enfanta. Qui sait s\u2019il n\u2019est pas un des immortels descendu \nde l\u2019Ouranos ? Les dieux auraient ainsi m\u00e9dit\u00e9 quelque autre des -\nsein ; car ils se sont souvent, en effet, manifest\u00e9s \u00e0 nous, quand \nnous leur avons offert d\u2019illustres h\u00e9catombes, et ils se sont assis \n\u00e0 nos repas, aupr\u00e8s de nous et comme nous ; et si un voyageur \nPhaiakien les rencontre seul sur sa route, ils ne se cachent point \nde lui, car nous sommes leurs parents, de m\u00eame que les kykl\u00f4pes \net la race sauvage des g\u00e9ants.153\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 alkinoos, que d\u2019autres pens\u00e9es soient dans ton esprit. Je ne suis \npoint semblable aux immortels qui habitent le large Ouranos ni \npar l\u2019aspect, ni par la d\u00e9marche ; mais je ressemble aux hommes \nmortels, de ceux que vous savez \u00eatre le plus accabl\u00e9s de mis\u00e8res. \nC\u2019est \u00e0 ceux-ci que je suis semblable par mes maux. Et les dou -\nleurs infinies que je pourrais raconter, certes, je les ai toutes souf -\nfertes par la volont\u00e9 des dieux.\nMais laissez-moi prendre mon repas malgr\u00e9 ma tristesse ; car il \nn\u2019est rien de pire qu\u2019un ventre affam\u00e9, et il ne se laisse pas oublier \npar l\u2019homme le plus afflig\u00e9 et dont l\u2019esprit est le plus tourment\u00e9 \nd\u2019inqui\u00e9tudes. ainsi, j\u2019ai dans l\u2019\u00e2me un grand deuil, et la faim \net la soif m\u2019ordonnent de manger et de boire et de me rassasier, \nquelques maux que j\u2019aie subis. Mais h\u00e2tez-vous, d\u00e8s qu\u2019E\u00f4s repa -\nra\u00eetra, de me renvoyer, malheureux que je suis, dans ma patrie, \nafin qu\u2019apr\u00e8s avoir tant souffert, la vie ne me quitte pas sans que \nj\u2019aie revu mes biens, mes serviteurs et ma haute demeure !\nIl parla ainsi, et tous l\u2019applaudirent, et ils s\u2019exhortaient \u00e0 recon -\nduire leur h\u00f4te, parce qu\u2019il avait parl\u00e9 convenablement. Puis, \nayant fait des libations et bu autant que leur \u00e2me le d\u00e9sirait, ils \nall\u00e8rent dormir, chacun dans sa demeure. Mais le divin Odysseus 154CHaNT 7\nresta, et, aupr\u00e8s de lui, ar\u00e8t\u00e8 et le divin alkinoos s\u2019assirent, et \nles servantes emport\u00e8rent les vases du repas. Et ar\u00e8t\u00e8 aux bras \nblancs parla la premi\u00e8re, ayant reconnu le manteau, la tunique, \nles beaux v\u00eatements qu\u2019elle avait faits elle-m\u00eame avec ses femmes. \nEt elle dit \u00e0 Odysseus ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Mon h\u00f4te, je t\u2019interrogerai la premi\u00e8re. Qui es-tu ? D\u2019o\u00f9 viens-tu ? \nQui t\u2019a donn\u00e9 ces v\u00eatements ? Ne dis-tu pas qu\u2019errant sur la mer, \ntu es venu ici ?\nEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Il me serait difficile, reine, de raconter de suite tous les maux \ndont les dieux Ouraniens m\u2019ont accabl\u00e9 ; mais je te dirai ce que tu \nme demandes d\u2019abord. Il y a au milieu de la mer une \u00eele, Ogygi\u00e8, \nqu\u2019habite Kalyps\u00f4, d\u00e9esse dangereuse, aux beaux cheveux, fille \nrus\u00e9e d\u2019a tlas ; et aucun des Dieux ni des hommes mortels n\u2019ha -\nbite avec elle. Un daim\u00f4n m\u2019y conduisit seul, malheureux que \nj\u2019\u00e9tais ! car Zeus, d\u2019un coup de la blanche foudre, avait fendu en \ndeux ma nef rapide au milieu de la noire mer o\u00f9 tous mes braves \ncompagnons p\u00e9rirent. Et moi, serrant de mes bras la car\u00e8ne de \nma nef au double rang d\u2019avirons, je fus emport\u00e9 pendant neuf \njours, et, dans la dixi\u00e8me nuit noire, les dieux me pouss\u00e8rent dans \nl\u2019\u00eele Ogygi\u00e8, o\u00f9 habitait Kalyps\u00f4, la d\u00e9esse dangereuse aux beaux 155\nL\u2019ODYSS\u00c9Echeveux. Et elle m\u2019accueillit avec bienveillance, et elle me nourrit, \net elle me disait qu\u2019elle me rendrait immortel et qu\u2019elle m\u2019affran -\nchirait pour toujours de la vieillesse ; mais elle ne put persuader \nmon c\u0153ur dans ma poitrine.\nEt je passai l\u00e0 sept ann\u00e9es, et je mouillais de mes larmes les v\u00eate -\nments immortels que m\u2019avait donn\u00e9s Kalyps\u00f4. Mais quand vint \nla huiti\u00e8me ann\u00e9e, alors elle me pressa elle-m\u00eame de m\u2019en retour -\nner, soit par ordre de Zeus, soit que son c\u0153ur e\u00fbt chang\u00e9. Elle me \nrenvoya sur un radeau li\u00e9 de cordes, et elle me donna beaucoup \nde pain et de vin, et elle me couvrit de v\u00eatements divins, et elle \nme suscita un vent propice et doux. Je naviguais pendant dix-\nsept jours, faisant ma route sur la mer, et, le dix-huiti\u00e8me jour, les \nmontagnes ombrag\u00e9es de votre terre m\u2019apparurent, et mon cher \nc\u0153ur fut joyeux.\nMalheureux ! j\u2019allais \u00eatre accabl\u00e9 de nouvelles et nombreuses \nmis\u00e8res que devait m\u2019envoyer Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre.\nEt il excita les vents, qui m\u2019arr\u00eat\u00e8rent en chemin ; et il souleva \nla mer immense, et il voulut que les flots, tandis que je g\u00e9mis -\nsais, accablassent le radeau, que la temp\u00eate dispersa ; et je nageai, \nfendant les eaux, jusqu\u2019\u00e0 ce que le vent et le flot m\u2019eurent port\u00e9 \u00e0 \nterre, o\u00f9 la mer me jeta d\u2019abord contre de grands rochers, puis me 156CHaNT 7\nporta en un lieu plus favorable ; car je nageai de nouveau jusqu\u2019au \nfleuve, \u00e0 un endroit accessible, libre de rochers et \u00e0 l\u2019abri du vent. \nEt je raffermis mon esprit, et la nuit divine arriva. Puis, \u00e9tant sorti \ndu fleuve tomb\u00e9 de Zeus, je me couchai sous les arbustes, o\u00f9 \nj\u2019amassai des feuilles, et un dieu m\u2019envoya un profond sommeil. \nL\u00e0, bien qu\u2019afflig\u00e9 dans mon cher c\u0153ur, je dormis toute la nuit \njusqu\u2019au matin et tout le jour. Et H\u00e8lios tombait, et le doux som -\nmeil me quitta. Et j\u2019entendis les servantes de ta fille qui jouaient \nsur le rivage, et je la vis elle-m\u00eame, au milieu de toutes, sem -\nblable aux immortelles. Je la suppliais, et elle montra une sagesse \nexcellente bien sup\u00e9rieure \u00e0 celle qu\u2019on peut esp\u00e9rer d\u2019une jeune \nfille, car la jeunesse, en effet, est toujours imprudente. Et elle me \ndonna aussit\u00f4t de la nourriture et du vin rouge, et elle me fit bai -\ngner dans le fleuve, et elle me donna des v\u00eatements. Je t\u2019ai dit \ntoute la v\u00e9rit\u00e9, malgr\u00e9 mon affliction.\nEt alkinoos, lui r\u00e9pondant, lui dit :\n\u2013 Mon h\u00f4te, certes, ma fille n\u2019a point agi convenablement, \npuisqu\u2019elle ne t\u2019a point conduit, avec ses servantes, dans ma \ndemeure, car tu l\u2019avais suppli\u00e9e la premi\u00e8re.157\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e9ros, ne bl\u00e2me point, \u00e0 cause de moi, la jeune vierge irr\u00e9pro -\nchable. Elle m\u2019a ordonn\u00e9 de la suivre avec ses femmes, mais je ne \nl\u2019ai point voulu, craignant de t\u2019irriter si tu avais vu cela ; car nous, \nrace des hommes, sommes soup\u00e7onneux sur la terre.\nEt alkinoos, lui r\u00e9pondant, dit :\n\u2013 Mon h\u00f4te, mon cher c\u0153ur n\u2019a point coutume de s\u2019irriter sans \nraison dans ma poitrine, et les choses \u00e9quitables sont toujours les \nplus puissantes sur moi. Plaise au p\u00e8re Zeus, \u00e0 ath\u00e8n\u00e8, \u00e0 apoll\u00f4n, \nque, tel que tu es, et sentant en toutes choses comme moi, tu \nveuilles rester, \u00e9pouser ma fille, \u00eatre appel\u00e9 mon gendre ! Je te \ndonnerais une demeure et des biens, si tu voulais rester. Mais \naucun des Phaiakiens ne te retiendra malgr\u00e9 toi, car ceci ne serait \npoint agr\u00e9able au p\u00e8re Zeus. afin que tu le saches bien, demain \nje d\u00e9ciderai ton retour.\nJusque-l\u00e0, dors, dompt\u00e9 par le sommeil ; et mes hommes profi -\nteront du temps paisible, afin que tu parviennes dans ta patrie \net dans ta demeure, ou partout o\u00f9 il te plaira d\u2019aller, m\u00eame par-\ndel\u00e0 l\u2019Euboi\u00e8, que ceux de notre peuple qui l\u2019ont vue disent 158CHaNT 7\nla plus lointaine des terres, quand ils y conduisirent le blond \nRhadamanthos, pour visiter Tityos, le fils de Gaia.\nIls y all\u00e8rent et en revinrent en un seul jour. Tu sauras par toi-\nm\u00eame combien mes nefs et mes jeunes hommes sont habiles \u00e0 \nfrapper la mer de leurs avirons.\nIl parla ainsi, et le subtil et divin Odysseus, plein de joie, fit \ncette supplication :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! qu\u2019il te plaise qu\u2019a lkinoos accomplisse ce qu\u2019il pro -\nmet, et que sa gloire soit immortelle sur la terre f\u00e9conde si je \nrentre dans ma patrie !\nEt tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, ar\u00e8t\u00e8 ordonna aux servantes \naux bras blancs de dresser un lit sous le portique, d\u2019y mettre plu -\nsieurs couvertures pourpr\u00e9es, et d\u2019\u00e9tendre par-dessus des tapis et \ndes manteaux laineux. Et les servantes sortirent de la demeure en \nportant des torches flambantes ; et elles dress\u00e8rent un beau lit \u00e0 la \nh\u00e2te, et, s\u2019approchant d\u2019Odysseus, elles lui dirent :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, notre h\u00f4te, et va dormir : ton lit est pr\u00e9par\u00e9.159\nL\u2019ODYSS\u00c9EElles parl\u00e8rent ainsi, et il lui sembla doux de dormir. Et ainsi le \ndivin et patient Odysseus s\u2019endormit dans un lit profond, sous le \nportique sonore. Et alkinoos dormait aussi au fond de sa haute \ndemeure. Et, aupr\u00e8s de lui, la Reine, ayant pr\u00e9par\u00e9 le lit, se coucha.160CHaNT 7161\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 8\nQuand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, la force sacr\u00e9e \nd\u2019alkinoos se leva de son lit, et le d\u00e9vastateur de citadelles, le \ndivin et subtil Odysseus se leva aussi ; et la Force sacr\u00e9e d\u2019a lk-\ninoos le conduisit \u00e0 l\u2019agora des Phaiakiens, aupr\u00e8s des nefs. Et, d\u00e8s \nleur arriv\u00e9e, ils s\u2019assirent l\u2019un pr\u00e8s de l\u2019autre sur des pierres polies. \nEt Pallas ath\u00e8n\u00e8 parcourait la ville, sous la figure d\u2019un h\u00e9raut pru -\ndent d\u2019 alkinoos ; et, m\u00e9ditant le retour du magnanime Odysseus, \nelle abordait chaque homme et lui disait :\n\u2013 Princes et chefs des Phaiakiens, allez \u00e0 l\u2019agora, afin d\u2019en -\ntendre l\u2019\u00e9tranger qui est arriv\u00e9 r\u00e9cemment dans la demeure \ndu sage alkinoos, apr\u00e8s avoir err\u00e9 sur la mer. Il est semblable \naux immortels.\nayant parl\u00e9 ainsi, elle excitait l\u2019esprit de chacun, et bient\u00f4t l\u2019agora \net les si\u00e8ges furent pleins d\u2019hommes rassembl\u00e9s ; et ils admiraient \nle fils prudent de Laert\u00e8s, car ath\u00e8n\u00e8 avait r\u00e9pandu une gr\u00e2ce \ndivine sur sa t\u00eate et sur ses \u00e9paules, et l\u2019avait rendu plus grand et \nplus majestueux, afin qu\u2019il par\u00fbt plus agr\u00e9able, plus fier et plus \nv\u00e9n\u00e9rable aux Phaiakiens et qu\u2019il accompl\u00eet toutes les choses par 162CHaNT 8\nlesquelles ils voudraient l\u2019\u00e9prouver. Et, apr\u00e8s que tous se furent \nr\u00e9unis, alkinoos leur parla ainsi :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, princes et chefs des Phaiakiens, afin que je dise ce \nque mon c\u0153ur m\u2019inspire dans ma poitrine. Je ne sais qui est cet \n\u00e9tranger errant qui est venu dans ma demeure, soit du milieu des \nhommes qui sont du c\u00f4t\u00e9 d\u2019\u00c9\u00f4s, soit de ceux qui habitent du c\u00f4t\u00e9 \nde Hesp\u00e9ros.\nIl nous demande d\u2019aider \u00e0 son prompt retour. Nous le recon -\nduirons, comme cela est d\u00e9j\u00e0 arriv\u00e9 pour d\u2019autres ; car aucun \nhomme entr\u00e9 dans ma demeure n\u2019a jamais pleur\u00e9 longtemps ici, \nd\u00e9sirant son retour. allons ! tirons \u00e0 la mer divine une nef noire \net neuve, et que cinquante-deux jeunes hommes soient choi -\nsis dans le peuple parmi les meilleurs de tous. Liez donc \u00e0 leurs \nbancs les avirons de la nef, et pr\u00e9parons promptement dans ma \ndemeure un repas que je vous offre. Les jeunes hommes accom -\npliront mes ordres, et vous tous, rois porteurs de sceptres, venez \ndans ma belle demeure, afin que nous honorions notre h\u00f4te dans \nla maison royale. Que nul ne refuse, et appelez le divin aoide \nD\u00e8modokos, car un dieu lui a donn\u00e9 le chant admirable qui \ncharme, quand son \u00e2me le pousse \u00e0 chanter.163\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant ainsi parl\u00e9, il marcha devant, et les porteurs de sceptres \nle suivaient, et un h\u00e9raut courut vers le divin aoide. Et cin -\nquante-deux jeunes hommes, choisis dans le peuple, all\u00e8rent, \ncomme alkinoos l\u2019avait ordonn\u00e9, sur le rivage de la mer indomp -\nt\u00e9e. \u00c9tant arriv\u00e9s \u00e0 la mer et \u00e0 la nef, ils tra\u00een\u00e8rent la noire nef \u00e0 \nla mer profonde, dress\u00e8rent le m\u00e2t, pr\u00e9par\u00e8rent les voiles, li\u00e8rent \nles avirons avec des courroies, et, faisant tout comme il convenait, \n\u00e9tendirent les blanches voiles et pouss\u00e8rent la nef au large. Puis, \nils se rendirent \u00e0 la grande demeure du sage alkinoos. Et le por -\ntique, et la salle, et la demeure \u00e9taient pleins d\u2019hommes rassem -\nbl\u00e9s, et les jeunes hommes et les vieillards \u00e9taient nombreux.\nEt alkinoos tua pour eux douze brebis, huit porcs aux blanches \ndents et deux b\u0153ufs aux pieds flexibles. Et ils les \u00e9corch\u00e8rent, et \nils pr\u00e9par\u00e8rent le repas agr\u00e9able.\nEt le h\u00e9raut vint, conduisant le divin aoide. La Muse l\u2019aimait plus \nque tous, et elle lui avait donn\u00e9 de conna\u00eetre le bien et le mal, et, \nl\u2019ayant priv\u00e9 des yeux, elle lui avait accord\u00e9 le chant admirable. \nLe h\u00e9raut pla\u00e7a pour lui, au milieu des convives, un thr\u00f4ne aux \nclous d\u2019argent, appuy\u00e9 contre une longue colonne ; et, au-dessus \nde sa t\u00eate, il suspendit la kithare sonore, et il lui montra comment \nil pourrait la prendre. Puis, il dressa devant lui une belle table et \nil y mit une corbeille et une coupe de vin, afin qu\u2019il b\u00fbt autant de 164CHaNT 8\nfois que son \u00e2me le voudrait. Et tous \u00e9tendirent les mains vers les \nmets plac\u00e9s devant eux.\napr\u00e8s qu\u2019ils eurent assouvi leur faim et leur soif, la Muse excita \nl\u2019aoide \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer la gloire des hommes par un chant dont la \nrenomm\u00e9e \u00e9tait parvenue jusqu\u2019au large Ourancs. Et c\u2019\u00e9tait la \nquerelle d\u2019Odysseus et du P\u00e8l\u00e9ide akhilleus, quand ils se que -\nrell\u00e8rent autrefois en paroles violentes dans un repas offert aux \ndieux. Et le roi des hommes, agamemn\u00f4n, se r\u00e9jouissait dans son \n\u00e2me parce que les premiers d\u2019entre les akhaiens se querellaient. \nEn effet, la pr\u00e9diction s\u2019accomplissait que lui avait faite Phoibos \napoll\u00f4n, quand, dans la divine Pyth\u00f4, il avait pass\u00e9 le seuil de \npierre pour interroger l\u2019oracle ; et alors se pr\u00e9paraient les maux \ndes Troiens et des Danaens, par la volont\u00e9 du grand Zeus.\nEt l\u2019illustre aoide chantait ces choses, mais Odysseus ayant saisi \nde ses mains robustes son grand manteau pourpr\u00e9, l\u2019attira sur \nsa t\u00eate et en couvrit sa belle face, et il avait honte de verser des \nlarmes devant les Phaiakiens. Mais quand le divin aoide cessait \nde chanter, lui-m\u00eame cessait de pleurer, et il \u00e9cartait son man -\nteau, et, prenant une coupe ronde, il faisait des libations aux dieux. \nPuis, quand les princes des Phaiakiens excitaient l\u2019aoide \u00e0 chan -\nter de nouveau, car ils \u00e9taient charm\u00e9s de ses paroles, de nouveau \nOdysseus pleurait, la t\u00eate cach\u00e9e. Il se cachait de tous en versant 165\nL\u2019ODYSS\u00c9Edes larmes ; mais alkinoos le vit, seul, \u00e9tant assis aupr\u00e8s de lui, \net il l\u2019entendit g\u00e9mir, et aussit\u00f4t il dit aux Phaiakiens habiles \u00e0 \nmanier les avirons :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, princes et chefs des Phaiakiens. D\u00e9j\u00e0 nous avons \nsatisfait notre \u00e2me par ce repas et par les sons de la kithare qui \nsont la joie des repas. Maintenant, sortons, et livrons-nous \u00e0 tous \nles jeux, afin que notre h\u00f4te raconte \u00e0 ses amis, quand il sera \nretourn\u00e9 dans sa patrie, combien nous l\u2019emportons sur les autres \nhommes au combat des poings, \u00e0 la lutte, au saut et \u00e0 la course.\nayant ainsi parl\u00e9, il marcha le premier et tous le suivirent. Et \nle h\u00e9raut suspendit la kithare sonore \u00e0 la colonne, et, prenant \nD\u00e8modokos par la main, il le conduisit hors des demeures, par \nle m\u00eame chemin qu\u2019avaient pris les princes des Phaiakiens afin \nd\u2019admirer les jeux. Et ils all\u00e8rent \u00e0 l\u2019agora, et une foule innom -\nbrable suivait.\nPuis, beaucoup de robustes jeunes hommes se lev\u00e8rent, akron\u00e9\u00f4s, \nOkyalos, \u00c9latreus, Nauteus, Prymneus, ankhialos, \u00c9rethmeus, \nPonteus, Pr\u00f4teus, Tho\u00f4n, anab\u00e8sin\u00e9\u00f4s, amphialos, fils de \nPolin\u00e9os Tektonide, et Euryalos semblable au tueur d\u2019hommes \nar\u00e8s, et Naubolid\u00e8s qui l\u2019emportait par la force et la beaut\u00e9 sur \ntous les Phaiakiens, apr\u00e8s l\u2019irr\u00e9prochable Laodamas. Et les trois 166CHaNT 8\nfils de l\u2019irr\u00e9prochable alkinoos se lev\u00e8rent aussi, Laodamas, \nHalios et le divin Klyton\u00e8os.\nEt ils combattirent d\u2019abord \u00e0 la course, et ils s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent des bar -\nri\u00e8res, et, tous ensemble, ils volaient rapidement, soulevant la \npoussi\u00e8re de la plaine. Mais celui qui les devan\u00e7ait de plus loin \n\u00e9tait l\u2019irr\u00e9prochable Klyton\u00e8os. autant les mules qui ach\u00e8vent \nun sillon ont franchi d\u2019espace, autant il les pr\u00e9c\u00e9dait, les laissant \nen arri\u00e8re, quand il revint devant le peuple. Et d\u2019autres engag\u00e8 -\nrent le combat de la lutte, et dans ce combat Euryalos l\u2019emporta \nsur les plus vigoureux. Et amphialos fut vainqueur en sautant \nle mieux, et \u00c9latreus fut le plus fort au disque, et Laodamas, l\u2019il -\nlustre fils d\u2019a lkinoos, au combat des poings. Mais, apr\u00e8s qu\u2019ils \neurent charm\u00e9 leur \u00e2me par ces combats, Laodamas, fils d\u2019a lk-\ninoos, parla ainsi :\n\u2013 allons, amis, demandons \u00e0 notre h\u00f4te s\u2019il sait aussi combattre. \nCertes, il ne semble point sans courage.\nIl a des cuisses et des bras et un cou tr\u00e8s vigoureux, et il est encore \njeune, bien qu\u2019il ait \u00e9t\u00e9 affaibli par beaucoup de malheurs ; car je \npense qu\u2019il n\u2019est rien de pire que la mer pour \u00e9puiser un homme, \nquelque vigoureux qu\u2019il soit.167\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt Euryalos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Laodamas, tu as bien parl\u00e9. Maintenant, va, provoque-le, et rap -\nporte-lui nos paroles.\nEt l\u2019illustre fils d\u2019a lkinoos, ayant \u00e9cout\u00e9 ceci, s\u2019arr\u00eata au milieu de \nl\u2019ar\u00e8ne et dit \u00e0 Odysseus :\n\u2013 allons, h\u00f4te, mon p\u00e8re, viens tenter nos jeux, si tu y es exerc\u00e9 \ncomme il convient que tu le sois. Il n\u2019y a point de plus grande \ngloire pour les hommes que celle d\u2019\u00eatre brave par les pieds et par \nles bras. Viens donc, et chasse la tristesse de ton \u00e2me. Ton retour \nn\u2019en subira pas un long retard, car d\u00e9j\u00e0 ta nef est tra\u00een\u00e9e \u00e0 la mer \net tes compagnons sont pr\u00eats \u00e0 partir.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Laodamas, pourquoi me provoques-tu \u00e0 combattre ? Les dou -\nleurs remplissent mon \u00e2me plus que le d\u00e9sir des jeux. J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 \nsubi beaucoup de maux et support\u00e9 beaucoup de travaux, et \nmaintenant, assis dans votre agora, j\u2019implore mon retour, priant \nle roi et tout le peuple.168CHaNT 8\nEt Euryalos, lui r\u00e9pondant, l\u2019outragea ouvertement :\n\u2013 Tu parais, mon h\u00f4te, ignorer tous les jeux o\u00f9 s\u2019exercent les \nhommes, et tu ressembles \u00e0 un chef de matelots marchands qui, \nsur une nef de charge, n\u2019a souci que de gain et de provisions, plu -\nt\u00f4t qu\u2019\u00e0 un athl\u00e8te.\nEt le subtil Odysseus, avec un sombre regard, lui dit :\n\u2013 Mon h\u00f4te, tu n\u2019as point parl\u00e9 convenablement, et tu ressembles \n\u00e0 un homme insolent. Les dieux ne dispensent point \u00e9galement \nleurs dons \u00e0 tous les hommes, la beaut\u00e9, la prudence ou l\u2019\u00e9lo -\nquence. Souvent un homme n\u2019a point de beaut\u00e9, mais un dieu \nl\u2019orne par la parole, et tous sont charm\u00e9s devant lui, car il parle \navec assurance et une douce modestie, et il domine l\u2019agora, et, \nquand il marche par la ville, on le regarde comme un dieu. Un \nautre est semblable aux dieux par sa beaut\u00e9, mais il ne lui a point \n\u00e9t\u00e9 accord\u00e9 de bien parler. ainsi, tu es beau, et un dieu ne t\u2019au -\nrait point form\u00e9 autrement, mais tu manques d\u2019intelligence, et, \ncomme tu as mal parl\u00e9, tu as irrit\u00e9 mon c\u0153ur dans ma ch\u00e8re poi -\ntrine. Je n\u2019ignore point ces combats, ainsi que tu le dis. J\u2019\u00e9tais entre \nles premiers, quand je me confiais dans ma jeunesse et dans la \nvigueur de mes bras. Maintenant, je suis accabl\u00e9 de mis\u00e8res et de \ndouleurs, ayant subi de nombreux combats parmi les hommes ou 169\nL\u2019ODYSS\u00c9Een traversant les flots dangereux. Mais, bien que j\u2019aie beaucoup \nsouffert, je tenterai ces jeux, car ta parole m\u2019a mordu, et tu m\u2019as \nirrit\u00e9 par ce discours.\nIl parla ainsi, et, sans rejeter son manteau, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant imp\u00e9tueu -\nsement, il saisit une pierre plus grande, plus \u00e9paisse, plus lourde \nque celle dont les Phaiakiens avaient coutume de se servir dans \nles jeux, et, l\u2019ayant fait tourbillonner, il la jeta d\u2019une main vigou -\nreuse. Et la pierre rugit, et tous les Phaiakiens habiles \u00e0 manier les \navirons courb\u00e8rent la t\u00eate sous l\u2019imp\u00e9tuosit\u00e9 de la pierre qui vola \nbien au-del\u00e0 des marques de tous les autres. Et ath\u00e8n\u00e8 accourut \npromptement, et, posant une marque, elle dit, ayant pris la figure \nd\u2019un homme :\n\u2013 M\u00eame un aveugle, mon h\u00f4te, pourrait reconna\u00eetre ta marque \nen la touchant, car elle n\u2019est point m\u00eal\u00e9e \u00e0 la foule des autres, \nmais elle est bien au-del\u00e0. aie donc confiance, car aucun des \nPhaiakiens n\u2019atteindra l\u00e0, loin de te d\u00e9passer.170CHaNT 8\nElle parla ainsi, et le patient et divin Odysseus fut joyeux, et il se \nr\u00e9jouissait d\u2019avoir dans l\u2019agora un compagnon bienveillant. Et il \ndit avec plus de douceur aux Phaiakiens :\n\u2013 Maintenant, jeunes hommes, atteignez cette pierre. Je pense \nque je vais bient\u00f4t en jeter une autre aussi loin, et m\u00eame au-del\u00e0. \nMon \u00e2me et mon c\u0153ur m\u2019excitent \u00e0 tenter tous les autres com -\nbats. Que chacun de vous se fasse ce p\u00e9ril, car vous m\u2019avez gran -\ndement irrit\u00e9. au ceste, \u00e0 la lutte, \u00e0 la course, je ne refuse aucun \ndes Phaiakiens, sauf le seul Laodamas. Il est mon h\u00f4te. Qui pour -\nrait combattre un ami ?\nL \u2019insens\u00e9 seul et l\u2019homme de nulle valeur le disputent \u00e0 leur h\u00f4te \ndans les jeux, au milieu d\u2019un peuple \u00e9tranger, et ils s\u2019avilissent \nainsi. Mais je n\u2019en r\u00e9cuse ni n\u2019en repousse aucun autre. Je n\u2019ignore \naucun des combats qui se livrent parmi les hommes. Je sais sur -\ntout tendre un arc r\u00e9cemment poli, et le premier j\u2019atteindrais \nun guerrier lan\u00e7ant des traits dans la foule des hommes enne -\nmis, m\u00eame quand de nombreux compagnons l\u2019entoureraient et \ntendraient l\u2019arc contre moi. Le seul Philokt\u00e8t\u00e8s l\u2019emportait sur \nmoi par son arc, chez le peuple des Troiens, toutes les fois que \nles akhaiens lan\u00e7aient des fl\u00e8ches. Mais je pense \u00eatre mainte -\nnant le plus habile de tous les mortels qui se nourrissent de pain \nsur la terre. Certes, je ne voudrais point lutter contre les anciens 171\nL\u2019ODYSS\u00c9Eh\u00e9ros, ni contre H\u00e9rakl\u00e8s, ni contre Eurytos l\u2019Oikhalien, car ils \nluttaient, comme archers, m\u00eame avec les dieux. Le grand Eurytos \nmourut tout jeune, et il ne vieillit point dans ses demeures. En \neffet, apoll\u00f4n irrit\u00e9 le tua, parce qu\u2019il l\u2019avait provoqu\u00e9 au combat \nde l\u2019arc. Je lance la pique aussi bien qu\u2019un autre lance une fl\u00e8che. \nSeulement, je crains qu\u2019un des Phaiakiens me surpasse \u00e0 la course, \nayant \u00e9t\u00e9 affaibli par beaucoup de fatigues au milieu des flots, car \nje ne poss\u00e9dais pas une grande quantit\u00e9 de vivres dans ma nef, et \nmes chers genoux sont rompus.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets, et le seul alkinoos \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon h\u00f4te, tes paroles me plaisent. Ta force veut prouver la vertu \nqui te suit partout, \u00e9tant irrit\u00e9, car cet homme t\u2019a d\u00e9fi\u00e9 ; mais \naucun n\u2019oserait douter de ton courage, si du moins il n\u2019a point \nperdu le jugement. Maintenant, comprends bien ce que je vais \ndire, afin que tu parles favorablement de nos h\u00e9ros quand tu \nprendras tes repas dans tes demeures, aupr\u00e8s de ta femme et de \ntes enfants, et que tu te souviennes de notre vertu et des travaux \ndans lesquels Zeus nous a donn\u00e9 d\u2019exceller d\u00e8s le temps de nos \nanc\u00eatres. Nous ne sommes point les plus forts au ceste, ni des \nlutteurs irr\u00e9prochables, mais nous courons rapidement et nous \nexcellons sur les nefs. Les repas nous sont chers, et la kithare et 172CHaNT 8\nles danses, et les v\u00eatements renouvel\u00e9s, les bains chauds et les lits. \nallons ! vous qui \u00eates les meilleurs danseurs Phaiakiens, dansez, \nafin que notre h\u00f4te, de retour dans sa demeure, dise \u00e0 ses amis \ncombien nous l\u2019emportons sur tous les autres hommes dans la \nscience de la mer, par la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 des pieds, \u00e0 la danse et par le \nchant. Que quelqu\u2019un apporte aussit\u00f4t \u00e0 D\u00e8modokos sa kithare \nsonore qui est rest\u00e9e dans nos demeures.\nalkinoos semblable \u00e0 un dieu parla ainsi, et un h\u00e9raut se leva \npour rapporter la kithare harmonieuse de la maison royale. Et \nles neuf chefs des jeux, \u00e9lus par le sort, se lev\u00e8rent, car c\u2019\u00e9taient \nles r\u00e9gulateurs de chaque chose dans les jeux. Et ils aplanirent la \nplace du ch\u0153ur, et ils dispos\u00e8rent un large espace. Et le h\u00e9raut \nrevint, apportant la kithare sonore \u00e0 D\u00e8modokos ; et celui-ci se \nmit au milieu, et autour de lui se tenaient les jeunes adolescents \nhabiles \u00e0 danser.\nEt ils frappaient de leurs pieds le ch\u0153ur divin, et Odysseus admi -\nrait la rapidit\u00e9 de leurs pieds, et il s\u2019en \u00e9tonnait dans son \u00e2me.\nMais l\u2019aoide commen\u00e7a de chanter admirablement l\u2019amour d\u2019a r\u00e8s \net d\u2019a phrodit\u00e8 \u00e0 la belle couronne, et comment ils s\u2019unirent dans \nla demeure de H\u00e8phaistos. ar\u00e8s fit de nombreux pr\u00e9sents, et \nil d\u00e9shonora le lit du roi H\u00e8phaistos. aussit\u00f4t H\u00e8lios, qui les 173\nL\u2019ODYSS\u00c9Eavait vus s\u2019unir, vint l\u2019annoncer \u00e0 H\u00e8phaistos, qui entendit l\u00e0 une \ncruelle parole. Puis, m\u00e9ditant profond\u00e9ment sa vengeance, il se \nh\u00e2ta d\u2019aller \u00e0 sa forge, et, dressant une grande enclume, il for -\ngea des liens qui ne pouvaient \u00eatre ni rompus, ni d\u00e9nou\u00e9s. ayant \nachev\u00e9 cette trame pleine de ruse, il se rendit dans la chambre \nnuptiale o\u00f9 se trouvait son cher lit. Et il suspendit de tous c\u00f4t\u00e9s, \nen cercle, ces liens qui tombaient des poutres autour du lit comme \nles toiles de l\u2019araign\u00e9e, et que nul ne pouvait voir, pas m\u00eame les \ndieux heureux. Ce fut ainsi qu\u2019il ourdit sa ruse. Et, apr\u00e8s avoir \nenvelopp\u00e9 le lit, il feignit d\u2019aller \u00e0 Lemnos, ville bien b\u00e2tie, celle \nde toutes qu\u2019il aimait le mieux sur la terre. ar\u00e8s au frein d\u2019or le \nsurveillait, et quand il vit partir l\u2019illustre ouvrier H\u00e8phaistos, il se \nh\u00e2ta, dans son d\u00e9sir d\u2019a phrodit\u00e8 \u00e0 la belle couronne, de se rendre \n\u00e0 la demeure de l\u2019illustre H\u00e8phaistos. Et aphrodit\u00e8, revenant de \nvoir son tout-puissant p\u00e8re Zeus, \u00e9tait assise. Et ar\u00e8s entra dans \nla demeure, et il lui prit la main, et il lui dit :\n\u2013 allons, ch\u00e8re, dormir sur notre lit. H\u00e8phaistos n\u2019est plus ici ; il est \nall\u00e9 \u00e0 Lemnos, chez les Sintiens au langage barbare.\nIl parla ainsi, et il sembla doux \u00e0 la d\u00e9esse de lui c\u00e9der, et ils mon -\nt\u00e8rent sur le lit pour y dormir, et, aussit\u00f4t, les liens habilement \ndispos\u00e9s par le subtil H\u00e8phaistos les envelopp\u00e8rent. Et ils ne pou -\nvaient ni mouvoir leurs membres, ni se lever, et ils reconnurent 174CHaNT 8\nalors qu\u2019ils ne pouvaient fuir. Et l\u2019illustre boiteux des deux pieds \napprocha, car il \u00e9tait revenu avant d\u2019arriver \u00e0 la terre de Lemnos, \nH\u00e8lios ayant veill\u00e9 pour lui et l\u2019ayant averti.\nEt il rentra dans sa demeure, afflig\u00e9 en sa ch\u00e8re poitrine. Il s\u2019ar -\nr\u00eata sous le vestibule, et une violente col\u00e8re le saisit, et il cria hor -\nriblement, et il fit que tous les dieux l\u2019entendirent :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, et vous, dieux heureux qui vivez toujours, venez voir \ndes choses honteuses et intol\u00e9rables. Moi qui suis boiteux, la fille \nde Zeus, aphrodit\u00e8, me d\u00e9shonore, et elle aime le pernicieux ar\u00e8s \nparce qu\u2019il est beau et qu\u2019il ne boite pas. Si je suis laid, certes, je \nn\u2019en suis pas cause, mais la faute en est \u00e0 mon p\u00e8re et \u00e0 ma m\u00e8re \nqui n\u2019auraient pas d\u00fb m\u2019engendrer. Voyez comme ils sont cou -\nch\u00e9s unis par l\u2019amour. Certes, en les voyant sur ce lit, je suis plein \nde douleur, mais je ne pense pas qu\u2019ils tentent d\u2019y dormir encore, \nbien qu\u2019ils s\u2019aiment beaucoup ; et ils ne pourront s\u2019unir, et mon \npi\u00e8ge et mes liens les retiendront jusqu\u2019\u00e0 ce que son p\u00e8re m\u2019ait \nrendu toute la dot que je lui ai livr\u00e9e \u00e0 cause de sa fille aux yeux \nde chien, parce qu\u2019elle \u00e9tait belle.\nIl parla ainsi, et tous les dieux se rassembl\u00e8rent dans la demeure \nd\u2019airain. Poseida\u00f4n qui entoure la terre vint, et le tr\u00e8s utile \nHerm\u00e9ias vint aussi, puis le royal archer apoll\u00f4n. Les d\u00e9esses, 175\nL\u2019ODYSS\u00c9Epar pudeur, rest\u00e8rent seules dans leurs demeures. Et les dieux \nqui dispensent les biens \u00e9taient debout dans le vestibule. Et un \nrire immense s\u2019\u00e9leva parmi les dieux heureux quand ils virent \nl\u2019ouvrage du prudent H\u00e8phaistos ; et, en le regardant, ils disaient \nentre eux :\n\u2013 Les actions mauvaises ne valent pas la vertu. Le plus lent a \natteint le rapide. Voici que H\u00e8phaistos, bien que boiteux, a saisi, \npar sa science ar\u00e8s, qui est le plus rapide de tous les dieux qui \nhabitent l\u2019Olympos, et c\u2019est pourquoi il se fera payer une amende.\nIls se parlaient ainsi entre eux. Et le roi apoll\u00f4n, fils de Zeus, dit \n\u00e0 Herm\u00e9ias :\n\u2013 Messager Herm\u00e9ias, fils de Zeus, qui dispense les biens, certes, \ntu voudrais sans doute \u00eatre envelopp\u00e9 de ces liens indestructibles, \nafin de coucher dans ce lit, aupr\u00e8s d\u2019a phrodit\u00e8 d\u2019or ?\nEt le messager Herm\u00e9ias lui r\u00e9pondit aussit\u00f4t :\n\u2013 Pl\u00fbt aux dieux, \u00f4 royal archer apoll\u00f4n, que cela arriv\u00e2t, et que je \nfusse envelopp\u00e9 de liens trois fois plus inextricables, et que tous \nles dieux et les d\u00e9esses le vissent, pourvu que je fusse couch\u00e9 \naupr\u00e8s d\u2019a phrodit\u00e8 d\u2019or !176CHaNT 8\nIl parla, ainsi, et le rire des dieux immortels \u00e9clata. Mais Poseida\u00f4n \nne riait pas, et il suppliait l\u2019illustre H\u00e8phaistos de d\u00e9livrer ar\u00e8s, et \nil lui disait ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 D\u00e9livre-le, et je te promets qu\u2019il te satisfera, ainsi que tu le d\u00e9sires, \net comme il convient entre dieux immortels.\nEt l\u2019illustre ouvrier H\u00e8phaistos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Poseida\u00f4n qui entoures la terre, ne me demande point cela. Les \ncautions des mauvais sont mauvaises. Comment pourrais-je te \ncontraindre, parmi les dieux immortels, si ar\u00e8s \u00e9chappait \u00e0 sa \ndette et \u00e0 mes liens ?\nEt Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e8phaistos, si ar\u00e8s, reniant sa dette, prend la fuite, je te la paye -\nrai moi-m\u00eame.\nEt l\u2019illustre boiteux des deux pieds lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Il ne convient point que je refuse ta parole, et cela ne sera point.177\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant ainsi parl\u00e9, la force de H\u00e8phaistos rompit les liens. Et tous \ndeux, libres des liens inextricables, s\u2019envol\u00e8rent aussit\u00f4t, ar\u00e8s \ndans la Thr\u00e8k\u00e8, et aphrodit\u00e8 qui aime les sourires dans Kypros, \u00e0 \nPaphos o\u00f9 sont ses bois sacr\u00e9s et ses autels parfum\u00e9s.\nL\u00e0, les Kharites la baign\u00e8rent et la parfum\u00e8rent d\u2019une huile \nambroisienne, comme il convient aux dieux immortels, et elles la \nrev\u00eatirent de v\u00eatements pr\u00e9cieux, admirables \u00e0 voir.\nainsi chantait l\u2019illustre aoide, et, dans son esprit, Odysseus se \nr\u00e9jouissait de l\u2019entendre, ainsi que tous les Phaiakiens habiles \u00e0 \nmanier les longs avirons des nefs.\nEt alkinoos ordonna \u00e0 Halios et \u00e0 Laodamas de danser seuls, car \nnul ne pouvait lutter avec eux. Et ceux-ci prirent dans leurs mains \nune belle boule pourpr\u00e9e que le sage Polybos avait faite pour eux. \nEt l\u2019un, courb\u00e9 en arri\u00e8re, la jetait vers les sombres nu\u00e9es, et l\u2019autre \nla recevait avant qu\u2019elle e\u00fbt touch\u00e9 la terre devant lui. apr\u00e8s avoir \nainsi admirablement jou\u00e9 de la boule, ils dans\u00e8rent alternative -\nment sur la terre f\u00e9conde ; et tous les jeunes hommes, debout 178CHaNT 8\ndans l\u2019agora, applaudirent, et un grand bruit s\u2019\u00e9leva. alors, le divin \nOdysseus dit \u00e0 alkinoos :\n\u2013 Roi alkinoos, le plus illustre de tout le peuple, certes, tu m\u2019as \nannonc\u00e9 les meilleurs danseurs, et cela est manifeste. L \u2019admiration \nme saisit en les regardant.\nIl parla ainsi, et la force sacr\u00e9e d\u2019a lkinoos fut remplie de joie, et il \ndit aussit\u00f4t aux Phaiakiens qui aiment les avirons :\n\u2013 \u00c9coutez, princes et chefs des Phaiakiens. Notre h\u00f4te me \nsemble plein de sagesse. allons ! Il convient de lui offrir les \ndons hospitaliers.\nDouze rois illustres, douze princes, commandent ce peuple, et \nmoi, je suis le treizi\u00e8me. apportez-lui, chacun, un manteau bien \nlav\u00e9, une tunique et un talent d\u2019or pr\u00e9cieux. Et, aussit\u00f4t, nous \napporterons tous ensemble ces pr\u00e9sents, afin que notre h\u00f4te, les \nposs\u00e9dant, si\u00e8ge au repas, l\u2019\u00e2me pleine de joie. Et Euryalos l\u2019apai -\nsera par ses paroles, puisqu\u2019il n\u2019a point parl\u00e9 convenablement.179\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, et tous, ayant applaudi, ordonn\u00e8rent qu\u2019on apport\u00e2t \nles pr\u00e9sents, et chacun envoya un h\u00e9raut. Et Euryalos, r\u00e9pondant \n\u00e0 alkinoos, parla ainsi :\n\u2013 Roi alkinoos, le plus illustre de tout le peuple, j\u2019apaiserai notre \nh\u00f4te, comme tu me l\u2019ordonnes, et je lui donnerai cette \u00e9p\u00e9e d\u2019ai -\nrain, dont la poign\u00e9e est d\u2019argent et dont la gocine est d\u2019ivoire \nr\u00e9cemment travaill\u00e9. Ce don sera digne de notre h\u00f4te.\nEn parlant ainsi, il mit l\u2019\u00e9p\u00e9e aux clous d\u2019argent entre les mains \nd\u2019Odysseus, et il lui dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Salut, h\u00f4te, mon p\u00e8re ! si j\u2019ai dit une parole mauvaise, que les \ntemp\u00eates l\u2019emportent ! Que les dieux t\u2019accordent de retourner \ndans ta patrie et de revoir ta femme, car tu as longtemps souffert \nloin de tes amis.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Et toi, ami, je te salue. Que les dieux t\u2019accordent tous les biens. \nPuisses-tu n\u2019avoir jamais le regret de cette \u00e9p\u00e9e que tu me donnes \nen m\u2019apaisant par tes paroles.180CHaNT 8\nIl parla ainsi, et il suspendit l\u2019\u00e9p\u00e9e aux clous d\u2019argent autour de \nses \u00e9paules. Puis, H\u00e8lios tomba, et les splendides pr\u00e9sents furent \napport\u00e9s, et les h\u00e9rauts illustres les d\u00e9pos\u00e8rent dans la demeure \nd\u2019alkinoos ; et les irr\u00e9prochables fils d\u2019a lkinoos, les ayant re\u00e7us, \nles plac\u00e8rent devant leur m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable. Et la force sacr\u00e9e d\u2019a lk-\ninoos commanda aux Phaiakiens de venir dans sa demeure, et ils \ns\u2019assirent sur des thr\u00f4nes \u00e9lev\u00e9s, et la force d\u2019a lkinoos dit \u00e0 ar\u00e8t\u00e8 :\n\u2013 Femme, apporte un beau coffre, le plus beau que tu aies, et tu y \nrenfermeras un manteau bien lav\u00e9 et une tunique. Qu\u2019on mette \nun vase sur le feu, et que l\u2019eau chauffe, afin que notre h\u00f4te, s\u2019\u00e9tant \nbaign\u00e9, contemple les pr\u00e9sents que lui ont apport\u00e9s les irr\u00e9pro -\nchables Phaiakiens, et qu\u2019il se r\u00e9jouisse du repas, en \u00e9coutant le \nchant de l\u2019aoide. Et moi, je lui donnerai cette belle coupe d\u2019or, afin \nqu\u2019il se souvienne de moi tous les jours de sa vie, quand il fera, \ndans sa demeure, des libations \u00e0 Zeus et aux autres dieux.\nIl parla ainsi, et ar\u00e8t\u00e8 ordonna aux servantes de mettre prompte -\nment un grand vase sur le feu. Et elles mirent sur le feu ardent le \ngrand vase pour le bain : et elles y vers\u00e8rent de l\u2019eau, et elles allu -\nm\u00e8rent le bois par-dessous.\nEt le feu enveloppa le vase \u00e0 trois pieds, et l\u2019eau chauffa.181\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt, pendant ce temps, ar\u00e8t\u00e8 descendit, de sa chambre nuptiale, \npour son h\u00f4te, un beau coffre, et elle y pla\u00e7a les pr\u00e9sents splen -\ndides, les v\u00eatements et l\u2019or que les Phaiakiens lui avaient donn\u00e9s. \nElle-m\u00eame y d\u00e9posa un manteau et une belle tunique, et elle dit \u00e0 \nOdysseus ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Vois toi-m\u00eame ce couvercle, et ferme-le d\u2019un n\u0153ud, afin que \npersonne, en route, ne puisse te d\u00e9rober quelque chose, car tu \ndormiras peut-\u00eatre d\u2019un doux sommeil dans la nef noire.\nayant entendu cela, le patient et divin Odysseus ferma aussi -\nt\u00f4t le couvercle \u00e0 l\u2019aide d\u2019un n\u0153ud inextricable que la v\u00e9n\u00e9rable \nKirk\u00e8 lui avait enseign\u00e9 autrefois. Puis, l\u2019intendante l\u2019invita \u00e0 se \nbaigner, et il descendit dans la baignoire, et il sentit, plein de joie, \nl\u2019eau chaude, car il y avait longtemps qu\u2019il n\u2019avait us\u00e9 de ces soins, \ndepuis qu\u2019il avait quitt\u00e9 la demeure de Kalyps\u00f4 aux beaux che -\nveux, o\u00f9 ils lui \u00e9taient toujours donn\u00e9s comme \u00e0 un dieu. Et les \nservantes, l\u2019ayant baign\u00e9, le parfum\u00e8rent d\u2019huile et le rev\u00eatirent \nd\u2019une tunique et d\u2019un beau manteau ; et, sortant du bain, il revint \nau milieu des hommes buveurs de vin. Et Nausikaa, qui avait \nre\u00e7u des dieux la beaut\u00e9, s\u2019arr\u00eata sur le seuil de la demeure bien 182CHaNT 8\nconstruite, et, regardant Odysseus qu\u2019elle admirait, elle lui dit ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Salut, mon h\u00f4te ! Plaise aux dieux, quand tu seras dans la terre \nde la patrie, que tu te souviennes de moi \u00e0 qui tu dois la vie.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Nausikaa, fille du magnanime alkinoos, si, maintenant, Zeus, le \nretentissant \u00e9poux de H\u00e8r\u00e8, m\u2019accorde de voir le jour du retour \net de rentrer dans ma demeure, l\u00e0, certes, comme \u00e0 une d\u00e9esse, je \nt\u2019adresserai des v\u0153ux tous les jours de ma vie, car tu m\u2019as sauv\u00e9, \n\u00f4 vierge !\nIl parla ainsi, et il s\u2019assit sur un thr\u00f4ne aupr\u00e8s du roi alkinoos. Et \nles hommes faisaient les parts et m\u00e9langeaient le vin. Et un h\u00e9raut \nvint, conduisant l\u2019aoide harmonieux, D\u00e8modokos v\u00e9n\u00e9rable au \npeuple, et il le pla\u00e7a au milieu des convives, appuy\u00e9 contre une \nhaute colonne. alors Odysseus, coupant la plus forte part du dos \nd\u2019un porc aux blanches dents, et qui \u00e9tait envelopp\u00e9e de graisse, \ndit au h\u00e9raut :\n\u2013 Prends, h\u00e9raut, et offre, afin, qu\u2019il la mange, cette chair \u00e0 \nD\u00e8modokos. Moi aussi je l\u2019aime, quoique je sois afflig\u00e9. Les aoides 183\nL\u2019ODYSS\u00c9Esont dignes d\u2019honneur et de respect parmi tous les hommes ter -\nrestres, car la Muse leur a enseign\u00e9 le chant, et elle aime la race \ndes aoides.\nIl parla ainsi, et le h\u00e9raut d\u00e9posa le mets aux mains du h\u00e9ros \nD\u00e8modokos, et celui-ci le re\u00e7ut, plein de joie. Et tous \u00e9tendirent \nles mains vers la nourriture plac\u00e9e devant eux. Et, apr\u00e8s qu\u2019ils \nse furent rassasi\u00e9s de boire et de manger, le subtil Odysseus dit \n\u00e0 D\u00e8modokos :\n\u2013 D\u00e8modokos, je t\u2019honore plus que tous les hommes mortels, soit \nque la Muse, fille de Zeus, t\u2019ait instruit, soit apoll\u00f4n. Tu as admi -\nrablement chant\u00e9 la destin\u00e9e des akhaiens, et tous les maux qu\u2019ils \nont endur\u00e9s, et toutes les fatigues qu\u2019ils ont subies, comme si toi-\nm\u00eame avais \u00e9t\u00e9 pr\u00e9sent, ou comme si tu avais tout appris d\u2019un \nargien. Mais chante maintenant le cheval de bois qu\u2019\u00c9p\u00e9ios fit \navec l\u2019aide d\u2019a th\u00e8n\u00e8, et que le divin Odysseus conduisit par ses \nruses dans la citadelle, tout rempli d\u2019hommes qui renvers\u00e8rent \nIlios. Si tu me racontes exactement ces choses, je d\u00e9clarerai \u00e0 tous \nles hommes qu\u2019un dieu t\u2019a dou\u00e9 avec bienveillance du chant divin.\nIl parla ainsi, et l\u2019a oide, inspir\u00e9 par un Dieu, commen\u00e7a de chan -\nter. Et il chanta d\u2019abord comment les argiens, \u00e9tant mont\u00e9s sur \nles nefs aux bancs de rameurs, s\u2019\u00e9loign\u00e8rent apr\u00e8s avoir mis le feu 184CHaNT 8\naux tentes. Mais les autres akhaiens \u00e9taient assis d\u00e9j\u00e0 aupr\u00e8s de \nl\u2019illustre Odysseus, enferm\u00e9s dans le cheval, au milieu de l\u2019agora \ndes Troiens. Et ceux-ci, eux-m\u00eames, avaient tra\u00een\u00e9 le cheval dans \nleur citadelle. Et l\u00e0, il se dressait, tandis qu\u2019ils prof\u00e9raient mille \nparoles, assis autour de lui.\nEt trois desseins leur plaisaient, ou de fendre ce bois creux avec \nl\u2019airain tranchant, ou de le pr\u00e9cipiter d\u2019une hauteur sur les rochers, \nou de le garder comme une vaste offrande aux dieux. Ce dernier \ndessein devait \u00eatre accompli, car leur destin\u00e9e \u00e9tait de p\u00e9rir, apr\u00e8s \nque la ville eut re\u00e7u dans ses murs le grand cheval de bois o\u00f9 \n\u00e9taient assis les princes des akhaiens, devant porter le meurtre \net la k\u00e8r aux Troiens. Et D\u00e8modokos chanta comment les fils des \nakhaiens, s\u2019\u00e9tant pr\u00e9cipit\u00e9s du cheval, leur creuse embuscade, sac -\ncag\u00e8rent la ville. Puis, il chanta la d\u00e9vastation de la ville escar -\np\u00e9e, et Odysseus et le divin M\u00e9n\u00e9laos semblable \u00e0 ar\u00e8s assi\u00e9 -\ngeant la demeure de D\u00e8iphobos, et le tr\u00e8s rude combat qui se livra \nen ce lieu, et comment ils vainquirent avec l\u2019aide de la magna -\nnime a th\u00e8n\u00e8.\nL \u2019illustre aoide chantait ces choses, et Odysseus d\u00e9faillait, et, sous \nses paupi\u00e8res, il arrosait ses joues de larmes. De m\u00eame qu\u2019une \nfemme entoure de ses bras et pleure son mari bien aim\u00e9 tomb\u00e9 \ndevant sa ville et son peuple, laissant une mauvaise destin\u00e9e \u00e0 sa 185\nL\u2019ODYSS\u00c9Eville et \u00e0 ses enfants ; et de m\u00eame que, le voyant mort et encore \npalpitant, elle se jette sur lui en hurlant, tandis que les ennemis, \nlui frappant le dos et les \u00e9paules du bois de leurs lances, l\u2019em -\nm\u00e8nent en servitude afin de subir le travail et la douleur, et que \nses jours sont fl\u00e9tris par un tr\u00e8s mis\u00e9rable d\u00e9sespoir ; de m\u00eame \nOdysseus versait des larmes am\u00e8res sous ses paupi\u00e8res, en les \ncachant \u00e0 tous les autres convives.\nEt le seul alkinoos, \u00e9tant assis aupr\u00e8s de lui, s\u2019en aper\u00e7ut, et il \nl\u2019entendit g\u00e9mir profond\u00e9ment, et aussit\u00f4t il dit aux Phaiakiens \nhabiles dans la science de la mer :\n\u2013 \u00c9coutez, princes et chefs des Phaiakiens, et que D\u00e8modokos \nfasse taire sa kithare sonore. Ce qu\u2019il chante ne pla\u00eet pas \u00e9gale -\nment \u00e0 tous. D\u00e8s le moment o\u00f9 nous avons achev\u00e9 le repas et o\u00f9 \nle divin aoide a commenc\u00e9 de chanter, notre h\u00f4te n\u2019a point cess\u00e9 \nd\u2019\u00eatre en proie \u00e0 un deuil cruel, et la douleur a envahi son c\u0153ur. \nQue D\u00e8modokos cesse donc, afin que, nous et notre h\u00f4te, nous \nsoyons tous \u00e9galement satisfaits. Ceci est de beaucoup le plus \nconvenable. Nous avons pr\u00e9par\u00e9 le retour de notre h\u00f4te v\u00e9n\u00e9rable \net des pr\u00e9sents amis que nous lui avons offerts parce que nous \nl\u2019aimons. Un h\u00f4te, un suppliant, est un fr\u00e8re pour tout homme \nqui peut encore s\u2019attendrir dans l\u2019\u00e2me.186CHaNT 8\nC\u2019est pourquoi, \u00e9tranger, ne me cache rien, par ruse, de tout ce \nque je vais te demander, car il est juste que tu parles sinc\u00e8re -\nment. Dis-moi comment se nommaient ta m\u00e8re, ton p\u00e8re, ceux \nqui habitaient ta ville, et tes voisins. Personne, en effet, parmi les \nhommes, l\u00e2ches ou illustres, n\u2019a manqu\u00e9 de nom, depuis qu\u2019il est \nn\u00e9. Les parents qui nous ont engendr\u00e9s nous en ont donn\u00e9 \u00e0 tous. \nDis-moi aussi ta terre natale, ton peuple et ta ville, afin que nos \nnefs qui pensent t\u2019y conduisent ; car elles n\u2019ont point de pilotes, ni \nde gouvernails, comme les autres nefs, mais elles pensent comme \nles hommes, et elles connaissent les villes et les champs fertiles \nde tous les hommes, et elles traversent rapidement la mer, cou -\nvertes de brouillards et de nu\u00e9es, sans jamais craindre d\u2019\u00eatre mal -\ntrait\u00e9es ou de p\u00e9rir.\nCependant j\u2019ai entendu autrefois mon p\u00e8re Nausithoos dire que \nPoseida\u00f4n s\u2019irriterait contre nous, parce que nous reconduisons \nimpun\u00e9ment tous les \u00e9trangers. Et il disait qu\u2019une solide nef des \nPhaiakiens p\u00e9rirait au retour d\u2019un voyage sur la mer sombre, et \nqu\u2019une grande montagne serait suspendue devant notre ville. \nainsi parlait le vieillard. Peut-\u00eatre ces choses s\u2019accompliront-elles, \npeut-\u00eatre n\u2019arriveront-elles point. Ce sera comme il plaira au dieu.\nMais parle, et dis-nous dans quels lieux tu as err\u00e9, les pays que tu \nas vus, et les villes bien peupl\u00e9es et les hommes, cruels et sauvages, 187\nL\u2019ODYSS\u00c9Eou justes et hospitaliers et dont l\u2019esprit pla\u00eet aux dieux. Dis pour -\nquoi tu pleures en \u00e9coutant la destin\u00e9e des argiens, des Danaens \net d\u2019Ilios ! Les dieux eux-m\u00eames ont fait ces choses et voulu la \nmort de tant de guerriers, afin qu\u2019on les chant\u00e2t dans les jours \nfuturs. Un de tes parents est-il mort devant Ilios ? \u00c9tait-ce ton \ngendre illustre ou ton beau-p\u00e8re, ceux qui nous sont le plus chers \napr\u00e8s notre propre sang ? Est-ce encore un irr\u00e9prochable compa -\ngnon ? Un sage compagnon, en effet, n\u2019est pas moins qu\u2019un fr\u00e8re.188CHaNT 8189\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 9\nEt le subtil Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Roi alkinoos, le plus illustre de tout le peuple, il est doux d\u2019\u00e9cou -\nter un aoide tel que celui-ci, semblable aux dieux par la voix. Je ne \npense pas que rien soit plus agr\u00e9able. La joie saisit tout ce peuple, \net tes convives, assis en rang dans ta demeure, \u00e9coutent l\u2019aoide. \nEt les tables sont charg\u00e9es de pain et de chairs, et l\u2019\u00e9chanson, pui -\nsant le vin dans le krat\u00e8re, en remplit les coupes et le distribue. Il \nm\u2019est tr\u00e8s doux, dans l\u2019\u00e2me, de voir cela. Mais tu veux que je dise \nmes douleurs lamentables, et je n\u2019en serai que plus afflig\u00e9. Que \ndirai-je d\u2019abord ? Comment continuer ? comment finir ? car les \ndieux Ouraniens m\u2019ont accabl\u00e9 de maux innombrables. Et main -\ntenant je dirai d\u2019abord mon nom, afin que vous le sachiez et me \nconnaissiez, et, qu\u2019ayant \u00e9vit\u00e9 la cruelle mort, je sois votre h\u00f4te, \nbien qu\u2019habitant une demeure lointaine.\nJe suis Odysseus Laertiade, et tous les hommes me connaissent \npar mes ruses, et ma gloire est all\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Ouranos. J\u2019habite \nla tr\u00e8s illustre Ithak\u00e8, o\u00f9 se trouve le mont N\u00e8ritos aux arbres \nbattus des vents. Et plusieurs autres \u00eeles sont autour, et voisines, 190CHaNT 9\nDoulikhios, et Sam\u00e8, et Zakynthos couverte de for\u00eats. Et Ithak\u00e8 \nest la plus \u00e9loign\u00e9e de la terre ferme et sort de la mer du c\u00f4t\u00e9 de la \nnuit ; mais les autres sont du c\u00f4t\u00e9 d\u2019\u00c9\u00f4s et de H\u00e8lios. Elle est \u00e2pre, \nmais bonne nourrice de jeunes hommes, et il n\u2019est point d\u2019autre \nterre qu\u2019il me soit plus doux de contempler.\nCertes, la noble d\u00e9esse Kalyps\u00f4 m\u2019a retenu dans ses grottes pro -\nfondes, me d\u00e9sirant pour mari ; et, de m\u00eame, Kirk\u00e8, pleine de \nruses, m\u2019a retenu dans sa demeure, en l\u2019\u00eele aiai\u00e8, me voulant aussi \npour mari ; mais elles n\u2019ont point persuad\u00e9 mon c\u0153ur dans ma \npoitrine, tant rien n\u2019est plus doux que la patrie et les parents pour \ncelui qui, loin des siens, habite m\u00eame une riche demeure dans \nune terre \u00e9trang\u00e8re. Mais je te raconterai le retour lamentable que \nme fit Zeus \u00e0 mon d\u00e9part de Troi\u00e8.\nD\u2019Ilios le vent me poussa chez les Kik\u00f4nes, \u00e0 Ismaros. L\u00e0, je \nd\u00e9vastai la ville et j\u2019en tuai les habitants ; et les femmes et les \nabondantes d\u00e9pouilles enlev\u00e9es furent partag\u00e9es, et nul ne partit \npriv\u00e9 par moi d\u2019une part \u00e9gale. alors, j\u2019ordonnai de fuir d\u2019un pied \nrapide, mais les insens\u00e9s n\u2019ob\u00e9irent pas. Et ils buvaient beaucoup \nde vin, et ils \u00e9gorgeaient sur le rivage les brebis et les b\u0153ufs noirs \naux pieds flexibles.191\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt, pendant ce temps, des Kik\u00f4nes fugitifs avaient appel\u00e9 d\u2019autres \nKik\u00f4nes, leurs voisins, qui habitaient l\u2019int\u00e9rieur des terres. Et \nceux-ci \u00e9taient nombreux et braves, aussi habiles \u00e0 combattre sur \ndes chars qu\u2019\u00e0 pied, quand il le fallait. Et ils vinrent aussit\u00f4t, vers \nle matin, en aussi grand nombre que les feuilles et les fleurs prin -\ntani\u00e8res. alors la mauvaise destin\u00e9e de Zeus nous accabla, mal -\nheureux, afin que nous subissions mille maux. Et ils nous com -\nbattirent aupr\u00e8s de nos nefs rapides ; et des deux c\u00f4t\u00e9s nous nous \nfrappions de nos lances d\u2019airain.\nTant que dura le matin et que la lumi\u00e8re sacr\u00e9e grandit, mal -\ngr\u00e9 leur multitude, le combat fut soutenu par nous ; mais quand \nH\u00e8lios marqua le moment de d\u00e9lier les b\u0153ufs, les Kik\u00f4nes domp -\nt\u00e8rent les akhaiens, et six de mes compagnons aux belles kn\u00e8 -\nmides furent tu\u00e9s par nef, et les autres \u00e9chapp\u00e8rent \u00e0 la mort et \n\u00e0 la k\u00e8r.\nEt nous naviguions loin de l\u00e0, joyeux d\u2019avoir \u00e9vit\u00e9 la mort et \ntristes dans le c\u0153ur d\u2019avoir perdu nos chers compagnons ; et mes \nnefs arm\u00e9es d\u2019avirons des deux c\u00f4t\u00e9s ne s\u2019\u00e9loign\u00e8rent pas avant \nque nous eussions appel\u00e9 trois fois chacun de nos compagnons \ntu\u00e9s sur la plage par les Kik\u00f4nes. Et Zeus qui amasse les nu\u00e9es \nsouleva Bor\u00e9as et une grande temp\u00eate, et il enveloppa de nu\u00e9es la \nterre et la mer, et la nuit se rua de l\u2019Ouranos.192CHaNT 9\nEt les nefs \u00e9taient emport\u00e9es hors de leur route, et la force du \nvent d\u00e9chira les voiles en trois ou quatre morceaux ; et, craignant \nla mort, nous les serr\u00e2mes dans les nefs. Et celles-ci, avec de \ngrands efforts, furent tir\u00e9es sur le rivage, o\u00f9, pendant deux nuits \net deux jours, nous rest\u00e2mes gisants, accabl\u00e9s de fatigue et de \ndouleur. Mais quand \u00c9\u00f4s aux beaux cheveux amena le troisi\u00e8me \njour, ayant dress\u00e9 les m\u00e2ts et d\u00e9ploy\u00e9 les blanches voiles, nous \nnous ass\u00eemes sur les bancs, et le vent et les pilotes nous condui -\nsirent ; et je serais arriv\u00e9 sain et sauf dans la terre de la patrie, si \nla mer et le courant du cap Mal\u00e9ien et Bor\u00e9as ne m\u2019avaient port\u00e9 \npar del\u00e0 Kyth\u00e8r\u00e8.\nEt nous f\u00fbmes entra\u00een\u00e9s, pendant neuf jours, par les vents \ncontraires, sur la mer poissonneuse : mais, le dixi\u00e8me jour, nous \nabord\u00e2mes la terre des Lotophages qui se nourrissent d\u2019une fleur. \nL\u00e0, \u00e9tant mont\u00e9s sur le rivage, et ayant puis\u00e9 de l\u2019eau, mes com -\npagnons prirent leur repas aupr\u00e8s des nefs rapides. Et, alors, je \nchoisis deux de mes compagnons, et le troisi\u00e8me fut un h\u00e9raut, \net je les envoyai afin d\u2019apprendre quels \u00e9taient les hommes qui \nvivaient sur cette terre.\nEt ceux-l\u00e0, \u00e9tant partis, rencontr\u00e8rent les Lotophages, et les \nLotophages ne leur firent aucun mal, mais ils leur offrirent le \nlotos \u00e0 manger. Et d\u00e8s qu\u2019ils eurent mang\u00e9 le doux lotos, ils ne 193\nL\u2019ODYSS\u00c9Esong\u00e8rent plus ni \u00e0 leur message, ni au retour ; mais, pleins d\u2019ou -\nbli, ils voulaient rester avec les Lotophages et manger du lotos. Et, \nles reconduisant aux nefs, malgr\u00e9 leurs larmes, je les attachai sous \nles bancs des nefs creuses ; et j\u2019ordonnai \u00e0 mes chers compagnons \nde se h\u00e2ter de monter dans nos nefs rapides, de peur qu\u2019en man -\ngeant le lotos, ils oubliassent le retour.\nEt ils y mont\u00e8rent, et, s\u2019asseyant en ordre sur les bancs de rameurs, \nils frapp\u00e8rent de leurs avirons la blanche mer, et nous navigu\u00e2mes \nencore, tristes dans le c\u0153ur.\nEt nous parv\u00eenmes \u00e0 la terre des kyklopes orgueilleux et sans \nlois qui, confiants dans les dieux immortels, ne plantent point \nde leurs mains et ne labourent point. Mais, n\u2019\u00e9tant ni sem\u00e9es, ni \ncultiv\u00e9es, toutes les plantes croissent pour eux, le froment et l\u2019orge, \net les vignes qui leur donnent le vin de leurs grandes grappes que \nfont cro\u00eetre les pluies de Zeus.\nEt les agoras ne leur sont point connues, ni les coutumes ; et \nils habitent le fa\u00eete des hautes montagnes, dans de profondes \ncavernes, et chacun d\u2019eux gouverne sa femme et ses enfants, sans \nnul souci des autres.194CHaNT 9\nUne petite \u00eele est devant le port de la terre des kyklopes, ni proche, \nni \u00e9loign\u00e9e. Elle est couverte de for\u00eats o\u00f9 se multiplient les ch\u00e8vres \nsauvages. Et la pr\u00e9sence des hommes ne les a jamais effray\u00e9es, car \nles chasseurs qui supportent les douleurs dans les bois et les fati -\ngues sur le sommet des montagnes ne parcourent point cette \n\u00eele. On n\u2019y fait point pa\u00eetre de troupeaux et on n\u2019y laboure point ; \nmais elle n\u2019est ni ensemenc\u00e9e ni labour\u00e9e ; elle manque d\u2019ha -\nbitants et elle ne nourrit que des ch\u00e8vres b\u00ealantes. En effet, les \nkyklopes n\u2019ont point de nefs peintes en rouge, et ils n\u2019ont point de \nonstructeurs de nefs \u00e0 bancs de rameurs qui les portent vers les \nvilles des hommes, comme ceux-ci traversent la mer les uns vers \nles autres, afin que, sur ces nefs, ils puissent venir habiter cette \n\u00eele. Mais celle-ci n\u2019est pas st\u00e9rile, et elle produirait toutes choses \nselon les saisons. Il y a de molles prairies arros\u00e9es sur le bord de \nla blanche mer, et des vignes y cro\u00eetraient abondamment, et cette \nterre donnerait facilement des moissons, car elle est tr\u00e8s grasse. \nSon port est s\u00fbr, et on n\u2019y a besoin ni de cordes, ni d\u2019ancres jet\u00e9es, \nni de lier les c\u00e2bles ; et les marins peuvent y rester aussi long -\ntemps que leur \u00e2me le d\u00e9sire et attendre le vent. au fond du port, \nune source limpide coule sous une grotte, et l\u2019aune cro\u00eet autour.\nC\u2019est l\u00e0 que nous f\u00fbmes pouss\u00e9s, et un dieu nous y conduisit pen -\ndant une nuit obscure, car nous ne pouvions rien voir. Et un \u00e9pais \nbrouillard enveloppait les nefs, et S\u00e9l\u00e9n\u00e9 ne luisait point dans 195\nL\u2019ODYSS\u00c9El\u2019Ouranos, \u00e9tant couverte de nuages. Et aucun de nous ne vit l\u2019\u00eele \nde ses yeux, ni les grandes lames qui roulaient vers le rivage, avant \nque nos nefs aux bancs de rameurs n\u2019y eussent abord\u00e9. alors nous \nserr\u00e2mes toutes les voiles et nous descend\u00eemes sur le rivage de \nla mer, puis, nous \u00e9tant endormis, nous attend\u00eemes la divine E\u00f4s.\nQuand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, admirant \nl\u2019\u00eele, nous la parcour\u00fbmes. Et les nymphes, filles de Zeus temp\u00e9 -\ntueux, firent lever les ch\u00e8vres montagnardes, afin que mes com -\npagnons pussent faire leur repas. Et, aussit\u00f4t, on retira des nefs \nles arcs recourb\u00e9s et les lances \u00e0 longues pointes d\u2019airain, et, divi -\ns\u00e9s en trois corps, nous lan\u00e7\u00e2mes nos traits, et un dieu nous \ndonna une chasse abondante. Douze nefs me suivaient, et \u00e0 cha -\ncune le sort accorda neuf ch\u00e8vres, et dix \u00e0 la mienne. ainsi, tout \nle jour, jusqu\u2019\u00e0 la chute de H\u00e8lios, nous mange\u00e2mes, assis, les \nchairs abondantes, et nous b\u00fbmes le vin rouge ; mais il en restait \nencore dans les nombreuses amphores que nous avions enlev\u00e9es \nde la citadelle sacr\u00e9e des Kik\u00f4nes. Et nous apercevions la fum\u00e9e \nsur la terre prochaine des kyklopes, et nous entendions leur voix, \net celle des brebis et des ch\u00e8vres. Et quand H\u00e8lios tomba, la nuit \nsurvint, et nous nous endorm\u00eemes sur le rivage de la mer. Et 196CHaNT 9\nquand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, ayant convo -\nqu\u00e9 l\u2019agora, je dis \u00e0 tous mes compagnons :\n\u2013 Restez ici, mes chers compagnons. Moi, avec ma nef et mes \nrameurs, j\u2019irai voir quels sont ces hommes, s\u2019ils sont injurieux, \nsauvages et injustes, ou s\u2019ils sont hospitaliers et craignant les dieux.\nayant ainsi parl\u00e9, je montai sur ma nef et j\u2019ordonnai \u00e0 mes com -\npagnons d\u2019y monter et de d\u00e9tacher le c\u00e2ble. Et ils mont\u00e8rent, et, \nassis en ordre sur les bancs de rameurs, ils frapp\u00e8rent la blanche \nmer de leurs avirons.\nQuand nous f\u00fbmes parvenus \u00e0 cette terre prochaine, nous v\u00eemes, \n\u00e0 son extr\u00e9mit\u00e9, une haute caverne ombrag\u00e9e de lauriers, pr\u00e8s \nde la mer. Et l\u00e0, reposaient de nombreux troupeaux de brebis et \nde ch\u00e8vres. aupr\u00e8s, il y avait un enclos pav\u00e9 de pierres taill\u00e9es et \nentour\u00e9 de grands pins et de ch\u00eanes aux feuillages \u00e9lev\u00e9s. L\u00e0 habi -\ntait un homme g\u00e9ant qui, seul et loin de tous, menait pa\u00eetre ses \ntroupeaux, et ne se m\u00ealait point aux autres, mais vivait \u00e0 l\u2019\u00e9cart, \nfaisant le mal. Et c\u2019\u00e9tait un monstre prodigieux, non semblable \n\u00e0 un homme qui mange le pain, mais au faite bois\u00e9 d\u2019une haute \nmontagne, qui se dresse, seul, au milieu des autres sommets.197\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt alors j\u2019ordonnai \u00e0 mes chers compagnons de rester aupr\u00e8s de \nla nef et de la garder. Et j\u2019en choisis douze des plus braves, et je \npartis, emportant une outre de peau de ch\u00e8vre, pleine d\u2019un doux \nvin noir que m\u2019avait donn\u00e9 Maron, fils d\u2019Euanth\u00e9os, sacrificateur \nd\u2019apoll\u00f4n, et qui habitait Ismaros, parce que nous l\u2019avions \u00e9par -\ngn\u00e9 avec sa femme et ses enfants, par respect.\nEt il habitait dans le bois sacr\u00e9 de Phoibos apoll\u00f4n : il me fit de \nbeaux pr\u00e9sents, car il me donna sept talents d\u2019or bien travail -\nl\u00e9s, un krat\u00e8re d\u2019argent massif, et, dans douze amphores, un vin \ndoux, pur et divin, qui n\u2019\u00e9tait connu dans sa demeure ni de ses \nserviteurs, ni de ses servantes, mais de lui seul, de sa femme et de \nl\u2019intendante. Toutes les fois qu\u2019on buvait ce doux vin rouge, on y \nm\u00ealait, pour une coupe pleine, vingt mesures d\u2019eau, et son ar\u00f4me \nparfumait encore le krat\u00e8re, et il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 dur de s\u2019en abstenir. Et \nj\u2019emportai une grande outre pleine de ce vin, et des vivres dans \nun sac, car mon \u00e2me courageuse m\u2019excitait \u00e0 m\u2019approcher de cet \nhomme g\u00e9ant, dou\u00e9 d\u2019une grande force, sauvage, ne connaissant \nni la justice ni les lois.\nEt nous arriv\u00e2mes rapidement \u00e0 son antre, sans l\u2019y trouver, car il \npaissait ses troupeaux dans les gras p\u00e2turages ; et nous entr\u00e2mes, \nadmirant tout ce qu\u2019on voyait l\u00e0. Les claies \u00e9taient charg\u00e9es de \nfromages, et les \u00e9tables \u00e9taient pleines d\u2019agneaux et de chevreaux, 198CHaNT 9\net ceux-ci \u00e9taient renferm\u00e9s en ordre et s\u00e9par\u00e9s, les plus jeunes \nd\u2019un c\u00f4t\u00e9, et les nouveau-n\u00e9s de l\u2019autre. Et tous les vases \u00e0 traire \n\u00e9taient pleins, dans lesquels la cr\u00e8me flottait sur le petit lait. Et \nmes compagnons me suppliaient d\u2019enlever les fromages et de \nretourner, en chassant rapidement vers la nef les agneaux et les \nchevreaux hors des \u00e9tables, et de fuir sur l\u2019eau sal\u00e9e. Et je ne le \nvoulus point, et, certes, cela e\u00fbt \u00e9t\u00e9 le plus sage ; mais je d\u00e9sirais \nvoir cet homme, afin qu\u2019il me fit les pr\u00e9sents hospitaliers. Bient\u00f4t \nsa vue ne devait pas \u00eatre agr\u00e9able \u00e0 mes compagnons.\nalors, ranimant le feu et mangeant les fromages, nous l\u2019atten -\nd\u00eemes, assis. Et il revint du p\u00e2turage, et il portait un vaste mon -\nceau de bois sec, afin de pr\u00e9parer son repas, et il le jeta \u00e0 l\u2019entr\u00e9e \nde la caverne, avec retentissement. Et nous nous cach\u00e2mes, \u00e9pou -\nvant\u00e9s, dans le fond de l\u2019antre. Et il poussa dans la caverne large \ntous ceux de ses gras troupeaux qu\u2019il devait traire, laissant dehors \nles m\u00e2les, b\u00e9liers et boucs, dans le haut enclos. Puis, soulevant un \n\u00e9norme bloc de pierre, si lourd que vingt-deux chars solides, \u00e0 \nquatre roues, n\u2019auraient pu le remuer, il le mit en place. Telle \u00e9tait \nla pierre immense qu\u2019il pla\u00e7a contre la porte. Puis, s\u2019asseyant, il \ncommen\u00e7a de traire les brebis et les ch\u00e8vres b\u00ealantes, comme il \nconvenait, et il mit les petits sous chacune d\u2019elles. Et il fit cailler \naussit\u00f4t la moiti\u00e9 du lait blanc qu\u2019il d\u00e9posa dans des corbeilles \ntress\u00e9es, et il versa l\u2019autre moiti\u00e9 dans les vases, afin de la boire 199\nL\u2019ODYSS\u00c9Een mangeant et qu\u2019elle lui serv\u00eet pendant son repas. Et quand il \neut achev\u00e9 tout ce travail \u00e0 la h\u00e2te, il alluma le feu, nous aper\u00e7ut \net nous dit :\n\u2013 \u00d4 \u00e9trangers, qui \u00eates-vous ? D\u2019o\u00f9 venez-vous sur la mer ? Est-ce \npour un trafic, ou errez-vous sans but, comme des pirates qui \nvagabondent sur la mer, exposant leurs \u00e2mes au danger et por -\ntant les calamit\u00e9s aux autres hommes ?\nIl parla ainsi, et notre cher c\u0153ur fut \u00e9pouvant\u00e9 au son de la voix \ndu monstre et \u00e0 sa vue. Mais, lui r\u00e9pondant ainsi, je dis :\n\u2013 Nous sommes des akhaiens venus de Troi\u00e8, et nous errons \nentra\u00een\u00e9s par tous les vents sur les vastes flots de la mer, cher -\nchant notre demeure par des routes et des chemins inconnus. \nainsi Zeus l\u2019a voulu. Et nous nous glorifions d\u2019\u00eatre les guerriers \nde l\u2019a tr\u00e9ide agamemn\u00f4n, dont la gloire, certes, est la plus grande \nsous l\u2019Ouranos. En effet, il a renvers\u00e9 une vaste ville et dompt\u00e9 \ndes peuples nombreux. Et nous nous prosternons, en suppliants, \u00e0 \ntes genoux, pour que tu nous sois hospitalier, et que tu nous fasses \nles pr\u00e9sents qu\u2019on a coutume de faire \u00e0 des h\u00f4tes. \u00d4 excellent, res -\npecte les dieux, car nous sommes tes suppliants, et Zeus est le ven -\ngeur des suppliants et des \u00e9trangers dignes d\u2019\u00eatre re\u00e7us comme \ndes h\u00f4tes v\u00e9n\u00e9rables.200CHaNT 9\nJe parlai ainsi, et il me r\u00e9pondit avec un c\u0153ur farouche :\n\u2013 Tu es insens\u00e9, \u00f4 \u00e9tranger, et tu viens de loin, toi qui m\u2019ordonnes \nde craindre les Dieux et de me soumettre \u00e0 eux. Les kyklopes ne \nse soucient point de Zeus temp\u00e9tueux, ni des dieux heureux, car \nnous sommes plus forts qu\u2019eux. Pour \u00e9viter la col\u00e8re de Zeus, je \nn\u2019\u00e9pargnerai ni toi, ni tes compagnons, \u00e0 moins que mon \u00e2me ne \nme l\u2019ordonne. Mais dis-moi o\u00f9 tu as laiss\u00e9, pour venir ici, ta nef \nbien construite. Est-ce loin ou pr\u00e8s ? que je le sache.\nIl parla ainsi, me tentant ; mais il ne put me tromper, car je savais \nbeaucoup de choses, et je lui r\u00e9pondis ces paroles rus\u00e9es :\n\u2013 Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre a bris\u00e9 ma nef pouss\u00e9e contre les \nrochers d\u2019un promontoire \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de votre terre, et le vent l\u2019a \njet\u00e9e hors de la mer et, avec ceux-ci, j\u2019ai \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la mort.\nJe parlai ainsi, et, dans son c\u0153ur farouche, il ne me r\u00e9pondit rien ; \nmais, en se ruant, il \u00e9tendit les mains sur mes compagnons, et il \nen saisit deux et les \u00e9crasa contre terre comme des petits chiens. \nEt leur cervelle jaillit et coula sur la terre. Et, les coupant membre \n\u00e0 membre, il pr\u00e9para son repas. Et il les d\u00e9vora comme un lion \nmontagnard, et il ne laissa ni leurs entrailles, ni leurs chairs, ni \nleurs os pleins de moelle. Et nous, en g\u00e9missant, nous levions nos 201\nL\u2019ODYSS\u00c9Emains vers Zeus, en face de cette chose affreuse, et le d\u00e9sespoir \nenvahit notre \u00e2me.\nQuand le kykl\u00f4ps eut empli son vaste ventre en mangeant les \nchairs humaines et en buvant du lait sans mesure, il s\u2019endormit \n\u00e9tendu au milieu de l\u2019antre, parmi ses troupeaux. Et je voulus, \ndans mon c\u0153ur magnanime, tirant mon \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb de la gaine \net me jetant sur lui, le frapper \u00e0 la poitrine, l\u00e0 o\u00f9 les entrailles \nentourent le foie ; mais une autre pens\u00e9e me retint. En effet, nous \naurions p\u00e9ri de m\u00eame d\u2019une mort affreuse, car nous n\u2019aurions \npu mouvoir de nos mains le lourd rocher qu\u2019il avait plac\u00e9 devant \nla haute entr\u00e9e. C\u2019est pourquoi nous attend\u00eemes en g\u00e9missant la \ndivine \u00c9\u00f4s.\nQuand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, il alluma le \nfeu et se mit \u00e0 traire ses illustres troupeaux.\nEt il pla\u00e7a les petits sous leurs m\u00e8res. Puis, ayant achev\u00e9 tout ce \ntravail \u00e0 la h\u00e2te, il saisit de nouveau deux de mes compagnons et \npr\u00e9para son repas. Et d\u00e8s qu\u2019il eut mang\u00e9, \u00e9cartant sans peine la \ngrande pierre, il poussa hors de l\u2019antre ses gras troupeaux. Et il \nremit le rocher en place, comme le couvercle d\u2019un carquois. Et il \nmena avec beaucoup de bruit ses gras troupeaux sur la montagne.202CHaNT 9\nEt je restai, m\u00e9ditant une action terrible et cherchant comment je \nme vengerais et comment ath\u00e8n\u00e8 exaucerait mon v\u0153u. Et ce des -\nsein me sembla le meilleur dans mon esprit. La grande massue \ndu kykl\u00f4ps gisait au milieu de l\u2019enclos, un olivier vert qu\u2019il avait \ncoup\u00e9 afin de s\u2019y appuyer quand il serait sec. Et ce tronc nous \nsemblait tel qu\u2019un m\u00e2t de nef de charge \u00e0 vingt avirons qui fend \nles vastes flots. Telles \u00e9taient sa longueur et son \u00e9paisseur. J\u2019en \ncoupai environ une brasse que je donnai \u00e0 mes compagnons, leur \nordonnant de l\u2019\u00e9quarrir. Et ils l\u2019\u00e9quarrirent, et je taillai le bout de \nl\u2019\u00e9pieu en pointe, et je le passai dans le feu ardent pour le durcir ; \npuis je le cachai sous le fumier qui \u00e9tait abondamment r\u00e9pandu \ndans toute la caverne, et j\u2019ordonnai \u00e0 mes compagnons de tirer \nau sort ceux qui le soul\u00e8veraient avec moi pour l\u2019enfoncer dans \nl\u2019oeil du kykl\u00f4ps quand le doux sommeil l\u2019aurait saisi. Ils tir\u00e8rent \nau sort, qui marqua ceux m\u00eames que j\u2019aurais voulu prendre. Et \nils \u00e9taient quatre, et j\u2019\u00e9tais le cinqui\u00e8me, car ils m\u2019avaient choisi.\nLe soir, le kykl\u00f4ps revint, ramenant ses troupeaux du p\u00e2turage ; \net, aussit\u00f4t, il les poussa tous dans la vaste caverne et il n\u2019en laissa \nrien dans l\u2019enclos, soit par d\u00e9fiance, soit qu\u2019un dieu le voul\u00fbt ainsi. \nPuis, il pla\u00e7a l\u2019\u00e9norme pierre devant l\u2019entr\u00e9e, et, s\u2019\u00e9tant assis, il se \nmit \u00e0 traire les brebis et les ch\u00e8vres b\u00ealantes. Puis, il mit les petits \nsous leurs m\u00e8res. ayant achev\u00e9 tout ce travail \u00e0 la h\u00e2te, il saisit de \nnouveau deux de mes compagnons et pr\u00e9para son repas. alors, 203\nL\u2019ODYSS\u00c9Etenant dans mes mains une coupe de vin noir, je m\u2019approchai du \nkykl\u00f4ps et je lui dis :\n\u2013 Kykl\u00f4ps, prends et bois ce vin apr\u00e8s avoir mang\u00e9 des chairs \nhumaines, afin de savoir quel breuvage renfermait notre nef. \nJe t\u2019en rapporterais de nouveau, si, me prenant en piti\u00e9, tu me \nrenvoyais dans ma demeure : mais tu es furieux comme on ne \npeut l\u2019\u00eatre davantage. Insens\u00e9 ! Comment un seul des hommes \ninnombrables pourra-t-il t\u2019approcher d\u00e9sormais, puisque tu \nmanques d\u2019\u00e9quit\u00e9 ?\nJe parlai ainsi, et il prit et but plein de joie ; puis, ayant bu le doux \nbreuvage, il m\u2019en demanda de nouveau :\n\u2013 Donne-m\u2019en encore, cher, et dis-moi promptement ton nom, \nafin que je te fasse un pr\u00e9sent hospitalier dont tu te r\u00e9jouisses. La \nterre f\u00e9conde rapporte aussi aux kyklopes un vin g\u00e9n\u00e9reux, et les \npluies de Zeus font cro\u00eetre nos vignes ; mais celui-ci est fait de \nnektar et d\u2019ambroisie.\nIl parla ainsi, et de nouveau je lui donnai ce vin ardent. Et je lui \nen offris trois fois, et trois fois il le but dans sa d\u00e9mence. Mais 204CHaNT 9\nd\u00e8s que le vin eut troubl\u00e9 son esprit, alors je lui parlai ainsi en \nparoles flatteuses :\n\u2013 Kykl\u00f4ps, tu me demandes mon nom illustre. Je te le dirai, et tu \nme feras le pr\u00e9sent hospitalier que tu m\u2019as promis. Mon nom est \nPersonne. Mon p\u00e8re et ma m\u00e8re et tous mes compagnons me \nnomment Personne.\nJe parlai ainsi, et, dans son \u00e2me farouche, il me r\u00e9pondit :\n\u2013 Je mangerai Personne apr\u00e8s tous ses compagnons, tous les autres \navant lui. Ceci sera le pr\u00e9sent hospitalier que je te ferai.\nIl parla ainsi, et il tomba \u00e0 la renverse, et il gisait, courbant son \ncou monstrueux, et le sommeil qui dompte tout le saisit, et de \nsa gorge jaillirent le vin et des morceaux de chair humaine ; et il \nvomissait ainsi, plein de vin. aussit\u00f4t je mis l\u2019\u00e9pieu sous la cendre, \npour l\u2019\u00e9chauffer ; et je rassurai mes compagnons, afin qu\u2019\u00e9pou -\nvant\u00e9s, ils ne m\u2019abandonnassent pas. Puis, comme l\u2019\u00e9pieu d\u2019olivier, \nbien que vert, allait s\u2019enflammer dans le feu, car il br\u00fblait violem -\nment, alors je le retirai du feu. Et mes compagnons \u00e9taient autour \nde moi, et un daim\u00f4n nous inspira un grand courage.205\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant saisi l\u2019\u00e9pieu d\u2019olivier aigu par le bout, ils l\u2019enfonc\u00e8rent dans \nl\u2019oeil du kykl\u00f4ps, et moi, appuyant dessus, je le tournais, comme \nun constructeur de nefs troue le bois avec une tari\u00e8re, tandis \nque ses compagnons la fixent des deux c\u00f4t\u00e9s avec une cour -\nroie, et qu\u2019elle tourne sans s\u2019arr\u00eater. ainsi nous tournions l\u2019\u00e9pieu \nenflamm\u00e9 dans son oeil. Et le sang chaud en jaillissait, et la vapeur \nde la pupille ardente br\u00fbla ses paupi\u00e8res et son sourcil ; et les \nracines de l\u2019oeil fr\u00e9missaient, comme lorsqu\u2019un forgeron plonge \nune grande hache ou une doloire dans l\u2019eau froide, et qu\u2019elle crie, \nstridente, ce qui donne la force au fer. ainsi son oeil faisait un \nbruit strident autour de l\u2019\u00e9pieu d\u2019olivier. Et il hurla horriblement, \net les rochers en retentirent. Et nous nous enfu\u00eemes \u00e9pouvan -\nt\u00e9s. Et il arracha de son oeil l\u2019\u00e9pieu souill\u00e9 de beaucoup de sang, \net, plein de douleur, il le rejeta. alors, \u00e0 haute voix, il appela les \nkyklopes qui habitaient autour de lui les cavernes des promon -\ntoires battus des vents. Et, entendant sa voix, ils accoururent de \ntous c\u00f4t\u00e9s, et, debout autour de l\u2019antre, ils lui demandaient pour -\nquoi il se plaignait :\n\u2013 Pourquoi, Polyph\u00e8mos, pousses-tu de telles clameurs dans la \nnuit divine et nous r\u00e9veilles-tu ? Souffres-tu ? Quelque mortel \na-t-il enlev\u00e9 tes brebis ? Quelqu\u2019un veut-il te tuer par force ou \npar ruse ?206CHaNT 9\nEt le robuste Polyph\u00e8mos leur r\u00e9pondit du fond de son antre :\n\u2013 \u00d4 amis, qui me tue par ruse et non par force ? Personne.\nEt ils lui r\u00e9pondirent en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Certes, nul ne peut te faire violence, puisque tu es seul. On ne \npeut \u00e9chapper aux maux qu\u2019envoie le grand Zeus. Supplie ton \np\u00e8re, le roi Poseida\u00f4n.\nIls parl\u00e8rent ainsi et s\u2019en all\u00e8rent. Et mon cher c\u0153ur rit, parce que \nmon nom les avait tromp\u00e9s, ainsi que ma ruse irr\u00e9prochable.\nMais le kykl\u00f4ps, g\u00e9missant et plein de douleurs, t\u00e2tant avec les \nmains, enleva le rocher de la porte, et, s\u2019asseyant l\u00e0, \u00e9tendit les \nbras, afin de saisir ceux de nous qui voudraient sortir avec les \nbrebis. Il pensait, certes, que j\u2019\u00e9tais insens\u00e9. aussit\u00f4t, je songeai \u00e0 \nce qu\u2019il y avait de mieux \u00e0 faire pour sauver mes compagnons et \nmoi-m\u00eame de la mort. Et je m\u00e9ditai ces ruses et ce dessein, car il \ns\u2019agissait de la vie, et un grand danger nous mena\u00e7ait. Et ce des -\nsein me parut le meilleur dans mon esprit.\nLes m\u00e2les des brebis \u00e9taient forts et laineux, beaux et grands, et ils \navaient une laine de couleur violette. Je les attachai par trois avec 207\nL\u2019ODYSS\u00c9El\u2019osier tordu sur lequel dormait le kykl\u00f4ps monstrueux et f\u00e9roce. \nCelui du milieu portait un homme, et les deux autres, de chaque \nc\u00f4t\u00e9, cachaient mes compagnons.\nEt il y avait un b\u00e9lier, le plus grand de tous. J\u2019embrassai son dos, \nsuspendu sous son ventre, et je saisis fortement de mes mains sa \nlaine tr\u00e8s \u00e9paisse, dans un esprit patient. Et c\u2019est ainsi qu\u2019en g\u00e9mis -\nsant nous attend\u00eemes la divine \u00c9\u00f4s.\nEt quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, alors \nle kykl\u00f4ps poussa les m\u00e2les des troupeaux au p\u00e2turage. Et les \nfemelles b\u00ealaient dans les \u00e9tables, car il n\u2019avait pu les traire et \nleurs mamelles \u00e9taient lourdes. Et lui, accabl\u00e9 de douleurs, t\u00e2tait \nle dos de tous les b\u00e9liers qui passaient devant lui, et l\u2019insens\u00e9 ne \ns\u2019apercevait point que mes compagnons \u00e9taient li\u00e9s sous le ventre \ndes b\u00e9liers laineux. Et celui qui me portait dans sa laine \u00e9paisse, \nalourdi, sortit le dernier, tandis que je roulais mille pens\u00e9es. Et le \nrobuste Polyph\u00e8mos, le t\u00e2tant, lui dit :\n\u2013 B\u00e9lier paresseux, pourquoi sors-tu le dernier de tous de mon \nantre ? auparavant, jamais tu ne restais derri\u00e8re les autres, mais, \nle premier, tu paissais les tendres fleurs de l\u2019herbe, et, le premier, \nmarchant avec fiert\u00e9, tu arrivais au cours des fleuves, et, le pre -\nmier, le soir, tu rentrais \u00e0 l\u2019enclos. Maintenant, te voici le dernier. 208CHaNT 9\nRegrettes-tu l\u2019oeil de ton ma\u00eetre qu\u2019un m\u00e9chant homme a arra -\nch\u00e9, \u00e0 l\u2019aide de ses mis\u00e9rables compagnons, apr\u00e8s m\u2019avoir dompt\u00e9 \nl\u2019\u00e2me par le vin, Personne, qui n\u2019\u00e9chappera pas, je pense, \u00e0 la \nmort ? Pl\u00fbt aux dieux que tu pusses entendre, parler, et me dire \no\u00f9 il se d\u00e9robe \u00e0 ma force ! aussit\u00f4t sa cervelle \u00e9cras\u00e9e coulerait \n\u00e7\u00e0 et l\u00e0 dans la caverne, et mon c\u0153ur se consolerait des maux que \nm\u2019a faits ce mis\u00e9rable Personne !\nayant ainsi parl\u00e9, il laissa sortir le b\u00e9lier. \u00c0 peine \u00e9loign\u00e9s de peu \nd\u2019espace de l\u2019antre et de l\u2019enclos, je quittai le premier le b\u00e9lier et \nje d\u00e9tachai mes compagnons. Et nous pouss\u00e2mes promptement \nhors de leur chemin les troupeaux charg\u00e9s de graisse, jusqu\u2019\u00e0 ce \nque nous fussions arriv\u00e9s \u00e0 notre nef. Et nos chers compagnons \nnous revirent, nous du moins qui avions \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la mort, et \nils nous regrettaient ; aussi ils g\u00e9missaient, et ils pleuraient les \nautres. Mais, par un froncement de sourcils, je leur d\u00e9fendis de \npleurer, et j\u2019ordonnai de pousser promptement les troupeaux lai -\nneux dans la nef, et de fendre l\u2019eau sal\u00e9e. Et aussit\u00f4t ils s\u2019embar -\nqu\u00e8rent, et, s\u2019asseyant en ordre sur les bancs de rameurs, ils frap -\np\u00e8rent la blanche mer de leurs avirons. Mais quand nous f\u00fbmes 209\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u00e9loign\u00e9s de la distance o\u00f9 porte la voix, alors je dis au kykl\u00f4ps ces \nparoles outrageantes :\n\u2013 Kykl\u00f4ps, tu n\u2019as pas mang\u00e9 dans ta caverne creuse, avec une \ngrande violence, les compagnons d\u2019un homme sans courage, et le \nch\u00e2timent devait te frapper, malheureux ! toi qui n\u2019as pas craint \nde manger tes h\u00f4tes dans ta demeure. C\u2019est pourquoi Zeus et les \nautres dieux t\u2019ont ch\u00e2ti\u00e9.\nJe parlai ainsi, et il entra aussit\u00f4t dans une plus violente fureur, \net, arrachant la cime d\u2019une grande montagne, il la lan\u00e7a. Et elle \ntomba devant notre nef \u00e0 noire proue, et l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la poupe \nmanqua \u00eatre bris\u00e9e, et la mer nous inonda sous la chute de ce \nrocher qui la fit refluer vers le rivage, et le flot nous remporta \njusqu\u2019\u00e0 toucher le bord.\nMais, saisissant un long pieu, je repoussai la nef du rivage, et, \nd\u2019un signe de t\u00eate, j\u2019ordonnai \u00e0 mes compagnons d\u2019agiter les avi -\nrons afin d\u2019\u00e9chapper \u00e0 la mort, et ils se courb\u00e8rent sur les avirons. \nQuand nous nous f\u00fbmes une seconde fois \u00e9loign\u00e9s \u00e0 la m\u00eame 210CHaNT 9\ndistance, je voulus encore parler au kykl\u00f4ps, et tous mes compa -\ngnons s\u2019y opposaient par des paroles suppliantes :\n\u2013 Malheureux ! pourquoi veux-tu irriter cet homme sauvage ? \nD\u00e9j\u00e0, en jetant ce rocher dans la mer, il a ramen\u00e9 notre nef contre \nterre, o\u00f9, certes, nous devions p\u00e9rir ; et s\u2019il entend tes paroles ou \nle son de ta voix, il pourra briser nos t\u00eates et notre nef sous un \nautre rocher qu\u2019il lancera, tant sa force est grande.\nIls parlaient ainsi, mais ils ne persuad\u00e8rent point mon c\u0153ur \nmagnanime, et je lui parlai de nouveau injurieusement :\n\u2013 Kykl\u00f4ps, si quelqu\u2019un parmi les hommes mortels t\u2019interroge \nsur la perte honteuse de ton oeil, dis-lui qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 arrach\u00e9 par le \nd\u00e9vastateur de citadelles Odysseus, fils de Laert\u00e8s, et qui habite \ndans Ithak\u00e8.\nJe parlai ainsi, et il me r\u00e9pondit en g\u00e9missant :\n\u2013 \u00d4 dieux ! voici que les anciennes pr\u00e9dictions qu\u2019on m\u2019a faites \nse sont accomplies. Il y avait ici un excellent et grand divinateur, \nT\u00e8l\u00e9mos Eurymide, qui l\u2019emportait sur tous dans la divination, et \nqui vieillit en proph\u00e9tisant au milieu des kyklopes.211\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt il me dit que toutes ces choses s\u2019accompliraient qui me sont \narriv\u00e9es, et que je serais priv\u00e9 de la vue par Odysseus. Et je pen -\nsais que ce serait un homme grand et beau qui viendrait ici, \nrev\u00eatu d\u2019une immense force. Et c\u2019est un homme de rien, petit et \nsans courage, qui m\u2019a priv\u00e9 de mon oeil apr\u00e8s m\u2019avoir dompt\u00e9 \navec du vin ! Viens ici, Odysseus, afin que je te fasse les pr\u00e9sents \nde l\u2019hospitalit\u00e9. Je demanderai \u00e0 l\u2019illustre qui \u00e9branle la terre de \nte reconduire. Je suis son fils, et il se glorifie d\u2019\u00eatre mon p\u00e8re, et il \nme gu\u00e9rira, s\u2019il le veut, et non quelque autre des dieux immortels \nou des hommes mortels.\nIl parla ainsi et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 Pl\u00fbt aux dieux que je t\u2019eusse arrach\u00e9 l\u2019\u00e2me et la vie, et envoy\u00e9 \ndans la demeure d\u2019a id\u00e8s aussi s\u00fbrement que celui qui \u00e9branle la \nterre ne gu\u00e9rira point ton oeil.\nJe parlais ainsi, et, aussit\u00f4t, il supplia le roi Poseida\u00f4n, en \u00e9tendant \nles mains vers l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9 :\n\u2013 Entends-moi, Poseida\u00f4n aux cheveux bleus, qui contiens la \nterre ! Si je suis ton fils, et si tu te glorifies d\u2019\u00eatre mon p\u00e8re, fais \nque le d\u00e9vastateur de citadelles, Odysseus, fils de Laert\u00e8s, et qui \nhabite dans Ithak\u00e8, ne retourne jamais dans sa patrie. Mais si sa 212CHaNT 9\ndestin\u00e9e est de revoir ses amis et de rentrer dans sa demeure bien \nconstruite et dans la terre de sa patrie, qu\u2019il n\u2019y parvienne que tar -\ndivement, apr\u00e8s avoir perdu tous ses compagnons, et sur une nef \n\u00e9trang\u00e8re, et qu\u2019il souffre encore en arrivant dans sa demeure !\nIl pria ainsi, et l\u2019illustre aux cheveux bleus l\u2019entendit.\nPuis, il souleva un plus lourd rocher, et, le faisant tourner, il le jeta \navec une immense force. Et il tomba \u00e0 l\u2019arri\u00e8re de la nef \u00e0 proue \nbleue, manquant d\u2019atteindre l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du gouvernail, et la mer \nse souleva sous le coup ; mais le flot, cette fois, emporta la nef et \nla poussa vers l\u2019\u00eele ; et nous parv\u00eenmes bient\u00f4t l\u00e0 o\u00f9 \u00e9taient les \nautres nefs \u00e0 bancs de rameurs. Et nos compagnons y \u00e9taient assis, \npleurant et nous attendant toujours. ayant abord\u00e9, nous tir\u00e2mes \nla nef sur le sable et nous descend\u00eemes sur le rivage de la mer.\nEt nous partage\u00e2mes les troupeaux du kykl\u00f4ps, apr\u00e8s les avoir \nretir\u00e9s de la nef creuse, et nul ne fut priv\u00e9 d\u2019une part \u00e9gale. Et \nmes compagnons me donn\u00e8rent le b\u00e9lier, outre ma part, et apr\u00e8s \nle partage. Et, l\u2019ayant sacrifi\u00e9 sur le rivage \u00e0 Zeus Kronide qui \namasse les noires nu\u00e9es et qui commande \u00e0 tous, je br\u00fblai ses \ncuisses. Mais Zeus ne re\u00e7ut point mon sacrifice ; mais, plut\u00f4t, il \nsongeait \u00e0 perdre toutes mes nefs \u00e0 bancs de rameurs et tous mes \nchers compagnons.213\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt nous nous repos\u00e2mes l\u00e0, tout le jour, jusqu\u2019\u00e0 la chute de H\u00e8lios, \nmangeant les chairs abondantes et buvant le doux vin. Et quand \nH\u00e8lios tomba et que les ombres survinrent, nous dorm\u00eemes sur \nle rivage de la mer.\nEt quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, je comman -\ndai \u00e0 mes compagnons de s\u2019embarquer et de d\u00e9tacher les c\u00e2bles.\nEt, aussit\u00f4t, ils s\u2019embarqu\u00e8rent, et, s\u2019asseyant en ordre sur les \nbancs, ils frapp\u00e8rent la blanche mer de leurs avirons. Et, de l\u00e0, \nnous navigu\u00e2mes, tristes dans le c\u0153ur, bien que joyeux d\u2019avoir \n\u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la mort, car nous avions perdu nos chers compagnons.214CHaNT 9215\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 10\nEt nous arriv\u00e2mes \u00e0 l\u2019\u00eele aioli\u00e8, o\u00f9 habitait aiolos Hippotade cher \naux dieux immortels. Et un mur d\u2019airain qu\u2019on ne peut rompre \nentourait l\u2019\u00eele enti\u00e8re, et une roche escarp\u00e9e la bordait de toute \npart. Douze enfants \u00e9taient n\u00e9s dans la maison royale d\u2019a iolos : \nsix filles et six fils pleins de jeunesse. Et il unit ses filles \u00e0 ses fils \nafin qu\u2019elles fussent les femmes de ceux-ci, et tous prenaient leur \nrepas aupr\u00e8s de leur p\u00e8re bien-aim\u00e9 et de leur m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable, et \nde nombreux mets \u00e9taient plac\u00e9s devant eux. Pendant le jour, la \nmaison et la cour retentissaient, parfum\u00e9es ; et, pendant la nuit \ntous dormaient aupr\u00e8s de leurs femmes chastes, sur des tapis et \nsur des lits sculpt\u00e9s.\nEt nous entr\u00e2mes dans la ville et dans les belles demeures. Et \ntout un mois aiolos m\u2019accueillit, et il m\u2019interrogeait sur Ilios, \nsur les nefs des argiens et sur le retour des akhaiens. Et je lui \nracontai toutes ces choses comme il convenait. Et quand je lui \ndemandai de me laisser partir et de me renvoyer, il ne me refusa \npoint et il pr\u00e9para mon retour. Et il me donna une outre, faite \nde la peau d\u2019un b\u0153uf de neuf ans, dans laquelle il enferma le \nsouffle des vents temp\u00e9tueux ; car le Kroni\u00f4n l\u2019avait fait le ma\u00eetre 216CHaNT 10\ndes vents, et lui avait donn\u00e9 de les soulever ou de les apaiser, \nselon sa volont\u00e9. Et, avec un splendide c\u00e2ble d\u2019argent, il l\u2019atta -\ncha dans ma nef creuse, afin qu\u2019il n\u2019en sort\u00eet aucun souffle. Puis \nil envoya le seul Z\u00e9phyros pour nous emporter, les nefs et nous. \nMais ceci ne devait point s\u2019accomplir, car nous devions p\u00e9rir par \nnotre d\u00e9mence.\nEt, sans rel\u00e2che, nous navigu\u00e2mes pendant neuf jours et neuf \nnuits, et au dixi\u00e8me jour la terre de la patrie apparaissait d\u00e9j\u00e0, et \nnous apercevions les feux des habitants. Et, dans ma fatigue, le \ndoux sommeil me saisit. Et j\u2019avais toujours tenu le gouvernail de \nla nef, ne l\u2019ayant c\u00e9d\u00e9 \u00e0 aucun de mes compagnons, afin d\u2019arriver \npromptement dans la terre de la patrie. Et mes compagnons par -\nl\u00e8rent entre eux, me soup\u00e7onnant d\u2019emporter dans ma demeure \nde l\u2019or et de l\u2019argent, pr\u00e9sents du magnanime aiolos Hippotade. \nEt ils se disaient entre eux :\n\u2013 Dieux ! combien Odysseus est aim\u00e9 de tous les hommes et tr\u00e8s \nhonor\u00e9 de tous ceux dont il aborde la ville et la terre ! Il a emport\u00e9 \nde Troi\u00e8, pour sa part du butin, beaucoup de choses belles et pr\u00e9 -\ncieuses, et nous rentrons dans nos demeures, les mains vides, \napr\u00e8s avoir fait tout ce qu\u2019il a fait. Et voici que, par amiti\u00e9, aiolos \nl\u2019a combl\u00e9 de pr\u00e9sents ! Mais voyons \u00e0 la h\u00e2te ce qu\u2019il y a dans \ncette outre, et combien d\u2019or et d\u2019argent on y a renferm\u00e9.217\nL\u2019ODYSS\u00c9EIls parlaient ainsi, et leur mauvais dessein l\u2019emporta. Ils ouvrirent \nl\u2019outre, et tous les vents en jaillirent. Et aussit\u00f4t la temp\u00eate furieuse \nnous emporta sur la mer, pleurants, loin de la terre de la patrie. \nEt, m\u2019\u00e9tant r\u00e9veill\u00e9, je d\u00e9lib\u00e9rai dans mon c\u0153ur irr\u00e9prochable si \nje devais p\u00e9rir en me jetant de ma nef dans la mer, ou si, restant \nparmi les vivants, je souffrirais en silence. Je restai et supportai \nmes maux. Et je gisais cach\u00e9 dans le fond de ma nef, tandis que \ntous \u00e9taient de nouveau emport\u00e9s par les tourbillons du vent vers \nl\u2019\u00eele aioli\u00e8. Et mes compagnons g\u00e9missaient.\n\u00c9tant descendus sur le rivage, nous puis\u00e2mes de l\u2019eau, et mes \ncompagnons prirent aussit\u00f4t leur repas aupr\u00e8s des nefs rapides. \napr\u00e8s avoir mang\u00e9 et bu, je choisis un h\u00e9raut et un autre com -\npagnon, et je me rendis aux illustres demeures d\u2019a iolos. Et je le \ntrouvai faisant son repas avec sa femme et ses enfants. Et, en arri -\nvant, nous nous ass\u00eemes sur le seuil de la porte. Et tous \u00e9taient \nstup\u00e9faits et ils m\u2019interrog\u00e8rent :\n\u2013 Pourquoi es-tu revenu, Odysseus ? Quel daim\u00f4n t\u2019a port\u00e9 mal -\nheur ? N\u2019avions-nous pas assur\u00e9 ton retour, afin que tu parvinsses \ndans la terre de ta patrie, dans tes demeures, l\u00e0 o\u00f9 il te plai -\nsait d\u2019arriver ?218CHaNT 10\nIls parlaient ainsi, et je r\u00e9pondis, triste dans le c\u0153ur :\n\u2013 Mes mauvais compagnons m\u2019ont perdu, et, avant eux, le sommeil \nfuneste. Mais venez \u00e0 mon aide, amis, car vous en avez le pouvoir.\nJe parlai ainsi, t\u00e2chant de les apaiser par des paroles flatteuses ; \nmais ils rest\u00e8rent muets, et leur p\u00e8re me r\u00e9pondit :\n\u2013 Sors promptement de cette \u00eele, \u00f4 le pire des vivants ! Il ne m\u2019est \npoint permis de recueillir ni de reconduire un homme qui est \nodieux aux dieux heureux. Va ! car, certes, si tu es revenu, c\u2019est que \ntu es odieux aux dieux heureux.\nIl parla ainsi, et il me chassa de ses demeures tandis que je soupi -\nrais profond\u00e9ment.\nEt nous naviguions de l\u00e0, tristes dans le c\u0153ur ; et l\u2019\u00e2me de mes \ncompagnons \u00e9tait accabl\u00e9e par la fatigue cruelle des avirons, \ncar le retour ne nous semblait plus possible, \u00e0 cause de notre \nd\u00e9mence. Et nous navigu\u00e2mes ainsi six jours et six nuits. Et, le \nsepti\u00e8me jour, nous arriv\u00e2mes \u00e0 la haute ville de Lamos, dans \nla Laistrygoni\u00e8 T\u00e9l\u00e9pyle. L\u00e0, le pasteur qui rentre appelle le pas -\nteur qui sort en l\u2019entendant. L\u00e0, le pasteur qui ne dort pas gagne \nun salaire double, en menant pa\u00eetre les b\u0153ufs d\u2019abord, et, ensuite, 219\nL\u2019ODYSS\u00c9Eles troupeaux aux blanches laines, tant les chemins du jour sont \nproches des chemins de la nuit.\nEt nous abord\u00e2mes le port illustre entour\u00e9 d\u2019un haut rocher. Et, \ndes deux c\u00f4t\u00e9s, les rivages escarp\u00e9s se rencontraient, ne laissant \nqu\u2019une entr\u00e9e \u00e9troite. Et mes compagnons conduisirent l\u00e0 toutes \nles nefs \u00e9gales, et ils les amarr\u00e8rent, les unes aupr\u00e8s des autres, au \nfond du port, o\u00f9 jamais le flot ne se soulevait, ni peu, ni beaucoup, \net o\u00f9 il y avait une constante tranquillit\u00e9. Et, moi seul, je retins ma \nnef noire en dehors, et je l\u2019amarrai aux pointes du rocher. Puis, je \nmontai sur le fa\u00eete des \u00e9cueils, et je ne vis ni les travaux des b\u0153ufs, \nni ceux des hommes, et je ne vis que de la fum\u00e9e qui s\u2019\u00e9levait de \nterre. alors, je choisis deux de mes compagnons et un h\u00e9raut, et \nje les envoyai pour savoir quels hommes nourris de pain habi -\ntaient cette terre.\nEt ils partirent, prenant un large chemin par o\u00f9 les chars por -\ntaient \u00e0 la ville le bois des hautes montagnes.\nEt ils rencontr\u00e8rent devant la ville, allant chercher de l\u2019eau, une \njeune vierge, fille du robuste Laistryg\u00f4n antiphat\u00e8s. Et elle des -\ncendait \u00e0 la fontaine limpide d\u2019a rtaki\u00e8. Et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019on puisait de \nl\u2019eau pour la ville. S\u2019approchant d\u2019elle, ils lui demand\u00e8rent quel \n\u00e9tait le roi qui commandait \u00e0 ces peuples ; et elle leur montra 220CHaNT 10\naussit\u00f4t la haute demeure de son p\u00e8re. \u00c9tant entr\u00e9s dans l\u2019illustre \ndemeure, ils y trouv\u00e8rent une femme haute comme une montagne, \net ils en furent \u00e9pouvant\u00e9s. Mais elle appela aussit\u00f4t de l\u2019agora l\u2019il -\nlustre antiphat\u00e8s son mari, qui leur pr\u00e9para une lugubre destin\u00e9e, \ncar il saisit un de mes compagnons pour le d\u00e9vorer. Et les deux \nautres, pr\u00e9cipitant leur fuite, revinrent aux nefs.\nalors, antiphat\u00e8s poussa des clameurs par la ville, et les robustes \nLaistrygones, l\u2019ayant entendu, se ruaient de toutes parts, innom -\nbrables, et pareils, non \u00e0 des hommes, mais \u00e0 des g\u00e9ants. Et ils \nlan\u00e7aient de lourdes pierres arrach\u00e9es au rocher, et un horrible \nretentissement s\u2019\u00e9leva d\u2019hommes mourants et de nefs \u00e9cras\u00e9es. Et \nles Laistrygones transper\u00e7aient les hommes comme des poissons, \net ils emportaient ces tristes mets. Pendant qu\u2019ils les tuaient ainsi \ndans l\u2019int\u00e9rieur du port, je tirai de la gaine mon \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb et je \ncoupai les c\u00e2bles de ma nef noire, et, aussit\u00f4t, j\u2019ordonnai \u00e0 mes \ncompagnons de se courber sur les avirons, afin de fuir notre perte. \nEt tous ensemble se courb\u00e8rent sur les avirons, craignant la mort. \nainsi ma nef gagna la pleine mer, \u00e9vitant les lourdes pierres mais \ntoutes les autres p\u00e9rirent en ce lieu.\nEt nous naviguions loin de l\u00e0, tristes dans le c\u0153ur d\u2019avoir perdu \ntous nos chers compagnons, bien que joyeux d\u2019avoir \u00e9vit\u00e9 la mort. \nEt nous arriv\u00e2mes \u00e0 l\u2019\u00eele aiai\u00e8, et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019habitait Kirk\u00e8 aux 221\nL\u2019ODYSS\u00c9Ebeaux cheveux, v\u00e9n\u00e9rable et \u00e9loquente d\u00e9esse, s\u0153ur du prudent \nai\u00e8t\u00e8s. Et tous deux \u00e9taient n\u00e9s de H\u00e8lios qui \u00e9claire les hommes, \net leur m\u00e8re \u00e9tait Pers\u00e8, qu\u2019engendra Ok\u00e9anos. Et l\u00e0, sur le rivage, \nnous conduis\u00eemes notre nef dans une large rade, et un dieu nous \ny mena. Puis, \u00e9tant descendus, nous rest\u00e2mes l\u00e0 deux jours, l\u2019\u00e2me \naccabl\u00e9e de fatigue et de douleur. Mais quand \u00c9\u00f4s aux beaux \ncheveux amena le troisi\u00e8me jour, prenant ma lance et mon \u00e9p\u00e9e \naigu\u00eb, je quittai la nef et je montai sur une hauteur d\u2019o\u00f9 je pusse \nvoir des hommes et entendre leurs voix. Et, du sommet escarp\u00e9 \no\u00f9 j\u2019\u00e9tais mont\u00e9, je vis s\u2019\u00e9lever de la terre large, \u00e0 travers une for\u00eat \nde ch\u00eanes \u00e9pais, la fum\u00e9e des demeures de Kirk\u00e8. Puis, je d\u00e9lib\u00e9 -\nrai, dans mon esprit et dans mon c\u0153ur, si je partirais pour recon -\nna\u00eetre la fum\u00e9e que je voyais. Et il me parut plus sage de regagner \nma nef rapide et le rivage de la mer, de faire prendre le repas \u00e0 \nmes compagnons et d\u2019envoyer reconna\u00eetre le pays.\nMais, comme, d\u00e9j\u00e0, j\u2019\u00e9tais pr\u00e8s de ma nef, un dieu qui, sans doute, \neut compassion de me voir seul, envoya sur ma route un grand \ncerf au bois \u00e9lev\u00e9 qui descendait des p\u00e2turages de la for\u00eat pour \nboire au fleuve, car la force de H\u00e8lios le poussait. Et, comme il \ns\u2019avan\u00e7ait, je le frappai au milieu de l\u2019\u00e9pine du dos, et la lame d\u2019ai -\nrain le traversa, et, en bramant, il tomba dans la poussi\u00e8re et son \nesprit s\u2019envola.222CHaNT 10\nJe m\u2019\u00e9lan\u00e7ai, et je retirai la lance d\u2019airain de la blessure. Je la laissai \n\u00e0 terre, et, arrachant toute sorte de branches pliantes, j\u2019en fis une \ncorde tordue de la longueur d\u2019une brasse, et j\u2019en liai les pieds de \nl\u2019\u00e9norme b\u00eate. Et, la portant \u00e0 mon cou, je descendis vers ma nef, \nappuy\u00e9 sur ma lance, car je n\u2019aurais pu retenir un animal aussi \ngrand, d\u2019une seule main, sur mon \u00e9paule. Et je le jetai devant la \nnef, et je ranimai mes compagnons en adressant des paroles flat -\nteuses \u00e0 chacun d\u2019eux :\n\u2013 \u00d4 amis, bien que malheureux, nous ne descendrons point dans \nles demeures d\u2019a id\u00e8s avant notre jour fatal. allons, hors de la nef \nrapide, songeons \u00e0 boire et \u00e0 manger, et ne souffrons point de \nla faim.\nJe parlai ainsi, et ils ob\u00e9irent \u00e0 mes paroles, et ils descendirent sur \nle rivage de la mer, admirant le cerf, et combien il \u00e9tait grand. Et \napr\u00e8s qu\u2019ils se furent r\u00e9jouis de le regarder, s\u2019\u00e9tant lav\u00e9 les mains, \nils pr\u00e9par\u00e8rent un excellent repas. ainsi, tout le jour, jusqu\u2019\u00e0 la \nchute de H\u00e8lios, nous rest\u00e2mes assis, mangeant les chairs abon -\ndantes et buvant le vin doux. Et quand H\u00e8lios tomba et que les \nombres survinrent, nous nous endorm\u00eemes sur le rivage de la 223\nL\u2019ODYSS\u00c9Emer. Et quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, alors, \nayant convoqu\u00e9 l\u2019agora, je parlai ainsi :\n\u2013 \u00c9coutez mes paroles et supportez patiemment vos \nmaux, compagnons.\n\u00d4 amis ! nous ne savons, en effet, o\u00f9 est le couchant, o\u00f9 le levant, \nde quel c\u00f4t\u00e9 H\u00e8lios se l\u00e8ve sur la terre pour \u00e9clairer les hommes, \nni de quel c\u00f4t\u00e9 il se couche. D\u00e9lib\u00e9rons donc promptement, s\u2019il \nest n\u00e9cessaire ; mais je ne le pense pas. Du fa\u00eete de la hauteur o\u00f9 \nj\u2019ai mont\u00e9, j\u2019ai vu que cette terre est une \u00eele que la mer sans bornes \nenvironne. Elle est petite, et j\u2019ai vu de la fum\u00e9e s\u2019\u00e9lever \u00e0 travers \nune for\u00eat de ch\u00eanes \u00e9pais.\nJe parlai ainsi, et leur cher c\u0153ur fut bris\u00e9, se souvenant des \ncrimes du Laistryg\u00f4n antiphat\u00e8s et de la violence du magna -\nnime kykl\u00f4ps mangeur d\u2019hommes. Et ils pleuraient, r\u00e9pandant \ndes larmes abondantes. Mais il ne servait \u00e0 rien de g\u00e9mir. Je divi -\nsai mes braves compagnons, et je donnai un chef \u00e0 chaque troupe. \nJe commandai l\u2019une, et Eurylokhos semblable \u00e0 un dieu com -\nmanda l\u2019autre. Et les sorts ayant \u00e9t\u00e9 promptement jet\u00e9s dans un \ncasque d\u2019airain, ce fut celui du magnanime Eurylokhos qui sortit. \nEt il partit \u00e0 la h\u00e2te, et en pleurant, avec vingt-deux compagnons, \net ils nous laiss\u00e8rent g\u00e9missants.224CHaNT 10\nEt ils trouv\u00e8rent, dans une vall\u00e9e, en un lieu d\u00e9couvert, les \ndemeures de Kirk\u00e8, construites en pierres polies. Et tout autour \nerraient des loups montagnards et des lions. Et Kirk\u00e8 les avait \ndompt\u00e9s avec des breuvages perfides ; et ils ne se jetaient point \nsur les hommes, mais ils les approchaient en remuant leurs lon -\ngues queues, comme des chiens caressant leur ma\u00eetre qui se l\u00e8ve \ndu repas, car il leur donne toujours quelques bons morceaux.\nainsi les loups aux ongles robustes et les lions entouraient, cares -\nsants, mes compagnons ; et ceux-ci furent effray\u00e9s de voir ces \nb\u00eates f\u00e9roces, et ils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent devant les portes de la d\u00e9esse aux \nbeaux cheveux. Et ils entendirent Kirk\u00e8 chantant d\u2019une belle voix \ndans sa demeure et tissant une grande toile ambroisienne, telle \nque sont les ouvrages l\u00e9gers, gracieux et brillants des d\u00e9esses. \nalors Polyt\u00e8s, chef des hommes, le plus cher de mes compagnons, \net que j\u2019honorais le plus, parla le premier :\n\u2013 \u00d4 amis, quelque femme, tissant une grande toile, chante d\u2019une \nbelle voix dans cette demeure, et tout le mur en r\u00e9sonne. Est-ce \nune d\u00e9esse ou une mortelle ? Poussons promptement un cri.\nIl les persuada ainsi, et ils appel\u00e8rent en criant. Et Kirk\u00e8 sortit aus -\nsit\u00f4t, et, ouvrant les belles portes, elle les invita, et tous la suivirent \nimprudemment. Eurylokhos resta seul dehors, ayant soup\u00e7onn\u00e9 225\nL\u2019ODYSS\u00c9Eune emb\u00fbche. Et Kirk\u00e8, ayant fait entrer mes compagnons, les fit \nasseoir sur des si\u00e8ges et sur des thr\u00f4nes. Et elle m\u00eala, avec du vin \nde Pramnios, du fromage, de la farine et du miel doux ; mais elle \nmit dans le pain des poisons, afin de leur faire oublier la terre de \nla patrie. Et elle leur offrit cela, et ils burent, et, aussit\u00f4t, les frap -\npant d\u2019une baguette, elle les renferma dans les \u00e9tables \u00e0 porcs. Et \nils avaient la t\u00eate, la voix, le corps et les soies du porc, mais leur \nesprit \u00e9tait le m\u00eame qu\u2019auparavant. Et ils pleuraient, ainsi ren -\nferm\u00e9s ; et Kirk\u00e8 leur donna du gland de ch\u00eane et du fruit de \ncornouiller \u00e0 manger, ce que mangent toujours les porcs qui \ncouchent sur la terre.\nMais Eurylokhos revint \u00e0 la h\u00e2te vers la nef noire et rapide nous \nannoncer la dure destin\u00e9e de nos compagnons. Et il ne pouvait \nparler, malgr\u00e9 son d\u00e9sir, et son c\u0153ur \u00e9tait frapp\u00e9 d\u2019une grande \ndouleur, et ses yeux \u00e9taient pleins de larmes, et son \u00e2me respirait \nle deuil. Mais, comme nous l\u2019interrogions tous avec empresse -\nment, il nous raconta la perte de ses compagnons :\n\u2013 Nous avons march\u00e9 \u00e0 travers la for\u00eat, comme tu l\u2019avais ordonn\u00e9, \nillustre Odysseus, et nous avons rencontr\u00e9, dans une vall\u00e9e, en un \nlieu d\u00e9couvert, de belles demeures construites en pierres polies. \nL\u00e0, une d\u00e9esse, ou une mortelle, chantait harmonieusement en \ntissant une grande toile. Et mes compagnons l\u2019appel\u00e8rent en 226CHaNT 10\ncriant. aussit\u00f4t, elle sortit, et, ouvrant la belle porte, elle les invita, \net tous la suivirent imprudemment, et, moi seul, je restai, ayant \nsoup\u00e7onn\u00e9 une emb\u00fbche. Et tous les autres disparurent \u00e0 la fois, \net aucun n\u2019a reparu, bien que je les aie longtemps \u00e9pi\u00e9s et attendus.\nIl parla ainsi, et je jetai sur mes \u00e9paules une grande \u00e9p\u00e9e d\u2019airain \naux clous d\u2019argent et un arc, et j\u2019ordonnai \u00e0 Eurylokhos de me \nmontrer le chemin. Mais, ayant saisi mes genoux de ses mains, en \npleurant, il me dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ne me ram\u00e8ne point l\u00e0 contre mon gr\u00e9, \u00f4 divin, mais laisse-moi \nici. Je sais que tu ne reviendras pas et que tu ne ram\u00e8neras aucun \nde nos compagnons.\nFuyons promptement avec ceux-ci, car, sans doute, nous pouvons \nencore \u00e9viter la dure destin\u00e9e.\nIl parla ainsi, et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 Eurylokhos, reste donc ici, mangeant et buvant aupr\u00e8s de la \nnef noire et creuse. Moi, j\u2019irai, car une n\u00e9cessit\u00e9 inexorable \nme contraint.227\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant ainsi parl\u00e9, je m\u2019\u00e9loignai de la mer et de la nef, et traver -\nsant les vall\u00e9es sacr\u00e9es, j\u2019arrivai \u00e0 la grande demeure de l\u2019empoi -\nsonneuse Kirk\u00e8. Et Herm\u00e9ias \u00e0 la baguette d\u2019or vint \u00e0 ma ren -\ncontre, comme j\u2019approchais de la demeure, et il \u00e9tait semblable \u00e0 \nun jeune homme dans toute la gr\u00e2ce de l\u2019adolescence. Et, me pre -\nnant la main, il me dit :\n\u2013 \u00d4 malheureux o\u00f9 vas-tu seul, entre ces collines, ignorant ces \nlieux. Tes compagnons sont enferm\u00e9s dans les demeures de Kirk\u00e8, \net ils habitent comme des porcs des \u00e9tables bien closes. Viens-tu \npour les d\u00e9livrer ? Certes, je ne pense pas que tu reviennes toi-\nm\u00eame, et tu resteras l\u00e0 o\u00f9 ils sont d\u00e9j\u00e0. Mais je te d\u00e9livrerai de \nce mal et je te sauverai. Prends ce rem\u00e8de excellent, et le portant \navec toi, rends-toi aux demeures de Kirk\u00e8, car il \u00e9loignera de ta \nt\u00eate le jour fatal. Je te dirai tous les mauvais desseins de Kirk\u00e8. Elle \nte pr\u00e9parera un breuvage et elle mettra les poisons dans le pain, \nmais elle ne pourra te charmer, car l\u2019excellent rem\u00e8de que je te \ndonnerai ne le permettra pas. Je vais te dire le reste.\nQuand Kirk\u00e8 t\u2019aura frapp\u00e9 de sa longue baguette, jette-toi sur \nelle, comme si tu voulais la tuer. alors, pleine de crainte, elle t\u2019in -\nvitera \u00e0 coucher avec elle. Ne refuse point le lit d\u2019une d\u00e9esse, afin \nqu\u2019elle d\u00e9livre tes compagnons et qu\u2019elle te traite toi-m\u00eame avec \nbienveillance. Mais ordonne-lui de jurer par le grand serment des 228CHaNT 10\ndieux heureux, afin qu\u2019elle ne te tende aucune autre emb\u00fbche, et \nque, t\u2019ayant mis nu, elle ne t\u2019enl\u00e8ve point ta virilit\u00e9.\nayant ainsi parl\u00e9, le tueur d\u2019a rgos me donna le rem\u00e8de qu\u2019il arra -\ncha de terre, et il m\u2019en expliqua la nature. Et sa racine est noire et \nsa fleur semblable \u00e0 du lait. Les dieux la nomment m\u00f4ly. Il est dif -\nficile aux hommes mortels de l\u2019arracher, mais les dieux peuvent \ntout. Puis Herm\u00e9ias s\u2019envola vers le grand Olympos, sur l\u2019\u00eele boi -\ns\u00e9e, et je marchai vers la demeure de Kirk\u00e8, et mon c\u0153ur roulait \nmille pens\u00e9es tandis que je marchais.\nEt, m\u2019arr\u00eatant devant la porte de la d\u00e9esse aux beaux cheveux, je \nl\u2019appelai, et elle entendit ma voix, et, sortant aussit\u00f4t, elle ouvrit \nles portes brillantes et elle m\u2019invita. Et, l\u2019ayant suivie, triste dans le \nc\u0153ur, elle me fit entrer, puis asseoir sur un thr\u00f4ne \u00e0 clous d\u2019argent, \net bien travaill\u00e9. Et j\u2019avais un escabeau sous les pieds. aussit\u00f4t elle \npr\u00e9para dans une coupe d\u2019or le breuvage que je devais boire, et, \nm\u00e9ditant le mal dans son esprit, elle y m\u00eala le poison. apr\u00e8s me \nl\u2019avoir donn\u00e9, et comme je buvais, elle me frappa de sa baguette \net elle me dit :\n\u2013 Va maintenant dans l\u2019\u00e9table \u00e0 porcs, et couche avec \ntes compagnons.229\nL\u2019ODYSS\u00c9EElle parla ainsi, mais je tirai de la gaine mon \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb et je me \njetai sur elle comme si je voulais la tuer. alors, poussant un grand \ncri, elle se prosterna, saisit mes genoux et me dit ces paroles ail\u00e9es, \nen pleurant :\n\u2013 Qui es-tu parmi les hommes ? O\u00f9 est ta ville ? O\u00f9 sont tes \nparents ? Je suis stup\u00e9faite qu\u2019ayant bu ces poisons tu ne sois \npas transform\u00e9. Jamais aucun homme, pour les avoir seulement \nfait passer entre ses dents, n\u2019y a r\u00e9sist\u00e9. Tu as un esprit indomp -\ntable dans ta poitrine, ou tu es le subtil Odysseus qui devait arri -\nver ici, \u00e0 son retour de Troi\u00e8, sur sa nef noire et rapide, ainsi \nque Herm\u00e9ias \u00e0 la baguette d\u2019or me l\u2019avait toujours pr\u00e9dit. Mais, \nremets ton \u00e9p\u00e9e dans sa gaine, et couchons-nous tous deux sur \nmon lit, afin que nous nous unissions, et que nous nous confiions \nl\u2019un \u00e0 l\u2019autre.\nElle parla ainsi, et, lui r\u00e9pondant, je lui dis :\n\u2013 \u00d4 Kirk\u00e8 ! comment me demandes-tu d\u2019\u00eatre doux pour toi qui \nas chang\u00e9, dans tes demeures, mes compagnons en porcs, et \nqui me retiens ici moi-m\u00eame, m\u2019invitant \u00e0 monter sur ton lit, \ndans la chambre nuptiale, afin qu\u2019\u00e9tant nu, tu m\u2019enl\u00e8ves ma viri -\nlit\u00e9 ? Certes, je ne veux point monter sur ton lit, \u00e0 moins que tu 230CHaNT 10\nne jures par un grand serment, \u00f4 d\u00e9esse, que tu ne me tendras \naucune autre emb\u00fbche.\nJe parlais ainsi, et aussit\u00f4t elle jura comme je le lui demandais ; et \napr\u00e8s qu\u2019elle eut jur\u00e9 et prononc\u00e9 toutes les paroles du serment, \nalors je montai sur son beau lit. Et les servantes s\u2019agitaient dans \nla demeure ; et elles \u00e9taient quatre, et elles prenaient soin de toute \nchose. Et elles \u00e9taient n\u00e9es des sources des for\u00eats et des fleuves \nsacr\u00e9s qui coulent \u00e0 la mer. L \u2019une d\u2019elles jeta sur les thr\u00f4nes de \nbelles couvertures pourpr\u00e9es, et, pardessus, de l\u00e9g\u00e8res toiles de \nlin. Une autre dressa devant les thr\u00f4nes des tables d\u2019argent sur \nlesquelles elle posa des corbeilles d\u2019or. Une troisi\u00e8me m\u00eala le \nvin doux et mielleux dans un krat\u00e8re d\u2019argent et distribua des \ncoupes d\u2019or. La quatri\u00e8me apporta de l\u2019eau et alluma un grand feu \nsous un grand tr\u00e9pied, et l\u2019eau chauffa. Et quand l\u2019eau eut chauff\u00e9 \ndans l\u2019airain brillant, elle me mit au bain, et elle me lava la t\u00eate \net les \u00e9paules avec l\u2019eau doucement vers\u00e9e du grand tr\u00e9pied. Et \nquand elle m\u2019eut lav\u00e9 et parfum\u00e9 d\u2019huile grasse, elle me rev\u00eatit \nd\u2019une tunique et d\u2019un beau manteau. Puis elle me fit asseoir sur \nun thr\u00f4ne d\u2019argent bien travaill\u00e9, et j\u2019avais un escabeau sous mes \npieds. Une servante versa, d\u2019une belle aigui\u00e8re d\u2019or dans un bassin \nd\u2019argent, de l\u2019eau pour les mains, et dressa devant moi une table \npolie. Et la v\u00e9n\u00e9rable intendante, bienveillante pour tous, apporta 231\nL\u2019ODYSS\u00c9Edu pain qu\u2019elle pla\u00e7a sur la table ainsi que beaucoup de mets. Et \nKirk\u00e8 m\u2019invita \u00e0 manger, mais cela ne plut point \u00e0 mon \u00e2me.\nEt j\u2019\u00e9tais assis, ayant d\u2019autres pens\u00e9es et pr\u00e9voyant d\u2019autres maux. \nEt Kirk\u00e8, me voyant assis, sans manger, et plein de tristesse, s\u2019ap -\nprocha de moi et me dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Pourquoi, Odysseus, restes-tu ainsi muet et te rongeant le c\u0153ur, \nsans boire et sans manger ? Crains-tu quelque autre emb\u00fbche ? Tu \nne dois rien craindre, car j\u2019ai jur\u00e9 un grand serment.\nElle parla ainsi, et, lui r\u00e9pondant, je dis :\n\u2013 \u00d4 Kirk\u00e8, quel homme \u00e9quitable et juste oserait boire et manger, \navant que ses compagnons aient \u00e9t\u00e9 d\u00e9livr\u00e9s, et qu\u2019il les ait vus de \nses yeux ? Si, dans ta bienveillance, tu veux que je boive et que je \nmange, d\u00e9livre mes compagnons et que je les voie.\nJe parlai ainsi, et Kirk\u00e8 sortit de ses demeures, tenant une baguette \n\u00e0 la main, et elle ouvrit les portes de l\u2019\u00e9table \u00e0 porcs. Elle en \nchassa mes compagnons semblables \u00e0 des porcs de neuf ans. Ils \nse tenaient devant nous, et, se penchant, elle frotta chacun d\u2019eux \nd\u2019un autre baume, et de leurs membres tomb\u00e8rent aussit\u00f4t les \npoils qu\u2019avait fait pousser le poison funeste que leur avait donn\u00e9 232CHaNT 10\nla v\u00e9n\u00e9rable Kirk\u00e8 ; et ils redevinrent des hommes plus jeunes \nqu\u2019ils n\u2019\u00e9taient auparavant, plus beaux et plus grands. Et ils me \nreconnurent, et tous, me serrant la main, pleuraient de joie, et la \ndemeure retentissait de leurs sanglots. Et la d\u00e9esse elle-m\u00eame fut \nprise de piti\u00e9. Puis, la noble d\u00e9esse, s\u2019approchant de moi, me dit :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, va maintenant vers ta nef \nrapide et le rivage de la mer.\nFais tirer, avant tout, ta nef sur le sable. Cachez ensuite vos \nrichesses et vos armes dans une caverne, et revenez aussit\u00f4t, toi-\nm\u00eame et tes chers compagnons.\nElle parla ainsi, et mon esprit g\u00e9n\u00e9reux fut persuad\u00e9, et je me \nh\u00e2tai de retourner \u00e0 ma nef rapide et au rivage de la mer, et je \ntrouvai aupr\u00e8s de ma nef rapide mes chers compagnons g\u00e9mis -\nsant mis\u00e9rablement et versant des larmes abondantes. De m\u00eame \nque les g\u00e9nisses, retenues loin de la prairie, s\u2019empressent autour \ndes vaches qui, du p\u00e2turage, reviennent \u00e0 l\u2019\u00e9table apr\u00e8s s\u2019\u00eatre \nrassasi\u00e9es d\u2019herbes, et vont toutes ensemble au-devant d\u2019elles, \nsans que les enclos puissent les retenir, et mugissent sans rel\u00e2che \nautour de leurs m\u00e8res ; de m\u00eame, quand mes compagnons me \nvirent de leurs yeux, ils m\u2019entour\u00e8rent en pleurant, et leur c\u0153ur \nfut aussi \u00e9mu que s\u2019ils avaient revu leur patrie et la ville de l\u2019\u00e2pre 233\nL\u2019ODYSS\u00c9EIthak\u00e8, o\u00f9 ils \u00e9taient n\u00e9s et avaient \u00e9t\u00e9 nourris. Et, en pleurant, ils \nme dirent ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00c0 ton retour, \u00f4 divin ! nous sommes aussi joyeux que si nous \nvoyions Ithak\u00e8 et la terre de la patrie. Mais dis-nous comment \nsont morts nos compagnons.\nIls parlaient ainsi, et je leur r\u00e9pondis par ces douces paroles :\n\u2013 avant tout, tirons la nef sur le rivage, et cachons dans une \ncaverne nos richesses et toutes nos armes.\nPuis, suivez-moi tous \u00e0 la h\u00e2te, afin de revoir, dans les demeures \nsacr\u00e9es de Kirk\u00e8, vos compagnons mangeant et buvant et jouis -\nsant d\u2019une abondante nourriture.\nJe parlai ainsi, et ils ob\u00e9irent promptement \u00e0 mes paroles ; \nmais le seul Eurylokhos tentait de les retenir, et il leur dit ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 ah ! malheureux, o\u00f9 allez-vous ? Vous voulez donc subir les \nmaux qui vous attendent dans les demeures de Kirk\u00e8, elle qui \nnous changera en porcs, en loups et en lions, et dont nous garde -\nrons de force la demeure ? Elle fera comme le kyklops, quand nos 234CHaNT 10\ncompagnons vinrent dans sa caverne, conduits par l\u2019audacieux \nOdysseus. Et ils y ont p\u00e9ri par sa d\u00e9mence.\nIl parla ainsi, et je d\u00e9lib\u00e9rai dans mon esprit si, ayant tir\u00e9 ma \ngrande \u00e9p\u00e9e de sa gaine, le long de la cuisse, je lui couperais la \nt\u00eate et la jetterais sur le sable, malgr\u00e9 notre parent\u00e9 ; mais tous \nmes autres compagnons me retinrent par de flatteuses paroles :\n\u2013 \u00d4 divin ! laissons-le, si tu y consens, rester aupr\u00e8s de la nef et la \ngarder. Nous, nous te suivrons \u00e0 la demeure sacr\u00e9e de Kirk\u00e8.\nayant ainsi parl\u00e9, ils s\u2019\u00e9loign\u00e8rent de la nef et de la mer, mais \nEurylokhos ne resta point aupr\u00e8s de la nef creuse, et il nous sui -\nvit, craignant mes rudes menaces.\nPendant cela, Kirk\u00e8, dans ses demeures, baigna et parfuma d\u2019huile \nmes autres compagnons, et elle les rev\u00eatit de tuniques et de beaux \nmanteaux, et nous les trouv\u00e2mes tous faisant leur repas dans les \ndemeures. Et quand ils se furent r\u00e9unis, ils se racont\u00e8rent tous \nleurs maux, les uns aux autres, et ils pleuraient, et la maison reten -\ntissait de leurs sanglots. Et la noble d\u00e9esse, s\u2019approchant, me dit :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, ne vous livrez pas plus long -\ntemps \u00e0 la douleur. Je sais moi-m\u00eame combien vous avez subi de 235\nL\u2019ODYSS\u00c9Emaux sur la mer poissonneuse et combien d\u2019hommes injustes \nvous ont fait souffrir sur la terre. Mais, mangez et buvez, et ranimez \nvotre c\u0153ur dans votre poitrine, et qu\u2019il soit tel qu\u2019il \u00e9tait quand \nvous avez quitt\u00e9 la terre de l\u2019\u00e2pre Ithak\u00e8, votre patrie. Cependant, \njamais vous n\u2019oublierez vos mis\u00e8res, et votre esprit ne sera jamais \nplus dans la joie, car vous avez subi des maux innombrables.\nElle parla ainsi, et notre c\u0153ur g\u00e9n\u00e9reux lui ob\u00e9it. Et nous res -\nt\u00e2mes l\u00e0 toute une ann\u00e9e, mangeant les chairs abondantes et \nbuvant le doux vin. Mais, \u00e0 la fin de l\u2019ann\u00e9e, quand les heures \neurent accompli leur tour, quand les mois furent pass\u00e9s et quand \nles longs jours se furent \u00e9coul\u00e9s, alors, mes chers compagnons \nm\u2019appel\u00e8rent et me dirent :\n\u2013 Malheureux, souviens-toi de ta patrie, si toutefois il est dans ta \ndestin\u00e9e de survivre et de rentrer dans ta haute demeure et dans \nla terre de la patrie.\nIls parl\u00e8rent ainsi, et mon c\u0153ur g\u00e9n\u00e9reux fut persuad\u00e9. alors, \ntout le jour, jusqu\u2019\u00e0 la chute de H\u00e8lios, nous rest\u00e2mes assis, man -\ngeant les chairs abondantes et buvant le doux vin. Et quand \nH\u00e8lios tomba, et quand la nuit vint, mes compagnons s\u2019endor -\nmirent dans la demeure obscure. Et moi, \u00e9tant mont\u00e9 dans le 236CHaNT 10\nlit splendide de Kirk\u00e8, je saisis ses genoux en la suppliant, et la \nd\u00e9esse entendit ma voix. Et je lui dis ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 Kirk\u00e8, tiens la promesse que tu m\u2019as faite de me renvoyer \ndans ma demeure, car mon \u00e2me me pousse, et mes compagnons \naffligent mon cher c\u0153ur et g\u00e9missent autour de moi, quand tu \nn\u2019es pas l\u00e0.\nJe parlai ainsi, et la noble D\u00e9esse me r\u00e9pondit aussit\u00f4t :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, vous ne resterez pas plus long -\ntemps malgr\u00e9 vous dans ma demeure ; mais il faut accomplir un \nautre voyage et entrer dans la demeure d\u2019a id\u00e8s et de l\u2019implacable \nPers\u00e9phon\u00e9ia, afin de consulter l\u2019\u00e2me du Th\u00e9bain Teir\u00e9sias, du \ndivinateur aveugle, dont l\u2019esprit est toujours vivant. Pers\u00e9phon\u00e9ia \nn\u2019a accord\u00e9 qu\u2019\u00e0 ce seul mort l\u2019intelligence et la pens\u00e9e. Les autres \nne seront que des ombres autour de toi.\nElle parla ainsi, et mon cher c\u0153ur fut dissous, et je pleurais, assis \nsur le lit, et mon \u00e2me ne voulait plus vivre, ni voir la lumi\u00e8re de 237\nL\u2019ODYSS\u00c9EH\u00e8lios. Mais, apr\u00e8s avoir pleur\u00e9 et m\u2019\u00eatre rassasi\u00e9 de douleur, alors, \nlui r\u00e9pondant, je lui dis :\n\u2013 \u00d4 Kirk\u00e8, qui me montrera le chemin ? Personne n\u2019est jamais \narriv\u00e9 chez aid\u00e9s sur une nef noire.\nJe parlai ainsi, et la noble d\u00e9esse me r\u00e9pondit aussit\u00f4t :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, n\u2019aie aucun souci pour ta \nnef. assieds-toi, apr\u00e8s avoir dress\u00e9 le m\u00e2t et d\u00e9ploy\u00e9 les blanches \nvoiles ; et le souffle de Bor\u00e9as conduira ta nef. Mais quand tu \nauras travers\u00e9 l\u2019Ok\u00e9anos, jusqu\u2019au rivage \u00e9troit et aux bois sacr\u00e9s \nde Pers\u00e9phon\u00e9ia, o\u00f9 croissent de hauts peupliers et des saules \nst\u00e9riles, alors arr\u00eate ta nef dans l\u2019Ok\u00e9anos aux profonds tourbil -\nlons, et descends dans la noire demeure d\u2019a id\u00e8s, l\u00e0 o\u00f9 coulent \nensemble, dans l\u2019a kh\u00e9r\u00f4n, le Pyriphl\u00e9g\u00e9th\u00f4n et le Kokytos qui \nest un courant de l\u2019eau de Styx. Il y a une roche au confluent des \ndeux fleuves retentissants. Tu t\u2019en approcheras, h\u00e9ros, comme je \nte l\u2019ordonne, et tu creuseras l\u00e0 une fosse d\u2019une coud\u00e9e dans tous \nles sens, et, sur elle, tu feras des libations \u00e0 tous les morts, de lait \nmielleux d\u2019abord, puis de vin doux, puis enfin d\u2019eau, et tu r\u00e9pan -\ndras par-dessus de la farine blanche. Prie alors les t\u00eates vaines des \nmorts et promets, d\u00e8s que tu seras rentr\u00e9 dans Ithak\u00e8, de sacrifier \ndans tes demeures la meilleure vache st\u00e9rile que tu poss\u00e9deras, 238CHaNT 10\nd\u2019allumer un b\u00fbcher form\u00e9 de choses pr\u00e9cieuses, et de sacrifier, \u00e0 \npart, au seul Teir\u00e9sias un b\u00e9lier enti\u00e8rement noir, le plus beau de \ntes troupeaux. Puis, ayant pri\u00e9 les illustres \u00e2mes des morts, sacri -\nfie un m\u00e2le et une brebis noire, tourne-toi vers l\u2019\u00c9r\u00e9bos, et, te pen -\nchant, regarde dans le cours du fleuve, et les innombrables \u00e2mes \ndes morts qui ne sont plus accourront.\nalors, ordonne et commande \u00e0 tes compagnons d\u2019\u00e9corcher les \nanimaux \u00e9gorg\u00e9s par l\u2019airain aigu, de les br\u00fbler et de les vouer \naux dieux, \u00e0 l\u2019illustre aid\u00e9s et \u00e0 l\u2019implacable Pers\u00e9phon\u00e9ia. Tire \nton \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb de sa gaine, le long de ta cuisse, et ne permets \npas aux ombres vaines des morts de boire le sang, avant que tu \naies entendu Teir\u00e9sias. aussit\u00f4t le divinateur arrivera, \u00f4 chef des \npeuples, et il te montrera ta route et comment tu la feras pour ton \nretour, et comment tu traverseras la mer poissonneuse.\nElle parla ainsi, et aussit\u00f4t \u00c9\u00f4s s\u2019assit sur son thr\u00f4ne d\u2019or. Et Kirk\u00e8 \nme rev\u00eatit d\u2019une tunique et d\u2019un manteau. Elle-m\u00eame se couvrit \nd\u2019une longue robe blanche, l\u00e9g\u00e8re et gracieuse, ceignit ses reins \nd\u2019une belle ceinture et mit sur sa t\u00eate un voile couleur de feu. Et 239\nL\u2019ODYSS\u00c9Ej\u2019allai par la demeure, excitant mes compagnons, et je dis \u00e0 cha -\ncun d\u2019eux ces douces paroles :\n\u2013 Ne dormez pas plus longtemps, et chassez le doux sommeil, afin \nque nous partions, car la v\u00e9n\u00e9rable Kirk\u00e8 me l\u2019a permis.\nJe parlai ainsi, et leur c\u0153ur g\u00e9n\u00e9reux fut persuad\u00e9. Mais je n\u2019em -\nmenai point tous mes compagnons sains et saufs. Elp\u00e8n\u00f4r, un \nd\u2019eux, jeune, mais ni tr\u00e8s brave, ni intelligent, \u00e0 l\u2019\u00e9cart de ses com -\npagnons, s\u2019\u00e9tait endormi au fa\u00eete des demeures sacr\u00e9es de Kirk\u00e8, \nayant beaucoup bu et recherchant la fra\u00eecheur. Entendant le bruit \nque faisaient ses compagnons, il se leva brusquement, oubliant de \ndescendre par la longue \u00e9chelle.\nEt il tomba du haut du toit, et son cou fut rompu, et son \u00e2me des -\ncendit chez aid\u00e9s. Mais je dis \u00e0 mes compagnons rassembl\u00e9s :\n\u2013 Vous pensiez peut-\u00eatre que nous partions pour notre demeure \net pour la ch\u00e8re terre de la patrie ? Mais Kirk\u00e8 nous ordonne de \nsuivre une autre route, vers la demeure d\u2019a id\u00e8s et de l\u2019implacable \nPers\u00e9phon\u00e9ia, afin de consulter l\u2019\u00e2me du Th\u00e9bain Teir\u00e9sias.\nJe parlai ainsi, et leur cher c\u0153ur fut bris\u00e9, et ils s\u2019assirent, pleu -\nrant et s\u2019arrachant les cheveux. Mais il n\u2019y a nul rem\u00e8de \u00e0 g\u00e9mir. 240CHaNT 10\nEt nous parv\u00eenmes \u00e0 notre nef rapide et au rivage de la mer, en \nversant des larmes abondantes. Et, pendant ce temps, Kirk\u00e8 \u00e9tait \nvenue, apportant dans la nef un b\u00e9lier et une brebis noire ; et elle \ns\u2019\u00e9tait ais\u00e9ment cach\u00e9e \u00e0 nos yeux car qui pourrait voir un dieu et \nle suivre de ses yeux, s\u2019il ne le voulait pas ?241\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 11\n\u00c9tant arriv\u00e9s \u00e0 la mer, nous tra\u00een\u00e2mes d\u2019abord notre nef \u00e0 la mer \ndivine. Puis, ayant dress\u00e9 le m\u00e2t, avec les voiles blanches de la \nnef noire, nous y port\u00e2mes les victimes offertes. Et, nous-m\u00eames \nnous y pr\u00eemes place, pleins de tristesse et versant des larmes \nabondantes. Et Kirk\u00e8 \u00e0 la belle chevelure, d\u00e9esse terrible et \u00e9lo -\nquente, fit souffler pour nous un vent propice derri\u00e8re la nef \u00e0 \nproue bleue, et ce vent, bon compagnon, gonfla la voile.\nToutes choses \u00e9tant mises en place sur la nef, nous nous ass\u00eemes, \net le vent et le pilote nous dirigeaient. Et, tout le jour, les voiles de \nla nef qui courait sur la mer furent d\u00e9ploy\u00e9es, et H\u00e8lios tomba, et \ntous les chemins s\u2019emplirent d\u2019ombre. Et la nef arriva aux bornes \ndu profond Ok\u00e9anos.\nL\u00e0, \u00e9taient le peuple et la ville des Kimm\u00e9riens, toujours envelop -\np\u00e9s de brouillards et de nu\u00e9es ; et jamais le brillant H\u00e8lios ne les \nregardait de ses rayons, ni quand il montait dans l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9, \nni quand il descendait de l\u2019Ouranos sur la terre ; mais une affreuse \nnuit \u00e9tait toujours suspendue sur les mis\u00e9rables hommes. arriv\u00e9s \nl\u00e0, nous arr\u00eat\u00e2mes la nef, et, apr\u00e8s en avoir retir\u00e9 les victimes, 242CHaNT 11\nnous march\u00e2mes le long du cours d\u2019Ok\u00e9anos, jusqu\u2019\u00e0 ce que nous \nfussions parvenus dans la contr\u00e9e que nous avait indiqu\u00e9e Kirk\u00e8. \nEt P\u00e9rim\u00e8d\u00e8s et Eurylokhos portaient les victimes.\nalors je tirai mon \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb de sa gaine, le long de ma cuisse, et \nje creusai une fosse d\u2019une coud\u00e9e dans tous les sens, et j\u2019y fis des \nlibations pour tous les morts, de lait mielleux d\u2019abord, puis de vin \ndoux, puis enfin d\u2019eau, et, par-dessus, je r\u00e9pandis la farine blanche.\nEt je priai les t\u00eates vaines des morts, promettant, d\u00e8s que je serais \nrentr\u00e9 dans Ithak\u00e8, de sacrifier dans mes demeures la meilleure \nvache st\u00e9rile que je poss\u00e9derais, d\u2019allumer un b\u00fbcher form\u00e9 de \nchoses pr\u00e9cieuses, et de sacrifier \u00e0 part, au seul Teir\u00e9sias, un b\u00e9lier \nenti\u00e8rement noir, le plus beau de mes troupeaux. Puis, ayant pri\u00e9 \nles g\u00e9n\u00e9rations des morts, j\u2019\u00e9gorgeai les victimes sur la fosse, et \nle sang noir y coulait. Et les \u00e2mes des morts qui ne sont plus \nsortaient en foule de l\u2019\u00c9r\u00e9bos. Les nouvelles \u00e9pouses, les jeunes \nhommes, les vieillards qui ont subi beaucoup de maux, les tendres \nvierges ayant un deuil dans l\u2019\u00e2me, et les guerriers aux armes san -\nglantes, bless\u00e9s par les lances d\u2019airain, tous s\u2019amassaient de toutes \nparts sur les bords de la fosse, avec un fr\u00e9missement immense. Et \nla terreur p\u00e2le me saisit.243\nL\u2019ODYSS\u00c9Ealors j\u2019ordonnai \u00e0 mes compagnons d\u2019\u00e9corcher les victimes qui \ngisaient \u00e9gorg\u00e9es par l\u2019airain cruel, de les br\u00fbler et de les vouer \naux dieux, \u00e0 l\u2019illustre aid\u00e8s et \u00e0 l\u2019implacable Pers\u00e9phon\u00e9ia. Et je \nm\u2019assis, tenant l\u2019\u00e9p\u00e9e aigu\u00eb tir\u00e9e de sa gaine, le long de ma cuisse ; \net je ne permettais pas aux t\u00eates vaines des morts de boire le sang, \navant que j\u2019eusse entendu Teir\u00e9sias.\nLa premi\u00e8re, vint l\u2019\u00e2me de mon compagnon Elp\u00e8n\u00f4r. Et il n\u2019avait \npoint \u00e9t\u00e9 enseveli dans la vaste terre, et nous avions laiss\u00e9 son \ncadavre dans les demeures de Kirk\u00e8, non pleur\u00e9 et non enseveli, \ncar un autre souci nous pressait. Et je pleurai en le voyant, et je \nfus plein de piti\u00e9 dans le c\u0153ur. Et je lui dis ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Elp\u00e8n\u00f4r, comment es-tu venu dans les \u00e9paisses t\u00e9n\u00e8bres ? \nComment as-tu march\u00e9 plus vite que moi sur ma nef noire ?\nJe parlai ainsi, et il me r\u00e9pondit en pleurant :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, la mauvaise volont\u00e9 d\u2019un dai -\nm\u00f4n et l\u2019abondance du vin m\u2019ont perdu. Dormant sur la demeure \nde Kirk\u00e8, je ne songeai pas \u00e0 descendre par la longue \u00e9chelle, et \nje tombai du haut du toit, et mon cou fut rompu, et je descen -\ndis chez aid\u00e8s. Maintenant, je te supplie par ceux qui sont loin \nde toi, par ta femme, par ton p\u00e8re qui t\u2019a nourri tout petit, par 244CHaNT 11\nT\u00e8l\u00e9makhos, l\u2019enfant unique que tu as laiss\u00e9 dans tes demeures ! \nJe sais qu\u2019en sortant de la demeure d\u2019a id\u00e8s tu retourneras sur ta \nnef bien construite \u00e0 l\u2019\u00eele aiai\u00e8. L\u00e0, \u00f4 roi, je te demande de te sou -\nvenir de moi, et de ne point partir, me laissant non pleur\u00e9 et non \nenseveli, de peur que je ne te cause la col\u00e8re des dieux ; mais de \nme br\u00fbler avec toutes mes armes. \u00c9l\u00e8ve sur le bord de la mer \u00e9cu -\nmeuse le tombeau de ton compagnon malheureux. accomplis \nces choses, afin qu\u2019on se souvienne de moi dans l\u2019avenir, et plante \nsur mon tombeau l\u2019aviron dont je me servais quand j\u2019\u00e9tais avec \nmes compagnons.\nIl parla ainsi, et, lui r\u00e9pondant, je dis :\n\u2013 Malheureux, j\u2019accomplirai toutes ces choses.\nNous nous parlions ainsi tristement, et je tenais mon \u00e9p\u00e9e au-des -\nsus du sang, tandis que, de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la fosse, mon compa -\ngnon parlait longuement.\nPuis, arriva l\u2019\u00e2me de ma m\u00e8re morte, d\u2019a ntikl\u00e9ia, fille du magna -\nnime autolykos, que j\u2019avais laiss\u00e9e vivante en partant pour la \nsainte Ilios. Et je pleurai en la voyant, le c\u0153ur plein de piti\u00e9 ; mais, \nmalgr\u00e9 ma tristesse, je ne lui permis pas de boire le sang avant 245\nL\u2019ODYSS\u00c9Eque j\u2019eusse entendu Teir\u00e9sias. Et l\u2019\u00e2me du Th\u00e9bain Teir\u00e9sias arriva, \ntenant un sceptre d\u2019or, et elle me reconnut et me dit :\n\u2013 Pourquoi, \u00f4 malheureux, ayant quitt\u00e9 la lumi\u00e8re de H\u00e8lios, es-tu \nvenu pour voir les morts et leur pays lamentable ? Mais recule \nde la fosse, \u00e9carte ton \u00e9p\u00e9e, afin que je boive le sang, et je te dirai \nla v\u00e9rit\u00e9.\nIl parla ainsi, et, me reculant, je remis dans la gaine mon \u00e9p\u00e9e aux \nclous d\u2019argent. Et il but le sang noir, et, alors, l\u2019irr\u00e9prochable divi -\nnateur me dit :\n\u2013 Tu d\u00e9sires un retour tr\u00e8s facile, illustre Odysseus, mais un dieu \nte le rendra difficile ; car je ne pense pas que celui qui entoure la \nterre apaise sa col\u00e8re dans son c\u0153ur, et il est irrit\u00e9 parce que tu as \naveugl\u00e9 son fils. Vous arriverez cependant, apr\u00e8s avoir beaucoup \nsouffert, si tu veux contenir ton esprit et celui de tes compagnons. \nEn ce temps, quand ta nef solide aura abord\u00e9 l\u2019\u00eele Thrinaki\u00e8, o\u00f9 \nvous \u00e9chapperez \u00e0 la sombre mer, vous trouverez l\u00e0, paissant, les \nb\u0153ufs et les gras troupeaux de H\u00e8lios qui voit et entend tout. \nSi vous les laissez sains et saufs, si tu te souviens de ton retour, \nvous parviendrez tous dans Ithak\u00e8, apr\u00e8s avoir beaucoup souf -\nfert ; mais, si tu les blesses, je te pr\u00e9dis la perte de ta nef et de \ntes compagnons.246CHaNT 11\nTu \u00e9chapperas seul, et tu reviendras mis\u00e9rablement, ayant perdu \nta nef et tes compagnons, sur une nef \u00e9trang\u00e8re. Et tu trouveras le \nmalheur dans ta demeure et des hommes orgueilleux qui consu -\nmeront tes richesses, recherchant ta femme et lui offrant des pr\u00e9 -\nsents. Mais, certes, tu te vengeras de leurs outrages en arrivant. Et, \napr\u00e8s que tu auras tu\u00e9 les pr\u00e9tendants dans ta demeure, soit par \nruse, soit ouvertement avec l\u2019airain aigu, tu partiras de nouveau, \net tu iras, portant un aviron l\u00e9ger, jusqu\u2019\u00e0 ce que tu rencontres des \nhommes qui ne connaissent point la mer et qui ne salent point ce \nqu\u2019ils mangent, et qui ignorent les nefs aux proues rouges et les \navirons qui sont les ailes des nefs. Et je te dirai un signe manifeste \nqui ne t\u2019\u00e9chappera pas. Quand tu rencontreras un autre voya -\ngeur qui croira voir un fl\u00e9au sur ta brillante \u00e9paule, alors, plante \nl\u2019aviron en terre et fais de saintes offrandes au roi Poseida\u00f4n, un \nb\u00e9lier, un taureau et un verrat. Et tu retourneras dans ta demeure, \net tu feras, selon leur rang, de saintes h\u00e9catombes \u00e0 tous les dieux \nimmortels qui habitent le large Ouranos. Et la douce mort te \nviendra de la mer et te tuera consum\u00e9 d\u2019une heureuse vieillesse, \ntandis qu\u2019autour de toi les peuples seront heureux. Et je t\u2019ai dit, \ncertes, des choses vraies.247\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 Teir\u00e9sias, les dieux eux-m\u00eames, sans doute, ont r\u00e9solu ces choses. \nMais dis-moi la v\u00e9rit\u00e9. Je vois l\u2019\u00e2me de ma m\u00e8re qui est morte. \nElle se tait et reste loin du sang, et elle n\u2019ose ni regarder son fils, \nni lui parler.\nDis-moi, \u00f4 roi, comment elle me reconna\u00eetra.\nJe parlai ainsi, et il me r\u00e9pondit :\n\u2013 Je t\u2019expliquerai ceci ais\u00e9ment. Garde mes paroles dans ton esprit. \nTous ceux des morts qui ne sont plus, \u00e0 qui tu laisseras boire le \nsang, te diront des choses vraies ; celui \u00e0 qui tu refuseras cela \ns\u2019\u00e9loignera de toi.\nayant ainsi parl\u00e9, l\u2019\u00e2me du roi Teir\u00e9sias, apr\u00e8s avoir rendu ses \noracles, rentra dans la demeure d\u2019a id\u00e8s ; mais je restai sans bou -\nger jusqu\u2019\u00e0 ce que ma m\u00e8re f\u00fbt venue et e\u00fbt bu le sang noir. \nEt aussit\u00f4t elle me reconnut, et elle me dit, en g\u00e9missant, ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Mon fils, comment es-tu venu sous le noir brouillard, vivant \nque tu es ? Il est difficile aux vivants de voir ces choses. Il y a 248CHaNT 11\nentre celles-ci et eux de grands fleuves et des courants violents, \nOk\u00e9anos d\u2019abord qu\u2019on ne peut traverser, \u00e0 moins d\u2019avoir une \nnef bien construite. Si, maintenant, longtemps errant en revenant \nde Troi\u00e8, tu es venu ici sur ta nef et avec tes compagnons, tu n\u2019as \ndonc point revu Ithak\u00e8, ni ta demeure, ni ta femme ?\nElle parla ainsi, et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 Ma m\u00e8re, la n\u00e9cessit\u00e9 m\u2019a pouss\u00e9 vers les demeures d\u2019a id\u00e8s, afin \nde demander un oracle \u00e0 l\u2019\u00e2me du Th\u00e9bain Teir\u00e9sias.\nJe n\u2019ai point en effet abord\u00e9 ni l\u2019a khai\u00e8, ni notre terre ; mais j\u2019ai \ntoujours err\u00e9, plein de mis\u00e8res, depuis le jour o\u00f9 j\u2019ai suivi le divin \nagamemn\u00f4n \u00e0 Ilios qui nourrit d\u2019excellents chevaux, afin d\u2019y \ncombattre les Troiens. Mais dis-moi la v\u00e9rit\u00e9. Comment la k\u00e8r de \nla cruelle mort t\u2019a-t-elle dompt\u00e9e ? Est-ce par une maladie ? Ou \nbien art\u00e9mis qui se r\u00e9jouit de ses fl\u00e8ches t\u2019a-t-elle atteinte de ses \ndoux traits ? Parle-moi de mon p\u00e8re et de mon fils. Mes biens \nsont-ils encore entre leurs mains, ou quelque autre parmi les \nhommes les poss\u00e8de-t-il ? Tous, certes, pensent que je ne revien -\ndrai plus. Dis-moi aussi les desseins et les pens\u00e9es de ma femme \nque j\u2019ai \u00e9pous\u00e9e. Reste-t-elle avec son enfant ? Garde-t-elle toutes \nmes richesses intactes ? ou d\u00e9j\u00e0, l\u2019un des premiers akhaiens l\u2019a-\nt-il emmen\u00e9e ?249\nL\u2019ODYSS\u00c9EJe parlai ainsi, et, aussit\u00f4t, ma m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable me r\u00e9pondit :\n\u2013 Elle reste toujours dans tes demeures, le c\u0153ur afflig\u00e9, pleurant, \net consumant ses jours et ses nuits dans le chagrin. Et nul autre \nne poss\u00e8de ton beau domaine ; et T\u00e8l\u00e9makhos jouit, tranquille, \nde tes biens, et prend part \u00e0 de beaux repas, comme il convient \n\u00e0 un homme qui rend la justice, car tous le convient. Et ton p\u00e8re \nreste dans son champ ; et il ne vient plus \u00e0 la ville, et il n\u2019a plus ni \nlits moelleux, ni manteaux, ni couvertures luisantes. Mais, l\u2019hi -\nver, il dort avec ses esclaves dans les cendres pr\u00e8s du foyer, et \nil couvre son corps de haillons ; et quand vient l\u2019\u00e9t\u00e9, puis l\u2019au -\ntomne verdoyant, partout, dans sa vigne fertile, on lui fait un lit \nde feuilles tomb\u00e9es, et il se couche l\u00e0, triste ; et une grande dou -\nleur s\u2019accro\u00eet dans son c\u0153ur, et il pleure ta destin\u00e9e, et la dure \nvieillesse l\u2019accable.\nPour moi, je suis morte, et j\u2019ai subi la destin\u00e9e ; mais art\u00e9mis \nhabile \u00e0 lancer des fl\u00e8ches ne m\u2019a point tu\u00e9e de ses doux traits \ndans ma demeure, et la maladie ne m\u2019a point saisie, elle qui enl\u00e8ve \nl\u2019\u00e2me du corps affreusement fl\u00e9tri ; mais le regret, le chagrin de \nton absence, illustre Odysseus, et le souvenir de ta bont\u00e9, m\u2019ont \npriv\u00e9e de la douce vie.250CHaNT 11\nElle parla ainsi, et je voulus, agit\u00e9 dans mon esprit, embrasser \nl\u2019\u00e2me de ma m\u00e8re morte. Et je m\u2019\u00e9lan\u00e7ai trois fois, et mon c\u0153ur \nme poussait \u00e0 l\u2019embrasser, et trois fois elle se dissipa comme une \nombre, semblable \u00e0 un songe. Et une vive douleur s\u2019accrut dans \nmon c\u0153ur, et je lui dis ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ma m\u00e8re, pourquoi ne m\u2019attends-tu pas quand je d\u00e9sire t\u2019em -\nbrasser ? M\u00eame chez aid\u00e8s, nous entourant de nos chers bras, \nnous nous serions rassasi\u00e9s de deuil ! N\u2019es-tu qu\u2019une image que \nl\u2019illustre Pers\u00e9phon\u00e9ia suscite afin que je g\u00e9misse davantage ?\nJe parlai ainsi, et ma m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable me r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e9las ! mon enfant, le plus malheureux de tous les hommes, \nPers\u00e9phon\u00e9ia, fille de Zeus, ne se joue point de toi ; mais telle \nest la loi des mortels quand ils sont morts. En effet, les nerfs ne \nsoutiennent plus les chairs et les os, et la force du feu ardent les \nconsume aussit\u00f4t que la vie abandonne les os blancs, et l\u2019\u00e2me vole \ncomme un songe.\nMais retourne promptement \u00e0 la lumi\u00e8re des vivants, et sou -\nviens-toi de toutes ces choses, afin de les redire \u00e0 P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia.251\nL\u2019ODYSS\u00c9ENous parlions ainsi, et les femmes et les filles des h\u00e9ros accou -\nrurent, excit\u00e9es par l\u2019illustre Pers\u00e9phon\u00e9ia. Et elles s\u2019assemblaient, \ninnombrables, autour du sang noir. Et je songeais comment je \nles interrogerais tour \u00e0 tour ; et il me sembla meilleur, dans mon \nesprit, de tirer mon \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb de la gaine, le long de ma cuisse, et \nde ne point leur permettre de boire, toutes \u00e0 la fois, le sang noir. \nEt elles approch\u00e8rent tour \u00e0 tour, et chacune disait son origine, et \nje les interrogeais l\u2019une apr\u00e8s l\u2019autre.\nEt je vis d\u2019abord Tyr\u00f4, n\u00e9e d\u2019un noble p\u00e8re, car elle me dit qu\u2019elle \n\u00e9tait la fille de l\u2019irr\u00e9prochable Salmoneus et la femme de Kr\u00e8theus \naioliade. Et elle aimait le divin fleuve \u00c9nipeus, qui est le plus beau \ndes fleuves qui coulent sur la terre ; et elle se promenait le long \ndes belles eaux de l\u2019\u00c9nipeus. Sous la figure de ce dernier, celui \nqui entoure la terre et qui la secoue sortit des bouches du fleuve \ntourbillonnant ; et une lame bleue, \u00e9gale en hauteur \u00e0 une mon -\ntagne, enveloppa, en se recourbant, le dieu et la femme mortelle. \nEt il d\u00e9noua sa ceinture de vierge, et il r\u00e9pandit sur elle le som -\nmeil. Puis, ayant accompli le travail amoureux, il prit la main de \nTyr\u00f4 et lui dit :\n\u2013 R\u00e9jouis-toi, femme, de mon amour. Dans une ann\u00e9e tu enfan -\nteras de beaux enfants, car la couche des immortels n\u2019est \npoint inf\u00e9conde.252CHaNT 11\nNourris et \u00e9l\u00e8ve-les. Maintenant, va vers ta demeure, mais prends \ngarde et ne me nomme pas. Je suis pour toi seule Poseida\u00f4n qui \n\u00e9branle la terre.\nayant ainsi parl\u00e9, il plongea dans la mer agit\u00e9e. Et Tyr\u00f4, devenue \nenceinte, enfanta P\u00e9li\u00e8s et N\u00e8leus, illustres serviteurs du grand \nZeus. Et P\u00e9li\u00e8s riche en troupeaux habita la grande Iaolk\u00f4s, et \nN\u00e8leus la sablonneuse Pylos. Puis, la reine des femmes con\u00e7ut de \nson mari, ais\u00f4n, Ph\u00e9r\u00e8s et le dompteur de chevaux Hamytha\u00f4r.\nPuis, je vis antiop\u00e8, fille d\u2019a isopos, qui se glorifiait d\u2019avoir dormi \ndans les bras de Zeus. Elle en eut deux fils, amphi\u00f4n et Z\u00e8thos, \nqui, les premiers, b\u00e2tirent Th\u00e8b\u00e8 aux sept portes et l\u2019environ -\nn\u00e8rent de tours. Car ils n\u2019auraient pu, sans ces tours, habiter la \ngrande Th\u00e8b\u00e8, malgr\u00e9 leur courage.\nPuis, je vis alkm\u00e8n\u00e8, la femme d\u2019a mphitry\u00f4n, qui con\u00e7ut \nH\u00e8rakl\u00e8s au c\u0153ur de lion dans l\u2019embrassement du magnanime \nZeus ; puis, M\u00e8gar\u00e8, fille de l\u2019orgueilleux Kr\u00e8i\u00f4n, et qu\u2019eut pour \nfemme l\u2019 amphitryonade indomptable dans sa force.\nPuis, je vis la m\u00e8re d\u2019Oidipous, la belle \u00c9pikast\u00e8, qui commit un \ngrand crime dans sa d\u00e9mence, s\u2019\u00e9tant mari\u00e9e \u00e0 son fils. Et celui-ci, \nayant tu\u00e9 son p\u00e8re, \u00e9pousa sa m\u00e8re. Et les dieux r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent ces 253\nL\u2019ODYSS\u00c9Eactions aux hommes. Et Oidipous, subissant de grandes dou -\nleurs dans la d\u00e9sirable Th\u00e8b\u00e8, commanda aux Kadm\u00e9iones par la \nvolont\u00e9 cruelle des dieux.\nEt \u00c9pikast\u00e8 descendit dans les demeures aux portes solides d\u2019a i-\nd\u00e8s, ayant attach\u00e9, saisie de douleur, une corde \u00e0 une haute poutre, \net laissant \u00e0 son fils les innombrables maux que font souffrir les \n\u00c9rinnyes d\u2019une m\u00e8re.\nPuis, je vis la belle Khl\u00f4ris qu\u2019autrefois N\u00e8leus \u00e9pousa pour sa \nbeaut\u00e9, apr\u00e8s lui avoir offert les pr\u00e9sents nuptiaux. Et c\u2019\u00e9tait \nla plus jeune fille d\u2019 amphi\u00f4n laside qui commanda autrefois \npuissamment sur Orkhom\u00e8nos Miny\u00e8\u00e9nne et sur Pylos. Et elle \ncon\u00e7ut de lui de beaux enfants, Nest\u00f4r, Khromios et l\u2019orgueil -\nleux P\u00e9riklym\u00e9nos. Puis, elle enfanta l\u2019illustre P\u00e8r\u00f4, l\u2019admira -\ntion des hommes qui la suppliaient tous, voulant l\u2019\u00e9pouser ; mais \nN\u00e8leus ne voulait la donner qu\u2019\u00e0 celui qui enl\u00e8verait de Phylak\u00e8 \nles b\u0153ufs au large front de la Force Iphikl\u00e9enne. Seul, un divina -\nteur irr\u00e9prochable le promit ; mais la moire contraire d\u2019un dieu, \nles rudes liens et les bergers l\u2019en emp\u00each\u00e8rent. Cependant, quand \nles jours et les mois se furent \u00e9coul\u00e9s, et que, l\u2019ann\u00e9e achev\u00e9e, les \nsaisons recommenc\u00e8rent, alors la force Iphikl\u00e9enne d\u00e9livra l\u2019irr\u00e9 -\nprochable divinateur, et le dessein de Zeus s\u2019accomplit.254CHaNT 11\nPuis, je vis L\u00e8d\u00e8, femme de Tyndaros. Et elle con\u00e7ut de Tyndaros \ndes fils excellents, Kastor dompteur de chevaux et Polydeuk\u00e8s for -\nmidable par ses poings. La terre nourrici\u00e8re les enferme, encore \nvivants, et, sous la terre, ils sont honor\u00e9s par Zeus. Ils vivent l\u2019un \napr\u00e8s l\u2019autre et meurent de m\u00eame, et sont \u00e9galement honor\u00e9s par \nles dieux.\nPuis, je vis Iphim\u00e9d\u00e9ia, femme d\u2019a \u00f4leus, et qui disait s\u2019\u00eatre unie \n\u00e0 Poseida\u00f4n. Et elle enfanta deux fils dont la vie fut br\u00e8ve, le \nh\u00e9ros Otos et l\u2019illustre \u00c9phialt\u00e8s, et ils \u00e9taient les plus grands \net les plus beaux qu\u2019e\u00fbt nourris la terre f\u00e9conde, apr\u00e8s l\u2019illustre \nOri\u00f4n. ayant neuf ans, ils \u00e9taient larges de neuf coud\u00e9es, et ils \navaient neuf brasses de haut. Et ils menac\u00e8rent les immortels de \nporter dans l\u2019Olympos le combat de la guerre tumultueuse. Et \nils tent\u00e8rent de poser l\u2019Ossa sur l\u2019Olympos et le P\u00e8lios bois\u00e9 sur \nl\u2019Ossa, afin d\u2019atteindre l\u2019Ouranos. Et peut-\u00eatre eussent-ils accom -\npli leurs menaces, s\u2019ils avaient eu leur pubert\u00e9 ; mais le fils de \nZeus, qu\u2019enfanta L\u00e8t\u00f4 aux beaux cheveux, les tua tous deux, avant \nque le duvet fleurit sur leurs joues et qu\u2019une barbe \u00e9paisse cou -\nvr\u00eet leurs mentons.\nPuis, je vis Phaidr\u00e8, et Prokris, et la belle ariadn\u00e8, fille du sage \nMin\u00f4s, que Th\u00e8seus conduisit autrefois de la Kr\u00e8t\u00e8 dans la terre \nsacr\u00e9e des ath\u00e9naiens ; mais il ne le put pas, car art\u00e9mis, sur 255\nL\u2019ODYSS\u00c9El\u2019avertissement de Dionysos, retint ariadn\u00e8 dans Di\u00e8 entour\u00e9e \ndes flots.\nPuis, je vis Mair\u00e8, et Klym\u00e9n\u00e8, et la funeste \u00c9riphyl\u00e8 qui trahit son \nmari pour de l\u2019or.\nMais je ne pourrais ni vous dire combien je vis de femmes et de \nfilles de h\u00e9ros, ni vous les nommer avant la fin de la nuit divine. \nVoici l\u2019heure de dormir, soit dans la nef rapide avec mes compa -\ngnons, soit ici ; car c\u2019est aux dieux et \u00e0 vous de prendre soin de \nmon d\u00e9part.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent immobiles et pleins de plai -\nsir dans la demeure obscure. alors, ar\u00e8t\u00e8 aux bras blancs parla \nla premi\u00e8re :\n\u2013 Phaiakiens, que penserons-nous de ce h\u00e9ros, de sa beaut\u00e9, de \nsa majest\u00e9 et de son esprit immuable ? Il est, certes, mon h\u00f4te, \net c\u2019est un honneur que vous partagez tous. Mais ne vous h\u00e2tez \npoint de le renvoyer sans lui faire des pr\u00e9sents, car il ne poss\u00e8de \nrien. Par la bont\u00e9 des Dieux nous avons beaucoup de richesses \ndans nos demeures.256CHaNT 11\nalors, le vieux h\u00e9ros Ekh\u00e9neus parla ainsi, et c\u2019\u00e9tait le plus vieux \ndes Phaiakiens :\n\u2013 \u00d4 amis, la reine prudente nous parle selon le sens droit. Ob\u00e9issez \ndonc. C\u2019est \u00e0 alkinoos de parler et d\u2019agir, et nous l\u2019imiterons.\nEt alkinoos dit :\n\u2013 Je ne puis parler autrement, tant que je vivrai et que je comman -\nderai aux Phaiakiens habiles dans la navigation. Mais que notre \nh\u00f4te reste, malgr\u00e9 son d\u00e9sir de partir, et qu\u2019il attende le matin, \nafin que je r\u00e9unisse tous les pr\u00e9sents. Le soin de son retour me \nregarde plus encore que tous les autres, car je commande pour \nle peuple.\nEt le subtil Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Roi alkinoos, le plus illustre de tout le peuple, si vous m\u2019ordon -\nniez de rester ici toute l\u2019ann\u00e9e, tandis que vous pr\u00e9pareriez mon \nd\u00e9part et que vous r\u00e9uniriez de splendides pr\u00e9sents, j\u2019y consenti -\nrais volontiers ; car il vaudrait mieux pour moi rentrer les mains \npleines dans ma ch\u00e8re patrie. J\u2019en serais plus aim\u00e9 et plus honor\u00e9 \nde tous ceux qui me verraient de retour dans Ithak\u00e8.257\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt alkinoos lui dit :\n\u2013 \u00d4 Odysseus, certes, nous ne pouvons te soup\u00e7onner d\u2019\u00eatre \nun menteur et un voleur, comme tant d\u2019autres vagabonds, que \nnourrit la noire terre, qui ne disent que des mensonges dont \nnul ne peut rien comprendre. Mais ta beaut\u00e9, ton \u00e9loquence, ce \nque tu as racont\u00e9, d\u2019accord avec l\u2019a oide, des maux cruels des \nakhaiens et des tiens, tout a p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 en nous. Dis-moi donc et \nparle avec v\u00e9rit\u00e9, si tu as vu quelques-uns de tes illustres compa -\ngnons qui t\u2019ont suivi \u00e0 Ilios et que la destin\u00e9e a frapp\u00e9s l\u00e0. La nuit \nsera encore longue, et le temps n\u2019est point venu de dormir dans \nnos demeures. Dis-moi donc tes travaux admirables. Certes, je \nt\u2019\u00e9couterai jusqu\u2019au retour de la divine \u00c9\u00f4s, si tu veux nous dire \ntes douleurs.\nEt le subtil Odysseus parla ainsi :\n\u2013 Roi alkinoos, le plus illustre de tout le peuple, il y a un temps \nde parler et un temps de dormir ; mais, si tu d\u00e9sires m\u2019entendre, \ncertes, je ne refuserai pas de raconter les mis\u00e8res et les douleurs \nde mes compagnons, de ceux qui ont p\u00e9ri auparavant, ou qui, \nayant \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la guerre lamentable des Troiens, ont p\u00e9ri au \nretour par la ruse d\u2019une femme perfide.258CHaNT 11\napr\u00e8s que la v\u00e9n\u00e9rable Pers\u00e9phon\u00e9ia eut dispers\u00e9 \u00e7\u00e0 et l\u00e0 les \n\u00e2mes des femmes, survint l\u2019\u00e2me pleine de tristesse de l\u2019a tr\u00e9ide \nagamemn\u00f4n ; et elle \u00e9tait entour\u00e9e de toutes les \u00e2mes de ceux \nqui avaient subi la destin\u00e9e et qui avaient p\u00e9ri avec lui dans la \ndemeure d\u2019 aigisthos.\nayant bu le sang noir, il me reconnut aussit\u00f4t, et il pleura, en ver -\nsant des larmes am\u00e8res, et il \u00e9tendit les bras pour me saisir ; mais \nla force qui \u00e9tait en lui autrefois n\u2019\u00e9tait plus, ni la vigueur qui ani -\nmait ses membres souples. Et je pleurai en le voyant, plein de piti\u00e9 \ndans mon c\u0153ur, et je lui dis ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 atr\u00e9ide agamemn\u00f4n, roi des hommes, comment la k\u00e8r de la \ndure mort t\u2019a-t-elle dompt\u00e9 ? Poseida\u00f4n t\u2019a-t-il dompt\u00e9 dans tes \nnefs en excitant les immenses souffles des vents terribles, ou des \nhommes ennemis t\u2019ont-ils frapp\u00e9 sur la terre ferme, tandis que tu \nenlevais leurs b\u0153ufs et leurs beaux troupeaux de brebis, ou bien \nque tu combattais pour ta ville et pour tes femmes ?\nJe parlai ainsi, et, aussit\u00f4t, il me r\u00e9pondit :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, Poseida\u00f4n ne m\u2019a point \ndompt\u00e9 sur mes nefs, en excitant les immenses souffles des vents \nterribles, et des hommes ennemis ne m\u2019ont point frapp\u00e9 sur la 259\nL\u2019ODYSS\u00c9Eterre ferme ; mais aigisthos m\u2019a inflig\u00e9 la k\u00e8r et la mort \u00e0 l\u2019aide \nde ma femme perfide.\nM\u2019ayant convi\u00e9 \u00e0 un repas dans la demeure, il m\u2019a tu\u00e9 comme \nun b\u0153uf \u00e0 l\u2019\u00e9table. J\u2019ai subi ainsi une tr\u00e8s lamentable mort. Et, \nautour de moi, mes compagnons ont \u00e9t\u00e9 \u00e9gorg\u00e9s comme des \nporcs aux dents blanches, qui sont tu\u00e9s dans les demeures d\u2019un \nhomme riche et puissant, pour des noces, des festins sacr\u00e9s ou des \nrepas de f\u00eate. Certes, tu t\u2019es trouv\u00e9 au milieu du carnage de nom -\nbreux guerriers, entour\u00e9 de morts, dans la terrible m\u00eal\u00e9e ; mais \ntu aurais g\u00e9mi dans ton c\u0153ur de voir cela. Et nous gisions dans \nles demeures, parmi les krat\u00e8res et les tables charg\u00e9es, et toute la \nsalle \u00e9tait souill\u00e9e de sang. Et j\u2019entendais la voix lamentable de la \nfille de Priamos, Kassandr\u00e8, que la perfide Klytaimnestr\u00e8 \u00e9gor -\ngeait aupr\u00e8s de moi. Et comme j\u2019\u00e9tais \u00e9tendu mourant, je soule -\nvai mes mains vers mon \u00e9p\u00e9e ; mais la femme aux yeux de chien \ns\u2019\u00e9loigna et elle ne voulut point fermer mes yeux et ma bouche \nau moment o\u00f9 je descendais dans la demeure d\u2019a id\u00e8s. Rien n\u2019est \nplus cruel, ni plus impie qu\u2019une femme qui a pu m\u00e9diter de tels \ncrimes. ainsi, certes, Klytaimnestr\u00e8 pr\u00e9para le meurtre mis\u00e9rable \ndu premier mari qui la poss\u00e9da, et je p\u00e9ris ainsi, quand je croyais \nrentrer dans ma demeure, bien accueilli de mes enfants, de mes \nservantes et de mes esclaves ! Mais cette femme, pleine d\u2019affreuses 260CHaNT 11\npens\u00e9es, couvrira de sa honte toutes les autres femmes futures, et \nm\u00eame celles qui auront la sagesse en partage.\nIl parla ainsi, et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 \u00d4 dieux ! combien, certes, Zeus qui tonne hautement n\u2019a-t-il \npoint ha\u00ef la race d\u2019a treus \u00e0 cause des actions des femmes !\nD\u00e9j\u00e0, \u00e0 cause de H\u00e9l\u00e9n\u00e8 beaucoup d\u2019entre nous sont morts, et \nKlytaimnestr\u00e8 pr\u00e9parait sa trahison pendant que tu \u00e9tais absent.\nJe parlai ainsi, et il me r\u00e9pondit aussit\u00f4t :\n\u2013 C\u2019est pourquoi, maintenant, ne sois jamais trop bon envers ta \nfemme, et ne lui confie point toutes tes pens\u00e9es, mais n\u2019en dis que \nquelques-unes et cache-lui en une partie. Mais pour toi, Odysseus, \nta perte ne te viendra point de ta femme, car la sage fille d\u2019Ikarios, \nP\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, est pleine de prudence et de bonnes pens\u00e9es dans \nson esprit. Nous l\u2019avons laiss\u00e9e nouvellement mari\u00e9e quand nous \nsommes partis pour la guerre, et son fils enfant \u00e9tait suspendu \u00e0 \nsa mamelle ; et maintenant celui-ci s\u2019assied parmi les hommes ; et \nil est heureux, car son cher p\u00e8re le verra en arrivant, et il embras -\nsera son p\u00e8re. Pour moi, ma femme n\u2019a point permis \u00e0 mes yeux \nde se rassasier de mon fils, et m\u2019a tu\u00e9 auparavant. Mais je te dirai 261\nL\u2019ODYSS\u00c9Eune autre chose ; garde mon conseil dans ton esprit : Fais aborder \nta nef dans la ch\u00e8re terre de la patrie, non ouvertement, mais en \nsecret ; car il ne faut point se confier dans les femmes. Maintenant, \nparle et dis-moi la v\u00e9rit\u00e9. as-tu entendu dire que mon fils f\u00fbt \nencore vivant, soit \u00e0 Orkhom\u00e9nos, soit dans la sablonneuse Pylos, \nsoit aupr\u00e8s de M\u00e9n\u00e9laos dans la grande Sparta ? En effet, le divin \nOrest\u00e8s n\u2019est point encore mort sur la terre.\nIl parla ainsi, et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 atr\u00e9ide, pourquoi me demandes-tu ces choses ? Je ne sais s\u2019il est \nmort ou vivant. Il ne faut point parler inutilement.\nEt nous \u00e9changions ainsi de tristes paroles, afflig\u00e9s et r\u00e9pan -\ndant des larmes. Et l\u2019\u00e2me du P\u00e8l\u00e8iade akhilleus survint, celle de \nPatroklos, et celle de l\u2019irr\u00e9prochable antilokhos, et celle d\u2019a ias \nqui \u00e9tait le plus grand et le plus beau de tous les akhaiens, apr\u00e8s \nl\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8l\u00e9i\u00f4n. Et l\u2019\u00e2me du rapide aiakide me reconnut, \net, en g\u00e9missant, il me dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, malheureux, comment as-tu \npu m\u00e9diter quelque chose de plus grand que tes autres actions ? \nComment as-tu os\u00e9 venir chez aid\u00e9s o\u00f9 habitent les images \nvaines des hommes morts ?262CHaNT 11\nIl parla ainsi, et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 \u00d4 akhilleus, fils de P\u00e8leus, le plus brave des akhaiens, je suis \nvenu pour l\u2019oracle de Teir\u00e9sias, afin qu\u2019il m\u2019apprenne comment je \nparviendrai dans l\u2019\u00e2pre Ithak\u00e8, car je n\u2019ai abord\u00e9 ni l\u2019a khai\u00e8, ni \nla terre de ma patrie, et j\u2019ai toujours souffert. Mais toi, akhilleus, \naucun des anciens hommes n\u2019a \u00e9t\u00e9, ni aucun des hommes futurs \nne sera plus heureux que toi. Vivant, nous, akhaiens, nous t\u2019ho -\nnorions comme un dieu, et, maintenant, tu commandes \u00e0 tous les \nmorts. Tel que te voil\u00e0, et bien que mort, ne te plains pas, akhilleus.\nJe parlai ainsi, et il me r\u00e9pondit :\n\u2013 Ne me parle point de la mort, illustre Odysseus. J\u2019aimerais \nmieux \u00eatre un laboureur, et servir, pour un salaire, un homme \npauvre et pouvant \u00e0 peine se nourrir, que de commander \u00e0 tous \nles morts qui ne sont plus. Mais parle-moi de mon illustre fils. \nCombat-il au premier rang, ou non ? Dis-moi ce que tu as appris \nde l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8leus. Poss\u00e8de-t-il encore les m\u00eames hon -\nneurs parmi les nombreux Myrmidones, ou le m\u00e9prisent-ils dans \nHellas et dans la Phthi\u00e8, parce que ses mains et ses pieds sont li\u00e9s \npar la vieillesse ? En effet, je ne suis plus l\u00e0 pour le d\u00e9fendre, sous \nla splendeur de H\u00e8lios, tel que j\u2019\u00e9tais autrefois devant la grande \nTroi\u00e8, quand je domptais les plus braves, en combattant pour les 263\nL\u2019ODYSS\u00c9Eakhaiens. Si j\u2019apparaissais ainsi, un instant, dans la demeure de \nmon p\u00e8re, certes, je dompterais de ma force et de mes mains in\u00e9 -\nvitables ceux qui l\u2019outragent ou qui lui enl\u00e8vent ses honneurs.\nIl parla ainsi, et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 Certes, je n\u2019ai rien appris de l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8leus ; mais je \nte dirai toute la v\u00e9rit\u00e9, comme tu le d\u00e9sires, sur ton cher fils \nN\u00e9optol\u00e9mos. Je l\u2019ai conduit moi-m\u00eame, sur une nef creuse, de \nl\u2019\u00eele Skyros vers les akhaiens aux belles kn\u00e8mides. Quand nous \nconvoquions l\u2019agora devant la ville Troi\u00e8, il parlait le premier sans \nse tromper jamais, et l\u2019illustre Nest\u00f4r et moi nous luttions seuls \ncontre lui.\nToutes les fois que nous, akhaiens, nous combattions autour de \nla ville des Troiens, jamais il ne restait dans la foule des guerriers, \nni dans la m\u00eal\u00e9e ; mais il courait en avant, ne le c\u00e9dant \u00e0 personne \nen courage. Et il tua beaucoup de guerriers dans le combat ter -\nrible, et je ne pourrais ni les rappeler, ni les nommer tous, tant il \nen a tu\u00e9 en d\u00e9fendant les akhaiens. C\u2019est ainsi qu\u2019il tua avec l\u2019ai -\nrain le h\u00e9ros T\u00e8l\u00e9phide Eurypylos ; et autour de celui-ci de nom -\nbreux K\u00e8t\u00e9iens furent tu\u00e9s \u00e0 cause des pr\u00e9sents des femmes. Et \nEurypylos \u00e9tait le plus beau des hommes que j\u2019aie vus, apr\u00e8s le \ndivin Memn\u00f4n. Et quand nous mont\u00e2mes, nous, les princes des 264CHaNT 11\nakhaiens, dans le cheval qu\u2019avait fait \u00c9p\u00e9ios, c\u2019est \u00e0 moi qu\u2019ils \nremirent le soin d\u2019ouvrir ou de fermer cette \u00e9norme emb\u00fbche. Et \nles autres chefs des akhaiens versaient des larmes, et les membres \nde chacun tremblaient ; mais lui, je ne le vis jamais ni p\u00e2lir, ni \ntrembler, ni pleurer. Et il me suppliait de le laisser sortir du che -\nval, et il secouait son \u00e9p\u00e9e et sa lance lourde d\u2019airain, en m\u00e9ditant \nla perte des Troiens. Et quand nous e\u00fbmes renvers\u00e9 la haute ville \nde Priamos, il monta, avec une illustre part du butin, sur sa nef, \nsain et sauf, n\u2019ayant jamais \u00e9t\u00e9 bless\u00e9 de l\u2019airain aigu, ni de pr\u00e8s ni \nde loin, comme il arrive toujours dans la guerre, quand ar\u00e8s m\u00eale \nfurieusement les guerriers.\nJe parlai ainsi, et l\u2019\u00e2me de l\u2019a iakide aux pieds rapides s\u2019\u00e9loigna, \nmarchant fi\u00e8rement sur la prairie d\u2019asphod\u00e8le, et joyeuse, parce \nque je lui avais dit que son fils \u00e9tait illustre par son courage.\nEt les autres \u00e2mes de ceux qui ne sont plus s\u2019avan\u00e7aient triste -\nment, et chacune me disait ses douleurs ; mais, seule, l\u2019\u00e2me du \nT\u00e9lamoniade aias restait \u00e0 l\u2019\u00e9cart, irrit\u00e9e \u00e0 cause de la victoire que \nj\u2019avais remport\u00e9e sur lui, aupr\u00e8s des nefs, pour les armes d\u2019a khil-\nleus. La m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable de l\u2019a iakide les d\u00e9posa devant tous, et \nnos juges furent les fils des Troiens et Pallas ath\u00e8n\u00e8. Pl\u00fbt aux \ndieux que je ne l\u2019eusse point emport\u00e9 dans cette lutte qui envoya \nsous la terre une telle t\u00eate, aias, le plus beau et le plus brave 265\nL\u2019ODYSS\u00c9Edes akhaiens apr\u00e8s l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8l\u00e9i\u00f4n ! Et je lui adressai ces \ndouces paroles :\n\u2013 aias, fils irr\u00e9prochable de T\u00e9lam\u00f4n, ne devrais-tu pas, \u00e9tant \nmort, d\u00e9poser ta col\u00e8re \u00e0 cause des armes fatales que les dieux \nnous donn\u00e8rent pour la ruine des argiens ? ainsi, tu as p\u00e9ri, toi \nqui \u00e9tais pour eux comme une tour ! Et les akhaiens ne t\u2019ont pas \nmoins pleur\u00e9 que le P\u00e8l\u00e8iade akhilleus. Et la faute n\u2019en est \u00e0 per -\nsonne. Zeus, seul, dans sa haine pour l\u2019arm\u00e9e des Danaens, t\u2019a \nlivr\u00e9 \u00e0 la moire. Viens, \u00f4 roi, \u00e9coute ma pri\u00e8re, et dompte ta col\u00e8re \net ton c\u0153ur magnanime.\nJe parlai ainsi, mais il ne me r\u00e9pondit rien, et il se m\u00eala, dans \nl\u2019\u00c9r\u00e9bos, aux autres \u00e2mes des morts qui ne sont plus. Cependant, \nil m\u2019e\u00fbt parl\u00e9 comme je lui parlais, bien qu\u2019il f\u00fbt irrit\u00e9 ; mais j\u2019ai -\nmai mieux, dans mon cher c\u0153ur, voir les autres \u00e2mes des morts.\nEt je vis Min\u00f4s, l\u2019illustre fils de Zeus, et il tenait un sceptre d\u2019or, et, \nassis, il jugeait les morts. Et ils s\u2019asseyaient et se levaient autour \nde lui, pour d\u00e9fendre leur cause, dans la vaste demeure d\u2019 aid\u00e8s.\nPuis, je vis le grand Ori\u00f4n chassant, dans la prairie d\u2019aspho -\nd\u00e8le, les b\u00eates fauves qu\u2019il avait tu\u00e9es autrefois sur les montagnes 266CHaNT 11\nsauvages, en portant dans ses mains la massue d\u2019airain qui ne se \nbrisait jamais.\nPuis, je vis Tityos, le fils de l\u2019illustre Gaia, \u00e9tendu sur le sol et long \nde neuf pl\u00e8thres. Et deux vautours, des deux c\u00f4t\u00e9s, fouillaient son \nfoie avec leurs becs ; et, de ses mains, il ne pouvait les chasser ; car, \nen effet, il avait outrag\u00e9 par violence L\u00e8t\u00f4, l\u2019illustre concubine de \nZeus, comme elle allait \u00e0 Pyth\u00f4, le long du riant Panopeus.\nEt je vis Tantalos, subissant de cruelles douleurs, debout dans \nun lac qui lui baignait le menton. Et il \u00e9tait l\u00e0, souffrant la soif et \nne pouvant boire. Toutes les fois, en effet, que le vieillard se pen -\nchait, dans son d\u00e9sir de boire, l\u2019eau d\u00e9croissait absorb\u00e9e, et la terre \nnoire apparaissait autour de ses pieds, et un daim\u00f4n la dess\u00e9chait. \nEt des arbres \u00e9lev\u00e9s laissaient pendre leurs fruits sur sa t\u00eate, des \npoires, des grenades, des oranges, des figues douces et des olives \nvertes. Et toutes les fois que le vieillard voulait les saisir de ses \nmains, le vent les soulevait jusqu\u2019aux nu\u00e9es sombres.\nEt je vis Sisyphos subissant de grandes douleurs et poussant un \nimmense rocher avec ses deux mains. Et il s\u2019effor\u00e7ait, poussant ce \nrocher des mains et des pieds jusqu\u2019au fa\u00eete d\u2019une montagne. Et \nquand il \u00e9tait pr\u00e8s d\u2019atteindre ce fa\u00eete, alors la force lui manquait, \net l\u2019immense rocher roulait jusqu\u2019au bas. Et il recommen\u00e7ait de 267\nL\u2019ODYSS\u00c9Enouveau, et la sueur coulait de ses membres, et la poussi\u00e8re s\u2019\u00e9le -\nvait au-dessus de sa t\u00eate.\nEt je vis la force H\u00e8rakl\u00e9enne, ou son image, car lui-m\u00eame est \naupr\u00e8s des dieux immortels, jouissant de leurs repas et poss\u00e9dant \nH\u00e8b\u00e8 aux beaux talons, fille du magnanime Zeus et de H\u00e8r\u00e8 aux \nsandales d\u2019or. Et, autour de la force H\u00e8rakl\u00e9enne, la rumeur des \nmorts \u00e9tait comme celle des oiseaux, et ils fuyaient de toutes parts.\nEt H\u00e8rakl\u00e8s s\u2019avan\u00e7ait, semblable \u00e0 la nuit sombre, l\u2019arc en main, \nla fl\u00e8che sur le nerf, avec un regard sombre, comme un homme \nqui va lancer un trait. Un effrayant baudrier d\u2019or entourait sa poi -\ntrine, et des images admirables y \u00e9taient sculpt\u00e9es, des ours, des \nsangliers sauvages et des lions terribles, des batailles, des m\u00eal\u00e9es \net des combats tueurs d\u2019hommes, car un tr\u00e8s habile ouvrier avait \nfait ce baudrier. Et, m\u2019ayant vu, il me reconnut aussit\u00f4t, et il me \ndit en g\u00e9missant ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, sans doute tu es mis\u00e9rable et \nune mauvaise destin\u00e9e te conduit, ainsi que moi, quand j\u2019\u00e9tais \nsous la clart\u00e9 de H\u00e8lios.\nJ\u2019\u00e9tais le fils du Kroni\u00f4n Zeus, mais je subissais d\u2019innombrables \nmis\u00e8res, opprim\u00e9 par un homme qui m\u2019\u00e9tait inf\u00e9rieur et qui me 268CHaNT 11\ncommandait de lourds travaux. Il m\u2019envoya autrefois ici pour \nenlever le chien Kerb\u00e9ros, et il pensait que ce serait mon plus cruel \ntravail ; mais j\u2019enlevai Kerb\u00e9ros et je le tra\u00eenai hors des demeures \nd\u2019aid\u00e8s, car Herm\u00e9ias et ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs m\u2019avaient aid\u00e9.\nIl parla ainsi, et il rentra dans la demeure d\u2019a id\u00e8s. Et moi, je restai \nl\u00e0, immobile, afin de voir quelques-uns des hommes h\u00e9ro\u00efques \nqui \u00e9taient morts dans les temps antiques ; et peut-\u00eatre euss\u00e9-je \nvu les anciens h\u00e9ros que je d\u00e9sirais, Th\u00e8seus, Peirithoos, illustres \nenfants des dieux ; mais l\u2019innombrable multitude des morts \ns\u2019agita avec un si grand tumulte que la p\u00e2le terreur me saisit, et je \ncraignis que l\u2019illustre Pers\u00e9phon\u00e9ia m\u2019envoy\u00e2t, du Had\u00e8s, la t\u00eate \nde l\u2019horrible monstre Gorg\u00f4nien. Et aussit\u00f4t je retournai vers ma \nnef, et j\u2019ordonnai \u00e0 mes compagnons d\u2019y monter et de d\u00e9tacher le \nc\u00e2ble. Et aussit\u00f4t ils s\u2019assirent sur les bancs de la nef, et le courant \nemporta celle-ci sur le fleuve Ok\u00e9anos, \u00e0 l\u2019aide de la force des avi -\nrons et du vent favorable.269\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 12\nLa nef, ayant quitt\u00e9 le fleuve Ok\u00e9anos, courut sur les flots de la \nmer, l\u00e0 o\u00f9 H\u00e8lios se l\u00e8ve, o\u00f9 \u00c9\u00f4s, n\u00e9e au matin, a ses demeures et \nses ch\u0153urs, vers l\u2019\u00eele aiai\u00e8. \u00c9tant arriv\u00e9s l\u00e0, nous tir\u00e2mes la nef \nsur le sable ; puis, descendant sur le rivage de la mer, nous nous \nendorm\u00eemes en attendant la divine \u00c9\u00f4s.\nEt quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, j\u2019envoyai \nmes compagnons vers la demeure de Kirk\u00e8, afin d\u2019en rapporter le \ncadavre d\u2019Elp\u00e8n\u00f4r qui n\u2019\u00e9tait plus. Puis, ayant coup\u00e9 des arbres sur \nla hauteur du rivage, nous f\u00eemes ses fun\u00e9railles, tristes et versant \nd\u2019abondantes larmes. Et quand le cadavre et les armes du mort \neurent \u00e9t\u00e9 br\u00fbl\u00e9s, ayant construit le tombeau surmont\u00e9 d\u2019une \ncolonne, nous plant\u00e2mes l\u2019aviron au sommet. Et ces choses furent \nfaites ; mais, en revenant du Had\u00e8s, nous ne retourn\u00e2mes point \nchez Kirk\u00e8. Elle vint elle-m\u00eame \u00e0 la h\u00e2te, et, avec elle, vinrent ses \nservantes qui portaient du pain, des chairs abondantes et du vin \nrouge. Et la noble d\u00e9esse au milieu de nous, parla ainsi :\n\u2013 Malheureux, qui, vivants, \u00eates descendus dans la demeure d\u2019a i-\nd\u00e8s, vous mourrez deux fois, et les autres hommes ne meurent 270CHaNT 12\nqu\u2019une fois. allons ! mangez et buvez pendant tout le jour, jusqu\u2019\u00e0 \nla chute de H\u00e8lios ; et, \u00e0 la lumi\u00e8re naissante, vous naviguerez, et je \nvous dirai la route, et je vous avertirai de toute chose, de peur que \nvous subissiez encore des maux cruels sur la mer ou sur la terre.\nElle parla ainsi, et elle persuada notre \u00e2me g\u00e9n\u00e9reuse. Et, pendant \ntout le jour, jusqu\u2019\u00e0 la chute de H\u00e8lios, nous rest\u00e2mes, mangeant \nles chairs abondantes et buvant le vin doux. Et, quand H\u00e8lios \ntomba, le soir survint, et mes compagnons s\u2019endormirent aupr\u00e8s \ndes c\u00e2bles de la nef. Mais Kirk\u00e8, me prenant par la main, me \nconduisit loin de mes compagnons, et, s\u2019\u00e9tant couch\u00e9e avec moi, \nm\u2019interrogea sur les choses qui m\u2019\u00e9taient arriv\u00e9es. Et je lui racon -\ntai tout, et, alors, la v\u00e9n\u00e9rable Kirk\u00e8 me dit :\n\u2013 ainsi, tu as accompli tous ces travaux. Maintenant, \u00e9coute ce que \nje vais te dire. Un dieu lui-m\u00eame fera que tu t\u2019en souviennes. Tu \nrencontreras d\u2019abord les Seir\u00e8nes qui charment tous les hommes \nqui les approchent ; mais il est perdu celui qui, par imprudence, \n\u00e9coute leur chant, et jamais sa femme et ses enfants ne le rever -\nront dans sa demeure, et ne se r\u00e9jouiront. Les Seir\u00e8nes le char -\nment par leur chant harmonieux, assises dans une prairie, autour \nd\u2019un grand amas d\u2019ossements d\u2019hommes et de peaux en putr\u00e9 -\nfaction. Navigue rapidement au-del\u00e0, et bouche les oreilles de \ntes compagnons avec de la cire molle, de peur qu\u2019aucun d\u2019eux 271\nL\u2019ODYSS\u00c9Eentende. Pour toi, \u00e9coute-les, si tu veux ; mais que tes compa -\ngnons te lient, \u00e0 l\u2019aide de cordes, dans la nef rapide, debout contre \nle m\u00e2t, par les pieds et les mains, avant que tu \u00e9coutes avec une \ngrande volupt\u00e9 la voix des Seir\u00e8nes. Et, si tu pries tes compa -\ngnons, si tu leur ordonnes de te d\u00e9lier, qu\u2019ils te chargent de plus \nde liens encore.\napr\u00e8s que vous aurez navigu\u00e9 au-del\u00e0, je ne puis te dire, des deux \nvoies que tu trouveras, laquelle choisir ; mais tu te d\u00e9cideras dans \nton esprit.\nJe te les d\u00e9crirai cependant. L\u00e0, se dressent deux hautes roches, et \ncontre elles retentissent les grands flots d\u2019a mphitrite aux yeux \nbleus. Les dieux heureux les nomment les Errantes. Et jamais \nles oiseaux ne volent au-del\u00e0, pas m\u00eame les timides colombes \nqui portent l\u2019ambroisie au p\u00e8re Zeus. Souvent une d\u2019elles tombe \nsur la roche, mais le p\u00e8re en cr\u00e9e une autre, afin que le nombre \nen soit complet. Jamais aucune nef, ayant approch\u00e9 ces roches, \nn\u2019en a \u00e9chapp\u00e9 ; et les flots de la mer et la temp\u00eate pleine d\u2019\u00e9clairs \nemportent les bancs de rameurs et les corps des hommes. Et une \nseule nef, sillonnant la mer, a navigu\u00e9 au-del\u00e0 : arg\u00f4, ch\u00e8re \u00e0 tous \nles dieux, et qui revenait de la terre d\u2019a i\u00e8t\u00e8s. Et m\u00eame, elle allait \n\u00eatre jet\u00e9e contre les grandes roches, mais H\u00e8r\u00e8 la fit passer outre, \ncar J\u00e8s\u00f4n lui \u00e9tait cher.272CHaNT 12\nTels sont ces deux \u00e9cueils. L \u2019un, de son fa\u00eete aigu, atteint le haut \nOuranos, et une nu\u00e9e bleue l\u2019environne sans cesse, et jamais la \ns\u00e9r\u00e9nit\u00e9 ne baigne son sommet, ni en \u00e9t\u00e9, ni en automne ; et \njamais aucun homme mortel ne pourrait y monter ou en des -\ncendre, quand il aurait vingt bras et vingt pieds, tant la roche est \nhaute et semblable \u00e0 une pierre polie. au milieu de l\u2019\u00e9cueil il y a \nune caverne noire dont l\u2019entr\u00e9e est tourn\u00e9e vers l\u2019\u00c9r\u00e9bos et c\u2019est \nde cette caverne, illustre Odysseus, qu\u2019il faut approcher ta nef \ncreuse. Un homme dans la force de la jeunesse ne pourrait, de sa \nnef, lancer une fl\u00e8che jusque dans cette caverne profonde. Et c\u2019est \nl\u00e0 qu\u2019habite Skyll\u00e8 qui pousse des rugissements et dont la voix est \naussi forte que celle d\u2019un jeune lion.\nC\u2019est un monstre prodigieux, et nul n\u2019est joyeux de l\u2019avoir vu, pas \nm\u00eame un Dieu. Elle a douze pieds difformes, et six cous sortent \nlonguement de son corps, et \u00e0 chaque cou est attach\u00e9e une t\u00eate \nhorrible, et dans chaque gueule pleine de la noire mort il y a une \ntriple rang\u00e9e de dents \u00e9paisses et nombreuses. Et elle est plong\u00e9e \ndans la caverne creuse jusqu\u2019aux reins ; mais elle \u00e9tend au-dehors \nses t\u00eates, et, regardant autour de l\u2019\u00e9cueil, elle saisit les dauphins, \nles chiens de mer et les autres monstres innombrables qu\u2019elle \nveut prendre et que nourrit la g\u00e9missante amphitrit\u00e8. Jamais les \nmarins ne pourront se glorifier d\u2019avoir pass\u00e9 aupr\u00e8s d\u2019elle sains \net saufs sur leur nef, car chaque t\u00eate enl\u00e8ve un homme hors de 273\nL\u2019ODYSS\u00c9Ela nef \u00e0 proue bleue. L \u2019autre \u00e9cueil voisin que tu verras, Odysseus, \nest moins \u00e9lev\u00e9, et tu en atteindrais le sommet d\u2019un trait. Il y croit \nun grand figuier sauvage charg\u00e9 de feuilles, et, sous ce figuier, la \ndivine Kharybdis engloutit l\u2019eau noire. Et elle la revomit trois fois \npar jour et elle l\u2019engloutit trois fois horriblement. Et si tu arrivais \nquand elle l\u2019engloutit, celui qui \u00e9branle la terre, lui-m\u00eame, vou -\ndrait te sauver, qu\u2019il ne le pourrait pas. Pousse donc rapidement \nta nef le long de Skyll\u00e8, car il vaut mieux perdre six hommes de \ntes compagnons, que de les perdre tous.\nElle parla ainsi, et je lui r\u00e9pondis :\n\u2013 Parle, d\u00e9esse, et dis-moi la v\u00e9rit\u00e9. Si je puis \u00e9chapper \u00e0 la d\u00e9sas -\ntreuse Kharybdis, ne pourrai-je attaquer Skyll\u00e8, quand elle saisira \nmes compagnons ?\nJe parlai ainsi, et la noble D\u00e9esse me r\u00e9pondit :\n\u2013 Malheureux, tu songes donc encore aux travaux de la guerre ? \nEt tu ne veux pas c\u00e9der, m\u00eame aux dieux immortels ! Mais Skyll\u00e8 \nn\u2019est point mortelle, et c\u2019est un monstre cruel, terrible et sau -\nvage, et qui ne peut \u00eatre combattu. aucun courage ne peut en \ntriompher. Si tu ne te h\u00e2tes point, ayant saisi tes armes pr\u00e8s de la \nroche, je crains que, se ruant de nouveau, elle emporte autant de 274CHaNT 12\nt\u00eates qu\u2019elle a d\u00e9j\u00e0 enlev\u00e9 d\u2019hommes. Vogue donc rapidement, et \ninvoque Krata\u00efs, m\u00e8re de Skyll\u00e8, qui l\u2019a enfant\u00e9e pour la perte des \nhommes, afin qu\u2019elle l\u2019apaise, et que celle-ci ne se pr\u00e9cipite point \nde nouveau.\nTu arriveras ensuite \u00e0 l\u2019\u00eele Thrinaki\u00e8. L\u00e0, paissent les b\u0153ufs et \nles gras troupeaux de H\u00e8lios. Et il a sept troupeaux de b\u0153ufs \net autant de brebis, cinquante par troupeau. Et ils ne font point \nde petits, et ils ne meurent point, et leurs pasteurs sont deux \nnymphes divines, Pha\u00e9thousa et Lamp\u00e9ti\u00e8, que la divine N\u00e9aira \na con\u00e7ues du Hyp\u00e9rionide H\u00e8lios. Et leur m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable les \nenfanta et les nourrit, et elle les laissa dans l\u2019\u00eele Thrinaki\u00e8, afin \nqu\u2019elles habitassent au loin, gardant les brebis paternelles et les \nb\u0153ufs aux cornes recourb\u00e9es. Si, songeant \u00e0 ton retour, tu ne \ntouches point \u00e0 ces troupeaux, vous rentrerez tous dans Ithak\u00e8, \napr\u00e8s avoir beaucoup souffert ; mais si tu les blesses, alors je te \npr\u00e9dis la perte de ta nef et de tes compagnons. Et tu \u00e9chapperas \nseul, mais tu rentreras tard et mis\u00e9rablement dans ta demeure, \nayant perdu tous tes compagnons.\nElle parla ainsi, et aussit\u00f4t \u00c9\u00f4s s\u2019assit sur son thr\u00f4ne d\u2019or, et la \nnoble d\u00e9esse Kirk\u00e8 disparut dans l\u2019\u00eele. Et, retournant vers ma nef, \nj\u2019excitai mes compagnons \u00e0 y monter et \u00e0 d\u00e9tacher les c\u00e2bles. Et \nils mont\u00e8rent aussit\u00f4t, et ils s\u2019assirent en ordre sur les bancs, et ils 275\nL\u2019ODYSS\u00c9Efrapp\u00e8rent la blanche mer de leurs avirons. Kirk\u00e8 aux beaux che -\nveux, terrible et v\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse, envoya derri\u00e8re la nef \u00e0 proue \nbleue un vent favorable qui emplit la voile ; et, toutes choses \n\u00e9tant mises en place sur la nef, nous nous ass\u00eemes, et le vent et \nle pilote nous conduisirent. alors, triste dans le c\u0153ur, je dis \u00e0 \nmes compagnons :\n\u2013 \u00d4 amis, il ne faut pas qu\u2019un seul, et m\u00eame deux seulement \nd\u2019entre nous, sachent ce que m\u2019a pr\u00e9dit la noble d\u00e9esse Kirk\u00e8 ; \nmais il faut que nous le sachions tous, et je vous le dirai. Nous \nmourrons apr\u00e8s, ou, \u00e9vitant le danger, nous \u00e9chapperons \u00e0 la \nmort et \u00e0 la k\u00e8r. avant tout, elle nous ordonne de fuir le chant \net la prairie des divines Seir\u00e8nes, et \u00e0 moi seul elle permet de les \n\u00e9couter ; mais liez-moi fortement avec des cordes, debout contre \nle, m\u00e2t, afin que j\u2019y reste immobile, et, si je vous supplie et vous \nordonne de me d\u00e9lier, alors, au contraire, chargez-moi de plus \nde liens.\nEt je disais cela \u00e0 mes compagnons, et, pendant ce temps, la nef \nbien construite approcha rapidement de l\u2019\u00eele des Seir\u00e8nes, tant \nle vent favorable nous poussait ; mais il s\u2019apaisa aussit\u00f4t, et il fit \nsilence, et un daim\u00f4n assoupit les flots. alors, mes compagnons, \nse levant, pli\u00e8rent les voiles et les d\u00e9pos\u00e8rent dans la nef creuse ; \net, s\u2019\u00e9tant assis, ils blanchirent l\u2019eau avec leurs avirons polis.276CHaNT 12\nEt je coupai, \u00e0 l\u2019aide de l\u2019airain tranchant, une grande masse ronde \nde cire, dont je pressai les morceaux dans mes fortes mains ; et la \ncire s\u2019amollit, car la chaleur du roi H\u00e8lios \u00e9tait br\u00fblante, et j\u2019em -\nployais une grande force. Et je fermai les oreilles de tous mes \ncompagnons. Et, dans la nef, ils me li\u00e8rent avec des cordes, par les \npieds et les mains, debout contre le m\u00e2t. Puis, s\u2019asseyant, ils frap -\np\u00e8rent de leurs avirons la mer \u00e9cumeuse.\nEt nous approch\u00e2mes \u00e0 la port\u00e9e de la voix, et la nef rapide, \u00e9tant \nproche, fut promptement aper\u00e7ue par les Seir\u00e8nes, et elles chan -\nt\u00e8rent leur chant harmonieux :\n\u2013 Viens, \u00f4 illustre Odysseus, grande gloire des akhaiens. arr\u00eate ta \nnef, afin d\u2019\u00e9couter notre voix. aucun homme n\u2019a d\u00e9pass\u00e9 notre \u00eele \nsur sa nef noire sans \u00e9couter notre douce voix ; puis, il s\u2019\u00e9loigne, \nplein de joie, et sachant de nombreuses choses. Nous savons, en \neffet, tout ce que les akhaiens et les Troiens ont subi devant la \ngrande Troi\u00e8 par la volont\u00e9 des dieux, et nous savons aussi tout \nce qui arrive sur la terre nourrici\u00e8re.\nElles chantaient ainsi, faisant r\u00e9sonner leur belle voix, et mon \nc\u0153ur voulait les entendre ; et, en remuant les sourcils, je fis \nsigne \u00e0 mes compagnons de me d\u00e9tacher ; mais ils agitaient plus 277\nL\u2019ODYSS\u00c9Eardemment les avirons ; et, aussit\u00f4t, P\u00e9rim\u00e8d\u00e8s et Eurylokhos, se \nlevant, me charg\u00e8rent de plus de liens.\napr\u00e8s que nous les e\u00fbmes d\u00e9pass\u00e9es et que nous n\u2019entend\u00eemes \nplus leur voix et leur chant, mes chers compagnons retir\u00e8rent la \ncire de leurs oreilles et me d\u00e9tach\u00e8rent ; mais, \u00e0 peine avions-nous \nlaiss\u00e9 l\u2019\u00eele, que je vis de la fum\u00e9e et de grands flots et que j\u2019enten -\ndis un bruit immense. Et mes compagnons, frapp\u00e9s de crainte, \nlaiss\u00e8rent les avirons tomber de leurs mains. Et le courant empor -\ntait la nef, parce qu\u2019ils n\u2019agitaient plus les avirons. Et moi, courant \n\u00e7\u00e0 et l\u00e0, j\u2019exhortai chacun d\u2019eux par de douces paroles :\n\u2013 \u00d4 amis, nous n\u2019ignorons pas les maux. N\u2019avons nous pas endur\u00e9 \nun mal pire quand le kykl\u00f4ps nous tenait renferm\u00e9s dans sa \ncaverne creuse avec une violence horrible ? Mais, alors, par ma \nvertu, par mon intelligence et ma sagesse, nous lui avons \u00e9chapp\u00e9. \nJe ne pense pas que vous l\u2019ayez oubli\u00e9. Donc, maintenant, faites \nce que je dirai ; ob\u00e9issez tous. Vous, assis sur les bancs, frappez de \nvos avirons les flots profonds de la mer ; et toi, pilote, je t\u2019ordonne \nceci, retiens-le dans ton esprit, puisque tu tiens le gouvernail de \nla nef creuse. Dirige-la en dehors de cette fum\u00e9e et de ce courant, \net gagne cet autre \u00e9cueil. Ne cesse pas d\u2019y tendre avec vigueur, et \ntu d\u00e9tourneras notre perte.278CHaNT 12\nJe parlai ainsi, et ils ob\u00e9irent promptement \u00e0 mes paroles ; mais \nje ne leur dis rien de Skyll\u00e8, cette irr\u00e9m\u00e9diable tristesse, de peur \nqu\u2019\u00e9pouvant\u00e9s, ils cessassent de remuer les avirons, pour se cacher \ntous ensemble dans le fond de la nef. Et alors j\u2019oubliai les ordres \ncruels de Kirk\u00e8 qui m\u2019avait recommand\u00e9 de ne point m\u2019armer.\nEt, m\u2019\u00e9tant rev\u00eatu de mes armes splendides, et, ayant pris deux, \nlongues lances, je montai sur la proue de la nef d\u2019o\u00f9 je croyais \napercevoir d\u2019abord la rocheuse Skyll\u00e8 apportant la mort \u00e0 mes \ncompagnons. Mais je ne pus la voir, mes yeux se fatiguaient \u00e0 \nregarder de tous les c\u00f4t\u00e9s de la roche noire.\nEt nous traversions ce d\u00e9troit en g\u00e9missant. D\u2019un c\u00f4t\u00e9 \u00e9tait Skyll\u00e8 ; \net, de l\u2019autre, la divine Kharybdis engloutissait l\u2019horrible eau \nsal\u00e9e de la mer ; et, quand elle la revomissait, celle-ci bouillonnait \ncomme dans un bassin sur un grand feu, et elle la lan\u00e7ait en l\u2019air, \net l\u2019eau pleuvait sur les deux \u00e9cueils. Et, quand elle engloutissait de \nnouveau l\u2019eau sal\u00e9e de la mer, elle semblait boulevers\u00e9e jusqu\u2019au \nfond, et elle rugissait affreusement autour de la roche ; et le sable \nbleu du fond apparaissait, et la p\u00e2le terreur saisit mes compa -\ngnons. Et nous regardions Kharybdis, car c\u2019\u00e9tait d\u2019elle que nous \nattendions notre perte ; mais, pendant ce temps, Skyll\u00e8 enleva de \nla nef creuse six de mes plus braves compagnons. Et, comme je 279\nL\u2019ODYSS\u00c9Eregardais sur la nef, je vis leurs pieds et leurs mains qui passaient \ndans l\u2019air ; et ils m\u2019appelaient dans leur d\u00e9sespoir.\nDe m\u00eame qu\u2019un p\u00eacheur, du haut d\u2019un rocher, avec une longue \nbaguette, envoie dans la mer, aux petits poissons, un app\u00e2t \nenferm\u00e9 dans la corne d\u2019un b\u0153uf sauvage, et jette chaque pois -\nson qu\u2019il a pris, palpitant, sur le rocher ; de m\u00eame Skyll\u00e8 empor -\ntait mes compagnons palpitants et les d\u00e9vorait sur le seuil, tandis \nqu\u2019ils poussaient des cris et qu\u2019ils tendaient vers moi leurs mains.\nEt c\u2019\u00e9tait la chose la plus lamentable de toutes celles que j\u2019aie vues \ndans mes courses sur la mer.\napr\u00e8s avoir fui l\u2019horrible Kharybdis et Skyll\u00e8, nous arriv\u00e2mes \u00e0 \nl\u2019\u00eele irr\u00e9prochable du dieu. Et l\u00e0 \u00e9taient les b\u0153ufs irr\u00e9prochables \naux larges fronts et les gras troupeaux du Hyp\u00e9rionide H\u00e8lios. Et \ncomme j\u2019\u00e9tais encore en mer, sur la nef noire, j\u2019entendis les mugis -\nsements des b\u0153ufs dans les \u00e9tables et le b\u00ealement des brebis ; et \nla parole du divinateur aveugle, du Th\u00e9bain Teir\u00e9sias, me revint \n\u00e0 l\u2019esprit, et Kirk\u00e8 aussi qui m\u2019avait recommand\u00e9 d\u2019\u00e9viter l\u2019\u00eele de 280CHaNT 12\nH\u00e8lios qui charme les hommes. alors, triste dans mon c\u0153ur, je \nparlai ainsi \u00e0 mes compagnons :\n\u2013 \u00c9coutez mes paroles, compagnons, bien qu\u2019accabl\u00e9s de maux, \nafin que je vous dise les oracles de Teir\u00e9sias et de Kirk\u00e8 qui m\u2019a \nrecommand\u00e9 de fuir promptement l\u2019\u00eele de H\u00e8lios qui donne la \nlumi\u00e8re aux hommes. Elle m\u2019a dit qu\u2019un grand malheur nous \nmena\u00e7ait ici. Donc, poussez la nef noire au-del\u00e0 de cette \u00eele.\nJe parlai ainsi, et leur cher c\u0153ur fut bris\u00e9. Et, aussit\u00f4t, Eurylokhos \nme r\u00e9pondit par ces paroles funestes :\n\u2013 Tu es dur pour nous, \u00f4 Odysseus ! Ta force est grande, et tes \nmembres ne sont jamais fatigu\u00e9s, et tout te semble de fer. Tu \nne veux pas que tes compagnons, charg\u00e9s de fatigue et de som -\nmeil, descendent \u00e0 terre, dans cette \u00eele entour\u00e9e des flots o\u00f9 nous \naurions pr\u00e9par\u00e9 un repas abondant ; et tu ordonnes que nous \nerrions \u00e0 l\u2019aventure, pendant la nuit rapide, loin de cette \u00eele, sur \nla sombre mer !\nLes vents de la nuit sont dangereux et perdent les nefs. Qui \nde nous \u00e9viterait la k\u00e8r fatale, si, soudainement, survenait une \ntemp\u00eate du Notos ou du violent Z\u00e9phyros qui perdent le plus \ns\u00fbrement les nefs, m\u00eame malgr\u00e9 les dieux ? Maintenant donc, 281\nL\u2019ODYSS\u00c9Eob\u00e9issons \u00e0 la nuit noire, et pr\u00e9parons notre repas aupr\u00e8s de la \nnef rapide. Nous y remonterons demain, au matin, et nous fen -\ndrons la vaste mer.\nEurylokhos parla ainsi, et mes compagnons l\u2019approuv\u00e8rent. Et je \nvis s\u00fbrement qu\u2019un daim\u00f4n m\u00e9ditait leur perte. Et je lui dis ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Eurylokhos, vous me faites violence, car je suis seul ; mais jure-\nmoi, par un grand serment, que, si nous trouvons quelque trou -\npeau de b\u0153ufs ou de nombreuses brebis, aucun de vous, de \npeur de commettre un crime, ne tuera ni un b\u0153uf, ni une brebis. \nMangez tranquillement les vivres que nous a donn\u00e9s l\u2019immor -\ntelle Kirk\u00e8.\nJe parlai ainsi, et, aussit\u00f4t, ils me le jur\u00e8rent comme je l\u2019avais \nordonn\u00e9. Et, apr\u00e8s qu\u2019ils eurent prononc\u00e9 toutes les paroles du \nserment, nous arr\u00eat\u00e2mes la nef bien construite, dans un port pro -\nfond, aupr\u00e8s d\u2019une eau douce ; et mes compagnons sortirent de la \nnef et pr\u00e9par\u00e8rent \u00e0 la h\u00e2te leur repas. Puis, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre rassasi\u00e9s \nde boire et de manger, ils pleur\u00e8rent leurs chers compagnons que \nSkyll\u00e8 avait enlev\u00e9s de la nef creuse et d\u00e9vor\u00e9s. Et, tandis qu\u2019ils \npleuraient, le doux sommeil les saisit.282CHaNT 12\nMais, vers la troisi\u00e8me partie de la nuit, \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 les astres s\u2019in -\nclinent, Zeus qui amasse les nu\u00e9es excita un vent violent, avec de \ngrands tourbillons ; et il enveloppa la terre et la mer de brouil -\nlards, et l\u2019obscurit\u00e9 tomba de l\u2019Ouranos.\nEt quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, nous tra\u00ee -\nn\u00e2mes la nef \u00e0 l\u2019abri dans une caverne profonde. L\u00e0 \u00e9taient les \nbelles demeures des nymphes et leurs si\u00e8ges. Et alors, ayant r\u00e9uni \nl\u2019agora, je parlai ainsi :\n\u2013 \u00d4 amis, il y a dans la nef rapide \u00e0 boire et \u00e0 manger. abstenons-\nnous donc de ces b\u0153ufs, de peur d\u2019un grand malheur. En effet, \nce sont les b\u0153ufs terribles et les illustres troupeaux d\u2019un dieu, de \nH\u00e8lios, qui voit et entend tout.\nJe parlai ainsi, et leur esprit g\u00e9n\u00e9reux fut persuad\u00e9. Et, tout un \nmois, le Notos souffla perp\u00e9tuellement ; et aucun des autres \nvents ne soufflait, que le Notos et l\u2019Euros. Et aussi longtemps \nque mes compagnons eurent du pain et du vin rouge, ils s\u2019abs -\ntinrent des b\u0153ufs qu\u2019ils d\u00e9siraient vivement ; mais quand tous les \nvivres furent \u00e9puis\u00e9s, la n\u00e9cessit\u00e9 nous contraignant, nous f\u00eemes, \n\u00e0 l\u2019aide d\u2019hame\u00e7ons recourb\u00e9s, notre proie des poissons et des \noiseaux qui nous tombaient entre les mains. Et la faim tourmen -\ntait notre ventre.283\nL\u2019ODYSS\u00c9Ealors, je m\u2019enfon\u00e7ai dans l\u2019\u00eele, afin de supplier les dieux, et de voir \nsi un d\u2019entre eux me montrerait le chemin du retour. Et j\u2019allai \ndans l\u2019\u00eele, et, laissant mes compagnons, je lavai mes mains \u00e0 l\u2019abri \ndu vent, et je suppliai tous les dieux qui habitent le large Olympos.\nEt ils r\u00e9pandirent le doux sommeil sur mes paupi\u00e8res. alors, \nEurylokhos inspira \u00e0 mes compagnons un dessein fatal :\n\u2013 \u00c9coutez mes paroles, compagnons, bien que souffrant beau -\ncoup de maux. Toutes les morts sont odieuses aux mis\u00e9rables \nhommes, mais mourir par la faim est tout ce qu\u2019il y a de plus \nlamentable. allons ! saisissons les meilleurs b\u0153ufs de H\u00e8lios, et \nsacrifions-les aux immortels qui habitent le large Ouranos. Si \nnous rentrons dans Ithak\u00e8, dans la terre de la patrie, nous \u00e9l\u00e8ve -\nrons aussit\u00f4t \u00e0 H\u00e8lios un beau temple o\u00f9 nous placerons toute \nsorte de choses pr\u00e9cieuses ; mais, s\u2019il est irrit\u00e9 \u00e0 cause de ses \nb\u0153ufs aux cornes dress\u00e9es, et s\u2019il veut perdre la nef, et si les autres \ndieux y consentent, j\u2019aime mieux mourir en une fois, \u00e9touff\u00e9 par \nles flots, que de souffrir plus longtemps dans cette \u00eele d\u00e9serte.\nEurylokhos parla ainsi, et tous l\u2019applaudirent. Et, aussit\u00f4t, ils \nentra\u00een\u00e8rent les meilleurs b\u0153ufs de H\u00e8lios, car les b\u0153ufs noirs \nau large front paissaient non loin de la nef \u00e0 proue bleue. Et, les \nentourant, ils les vou\u00e8rent aux immortels ; et ils prirent les feuilles 284CHaNT 12\nd\u2019un jeune ch\u00eane, car ils n\u2019avaient point d\u2019orge blanche dans la nef. \nEt, apr\u00e8s avoir pri\u00e9, ils \u00e9gorg\u00e8rent les b\u0153ufs et les \u00e9corch\u00e8rent ; \npuis, ils r\u00f4tirent les cuisses recouvertes d\u2019une double graisse, et ils \npos\u00e8rent par-dessus les entrailles crues. Et, n\u2019ayant point de vin \npour faire les libations sur le feu du sacrifice, ils en firent avec de \nl\u2019eau, tandis qu\u2019ils r\u00f4tissaient les entrailles.\nQuand les cuisses furent consum\u00e9es, ils go\u00fbt\u00e8rent les entrailles. \nPuis, ayant coup\u00e9 le reste en morceaux, ils les travers\u00e8rent \nde broches.\nalors, le doux sommeil quitta mes paupi\u00e8res, et je me h\u00e2tai de \nretourner vers la mer et vers la nef rapide. Mais quand je fus pr\u00e8s \ndu lieu o\u00f9 celle-ci avait \u00e9t\u00e9 pouss\u00e9e, la douce odeur vint au-de -\nvant de moi. Et, g\u00e9missant, je criai vers les dieux immortels :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, et vous, dieux heureux et immortels, certes, c\u2019est pour \nmon plus grand malheur que vous m\u2019avez envoy\u00e9 ce sommeil \nfatal. Voici que mes compagnons, rest\u00e9s seuls ici, ont commis un \ngrand crime.285\nL\u2019ODYSS\u00c9Eaussit\u00f4t, Lamp\u00e9ti\u00e8 au large p\u00e9plos alla annoncer \u00e0 H\u00e8lios \nHyp\u00e9rionide que mes compagnons avaient tu\u00e9 ses b\u0153ufs, et le \nHyp\u00e9rionide, irrit\u00e9 dans son c\u0153ur, dit aussit\u00f4t aux autres dieux :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, et vous, dieux heureux et immortels, vengez-moi des \ncompagnons du Laertiade Odysseus. Ils ont tu\u00e9 audacieusement \nles b\u0153ufs dont je me r\u00e9jouissais quand je montais \u00e0 travers l\u2019Ou -\nranos \u00e9toil\u00e9, et quand je descendais de l\u2019Ouranos sur la terre. Si \nvous ne me donnez pas une juste compensation pour mes b\u0153ufs, \nje descendrai dans la demeure d\u2019a id\u00e8s, et j\u2019\u00e9clairerai les morts.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 H\u00e8lios, \u00e9claire toujours les immortels et les hommes mortels sur \nla terre f\u00e9conde. Je br\u00fblerai bient\u00f4t de la blanche foudre leur nef \nfracass\u00e9e au milieu de la sombre mer.\nEt j\u2019appris cela de Kalyps\u00f4 aux beaux cheveux, qui le savait du \nmessager Herm\u00e9ias.\n\u00c9tant arriv\u00e9 \u00e0 la mer et \u00e0 ma nef, je fis des reproches violents \n\u00e0 chacun de mes compagnons ; mais nous ne pouvions trou -\nver aucun rem\u00e8de au mal, car les b\u0153ufs \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 tu\u00e9s. Et d\u00e9j\u00e0 \nles prodiges des dieux s\u2019y manifestaient : les peaux rampaient 286CHaNT 12\ncomme des serpents, et les chairs mugissaient autour des bro -\nches, cuites ou crues, et on e\u00fbt dit les voix des b\u0153ufs eux-m\u00eames. \nEt, pendant six jours, mes chers compagnons mang\u00e8rent les meil -\nleurs b\u0153ufs de H\u00e8lios, les ayant tu\u00e9s. Quand Zeus amena le sep -\nti\u00e8me jour, le vent cessa de souffler par tourbillons. alors, \u00e9tant \nmont\u00e9s sur la nef, nous la pouss\u00e2mes au large ; et, le m\u00e2t \u00e9tant \ndress\u00e9, nous d\u00e9ploy\u00e2mes les blanches voiles. Et nous abandon -\nn\u00e2mes l\u2019\u00eele, et aucune autre terre n\u2019\u00e9tait en vue, et rien ne se voyait \nque l\u2019Ouranos et la mer.\nalors le Kroni\u00f4n suspendit une nu\u00e9e \u00e9paisse sur la nef creuse qui \nne marchait plus aussi vite, et, sous elle, la mer devint toute noire. \nEt aussit\u00f4t le strident Z\u00e9phyros souffla avec un grand tourbillon, \net la temp\u00eate rompit les deux c\u00e2bles du m\u00e2t, qui tomba dans le \nfond de la nef avec tous les agr\u00e8s.\nEt il s\u2019abattit sur la poupe, brisant tous les os de la t\u00eate du pilote, \nqui tomba de son banc, semblable \u00e0 un plongeur. Et son \u00e2me g\u00e9n\u00e9 -\nreuse abandonna ses ossements. En m\u00eame temps, Zeus tonna et \nlan\u00e7a la foudre sur la nef, et celle-ci, frapp\u00e9e de la foudre de Zeus, \ntourbillonna et s\u2019emplit de soufre, et mes compagnons furent pr\u00e9 -\ncipit\u00e9s. Semblables \u00e0 des corneilles marines, ils \u00e9taient emport\u00e9s \npar les flots, et un dieu leur refusa le retour. Moi, je marchai sur \nla nef jusqu\u2019\u00e0 ce que la force de la temp\u00eate e\u00fbt arrach\u00e9 ses flancs. 287\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt les flots l\u2019emportaient, inerte, \u00e7\u00e0 et l\u00e0. Le m\u00e2t avait \u00e9t\u00e9 rompu \n\u00e0 la base, mais une courroie de peau de b\u0153uf y \u00e9tait rest\u00e9e atta -\nch\u00e9e. avec celle-ci je le liai \u00e0 la car\u00e8ne, et, m\u2019asseyant dessus, je fus \nemport\u00e9 par la violence des vents.\nalors, il est vrai, le Z\u00e9phyros apaisa ses tourbillons, mais le Notos \nsurvint, m\u2019apportant d\u2019autres douleurs, car, de nouveau, j\u2019\u00e9tais \nentra\u00een\u00e9 vers la funeste Kharybdis. Je fus emport\u00e9 toute la nuit, \net, au lever de H\u00e8lios, j\u2019arrivai aupr\u00e8s de Skyll\u00e8 et de l\u2019horrible \nKharybdis, comme celle-ci engloutissait l\u2019eau sal\u00e9e de la mer. \nEt je saisis les branches du haut figuier, et j\u2019\u00e9tais suspendu en \nl\u2019air comme un oiseau de nuit, ne pouvant appuyer les pieds, ni \nmonter, car les racines \u00e9taient loin, et les rameaux immenses et \nlongs ombrageaient Kharybdis ; mais je m\u2019y attachai fermement, \njusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle e\u00fbt revomi le m\u00e2t et la car\u00e8ne. Et ils tard\u00e8rent \nlongtemps pour mes d\u00e9sirs.\n\u00c0 l\u2019heure o\u00f9 le juge, afin de prendre son repas, sort de l\u2019agora \no\u00f9 il juge les nombreuses contestations des hommes, le m\u00e2t et \nla car\u00e8ne rejaillirent de Kharybdis ; et je me laissai tomber avec \nbruit parmi les longues pi\u00e8ces de bois et, m\u2019asseyant dessus, je \nnageai avec mes mains pour avirons. Et le p\u00e8re des dieux et des \nhommes ne permit pas \u00e0 Skyll\u00e8 de me voir, car je n\u2019aurais pu \n\u00e9chapper \u00e0 la mort. Et je fus emport\u00e9 pendant neuf jours, et, la 288CHaNT 12\ndixi\u00e8me nuit, les dieux me pouss\u00e8rent \u00e0 l\u2019\u00eele Ogygi\u00e8, qu\u2019habitait \nKalyps\u00f4, \u00e9loquente et v\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse aux beaux cheveux, qui \nme recueillit et qui m\u2019aima. Mais pourquoi te dirais-je ceci ? D\u00e9j\u00e0 \nje te l\u2019ai racont\u00e9 dans ta demeure, \u00e0 toi et \u00e0 ta chaste femme ; et il \nm\u2019est odieux de raconter de nouveau les m\u00eames choses.289\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 13\nIl parla ainsi, et tous, dans les demeures obscures, restaient muets \net charm\u00e9s. Et alkinoos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 Odysseus, puisque tu es venu dans ma haute demeure d\u2019ai -\nrain, je ne pense pas que tu erres de nouveau et que tu subisses \nd\u2019autres maux pour ton retour, car tu en as beaucoup souffert. Et \nje dis ceci \u00e0 chacun de vous qui, dans mes demeures, buvez l\u2019ho -\nnorable vin rouge et qui \u00e9coutez l\u2019aoide. D\u00e9j\u00e0 sont enferm\u00e9s dans \nle beau coffre les v\u00eatements, et l\u2019or bien travaill\u00e9, et tous les pr\u00e9 -\nsents que les chefs des Phaiakiens ont offerts \u00e0 notre h\u00f4te ; mais, \nallons ! que chacun de nous lui donne encore un grand tr\u00e9pied et \nun bassin. R\u00e9unis de nouveau, nous nous ferons aider par tout le \npeuple, car il serait difficile \u00e0 chacun de nous de donner autant.\nalkinoos parla ainsi, et ses paroles plurent \u00e0 tous, et chacun \nretourna dans sa demeure pour y dormir.\nQuand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, ils se h\u00e2t\u00e8rent \nvers la nef, portant l\u2019airain solide. Et la force sacr\u00e9e d\u2019a lkinoos \nd\u00e9posa les pr\u00e9sents dans la nef ; et il les rangea lui-m\u00eame sous 290CHaNT 13\nles bancs des rameurs, afin que ceux-ci, en se courbant sur les \navirons, ne les heurtassent point. Puis, ils retourn\u00e8rent vers les \ndemeures d\u2019 alkinoos et pr\u00e9par\u00e8rent le repas.\nau milieu d\u2019eux, la force sacr\u00e9e d\u2019a lkinoos \u00e9gorgea un b\u0153uf pour \nZeus Kronide qui amasse les nu\u00e9es et qui commande \u00e0 tous.\nEt ils br\u00fbl\u00e8rent les cuisses, et ils prirent, charm\u00e9s, l\u2019illustre repas ; \net au milieu d\u2019eux chantait le divin aoide D\u00e8modokos, honor\u00e9 des \npeuples. Mais Odysseus tournait souvent la t\u00eate vers H\u00e8lios qui \n\u00e9claire toutes choses, press\u00e9 de se rendre \u00e0 la nef, et d\u00e9sirant son \nd\u00e9part. De m\u00eame que le laboureur d\u00e9sire son repas, quand tout \nle jour ses b\u0153ufs noirs ont tra\u00een\u00e9 la charrue dans le sillon, et qu\u2019il \nvoit enfin la lumi\u00e8re de H\u00e8lios tomber, et qu\u2019il se rend \u00e0 son repas, \nles genoux rompus de fatigue ; de m\u00eame Odysseus vit tomber \navec joie la lumi\u00e8re de H\u00e8lios, et, aussit\u00f4t, il dit aux Phaiakiens \nhabiles aux avirons, et surtout \u00e0 alkinoos :\n\u2013 Roi alkinoos, le plus illustre de tout le peuple, renvoyez-moi \nsain et sauf, et faites des libations. Je vous salue tous. D\u00e9j\u00e0 ce que \nd\u00e9sirait mon cher c\u0153ur est accompli ; mon retour est d\u00e9cid\u00e9, et \nje poss\u00e8de vos chers pr\u00e9sents dont les dieux Ouraniens m\u2019ont fait \nune richesse. Plaise aux dieux que je retrouve dans ma demeure \nma femme irr\u00e9prochable et mes amis sains et saufs ! Pour vous, 291\nL\u2019ODYSS\u00c9Equi vous r\u00e9jouissez ici de vos femmes et de vos chers enfants, que \nles dieux vous donnent la vertu et vous pr\u00e9servent de tout mal -\nheur public !\nIl parla ainsi, et tous l\u2019applaudirent et d\u00e9cid\u00e8rent de renvoyer leur \nh\u00f4te qui parlait toujours si convenablement. Et, alors, la force \nd\u2019alkinoos dit au h\u00e9raut :\n\u2013 Pontonoos, distribue, du krat\u00e8re plein, du vin \u00e0 tous, dans la \ndemeure, afin qu\u2019ayant pri\u00e9 le P\u00e8re peus, nous renvoyions notre \nh\u00f4te dans sa patrie.\nIl parla ainsi, et Pontonoos m\u00eala le vin mielleux et le distribua \u00e0 \ntous. Et ils firent des libations aux dieux heureux qui habitent le \nlarge Ouranos, mais sans quitter leurs si\u00e8ges.\nEt le divin Odysseus se leva. Et, mettant aux mains d\u2019a r\u00e8t\u00e8 une \ncoupe ronde, il dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Salut, \u00f4 reine ! et sois heureuse jusqu\u2019\u00e0 ce que t\u2019arrivent la vieil -\nlesse et la mort qui sont in\u00e9vitables pour les hommes. Moi, je pars. \nToi, r\u00e9jouis-toi, dans ta demeure, de tes enfants, de tes peuples et \ndu roi a lkinoos.292CHaNT 13\nayant ainsi parl\u00e9, le divin Odysseus sortit, et la force d\u2019a lkinoos \nenvoya le h\u00e9raut pour le pr\u00e9c\u00e9der vers la nef rapide et le rivage \nde la mer. Et ar\u00e8t\u00e8 envoya aussi ses servantes, et l\u2019une portait une \nblanche khlamide et une tunique, et l\u2019autre un coffre peint, et une \ntroisi\u00e8me du pain et du vin rouge.\nEtant arriv\u00e9s \u00e0 la nef et \u00e0 la mer, aussit\u00f4t les marins joyeux mon -\nt\u00e8rent sur la nef creuse et y d\u00e9pos\u00e8rent le vin et les vivres. Puis ils \n\u00e9tendirent sur la poupe de la nef creuse un lit et une toile de lin, \nafin qu\u2019Odysseus f\u00fbt mollement couch\u00e9. Et il entra dans la nef, \net il se coucha en silence. Et, s\u2019\u00e9tant assis en ordre sur les bancs, \nils d\u00e9tach\u00e8rent le c\u00e2ble de la pierre trou\u00e9e ; puis, se courbant, ils \nfrapp\u00e8rent la mer de leurs avirons. Et un doux sommeil se r\u00e9pan -\ndit sur les paupi\u00e8res d\u2019Odysseus, invincible, tr\u00e8s agr\u00e9able et sem -\nblable \u00e0 la mort.\nDe m\u00eame que, dans une plaine, un quadrige d\u2019\u00e9talons, excit\u00e9 par \nles morsures du fouet, d\u00e9vore rapidement la route, de m\u00eame la \nnef \u00e9tait enlev\u00e9e, et l\u2019eau noire et immense de la mer sonnante se \nruait par derri\u00e8re. Et la nef courait ferme et rapide, et l\u2019\u00e9pervier, le \nplus rapide des oiseaux, n\u2019aurait pu la suivre. ainsi, courant avec \nvitesse, elle fendait les eaux de la mer, portant un homme ayant \ndes pens\u00e9es \u00e9gales \u00e0 celles des dieux, et qui, en son \u00e2me, avait subi \ndes maux innombrables, dans les combats des hommes et sur les 293\nL\u2019ODYSS\u00c9Emers dangereuses. Et maintenant il dormait en s\u00fbret\u00e9, oublieux \nde tout ce qu\u2019il avait souffert.\nEt quand la plus brillante des \u00e9toiles se leva, celle qui annonce \nla lumi\u00e8re d\u2019\u00c9\u00f4s n\u00e9e au matin, alors la nef qui fendait la mer \naborda l\u2019\u00eele.\nLe port de Phorkys, vieillard de la mer, est sur la c\u00f4te d\u2019Ithak\u00e8. \nDeux promontoires abrupts l\u2019enserrent et le d\u00e9fendent des vents \nviolents et des grandes eaux ; et les nefs \u00e0 bancs de rameurs, \nquand elles y sont entr\u00e9es, y restent sans c\u00e2bles. \u00c0 la pointe du \nport, un olivier aux rameaux \u00e9pais croit devant l\u2019antre obscur, \nfrais et sacr\u00e9, des nymphes qu\u2019on nomme naiades. Dans cet antre \nil y a des krat\u00e8res et des amphores de pierre o\u00f9 les abeilles font \nleur miel, et de longs m\u00e9tiers \u00e0 tisser o\u00f9 les nymphes travaillent \ndes toiles pourpr\u00e9es admirables \u00e0 voir. Et l\u00e0 sont aussi des sources \nin\u00e9puisables. Et il y a deux entr\u00e9es, l\u2019une, pour les hommes, vers \nle Bor\u00e9as, et l\u2019autre, vers le Notos, pour les dieux.\nEt jamais les hommes n\u2019entrent par celle-ci, mais seulement \nles dieux.\nEt d\u00e8s que les Phaiakiens eurent reconnu ce lieu, ils y abor -\nd\u00e8rent. Et une moiti\u00e9 de la nef s\u2019\u00e9lan\u00e7a sur la plage, tant elle \u00e9tait 294CHaNT 13\nvigoureusement pouss\u00e9e par les bras des rameurs. Et ceux-ci, \n\u00e9tant sortis de la nef \u00e0 bancs de rameurs, transport\u00e8rent d\u2019abord \nOdysseus hors de la nef creuse, et, avec lui, le lit brillant et la \ntoile de lin ; et ils le d\u00e9pos\u00e8rent endormi sur le sable. Et ils trans -\nport\u00e8rent aussi les choses que lui avaient donn\u00e9es les illustres \nPhaiakiens \u00e0 son d\u00e9part, ayant \u00e9t\u00e9 inspir\u00e9s par la magnanime \nath\u00e8n\u00e8. Et ils les d\u00e9pos\u00e8rent donc aupr\u00e8s des racines de l\u2019olivier, \nhors du chemin, de peur qu\u2019un passant y touch\u00e2t avant le r\u00e9veil \nd\u2019Odysseus. Puis, ils retourn\u00e8rent vers leurs demeures.\nMais celui qui \u00e9branle la terre n\u2019avait point oubli\u00e9 les menaces \nqu\u2019il avait faites au divin Odysseus, et il interrogea la pens\u00e9e \nde Zeus :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, je ne serai plus honor\u00e9 par les dieux immortels, \npuisque les Phaiakiens ne m\u2019honorent point, eux qui sont cepen -\ndant de ma race. En effet, je voulais qu\u2019Odysseus souffert encore \nbeaucoup de maux avant de rentrer dans sa demeure, mais je ne \nlui refusais point enti\u00e8rement le retour, puisque tu l\u2019as promis et \njur\u00e9. Et voici qu\u2019ils l\u2019ont conduit sur la mer, dormant dans leur nef \nrapide, et qu\u2019ils l\u2019ont d\u00e9pos\u00e9 dans Ithak\u00e8.295\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt ils l\u2019ont combl\u00e9 de riches pr\u00e9sents, d\u2019airain, d\u2019or et de v\u00eatements \ntiss\u00e9s, si nombreux, qu\u2019Odysseus n\u2019en e\u00fbt jamais rapport\u00e9 autant \nde Troi\u00e8, s\u2019il en \u00e9tait revenu sain et sauf, avec sa part du butin.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 dieu ! toi qui entoures la terre, qu\u2019as-tu dit ? Les immortels \nne te m\u00e9priseront point, car il serait difficile de m\u00e9priser le plus \nancien et le plus illustre des dieux ; mais si quelque mortel, inf\u00e9 -\nrieur en force et en puissance, ne te respecte point, ta vengeance \nne sera pas tardive. Fais comme tu le veux et comme il te plaira.\nEt Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je le ferai aussit\u00f4t, ainsi que tu le dis, toi qui amasses les nu\u00e9es, car \nj\u2019attends ta volont\u00e9 et je la respecte. Maintenant, je veux perdre \nla belle nef des Phaiakiens, qui revient de son voyage sur la mer \nsombre, afin qu\u2019ils s\u2019abstiennent d\u00e9sormais de reconduire les \n\u00e9trangers ; et je placerai une grande montagne devant leur ville.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 Poseida\u00f4n, il me semble que ceci sera pour le mieux. Quand la \nmultitude sortira de la ville pour voir la nef, transforme, pr\u00e8s de 296CHaNT 13\nterre, la nef rapide en un rocher, afin que tous les hommes l\u2019ad -\nmirent, et place une grande montagne devant leur ville.\nEt Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre, ayant entendu cela, s\u2019\u00e9lan\u00e7a vers \nSkh\u00e9ri\u00e8, o\u00f9 habitaient les Phai\u00e0kiens. Et comme la nef, vigoureu -\nsement pouss\u00e9e, arrivait, celui qui \u00e9branle la terre, la frappant de \nsa main, la transforma en rocher aux profondes racines, et s\u2019\u00e9loi -\ngna. Et les Phaiakiens illustres par les longs avirons se dirent les \nuns aux autres :\n\u2013 O dieux ! qui donc a fix\u00e9 notre nef rapide dans la mer, comme \nelle revenait vers nos demeures ?\nChacun parlait ainsi, et ils ne comprenaient pas comment cela \ns\u2019\u00e9tait fait. Mais alkinoos leur dit :\n\u2013 O dieux ! Certes, voici que les anciens oracles de mon p\u00e8re se \nsont accomplis, car il me disait que Poseida\u00f4n s\u2019irriterait contre \nnous, parce que nous reconduisions tous les \u00e9trangers sains et \nsaufs. Et il me dit qu\u2019une belle nef des Phaiakiens se perdrait \u00e0 \nson retour d\u2019un voyage sur la sombre mer, et qu\u2019une grande mon -\ntagne serait plac\u00e9e devant notre ville. ainsi parla le vieillard, et les \nchoses se sont accomplies. allons ! faites ce que je vais dire. Ne \nreconduisons plus les \u00e9trangers, quel que soit celui d\u2019entre eux 297\nL\u2019ODYSS\u00c9Equi vienne vers notre ville. Faisons un sacrifice de douze tau -\nreaux choisis \u00e0 Poseida\u00f4n, afin qu\u2019il nous prenne en piti\u00e9 et qu\u2019il \nne place point cette grande montagne devant notre ville.\nIl parla ainsi, et les Phaiakiens craignirent, et ils pr\u00e9par\u00e8rent les \ntaureaux. Et les peuples, les chefs et les princes des Phaiakiens \nsuppliaient le roi Poseida\u00f4n, debout autour de l\u2019autel.\nMais le divin Odysseus se r\u00e9veilla couch\u00e9 sur la terre de la patrie, \net il ne la reconnut point, ayant \u00e9t\u00e9 longtemps \u00e9loign\u00e9. Et la d\u00e9esse \nPallas ath\u00e8n\u00e8 l\u2019enveloppa d\u2019une nu\u00e9e, afin qu\u2019il rest\u00e2t inconnu et \nqu\u2019elle l\u2019instruis\u00eet de toute chose, et que sa femme, ses concitoyens \net ses amis ne le reconnussent point avant qu\u2019il e\u00fbt r\u00e9prim\u00e9 l\u2019in -\nsolence des pr\u00e9tendants. Donc, tout lui semblait chang\u00e9, les che -\nmins, le port, les hautes roches et les arbres verdoyants. Et, se \nlevant, et debout, il regarda la terre de la patrie. Et il pleura, et, se \nfrappant les cuisses de ses deux mains, il dit en g\u00e9missant :\n\u2013 \u00d4 malheureux ! Dans quelle terre des hommes suis-je venu ? \nCeux-ci sont-ils injurieux, cruels et iniques ? sont-ils hospitaliers, \net leur esprit est-il pieux ? o\u00f9 porter toutes ces richesses ? o\u00f9 aller \nmoi-m\u00eame ? Pl\u00fbt aux dieux que je fusse rest\u00e9 avec les Phaiakiens ! \nJ\u2019aurais trouv\u00e9 quelque autre roi magnanime qui m\u2019e\u00fbt aim\u00e9 et \ndonn\u00e9 des compagnons pour mon retour. Maintenant, je ne sais 298CHaNT 13\no\u00f9 porter ces richesses, ni o\u00f9 les laisser, de peur qu\u2019elles soient la \nproie d\u2019\u00e9trangers. O dieux ! ils ne sont point, en effet, v\u00e9ridiques \nni justes, les princes et les chefs des Phaiakiens qui m\u2019ont conduit \ndans une terre \u00e9trang\u00e8re, et qui me disaient qu\u2019ils me condui -\nraient s\u00fbrement dans Ithak\u00e8 ! Mais ils ne l\u2019ont point fait. Que Zeus \nqu\u2019on supplie me venge d\u2019eux, lui qui veille sur les hommes et qui \npunit ceux qui agissent mal ! Mais je compterai mes richesses, et \nje verrai s\u2019ils ne m\u2019en ont rien enlev\u00e9 en les transportant hors de \nla nef creuse.\nayant parl\u00e9 ainsi, il compta les beaux tr\u00e9pieds et les bassins, et l\u2019or \net les beaux v\u00eatements tiss\u00e9s ; mais rien n\u2019en manquait. Et il pleu -\nrait la terre de sa patrie, et il se jeta en g\u00e9missant sur le rivage de \nla mer aux bruits sans nombre. Et ath\u00e8n\u00e8 s\u2019approcha de lui sous \nla figure d\u2019un jeune homme pasteur de brebis, tel que sont les fils \ndes rois, ayant un beau v\u00eatement sur ses \u00e9paules, des sandales \nsous ses pieds d\u00e9licats, et une lance \u00e0 la main. Et Odysseus, joyeux \nde la voir, vint \u00e0 elle, et il lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 ami ! puisque je te rencontre le premier en ce lieu, salut ! Ne \nviens pas \u00e0 moi dans un esprit ennemi. Sauve ces richesses et moi. \nJe te supplie comme un dieu et je me mets \u00e0 tes chers genoux. \nDis-moi la v\u00e9rit\u00e9, afin que je la sache. Quelle est cette terre ? 299\nL\u2019ODYSS\u00c9EQuels hommes l\u2019habitent ? Quel est ton peuple ? Est-ce une belle \n\u00eele, ou est-ce la c\u00f4te avanc\u00e9e dans la mer d\u2019une terre fertile ?\nEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Tu es insens\u00e9, \u00f4 \u00e9tranger, ou tu viens de loin, puisque tu me \ndemandes quelle est cette terre, car elle n\u2019est point aussi m\u00e9pri -\nsable, et beaucoup la connaissent, soit les peuples qui habitent du \nc\u00f4t\u00e9 d\u2019E\u00f4s et de H\u00e8lios, ou du c\u00f4t\u00e9 de la nuit obscure. Certes, elle \nest \u00e2pre et non faite pour les chevaux ; mais elle n\u2019est point st\u00e9rile, \nbien que petite. Elle poss\u00e8de beaucoup de froment et beaucoup \nde vignes, car la pluie et la ros\u00e9e y abondent.\nElle a de bons p\u00e2turages pour les ch\u00e8vres et les vaches, et des \nfor\u00eats de toute sorte d\u2019arbres, et elle est arros\u00e9e de sources qui ne \ntarissent point. C\u2019est ainsi, \u00e9tranger, que le nom d\u2019Ithak\u00e8 est par -\nvenu jusqu\u2019\u00e0 Troi\u00e8 qu\u2019on dit si \u00e9loign\u00e9e de la terre akhaienne.\nElle parla ainsi, et le patient et divin Odysseus fut rempli de joie, \nse r\u00e9jouissant de sa patrie que nommait Pallas ath\u00e8n\u00e8, la fille 300CHaNT 13\nde Zeus temp\u00e9tueux. Et il lui dit en paroles ail\u00e9es, mais en lui \ncachant la v\u00e9rit\u00e9, car il n\u2019oubliait point son esprit rus\u00e9 !\n\u2013 J\u2019avais entendu parler d\u2019Ithak\u00e8 dans la grande Kr\u00e8t\u00e8 situ\u00e9e au \nloin sur la mer. Maintenant je suis venu ici avec mes richesses, et \nj\u2019en ai laiss\u00e9 autant \u00e0 mes enfants. Je fuis, car j\u2019ai tu\u00e9 le fils bien-\naim\u00e9 d\u2019Idom\u00e9neus, Orsilokhos aux pieds rapides, qui, dans la \ngrande Kr\u00e8t\u00e8, l\u2019emportait sur tous les hommes par la rapidit\u00e9 \nde ses pieds. Et je le tuai parce qu\u2019il voulait m\u2019enlever ma part \ndu butin, que j\u2019avais rapport\u00e9e de Troi\u00e8, et pour laquelle j\u2019avais \nsubi mille maux dans les combats des hommes ou en parcou -\nrant les mers. Car je ne servais point, pour plaire \u00e0 son p\u00e8re, dans \nla plaine Troienne, et je commandais \u00e0 d\u2019autres guerriers que les \nsiens. Et, dans les champs, m\u2019\u00e9tant mis en embuscade avec un \nde mes compagnons, je per\u00e7ai de ma lance d\u2019airain Orsilokhos \nqui venait \u00e0 moi. Et comme la nuit noire couvrait tout l\u2019Ouranos, \naucun homme ne nous vit, et je lui arrachai l\u2019\u00e2me sans t\u00e9moin.\nEt quand je l\u2019eus tu\u00e9 de l\u2019airain aigu, je me rendis aussit\u00f4t dans \nune nef des illustres Phaiakiens, et je les priai de me recevoir, et \nje leur donnai une part de mes richesses. Je leur demandai de me \nporter \u00e0 Pylos ou dans la divine \u00c9lis, o\u00f9 commandent les \u00c9p\u00e9iens ; \nmais la force du vent les en \u00e9loigna malgr\u00e9 eux, car ils ne vou -\nlaient point me tromper. Et nous sommes venus ici \u00e0 l\u2019aventure, 301\nL\u2019ODYSS\u00c9Ecette nuit ; et nous sommes entr\u00e9s dans le port ; et, sans songer au \nrepas, bien que manquant de forces, nous nous sommes tous cou -\nch\u00e9s en sortant de la nef. Et le doux sommeil m\u2019a saisi, tandis que \nj\u2019\u00e9tais fatigu\u00e9. Et les Phaiakiens, ayant retir\u00e9 mes richesses de leur \nnef creuse, les ont d\u00e9pos\u00e9es sur le sable o\u00f9 j\u2019\u00e9tais moi-m\u00eame cou -\nch\u00e9. Puis ils sont partis pour la belle Sid\u00f4n et m\u2019ont laiss\u00e9 plein \nde tristesse.\nIl parla ainsi, et la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs se mit \u00e0 rire, et, \nle caressant de la main, elle prit la figure d\u2019une femme belle et \ngrande et habile aux travaux, et elle lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 fourbe, menteur, subtil et insatiable de ruses qui te surpasse -\nrait en adresse, si ce n\u2019est peut-\u00eatre un dieu ! Tu ne veux donc pas, \nm\u00eame sur la terre de ta patrie, renoncer aux ruses et aux paroles \ntrompeuses qui t\u2019ont \u00e9t\u00e9 ch\u00e8res d\u00e8s ta naissance ? Mais ne parlons \npas ainsi. Nous connaissons tous deux ces ruses ; et de m\u00eame que \ntu l\u2019emportes sur tous les hommes par la sagesse et l\u2019\u00e9loquence, \nainsi je me glorifie de l\u2019emporter par l\u00e0 sur tous les dieux.\nN\u2019as-tu donc point reconnu Pallas ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus, moi \nqui t\u2019assiste toujours dans tous tes travaux et qui te prot\u00e8ge ? \nmoi qui t\u2019ai rendu cher \u00e0 tous les Phaiakiens ? Viens donc, afin \nque je te conseille et que je t\u2019aide \u00e0 cacher les richesses que j\u2019ai 302CHaNT 13\ninspir\u00e9 aux illustres Phaiakiens de te donner \u00e0 ton retour dans tes \ndemeures. Je te dirai les douleurs que tu es destin\u00e9 \u00e0 subir dans \ntes demeures bien construites. Subis-les par n\u00e9cessit\u00e9 ; ne confie \n\u00e0 aucun homme ni \u00e0 aucune femme tes courses et ton arriv\u00e9e ; \nmais supporte en silence tes maux nombreux et les outrages que \nte feront les hommes.\nEt le subtil Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Il est difficile \u00e0 un homme qui te rencontre de te reconna\u00eetre, \n\u00f4 d\u00e9esse ! m\u00eame au plus sage ; car tu prends toutes les figures. \nCertes, je sais que tu m\u2019\u00e9tais bienveillante, quand nous, les fils \ndes akhaiens, nous combattions devant Troi\u00e8 ; mais quand nous \ne\u00fbmes renvers\u00e9 la haute citadelle de Priamos, nous mont\u00e2mes \nsur nos nefs, et un dieu dispersa les akhaiens. Et, depuis, je ne \nt\u2019ai point revue, fille de Zeus ; et je n\u2019ai point senti ta pr\u00e9sence sur \nma nef pour \u00e9loigner de moi le malheur ; mais toujours, le c\u0153ur \naccabl\u00e9 dans ma poitrine, j\u2019ai err\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 ce que les dieux m\u2019aient \nd\u00e9livr\u00e9 de mes maux. Et tu m\u2019as encourag\u00e9 par tes paroles chez le \nriche peuple des Phaiakiens, et tu m\u2019as conduit toi-m\u00eame \u00e0 leur \nville. Maintenant je te supplie par ton p\u00e8re ! Je ne pense point, en \neffet, \u00eatre arriv\u00e9 dans Ithak\u00e8, car je vois une terre \u00e9trang\u00e8re, et \nje pense que tu me parles ainsi pour te jouer de moi et tromper \nmon esprit.303\nL\u2019ODYSS\u00c9EDis-moi donc sinc\u00e8rement si je suis arriv\u00e9 dans ma ch\u00e8re patrie.\nEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Tu as donc toujours cette pens\u00e9e dans ta poitrine ? Mais je ne \npuis permettre que tu sois malheureux, car tu es \u00e9loquent, intel -\nligent et sage. Un autre homme, de retour apr\u00e8s avoir tant err\u00e9, \nd\u00e9sirerait ardemment revoir sa femme et ses enfants dans ses \ndemeures ; mais toi, tu ne veux parler et apprendre qu\u2019apr\u00e8s avoir \n\u00e9prouv\u00e9 ta femme qui est assise dans tes demeures, passant les \njours et les nuits dans les g\u00e9missements et les larmes. Certes, je \nn\u2019ai jamais craint ce qu\u2019elle redoute, et je savais dans mon esprit \nque tu reviendrais, ayant perdu tous tes compagnons. Mais je ne \npouvais m\u2019opposer au fr\u00e8re de mon p\u00e8re, \u00e0 Poseida\u00f4n qui \u00e9tait \nirrit\u00e9 dans son c\u0153ur contre toi, parce que tu avais aveugl\u00e9 son \ncher fils. Et, maintenant, je te montrerai la terre d\u2019Ithak\u00e8, afin que \ntu croies. Ce port est celui de Phorkys, le Vieillard de la mer, et, \u00e0 \nla pointe du port, voici l\u2019olivier \u00e9pais devant l\u2019antre haut et obscur \ndes nymphes sacr\u00e9es qu\u2019on nomme na\u00efades. C\u2019est cette caverne \no\u00f9 tu sacrifiais aux nymphes de compl\u00e8tes h\u00e9catombes. Et voici \nle mont N\u00e8ritos couvert de for\u00eats.\nayant ainsi parl\u00e9, la d\u00e9esse dissipa la nu\u00e9e, et la terre apparut. Et \nle patient et divin Odysseus fut plein de joie, se r\u00e9jouissant de sa 304CHaNT 13\npatrie. Et il baisa la terre f\u00e9conde, et, aussit\u00f4t, levant les mains, il \nsupplia les Nymphes :\n\u2013 Nymphes, na\u00efades, filles de Zeus, je disais que je ne vous rever -\nrais plus ! Et, maintenant, je vous salue d\u2019une voix joyeuse. Je vous \noffrirai des pr\u00e9sents, comme autrefois, si la d\u00e9vastatrice, fille de \nZeus, me laisse vivre et fait grandir mon cher fils.\nEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Prends courage, et que ceci ne t\u2019inqui\u00e8te point ; mais d\u00e9posons \naussit\u00f4t tes richesses au fond de l\u2019antre divin, o\u00f9 elles seront en \ns\u00fbret\u00e9, et d\u00e9lib\u00e9rons tous deux sur ce qu\u2019il y a de mieux \u00e0 faire.\nayant ainsi parl\u00e9, la d\u00e9esse entra dans la grotte obscure, cherchant \nun lieu secret ; et Odysseus y porta aussit\u00f4t l\u2019or et le dur airain, et \nles beaux v\u00eatements que les Phaiakiens lui avaient donn\u00e9s. Il les y \nd\u00e9posa, et Pallas ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus temp\u00e9tueux, ferma l\u2019entr\u00e9e \navec une pierre. Puis, tous deux, s\u2019\u00e9tant assis au pied de l\u2019olivier \nsacr\u00e9, m\u00e9dit\u00e8rent la perte des pr\u00e9tendants insolents. Et la d\u00e9esse \nath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs parla la premi\u00e8re :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, songe comment tu mettras \nla main sur les pr\u00e9tendants insolents qui commandent depuis 305\nL\u2019ODYSS\u00c9Etrois ans dans ta maison, recherchant ta femme divine et lui fai -\nsant des pr\u00e9sents. Elle attend toujours ton retour, g\u00e9missant dans \nson c\u0153ur, et elle donne de l\u2019espoir et elle fait des promesses \u00e0 cha -\ncun d\u2019eux, et elle leur envoie des messagers ; mais son esprit a \nd\u2019autres pens\u00e9es.\nEt le subtil Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 O dieux ! je devais donc, comme l\u2019a tr\u00e9ide agamemn\u00f4n, p\u00e9rir \nd\u2019une mauvaise mort dans mes demeures, si tu ne m\u2019eusses \naverti \u00e0 temps, \u00f4 d\u00e9esse ! Mais dis-moi comment nous puni -\nrons ces hommes. Debout aupr\u00e8s de moi, souffle dans mon c\u0153ur \nune grande audace, comme au jour o\u00f9 nous avons renvers\u00e9 les \ngrandes murailles de Troi\u00e8. Si tu restes, pleine d\u2019ardeur, aupr\u00e8s de \nmoi, \u00f4 ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, et si tu m\u2019aides, \u00f4 v\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse, \nje combattrai seul trois cents guerriers.\nEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, je serai aupr\u00e8s de toi et je ne te perdrai pas de vue, quand \nnous accomplirons ces choses. Et j\u2019esp\u00e8re que le large pav\u00e9 sera \nsouill\u00e9 du sang et de la cervelle de plus d\u2019un de ces pr\u00e9tendants \nqui mangent tes richesses. Je vais te rendre inconnu \u00e0 tous les \nhommes. Je riderai ta belle peau sur tes membres courb\u00e9s ; je ferai 306CHaNT 13\ntomber tes cheveux blonds de ta t\u00eate ; je te couvrirai de haillons \nqui font qu\u2019on se d\u00e9tourne de celui qui les porte ; je ternirai tes \nyeux maintenant si beaux, et tu appara\u00eetras \u00e0 tous les pr\u00e9tendants \ncomme un mis\u00e9rable, ainsi qu\u2019\u00e0 ta femme et au fils que tu as lais -\ns\u00e9s dans tes demeures. Va d\u2019abord trouver le porcher qui garde tes \nporcs, car il te veut du bien, et il aime ton fils et la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia. \nTu le trouveras surveillant les porcs ; et ceux-ci se nourrissent \naupr\u00e8s de la roche du Corbeau et de la fontaine ar\u00e9thous\u00e8, man -\ngeant le gland qui leur plait et buvant l\u2019eau noire.\nReste l\u00e0, et interroge-le avec soin sur toute chose, jusqu\u2019\u00e0 ce que je \nrevienne de Spart\u00e8 aux belles femmes, o\u00f9 j\u2019appellerai, \u00f4 Odysseus, \nton cher fils T\u00e8l\u00e9makhos qui est all\u00e9 dans la grande Lak\u00e9daim\u00f4n, \nvers M\u00e9n\u00e9laos, pour s\u2019informer de toi et apprendre si tu vis encore.\nEt le subtil Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Pourquoi ne lui avoir rien dit, toi qui sais tout ? Est-ce pour qu\u2019il \nsoit errant et subisse mille maux sur la mer indompt\u00e9e, tandis \nque ceux-ci mangent ses richesses ?307\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Qu\u2019il ne soit point une inqui\u00e9tude pour toi. Je l\u2019ai conduit l\u00e0 \nmoi-m\u00eame, afin qu\u2019il se fasse une bonne renomm\u00e9e ; mais il \nne souffre aucune douleur, et il est assis, tranquille, dans les \ndemeures de l\u2019 atr\u00e9ide, o\u00f9 tout lui est abondamment offert. \u00c0 \nla v\u00e9rit\u00e9, les jeunes pr\u00e9tendants lui tendent une emb\u00fbche sur \nleur nef noire, d\u00e9sirant le tuer avant qu\u2019il rentre dans la terre de \nsa patrie ; mais je ne pense pas que cela soit, et je pense plut\u00f4t \nque la terre recevra auparavant plus d\u2019un de ces pr\u00e9tendants qui \nmangent tes richesses.\nEn parlant ainsi, ath\u00e8n\u00e8 le toucha d\u2019une baguette et elle dess\u00e9 -\ncha sa belle peau sur ses membres courb\u00e9s, et elle fit tomber ses \nblonds cheveux de sa t\u00eate.\nElle chargea tout son corps de vieillesse ; elle ternit ses yeux, si \nbeaux auparavant ; elle lui donna un v\u00eatement en haillons, d\u00e9chir\u00e9, \nsale et souill\u00e9 de fum\u00e9e ; elle le couvrit ensuite de la grande peau \nnue d\u2019un cerf rapide, et elle lui donna enfin un b\u00e2ton et une \nbesace mis\u00e9rable attach\u00e9e par une courroie tordue.\nIls se s\u00e9par\u00e8rent apr\u00e8s s\u2019\u00eatre ainsi entendus, et ath\u00e8n\u00e8 se rendit \ndans la divine Lak\u00e9daim\u00f4n, aupr\u00e8s du fils d\u2019Odysseus.308CHaNT 13309\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 14\nEt Odysseus s\u2019\u00e9loigna du port, par un \u00e2pre sentier, \u00e0 travers les \nbois et les hauteurs, vers le lieu o\u00f9 ath\u00e8n\u00e8 lui avait dit qu\u2019il trou -\nverait son divin porcher, qui prenait soin de ses biens plus que \ntous les serviteurs qu\u2019il avait achet\u00e9s, lui, le divin Odysseus.\nEt il le trouva assis sous le portique, en un lieu d\u00e9couvert o\u00f9 il \navait construit de belles et grandes \u00e9tables autour desquelles on \npouvait marcher. Et il les avait construites, pour ses porcs, de \npierres superpos\u00e9es et entour\u00e9es d\u2019une haie \u00e9pineuse, en l\u2019ab -\nsence du roi, sans l\u2019aide de sa ma\u00eetresse et du vieux Laert\u00e8s. Et \nil avait plant\u00e9 au-dehors des pieux \u00e9pais et nombreux, en c\u0153ur \nnoir de ch\u00eane ; et, dans l\u2019int\u00e9rieur, il avait fait douze parcs \u00e0 porcs. \nDans chacun \u00e9taient couch\u00e9es cinquante femelles pleines ; et les \nm\u00e2les couchaient dehors ; et ceux-ci \u00e9taient beaucoup moins \nnombreux, car les divins pr\u00e9tendants les diminuaient en les man -\ngeant, et le porcher leur envoyait toujours le plus gras et le meil -\nleur de tous ; et il n\u2019y en avait plus que trois cent soixante. Quatre \nchiens, semblables \u00e0 des b\u00eates fauves, et que le prince des por -\nchers nourrissait, veillaient toujours sur les porcs.310CHaNT 14\nEt celui-ci adaptait \u00e0 ses pieds des sandales qu\u2019il taillait dans la \npeau d\u2019une vache colori\u00e9e. Et trois des autres porchers \u00e9taient \ndispers\u00e9s, faisant pa\u00eetre leurs porcs ; et le quatri\u00e8me avait \u00e9t\u00e9 \nenvoy\u00e9 par n\u00e9cessit\u00e9 \u00e0 la ville, avec un porc pour les pr\u00e9tendants \norgueilleux, afin que ceux-ci, l\u2019ayant tu\u00e9, d\u00e9vorassent sa chair.\nEt aussit\u00f4t les chiens aboyeurs virent Odysseus, et ils accoururent \nen hurlant ; mais Odysseus s\u2019assit plein de ruse, et le b\u00e2ton tomba \nde sa main. alors il e\u00fbt subi un indigne traitement aupr\u00e8s de \nl\u2019\u00e9table qui \u00e9tait \u00e0 lui ; mais le porcher accourut promptement de \nses pieds rapides ; et le cuir lui tomba des mains, et, en criant, il \nchassa les chiens \u00e0 coups de pierres, et il dit au roi :\n\u2013 \u00d4 vieillard, certes, ces chiens allaient te d\u00e9chirer et me couvrir \nd\u2019opprobre. Les dieux m\u2019ont fait assez d\u2019autres maux. Je reste ici, \ng\u00e9missant, et pleurant un roi divin, et je nourris ses porcs gras, \npour que d\u2019autres que lui les mangent ; et peut-\u00eatre souffre-t-il \nde la faim, errant parmi les peuples \u00e9trangers, s\u2019il vit encore et s\u2019il \nvoit la lumi\u00e8re de H\u00e8lios. Mais suis-moi, et entrons dans l\u2019\u00e9table, \n\u00f4 vieillard, afin que, rassasi\u00e9 dans ton \u00e2me de nourriture et de vin, \ntu me dises d\u2019o\u00f9 tu es et quels maux tu as subis.\nayant ainsi parl\u00e9, le divin porcher le pr\u00e9c\u00e9da dans l\u2019\u00e9table, et, l\u2019in -\ntroduisant, il le fit asseoir sur des branches \u00e9paisses qu\u2019il recouvrit 311\nL\u2019ODYSS\u00c9Ede la peau d\u2019une ch\u00e8vre sauvage et velue. Et, s\u2019\u00e9tant couch\u00e9 sur \ncette peau grande et \u00e9paisse, Odysseus se r\u00e9jouit d\u2019\u00eatre re\u00e7u ainsi, \net il dit :\n\u2013 Que Zeus, \u00f4 mon h\u00f4te, et les autres dieux immortels t\u2019accordent \nce que tu d\u00e9sires le plus, car tu me re\u00e7ois avec bont\u00e9.\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Etranger, il ne m\u2019est point permis de m\u00e9priser m\u00eame un h\u00f4te \nplus mis\u00e9rable encore, car les \u00e9trangers et les pauvres viennent \nde Zeus, et le pr\u00e9sent modique que nous leur faisons lui pla\u00eet ; car \ncela seul est au pouvoir d\u2019esclaves toujours tremblants que com -\nmandent de jeunes rois. Certes, les dieux s\u2019opposent au retour de \ncelui qui m\u2019aimait et qui m\u2019e\u00fbt donn\u00e9 un domaine aussi grand \nqu\u2019un bon roi a coutume d\u2019en donner \u00e0 son serviteur qui a beau -\ncoup travaill\u00e9 pour lui et dont un dieu a fait fructifier le labeur ; et, \naussi, une demeure, une part de ses biens et une femme d\u00e9sirable. \nainsi mon travail a prosp\u00e9r\u00e9, et le roi m\u2019e\u00fbt grandement r\u00e9com -\npens\u00e9, s\u2019il \u00e9tait devenu vieux ici ; mais il a p\u00e9ri. Pl\u00fbt aux dieux que \nla race des H\u00e9l\u00e9n\u00e8 e\u00fbt p\u00e9ri enti\u00e8rement, puisqu\u2019elle a rompu les \ngenoux de tant de guerriers ! car mon ma\u00eetre aussi, pour la cause \nd\u2019agamemn\u00f4n, est all\u00e9 vers Ilios nourrice de chevaux, afin de \ncombattre les Troiens.312CHaNT 14\nayant ainsi parl\u00e9, il ceignit sa tunique, qu\u2019il releva, et, allant vers \nles \u00e9tables o\u00f9 \u00e9tait enferm\u00e9 le troupeau de porcs, il prit deux \njeunes pourceaux, les \u00e9gorgea, alluma le feu, les coupa et les tra -\nversa de broches, et, les ayant fait r\u00f4tir, les offrit \u00e0 Odysseus, tout \nchauds autour des broches. Puis, il les couvrit de farine blanche, \nm\u00eala du vin doux dans une coupe grossi\u00e8re, et, s\u2019asseyant devant \nOdysseus, il l\u2019exhorta \u00e0 manger et lui dit :\n\u2013 Mange maintenant, \u00f4 \u00e9tranger, cette nourriture destin\u00e9e aux \nserviteurs, car les pr\u00e9tendants mangent les porcs gras, n\u2019ayant \naucune pudeur, ni aucune bont\u00e9. Mais les dieux heureux n\u2019aiment \npas les actions impies, et ils aiment au contraire la justice et les \nactions \u00e9quitables. M\u00eame les ennemis barbares qui envahissent \nune terre \u00e9trang\u00e8re, \u00e0 qui Zeus accorde le butin, et qui reviennent \nvers leurs demeures avec des nefs pleines, sentent l\u2019inqui\u00e9tude \net la crainte dans leurs \u00e2mes. Mais ceux-ci ont appris sans doute, \nayant entendu la voix d\u2019un dieu, la mort fatale d\u2019Odysseus, car \nils ne veulent point rechercher des noces l\u00e9gitimes, ni retourner \nchez eux ; mais ils d\u00e9vorent immod\u00e9r\u00e9ment, et sans rien \u00e9pargner, \nles biens du roi ; et, toutes les nuits et tous les jours qui viennent \nde Zeus, ils sacrifient, non pas une seule victime, mais deux au \nmoins. Et ils puisent et boivent le vin sans mesure. Certes, les \nrichesses de mon ma\u00eetre \u00e9taient grandes. aucun h\u00e9ros n\u2019en avait \nautant, ni sur la noire terre ferme, ni dans Ithak\u00e8 elle-m\u00eame. 313\nL\u2019ODYSS\u00c9EVingt hommes n\u2019ont point tant de richesses. Je t\u2019en ferai le compte : \ndouze troupeaux de b\u0153ufs sur la terre ferme, autant de brebis, \nautant de porcs, autant de larges \u00e9tables de ch\u00e8vres. Le tout est \nsurveill\u00e9 par des pasteurs \u00e9trangers. Ici, \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de l\u2019\u00eele, onze \ngrands troupeaux de ch\u00e8vres paissent sous la garde de bons ser -\nviteurs ; et chacun de ceux-ci m\u00e8ne tous les jours aux pr\u00e9tendants \nla meilleure des ch\u00e8vres engraiss\u00e9es. Et moi, je garde ces porcs et \nje les prot\u00e8ge, mais j\u2019envoie aussi aux pr\u00e9tendants le meilleur et \nle plus gras.\nIl parla ainsi, et Odysseus mangeait les chairs et buvait le vin \nen silence, m\u00e9ditant le malheur des pr\u00e9tendants. apr\u00e8s qu\u2019il eut \nmang\u00e9 et bu et satisfait son \u00e2me, Eumaios lui remit pleine de vin \nla coupe o\u00f9 il avait bu lui-m\u00eame. Et Odysseus la re\u00e7ut, et, joyeux \ndans son c\u0153ur, il dit \u00e0 Eumaios ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 O ami, quel est cet homme qui t\u2019a achet\u00e9 de ses propres richesses, \net qui, dis-tu, \u00e9tait si riche et si puissant ? Tu dis aussi qu\u2019il a p\u00e9ri \npour la cause d\u2019a gamemn\u00f4n ? Dis-moi son nom, car je le connais \npeut-\u00eatre. Zeus et les autres dieux immortels savent, en effet, si je \nviens vous annoncer que je l\u2019ai vu, car j\u2019ai beaucoup err\u00e9.314CHaNT 14\nEt le chef des porchers lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, aucun voyageur errant et apportant des nouvelles ne \npersuadera sa femme et son cher fils. Que de mendiants affam\u00e9s \nmentent effront\u00e9ment et ne veulent point dire la v\u00e9rit\u00e9 ! Chaque \n\u00e9tranger qui vient parmi le peuple d\u2019Ithak\u00e8 va trouver ma ma\u00ee -\ntresse et lui fait des mensonges. Elle les re\u00e7oit avec bont\u00e9, les \ntraite bien et les interroge sur chaque chose. Puis elle g\u00e9mit, et les \nlarmes tombent de ses paupi\u00e8res, comme c\u2019est la coutume de la \nfemme dont le mari est mort. Et toi, vieillard, tu inventerais aus -\nsit\u00f4t une histoire, afin qu\u2019elle te donn\u00e2t un manteau, une tunique, \ndes v\u00eatements. Mais d\u00e9j\u00e0 les chiens rapides et les oiseaux carnas -\nsiers ont arrach\u00e9 sa chair de ses os, et il a perdu l\u2019\u00e2me ; ou les pois -\nsons l\u2019ont mang\u00e9 dans la mer, et ses os gisent sur le rivage, cou -\nverts d\u2019un monceau de sable.\nIl a p\u00e9ri ainsi, laissant \u00e0 ses amis et \u00e0 moi de grandes douleurs ; \ncar, dans quelque lieu que j\u2019aille, je ne trouverai jamais un autre \nma\u00eetre aussi bon, m\u00eame quand j\u2019irais dans la demeure de mon \np\u00e8re et de ma m\u00e8re, l\u00e0 o\u00f9 je suis n\u00e9 et o\u00f9 ceux-ci m\u2019ont \u00e9lev\u00e9. Et \nje ne les pleure point tant, et je ne d\u00e9sire point tant les revoir de \nmes yeux sur la terre de ma patrie, que je ne suis saisi du regret \nd\u2019Odysseus absent. Et maintenant qu\u2019il n\u2019est point l\u00e0, \u00f4 \u00e9tranger, \nje le respecte en le nommant, car il m\u2019aimait beaucoup et prenait 315\nL\u2019ODYSS\u00c9Esoin de moi ; c\u2019est pourquoi je l\u2019appelle mon fr\u00e8re a\u00een\u00e9, bien qu\u2019il \nsoit absent au loin.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 ami, puisque tu nies mes paroles, et que tu affirmes qu\u2019il ne \nreviendra pas, ton esprit est toujours incr\u00e9dule. Cependant, je ne \nparle point au hasard, et je jure par serment qu\u2019Odysseus revien -\ndra. Qu\u2019on me r\u00e9compense de cette bonne nouvelle quand il sera \nrentr\u00e9 dans ses demeures. Je n\u2019accepterai rien auparavant, malgr\u00e9 \nma mis\u00e8re ; mais, alors seulement, qu\u2019on me donne des v\u00eatements, \nun manteau et une tunique. Il m\u2019est odieux, non moins que les \nportes d\u2019a id\u00e8s, celui qui, pouss\u00e9 par la mis\u00e8re, parle faussement. \nQue Zeus, le premier des dieux, le sache ! Et cette table hospita -\nli\u00e8re, et le foyer de l\u2019irr\u00e9prochable Odysseus o\u00f9 je me suis assis ! \nCertes, toutes les choses que j\u2019annonce s\u2019accompliront. Odysseus \narrivera ici dans cette m\u00eame ann\u00e9e, m\u00eame \u00e0 la fin de ce mois ; \nm\u00eame dans peu de jours il rentrera dans sa demeure et il punira \nchacun de ceux qui outragent sa femme et son illustre fils.\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, je ne te donnerai point cette r\u00e9compense d\u2019une bonne \nnouvelle, car jamais Odysseus ne reviendra vers sa demeure. Bois 316CHaNT 14\ndonc en repos ; ne parlons plus de cela, et ne me rappelle point \nces choses, car je suis triste dans mon c\u0153ur quand quelqu\u2019un se \nsouvient de mon glorieux ma\u00eetre. Mais j\u2019accepte ton serment ; \nqu\u2019Odysseus revienne, comme je le d\u00e9sire, ainsi que P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, \nle vieux Laert\u00e8s et le divin T\u00e8l\u00e9makhos. Maintenant, je g\u00e9mis sur \ncet enfant, T\u00e8l\u00e9makhos, qu\u2019a engendr\u00e9 Odysseus, et que les dieux \nont nourri comme une jeune plante. J\u2019esp\u00e9rais que, parmi les \nhommes, il ne serait inf\u00e9rieur \u00e0 son p\u00e8re bien-aim\u00e9, ni en sagesse, \nni en beaut\u00e9 ; mais quelqu\u2019un d\u2019entre les immortels, ou d\u2019entre les \nhommes, a troubl\u00e9 son esprit calme, et il est all\u00e9 vers la divine \nPylos pour s\u2019informer de son p\u00e8re, et les pr\u00e9tendants insolents \nlui tendent une embuscade au retour, afin que la race du divin \narkeisios p\u00e9risse enti\u00e8rement dans Ithak\u00e8. Mais laissons-le, soit \nqu\u2019il p\u00e9risse, soit qu\u2019il \u00e9chappe, et que le Kroni\u00f4n le couvre de sa \nmain ! Pour toi, vieillard, raconte-moi tes malheurs, et parle avec \nv\u00e9rit\u00e9, afin que je t\u2019entende. Qui es-tu ? quel est ton peuple ? o\u00f9 \nsont tes parents et ta ville ? sur quelle nef es-tu venu ? comment \ndes marins t\u2019ont-ils men\u00e9 \u00e0 Ithak\u00e8 ? qui sont-ils ? car je pense que \ntu n\u2019es pas venu ici \u00e0 pied ?\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je te dirai, en effet, ces choses avec v\u00e9rit\u00e9 ; mais, quand m\u00eame \ncette nourriture et ton vin doux dureraient un long temps, quand 317\nL\u2019ODYSS\u00c9Em\u00eame nous resterions ici, mangeant tranquillement, tandis que \nd\u2019autres travaillent, il me serait facile, pendant toute une ann\u00e9e, \nde te raconter les douleurs que j\u2019ai subies par la volont\u00e9 des \ndieux. Je me glorifie d\u2019\u00eatre n\u00e9 dans la vaste Kr\u00e8t\u00e8 et d\u2019\u00eatre le fils \nd\u2019un homme riche. Beaucoup d\u2019autres fils lui \u00e9taient n\u00e9s dans ses \ndemeures, d\u2019une femme l\u00e9gitime, et y avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9s. Pour moi, \nc\u2019est une m\u00e8re achet\u00e9e et concubine qui m\u2019a enfant\u00e9 ; mais Kast\u00f4r \nHylakide m\u2019aima autant que ses enfants l\u00e9gitimes ; et je me glori -\nfie d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 engendr\u00e9 par lui qui, autrefois, \u00e9tait honor\u00e9 comme \nun dieu par les Kr\u00e8tois, \u00e0 cause de ses domaines, de ses richesses \net de ses fils illustres. Mais les k\u00e8res de la mort l\u2019emport\u00e8rent aux \ndemeures d\u2019 aid\u00e8s, et ses fils magnanimes partag\u00e8rent ses biens \net les tir\u00e8rent au sort. Et ils m\u2019en donn\u00e8rent une tr\u00e8s petite part \navec sa maison.\nMais, par ma vertu, j\u2019\u00e9pousai une fille d\u2019hommes tr\u00e8s riches, car je \nn\u2019\u00e9tais ni insens\u00e9, ni l\u00e2che. Maintenant tout est fl\u00e9tri en moi, mais, \ncependant, tu peux juger en regardant le chaume ; et, certes, j\u2019ai \nsubi des maux cruels. ar\u00e8s et ath\u00e8n\u00e8 m\u2019avaient donn\u00e9 l\u2019audace \net l\u2019intr\u00e9pidit\u00e9, et quand, m\u00e9ditant la perte des ennemis, je choi -\nsissais des hommes braves pour une embuscade, jamais, en mon \nc\u0153ur courageux, je n\u2019avais la mort devant les yeux ; mais, courant \naux premiers rangs, je tuais de ma lance celui des guerriers enne -\nmis qui me le c\u00e9dait en agilit\u00e9.318CHaNT 14\nTel j\u2019\u00e9tais dans la guerre ; mais les travaux et les soins de la famille, \npar lesquels on \u00e9l\u00e8ve les chers enfants, ne me plaisaient point ; \net j\u2019aimais seulement les nefs arm\u00e9es d\u2019avirons, les combats, les \ntraits aigus et les fl\u00e8ches ; et ces armes cruelles qui sont horribles \naux autres hommes me plaisaient, car un dieu me les pr\u00e9sentait \ntoujours \u00e0 l\u2019esprit. ainsi chaque homme se r\u00e9jouit de choses dif -\nf\u00e9rentes. En effet, avant que les fils des akhaiens eussent mis le \npied devant Troi\u00e8, j\u2019avais neuf fois command\u00e9 des guerriers et des \nnefs rapides contre des peuples \u00e9trangers, et tout m\u2019avait r\u00e9ussi. \nJe choisissais d\u2019abord ma part l\u00e9gitime du butin, et je recevais \nensuite beaucoup de dons ; et ma maison s\u2019accroissait, et j\u2019\u00e9tais \ncraint et respect\u00e9 parmi les Kr\u00e8tois.\nMais quand l\u2019irr\u00e9prochable Zeus eut d\u00e9cid\u00e9 cette odieuse exp\u00e9 -\ndition qui devait rompre les genoux \u00e0 tant de h\u00e9ros, alors les \npeuples nous ordonn\u00e8rent, \u00e0 moi et \u00e0 l\u2019illustre Idom\u00e9neus, de \nconduire nos nefs \u00e0 Ilios, et nous ne p\u00fbmes nous y refuser \u00e0 cause \ndes rumeurs mena\u00e7antes du peuple. L\u00e0, nous, fils des akhaiens, \nnous combatt\u00eemes pendant neuf ann\u00e9es, et, la dixi\u00e8me, ayant sac -\ncag\u00e9 la ville de Priamos, nous rev\u00eenmes avec nos nefs vers nos \ndemeures ; mais un dieu dispersa les akhaiens. Mais \u00e0 moi, mal -\nheureux, le sage Zeus imposa d\u2019autres maux. Je restai un seul \nmois dans ma demeure, me r\u00e9jouissant de mes enfants, de ma \nfemme et de mes richesses ; et mon c\u0153ur me poussa ensuite \u00e0 319\nL\u2019ODYSS\u00c9Enaviguer vers l\u2019a igypti\u00e8 sur mes nefs bien construites, avec de \ndivins compagnons.\nEt je pr\u00e9parai neuf nefs, et aussit\u00f4t les \u00e9quipages en furent r\u00e9u -\nnis. Pendant six jours mes chers compagnons prirent de joyeux \nrepas, car j\u2019offris beaucoup de sacrifices aux dieux, et, en m\u00eame \ntemps, des mets \u00e0 mes hommes. Le septi\u00e8me jour, \u00e9tant partis \nde la grande Kr\u00e8t\u00e8, nous navigu\u00e2mes ais\u00e9ment au souffle pro -\npice de Bor\u00e9as, comme au courant d\u2019un fleuve ; et aucune de mes \nnefs n\u2019avait souffert mais, en repos et sains et saufs, nous res -\nt\u00e2mes assis et le vent et les pilotes conduisaient les nefs ; et, le cin -\nqui\u00e8me jour, nous parv\u00eenmes au beau fleuve aigyptos. Et j\u2019arr\u00ea -\ntai mes nefs recourb\u00e9es dans le fleuve aigyptos. L\u00e0, j\u2019ordonnai \u00e0 \nmes chers compagnons de rester aupr\u00e8s des nefs pour les garder, \net j\u2019envoyai des \u00e9claireurs pour aller \u00e0 la d\u00e9couverte. Mais ceux-ci, \n\u00e9gar\u00e9s par leur audace et confiants dans leurs forces, d\u00e9vast\u00e8rent \naussit\u00f4t les beaux champs des hommes aigyptiens, entra\u00eenant \nles femmes et les petits enfants et tuant les hommes. Et aussit\u00f4t \nle tumulte arriva jusqu\u2019\u00e0 la ville. Et les habitants, entendant ces \nclameurs, accoururent au lever d\u2019\u00c9\u00f4s, et toute la plaine se remplit \nde pi\u00e9tons et de cavaliers et de l\u2019\u00e9clat de l\u2019airain. Et le foudroyant \nZeus mit mes compagnons en fuite, et aucun d\u2019eux ne soutint \nl\u2019attaque, et la mort les environna de toutes parts. L\u00e0, un grand \nnombre des n\u00f4tres fut tu\u00e9 par l\u2019airain aigu, et les autres furent 320CHaNT 14\nemmen\u00e9s vivants pour \u00eatre esclaves. Mais Zeus lui-m\u00eame mit \ncette r\u00e9solution dans mon esprit. Pl\u00fbt aux dieux que j\u2019eusse d\u00fb \nmourir en aigypti\u00e8 et subir alors ma destin\u00e9e, car d\u2019autres mal -\nheurs m\u2019attendaient.\nayant aussit\u00f4t retir\u00e9 mon casque de ma t\u00eate et mon bouclier \nde mes \u00e9paules, et jet\u00e9 ma lance, je courus aux chevaux du roi, \net j\u2019embrassai ses genoux, et il eut piti\u00e9 de moi, et il me sauva ; \net, m\u2019ayant fait monter dans son char, il m\u2019emmena dans ses \ndemeures. Certes, ses guerriers m\u2019entouraient, voulant me tuer de \nleurs lances de fr\u00eane, car ils \u00e9taient tr\u00e8s irrit\u00e9s ; mais il m\u2019arracha \n\u00e0 eux, craignant la col\u00e8re de Zeus hospitalier qui ch\u00e2tie surtout \nles mauvaises actions. Je restai l\u00e0 sept ans, et j\u2019amassai beaucoup \nde richesses parmi les aigyptiens, car tous me firent des pr\u00e9sents.\nMais vers la huiti\u00e8me ann\u00e9e, arriva un homme de la Phoiniki\u00e8, \nplein de mensonges, et qui avait d\u00e9j\u00e0 caus\u00e9 beaucoup de maux \naux hommes. Et il me persuada par ses mensonges d\u2019aller en \nPhoiniki\u00e8, o\u00f9 \u00e9taient sa demeure et ses biens. Et je restai l\u00e0 une \nann\u00e9e enti\u00e8re aupr\u00e8s de lui. Et quand les jours et les mois se furent \n\u00e9coul\u00e9s, et que, l\u2019ann\u00e9e \u00e9tant accomplie, les saisons revinrent, il \nme fit monter sur une nef, sous pr\u00e9texte d\u2019aller avec lui conduire \nun chargement en Liby\u00e8, mais pour me vendre et retirer de moi \nun grand prix. Et je le suivis, le soup\u00e7onnant, mais contraint. Et 321\nL\u2019ODYSS\u00c9Ela nef, pouss\u00e9e par le souffle propice de Bor\u00e9as, approchait de la \nKr\u00e8t\u00e8, quand Zeus m\u00e9dita notre ruine. Et d\u00e9j\u00e0 nous avions laiss\u00e9 \nla Kr\u00e8t\u00e8, et rien n\u2019apparaissait plus que l\u2019Ouranos et la mer. alors, \nle Kroni\u00f4n suspendit une nu\u00e9e noire sur la nef creuse, et sous \ncette nu\u00e9e toute la mer devint noire aussi. Et Zeus tonna, et il \nlan\u00e7a la foudre sur la nef, qui se renversa, frapp\u00e9e par la foudre \nde Zeus, et se remplit de fum\u00e9e.\nEt tous les hommes furent pr\u00e9cipit\u00e9s de la nef, et ils \u00e9taient \nemport\u00e9s, comme des oiseaux de mer, par les flots, autour de la \nnef noire, et un dieu leur refusa le retour. alors Zeus me mit entre \nles mains le long m\u00e2t de la nef \u00e0 proue bleue, afin que je pusse fuir \nla mort ; et l\u2019ayant embrass\u00e9, je fus la proie des vents furieux. Et \nje fus emport\u00e9 pendant neuf jours, et, dans la dixi\u00e8me nuit noire, \nune grande lame me jeta sur la terre des Thespr\u00f4tes.\nalors le h\u00e9ros Pheid\u00f4n, le roi des Thespr\u00f4tes, m\u2019accueillit g\u00e9n\u00e9 -\nreusement ; car je rencontrai d\u2019abord son cher fils, et celui-ci me \nconduisit, accabl\u00e9 de froid et de fatigue, et, me soutenant de la \nmain, m\u2019emmena dans les demeures de son p\u00e8re. Et celui-ci me \ndonna des v\u00eatements, un manteau et une tunique. L\u00e0, j\u2019entendis \nparler d\u2019Odysseus. Pheid\u00f4n me dit que, lui ayant donn\u00e9 l\u2019hospi -\ntalit\u00e9, il l\u2019avait trait\u00e9 en ami, comme il retournait dans la terre de \nsa patrie. Et il me montra les richesses qu\u2019avait r\u00e9unies Odysseus, 322CHaNT 14\nde l\u2019airain, de l\u2019or et du fer tr\u00e8s difficile \u00e0 travailler, le tout assez \nabondant pour nourrir jusqu\u2019\u00e0 sa dixi\u00e8me g\u00e9n\u00e9ration. Et tous ces \ntr\u00e9sors \u00e9taient d\u00e9pos\u00e9s dans les demeures du roi. Et celui-ci me \ndisait qu\u2019Odysseus \u00e9tait all\u00e9 \u00e0 D\u00f4d\u00f4n\u00e8 pour apprendre du grand \nCh\u00eane la volont\u00e9 de Zeus, et pour savoir comment, depuis long -\ntemps absent, il rentrerait dans la terre d\u2019Ithak\u00e8, soit ouvertement, \nsoit en secret. Et Pheid\u00f4n me jura, en faisant des libations dans \nsa demeure, que la nef et les hommes \u00e9taient pr\u00eats qui devaient \nconduire Odysseus dans la ch\u00e8re terre de sa patrie.\nMais il me renvoya d\u2019abord, profitant d\u2019une nef des Thespr\u00f4tes \nqui allait \u00e0 Doulikhios. Et il ordonna de me mener au roi akastos ; \nmais ces hommes prirent une r\u00e9solution funeste pour moi, afin, \nsans doute, que je subisse toutes les mis\u00e8res.\nQuand la nef fut \u00e9loign\u00e9e de terre, ils song\u00e8rent aussit\u00f4t \u00e0 me \nr\u00e9duire en servitude ; et, m\u2019arrachant mon v\u00eatement, mon man -\nteau et ma tunique, ils jet\u00e8rent sur moi ce mis\u00e9rable haillon et \ncette tunique d\u00e9chir\u00e9e, tels que tu les vois. Vers le soir ils par -\nvinrent aux champs de la riante Ithak\u00e8, et ils me li\u00e8rent aux bancs \nde la nef avec une corde bien tordue ; puis ils descendirent sur \nle rivage de la mer pour prendre leur repas. Mais les dieux eux-\nm\u00eames d\u00e9tach\u00e8rent ais\u00e9ment mes liens. alors, enveloppant ma \nt\u00eate de ce haillon, je descendis \u00e0 la mer par le gouvernail, et 323\nL\u2019ODYSS\u00c9Epressant l\u2019eau de ma poitrine et nageant des deux mains, j\u2019abordai \ntr\u00e8s loin d\u2019eux. Et je montai sur la c\u00f4te, l\u00e0 o\u00f9 croissait un bois de \nch\u00eanes touffus, et je me couchai contre terre, et ils me cherchaient \nen g\u00e9missant ; mais, ne me voyant point, ils jug\u00e8rent qu\u2019il \u00e9tait \nmieux de ne plus me chercher ; car les dieux m\u2019avaient ais\u00e9ment \ncach\u00e9 d\u2019eux, et ils m\u2019ont conduit \u00e0 l\u2019\u00e9table d\u2019un homme excellent, \npuisque ma destin\u00e9e est de vivre encore.\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Etranger tr\u00e8s malheureux, certes, tu as fortement \u00e9mu mon \nc\u0153ur en racontant les mis\u00e8res que tu as subies et tes courses \nerrantes ; mais, en parlant d\u2019Odysseus, je pense que tu n\u2019as rien dit \nde sage, et tu ne me persuaderas point. Comment un homme tel \nque toi peut-il mentir aussi effront\u00e9ment ? Je sais trop que penser \ndu retour de mon ma\u00eetre. Certes, il est tr\u00e8s odieux \u00e0 tous les dieux, \npuisqu\u2019ils ne l\u2019ont point dompt\u00e9 par la main des Troiens, ou qu\u2019ils \nne lui ont point permis, apr\u00e8s la guerre, de mourir entre les bras \nde ses amis. Car tous les akhaiens lui eussent \u00e9lev\u00e9 un tombeau, \net une grande gloire e\u00fbt \u00e9t\u00e9 accord\u00e9e \u00e0 son fils dans l\u2019avenir. Et \nmaintenant les Harpyes l\u2019ont d\u00e9chir\u00e9 sans gloire, et moi, s\u00e9par\u00e9 de \ntous, je reste aupr\u00e8s de mes porcs ; et je ne vais point \u00e0 la ville, si \nce n\u2019est quand la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia m\u2019ordonne d\u2019y aller, quand elle a \nre\u00e7u quelque nouvelle. Et, alors, tous s\u2019empressent de m\u2019interroger, 324CHaNT 14\nceux qui s\u2019attristent de la longue absence de leur roi et ceux qui \nse r\u00e9jouissent de d\u00e9vorer impun\u00e9ment ses richesses. Mais il ne \nm\u2019est point agr\u00e9able de demander ou de r\u00e9pondre depuis qu\u2019un \nait\u00f4lien m\u2019a tromp\u00e9 par ses paroles. ayant tu\u00e9 un homme, il \navait err\u00e9 en beaucoup de pays, et il vint dans ma demeure, et \nje le re\u00e7us avec amiti\u00e9. Il me dit qu\u2019il avait vu, parmi les Kr\u00e8tois, \naupr\u00e8s d\u2019Idom\u00e9neus, mon ma\u00eetre r\u00e9parant ses nefs que les tem -\np\u00eates avaient bris\u00e9es. Et il me dit qu\u2019Odysseus allait revenir, soit \ncet \u00e9t\u00e9, soit cet automne, ramenant de nombreuses richesses \navec ses divins compagnons. Et toi, vieillard, qui as subi tant de \nmaux, et que la destin\u00e9e a conduit vers moi, ne cherche point \u00e0 \nme plaire par des mensonges, car je ne t\u2019honorerai, ni ne t\u2019aime -\nrai pour cela, mais par respect pour Zeus hospitalier et par com -\npassion pour toi.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, tu as dans ta poitrine un esprit incr\u00e9dule, puisque ayant \njur\u00e9 par serment, je ne t\u2019ai point persuad\u00e9. Mais faisons un pacte, \net que les dieux qui habitent l\u2019Olympos soient t\u00e9moins. Si ton roi \nrevient dans cette demeure, donne-moi des v\u00eatements, un man -\nteau et une tunique, et fais-moi conduire \u00e0 Doulikhios, ainsi \nque je le d\u00e9sire ; mais si ton roi ne revient pas comme je te le dis, 325\nL\u2019ODYSS\u00c9Eordonne \u00e0 tes serviteurs de me jeter du haut d\u2019un grand rocher, \nafin que, d\u00e9sormais, un mendiant craigne de mentir.\nEt le divin porcher lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00c9tranger, je perdrais ainsi ma bonne renomm\u00e9e et ma vertu \nparmi les hommes, maintenant et \u00e0 jamais, moi qui t\u2019ai conduit \ndans mon \u00e9table et qui t\u2019ai offert les dons de l\u2019hospitalit\u00e9, si je te \ntuais et si je t\u2019arrachais ta ch\u00e8re \u00e2me. Comment supplierais-je \nensuite le Kroni\u00f4n Zeus ? Mais voici l\u2019heure du repas, et mes \ncompagnons vont arriver promptement, afin que nous pr\u00e9pa -\nrions un bon repas dans l\u2019\u00e9table.\nTandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, les porcs et les porchers arriv\u00e8rent. \nEt ils enferm\u00e8rent les porcs, comme de coutume, pour la nuit, et \nune immense rumeur s\u2019\u00e9leva du milieu des animaux qui allaient \n\u00e0 l\u2019enclos. Puis le divin porcher dit \u00e0 ses compagnons :\n\u2013 amenez-moi un porc excellent, afin que je le tue pour cet h\u00f4te \nqui vient de loin, et nous nous en d\u00e9lecterons aussi, nous qui souf -\nfrons beaucoup, et qui surveillons les porcs aux dents blanches, \ntandis que d\u2019autres mangent impun\u00e9ment le fruit de notre travail.326CHaNT 14\nayant ainsi parl\u00e9, il fendit du bois avec l\u2019airain tranchant. Et les \nporchers amen\u00e8rent un porc tr\u00e8s gras ayant cinq ans. Et ils l\u2019\u00e9ten -\ndirent devant le foyer. Mais Eumaios n\u2019oublia point les immortels, \ncar il n\u2019avait que de bonnes pens\u00e9es ; et il jeta d\u2019abord dans le feu \nles soies de la t\u00eate du porc aux dents blanches, et il pria tous les \ndieux, afin que le subtil Odysseus revint dans ses demeures. Puis, \nlevant les bras, il frappa la victime d\u2019un morceau de ch\u00eane qu\u2019il \navait r\u00e9serv\u00e9, et la vie abandonna le porc. Et les porchers l\u2019\u00e9gor -\ng\u00e8rent, le br\u00fbl\u00e8rent et le coup\u00e8rent par morceaux. Et Eumaios, \nretirant les entrailles saignantes, qu\u2019il recouvrit de la graisse prise \nau corps, les jeta dans le feu apr\u00e8s les avoir saupoudr\u00e9es de fleur \nde farine d\u2019orge. Et les porchers, divisant le reste, travers\u00e8rent les \nviandes de broches, les firent r\u00f4tir avec soin et les retir\u00e8rent du \nfeu. Puis ils les d\u00e9pos\u00e8rent sur des disques. Eumaios se leva, fai -\nsant les parts, car il avait des pens\u00e9es \u00e9quitables ; et il fit en tout \nsept parts. Il en consacra une aux nymphes et \u00e0 Herm\u00e8s, fils de \nMai\u00e8, et il distribua les autres \u00e0 chacun ; mais il honora Odysseus \ndu dos entier du porc aux dents blanches. Et le h\u00e9ros, le subtil \nOdysseus, s\u2019en glorifia, et dit \u00e0 Eumaios :\n\u2013 Plaise aux dieux, Eumaios, que tu sois toujours cher au p\u00e8re Zeus, \npuisque, tel que je suis, tu m\u2019as honor\u00e9 de cette part excellente.327\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mange heureusement, mon h\u00f4te, et d\u00e9lecte-toi de ces mets tels \nqu\u2019ils sont. Un dieu nous les a donn\u00e9s et nous laissera en jouir, s\u2019il \nle veut ; car il peut tout.\nIl parla ainsi, et il offrit les pr\u00e9mices aux dieux \u00e9ternels. Puis, \nayant fait des libations avec du vin rouge, il mit une coupe entre \nles mains d\u2019Odysseus destructeur des citadelles. Et celui-ci s\u2019as -\nsit devant le dos du porc ; et M\u00e9saulios, que le chef des porchers \navait achet\u00e9 en l\u2019absence de son ma\u00eetre, et sans l\u2019aide de sa ma\u00ee -\ntresse et du vieux Laert\u00e8s, distribua les parts. Il l\u2019avait achet\u00e9 de \nses propres richesses \u00e0 des Taphiens.\nEt tous \u00e9tendirent les mains vers les mets plac\u00e9s devant eux. \nEt apr\u00e8s qu\u2019ils eurent assouvi le besoin de boire et de manger, \nM\u00e9saulios enleva le pain, et tous, rassasi\u00e9s de nourriture, all\u00e8rent \n\u00e0 leurs lits.\nMais la nuit vint, mauvaise et noire ; et Zeus plut toute la nuit, et \nle grand Z\u00e9phyros soufflait charg\u00e9 d\u2019eau.328CHaNT 14\nalors Odysseus parla ainsi, pour \u00e9prouver le porcher qui prenait \ntant de soins de lui, afin de voir si, retirant son propre manteau, il \nle lui donnerait, ou s\u2019il avertirait un de ses compagnons :\n\u2013 \u00c9coutez-moi maintenant, toi, Eumaios, et vous, ses compa -\ngnons, afin que je vous parle en me glorifiant, car le vin insens\u00e9 \nm\u2019y pousse, lui qui excite le plus sage \u00e0 chanter, \u00e0 rire, \u00e0 danser, et \n\u00e0 prononcer des paroles qu\u2019il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 mieux de ne pas dire ; mais \nd\u00e8s que j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 \u00eatre bavard, je ne puis rien cacher. Pl\u00fbt \naux dieux que je fusse jeune et que ma force f\u00fbt grande, comme \nau jour o\u00f9 nous tend\u00eemes une embuscade sous Troi\u00e8. Les chefs \n\u00e9taient Odysseus et l\u2019a tr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, et je commandais avec \neux, car ils m\u2019avaient choisi eux-m\u00eames. Quand nous f\u00fbmes arri -\nv\u00e9s \u00e0 la ville, sous la haute muraille, nous nous couch\u00e2mes avec \nnos armes, dans un marais, au milieu de roseaux et de brous -\nsailles \u00e9paisses. La nuit vint, mauvaise, et le souffle de Bor\u00e9as \n\u00e9tait glac\u00e9. Puis la neige tomba, froide, et le givre couvrait nos \nboucliers. Et tous avaient leurs manteaux et leurs tuniques ; et ils \ndormaient tranquilles, couvrant leurs \u00e9paules de leurs boucliers. \nPour moi, j\u2019avais laiss\u00e9 mon manteau \u00e0 mes compagnons comme \nun insens\u00e9 ; mais je n\u2019avais point pens\u00e9 qu\u2019il d\u00fbt faire un si grand \nfroid, et je n\u2019avais que mon bouclier et une tunique brillante. \nQuand vint la derni\u00e8re partie de la nuit, \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 les astres 329\nL\u2019ODYSS\u00c9Es\u2019inclinent, ayant touch\u00e9 du coude Odysseus, qui \u00e9tait aupr\u00e8s de \nmoi, je lui dis ces paroles qu\u2019il comprit aussit\u00f4t :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, je ne vivrai pas longtemps et \nce froid me tuera, car je n\u2019ai point de manteau et un daim\u00f4n m\u2019a \ntromp\u00e9 en me persuadant de ne prendre que ma seule tunique ; et \nmaintenant il n\u2019y a plus aucun rem\u00e8de. \u2019 Je parlai ainsi, et il m\u00e9dita \naussit\u00f4t un projet dans son esprit, aussi prompt qu\u2019il l\u2019\u00e9tait tou -\njours pour d\u00e9lib\u00e9rer ou pour combattre. Et il me dit \u00e0 voix basse : \u2013 \nTais-toi maintenant, de peur qu\u2019un autre parmi les akhaiens t\u2019en -\ntende. \u2019 Il parla ainsi, et, appuy\u00e9 sur le coude, il dit : \u2013 \u00c9coutez-moi, \namis. Un songe divin m\u2019a r\u00e9veill\u00e9. Nous sommes loin des nefs ; \nmais qu\u2019un de nous aille pr\u00e9venir le prince des peuples, l\u2019a tr\u00e9ide \nagamemn\u00f4n, afin qu\u2019il ordonne \u00e0 un plus grand nombre de \nsortir des nefs et de venir ici. \u2019 Il parla ainsi, et aussit\u00f4t Thoas \nandraimonide se leva, jeta son manteau pourpr\u00e9 et courut vers \nles nefs, et je me couchai oiseusement dans son manteau, jusqu\u2019\u00e0 \nla clart\u00e9 d\u2019E\u00f4s au thr\u00f4ne d\u2019or. pl\u00fbt aux Dieux que je fusse aussi \njeune et que ma force f\u00fbt aussi grande ! un des porchers, dans ces \n\u00e9tables, me donnerait un manteau, par amiti\u00e9 et par respect pour \nun homme brave. Mais maintenant, je suis m\u00e9pris\u00e9, \u00e0 cause des \nmis\u00e9rables haillons qui me couvrent le corps.330CHaNT 14\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, tu as racont\u00e9 une histoire irr\u00e9prochable, et tu n\u2019au -\nras point dit en vain une parole excellente.\nC\u2019est pourquoi tu ne manqueras ni d\u2019un manteau, ni d\u2019aucune \nchose qui convienne \u00e0 un suppliant malheureux venu de loin ; \nmais, au matin, tu reprendras tes haillons, car ici nous n\u2019avons \npas beaucoup de manteaux, ni de tuniques de rechange, et chaque \nhomme n\u2019en a qu\u2019une. Quand le cher fils d\u2019Odysseus sera revenu, \nil te donnera lui-m\u00eame des v\u00eatements, un manteau et une tunique, \net il te fera conduire o\u00f9 ton c\u0153ur d\u00e9sire aller.\nayant ainsi parl\u00e9, il se leva, approcha le feu du lit de peaux de \nch\u00e8vres et de brebis o\u00f9 Odysseus se coucha, et il jeta sur lui un \ngrand et \u00e9pais manteau de rechange et dont il se couvrait quand \nles mauvais temps survenaient. Et Odysseus se coucha, et, aupr\u00e8s \nde lui, les jeunes porchers s\u2019endormirent ; mais il ne plut point \n\u00e0 Eumaios de reposer dans son lit loin de ses porcs, et il sortit, \narm\u00e9. Et Odysseus se r\u00e9jouissait qu\u2019il pr\u00eet tant de soin de ses biens \npendant son absence. Et, d\u2019abord, Eumaios mit une \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb \nautour de ses robustes \u00e9paules ; puis, il se couvrit d\u2019un \u00e9pais man -\nteau qui garantissait du vent : et il prit aussi la peau d\u2019une grande \nch\u00e8vre, et il saisit une lance aigu\u00eb pour se d\u00e9fendre des chiens et 331\nL\u2019ODYSS\u00c9Edes hommes ; et il alla dormir o\u00f9 dormaient ses porcs, sous une \npierre creuse, \u00e0 l\u2019abri de Bor\u00e9as.332CHaNT 14333\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 15\nEt Pallas ath\u00e8n\u00e8 se rendit dans la grande Lak\u00e9daim\u00f4n, vers l\u2019il -\nlustre fils du magnanime Odysseus, afin de l\u2019avertir et de l\u2019exci -\nter au retour. Et elle trouva T\u00e8l\u00e9makhos et l\u2019illustre fils de Nest\u00f4r \ndormant sous le portique de la demeure de l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos. Et \nle Nestoride dormait paisiblement ; mais le doux sommeil ne sai -\nsissait point T\u00e8l\u00e9makhos, et il songeait \u00e0 son p\u00e8re, dans son esprit, \npendant la nuit solitaire. Et ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, se tenant pr\u00e8s \nde lui, parla ainsi :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, il ne serait pas bien de rester plus longtemps loin \nde ta demeure et de tes richesses laiss\u00e9es en proie \u00e0 des hommes \ninsolents qui d\u00e9voreront et se partageront tes biens ; car tu aurais \nfait un voyage inutile. Excite donc tr\u00e8s promptement l\u2019illustre \nM\u00e9n\u00e9laos \u00e0 te renvoyer, afin que tu retrouves ton irr\u00e9prochable \nm\u00e8re dans tes demeures. D\u00e9j\u00e0 son p\u00e8re et ses fr\u00e8res lui ordonnent \nd\u2019\u00e9pouser Eurymakhos, car il l\u2019emporte sur tous les pr\u00e9tendants \npar les pr\u00e9sents qu\u2019il offre et la plus riche dot qu\u2019il promet. Prends \ngarde que, contre son gr\u00e9, elle emporte ces richesses de ta demeure. \nTu sais, en effet, quelle est l\u2019\u00e2me d\u2019une femme ; elle veut toujours \nenrichir la maison de celui qu\u2019elle \u00e9pouse. Elle ne se souvient plus 334CHaNT 15\nde ses premiers enfants ni de son premier mari mort, et elle n\u2019y \nsonge plus. Quand tu seras de retour, confie donc, jusqu\u2019\u00e0 ce que \nles dieux t\u2019aient donn\u00e9 une femme v\u00e9n\u00e9rable, toutes tes richesses \n\u00e0 la meilleure de tes servantes. Mais je te dirai autre chose. Garde \nmes paroles dans ton esprit.\nLes plus braves des pr\u00e9tendants te tendent une embuscade dans \nle d\u00e9troit d\u2019Ithak\u00e8 et de la st\u00e9rile Samos, d\u00e9sirant te tuer avant que \ntu rentres dans ta patrie ; mais je ne pense pas qu\u2019ils le fassent, et, \nauparavant, la terre enfermera plus d\u2019un de ces pr\u00e9tendants qui \nmangent tes biens. Conduis ta nef bien construite loin des \u00eeles, et \nnavigue la nuit. Celui des immortels qui veille sur toi t\u2019enverra un \nvent favorable. Et d\u00e8s que tu seras arriv\u00e9 au rivage d\u2019Ithak\u00e8, envoie \nla nef et tous tes compagnons \u00e0 la ville, et va d\u2019abord chez le por -\ncher qui garde tes porcs et qui t\u2019aime. Dors chez lui, et envoie-le \n\u00e0 la ville annoncer \u00e0 l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia que tu la salues et \nque tu reviens de Pylos.\nayant ainsi parl\u00e9, elle remonta dans le haut Olympos. Et \nT\u00e8l\u00e9makhos \u00e9veilla le Nestoride de son doux sommeil en le pous -\nsant du pied, et il lui dit :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, Nestoride Peisistratos, et lie au char les chevaux au \nsabot massif afin que nous partions.335\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le Nestoride Peisistratos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, nous ne pouvons, quelque h\u00e2te que nous ayons, \npartir dans la nuit t\u00e9n\u00e9breuse. Bient\u00f4t E\u00f4s para\u00eetra. attendons au \nmatin et jusqu\u2019\u00e0 ce que le h\u00e9ros atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos illustre par sa \nlance ait plac\u00e9 ses pr\u00e9sents dans le char et t\u2019ait renvoy\u00e9 avec des \nparoles amies. Un h\u00f4te se souvient toujours d\u2019un homme aussi \nhospitalier qui l\u2019a re\u00e7u avec amiti\u00e9.\nIl parla ainsi, et aussit\u00f4t \u00c9\u00f4s s\u2019assit sur son thr\u00f4ne d\u2019or, et le brave \nM\u00e9n\u00e9laos s\u2019approcha d\u2019eux, ayant quitt\u00e9 le lit o\u00f9 \u00e9tait H\u00e9l\u00e9n\u00e8 aux \nbeaux cheveux. Et d\u00e8s que le cher fils du divin Odysseus l\u2019eut \nreconnu, il se h\u00e2ta de se v\u00eatir de sa tunique brillante, et, jetant \nun grand manteau sur ses \u00e9paules, il sortit du portique, et dit \n\u00e0 M\u00e9n\u00e9laos :\n\u2013 Divin atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, prince des peuples, renvoie-moi d\u00e8s \nmaintenant dans la ch\u00e8re terre de la patrie, car voici que je d\u00e9sire \nen mon \u00e2me revoir ma demeure.\nEt le brave M\u00e9n\u00e9laos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, je ne te retiendrai pas plus longtemps, puisque tu \nd\u00e9sires t\u2019en retourner. Je m\u2019irrite \u00e9galement contre un homme qui 336CHaNT 15\naime ses h\u00f4tes outre mesure ou qui les hait. Une conduite conve -\nnable est la meilleure. Il est mal de renvoyer un h\u00f4te qui veut res -\nter, ou de retenir celui qui veut partir ; mais il faut le traiter avec \namiti\u00e9 s\u2019il veut rester, ou le renvoyer s\u2019il veut partir. Reste cepen -\ndant jusqu\u2019\u00e0 ce que j\u2019aie plac\u00e9 sur ton char de beaux pr\u00e9sents que \ntu verras de tes yeux, et je dirai aux servantes de pr\u00e9parer un repas \nabondant dans mes demeures \u00e0 l\u2019aide des mets qui s\u2019y trouvent. Il \nest honorable, glorieux et utile de parcourir une grande \u00e9tendue \nde pays apr\u00e8s avoir mang\u00e9. Si tu veux parcourir Hellas et argos, je \nmettrai mes chevaux sous le joug et je te conduirai vers les villes \ndes hommes, et aucun d\u2019eux ne nous renverra outrageusement, \nmais chacun te donnera quelque chose, ou un tr\u00e9pied d\u2019airain, ou \nun bassin, ou deux mulets, ou une coupe d\u2019or.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Divin atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, prince des peuples, je veux rentrer dans \nnos demeures, car je n\u2019ai laiss\u00e9 derri\u00e8re moi aucun gardien de \nmes richesses, et je crains, ou de p\u00e9rir en cherchant mon divin \np\u00e8re, ou, loin de mes demeures, de perdre mes richesses.\nEt le brave M\u00e9n\u00e9laos, l\u2019ayant entendu, ordonna aussit\u00f4t \u00e0 sa femme \net \u00e0 ses servantes de pr\u00e9parer dans les demeures un repas abon -\ndant, \u00e0 l\u2019aide des mets qui s\u2019y trouvaient. Et alors le Bo\u00e8thoide 337\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt\u00e9\u00f4nteus, qui sortait de son lit et qui n\u2019habitait pas loin du roi, \narriva pr\u00e8s de lui. Et le brave M\u00e9n\u00e9laos lui ordonna d\u2019allumer du \nfeu et de faire r\u00f4tir les viandes. Et le Bo\u00e8thoide ob\u00e9it d\u00e8s qu\u2019il eut \nentendu. Et M\u00e9n\u00e9laos rentra dans sa chambre nuptiale parfum\u00e9e, \net H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et M\u00e9gapenth\u00e8s allaient avec lui. Quand ils furent arri -\nv\u00e9s l\u00e0 o\u00f9 les choses pr\u00e9cieuses \u00e9taient enferm\u00e9es, l\u2019a tr\u00e9ide prit \nune coupe ronde, et il ordonna \u00e0 son fils M\u00e9gapenth\u00e8s d\u2019emporter \nun krat\u00e8re d\u2019argent. Et H\u00e9l\u00e9n\u00e8 s\u2019arr\u00eata devant un coffre o\u00f9 \u00e9taient \nenferm\u00e9s les v\u00eatements aux couleurs vari\u00e9es qu\u2019elle avait travail -\nl\u00e9s elle-m\u00eame. Et H\u00e9l\u00e9n\u00e8, la divine femme, prit un p\u00e9plos, le plus \nbeau de tous par ses couleurs diverses, et le plus grand, et qui res -\nplendissait comme une \u00e9toile ; et il \u00e9tait plac\u00e9 sous tous les autres. \nEt ils retourn\u00e8rent par les demeures jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019ils fussent arri -\nv\u00e9s aupr\u00e8s de T\u00e8l\u00e9makhos. Et le brave M\u00e9n\u00e9laos lui dit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, que Zeus, le puissant mari de H\u00e8r\u00e8, accomplisse \nle retour que tu d\u00e9sires dans ton \u00e2me ! De tous mes tr\u00e9sors qui \nsont enferm\u00e9s dans ma demeure je te donnerai le plus beau et le \nplus pr\u00e9cieux, ce krat\u00e8re bien travaill\u00e9, d\u2019argent massif, et dont \nles bords sont enrichis d\u2019or. C\u2019est l\u2019ouvrage de H\u00e8phaistos, et l\u2019il -\nlustre h\u00e9ros, roi des Sid\u00f4nes, me l\u2019offrit, quand il me re\u00e7ut dans sa \ndemeure, \u00e0 mon retour ; et, moi, je veux te l\u2019offrir.338CHaNT 15\nayant ainsi parl\u00e9, le h\u00e9ros atr\u00e9ide lui mit la coupe ronde entre \nles mains ; et le robuste M\u00e9gapenth\u00e8s posa devant lui le splen -\ndide krat\u00e8re d\u2019argent, et H\u00e9l\u00e9n\u00e8, tenant le p\u00e9plos \u00e0 la main, s\u2019ap -\nprocha et lui dit :\n\u2013 Et moi aussi, cher enfant, je te ferai ce pr\u00e9sent, ouvrage des \nmains de H\u00e9l\u00e9n\u00e8, afin que tu le donnes \u00e0 la femme bien-aim\u00e9e \nque tu \u00e9pouseras. Jusque-l\u00e0, qu\u2019il reste aupr\u00e8s de ta ch\u00e8re m\u00e8re. \nEn quittant notre demeure pour la terre de ta patrie, r\u00e9jouis-toi \nde mon souvenir.\nayant ainsi parl\u00e9, elle lui mit le p\u00e9plos entre les mains, et il le re\u00e7ut \navec joie. Et le h\u00e9ros Peisistratros pla\u00e7a les pr\u00e9sents dans une cor -\nbeille, et il les admirait dans son \u00e2me. Puis, le blond M\u00e9n\u00e9laos les \nconduisit dans les demeures o\u00f9 ils s\u2019assirent sur des si\u00e8ges et sur \ndes thr\u00f4nes. Et une servante versa, d\u2019une belle aigui\u00e8re d\u2019or dans \nun bassin d\u2019argent, de l\u2019eau pour laver leurs mains ; et, devant eux, \nelle dressa la table polie.\nEt l\u2019irr\u00e9prochable intendante, pleine de gr\u00e2ce pour tous, couvrit \nla table de pain et de mets nombreux ; et le Bo\u00e8thoide coupait \nles viandes et distribuait les parts, et le fils de l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos \nversait le vin. Et tous \u00e9tendirent les mains vers les mets plac\u00e9s \ndevant eux.339\nL\u2019ODYSS\u00c9Eapr\u00e8s qu\u2019ils eurent assouvi la faim et la soif, T\u00e9l\u00e9makhos et l\u2019il -\nlustre fils de Nest\u00f4r, ayant mis les chevaux sous le joug, mont\u00e8rent \nsur le beau char et sortirent du vestibule et du portique sonore. Et \nle blond M\u00e9n\u00e9laos atr\u00e9ide allait avec eux, portant \u00e0 la main une \ncoupe d\u2019or pleine de vin doux, afin de faire une libation avant le \nd\u00e9part. Et, se tenant devant les chevaux, il parla ainsi :\n\u2013 Salut, \u00f4 jeunes hommes ! Portez mon salut au prince des peuples \nNest\u00f4r, qui \u00e9tait aussi doux qu\u2019un p\u00e8re pour moi, quand les fils \ndes akhaiens combattaient devant Troi\u00e8.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 divin, nous r\u00e9p\u00e9terons toutes tes paroles \u00e0 Nest\u00f4r. Plaise aux \ndieux que, de retour dans Ithak\u00e8 et dans la demeure d\u2019Odysseus, \nje puisse dire avec quelle amiti\u00e9 tu m\u2019as re\u00e7u, toi dont j\u2019emporte \nles beaux et nombreux pr\u00e9sents.\nEt tandis qu\u2019il parlait ainsi, un aigle s\u2019envola \u00e0 sa droite, portant \ndans ses serres une grande oie blanche domestique. Les hommes \net les femmes le poursuivaient avec des cris ; et l\u2019aigle, s\u2019appro -\nchant, passa \u00e0 la droite des chevaux.340CHaNT 15\nEt tous, l\u2019ayant vu, se r\u00e9jouirent dans leurs \u00e2mes ; et le Nestoride \nPeisistratos dit le premier :\n\u2013 D\u00e9cide, divin M\u00e9n\u00e9laos, prince des peuples, si un dieu nous \nenvoie ce signe, ou \u00e0 toi.\nIl parla ainsi, et M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 ar\u00e8s songeait comment il r\u00e9pon -\ndrait sagement ; mais H\u00e9l\u00e9n\u00e8 au large p\u00e9plos le devan\u00e7a et dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, et je proph\u00e9tiserai ainsi que les immortels me \nl\u2019inspirent, et je pense que ceci s\u2019accomplira. De m\u00eame que l\u2019aigle, \ndescendu de la montagne o\u00f9 est sa race et o\u00f9 sont ses petits, a \nenlev\u00e9 l\u2019oie dans les demeures, ainsi Odysseus, apr\u00e8s avoir beau -\ncoup souffert et beaucoup err\u00e9, reviendra dans sa maison et se \nvengera. Peut-\u00eatre d\u00e9j\u00e0 est-il dans sa demeure, apportant la mort \naux pr\u00e9tendants.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Puisse Zeus, le tonnant mari de H\u00e8r\u00e8, le vouloir ainsi, et, d\u00e9sor -\nmais, je t\u2019adresserai des pri\u00e8res comme \u00e0 une d\u00e9esse.\nayant ainsi parl\u00e9, il fouetta les chevaux, et ceux-ci s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent \nrapidement par la ville et la plaine. Et, ce jour entier, ils coururent 341\nL\u2019ODYSS\u00c9Etous deux sous le joug. Et H\u00e8lios tomba, et tous les chemins \ndevinrent sombres.\nEt ils arriv\u00e8rent \u00e0 Ph\u00e8ra, dans la demeure de Diokleus, fils d\u2019Or -\nsilokhos que l\u2019 alph\u00e9ios avait engendr\u00e9. Et ils y dormirent la nuit, \ncar il leur offrit l\u2019hospitalit\u00e9. Mais quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e \nau matin, apparut, ils attel\u00e8rent leurs chevaux, et, montant sur \nleur beau char, ils sortirent du vestibule et du portique sonore. \nEt ils excit\u00e8rent les chevaux du fouet, et ceux-ci couraient avec \nardeur. Et ils parvinrent bient\u00f4t \u00e0 la haute ville de Pylos. alors \nT\u00e8l\u00e9makhos dit au fils de Nest\u00f4r :\n\u2013 Nestoride, comment accompliras-tu ce que tu m\u2019as promis ? \nNous nous glorifions d\u2019\u00eatre h\u00f4tes \u00e0 jamais, \u00e0 cause de l\u2019amiti\u00e9 de \nnos p\u00e8res, de notre \u00e2ge qui est le m\u00eame, et de ce voyage qui nous \nunira plus encore. \u00d4 divin, ne me conduis pas plus loin que ma \nnef, mais laisse-moi ici, de peur que le vieillard me retienne mal -\ngr\u00e9 moi dans sa demeure, d\u00e9sirant m\u2019honorer ; car il est n\u00e9cessaire \nque je parte tr\u00e8s promptement.\nIl parla ainsi, et le Nestoride d\u00e9lib\u00e9ra dans son esprit comment \nil accomplirait convenablement sa promesse. Et, en d\u00e9lib\u00e9rant, \nceci lui sembla la meilleure r\u00e9solution. Il tourna les chevaux \ndu c\u00f4t\u00e9 de la nef rapide et du rivage de la mer. Et il d\u00e9posa les 342CHaNT 15\npr\u00e9sents splendides sur la poupe de la nef, les v\u00eatements et l\u2019or que \nM\u00e9n\u00e9laos avait donn\u00e9s, et il dit \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Maintenant, monte \u00e0 la h\u00e2te et presse tous tes compagnons, \navant que je rentre \u00e0 la maison et que j\u2019avertisse le vieillard. Car \nje sais dans mon esprit et dans mon c\u0153ur quelle est sa grande \n\u00e2me. Il ne te renverrait pas, et, lui-m\u00eame, il viendrait ici te cher -\ncher, ne voulant pas que tu partes les mains vides. Et, certes, il \nsera tr\u00e8s irrit\u00e9.\nayant ainsi parl\u00e9, il poussa les chevaux aux belles crini\u00e8res vers la \nville des Pyliens, et il parvint rapidement \u00e0 sa demeure.\nEt aussit\u00f4t T\u00e8l\u00e9makhos excita ses compagnons :\n\u2013 Compagnons, pr\u00e9parez les agr\u00e8s de la nef noire, montons-y et \nfaisons notre route.\nIl parla ainsi, et, d\u00e8s qu\u2019ils l\u2019eurent entendu, ils mont\u00e8rent sur \nla nef et s\u2019assirent sur les bancs. Et, tandis qu\u2019ils se pr\u00e9paraient, \nil suppliait ath\u00e8n\u00e8 \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la nef. Et voici qu\u2019un \u00e9tran -\nger survint, qui, ayant tu\u00e9 un homme, fuyait argos ; et c\u2019\u00e9tait un \ndivinateur de la race de M\u00e9lampous. Et celui-ci habitait autre -\nfois Pylos nourrice de brebis, et il \u00e9tait riche parmi les Pyliens, et 343\nL\u2019ODYSS\u00c9Eil poss\u00e9dait de belles demeures ; mais il s\u2019enfuit loin de sa patrie \nvers un autre peuple, par crainte du magnanime N\u00e8leus, le plus \nillustre des vivants, qui lui avait retenu de force ses nombreuses \nrichesses pendant une ann\u00e9e, tandis que lui-m\u00eame \u00e9tait charg\u00e9 \nde liens et subissait de nouvelles douleurs dans la demeure de \nPhylas ; car il avait outrag\u00e9 Iphikl\u00e8s, \u00e0 cause de la fille de N\u00e8leus, \npouss\u00e9 par la cruelle d\u00e9esse \u00c9rinnys.\nMais il \u00e9vita la mort, ayant chass\u00e9 les b\u0153ufs mugissants de \nPhylak\u00e8 \u00e0 Pylos et s\u2019\u00e9tant veng\u00e9 de l\u2019outrage du divin N\u00e8leus ; et il \nconduisit vers son fr\u00e8re la jeune fille qu\u2019il avait \u00e9pous\u00e9e, et sa des -\ntin\u00e9e fut d\u2019habiter parmi les argiens qu\u2019il commanda. L\u00e0, il s\u2019unit \n\u00e0 sa femme et b\u00e2tit une haute demeure.\nEt il engendra deux fils robustes, antiphat\u00e8s et Mantios. \nantiphat\u00e8s engendra le magnanime Oikleus, et Oikleus engendra \namphiaraos, sauveur du peuple, que Zeus temp\u00e9tueux et apollon \naim\u00e8rent au-dessus de tous. Mais il ne parvint pas au seuil de \nla vieillesse, et il p\u00e9rit \u00e0 Th\u00e8b\u00e8, trahi par sa femme que des pr\u00e9 -\nsents avaient s\u00e9duite. Et deux fils naquirent de lui, alkma\u00f4n et \namphilokhos. Et Mantios engendra Polypheideus et Klitos. Mais \n\u00c9\u00f4s au thr\u00f4ne d\u2019or enleva Klitos \u00e0 cause de sa beaut\u00e9 et le mit \nparmi les immortels. Et, quand amphiaraos fut mort, apollon \nrendit le magnanime Polypheideus le plus habile des divinateurs. 344CHaNT 15\nEt celui-ci, irrit\u00e9 contre son p\u00e8re, se retira dans la Hyp\u00e9r\u00e8si\u00e8, o\u00f9 il \nhabita, proph\u00e9tisant pour tous les hommes. Et ce fut son fils qui \nsurvint, et il se nommait Th\u00e9oklym\u00e9nos. Et, s\u2019arr\u00eatant aupr\u00e8s de \nT\u00e8l\u00e9makhos, qui priait et faisait des libations \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la \nnef noire, il lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 ami, puisque je te trouve faisant des libations en ce lieu, je te \nsupplie par ces libations, par le dieu invoqu\u00e9, par ta propre t\u00eate et \npar tes compagnons, dis-moi la v\u00e9rit\u00e9 et ne me cache rien.\nQui es-tu ? D\u2019o\u00f9 viens-tu ? O\u00f9 est ta ville ? O\u00f9 sont tes parents ?\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Etranger, je te dirai la v\u00e9rit\u00e9. Ma famille est d\u2019Ithak\u00e8 et mon p\u00e8re \nest Odysseus, s\u2019il vit encore ; mais d\u00e9j\u00e0 sans doute il a p\u00e9ri d\u2019une \nmort lamentable. Je suis venu ici, avec mes compagnons et ma \nnef noire, pour m\u2019informer de mon p\u00e8re depuis longtemps absent.\nEt le divin Th\u00e9oklym\u00e9nos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Moi, je fuis loin de ma patrie, ayant tu\u00e9 un homme. Ses fr\u00e8res et \nses compagnons nombreux habitent argos nourrice de chevaux \net commandent aux akhaiens. Je fuis leur vengeance et la k\u00e8r 345\nL\u2019ODYSS\u00c9Enoire, puisque ma destin\u00e9e est d\u2019errer parmi les hommes. Laisse-\nmoi monter sur ta nef, puisque je viens en suppliant, de peur \nqu\u2019ils me tuent, car je pense qu\u2019ils me poursuivent.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, je ne te chasserai point de ma nef \u00e9gale. Suis-moi ; nous \nt\u2019accueillerons avec amiti\u00e9 et de notre mieux.\nayant ainsi parl\u00e9, il prit la lance d\u2019airain de Th\u00e9oklym\u00e9nos et \nil la d\u00e9posa sur le pont de la nef aux deux rangs d\u2019avirons ; et \nil y monta lui-m\u00eame, et il s\u2019assit sur la poupe, et il y fit asseoir \nTh\u00e9oklym\u00e9nos aupr\u00e8s de lui.\nEt ses compagnons d\u00e9tach\u00e8rent le c\u00e2ble, et il leur ordonna d\u2019appa -\nreiller, et ils se h\u00e2t\u00e8rent d\u2019ob\u00e9ir. Ils dress\u00e8rent le m\u00e2t de sapin sur \nle pont creux et ils le soutinrent avec des cordes, et ils d\u00e9ploy\u00e8rent \nles blanches voiles tenues ouvertes \u00e0 l\u2019aide de courroies. ath\u00e8n\u00e8 \naux yeux clairs leur envoya un vent propice qui soufflait avec \nforce, et la nef courait rapidement sur l\u2019eau sal\u00e9e de la mer. H\u00e8lios \ntomba et tous les chemins devinrent sombres. Et la nef, pouss\u00e9e \npar un vent propice de Zeus, d\u00e9passa Ph\u00e9ras et la divine \u00c9lis o\u00f9 \ncommandent les \u00c9p\u00e9iens. Puis T\u00e8l\u00e9makhos s\u2019engagea entre les 346CHaNT 15\n\u00eeles rocheuses, se demandant s\u2019il \u00e9viterait la mort ou s\u2019il serait \nfait captif.\nMais Odysseus et le divin porcher et les autres p\u00e2tres prenaient \nde nouveau leur repas dans l\u2019\u00e9table ; et quand ils eurent assouvi la \nfaim et la soif, alors Odysseus dit au porcher, afin de voir s\u2019il l\u2019ai -\nmait dans son c\u0153ur, s\u2019il voudrait le retenir dans l\u2019\u00e9table ou s\u2019il l\u2019en -\ngagerait \u00e0 se rendre \u00e0 la ville :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, Eumaios, et vous, ses compagnons. Je d\u00e9sire aller \nau matin \u00e0 la ville, afin d\u2019y mendier et de ne plus vous \u00eatre \u00e0 \ncharge. Donnez-moi donc un bon conseil et un conducteur qui \nme m\u00e8ne. J\u2019irai, errant \u00e7\u00e0 et l\u00e0, par n\u00e9cessit\u00e9, afin qu\u2019on m\u2019ac -\ncorde \u00e0 boire et \u00e0 manger. Et j\u2019entrerai dans la demeure du divin \nOdysseus, pour en donner des nouvelles \u00e0 la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia. Et \nje me m\u00ealerai aux pr\u00e9tendants insolents, afin qu\u2019ils me donnent \u00e0 \nmanger, car ils ont des mets en abondance.\nJe ferai m\u00eame aussit\u00f4t au milieu d\u2019eux tout ce qu\u2019ils m\u2019ordonne -\nront. Car je te le dis, \u00e9coute-moi et retiens mes paroles dans ton \nesprit : par la faveur du messager Herm\u00e9ias qui honore tous les \ntravaux des hommes, aucun ne pourrait lutter avec moi d\u2019adresse \npour allumer du feu, fendre le bois sec et l\u2019amasser afin qu\u2019il br\u00fble 347\nL\u2019ODYSS\u00c9Ebien, pr\u00e9parer le repas, verser le vin et s\u2019acquitter de tous les soins \nque les pauvres rendent aux riches.\nEt le porcher Eumaios, tr\u00e8s irrit\u00e9, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e9las ! mon h\u00f4te, quel dessein a con\u00e7u ton esprit ? Certes, si tu \nd\u00e9sires te m\u00ealer \u00e0 la foule des pr\u00e9tendants, c\u2019est que tu veux p\u00e9rir. \nLeur insolence et leur violence sont mont\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Ouranos \nde fer. Leurs serviteurs ne te ressemblent pas ; ce sont des jeunes \nhommes v\u00eatus de beaux manteaux et de belles tuniques, beaux de \nt\u00eate et de visage, qui chargent les tables polies de pain, de viandes \net de vins. Reste ici ; aucun ne se plaint de ta pr\u00e9sence, ni moi, ni \nmes compagnons. D\u00e8s que le cher fils d\u2019Odysseus sera revenu, il \nte donnera une tunique et un manteau, et il te fera reconduire l\u00e0 \no\u00f9 ton \u00e2me t\u2019ordonne d\u2019aller.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Plaise aux dieux, Eumaios, que tu sois aussi cher au p\u00e8re Zeus \nqu\u2019\u00e0 moi, puisque tu as mis fin \u00e0 mes courses errantes et \u00e0 mes \npeines ; car il n\u2019est rien de pire pour les hommes que d\u2019errer ainsi, \net celui d\u2019entre eux qui vagabonde subit l\u2019inqui\u00e9tude et la douleur \net les angoisses d\u2019un ventre affam\u00e9.348CHaNT 15\nMaintenant, puisque tu me retiens et que tu m\u2019ordonnes d\u2019at -\ntendre T\u00e8l\u00e9makhos, parle-moi de la m\u00e8re du divin Odysseus, et \nde son p\u00e8re qu\u2019il a laiss\u00e9 en partant sur le seuil de la vieillesse. \nVivent-ils encore sous la splendeur de H\u00e8lios, ou sont-ils morts \net dans les demeures d\u2019 aid\u00e8s ?\nEt le chef des porchers lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon h\u00f4te, je te dirai la v\u00e9rit\u00e9. Laert\u00e8s vit encore, mais il supplie \ntoujours Zeus, dans ses demeures, d\u2019enlever son \u00e2me de son corps, \ncar il g\u00e9mit tr\u00e8s am\u00e8rement sur son fils qui est absent, et sur sa \nfemme qu\u2019il avait \u00e9pous\u00e9e vierge ; et la mort de celle-ci l\u2019accable \nsurtout de tristesse et lui fait sentir l\u2019horreur de la vieillesse. Elle \nest morte d\u2019une mort lamentable par le regret de son illustre fils. \nainsi, bient\u00f4t, mourra ici quiconque m\u2019a aim\u00e9. aussi longtemps \nqu\u2019elle a v\u00e9cu, malgr\u00e9 sa douleur, elle aimait \u00e0 me questionner et \n\u00e0 m\u2019interroger ; car elle m\u2019avait \u00e9lev\u00e9 elle-m\u00eame, avec son illustre \nfille Klym\u00e9n\u00e8 au large p\u00e9plos, qu\u2019elle avait enfant\u00e9e la derni\u00e8re. \nElle m\u2019\u00e9leva avec sa fille et elle m\u2019honora non moins que celle-ci. \nMais, quand nous f\u00fbmes arriv\u00e9s tous deux \u00e0 la pubert\u00e9, Klym\u00e9n\u00e8 \nfut mari\u00e9e \u00e0 un Samien qui donna de nombreux pr\u00e9sents \u00e0 ses \nparents. Et alors antikl\u00e9ia me donna un manteau, une tunique, \nde belles sandales, et elle m\u2019envoya aux champs, et elle m\u2019aima \nplus encore dans son c\u0153ur. Et, maintenant, je suis priv\u00e9 de tous 349\nL\u2019ODYSS\u00c9Eces biens ; mais les dieux ont f\u00e9cond\u00e9 mon travail, et, par eux, j\u2019ai \nmang\u00e9 et bu, et j\u2019ai donn\u00e9 aux suppliants v\u00e9n\u00e9rables.\nCependant, il m\u2019est amer de ne plus entendre les paroles de ma \nma\u00eetresse ; mais le malheur et des hommes insolents sont entr\u00e9s \ndans sa demeure, et les serviteurs sont priv\u00e9s de parler ouverte -\nment \u00e0 leur ma\u00eetresse, de l\u2019interroger, de manger et de boire avec \nelle et de rapporter aux champs les pr\u00e9sents qui r\u00e9jouissent l\u2019\u00e2me \ndes serviteurs.\nEt le patient Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 O dieux ! ainsi, porcher Eumaios, tu as \u00e9t\u00e9 enlev\u00e9 tout jeune \u00e0 ta \npatrie et \u00e0 tes parents. Raconte-moi tout, et dis la v\u00e9rit\u00e9. La ville \naux larges rues a-t-elle \u00e9t\u00e9 d\u00e9truite o\u00f9 habitaient ton p\u00e8re et ta \nm\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable, ou des hommes ennemis t\u2019ont-ils saisi, tandis \nque tu \u00e9tais aupr\u00e8s de tes brebis ou de tes b\u0153ufs, transport\u00e9 dans \nleur nef et vendu dans les demeures d\u2019un homme qui donna de \ntoi un bon prix ?\nEt le chef des porchers lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Etranger, puisque tu m\u2019interroges sur ces choses, \u00e9coute en \nsilence et r\u00e9jouis-toi de boire ce vin en repos. Les nuits sont 350CHaNT 15\nlongues et laissent le temps de dormir et le temps d\u2019\u00eatre charm\u00e9 \npar les r\u00e9cits. Il ne faut pas que tu dormes avant l\u2019heure, car beau -\ncoup de sommeil fait du mal. Si le c\u0153ur et l\u2019\u00e2me d\u2019un d\u2019entre \nceux-ci lui ordonnent de dormir, qu\u2019il sorte ; et, au lever d\u2019\u00c9\u00f4s, \napr\u00e8s avoir mang\u00e9, il conduira les porcs du ma\u00eetre.\nPour nous, mangeant et buvant dans l\u2019\u00e9table, nous nous charme -\nrons par le souvenir de nos douleurs ; car l\u2019homme qui a beau -\ncoup souffert et beaucoup err\u00e9 est charm\u00e9 par le souvenir de ses \ndouleurs. Je vais donc te r\u00e9pondre, puisque tu m\u2019interroges.\nIl y a une \u00eele qu\u2019on nomme Syr\u00e8, au-dessous d\u2019Ortygi\u00e8, du c\u00f4t\u00e9 o\u00f9 \nH\u00e8lios tourne. Elle est moins grande, mais elle est agr\u00e9able et pro -\nduit beaucoup de b\u0153ufs, de brebis, de vin et de froment ; et jamais \nla famine n\u2019afflige son peuple, ni aucune maladie ne frappe les \nmortels mis\u00e9rables hommes. Quand les g\u00e9n\u00e9rations ont vieilli \ndans leur ville, apoll\u00f4n \u00e0 l\u2019arc d\u2019argent et art\u00e9mis surviennent \net les tuent de leurs fl\u00e8ches illustres. Il y a deux villes qui se sont \npartag\u00e9 tout le pays, et mon p\u00e8re Kt\u00e8sios Orm\u00e9nide, semblable \naux immortels, commandait \u00e0 toutes deux, quand survinrent des \nPhoinikes illustres par leurs nefs, habiles et rus\u00e9s, amenant sur \nleur nef noire mille choses frivoles. Il y avait dans la demeure de \nmon p\u00e8re une femme de Phoiniki\u00e8, grande, belle et habile aux \nbeaux ouvrages des mains. Et les Phoinikes rus\u00e9s la s\u00e9duisirent. 351\nL\u2019ODYSS\u00c9ETandis qu\u2019elle allait laver, un d\u2019eux, dans la nef creuse, s\u2019unit \u00e0 elle \npar l\u2019amour qui trouble l\u2019esprit des femmes luxurieuses, m\u00eame \nde celles qui sont sages. Et il lui demanda ensuite qui elle \u00e9tait et, \nd\u2019o\u00f9 elle venait ; et, aussit\u00f4t, elle lui parla de la haute demeure de \nson p\u00e8re :\n\u2013 Je me glorifie d\u2019\u00eatre de Sid\u00f4n riche en airain, et je suis la fille du \nriche a rybas.\nDes pirates Taphiens m\u2019ont enlev\u00e9e dans les champs, transpor -\nt\u00e9e ici dans les demeures de Kt\u00e8sios qui leur a donn\u00e9 de moi un \nbon prix.\nEt l\u2019homme lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, si tu voulais revenir avec nous vers tes demeures, tu \nreverrais la haute maison de ton p\u00e8re et de ta m\u00e8re, et eux-m\u00eames, \ncar ils vivent encore et sont riches.\nEt la femme lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Que cela soit, si les marins veulent me jurer par serment qu\u2019ils \nme reconduiront saine et sauve.352CHaNT 15\nElle parla ainsi, et tous le lui jur\u00e8rent, et, apr\u00e8s qu\u2019ils eurent jur\u00e9 et \nprononc\u00e9 toutes les paroles du serment, la femme leur dit encore :\n\u2013 Maintenant, qu\u2019aucun de vous, me rencontrant, soit dans la rue, \nsoit \u00e0 la fontaine, ne me parle, de peur qu\u2019on le dise au vieillard ; \ncar, me soup\u00e7onnant, il me chargerait de liens et m\u00e9diterait votre \nmort. Mais gardez mes paroles dans votre esprit, et h\u00e2tez-vous \nd\u2019acheter des vivres. Et quand la nef sera charg\u00e9e de provisions, \nqu\u2019un messager vienne promptement m\u2019avertir dans la demeure. \nJe vous apporterai tout l\u2019or qui me tombera sous les mains, et \nm\u00eame je vous ferai, selon mon d\u00e9sir, un autre pr\u00e9sent.\nJ\u2019\u00e9l\u00e8ve, en effet, dans les demeures, le fils de Kt\u00e8sios, un enfant \nremuant et courant dehors. Je le conduirai dans la nef, et vous en \naurez un grand prix en le vendant \u00e0 des \u00e9trangers.\nayant ainsi parl\u00e9, elle rentra dans nos belles demeures. Et les \nPhoinikes rest\u00e8rent toute une ann\u00e9e aupr\u00e8s de nous, rassemblant \nde nombreuses richesses dans leur nef creuse. Et quand celle-ci \nfut pleine, ils envoy\u00e8rent \u00e0 la femme un messager pour lui annon -\ncer qu\u2019ils allaient partir. Et ce messager plein de ruses vint \u00e0 la \ndemeure de mon p\u00e8re avec un collier d\u2019or orn\u00e9 d\u2019\u00e9maux. Et ma \nm\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable et toutes les servantes se passaient ce collier de \nmains en mains et l\u2019admiraient, et elles lui offrirent un prix ; mais 353\nL\u2019ODYSS\u00c9Eil ne r\u00e9pondit rien ; et, ayant fait un signe \u00e0 la femme, il retourna \nvers la nef. alors, la femme, me prenant par la main, sortit de la \ndemeure. Et elle trouva dans le vestibule des coupes d\u2019or sur les \ntables des convives auxquels mon p\u00e8re avait offert un repas. Et \nceux-ci s\u2019\u00e9taient rendus \u00e0 l\u2019agora du peuple. Elle saisit aussit\u00f4t \ntrois coupes qu\u2019elle cacha dans son sein, et elle sortit, et je la suivis \nsans songer \u00e0 rien. H\u00e8lios tomba, et tous les chemins devinrent \nsombres ; et nous arriv\u00e2mes promptement au port o\u00f9 \u00e9tait la nef \nrapide des Phoinikes qui, nous ayant mis dans la nef, y mont\u00e8rent \net sillonn\u00e8rent les chemins humides ; et Zeus leur envoya un vent \npropice. Et nous navigu\u00e2mes pendant six jours et six nuits ; mais \nquand le Kroni\u00f4n Zeus amena le septi\u00e8me jour, art\u00e9mis, qui se \nr\u00e9jouit de ses fl\u00e8ches, tua la femme, qui tomba avec bruit dans la \nsentine comme une poule de mer et les marins la jet\u00e8rent pour \n\u00eatre mang\u00e9e par les poissons et par les phoques, et je restai seul, \ng\u00e9missant dans mon c\u0153ur.\nEt le vent et le flot pouss\u00e8rent les Phoinikes jusqu\u2019\u00e0 Ithak\u00e8, o\u00f9 \nLaert\u00e8s m\u2019acheta de ses propres richesses. Et c\u2019est ainsi que j\u2019ai vu \nde mes yeux cette terre.354CHaNT 15\nEt le divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eumaios, certes, tu as profond\u00e9ment \u00e9mu mon c\u0153ur en me \nracontant toutes les douleurs que tu as d\u00e9j\u00e0 subies : mais Zeus \na m\u00eal\u00e9 pour toi le bien au mal, puisque tu es entr\u00e9, apr\u00e8s avoir \nbeaucoup souffert, dans la demeure d\u2019un homme excellent qui \nt\u2019a donn\u00e9 abondamment \u00e0 boire et \u00e0 manger, et chez qui ta vie est \npaisible ; mais moi, je ne suis arriv\u00e9 ici qu\u2019apr\u00e8s avoir err\u00e9 \u00e0 tra -\nvers de nombreuses villes des hommes !\nEt ils se parlaient ainsi. Puis ils s\u2019endormirent, mais peu de temps ; \net, aussit\u00f4t, \u00c9\u00f4s au beau thr\u00f4ne parut.\nPendant ce temps les compagnons de T\u00e8l\u00e9makhos, ayant abord\u00e9, \npli\u00e8rent les voiles et abattirent le m\u00e2t et conduisirent la nef dans \nle port, \u00e0 force d\u2019avirons. Puis, ils jet\u00e8rent les ancres et li\u00e8rent les \nc\u00e2bles. Puis, \u00e9tant sortis de la nef, ils pr\u00e9par\u00e8rent leur repas sur \nle rivage de la mer et m\u00eal\u00e8rent le vin rouge. Et quand ils eurent \nassouvi la faim et la soif, le prudent T\u00e8l\u00e9makhos leur dit :\n\u2013 Conduisez la nef noire \u00e0 la ville ; moi, j\u2019irai vers mes champs et \nmes bergers.355\nL\u2019ODYSS\u00c9ECe soir, je m\u2019en reviendrai apr\u00e8s avoir vu les travaux des champs ; \net demain, au matin, je vous offrirai, pour ce voyage, un bon repas \nde viandes et de vin doux.\nEt, alors, le divin Th\u00e9oklym\u00e9nos lui dit :\n\u2013 Et moi, cher enfant, o\u00f9 irai-je ? Quel est celui des hommes qui \ncommandent dans l\u2019\u00e2pre Ithak\u00e8 dont je dois gagner la demeure ? \nDois-je me rendre aupr\u00e8s de ta m\u00e8re, dans ta propre maison ?\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je ne te dirais point de te rendre \u00e0 une autre demeure que la \nmienne, et les dons hospitaliers ne t\u2019y manqueraient pas ; mais ce \nserait le pire pour toi. Je serais absent, et ma m\u00e8re ne te verrait \npoint, car elle tisse la toile, loin des pr\u00e9tendants, dans la chambre \nsup\u00e9rieure ; mais je t\u2019indiquerai un autre homme vers qui tu iras, \nEurymakhos, illustre fils du prudent Polybos, que les Ithak\u00e8siens \nregardent comme un dieu. C\u2019est de beaucoup l\u2019homme le plus \nillustre, et il d\u00e9sire ardemment \u00e9pouser ma m\u00e8re et poss\u00e9der les \nhonneurs d\u2019Odysseus. Mais l\u2019olympien Zeus qui habite l\u2019aith\u00e8r \nsait s\u2019ils ne verront pas tous leur dernier jour avant leurs noces.356CHaNT 15\nIl parlait ainsi quand un \u00e9pervier, rapide messager d\u2019a poll\u00f4n, \nvola \u00e0 sa droite, tenant entre ses serres une colombe dont il r\u00e9pan -\ndait les plumes entre la nef et T\u00e8l\u00e9makhos.\nalors Th\u00e9oklym\u00e9nos, entra\u00eenant celui-ci loin de ses compagnons, \nle prit par la main et lui dit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, cet oiseau ne vole point \u00e0 ta droite sans qu\u2019un dieu \nl\u2019ait voulu. Je reconnais, l\u2019ayant regard\u00e9, que c\u2019est un signe augural. \nIl n\u2019y a point de race plus royale que la v\u00f4tre dans Ithak\u00e8, et vous \ny serez toujours puissants.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit aussit\u00f4t :\n\u2013 Plaise aux dieux, \u00e9tranger, que ta parole s\u2019accomplisse ! Je t\u2019aime -\nrai, et je te ferai de nombreux pr\u00e9sents, et nul ne pourra se dire \nplus heureux que toi.\nIl parla ainsi, et il dit \u00e0 son fid\u00e8le compagnon Peiraios :\n\u2013 Peiraios Klytide, tu m\u2019es le plus cher des compagnons qui m\u2019ont \nsuivi \u00e0 Pylos. Conduis maintenant cet \u00e9tranger dans ta demeure ; \naie soin de lui et honore-le jusqu\u2019\u00e0 ce que je revienne.357\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt Peiraios illustre par sa lance lui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, quand m\u00eame tu devrais rester longtemps ici, j\u2019au -\nrai soin de cet \u00e9tranger, et rien ne lui manquera de ce qui est d\u00fb \n\u00e0 un h\u00f4te.\nayant ainsi parl\u00e9, il entra dans la nef, et il ordonna \u00e0 ses compa -\ngnons d\u2019y monter et de d\u00e9tacher les c\u00e2bles.\nEt T\u00e8l\u00e9makhos, ayant li\u00e9 de belles sandales \u00e0 ses pieds, prit sur le \npont de la nef une lance solide et brillante \u00e0 pointe d\u2019airain. Et, \ntandis que ses compagnons d\u00e9tachaient les c\u00e2bles et naviguaient \nvers la ville, comme l\u2019avait ordonn\u00e9 T\u00e8l\u00e9makhos, le cher fils du \ndivin Odysseus, les pieds du jeune homme le portaient rapide -\nment vers l\u2019\u00e9table o\u00f9 \u00e9taient enferm\u00e9s ses nombreux porcs aupr\u00e8s \ndesquels dormait le porcher fid\u00e8le et attach\u00e9 \u00e0 ses ma\u00eetres.358CHaNT 15359\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 16\nau lever d\u2019\u00c9\u00f4s, Odysseus et le divin porcher pr\u00e9par\u00e8rent le repas, \net ils allum\u00e8rent le feu, et ils envoy\u00e8rent les p\u00e2tres avec les trou -\npeaux de porcs. alors les chiens aboyeurs n\u2019aboy\u00e8rent pas \u00e0 l\u2019ap -\nproche de T\u00e8l\u00e9makhos, mais ils remuaient la queue. Et le divin \nOdysseus, les ayant vus remuer la queue et ayant entendu un \nbruit de pas, dit \u00e0 Eumaios ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Eumaios, certes, un de tes compagnons approche, ou un homme \nbien connu, car les chiens n\u2019aboient point, et ils remuent la queue, \net j\u2019entends un bruit de pas.\nIl avait \u00e0 peine ainsi parl\u00e9, quand son cher fils s\u2019arr\u00eata sous le \nportique. Et le porcher stup\u00e9fait s\u2019\u00e9lan\u00e7a, et le vase dans lequel \nil m\u00ealait le vin rouge tomba de ses mains ; et il courut au-devant \ndu ma\u00eetre, et il baisa sa t\u00eate, ses beaux yeux et ses mains, et il ver -\nsait des larmes, comme un p\u00e8re plein de tendresse qui revient \nd\u2019une terre lointaine, dans la dixi\u00e8me ann\u00e9e, et qui embrasse \nson fils unique, engendr\u00e9 dans sa vieillesse, et pour qui il a souf -\nfert bien des maux. ainsi le porcher couvrait de baisers le divin 360CHaNT 16\nT\u00e8l\u00e9makhos ; et il l\u2019embrassait comme s\u2019il e\u00fbt \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la mort, \net il lui dit, en pleurant, ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Tu es donc revenu, T\u00e8l\u00e9makhos, douce lumi\u00e8re. Je pensais que \nje ne te reverrais plus, depuis ton d\u00e9part pour Pylos. H\u00e2te-toi \nd\u2019entrer, cher enfant, afin que je me d\u00e9lecte \u00e0 te regarder, toi qui \nreviens de loin.\nCar tu ne viens pas souvent dans tes champs et vers tes p\u00e2tres ; \nmais tu restes loin d\u2019eux, et il te pla\u00eet de surveiller la multitude \nfuneste des pr\u00e9tendants.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Qu\u2019il en soit comme tu le d\u00e9sires, p\u00e8re. C\u2019est pour toi que je \nsuis venu, afin de te voir de mes yeux et de t\u2019entendre, et pour \nque tu me dises si ma m\u00e8re est rest\u00e9e dans nos demeures, ou si \nquelqu\u2019un l\u2019a \u00e9pous\u00e9e. Certes, peut-\u00eatre le lit d\u2019Odysseus, \u00e9tant \nabandonn\u00e9, reste-t-il en proie aux araign\u00e9es immondes.\nEt le chef des porchers lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ta m\u00e8re est rest\u00e9e, avec un c\u0153ur patient, dans tes demeures ; elle \npleure nuit et jour, accabl\u00e9e de chagrins.361\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant ainsi parl\u00e9, il prit sa lance d\u2019airain. Et T\u00e8l\u00e9makhos entra et \npassa le seuil de pierre. Et son p\u00e8re Odysseus voulut lui c\u00e9der sa \nplace ; mais T\u00e8l\u00e9makhos le retint et lui dit :\n\u2013 assieds-toi, \u00f4 \u00e9tranger. Je trouverai un autre si\u00e8ge dans cette \n\u00e9table, et voici un homme qui me le pr\u00e9parera.\nIl parla ainsi, et Odysseus se rassit, et le porcher amassa des \nbranches vertes et mit une peau par-dessus, et le cher fils d\u2019Odys -\nseus s\u2019y assit.\nPuis le porcher pla\u00e7a devant eux des plateaux de chairs r\u00f4ties \nque ceux qui avaient mang\u00e9 la veille avaient laiss\u00e9es. Et il entassa \n\u00e0 la h\u00e2te du pain dans des corbeilles, et il m\u00eala le vin rouge dans \nun vase grossier, et il s\u2019assit en face du divin Odysseus. Puis, ils \n\u00e9tendirent les mains vers la nourriture plac\u00e9e devant eux. Et, \napr\u00e8s qu\u2019ils eurent assouvi la faim et la soif, T\u00e8l\u00e9makhos dit au \ndivin porcher :\n\u2013 Dis-moi, p\u00e8re, d\u2019o\u00f9 vient cet \u00e9tranger ? Comment des marins \nl\u2019ont-ils amen\u00e9 \u00e0 Ithak\u00e8 ? Qui se glorifie-t-il d\u2019\u00eatre ? Car je ne \npense pas qu\u2019il soit venu ici \u00e0 pied.362CHaNT 16\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, mon enfant, je te dirai la v\u00e9rit\u00e9. Il se glorifie d\u2019\u00eatre n\u00e9 dans \nla grande Kr\u00e8t\u00e8. Il dit qu\u2019en errant il a parcouru de nombreuses \nvilles des hommes, et, sans doute, un dieu lui a fait cette destin\u00e9e. \nMaintenant, s\u2019\u00e9tant \u00e9chapp\u00e9 d\u2019une nef de marins Thespr\u00f4tes, il est \nvenu dans mon \u00e9table, et je te le confie. Fais de lui ce que tu veux. \nIl dit qu\u2019il est ton suppliant.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eumaios, certes, tu as prononc\u00e9 une parole douloureuse. \nComment le recevrais-je dans ma demeure ? Je suis jeune et je ne \npourrais r\u00e9primer par la force de mes mains un homme qui l\u2019ou -\ntragerait le premier.\nL \u2019esprit de ma m\u00e8re h\u00e9site, et elle ne sait si, respectant le lit de son \nmari et la voix du peuple, elle restera dans sa demeure pour en \nprendre soin, ou si elle suivra le plus illustre d\u2019entre les akhaiens \nqui l\u2019\u00e9pousera et lui fera de nombreux pr\u00e9sents. Mais, certes, \npuisque cet \u00e9tranger est venu dans ta demeure, je lui donne -\nrai de beaux v\u00eatements, un manteau et une tunique, une \u00e9p\u00e9e \u00e0 \ndouble tranchant et des sandales, et je le renverrai o\u00f9 son c\u0153ur \nd\u00e9sire aller. Si tu y consens, garde-le dans ton \u00e9table. J\u2019enverrai ici 363\nL\u2019ODYSS\u00c9Edes v\u00eatements et du pain, afin qu\u2019il mange et qu\u2019il ne soit point \n\u00e0 charge \u00e0 toi et \u00e0 tes compagnons. Mais je ne le laisserai point \napprocher des pr\u00e9tendants, car ils ont une grande insolence, de \npeur qu\u2019ils l\u2019outragent, ce qui me serait une am\u00e8re douleur. Que \npourrait faire l\u2019homme le plus vigoureux contre un si grand \nnombre ? Ils seront toujours les plus forts.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 ami, certes, puisqu\u2019il m\u2019est permis de r\u00e9pondre, mon c\u0153ur est \nd\u00e9chir\u00e9 de t\u2019entendre dire que les pr\u00e9tendants, malgr\u00e9 toi, et tel \nque te voil\u00e0, commettent de telles iniquit\u00e9s dans tes demeures. \nDis-moi si tu leur c\u00e8des volontairement, ou si les peuples, ob\u00e9is -\nsant aux dieux, te ha\u00efssent ? accuses-tu tes fr\u00e8res ? Car c\u2019est sur \nleur appui qu\u2019il faut compter, quand une dissension publique \ns\u2019\u00e9l\u00e8ve. Pl\u00fbt aux dieux que je fusse jeune comme toi, \u00e9tant plein de \ncourage, ou que je fusse le fils irr\u00e9prochable d\u2019Odysseus, ou lui-\nm\u00eame, et qu\u2019il rev\u00eent, car tout espoir n\u2019en est point perdu !\nJe voudrais qu\u2019un ennemi me coup\u00e2t la t\u00eate, si je ne partais aus -\nsit\u00f4t pour la demeure du Laertiade Odysseus, pour \u00eatre leur \nruine \u00e0 tous ! Et si, \u00e9tant seul, leur multitude me domptait, j\u2019ai -\nmerais mieux \u00eatre tu\u00e9 dans mes demeures que de voir ces choses \nhonteuses : mes h\u00f4tes maltrait\u00e9s, mes servantes mis\u00e9rablement 364CHaNT 16\nviol\u00e9es dans mes belles demeures, mon vin \u00e9puis\u00e9, mes vivres \nd\u00e9vor\u00e9s effront\u00e9ment, et cela pour un dessein inutile qui ne s\u2019ac -\ncomplira point !\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00c9tranger, je te dirai la v\u00e9rit\u00e9. Le peuple n\u2019est point irrit\u00e9 contre \nmoi, et je n\u2019accuse point de fr\u00e8res sur l\u2019appui desquels il faut \ncompter, quand une dissension publique s\u2019\u00e9l\u00e8ve. Le Kroni\u00f4n n\u2019a \ndonn\u00e9 qu\u2019un seul fils \u00e0 chaque g\u00e9n\u00e9ration de toute notre race. \narkeisios n\u2019a engendr\u00e9 que le seul Laert\u00e8s, et Laert\u00e8s n\u2019a engen -\ndr\u00e9 que le seul Odysseus, et Odysseus n\u2019a engendr\u00e9 que moi \ndans ses demeures o\u00f9 il m\u2019a laiss\u00e9 et o\u00f9 il n\u2019a point \u00e9t\u00e9 caress\u00e9 \npar moi. Et, maintenant, de nombreux ennemis sont dans ma \ndemeure. Ceux qui dominent dans les \u00eeles, \u00e0 Doulikhios, \u00e0 Sam\u00e8, \n\u00e0 Zakynthos couverte de bois, et ceux qui dominent dans l\u2019\u00e2pre \nIthak\u00e8, tous recherchent ma m\u00e8re et ruinent ma maison. Et ma \nm\u00e8re ne refuse ni n\u2019accepte ces noces odieuses ; et tous mangent \nmes biens, ruinent ma maison, et bient\u00f4t ils me tueront moi-\nm\u00eame. Mais, certes, ces choses sont sur les genoux des dieux. Va, \np\u00e8re Eumaios, et dis \u00e0 la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia que je suis sauv\u00e9 et \nrevenu de Pylos. Je resterai ici.365\nL\u2019ODYSS\u00c9EReviens, n\u2019ayant parl\u00e9 qu\u2019\u00e0 elle seule ; et qu\u2019aucun des autres \nakhaiens ne t\u2019entende, car tous m\u00e9ditent ma perte.\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 J\u2019entends et je comprends ce que tu m\u2019ordonnes de faire. Mais \ndis-moi la v\u00e9rit\u00e9, et si, dans ce m\u00eame voyage, je porterai cette \nnouvelle \u00e0 Laert\u00e8s qui est malheureux. auparavant, bien que \ng\u00e9missant sur Odysseus, il surveillait les travaux, et, quand son \n\u00e2me le lui ordonnait, il buvait et mangeait avec ses serviteurs \ndans sa maison ; mais depuis que tu es parti sur une nef pour \nPylos, on dit qu\u2019il ne boit ni ne mange et qu\u2019il ne surveille plus les \ntravaux, mais qu\u2019il reste soupirant et g\u00e9missant, et que son corps \nse dess\u00e8che autour de ses os.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Cela est tr\u00e8s triste ; mais cependant ne va pas \u00e0 lui malgr\u00e9 sa \ndouleur. Si les destin\u00e9es pouvaient \u00eatre choisies par les hommes, \nnous nous choisirions le jour du retour de mon p\u00e8re. Reviens \ndonc apr\u00e8s avoir parl\u00e9 \u00e0 ma m\u00e8re, et ne t\u2019\u00e9loigne pas vers Laert\u00e8s \net vers ses champs ; mais dis \u00e0 ma m\u00e8re d\u2019envoyer promptement, \net en secret, l\u2019intendante annoncer mon retour au vieillard.366CHaNT 16\nIl parla ainsi, excitant le porcher qui attacha ses sandales \u00e0 ses \npieds et partit pour la ville.\nMais le porcher Eumaios ne cacha point son d\u00e9part \u00e0 ath\u00e8n\u00e8, et \ncelle-ci apparut, semblable \u00e0 une femme belle, grande et habile \naux beaux ouvrages. Et elle s\u2019arr\u00eata sur le seuil de l\u2019\u00e9table, \u00e9tant \nvisible seulement \u00e0 Odysseus ; et T\u00e8l\u00e9makhos ne la vit pas, car les \ndieux ne se manifestent point \u00e0 tous les hommes. Et Odysseus et \nles chiens la virent, et les chiens n\u2019aboy\u00e8rent point, mais ils s\u2019en -\nfuirent en g\u00e9missant au fond de l\u2019\u00e9table. alors ath\u00e8n\u00e8 fit un signe \navec ses sourcils, et le divin Odysseus le comprit, et, sortant, il \nse rendit au-del\u00e0 du grand mur de l\u2019\u00e9table ; et il s\u2019arr\u00eata devant \nath\u00e8n\u00e8, qui lui dit :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, parle maintenant \u00e0 ton fils et \nne lui cache rien, afin de pr\u00e9parer le carnage et la mort des pr\u00e9 -\ntendants et d\u2019aller \u00e0 la ville. Je ne serai pas longtemps loin de vous \net j\u2019ai h\u00e2te de combattre.\nath\u00e8n\u00e8 parla ainsi, et elle le frappa de sa baguette d\u2019or. Et elle le \ncouvrit des beaux v\u00eatements qu\u2019il portait auparavant, et elle le \ngrandit et le rajeunit ; et ses joues devinrent plus brillantes, et sa \nbarbe devint noire. Et ath\u00e8n\u00e8, ayant fait cela, disparut.367\nL\u2019ODYSS\u00c9Ealors Odysseus rentra dans l\u2019\u00e9table, et son cher fils resta stup\u00e9fait \ndevant lui ; et il d\u00e9tourna les yeux, craignant que ce f\u00fbt un dieu, et \nil lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00c9tranger, tu m\u2019apparais tout autre que tu \u00e9tais auparavant ; tu as \nd\u2019autres v\u00eatements et ton corps n\u2019est plus le m\u00eame.\nSi tu es un des dieux qui habitent le large Ouranos, apaise-toi. \nNous t\u2019offrirons de riches sacrifices et nous te ferons des pr\u00e9sents \nd\u2019or. \u00c9pargne-nous.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je ne suis point un des dieux. Pourquoi me compares-tu aux \ndieux ? Je suis ton p\u00e8re, pour qui tu soupires et pour qui tu as subi \nde nombreuses douleurs et les outrages des hommes.\nayant ainsi parl\u00e9, il embrassa son fils, et ses larmes coul\u00e8 -\nrent de ses joues sur la terre, car il les avait retenues jusque-l\u00e0. \nMais T\u00e8l\u00e9makhos, ne pouvant croire que ce f\u00fbt son p\u00e8re, lui dit \nde nouveau :\n\u2013 Tu n\u2019es pas mon p\u00e8re Odysseus, mais un dieu qui me trompe, \nafin que je soupire et que je g\u00e9misse davantage. Jamais un homme 368CHaNT 16\nmortel ne pourrait, dans son esprit, accomplir de telles choses, si \nun dieu, survenant, ne le faisait, ais\u00e9ment, et comme il le veut, \npara\u00eetre jeune ou vieux. Certes, tu \u00e9tais vieux, il y a peu de temps, \net v\u00eatu mis\u00e9rablement, et voici que tu es semblable aux dieux qui \nhabitent le large Ouranos.\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, il n\u2019est pas bien \u00e0 toi, devant ton cher p\u00e8re, d\u2019\u00eatre \ntellement surpris et de rester stup\u00e9fait.\nJamais plus un autre Odysseus ne reviendra ici. C\u2019est moi qui suis \nOdysseus et qui ai souffert des maux innombrables, et qui reviens, \napr\u00e8s vingt ann\u00e9es, dans la terre de la patrie. C\u2019est la d\u00e9vastatrice \nath\u00e8n\u00e8 qui a fait ce prodige. Elle me fait appara\u00eetre tel qu\u2019il lui \npla\u00eet, car elle le peut. Tant\u00f4t elle me rend semblable \u00e0 un men -\ndiant, tant\u00f4t \u00e0 un homme jeune ayant de beaux v\u00eatements sur son \ncorps ; car il est facile aux dieux qui habitent le large Ouranos de \nglorifier un homme mortel ou de le rendre mis\u00e9rable.\nayant ainsi parl\u00e9, il s\u2019assit. alors T\u00e8l\u00e9makhos embrassa son brave \np\u00e8re en versant des larmes. Et le d\u00e9sir de pleurer les saisit tous les \ndeux, et ils pleuraient abondamment, comme les aigles aux cris \nstridents, ou les vautours aux serres recourb\u00e9es, quand les p\u00e2tres 369\nL\u2019ODYSS\u00c9Eleur ont enlev\u00e9 leurs petits avant qu\u2019ils pussent voler. ainsi, sous \nleurs sourcils, ils versaient des larmes. Et, avant qu\u2019ils eussent \ncess\u00e9 de pleurer, la lumi\u00e8re de H\u00e8lios f\u00fbt tomb\u00e9e, si T\u00e8l\u00e9makhos \nn\u2019e\u00fbt dit aussit\u00f4t \u00e0 son p\u00e8re :\n\u2013 P\u00e8re, quels marins t\u2019ont conduit sur leur nef dans Ithak\u00e8 ? Quels \nsont-ils ? Car je ne pense pas que tu sois venu ici \u00e0 pied.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, je te dirai la v\u00e9rit\u00e9. Les illustres marins Phaiakiens \nm\u2019ont amen\u00e9, car ils ont coutume de reconduire tous les hommes \nqui viennent chez eux.\nM\u2019ayant amen\u00e9, \u00e0 travers la mer, dormant sur leur nef rapide, ils \nm\u2019ont d\u00e9pos\u00e9 sur la terre d\u2019Ithak\u00e8 ; et ils m\u2019ont donn\u00e9 en abon -\ndance des pr\u00e9sents splendides, de l\u2019airain, de l\u2019or et de beaux v\u00eate -\nments. Par le conseil des dieux toutes ces choses sont d\u00e9pos\u00e9es \ndans une caverne ; et je suis venu ici, averti par ath\u00e8n\u00e8, afin que \nnous d\u00e9lib\u00e9rions sur le carnage de nos ennemis. Dis-moi donc le \nnombre des pr\u00e9tendants, pour que je sache combien d\u2019hommes \nbraves ils sont ; et je verrai, dans mon c\u0153ur irr\u00e9prochable, si nous \ndevons les combattre seuls, ou si nous chercherons un autre appui.370CHaNT 16\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 p\u00e8re, certes, j\u2019ai appris ta grande gloire, et je sais que tu es \ntr\u00e8s brave et plein de sagesse ; mais tu as dit une grande parole, \net la stupeur me saisit, car deux hommes seuls ne peuvent lut -\nter contre tant de robustes guerriers. Les pr\u00e9tendants ne sont pas \nseulement dix, ou deux fois dix, mais ils sont beaucoup plus, et \nje vais te dire leur nombre, afin que tu le saches. Il y a d\u2019abord \ncinquante-deux jeunes hommes choisis de Doulikhios, suivis \nde six serviteurs ; puis vingt-quatre de Sam\u00e8 ; puis vingt jeunes \nakhaiens de Zakynthos ; puis les douze plus braves, qui sont \nd\u2019Ithak\u00e8. avec ceux-ci se trouvent M\u00e9d\u00f4n, h\u00e9raut et aoide divin, \net deux serviteurs habiles \u00e0 pr\u00e9parer les repas. Si nous les atta -\nquons tous ainsi r\u00e9unis, vois si tu ne souffriras point am\u00e8rement \net terriblement de leur violence. Mais tu peux appeler \u00e0 notre \naide un alli\u00e9 qui nous secoure d\u2019un c\u0153ur empress\u00e9.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je te le dis. \u00c9coute-moi avec attention. Vois si ath\u00e8n\u00e8 et son p\u00e8re \nZeus suffiront, et si je dois appeler un autre alli\u00e9 \u00e0 l\u2019aide.371\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ceux que tu nommes sont les meilleurs alli\u00e9s. Ils sont assis \ndans les hautes nu\u00e9es, et ils commandent aux hommes et aux \ndieux immortels.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ils ne seront pas longtemps \u00e9loign\u00e9s, dans la rude m\u00eal\u00e9e, quand \nla force d\u2019a r\u00e8s d\u00e9cidera entre nous et les pr\u00e9tendants dans nos \ndemeures. Mais toi, d\u00e8s le lever d\u2019\u00c9\u00f4s, retourne \u00e0 la maison et \nparle aux pr\u00e9tendants insolents. Le porcher me conduira ensuite \n\u00e0 la ville, semblable \u00e0 un vieux mendiant. S\u2019ils m\u2019outragent dans \nnos demeures, que ton cher c\u0153ur supporte avec patience mes \nsouffrances. M\u00eame s\u2019ils me tra\u00eenaient par les pieds hors de la \nmaison, m\u00eame s\u2019ils me frappaient de leurs armes, regarde tout \npatiemment. Par des paroles flatteuses, demande-leur seulement \nde cesser leurs outrages. Mais ils ne t\u2019\u00e9couteront point, car leur \njour fatal est proche. Quand ath\u00e8n\u00e8 aux nombreux conseils aura \naverti mon esprit, je te ferai signe de la t\u00eate, et tu me compren -\ndras. Transporte alors dans le r\u00e9duit de la chambre haute toutes \nles armes d\u2019a r\u00e8s qui sont dans la grande salle.372CHaNT 16\nEt si les pr\u00e9tendants t\u2019interrogent sur cela, dis-leur en paroles flat -\nteuses : \u00ab Je les ai mises \u00e0 l\u2019abri de la fum\u00e9e, car elles ne sont plus \ntelles qu\u2019elles \u00e9taient autrefois, quand Odysseus les laissa \u00e0 son \nd\u00e9part pour Troi\u00e8 ; mais elles sont souill\u00e9es par la grande vapeur \ndu feu. Puis, le Kroni\u00f4n m\u2019a inspir\u00e9 une autre pens\u00e9e meilleure, \net je crains qu\u2019excit\u00e9s par le vin, et une querelle s\u2019\u00e9levant parmi \nvous, vous vous blessiez les uns les autres et vous souilliez le repas \net vos noces futures, car le fer attire l\u2019homme. \u00bb Tu laisseras pour \nnous seuls deux \u00e9p\u00e9es, deux lances, deux boucliers, que nous \npuissions saisir quand nous nous jetterons sur eux. Puis, Pallas \nath\u00e8n\u00e8 et le tr\u00e8s sage Zeus leur troubleront l\u2019esprit. Maintenant, je \nte dirai autre chose. Retiens ceci dans ton esprit. Si tu es de mon \nsang, que nul ne sache qu\u2019Odysseus est revenu, ni Laert\u00e8s, ni le \nporcher, ni aucun des serviteurs, ni P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia elle-m\u00eame. Que \nseuls, toi, et moi, nous connaissions l\u2019esprit des servantes et des \nserviteurs, afin de savoir quel est celui qui nous honore et qui \nnous respecte dans son c\u0153ur, et celui qui n\u2019a point souci de nous \net qui te m\u00e9prise.\nEt son illustre fils lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 p\u00e8re, certes, je pense que tu conna\u00eetras bient\u00f4t mon courage, \ncar je ne suis ni paresseux ni mou ; mais je pense aussi que ceci \nn\u2019est pas ais\u00e9 pour nous deux, et je te demande d\u2019y songer. Tu 373\nL\u2019ODYSS\u00c9Eserais longtemps \u00e0 \u00e9prouver chaque serviteur en parcourant les \nchamps, tandis que les pr\u00e9tendants, tranquilles dans tes demeures, \nd\u00e9vorent effront\u00e9ment tes richesses et n\u2019en \u00e9pargnent rien.\nMais t\u00e2che de reconna\u00eetre les servantes qui t\u2019outragent et celles \nqui sont fid\u00e8les. Cependant, il ne faut pas \u00e9prouver les serviteurs \ndans les demeures. Fais-le plus tard, si tu as vraiment quelque \nsigne de Zeus temp\u00e9tueux.\nEt tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, la nef bien construite qui avait \nport\u00e9 T\u00e8l\u00e9makhos et tous ses compagnons \u00e0 Pylos \u00e9tait arriv\u00e9e \u00e0 \nIthak\u00e8 et entra dans le port profond. L\u00e0, ils tra\u00een\u00e8rent la nef noire \n\u00e0 terre. Puis, les magnanimes serviteurs enlev\u00e8rent tous les agr\u00e8s \net port\u00e8rent aussit\u00f4t les splendides pr\u00e9sents dans les demeures de \nKlytios. Puis, ils envoy\u00e8rent un messager \u00e0 la demeure d\u2019Odys -\nseus, afin d\u2019annoncer \u00e0 la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia que T\u00e8l\u00e9makhos \n\u00e9tait all\u00e9 aux champs, apr\u00e8s avoir ordonn\u00e9 de conduire la nef \n\u00e0 la ville, et pour que l\u2019illustre reine, rassur\u00e9e, ne vers\u00e2t plus de \nlarmes. Et leur messager et le divin porcher se rencontr\u00e8rent, \ncharg\u00e9s du m\u00eame message pour la noble femme. Mais quand ils \nfurent arriv\u00e9s \u00e0 la demeure du divin roi, le h\u00e9raut dit, au milieu \ndes servantes :\n\u2013 Ton cher fils, \u00f4 reine, est arriv\u00e9.374CHaNT 16\nEt le porcher, s\u2019approchant de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, lui r\u00e9p\u00e9ta tout ce que \nson cher fils avait ordonn\u00e9 de lui dire. Et, apr\u00e8s avoir accompli \nson message, il se h\u00e2ta de rejoindre ses porcs, et il quitta les cours \net la demeure.\nEt les pr\u00e9tendants, attrist\u00e9s et soucieux dans l\u2019\u00e2me, sortirent de la \ndemeure et s\u2019assirent aupr\u00e8s du grand mur de la cour, devant les \nportes. Et, le premier, Eurymakhos, fils de Polybos, leur dit :\n\u2013 \u00d4 amis, certes, une audacieuse entreprise a \u00e9t\u00e9 accomplie, ce \nvoyage de T\u00e8l\u00e9makhos, que nous disions qu\u2019il n\u2019accomplirait pas. \nTra\u00eenons donc \u00e0 la mer une solide nef noire et r\u00e9unissons tr\u00e8s \npromptement des rameurs qui avertiront nos compagnons de \nrevenir \u00e0 la h\u00e2te.\nIl n\u2019avait pas achev\u00e9 de parler, quand amphinomos, tourn\u00e9 vers la \nmer, vit une nef entrer dans le port profond. Et les marins, ayant \nserr\u00e9 les voiles, ne se servaient que des avirons. alors, il se mit \u00e0 \nrire, et il dit aux pr\u00e9tendants :\n\u2013 N\u2019envoyons aucun message. Les voici entr\u00e9s. Ou quelque dieu les \naura avertis, ou ils ont vu revenir l\u2019autre nef et n\u2019ont pu l\u2019atteindre.375\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, et tous, se levant, coururent au rivage de la mer. Et \naussit\u00f4t les marins tra\u00een\u00e8rent la nef noire \u00e0 terre, et les magna -\nnimes serviteurs enlev\u00e8rent tous les agr\u00e8s. Puis ils se rendirent \ntous \u00e0 l\u2019agora ; et ils ne laiss\u00e8rent s\u2019asseoir ni les jeunes, ni les \nvieux. Et antinoos, fils d\u2019Eupeith\u00e8s, leur dit :\n\u2013 \u00d4 amis, les dieux ont pr\u00e9serv\u00e9 cet homme de tout mal. Tous \nles jours, de nombreuses sentinelles \u00e9taient assises sur les hauts \nrochers battus des vents.\nM\u00eame \u00e0 la chute de H\u00e8lios, jamais nous n\u2019avons dormi \u00e0 terre ; \nmais, naviguant sur la nef rapide, nous attendions la divine \u00c9\u00f4s, \n\u00e9piant T\u00e8l\u00e9makhos afin de le tuer au passage. Mais quelque Dieu \nl\u2019a reconduit dans sa demeure. D\u00e9lib\u00e9rons donc ici sur sa mort. \nIl ne faut pas que T\u00e8l\u00e9makhos nous \u00e9chappe, car je ne pense \npas que, lui vivant, nous accomplissions notre dessein. Il est, en \neffet, plein de sagesse et d\u2019intelligence, et, d\u00e9j\u00e0, les peuples ne \nnous sont pas favorables. H\u00e2tons-nous avant qu\u2019il r\u00e9unisse les \nakhaiens \u00e0 l\u2019agora, car je ne pense pas qu\u2019il tarde \u00e0 le faire. Il exci -\ntera leur col\u00e8re, et il dira, se levant au milieu de tous, que nous \navons m\u00e9dit\u00e9 de le tuer, mais que nous ne l\u2019avons point rencontr\u00e9. \nEt, l\u2019ayant entendu, ils n\u2019approuveront point ce mauvais dessein. \nCraignons qu\u2019ils m\u00e9ditent notre malheur, qu\u2019ils nous chassent \ndans nos demeures, et que nous soyons contraints de fuir chez 376CHaNT 16\ndes peuples \u00e9trangers. Pr\u00e9venons T\u00e8l\u00e9makhos en le tuant loin de \nla ville, dans les champs, ou dans le chemin. Nous prendrons sa \nvie et ses richesses que nous partagerons \u00e9galement entre nous, \net nous donnerons cette demeure \u00e0 sa m\u00e8re, quel que soit celui \nqui l\u2019\u00e9pousera. Si mes paroles ne vous plaisent pas, si vous vou -\nlez qu\u2019il vive et conserve ses biens paternels, ne consumons pas, \nassembl\u00e9s ici, ses ch\u00e8res richesses ; mais que chacun de nous, \nretir\u00e9 dans sa demeure, recherche P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia \u00e0 l\u2019aide de pr\u00e9sents, \net celui-l\u00e0 l\u2019\u00e9pousera qui lui fera le plus de pr\u00e9sents et qui l\u2019obtien -\ndra par le sort.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets. Et, alors, amphinomos, l\u2019il -\nlustre fils du roi Nisos ar\u00e8tiade, leur parla.\nC\u2019\u00e9tait le chef des pr\u00e9tendants venus de Doulikhios herbue et fer -\ntile en bl\u00e9, et il plaisait plus que les autres \u00e0 P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia par ses \nparoles et ses pens\u00e9es. Et il leur parla avec prudence, et il leur dit :\n\u2013 \u00d4 amis, je ne veux point tuer T\u00e8l\u00e9makhos. Il est terrible de tuer \nla race des rois. Mais interrogeons d\u2019abord les desseins des dieux. \nSi les lois du grand Zeus nous approuvent, je tuerai moi-m\u00eame \nT\u00e8l\u00e9makhos et j\u2019exciterai les autres \u00e0 m\u2019imiter ; mais si les dieux \nnous en d\u00e9tournent, je vous engagerai \u00e0 ne rien entreprendre.377\nL\u2019ODYSS\u00c9Eamphinomos parla ainsi, et ce qu\u2019il avait dit leur plut. Et, aussi -\nt\u00f4t, ils se lev\u00e8rent et entr\u00e8rent dans la demeure d\u2019Odysseus, et ils \ns\u2019assirent sur des thr\u00f4nes polis. Et, alors, la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia \nr\u00e9solut de para\u00eetre devant les pr\u00e9tendants tr\u00e8s injurieux. En effet, \nelle avait appris la mort destin\u00e9e \u00e0 son fils dans les demeures. Le \nh\u00e9raut M\u00e9d\u00f4n, qui savait leurs desseins, les lui avait dits. Et elle se \nh\u00e2ta de descendre dans la grande salle avec ses femmes. Et quand \nla noble femme se fut rendue aupr\u00e8s des pr\u00e9tendants, elle s\u2019arr\u00eata \nsur le seuil de la belle salle, avec un beau voile sur les joues. Et elle \nr\u00e9primanda antinoos et lui dit :\n\u2013 antinoos, injurieux et mauvais, on dit que tu l\u2019emportes sur \ntes \u00e9gaux en \u00e2ge, parmi le peuple d\u2019Ithak\u00e8, par ta sagesse et par \ntes paroles. Mais tu n\u2019es point ce qu\u2019on dit. Insens\u00e9 ! Pourquoi \nm\u00e9dites-tu le meurtre et la mort de T\u00e8l\u00e9makhos ?\nTu ne te soucies point des pri\u00e8res des suppliants ; mais Zeus \nn\u2019est-il pas leur t\u00e9moin ? C\u2019est une pens\u00e9e impie que de m\u00e9diter la \nmort d\u2019autrui. Ne sais-tu pas que ton p\u00e8re s\u2019est r\u00e9fugi\u00e9 ici, fuyant \nle peuple qui \u00e9tait tr\u00e8s irrit\u00e9 contre lui ? avec des pirates Taphiens, \nil avait pill\u00e9 les Thespr\u00f4tes qui \u00e9taient nos amis, et le peuple \nvoulait le tuer, lui d\u00e9chirer le c\u0153ur et d\u00e9vorer ses nombreuses \nrichesses. Mais Odysseus les en emp\u00eacha et les retint. Et voici que, \nmaintenant, tu ruines honteusement sa maison, tu recherches sa 378CHaNT 16\nfemme, tu veux tuer son fils et tu m\u2019accables moi-m\u00eame de dou -\nleurs ! Je t\u2019ordonne de t\u2019arr\u00eater et de faire que les autres s\u2019arr\u00eatent.\nEt Eurymakhos, fils de Polybos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Fille d\u2019Ikarios, sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, reprends courage et n\u2019aie point \nces inqui\u00e9tudes dans ton esprit. L \u2019homme n\u2019existe point et n\u2019exis -\ntera jamais qui, moi vivant et les yeux ouverts, portera la main sur \nton fils T\u00e8l\u00e9makhos. Je le dis, en effet, et ma parole s\u2019accomplirait : \naussit\u00f4t son sang noir ruissellerait autour de ma lance. Souvent, \nle destructeur de citadelles Odysseus, me faisant asseoir sur ses \ngenoux, m\u2019a offert de ses mains de la chair r\u00f4tie et du vin rouge. \nC\u2019est pourquoi T\u00e8l\u00e9makhos m\u2019est le plus cher de tous les hommes. \nJe l\u2019invite \u00e0 ne point craindre la mort de la part des pr\u00e9tendants \nmais on ne peut l\u2019\u00e9viter de la part d\u2019un dieu.\nIl parla ainsi, la rassurant, et il m\u00e9ditait la mort de T\u00e8l\u00e9makhos.\nEt P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia remonta dans la haute chambre splendide, o\u00f9 elle \npleura son cher mari Odysseus, jusqu\u2019\u00e0 ce que ath\u00e8n\u00e8 aux yeux \nclairs eut r\u00e9pandu le doux sommeil sur ses paupi\u00e8res.\nEt, vers le soir, le divin porcher revint aupr\u00e8s d\u2019Odysseus et de son \nfils. Et ceux-ci, sacrifiant un porc d\u2019un an, pr\u00e9paraient le repas 379\nL\u2019ODYSS\u00c9Edans l\u2019\u00e9table. Mais ath\u00e8n\u00e8 s\u2019approchant du Laertiade Odysseus, \net le frappant de sa baguette, l\u2019avait de nouveau rendu vieux. Et \nelle lui avait couvert le corps de haillons, de peur que le porcher, \nle reconnaissant, all\u00e2t l\u2019annoncer \u00e0 la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia qui \noublierait peut-\u00eatre sa prudence.\nEt, le premier, T\u00e8l\u00e9makhos lui dit :\n\u2013 Tu es revenu, divin Eumaios ! Que dit-on dans la ville ? Les pr\u00e9 -\ntendants insolents sont-ils de retour de leur embuscade, ou sont-\nils encore \u00e0 m\u2019\u00e9pier au passage ?\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je ne me suis point inqui\u00e9t\u00e9 de cela en traversant la ville, car \nmon c\u0153ur m\u2019a ordonn\u00e9 de revenir tr\u00e8s promptement ici, apr\u00e8s \navoir port\u00e9 mon message ; mais j\u2019ai rencontr\u00e9 un h\u00e9raut rapide \nenvoy\u00e9 par tes compagnons, et qui a, le premier, parl\u00e9 \u00e0 ta m\u00e8re. \nMais je sais ceci, et mes yeux l\u2019ont vu : \u00e9tant hors de la ville, sur \nla colline de Herm\u00e9ias, j\u2019ai vu une nef rapide entrer dans le port.\nElle portait beaucoup d\u2019hommes, et elle \u00e9tait charg\u00e9e de boucliers \net de lances \u00e0 deux pointes. Je pense que c\u2019\u00e9taient les pr\u00e9tendants \neux-m\u00eames, mais je n\u2019en sais rien.380CHaNT 16\nIl parla ainsi, et la force sacr\u00e9e de T\u00e8l\u00e9makhos se mit \u00e0 rire en \nregardant son p\u00e8re \u00e0 l\u2019insu du porcher. Et, apr\u00e8s avoir termin\u00e9 \nleur travail, ils pr\u00e9par\u00e8rent le repas, et ils mang\u00e8rent, et aucun, \ndans son \u00e2me, ne fut priv\u00e9 d\u2019une part \u00e9gale. Et, quand ils eurent \nassouvi la soif et la faim, ils se couch\u00e8rent et s\u2019endormirent.381\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 17\nQuand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, T\u00e8l\u00e9makhos, \nle cher fils du divin Odysseus, attacha de belles sandales \u00e0 ses \npieds, saisit une lance solide qui convenait \u00e0 ses mains, et, pr\u00eat \u00e0 \npartir pour la ville, il dit au porcher :\n\u2013 P\u00e8re, je vais \u00e0 la ville, afin que ma m\u00e8re me voie, car je ne pense \npas qu\u2019elle cesse, avant de me revoir, de pleurer et de g\u00e9mir. Et je \nt\u2019ordonne ceci. M\u00e8ne \u00e0 la ville ce malheureux \u00e9tranger afin qu\u2019il y \nmendie sa nourriture. Celui qui voudra lui donner \u00e0 manger et \u00e0 \nboire le fera. Je ne puis, accabl\u00e9 moi-m\u00eame de douleurs, suppor -\nter tous les hommes. Si cet \u00e9tranger s\u2019en irrite, ceci sera plus cruel \npour lui ; mais, certes, j\u2019aime \u00e0 parler sinc\u00e8rement.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 ami, je ne d\u00e9sire point \u00eatre retenu ici. Il vaut mieux mendier \nsa nourriture \u00e0 la ville qu\u2019aux champs. Me donnera qui voudra. Je \nne veux point rester davantage dans tes \u00e9tables afin d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 tous \nles ordres d\u2019un chef. Va donc, et celui-ci me conduira, comme \ntu le lui ordonnes, d\u00e8s que je me serai r\u00e9chauff\u00e9 au feu et que la 382CHaNT 17\nchaleur sera venue : car, n\u2019ayant que ces haillons, je crains que le \nfroid du matin me saisisse, et on dit que la ville est loin d\u2019ici.\nIl parla ainsi, et T\u00e8l\u00e9makhos sortit de l\u2019\u00e9table et marcha rapide -\nment en m\u00e9ditant la perte des pr\u00e9tendants.\nPuis, \u00e9tant arriv\u00e9 aux demeures bien peupl\u00e9es, il appuya sa lance \ncontre une haute colonne, et il entra, passant le seuil de pierre. \nEt, aussit\u00f4t, la nourrice Eurykl\u00e9ia, qui \u00e9tendait des peaux sur les \nthr\u00f4nes bien travaill\u00e9s, le vit la premi\u00e8re. Et elle s\u2019\u00e9lan\u00e7a, fondant \nen larmes. Et les autres servantes du patient Odysseus se ras -\nsembl\u00e8rent autour de lui, et elles l\u2019entouraient de leurs bras, bai -\nsant sa t\u00eate et ses \u00e9paules. Et la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia sortit \u00e0 la h\u00e2te \nde la chambre nuptiale, semblable \u00e0 art\u00e9mis ou \u00e0 aphrodit\u00e8 d\u2019or. \nEt, en pleurant, elle jeta ses bras autour de son cher fils, et elle \nbaisa sa t\u00eate et ses beaux yeux, et elle lui dit, en g\u00e9missant, ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Tu es donc revenu, T\u00e8l\u00e9makhos, douce lumi\u00e8re. Je pensais ne \nplus te revoir depuis que tu es all\u00e9 sur une nef \u00e0 Pylos, en secret \net contre mon gr\u00e9, afin de t\u2019informer de ton cher p\u00e8re. Mais dis-\nmoi promptement ce que tu as appris.383\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ma m\u00e8re, n\u2019excite point mes larmes et ne remue point mon c\u0153ur \ndans ma poitrine, \u00e0 moi qui viens d\u2019\u00e9chapper \u00e0 la mort. Mais \nbaigne ton corps, prends des v\u00eatements frais, monte avec tes ser -\nvantes dans les chambres hautes et voue \u00e0 tous les dieux de com -\npl\u00e8tes h\u00e9catombes que tu sacrifieras si Zeus m\u2019accorde de me \nvenger. Pour moi, je vais \u00e0 l\u2019agora, o\u00f9 je vais chercher un h\u00f4te qui \nm\u2019a suivi quand je suis revenu.\nJe l\u2019ai envoy\u00e9 en avant avec mes divins compagnons, et j\u2019ai \nordonn\u00e9 \u00e0 Peiraios de l\u2019emmener dans sa demeure, de prendre \nsoin de lui et de l\u2019honorer jusqu\u2019\u00e0 ce que je vinsse.\nIl parla ainsi, et sa parole ne fut pas vaine. Et P\u00e9n\u00e8lop\u00e9ia baigna \nson corps, prit des v\u00eatements frais, monta avec ses servantes dans \nles chambres hautes et voua \u00e0 tous les dieux de compl\u00e8tes h\u00e9ca -\ntombes qu\u2019elle devait leur sacrifier si Zeus accordait \u00e0 son fils de \nse venger.\nT\u00e8l\u00e9makhos sortit ensuite de sa demeure, tenant sa lance. Et deux \nchiens aux pieds rapides le suivaient, et ath\u00e8n\u00e8 r\u00e9pandit sur lui \nune gr\u00e2ce divine. Tous les peuples l\u2019admiraient au passage ; et les \npr\u00e9tendants insolents s\u2019empress\u00e8rent autour de lui, le f\u00e9licitant \u00e0 384CHaNT 17\nl\u2019envi, mais, au fond de leur \u00e2me, m\u00e9ditant son malheur. Et il se \nd\u00e9gagea de leur multitude et il alla s\u2019asseoir l\u00e0 o\u00f9 \u00e9taient Ment\u00f4r, \nantiphos et Halithers\u00e8s, qui \u00e9taient d\u2019anciens amis de son p\u00e8re. \nIl s\u2019assit l\u00e0, et ils l\u2019interrog\u00e8rent sur chaque chose. Et Peiraios \nillustre par sa lance vint \u00e0 eux, conduisant son h\u00f4te \u00e0 l\u2019agora, \u00e0 \ntravers la ville. Et T\u00e8l\u00e9makhos ne tarda pas \u00e0 se tourner du c\u00f4t\u00e9 \nde l\u2019\u00e9tranger. Mais Peiraios dit le premier :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, envoie promptement des servantes \u00e0 ma demeure, \nafin que je te remette les pr\u00e9sents que t\u2019a faits M\u00e9n\u00e9laos.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Peiraios, nous ne savons comment tourneront les choses. Si les \npr\u00e9tendants insolents me tuent en secret dans mes demeures et \nse partagent mes biens paternels, je veux que tu poss\u00e8des ces pr\u00e9 -\nsents, et j\u2019aime mieux que tu en jouisses qu\u2019eux. Si je leur envoie \nla k\u00e8r et la mort, alors tu me les rapporteras, joyeux, dans mes \ndemeures, et je m\u2019en r\u00e9jouirai.\nayant ainsi parl\u00e9, il conduisit vers sa demeure son h\u00f4te malheu -\nreux. Et d\u00e8s qu\u2019ils furent arriv\u00e9s ils d\u00e9pos\u00e8rent leurs manteaux \nsur des si\u00e8ges et sur des thr\u00f4nes, et ils se baign\u00e8rent dans des \nbaignoires polies. Et, apr\u00e8s que les servantes les eurent baign\u00e9s 385\nL\u2019ODYSS\u00c9Eet parfum\u00e9s d\u2019huile, elles les couvrirent de tuniques et de riches \nmanteaux, et ils s\u2019assirent sur des thr\u00f4nes. Une servante leur versa \nde l\u2019eau, d\u2019une belle aigui\u00e8re d\u2019or dans un bassin d\u2019argent, pour se \nlaver les mains, et elle dressa devant eux une table polie que la \nv\u00e9n\u00e9rable intendante, pleine de bienveillance pour tous, couvrit \nde pain qu\u2019elle avait apport\u00e9 et de nombreux mets. Et P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia \ns\u2019assit en face d\u2019eux, \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la salle, et, se penchant de son \nsi\u00e8ge, elle filait des laines fines. Puis, ils \u00e9tendirent les mains vers \nles mets plac\u00e9s devant eux ; et, apr\u00e8s qu\u2019ils eurent assouvi la soif \net la faim, la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia leur dit la premi\u00e8re :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, je remonterai dans ma chambre nuptiale et je me \ncoucherai sur le lit plein de mes soupirs et arros\u00e9 de mes larmes \ndepuis le jour o\u00f9 Odysseus est all\u00e9 \u00e0 Ilios avec les atr\u00e9ides, et \ntu ne veux pas, avant l\u2019entr\u00e9e des pr\u00e9tendants insolents dans \ncette demeure, me dire tout ce que tu as appris sur le retour de \nton p\u00e8re !\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ma m\u00e8re, je vais te dire la v\u00e9rit\u00e9. Nous sommes all\u00e9s \u00e0 Pylos, \naupr\u00e8s du prince des peuples Nest\u00f4r. Et celui-ci m\u2019a re\u00e7u dans \nses hautes demeures, et il m\u2019a combl\u00e9 de soins, comme un p\u00e8re \naccueille son fils r\u00e9cemment arriv\u00e9 apr\u00e8s une longue absence. 386CHaNT 17\nC\u2019est ainsi que lui et ses illustres fils m\u2019ont accueilli. Mais il m\u2019a dit \nqu\u2019aucun des hommes terrestres ne lui avait rien appris du mal -\nheureux Odysseus mort ou vivant. Et il m\u2019a envoy\u00e9 avec un char \net des chevaux vers l\u2019a tr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, illustre par sa lance. Et l\u00e0 \nj\u2019ai vu l\u2019a rgienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8, pour qui tant d\u2019a rgiens et de Troiens \nont souffert par la volont\u00e9 des dieux. Et le brave M\u00e9n\u00e9laos m\u2019a \ndemand\u00e9 aussit\u00f4t pourquoi je venais dans la divine Lak\u00e9daim\u00f4n ; \net je lui ai dit la v\u00e9rit\u00e9, et, alors, il m\u2019a r\u00e9pondu ainsi :\n\u2013 \u00d4 dieux ! certes, des l\u00e2ches veulent coucher dans le lit d\u2019un \nbrave ! ainsi une biche a d\u00e9pos\u00e9 dans le repaire d\u2019un lion robuste \nses faons nouveau-n\u00e9s et qui tettent, tandis qu\u2019elle va pa\u00eetre sur \nles hauteurs ou dans les vall\u00e9es herbues ; et voici que le lion, ren -\ntrant dans son repaire, tue mis\u00e9rablement tous les faons. ainsi \nOdysseus leur fera subir une mort mis\u00e9rable. Plaise au p\u00e8re Zeus, \n\u00e0 ath\u00e8n\u00e8, \u00e0 apoll\u00f4n, qu\u2019Odysseus se m\u00eale aux pr\u00e9tendants, tel \nqu\u2019il \u00e9tait dans Lesbos bien b\u00e2tie, quand, se levant pour lutter \ncontre le Philom\u00e8l\u00e9ide, il le terrassa rudement ! Tous les akhaiens \ns\u2019en r\u00e9jouirent. La vie des pr\u00e9tendants serait br\u00e8ve et leurs noces \nseraient am\u00e8res.\nMais les choses que tu me demandes en me suppliant, je te les \ndirai sans te rien cacher, telles que me les a dites le Vieillard v\u00e9ri -\ndique de la mer. Je te les dirai toutes et je ne te cacherai rien. Il m\u2019a 387\nL\u2019ODYSS\u00c9Edit qu\u2019il avait vu Odysseus subissant de cruelles douleurs dans \nl\u2019\u00eele et dans les demeures de la nymphe Kalyps\u00f4, qui le retient \nde force. Et il ne pouvait regagner la terre de sa patrie. Il n\u2019avait \nplus, en effet, de nefs arm\u00e9es d\u2019avirons, ni de compagnons pour \nle reconduire sur le large dos de la mer.\n\u2013 C\u2019est ainsi que m\u2019a parl\u00e9 l\u2019a tr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, illustre par sa lance. \nPuis, je suis parti, et les immortels m\u2019ont envoy\u00e9 un vent propice \net m\u2019ont ramen\u00e9 promptement dans la terre de la patrie.\nIl parla ainsi, et l\u2019\u00e2me de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia fut \u00e9mue dans sa poitrine. Et \nle divin Th\u00e9oklym\u00e9nos leur dit :\n\u2013 \u00d4 v\u00e9n\u00e9rable femme du Laertiade Odysseus, certes, T\u00e8l\u00e9makhos \nne sait pas tout. \u00c9coute donc mes paroles. Je te pr\u00e9dirai des choses \nvraies et je ne te cacherai rien. Que Zeus, le premier des dieux, le \nsache ! et cette table hospitali\u00e8re, et la maison du brave Odysseus \no\u00f9 je suis venu ! Certes, Odysseus est d\u00e9j\u00e0 dans la terre de la \npatrie. Cach\u00e9 ou errant, il s\u2019informe des choses funestes qui se \npassent et il pr\u00e9pare la perte des pr\u00e9tendants. Tel est le signe que \nj\u2019ai vu sur la nef et que j\u2019ai r\u00e9v\u00e9l\u00e9 \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos.388CHaNT 17\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Plaise aux dieux, \u00e9tranger, que tes paroles s\u2019accomplissent ! Tu \nconna\u00eetras alors mon amiti\u00e9, et je te ferai de nombreux pr\u00e9sents, \net chacun te dira un homme heureux.\nEt c\u2019est ainsi qu\u2019ils se parlaient. Et les pr\u00e9tendants, devant la \ndemeure d\u2019Odysseus, sur le beau pav\u00e9, l\u00e0 o\u00f9 ils avaient coutume \nd\u2019\u00eatre insolents, se r\u00e9jouissaient en lan\u00e7ant les disques et les traits. \nMais quand le temps de prendre le repas fut venu, et quand les \ntroupeaux arriv\u00e8rent de tous c\u00f4t\u00e9s des champs avec ceux qui les \namenaient ordinairement, alors M\u00e9d\u00f4n, qui leur plaisait le plus \nparmi les h\u00e9rauts et qui mangeait avec eux, leur dit :\n\u2013 Jeunes hommes, puisque vous avez charm\u00e9 votre \u00e2me par ces \njeux, entrez dans la demeure, afin que nous pr\u00e9parions le repas. Il \nest bon de prendre son repas quand le temps en est venu.\nIl parla ainsi, et tous se lev\u00e8rent et entr\u00e8rent dans la maison. Et \nquand ils furent entr\u00e9s, ils d\u00e9pos\u00e8rent leurs manteaux sur les \nsi\u00e8ges et sur les thr\u00f4nes. Puis, ils \u00e9gorg\u00e8rent les grandes brebis et \nles ch\u00e8vres grasses. Et ils \u00e9gorg\u00e8rent aussi les porcs gras et une \ng\u00e9nisse indompt\u00e9e, et ils pr\u00e9par\u00e8rent le repas.389\nL\u2019ODYSS\u00c9EPendant ce temps, Odysseus et le divin porcher se disposaient \u00e0 \nse rendre des champs \u00e0 la ville, et le chef des porchers, le premier, \nparla ainsi :\n\u2013 Etranger, allons ! puisque tu d\u00e9sires aller aujourd\u2019hui \u00e0 la ville, \ncomme mon ma\u00eetre l\u2019a ordonn\u00e9. Certes, j\u2019aurais voulu te faire \ngardien des \u00e9tables ; mais je respecte mon ma\u00eetre et je crains qu\u2019il \ns\u2019irrite, et les menaces des ma\u00eetres sont \u00e0 redouter. allons donc \nmaintenant. Le jour s\u2019incline d\u00e9j\u00e0, et le froid est plus vif vers \nle soir.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 J\u2019entends et je comprends, et je ferai avec intelligence ce que tu \nordonnes. allons, et conduis-moi, et donne-moi un b\u00e2ton, afin \nque je m\u2019appuie, puisque tu dis que le chemin est difficile.\nayant ainsi parl\u00e9, il jeta sur ses \u00e9paules sa mis\u00e9rable besace pleine \nde trous et ferm\u00e9e par une courroie tordue. Et Eumaios lui donna \nun b\u00e2ton \u00e0 son go\u00fbt, et ils partirent, laissant les chiens et les por -\nchers garder les \u00e9tables. Et Eumaios conduisait ainsi vers la ville \nson roi semblable \u00e0 un vieux et mis\u00e9rable mendiant, appuy\u00e9 sur \nun b\u00e2ton et couvert de haillons.390CHaNT 17\nEn avan\u00e7ant sur la route difficile, ils approch\u00e8rent de la ville \net de la fontaine aux belles eaux courantes o\u00f9 venaient puiser \nles citoyens.\nIthakos, N\u00e8ritos et Polykt\u00f4r l\u2019avaient construite, et, tout autour, il \ny avait un bois sacr\u00e9 de peupliers rafra\u00eechis par l\u2019eau qui coulait \nen cercle r\u00e9gulier. Et l\u2019eau glac\u00e9e tombait aussi de la cime d\u2019une \nroche, et, au-dessous, il y avait un autel des nymphes o\u00f9 sacri -\nfiaient tous les voyageurs.\nCe fut l\u00e0 que M\u00e9lanthios, fils de Dolios, les rencontra tous deux. \nIl conduisait les meilleures ch\u00e8vres de ses troupeaux pour les \nrepas des pr\u00e9tendants, et deux bergers le suivaient. alors, ayant \nvu Odysseus et Eumaios, il les insulta grossi\u00e8rement et honteuse -\nment, et il remua l\u2019\u00e2me d\u2019Odysseus :\n\u2013 Voici qu\u2019un mis\u00e9rable conduit un autre mis\u00e9rable, et c\u2019est ainsi \nqu\u2019un dieu r\u00e9unit les semblables ! Ignoble porcher, o\u00f9 m\u00e8nes-tu \nce mendiant vorace, vile calamit\u00e9 des repas, qui usera ses \u00e9paules \nen s\u2019appuyant \u00e0 toutes les portes, demandant des restes et non \ndes \u00e9p\u00e9es et des bassins. Si tu me le donnais, j\u2019en ferais le gardien \nde mes \u00e9tables, qu\u2019il nettoierait. Il porterait le fourrage aux che -\nvaux, et buvant au moins du petit lait, il engraisserait. Mais, sans \ndoute, il ne sait faire que le mal, et il ne veut point travailler, et il 391\nL\u2019ODYSS\u00c9Eaime mieux, parmi le peuple, mendier pour repa\u00eetre son ventre \ninsatiable. Je te dis ceci, et ma parole s\u2019accomplira : s\u2019il entre dans \nles demeures du divin Odysseus, les escabeaux des hommes vole -\nront autour de sa t\u00eate par la demeure, le frapperont et lui meur -\ntriront les flancs.\nayant ainsi parl\u00e9, l\u2019insens\u00e9 se rua et frappa Odysseus \u00e0 la cuisse, \nmais sans pouvoir l\u2019\u00e9branler sur le chemin. Et Odysseus resta \nimmobile, d\u00e9lib\u00e9rant s\u2019il lui arracherait l\u2019\u00e2me d\u2019un coup de b\u00e2ton, \nou si, le soulevant de terre, il lui \u00e9craserait la t\u00eate contre le sol. \nMais il se contint dans son \u00e2me. Et le porcher, ayant vu cela, s\u2019in -\ndigna, et il dit en levant les mains :\n\u2013 Nymphes Kr\u00e8niades, filles de Zeus, si jamais Odysseus a br\u00fbl\u00e9 \npour vous les cuisses grasses et odorantes des agneaux et des che -\nvreaux, accomplissez mon v\u0153u. Que ce h\u00e9ros revienne et qu\u2019une \ndivinit\u00e9 le conduise ! Certes, alors, \u00f4 M\u00e9lanthios, il troublerait les \njoies que tu go\u00fbtes en errant sans cesse, plein d\u2019insolence, par la \nville, tandis que de mauvais bergers perdent les troupeaux.\nEt le chevrier M\u00e9lanthios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 dieux ! Que dit ce chien rus\u00e9 ? Mais bient\u00f4t je le condui -\nrai moi-m\u00eame, sur une nef noire, loin d\u2019Ithak\u00e8, et un grand prix 392CHaNT 17\nm\u2019en reviendra. Pl\u00fbt aux dieux qu\u2019a poll\u00f4n \u00e0 l\u2019arc d\u2019argent tu\u00e2t \naujourd\u2019hui T\u00e8l\u00e9makhos dans ses demeures, ou qu\u2019il f\u00fbt tu\u00e9 par \nles pr\u00e9tendants, aussi vrai qu\u2019Odysseus, au loin, a perdu le jour \ndu retour !\nayant ainsi parl\u00e9, il les laissa marcher en silence, et, les devan\u00e7ant, \nil parvint rapidement aux demeures du roi. Et il y entra aussit\u00f4t, \net il s\u2019assit parmi les pr\u00e9tendants, aupr\u00e8s d\u2019Eurymakhos qui l\u2019ai -\nmait beaucoup.\nEt on lui offrit sa part des viandes, et la v\u00e9n\u00e9rable intendante lui \napporta du pain \u00e0 manger.\nalors, Odysseus et le divin porcher, \u00e9tant arriv\u00e9s, s\u2019arr\u00eat\u00e8rent ; et \nle son de la kithare creuse vint jusqu\u2019\u00e0 eux, car Ph\u00e8mios com -\nmen\u00e7ait \u00e0 chanter au milieu des pr\u00e9tendants. Et Odysseus, ayant \nprit la main du porcher, lui dit :\n\u2013 Eumaios, certes, voici les belles demeures d\u2019Odysseus. Elles \nsont faciles \u00e0 reconna\u00eetre au milieu de toutes les autres, tant elles \nen sont diff\u00e9rentes. La cour est orn\u00e9e de murs et de pieux, et les \nportes \u00e0 deux battants sont solides. aucun homme ne pourrait \nles forcer. Je comprends que beaucoup d\u2019hommes prennent l\u00e0 393\nL\u2019ODYSS\u00c9Eleur repas, car l\u2019odeur s\u2019en \u00e9l\u00e8ve, et la kithare r\u00e9sonne, elle dont les \ndieux ont fait le charme des repas.\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Tu as tout compris ais\u00e9ment, car tu es tr\u00e8s intelligent ; mais d\u00e9li -\nb\u00e9rons sur ce qu\u2019il faut faire. Ou tu entreras le premier dans les \nriches demeures, au milieu des pr\u00e9tendants, et je resterai ici ; ou, \nsi tu veux rester, j\u2019irai devant. Mais ne tarde pas dehors, de peur \nqu\u2019on te frappe et qu\u2019on te chasse. Je t\u2019engage \u00e0 te d\u00e9cider.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je sais, je comprends, et je ferai avec intelligence ce que tu dis. \nVa devant, et je resterai ici. J\u2019ai l\u2019habitude des blessures, et mon \n\u00e2me est patiente sous les coups, car j\u2019ai subi bien des maux sur \nla mer et dans la guerre. advienne que pourra. Il ne m\u2019est point \npossible de cacher la faim cruelle qui ronge mon ventre et qui \nfait souffrir tant de maux aux hommes, et qui pousse sur la mer \nindompt\u00e9e les nefs \u00e0 bancs de rameurs pour apporter le malheur \naux ennemis.\nEt ils se parlaient ainsi, et un chien, qui \u00e9tait couch\u00e9 l\u00e0, leva la \nt\u00eate et dressa les oreilles. C\u2019\u00e9tait argos, le chien du malheureux 394CHaNT 17\nOdysseus qui l\u2019avait nourri lui-m\u00eame autrefois, et qui n\u2019en jouit \npas, \u00e9tant parti pour la sainte Ilios. Les jeunes hommes l\u2019avaient \nautrefois conduit \u00e0 la chasse des ch\u00e8vres sauvages, des cerfs et \ndes li\u00e8vres ; et, maintenant, en l\u2019absence de son ma\u00eetre, il gisait, \nd\u00e9laiss\u00e9, sur l\u2019amas de fumier de mulets et de b\u0153ufs qui \u00e9tait \ndevant les portes, et y restait jusqu\u2019\u00e0 ce que les serviteurs d\u2019Odys -\nseus l\u2019eussent emport\u00e9 pour engraisser son grand verger. Et le \nchien argos gisait l\u00e0, rong\u00e9 de vermine. Et, aussit\u00f4t, il recon -\nnut Odysseus qui approchait, et il remua la queue et dressa les \noreilles ; mais il ne put pas aller au-devant de son ma\u00eetre, qui, \nl\u2019ayant vu, essuya une larme, en se cachant ais\u00e9ment d\u2019Eumaios. \nEt, aussit\u00f4t, il demanda \u00e0 celui-ci :\n\u2013 Eumaios, voici une chose prodigieuse. Ce chien gisant sur ce \nfumier a un beau corps. Je ne sais si, avec cette beaut\u00e9, il a \u00e9t\u00e9 \nrapide \u00e0 la course, ou si c\u2019est un de ces chiens que les hommes \nnourrissent \u00e0 leur table et que les rois \u00e9l\u00e8vent \u00e0 cause de \nleur beaut\u00e9.\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 C\u2019est le chien d\u2019un homme mort au loin. S\u2019il \u00e9tait encore, par les \nformes et les qualit\u00e9s, tel qu\u2019Odysseus le laissa en allant \u00e0 Troi\u00e8, \ntu admirerais sa rapidit\u00e9 et sa force. aucune b\u00eate fauve qu\u2019il avait 395\nL\u2019ODYSS\u00c9Eaper\u00e7ue ne lui \u00e9chappait dans les profondeurs des bois, et il \u00e9tait \ndou\u00e9 d\u2019un flair excellent. Maintenant les maux l\u2019accablent. Son \nma\u00eetre est mort loin de sa patrie, et les servantes n\u00e9gligentes ne \nle soignent point. Les serviteurs, auxquels leurs ma\u00eetres ne com -\nmandent plus, ne veulent plus agir avec justice, car le retentis -\nsant Zeus \u00f4te \u00e0 l\u2019homme la moiti\u00e9 de sa vertu, quand il le soumet \n\u00e0 la servitude.\nayant ainsi parl\u00e9, il entra dans la riche demeure, qu\u2019il traversa \npour se rendre au milieu des illustres pr\u00e9tendants. Et, aussit\u00f4t, \nla k\u00e8r de la noire mort saisit argos comme il venait de revoir \nOdysseus apr\u00e8s la vingti\u00e8me ann\u00e9e.\nEt le divin T\u00e8l\u00e9makhos vit, le premier, Eumaios traverser la \ndemeure, et il lui fit signe pour l\u2019appeler promptement \u00e0 lui. Et le \nporcher, ayant regard\u00e9, prit le si\u00e8ge vide du d\u00e9coupeur qui servait \nalors les viandes abondantes aux pr\u00e9tendants, et qui les d\u00e9coupait \npour les convives. Et Eumaios, portant ce si\u00e8ge devant la table de \nT\u00e8l\u00e9makhos, s\u2019y assit. Et un h\u00e9raut lui offrit une part des mets et \ndu pain pris dans une corbeille.\nEt, apr\u00e8s lui, Odysseus entra dans la demeure, semblable \u00e0 un \nmis\u00e9rable et vieux mendiant, appuy\u00e9 sur un b\u00e2ton et couvert de \nv\u00eatements en haillons.396CHaNT 17\nEt il s\u2019assit sur le seuil de fr\u00eane, en dedans des portes, et il s\u2019adossa \ncontre le montant de cypr\u00e8s qu\u2019un ouvrier avait autrefois habi -\nlement poli et dress\u00e9 avec le cordeau. alors, T\u00e8l\u00e9makhos, ayant \nappel\u00e9 le porcher, prit un pain entier dans la belle corbeille, et des \nviandes, autant que ses mains purent en prendre, et dit :\n\u2013 Porte ceci, et donne-le \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, et ordonne lui de demander \n\u00e0 chacun des pr\u00e9tendants. La honte n\u2019est pas bonne \u00e0 l\u2019indigent.\nIl parla ainsi, et le porcher, l\u2019ayant entendu, s\u2019approcha d\u2019Odys -\nseus et lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, \u00f4 \u00e9tranger, te donne ceci, et il t\u2019ordonne de deman -\nder \u00e0 chacun des pr\u00e9tendants. Il dit que la honte n\u2019est pas bonne \n\u00e0 l\u2019indigent.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Roi Zeus ! accorde-moi que T\u00e8l\u00e9makhos soit heureux entre tous \nles hommes, et que tout ce qu\u2019il d\u00e9sire s\u2019accomplisse !\nIl parla ainsi, et, prenant la nourriture des deux mains, il la posa \u00e0 \nses pieds sur sa besace trou\u00e9e, et il mangea pendant que le divin \naoide chantait dans les demeures.397\nL\u2019ODYSS\u00c9EMais le divin aoide se tut, et les pr\u00e9tendants \u00e9lev\u00e8rent un grand \ntumulte, et ath\u00e8n\u00e8, s\u2019approchant du Laertiade Odysseus, l\u2019excita \n\u00e0 demander aux pr\u00e9tendants, afin de reconna\u00eetre ceux qui \u00e9taient \njustes et ceux qui \u00e9taient iniques. Mais aucun d\u2019eux ne devait \u00eatre \nsauv\u00e9 de la mort. Et Odysseus se h\u00e2ta de prier chacun d\u2019eux en \ncommen\u00e7ant par la droite et en tendant les deux mains, comme \nont coutume les mendiants. Et ils lui donnaient, ayant piti\u00e9 de lui, \net ils s\u2019\u00e9tonnaient, et ils se demandaient qui il \u00e9tait et d\u2019o\u00f9 il venait. \nalors, le chevrier M\u00e9lanthios leur dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, pr\u00e9tendants de l\u2019illustre reine, je parlerai de cet \n\u00e9tranger que j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 vu. C\u2019est assur\u00e9ment le porcher qui l\u2019a \nconduit ici ; mais je ne sais o\u00f9 il est n\u00e9.\nIl parla ainsi, et antinoos r\u00e9primanda le porcher par ces paroles :\n\u2013 \u00d4 porcher, pourquoi as-tu conduit cet homme \u00e0 la ville ? \nN\u2019avons-nous pas assez de vagabonds et de mendiants, calamit\u00e9 \ndes repas ? Trouves-tu qu\u2019il ne suffit pas de ceux qui sont r\u00e9u -\nnis ici pour d\u00e9vorer les biens de ton ma\u00eetre, que tu aies encore \nappel\u00e9 celui-ci ?398CHaNT 17\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 antinoos, tu ne dis pas de bonnes paroles, bien que tu sois illustre.\nQuel homme peut appeler un \u00e9tranger, afin qu\u2019il vienne de loin, \ns\u2019il n\u2019est de ceux qui sont habiles, un divinateur, un m\u00e9decin, \nun ouvrier qui taille le bois, ou un grand aoide qui charme en \nchantant ? Ceux-l\u00e0 sont illustres parmi les hommes sur la terre \nimmense. Mais personne n\u2019appelle un mendiant, s\u2019il ne d\u00e9sire se \nnuire \u00e0 soi-m\u00eame. Tu es le plus dur des pr\u00e9tendants pour les ser -\nviteurs d\u2019Odysseus, et surtout pour moi ; mais je n\u2019en ai nul souci, \ntant que la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia et le divin T\u00e8l\u00e9makhos vivront dans \nleurs demeures.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui dit :\n\u2013 Tais-toi, et ne lui r\u00e9ponds point tant de paroles. antinoos a cou -\ntume de chercher querelle par des paroles injurieuses et d\u2019exciter \ntous les autres.\nIl parla ainsi, et il dit ensuite \u00e0 antinoos ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 antinoos, tu prends soin de moi comme un p\u00e8re de son fils, \ntoi qui ordonnes imp\u00e9rieusement \u00e0 un \u00e9tranger de sortir de ma 399\nL\u2019ODYSS\u00c9Edemeure ! mais qu\u2019un dieu n\u2019accomplisse point cet ordre. Donne \n\u00e0 cet homme. Je ne t\u2019en bl\u00e2merai point. Je te l\u2019ordonne m\u00eame. Tu \nn\u2019offenseras ainsi ni ma m\u00e8re, ni aucun des serviteurs qui sont \ndans la demeure du divin Odysseus. Mais telle n\u2019est point la pen -\ns\u00e9e que tu as dans ta poitrine, et tu aimes mieux manger davan -\ntage toi-m\u00eame que de donner \u00e0 un autre.\nEt antinoos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, agor\u00e8te orgueilleux et plein de col\u00e8re, qu\u2019as-tu dit ? \nSi tous les pr\u00e9tendants lui donnaient autant que moi, il serait \nretenu loin de cette demeure pendant trois mois au moins.\nIl parla ainsi, saisissant et montrant l\u2019escabeau sur lequel il \nappuyait ses pieds brillants sous la table. Mais tous les autres don -\nn\u00e8rent \u00e0 Odysseus et emplirent sa besace de viandes et de pain. Et \nd\u00e9j\u00e0 Odysseus s\u2019en retournait pour go\u00fbter les dons des akhaiens, \nmais il s\u2019arr\u00eata aupr\u00e8s d\u2019a ntinoos et lui dit :\n\u2013 Donne-moi, ami, car tu ne parais pas le dernier des akhaiens \nmais plut\u00f4t le premier d\u2019entre eux, et tu es semblable \u00e0 un roi. Il \nt\u2019appartient de me donner plus abondamment que les autres, \net je te louerai sur la terre immense. En effet, moi aussi, autre -\nfois, j\u2019ai habit\u00e9 une demeure parmi les hommes ; j\u2019ai \u00e9t\u00e9 riche et 400CHaNT 17\nheureux, et j\u2019ai souvent donn\u00e9 aux \u00e9trangers, quels qu\u2019ils fussent \net quelle que f\u00fbt leur mis\u00e8re. Je poss\u00e9dais de nombreux serviteurs \net tout ce qui fait vivre heureux et fait dire qu\u2019on est riche ; mais \nZeus Kroni\u00f4n a tout d\u00e9truit, car telle a \u00e9t\u00e9 sa volont\u00e9. Il m\u2019envoya \navec des pirates vagabonds dans l\u2019a igypti\u00e8 lointaine, afin que j\u2019y \np\u00e9risse. Le cinqui\u00e8me jour j\u2019arr\u00eatai mes nefs \u00e0 deux rangs d\u2019avi -\nrons dans le fleuve aigyptos. alors j\u2019ordonnai \u00e0 mes chers com -\npagnons de rester aupr\u00e8s des nefs pour les garder, et j\u2019envoyai des \n\u00e9claireurs pour aller \u00e0 la d\u00e9couverte.\nMais ceux-ci, \u00e9gar\u00e9s par leur audace et confiants dans leurs forces, \nd\u00e9vast\u00e8rent aussit\u00f4t les beaux champs des hommes aigyptiens, \nentra\u00eenant les femmes et les petits enfants et tuant les hommes. \nEt aussit\u00f4t le tumulte arriva jusqu\u2019\u00e0 la ville, et les habitants, enten -\ndant ces clameurs, accoururent au lever d\u2019\u00c9\u00f4s, et toute la plaine \nse remplit de pi\u00e9tons et de cavaliers et de l\u2019\u00e9clat de l\u2019airain. Et le \nfoudroyant Zeus mit mes compagnons en fuite, et aucun d\u2019eux \nne soutint l\u2019attaque, et la mort les environna de toutes parts. L\u00e0, \nun grand nombre des n\u00f4tres fut tu\u00e9 par l\u2019airain aigu, et les autres \nfurent emmen\u00e9s vivants pour \u00eatre esclaves. Et les aigyptiens me \ndonn\u00e8rent \u00e0 Dm\u00e8t\u00f4rlaside, qui commandait \u00e0 Kypros, et il m\u2019y \nemmena, et de l\u00e0 je suis venu ici, apr\u00e8s avoir beaucoup souffert.401\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt antinoos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Quel dieu a conduit ici cette peste, cette calamit\u00e9 des repas ? \nTiens-toi au milieu de la salle, loin de ma table, si tu ne veux voir \nbient\u00f4t une aigypti\u00e8 et une Kypros am\u00e8res, aussi s\u00fbrement que \ntu es un audacieux et impudent mendiant. Tu t\u2019arr\u00eates devant \nchacun, et ils te donnent inconsid\u00e9r\u00e9ment, rien ne les emp\u00ea -\nchant de donner ce qui ne leur appartient pas, car ils ont tout \nen abondance.\nEt le subtil Odysseus dit en s\u2019en retournant :\n\u2013 \u00d4 dieux ! Tu n\u2019as pas les pens\u00e9es qui conviennent \u00e0 ta beaut\u00e9 ; \net \u00e0 celui qui te le demanderait dans ta propre demeure tu ne \ndonnerais pas m\u00eame du sel, toi qui, assis maintenant \u00e0 une table \n\u00e9trang\u00e8re, ne peux supporter la pens\u00e9e de me donner un peu de \npain, quand tout abonde ici.\nIl parla ainsi, et antinoos fut grandement irrit\u00e9 dans son c\u0153ur, et, \nle regardant d\u2019un oeil sombre, il lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Je ne pense pas que tu sortes sain et sauf de cette demeure, \npuisque tu as prononc\u00e9 cet outrage.402CHaNT 17\nayant ainsi parl\u00e9, il saisit son escabeau et en frappa l\u2019\u00e9paule \ndroite d\u2019Odysseus \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du dos. Mais Odysseus resta \nferme comme une pierre, et le trait d\u2019a ntinoos ne l\u2019\u00e9branla pas. Il \nsecoua la t\u00eate en silence, en m\u00e9ditant la mort du pr\u00e9tendant. Puis, \nil retourna s\u2019asseoir sur le seuil, posa \u00e0 terre sa besace pleine et \ndit aux pr\u00e9tendants :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, pr\u00e9tendants de l\u2019illustre reine, afin que je dise \nce que mon c\u0153ur m\u2019ordonne dans ma poitrine. Il n\u2019y a ni dou -\nleur, ni honte, quand un homme est frapp\u00e9, combattant pour ses \nbiens, soit des b\u0153ufs, soit de grasses brebis ; mais antinoos m\u2019a \nfrapp\u00e9 parce que mon ventre est rong\u00e9 par la faim cruelle qui \ncause tant de maux aux hommes. Donc, s\u2019il est des dieux et des \n\u00c9rinnyes pour les mendiants, antinoos, avant ses noces, rencon -\ntrera la mort.\nEt antinoos, le fils d\u2019Eupeith\u00e8s, lui dit :\n\u2013 Mange en silence, \u00e9tranger, ou sors, de peur que, parlant comme \ntu le fais, les jeunes hommes te tra\u00eenent, \u00e0 travers la demeure, par \nles pieds ou par les bras, et te mettent en pi\u00e8ces.403\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, mais tous les autres le bl\u00e2m\u00e8rent rudement, et un \ndes jeunes hommes insolents lui dit :\n\u2013 antinoos, tu as mal fait de frapper ce malheureux vagabond. \nInsens\u00e9 ! si c\u2019\u00e9tait un des dieux Ouraniens ? Car les dieux, qui \nprennent toutes les formes, errent souvent par les villes, sem -\nblables \u00e0 des \u00e9trangers errants, afin de reconna\u00eetre la justice ou \nl\u2019iniquit\u00e9 des hommes.\nLes pr\u00e9tendants parl\u00e8rent ainsi, mais leurs paroles ne touch\u00e8rent \npoint antinoos. Et une grande douleur s\u2019\u00e9leva dans le c\u0153ur de \nT\u00e8l\u00e9makhos \u00e0 cause du coup qui avait \u00e9t\u00e9 port\u00e9. Cependant, il ne \nversa point de larmes, mais il secoua la t\u00eate en silence, en m\u00e9di -\ntant la mort du pr\u00e9tendant. Et la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, ayant \nappris qu\u2019un \u00e9tranger avait \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 dans la demeure, dit \u00e0 \nses servantes :\n\u2013 Puisse apoll\u00f4n illustre par son arc frapper ainsi antinoos !\nEt Eurynom\u00e8 l\u2019intendante lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si nous pouvions accomplir nos propres v\u0153ux, aucun de ceux-ci \nne verrait le retour du beau matin.404CHaNT 17\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui dit :\n\u2013 Nourrice, tous me sont ennemis, car ils m\u00e9ditent le mal ; mais \nantinoos, plus que tous, est pour moi semblable \u00e0 la noire k\u00e8r. Un \nmalheureux \u00e9tranger mendie dans la demeure, demandant \u00e0 cha -\ncun, car la n\u00e9cessit\u00e9 le presse, et tous lui donnent ; mais antinoos \nle frappe d\u2019un escabeau \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite !\nElle parla ainsi au milieu de ses servantes. Et le divin Odysseus \nacheva son repas, et P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia fit appeler le divin porcher et \nlui dit :\n\u2013 Va, divin Eumaios, et ordonne \u00e0 l\u2019\u00e9tranger de venir, afin que je le \nsalue et l\u2019interroge. Peut-\u00eatre qu\u2019il a entendu parler du malheu -\nreux Odysseus, ou qu\u2019il l\u2019a vu de ses yeux, car il semble lui-m\u00eame \navoir beaucoup err\u00e9.\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Pl\u00fbt aux dieux, reine, que tous les akhaiens fissent silence et \nqu\u2019il charm\u00e2t ton cher c\u0153ur de ses paroles ! Je l\u2019ai retenu dans \nl\u2019\u00e9table pendant trois nuits et trois jours, car il \u00e9tait d\u2019abord venu \nvers moi apr\u00e8s s\u2019\u00eatre enfui d\u2019une nef. Et il n\u2019a point achev\u00e9 de dire \ntoute sa destin\u00e9e malheureuse.405\nL\u2019ODYSS\u00c9EDe m\u00eame qu\u2019on r\u00e9v\u00e8re un aoide instruit par les dieux \u00e0 chanter \ndes paroles douces aux hommes, et qu\u2019on ne veut jamais cesser \nde l\u2019\u00e9couter quand il chante, de m\u00eame celui-ci m\u2019a charm\u00e9 dans \nmes demeures. Il dit qu\u2019il est un h\u00f4te paternel d\u2019Odysseus et qu\u2019il \nhabitait la Kr\u00e8t\u00e8 o\u00f9 commande la race de Min\u00f4s. apr\u00e8s avoir \nsubi beaucoup de maux, errant \u00e7\u00e0 et l\u00e0, il est venu ici. Il dit qu\u2019il \na entendu parler d\u2019Odysseus chez le riche peuple des Thespr\u00f4tes, \net qu\u2019il vit encore, et qu\u2019il rapporte de nombreuses richesses dans \nsa demeure.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Va ! appelle-le, afin qu\u2019il parle devant moi. Les pr\u00e9tendants \nse r\u00e9jouissent, assis les uns devant les portes, les autres dans \nla demeure, car leur esprit est joyeux. Leurs richesses restent \nintactes dans leurs maisons, leur pain et leur vin doux, dont se \nnourrissent leurs serviteurs seulement. Mais, tous les jours, dans \nnotre demeure, ils tuent nos b\u0153ufs, nos brebis et nos ch\u00e8vres \ngrasses, et ils les mangent, et ils boivent notre vin rouge impu -\nn\u00e9ment, et ils ont d\u00e9j\u00e0 consum\u00e9 beaucoup de richesses. Il n\u2019y a \npoint ici d\u2019homme tel qu\u2019Odysseus pour chasser cette ruine hors \nde la demeure. Mais si Odysseus revenait et abordait la terre de \nla patrie, bient\u00f4t, avec son fils, il aurait r\u00e9prim\u00e9 les insolences de \nces hommes.406CHaNT 17\nElle parla ainsi, et T\u00e8l\u00e9makhos \u00e9ternua tr\u00e8s fortement, et toute la \nmaison en retentit.\nEt P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia se mit \u00e0 rire, et, aussit\u00f4t, elle dit \u00e0 Eumaios ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Va ! appelle cet \u00e9tranger devant moi. Ne vois-tu pas que mon \nfils a \u00e9ternu\u00e9 comme j\u2019achevais de parler ? Que la mort de tous \nles pr\u00e9tendants s\u2019accomplisse ainsi, et que nul d\u2019entre eux n\u2019\u00e9vite \nla k\u00e8r et la mort ! Mais je te dirai ceci ; retiens-le dans ton esprit : \nsi je reconnais que cet \u00e9tranger me dit la v\u00e9rit\u00e9, je lui donnerai de \nbeaux v\u00eatements, un manteau et une tunique.\nElle parla ainsi, et le porcher, l\u2019ayant entendue, s\u2019approcha d\u2019Odys -\nseus et lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 P\u00e8re \u00e9tranger, la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, la m\u00e8re de T\u00e8l\u00e9makhos, t\u2019ap -\npelle. Son \u00e2me lui ordonne de t\u2019interroger sur son mari, bien \nqu\u2019elle subisse beaucoup de douleurs. Si elle reconna\u00eet que tu lui \nas dit la v\u00e9rit\u00e9, elle te donnera un manteau et une tunique dont tu \nas grand besoin ; et tu demanderas ton pain parmi le peuple, et tu \nsatisferas ta faim, et chacun te donnera s\u2019il le veut.407\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eumaios, je dirai bient\u00f4t toute la v\u00e9rit\u00e9 \u00e0 la fille d\u2019Ikarios, la \ntr\u00e8s sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia. Je sais toute la destin\u00e9e d\u2019Odysseus, et nous \navons subi les m\u00eames maux. Mais je crains la multitude des pr\u00e9 -\ntendants insolents.\nLeur orgueil et leur violence sont mont\u00e9s jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Ouranos de \nfer. Voici qu\u2019un d\u2019entre eux, comme je traversais innocemment \nla salle, m\u2019ayant frapp\u00e9, m\u2019a fait un grand mal. Et T\u00e8l\u00e9makhos \nn\u2019y a point pris garde, ni aucun autre. Donc, maintenant, engage \nP\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, malgr\u00e9 sa h\u00e2te, \u00e0 attendre dans ses demeures jusqu\u2019\u00e0 \nla chute de H\u00e8lios. alors, tandis que je serai assis aupr\u00e8s du foyer, \nelle m\u2019interrogera sur le jour du retour de son mari. Je n\u2019ai que \ndes v\u00eatements en haillons ; tu le sais, puisque c\u2019est toi que j\u2019ai sup -\npli\u00e9 le premier.\nIl parla ainsi, et le porcher le quitta apr\u00e8s l\u2019avoir entendu. Et, d\u00e8s \nqu\u2019il parut sur le seuil, P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui dit :\n\u2013 Tu ne l\u2019am\u00e8nes pas, Eumaios ? Pourquoi refuse-t-il ? Craint-il \nquelque outrage, ou a-t-il honte ? La honte n\u2019est pas bonne \n\u00e0 l\u2019indigent.408CHaNT 17\nEt le porcher Eumaios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Il parle comme il convient et comme chacun pense. Il veut \u00e9viter \nl\u2019insolence des pr\u00e9tendants orgueilleux. Mais il te prie d\u2019attendre \njusqu\u2019au coucher de H\u00e8lios. Il te sera ainsi plus facile, \u00f4 reine, de \nparler seule \u00e0 cet \u00e9tranger et de l\u2019\u00e9couter.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Cet \u00e9tranger, quel qu\u2019il soit, ne semble point sans prudence ; et, \nen effet, aucun des plus injurieux parmi les hommes mortels n\u2019a \nm\u00e9dit\u00e9 plus d\u2019iniquit\u00e9s que ceux-ci.\nElle parla ainsi, et le divin porcher retourna dans l\u2019assembl\u00e9e \ndes pr\u00e9tendants, apr\u00e8s avoir tout dit. Et, penchant la t\u00eate vers \nT\u00e8l\u00e9makhos, afin que les autres ne l\u2019entendissent pas, il dit ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 ami, je pars, afin d\u2019aller garder tes porcs et veiller sur tes \nrichesses et les miennes. Ce qui est ici te regarde. Mais conserve-\ntoi et songe dans ton \u00e2me \u00e0 te pr\u00e9server. De nombreux akhaiens \nont de mauvais desseins, mais que Zeus les perde avant qu\u2019ils \nnous nuisent !409\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Il en sera ainsi, p\u00e8re. Mais pars avant la nuit. Reviens demain, au \nmatin, et am\u00e8ne les belles victimes. C\u2019est aux immortels et \u00e0 moi \nde nous inqui\u00e9ter de tout le reste.\nIl parla ainsi, et le porcher s\u2019assit de nouveau sur le si\u00e8ge poli, et l\u00e0 \nil contenta son \u00e2me en buvant et en mangeant ; puis, se h\u00e2tant de \nretourner vers ses porcs, il laissa les cours et la demeure pleines \nde convives qui se charmaient par la danse et le chant, car d\u00e9j\u00e0 le \nsoir \u00e9tait venu.410CHaNT 17411\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 18\nEt il vint un mendiant qui errait par la ville et qui mendiait dans \nIthak\u00e8. Et il \u00e9tait renomm\u00e9 par son ventre insatiable, car il man -\ngeait et buvait sans cesse ; mais il n\u2019avait ni force, ni courage, bien \nqu\u2019il f\u00fbt beau et grand. Il se nommait arnaios, et c\u2019\u00e9tait le nom \nque sa m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable lui avait donn\u00e9 \u00e0 sa naissance ; mais les \njeunes hommes le nommaient tous Iros, parce qu\u2019il faisait volon -\ntiers les messages, quand quelqu\u2019un le lui ordonnait. Et d\u00e8s qu\u2019il \nfut arriv\u00e9, il voulut chasser Odysseus de sa demeure, et, en l\u2019inju -\nriant, il lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Sors du portique, vieillard, de peur d\u2019\u00eatre tra\u00een\u00e9 aussit\u00f4t par \nles pieds. Ne comprends-tu pas que tous me font signe et m\u2019or -\ndonnent de te tra\u00eener dehors ? Cependant, j\u2019ai piti\u00e9 de toi. L\u00e8ve-\ntoi donc, de peur qu\u2019il y ait de la discorde entre nous et que nous \nen venions aux mains.\nEt le subtil Odysseus, le regardant d\u2019un oeil sombre, lui dit :\n\u2013 Malheureux ! Je ne te fais aucun mal, je ne te dis rien, et je ne t\u2019en -\nvie pas \u00e0 cause des nombreux dons que tu pourras recevoir. Ce 412CHaNT 18\nseuil nous servira \u00e0 tous deux. Il ne faut pas que tu sois envieux \nd\u2019un \u00e9tranger, car tu me sembles un vagabond comme moi, et ce \nsont les dieux qui distribuent les richesses. Ne me provoque donc \npas aux coups et n\u2019\u00e9veille pas ma col\u00e8re, de peur que je souille de \nsang ta poitrine et tes l\u00e8vres, bien que je sois vieux. Demain je \nn\u2019en serai que plus tranquille, et je ne pense pas que tu reviennes \napr\u00e8s cela dans la demeure du Laertiade Odysseus.\nEt le mendiant Iros, irrit\u00e9, lui dit :\n\u2013 \u00d4 dieux ! comme ce mendiant parle avec facilit\u00e9, semblable \u00e0 \nune vieille enfum\u00e9e. Mais je vais le maltraiter en le frappant des \ndeux mains, et je ferai tomber toutes ses dents de ses m\u00e2choires, \ncomme celles d\u2019un sanglier mangeur de moissons ! Maintenant, \nceins-toi, et que tous ceux-ci nous voient combattre. Mais com -\nment lutteras-tu contre un homme jeune ?\nainsi, devant les hautes portes, sur le seuil poli, ils se querellaient \nde toute leur \u00e2me. Et la force sacr\u00e9e d\u2019a ntinoos les entendit, et, se \nmettant \u00e0 rire, il dit aux pr\u00e9tendants :\n\u2013 \u00d4 amis ! jamais rien de tel n\u2019est arriv\u00e9. Quel plaisir un dieu nous \nenvoie dans cette demeure ! L \u2019\u00e9tranger et Iros se querellent et vont \nen venir aux coups. Mettons-les promptement aux mains.413\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, et tous se lev\u00e8rent en riant, et ils se r\u00e9unirent autour \ndes mendiants en haillons, et antinoos, fils d\u2019Eupeith\u00e8s, leur dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, illustres pr\u00e9tendants, afin que je parle. Des poi -\ntrines de ch\u00e8vres sont sur le feu, pour le repas, et pleines de sang \net de graisse. Celui qui sera vainqueur et le plus fort choisira la \npart qu\u2019il voudra. Il assistera toujours \u00e0 nos repas, et nous ne lais -\nserons aucun autre mendiant demander parmi nous.\nainsi parla antinoos, et ses paroles plurent \u00e0 tous. Mais le subtil \nOdysseus parla ainsi, plein de ruse :\n\u2013 \u00d4 amis, il n\u2019est pas juste qu\u2019un vieillard fl\u00e9tri par la douleur lutte \ncontre un homme jeune ; mais la faim, mauvaise conseill\u00e8re, me \npousse \u00e0 me faire couvrir de plaies. Cependant, jurez tous par un \ngrand serment qu\u2019aucun de vous, pour venir en aide \u00e0 Iros, ne me \nfrappera de sa forte main, afin que je sois dompt\u00e9.\nIl parla ainsi, et tous jur\u00e8rent comme il l\u2019avait demand\u00e9. Et la \nforce sacr\u00e9e de T\u00e8l\u00e9makhos lui dit :\n\u2013 \u00c9tranger, si ton c\u0153ur et ton \u00e2me courageuse t\u2019invitent \u00e0 chasser \ncet homme, ne crains aucun des akhaiens. Celui qui te frapperait 414CHaNT 18\naurait \u00e0 combattre contre plusieurs, car je t\u2019ai donn\u00e9 l\u2019hospitalit\u00e9, \net deux rois prudents, Eurymakhos et antinoos, m\u2019approuvent.\nIl parla ainsi, et tous l\u2019approuv\u00e8rent. Et Odysseus ceignit ses par -\nties viriles avec ses haillons, et il montra ses cuisses belles et \ngrandes, et ses larges \u00e9paules, et sa poitrine et ses bras robustes. \nEt ath\u00e8n\u00e8, s\u2019approchant de lui, augmenta les membres du prince \ndes peuples. Et tous les pr\u00e9tendants furent tr\u00e8s surpris, et ils se \ndirent les uns aux autres :\n\u2013 Certes, bient\u00f4t Iros ne sera plus Iros, et il aura ce qu\u2019il a cher -\nch\u00e9. Quelles cuisses montre ce vieillard en retirant ses haillons !\nIls parl\u00e8rent ainsi, et l\u2019\u00e2me de Iros fut troubl\u00e9e ; mais les serviteurs, \napr\u00e8s l\u2019avoir ceint de force, le conduisirent, et toute sa chair trem -\nblait sur ses os. Et antinoos le r\u00e9primanda et lui dit :\n\u2013 Puisses-tu n\u2019\u00eatre jamais n\u00e9, n\u2019\u00e9tant qu\u2019un fanfaron, puisque tu \ntrembles, plein de crainte, devant un vieillard fl\u00e9tri par la mis\u00e8re ! \nMais je te dis ceci, et ma parole s\u2019accomplira : si celui-ci est vain -\nqueur et le plus fort, je t\u2019enverrai sur la terre ferme, jet\u00e9 dans une \nnef noire, chez le roi \u00c9kh\u00e9tos, le plus f\u00e9roce de tous les hommes, \nqui te coupera le nez et les oreilles avec l\u2019airain tranchant, qui 415\nL\u2019ODYSS\u00c9Et\u2019arrachera les parties viriles et les donnera, sanglantes, \u00e0 d\u00e9vo -\nrer aux chiens.\nIl parla ainsi, et une plus grande terreur fit trembler la chair \nd\u2019Iros. Et on le conduisit au milieu, et tous deux lev\u00e8rent leurs \nbras. alors, le patient et divin Odysseus d\u00e9lib\u00e9ra s\u2019il le frapperait \nde fa\u00e7on \u00e0 lui arracher l\u2019\u00e2me d\u2019un seul coup, ou s\u2019il ne ferait que \nl\u2019\u00e9tendre contre terre. Et il jugea que ceci \u00e9tait le meilleur, de ne le \nfrapper que l\u00e9g\u00e8rement de peur que les akhaiens le reconnussent.\nTous deux ayant lev\u00e9 les bras, Iros le frappa \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite ; mais \nOdysseus le frappa au cou, sous l\u2019oreille, et brisa ses os, et un sang \nnoir emplit sa bouche, et il tomba dans la poussi\u00e8re en criant, et \nses dents furent arrach\u00e9es, et il battit la terre de ses pieds. Les pr\u00e9 -\ntendants insolents, les bras lev\u00e9s, mouraient de rire.\nMais Odysseus le tra\u00eena par un pied, \u00e0 travers le portique, jusque \ndans la cour et jusqu\u2019aux portes, et il l\u2019adossa contre le mur de la \ncour, lui mit un b\u00e2ton \u00e0 la main, et lui adressa ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Maintenant, reste l\u00e0, et chasse les chiens et les porcs, et ne te \ncrois plus le ma\u00eetre des \u00e9trangers et des mendiants, mis\u00e9rable ! de \npeur d\u2019un mal pire.416CHaNT 18\nIl parla ainsi, et, jetant sur son \u00e9paule sa pauvre besace pleine de \ntrous suspendue \u00e0 une courroie tordue, il revint s\u2019asseoir sur le \nseuil. Et tous les pr\u00e9tendants rentr\u00e8rent en riant, et ils lui dirent :\n\u2013 Que Zeus et les autres dieux immortels, \u00e9tranger, t\u2019accordent \nce que tu d\u00e9sires le plus et ce qui est cher \u00e0 ton c\u0153ur ! car tu \nemp\u00eaches cet insatiable de mendier. Nous l\u2019enverrons bient\u00f4t \nsur la terre ferme, chez le roi \u00c9kh\u00e9tos, le plus f\u00e9roce de tous \nles hommes.\nIls parlaient ainsi, et le divin Odysseus se r\u00e9jouit de leur v\u0153u. Et \nantinoos pla\u00e7a devant lui une large poitrine de ch\u00e8vre pleine de \nsang et de graisse. Et amphinomos prit dans une corbeille deux \npains qu\u2019il lui apporta, et, l\u2019honorant d\u2019une coupe d\u2019or, il lui dit :\n\u2013 Salut, p\u00e8re \u00c9tranger. Que la richesse que tu poss\u00e9dais te soit ren -\ndue, car, maintenant, tu es accabl\u00e9 de beaucoup de maux.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 amphinomos, tu me sembles plein de prudence, et tel que ton \np\u00e8re, car j\u2019ai appris par la renomm\u00e9e que Nisos \u00e9tait \u00e0 Doulikhios \nun homme honn\u00eate et riche. On dit que tu es n\u00e9 de lui, et tu \nsembles un homme sage. Je te dis ceci ; \u00e9coute et comprends-moi. 417\nL\u2019ODYSS\u00c9ERien n\u2019est plus mis\u00e9rable que l\u2019homme parmi tout ce qui respire \nou rampe sur la terre, et qu\u2019elle nourrit. Jamais, en effet, il ne croit \nque le malheur puisse l\u2019accabler un jour, tant que les dieux lui \nconservent la force et que ses genoux se meuvent ; mais quand \nles dieux heureux lui ont envoy\u00e9 les maux, il ne veut pas les subir \nd\u2019un c\u0153ur patient. Tel est l\u2019esprit des hommes terrestres, sem -\nblable aux jours changeants qu\u2019am\u00e8ne le p\u00e8re des hommes et des \ndieux. Moi aussi, autrefois, j\u2019\u00e9tais heureux parmi les guerriers, et \nj\u2019ai commis beaucoup d\u2019actions injustes, dans ma force et dans \nma violence, me fiant \u00e0 l\u2019aide de mon p\u00e8re et de mes fr\u00e8res. C\u2019est \npourquoi qu\u2019aucun homme ne soit inique, mais qu\u2019il accepte en \nsilence les dons des dieux. Je vois les pr\u00e9tendants, pleins de pen -\ns\u00e9es iniques, consumant les richesses et outrageant la femme \nd\u2019un homme qui, je le dis, ne sera pas longtemps \u00e9loign\u00e9 de ses \namis et de la terre de la patrie. Qu\u2019un daim\u00f4n te ram\u00e8ne dans ta \ndemeure, de peur qu\u2019il te rencontre quand il reviendra dans la \nch\u00e8re terre de la patrie. Ce ne sera pas, en effet, sans carnage, que \ntout se d\u00e9cidera entre les pr\u00e9tendants et lui, quand il reviendra \ndans ses demeures.\nIl parla ainsi, et, faisant une libation, il but le vin doux et remit la \ncoupe entre les mains du prince des peuples. Et celui-ci, le c\u0153ur \nd\u00e9chir\u00e9 et secouant la t\u00eate, allait \u00e0 travers la salle, car, en effet, \nson \u00e2me pr\u00e9voyait des malheurs. Mais cependant il ne devait pas 418CHaNT 18\n\u00e9viter la k\u00e8r, et ath\u00e8n\u00e8 l\u2019emp\u00eacha de partir, afin qu\u2019il f\u00fbt tu\u00e9 par \nles mains et par la lance de T\u00e8l\u00e9makhos. Et il alla s\u2019asseoir de nou -\nveau sur le thr\u00f4ne d\u2019o\u00f9 il s\u2019\u00e9tait lev\u00e9.\nalors, la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs mit dans l\u2019esprit de la fille \nd\u2019Ikarios, de la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, d\u2019appara\u00eetre aux pr\u00e9ten -\ndants, afin que leur c\u0153ur f\u00fbt transport\u00e9, et qu\u2019elle-m\u00eame f\u00fbt plus \nhonor\u00e9e encore par son mari et par son fils. P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia se mit \ndonc \u00e0 rire l\u00e9g\u00e8rement, et elle dit :\n\u2013 Eurynom\u00e8, voici que mon \u00e2me m\u2019excite maintenant \u00e0 appara\u00eetre \naux pr\u00e9tendants odieux. Je dirai \u00e0 mon fils une parole qui lui sera \ntr\u00e8s utile. Je lui conseillerai de ne point se m\u00ealer aux pr\u00e9tendants \ninsolents qui lui parlent avec amiti\u00e9 et m\u00e9ditent sa mort.\nEt Eurynom\u00e8 l\u2019intendante lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, ce que tu dis est sage ; fais-le. Donne ce conseil \u00e0 ton \nfils, et ne lui cache rien. Lave ton corps et parfume tes joues avec \nde l\u2019huile, et ne sors pas avec un visage sillonn\u00e9 de larmes, car \nrien n\u2019est pire que de pleurer continuellement. En effet, ton fils est \nmaintenant tel que tu suppliais ardemment les dieux qu\u2019il devint.419\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eurynom\u00e8, ne me parle point, tandis que je g\u00e9mis, de laver et de \nparfumer mon corps. Les dieux qui habitent l\u2019Olympos m\u2019ont ravi \nma splendeur, du jour o\u00f9 Odysseus est parti sur ses nefs creuses. \nMais ordonne \u00e0 autono\u00e8 et \u00e0 Hippodamia de venir, afin de m\u2019ac -\ncompagner dans les demeures. Je ne veux point aller seule au \nmilieu des hommes, car j\u2019en aurais honte.\nElle parla ainsi, et la vieille femme sortit de la maison afin d\u2019aver -\ntir les servantes et qu\u2019elles vinssent \u00e0 la h\u00e2te.\nEt, alors, la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs eut une autre pens\u00e9e, \net elle r\u00e9pandit le doux sommeil sur la fille d\u2019Ikarios. Et celle-ci \ns\u2019endormit, pench\u00e9e en arri\u00e8re, et sa force l\u2019abandonna sur le lit \nde repos. Et, alors, la noble d\u00e9esse lui fit des dons immortels, afin \nqu\u2019elle f\u00fbt admir\u00e9e des akhaiens. Elle purifia son visage avec de \nl\u2019ambroisie, de m\u00eame que Kyth\u00e9r\u00e9ia \u00e0 la belle couronne se par -\nfume, quand elle se rend aux ch\u0153urs charmants des Kharites. Elle \nla fit para\u00eetre plus grande, plus majestueuse, et elle la rendit plus \nblanche que l\u2019ivoire r\u00e9cemment travaill\u00e9. Cela fait, la noble d\u00e9esse \ns\u2019\u00e9loigna, et les deux servantes aux bras blancs, ayant \u00e9t\u00e9 appel\u00e9es, 420CHaNT 18\narriv\u00e8rent de la maison, et le doux sommeil quitta P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia. Et \nelle pressa ses joues avec ses mains, et elle s\u2019\u00e9cria :\n\u2013 Certes, malgr\u00e9 mes peines, le doux sommeil m\u2019a envelopp\u00e9e. \nPuisse la chaste art\u00e9mis m\u2019envoyer une mort aussi douce ! Je ne \nconsumerais plus ma vie \u00e0 g\u00e9mir dans mon c\u0153ur, regrettant mon \ncher mari qui avait toutes les vertus et qui \u00e9tait le plus illustre \ndes a khaiens.\nayant ainsi parl\u00e9, elle descendit des chambres splendides. Et elle \nn\u2019\u00e9tait point seule, car deux servantes la suivaient. Et quand la \ndivine femme arriva aupr\u00e8s des pr\u00e9tendants, elle s\u2019arr\u00eata sur le \nseuil de la salle richement orn\u00e9e, ayant un beau voile sur les joues. \nEt les servantes prudentes se tenaient \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s. Et les genoux \ndes pr\u00e9tendants furent rompus, et leur c\u0153ur fut transport\u00e9 par \nl\u2019amour, et ils d\u00e9siraient ardemment dormir avec elle dans leurs \nlits. Mais elle dit \u00e0 son fils T\u00e8l\u00e9makhos :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, ton esprit n\u2019est pas ferme, ni ta pens\u00e9e. Quand tu \n\u00e9tais encore enfant, tu avais des pens\u00e9es plus s\u00e9rieuses ; mais, \naujourd\u2019hui que tu es grand et parvenu au terme de la pubert\u00e9, \net que chacun dit que tu es le fils d\u2019un homme heureux, et que \nl\u2019\u00e9tranger admire ta grandeur et ta beaut\u00e9, ton esprit n\u2019est plus \n\u00e9quitable, ni ta pens\u00e9e. Comment as-tu permis qu\u2019une telle action 421\nL\u2019ODYSS\u00c9Emauvaise ait \u00e9t\u00e9 commise dans tes demeures et qu\u2019un h\u00f4te ait \u00e9t\u00e9 \nainsi outrag\u00e9 ? Qu\u2019arrivera-t-il donc, si un \u00e9tranger assis dans nos \ndemeures souffre un tel outrage ? La honte et l\u2019opprobre seront \npour toi parmi les hommes.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ma m\u00e8re, je ne te bl\u00e2me point de t\u2019irriter ; mais je comprends \net je sais dans mon \u00e2me ce qui est juste ou injuste. Il y a peu de \ntemps j\u2019\u00e9tais encore enfant, et je ne puis avoir une \u00e9gale pru -\ndence en toute chose. Ces hommes, assis les uns aupr\u00e8s des autres, \nm\u00e9ditent ma perte et je n\u2019ai point de soutiens. Mais le combat de \nl\u2019\u00e9tranger et d\u2019Iros ne s\u2019est point termin\u00e9 selon le d\u00e9sir des pr\u00e9 -\ntendants, et notre h\u00f4te l\u2019a emport\u00e9 par sa force. Plaise au p\u00e8re \nZeus, \u00e0 ath\u00e8n\u00e8, \u00e0 apoll\u00f4n, que les pr\u00e9tendants, dompt\u00e9s dans nos \ndemeures, courbent bient\u00f4t la t\u00eate, les uns sous le portique, les \nautres dans la demeure, et que leurs forces soient rompues ; de \nm\u00eame qu\u2019Iros est assis devant les portes ext\u00e9rieures, baissant la \nt\u00eate comme un homme ivre et ne pouvant ni se tenir debout, ni \nrevenir \u00e0 sa place accoutum\u00e9e, parce que ses forces sont rompues.422CHaNT 18\nEt ils se parlaient ainsi. Eurymakhos dit \u00e0 P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia :\n\u2013 Fille d\u2019Ikarios, sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, si tous les akhaiens de l\u2019a rgos \nd\u2019Iasos te voyaient, demain, d\u2019autres nombreux pr\u00e9tendants vien -\ndraient s\u2019asseoir \u00e0 nos repas dans ces demeures, car tu l\u2019emportes \nsur toutes les femmes par la beaut\u00e9, la majest\u00e9 et l\u2019intelligence.\nEt la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eurymakhos, certes, les immortels m\u2019ont enlev\u00e9 ma vertu et ma \nbeaut\u00e9 depuis que les argiens sont partis pour Ilios, et qu\u2019Odys -\nseus est parti avec eux ; mais s\u2019il revenait et gouvernait ma vie, ma \nrenomm\u00e9e serait meilleure et je serais plus belle. Maintenant je \nsuis afflig\u00e9e, tant un daim\u00f4n ennemi m\u2019a envoy\u00e9 de maux. Quand \nOdysseus quitta la terre de la patrie, il me prit la main droite et \nil me dit :\n\u2013 \u00d4 femme, je ne pense pas que les akhaiens aux belles kn\u00e8mides \nreviennent tous sains et saufs de Troi\u00e8. On dit, en effet, que les \nTroiens sont de braves guerriers, lanceurs de piques et de fl\u00e8ches, \net bons conducteurs de chevaux rapides qui d\u00e9cident prompte -\nment de la victoire dans la m\u00eal\u00e9e du combat furieux. Donc, je \nne sais si un dieu me sauvera, ou si je mourrai l\u00e0, devant Troi\u00e8. \nMais toi, prends soin de toute chose, et souviens-toi, dans mes 423\nL\u2019ODYSS\u00c9Edemeures, de mon p\u00e8re et de ma m\u00e8re, comme maintenant, et \nplus encore quand je serai absent. Puis, quand tu verras ton fils \narriv\u00e9 \u00e0 la pubert\u00e9, \u00e9pouse celui que tu choisiras et abandonne \nta demeure. Il parla ainsi, et toutes ces choses sont accomplies, et \nla nuit viendra o\u00f9 je subirai d\u2019odieuses noces, car Zeus m\u2019a ravi \nle bonheur. Cependant, une douleur am\u00e8re a saisi mon c\u0153ur et \nmon \u00e2me, et vous ne suivez pas la coutume ancienne des pr\u00e9ten -\ndants. Ceux qui voulaient \u00e9pouser une noble femme, fille d\u2019un \nhomme riche, et qui se la disputaient, amenaient dans sa demeure \ndes b\u0153ufs et de grasses brebis, et ils offraient \u00e0 la jeune fille des \nrepas et des pr\u00e9sents splendides, et ils ne d\u00e9voraient pas impun\u00e9 -\nment les biens d\u2019autrui.\nElle parla ainsi, et le patient et divin Odysseus se r\u00e9jouit parce \nqu\u2019elle attirait leurs pr\u00e9sents et charmait leur \u00e2me par de douces \nparoles, tandis qu\u2019elle avait d\u2019autres pens\u00e9es.\nEt antinoos, fils d\u2019Eupeith\u00e8s, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Fille d\u2019Ikarios, sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, accepte les pr\u00e9sents que chacun \ndes akhaiens voudra apporter ici. Il n\u2019est pas convenable de refu -\nser des pr\u00e9sents, et nous ne retournerons point \u00e0 nos travaux et \nnous ne ferons aucune autre chose avant que tu aies \u00e9pous\u00e9 celui \ndes akhaiens que tu pr\u00e9f\u00e9reras.424CHaNT 18\nantinoos parla ainsi, et ses paroles furent approuv\u00e9es de tous. \nEt chacun envoya un h\u00e9raut pour apporter les pr\u00e9sents. Et celui \nd\u2019antinoos apporta un tr\u00e8s beau p\u00e9plos aux couleurs vari\u00e9es \net orn\u00e9 de douze anneaux d\u2019or o\u00f9 s\u2019attachaient autant d\u2019agrafes \nrecourb\u00e9es. Et celui d\u2019Eurymakhos apporta un riche collier d\u2019or \net d\u2019ambre \u00e9tincelant, et semblable \u00e0 H\u00e8lios. Et les deux serviteurs \nd\u2019Eurydamas des boucles d\u2019oreilles merveilleuses et bien travail -\nl\u00e9es et resplendissantes de gr\u00e2ce. Et le serviteur de Peisandros \nPolyktoride apporta un collier, tr\u00e8s riche ornement. Et les h\u00e9rauts \napport\u00e8rent aux autres akhaiens d\u2019aussi beaux pr\u00e9sents. Et la \nnoble femme remonta dans les chambres hautes, tandis que les \nservantes portaient ces pr\u00e9sents magnifiques.\nMais les pr\u00e9tendants rest\u00e8rent jusqu\u2019\u00e0 ce que le soir f\u00fbt venu, se \ncharmant par la danse et le chant. Et le soir sombre survint tan -\ndis qu\u2019ils se charmaient ainsi. aussit\u00f4t, ils dress\u00e8rent trois lampes \ndans les demeures, afin d\u2019en \u00eatre \u00e9clair\u00e9s, et ils dispos\u00e8rent, autour, \ndu bois depuis fort longtemps dess\u00e9ch\u00e9 et r\u00e9cemment fendu \u00e0 \nl\u2019aide de l\u2019airain. Puis ils enduisirent les torches. Et les servantes \ndu subtil Odysseus les allumaient tour \u00e0 tour ; mais le patient et \ndivin Odysseus leur dit :\n\u2013 Servantes du roi Odysseus depuis longtemps absent, rentrez \ndans la demeure o\u00f9 est la reine v\u00e9n\u00e9rable. R\u00e9jouissez-la, assises 425\nL\u2019ODYSS\u00c9Edans la demeure ; tournez les fuseaux et pr\u00e9parez les laines. Seul \nj\u2019allumerai ces torches pour les \u00e9clairer tous. Et, m\u00eame s\u2019ils vou -\nlaient attendre la brillante \u00c9\u00f4s, ils ne me lasseraient point, car je \nsuis plein de patience.\nIl parla ainsi, et les servantes se mirent \u00e0 rire, se regardant les unes \nles autres. Et M\u00e9lanth\u00f4 aux belles joues lui r\u00e9pondit injurieuse -\nment. Dolios l\u2019avait engendr\u00e9e, et P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia l\u2019avait nourrie et \n\u00e9lev\u00e9e comme sa fille et entour\u00e9e de d\u00e9lices ; mais elle ne prenait \npoint part \u00e0 la douleur de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, et elle s\u2019\u00e9tait unie d\u2019amour \n\u00e0 Eurymakhos, et elle l\u2019aimait ; et elle adressa ces paroles inju -\nrieuses \u00e0 Odysseus :\n\u2013 Mis\u00e9rable \u00e9tranger, tu es priv\u00e9 d\u2019intelligence, puisque tu ne veux \npas aller dormir dans la demeure de quelque ouvrier, ou dans \nquelque bouge, et puisque tu dis ici de vaines paroles au milieu \nde nombreux h\u00e9ros et sans rien craindre.\nCertes, le vin te trouble l\u2019esprit, ou il est toujours tel, et tu ne pro -\nnonces que de vaines paroles. Peut-\u00eatre es-tu fier d\u2019avoir vaincu \nle vagabond Iros ? Mais crains qu\u2019un plus fort qu\u2019Iros se l\u00e8ve bien -\nt\u00f4t, qui t\u2019accablera de ses mains robustes et qui te chassera d\u2019ici \nsouill\u00e9 de sang.426CHaNT 18\nEt le subtil Odysseus, la regardant d\u2019un oeil sombre, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Chienne ! je vais r\u00e9p\u00e9ter \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos ce que tu oses dire, afin \nqu\u2019ici m\u00eame il te coupe en morceaux !\nIl parla ainsi, et il \u00e9pouvanta les servantes ; et elles s\u2019enfuirent \u00e0 tra -\nvers la demeure, tremblantes de terreur et croyant qu\u2019il disait vrai. \nEt il alluma les torches, se tenant debout et les surveillant toutes ; \nmais il m\u00e9ditait dans son esprit d\u2019autres desseins qui devaient \ns\u2019accomplir. Et ath\u00e8n\u00e8 ne permit pas que les pr\u00e9tendants inso -\nlents cessassent de l\u2019outrager, afin que la col\u00e8re entr\u00e2t plus avant \ndans le c\u0153ur du Laertiade Odysseus. alors, Eurymakhos, fils \nde Polybos, commen\u00e7a de railler Odysseus, excitant le rire de \nses compagnons :\n\u2013 Ecoutez-moi, pr\u00e9tendants de l\u2019illustre reine, afin que je dise ce \nque mon c\u0153ur m\u2019ordonne dans ma poitrine. Cet homme n\u2019est pas \nvenu dans la demeure d\u2019Odysseus sans qu\u2019un dieu l\u2019ait voulu. La \nsplendeur des torches me semble sortir de son corps et de sa t\u00eate, \no\u00f9 il n\u2019y a plus absolument de cheveux.427\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, et il dit au destructeur de citadelles Odysseus :\n\u2013 \u00c9tranger, si tu veux servir pour un salaire, je t\u2019emm\u00e8nerai \u00e0 l\u2019ex -\ntr\u00e9mit\u00e9 de mes champs. Ton salaire sera suffisant. Tu r\u00e9pareras \nles haies et tu planteras les arbres. Je te donnerai une nourriture \nabondante, des v\u00eatements et des sandales. Mais tu ne sais faire \nque le mal ; tu ne veux point travailler, et tu aimes mieux mendier \nparmi le peuple afin de satisfaire ton ventre insatiable.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eurymakhos, pl\u00fbt aux dieux que nous pussions lutter en tra -\nvaillant, au printemps, quand les jours sont longs, promenant, \ntous deux \u00e0 jeun, la faux recourb\u00e9e dans un pr\u00e9, et jusqu\u2019au soir, \ntant qu\u2019il y aura de l\u2019herbe \u00e0 couper ! Pl\u00fbt aux dieux que j\u2019eusse \n\u00e0 conduire deux grands b\u0153ufs gras, rassasi\u00e9s de fourrage, et de \nforce \u00e9gale, dans un vaste champ de quatre arpents ! Tu verrais \nalors si je saurais tracer un profond sillon et faire ob\u00e9ir la gl\u00e8be \u00e0 \nla charrue. Si le Kroni\u00f4n excitait une guerre, aujourd\u2019hui m\u00eame, \net si j\u2019avais un bouclier, deux lances, et un casque d\u2019airain autour \ndes tempes, tu me verrais alors m\u00eal\u00e9 aux premiers combattants et \ntu ne m\u2019outragerais plus en me raillant parce que j\u2019ai faim. Mais tu \nm\u2019outrages dans ton insolence, et ton esprit est cruel, et tu te crois \ngrand et brave parce que tu es m\u00eal\u00e9 \u00e0 un petit nombre de l\u00e2ches. 428CHaNT 18\nMais si Odysseus revenait et abordait la terre de la patrie, aussit\u00f4t \nces larges portes seraient trop \u00e9troites pour ta fuite, tandis que tu \nte sauverais hors du portique.\nIl parla ainsi, et Eurymakhos fut tr\u00e8s irrit\u00e9 dans son c\u0153ur, et, le \nregardant d\u2019un oeil sombre, il dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 ah ! mis\u00e9rable, certes je vais t\u2019accabler de maux, puisque tu pro -\nnonces de telles paroles au milieu de nombreux h\u00e9ros, et sans \nrien craindre. Certes, le vin te trouble l\u2019esprit, ou il est toujours tel, \net c\u2019est pour cela que tu prononces de vaines paroles. Peut-\u00eatre \nes-tu fier parce que tu as vaincu le mendiant Iros ?\nComme il parlait ainsi, il saisit un escabeau ; mais Odysseus s\u2019as -\nsit aux genoux d\u2019a mphinomos de Doulikhios pour \u00e9chapper \u00e0 \nEurymakhos, qui atteignit \u00e0 la main droite l\u2019enfant qui portait \u00e0 \nboire, et l\u2019urne tomba en r\u00e9sonnant, et lui-m\u00eame, g\u00e9missant, se \nrenversa dans la poussi\u00e8re. Et les pr\u00e9tendants, en tumulte dans les \ndemeures sombres, se disaient les uns aux autres :\n\u2013 Pl\u00fbt aux dieux que cet \u00e9tranger errant e\u00fbt p\u00e9ri ailleurs et ne f\u00fbt \npoint venu nous apporter tant de trouble ! Voici que nous nous \nquerellons pour un mendiant, et que la joie de nos repas est \nd\u00e9truite parce que le mal l\u2019emporte !429\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la force sacr\u00e9e de T\u00e8l\u00e9makhos leur dit :\n\u2013 Malheureux, vous devenez insens\u00e9s. Ne mangez ni ne buvez \ndavantage, car quelque dieu vous excite. allez dormir, rassasi\u00e9s, \ndans vos demeures, quand votre c\u0153ur vous l\u2019ordonnera, car je ne \ncontrains personne.\nIl parla ainsi, et tous se mordirent les l\u00e8vres, admirant T\u00e8l\u00e9makhos \nparce qu\u2019il avait parl\u00e9 avec audace.\nalors, amphinomos, l\u2019illustre fils du roi Nisos ar\u00e8tiade, leur dit :\n\u2013 \u00d4 amis, qu\u2019aucun ne r\u00e9ponde par des paroles irrit\u00e9es \u00e0 cette \njuste r\u00e9primande. Ne frappez ni cet \u00e9tranger, ni aucun des ser -\nviteurs qui sont dans la maison du divin Odysseus. allons ! que \nle verseur de vin distribue les coupes, afin que nous fassions des \nlibations et que nous allions dormir dans nos demeures. Laissons \ncet \u00e9tranger ici, aux soins de T\u00e8l\u00e9makhos qui l\u2019a re\u00e7u dans sa \nch\u00e8re demeure.\nIl parla ainsi, et ses paroles furent approuv\u00e9es de tous. Et le h\u00e9ros \nMoulios, h\u00e9raut de Doulikhios et serviteur d\u2019 amphinomos, m\u00eala \nle vin dans le krat\u00e8re et le distribua comme il convenait. Et tous \nfirent des libations aux dieux heureux et burent le vin doux. Et, 430CHaNT 18\napr\u00e8s avoir fait des libations et bu autant que leur \u00e2me le d\u00e9sirait, \nils se h\u00e2t\u00e8rent d\u2019aller dormir, chacun dans sa demeure.431\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 19\nMais le divin Odysseus resta dans la demeure, m\u00e9ditant avec \nath\u00e8n\u00e8 la mort des pr\u00e9tendants. Et, aussit\u00f4t, il dit \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos \nces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, il faut transporter toutes les armes guerri\u00e8res hors \nde la salle, et, quand les pr\u00e9tendants te les demanderont, les trom -\nper par ces douces paroles : \u2013 \u2018Je les ai mises \u00e0 l\u2019abri de la fum\u00e9e, car \nelles ne sont pas telles qu\u2019elles \u00e9taient autrefois, quand Odysseus \nles laissa \u00e0 son d\u00e9part pour Troi\u00e8 ; mais elles sont souill\u00e9es par \nla grande vapeur du feu. Puis, le Kroni\u00f4n m\u2019a inspir\u00e9 une autre \npens\u00e9e meilleure, et je crains qu\u2019excit\u00e9s par le vin, et une querelle \ns\u2019\u00e9levant parmi vous, vous vous blessiez les uns les autres et vous \nsouilliez le repas et vos noces futures, car le fer attire l\u2019homme.\nIl parla ainsi, et T\u00e8l\u00e9makhos ob\u00e9it \u00e0 son cher p\u00e8re et, ayant appel\u00e9 \nla nourrice Eurykl\u00e9ia, il lui dit :\n\u2013 Nourrice, enferme les femmes dans les demeures, jusqu\u2019\u00e0 ce que \nj\u2019aie transport\u00e9 dans la chambre nuptiale les belles armes de mon \np\u00e8re, qui ont \u00e9t\u00e9 n\u00e9glig\u00e9es et que la fum\u00e9e a souill\u00e9es pendant 432CHaNT 19\nl\u2019absence de mon p\u00e8re, car j\u2019\u00e9tais encore enfant. Maintenant, je \nveux les transporter l\u00e0 o\u00f9 la vapeur du feu n\u2019ira pas.\nEt la ch\u00e8re nourrice Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Plaise aux dieux, mon enfant, que tu aies toujours la prudence \nde prendre soin de la maison et de conserver toutes tes richesses ! \nMais qui t\u2019accompagnera en portant une lumi\u00e8re, puisque tu ne \nveux pas que les servantes t\u2019\u00e9clairent ?\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ce sera cet \u00e9tranger. Je ne le laisserai pas sans rien faire, puisqu\u2019il \na mang\u00e9 \u00e0 ma table, bien qu\u2019il vienne de loin.\nIl parla ainsi, et sa parole ne fut point vaine. Et Eurykl\u00e9ia ferma \nles portes des grandes demeures. Puis, Odysseus et son illustre \nfils se h\u00e2t\u00e8rent de transporter les casques, les boucliers bomb\u00e9s \net les lances aigu\u00ebs. Et Pallas ath\u00e8n\u00e8 portant devant eux une lan -\nterne d\u2019or, les \u00e9clairait vivement ; et, alors, T\u00e8l\u00e9makhos dit aussi -\nt\u00f4t \u00e0 son p\u00e8re :\n\u2013 \u00d4 p\u00e8re, certes, je vois de mes yeux un grand prodige ! Voici \nque les murs de la demeure, et ses belles poutres, et ses solives 433\nL\u2019ODYSS\u00c9Ede sapin, et ses hautes colonnes, brillent comme un feu ardent. \nCertes, un des dieux qui habitent le large Ouranos est entr\u00e9 ici.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Tais-toi, et retiens ton esprit, et ne m\u2019interroge pas. Telle est la \ncoutume des dieux qui habitent l\u2019Olympos. Toi, va dormir.\nJe resterai ici, afin d\u2019\u00e9prouver les servantes et ta m\u00e8re. Dans sa \ndouleur elle va m\u2019interroger sur beaucoup de choses.\nIl parla ainsi, et T\u00e8l\u00e9makhos sortit de la salle, et il monta, \u00e9clair\u00e9 \npar les torches flambantes, dans la chambre o\u00f9 il avait coutume \nde dormir. L\u00e0, il s\u2019endormit, en attendant le matin ; et le divin \nOdysseus resta dans la demeure, m\u00e9ditant avec ath\u00e8n\u00e8 la mort \ndes pr\u00e9tendants.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, semblable \u00e0 art\u00e9mis ou \u00e0 aphrodit\u00e8 \nd\u2019or, sortit de sa chambre nuptiale. Et les servantes plac\u00e8rent pour \nelle, devant le feu, le thr\u00f4ne o\u00f9 elle s\u2019asseyait. Il \u00e9tait d\u2019ivoire et \nd\u2019argent, et travaill\u00e9 au tour. Et c\u2019\u00e9tait l\u2019ouvrier Ikmalios qui l\u2019avait \nfait autrefois, ainsi qu\u2019un escabeau pour appuyer les pieds de la \nreine, et qui \u00e9tait recouvert d\u2019une grande peau. Ce fut l\u00e0 que s\u2019as -\nsit la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia.434CHaNT 19\nalors, les femmes aux bras blancs vinrent de la demeure, et elles \nemport\u00e8rent les pains nombreux, et les tables, et les coupes dans \nlesquelles les pr\u00e9tendants insolents avaient bu. Et elles jet\u00e8rent \u00e0 \nterre le feu des torches, et elles amass\u00e8rent, par-dessus, du bois \nqui devait les \u00e9clairer et les chauffer. Et, alors, M\u00e9lanth\u00f4 injuria \nde nouveau Odysseus :\n\u2013 \u00c9tranger, te voil\u00e0 encore qui erres dans la demeure, \u00e9piant les \nfemmes ! Sors d\u2019ici, mis\u00e9rable, apr\u00e8s t\u2019\u00eatre rassasi\u00e9, ou je te frap -\nperai de ce tison !\nEt le sage Odysseus, la regardant d\u2019un oeil sombre, lui dit :\n\u2013 Malheureuse ! pourquoi m\u2019outrager avec fureur ? Est-ce parce \nque je suis v\u00eatu de haillons et que je mendie parmi le peuple, \ncomme la n\u00e9cessit\u00e9 m\u2019y contraint ? Tels sont les mendiants et les \nvagabonds. Et moi aussi, autrefois, j\u2019\u00e9tais heureux, et j\u2019habitais une \nriche demeure, et je donnais aux vagabonds, quels qu\u2019ils fussent \net quels que fussent leurs besoins. Et j\u2019avais de nombreux servi -\nteurs et tout ce qui rend heureux et fait appeler un homme riche ; \nmais le Kroni\u00f4n Zeus m\u2019a tout enlev\u00e9, le voulant ainsi. C\u2019est pour -\nquoi, femme, crains de perdre un jour la beaut\u00e9 dont tu es orn\u00e9e \nparmi les servantes ; crains que ta ma\u00eetresse irrit\u00e9e te punisse, ou \nqu\u2019Odysseus revienne, car tout espoir n\u2019est pas perdu. Mais s\u2019il a 435\nL\u2019ODYSS\u00c9Ep\u00e9ri, et s\u2019il ne doit plus revenir, son fils T\u00e8l\u00e9makhos le remplace \npar la volont\u00e9 d\u2019a poll\u00f4n, et rien de ce que font les femmes dans \nles demeures ne lui \u00e9chappera, car rien n\u2019est plus au-dessus de \nson \u00e2ge.\nIl parla ainsi, et la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, l\u2019ayant entendu, r\u00e9pri -\nmanda sa servante et lui dit :\n\u2013 Chienne audacieuse, tu ne peux me cacher ton insolence effron -\nt\u00e9e que tu payeras de ta t\u00eate, car tu sais bien, m\u2019ayant entendue \ntoi-m\u00eame, que je veux, \u00e9tant tr\u00e8s afflig\u00e9e, interroger cet \u00e9tranger \nsur mon mari.\nElle parla ainsi, et elle dit \u00e0 l\u2019intendante Eurynom\u00e8 :\n\u2013 Eurynom\u00e8, approche un si\u00e8ge et recouvre-le d\u2019une peau afin \nque cet \u00e9tranger, s\u2019\u00e9tant assis, m\u2019\u00e9coute et me r\u00e9ponde, car je \nveux l\u2019interroger.436CHaNT 19\nElle parla ainsi, et Eurynom\u00e8 approcha \u00e0 la h\u00e2te un si\u00e8ge poli \nqu\u2019elle recouvrit d\u2019une peau, et le patient et divin Odysseus s\u2019y \nassit, et la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui dit :\n\u2013 \u00c9tranger, je t\u2019interrogerai d\u2019abord sur toi-m\u00eame. Qui es-tu ? D\u2019o\u00f9 \nviens-tu ? O\u00f9 sont ta ville et tes parents ?\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 femme, aucune des mortelles qui sont sur la terre immense ne \nte vaut, et, certes, ta gloire est parvenue jusqu\u2019au large Ouranos, \ntelle que la gloire d\u2019un roi irr\u00e9prochable qui, v\u00e9n\u00e9rant les dieux, \ncommande \u00e0 de nombreux et braves guerriers et r\u00e9pand la justice. \nEt par lui la terre noire produit l\u2019orge et le bl\u00e9, et les arbres sont \nlourds de fruits, et les troupeaux multiplient, et la mer donne des \npoissons, et, sous ses lois \u00e9quitables, les peuples sont heureux et \njustes. C\u2019est pourquoi, maintenant, dans ta demeure, demande-\nmoi toutes les autres choses, mais non ma race et ma patrie. \nN\u2019emplis pas ainsi mon \u00e2me de nouvelles douleurs en me faisant \nsouvenir, car je suis tr\u00e8s afflig\u00e9, et je ne veux pas pleurer et g\u00e9mir \ndans une maison \u00e9trang\u00e8re, car il est honteux de pleurer toujours. \nPeut-\u00eatre qu\u2019une de tes servantes m\u2019outragerait, ou que tu t\u2019irri -\nterais toi-m\u00eame, disant que je pleure ainsi ayant l\u2019esprit troubl\u00e9 \npar le vin.437\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00c9tranger, certes, les dieux m\u2019ont ravi ma vertu et ma beaut\u00e9 du \njour o\u00f9 les argiens sont partis pour Ilios, et, avec eux, mon mari \nOdysseus. S\u2019il revenait et gouvernait ma vie, ma gloire serait plus \ngrande et plus belle. Mais, maintenant, je g\u00e9mis, tant un daim\u00f4n \nfuneste m\u2019a accabl\u00e9e de maux. Voici que ceux qui dominent dans \nles \u00eeles, \u00e0 Doulikhios, \u00e0 Sam\u00e8, \u00e0 Zakynthos couverte de bois, et \nceux qui habitent l\u2019\u00e2pre Ithak\u00e8 elle-m\u00eame, tous me recherchent \nmalgr\u00e9 moi et ruinent ma maison. Et je ne prends plus soin des \n\u00e9trangers, ni des suppliants, ni des h\u00e9rauts qui agissent en public ; \nmais je regrette Odysseus et je g\u00e9mis dans mon cher c\u0153ur. Et les \npr\u00e9tendants h\u00e2tent mes noces, et je m\u00e9dite des ruses. Et, d\u2019abord, \nun dieu m\u2019inspira de tisser dans mes demeures une grande toile, \nlarge et fine, et je leur dis aussit\u00f4t : \u2013 Jeunes hommes, mes pr\u00e9 -\ntendants, puisque le divin Odysseus est mort, cessez de h\u00e2ter mes \nnoces, jusqu\u2019\u00e0 ce que j\u2019aie achev\u00e9, pour que mes fils ne restent pas \ninutiles, ce linceul du h\u00e9ros Laert\u00e8s, quand la moire mauvaise, \nde la mort inexorable l\u2019aura saisi, afin qu\u2019aucune des femmes \nakhaiennes ne puisse me reprocher devant tout le peuple qu\u2019un \nhomme qui a poss\u00e9d\u00e9 tant de biens ait \u00e9t\u00e9 enseveli sans linceul. \u2019 \u2013 \nJe parlai ainsi, et leur c\u0153ur g\u00e9n\u00e9reux fut persuad\u00e9 ; et alors, pen -\ndant le jour, je tissais la grande toile, et pendant la nuit, ayant \nallum\u00e9 des torches, je la d\u00e9faisais.438CHaNT 19\nainsi, pendant trois ans, je cachai ma ruse et trompai les akhaiens ; \nmais quand vint la quatri\u00e8me ann\u00e9e, et quand les saisons recom -\nmenc\u00e8rent, apr\u00e8s le cours des mois et des jours nombreux, alors \navertis par mes chiennes de servantes, ils me surprirent et me \nmenac\u00e8rent, et, contre ma volont\u00e9, je fus contrainte d\u2019achever ma \ntoile. Et, maintenant, je ne puis plus \u00e9viter mes noces, ne trouvant \nplus aucune ruse. Et mes parents m\u2019exhortent \u00e0 me marier, et mon \nfils supporte avec peine que ceux-ci d\u00e9vorent ses biens, auxquels \nil tient ; car c\u2019est aujourd\u2019hui un homme, et il peut prendre soin \nde sa maison, et Zeus lui a donn\u00e9 la gloire. Mais toi, \u00e9tranger, dis-\nmoi ta race et ta patrie, car tu ne sors pas du ch\u00eane et du rocher \ndes histoires antiques.\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 femme v\u00e9n\u00e9rable du Laertiade Odysseus, ne cesseras-tu point \nde m\u2019interroger sur mes parents ? Je te r\u00e9pondrai donc, bien que \ntu renouvelles ainsi mes maux innombrables ; mais c\u2019est l\u00e0 la des -\ntin\u00e9e d\u2019un homme depuis longtemps absent de la patrie, tel que \nmoi qui ai err\u00e9 parmi les villes des hommes, \u00e9tant accabl\u00e9 de \nmaux. Je te dirai cependant ce que tu me demandes.\nLa Kr\u00e8t\u00e8 est une terre qui s\u2019\u00e9l\u00e8ve au milieu de la sombre mer, \nbelle et fertile, o\u00f9 habitent d\u2019innombrables hommes et o\u00f9 il y a 439\nL\u2019ODYSS\u00c9Equatre-vingt-dix villes. On y parle des langages diff\u00e9rents, et on \ny trouve des akhaiens, de magnanimes Kr\u00e8tois indig\u00e8nes, des \nKyd\u00f4nes, trois tribus de D\u00f4riens et les divins P\u00e9lasges.\nSur eux tous domine la grande ville de Kn\u00f4ssos, o\u00f9 r\u00e9gna Min\u00f4s \nqui s\u2019entretenait tous les neuf ans avec le grand Zeus, et qui fut \nle p\u00e8re du magnanime Deukali\u00f4n mon p\u00e8re. Et Deukali\u00f4n nous \nengendra, moi et le roi Idom\u00e9neus. Et Idom\u00e9neus alla, sur ses \nnefs \u00e0 proues recourb\u00e9es, \u00e0 Ilios, avec les atr\u00e9ides. Mon nom \nillustre est aith\u00f4n, et j\u2019\u00e9tais le plus jeune. Idom\u00e9neus \u00e9tait l\u2019a\u00een\u00e9 \net le plus brave. Je vis alors Odysseus et je lui offris les dons hos -\npitaliers. En effet, comme il allait \u00e0 Ilios, la violence du vent l\u2019avait \npouss\u00e9 en Kr\u00e8t\u00e8, loin du promontoire Mal\u00e9ien, dans amnisos \no\u00f9 est la caverne des Ilithyies ; et, dans ce port difficile, \u00e0 peine \n\u00e9vita-t-il la temp\u00eate. arriv\u00e9 \u00e0 la ville, il demanda Idom\u00e9neus, \nqu\u2019il appelait son h\u00f4te cher et v\u00e9n\u00e9rable. Mais \u00c9\u00f4s avait reparu \npour la dixi\u00e8me ou onzi\u00e8me fois depuis que, sur ses nefs \u00e0 proue \nrecourb\u00e9e, Idom\u00e9neus \u00e9tait parti pour Ilios. alors, je condui -\nsis Odysseus dans mes demeures, et je le re\u00e7us avec amiti\u00e9, et \nje le comblai de soins \u00e0 l\u2019aide des richesses que je poss\u00e9dais et \nje lui donnai, ainsi qu\u2019\u00e0 ses compagnons, de la farine, du vin \nrouge, et des b\u0153ufs \u00e0 tuer, jusqu\u2019\u00e0 ce que leur \u00e2me f\u00fbt rassasi\u00e9e. \nEt les divins akhaiens rest\u00e8rent l\u00e0 douze jours, car le grand et 440CHaNT 19\ntemp\u00e9tueux Bor\u00e9as soufflait et les arr\u00eatait, excit\u00e9 par quelque dai -\nm\u00f4n. Mais le vent tomba le treizi\u00e8me jour, et ils partirent.\nIl parlait ainsi, disant ces nombreux mensonges semblables \u00e0 la \nv\u00e9rit\u00e9 ; et P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, en l\u2019\u00e9coutant, pleurait, et ses larmes ruisse -\nlaient sur son visage, comme la neige ruisselle sur les hautes mon -\ntagnes, apr\u00e8s que Z\u00e9phyros l\u2019a amoncel\u00e9e et que l\u2019Euros la fond en \ntorrents qui emplissent les fleuves.\nainsi les belles joues de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia ruisselaient de larmes tandis \nqu\u2019elle pleurait son mari. Et Odysseus \u00e9tait plein de compassion \nen voyant pleurer sa femme ; mais ses yeux, comme la corne et le \nfer, restaient immobiles sous ses paupi\u00e8res, et il arr\u00eatait ses larmes \npar prudence. Et apr\u00e8s qu\u2019elle se fut rassasi\u00e9e de larmes et de deuil, \nP\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, lui r\u00e9pondant, dit de nouveau :\n\u2013 Maintenant, \u00e9tranger, je pense que je vais t\u2019\u00e9prouver, et je ver -\nrai si, comme tu le dis, tu as re\u00e7u dans tes demeures mon mari et \nses divins compagnons. Dis-moi quels \u00e9taient les v\u00eatements qui \nle couvraient, quel il \u00e9tait lui-m\u00eame, et quels \u00e9taient les compa -\ngnons qui le suivaient.441\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le sage Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 femme, il est bien difficile, apr\u00e8s tant de temps, de te r\u00e9pondre, \ncar voici la vingti\u00e8me ann\u00e9e qu\u2019Odysseus est venu dans ma patrie \net qu\u2019il en est parti. Cependant, je te dirai ce dont je me souviens \ndans mon esprit. Le divin Odysseus avait un double manteau \nde laine pourpr\u00e9e qu\u2019attachait une agrafe d\u2019or \u00e0 deux tuyaux, et \norn\u00e9e, par-dessus, d\u2019un chien qui tenait sous ses pattes de devant \nun jeune cerf tremblant. Et tous admiraient, s\u2019\u00e9tonnant que ces \ndeux animaux fussent d\u2019or, ce chien qui voulait \u00e9touffer le faon, et \ncelui-ci qui, palpitant sous ses pieds, voulait s\u2019enfuir. Et je vis aussi \nsur le corps d\u2019Odysseus une tunique splendide. Fine comme une \npelure d\u2019oignon, cette tunique brillait comme H\u00e8lios. Et, certes, \ntoutes les femmes l\u2019admiraient.\nMais, je te le dis, et retiens mes paroles dans ton esprit : je ne sais si \nOdysseus portait ces v\u00eatements dans sa demeure, ou si quelqu\u2019un \nde ses compagnons les lui avait donn\u00e9s comme il montait sur sa \nnef rapide, ou bien quelqu\u2019un d\u2019entre ses h\u00f4tes, car Odysseus \u00e9tait \naim\u00e9 de beaucoup d\u2019hommes, et peu d\u2019a khaiens \u00e9taient sem -\nblables \u00e0 lui. Je lui donnai une \u00e9p\u00e9e d\u2019airain, un double et grand \nmanteau pourpr\u00e9 et une tunique longue, et je le conduisis avec \nrespect sur sa nef \u00e0 bancs de rameurs. Un h\u00e9raut, un peu plus \n\u00e2g\u00e9 que lui, le suivait, et je te dirai quel il \u00e9tait. Il avait les \u00e9paules 442CHaNT 19\nhautes, la peau brune et les cheveux cr\u00e9pus, et il se nommait \nEurybat\u00e8s, et Odysseus l\u2019honorait entre tous ses compagnons, \nparce qu\u2019il \u00e9tait plein de sagesse.\nIl parla ainsi, et le d\u00e9sir de pleurer saisit P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, car elle \nreconnut ces signes certains que lui d\u00e9crivait Odysseus. Et, apr\u00e8s \nqu\u2019elle se fut rassasi\u00e9e de larmes et de deuil, elle dit de nouveau :\n\u2013 Maintenant, \u00f4 mon h\u00f4te, auparavant mis\u00e9rable, tu seras aim\u00e9 et \nhonor\u00e9 dans mes demeures. J\u2019ai moi-m\u00eame donn\u00e9 \u00e0 Odysseus \nces v\u00eatements que tu d\u00e9cris et qui \u00e9taient pli\u00e9s dans ma chambre \nnuptiale, et j\u2019y ai attach\u00e9 cette agrafe brillante. Mais je ne le verrai \nplus de retour dans la ch\u00e8re terre de la patrie ! C\u2019est par une mau -\nvaise destin\u00e9e qu\u2019Odysseus, montant dans sa nef creuse, est parti \npour cette Troi\u00e8 fatale qu\u2019on ne devrait plus nommer.\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 femme v\u00e9n\u00e9rable du Laertiade Odysseus, ne fl\u00e9tris point \nton beau visage et ne te consume point dans ton c\u0153ur \u00e0 pleurer. \nCependant, je ne te bl\u00e2me en rien. Quelle femme pleurerait un \njeune mari dont elle a con\u00e7u des enfants, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre unie d\u2019amour \n\u00e0 lui, plus que tu dois pleurer Odysseus qu\u2019on dit semblable aux \ndieux ? Mais cesse de g\u00e9mir et \u00e9coute-moi. Je te dirai la v\u00e9rit\u00e9 443\nL\u2019ODYSS\u00c9Eet je ne te cacherai rien. J\u2019ai entendu parler du retour d\u2019Odys -\nseus chez le riche peuple des Thespr\u00f4tes o\u00f9 il a paru vivant, et il \nrapporte de nombreuses richesses qu\u2019il a amass\u00e9es parmi beau -\ncoup de peuples ; mais il a perdu ses chers compagnons et sa nef \ncreuse, dans la noire mer, en quittant Thrinaki\u00e8. Zeus et H\u00e8lios \n\u00e9taient irrit\u00e9s, parce que ses compagnons avaient tu\u00e9 les b\u0153ufs \nde H\u00e8lios ; et ils ont tous p\u00e9ri dans la mer tumultueuse. Mais la \nmer a jet\u00e9 Odysseus, attach\u00e9 \u00e0 la car\u00e8ne de sa nef, sur la c\u00f4te des \nPhaiakiens qui descendent des dieux. Et ils l\u2019ont honor\u00e9 comme \nun dieu, et ils lui ont fait de nombreux pr\u00e9sents, et ils ont voulu le \nramener sain et sauf dans sa demeure. Odysseus serait donc d\u00e9j\u00e0 \nrevenu depuis longtemps, mais il lui a sembl\u00e9 plus utile d\u2019amas -\nser d\u2019autres richesses en parcourant beaucoup de terres ; car il \nsait un plus grand nombre de ruses que tous les hommes mor -\ntels, et nul ne pourrait lutter contre lui. ainsi me parla Pheid\u00f4n, \nle roi des Thespr\u00f4tes. Et il me jura, en faisant des libations dans \nsa demeure, que la nef et les hommes \u00e9taient pr\u00eats qui devaient \nreconduire Odysseus dans la ch\u00e8re terre de sa patrie. Mais il me \nrenvoya d\u2019abord, profitant d\u2019une nef des Thespr\u00f4tes qui allait \u00e0 \nDoulikhios fertile en bl\u00e9.\nEt il me montra les richesses qu\u2019avait r\u00e9unies Odysseus, de l\u2019ai -\nrain, de l\u2019or et du fer tr\u00e8s difficile \u00e0 travailler, le tout assez abon -\ndant pour nourrir jusqu\u2019\u00e0 sa dixi\u00e8me g\u00e9n\u00e9ration. Et il me disait 444CHaNT 19\nqu\u2019Odysseus \u00e9tait all\u00e9 \u00e0 D\u00f4d\u00f4n\u00e8 pour apprendre du grand ch\u00eane \nla volont\u00e9 de Zeus, et pour savoir comment, depuis longtemps \nabsent, il rentrerait dans la terre d\u2019Ithak\u00e8, soit ouvertement, soit \nen secret. ainsi Odysseus est sauv\u00e9, et il viendra bient\u00f4t, et, d\u00e9sor -\nmais, il ne sera pas longtemps \u00e9loign\u00e9 de ses amis et de sa patrie. \nEt je te ferai un grand serment : Qu\u2019ils le sachent, Zeus, le meil -\nleur et le plus grand des dieux, et la demeure du brave Odysseus \no\u00f9 je suis arriv\u00e9 ! Tout s\u2019accomplira comme je le dis. Odysseus \nreviendra avant la fin de cette ann\u00e9e, avant la fin de ce mois, dans \nquelques jours.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Plaise aux dieux, \u00e9tranger, que tes paroles s\u2019accomplissent ! Je te \nprouverais aussit\u00f4t mon amiti\u00e9 par de nombreux pr\u00e9sents et cha -\ncun te dirait heureux ; mais je sens dans mon c\u0153ur que jamais \nOdysseus ne reviendra dans sa demeure et que ce n\u2019est point lui \nqui te renverra. Il n\u2019y a point ici de chefs tels qu\u2019Odysseus parmi \nles hommes, si jamais il en a exist\u00e9, qui cong\u00e9dient les \u00e9trangers \napr\u00e8s les avoir accueillis et honor\u00e9s. Maintenant, servantes, bai -\ngnez notre h\u00f4te, et pr\u00e9parez son lit avec des manteaux et des \ncouvertures splendides, afin qu\u2019il ait chaud en attendant \u00c9\u00f4s au \nthr\u00f4ne d\u2019or. Puis, au matin, baignez et parfumez-le, afin qu\u2019assis \ndans la demeure, il prenne son repas aupr\u00e8s de T\u00e8l\u00e9makhos.445\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl arrivera malheur \u00e0 celui d\u2019entre eux qui l\u2019outragera. Et qu\u2019il \nne soit soumis \u00e0 aucun travail, quel que soit celui qui s\u2019en irrite. \nComment, \u00f4 \u00e9tranger, reconna\u00eetrais-tu que je l\u2019emporte sur les \nautres femmes par l\u2019intelligence et par la sagesse, si, manquant de \nv\u00eatements, tu t\u2019asseyais en haillons au repas dans les demeures ? \nLa vie des hommes est br\u00e8ve. Celui qui est injuste et commet des \nactions mauvaises, les hommes le chargent d\u2019impr\u00e9cations tant \nqu\u2019il est vivant, et ils le maudissent quand il est mort ; mais celui \nqui est irr\u00e9prochable et qui a fait de bonnes actions, les \u00e9trangers \nr\u00e9pandent au loin sa gloire, et tous les hommes le louent.\nEt le sage Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 femme v\u00e9n\u00e9rable du Laertiade Odysseus, les beaux v\u00eatements \net les couvertures splendides me sont odieux, depuis que, sur ma \nnef aux longs avirons, j\u2019ai quitt\u00e9 les montagnes neigeuses de la \nKr\u00e8t\u00e8. Je me coucherai, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 fait pendant tant de \nnuits sans sommeil, sur une mis\u00e9rable couche, attendant la belle \net divine \u00c9\u00f4s. Les bains de pieds non plus ne me plaisent point, et \naucune servante ne me touchera les pieds, \u00e0 moins qu\u2019il n\u2019y en ait \nune, vieille et prudente, parmi elles, et qui ait autant souffert que \nmoi. Je n\u2019emp\u00eache point celle-ci de me laver les pieds.446CHaNT 19\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Cher h\u00f4te, aucun homme n\u2019est plus sage que toi de tous les \n\u00e9trangers amis qui sont venus dans cette demeure, car tout ce que \ntu dis est plein de sagesse.\nJ\u2019ai ici une femme \u00e2g\u00e9e et tr\u00e8s prudente qui nourrit et qui \u00e9leva \nautrefois le malheureux Odysseus, et qui l\u2019avait re\u00e7u dans ses bras \nquand sa m\u00e8re l\u2019eut enfant\u00e9. Elle lavera tes pieds, bien qu\u2019elle soit \nfaible. Viens, l\u00e8ve-toi, prudente Eurykl\u00e9ia ; lave les pieds de cet \n\u00e9tranger qui a l\u2019\u00e2ge de ton ma\u00eetre. Peut-\u00eatre que les pieds et les \nmains d\u2019Odysseus ressemblent aux siens, car les hommes vieil -\nlissent vite dans le malheur.\nElle parla ainsi, et la vieille femme cacha son visage dans ses mains, \net elle versa de chaudes larmes et elle dit ces paroles lamentables :\n\u2013 H\u00e9las ! je suis sans force pour te venir en aide, \u00f4 mon enfant ! \nassur\u00e9ment Zeus te hait entre tous les hommes, bien que tu aies \nun esprit pieux. aucun homme n\u2019a br\u00fbl\u00e9 plus de cuisses grasses \u00e0 \nZeus qui se r\u00e9jouit de la foudre, ni d\u2019aussi compl\u00e8tes h\u00e9catombes. \nTu le suppliais de te laisser parvenir \u00e0 une pleine vieillesse et de \nte laisser \u00e9lever ton fils illustre, et voici qu\u2019il t\u2019a enlev\u00e9 le jour du \nretour ! Peut-\u00eatre aussi que d\u2019autres femmes l\u2019outragent, quand 447\nL\u2019ODYSS\u00c9Eil entre dans les illustres demeures o\u00f9 parviennent les \u00e9trangers, \ncomme ces chiennes-ci t\u2019outragent toi-m\u00eame. Tu fuis leurs injures \net leurs paroles honteuses, et tu ne veux point qu\u2019elles te lavent ; \net la fille d\u2019Ikarios, la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, m\u2019ordonne de le faire, \net j\u2019y consens. C\u2019est pourquoi je laverai tes pieds, pour l\u2019amour de \nP\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia et de toi, car mon c\u0153ur est \u00e9mu de tes maux.\nMais \u00e9coute ce que je vais dire : de tous les malheureux \u00e9trangers \nqui sont venus ici, aucun ne ressemble plus que toi \u00e0 Odysseus. \nTu as son corps, sa voix et ses pieds.\nEt le sage Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 vieille femme, en effet, tous ceux qui nous ont vus tous deux \nde leurs yeux disent que nous nous ressemblons beaucoup. Tu as \nparl\u00e9 avec sagesse.\nIl parla ainsi, et la vieille femme prit un bassin splendide dans \nlequel on lavait les pieds, et elle y versa beaucoup d\u2019eau froide, \npuis de l\u2019eau chaude. Et Odysseus s\u2019assit devant le foyer, en se \ntournant vivement du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019ombre, car il craignit aussit\u00f4t, dans \nson esprit, qu\u2019en le touchant elle reconn\u00fbt sa cicatrice et que tout \nf\u00fbt d\u00e9couvert. Eurykl\u00e9ia, s\u2019approchant de son roi, lava ses pieds, et \naussit\u00f4t elle reconnut la cicatrice de la blessure qu\u2019un sanglier lui 448CHaNT 19\navait faite autrefois de ses blanches dents sur le Parn\u00e8sos, quand \nil \u00e9tait all\u00e9 chez autolykos et ses fils. autolykos \u00e9tait l\u2019illustre p\u00e8re \nde sa m\u00e8re, et il surpassait tous les hommes pour faire du butin \net de faux serments. Un dieu lui avait fait ce don, Herm\u00e9ias, pour \nqui il br\u00fblait des chairs d\u2019agneaux et de chevreaux et qui l\u2019accom -\npagnait toujours. Et autolykos \u00e9tant venu chez le riche peuple \nd\u2019Ithak\u00e8, il trouva le fils nouveau-n\u00e9 de sa fille. Et Eurykl\u00e9ia, apr\u00e8s \nle repas, posa l\u2019enfant sur les chers genoux d\u2019a utolykos et lui dit :\n\u2013 autolykos, donne toi-m\u00eame un nom au cher fils de ta fille, \npuisque tu l\u2019as appel\u00e9 par tant de v\u0153ux.\nEt autolykos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon gendre et ma fille, donnez-lui le nom que je vais dire. Je \nsuis venu ici tr\u00e8s irrit\u00e9 contre un grand nombre d\u2019hommes et de \nfemmes sur la face de la terre nourrici\u00e8re. Que son nom soit donc \nOdysseus. Quand il sera parvenu \u00e0 la pubert\u00e9, qu\u2019il vienne sur le \nParn\u00e8sos, dans la grande demeure de son a\u00efeul maternel o\u00f9 sont \nmes richesses, et je lui en ferai de nombreux pr\u00e9sents, et je le ren -\nverrai plein de joie.\nEt, \u00e0 cause de ces paroles, Odysseus y alla, afin de recevoir de nom -\nbreux pr\u00e9sents. Et autolykos et les fils d\u2019a utolykos le salu\u00e8rent 449\nL\u2019ODYSS\u00c9Edes mains et le re\u00e7urent avec de douces paroles. amphith\u00e9\u00e8, la \nm\u00e8re de sa m\u00e8re, l\u2019embrassa, baisant sa t\u00eate et ses deux beaux \nyeux. Et autolykos ordonna \u00e0 ses fils illustres de pr\u00e9parer le repas. \naussit\u00f4t, ceux-ci ob\u00e9irent et amen\u00e8rent un taureau de cinq ans \nqu\u2019ils \u00e9corch\u00e8rent. Puis, le pr\u00e9parant, ils le coup\u00e8rent en mor -\nceaux qu\u2019ils embroch\u00e8rent, firent r\u00f4tir avec soin et distribu\u00e8rent. \nEt tout le jour, jusqu\u2019\u00e0 la chute de H\u00e8lios, ils mang\u00e8rent, et nul \ndans son \u00e2me ne manqua d\u2019une part \u00e9gale. Quand H\u00e8lios tomba \net que les t\u00e9n\u00e8bres survinrent, ils se couch\u00e8rent et s\u2019endormirent, \nmais quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, les fils \nd\u2019autolykos et leurs chiens partirent pour la chasse, et le divin \nOdysseus alla avec eux.\nEt ils gravirent le haut Parn\u00e8sos couvert de bois, et ils p\u00e9n\u00e9 -\ntr\u00e8rent bient\u00f4t dans les gorges battues des vents. H\u00e8lios, \u00e0 peine \nsorti du cours profond d\u2019Ok\u00e9anos, frappait les campagnes, quand \nles chasseurs parvinrent dans une vall\u00e9e. Et les chiens les pr\u00e9c\u00e9 -\ndaient, flairant une piste ; et derri\u00e8re eux venaient les fils d\u2019a u-\ntolykos, et, avec eux, apr\u00e8s les chiens, le divin Odysseus marchait \nagitant une longue lance.\nL\u00e0, dans le bois \u00e9pais, \u00e9tait couch\u00e9 un grand sanglier. Et la vio -\nlence humide des vents ne p\u00e9n\u00e9trait point ce hallier, et le splen -\ndide H\u00e8lios ne le per\u00e7ait point de ses rayons, et la pluie n\u2019y tombait 450CHaNT 19\npoint, tant il \u00e9tait \u00e9pais ; et le sanglier \u00e9tait couch\u00e9 l\u00e0, sous un \nmonceau de feuilles. Et le bruit des hommes et des chiens par -\nvint jusqu\u2019\u00e0 lui, et, quand les chasseurs arriv\u00e8rent, il sortit du hal -\nlier \u00e0 leur rencontre, les soies h\u00e9riss\u00e9es sur le cou et le feu dans les \nyeux, et il s\u2019arr\u00eata pr\u00e8s des chasseurs. alors, le premier, Odysseus, \nlevant sa longue lance, de sa forte main, se rua, d\u00e9sirant le per -\ncer ; mais le sanglier, le pr\u00e9venant, le blessa au genou d\u2019un coup \noblique de ses d\u00e9fenses et enleva profond\u00e9ment les chairs, mais \nsans arriver jusqu\u2019\u00e0 l\u2019os. Et Odysseus le frappa \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite, \net la pointe de la lance brillante le traversa de part en part, et il \ntomba \u00e9tendu dans la poussi\u00e8re, et son \u00e2me s\u2019envola. aussit\u00f4t les \nchers fils d\u2019a utolykos, s\u2019empressant autour de la blessure de l\u2019ir -\nr\u00e9prochable et divin Odysseus, la band\u00e8rent avec soin et arr\u00ea -\nt\u00e8rent le sang noir par une incantation ; puis, ils rentr\u00e8rent aux \ndemeures de leur cher p\u00e8re.\nEt autolykos et les fils d\u2019a utolykos, ayant gu\u00e9ri Odysseus et lui \nayant fait de riches pr\u00e9sents, le renvoy\u00e8rent plein de joie dans sa \nch\u00e8re Ithak\u00e8. L\u00e0, son p\u00e8re et sa m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable se r\u00e9jouirent de \nson retour et l\u2019interrog\u00e8rent sur chaque chose et sur cette bles -\nsure qu\u2019il avait re\u00e7ue. Et il leur raconta qu\u2019un sanglier l\u2019avait \nbless\u00e9 de ses d\u00e9fenses blanches, \u00e0 la chasse, o\u00f9 il \u00e9tait all\u00e9 sur le \nParn\u00e8sos avec les fils d\u2019a utolykos.451\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt voici que la vieille femme, touchant de ses mains cette cica -\ntrice, la reconnut et laissa retomber le pied dans le bassin d\u2019airain \nqui r\u00e9sonna et se renversa, et toute l\u2019eau fut r\u00e9pandue \u00e0 terre. Et \nla joie et la douleur envahirent \u00e0 la fois l\u2019\u00e2me d\u2019Eurykl\u00e9ia, et ses \nyeux s\u2019emplirent de larmes, et sa voix fut entrecoup\u00e9e ; et, saisis -\nsant le menton d\u2019Odysseus, elle lui dit :\n\u2013 Certes, tu es Odysseus mon cher enfant ! Je ne t\u2019ai point reconnu \navant d\u2019avoir touch\u00e9 tout mon ma\u00eetre.\nElle parla ainsi, et elle fit signe des yeux \u00e0 P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia pour lui \nfaire entendre que son cher mari \u00e9tait dans la demeure ; mais, du \nlieu o\u00f9 elle \u00e9tait, P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia ne put la voir ni la comprendre, car \nath\u00e8n\u00e8 avait d\u00e9tourn\u00e9 son esprit. alors, Odysseus, serrant de la \nmain droite la gorge d\u2019Eurykl\u00e9ia, et l\u2019attirant \u00e0 lui de l\u2019autre main, \nlui dit :\n\u2013 Nourrice, pourquoi veux-tu me perdre, toi qui m\u2019as nourri toi-\nm\u00eame de ta mamelle ? Maintenant, voici qu\u2019ayant subi bien des \nmaux, j\u2019arrive apr\u00e8s vingt ans dans la terre de la patrie.\nMais, puisque tu m\u2019as reconnu, et qu\u2019un dieu te l\u2019a inspir\u00e9, tais-\ntoi, et que personne ne t\u2019entende, car je te le dis, et ma parole s\u2019ac -\ncomplira : Si un dieu tue par mes mains les pr\u00e9tendants insolents, 452CHaNT 19\nje ne t\u2019\u00e9pargnerai m\u00eame pas, bien que tu sois ma nourrice, quand \nje tuerai les autres servantes dans mes demeures.\nEt la prudente Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, quelle parole s\u2019\u00e9chappe d\u2019entre tes dents ? Tu sais \nque mon \u00e2me est constante et ferme. Je me tairai comme la pierre \nou le fer. Mais je te dirai autre chose ; garde mes paroles dans ton \nesprit : Si un dieu dompte par tes mains les pr\u00e9tendants insolents, \nje t\u2019indiquerai dans les demeures les femmes qui te m\u00e9prisent et \ncelles qui sont innocentes.\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Nourrice, pourquoi me les indiquerais-tu ? Il n\u2019en est pas besoin. \nJ\u2019en jugerai moi-m\u00eame et je les reconna\u00eetrai. Garde le silence et \nremets le reste aux dieux.\nIl parla ainsi, et la vieille femme traversa la salle pour rapporter \nun autre bain de pieds, car toute l\u2019eau s\u2019\u00e9tait r\u00e9pandue. Puis, ayant \nlav\u00e9 et parfum\u00e9 Odysseus, elle approcha son si\u00e8ge du feu, afin 453\nL\u2019ODYSS\u00c9Equ\u2019il se chauff\u00e2t, et elle cacha la cicatrice sous les haillons. Et la \nsage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia dit de nouveau :\n\u2013 \u00c9tranger, je t\u2019interrogerai encore quelques instants ; car l\u2019heure \ndu sommeil est douce, et le sommeil lui-m\u00eame est doux pour le \nmalheureux. Pour moi, un dieu m\u2019a envoy\u00e9 une grande afflic -\ntion. Le jour, du moins, je surveille en pleurant les travaux des \nservantes de cette maison et je charme ainsi ma douleur ; mais \nquand la nuit vient et quand le sommeil saisit tous les hommes, je \nme couche sur mon lit, et, autour de mon c\u0153ur imp\u00e9n\u00e9trable, les \npens\u00e9es am\u00e8res irritent mes peines. ainsi que la fille de Pandaros, \nla verte a\u00e8d\u00f4n, chante, au retour du printemps, sous les feuilles \n\u00e9paisses des arbres, d\u2019o\u00f9 elle r\u00e9pand sa voix sonore, pleurant son \ncher fils Itylos qu\u2019engendra le roi Z\u00e9thoios, et qu\u2019elle tua autre -\nfois, dans sa d\u00e9mence, avec l\u2019airain ; ainsi mon \u00e2me est agit\u00e9e \u00e7\u00e0 \net l\u00e0, h\u00e9sitant si je dois rester aupr\u00e8s de mon fils, garder avec soin \nmes richesses, mes servantes et ma haute demeure, et respecter \nle lit de mon mari et la voix du peuple, ou si je dois me marier, \nparmi les akhaiens qui me recherchent dans mes demeures, \u00e0 \ncelui qui est le plus noble et qui m\u2019offrira le plus de pr\u00e9sents. \nTant que mon fils est rest\u00e9 enfant et sans raison, je n\u2019ai pu ni me \nmarier, ni abandonner la demeure de mon mari ; mais voici qu\u2019il \nest grand et parvenu \u00e0 la pubert\u00e9, et il me supplie de quitter ces \ndemeures, irrit\u00e9 qu\u2019il est \u00e0 cause de ses biens que d\u00e9vorent les 454CHaNT 19\nakhaiens. Mais \u00e9coute, et interpr\u00e8te moi ce songe. Vingt oies, sor -\ntant de l\u2019eau, mangent du bl\u00e9 dans ma demeure, et je les regarde, \njoyeuse. Et voici qu\u2019un grand aigle au bec recourb\u00e9, descendu \nd\u2019une haute montagne, tombe sur leurs cous et les tue. Et elles \nrestent toutes amass\u00e9es dans les demeures, tandis que l\u2019aigle \ns\u2019\u00e9l\u00e8ve dans l\u2019aith\u00e8r divin.\nEt je pleure et je g\u00e9mis dans mon songe : et les akhaiennes aux \nbeaux cheveux se r\u00e9unissent autour de moi qui g\u00e9mis am\u00e8rement \nparce que l\u2019aigle a tu\u00e9 mes oies. Mais voici qu\u2019il redescend sur le \nfa\u00eete de la demeure, et il me dit avec une voix d\u2019homme :\n\u2013 Rassure-toi, fille de l\u2019illustre Ikarios ; ceci n\u2019est point un songe, \nmais une chose heureuse qui s\u2019accomplira. Les oies sont les pr\u00e9 -\ntendants, et moi, qui semble un aigle, je suis ton mari qui suis \nrevenu pour infliger une mort honteuse \u00e0 tous les pr\u00e9tendants. Il \nparle ainsi, et le sommeil me quitte, et, les cherchant des yeux, je \nvois mes oies qui mangent le bl\u00e9 dans le bassin comme auparavant.\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 femme, personne ne pourrait expliquer ce songe autrement ; \net certes, Odysseus lui-m\u00eame t\u2019a dit comment il s\u2019accomplira. La 455\nL\u2019ODYSS\u00c9Eperte des pr\u00e9tendants est manifeste, et aucun d\u2019entre eux n\u2019\u00e9vitera \nles k\u00e8res et la mort.\nEt la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00c9tranger, certes, les songes sont difficiles \u00e0 expliquer, et tous ne \ns\u2019accomplissent point pour les hommes. Les songes sortent par \ndeux portes, l\u2019une de corne et l\u2019autre d\u2019ivoire. Ceux qui sortent \nde l\u2019ivoire bien travaill\u00e9 trompent par de vaines paroles qui ne \ns\u2019accomplissent pas ; mais ceux qui sortent par la porte de corne \npolie disent la v\u00e9rit\u00e9 aux hommes qui les voient.\nJe ne pense pas que celui-ci sorte de l\u00e0 et soit heureux pour moi \net mon fils. Voici venir le jour honteux qui m\u2019emm\u00e8nera de la \ndemeure d\u2019Odysseus, car je vais proposer une \u00e9preuve. Odysseus \navait dans ses demeures des haches qu\u2019il rangeait en ordre comme \ndes m\u00e2ts de nefs, et, debout, il les traversait de loin d\u2019une fl\u00e8che. \nJe vais proposer cette \u00e9preuve aux pr\u00e9tendants. Celui qui, de ses \nmains, tendra le plus facilement l\u2019arc et qui lancera une fl\u00e8che \u00e0 \ntravers les douze anneaux des haches, celui-l\u00e0 je le suivrai loin \nde cette demeure si belle, qui a vu ma jeunesse, qui est pleine \nd\u2019abondance, et dont je me souviendrai, je pense, m\u00eame dans \nmes songes !456CHaNT 19\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 femme v\u00e9n\u00e9rable du Laertiade Odysseus, ne retarde pas \ndavantage cette \u00e9preuve dans tes demeures. Le prudent Odysseus \nreviendra avant qu\u2019ils aient tendu le nerf, tir\u00e9 l\u2019arc poli et envoy\u00e9 \nla fl\u00e8che \u00e0 travers le fer.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si tu voulais, \u00e9tranger, assis \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de moi, me charmer dans mes \ndemeures, le sommeil ne se r\u00e9pandrait pas sur mes paupi\u00e8res ; \nmais les hommes ne peuvent rester sans sommeil, et les immor -\ntels, sur la terre f\u00e9conde, ont fait la part de toute chose aux mor -\ntels. Certes, je remonterai donc dans la haute chambre, et je me \ncoucherai sur mon lit plein d\u2019affliction et arros\u00e9 de mes larmes \ndepuis le jour o\u00f9 Odysseus est parti pour cette Ilios fatale qu\u2019on \nne devrait plus nommer.\nJe me coucherai l\u00e0 ; et toi, couche dans cette salle, sur la terre ou \nsur le lit qu\u2019on te fera.\nayant ainsi parl\u00e9, elle monta dans sa haute chambre splendide, \nmais non pas seule, car deux servantes la suivaient. Et quand elle \neut mont\u00e9 avec les servantes dans la haute chambre, elle pleura 457\nL\u2019ODYSS\u00c9EOdysseus, son cher mari, jusqu\u2019\u00e0 ce que ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs \ne\u00fbt r\u00e9pandu le doux sommeil sur ses paupi\u00e8res.458CHaNT 19459\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 20\nEt le divin Odysseus se coucha dans le vestibule, et il \u00e9tendit une \npeau de b\u0153uf encore saignante, et, pardessus, les nombreuses \npeaux de brebis que les akhaiens avaient sacrifi\u00e9es ; et Eurykl\u00e9ia \njeta un manteau sur lui, quand il se fut couch\u00e9. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019Odys -\nseus \u00e9tait couch\u00e9, m\u00e9ditant dans son esprit la mort des pr\u00e9ten -\ndants, et plein de vigilance.\nEt les femmes qui s\u2019\u00e9taient depuis longtemps livr\u00e9es aux pr\u00e9ten -\ndants sortirent de la maison, riant entre elles et songeant \u00e0 la \njoie. alors, le c\u0153ur d\u2019Odysseus s\u2019agita dans sa poitrine, et il d\u00e9li -\nb\u00e9rait dans son \u00e2me, si, se jetant sur elles, il les tuerait toutes, ou \ns\u2019il les laisserait pour la derni\u00e8re fois s\u2019unir aux pr\u00e9tendants inso -\nlents. Et son c\u0153ur aboyait dans sa poitrine, comme une chienne \nqui tourne autour de ses petits aboie contre un inconnu et d\u00e9sire \nle combattre. ainsi son c\u0153ur aboyait dans sa poitrine contre \nces outrages ; et, se frappant la poitrine, il r\u00e9prima son c\u0153ur par \nces paroles :\n\u2013 Souffre encore, \u00f4 mon c\u0153ur ! Tu as subi des maux pires le jour \no\u00f9 le kykl\u00f4ps indomptable par sa force mangea mes braves 460CHaNT 20\ncompagnons. Tu le supportas courageusement, jusqu\u2019\u00e0 ce que \nma prudence t\u2019e\u00fbt retir\u00e9 de la caverne o\u00f9 tu pensais mourir.\nIl parla ainsi, apaisant son cher c\u0153ur dans sa poitrine, et son \nc\u0153ur s\u2019apaisa et patienta. Mais Odysseus se retournait \u00e7\u00e0 et l\u00e0.\nDe m\u00eame qu\u2019un homme tourne et retourne, sur un grand feu \nardent, un ventre plein de graisse et de sang, de m\u00eame il s\u2019agitait \nd\u2019un c\u00f4t\u00e9 et de l\u2019autre, songeant comment, seul contre une mul -\ntitude, il mettrait la main sur les pr\u00e9tendants insolents. Et voici \nqu\u2019a th\u00e8n\u00e8, \u00e9tant descendue de l\u2019Ouranos, s\u2019approcha de lui, sem -\nblable \u00e0 une femme, et, se tenant pr\u00e8s de sa t\u00eate, lui dit ces paroles :\n\u2013 Pourquoi veilles-tu, \u00f4 le plus malheureux de tous les hommes ? \nCette demeure est la tienne, ta femme est ici, et ton fils aussi, lui \nque chacun d\u00e9sirerait pour fils.\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, d\u00e9esse, tu as parl\u00e9 tr\u00e8s sagement, mais je songe dans \nmon \u00e2me comment je mettrai la main sur les pr\u00e9tendants inso -\nlents, car je suis seul, et ils se r\u00e9unissent ici en grand nombre. Et \nj\u2019ai une autre pens\u00e9e plus grande dans mon esprit. Serai-je tu\u00e9 par 461\nL\u2019ODYSS\u00c9Ela volont\u00e9 de Zeus et par la tienne ? \u00c9chapperai-je ? Je voudrais \nle savoir de toi.\nEt la d\u00e9esse aux yeux clairs, ath\u00e8n\u00e8, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Insens\u00e9 ! Tout homme a confiance dans le plus faible de ses com -\npagnons, qui n\u2019est qu\u2019un mortel, et de peu de sagesse. Mais moi, je \nsuis d\u00e9esse, et je t\u2019ai prot\u00e9g\u00e9 dans tous tes travaux, et je te le dis \nhautement : Quand m\u00eame cinquante arm\u00e9es d\u2019hommes parlant \ndes langues diverses nous entoureraient pour te tuer avec l\u2019\u00e9p\u00e9e, \ntu n\u2019en ravirais pas moins leurs b\u0153ufs et leurs grasses brebis.\nDors donc. Il est cruel de veiller toute la nuit. Bient\u00f4t tu \u00e9chappe -\nras \u00e0 tous tes maux.\nElle parla ainsi et r\u00e9pandit le sommeil sur ses paupi\u00e8res. Puis, la \nnoble d\u00e9esse remonta dans l\u2019Olympos, d\u00e8s que le sommeil eut \nsaisi Odysseus, enveloppant ses membres et apaisant les peines \nde son c\u0153ur. Et sa femme se r\u00e9veilla ; et elle pleurait, assise sur \nson lit moelleux. Et, apr\u00e8s qu\u2019elle se fut rassasi\u00e9e de larmes, la 462CHaNT 20\nnoble femme supplia d\u2019abord la v\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse art\u00e9mis, fille \nde Zeus :\n\u2013 art\u00e9mis, v\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse, fille de Zeus, pl\u00fbt aux dieux que tu \nm\u2019arrachasses l\u2019\u00e2me, \u00e0 l\u2019instant m\u00eame, avec tes fl\u00e8ches, ou que \nles temp\u00eates pussent m\u2019emporter par les routes sombres et me \njeter dans les courants du rapide Ok\u00e9anos ! ainsi, les temp\u00eates \nemport\u00e8rent autrefois les filles de Pandaros. Les dieux avaient \nfait mourir leurs parents et elles \u00e9taient rest\u00e9es orphelines dans \nleurs demeures, et la divine aphrodit\u00e8 les nourrissait de fro -\nmage, de miel doux et de vin parfum\u00e9. H\u00e8r\u00e8 les doua, plus que \ntoutes les autres femmes, de beaut\u00e9 et de prudence, et la chaste \nart\u00e9mis d\u2019une haute taille, et ath\u00e8n\u00e8 leur enseigna \u00e0 faire de \nbeaux ouvrages. alors, la divine aphrodit\u00e8 monta dans le haut \nOlympos, afin de demander, pour ces vierges, d\u2019heureuses noces \n\u00e0 Zeus qui se r\u00e9jouit de la foudre et qui conna\u00eet les bonnes et les \nmauvaises destin\u00e9es des hommes mortels. Et, pendant ce temps, \nles Harpyes enlev\u00e8rent ces vierges et les donn\u00e8rent aux odieuses \n\u00c9rinnyes pour les servir. Que les Olympiens me perdent ainsi !\nQu\u2019a rt\u00e9mis aux beaux cheveux me frappe, afin que je revoie au \nmoins Odysseus sous la terre odieuse, plut\u00f4t que r\u00e9jouir l\u2019\u00e2me \nd\u2019un homme indigne ! On peut supporter son mal, quand, apr\u00e8s \navoir pleur\u00e9 tout le jour, le c\u0153ur g\u00e9missant, on dort la nuit ; car 463\nL\u2019ODYSS\u00c9Ele sommeil, ayant ferm\u00e9 leurs paupi\u00e8res, fait oublier \u00e0 tous les \nhommes les biens et les maux. Mais l\u2019insomnie cruelle m\u2019a envoy\u00e9 \nun daim\u00f4n qui a couch\u00e9 cette nuit aupr\u00e8s de moi, semblable \u00e0 ce \nqu\u2019\u00e9tait Odysseus quand il partit pour l\u2019arm\u00e9e. Et mon c\u0153ur \u00e9tait \nconsol\u00e9, pensant que ce n\u2019\u00e9tait point un songe, mais la v\u00e9rit\u00e9.\nElle parla ainsi, et, aussit\u00f4t, \u00c9\u00f4s au thr\u00f4ne d\u2019or apparut. Et le divin \nOdysseus entendit la voix de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia qui pleurait. Et il pensa \net il lui vint \u00e0 l\u2019esprit que, plac\u00e9e au-dessus de sa t\u00eate, elle l\u2019avait \nreconnu. C\u2019est pourquoi, ramassant le manteau et les toisons sur \nlesquelles il \u00e9tait couch\u00e9, il les pla\u00e7a sur le thr\u00f4ne dans la salle ; et, \njetant dehors la peau de b\u0153uf, il leva les mains et supplia Zeus :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! si, par la volont\u00e9 des dieux, tu m\u2019as ramen\u00e9 dans \nma patrie, \u00e0 travers la terre et la mer, et apr\u00e8s m\u2019avoir accabl\u00e9 \nde tant de maux, fais qu\u2019un de ceux qui s\u2019\u00e9veillent dans cette \ndemeure dise une parole heureuse, et, qu\u2019au-dehors, un de tes \nsignes m\u2019apparaisse.\nIl parla ainsi en priant, et le tr\u00e8s sage Zeus l\u2019entendit, et, aussit\u00f4t, \nil tonna du haut de l\u2019Olympos \u00e9clatant et par-dessus les nu\u00e9es, et \nle divin Odysseus s\u2019en r\u00e9jouit.464CHaNT 20\nEt, aussit\u00f4t, une femme occup\u00e9e \u00e0 moudre \u00e9leva la voix dans la \nmaison. Car il y avait non loin de l\u00e0 douze meules du prince des \npeuples, et autant de servantes les tournaient, pr\u00e9parant l\u2019huile et \nla farine, moelle des hommes. Et elles s\u2019\u00e9taient endormies, apr\u00e8s \navoir moulu le grain, et l\u2019une d\u2019elles n\u2019avait pas fini, et c\u2019\u00e9tait la \nplus faible de toutes. Elle arr\u00eata sa meule et dit une parole heu -\nreuse pour le roi :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, qui commandes aux dieux et aux hommes, certes, \ntu as tonn\u00e9 fortement du haut de l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9 o\u00f9 il n\u2019y a pas \nun nuage. C\u2019est un de tes signes \u00e0 quelqu\u2019un. accomplis donc \nmon souhait, \u00e0 moi, malheureuse : Que les pr\u00e9tendants, en ce \njour et pour la derni\u00e8re fois, prennent le repas d\u00e9sirable dans la \ndemeure d\u2019Odysseus ! Ils ont rompu mes genoux sous ce dur tra -\nvail de moudre leur farine ; qu\u2019ils prennent aujourd\u2019hui leur der -\nnier repas !\nElle parla ainsi, et le divin Odysseus se r\u00e9jouit de cette parole \nheureuse et du tonnerre de Zeus, et il se dit qu\u2019il allait punir les \ncoupables. Et les autres servantes se rassemblaient dans les belles \ndemeures d\u2019Odysseus, et elles allum\u00e8rent un grand feu dans le \nfoyer. Et le divin T\u00e8l\u00e9makhos se leva de son lit et se couvrit de \nses v\u00eatements. Il suspendit une \u00e9p\u00e9e \u00e0 ses \u00e9paules et il attacha de \nbelles sandales \u00e0 ses pieds brillants ; puis, il saisit une forte lance 465\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u00e0 pointe d\u2019airain, et, s\u2019arr\u00eatant, comme il passait le seuil, il dit \n\u00e0 Eurykl\u00e9ia :\n\u2013 Ch\u00e8re nourrice, comment avez-vous honor\u00e9 l\u2019\u00e9tranger dans \nla demeure ?\nLui avez-vous donn\u00e9 un lit et de la nourriture, ou g\u00eet-il n\u00e9glig\u00e9 ? \nCar ma m\u00e8re est souvent ainsi, bien que prudente ; elle honore \ninconsid\u00e9r\u00e9ment le moindre des hommes et renvoie le plus m\u00e9ri -\ntant sans honneurs.\nEt la prudente Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 N\u2019accuse point ta m\u00e8re innocente, mon enfant. L \u2019\u00e9tranger s\u2019est \nassis et il a bu du vin autant qu\u2019il l\u2019a voulu ; mais il a refus\u00e9 de \nmanger davantage quand ta m\u00e8re l\u2019invitait elle-m\u00eame. Elle a \nordonn\u00e9 aux servantes de pr\u00e9parer son lit ; mais lui, comme un \nhomme plein de soucis et malheureux, a refus\u00e9 de dormir dans \nun lit, sous des couvertures ; et il s\u2019est couch\u00e9, dans le vestibule, sur \nune peau de b\u0153uf encore saignante et sur des peaux de brebis ; et \nnous avons jet\u00e9 un manteau par-dessus.\nElle parla ainsi, et T\u00e8l\u00e9makhos sortit de la demeure, tenant sa \nlance \u00e0 la main. Et deux chiens rapides le suivaient. Et il se h\u00e2ta 466CHaNT 20\nvers l\u2019agora des akhaiens aux belles kn\u00e8mides. Et Eurykl\u00e9ia, fille \nd\u2019Ops Peis\u00e8noride, la plus noble des femmes, dit aux servantes :\n\u2013 allons ! h\u00e2tez-vous ! Balayez la salle, arrosez-la, jetez des tapis \npourpr\u00e9s sur les beaux thr\u00f4nes, \u00e9pongez les tables, purifiez les \nkrat\u00e8res et les coupes rondes ; et qu\u2019une partie d\u2019entre vous aille \npuiser de l\u2019eau \u00e0 la fontaine et revienne aussit\u00f4t. Les pr\u00e9tendants \nne tarderont pas \u00e0 arriver, et ils viendront d\u00e8s le matin, car c\u2019est \nune f\u00eate pour tous.\nElle parla ainsi, et les servantes, l\u2019ayant entendue, lui ob\u00e9irent. Et \nles unes all\u00e8rent \u00e0 la fontaine aux eaux noires, et les autres tra -\nvaillaient avec ardeur dans la maison. Puis, les pr\u00e9tendants inso -\nlents entr\u00e8rent ; et ils se mirent \u00e0 fendre du bois. Et les servantes \nrevinrent de la fontaine, et, apr\u00e8s elles, le porcher qui amenait \ntrois de ses meilleurs porcs. Et il les laissa manger dans l\u2019enceinte \ndes haies. Puis il adressa \u00e0 Odysseus ces douces paroles :\n\u2013 \u00c9tranger, les akhaiens te traitent-ils mieux, ou t\u2019outragent-ils \ncomme auparavant ?467\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Puissent les dieux, Eumaios, ch\u00e2tier leur insolence, car ils com -\nmettent des actions outrageantes et honteuses dans une demeure \n\u00e9trang\u00e8re, et ils n\u2019ont plus la moindre pudeur.\nEt, comme ils se parlaient ainsi, le chevrier M\u00e9lanthios s\u2019approcha \nd\u2019eux, conduisant, pour le repas des pr\u00e9tendants, les meilleures \nch\u00e8vres de tous ses troupeaux, et deux bergers le suivaient. Et il \nattacha les ch\u00e8vres sous le portique sonore, et il dit \u00e0 Odysseus, \nen l\u2019injuriant de nouveau :\n\u2013 \u00c9tranger, es-tu encore ici \u00e0 importuner les hommes en leur \ndemandant avec insistance ? Ne passeras-tu point les portes ? Je \nne pense pas que nous nous s\u00e9parions avant que tu aies \u00e9prouv\u00e9 \nnos mains, car tu demandes \u00e0 sati\u00e9t\u00e9, et il y a d\u2019autres repas parmi \nles a khaiens.\nIl parla ainsi, et le prudent Odysseus ne r\u00e9pondit rien, et il resta \nmuet, mais secouant la t\u00eate et m\u00e9ditant sa vengeance. Puis, \narriva Philoitios, chef des bergers, conduisant aux pr\u00e9tendants \nune g\u00e9nisse st\u00e9rile et des ch\u00e8vres grasses. Des bateliers, de ceux \nqui faisaient passer les hommes, l\u2019avaient amen\u00e9. Il attacha les 468CHaNT 20\nanimaux sous le portique sonore, et, s\u2019approchant du porcher, il \nlui dit :\n\u2013 Porcher, quel est cet \u00e9tranger nouvellement venu dans notre \ndemeure ? D\u2019o\u00f9 est-il ? Quelle est sa race et quelle est sa patrie ? \nLe malheureux ! certes, il est semblable \u00e0 un roi : mais les dieux \naccablent les hommes qui errent sans cesse, et ils destinent les \nrois eux-m\u00eames au malheur.\nIl parla ainsi, et, tendant la main droite \u00e0 Odysseus, il lui dit ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Salut, p\u00e8re \u00e9tranger ! Que la richesse t\u2019arrive bient\u00f4t, car mainte -\nnant, tu es accabl\u00e9 de maux ! P\u00e8re Zeus, aucun des dieux n\u2019est plus \ncruel que toi, car tu n\u2019as point piti\u00e9 des hommes que tu as engen -\ndr\u00e9s toi-m\u00eame pour \u00eatre accabl\u00e9s de mis\u00e8res et d\u2019am\u00e8res dou -\nleurs ! La sueur me coule, et mes yeux se remplissent de larmes \nen voyant cet \u00e9tranger, car je me souviens d\u2019Odysseus, et je pense \nqu\u2019il erre peut-\u00eatre parmi les hommes, couvert de semblables \nhaillons, s\u2019il vit encore et s\u2019il voit la lumi\u00e8re de H\u00e8lios. Mais, s\u2019il \nest mort et s\u2019il est dans les demeures d\u2019a id\u00e8s, je g\u00e9mirai toujours \nau souvenir de l\u2019irr\u00e9prochable Odysseus qui m\u2019envoya, tout jeune, \ngarder ses b\u0153ufs chez le peuple des K\u00e9phall\u00e9niens.469\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt maintenant ils sont innombrables, et aucun autre ne poss\u00e8de \nune telle race de b\u0153ufs aux larges fronts. Et les pr\u00e9tendants m\u2019or -\ndonnent de les leur amener pour qu\u2019ils les mangent ; et ils ne s\u2019in -\nqui\u00e8tent point du fils d\u2019Odysseus dans cette demeure, et ils ne \nrespectent ni ne craignent les dieux, et ils d\u00e9sirent avec ardeur \npartager les biens d\u2019un roi absent depuis longtemps. Cependant, \nmon c\u0153ur h\u00e9site dans ma ch\u00e8re poitrine. Ce serait une mau -\nvaise action, T\u00e8l\u00e9makhos \u00e9tant vivant, de m\u2019en aller chez un autre \npeuple, aupr\u00e8s d\u2019hommes \u00e9trangers, avec mes b\u0153ufs ; et, d\u2019autre \npart, il est dur de rester ici, gardant mes b\u0153ufs pour des \u00e9tran -\ngers et subissant mille maux. D\u00e9j\u00e0, depuis longtemps, je me serais \nenfui vers quelque roi \u00e9loign\u00e9, car, ici, rien n\u2019est tol\u00e9rable ; mais \nje pense que ce malheureux reviendra peut-\u00eatre et dispersera les \npr\u00e9tendants dans ses demeures.\nEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Bouvier, tu ne ressembles ni \u00e0 un m\u00e9chant homme, ni \u00e0 un \ninsens\u00e9, et je reconnais que ton esprit est plein de prudence. C\u2019est \npourquoi je te le jure par un grand serment : que Zeus, le premier \ndes dieux, le sache ! Et cette table hospitali\u00e8re, et cette demeure du \nbrave Odysseus o\u00f9 je suis venu ! Toi pr\u00e9sent, Odysseus reviendra 470CHaNT 20\nici, et tu le verras de tes yeux, si tu le veux, tuer les pr\u00e9tendants \nqui oppriment ici.\n\u2013 \u00c9tranger, puisse le Kroni\u00f4n accomplir tes paroles ! Tu sauras \nalors \u00e0 qui appartiendront ma force et mes mains.\nEt Eumaios suppliait en m\u00eame temps tous les dieux de ramener \nle tr\u00e8s sage Odysseus dans ses demeures.\nEt tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, les pr\u00e9tendants pr\u00e9paraient le \nmeurtre et la mort de T\u00e8l\u00e9makhos. Mais, en ce moment, un aigle \nvola \u00e0 leur gauche, tenant une colombe tremblante.\nalors amphinomos leur dit :\n\u2013 \u00d4 amis, notre dessein de tuer T\u00e8l\u00e9makhos ne s\u2019accomplira pas. \nNe songeons plus qu\u2019au repas.\nainsi parla amphinomos, et sa parole leur plut. Puis, entrant \ndans la demeure du divin Odysseus, ils d\u00e9pos\u00e8rent leurs man -\nteaux sur les si\u00e8ges et sur les thr\u00f4nes, ils sacrifi\u00e8rent les grandes \nbrebis, les ch\u00e8vres grasses, les porcs et la g\u00e9nisse indompt\u00e9e. Et \nils distribu\u00e8rent les entrailles r\u00f4ties. Puis ils m\u00eal\u00e8rent le vin dans \nles krat\u00e8res ; et le porcher distribuait les coupes, et Philoitios, le 471\nL\u2019ODYSS\u00c9Echef des bouviers, distribuait le pain dans de belles corbeilles, et \nM\u00e9lanthios versait le vin. Et ils \u00e9tendirent les mains vers les mets \nplac\u00e9s devant eux. Mais T\u00e8l\u00e9makhos vit asseoir Odysseus, qui \nm\u00e9ditait des ruses, aupr\u00e8s du seuil de pierre, dans la salle, sur un \nsi\u00e8ge grossier, et il pla\u00e7a devant lui, sur une petite table, une part \ndes entrailles. Puis, il versa du vin dans une coupe d\u2019or, et il lui dit :\n\u2013 assieds-toi l\u00e0, parmi les hommes, et bois du vin.\nJ\u2019\u00e9carterai moi-m\u00eame, loin de toi, les outrages de tous les pr\u00e9 -\ntendants, car cette demeure n\u2019est pas publique ; c\u2019est la maison \nd\u2019Odysseus, et il l\u2019a construite pour moi. Et vous, pr\u00e9tendants, \nretenez vos injures et vos mains, de peur que la discorde se mani -\nfeste ici.\nIl parla ainsi, et tous, mordant leurs l\u00e8vres, admiraient T\u00e8l\u00e9makhos \net comme il avait parl\u00e9 avec audace. Et antinoos, fils d\u2019Eupeith\u00e8s, \nleur dit :\n\u2013 Nous avons entendu, akhaiens, les paroles s\u00e9v\u00e8res de T\u00e8l\u00e9makhos, \ncar il nous a rudement menac\u00e9s. Certes, le Kroni\u00f4n Zeus ne l\u2019a \npoint permis ; mais, sans cela, nous l\u2019aurions d\u00e9j\u00e0 fait taire dans \ncette demeure, bien qu\u2019il soit un habile agor\u00e8te.472CHaNT 20\nainsi parla antinoos, et T\u00e8l\u00e9makhos ne s\u2019en inqui\u00e9ta point. Et \nles h\u00e9rauts conduisirent \u00e0 travers la ville l\u2019h\u00e9catombe sacr\u00e9e, et \nles akhaiens chevelus se r\u00e9unirent dans le bois \u00e9pais de l\u2019ar -\ncher a poll\u00f4n.\nEt, apr\u00e8s avoir r\u00f4ti les chairs sup\u00e9rieures, les pr\u00e9tendants distri -\nbu\u00e8rent les parts et prirent leur repas illustre ; et, comme l\u2019avait \nordonn\u00e9 T\u00e8l\u00e9makhos, le cher fils du divin Odysseus, les servi -\nteurs apport\u00e8rent \u00e0 celui-ci une part \u00e9gale \u00e0 celles de tous les \nautres convives ; mais ath\u00e8n\u00e8 ne voulut pas que les pr\u00e9tendants \ncessassent leurs outrages, afin qu\u2019une plus grande col\u00e8re entr\u00e2t \ndans le c\u0153ur du Laertiade Odysseus.\nEt il y avait parmi les pr\u00e9tendants un homme tr\u00e8s inique. Il se \nnommait Kt\u00e8sippos, et il avait sa demeure dans Sam\u00e8. Confiant \ndans les richesses de son p\u00e8re, il recherchait la femme d\u2019Odys -\nseus absent depuis longtemps. Et il dit aux pr\u00e9tendants insolents :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, illustres pr\u00e9tendants. D\u00e9j\u00e0 cet \u00e9tranger a re\u00e7u une \npart \u00e9gale \u00e0 la n\u00f4tre, comme il convient, car il ne serait ni bon, ni \njuste de priver les h\u00f4tes de T\u00e8l\u00e9makhos, quels que soient, ceux qui \nentrent dans sa demeure. Mais moi aussi, je lui ferai un pr\u00e9sent \nhospitalier, afin que lui-m\u00eame donne un salaire aux baigneurs ou \naux autres serviteurs qui sont dans la maison du divin Odysseus.473\nL\u2019ODYSS\u00c9Eayant ainsi parl\u00e9, il saisit dans une corbeille un pied de b\u0153uf \nqu\u2019il lan\u00e7a d\u2019une main vigoureuse ; mais Odysseus l\u2019\u00e9vita en bais -\nsant la t\u00eate, et il sourit sardoniquement dans son \u00e2me ; et le pied \nde b\u0153uf frappa le mur bien construit. alors T\u00e8l\u00e9makhos r\u00e9pri -\nmanda ainsi Kt\u00e8sippos :\n\u2013 Kt\u00e8sippos, certes, il vaut beaucoup mieux pour toi que tu n\u2019aies \npoint frapp\u00e9 mon h\u00f4te, et qu\u2019il ait lui-m\u00eame \u00e9vit\u00e9 ton trait, car, \ncertes, je t\u2019eusse frapp\u00e9 de ma lance aigu\u00eb au milieu du corps, et, \nau lieu de tes noces, ton p\u00e8re e\u00fbt fait ton s\u00e9pulcre. C\u2019est pourquoi \nqu\u2019aucun de vous ne montre son insolence dans ma demeure, car \nje comprends et je sais quelles sont les bonnes et les mauvaises \nactions, et je ne suis plus un enfant.\nJ\u2019ai longtemps souffert et regard\u00e9 ces violences, tandis que mes \nbrebis \u00e9taient \u00e9gorg\u00e9es, et que mon vin \u00e9tait \u00e9puis\u00e9, et que mon \npain \u00e9tait mang\u00e9 car il est difficile \u00e0 un seul de s\u2019opposer \u00e0 plu -\nsieurs mais ne m\u2019outragez pas davantage. Si vous avez le d\u00e9sir de \nme tuer avec l\u2019airain, je le veux bien, et il vaut mieux que je meure \nque de voir vos honteuses actions, mes h\u00f4tes chass\u00e9s et mes ser -\nvantes indignement viol\u00e9es dans mes belles demeures.474CHaNT 20\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets. Et le Damastoride ag\u00e9laos \ndit enfin :\n\u2013 \u00d4 amis, \u00e0 cette parole juste, il ne faut point r\u00e9pondre injurieuse -\nment, ni frapper cet \u00e9tranger, ou quelqu\u2019un des serviteurs qui sont \ndans les demeures du divin Odysseus ; mais je parlerai douce -\nment \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos et \u00e0 sa m\u00e8re ; puiss\u00e9-je plaire au c\u0153ur de tous \ndeux. aussi longtemps que votre \u00e2me dans vos poitrines a esp\u00e9r\u00e9 \nle retour du tr\u00e8s sage Odysseus en sa demeure, nous n\u2019avons eu \naucune col\u00e8re de ce que vous reteniez, les faisant attendre, les \npr\u00e9tendants dans vos demeures. Puisque Odysseus devait reve -\nnir, cela valait mieux en effet. Maintenant il est manifeste qu\u2019il ne \nreviendra plus. Va donc \u00e0 ta m\u00e8re et dis-lui qu\u2019elle \u00e9pouse le plus \nillustre d\u2019entre nous, et celui qui lui fera le plus de pr\u00e9sents. Tu \njouiras alors des biens paternels, mangeant et buvant ; et ta m\u00e8re \nentrera dans la maison d\u2019un autre.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ag\u00e9laos, non, par Zeus et par les douleurs de mon pere qui est \nmort ou qui erre loin d\u2019Ithak\u00e8, non, je ne m\u2019oppose point aux \nnoces de ma m\u00e8re, et je l\u2019engage \u00e0 \u00e9pouser celui qu\u2019elle choisira \net qui lui fera le plus de pr\u00e9sents ; mais je crains de la chasser de 475\nL\u2019ODYSS\u00c9Ecette demeure par des paroles rigoureuses, de peur qu\u2019un dieu \nn\u2019accomplisse pas ceci.\nainsi parla T\u00e8l\u00e9makhos, et Pallas ath\u00e8n\u00e8 excita un rire immense \nparmi les pr\u00e9tendants, et elle troubla leur esprit, et ils riaient avec \ndes m\u00e2choires contraintes, et ils mangeaient les chairs crues, et \nleurs yeux se remplissaient de larmes, et leur \u00e2me pressentait \nle malheur.\nalors, le divin Th\u00e9oklym\u00e9nos leur dit :\n\u2013 ah ! malheureux ! quel malheur allez-vous subir ! Vos t\u00eates, vos \nvisages, vos genoux sont envelopp\u00e9s par la nuit ; vous sanglotez, \nvos joues sont couvertes de larmes ; ces colonnes et ces murailles \nsont souill\u00e9es de sang ; le portique et la cour sont pleins d\u2019ombres \nqui se h\u00e2tent vers les t\u00e9n\u00e8bres de l\u2019\u00c9r\u00e9bos ; H\u00e8lios p\u00e9rit dans l\u2019Ou -\nranos, et le brouillard fatal s\u2019avance !\nIl parla ainsi, et tous se mirent \u00e0 rire de lui ; et Eurymakhos, fils \nde Polybos, dit le premier :\n\u2013 Tu es insens\u00e9, \u00e9tranger r\u00e9cemment arriv\u00e9 ! Chassez-le aussit\u00f4t \nde cette demeure, et qu\u2019il aille \u00e0 l\u2019agora, puisqu\u2019il prend le jour \npour la nuit.476CHaNT 20\nEt le divin Th\u00e9oklym\u00e9nos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eurymakhos, n\u2019ordonne point de me chasser d\u2019ici. Il me suffit de \nmes yeux, de mes oreilles, de mes pieds et de l\u2019esprit \u00e9quitable qui \nest dans ma poitrine. Je sortirai d\u2019ici, car je devine le malheur qui \nest suspendu sur vous ; et nul d\u2019entre vous n\u2019y \u00e9chappera, \u00f4 pr\u00e9 -\ntendants, hommes injurieux qui commettez des actions iniques \ndans la demeure du divin Odysseus !\nayant ainsi parl\u00e9, il sortit des riches demeures et retourna chez \nPeiraios qui l\u2019avait accueilli avec bienveillance. Et les pr\u00e9tendants, \nse regardant les uns les autres, irritaient T\u00e8l\u00e9makhos en raillant \nses h\u00f4tes. Et l\u2019un de ces jeunes hommes insolents dit :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, aucun donneur d\u2019hospitalit\u00e9 n\u2019est plus \u00e0 plaindre \nque toi. Tu as encore, il est vrai, ce vagabond affam\u00e9, priv\u00e9 de pain \net de vin, sans courage et qui ne sait rien faire, inutile fardeau de \nla terre, mais l\u2019autre est all\u00e9 proph\u00e9tiser ailleurs. \u00c9coute-moi ; ceci \nest pour le mieux ; jetons tes deux h\u00f4tes sur une nef et envoyons-\nles aux Sik\u00e8les. Chacun vaudra un bon prix.\nainsi parlaient les pr\u00e9tendants, et T\u00e8l\u00e9makhos ne s\u2019inqui\u00e9ta point \nde leurs paroles ; mais il regardait son p\u00e8re, en silence, attendant \ntoujours qu\u2019il m\u00eet la main sur les pr\u00e9tendants insolents.477\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la fille d\u2019Ikarios, la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, accoud\u00e9e sur son beau \nthr\u00f4ne, \u00e9coutait les paroles de chacun d\u2019eux dans les demeures. \nEt ils riaient joyeusement en continuant leur repas, car ils avaient \nd\u00e9j\u00e0 beaucoup mang\u00e9.\nMais, bient\u00f4t, jamais f\u00eate ne devait leur \u00eatre plus funeste que celle \nque leur pr\u00e9paraient une d\u00e9esse et un homme brave, car, les pre -\nmiers, ils avaient commis de honteuses actions.478CHaNT 20479\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 21\nalors, la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs inspira \u00e0 la fille d\u2019Ikarios, \u00e0 \nla prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, d\u2019apporter aux pr\u00e9tendants l\u2019arc et le fer \nbrillant, pour l\u2019\u00e9preuve qui, dans les demeures d\u2019Odysseus, devait \n\u00eatre le commencement du carnage. Elle gravit la longue \u00e9chelle \nde la maison, tenant \u00e0 la main la belle clef recourb\u00e9e, d\u2019airain et \u00e0 \npoign\u00e9e d\u2019ivoire ; et elle se h\u00e2ta de monter avec ses servantes dans \nla chambre haute o\u00f9 \u00e9taient renferm\u00e9s les tr\u00e9sors du roi, l\u2019airain, \nl\u2019or et le fer difficile \u00e0 travailler. L\u00e0, se trouvaient l\u2019arc recourb\u00e9, \nle carquois porte-fl\u00e8ches et les fl\u00e8ches terribles qui le remplis -\nsaient. Iphitos Eurythide, de Lak\u00e9daim\u00f4n, semblable aux immor -\ntels, les avait donn\u00e9s \u00e0 Odysseus, l\u2019ayant rencontr\u00e9 \u00e0 Mess\u00e8n\u00e8, \ndans la demeure du brave Orsilokhos, o\u00f9 Odysseus \u00e9tait venu \npour une r\u00e9clamation de tout le peuple qui l\u2019en avait charg\u00e9. En \neffet, les Mess\u00e8niens avaient enlev\u00e9 d\u2019Ithak\u00e8, sur leurs nefs, trois \ncents brebis et leurs bergers. Et, pour cette r\u00e9clamation, Odysseus \n\u00e9tait venu, tout jeune encore, car son p\u00e8re et les autres vieillards \nl\u2019avaient envoy\u00e9. Et Iphitos \u00e9tait venu de son c\u00f4t\u00e9, cherchant \ndouze cavales qu\u2019il avait perdues et autant de mules patientes, et \nqui, toutes, devaient lui attirer la mort ; car, s\u2019\u00e9tant rendu aupr\u00e8s \ndu magnanime fils de Zeus, H\u00e9rakl\u00e8s, illustre par ses grands 480CHaNT 21\ntravaux, celui-ci le tua dans ses demeures, bien qu\u2019il f\u00fbt son h\u00f4te. \nEt il le tua indignement, sans respecter ni les dieux, ni la table \no\u00f9 il l\u2019avait fait asseoir, et il retint ses cavales aux sabots vigou -\nreux. Ce fut en cherchant celles-ci qu\u2019Iphitos rencontra Odysseus \net qu\u2019il lui donna cet arc qu\u2019avait port\u00e9 le grand Eurytos et qu\u2019il \nlaissa en mourant \u00e0 son fils dans ses hautes demeures.\nEt Odysseus donna \u00e0 celui-ci une \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb et une forte lance. \nCe fut le commencement d\u2019une triste amiti\u00e9, et qui ne fut pas \nlongue, car ils ne se re\u00e7urent point \u00e0 leurs tables, et le fils de Zeus \ntua auparavant l\u2019Eurytide Iphitos semblable aux immortels. Et le \ndivin Odysseus se servait de cet arc \u00e0 Ithak\u00e8, mais il ne l\u2019emporta \npoint sur ses nefs noires en partant pour la guerre, et il le laissa \ndans ses demeures, en m\u00e9moire de son cher h\u00f4te.\nEt quand la noble femme fut arriv\u00e9e \u00e0 la chambre haute, elle \nmonta sur le seuil de ch\u00eane qu\u2019autrefois un ouvrier habile avait \npoli et ajust\u00e9 au cordeau, et auquel il avait adapt\u00e9 des battants et \nde brillantes portes. Elle d\u00e9tacha aussit\u00f4t la courroie de l\u2019anneau, \nfit entrer la clef et ouvrit les verrous. Et, semblables \u00e0 un taureau \nqui mugit en paissant dans un pr\u00e9, les belles portes r\u00e9sonn\u00e8rent, \nfrapp\u00e9es par la clef, et s\u2019ouvrirent aussit\u00f4t.481\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia monta sur le haut plancher o\u00f9 \u00e9taient les coffres \nqui renfermaient les v\u00eatements parfum\u00e9s, et elle d\u00e9tacha du clou \nl\u2019arc et le carquois brillant. Et, s\u2019asseyant l\u00e0, elle les posa sur ses \ngenoux, et elle pleura am\u00e8rement. Et, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre rassasi\u00e9e de \nlarmes et de deuil, elle se h\u00e2ta d\u2019aller \u00e0 la grande salle, vers les \npr\u00e9tendants insolents, tenant \u00e0 la main l\u2019arc recourb\u00e9 et le car -\nquois porte-fl\u00e8ches et les fl\u00e8ches terribles qui le remplissaient. \nEt les servantes portaient le coffre o\u00f9 \u00e9taient le fer et l\u2019airain des \njeux du roi.\nEt la noble femme, \u00e9tant arriv\u00e9e aupr\u00e8s des pr\u00e9tendants, s\u2019arr\u00eata \nsur le seuil de la belle salle, un voile l\u00e9ger sur ses joues et deux \nservantes \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s. Et, aussit\u00f4t, elle parla aux pr\u00e9tendants et elle \nleur dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, illustres pr\u00e9tendants qui, pour manger et boire \nsans cesse, avez envahi la maison d\u2019un homme absent depuis \nlongtemps, et qui d\u00e9vorez ses richesses, sans autre pr\u00e9texte que \ncelui de m\u2019\u00e9pouser. Voici, \u00f4 pr\u00e9tendants, l\u2019\u00e9preuve qui vous est \npropos\u00e9e. Je vous apporte le grand arc du divin Odysseus. Celui \nqui, de ses mains, tendra le plus facilement cet arc et lancera une \nfl\u00e8che \u00e0 travers les douze haches, je le suivrai, et il me conduira \nloin de cette demeure qui a vu ma jeunesse, qui est belle et pleine 482CHaNT 21\nd\u2019abondance, et dont je me souviendrai, je pense, m\u00eame dans \nmes songes.\nElle parla ainsi et elle ordonna au porcher Eumaios de porter aux \npr\u00e9tendants l\u2019arc et le fer brillant. Et Eumaios les prit en pleurant \net les porta ; et le bouvier pleura aussi en voyant l\u2019arc du roi. Et \nantinoos les r\u00e9primanda et leur dit :\n\u2013 Rustres stupides, qui ne pensez qu\u2019au jour le jour, pourquoi \npleurez-vous, mis\u00e9rables, et remuez-vous ainsi dans sa poitrine \nl\u2019\u00e2me de cette femme qui est en proie \u00e0 la douleur, depuis qu\u2019elle a \nperdu son cher mari ? Mangez en silence, ou allez pleurer dehors \net laissez ici cet arc. Ce sera pour les pr\u00e9tendants une \u00e9preuve dif -\nficile, car je ne pense pas qu\u2019on tende ais\u00e9ment cet arc poli.\nIl n\u2019y a point ici un seul homme tel que Odysseus. Je l\u2019ai vu moi-\nm\u00eame, et je m\u2019en souviens, mais j\u2019\u00e9tais alors un enfant.\nIl parla ainsi, et il esp\u00e9rait, dans son \u00e2me, tendre l\u2019arc et lancer une \nfl\u00e8che \u00e0 travers le fer ; mais il devait, certes, go\u00fbter le premier une \nfl\u00e8che partie des mains de l\u2019irr\u00e9prochable Odysseus qu\u2019il avait 483\nL\u2019ODYSS\u00c9Ed\u00e9j\u00e0 outrag\u00e9 dans sa demeure et contre qui il avait excit\u00e9 tous ses \ncompagnons. alors, la force sacr\u00e9e de T\u00e8l\u00e9makhos parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 dieux ! Certes, le Kroni\u00f4n Zeus m\u2019a rendu insens\u00e9. Voici que \nma ch\u00e8re m\u00e8re, bien que tr\u00e8s prudente, dit qu\u2019elle va suivre un \nautre homme et quitter cette demeure ! Et voici que je ris et que \nje me r\u00e9jouis dans mon esprit insens\u00e9 ! Tentez donc, \u00f4 pr\u00e9ten -\ndants, l\u2019\u00e9preuve propos\u00e9e ! Il n\u2019est point de telle femme dans la \nterre akhaienne, ni dans la sainte Pylos, ni dans argos, ni dans \nMyk\u00e8n\u00e8, ni dans Ithak\u00e8, ni dans la noire \u00c9peiros. Mais vous le \nsavez, qu\u2019est-il besoin de louer ma m\u00e8re ? allons, ne retardez pas \nl\u2019\u00e9preuve ; h\u00e2tez-vous de tendre cet arc, afin que nous voyions qui \nvous \u00eates. Moi-m\u00eame je ferai l\u2019\u00e9preuve de cet arc ; et, si je le tends, \nsi je lance une fl\u00e8che \u00e0 travers le fer, ma m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable, \u00e0 moi qui \ng\u00e9mis, ne quittera point ces demeures avec un autre homme et \nne m\u2019abandonnera point, moi qui aurai accompli les nobles jeux \nde mon p\u00e8re !\nIl parla ainsi, et, se levant, il retira son manteau pourpr\u00e9 et son \n\u00e9p\u00e9e aigu\u00eb de ses \u00e9paules, puis, ayant creus\u00e9 un long foss\u00e9, il dressa \nen ligne les anneaux des haches, et il pressa la terre tout autour.\nEt tous furent stup\u00e9faits de son adresse, car il ne l\u2019avait jamais vu \nfaire. Puis, se tenant debout sur le seuil, il essaya l\u2019arc. Trois fois il 484CHaNT 21\nfaillit le tendre, esp\u00e9rant tirer le nerf et lancer une fl\u00e8che \u00e0 travers \nle fer, et trois fois la force lui manqua. Et comme il le tentait une \nquatri\u00e8me fois, Odysseus lui fit signe et le retint malgr\u00e9 son d\u00e9sir. \nalors la force sacr\u00e9e de T\u00e8l\u00e9makhos parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 dieux ! ou je ne serai jamais qu\u2019un homme sans force, ou \nje suis trop jeune encore et je n\u2019ai point la vigueur qu\u2019il fau -\ndrait pour repousser un guerrier qui m\u2019attaquerait. allons ! vous \nqui m\u2019\u00eates sup\u00e9rieurs par la force, essayez cet arc et terminons \ncette \u00e9preuve.\nayant ainsi parl\u00e9, il d\u00e9posa l\u2019arc sur la terre, debout et appuy\u00e9 \ncontre les battants polis de la porte, et il mit la fl\u00e8che aigu\u00eb \naupr\u00e8s de l\u2019arc au bout recourb\u00e9 ; puis, il retourna s\u2019asseoir sur \nle thr\u00f4ne qu\u2019il avait quitt\u00e9. Et antinoos, fils d\u2019Eupeith\u00e8s, dit \naux pr\u00e9tendants :\n\u2013 Compagnons, levez-vous tous, et avancez, l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, dans \nl\u2019ordre qu\u2019on suit en versant le vin.\nainsi parla antinoos, et ce qu\u2019il avait dit leur plut. Et Lei\u00f4d\u00e8s, fils \nd\u2019Oinops, se leva le premier. Et il \u00e9tait leur sacrificateur, et il s\u2019as -\nseyait toujours le plus pr\u00e8s du beau krat\u00e8re. Il n\u2019aimait point les 485\nL\u2019ODYSS\u00c9Eactions iniques et il s\u2019irritait sans cesse contre les pr\u00e9tendants. Et \nil saisit le premier l\u2019arc et le trait rapide.\nEt, debout sur le seuil, il essaya l\u2019arc ; mais il ne put le tendre et il \nse fatigua vainement les bras. alors, il dit aux pr\u00e9tendants :\n\u2013 \u00d4 amis, je ne tendrai point cet arc ; qu\u2019un autre le prenne. Cet arc \ndoit priver de leur c\u0153ur et de leur \u00e2me beaucoup de braves guer -\nriers, car il vaut mieux mourir que de nous retirer vivants, n\u2019ayant \npoint accompli ce que nous esp\u00e9rions ici. Qu\u2019aucun n\u2019esp\u00e8re \ndonc plus, dans son \u00e2me, \u00e9pouser P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, la femme d\u2019Odys -\nseus. apr\u00e8s avoir \u00e9prouv\u00e9 cet arc, chacun de vous verra qu\u2019il lui \nfaut rechercher quelque autre femme parmi les akhaiennes aux \nbeaux p\u00e9plos, et \u00e0 laquelle il fera des pr\u00e9sents. P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia \u00e9pou -\nsera ensuite celui qui lui fera le plus de pr\u00e9sents et \u00e0 qui elle \nest destin\u00e9e.\nIl parla ainsi, et il d\u00e9posa l\u2019arc appuy\u00e9 contre les battants polis de \nla porte, et il mit la fl\u00e8che aigu\u00eb aupr\u00e8s de l\u2019arc au bout recourb\u00e9. \nPuis, il retourna s\u2019asseoir sur le thr\u00f4ne qu\u2019il avait quitt\u00e9. alors, \nantinoos le r\u00e9primanda et lui dit :\n\u2013 Lei\u00f4d\u00e8s, quelle parole s\u2019est \u00e9chapp\u00e9e d\u2019entre tes dents ? Elle est \nmauvaise et funeste, et je suis irrit\u00e9 de l\u2019avoir entendue. Cet arc 486CHaNT 21\ndoit priver de leur c\u0153ur et de leur \u00e2me beaucoup de braves guer -\nriers, parce que tu n\u2019as pu le tendre ! Ta m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable ne t\u2019a \npoint enfant\u00e9 pour tendre les arcs, mais, bient\u00f4t, d\u2019autres pr\u00e9ten -\ndants illustres tendront celui-ci.\nIl parla ainsi et il donna cet ordre au chevrier M\u00e9lanthios :\n\u2013 M\u00e9lanthios, allume promptement du feu dans la demeure et \nplace devant le feu un grand si\u00e8ge couvert de peaux. apporte le \nlarge disque de graisse qui est dans la maison, afin que les jeunes \nhommes, l\u2019ayant fait chauffer, en amollissent cet arc, et que nous \nterminions cette \u00e9preuve.\nIl parla ainsi, et aussit\u00f4t M\u00e9lanthios alluma un grand feu, et \nil pla\u00e7a devant le feu un si\u00e8ge couvert de peaux ; et les jeunes \nhommes, ayant chauff\u00e9 le large disque de graisse qui \u00e9tait dans \nla maison, en amollirent l\u2019arc, et ils ne purent le tendre, car ils \n\u00e9taient de beaucoup trop faibles. Et il ne restait plus qu\u2019a ntinoos \net le divin Eurymakhos, chefs des pr\u00e9tendants et les plus braves \nd\u2019entre eux.\nalors, le porcher et le bouvier du divin Odysseus sortirent \nensemble de la demeure, et le divin Odysseus sortit apr\u00e8s eux. Et 487\nL\u2019ODYSS\u00c9Equand ils furent hors des portes, dans la cour, Odysseus, pr\u00e9cipi -\ntant ses paroles, leur dit :\n\u2013 Bouvier, et toi, porcher, vous dirai-je quelque chose et ne \nvous cacherai-je rien ? Mon \u00e2me, en effet, m\u2019ordonne de parler. \nViendriez-vous en aide \u00e0 Odysseus s\u2019il revenait brusquement et \nsi un dieu le ramenait ? \u00c0 qui viendriez-vous en aide, aux pr\u00e9ten -\ndants ou \u00e0 Odysseus ? Dites ce que votre c\u0153ur et votre \u00e2me vous \nordonnent de dire.\nEt le bouvier lui r\u00e9pondit :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! Pl\u00fbt aux dieux que mon v\u0153u f\u00fbt accompli ! Pl\u00fbt aux \ndieux que ce h\u00e9ros rev\u00eent et qu\u2019un dieu le ramen\u00e2t, tu saurais \nalors \u00e0 qui appartiendraient ma force et mes bras !\nEt, de m\u00eame, Eumaios supplia tous les dieux de ramener le pru -\ndent Odysseus dans sa demeure. alors, celui-ci connut quelle \n\u00e9tait leur vraie pens\u00e9e, et, leur parlant de nouveau, il leur dit :\n\u2013 Je suis Odysseus. apr\u00e8s avoir souffert des maux innombrables, \nje reviens dans la vingti\u00e8me ann\u00e9e sur la terre de la patrie. Je sais \nque, seuls parmi les serviteurs, vous avez d\u00e9sir\u00e9 mon retour ; car \nje n\u2019ai entendu aucun des autres prier pour que je revinsse dans 488CHaNT 21\nma demeure. Je vous dirai donc ce qui sera. Si un dieu dompte \npar mes mains les pr\u00e9tendants insolents, je vous donnerai \u00e0 tous \ndeux des femmes, des richesses et des demeures b\u00e2ties aupr\u00e8s des \nmiennes, et vous serez pour T\u00e8l\u00e9makhos des compagnons et des \nfr\u00e8res. Mais je vous montrerai un signe manifeste, afin que vous \nme reconnaissiez bien et que vous soyez persuad\u00e9s dans votre \n\u00e2me : cette blessure qu\u2019un sanglier me fit autrefois de ses blanches \ndents, quand j\u2019allai sur le Parn\u00e8sos avec les fils d\u2019a utolykos.\nIl parla ainsi, et entrouvrant ses haillons, il montra la grande bles -\nsure. Et, d\u00e8s qu\u2019ils l\u2019eurent vue, aussit\u00f4t ils la reconnurent.\nEt ils pleur\u00e8rent, entourant le prudent Odysseus de leurs bras, et \nils bais\u00e8rent sa t\u00eate et ses \u00e9paules. Et, de m\u00eame, Odysseus baisa \nleurs t\u00eates et leurs \u00e9paules. Et la lumi\u00e8re de H\u00e8lios f\u00fbt tomb\u00e9e \ntandis qu\u2019ils pleuraient, si Odysseus ne les e\u00fbt arr\u00eat\u00e9s et ne leur \ne\u00fbt dit :\n\u2013 Cessez de pleurer et de g\u00e9mir, de peur que, sortant de la demeure, \nquelqu\u2019un vous voie et le dise ; mais rentrez l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, et \nnon ensemble. Je rentre le premier ; venez ensuite. Maintenant, \n\u00e9coutez ceci : les pr\u00e9tendants insolents ne permettront point, tous, \ntant qu\u2019ils sont, qu\u2019on me donne l\u2019arc et le carquois ; mais toi, \ndivin Eumaios, apporte-moi l\u2019arc \u00e0 travers la salle, remets-le dans 489\nL\u2019ODYSS\u00c9Emes mains, et dis aux servantes de fermer les portes solides de la \ndemeure. Si quelqu\u2019un entend, de la cour, des g\u00e9missements et du \ntumulte, qu\u2019il y reste et s\u2019occupe tranquillement de son travail. Et \ntoi, divin Philoitios, je t\u2019ordonne de fermer les portes de la cour et \nd\u2019en assujettir les barri\u00e8res et d\u2019en pousser les verrous.\nayant ainsi parl\u00e9, il rentra dans la grande salle et il s\u2019assit sur le \nsi\u00e8ge qu\u2019il avait quitt\u00e9. Puis, les deux serviteurs du divin Odysseus \nrentr\u00e8rent. Et d\u00e9j\u00e0 Eurymakhos tenait l\u2019arc dans ses mains, le \nchauffant de tous les c\u00f4t\u00e9s \u00e0 la splendeur du feu ; mais il ne put le \ntendre, et son illustre c\u0153ur soupira profond\u00e9ment, et il dit, par -\nlant ainsi :\n\u2013 \u00d4 dieux ! certes, je ressens une grande douleur pour moi et \npour tous.\nJe ne g\u00e9mis pas seulement \u00e0 cause de mes noces, bien que j\u2019en \nsois attrist\u00e9, car il y a beaucoup d\u2019autres akhaiennes dans Ithak\u00e8 \nentour\u00e9e des flots et dans les autres villes ; mais je g\u00e9mis que nous \nsoyons tellement inf\u00e9rieurs en force au divin Odysseus que nous \nne puissions tendre son arc. Ce sera notre honte dans l\u2019avenir.490CHaNT 21\nEt antinoos, fils d\u2019Eupeith\u00e8s, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eurymakhos, ceci ne sera point. Songes-y toi-m\u00eame. C\u2019est \naujourd\u2019hui parmi le peuple la f\u00eate sacr\u00e9e d\u2019un dieu ; qui pourrait \ntendre un arc ? Laissons-le en repos, et que les anneaux des haches \nrestent dress\u00e9s. Je ne pense pas que quelqu\u2019un les enl\u00e8ve dans la \ndemeure du Laertiade Odysseus. allons ! que celui qui verse le \nvin emplisse les coupes, afin que nous fassions des libations, apr\u00e8s \navoir d\u00e9pos\u00e9 cet arc. Ordonnez au chevrier M\u00e9lanthios d\u2019ame -\nner demain les meilleures ch\u00e8vres de tous ses troupeaux, afin \nqu\u2019ayant br\u00fbl\u00e9 leurs cuisses pour apoll\u00f4n illustre par son arc, \nnous tentions de nouveau et nous terminions l\u2019\u00e9preuve.\nainsi parla antinoos, et ce qu\u2019il avait dit leur plut. Et les h\u00e9rauts \nleur vers\u00e8rent de l\u2019eau sur les mains, et les jeunes hommes cou -\nronn\u00e8rent de vin les krat\u00e8res et le distribu\u00e8rent entre tous \u00e0 \ncoupes pleines. Et, apr\u00e8s qu\u2019ils eurent fait des libations et bu \nautant que leur \u00e2me le d\u00e9sirait, le prudent Odysseus, m\u00e9ditant \ndes ruses, leur dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, pr\u00e9tendants de l\u2019illustre reine, afin que je dise \nce que mon c\u0153ur m\u2019ordonne dans ma poitrine. Je prie surtout \nEurymakhos et le roi antinoos, car ce dernier a parl\u00e9 comme \nil convenait. Laissez maintenant cet arc, et remettez le reste aux 491\nL\u2019ODYSS\u00c9Edieux. Demain un dieu donnera la victoire \u00e0 qui il voudra : mais \ndonnez-moi cet arc poli, afin que je fasse devant vous l\u2019\u00e9preuve de \nmes mains et de ma force, et que je voie si j\u2019ai encore la force d\u2019au -\ntrefois dans mes membres courb\u00e9s, ou si mes courses errantes et \nla mis\u00e8re me l\u2019ont enlev\u00e9e.\nIl parla ainsi, et tous furent tr\u00e8s irrit\u00e9s, craignant qu\u2019il tend\u00eet l\u2019arc \npoli. Et antinoos le r\u00e9primanda ainsi et lui dit :\n\u2013 ah ! mis\u00e9rable \u00e9tranger, ne te reste-t-il plus le moindre sens ? Ne \nte pla\u00eet-il plus de prendre tranquillement ton repas \u00e0 nos tables ? \nEs-tu priv\u00e9 de nourriture ? N\u2019entends-tu pas nos paroles ? Jamais \naucun autre \u00e9tranger ou mendiant ne nous a \u00e9cout\u00e9s ainsi. Le \ndoux vin te trouble, comme il trouble celui qui en boit avec abon -\ndance et non convenablement. Certes, ce fut le vin qui troubla l\u2019il -\nlustre centaure Eurythi\u00f4n, chez les Lapithes, dans la demeure du \nmagnanime Peirithoos. Il troubla son esprit avec le vin, et, devenu \nfurieux, il commit des actions mauvaises dans la demeure de \nPeirithoos. Et la douleur saisit alors les h\u00e9ros, et ils le tra\u00een\u00e8rent \nhors du portique, et ils lui coup\u00e8rent les oreilles avec l\u2019airain cruel, \net les narines. Et, l\u2019esprit \u00e9gar\u00e9, il s\u2019en alla, emportant son supplice \net son c\u0153ur furieux.492CHaNT 21\nEt c\u2019est de l\u00e0 que s\u2019\u00e9leva la guerre entre les centaures et les \nhommes ; mais ce fut d\u2019abord Eurythi\u00f4n qui, \u00e9tant ivre, trouva \nson malheur. Je te pr\u00e9dis un ch\u00e2timent aussi grand si tu tends \ncet arc. Tu ne supplieras plus personne dans cette demeure, car \nnous t\u2019enverrons aussit\u00f4t sur une nef noire au roi \u00c9kh\u00e9tos, le plus \nf\u00e9roce de tous les hommes. Et l\u00e0 tu ne te sauveras pas. Bois donc \nen repos et ne lutte point contre des hommes plus jeunes que toi.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia parla ainsi :\n\u2013 antinoos, il n\u2019est ni bon ni juste d\u2019outrager les h\u00f4tes de \nT\u00e8l\u00e9makhos, quel que soit celui qui entre dans ses demeures. \nCrois-tu que si cet \u00e9tranger, confiant dans ses forces, tendait le \ngrand arc d\u2019Odysseus, il me conduirait dans sa demeure et ferait \nde moi sa femme ? Lui-m\u00eame ne l\u2019esp\u00e8re point dans son esprit. \nQu\u2019aucun de vous, prenant ici son repas, ne s\u2019inqui\u00e8te de ceci, car \ncette pens\u00e9e n\u2019est point convenable.\nEt Eurymakhos, fils de Polybos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Fille d\u2019Ikarios, prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, nous ne croyons point que \ncet homme t\u2019\u00e9pouse, car cette pens\u00e9e ne serait point convenable ; 493\nL\u2019ODYSS\u00c9Emais nous craignons la rumeur des hommes et des femmes. Le \ndernier des akhaiens dirait :\n\u2013 \u2018Certes, ce sont les pires des hommes qui recherchent la femme \nd\u2019un homme irr\u00e9prochable, car ils n\u2019ont pu tendre son arc poli, \ntandis qu\u2019un mendiant vagabond a tendu ais\u00e9ment l\u2019arc et lanc\u00e9 \nune fl\u00e8che \u00e0 travers le fer. \u2019 \u2013 En parlant ainsi, il nous couvri -\nrait d\u2019opprobre.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Eurymakhos, ils ne peuvent s\u2019illustrer parmi le peuple ceux qui \nm\u00e9prisent et ruinent la maison d\u2019un homme brave. Pourquoi \nvous \u00eates-vous couverts d\u2019opprobre vous-m\u00eames ? Cet \u00e9tranger \nest grand et fort, et il se glorifie d\u2019\u00eatre d\u2019une bonne race. Donnez-\nlui donc l\u2019arc d\u2019Odysseus, afin que nous voyions ce qu\u2019il en fera. \nEt je le dis, et ma parole s\u2019accomplira : s\u2019il tend l\u2019arc et si apoll\u00f4n \nlui accorde cette gloire, je le couvrirai de beaux v\u00eatements, d\u2019un \nmanteau et d\u2019une tunique, et je lui donnerai une lance aigu\u00eb pour \nqu\u2019il se d\u00e9fende des chiens et des hommes, et une \u00e9p\u00e9e \u00e0 deux \ntranchants. Et je lui donnerai aussi des sandales, et je le renverrai \nl\u00e0 o\u00f9 son c\u0153ur et son \u00e2me lui ordonnent d\u2019aller.494CHaNT 21\nEt, alors, le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ma m\u00e8re, aucun des akhaiens ne peut m\u2019emp\u00eacher de don -\nner ou de refuser cet arc \u00e0 qui je voudrai, ni aucun de ceux qui \ndominent dans l\u2019\u00e2pre Ithak\u00e8 ou qui habitent \u00c9lis o\u00f9 paissent les \nchevaux. aucun d\u2019entre eux ne m\u2019arr\u00eatera si je veux donner cet \narc \u00e0 mon h\u00f4te. Mais rentre dans ta chambre haute et prends \nsouci de tes travaux, de la toile et du fuseau.\nOrdonne aux servantes de reprendre leur t\u00e2che. Tout le reste \nregarde les hommes, et surtout moi qui commande dans \ncette demeure.\nEt P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, surprise, rentra dans la maison, songeant en son \n\u00e2me aux paroles prudentes de son fils. Puis, \u00e9tant mont\u00e9e dans \nla chambre haute, avec ses servantes, elle pleura son cher mari \nOdysseus jusqu\u2019\u00e0 ce que ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs e\u00fbt r\u00e9pandu le \ndoux sommeil sur ses paupi\u00e8res.495\nL\u2019ODYSS\u00c9Ealors le divin porcher prit l\u2019arc recourb\u00e9 et l\u2019emporta. Et les pr\u00e9 -\ntendants firent un grand tumulte dans la salle, et l\u2019un de ces \njeunes hommes insolents dit :\n\u2013 O\u00f9 portes-tu cet arc, immonde porcher ? vagabond ! Bient\u00f4t les \nchiens rapides que tu nourris te mangeront au milieu de tes porcs, \nloin des hommes, si apoll\u00f4n et les autres dieux immortels nous \nsont propices.\nIls parl\u00e8rent ainsi, et Eumaios d\u00e9posa l\u2019arc l\u00e0 o\u00f9 il \u00e9tait, plein de \ncrainte, parce qu\u2019ils le mena\u00e7aient en foule dans la demeure. Mais, \nd\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, T\u00e8l\u00e9makhos cria en le mena\u00e7ant :\n\u2013 P\u00e8re ! porte promptement l\u2019arc plus loin, et n\u2019ob\u00e9is pas \u00e0 tout le \nmonde, de peur que, bien que plus jeune que toi, je te chasse \u00e0 \ncoups de pierres vers tes champs, car je suis le plus fort.\nPl\u00fbt aux dieux que je fusse aussi sup\u00e9rieur par la force de mes bras \naux pr\u00e9tendants qui sont ici ! car je les chasserais aussit\u00f4t honteu -\nsement de ma demeure o\u00f9 ils commettent des actions mauvaises.\nIl parla ainsi, et tous les pr\u00e9tendants se mirent \u00e0 rire de lui et ces -\ns\u00e8rent d\u2019\u00eatre irrit\u00e9s. Et le porcher, traversant la salle, emporta l\u2019arc 496CHaNT 21\net le remit aux mains du subtil Odysseus. Et aussit\u00f4t il appela la \nnourrice Eurykl\u00e9ia :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos t\u2019ordonne, \u00f4 prudente Eurykl\u00e9ia, de fermer les \nportes solides de la maison. Si quelqu\u2019un des n\u00f4tres entend, de \nla cour, des g\u00e9missements ou du tumulte, qu\u2019il y reste et s\u2019occupe \ntranquillement de son travail.\nIl parla ainsi, et sa parole ne fut point vaine, et Eurykl\u00e9ia ferma \nles portes de la belle demeure. Et Philoitios, sautant dehors, ferma \naussi les portes de la cour. Et il y avait, sous le portique, un c\u00e2ble \nd\u2019\u00e9corce de nef \u00e0 bancs de rameurs, et il en lia les portes. Puis, \nrentrant dans la salle, il s\u2019assit sur le si\u00e8ge qu\u2019il avait quitt\u00e9, et il \nregarda Odysseus. Mais celui-ci, tournant l\u2019arc de tous c\u00f4t\u00e9s, exa -\nminait \u00e7\u00e0 et l\u00e0 si les vers n\u2019avaient point rong\u00e9 la corne en l\u2019ab -\nsence du ma\u00eetre. Et les pr\u00e9tendants se disaient les uns aux autres \nen le regardant :\n\u2013 Certes, celui-ci est un admirateur ou un voleur d\u2019arcs. Peut-\n\u00eatre en a-t-il de semblables dans sa demeure, ou veut-il en faire ? \nComme ce vagabond plein de mauvais desseins le retourne entre \nses mains.497\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt l\u2019un de ces jeunes hommes insolents dit aussi :\n\u2013 Pl\u00fbt aux dieux que cet arc lui port\u00e2t malheur, aussi s\u00fbrement \nqu\u2019il ne pourra le tendre !\nainsi parlaient les pr\u00e9tendants ; mais le subtil Odysseus, ayant \nexamin\u00e9 le grand arc, le tendit aussi ais\u00e9ment qu\u2019un homme, \nhabile \u00e0 jouer de la kithare et \u00e0 chanter, tend, \u00e0 l\u2019aide d\u2019une che -\nville, une nouvelle corde faite de l\u2019intestin tordu d\u2019une brebis. Ce \nfut ainsi qu\u2019Odysseus, tenant le grand arc, tendit ais\u00e9ment de la \nmain droite le nerf, qui r\u00e9sonna comme le cri de l\u2019hirondelle. Et \nune am\u00e8re douleur saisit les pr\u00e9tendants, et ils chang\u00e8rent tous \nde couleur, et Zeus, manifestant un signe, tonna fortement, et \nle patient et divin Odysseus se r\u00e9jouit de ce que le fils du sub -\ntil Kronos lui e\u00fbt envoy\u00e9 ce signe. Et il saisit une fl\u00e8che rapide \nqui, retir\u00e9e du carquois, \u00e9tait pos\u00e9e sur la table, tandis que toutes \nles autres \u00e9taient rest\u00e9es dans le carquois creux jusqu\u2019\u00e0 ce que \nles akhaiens les eussent essay\u00e9es. Puis, saisissant la poign\u00e9e de \nl\u2019arc, il tira le nerf sans quitter son si\u00e8ge ; et visant le but, il lan\u00e7a \nla fl\u00e8che, lourde d\u2019airain, qui ne s\u2019\u00e9carta point et traversa tous les \nanneaux des haches. alors, il dit \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, l\u2019\u00e9tranger assis dans tes demeures ne te fait pas \nhonte. Je ne me suis point \u00e9cart\u00e9 du but, et je ne me suis point 498CHaNT 21\nlongtemps fatigu\u00e9 \u00e0 tendre cet arc. Ma vigueur est encore enti\u00e8re, \net les pr\u00e9tendants ne me m\u00e9priseront plus.\nMais voici l\u2019heure pour les akhaiens de pr\u00e9parer le repas pendant \nqu\u2019il fait encore jour ; puis ils se charmeront des sons de la kithare \net du chant, qui sont les ornements des repas.\nIl parla ainsi et fit un signe avec ses sourcils, et T\u00e9l\u00e9makhos, le cher \nfils du divin Odysseus, ceignit une \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb, saisit une lance, et, \narm\u00e9 de l\u2019airain splendide, se pla\u00e7a aupr\u00e8s du si\u00e8ge d\u2019Odysseus.499\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 22\nalors, le subtil Odysseus, se d\u00e9pouillant de ses haillons, et tenant \ndans ses mains l\u2019arc et le carquois plein de fl\u00e8ches, sauta du large \nseuil, r\u00e9pandit les fl\u00e8ches rapides \u00e0 ses pieds et dit aux pr\u00e9tendants :\n\u2013 Voici que cette \u00e9preuve tout enti\u00e8re est accomplie. Maintenant, \nje viserai un autre but qu\u2019aucun homme n\u2019a jamais touch\u00e9. \nQu\u2019a poll\u00f4n me donne la gloire de l\u2019atteindre !\nIl parla ainsi, et il dirigea la fl\u00e8che am\u00e8re contre antinoos. Et \ncelui-ci allait soulever \u00e0 deux mains une belle coupe d\u2019or \u00e0 deux \nanses afin de boire du vin, et la mort n\u2019\u00e9tait point pr\u00e9sente \u00e0 son \nesprit. Et, en effet, qui e\u00fbt pens\u00e9 qu\u2019un homme, seul au milieu de \nconvives nombreux, e\u00fbt os\u00e9, quelle que f\u00fbt sa force, lui envoyer \nla mort et la k\u00e8r noire ? Mais Odysseus le frappa de sa fl\u00e8che \u00e0 la \ngorge, et la pointe traversa le cou d\u00e9licat. Il tomba \u00e0 la renverse, et \nla coupe s\u2019\u00e9chappa de sa main inerte, et un jet de sang sortit de sa \nnarine, et il repoussa des pieds la table, et les mets roul\u00e8rent \u00e9pars \nsur la terre, et le pain et la chair r\u00f4tie furent souill\u00e9s. Les pr\u00e9ten -\ndants fr\u00e9mirent dans la demeure quand ils virent l\u2019homme tom -\nber. Et, se levant en tumulte de leurs si\u00e9ges, ils regardaient de tous 500CHaNT 22\nc\u00f4t\u00e9s sur les murs sculpt\u00e9s, cherchant \u00e0 saisir des boucliers et des \nlances, et ils cri\u00e8rent \u00e0 Odysseus en paroles furieuses :\n\u2013 \u00c9tranger, tu envoies tra\u00eetreusement tes fl\u00e8ches contre les \nhommes ! Tu ne tenteras pas d\u2019autres \u00e9preuves, car voici que ta \ndestin\u00e9e terrible va s\u2019accomplir.\nTu viens de tuer le plus illustre des jeunes hommes d\u2019Ithak\u00e8, et les \nvautours te mangeront ici !\nIls parlaient ainsi, croyant qu\u2019il avait tu\u00e9 involontairement, et les \ninsens\u00e9s ne devinaient pas que les k\u00e8res de la mort \u00e9taient sur \nleurs t\u00eates. Et, les regardant d\u2019un oeil sombre, le subtil Odysseus \nleur dit :\n\u2013 Chiens ! vous ne pensiez pas que je reviendrais jamais du pays \ndes Troiens dans ma demeure. Et vous d\u00e9voriez ma maison, et \nvous couchiez de force avec mes servantes, et, moi vivant, vous \nrecherchiez ma femme, ne redoutant ni les dieux qui habitent \nle large Ouranos, ni le bl\u00e2me des hommes qui viendront ! \nMaintenant, les k\u00e8res de la mort vont vous saisir tous !501\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, et la terreur les prit, et chacun regardait de tous c\u00f4t\u00e9s, \ncherchant par o\u00f9 il fuirait la noire destin\u00e9e. Et, seul, Eurymakhos, \nlui r\u00e9pondant, dit :\n\u2013 S\u2019il est vrai que tu sois Odysseus l\u2019Ithak\u00e8sien revenu ici, tu as \nbien parl\u00e9 en disant que les akhaiens ont commis des actions \niniques dans tes demeures et dans tes champs. Mais le voici gisant \ncelui qui a \u00e9t\u00e9 cause de tout. C\u2019est antinoos qui a \u00e9t\u00e9 cause de \ntout, non parce qu\u2019il d\u00e9sirait ses noces, mais ayant d\u2019autres des -\nseins que le Kroni\u00f4n ne lui a point permis d\u2019accomplir. Il voulait \nr\u00e9gner sur le peuple d\u2019Ithak\u00e8 bien b\u00e2tie et tendait des emb\u00fbches \n\u00e0 ton fils pour le tuer.\nMaintenant qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 tu\u00e9 justement, aie piti\u00e9 de tes concitoyens. \nBient\u00f4t nous t\u2019apaiserons devant le peuple. Nous te payerons \ntout ce que nous avons bu et mang\u00e9 dans tes demeures. Chacun \nde nous t\u2019am\u00e8nera vingt b\u0153ufs, de l\u2019airain et de l\u2019or, jusqu\u2019\u00e0 ce \nque ton \u00e2me soit satisfaite. Mais avant que cela soit fait, ta col\u00e8re \nest juste.\nEt, le regardant d\u2019un oeil sombre, le prudent Odysseus lui dit :\n\u2013 Eurymakhos, m\u00eame si vous m\u2019apportiez tous vos biens pater -\nnels et tout ce que vous poss\u00e9dez maintenant, mes mains ne 502CHaNT 22\ns\u2019abstiendraient pas du carnage avant d\u2019avoir ch\u00e2ti\u00e9 l\u2019insolence de \ntous les pr\u00e9tendants. Choisissez, ou de me combattre, ou de fuir, \nsi vous le pouvez, la k\u00e8r et la mort. Mais je ne pense pas qu\u2019aucun \nde vous \u00e9chappe \u00e0 la noire destin\u00e9e.\nIl parla ainsi, et leurs genoux \u00e0 tous furent rompus. Et Eurymakhos, \nparlant une seconde fois, leur dit :\n\u2013 \u00d4 amis, cet homme ne retiendra pas ses mains in\u00e9vitables, ayant \nsaisi l\u2019arc poli et le carquois, et tirant ses fl\u00e8ches du seuil de la \nsalle, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il nous ait tu\u00e9s tous. Souvenons-nous donc de \ncombattre ; tirez vos \u00e9p\u00e9es, opposez les tables aux fl\u00e8ches rapides, \njetons-nous tous sur lui, et nous le chasserons du seuil et des \nportes, et nous irons par la ville, soulevant un grand tumulte, et, \nbient\u00f4t, cet homme aura tir\u00e9 sa derni\u00e8re fl\u00e8che.\nayant ainsi parl\u00e9, il tira son \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb \u00e0 deux tranchants, et se rua \nsur Odysseus en criant horriblement ; mais le divin Odysseus le \npr\u00e9venant, lan\u00e7a une fl\u00e8che et le per\u00e7a dans la poitrine aupr\u00e8s de \nla mamelle, et le trait rapide s\u2019enfon\u00e7a dans le foie. Et l\u2019\u00e9p\u00e9e tomba \nde sa main contre terre, et il tournoya pr\u00e8s d\u2019une table, dispersant \nles mets et les coupes pleines : et lui-m\u00eame se renversa en se tor -\ndant et en g\u00e9missant, et il frappa du front la terre, repoussant un \nthr\u00f4ne de ses deux pieds, et l\u2019obscurit\u00e9 se r\u00e9pandit sur ses yeux.503\nL\u2019ODYSS\u00c9Ealors amphinomos se rua sur le magnanime Odysseus, apr\u00e8s \navoir tir\u00e9 son \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb, afin de l\u2019\u00e9carter des portes ; mais \nT\u00e8l\u00e9makhos le pr\u00e9vint en le frappant dans le dos, entre les \u00e9paules, \net la lance d\u2019airain traversa la poitrine ; et le pr\u00e9tendant tomba \navec bruit et frappa la terre du front. Et T\u00e8l\u00e9makhos revint \u00e0 la \nh\u00e2te, ayant laiss\u00e9 sa longue lance dans le corps d\u2019a mphinomos, \ncar il craignait qu\u2019un des akhaiens l\u2019atteign\u00eet, tandis qu\u2019il l\u2019ap -\nprocherait, et le frapp\u00e2t de l\u2019\u00e9p\u00e9e sur sa t\u00eate pench\u00e9e. Et, en cou -\nrant, il revint promptement aupr\u00e8s de son cher p\u00e8re, et il lui dit \nces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 p\u00e8re, je vais t\u2019apporter un bouclier et deux lances et un casque \nd\u2019airain adapt\u00e9 \u00e0 tes tempes. Moi-m\u00eame je m\u2019armerai, ainsi que le \nporcher et le bouvier, car il vaut mieux nous armer.\nEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 apporte-les en courant ; tant que j\u2019aurai des fl\u00e8ches pour com -\nbattre, ils ne m\u2019\u00e9loigneront pas des portes, bien que je sois seul.\nIl parla ainsi, et T\u00e8l\u00e9makhos ob\u00e9it \u00e0 son cher p\u00e8re, et il se h\u00e2ta de \nmonter dans la chambre haute o\u00f9 \u00e9taient les armes illustres, et il \nsaisit quatre boucliers, huit lances et quatre casques \u00e9pais d\u2019ai -\nrain, et il revint en les portant, et il rejoignit promptement son 504CHaNT 22\ncher p\u00e8re. Lui-m\u00eame, le premier, il se couvrit d\u2019airain, et, les deux \nserviteurs s\u2019\u00e9tant aussi couverts de belles armes, ils entour\u00e8rent le \nsage et subtil Odysseus. Et, tant que celui-ci eut des fl\u00e8ches, il en \nper\u00e7a sans rel\u00e2che les pr\u00e9tendants, qui tombaient amoncel\u00e9s dans \nla salle. Mais apr\u00e8s que toutes les fl\u00e8ches eurent quitt\u00e9 le roi qui \nles lan\u00e7ait, il appuya son arc debout contre les murs splendides \nde la salle solide, jeta sur ses \u00e9paules un bouclier \u00e0 quatre lames, \nposa sur sa t\u00eate un casque \u00e9pais \u00e0 crini\u00e8re de cheval, et sur lequel \ns\u2019agitait une aigrette, et il saisit deux fortes lances arm\u00e9es d\u2019airain.\nIl y avait dans le mur bien construit de la salle, aupr\u00e8s du seuil \nsup\u00e9rieur, une porte qui donnait issue au-dehors et que fermaient \ndeux ais solides. Et Odysseus ordonna au divin porcher de se \ntenir aupr\u00e8s de cette porte pour la garder, car il n\u2019y avait que cette \nissue. Et alors ag\u00e9laos dit aux pr\u00e9tendants :\n\u2013 \u00d4 amis, quelqu\u2019un ne pourrait-il pas monter \u00e0 cette porte, afin \nde parler au peuple et d\u2019exciter un grand tumulte ?\nCet homme aurait bient\u00f4t lanc\u00e9 son dernier trait.505\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le chevrier M\u00e9lanthios lui dit :\n\u2013 Cela ne se peut, divin ag\u00e9laos. L \u2019entr\u00e9e de la belle porte de la \ncour est \u00e9troite et difficile \u00e0 passer, et un seul homme vigoureux \nnous arr\u00eaterait tous. Mais je vais vous apporter des armes de la \nchambre haute ; c\u2019est l\u00e0, je pense, et non ailleurs, qu\u2019Odysseus et \nson illustre fils les ont d\u00e9pos\u00e9es.\nayant ainsi parl\u00e9, le chevrier M\u00e9lanthios monta dans la chambre \nhaute d\u2019Odysseus par les \u00e9chelles de la salle. L\u00e0, il prit douze \nboucliers, douze lances et autant de casques d\u2019airain \u00e0 crini\u00e8res \n\u00e9paisses, et, se h\u00e2tant de les apporter, il les donna aux pr\u00e9ten -\ndants. Et quand Odysseus les vit s\u2019armer et brandir de longues \nlances dans leurs mains, ses genoux et son cher c\u0153ur furent rom -\npus, et il sentit la difficult\u00e9 de son \u0153uvre, et il dit \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos \nces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, voici qu\u2019une des femmes de la maison, ou \nM\u00e9lanthios, nous expose \u00e0 un danger terrible.506CHaNT 22\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 p\u00e8re, c\u2019est moi qui ai failli, et aucun autre n\u2019est cause de ceci, \ncar j\u2019ai laiss\u00e9 ouverte la porte solide de la chambre haute, et la \nsentinelle des pr\u00e9tendants a \u00e9t\u00e9 plus vigilante que moi.\nVa, divin Eumaios, ferme la porte de la chambre haute, et vois si \nc\u2019est une des femmes qui a fait cela, ou M\u00e9lanthios, fils de Dolios, \ncomme je le pense.\nEt, tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, le chevrier M\u00e9lanthios retourna \nde nouveau \u00e0 la chambre haute pour y chercher des armes, et \nle divin porcher le vit, et, aussit\u00f4t, s\u2019approchant d\u2019Odysseus, il \nlui dit :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, ce m\u00e9chant homme que \nnous soup\u00e7onnions retourne dans la chambre haute. Dis-moi la \nv\u00e9rit\u00e9 ; le tuerai-je, si je suis le plus fort, ou te l\u2019am\u00e8nerai-je pour \nqu\u2019il expie toutes les actions ex\u00e9crables qu\u2019il a commises dans \nta demeure ?507\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, T\u00e8l\u00e9makhos et moi nous contiendrons les pr\u00e9tendants \ninsolents, malgr\u00e9 leur fureur. Vous, liez-lui les pieds et les mains, \njetez-le dans la chambre, et, avant de fermer les portes derri\u00e8re \nvous, encha\u00eenez-le et suspendez-le \u00e0 une haute colonne, afin que, \nvivant longtemps, il subisse de cruelles douleurs.\nIl parla ainsi, et ils entendirent et ob\u00e9irent. Et ils all\u00e8rent promp -\ntement \u00e0 la chambre haute, se cachant de M\u00e9lanthios qui y \u00e9tait \nentr\u00e9 et qui cherchait des armes dans le fond.\nIls s\u2019arr\u00eat\u00e8rent des deux c\u00f4t\u00e9s du seuil, et, quand le chevrier \nM\u00e9lanthios revint, tenant d\u2019une main un beau casque, et, de \nl\u2019autre, un large bouclier antique que le h\u00e9ros Laert\u00e8s portait dans \nsa jeunesse, et qui gisait l\u00e0 depuis longtemps et dont les courroies \n\u00e9taient rong\u00e9es ; alors ils se jet\u00e8rent sur lui et le tra\u00een\u00e8rent dans \nla chambre par les cheveux, l\u2019ayant renvers\u00e9 g\u00e9missant contre \nterre. Et ils lui li\u00e8rent les pieds et les mains avec une corde bien \ntress\u00e9e ainsi que l\u2019avait ordonn\u00e9 le patient et divin Odysseus, \nfils de Laert\u00e8s ; puis, l\u2019ayant encha\u00een\u00e9, ils le suspendirent \u00e0 une 508CHaNT 22\nhaute colonne, pr\u00e8s des poutres. Et le porcher Eumaios lui dit en \nle raillant :\n\u2013 Maintenant, M\u00e9lanthios, tu vas faire sentinelle toute la nuit, \ncouch\u00e9 dans ce lit moelleux, comme il est juste. \u00c9\u00f4s au thr\u00f4ne \nd\u2019or ne t\u2019\u00e9chappera pas quand elle sortira des flots d\u2019Ok\u00e9anos, \u00e0 \nl\u2019heure o\u00f9 tu am\u00e8nes tes ch\u00e8vres aux pr\u00e9tendants pour pr\u00e9parer \nleur repas.\nEt ils le laiss\u00e8rent l\u00e0, cruellement attach\u00e9. Puis, s\u2019\u00e9tant arm\u00e9s, ils \nferm\u00e8rent les portes brillantes, et, pleins de courage, ils retour -\nn\u00e8rent aupr\u00e8s du sage et subtil Odysseus. Et ils \u00e9taient quatre sur \nle seuil, et dans la salle il y avait de nombreux et braves guerriers. \nEt ath\u00e8n\u00e8, la fille de Zeus, approcha, ayant la figure et la voix de \nMent\u00f4r. Et Odysseus, joyeux de la voir, lui dit :\n\u2013 Ment\u00f4r, \u00e9loigne de nous le danger et souviens-toi de ton cher \ncompagnon qui t\u2019a combl\u00e9 de biens, car tu es de mon \u00e2ge.509\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, pensant bien que c\u2019\u00e9tait la protectrice ath\u00e8n\u00e8. Et les \npr\u00e9tendants, de leur c\u00f4t\u00e9, poussaient des cris mena\u00e7ants dans la \nsalle, et, le premier, le Damastoride ag\u00e9laos r\u00e9primanda ath\u00e8n\u00e8 :\n\u2013 Ment\u00f4r, qu\u2019Odysseus ne te persuade pas de combattre les pr\u00e9 -\ntendants, et de lui venir en aide. Je pense que notre volont\u00e9 s\u2019ac -\ncomplira quand nous aurons tu\u00e9 le p\u00e8re et le fils. Tu seras tu\u00e9 \navec eux, si tu songes \u00e0 les aider, et tu le payeras de ta t\u00eate. Quand \nnous aurons dompt\u00e9 vos fureurs avec l\u2019airain, nous confondrons \ntes richesses avec celles d\u2019Odysseus, et nous ne laisserons vivre \ndans tes demeures ni tes fils, ni tes filles, ni ta femme v\u00e9n\u00e9rable !\nIl parla ainsi et ath\u00e8n\u00e8 s\u2019en irrita davantage, et elle r\u00e9primanda \nOdysseus en paroles irrit\u00e9es :\n\u2013 Odysseus, tu n\u2019as plus ni la vigueur, ni le courage que tu avais \nquand tu combattis neuf ans, chez les Troiens, pour H\u00e9l\u00e9n\u00e8 aux \nbras blancs n\u00e9e d\u2019un p\u00e8re divin. Tu as tu\u00e9, dans la rude m\u00eal\u00e9e, \nde nombreux guerriers, et c\u2019est par tes conseils que la ville aux \nlarges rues de Priamos a \u00e9t\u00e9 prise. Pourquoi, maintenant que tu \nes revenu dans tes demeures, au milieu de tes richesses, cesses-tu \nd\u2019\u00eatre brave en face des pr\u00e9tendants ? allons, cher ! tiens-toi pr\u00e8s \nde moi ; regarde-moi combattre, et vois si, contre tes ennemis, \nMent\u00f4r alkimide reconna\u00eet le bien que tu lui as fait !510CHaNT 22\nElle parla ainsi, mais elle ne lui donna pas encore la victoire, vou -\nlant \u00e9prouver la force et le courage d\u2019Odysseus et de son illustre \nfils ; et ayant pris la forme d\u2019une hirondelle, elle alla se poser en \nvolant sur une poutre de la salle splendide.\nMais le Damastoride ag\u00e9laos, Eurynomos, amphim\u00e9d\u00f4n, \nD\u00e8moptol\u00e9mos, Peisandros Polyktoride et le brave Polybos exci -\ntaient les pr\u00e9tendants. C\u2019\u00e9taient les plus courageux de ceux qui \nvivaient encore et qui combattaient pour leur vie, car l\u2019arc et les \nfl\u00e8ches avaient dompt\u00e9 les autres. Et ag\u00e9laos leur dit :\n\u2013 \u00d4 amis, cet homme va retenir ses mains in\u00e9vitables. D\u00e9j\u00e0 Ment\u00f4r \nqui \u00e9tait venu prof\u00e9rant de vaines bravades les a laiss\u00e9s seuls sur \nle seuil de la porte. C\u2019est pourquoi lancez tous ensemble vos lon -\ngues piques. allons ! lan\u00e7ons-en six d\u2019abord. Si Zeus nous accorde \nde frapper Odysseus et nous donne cette gloire, nous aurons peu \nde souci des autres, si celui-l\u00e0 tombe.\nIl parla ainsi, et tous lanc\u00e8rent leurs piques avec ardeur, comme \nil l\u2019avait ordonn\u00e9 ; mais ath\u00e8n\u00e8 les rendit inutiles ; l\u2019une frappa le \nseuil de la salle, l\u2019autre la porte solide, et l\u2019autre le mur. Et, apr\u00e8s 511\nL\u2019ODYSS\u00c9Equ\u2019ils eurent \u00e9vit\u00e9 les piques des pr\u00e9tendants, le patient et divin \nOdysseus dit \u00e0 ses compagnons :\n\u2013 \u00d4 amis, c\u2019est \u00e0 moi maintenant et \u00e0 vous. Lan\u00e7ons nos piques \ndans la foule des pr\u00e9tendants, qui, en nous tuant, veulent mettre \nle comble aux maux qu\u2019ils ont d\u00e9j\u00e0 caus\u00e9s.\nIl parla ainsi, et tous lanc\u00e8rent leurs piques aigu\u00ebs, Odysseus \ncontre D\u00e8moptol\u00e9mos, T\u00e8l\u00e9makhos contre Euryad\u00e8s, le porcher \ncontre \u00c9latos et le bouvier contre Peisandros, et tous les quatre \nmordirent la terre, et les pr\u00e9tendants se r\u00e9fugi\u00e8rent dans le fond \nde la salle, et les vainqueurs se ru\u00e8rent en avant et arrach\u00e8rent \nleurs piques des cadavres.\nalors les pr\u00e9tendants lanc\u00e8rent de nouveau leurs longues piques \navec une grande force ; mais ath\u00e8n\u00e8 les rendit inutiles ; l\u2019une frappa \nle seuil, l\u2019autre la porte solide, et l\u2019autre le mur. amphim\u00e9d\u00f4n \neffleura la main de T\u00e8l\u00e9makhos, et la pointe d\u2019airain enleva l\u2019\u00e9pi -\nderme. Kt\u00e8sippos atteignit l\u2019\u00e9paule d\u2019Eumaios par-dessus le bou -\nclier, mais la longue pique passa par-dessus et tomba sur la terre. \nalors, autour du sage et subtil Odysseus, ils lanc\u00e8rent de nou -\nveau leurs piques aigu\u00ebs dans la foule des pr\u00e9tendants, et le des -\ntructeur de citadelles Odysseus per\u00e7a Eurydamas ; T\u00e8l\u00e9makhos, 512CHaNT 22\namphim\u00e9d\u00f4n ; le porcher, Polybos ; et le bouvier per\u00e7a Kt\u00e8sippos \ndans la poitrine et il lui dit en se glorifiant :\n\u2013 \u00d4 Polytherside, ami des injures, il faut cesser de parler avec arro -\ngance et laisser faire les dieux, car ils sont les plus puissants. Voici \nle salaire du coup que tu as donn\u00e9 au divin Odysseus tandis qu\u2019il \nmendiait dans sa demeure.\nLe gardien des b\u0153ufs aux pieds flexibles parla ainsi, et de sa \nlongue pique Odysseus per\u00e7a le Damastoride, et T\u00e8l\u00e9makhos \nfrappa d\u2019un coup de lance dans le ventre l\u2019\u00c9ven\u00f4ride Lei\u00f4kritos. \nL \u2019airain le traversa, et, tombant sur la face, il frappa la terre \ndu front.\nalors, ath\u00e8n\u00e8 tueuse d\u2019hommes agita l\u2019a igide au fa\u00eete de la salle, \net les pr\u00e9tendants furent \u00e9pouvant\u00e9s, et ils se dispers\u00e8rent dans \nla salle comme un troupeau de b\u0153ufs que tourmente, au prin -\ntemps, quand les jours sont longs, un taon aux couleurs vari\u00e9es. \nDe m\u00eame que des vautours aux ongles et aux becs recourb\u00e9s, \ndescendus des montagnes, poursuivent les oiseaux effray\u00e9s qui \nse dispersent, de la plaine dans les nu\u00e9es, et les tuent sans qu\u2019ils \npuissent se sauver par la fuite, tandis que les laboureurs s\u2019en \nr\u00e9jouissent ; de m\u00eame, Odysseus et ses compagnons se ruaient \npar la demeure sur les pr\u00e9tendants et les frappaient de tous c\u00f4t\u00e9s ; 513\nL\u2019ODYSS\u00c9Eet un horrible bruit de g\u00e9missements et de coups s\u2019\u00e9levait, et la \nterre ruisselait de sang.\nEt L\u00e9i\u00f4d\u00e8s s\u2019\u00e9lan\u00e7a, et, saisissant les genoux d\u2019Odysseus, il le sup -\nplia en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Je te supplie, Odysseus ! \u00c9coute, prends piti\u00e9 de moi ! je te le jure, \njamais je n\u2019ai, dans tes demeures, dit une parole outrageante aux \nfemmes, ni commis une action inique, et j\u2019arr\u00eatais les autres pr\u00e9 -\ntendants quand ils en voulaient commettre ; mais ils ne m\u2019ob\u00e9is -\nsaient point et ne s\u2019abstenaient point de violences, et c\u2019est pour -\nquoi ils ont subi une honteuse destin\u00e9e en expiation de leur folie.\nMais moi, leur sacrificateur, qui n\u2019ai rien fait, mourrai-je \ncomme eux ? ainsi, \u00e0 l\u2019avenir, les bonnes actions n\u2019auront plus \nde r\u00e9compense !\nEt, le regardant d\u2019un oeil sombre, le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si, comme tu le dis, tu as \u00e9t\u00e9 leur sacrificateur, n\u2019as-tu pas souvent \nsouhait\u00e9 que mon retour dans la patrie n\u2019arriv\u00e2t jamais ? N\u2019as-tu \npas souhait\u00e9 ma femme bien-aim\u00e9e et d\u00e9sir\u00e9 qu\u2019elle enfant\u00e2t des \nfils de toi ? C\u2019est pourquoi tu n\u2019\u00e9viteras pas la lugubre mort !514CHaNT 22\nayant ainsi parl\u00e9, il saisit \u00e0 terre, de sa main vigoureuse, l\u2019\u00e9p\u00e9e \nqu\u2019a g\u00e9laos tu\u00e9 avait laiss\u00e9e tomber, et il frappa L\u00e9i\u00f4d\u00e8s au milieu \ndu cou, et, comme celui-ci parlait encore, sa t\u00eate roula dans \nla poussi\u00e8re.\nEt l\u2019aoide Terpiade Ph\u00e8mios \u00e9vita la noire k\u00e8r, car il chantait de \nforce au milieu des pr\u00e9tendants. Et il se tenait debout pr\u00e8s de \nla porte, tenant en main sa kithare sonore ; et il h\u00e9sitait dans \nson esprit s\u2019il sortirait de la demeure pour s\u2019asseoir dans la \ncour aupr\u00e8s de l\u2019autel du grand Zeus, l\u00e0 o\u00f9 Laert\u00e8s et Odysseus \navaient br\u00fbl\u00e9 de nombreuses cuisses de b\u0153ufs, ou s\u2019il supplierait \nOdysseus en se jetant \u00e0 ses genoux. Et il lui sembla meilleur d\u2019em -\nbrasser les genoux du Laertiade Odysseus.\nC\u2019est pourquoi il d\u00e9posa \u00e0 terre sa kithare creuse, entre le krat\u00e8re \net le thr\u00f4ne aux clous d\u2019argent, et, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant vers Odysseus, il sai -\nsit ses genoux et il le supplia en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Je te supplie, Odysseus ! \u00c9coute, et prends piti\u00e9 de moi ! Une \ngrande douleur te saisirait plus tard, si tu tuais un aoide qui \nchante les dieux et les hommes. Je me suis instruit moi-m\u00eame, et \nun dieu a mis tous les chants dans mon esprit. Je veux te chanter \ntoi-m\u00eame comme un dieu, c\u2019est pourquoi, ne m\u2019\u00e9gorge donc pas. \nT\u00e8l\u00e9makhos, ton cher fils, te dira que ce n\u2019a \u00e9t\u00e9 ni volontairement, 515\nL\u2019ODYSS\u00c9Eni par besoin, que je suis venu dans ta demeure pour y chanter \napr\u00e8s le repas des pr\u00e9tendants. \u00c9tant nombreux et plus puissants, \nils m\u2019y ont amen\u00e9 de force.\nIl parla ainsi, et la force sacr\u00e9e de T\u00e8l\u00e9makhos l\u2019entendit, et, aussi -\nt\u00f4t, s\u2019approchant de son p\u00e8re, il lui dit :\n\u2013 arr\u00eate ; ne frappe point de l\u2019airain un innocent. Nous sauverons \naussi le h\u00e9raut M\u00e9d\u00f4n, qui, depuis que j\u2019\u00e9tais enfant, a toujours \npris soin de moi dans notre demeure, si toutefois Philoitios ne l\u2019a \npoint tu\u00e9, ou le porcher, ou s\u2019il ne t\u2019a point rencontr\u00e9 tandis que \ntu te ruais dans la salle.\nIl parla ainsi, et le prudent M\u00e9d\u00f4n l\u2019entendit. \u00c9pouvant\u00e9, et fuyant \nla k\u00e8r noire, il s\u2019\u00e9tait cach\u00e9 sous son thr\u00f4ne et s\u2019\u00e9tait envelopp\u00e9 de \nla peau r\u00e9cemment enlev\u00e9e d\u2019un b\u0153uf.\naussit\u00f4t, il se releva ; et, rejetant la peau du b\u0153uf, et s\u2019\u00e9lan\u00e7ant vers \nT\u00e8l\u00e9makhos, il saisit ses genoux et le supplia en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 ami, je suis encore ici. arr\u00eate ! Dis \u00e0 ton p\u00e8re qu\u2019il n\u2019accable \npoint ma faiblesse de sa force et de l\u2019airain aigu, \u00e9tant encore \nirrit\u00e9 contre les pr\u00e9tendants qui ont d\u00e9vor\u00e9 ses richesses dans ses \ndemeures et qui t\u2019ont m\u00e9pris\u00e9 comme des insens\u00e9s.516CHaNT 22\nEt le sage Odysseus lui r\u00e9pondit en souriant :\n\u2013 Prends courage, puisque d\u00e9j\u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos t\u2019a sauv\u00e9, afin que tu \nsaches dans ton \u00e2me et que tu dises aux autres qu\u2019il vaut mieux \nfaire le bien que le mal. Mais sortez tous deux de la maison et \nasseyez-vous dans la cour, loin du carnage, toi et l\u2019illustre aoide, \ntandis que j\u2019ach\u00e8verai de faire ici ce qu\u2019il faut.\nIl parla ainsi, et tous deux sortirent de la maison, et ils s\u2019assirent \naupr\u00e8s de l\u2019autel du grand Zeus, regardant de tous c\u00f4t\u00e9s et atten -\ndant un nouveau carnage.\nalors, Odysseus examina toute la salle, afin de voir si quelqu\u2019un \ndes pr\u00e9tendants vivait encore et avait \u00e9vit\u00e9 la noire k\u00e8r. Mais il \nles vit tous \u00e9tendus dans le sang et dans la poussi\u00e8re, comme des \npoissons que des p\u00eacheurs ont retir\u00e9s dans un filet de la c\u00f4te \u00e9cu -\nmeuse de la mer profonde.\nTous sont r\u00e9pandus sur le sable, regrettant les eaux de la mer, et \nH\u00e8lios Pha\u00e9th\u00f4n leur arrache l\u2019\u00e2me. ainsi les pr\u00e9tendants \u00e9taient \nr\u00e9pandus, les uns sur les autres.517\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent Odysseus dit \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, h\u00e2te-toi, appelle la nourrice Eurykl\u00e9ia, afin que je \nlui dise ce que j\u2019ai dans l\u2019\u00e2me.\nIl parla ainsi, et T\u00e8l\u00e9makhos ob\u00e9it \u00e0 son cher p\u00e8re, et, ayant ouvert \nla porte, il appela la nourrice Eurykl\u00e9ia :\n\u2013 Viens, \u00f4 vieille femme n\u00e9e autrefois, toi qui surveilles les ser -\nvantes dans nos demeures, viens en h\u00e2te. Mon p\u00e8re t\u2019appelle pour \nte dire quelque chose.\nIl parla ainsi, et ses paroles ne furent point vaines. Eurykl\u00e9ia \nouvrit les portes de la grande demeure, et se h\u00e2ta de suivre \nT\u00e8l\u00e9makhos qui la pr\u00e9c\u00e9dait. Et elle trouva Odysseus au milieu \ndes cadavres, souill\u00e9 de sang et de poussi\u00e8re, comme un lion sorti, \nla nuit, de l\u2019enclos, apr\u00e8s avoir mang\u00e9 un b\u0153uf, et dont la poitrine \net les m\u00e2choires sont ensanglant\u00e9es, et dont l\u2019aspect est terrible. \nainsi Odysseus avait les pieds et les mains souill\u00e9s. Et d\u00e8s qu\u2019Eu -\nrykl\u00e9ia eut vu ces cadavres et ces flots de sang, elle commen\u00e7a \u00e0 518CHaNT 22\nhurler de joie, parce qu\u2019elle vit qu\u2019une grande \u0153uvre \u00e9tait accom -\nplie. Mais Odysseus la contint et lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Vieille femme, r\u00e9jouis-toi dans ton \u00e2me et ne hurle pas. Il n\u2019est \npoint permis d\u2019insulter des hommes morts. La moire des dieux et \nleurs actions impies ont dompt\u00e9 ceux-ci. Ils n\u2019honoraient aucun \nde ceux qui venaient \u00e0 eux, parmi les hommes terrestres, ni le \nbon, ni le mauvais. C\u2019est pourquoi ils ont subi une mort honteuse, \n\u00e0 cause de leurs violences. Mais, allons ! indique-moi les femmes \nqui sont dans cette demeure, celles qui m\u2019ont outrag\u00e9 et celles qui \nn\u2019ont point failli.\nEt la ch\u00e8re nourrice Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, je te dirai la v\u00e9rit\u00e9. Tu as dans tes demeures cin -\nquante femmes que nous avons instruites aux travaux, \u00e0 tendre \nles laines et \u00e0 supporter la servitude. Douze d\u2019entre elles se sont \nlivr\u00e9es \u00e0 l\u2019impudicit\u00e9. Elles ne m\u2019honorent point, ni P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia \nelle-m\u00eame. Quant \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos, qui, il y a peu de temps, \u00e9tait \nencore enfant, sa m\u00e8re ne lui a point permis de commander aux \nfemmes. Mais je vais monter dans la haute chambre splendide et \ntout dire \u00e0 P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, \u00e0 qui un dieu a envoy\u00e9 le sommeil.519\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ne l\u2019\u00e9veille pas encore. Ordonne aux femmes de venir ici, et \nd\u2019abord celles qui ont commis de mauvaises actions.\nIl parla ainsi, et la vieille femme sortit de la salle pour avertir les \nfemmes et les presser de venir.\nEt Odysseus, ayant appel\u00e9 \u00e0 lui T\u00e8l\u00e9makhos, le bouvier et le por -\ncher, leur dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Commencez \u00e0 emporter les cadavres et donnez des ordres aux \nfemmes. Puis, avec de l\u2019eau et des \u00e9ponges poreuses purifiez les \nbeaux thr\u00f4nes et les tables. apr\u00e8s que vous aurez tout rang\u00e9 dans \nla salle, conduisez les femmes, hors de la demeure, entre le d\u00f4me \net le mur de la cour, et frappez-les de vos longues \u00e9p\u00e9es aigu\u00ebs, \njusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elles aient toutes rendu l\u2019\u00e2me et oubli\u00e9 aphrodit\u00e8 \nqu\u2019elles go\u00fbtaient en secret, en se livrant en secret aux pr\u00e9tendants.\nIl parla ainsi, et toutes les femmes arriv\u00e8rent en g\u00e9missant lamen -\ntablement et en versant des larmes. D\u2019abord, s\u2019aidant les unes les \nautres, elles emport\u00e8rent les cadavres, qu\u2019elles d\u00e9pos\u00e8rent sous le \nportique de la cour. Et Odysseus leur commandait, et les pressait, \net les for\u00e7ait d\u2019ob\u00e9ir. Puis, elles purifi\u00e8rent les beaux thr\u00f4nes et les 520CHaNT 22\ntables avec de l\u2019eau et des \u00e9ponges poreuses. Et T\u00e8l\u00e9makhos, le \nbouvier et le porcher nettoyaient avec des balais le pav\u00e9 de la salle, \net les servantes emportaient les souillures et les d\u00e9posaient hors \ndes portes. Puis, ayant tout rang\u00e9 dans la salle, ils conduisirent les \nservantes, hors de la demeure, entre le d\u00f4me et le mur de la cour, \nles renfermant dans ce lieu \u00e9troit d\u2019o\u00f9 on ne pouvait s\u2019enfuir. Et, \nalors, le prudent T\u00e8l\u00e9makhos parla ainsi le premier :\n\u2013 Je n\u2019arracherai point, par une mort non honteuse, l\u2019\u00e2me de ces \nfemmes qui r\u00e9pandaient l\u2019opprobre sur ma t\u00eate et sur celle de ma \nm\u00e8re et qui couchaient avec les pr\u00e9tendants.\nIl parla ainsi, et il suspendit le c\u00e2ble d\u2019une nef noire au sommet \nd\u2019une colonne, et il le tendit autour du d\u00f4me, de fa\u00e7on \u00e0 ce qu\u2019au -\ncune d\u2019entre elles ne touch\u00e2t des pieds la terre. De m\u00eame que \nles grives aux ailes ploy\u00e9es et les colombes se prennent dans un \nfilet, au milieu des buissons de l\u2019enclos o\u00f9 elles sont entr\u00e9es, et y \ntrouvent un lit funeste ; de m\u00eame ces femmes avaient le cou serr\u00e9 \ndans des lacets, afin de mourir mis\u00e9rablement, et leurs pieds ne \ns\u2019agit\u00e8rent point longtemps.\nPuis, ils emmen\u00e8rent M\u00e9lanthios, par le portique, dans la cour. Et, \nl\u00e0, ils lui coup\u00e8rent, avec l\u2019airain, les narines et les oreilles, et ils \nlui arrach\u00e8rent les parties viriles, qu\u2019ils jet\u00e8rent \u00e0 manger toutes 521\nL\u2019ODYSS\u00c9Esanglantes aux chiens ; et, avec la m\u00eame fureur, ils lui coup\u00e8rent \nles pieds et les mains, et, leur t\u00e2che \u00e9tant accomplie, ils rentr\u00e8rent \ndans la demeure d\u2019Odysseus. Et, alors, celui-ci dit \u00e0 la ch\u00e8re nour -\nrice Eurykl\u00e9ia :\n\u2013 Vieille femme, apporte-moi du soufre qui gu\u00e9rit les maux, et \napporte aussi du feu, afin que je purifie la maison. Ordonne \u00e0 \nP\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia de venir ici avec ses servantes. Que toutes les ser -\nvantes viennent ici.\nEt la ch\u00e8re nourrice Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, mon enfant, tu as bien parl\u00e9 ; mais je vais t\u2019apporter des \nv\u00eatements, un manteau et une tunique. Ne reste pas dans tes \ndemeures, tes larges \u00e9paules ainsi couvertes de haillons, car ce \nserait honteux.\nEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 apporte d\u2019abord du feu dans cette salle.\nIl parla ainsi, et la ch\u00e8re nourrice Eurykl\u00e9ia lui ob\u00e9it. Elle apporta \ndu feu et du soufre, et Odysseus purifia la maison, la salle et la \ncour. Puis, la vieille femme remonta dans les belles demeures 522CHaNT 22\nd\u2019Odysseus pour appeler les femmes et les presser de venir. Et \nelles entr\u00e8rent dans la salle ayant des torches en mains. Et elles \nentouraient et saluaient Odysseus, prenant ses mains et baisant sa \nt\u00eate et ses \u00e9paules. Et il fut saisi du d\u00e9sir de pleurer, car, dans son \n\u00e2me, il les reconnut toutes.523\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 23\nEt la vieille femme, montant dans la chambre haute, pour dire \u00e0 \nsa ma\u00eetresse que son cher mari \u00e9tait revenu, \u00e9tait pleine de joie, et \nses genoux \u00e9taient fermes, et ses pieds se mouvaient rapidement. \nEt elle se pencha sur la t\u00eate de sa ma\u00eetresse, et elle lui dit :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, ch\u00e8re enfant, afin de voir de tes yeux ce que \ntu d\u00e9sires tous les jours. Odysseus est revenu ; il est rentr\u00e9 dans sa \ndemeure, bien que tardivement, et il a tu\u00e9 les pr\u00e9tendants inso -\nlents qui ruinaient sa maison, mangeaient ses richesses et violen -\ntaient son fils.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ch\u00e8re nourrice, les dieux t\u2019ont rendue insens\u00e9e, eux qui peuvent \ntroubler l\u2019esprit du plus sage et rendre sage le plus insens\u00e9. Ils \nont troubl\u00e9 ton esprit qui, auparavant, \u00e9tait plein de prudence. \nPourquoi railles-tu mon c\u0153ur d\u00e9j\u00e0 si afflig\u00e9, en disant de telles \nchoses ? Pourquoi m\u2019arraches-tu au doux sommeil qui m\u2019enve -\nloppait, fermant mes yeux sous mes ch\u00e8res paupi\u00e8res ? Je n\u2019avais \njamais tant dormi depuis le jour o\u00f9 Odysseus est parti pour cette 524CHaNT 23\nIlios fatale qu\u2019on ne devrait plus nommer. Va ! redescends. Si \nquelque autre de mes femmes \u00e9tait venue m\u2019annoncer cette nou -\nvelle et m\u2019arracher au sommeil, je l\u2019aurais aussit\u00f4t honteusement \nchass\u00e9e dans les demeures ; mais ta vieillesse te garantit de cela.\nEt la ch\u00e8re nourrice Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je ne me raille point de toi, ch\u00e8re enfant ; il est vrai qu\u2019Odys -\nseus est revenu et qu\u2019il est rentr\u00e9 dans sa maison, comme je \nte l\u2019ai dit. C\u2019est l\u2019\u00e9tranger que tous outrageaient dans cette \ndemeure. T\u00e8l\u00e9makhos le savait d\u00e9j\u00e0, mais il cachait par prudence \nles desseins de son p\u00e8re, afin qu\u2019il ch\u00e2ti\u00e2t les violences de ces \nhommes insolents.\nElle parla ainsi, et P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, joyeuse, sauta de son lit, embrassa \nla vieille femme, et, versant des larmes sous ses paupi\u00e8res, lui dit \nces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 ah ! si tu m\u2019as dit la v\u00e9rit\u00e9, ch\u00e8re nourrice, et si Odysseus est ren -\ntr\u00e9 dans sa demeure, comment, \u00e9tant seul, a-t-il pu mettre la main \nsur les pr\u00e9tendants insolents qui se r\u00e9unissaient toujours ici ?525\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la ch\u00e8re nourrice Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je n\u2019ai rien vu, je n\u2019ai rien entendu, si ce n\u2019est les g\u00e9missements des \nhommes \u00e9gorg\u00e9s. Nous \u00e9tions assises au fond des chambres, et les \nportes solides nous retenaient, jusqu\u2019\u00e0 ce que ton fils T\u00e8l\u00e9makhos \nm\u2019appel\u00e2t, car son p\u00e8re l\u2019avait envoy\u00e9 m\u2019appeler. Je trouvai ensuite \nOdysseus debout au milieu des cadavres qui gisaient amoncel\u00e9s \nsur le pav\u00e9 ; et tu te serais r\u00e9jouie dans ton \u00e2me de le voir souill\u00e9 \nde sang et de poussi\u00e8re, comme un lion. Maintenant, ils sont tous \nentass\u00e9s sous les portiques, et Odysseus purifie la belle salle, \u00e0 \nl\u2019aide d\u2019un grand feu allum\u00e9 ; et il m\u2019a envoy\u00e9e t\u2019appeler.\nSuis-moi, afin que vous charmiez tous deux vos chers c\u0153urs \npar la joie, car vous avez subi beaucoup de maux. Maintenant, \nvos longs d\u00e9sirs sont accomplis. Odysseus est revenu dans sa \ndemeure, il vous a retrouv\u00e9s, toi et ton fils ; et les pr\u00e9tendants qui \nl\u2019avaient outrag\u00e9, il les a tous punis dans ses demeures.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ch\u00e8re nourrice, ne te glorifie pas en te raillant ? Tu sais com -\nbien il nous comblerait tous de joie en reparaissant ici, moi sur -\ntout et le fils que nous avons engendr\u00e9 ; mais les paroles que tu \nas dites ne sont point vraies. L \u2019un d\u2019entre les immortels a tu\u00e9 les 526CHaNT 23\npr\u00e9tendants insolents, irrit\u00e9 de leur violente insolence et de leurs \nactions iniques ; car ils n\u2019honoraient aucun des hommes ter -\nrestres, ni le bon, ni le m\u00e9chant, de tous ceux qui venaient vers \neux. C\u2019est pourquoi ils ont subi leur destin\u00e9e fatale, \u00e0 cause de \nleurs iniquit\u00e9s ; mais, loin de l\u2019a khai\u00e8, Odysseus a perdu l\u2019espoir \nde retour, et il est mort.\nEt la ch\u00e8re nourrice Eurykl\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, quelle parole s\u2019est \u00e9chapp\u00e9e d\u2019entre tes dents ? \nQuand ton mari, que tu pensais ne jamais revoir \u00e0 son foyer, est \nrevenu dans sa demeure, ton esprit est toujours incr\u00e9dule ? Mais, \n\u00e9coute ; je te r\u00e9v\u00e9lerai un signe tr\u00e8s manifeste : j\u2019ai reconnu, tan -\ndis que je le lavais ; la cicatrice de cette blessure qu\u2019un sanglier lui \nfit autrefois de ses blanches dents.\nJe voulais te le dire, mais il m\u2019a ferm\u00e9 la bouche avec les mains, \net il ne m\u2019a point permis de parler, dans un esprit prudent. Suis-\nmoi, je me livrerai \u00e0 toi, si je t\u2019ai tromp\u00e9e, et tu me tueras d\u2019une \nmort honteuse.527\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ch\u00e8re nourrice, bien que tu saches beaucoup de choses, il t\u2019est \ndifficile de comprendre les desseins des dieux non engendr\u00e9s. \nMais allons vers mon fils, afin que je voie les pr\u00e9tendants morts \net celui qui les a tu\u00e9s.\nayant ainsi parl\u00e9, elle descendit de la chambre haute, h\u00e9sitant dans \nson c\u0153ur si elle interrogerait de loin son cher mari, ou si elle bai -\nserait aussit\u00f4t sa t\u00eate et ses mains. apr\u00e8s \u00eatre entr\u00e9e et avoir pass\u00e9 \nle seuil de pierre, elle s\u2019assit en face d\u2019Odysseus, pr\u00e8s de l\u2019autre \nmur, dans la clart\u00e9 du feu. Et Odysseus \u00e9tait assis pr\u00e8s d\u2019une haute \ncolonne, et il regardait ailleurs, attendant que son illustre femme, \nl\u2019ayant vu, lui parl\u00e2t. Mais elle resta longtemps muette, et la stu -\npeur saisit son c\u0153ur. Et plus elle le regardait attentivement, moins \nelle le reconnaissait sous ses v\u00eatements en haillons.\nalors T\u00e8l\u00e9makhos la r\u00e9primanda et lui dit :\n\u2013 Ma m\u00e8re, malheureuse m\u00e8re au c\u0153ur cruel ! Pourquoi restes-tu \nainsi loin de mon p\u00e8re ? Pourquoi ne t\u2019assieds-tu point aupr\u00e8s de \nlui afin de lui parler et de l\u2019interroger ?528CHaNT 23\nIl n\u2019est aucune autre femme qui puisse, avec un c\u0153ur in\u00e9bran -\nlable, rester ainsi loin d\u2019un mari qui, apr\u00e8s avoir subi tant de maux, \nrevient dans la vingti\u00e8me ann\u00e9e sur la terre de la patrie. Ton c\u0153ur \nest plus dur que la pierre.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, mon \u00e2me est stup\u00e9faite dans ma poitrine, et je ne \npuis ni parler, ni interroger, ni regarder son visage. Mais s\u2019il est \nvraiment Odysseus, revenu dans sa demeure, certes, nous nous \nreconna\u00eetrons mieux entre nous. Nous avons des signes que tous \nignorent et que nous connaissons seuls.\nElle parla ainsi, et le patient et divin Odysseus sourit, et il dit aus -\nsit\u00f4t \u00e0 T\u00e8l\u00e9makhos ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, laisse ta m\u00e8re m\u2019\u00e9prouver dans nos demeures, peut-\n\u00eatre alors me reconna\u00eetra-t-elle mieux. Maintenant, parce que je \nsuis souill\u00e9 et couvert de haillons, elle me m\u00e9prise et me m\u00e9con -\nna\u00eet. Mais d\u00e9lib\u00e9rons, afin d\u2019agir pour le mieux. Si quelqu\u2019un, \nparmi le peuple, a tu\u00e9 m\u00eame un homme qui n\u2019a point de nom -\nbreux vengeurs, il fuit, abandonnant ses parents et sa patrie. \nOr, nous avons tu\u00e9 l\u2019\u00e9lite de la ville, les plus illustres des jeunes \nhommes d\u2019Ithak\u00e8. C\u2019est pourquoi je t\u2019ordonne de r\u00e9fl\u00e9chir sur cela.529\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 D\u00e9cide toi-m\u00eame, cher p\u00e8re. On dit que tu es le plus sage des \nhommes et qu\u2019aucun des hommes mortels ne peut lutter en \nsagesse contre toi. Nous t\u2019ob\u00e9irons avec joie, et je ne pense pas \nmanquer de courage, tant que je conserverai mes forces.\nEt le patient Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je te dirai donc ce qui me semble pour le mieux. Lavez-vous \nd\u2019abord et prenez des v\u00eatements propres, et ordonnez aux ser -\nvantes de prendre d\u2019autres v\u00eatements dans les demeures. Puis le \ndivin aoide, tenant sa kithare sonore, nous entra\u00eenera \u00e0 la danse \njoyeuse, afin que chacun, \u00e9coutant du dehors ou passant par le \nchemin, pense qu\u2019on c\u00e9l\u00e8bre ici des noces. Il ne faut pas que le \nbruit du meurtre des pr\u00e9tendants se r\u00e9pande par la ville, avant \nque nous ayons gagn\u00e9 nos champs plant\u00e9s d\u2019arbres. L\u00e0, nous d\u00e9li -\nb\u00e9rerons ensuite sur ce que l\u2019olympien nous inspirera d\u2019utile.\nIl parla ainsi, et tous, l\u2019ayant entendu, ob\u00e9irent. Ils se lav\u00e8rent \nd\u2019abord et prirent des v\u00eatements propres ; et les femmes se \npar\u00e8rent, et le divin aoide fit vibrer sa kithare sonore et leur ins -\npira le d\u00e9sir du doux chant et de la danse joyeuse, et la grande \ndemeure r\u00e9sonna sous les pieds des hommes qui dansaient et des 530CHaNT 23\nfemmes aux belles ceintures. Et chacun disait, les entendant, hors \ndes demeures :\n\u2013 Certes, quelqu\u2019un \u00e9pouse la reine recherch\u00e9e par tant \nde pr\u00e9tendants.\nLa malheureuse ! Elle n\u2019a pu rester dans la grande demeure de son \npremier mari jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il revint.\nChacun parlait ainsi, ne sachant pas ce qui avait \u00e9t\u00e9 fait. Et l\u2019inten -\ndante Eurynom\u00e8 lava le magnanime Odysseus dans sa demeure \net le parfuma d\u2019huile ; puis elle le couvrit d\u2019un manteau et d\u2019une \ntunique. Et ath\u00e8n\u00e8 r\u00e9pandit la beaut\u00e9 sur sa t\u00eate, afin qu\u2019il par\u00fbt \nplus grand et plus majestueux, et elle fit tomber de sa t\u00eate des che -\nveux semblables aux fleurs d\u2019hyacinthe. Et, de m\u00eame qu\u2019un habile \nouvrier, que H\u00e8phaistos et Pallas ath\u00e8n\u00e8 ont instruit, m\u00eale l\u2019or \u00e0 \nl\u2019argent et accomplit avec art des travaux charmants, de m\u00eame \nath\u00e8n\u00e8 r\u00e9pandit la gr\u00e2ce sur la t\u00eate et sur les \u00e9paules d\u2019Odysseus, \net il sortit du bain, semblable par la beaut\u00e9 aux immortels, et il \ns\u2019assit de nouveau sur le thr\u00f4ne qu\u2019il avait quitt\u00e9, et, se tournant \nvers sa femme, il lui dit :\n\u2013 Malheureuse ! Parmi toutes les autres femmes, les dieux qui ont \ndes demeures Olympiennes t\u2019ont donn\u00e9 un c\u0153ur dur. aucune 531\nL\u2019ODYSS\u00c9Eautre femme ne resterait aussi longtemps loin d\u2019un mari qui, \napr\u00e8s avoir tant souffert, revient, dans la vingti\u00e8me ann\u00e9e, sur \nla terre de la patrie. allons, nourrice, \u00e9tends mon lit, afin que \nje dorme, car, assur\u00e9ment, cette femme a un c\u0153ur de fer dans \nsa poitrine !\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Malheureux ! je ne te glorifie, ni ne te m\u00e9prise mais je ne te \nreconnais point encore, me souvenant trop de ce que tu \u00e9tais \nquand tu partis d\u2019Ithak\u00e8 sur ta nef aux longs avirons. Va, Eurykl\u00e9ia, \n\u00e9tends, hors de la chambre nuptiale, le lit compact qu\u2019Odysseus a \nconstruit lui-m\u00eame, et jette sur le lit dress\u00e9 des tapis, des peaux et \ndes couvertures splendides.\nElle parla ainsi, \u00e9prouvant son mari ; mais Odysseus, irrit\u00e9, dit \u00e0 \nsa femme dou\u00e9e de prudence :\n\u2013 \u00d4 femme ! quelle triste parole as-tu dite ? Qui donc a transport\u00e9 \nmon lit ? aucun homme vivant, m\u00eame plein de jeunesse, n\u2019a pu, \u00e0 \nmoins qu\u2019un dieu lui soit venu en aide, le transporter, et m\u00eame le \nmouvoir ais\u00e9ment. Et le travail de ce lit est un signe certain, car \nje l\u2019ai fait moi-m\u00eame, sans aucun autre. Il y avait, dans l\u2019enclos \nde la cour, un olivier au large feuillage, verdoyant et plus \u00e9pais 532CHaNT 23\nqu\u2019une colonne. Tout autour, je b\u00e2tis ma chambre nuptiale avec \nde lourdes pierres ; je mis un toit par-dessus, et je la fermai de \nportes solides et compactes. Puis, je coupai les rameaux feuillus et \npendants de l\u2019olivier, et je tranchai au-dessus des racines le tronc \nde l\u2019olivier, et je le polis soigneusement avec l\u2019airain, et m\u2019aidant \ndu cordeau. Et, l\u2019ayant trou\u00e9 avec une tari\u00e8re, j\u2019en fis la base du lit \nque je construisis au-dessus et que j\u2019ornai d\u2019or, d\u2019argent et d\u2019ivoire, \net je tendis au fond la peau pourpr\u00e9e et splendide d\u2019un b\u0153uf.\nJe te donne ce signe certain ; mais je ne sais, \u00f4 femme, si mon \nlit est toujours au m\u00eame endroit, ou si quelqu\u2019un l\u2019a transport\u00e9, \napr\u00e8s avoir tranch\u00e9 le tronc de l\u2019olivier, au-dessus des racines.\nIl parla ainsi, et le cher c\u0153ur et les genoux de P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia d\u00e9fail -\nlirent tandis qu\u2019elle reconnaissait les signes certains que lui r\u00e9v\u00e9 -\nlait Odysseus. Et elle pleura quand il eut d\u00e9crit les choses comme \nelles \u00e9taient ; et jetant ses bras au cou d\u2019Odysseus, elle baisa sa \nt\u00eate et lui dit :\n\u2013 Ne t\u2019irrite point contre moi, Odysseus, toi, le plus prudent des \nhommes ! Les dieux nous ont accabl\u00e9s de maux ; ils nous ont \nenvi\u00e9 la joie de jouir ensemble de notre jeunesse et de parvenir \nensemble au seuil de la vieillesse. Mais ne t\u2019irrite point contre \nmoi et ne me bl\u00e2me point de ce que, d\u00e8s que je t\u2019ai vu, je ne t\u2019ai 533\nL\u2019ODYSS\u00c9Epoint embrass\u00e9. Mon \u00e2me, dans ma ch\u00e8re poitrine, tremblait \nqu\u2019un homme, venu ici, me tromp\u00e2t par ses paroles ; car beau -\ncoup m\u00e9ditent des ruses mauvaises. L \u2019 argienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8, fille de \nZeus, ne se f\u00fbt point unie d\u2019amour \u00e0 un \u00e9tranger, si elle e\u00fbt su \nque les braves fils des akhaiens dussent un jour la ramener en sa \ndemeure, dans la ch\u00e8re terre de la patrie. Mais un dieu la poussa \n\u00e0 cette action honteuse, et elle ne chassa point de son c\u0153ur cette \npens\u00e9e funeste et terrible qui a \u00e9t\u00e9 la premi\u00e8re cause de son mal -\nheur et du n\u00f4tre. Maintenant tu m\u2019as r\u00e9v\u00e9l\u00e9 les signes certains de \nnotre lit, qu\u2019aucun homme n\u2019a jamais vu. Nous seuls l\u2019avons vu, \ntoi, moi et ma servante aktoris que me donna mon p\u00e8re quand je \nvins ici et qui gardait les portes de notre chambre nuptiale.\nEnfin, tu as persuad\u00e9 mon c\u0153ur, bien qu\u2019il f\u00fbt plein de m\u00e9fiance.\nElle parla ainsi, et le d\u00e9sir de pleurer saisit Odysseus, et il pleurait \nen serrant dans ses bras sa ch\u00e8re femme si prudente.\nDe m\u00eame que la terre appara\u00eet heureusement aux nageurs dont \nPoseida\u00f4n a perdu dans la mer la nef bien construite, tandis \nqu\u2019elle \u00e9tait battue par le vent et par l\u2019eau noire ; et peu ont \u00e9chapp\u00e9 \n\u00e0 la mer \u00e9cumeuse, et, le corps souill\u00e9 d\u2019\u00e9cume, ils montent joyeux \nsur la c\u00f4te, ayant \u00e9vit\u00e9 la mort ; de m\u00eame la vue de son mari \u00e9tait \ndouce \u00e0 P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia qui ne pouvait d\u00e9tacher ses bras blancs du 534CHaNT 23\ncou d\u2019Odysseus. Et \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s e\u00fbt reparu, tandis qu\u2019ils \npleuraient, si la d\u00e9esse ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs n\u2019avait eu une \nautre pens\u00e9e.\nElle retint la longue nuit sur l\u2019horizon et elle garda dans l\u2019Ok\u00e9anos \n\u00c9\u00f4s au thr\u00f4ne d\u2019or, et elle ne lui permit pas de mettre sous le joug \nses chevaux rapides qui portent la lumi\u00e8re aux hommes, Lampos \net Pha\u00e9th\u00f4n qui am\u00e8nent \u00c9\u00f4s. alors, le prudent Odysseus dit \u00e0 \nsa femme :\n\u2013 \u00d4 femme, nous n\u2019en avons pas fini avec toutes nos \u00e9preuves, \nmais un grand et difficile travail me reste qu\u2019il me faut accom -\nplir, ainsi que me l\u2019a appris l\u2019\u00e2me de Teir\u00e9sias le jour o\u00f9 je descen -\ndis dans la demeure d\u2019 aid\u00e8s pour l\u2019interroger sur mon retour et \nsur celui de mes compagnons. Mais viens, allons vers notre lit, \u00f4 \nfemme, et go\u00fbtons ensemble le doux sommeil.\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Nous irons bient\u00f4t vers notre lit, puisque tu le d\u00e9sires dans ton \n\u00e2me, et puisque les dieux t\u2019ont laiss\u00e9 revenir vers ta demeure bien \nb\u00e2tie et dans la terre de ta patrie. Mais puisque tu le sais et qu\u2019un \ndieu te l\u2019a appris, dis-moi quelle sera cette derni\u00e8re \u00e9preuve. Je 535\nL\u2019ODYSS\u00c9Ela conna\u00eetrais toujours plus tard, et rien n\u2019emp\u00eache que je la \nsache maintenant.\nEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Malheureuse ! pourquoi, en me priant ardemment, me forces-tu \nde parler ? Mais je te dirai tout et ne te cacherai rien. Ton \u00e2me \nne se r\u00e9jouira pas, et moi-m\u00eame je ne me r\u00e9jouirai pas, car il m\u2019a \nordonn\u00e9 de parcourir encore de nombreuses villes des hommes, \nportant un aviron l\u00e9ger, jusqu\u2019\u00e0 ce que je rencontre des hommes \nqui ne connaissent point la mer, et qui ne salent point ce qu\u2019ils \nmangent, et qui ignorent les nefs aux proues rouges et les avirons \nqui sont les ailes des nefs. Et il m\u2019a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 un signe certain que \nje ne te cacherai point. Quand j\u2019aurai rencontr\u00e9 un autre voya -\ngeur qui croira voir un fl\u00e9au sur ma brillante \u00e9paule, alors je \ndevrai planter l\u2019aviron en terre et faire de saintes offrandes au roi \nPoseida\u00f4n, un b\u00e9lier, un taureau et un verrat. Et il m\u2019a ordonn\u00e9, \nrevenu dans ma demeure, de faire de saintes offrandes aux dieux \nimmortels qui habitent le large Ouranos. Et une douce mort me \nviendra de la mer et me tuera dans une heureuse vieillesse, tan -\ndis qu\u2019autour de moi les peuples seront heureux.\nEt il m\u2019a dit ces choses qui seront accomplies.536CHaNT 23\nEt la prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si les dieux te r\u00e9servent une vieillesse heureuse, tu as l\u2019espoir \nd\u2019\u00e9chapper \u00e0 ces maux.\nEt tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, Eurynom\u00e8 et la nourrice pr\u00e9 -\nparaient, \u00e0 la splendeur des torches, le lit fait de v\u00eatements moel -\nleux. Et, apr\u00e8s qu\u2019elles eurent dress\u00e9 \u00e0 la h\u00e2te le lit \u00e9pais, la vieille \nfemme rentra pour dormir, et Eurynom\u00e8, tenant une torche \u00e0 la \nmain, les pr\u00e9c\u00e9dait, tandis qu\u2019ils allaient vers le lit. Et les ayant \nconduits dans la chambre nuptiale, elle se retira, et joyeux, ils se \ncouch\u00e8rent dans leur ancien lit. Et alors, T\u00e8l\u00e9makhos, le bouvier, \nle porcher et les femmes cess\u00e8rent de danser, et tous all\u00e8rent dor -\nmir dans les demeures sombres.\nEt apr\u00e8s qu\u2019Odysseus et P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia se furent charm\u00e9s par l\u2019amour, \nils se charm\u00e8rent encore par leurs paroles. Et la noble femme dit \nce qu\u2019elle avait souffert dans ses demeures au milieu de la mul -\ntitude funeste des pr\u00e9tendants qui, \u00e0 cause d\u2019elle, \u00e9gorgeaient ses \nb\u0153ufs et ses grasses brebis, et buvaient tout le vin des tonneaux.\nEt le divin Odysseus dit les maux qu\u2019il avait faits aux hommes et \nceux qu\u2019il avait subis lui-m\u00eame. Et il dit tout, et elle se r\u00e9jouissait 537\nL\u2019ODYSS\u00c9Ede l\u2019entendre, et le sommeil n\u2019approcha point de ses paupi\u00e8res \navant qu\u2019il e\u00fbt achev\u00e9.\nIl dit d\u2019abord comment il avait dompt\u00e9 les Kik\u00f4nes, puis com -\nment il \u00e9tait arriv\u00e9 dans la terre fertile des hommes l\u00f4tophages. Et \nil dit ce qu\u2019avait fait le kykl\u00f4ps, et comment il l\u2019avait ch\u00e2ti\u00e9 d\u2019avoir \nmang\u00e9 sans piti\u00e9 ses braves compagnons ; et comment il \u00e9tait \nvenu chez aiolos qui l\u2019avait accueilli et renvoy\u00e9 avec bienveil -\nlance, et comment la destin\u00e9e ne lui permit pas de revoir encore \nla ch\u00e8re terre de la patrie, et la temp\u00eate qui, de nouveau, l\u2019avait \nemport\u00e9, g\u00e9missant, sur la mer poissonneuse.\nEt il dit comment il avait abord\u00e9 la Laistrygoni\u00e8 T\u00e8l\u00e8pyle o\u00f9 \navaient p\u00e9ri ses nefs et tous ses compagnons, et d\u2019o\u00f9 lui seul s\u2019\u00e9tait \nsauv\u00e9 sur sa nef noire. Puis, il raconta les ruses de Kirk\u00e8, et com -\nment il \u00e9tait all\u00e9 dans la vaste demeure d\u2019 aid\u00e8s, afin d\u2019interroger \nl\u2019\u00e2me du Th\u00e9bain Teir\u00e9sias, et o\u00f9 il avait vu tous ses compagnons \net la m\u00e8re qui l\u2019avait con\u00e7u et nourri tout enfant.\nEt il dit comment il avait entendu la voix des Seir\u00e8nes harmo -\nnieuses, et comment il avait abord\u00e9 les roches errantes, l\u2019hor -\nrible Kharybdis et Skill\u00e8, que les hommes ne peuvent fuir sains \net saufs ; et comment ses compagnons avaient tu\u00e9 les b\u0153ufs de \nH\u00e8lios, et comment Zeus qui tonne dans les hauteurs avait frapp\u00e9 538CHaNT 23\nsa nef rapide de la blanche foudre et ab\u00eem\u00e9 tous ses braves com -\npagnons, tandis que lui seul \u00e9vitait les k\u00e8res mauvaises.\nEt il raconta comment il avait abord\u00e9 l\u2019\u00eele Ogygi\u00e8, o\u00f9 la Nymphe \nKalyps\u00f4 l\u2019avait retenu dans ses grottes creuses, le d\u00e9sirant pour \nmari, et l\u2019avait aim\u00e9, lui promettant qu\u2019elle le rendrait immortel et \nle mettrait \u00e0 l\u2019abri de la vieillesse ; et comment elle n\u2019avait pu fl\u00e9 -\nchir son \u00e2me dans sa poitrine.\nEt il dit comment il avait abord\u00e9 chez les Phaiakiens, apr\u00e8s avoir \nbeaucoup souffert ; et comment, l\u2019ayant honor\u00e9 comme un dieu, \nils l\u2019avaient reconduit sur une nef dans la ch\u00e8re terre de la patrie, \napr\u00e8s lui avoir donn\u00e9 de l\u2019or, de l\u2019airain et de nombreux v\u00eatements. \nEt quand il eut tout dit, le doux sommeil enveloppa ses membres \net apaisa les inqui\u00e9tudes de son \u00e2me.\nalors, la d\u00e9esse aux yeux clairs, ath\u00e8n\u00e8, eut d\u2019autres pens\u00e9es ; et, \nquand elle pensa qu\u2019Odysseus s\u2019\u00e9tait assez charm\u00e9 par l\u2019amour \net par le sommeil, elle fit sortir de l\u2019Ok\u00e9anos la fille au thr\u00f4ne \nd\u2019or du matin, afin qu\u2019elle apport\u00e2t la lumi\u00e8re aux hommes. Et \nOdysseus se leva de son lit moelleux, et il dit \u00e0 sa femme :\n\u2013 \u00d4 femme, nous sommes tous deux rassasi\u00e9s d\u2019\u00e9preuves, toi en \npleurant ici sur mon retour difficile, et moi en subissant les maux 539\nL\u2019ODYSS\u00c9Eque m\u2019ont faits Zeus et les autres dieux qui m\u2019ont si longtemps \nretenu loin de la terre de la patrie. Maintenant, puisque, tous deux, \nnous avons retrouv\u00e9 ce lit d\u00e9sir\u00e9, il faut que je prenne soin de nos \nrichesses dans notre demeure.\nPour remplacer les troupeaux que les pr\u00e9tendants insolents ont \nd\u00e9vor\u00e9s, j\u2019irai moi-m\u00eame en enlever de nombreux, et les akhaiens \nnous en donneront d\u2019autres, jusqu\u2019\u00e0 ce que les \u00e9tables soient \npleines. Mais je pars pour mes champs plant\u00e9s d\u2019arbres, afin de \nvoir mon p\u00e8re illustre qui g\u00e9mit sans cesse sur moi. Femme, mal -\ngr\u00e9 ta prudence, je t\u2019ordonne ceci : en m\u00eame temps que H\u00e8lios \nmontera, le bruit se r\u00e9pandra de la mort des pr\u00e9tendants que j\u2019ai \ntu\u00e9s dans nos demeures. Monte donc dans la chambre haute avec \ntes servantes, et que nul ne te voie, ni ne t\u2019interroge.\nayant ainsi parl\u00e9, il couvrit ses \u00e9paules de ses belles armes, et il \n\u00e9veilla T\u00e8l\u00e9makhos, le bouvier et le porcher, et il leur ordonna \nde saisir les armes guerri\u00e8res ; et ils lui ob\u00e9irent en h\u00e2te et se \ncouvrirent d\u2019airain. Puis, ils ouvrirent les portes et sortirent, et \nOdysseus les pr\u00e9c\u00e9dait. Et d\u00e9j\u00e0 la lumi\u00e8re \u00e9tait r\u00e9pandue sur \nla terre, mais ath\u00e8n\u00e8, les ayant envelopp\u00e9s d\u2019un brouillard, les \nconduisit promptement hors de la ville.540CHaNT 23541\nL\u2019ODYSS\u00c9EChant 24\nLe Kyll\u00e9nien Herm\u00e8s \u00e9voqua les \u00e2mes des pr\u00e9tendants. Et il tenait \ndans ses mains la belle baguette d\u2019or avec laquelle il charme, \nselon sa volont\u00e9, les yeux des hommes, ou il \u00e9veille ceux qui dor -\nment. Et, avec cette baguette, il entra\u00eenait les \u00e2mes qui le sui -\nvaient, fr\u00e9missantes.\nDe m\u00eame que les chauves-souris, au fond d\u2019un antre divin, volent \nen criant quand l\u2019une d\u2019elles tombe du rocher o\u00f9 leur multitude \nest attach\u00e9e et amass\u00e9e, de m\u00eame les \u00e2mes allaient, fr\u00e9missantes, \net le bienveillant Herm\u00e9ias marchait devant elles vers les larges \nchemins. Et elles arriv\u00e8rent au cours d\u2019Ok\u00e9anos et \u00e0 la Roche \nBlanche, et elles pass\u00e8rent la porte de H\u00e8lios et le peuple des \nsonges, et elles parvinrent promptement \u00e0 la prairie d\u2019a spho -\nd\u00e8le o\u00f9 habitent les \u00e2mes, images des morts. Et elles y trouv\u00e8rent \nl\u2019\u00e2me du P\u00e8l\u00e8iade akhilleus et celle de Patroklos, et celle de l\u2019ir -\nr\u00e9prochable antilokhos, et celle d\u2019a ias, qui \u00e9tait le plus grand et \nle plus beau de tous les Danaens apr\u00e8s l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8l\u00e9i\u00f4n. Et \ntous s\u2019empressaient autour de celui-ci, quand vint l\u2019\u00e2me dolente \nde l\u2019a tr\u00e9ide agamemn\u00f4n, suivie des \u00e2mes de tous ceux qui, ayant 542CHaNT 24\n\u00e9t\u00e9 tu\u00e9es dans la demeure d\u2019 aigisthos, avaient subi leur destin\u00e9e. \nEt l\u2019\u00e2me du P\u00e8l\u00e9i\u00f4n dit la premi\u00e8re :\n\u2013 atr\u00e9ide, nous pensions que tu \u00e9tais, parmi tous les h\u00e9ros, le \nplus cher \u00e0 Zeus qui se r\u00e9jouit de la foudre, car tu commandais \u00e0 \ndes hommes nombreux et braves, sur la terre des Troiens, o\u00f9 les \nakhaiens ont subi tant de maux.\nMais la moire fatale devait te saisir le premier, elle qu\u2019aucun \nhomme ne peut fuir, d\u00e8s qu\u2019il est n\u00e9. Pl\u00fbt aux dieux que, com -\nbl\u00e9 de tant d\u2019honneurs, tu eusses subi la destin\u00e9e et la mort sur la \nterre des Troiens ! Tous les akhaiens eussent \u00e9lev\u00e9 ta tombe, et tu \neusses laiss\u00e9 \u00e0 ton fils une grande gloire dans l\u2019avenir ; mais voici \nqu\u2019une mort mis\u00e9rable t\u2019\u00e9tait r\u00e9serv\u00e9e.\nEt l\u2019\u00e2me de l\u2019a tr\u00e9ide lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Heureux fils de P\u00e8leus, akhilleus semblable aux dieux, tu es \nmort devant Troi\u00e8, loin d\u2019a rgos, et les plus braves d\u2019entre les fils \ndes Troiens et des akhaiens se sont entre-tu\u00e9s en combattant \npour toi. Et tu \u00e9tais couch\u00e9, en un tourbillon de poussi\u00e8re, grand, \nsur un grand espace, oublieux des chevaux. Et nous combatt\u00eemes \ntout le jour, et nous n\u2019eussions point cess\u00e9 de combattre si Zeus \nne nous e\u00fbt apais\u00e9s par une temp\u00eate. apr\u00e8s t\u2019avoir emport\u00e9 de 543\nL\u2019ODYSS\u00c9Ela m\u00eal\u00e9e vers les nefs, nous te d\u00e9pos\u00e2mes sur un lit, ayant lav\u00e9 \nton beau corps avec de l\u2019eau chaude et l\u2019ayant parfum\u00e9 d\u2019huile. \nEt, autour de toi, les Danaens r\u00e9pandaient des larmes am\u00e8res et \ncoupaient leurs cheveux. alors, ta m\u00e8re sortit des eaux avec les \nimmortelles marines, pour apprendre la nouvelle, car notre voix \n\u00e9tait all\u00e9e jusqu\u2019au fond de la mer. Et une grande terreur saisit \ntous les akhaiens, et ils se fussent tous ru\u00e9s dans les nefs creuses, \nsi un homme plein d\u2019une sagesse ancienne, Nest\u00f4r, ne les e\u00fbt rete -\nnus. Et il vit ce qu\u2019il y avait de mieux \u00e0 faire, et, dans sa sagesse, il \nles harangua et leur dit :\n\u2013 arr\u00eatez, argiens ! Ne fuyez pas, fils des akhaiens ! Une m\u00e8re \nsort des eaux avec les immortelles marines, afin de voir son fils \nqui est mort.\nIl parla ainsi, et les magnanimes akhaiens cess\u00e8rent de craindre. \nEt les filles du vieillard de la mer pleuraient autour de toi en \ng\u00e9missant lamentablement, et elles te couvrirent de v\u00eatements \nimmortels. Les neuf muses, alternant leurs belles voix, se lamen -\ntaient ; et aucun des argiens ne resta sans pleurer, tant la muse \nharmonieuse remuait leur \u00e2me. Et nous avons pleur\u00e9 dix-sept \njours et dix-sept nuits, dieux immortels et hommes mortels ; et, le \ndix-huiti\u00e8me jour, nous t\u2019avons livr\u00e9 au feu, et nous avons \u00e9gorg\u00e9 \nautour de toi un grand nombre de brebis grasses et de b\u0153ufs 544CHaNT 24\nnoirs. Et tu as \u00e9t\u00e9 br\u00fbl\u00e9 dans des v\u00eatements divins, ayant \u00e9t\u00e9 par -\nfum\u00e9 d\u2019huile \u00e9paisse et de miel doux ; et les h\u00e9ros akhaiens se \nsont ru\u00e9s en foule autour de ton b\u00fbcher, pi\u00e9tons et cavaliers, avec \nun grand tumulte. Et, apr\u00e8s que la flamme de H\u00e8phaistos t\u2019eut \nconsum\u00e9, nous rassembl\u00e2mes tes os blancs, \u00f4 akhilleus, les lavant \ndans le vin pur et l\u2019huile ; et ta m\u00e8re donna une urne d\u2019or qu\u2019elle \ndit \u00eatre un pr\u00e9sent de Dionysos et l\u2019\u0153uvre de l\u2019illustre H\u00e8phaistos. \nC\u2019est dans cette urne que gisent tes os blancs, \u00f4 akhilleus, m\u00eal\u00e9s \n\u00e0 ceux du M\u00e8noitiade Patroklos, et aupr\u00e8s d\u2019a ntilokhos que tu \nhonorais le plus entre tous tes compagnons depuis la mort de \nPatroklos. Et, au-dessus de ces restes, l\u2019arm\u00e9e sacr\u00e9e des argiens \nt\u2019\u00e9leva un grand et irr\u00e9prochable tombeau sur un haut promon -\ntoire du large Hellespontos, afin qu\u2019il f\u00fbt aper\u00e7u de loin, sur la mer, \npar les hommes qui vivent maintenant et par les hommes futurs.\nEt ta m\u00e8re, les ayant obtenus des dieux, d\u00e9posa de magnifiques \nprix des jeux au milieu des illustres argiens. D\u00e9j\u00e0 je m\u2019\u00e9tais trouv\u00e9 \naux fun\u00e9railles d\u2019un grand nombre de h\u00e9ros, quand, sur le tom -\nbeau d\u2019un roi, les jeunes hommes se ceignent et se pr\u00e9parent aux \njeux ; mais tu aurais admir\u00e9 par-dessus tout, dans ton \u00e2me, les \nprix que la d\u00e9esse Th\u00e9tis aux pieds d\u2019argent d\u00e9posa sur la terre \npour les jeux ; car tu \u00e9tais cher aux dieux. ainsi, akhilleus, bien \nque tu sois mort, ton nom n\u2019est point oubli\u00e9, et, entre tous les \nhommes, ta gloire sera toujours grande. Mais moi, qu\u2019ai-je gagn\u00e9 545\nL\u2019ODYSS\u00c9E\u00e0 \u00e9chapper \u00e0 la guerre ? \u00c0 mon retour, Zeus me gardait une mort \nlamentable par les mains d\u2019a igisthos et de ma femme perfide.\nEt tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, le messager tueur d\u2019a rgos s\u2019ap -\nprocha d\u2019eux, conduisant les \u00e2mes des pr\u00e9tendants dompt\u00e9s par \nOdysseus. Et tous, d\u00e8s qu\u2019ils les virent, all\u00e8rent, \u00e9tonn\u00e9s, au-de -\nvant d\u2019eux. Et l\u2019\u00e2me de l\u2019a tr\u00e9ide agamemn\u00f4n reconnut l\u2019illustre \namphim\u00e9d\u00f4n, fils de M\u00e9lantheus, car il avait \u00e9t\u00e9 son h\u00f4te dans \nIthak\u00e8. Et l\u2019\u00e2me de l\u2019a tr\u00e9ide lui dit la premi\u00e8re :\n\u2013 amphim\u00e9d\u00f4n, quel malheur avez-vous subi pour venir dans la \nterre noire, tous illustres et du m\u00eame \u00e2ge ? On ne choisirait pas \nautrement les premiers d\u2019une ville. Poseida\u00f4n vous a-t-il domp -\nt\u00e9s sur vos nefs, en soulevant les vents furieux et les grands flots, \nou des ennemis vous ont-ils tu\u00e9s sur la terre tandis que vous enle -\nviez leurs b\u0153ufs et leurs beaux troupeaux de brebis ? ou \u00eates-vous \nmorts en combattant pour votre ville et pour vos femmes ?\nR\u00e9ponds-moi, car j\u2019ai \u00e9t\u00e9 ton h\u00f4te. Ne te souviens-tu pas que \nje vins dans tes demeures, avec le divin M\u00e9n\u00e9laos, afin d\u2019exciter \nOdysseus \u00e0 nous suivre \u00e0 Ilios sur les nefs aux solides bancs de \nrameurs ? Tout un mois nous travers\u00e2mes la vaste mer, et nous \np\u00fbmes \u00e0 peine persuader le d\u00e9vastateur de villes Odysseus.546CHaNT 24\nEt l\u2019\u00e2me d\u2019a mphim\u00e9d\u00f4n lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Illustre roi des hommes, atr\u00e9ide agamemn\u00f4n, je me souviens \nde toutes ces choses, et je te dirai avec v\u00e9rit\u00e9 la fin malheureuse \nde notre vie. Nous \u00e9tions les pr\u00e9tendants de la femme d\u2019Odys -\nseus absent depuis longtemps. Elle ne repoussait ni n\u2019accomplis -\nsait des noces odieuses, mais elle nous pr\u00e9parait la mort et la k\u00e8r \nnoire. Et elle m\u00e9dita une autre ruse dans son esprit, et elle se mit \u00e0 \ntisser dans sa demeure une grande toile, large et fine, et elle nous \ndit aussit\u00f4t :\n\u2013 Jeunes hommes, mes pr\u00e9tendants, puisque le divin Odysseus est \nmort, cessez de h\u00e2ter mes noces jusqu\u2019\u00e0 ce que j\u2019aie achev\u00e9, pour \nque mes fils ne restent pas inutiles, ce linceul du h\u00e9ros Laert\u00e8s, \nquand la moire mauvaise, de la mort inexorable l\u2019aura saisi ; \nafin qu\u2019aucune des femmes akhaiennes ne puisse me reprocher, \ndevant tout le peuple, qu\u2019un homme qui a poss\u00e9d\u00e9 tant de biens \nait \u00e9t\u00e9 enseveli sans linceul.\nElle parla ainsi, et notre c\u0153ur g\u00e9n\u00e9reux fut persuad\u00e9 aussit\u00f4t. Et, \nalors, pendant le jour, elle tissait la grande toile, et, pendant la \nnuit, ayant allum\u00e9 les torches, elle la d\u00e9faisait. ainsi, trois ans, elle \ncacha sa ruse et trompa les akhaiens ; mais, quand vint la qua -\ntri\u00e8me ann\u00e9e, et quand les mois et les jours furent \u00e9coul\u00e9s, une 547\nL\u2019ODYSS\u00c9Ede ses femmes, sachant bien sa ruse, nous la dit. Et nous la trou -\nv\u00e2mes, d\u00e9faisant sa belle toile ; mais, contre sa volont\u00e9, elle fut \ncontrainte de l\u2019achever. Et elle acheva donc cette grande toile \nsemblable en \u00e9clat \u00e0 H\u00e8lios et \u00e0 S\u00e9l\u00e8n\u00e8. Mais voici qu\u2019un dai -\nm\u00f4n ennemi ramena de quelque part Odysseus, \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de \nses champs, l\u00e0 o\u00f9 habitait son porcher. L\u00e0 aussi vint le cher fils \ndu divin Odysseus, de retour sur sa nef noire de la sablonneuse \nPylos. Et ils m\u00e9dit\u00e8rent la mort des pr\u00e9tendants, et ils vinrent \u00e0 \nl\u2019illustre ville, et Odysseus vint le dernier, car T\u00e8l\u00e9makhos le pr\u00e9 -\nc\u00e9dait. Le porcher conduisait Odysseus couvert de haillons, sem -\nblable \u00e0 un vieux mendiant et courb\u00e9 sur un b\u00e2ton. Il arriva \nsoudainement, et aucun de nous, et m\u00eame des plus \u00e2g\u00e9s, ne le \nreconnut. Et nous l\u2019outragions de paroles injurieuses et de coups ; \nmais il supporta longtemps, dans ses demeures, et avec patience, \nles injures et les coups. Et, quand l\u2019esprit de Zeus temp\u00e9tueux l\u2019eut \nexcit\u00e9, il enleva les belles armes, \u00e0 l\u2019aide de T\u00e8l\u00e9makhos, et il les \nd\u00e9posa dans la haute chambre, dont il ferma les verrous. Puis il \nordonna \u00e0 sa femme pleine de ruses d\u2019apporter aux pr\u00e9tendants \nl\u2019arc et le fer brillant pour l\u2019\u00e9preuve qui devait nous faire p\u00e9rir \nmis\u00e9rablement et qui devait \u00eatre l\u2019origine du meurtre.\nEt aucun de nous ne put tendre le nerf de l\u2019arc solide, car nous \n\u00e9tions beaucoup trop faibles. Mais quand le grand arc arriva \naux mains d\u2019Odysseus, alors nous f\u00eemes entendre des menaces 548CHaNT 24\npour qu\u2019on ne le lui donn\u00e2t pas, bien qu\u2019il le demand\u00e2t vivement. \nLe seul T\u00e8l\u00e9makhos le voulut en l\u2019excitant, et le patient et divin \nOdysseus, ayant saisi l\u2019arc, le tendit facilement et envoya une \nfl\u00e8che \u00e0 travers le fer. Puis, debout sur le seuil, il r\u00e9pandit \u00e0 ses \npieds les fl\u00e8ches rapides et il per\u00e7a le roi antinoos. alors, regar -\ndant de tous c\u00f4t\u00e9s, il lan\u00e7a ses traits mortels aux autres pr\u00e9ten -\ndants qui tombaient tous amoncel\u00e9s et nous reconn\u00fbmes qu\u2019un \nd\u2019entre les dieux l\u2019aidait. Et aussit\u00f4t son fils et ses deux serviteurs, \ns\u2019appuyant sur sa force, tuaient \u00e7\u00e0 et l\u00e0, et d\u2019affreux g\u00e9missements \ns\u2019\u00e9levaient, et la terre ruisselait de sang. C\u2019est ainsi que nous avons \np\u00e9ri, \u00f4 agamemn\u00f4n ! Nos cadavres n\u00e9glig\u00e9s gisent encore dans \nles demeures d\u2019Odysseus, et nos amis ne le savent point dans nos \nmaisons, eux qui, ayant lav\u00e9 le sang noir de nos blessures, nous \nenseveliraient en g\u00e9missant, car tel est l\u2019honneur des morts.\nEt l\u2019\u00e2me de l\u2019a tr\u00e9ide lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Heureux fils de Laert\u00e8s, prudent Odysseus, certes, tu poss\u00e8des \nune femme d\u2019une grande vertu, et l\u2019esprit est sage de l\u2019irr\u00e9pro -\nchable P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia, fille d\u2019Ikarios, qui n\u2019a point oubli\u00e9 le h\u00e9ros \nOdysseus qui l\u2019avait \u00e9pous\u00e9e vierge. C\u2019est pourquoi la gloire de \nsa vertu ne p\u00e9rira pas, et les immortels inspireront aux hommes \nterrestres des chants gracieux en l\u2019honneur de la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia.549\nL\u2019ODYSS\u00c9EMais la fille de Tyndaros n\u2019a point agi ainsi, ayant tu\u00e9 le mari qui \nl\u2019avait \u00e9pous\u00e9e vierge. aussi un chant odieux la rappellera parmi \nles hommes et elle r\u00e9pandra sa renomm\u00e9e honteuse sur toutes les \nfemmes, m\u00eame sur celles qui seront vertueuses !\nTandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, debout dans les demeures d\u2019a i-\nd\u00e8s, sous les t\u00e9n\u00e8bres de la terre, Odysseus et ses compagnons, \n\u00e9tant sortis de la ville, parvinrent promptement au beau verger de \nLaert\u00e8s, et que lui-m\u00eame avait achet\u00e9 autrefois, apr\u00e8s avoir beau -\ncoup souffert. L\u00e0 \u00e9tait, sa demeure entour\u00e9e de si\u00e8ges sur lesquels \ns\u2019asseyaient, mangeaient et dormaient les serviteurs qui travail -\nlaient pour lui. L\u00e0 \u00e9tait aussi une vieille femme Sik\u00e8le qui, dans les \nchamps, loin de la ville, prenait soin du vieillard. alors Odysseus \ndit aux deux pasteurs et \u00e0 son fils :\n\u2013 Entrez maintenant dans la maison bien b\u00e2tie et tuez, pour le \nrepas, un porc, le meilleur de tous. Moi, j\u2019\u00e9prouverai mon p\u00e8re, \nafin de voir s\u2019il me reconna\u00eetra d\u00e8s qu\u2019il m\u2019aura vu, ou s\u2019il me \nm\u00e9conna\u00eetra quand j\u2019aurai march\u00e9 longtemps pr\u00e8s de lui.\nayant ainsi parl\u00e9, il remit ses armes guerri\u00e8res aux serviteurs, qui \nentr\u00e8rent promptement dans la maison. Et, descendant le grand \nverger, il ne trouva ni Dolios, ni aucun de ses fils, ni aucun des 550CHaNT 24\nserviteurs. Et ceux-ci \u00e9taient all\u00e9s rassembler des \u00e9pines pour \nenclore le verger, et le vieillard les avait pr\u00e9c\u00e9d\u00e9s.\nEt Odysseus trouva son p\u00e8re seul dans le verger, arrachant les \nherbes et v\u00eatu d\u2019une sordide tunique, d\u00e9chir\u00e9e et trou\u00e9e. Et il avait \nli\u00e9 autour de ses jambes, pour \u00e9viter les \u00e9corchures, des kn\u00e8mides \nde cuir d\u00e9chir\u00e9es ; et il avait des gants aux mains pour se garantir \ndes buissons, et, sur la t\u00eate, un casque de peau de ch\u00e8vre qui ren -\ndait son air plus mis\u00e9rable.\nEt le patient et divin Odysseus, ayant vu son p\u00e8re accabl\u00e9 de vieil -\nlesse et plein d\u2019une grande douleur, versa des larmes, debout sous \nun haut poirier. Et il h\u00e9sita dans son esprit et dans son c\u0153ur s\u2019il \nembrasserait son p\u00e8re en lui disant comment il \u00e9tait revenu dans \nla terre de la patrie, ou s\u2019il l\u2019interrogerait d\u2019abord pour l\u2019\u00e9prou -\nver. Et il pensa qu\u2019il \u00e9tait pr\u00e9f\u00e9rable de l\u2019\u00e9prouver par des paroles \nmordantes. Pensant ainsi, le divin Odysseus alla vers lui comme il \ncreusait, la t\u00eate baiss\u00e9e, un foss\u00e9 autour d\u2019un arbre. alors, le divin \nOdysseus, s\u2019approchant, lui parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 vieillard, tu n\u2019es point inhabile \u00e0 cultiver un verger. Tout est ici \nbien soign\u00e9, l\u2019olivier, la vigne, le figuier, le poirier. aucune portion \nde terre n\u2019est n\u00e9glig\u00e9e dans ce verger. Mais je te le dirai, et n\u2019en sois \npoint irrit\u00e9 dans ton \u00e2me : tu ne prends point les m\u00eames soins 551\nL\u2019ODYSS\u00c9Ede toi. Tu subis \u00e0 la fois la triste vieillesse et les v\u00eatements sales \net honteux qui te couvrent. Ton ma\u00eetre ne te n\u00e9glige point ainsi \nsans doute \u00e0 cause de ta paresse, car ton aspect n\u2019est point servile, \net par ta beaut\u00e9 et ta majest\u00e9 tu es semblable \u00e0 un roi.\nTu es tel que ceux qui, apr\u00e8s le bain et le repas, dorment sur un lit \nmoelleux, selon la coutume des vieillards. Mais dis-moi la v\u00e9rit\u00e9. \nDe qui es-tu le serviteur ? De qui cultives-tu le verger ? Dis-moi la \nv\u00e9rit\u00e9, afin que je la sache : suis-je parvenu \u00e0 Ithak\u00e8, ainsi que me \nl\u2019a dit un homme que je viens de rencontrer et qui est insens\u00e9, car \nil n\u2019a su ni m\u2019\u00e9couter, ni me r\u00e9pondre, quand je lui ai demand\u00e9 si \nmon h\u00f4te est encore vivant ou s\u2019il est mort et descendu dans les \ndemeures d\u2019a id\u00e8s. Mais je te le dis ; \u00e9coute et comprends-moi. Je \ndonnai autrefois l\u2019hospitalit\u00e9, sur la ch\u00e8re terre de la patrie, \u00e0 un \nhomme qui \u00e9tait venu dans ma demeure, le premier, entre tous \nles \u00e9trangers errants. Il disait qu\u2019il \u00e9tait n\u00e9 \u00e0 Ithak\u00e8 et que son p\u00e8re \n\u00e9tait Laert\u00e8s arkeisiade. L \u2019ayant conduit dans ma demeure, je le \nre\u00e7us avec tendresse. Et il y avait beaucoup de richesses dans ma \ndemeure, et je lui fis de riches pr\u00e9sents hospitaliers, car je lui don -\nnai sept talents d\u2019or bien travaill\u00e9, un krat\u00e8re fleuri en argent mas -\nsif, douze manteaux simples, autant de tapis, douze autres beaux \nmanteaux et autant de tuniques, et, par surcro\u00eet, quatre femmes \nqu\u2019il choisit lui-m\u00eame, belles et tr\u00e8s habiles \u00e0 tous les ouvrages.552CHaNT 24\nEt son p\u00e8re lui r\u00e9pondit en pleurant :\n\u2013 \u00c9tranger, certes, tu es dans la contr\u00e9e sur laquelle tu m\u2019inter -\nroges ; mais des hommes iniques et injurieux l\u2019oppriment, et les \nnombreux pr\u00e9sents que tu viens de dire sont perdus.\nSi tu eusses rencontr\u00e9 ton h\u00f4te dans Ithak\u00e8, il t\u2019e\u00fbt cong\u00e9di\u00e9 apr\u00e8s \nt\u2019avoir donn\u00e9 l\u2019hospitalit\u00e9 et t\u2019avoir combl\u00e9 d\u2019autant de pr\u00e9sents \nqu\u2019il en a re\u00e7u de toi, comme c\u2019est la coutume. Mais dis-moi la \nv\u00e9rit\u00e9 : combien y a-t-il d\u2019ann\u00e9es que tu as re\u00e7u ton h\u00f4te mal -\nheureux ? C\u2019\u00e9tait mon fils, si jamais quelque chose a \u00e9t\u00e9 ! Le mal -\nheureux ! Loin de ses amis et de sa terre natale, ou les poissons \nl\u2019ont mang\u00e9 dans la mer, ou, sur la terre, il a \u00e9t\u00e9 d\u00e9chir\u00e9 par les \nb\u00eates f\u00e9roces et par les oiseaux, et ni sa m\u00e8re, ni son p\u00e8re, nous \nqui l\u2019avons engendr\u00e9, ne l\u2019avons pleur\u00e9 et enseveli. Et sa femme \nsi richement dot\u00e9e, la sage P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia n\u2019a point pleur\u00e9, sur le \nlit fun\u00e8bre, son mari bien-aim\u00e9, et elle ne lui a point ferm\u00e9 les \nyeux, car tel est l\u2019honneur des morts ! Mais dis-moi la v\u00e9rit\u00e9, afin \nque je la sache. Qui es-tu parmi les hommes ? O\u00f9 sont ta ville \net tes parents ? O\u00f9 s\u2019est arr\u00eat\u00e9e la nef rapide qui t\u2019a conduit ici \nainsi que tes divins compagnons ? Es-tu venu, comme un mar -\nchand, sur une nef \u00e9trang\u00e8re, et, t\u2019ayant d\u00e9barqu\u00e9, ont-ils conti -\nnu\u00e9 leur route ?553\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt le prudent Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Certes, je te dirai toute la v\u00e9rit\u00e9. Je suis d\u2019a lybas, o\u00f9 j\u2019ai mes \ndemeures illustres ; je suis le fils du roi apheidas Polyp\u00e8monide, \net mon nom est \u00c9p\u00e8ritos. Un daim\u00f4n m\u2019a pouss\u00e9 ici, malgr\u00e9 moi, \ndes c\u00f4tes de Sikani\u00e8, et ma nef s\u2019est arr\u00eat\u00e9e, loin de la ville, sur le \nrivage. Voici la cinqui\u00e8me ann\u00e9e qu\u2019Odysseus a quitt\u00e9 ma patrie. \nCertes, comme il partait, des oiseaux apparurent \u00e0 sa droite, et je \nle renvoyai, m\u2019en r\u00e9jouissant, et lui-m\u00eame en \u00e9tait joyeux quand \nil partit.\nEt nous esp\u00e9rions, dans notre \u00e2me, nous revoir et nous faire de \nsplendides pr\u00e9sents.\nIl parla ainsi, et la sombre nu\u00e9e de la douleur enveloppa Laert\u00e8s, \net, avec de profonds g\u00e9missements, il couvrit \u00e0 deux mains sa t\u00eate \nblanche de poussi\u00e8re. Et l\u2019\u00e2me d\u2019Odysseus fut \u00e9mue, et un trouble \nviolent monta jusqu\u2019\u00e0 ses narines en voyant ainsi son cher p\u00e8re ; \net il le prit dans ses bras en s\u2019\u00e9lan\u00e7ant, et il le baisa et lui dit :\n\u2013 P\u00e8re ! Je suis celui que tu attends, et je reviens apr\u00e8s vingt ans \ndans la terre de la patrie. Mais cesse de pleurer et de g\u00e9mir, car, \nje te le dis, il faut que nous nous h\u00e2tions. J\u2019ai tu\u00e9 les pr\u00e9tendants 554CHaNT 24\ndans nos demeures, ch\u00e2tiant leurs indignes outrages et leurs \nmauvaises actions.\nEt Laert\u00e8s lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si tu es Odysseus mon fils de retour ici, donne moi un signe \nmanifeste qui me persuade.\nEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Vois d\u2019abord de tes yeux cette blessure qu\u2019un sanglier me fit de \nses blanches dents, sur le Parn\u00e8sos, quand vous m\u2019aviez envoy\u00e9, \ntoi et ma m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable, aupr\u00e8s d\u2019a utolykos le cher p\u00e8re de ma \nm\u00e8re, afin de prendre les pr\u00e9sents qu\u2019il m\u2019avait promis quand il \nvint ici.\nMais \u00e9coute, et je te dirai encore les arbres de ton verger bien \ncultiv\u00e9, ceux que tu m\u2019as donn\u00e9s autrefois, comme je te les deman -\ndais, \u00e9tant enfant et te suivant \u00e0 travers le verger. Et nous allions \nparmi les arbres et tu me nommais chacun d\u2019entre eux, et tu me \ndonnas treize poiriers, dix pommiers et quarante figuiers ; et tu \nme dis que tu me donnerais cinquante sillons de vignes portant \ndes fruits et dont les grappes m\u00fbrissent quand les saisons de Zeus \np\u00e8sent sur elles.555\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, et les genoux et le cher c\u0153ur de Laert\u00e8s d\u00e9faillirent \ntandis qu\u2019il reconnaissait les signes manifestes que lui donnait \nOdysseus. Et il jeta ses bras autour de son cher fils, et le patient et \ndivin Odysseus le re\u00e7ut inanim\u00e9. Enfin, il respira, et, rassemblant \nses esprits, il lui parla ainsi :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, et vous, dieux ! certes, vous \u00eates encore dans le grand \nOlympos, si vraiment les pr\u00e9tendants ont pay\u00e9 leurs outrages ! \nMais, maintenant, je crains dans mon \u00e2me que tous les Ithak\u00e8siens \nse ruent promptement ici et qu\u2019ils envoient des messagers \u00e0 toutes \nles villes des K\u00e9phall\u00e8niens.\nEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Prends courage, et ne t\u2019inqui\u00e8te point de ceci dans ton \u00e2me. \nMais allons vers la demeure qui est aupr\u00e8s du verger. C\u2019est l\u00e0 que \nj\u2019ai envoy\u00e9 T\u00e8l\u00e9makhos, le bouvier et le porcher, afin de pr\u00e9parer \npromptement le repas.\nayant ainsi parl\u00e9, ils all\u00e8rent vers les belles demeures, o\u00f9 ils trou -\nv\u00e8rent T\u00e8l\u00e9makhos, le bouvier et le porcher, coupant les chairs \nabondantes et m\u00ealant le vin rouge. Cependant la servante Sik\u00e8le \nlava et parfuma d\u2019huile le magnanime Laert\u00e8s dans sa demeure, \net elle jeta un beau manteau autour de lui, et ath\u00e8n\u00e8, s\u2019approchant, 556CHaNT 24\nfortifia les membres du prince des peuples et elle le fit para\u00eetre \nplus grand et plus majestueux qu\u2019auparavant. Et il sortit du bain, \net son cher fils l\u2019admira, le voyant semblable aux dieux immor -\ntels, et il lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 p\u00e8re, certes, un des dieux \u00e9ternels te fait ainsi para\u00eetre plus \nirr\u00e9prochable par la beaut\u00e9 et la majest\u00e9.\nEt le prudent Laert\u00e8s lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Que n\u2019a-t-il plu au p\u00e8re Zeus, \u00e0 ath\u00e8n\u00e8, \u00e0 apoll\u00f4n, que je fusse \nhier, dans nos demeures, tel que j\u2019\u00e9tais quand je pris, sur la terre \nferme, commandant aux K\u00e9phall\u00e8niens, la ville bien b\u00e2tie de \nN\u00e9rikos ! Les \u00e9paules couvertes de mes armes, j\u2019eusse chass\u00e9 les \npr\u00e9tendants et rompu les genoux d\u2019un grand nombre d\u2019entre eux \ndans nos demeures, et tu t\u2019en fusses r\u00e9joui dans ton \u00e2me.\nEt ils se parlaient ainsi, et, cessant leur travail, ils pr\u00e9par\u00e8rent le \nrepas, et ils s\u2019assirent en ordre sur les si\u00e8ges et sur les thr\u00f4nes, et \nils allaient prendre leur repas, quand le vieux Dolios arriva avec \nses fils fatigu\u00e9s de leurs travaux ; car la vieille m\u00e8re Sik\u00e8le, qui les \navait nourris et qui prenait soin du vieillard depuis que l\u2019\u00e2ge l\u2019ac -\ncablait, \u00e9tait all\u00e9e les appeler.557\nL\u2019ODYSS\u00c9EIls aper\u00e7urent Odysseus et ils le reconnurent dans leur \u00e2me, et ils \ns\u2019arr\u00eat\u00e8rent, stup\u00e9faits, dans la demeure. Mais Odysseus, les ras -\nsurant, leur dit ces douces paroles :\n\u2013 \u00d4 vieillard, assieds-toi au repas et ne sois plus stup\u00e9fait. Nous \nvous avons longtemps attendus dans les demeures, pr\u00eats \u00e0 mettre \nla main sur les mets.\nIl parla ainsi, et Dolios, les deux bras \u00e9tendus, s\u2019\u00e9lan\u00e7a ; et saisis -\nsant les mains d\u2019Odysseus, il les baisa, et il lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 ami, puisque tu es revenu vers nous qui te d\u00e9sirions et qui \npensions ne plus te revoir, c\u2019est que les dieux t\u2019ont conduit. Salut ! \nR\u00e9jouis-toi, et que les dieux te rendent heureux ! Mais dis-moi la \nv\u00e9rit\u00e9, afin que je la sache. La prudente P\u00e8n\u00e9lop\u00e9ia sait-elle que tu \nes revenu, ou lui enverrons-nous un message ?\nEt le prudent Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, elle le sait ! Pourquoi t\u2019inqui\u00e9ter de ces choses ?\nIl parla ainsi, et il s\u2019assit de nouveau sur son si\u00e8ge poli. Et, autour \nde l\u2019illustre Odysseus, les fils de Dolios, de la m\u00eame fa\u00e7on, 558CHaNT 24\nsalu\u00e8rent leur ma\u00eetre par leurs paroles et bais\u00e8rent ses mains. \nEnsuite ils s\u2019assirent aupr\u00e8s de Dolios leur p\u00e8re.\nTandis qu\u2019ils mangeaient ainsi dans la demeure, Ossa se r\u00e9pan -\ndit par la ville, annon\u00e7ant la k\u00e8r et la mort lamentable des pr\u00e9 -\ntendants. Et, \u00e0 cette nouvelle, tous accoururent de tous c\u00f4t\u00e9s, avec \ntumulte et en g\u00e9missant, devant la demeure d\u2019Odysseus. Et ils \nemport\u00e8rent les morts, chacun dans sa demeure, et ils les enseve -\nlirent ; et ceux des autres villes, ils les firent reconduire, les ayant \nd\u00e9pos\u00e9s sur des nefs rapides. Puis, afflig\u00e9s dans leur c\u0153ur, ils se \nr\u00e9unirent \u00e0 l\u2019agora. Et quand ils furent r\u00e9unis en foule, Eupeith\u00e8s \nse leva et parla au milieu d\u2019eux. Et une douleur intol\u00e9rable \u00e9tait \ndans son c\u0153ur \u00e0 cause de son fils antinoos que le divin Odysseus \navait tu\u00e9 le premier. Et il parla ainsi, versant des larmes \u00e0 cause \nde son fils :\n\u2013 \u00d4 amis, certes, cet homme a fait un grand mal aux akhaiens. \nTous ceux, nombreux et braves, qu\u2019il a emmen\u00e9s sur ses nefs, \nil les a perdus ; et il a perdu aussi les nefs creuses, et il a perdu \nses peuples, et voici qu\u2019\u00e0 son retour il a tu\u00e9 les plus braves des \nK\u00e9phall\u00e8niens. allons ! avant qu\u2019il fuie rapidement \u00e0 Pylos ou \ndans la divine \u00c9lis o\u00f9 dominent les \u00c9p\u00e9iens, allons ! car nous \nserions \u00e0 jamais m\u00e9pris\u00e9s, et les hommes futurs se souviendraient \nde notre honte, si nous ne vengions le meurtre de nos fils et de 559\nL\u2019ODYSS\u00c9Enos fr\u00e8res. Il ne me serait plus doux de vivre, et j\u2019aimerais mieux \ndescendre aussit\u00f4t chez les morts. allons ! de peur que, nous pr\u00e9 -\nvenant, ils s\u2019enfuient.\nIl parla ainsi en pleurant, et la douleur saisit tous les akhaiens.\nMais, alors, M\u00e9d\u00f4n et le divin aoide s\u2019approch\u00e8rent d\u2019eux, \u00e9tant \nsortis de la demeure d\u2019Odysseus, d\u00e8s que le sommeil les eut quit -\nt\u00e9s. Et ils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent au milieu de l\u2019agora. Et tous furent saisis de \nstupeur, et le prudent M\u00e9d\u00f4n leur dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, Ithak\u00e8siens. Odysseus n\u2019a point accompli ces \nchoses sans les dieux immortels. Moi-m\u00eame j\u2019ai vu un dieu \nimmortel qui se tenait aupr\u00e8s d\u2019Odysseus, sous la figure de \nMent\u00f4r. Certes, un dieu immortel apparaissait, tant\u00f4t devant \nOdysseus, excitant son audace, et tant\u00f4t s\u2019\u00e9lan\u00e7ant dans la salle, \ntroublant les pr\u00e9tendants, et ceux-ci tombaient amoncel\u00e9s.\nIl parla ainsi, et la terreur bl\u00eame les saisit tous. Et le vieux h\u00e9ros \nHalithers\u00e8s Mastoride, qui savait les choses pass\u00e9es et futures, \nplein de prudence, leur parla ainsi :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, Ithak\u00e8siens, quoi que je dise. C\u2019est par votre ini -\nquit\u00e9, amis, que ceci est arriv\u00e9. En effet, vous ne m\u2019avez point ob\u00e9i, 560CHaNT 24\nni \u00e0 Ment\u00f4r prince des peuples, en r\u00e9primant les violences de vos \nfils qui ont commis avec fureur des actions mauvaises, consu -\nmant les richesses et insultant la femme d\u2019un vaillant homme \nqu\u2019ils disaient ne devoir plus revenir. Et, maintenant que cela est \narriv\u00e9, faites ce que je vous dis : ne partez pas, de peur qu\u2019il vous \narrive malheur.\nIl parla ainsi, et les uns se ru\u00e8rent avec un grand tumulte, et les \nautres rest\u00e8rent en grand nombre, car les paroles de Halithers\u00e8s \nne leur plurent point et ils ob\u00e9irent \u00e0 Eupeith\u00e8s.\nEt aussit\u00f4t ils se jet\u00e8rent sur leurs armes, et, s\u2019\u00e9tant couverts de l\u2019ai -\nrain splendide, r\u00e9unis, ils travers\u00e8rent la grande ville. Et Eupeith\u00e8s \n\u00e9tait le chef de ces insens\u00e9s, et il esp\u00e9rait venger le meurtre de son \nfils ; mais sa destin\u00e9e n\u2019\u00e9tait point de revenir, mais de subir la k\u00e8r.\nalors ath\u00e8n\u00e8 dit \u00e0 Zeus Kroni\u00f4n :\n\u2013 Notre p\u00e8re, Kronide, le plus puissant des rois, r\u00e9ponds-moi : que \ncache ton esprit ? Exciteras-tu la guerre lamentable et la rude \nm\u00eal\u00e9e, ou r\u00e9tabliras-tu la concorde entre les deux partis ?561\nL\u2019ODYSS\u00c9EEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, pourquoi m\u2019interroges-tu sur ces choses ? N\u2019en \nas-tu point d\u00e9cid\u00e9 toi-m\u00eame dans ton esprit, de fa\u00e7on qu\u2019Odys -\nseus, \u00e0 son retour, se venge de ses ennemis ? Fais selon ta volont\u00e9 ; \nmais je te dirai ce qui est convenable. Maintenant que le divin \nOdysseus a puni les pr\u00e9tendants, qu\u2019ayant scell\u00e9 une alliance \nsinc\u00e8re, il r\u00e8gne toujours. Nous enverrons \u00e0 ceux-ci l\u2019oubli du \nmeurtre de leurs fils et de leurs fr\u00e8res, et ils s\u2019aimeront les uns les \nautres comme auparavant, dans la paix et dans l\u2019abondance.\nayant ainsi parl\u00e9, il excita ath\u00e8n\u00e8 d\u00e9j\u00e0 pleine d\u2019ardeur et qui se \nrua du fa\u00eete de l\u2019Olympos.\nEt quand ceux qui prenaient leur repas eurent chass\u00e9 la faim, le \npatient et divin Odysseus leur dit, le premier :\n\u2013 Qu\u2019un de vous sorte et voie si ceux qui doivent venir approchent.\nIl parla ainsi, et un des fils de Dolios sortit, comme il l\u2019ordonnait ; \net, debout sur le seuil, il vit la foule qui approchait. Et aussit\u00f4t il \ndit \u00e0 Odysseus ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Les voici, armons-nous promptement.562CHaNT 24\nIl parla ainsi, et tous se jet\u00e8rent sur leurs armes, Odysseus et ses \ntrois compagnons et les six fils de Dolios. Et avec eux, Laert\u00e8s \net Dolios s\u2019arm\u00e8rent, quoique ayant les cheveux blancs, mais \ncontraints de combattre.\nEt, s\u2019\u00e9tant couverts de l\u2019airain splendide, ils ouvrirent les portes et \nsortirent, et Odysseus les conduisait. Et la fille de Zeus, ath\u00e8n\u00e8, \nvint \u00e0 eux, semblable \u00e0 Ment\u00f4r par la figure et la voix. Et le patient \net divin Odysseus, l\u2019ayant vue, se r\u00e9jouit, et il dit aussit\u00f4t \u00e0 son \ncher fils T\u00e8l\u00e9makhos :\n\u2013 T\u00e8l\u00e9makhos, voici qu\u2019il faut te montrer, en combattant toi-\nm\u00eame les guerriers. C\u2019est l\u00e0 que les plus braves se reconnaissent. \nNe d\u00e9shonorons pas la race de nos a\u00efeux, qui, sur toute la terre, l\u2019a \nemport\u00e9 par sa force et son courage.\nEt le prudent T\u00e8l\u00e9makhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Tu verras, si tu le veux, cher p\u00e8re, que je ne d\u00e9shonorerai point \nta race.563\nL\u2019ODYSS\u00c9EIl parla ainsi, et Laert\u00e8s s\u2019en r\u00e9jouit et dit :\n\u2013 Quel jour pour moi, dieux amis ! Certes, je suis plein de joie ; \nmon fils et mon petit-fils luttent de vertu.\nEt ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, s\u2019approchant, lui dit :\n\u2013 arkeisiade, le plus cher de mes compagnons, supplie le p\u00e8re \nZeus et sa fille aux yeux clairs, et, aussit\u00f4t, envoie ta longue lance, \nl\u2019ayant brandie avec force.\nayant ainsi parl\u00e9, Pallas ath\u00e8n\u00e8 lui inspira une grande force, et \nil pria la fille du grand Zeus, et il envoya sa longue lance bran -\ndie avec force. Et il frappa le casque d\u2019airain d\u2019Eupeith\u00e8s, qui ne \nr\u00e9sista point, et l\u2019airain le traversa. Et Eupeith\u00e8s tomba avec bruit, \net ses armes r\u00e9sonn\u00e8rent sur lui. Et Odysseus et son illustre fils se \nru\u00e8rent sur les premiers combattants, les frappant de leurs \u00e9p\u00e9es \net de lances \u00e0 deux pointes. Et ils les eussent tous tu\u00e9s et priv\u00e9s \ndu retour, si ath\u00e8n\u00e8, la fille de Zeus temp\u00e9tueux, n\u2019e\u00fbt arr\u00eat\u00e9 tout \nle peuple en criant :\n\u2013 Cessez la guerre lamentable, Ithak\u00e8siens, et s\u00e9parez-vous promp -\ntement sans carnage.564CHaNT 24\nainsi parla ath\u00e8n\u00e8, et la terreur bl\u00eame les saisit, et leurs armes, \n\u00e9chapp\u00e9es de leurs mains, tomb\u00e8rent \u00e0 terre, au cri de la d\u00e9esse ; \net tous, pour sauver leur vie, s\u2019enfuirent vers la ville.\nEt le patient et divin Odysseus, avec des clameurs terribles, se \nrua comme l\u2019aigle qui vole dans les hauteurs. alors le Kronide \nlan\u00e7a la foudre enflamm\u00e9e qui tomba devant la fille aux yeux \nclairs d\u2019un p\u00e8re redoutable. Et, alors, ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs dit \n\u00e0 Odysseus :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, arr\u00eate, cesse la discorde de la \nguerre intestine, de peur que le Kronide Zeus qui tonne au loin \ns\u2019irrite contre toi.\nainsi parla ath\u00e8n\u00e8, et il lui ob\u00e9it, plein de joie dans son c\u0153ur. Et \nPallas ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus temp\u00e9tueux, et semblable par la figure \net par la voix \u00e0 Ment\u00f4r, scella pour toujours l\u2019alliance entre les \ndeux partis."}