{"filename": "Liliade.pdf", "content": "l\u2019Iliade\nHom\u00e8reL \u2019ILIADEChant 1 1\nChant 2 31\nChant 3 69\nChant 4 91\nChant 5 115\nChant 6 155\nChant 7 179\nChant 8 201\nChant 9 225\nChant 10 253\nChant 11 279\nChant 12 315\nChant 13 335\nChant 14 371\nChant 15 393\nChant 16 425\nChant 17 461\nChant 18 493\nChant 19 519\nChant 20 537\nChant 21 559\nChant 22 585\nChant 23 609\nChant 24 6471\nL \u2019ILIADEChant 1\nChante, d\u00e9esse, du P\u00e8l\u00e8iade Akhilleus la col\u00e8re d\u00e9sastreuse, qui \nde maux infinis accabla les Akhaiens, et pr\u00e9cipita chez Aid\u00e8s tant \nde fortes \u00e2mes de h\u00e9ros, livr\u00e9s eux-m\u00eames en p\u00e2ture aux chiens \net \u00e0 tous les oiseaux carnassiers. Et le dessein de Zeus s\u2019accom -\nplissait ainsi, depuis qu\u2019une querelle avait divis\u00e9 l\u2019Atr\u00e9ide, roi des \nhommes, et le divin Akhilleus.\nQui d\u2019entre les dieux les jeta dans cette dissension ? Le fils de \nZeus et de L\u00e8t\u00f4. Irrit\u00e9 contre le roi, il suscita dans l\u2019arm\u00e9e un mal \nmortel, et les peuples p\u00e9rissaient, parce que l\u2019Atr\u00e9ide avait cou -\nvert d\u2019opprobre Khrys\u00e8s le sacrificateur.\nEt celui-ci \u00e9tait venu vers les nefs rapides des Akhaiens pour \nracheter sa fille ; et, portant le prix infini de l\u2019affranchissement, et, \ndans ses mains, les bandelettes de l\u2019Archer Apoll\u00f4n, suspendues \nau sceptre d\u2019or, il conjura tous les Akhaiens, et surtout les deux \nAtr\u00e9ides, princes des peuples :\n\u2013 Atr\u00e9ides, et vous, anciens aux belles kn\u00e8mides, que les dieux qui \nhabitent les demeures olympiennes vous donnent de d\u00e9truire la 2CHAnt 1\nville de Priamos et de vous retourner heureusement ; mais ren -\ndez-moi ma fille bien-aim\u00e9e et recevez le prix de l\u2019affranchisse -\nment, si vous r\u00e9v\u00e9rez le fils de Zeus, l\u2019archer Apoll\u00f4n.\nEt tous les Akhaiens, par des rumeurs favorables, voulaient qu\u2019on \nrespect\u00e2t le sacrificateur et qu\u2019on re\u00e7\u00fbt le prix splendide ; mais \ncela ne plut point \u00e0 l\u2019\u00e2me de l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, et il le chassa \noutrageusement, et il lui dit cette parole violente :\n\u2013 Prends garde, vieillard, que je te rencontre aupr\u00e8s des nefs \ncreuses, soit que tu t\u2019y attardes, soit que tu reviennes, de peur que \nle sceptre et les bandelettes du dieu ne te prot\u00e8gent plus. Je n\u2019af -\nfranchirai point ta fille. La vieillesse l\u2019atteindra, en ma demeure, \ndans Argos, loin de sa patrie, tissant la toile et partageant mon lit. \nMais, va ! ne m\u2019irrite point, afin de t\u2019en retourner sauf.\nIl parla ainsi, et le vieillard trembla et ob\u00e9it. Et il allait, silen -\ncieux, le long du rivage de la mer aux bruits sans nombre. Et, se \nvoyant \u00e9loign\u00e9, il conjura le roi Apoll\u00f4n que L\u00e8t\u00f4 \u00e0 la belle che -\nvelure enfanta :\n\u2013 Entends-moi, porteur de l\u2019arc d\u2019argent, qui prot\u00e8ges Khrys\u00e8 et \nKilla la sainte, et commandes fortement sur t \u00e9n\u00e9dos, Smintheus ! \nSi jamais j\u2019ai orn\u00e9 ton beau temple, si jamais j\u2019ai br\u00fbl\u00e9 pour toi les 3\nL \u2019ILIADEcuisses grasses des taureaux et des ch\u00e8vres, exauce mon v\u0153u : que \nles Danaens expient mes larmes sous tes fl\u00e8ches !\nIl parla ainsi en priant, et Phoibos Apoll\u00f4n l\u2019entendit ; et, du som -\nmet Olympien, il se pr\u00e9cipita, irrit\u00e9 dans son c\u0153ur, portant l\u2019arc \nsur ses \u00e9paules, avec le plein carquois. Et les fl\u00e8ches sonnaient \nsur le dos du dieu irrit\u00e9, \u00e0 chacun de ses mouvements. Et il allait, \nsemblable \u00e0 la nuit.\nAssis \u00e0 l\u2019\u00e9cart, loin des nefs, il lan\u00e7a une fl\u00e8che, et un bruit terrible \nsortit de l\u2019arc d\u2019argent. Il frappa les mulets d\u2019abord et les chiens \nrapides ; mais, ensuite, il per\u00e7a les hommes eux-m\u00eames du trait \nqui tue. Et sans cesse les b\u00fbchers br\u00fblaient, lourds de cadavres.\nDepuis neuf jours les fl\u00e8ches divines sifflaient \u00e0 travers l\u2019arm\u00e9e ; \net, le dixi\u00e8me, Akhilleus convoqua les peuples dans l\u2019agora. H\u00e8r\u00e8 \naux bras blancs le lui avait inspir\u00e9, anxieuse des Danaens et les \nvoyant p\u00e9rir. Et quand ils furent tous r\u00e9unis, se levant au milieu \nd\u2019eux, Akhilleus aux pieds rapides parla ainsi :\n\u2013 Atr\u00e9ide, je pense qu\u2019il nous faut reculer et reprendre nos courses \nerrantes sur la mer, si toutefois nous \u00e9vitons la mort, car, toutes \ndeux, la guerre et la contagion domptent les Akhaiens. H\u00e2tons-\nnous d\u2019interroger un divinateur ou un sacrificateur, ou un 4CHAnt 1\ninterpr\u00e8te des songes, car le songe vient de Zeus. Qu\u2019il dise pour -\nquoi Phoibos Apoll\u00f4n est irrit\u00e9, soit qu\u2019il nous reproche des v\u0153ux \nn\u00e9glig\u00e9s ou qu\u2019il demande des h\u00e9catombes promises. Sachons si, \ncontent de la graisse fumante des agneaux et des belles ch\u00e8vres, il \n\u00e9cartera de nous cette contagion.\nAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019assit. Et le t hestoride Kalkhas, l\u2019excellent \ndivinateur, se leva. Il savait les choses pr\u00e9sentes, futures et pas -\ns\u00e9es, et il avait conduit \u00e0 Ilion les nefs Akhaiennes, \u00e0 l\u2019aide de la \nscience sacr\u00e9e dont l\u2019avait dou\u00e9 Phoibos Apoll\u00f4n. t r\u00e8s sage, il dit \ndans l\u2019agora :\n\u2013 \u00d4 Akhilleus, cher \u00e0 Zeus, tu m\u2019ordonnes d\u2019expliquer la col\u00e8re \ndu roi Apoll\u00f4n l\u2019archer. Je le ferai, mais promets d\u2019abord et jure \nque tu me d\u00e9fendras de ta parole et de tes mains ; car, sans doute, \nje vais irriter l\u2019homme qui commande \u00e0 tous les Argiens et \u00e0 qui \ntous les Akhaiens ob\u00e9issent.\nUn roi est trop puissant contre un inf\u00e9rieur qui l\u2019irrite. Bien que, \ndans l\u2019instant, il refr\u00e8ne sa col\u00e8re, il l\u2019assouvit un jour, apr\u00e8s l\u2019avoir \ncouv\u00e9e dans son c\u0153ur. Dis-moi donc que tu me prot\u00e9geras.5\nL \u2019ILIADEEt Akhilleus aux pieds rapides, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Dis sans peur ce que tu sais. n on ! par Apoll\u00f4n, cher \u00e0 Zeus, et \ndont tu d\u00e9couvres aux Danaens les volont\u00e9s sacr\u00e9es, non ! nul \nd\u2019entre eux, Kalkhas, moi vivant et les yeux ouverts, ne portera \nsur toi des mains violentes aupr\u00e8s des nefs creuses, quand m\u00eame \ntu nommerais Agamemn\u00f4n, qui se glorifie d\u2019\u00eatre le plus puissant \ndes Akhaiens.\nEt le divinateur irr\u00e9prochable prit courage et dit :\n\u2013 Apoll\u00f4n ne vous reproche ni v\u0153ux ni h\u00e9catombes ; mais il venge \nson sacrificateur, qu\u2019Agamemn\u00f4n a couvert d\u2019opprobre, car il n\u2019a \npoint d\u00e9livr\u00e9 sa fille, dont il a refus\u00e9 le prix d\u2019affranchissement. \nEt c\u2019est pour cela que l\u2019archer Apoll\u00f4n vous accable de maux ; et \nil vous en accablera, et il n\u2019\u00e9cartera point les lourdes k\u00e8res de la \ncontagion, que vous n\u2019ayez rendu \u00e0 son p\u00e8re bien-aim\u00e9 la jeune \nfille aux sourcils arqu\u00e9s, et qu\u2019une h\u00e9catombe sacr\u00e9e n\u2019ait \u00e9t\u00e9 \nconduite \u00e0 Khrys\u00e8. Alors nous apaiserons le dieu.\nAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019assit. Et le h\u00e9ros Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, qui \ncommande au loin, se leva, plein de douleur ; et une noire col\u00e8re 6CHAnt 1\nemplissait sa poitrine, et ses yeux \u00e9taient pareils \u00e0 des feux flam -\nbants. Furieux contre Kalkhas, il parla ainsi :\n\u2013 Divinateur malheureux, jamais tu ne m\u2019as rien dit d\u2019agr\u00e9able. \nLes maux seuls te sont doux \u00e0 pr\u00e9dire. t u n\u2019as jamais ni bien \nparl\u00e9 ni bien agi ; et voici maintenant qu\u2019au milieu des Danaens, \ndans l\u2019agora, tu proph\u00e9tises que l\u2019archer Apollon nous accable \nde maux parce que je n\u2019ai point voulu recevoir le prix splendide \nde la vierge Khrys\u00e8is, aimant mieux la retenir dans ma demeure \nlointaine. En effet, je la pr\u00e9f\u00e8re \u00e0 Klytaimnestr\u00e8, que j\u2019ai \u00e9pou -\ns\u00e9e vierge. Elle ne lui est inf\u00e9rieure ni par le corps, ni par la taille, \nni par l\u2019intelligence, ni par l\u2019habilet\u00e9 aux travaux. Mais je la veux \nrendre. Je pr\u00e9f\u00e8re le salut des peuples \u00e0 leur destruction. Donc, \npr\u00e9parez-moi promptement un prix, afin que, seul d\u2019entre tous les \nArgiens, je ne sois point d\u00e9pouill\u00e9. Cela ne conviendrait point ; car, \nvous le voyez, ma part m\u2019est retir\u00e9e.\nEt le divan Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tr\u00e8s orgueilleux Atr\u00e9ide, le plus avare des hommes, comment les \nmagnanimes Akhaiens te donneraient-ils un autre prix ? Avons-\nnous des d\u00e9pouilles \u00e0 mettre en commun ? Celles que nous avons \nenlev\u00e9es des villes saccag\u00e9es ont \u00e9t\u00e9 distribu\u00e9es, et il ne convient \npoint que les hommes en fassent un nouveau partage. Mais toi, 7\nL \u2019ILIADEremets cette jeune fille \u00e0 son dieu, et nous, Akhaiens, nous te \nrendrons le triple et le quadruple, si jamais Zeus nous donne de \nd\u00e9truire t roi\u00e8 aux fortes murailles.\nEt le roi Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 ne crois point me tromper, quelque brave que tu sois, Akhilleus \nsemblable \u00e0 un dieu, car tu ne me s\u00e9duiras ni ne me persuaderas. \nVeux-tu, tandis que tu gardes ta part, que je reste assis dans mon \nindigence, en affranchissant cette jeune fille ? Si les magnanimes \nAkhaiens satisfont mon c\u0153ur par un prix d\u2019une valeur \u00e9gale, soit. \nSinon, je ravirai le tien, ou celui d\u2019Aias, ou celui d\u2019Odysseus ; et \nje l\u2019emporterai, et celui-l\u00e0 s\u2019indignera vers qui j\u2019irai. Mais nous \nsongerons \u00e0 ceci plus tard. Donc, lan\u00e7ons une nef noire \u00e0 la mer \ndivine, munie d\u2019avirons, charg\u00e9e d\u2019une h\u00e9catombe, et faisons-y \nmonter Khrys\u00e8is aux belles joues, sous la conduite d\u2019un chef, \nAias, Idom\u00e9neus, ou le divin Odysseus, ou toi-m\u00eame, P\u00e8l\u00e9ide, le \nplus effrayant des hommes, afin d\u2019apaiser l\u2019archer Apoll\u00f4n par les \nsacrifices accomplis.8CHAnt 1\nEt Akhilleus aux pieds rapides, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, \nparla ainsi :\n\u2013 Ah ! rev\u00eatu d\u2019impudence, \u00e2pre au gain ! Comment un seul d\u2019entre \nles Akhaiens se h\u00e2terait-il de t\u2019ob\u00e9ir, soit qu\u2019il faille tendre une \nembuscade, soit qu\u2019on doive combattre courageusement contre \nles hommes ? Je ne suis point venu pour ma propre cause atta -\nquer les t roiens arm\u00e9s de lances, car ils ne m\u2019ont jamais nui. \nJamais ils ne m\u2019ont enlev\u00e9 ni mes b\u0153ufs ni mes chevaux ; jamais, \ndans la fructueuse Phthi\u00e8, ils n\u2019ont ravag\u00e9 mes moissons : car un \ngrand nombre de montagnes ombrag\u00e9es et la mer sonnante nous \ns\u00e9parent. Mais nous t\u2019avons suivi pour te plaire, impudent ! pour \nvenger M\u00e9n\u00e9laos et toi, \u0153il de chien !\nEt tu ne t\u2019en soucies ni ne t\u2019en souviens, et tu me menaces de m\u2019en -\nlever la r\u00e9compense pour laquelle j\u2019ai tant travaill\u00e9 et que m\u2019ont \ndonn\u00e9e les fils des Akhaiens ! Certes, je n\u2019ai jamais une part \u00e9gale \n\u00e0 la tienne quand on saccage une ville troienne bien peupl\u00e9e ; et \ncependant mes mains portent le plus lourd fardeau de la guerre \nimp\u00e9tueuse. Et, quand vient l\u2019heure du partage, la meilleure part \nest pour toi ; et, ployant sous la fatigue du combat, je retourne \nvers mes nefs, satisfait d\u2019une r\u00e9compense modique. Aujourd\u2019hui, \nje pars pour la Phthi\u00e8, car mieux vaut regagner ma demeure 9\nL \u2019ILIADEsur mes nefs \u00e9peronn\u00e9es. Et je ne pense point qu\u2019apr\u00e8s m\u2019avoir \noutrag\u00e9 tu recueilles ici des d\u00e9pouilles et des richesses.\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Fuis, si ton c\u0153ur t\u2019y pousse. Je ne te demande point de rester \npour ma cause. Mille autres seront avec moi, surtout le tr\u00e8s sage \nZeus. t u m\u2019es le plus odieux des rois nourris par le Kronide. t u \nne te plais que dans la dissension, la guerre et le combat. Si tu es \nbrave, c\u2019est que les dieux l\u2019ont voulu sans doute. Retourne dans \nta demeure avec tes nefs et tes compagnons ; commande aux \nMyrmidones ; je n\u2019ai nul souci de ta col\u00e8re, mais je te pr\u00e9viens de \nceci ; puisque Phoibos Apoll\u00f4n m\u2019enl\u00e8ve Khrys\u00e8is, je la renverrai \nsur une de mes nefs avec mes compagnons, et moi-m\u00eame j\u2019irai \nsous ta tente et j\u2019en entra\u00eenerai Breis\u00e8is aux belles joues, qui fut \nton partage, afin que tu comprennes que je suis plus puissant que \ntoi, et que chacun redoute de se dire mon \u00e9gal en face.\nIl parla ainsi, et le P\u00e8l\u00e9i\u00f4n fut ampli d\u2019angoisse, et son c\u0153ur, dans \nsa m\u00e2le poitrine, d\u00e9lib\u00e9ra si, prenant l\u2019\u00e9p\u00e9e aigu\u00eb sur sa cuisse, il \n\u00e9carterait la foule et tuerait l\u2019Atr\u00e9ide, ou s\u2019il apaisent sa col\u00e8re et \nrefr\u00e9nerait sa fureur.10CHAnt 1\nEt tandis qu\u2019il d\u00e9lib\u00e9rait dans son \u00e2me et dans son esprit, et qu\u2019il \narrachait sa grande \u00e9p\u00e9e de la gaine, Ath\u00e8n\u00e8 vint de l\u2019Ouranos, \ncar H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs l\u2019avait envoy\u00e9e, aimant et prot\u00e9geant \nles deux rois. Elle se tint en arri\u00e8re et saisit le P\u00e8l\u00e9i\u00f4n par sa che -\nvelure blonde ; visible pour lui seul, car nul autre ne la voyait. Et \nAkhilleus, stup\u00e9fait, se retourna, et aussit\u00f4t il reconnut Ath\u00e8n\u00e8, \ndont les yeux \u00e9taient terribles, et il lui dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Pourquoi es-tu venue, fille de Zeus temp\u00e9tueux ? Est-ce afin de \nvoir l\u2019outrage qui m\u2019est fait par l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n ? Mais je \nte le dis, et ma parole s\u2019accomplira, je pense : il va rendre l\u2019\u00e2me \u00e0 \ncause de son insolence.\nEt Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je suis venue de l\u2019Ouranos pour apaiser ta col\u00e8re, si tu veux ob\u00e9ir. \nLa divine H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs m\u2019a envoy\u00e9e, vous aimant et vous \nprot\u00e9geant tous deux. Donc, arr\u00eate ; ne prends point l\u2019\u00e9p\u00e9e en \nmain, venge-toi en paroles, quoi qu\u2019il arrive. Et je te le dis, et ceci \ns\u2019accomplira : bient\u00f4t ton injure te sera pay\u00e9e par trois fois autant \nde pr\u00e9sents splendides. R\u00e9prime-toi et ob\u00e9is-nous.11\nL \u2019ILIADEEt Akhilleus aux pieds rapides, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 D\u00e9esse, il faut observer ton ordre, bien que je sois irrit\u00e9 dans \nl\u2019\u00e2me. Cela est pour le mieux sans doute, car les dieux exaucent \nqui leur ob\u00e9it.\nIl parla ainsi, et, frappant d\u2019une main lourde la poign\u00e9e d\u2019argent, \nil repoussa sa grande \u00e9p\u00e9e dans la gaine et n\u2019enfreignit point \nl\u2019ordre d\u2019Ath\u00e8n\u00e8.\nEt celle-ci retourna aupr\u00e8s des autres dieux, dans les demeures \nolympiennes de Zeus temp\u00e9tueux.\nEt le P\u00e8l\u00e9ide, d\u00e9bordant de col\u00e8re, interpella l\u2019Atr\u00e9ide avec \nd\u2019\u00e2pres paroles :\n\u2013 Lourd de vin, \u0153il de chien, c\u0153ur de cerf ! jamais tu n\u2019as os\u00e9, dans \nton \u00e2me, t\u2019armer pour le combat avec les hommes, ni tendre des \nembuscades avec les princes des Akhaiens. Cela t\u2019\u00e9pouvanterait \ncomme la mort elle-m\u00eame. Certes, il est beaucoup plus ais\u00e9, dans \nla vaste arm\u00e9e Akhaienne, d\u2019enlever la part de celui qui te contre -\ndit, roi qui manges ton peuple, parce que tu commandes \u00e0 des \nhommes vils. S\u2019il n\u2019en \u00e9tait pas ainsi, Atr\u00e9ide, cette insolence serait \nla derni\u00e8re. Mais je te le dis, et j\u2019en jure un grand serment : par 12CHAnt 1\nce sceptre qui ne produit ni feuilles, ni rameaux, et qui ne rever -\ndira plus, depuis qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 tranch\u00e9 du tronc sur les montagnes et \nque l\u2019airain l\u2019a d\u00e9pouill\u00e9 de feuilles et d\u2019\u00e9corce ; et par le sceptre \nque les fils des Akhaiens portent aux mains quand ils jugent et \ngardent les lois au nom de Zeus, je te le jure par un grand ser -\nment : certes, bient\u00f4t le regret d\u2019Akhilleus envahira tous les fils \ndes Akhaiens, et tu g\u00e9miras de ne pouvoir les d\u00e9fendre, quand ils \ntomberont en foule sous le tueur d\u2019hommes Hekt\u00f4r ; et tu seras \nirrit\u00e9 et d\u00e9chir\u00e9 au fond de ton \u00e2me d\u2019avoir outrag\u00e9 le plus brave \ndes Akhaiens.\nAinsi parla le P\u00e8l\u00ebide, et il jeta contre terre le sceptre aux clous \nd\u2019or, et il s\u2019assit. Et l\u2019Atr\u00e9ide s\u2019irritait aussi ; mais l\u2019excellent agor\u00e8te \ndes Pyliens, l\u2019harmonieux n est\u00f4r, se leva.\nEt la parole coulait de sa langue, douce comme le miel. Et il avait \nd\u00e9j\u00e0 v\u00e9cu deux \u00e2ges d\u2019hommes n\u00e9s et nourris avec lui dans la \ndivine Pylos, et il r\u00e9gnait sur le troisi\u00e8me \u00e2ge. t r\u00e8s sage, il dit \ndans l\u2019agora :\n\u2013 \u00d4 dieux ! Certes. un grand deuil envahit la terre Akhaienne ! \nVoici que Priamos se r\u00e9jouira et que les fils de Priamos et tous \nles autres t roiens se r\u00e9jouiront aussi dans leur c\u0153ur, quand \nils apprendront vos querelles, \u00e0 vous qui \u00eates au-dessus des 13\nL \u2019ILIADEDanaens dans l\u2019agora et dans le combat. Mais laissez-vous per -\nsuader, car vous \u00eates tous deux moins \u00e2g\u00e9s que moi. J\u2019ai v\u00e9cu \nautrefois avec des hommes plus braves que vous, et jamais ils ne \nm\u2019ont cru moindre qu\u2019eux. n on, jamais je n\u2019ai vu et je ne rever -\nrai des hommes tels que Peirithoos, et Dryas, prince des peuples, \nKain\u00e9os, Exadios, Polyph\u00e8mos semblable \u00e0 un dieu, et th\u00e8seus \nAig\u00e9ide pareil aux immortels. Certes, ils \u00e9taient les plus braves \ndes hommes nourris sur la terre, et ils combattaient contre les \nplus braves, les centaures des montagnes ; et ils les tu\u00e8rent terri -\nblement. Et j\u2019\u00e9tais avec eux, \u00e9tant all\u00e9 loin de Pylos et de la terre \nd\u2019Api\u00e8, et ils m\u2019avaient appel\u00e9, et je combattais selon mes forces, \ncar nul des hommes qui sont aujourd\u2019hui sur la terre n\u2019aurait pu \nleur r\u00e9sister. Mais ils \u00e9coutaient mes conseils et s\u2019y conformaient.\nOb\u00e9issez donc, car cela est pour le mieux. Il n\u2019est point permis \n\u00e0 Agamemn\u00f4n, bien que le plus puissant, d\u2019enlever au P\u00e8l\u00e9ide la \nvierge que lui ont donn\u00e9e les fils des Akhaiens, mais tu ne dois \npoint aussi, P\u00e8l\u00e9ide, r\u00e9sister au roi, car tu n\u2019es point l\u2019\u00e9gal de ce \nporte sceptre que Zeus a glorifi\u00e9. Si tu es le plus brave, si une \nm\u00e8re divine t\u2019a enfant\u00e9, celui-ci est le plus puissant et commande \n\u00e0 un plus grand nombre. Atr\u00e9ide, renonce \u00e0 ta col\u00e8re, et je sup -\nplie Akhilleus de r\u00e9primer la sienne, car il est le solide bouclier \ndes Akhaiens dans la guerre mauvaise.14CHAnt 1\nEt le roi Agamemn\u00f4n parla ainsi :\n\u2013 Vieillard, tu as dit sagement et bien ; mais cet homme veut \u00eatre \nau-dessus de tous, commander \u00e0 tous et dominer sur tous. Je ne \npense point que personne y consente. Si les dieux qui vivent tou -\njours l\u2019ont fait brave, lui ont-ils permis d\u2019insulter ?\nEt le divin Akhilleus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, je m\u00e9riterais d\u2019\u00eatre nomm\u00e9 l\u00e2che et vil si, \u00e0 chacune de tes \nparoles, je te complaisais en toute chose. Commande aux autres, \nmais non \u00e0 moi, car ne pense point que je t\u2019ob\u00e9isse jamais plus \nd\u00e9sormais. Je te dirai ceci ; garde-le dans ton esprit : Je ne com -\nbattrai point contre aucun autre \u00e0 cause de cette vierge, puisque \nvous m\u2019enlevez ce que vous m\u2019avez donn\u00e9. Mais tu n\u2019emporteras \nrien contre mon gr\u00e9 de toutes les autres choses qui sont dans ma \nnef noire et rapide.\ntente-le, fais-toi ce danger, et que ceux-ci le voient, et aussit\u00f4t ton \nsang noir ruissellera autour de ma lance.\nS\u2019\u00e9tant ainsi outrag\u00e9s de paroles, ils se lev\u00e8rent et rompirent \nl\u2019agora aupr\u00e8s des nefs des Akhaiens. Et le P\u00e8l\u00e9ide se retira, avec le \nM\u00e9noitiade et ses compagnons, vers ses tentes. Et l\u2019Atr\u00e9ide lan\u00e7a 15\nL \u2019ILIADE\u00e0 la mer une nef rapide, l\u2019arma de vingt avirons, y mit une h\u00e9ca -\ntombe pour le dieu et y conduisit lui-m\u00eame Khrys\u00e8is aux belles \njoues. Et le chef fut le subtil Odysseus.\nEt comme ils naviguaient sur les routes marines, l\u2019Atr\u00e9ide \nordonna aux peuples de se purifier. Et ils se purifiaient tous, et ils \njetaient leurs souillures dans la mer, et ils sacrifiaient \u00e0 Apoll\u00f4n \ndes h\u00e9catombes choisies de taureaux et de ch\u00e8vres, le long du \nrivage de la mer inf\u00e9conde. Et l\u2019odeur en montait vers l\u2019Ouranos, \ndans un tourbillon de fum\u00e9e.\nEt pendant qu\u2019ils faisaient ainsi, Agamemn\u00f4n n\u2019oubliait ni sa \ncol\u00e8re, ni la menace faite \u00e0 Akhilleus. Et il interpella t althybios et \nEurybat\u00e8s, qui \u00e9taient ses h\u00e9rauts familiers.\n\u2013 Allez \u00e0 la tente du P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus. Saisissez de la main Breis\u00e8is \naux belles joues ; et, s\u2019il ne la donnait pas, j\u2019irai la saisir moi-m\u00eame \navec un plus grand nombre, et ceci lui sera plus douloureux.\nEt il les envoya avec ces \u00e2pres paroles. Et ils marchaient \u00e0 regret \nle long du rivage de la mer inf\u00e9conde, et ils parvinrent aux tentes \net aux nefs des Myrmidones.16CHAnt 1\nEt ils trouv\u00e8rent le P\u00e8l\u00e9ide assis aupr\u00e8s de sa tente et de sa nef \nnoire, et Akhilleus ne fut point joyeux de les voir. Enray\u00e9s et \npleins de respect, ils se tenaient devant le roi, et ils ne lui parlaient, \nni ne l\u2019interrogeaient. Et il les comprit dans son \u00e2me et dit :\n\u2013 Salut, messagers de Zeus et des hommes ! Approchez. Vous n\u2019\u00eates \npoint coupables envers moi, mais bien Agamemn\u00f4n, qui vous \nenvoie pour la vierge Breis\u00e8is. Debout, divin Patroklos, am\u00e8ne-la, \net qu\u2019ils l\u2019entra\u00eenent ! Mais qu\u2019ils soient t\u00e9moins devant les dieux \nheureux, devant les hommes mortels et devant ce roi f\u00e9roce, si \njamais on a besoin de moi pour conjurer la destruction de tous ; \ncar, certes, il est plein de fureur dans ses pens\u00e9es mauvaises, et \nil ne se souvient de rien, et il ne pr\u00e9voit rien, de fa\u00e7on que les \nAkhaiens combattent saufs aupr\u00e8s des nefs.\nIl parla ainsi, et Patroklos ob\u00e9it \u00e0 son compagnon bien-aim\u00e9. Il \nconduisit hors de la tente Breis\u00e8is aux belles joues, et il la livra \npour \u00eatre entra\u00een\u00e9e. Et les h\u00e9rauts retourn\u00e8rent aux nefs des \nanciens, et la jeune femme allait les suivant \u00e0 contrec\u0153ur. Et \nAkhilleus, en pleurant, s\u2019assit, loin des siens, sur le rivage blanc 17\nL \u2019ILIADEd\u2019\u00e9cume, et, regardant la haute mer toute noire, les mains \u00e9ten -\ndues, il supplia sa m\u00e8re bien-aim\u00e9e :\n\u2013 M\u00e8re ! puisque tu m\u2019as enfant\u00e9 pour vivre peu de temps, l\u2019Olym -\npien Zeus qui tonne dans les nues devrait m\u2019accorder au moins \nquelque honneur ; mais il le fait maintenant moins que jamais.\nEt voici que l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, qui commande au loin, \nm\u2019a couvert d\u2019opprobre, et qu\u2019il poss\u00e8de ma r\u00e9compense qu\u2019il \nm\u2019a enlev\u00e9e.\nIl parla ainsi, versant des larmes. Et sa m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable l\u2019entendit, \nassise au fond de l\u2019ab\u00eeme, aupr\u00e8s de son vieux p\u00e8re. Et, aussit\u00f4t, \nelle \u00e9mergea de la blanche mer, comme une nu\u00e9e ; et, s\u2019asseyant \ndevant son fils qui pleurait, elle le caressa de la main et lui parla :\n\u2013 Mon enfant, pourquoi pleures-tu ? Quelle amertume est entr\u00e9e \ndans ton \u00e2me ? Parle, ne cache rien afin que nous sachions \ntous deux.\nEt Akhilleus aux pieds rapides parla avec un profond soupir :\n\u2013 tu le sais ; pourquoi te dire ce que tu sais ? nous sommes all\u00e9s \ncontre t h\u00e8b\u00e8 la sainte, ville d\u2019\u00ca\u00e9ti\u00f4n, et nous l\u2019avons saccag\u00e9e, et 18CHAnt 1\nnous en avons tout enlev\u00e9 ; et les fils des Akhaiens, s\u2019\u00e9tant par -\ntag\u00e9 les d\u00e9pouilles, donn\u00e8rent \u00e0 l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n Khrys\u00e8is \naux belles joues. Mais bient\u00f4t Khrys\u00e8s, sacrificateur de l\u2019archer \nApoll\u00f4n, vint aux nefs rapides des Akhaiens rev\u00eatus d\u2019airain, pour \nracheter sa fille. Et il portait le prix infini de l\u2019affranchissement, et, \ndans ses mains les bandelettes de l\u2019archer Apoll\u00f4n, suspendues au \nsceptre d\u2019or. Et, suppliant, il pria tous les Akhaiens, et surtout les \ndeux Atr\u00e9ides, princes des peuples. Et tous les Akhaiens, par des \nrumeurs favorables, voulaient qu\u2019on respect\u00e2t le sacrificateur et \nqu\u2019on re\u00e7\u00fbt le prix splendide.\nMais cela ne plut point \u00e0 l\u2019\u00e2me de l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, et il \nle chassa outrageusement avec une parole violente. Et le vieil -\nlard irrit\u00e9 se retira. Mais Apoll\u00f4n exau\u00e7a son v\u0153u, car il lui est \ntr\u00e8s cher. Il envoya contre les Argiens une fl\u00e8che mauvaise ; et les \npeuples p\u00e9rissaient amoncel\u00e9s ; et les traits du dieu sifflaient au \ntravers de la vaste arm\u00e9e Akhaienne. Un divinateur sage interpr\u00e9 -\ntait dans l\u2019agora les volont\u00e9s sacr\u00e9es d\u2019Apoll\u00f4n. Aussit\u00f4t, le pre -\nmier, je voulus qu\u2019on apais\u00e2t le dieu. Mais la col\u00e8re saisit l\u2019Atr\u00e9ide, \net, se levant soudainement, il pronon\u00e7a une menace qui s\u2019est \naccomplie. Les Akhaiens aux sourcils arqu\u00e9s ont conduit la jeune \nvierge \u00e0 Khrys\u00e8, sur une nef rapide, et portant des pr\u00e9sents au \ndieu ; mais deux h\u00e9rauts viennent d\u2019entra\u00eener de ma tente la \nvierge Breis\u00e8is que les Akhaiens m\u2019avaient donn\u00e9e. Pour toi, si tu 19\nL \u2019ILIADEle veux, secours ton fils bien-aim\u00e9. Monte \u00e0 l\u2019Ouranos Olympien \net supplie Zeus, si jamais tu as touch\u00e9 son c\u0153ur par tes paroles \nou par tes actions. Souvent je t\u2019ai entendue, dans les demeures \npaternelles, quand tu disais que, seule parmi les immortels, tu \navais d\u00e9tourn\u00e9 un indigne traitement du Kroni\u00f4n qui amasse les \nnu\u00e9es, alors que les autres Olympiens, H\u00e8r\u00e8 et Poseida\u00f4n et Pallas \nAth\u00e8n\u00e8 le voulaient encha\u00eener. Et toi, d\u00e9esse, tu accourus, et tu le \nd\u00e9livras de ses liens, en appelant dans le vaste Olympes le g\u00e9ant \naux cent mains que les dieux nomment Briar\u00e9\u00f4s, et les hommes \nAigai\u00f4s. Et celui-ci \u00e9tait beaucoup plus fort que son p\u00e8re, et il s\u2019as -\nsit, orgueilleux de sa gloire, aupr\u00e8s du Kroni\u00f4n ; et les dieux heu -\nreux en furent \u00e9pouvant\u00e9, et n\u2019encha\u00een\u00e8rent point Zeus.\nMaintenant rappelle ceci en sa m\u00e9moire ; presse ses genoux ; et \nque, venant en aide aux t roiens, ceux-ci repoussent, avec un \ngrand massacre, les Akhaiens contre la mer et dans leurs nefs. Que \nles Argiens jouissent de leur roi, et que l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n qui \ncommande au loin souffre de sa faute, puisqu\u2019il a outrag\u00e9 le plus \nbrave des Akhaiens.\nEt th\u00e9tis, r\u00e9pandant des larmes, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e9las ! mon enfant, pourquoi t\u2019ai-je enfant\u00e9 et nourri pour une \ndestin\u00e9e mauvaise ! Oh ! que n\u2019es-tu rest\u00e9 dans tes nefs, calme et 20CHAnt 1\nsans larmes du moins, puisque tu ne dois vivre que peu de jours ! \nMais te voici tr\u00e8s malheureux et devant mourir tr\u00e8s vite, parce \nque je t\u2019ai enfant\u00e9 dans mes demeures pour une destin\u00e9e mau -\nvaise ! Cependant, j\u2019irai dans l\u2019Olympos neigeux, et je parlerai \u00e0 \nZeus qui se r\u00e9jouit de la foudre, et peut-\u00eatre m\u2019\u00e9coutera-t-il. Pour \ntoi, assis dans tes nefs rapides, reste irrit\u00e9 contre les Akhaiens et \nabstiens-toi du combat. Zeus est all\u00e9 hier du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019Ok\u00e9anos, \u00e0 \nun festin que lui ont donn\u00e9 les Aithiopiens irr\u00e9prochables, et tous \nles dieux l\u2019ont suivi. Le douzi\u00e8me jour il reviendra dans l\u2019Olym -\npos. Alors j\u2019irai dans la demeure d\u2019airain de Zeus et je presserai \nses genoux, et je pense qu\u2019il en sera touch\u00e9.\nAyant ainsi parl\u00e9, elle partit et laissa Akhilleus irrit\u00e9 dans son \nc\u0153ur au souvenir de la jeune femme \u00e0 la belle ceinture qu\u2019on lui \navait enlev\u00e9e par violence.\nEt Odysseus, conduisant l\u2019h\u00e9catombe sacr\u00e9e, parvint \u00e0 Krys\u00e8. Et \nles Akhaiens, \u00e9tant entr\u00e9s dans le port profond, pli\u00e8rent les voiles \nqui furent d\u00e9pos\u00e9es dans la nef noire. Ils abattirent joyeusement \nsur l\u2019avant le m\u00e2t d\u00e9gag\u00e9 de ses man\u0153uvres ; et, menant la nef \u00e0 \nforce d\u2019avirons, apr\u00e8s avoir amarr\u00e9 les c\u00e2bles et mouill\u00e9 les roches, \nils descendirent sur le rivage de la mer, avec l\u2019h\u00e9catombe promise \n\u00e0 l\u2019archer Apoll\u00f4n. Khrys\u00e8is sortit aussit\u00f4t de la nef, et le subtil 21\nL \u2019ILIADEOdysseus, la conduisant vers l\u2019autel, la remit aux mains de son \np\u00e8re bien-aim\u00e9, et dit :\n\u2013 \u00d4 Khrys\u00e8s ! le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, m\u2019a envoy\u00e9 pour te \nrendre ta fille et pour sacrifier une h\u00e9catombe sacr\u00e9e \u00e0 Phoibos \nen faveur des Danaens, afin que nous apaisions le dieu qui accable \nles Argiens de calamit\u00e9s d\u00e9plorables.\nAyant ainsi parl\u00e9, il lui remit aux mains sa fille bien-aim\u00e9e, et le \nvieillard la re\u00e7ut plein de joie. Aussit\u00f4t les Akhaiens rang\u00e8rent \nla riche h\u00e9catombe dans l\u2019ordre consacr\u00e9, autour de l\u2019autel b\u00e2ti \nselon le rite. Et ils se lav\u00e8rent les mains, et ils pr\u00e9par\u00e8rent les orges \nsal\u00e9es ; et Khrys\u00e8s, \u00e0 haute voix, les bras lev\u00e9s, priait pour eux :\n\u2013 Entends-moi, porteur de l\u2019arc d\u2019argent, qui prot\u00e8ges Khrys\u00e8 et \nla divine Killa, et commandes fortement sur t \u00e9n\u00e9dos. D\u00e9j\u00e0 tu as \nexauc\u00e9 ma pri\u00e8re ; tu m\u2019as honor\u00e9 et tu as couvert d\u2019affliction les \npeuples des Akhaiens. Maintenant \u00e9coute mon v\u0153u, et d\u00e9tourne \nloin d\u2019eux la contagion.\nIl parla ainsi en priant, et Phoibos Apoll\u00f4n l\u2019exau\u00e7a. Et, apr\u00e8s avoir \npri\u00e9 et r\u00e9pandu les orges sal\u00e9es, renversant en arri\u00e8re le cou des \nvictimes, ils les \u00e9gorg\u00e8rent et les \u00e9corch\u00e8rent. On coupa les cuisses, 22CHAnt 1\non les couvrit de graisse des deux c\u00f4t\u00e9s, et on posa sur elles les \nentrailles crues.\nEt le vieillard les br\u00fblait sur du bois sec et les arrosait d\u2019une liba -\ntion de vin rouge. Les jeunes hommes, aupr\u00e8s de lui, tenaient en \nmains des broches \u00e0 cinq pointes. Et, les cuisses \u00e9tant consum\u00e9es, \nils go\u00fbt\u00e8rent les entrailles ; et, s\u00e9parant le reste en plusieurs mor -\nceaux, ils les trans-fix\u00e8rent de leurs broches et les tirent cuire avec \nsoin, et le tout fut retir\u00e9 du feu. Apr\u00e8s avoir achev\u00e9 ce travail, ils \npr\u00e9par\u00e8rent le repas ; et tous furent convi\u00e9s, et nul ne se plaignit, \ndans son \u00e2me, de l\u2019in\u00e9galit\u00e9 des parts.\nAyant assouvi la faim et la soif, les jeunes hommes couronn\u00e8rent \nde vin les pat\u00e8res et les r\u00e9partirent entre tous \u00e0 pleines coupes. \nEt, durant tout le jour, les jeunes Akhaiens apais\u00e8rent le dieu \npar leurs hymnes, chantant le joyeux paian et c\u00e9l\u00e9brant l\u2019archer \nApoll\u00f4n qui se r\u00e9jouissait dans son c\u0153ur de les entendre.\nQuand H\u00e9lios tomba et que les ombres furent venues, ils se cou -\nch\u00e8rent aupr\u00e8s des c\u00e2bles, \u00e0 la proue de leur nef ; et quand \u00c9\u00f4s, \naux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, apparut, ils s\u2019en retourn\u00e8rent vers \nla vaste arm\u00e9e des Akhaiens, et l\u2019archer Apoll\u00f4n leur envoya un \nvent propice.23\nL \u2019ILIADEEt ils dress\u00e8rent le m\u00e2t, et ils d\u00e9ploy\u00e8rent les voiles blanches ; et \nle vent les gonfla par le milieu ; et l\u2019onde pourpr\u00e9e sonnait avec \nbruit autour de la car\u00e8ne de la nef qui courait sur l\u2019eau en faisant \nsa route.\nPuis, \u00e9tant parvenus \u00e0 la vaste arm\u00e9e des Akhaiens, ils tir\u00e8rent la \nnef noire au plus haut des sables de la plage ; et, l\u2019ayant assujet -\ntie sur de longs rouleaux, ils se dispers\u00e8rent parmi les tentes et \nles nefs.\nMais le divin fils de P\u00e8leus, Akhilleus aux pieds rapides, assis \naupr\u00e8s de ses nefs l\u00e9g\u00e8res, couvait son ressentiment ; et il ne se \nmontrait plus ni dans l\u2019agora qui illustre les hommes, ni dans le \ncombat. Et il restait l\u00e0, se d\u00e9vorant le c\u0153ur et regrettant le cri de \nguerre et la m\u00eal\u00e9e.\nQuand \u00c9\u00f4s, reparut pour la douzi\u00e8me fois, les dieux qui vivent \ntoujours revinrent ensemble dans l\u2019Olympos, et Zeus marchait \nen t\u00eate. Et th\u00e9tis n\u2019oublia point les pri\u00e8res de son fils ; et, \u00e9mer -\ngeant de l\u2019\u00e9cume de la mer, elle monta, matinale, \u00e0 travers le vaste \nOuranos, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Olympos, o\u00f9 elle trouva celui qui voit tout, \nle Kronide, assis loin des autres dieux, sur le plus haut fa\u00eete de \nl\u2019Olympos aux cimes nombreuses. Elle s\u2019assit devant lui, embrassa 24CHAnt 1\nses genoux de la main gauche, lui toucha le menton de la main \ndroite, et le suppliant, elle dit au roi Zeus Kroni\u00f4n :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! si jamais, entre les immortels, je t\u2019ai servi, soit par \nmes paroles, soit par mes actions, exauce ma pri\u00e8re.\nHonore mon fils qui, de tous les vivants, est le plus proche de \nla mort. Voici que le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, l\u2019a outrag\u00e9, \net qu\u2019il poss\u00e8de sa r\u00e9compense qu\u2019il lui a enlev\u00e9e. Mais toi, du \nmoins, honore-le, Olympien, tr\u00e8s sage Zeus, et donne le dessus \naux t royens jusqu\u2019\u00e0 ce que les Akhaiens aient honor\u00e9 mon fils et \nlui aient rendu hommage.\nElle parla ainsi, et Zeus, qui amasse les nu\u00e9es, ne r\u00e9pondit pas et \nresta longtemps muet. Et t h\u00e9tis, ayant saisi ses genoux qu\u2019elle \ntenait embrass\u00e9s, dit une seconde fois :\n\u2013 Consens et promets avec sinc\u00e9rit\u00e9, ou refuse-moi, car tu ne peux \ncraindre rien. Que je sache si je suis la plus m\u00e9pris\u00e9e des d\u00e9esses !\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, avec un profond soupir, lui dit :\n\u2013 Certes, ceci va causer de grands malheurs, quand tu m\u2019auras \nmis en lutte avec H\u00e8r\u00e8, et quand elle m\u2019aura irrit\u00e9 par des paroles 25\nL \u2019ILIADEoutrageantes. Elle ne cesse, en effet, parmi les dieux immortels, de \nme reprocher de soutenir les t roiens dans le combat. Maintenant, \nretire-toi en h\u00e2te, de peur que H\u00e8r\u00e8 t\u2019aper\u00e7oive. Je songerai \u00e0 faire \nce que tu demandes, et je t\u2019en donne pour gage le signe de ma t\u00eate, \nafin que tu sois convaincue. Et c\u2019est le plus grand de mes signes \npour les immortels. Et je ne puis ni r\u00e9voquer, ni renier, ni n\u00e9gli -\nger ce que j\u2019ai promis par un signe de ma t\u00eate.\nEt le Kroni\u00f4n, ayant parl\u00e9, fron\u00e7a ses sourcils bleus. Et la cheve -\nlure ambroisienne s\u2019agita sur la t\u00eate immortelle du roi, et le vaste \nOlympos en fut \u00e9branl\u00e9.\ntous deux s\u2019\u00e9tant ainsi parl\u00e9, se s\u00e9par\u00e8rent. Et t h\u00e9tis sauta dans \nla mer profonde du haut de l\u2019Olympos \u00e9blouissant, et Zeus ren -\ntra dans sa demeure. Et tous les dieux se lev\u00e8rent de leurs si\u00e8ges \u00e0 \nl\u2019aspect de leur p\u00e8re, et nul n\u2019osa l\u2019attendre, et tous s\u2019empress\u00e8rent \nau-devant de lui, et il s\u2019assit sur son thr\u00f4ne. Mais H\u00e8r\u00e8 n\u2019avait pas \n\u00e9t\u00e9 tromp\u00e9e, l\u2019ayant vu se concerter avec la fille du vieillard de la \nmer, th\u00e9tis aux pieds d\u2019argent. Et elle adressa d\u2019amers reproches \n\u00e0 Zeus Kroni\u00f4n :\n\u2013 Qui d\u2019entre les dieux, \u00f4 plein de ruses, s\u2019est encore concert\u00e9 avec \ntoi ? Il te pla\u00eet sans cesse de prendre, loin de moi, de secr\u00e8tes r\u00e9so -\nlutions, et jamais tu ne me dis ce que tu m\u00e9dites.26CHAnt 1\nEt le p\u00e8re des dieux et des hommes lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8, n\u2019esp\u00e8re point conna\u00eetre toutes mes pens\u00e9es. Elles \nte seraient terribles, bien que tu sois mon \u00e9pouse. Celle qu\u2019il \nconvient que tu saches, aucun des dieux et des hommes ne la \nconna\u00eetra avant toi ; mais pour celle que je m\u00e9dite loin des dieux, \nne la recherche ni ne l\u2019examine.\nEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf lui r\u00e9pondit :\n\u2013 terrible Kronide, quelle parole as-tu dite ? Certes, je ne t\u2019ai \njamais interrog\u00e9 et n\u2019ai point recherch\u00e9 tes pens\u00e9es, et tu m\u00e9dites \nce qu\u2019il te pla\u00eet dans ton esprit. Mais je tremble que la fille du \nvieillard de la mer, th\u00e9tis aux pieds d\u2019argent, ne t\u2019ait s\u00e9duit ; car, \nd\u00e8s le matin, elle s\u2019est assise aupr\u00e8s de toi et elle a saisi tes genoux. \ntu lui as promis, je pense, que tu honorerais Akhilleus et que \ntu ferais tomber un grand nombre d\u2019hommes aupr\u00e8s des nefs \ndes Akhaiens.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es lui r\u00e9pondit, et il dit :\n\u2013 Insens\u00e9e ! tu me soup\u00e7onnes sans cesse et je ne puis me cacher \nde toi. Mais, dans ton impuissance, tu ne feras que t\u2019\u00e9loigner de \nmon c\u0153ur, et ta peine en sera plus terrible. Si tes soup\u00e7ons sont 27\nL \u2019ILIADEvrais, sache qu\u2019il me pla\u00eet d\u2019agir ainsi. Donc, tais-toi et ob\u00e9is \u00e0 mes \nparoles. Prends garde que tous les dieux Olympiens ne puissent \nte d\u00e9fendre, si j\u2019\u00e9tends sur toi mes mains sacr\u00e9es.\nIl parla ainsi, et la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8ra aux yeux de b\u0153uf fut saisie \nde crainte, et elle demeura muette, domptant son c\u0153ur altier. Et, \ndans la demeure de Zeus, les dieux ouraniens g\u00e9mirent.\nEt l\u2019illustre ouvrier H\u00e8phaistos commen\u00e7a de parler, pour conso -\nler sa m\u00e8re bien-aim\u00e9e, H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs :\n\u2013 Certes, nos maux seront funestes et intol\u00e9rables, si vous vous \nquerellez ainsi pour des mortels, et si vous mettez le tumulte \nparmi les dieux.\nnos festins brillants perdront leur joie, si le mal l\u2019emporte. Je \nconseille \u00e0 ma m\u00e8re, bien qu\u2019elle soit d\u00e9j\u00e0 persuad\u00e9e de ceci, de \ncalmer Zeus, mon p\u00e8re bien-aim\u00e9, afin qu\u2019il ne s\u2019irrite point de \nnouveau et qu\u2019il ne trouble plus nos festins. Certes, si l\u2019Olympien \nqui darde les \u00e9clairs le veut, il peut nous pr\u00e9cipiter de nos tr\u00f4nes, \ncar il est le plus puissant. tente donc de le fl\u00e9chir par de douces \nparoles, et aussit\u00f4t l\u2019Olympien nous sera bienveillant.28CHAnt 1\nIl parla ainsi, et, s\u2019\u00e9tant \u00e9lanc\u00e9, il remit une coupe profonde aux \nmains de sa m\u00e8re bien-aim\u00e9e et lui dit :\n\u2013 Sois patiente, ma m\u00e8re, et, bien qu\u2019afflig\u00e9e, supporte ta disgr\u00e2ce, \nde peur que je te voie maltrait\u00e9e, toi qui m\u2019es ch\u00e8re, et que, malgr\u00e9 \nma douleur, je ne puisse te secourir, car l\u2019Olympien est un terrible \nadversaire. D\u00e9j\u00e0, une fois, comme je voulais te d\u00e9fendre, il me sai -\nsit par un pied et me rejeta du haut des demeures divines. t out \nun jour je roulai, et, avec H\u00e9lios, qui se couchait, je tombai dans \nL\u00e8mnos, presque sans vie. L\u00e0 les hommes Sintiens me re\u00e7urent \ndans ma chute.\nIl parla ainsi, et la divine H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs sourit, et elle \nre\u00e7ut la coupe de son fils. Et il versait, par la droite, \u00e0 tous les \nautres dieux, puisant le doux nektar dans le krat\u00e8re. Et un rire \ninextinguible s\u2019\u00e9leva parmi les dieux heureux, quand ils virent \nH\u00e8phaistos s\u2019agiter dans la demeure.\nEt ils se livraient ainsi au festin, tout le jour, jusqu\u2019au coucher de \nH\u00e9lios. Et nul d\u2019entre eux ne fut priv\u00e9 d\u2019une \u00e9gale part du repas, ni \ndes sons de la lyre magnifique que tenait Apoll\u00f4n, tandis que les \nMuses chantaient tour \u00e0 tour d\u2019une belle voix. Mais apr\u00e8s que la \nbrillante lumi\u00e8re H\u00e9lienne se fut couch\u00e9e, eux aussi se retir\u00e8rent, \nchacun dans la demeure que l\u2019illustre H\u00e8phaistos boiteux des 29\nL \u2019ILIADEdeux pieds avait construite habilement. Et l\u2019Olympien Zeus, qui \ndarde les \u00e9clairs, se rendit vers sa couche, l\u00e0 o\u00f9 il reposait quand \nle doux sommeil le saisissait. Et il s\u2019y endormit, et, aupr\u00e8s de lui, \nH\u00e8r\u00e8 au tr\u00f4ne d\u2019or.30CHAnt 131\nL \u2019ILIADEChant 2\nLes dieux et les cavaliers arm\u00e9s de casques dormaient tous dans \nla nuit ; mais le profond sommeil ne saisissait point Zeus, et il \ncherchait dans son esprit comment il honorerait Akhilleus et \ntuerait une foule d\u2019hommes aupr\u00e8s des nefs des Akhaiens. Et ce \ndessein lui parut le meilleur, dans son esprit, d\u2019envoyer un songe \nmenteur \u00e0 l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n. Et, l\u2019ayant appel\u00e9, il lui dit ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Va, songe menteur, vers les nefs rapides des Akhaiens. Entre \ndans la tente de l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n et porte-lui tr\u00e8s fid\u00e8le -\nment mon ordre. Qu\u2019il arme la foule des Akhaiens chevelus, car \nvoici qu\u2019il va s\u2019emparer de la ville aux larges rues des t roiens. Les \nimmortels qui habitent les demeures Olympiennes ne sont plus \ndivis\u00e9s, car H\u00e8r\u00e8 les a tous fl\u00e9chis par ses supplications, et les cala -\nmit\u00e9s sont suspendues sur les t roiens.\nIl parla ainsi, et, l\u2019ayant entendu, le songe partit. Et il parvint aus -\nsit\u00f4t aux nefs rapides des Akhaiens, et il s\u2019approcha de l\u2019Atr\u00e9ide \nAgamemn\u00f4n qui dormait sous sa tente et qu\u2019un sommeil ambroi -\nsien enveloppait. Et il se tint aupr\u00e8s de la t\u00eate du roi. Et il \u00e9tait 32CHAnt 2\nsemblable au n \u00e8l\u00e8i\u00f4n n est\u00f4r, qui, de tous les vieillards, \u00e9tait le \nplus honor\u00e9 d\u2019Agamemn\u00f4n. Et, sous cette forme, le songe divin \nparla ainsi :\n\u2013 tu dors, fils du brave Atreus dompteur de chevaux ? Il ne faut \npas qu\u2019un homme sage \u00e0 qui les peuples ont \u00e9t\u00e9 confi\u00e9s, et qui a \ntant de soucis dans l\u2019esprit, dorme toute la nuit.\nEt maintenant, \u00e9coute-moi sans tarder, car je te suis envoy\u00e9 par \nZeus qui, de loin, s\u2019inqui\u00e8te de toi et te prend en piti\u00e9. Il t\u2019ordonne \nd\u2019armer la foule des Akhaiens chevelus, car voici que tu vas t\u2019em -\nparer de la ville aux larges rues des troiens. Les immortels qui \nhabitent les demeures Olympiennes ne sont plus divis\u00e9s, car H\u00e8r\u00e8 \nles a tous fl\u00e9chis par ses supplications, et les calamit\u00e9s sont sus -\npendues sur les t roiens. Garde ces paroles dans ton esprit et n\u2019ou -\nblie rien quand le doux sommeil t\u2019aura quitt\u00e9.\nAyant ainsi parl\u00e9, il disparut et le laissa rouler dans son esprit \nces paroles qui ne devaient point s\u2019accomplir. Et l\u2019insens\u00e9 crut \nqu\u2019il allait s\u2019emparer, ce jour-l\u00e0, de la ville de Priamos, ne sachant \npoint ce que Zeus m\u00e9ditait. Et le Kronide se pr\u00e9parait \u00e0 r\u00e9pandre \nencore, en de terribles batailles, les douleurs et les g\u00e9missements \nsur les t roiens et sur les Danaens.33\nL \u2019ILIADEEt l\u2019Atr\u00e9ide s\u2019\u00e9veilla, et la voix divine r\u00e9sonnait autour de lui. Il se \nleva et rev\u00eatit sa tunique moelleuse, belle et neuve. Et il se couvrit \nd\u2019un large manteau et noua \u00e0 ses pieds robustes de belles sandales, \net il suspendit \u00e0 ses \u00e9paules l\u2019\u00e9p\u00e9e aux clous d\u2019argent. Enfin, il prit \nle sceptre immortel de ses p\u00e8res et marcha ainsi vers les nefs des \nAkhaiens rev\u00eatus d\u2019airain.\nEt la divine \u00c9\u00f4s gravit le haut Olympos, annon\u00e7ant la lumi\u00e8re \u00e0 \nZeus et aux immortels.\nEt l\u2019Atr\u00e9ide ordonna aux h\u00e9rauts \u00e0 la voix sonore de convoquer \n\u00e0 l\u2019agora les Akhaiens chevelus. Et ils les convoqu\u00e8rent, et tous \naccoururent en foule ; et l\u2019Atr\u00e9ide r\u00e9unit un conseil de chefs \nmagnanimes, aupr\u00e8s de la nef de n est\u00f4r, roi de Pylos. Et, les ayant \nr\u00e9unis, il consulta leur sagesse :\n\u2013 Amis, entendez-moi. Un songe divin m\u2019a \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 dans mon \nsommeil, au milieu de la nuit ambroisienne. Et il \u00e9tait semblable \nau divin n est\u00f4r par le visage et la stature, et il s\u2019est arr\u00eat\u00e9 au-des -\nsus de ma t\u00eate, et il m\u2019a parl\u00e9 ainsi :\n\u2013 tu dors, fils du brave Atreus dompteur de chevaux ? Il ne faut \npoint qu\u2019un homme sage \u00e0 qui les peuples ont \u00e9t\u00e9 confi\u00e9s, et qui \na tant de soucis dans l\u2019esprit, dorme toute la nuit. Et maintenant, 34CHAnt 2\n\u00e9coute-moi sans tarder, car je te suis envoy\u00e9 par Zeus qui, de \nloin, s\u2019inqui\u00e8te de toi et te prend en piti\u00e9. Il t\u2019ordonne d\u2019armer la \nfoule des Akhaiens chevelus, car voici que tu vas t\u2019emparer de la \nville aux larges rues des t roiens. Les immortels qui habitent les \ndemeures Olympiennes ne sont plus divis\u00e9s, car H\u00e8r\u00e8 les a tous \nfl\u00e9chis par ses supplications, et les calamit\u00e9s sont suspendues sur \nles t roiens. Garde ces paroles dans ton esprit.\nEn parlant ainsi il s\u2019envola, et le doux sommeil me quitta. \nMaintenant, songeons \u00e0 armer les fils des Akhaiens. D\u2019abord, je \nles tenterai par mes paroles, comme il est permis, et je les pousse -\nrai \u00e0 fuir sur leurs nefs charg\u00e9es de rameurs.\nVous, par vos paroles, forcez-les de rester.\nAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019assit. Et n est\u00f4r se leva, et il \u00e9tait roi de la \nsablonneuse Pylos, et, les haranguant avec sagesse, il leur dit :\n\u2013 \u00d4 amis ! rois et princes des Argiens, si quelqu\u2019autre des Akhaiens \nnous e\u00fbt dit ce songe, nous aurions pu croire qu\u2019il mentait, et \nnous l\u2019aurions repouss\u00e9 ; mais celui qui l\u2019a entendu se glorifie \nd\u2019\u00eatre le plus puissant dans l\u2019arm\u00e9e. Songeons donc \u00e0 armer les \nfils des Akhaiens.35\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, il sortit le premier de l\u2019agora. Et les autres rois \nporte sceptres se lev\u00e8rent et ob\u00e9irent au prince des peuples. Et les \npeuples accouraient. Ainsi des essaims d\u2019abeilles innombrables \nsortent toujours et sans cesse d\u2019une roche creuse et volent par \nl\u00e9gions sur les fleurs du printemps, et les unes tourbillonnent \nd\u2019un c\u00f4t\u00e9, et les autres de l\u2019autre. Ainsi la multitude des peuples, \nhors des nefs et des tentes, s\u2019avan\u00e7ait vers l\u2019agora, sur le rivage \nimmense. Et, au milieu d\u2019eux, Ossa, messag\u00e8re de Zeus, excitait et \nh\u00e2tait leur course, et ils se r\u00e9unissaient.\nEt l\u2019agora \u00e9tait pleine de tumulte, et la terre g\u00e9missait sous le \npoids des peuples. Et, comme les clameurs redoublaient, les \nh\u00e9rauts \u00e0 la voix sonore les contraignaient de se taire et d\u2019\u00e9cou -\nter les rois divins.\nEt la foule s\u2019assit et resta silencieuse ; et le divin Agamemn\u00f4n se \nleva, tenant son sceptre. H\u00e8phaistos, l\u2019ayant fait, l\u2019avait donn\u00e9 au \nroi Zeus Kroni\u00f4n. Zeus le donna au messager, tueur d\u2019Argos ; \net le roi Herm\u00e9ias le donna \u00e0 P\u00e9lops, dompteur de chevaux, et \nP\u00e9lops le donna au prince des peuples Atreus. Atreus, en mou -\nrant, le laissa \u00e0 t hyest\u00e8s riche en troupeaux, et t hyest\u00e8s le laissa \u00e0 \nAgamemn\u00f4n, afin que ce dernier le port\u00e2t et command\u00e2t sur un 36CHAnt 2\ngrand nombre d\u2019\u00eeles et sur tout Argos. Appuy\u00e9 sur ce sceptre, il \nparla ainsi aux Argiens :\n\u2013 \u00d4 amis ! h\u00e9ros Danaens, serviteurs d\u2019Ar\u00e8s, Zeus Kronide m\u2019ac -\ncable de maux terribles. L \u2019impitoyable ! Autrefois il me promit \nque je reviendrais apr\u00e8s avoir conquis Ilios aux fortes murailles ; \nmais il me trompait, et voici qu\u2019il me faut rentrer sans gloire dans \nArgos, ayant perdu un grand nombre d\u2019hommes. Et cela pla\u00eet au \ntout puissant Zeus qui a renvers\u00e9 et qui renversera tant de hautes \ncitadelles, car sa force est tr\u00e8s grande. Certes, ceci sera une honte \ndans la post\u00e9rit\u00e9, que la race courageuse et innombrable des \nAkhaiens ait combattu tant d\u2019ann\u00e9es, et vainement, des hommes \nmoins nombreux, sans qu\u2019on puisse pr\u00e9voir la fin de la lutte. Car, \nsi, ayant scell\u00e9 par serment d\u2019inviolables trait\u00e9s, nous, Akhaiens \net troiens, nous faisions un d\u00e9nombrement des deux races ; et \nque, les habitants de t roi\u00e8 s\u2019\u00e9tant r\u00e9unis, nous nous rangions par \nd\u00e9cades, comptant un seul t roien pour pr\u00e9senter la coupe \u00e0 cha -\ncune d\u2019elles, certes, beaucoup de d\u00e9cades manqueraient d\u2019\u00e9chan -\nsons, tant les fils des Argiens sont plus nombreux que les t roiens \nqui habitent cette ville.\nMais voici que de nombreux alli\u00e9s, habiles \u00e0 lancer la pique, \ns\u2019opposent victorieusement \u00e0 mon d\u00e9sir de renverser la cita -\ndelle populeuse de t roi\u00e8. n euf ann\u00e9es du grand Zeus se sont 37\nL \u2019ILIADE\u00e9coul\u00e9es d\u00e9j\u00e0, et le bois de nos nefs se corrompt, et les cordages \ntombent en poussi\u00e8re ; et nos femmes et nos petits enfants restent \nen nous attendant dans nos demeures, et la t\u00e2che est inache -\nv\u00e9e pour laquelle nous sommes venus. Allons ! fuyons tous sur \nnos nefs vers la ch\u00e8re terre natale. n ous ne prendrons jamais la \ngrande troi\u00e8 !\nIl parla ainsi, et ses paroles agit\u00e8rent l\u2019esprit de la multitude qui \nn\u2019avait point assist\u00e9 au conseil. Et l\u2019agora fut agit\u00e9e comme les \nvastes flots de la mer Ikarienne que remuent l\u2019Euros et le n otos \n\u00e9chapp\u00e9s des nu\u00e9es du p\u00e8re Zeus, ou comme un champ d\u2019\u00e9pis que \nbouleverse Z\u00e9phyros qui tombe imp\u00e9tueusement sur la grande \nmoisson. telle l\u2019agora \u00e9tait agit\u00e9e. Et ils se ruaient tous vers les \nnefs, avec des clameurs, et soulevant de leurs pieds un nuage \nimmobile de poussi\u00e8re. Et ils s\u2019exhortaient \u00e0 saisir les nefs et \u00e0 les \ntra\u00eener \u00e0 la mer divine. Les cris montaient dans l\u2019Ouranos, h\u00e2tant \nle d\u00e9part ; et ils d\u00e9gageaient les canaux et retiraient d\u00e9j\u00e0 les rou -\nleaux des nefs. Alors, les Argiens se seraient retir\u00e9s, contre la des -\ntin\u00e9e, si H\u00e8r\u00e8 n\u2019avait parl\u00e9 ainsi \u00e0 Ath\u00e8n\u00e8 :\n\u2013 Ah fille indompt\u00e9e de Zeus temp\u00e9tueux, les Argiens fuiront-ils \nvers leurs demeures et la ch\u00e8re terre natale, sur le vaste dos de la \nmer, laissant \u00e0 Priamos et aux t roiens leur gloire et l\u2019Argienne 38CHAnt 2\nH\u00e9l\u00e9n\u00e8 pour laquelle tant d\u2019Akhaiens sont morts devant t roi\u00e8, \nloin de la ch\u00e8re patrie ?\nVa trouver le peuple des Akhaiens arm\u00e9s d\u2019airain. Retiens chaque \nguerrier par de douces paroles, et ne permets pas qu\u2019on tra\u00eene les \nnefs \u00e0 la mer.\nElle parla ainsi, et la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs ob\u00e9it. Et elle \nsauta du fa\u00eete de l\u2019Olympos, et, parvenue aussit\u00f4t aux nefs rapides \ndes Akhaiens, elle trouva Odysseus, semblable \u00e0 Zeus par l\u2019intel -\nligence, qui restait immobile. Et il ne saisissait point sa nef noire \nbien construite, car la douleur emplissait son c\u0153ur et son \u00e2me. Et, \ns\u2019arr\u00eatant aupr\u00e8s de lui, Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs parla ainsi :\n\u2013 Divin Laertiade, sage Odysseus, fuirez-vous donc tous dans vos \nnefs charg\u00e9es de rameurs, laissant \u00e0 Priamos et aux t roiens leur \ngloire et l\u2019Argienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8 pour laquelle tant d\u2019Akhaiens sont \nmorts devant t roi\u00e8, loin de la ch\u00e8re patrie ? Va ! h\u00e2te-toi d\u2019al -\nler vers le peuple des Akhaiens. Retiens chaque guerrier par de \ndouces paroles, et ne permets pas qu\u2019on tra\u00eene les nefs \u00e0 la mer.\nElle parla ainsi, et il reconnut la voix de la d\u00e9esse, et il courut, \njetant son manteau que releva le h\u00e9raut Eurybat\u00e8s d\u2019Ithak\u00e8, qui \nle suivait. Et, rencontrant l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, il re\u00e7ut de lui 39\nL \u2019ILIADEle sceptre immortel de ses p\u00e8res, et, avec ce sceptre, il marcha \nvers les nefs des Akhaiens rev\u00eatus d\u2019airain. Et quand il se trou -\nvait en face d\u2019un roi ou d\u2019un homme illustre, il l\u2019arr\u00eatait par de \ndouces paroles :\n\u2013 Malheureux ! Il ne te convient pas de trembler comme un l\u00e2che. \nReste et arr\u00eate les autres. t u ne sais pas la vraie pens\u00e9e de l\u2019Atr\u00e9ide. \nMaintenant il tente les fils des Akhaiens, et bient\u00f4t il les punira. \nnous n\u2019avons point tous entendu ce qu\u2019il a dit dans le conseil. \nCraignons que, dans sa col\u00e8re, il outrage les fils des Akhaiens, car \nla col\u00e8re d\u2019un roi nourrisson de Zeus est redoutable, et le tr\u00e8s sage \nZeus l\u2019aime, et sa gloire vient de Zeus.\nMais quand il rencontrait quelque guerrier obscur et plein \nde clameurs, il le frappait du sceptre et le r\u00e9primait par de \nrudes paroles :\n\u2013 Arr\u00eate, mis\u00e9rable ! \u00e9coute ceux qui te sont sup\u00e9rieurs, l\u00e2che et \nsans force, toi qui n\u2019as aucun rang ni dans le combat ni dans le \nconseil. Certes, tous les Akhaiens ne seront point rois ici. La mul -\ntitude des ma\u00eetres ne vaut rien. Il ne faut qu\u2019un chef, un seul roi, \n\u00e0 qui le fils de Kronos empli de ruses a remis le sceptre et les lois, \nafin qu\u2019il r\u00e8gne sur tous.40CHAnt 2\nAinsi Odysseus refr\u00e9nait puissamment l\u2019arm\u00e9e. Et ils se pr\u00e9cipi -\ntaient de nouveau, tumultueux, vers l\u2019agora, loin des nefs et des \ntentes, comme lorsque les flots aux bruits sans nombre se brisent \nen grondant sur le vaste rivage, et que la haute mer en retentit. \nEt tous \u00e9taient assis \u00e0 leurs rangs. Et, seul, thersit\u00e8s poursuivait \nses clameurs. Il abondait en paroles insolentes et outrageantes, \nm\u00eame contre les rois, et parlait sans mesure, afin d\u2019exciter le rire \ndes Argiens. Et c\u2019\u00e9tait l\u2019homme le plus difforme qui f\u00fbt venu \ndevant Ilios.\nIl \u00e9tait louche et boiteux, et ses \u00e9paules recourb\u00e9es se rejoignaient \nsur sa poitrine, et quelques cheveux \u00e9pars poussaient sur sa t\u00eate \npointue. Et il ha\u00efssait surtout Akhilleus et Odysseus, et il les outra -\ngeait. Et il poussait des cris injurieux contre le divin Agamemn\u00f4n. \nLes Akhaiens le m\u00e9prisaient et le ha\u00efssaient, mais, d\u2019une voix \nhaute, il outrageait ainsi Agamemn\u00f4n :\n\u2013 Atr\u00e9ide, que te faut-il encore, et que veux-tu ? tes tentes sont \npleines d\u2019airain et de nombreuses femmes fort belles que nous \nte donnons d\u2019abord, nous, Akhaiens, quand nous prenons une \nville. As-tu besoin de l\u2019or qu\u2019un t roien dompteur de chevaux \nt\u2019apportera pour l\u2019affranchissement de son fils que j\u2019aurai amen\u00e9 \nencha\u00een\u00e9, ou qu\u2019un autre Akhaien aura dompt\u00e9 ? te faut-il une \njeune femme que tu poss\u00e8des et que tu ne quittes plus ? Il ne 41\nL \u2019ILIADEconvient point qu\u2019un chef accable de maux les Akhaiens. \u00d4 l\u00e2ches ! \nopprobres vivants ! Akhaiennes et non Akhaiens ! Retournons \ndans nos demeures avec les nefs ; laissons-le, seul devant t roi\u00e8, \namasser des d\u00e9pouilles, et qu\u2019il sache si nous lui \u00e9tions n\u00e9ces -\nsaires ou non. n \u2019a-t-il point outrag\u00e9 Akhilleus, meilleur guer -\nrier que lui, et enlev\u00e9 sa r\u00e9compense ? Certes, Akhilleus n\u2019a point \nde col\u00e8re dans l\u2019\u00e2me, car c\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9, Atr\u00e9ide, ta derni\u00e8re insolence !\nIl parla ainsi, outrageant Agamemn\u00f4n, prince des peuples. Et le \ndivin Odysseus, s\u2019arr\u00eatant devant lui, le regarda d\u2019un \u0153il sombre \net lui dit rudement :\n\u2013 thersit\u00e8s, infatigable harangueur, silence ! Et cesse de t\u2019en \nprendre aux rois. Je ne pense point qu\u2019il soit un homme plus vil \nque toi parmi ceux qui sont venus devant t roi\u00e8 avec les Atr\u00e9ides, \net tu ne devrais point haranguer avec le nom des rois \u00e0 la bouche, \nni les outrager, ni exciter au retour. n ous ne savons point quelle \nsera notre destin\u00e9e, et s\u2019il est bon ou mauvais que nous partions. \nEt voici que tu te plais \u00e0 outrager l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, prince \ndes peuples, parce que les h\u00e9ros Danaens l\u2019ont combl\u00e9 de dons ! \nEt c\u2019est pour cela que tu harangues ? Mais je te le dis, et ma parole \ns\u2019accomplira : si je te rencontre encore plein de rage comme \nmaintenant, que ma t\u00eate saute de mes \u00e9paules, que je ne sois plus \nnomm\u00e9 le p\u00e8re de t \u00e8l\u00e9makhos, si je ne te saisis, et, t\u2019ayant arrach\u00e9 42CHAnt 2\nton v\u00eatement, ton manteau et ce qui couvre ta nudit\u00e9, je ne te \nrenvoie, sanglotant, de l\u2019agora aux nefs rapides, en te frappant de \ncoups terribles.\nIl parla ainsi, et il le frappa du sceptre sur le dos et les \u00e9paules. Et \nthersit\u00e8s se courba, et les larmes lui tomb\u00e8rent des yeux. Une \ntumeur saignante lui gonfla le dos sous le coup du sceptre d\u2019or, \net il s\u2019assit, tremblant et g\u00e9missant, hideux \u00e0 voir, et il essuya ses \nyeux. Et les Akhaiens, bien que soucieux, rirent aux \u00e9clats ; et, se \nregardant les uns les autres, ils se disaient :\n\u2013 Certes, Odysseus a d\u00e9j\u00e0 fait mille choses excellentes, par ses \nsages conseils et par sa science guerri\u00e8re ; mais ce qu\u2019il a fait de \nmieux, entre tous les Argiens, a \u00e9t\u00e9 de r\u00e9duire au silence ce haran -\ngueur injurieux.\nDe longtemps, il se gardera d\u2019outrager les rois par ses \nparoles injurieuses.\nLa multitude parlait ainsi. Et le preneur de villes, Odysseus, se \nleva, tenant son sceptre. Aupr\u00e8s de lui, Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, \nsemblable \u00e0 un h\u00e9raut, ordonna \u00e0 la foule de se taire, afin que 43\nL \u2019ILIADEtous les fils des Akhaiens, les plus proches et les plus \u00e9loign\u00e9s, \npussent entendre et comprendre. Et l\u2019excellent agor\u00e8te parla ainsi :\n\u2013 Roi Atr\u00e9ide, voici que les Akhaiens veulent te couvrir d\u2019op -\nprobre en face des hommes vivants, et ils ne tiennent point la pro -\nmesse qu\u2019ils te firent, en venant d\u2019Argos f\u00e9conde en chevaux, de \nne retourner qu\u2019apr\u00e8s avoir renvers\u00e9 la forte muraille d\u2019Ilios. Et \nvoici qu\u2019ils pleurent, pleins du d\u00e9sir de leurs demeures, comme \ndes enfants et des veuves. Certes, c\u2019est une am\u00e8re douleur de \nfuir apr\u00e8s tant de maux soufferts. Je sais, il est vrai, qu\u2019un voya -\ngeur, \u00e9loign\u00e9 de sa femme depuis un seul mois, s\u2019irrite aupr\u00e8s de \nsa nef charg\u00e9e de rameurs, que retiennent les vents d\u2019hiver et la \nmer soulev\u00e9e. Or, voici neuf ann\u00e9es bient\u00f4t que nous sommes \nici. Je n\u2019en veux donc point aux Akhaiens de s\u2019irriter aupr\u00e8s de \nleurs nefs \u00e9peronn\u00e9es ; mais il est honteux d\u2019\u00eatre rest\u00e9s si long -\ntemps et de s\u2019en retourner les mains vides. Souffrez donc, amis, \net demeurez ici quelque temps encore, afin que nous sachions \nsi Kalkhas a dit vrai ou faux. Et nous le savons, et vous en \u00eates \ntous t\u00e9moins, vous que les k\u00e8res de la mort n\u2019ont point emport\u00e9s. \n\u00c9tait-ce donc hier ?\nLes nefs des Akhaiens \u00e9taient r\u00e9unies devant Aulis, portant les \ncalamit\u00e9s \u00e0 Priamos et aux t roiens. Et nous \u00e9tions autour de \nla source, aupr\u00e8s des autels sacr\u00e9s, offrant aux immortels de 44CHAnt 2\ncompl\u00e8tes h\u00e9catombes, sous un beau platane ; et, \u00e0 son ombre, \ncoulait une eau vive, quand nous v\u00eemes un grand prodige. Un \ndragon terrible, au dos ensanglant\u00e9, envoy\u00e9 de l\u2019Olympien lui-\nm\u00eame, sortit de dessous l\u2019autel et rampa vers le platane. L\u00e0 \u00e9taient \nhuit petits passereaux, tout jeunes, sur la branche la plus haute \net blottis sous les feuilles ; et la m\u00e8re qui les avait enfant\u00e9s \u00e9tait \nla neuvi\u00e8me. Et le dragon les d\u00e9vorait cruellement, et ils criaient, \net la m\u00e8re, d\u00e9sol\u00e9e, volait tout autour de ses petits. Et, comme \nelle emplissait l\u2019air de cris, il la saisit par une aile ; et quand il eut \nmang\u00e9 la m\u00e8re et les petits, le dieu qui l\u2019avait envoy\u00e9 en fit un \nsigne m\u00e9morable ; car le fils de Kronos empli de ruses le chan -\ngea en pierre. Et nous admirions ceci, et les choses terribles qui \n\u00e9taient dans les h\u00e9catombes des dieux. Et voici que Kalkhas nous \nr\u00e9v\u00e9la aussit\u00f4t les volont\u00e9s divines :\n\u2013 Pourquoi \u00eates-vous muets, Akhaiens chevelus ? Ceci est un \ngrand signe du tr\u00e8s sage Zeus ; et ces choses s\u2019accompliront fort \ntard, mais la gloire n\u2019en p\u00e9rira jamais. De m\u00eame que ce dra -\ngon a mang\u00e9 les petits passereaux, et ils \u00e9taient huit, et la m\u00e8re \nqui les avait enfant\u00e9s, et elle \u00e9tait la neuvi\u00e8me, de m\u00eame nous 45\nL \u2019ILIADEcombattrons pendant neuf ann\u00e9es, et, dans la dixi\u00e8me, nous \nprendrons t roi\u00e8 aux larges rues.\n\u2013 C\u2019est ainsi qu\u2019il parla, et ses paroles se sont accomplies. Restez \ndonc tous, Akhaiens aux belles kn\u00e8mides, jusqu\u2019\u00e0 ce que nous \nprenions la grande citadelle de Priamos.\nIl parla ainsi, et les Argiens, par des cris \u00e9clatants, applaudissaient \nla harangue du divin Odysseus. Et, \u00e0 ces cris, les nefs creuses ren -\ndirent des sons terribles. Et le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r leur dit :\n\u2013 Ah ! certes, ceci est une agora d\u2019enfants \u00e9trangers aux fatigues \nde la guerre ! O\u00f9 iront nos paroles et nos serments ? Les conseils \net la sagesse des hommes, et les libations de vin pur, et les mains \nserr\u00e9es en gage de notre foi commune, tout sera-t-il jet\u00e9 au feu ? \nnous ne combattons qu\u2019en paroles vaines, et nous n\u2019avons rien \ntrouv\u00e9 de bon apr\u00e8s tant d\u2019ann\u00e9es. Atr\u00e9ide, sois donc in\u00e9branlable \net commande les Argiens dans les rudes batailles. Laisse p\u00e9rir un \nou deux l\u00e2ches qui conspirent contre les Akhaiens et voudraient \nregagner Argos avant de savoir si Zeus temp\u00e9tueux a menti. Mais \nils n\u2019y r\u00e9ussiront pas. Moi, je dis que le terrible Kroni\u00f4n enga -\ngea sa promesse le jour o\u00f9 les Argiens montaient dans les nefs \nrapides pour porter aux t roiens les K\u00e8res de la mort, car il tonna \n\u00e0 notre droite, par un signe heureux. Donc, que nul ne se h\u00e2te de 46CHAnt 2\ns\u2019en retourner avant d\u2019avoir entra\u00een\u00e9 la femme de quelque t roien \net veng\u00e9 le rapt de H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et tous les maux qu\u2019il a caus\u00e9s. Et si \nquelqu\u2019un veut fuir malgr\u00e9 tout, qu\u2019il saisisse sa nef noire et bien \nconstruite, afin de trouver une prompte mort. Mais, \u00f4 roi, d\u00e9li -\nb\u00e8re avec une pens\u00e9e droite et \u00e9coute mes conseils.\nCe que je dirai ne doit pas \u00eatre n\u00e9glig\u00e9. S\u00e9pare les hommes par \nraces et par tribus, et que celles-ci se viennent en aide les unes les \nautres. Si tu fais ainsi, et que les Akhaiens t\u2019ob\u00e9issent, tu conna\u00ee -\ntras la l\u00e2chet\u00e9 ou le courage des chefs et des hommes, car chacun \ncombattra selon ses forces. Et si tu ne renverses point cette ville, \ntu sauras si c\u2019est par la volont\u00e9 divine ou par la faute des hommes.\nEt le roi Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Certes, vieillard, tu surpasses dans l\u2019agora tous les fils des \nAkhaiens. \u00d4 p\u00e8re Zeus ! Ath\u00e8n\u00e8 ! Apoll\u00f4n ! Si j\u2019avais dix conseil -\nlers tels que toi parmi les Akhaiens, la ville du roi Priamos tombe -\nrait bient\u00f4t, emport\u00e9e et saccag\u00e9e par nos mains ! Mais le Kronide \nZeus temp\u00e9tueux m\u2019a accabl\u00e9 de maux en me jetant au milieu de \nquerelles fatales. Akhilleus et moi nous nous sommes divis\u00e9s \u00e0 \ncause d\u2019une jeune vierge, et je me suis irrit\u00e9 le premier. Si jamais \nnous nous r\u00e9unissons, la ruine des t roiens ne sera point retar -\nd\u00e9e, m\u00eame d\u2019un jour. Maintenant, allez prendre votre repas, afin 47\nL \u2019ILIADEque nous combattions. Et que, d\u2019abord, chacun aiguise sa lance, \nconsolide son bouclier, donne \u00e0 manger \u00e0 ses chevaux, s\u2019occupe \nattentivement de son char et de toutes les choses de la guerre, afin \nque nous fassions tout le jour l\u2019\u0153uvre du terrible Ar\u00e8s. Et nous \nn\u2019aurons nul rel\u00e2che, jusqu\u2019\u00e0 ce que la nuit s\u00e9pare les hommes \nfurieux. La courroie du bouclier pr\u00e9servateur sera tremp\u00e9e de la \nsueur de chaque poitrine, et la main guerri\u00e8re se fatiguera autour \nde la lance, et le cheval fumera, inond\u00e9 de sueur, en tra\u00eenant le \nchar solide.\nEt, je le dis, celui que je verrai loin du combat, aupr\u00e8s des nefs \u00e9pe -\nronn\u00e9es, celui-l\u00e0 n\u2019\u00e9vitera point les chiens et les oiseaux carnassiers.\nIl parla ainsi, et les Argiens jet\u00e8rent de grands cris, avec le bruit \nque fait la mer quand le n otos la pousse contre une c\u00f4te \u00e9le -\nv\u00e9e, sur un roc avanc\u00e9 que les flots ne cessent jamais d\u2019assi\u00e9 -\nger, de quelque c\u00f4t\u00e9 que soufflent les vents. Et ils coururent, se \ndispersant au milieu des nefs ; et la fum\u00e9e sortit des tentes, et ils \nprirent leur repas. Et chacun d\u2019eux sacrifiait \u00e0 l\u2019un des dieux qui \nvivent toujours, afin d\u2019\u00e9viter les blessures d\u2019Ar\u00e8s et la mort. Et le \nroi des hommes, Agamemn\u00f4n, sacrifia un taureau gras, de cinq \nans, au tr\u00e8s puissant Kroni\u00f4n, et il convoqua les plus illustres des \nPanakhaiens, n est\u00f4r, le roi Idom\u00e9neus, les deux Aias et le fils de \ntydeus. Odysseus, \u00e9gal \u00e0 Zeus par l\u2019intelligence, fut le sixi\u00e8me. 48CHAnt 2\nM\u00e9n\u00e9laos, brave au combat, vint de lui-m\u00eame, sachant les des -\nseins de son fr\u00e8re. Entourant le taureau, ils prirent les orges sal\u00e9es, \net, au milieu d\u2019eux, le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, dit en priant :\n\u2013 Zeus ! tr\u00e8s glorieux, tr\u00e8s grand, qui amasses les noires nu\u00e9es et \nqui habites l\u2019aith\u00e8r ! puisse H\u00e9lios ne point se coucher et la nuit \nne point venir avant que j\u2019aie renvers\u00e9 la demeure enflamm\u00e9e de \nPriamos, apr\u00e8s avoir br\u00fbl\u00e9 ses portes et bris\u00e9, de l\u2019\u00e9p\u00e9e, la cuirasse \nde Hekt\u00f4r sur sa poitrine, vu la foule de ses compagnons, couch\u00e9s \nautour de lui dans la poussi\u00e8re, mordre de leurs dents la terre !\nIl parla ainsi, et le Kroni\u00f4n accepta le sacrifice, mais il ne l\u2019exau\u00e7a \npas, lui r\u00e9servant de plus longues fatigues. Et, apr\u00e8s qu\u2019ils eurent \npri\u00e9 et jet\u00e9 les orges sal\u00e9es, ils renvers\u00e8rent la t\u00eate du taureau ; et, \nl\u2019ayant \u00e9gorg\u00e9 et d\u00e9pouill\u00e9, ils coup\u00e8rent les cuisses qu\u2019ils cou -\nvrirent deux fois de graisse ; et, posant par-dessus des morceaux \nsanglants, ils les r\u00f4tissaient avec des rameaux sans feuilles, et ils \ntenaient les entrailles sur le feu. Et quand les cuisses furent r\u00f4ties \net qu\u2019ils eurent go\u00fbt\u00e9 aux entrailles, ils coup\u00e8rent le reste par \nmorceaux qu\u2019ils embroch\u00e8rent et firent r\u00f4tir avec soin, et ils reti -\nr\u00e8rent le tout. Et, apr\u00e8s ce travail, ils pr\u00e9par\u00e8rent le repas, et aucun 49\nL \u2019ILIADEne put se plaindre d\u2019une part in\u00e9gale. Puis, ayant assouvi la faim \net la soif, le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r parla ainsi :\n\u2013 tr\u00e8s glorieux roi des hommes, Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, ne tardons \npas plus longtemps \u00e0 faire ce que Zeus nous permet d\u2019accomplir. \nAllons ! que les h\u00e9rauts, par leurs clameurs, rassemblent aupr\u00e8s \ndes nefs l\u2019arm\u00e9e des Akhaiens rev\u00eatus d\u2019airain ; et nous, nous \nm\u00ealant \u00e0 la foule guerri\u00e8re des Akhaiens, excitons \u00e0 l\u2019instant l\u2019im -\np\u00e9tueux Ar\u00e8s.\nIl parla ainsi, et le roi des hommes, Agamnemn\u00f4n, ob\u00e9it, et il \nordonna aux h\u00e9rauts \u00e0 la voix \u00e9clatante d\u2019appeler au combat les \nAkhaiens chevelus. Et, autour de l\u2019Atr\u00e9i\u00f4n, les rois divins cou -\nraient \u00e7\u00e0 et l\u00e0, rangeant l\u2019arm\u00e9e. Et, au milieu d\u2019eux, Ath\u00e8n\u00e8 aux \nyeux clairs portait l\u2019Aigide glorieuse, imp\u00e9rissable et immortelle. \nEt cent franges d\u2019or bien tissues, chacune du prix de cent b\u0153ufs, \ny \u00e9taient suspendues.\nAvec cette aigide, elle allait ardemment \u00e0 travers l\u2019arm\u00e9e des \nAkhaiens, poussant chacun en avant, lui mettant la force et le \ncourage au c\u0153ur, afin qu\u2019il guerroy\u00e2t et combatt\u00eet sans rel\u00e2che. \nEt aussit\u00f4t il leur semblait plus doux de combattre que de retour -\nner sur leurs nefs creuses vers la ch\u00e8re terre natale. Comme un \nfeu ardent qui br\u00fble une grande for\u00eat au fa\u00eete d\u2019une montagne, et 50CHAnt 2\ndont la lumi\u00e8re resplendit au loin, de m\u00eame s\u2019allumait dans l\u2019Ou -\nranos l\u2019airain \u00e9tincelant des hommes qui marchaient.\nComme les multitudes ail\u00e9es des oies, des grues ou des cygnes \nau long cou, dans les prairies d\u2019Asios, sur les bords du Kaystrios, \nvolent \u00e7\u00e0 et l\u00e0, agitant leurs ailes joyeuses, et se devan\u00e7ant les \nuns les autres avec des cris dont la prairie r\u00e9sonne, de m\u00eame les \ninnombrables tribus Akhaiennes roulaient en torrents dans la \nplaine du Skamandros, loin des nefs et des tentes ; et, sous leurs \npieds et ceux des chevaux, la terre mugissait terriblement. Et ils \ns\u2019arr\u00eat\u00e8rent dans la plaine fleurie du Skamandros, par milliers, \ntels que les feuilles et les fleurs du printemps. Aussi nombreux \nque les tourbillons infinis de mouches qui bourdonnent autour \nde l\u2019\u00e9table, dans la saison printani\u00e8re, quand le lait abondant blan -\nchit les vases, les Akhaiens chevelus s\u2019arr\u00eataient dans la plaine en \nface des t roiens, d\u00e9sirant les d\u00e9truire. Comme les bergers recon -\nnaissent ais\u00e9ment leurs immenses troupeaux de ch\u00e8vres confon -\ndus dans les p\u00e2turages, ainsi les chefs rangeaient leurs hommes. \nEt le grand roi Agamemn\u00f4n \u00e9tait au milieu d\u2019eux, semblable par \nles yeux et la t\u00eate \u00e0 Zeus qui se r\u00e9jouit de la foudre, par la stature \n\u00e0 Ar\u00e8s, et par l\u2019ampleur de la poitrine \u00e0 Poseida\u00f4n.51\nL \u2019ILIADEComme un taureau l\u2019emporte sur le reste du troupeau et s\u2019\u00e9l\u00e8ve \nau-dessus des g\u00e9nisses qui l\u2019environnent, de m\u00eame Zeus, en ce \njour, faisait resplendir l\u2019Atr\u00e9ide entre d\u2019innombrables h\u00e9ros.\nEt maintenant, Muses, qui habitez les demeures Olympiennes, \nvous qui \u00eates d\u00e9esses, et pr\u00e9sentes \u00e0 tout, et qui savez toutes \nchoses, tandis que nous ne savons rien et n\u2019entendons seulement \nqu\u2019un bruit de gloire, dites les rois et les princes des Danaens. Car \nje ne pourrais nommer ni d\u00e9crire la multitude, m\u00eame ayant dix \nlangues, dix bouches, une voix infatigable et une poitrine d\u2019ai -\nrain, si les Muses Olympiades, filles de Zeus temp\u00e9tueux, ne me \nrappellent ceux qui vinrent sous Ilios. Je dirai donc les chefs et \ntoutes les nefs.\nP\u00e8n\u00e9l\u00e9\u00f4s et L\u00e8itos, et Ark\u00e9silaos, et Protho\u00e8n\u00f4r, et Klonios com -\nmandaient aux Boi\u00f4tiens. Et c\u2019\u00e9taient ceux qui habitaient Hyri\u00e8 \net la pierreuse Aulis, et Skhoinos, et Sk\u00f4los, et les nombreuses \ncollines d\u2019\u00c9t\u00e9\u00f4n, et t hesp\u00e9ia, et Graia, et la grande Mikal\u00e8sos ; et \nceux qui habitaient autour de Harma et d\u2019Eil\u00e9sios et d\u2019\u00c9rythra ; \net ceux qui habitaient \u00c9l\u00e9\u00f4n et Hil\u00e8, et P\u00e9t\u00e9\u00f4n, Okali\u00e8 et M\u00e9d\u00e9\u00f4n \nbien b\u00e2tie, K\u00f4pa et Eutr\u00e8sis et t hisb\u00e9 abondante en colombes ; et \nceux qui habitaient Kor\u00f4n\u00e9ia et Haliartos aux grandes prairies ; \net ceux qui habitaient Plataia ; et ceux qui vivaient dans Glissa ; \net ceux qui habitaient la cit\u00e9 bien b\u00e2tie de Hypoth\u00e8ba, et la sainte 52CHAnt 2\nOnkhestos, bois sacr\u00e9 de Poseida\u00f4n ; et ceux qui habitaient Arn\u00e8 \nqui abonde en raisin, et Mid\u00e9ia, et la sainte n issa, et la ville fron -\nti\u00e8re Anth\u00e8d\u00f4n.\nEt ils \u00e9taient venus sur cinquante nefs, et chacune portait cent \nvingt jeunes Boi\u00f4tiens.\nEt ceux qui habitaient Aspl\u00e8d\u00f4n et Orkhom\u00e8nos de Mynias \n\u00e9taient command\u00e9s par Askalaphos et Ialm\u00e9nos, fils d\u2019Ar\u00e8s. Et \nAstyokh\u00e8 Az\u00e9ide les avait enfant\u00e9s dans la demeure d\u2019Akt\u00f4r ; le \npuissant Ar\u00e8s ayant surpris la vierge innocente dans les chambres \nhautes. Et ils \u00e9taient venus sur trente nefs creuses.\nEt Skh\u00e9dios et \u00c9pistrophos, fils du magnanime Iphitos n aubolide, \ncommandaient aux Ph\u00f4k\u00e8ens. Et c\u2019\u00e9taient ceux qui habi -\ntaient Kiparissos et la pierreuse Pyth\u00f4n et la sainte Krissa, et \nDaulis et Panop\u00e8 ; et ceux qui habitaient autour d\u2019An\u00e9m\u00f4r\u00e9ia \net de Hyampolis ; et ceux qui habitaient aupr\u00e8s du divin fleuve \nK\u00e8phisos et qui poss\u00e9daient Lilaia, \u00e0 la source du K\u00e8phisos. Et ils \n\u00e9taient venus sur quarante nefs noires, et leurs chefs les rang\u00e8rent \n\u00e0 la gauche des Boi\u00f4tiens.\nEt l\u2019agile Aias Oil\u00e8ide commandait aux Lokriens. Il \u00e9tait beau -\ncoup moins grand qu\u2019Aias t \u00e9lam\u00f4nien, et sa cuirasse \u00e9tait de lin ; 53\nL \u2019ILIADEmais, par la lance, il excellait entre les Panhell\u00e8nes et les Akhaiens. \nEt il commandait \u00e0 ceux qui habitaient Kynos et Kalliaros, et \nB\u00e8ssa et Scarph\u00e8, et l\u2019heureuse Aug\u00e9ia, et t arph\u00e8, et thronios, \naupr\u00e8s du Boagrios. Et tous ces Lokriens, qui habitaient au-del\u00e0 \nde la sainte Euboi\u00e8, \u00e9taient venus sur quarante nefs noires.\nEt les Abantes, pleins de courage, qui habitaient l\u2019Euboia et \nKhalkis, et Eir\u00e9tria, et Histiaia qui abonde en raisin, et la mari -\ntime K\u00e8rinthos, et la haute citadelle de Di\u00f4s ; et ceux qui habi -\ntaient Karistos et Styra \u00e9taient command\u00e9s par \u00c9l\u00e9ph\u00e8n\u00f4r \nKhalkodontiade, de la race d\u2019Ar\u00e8s ; et il \u00e9tait le prince des magna -\nnimes Abantes. Et les Abantes agiles, aux cheveux flottant sur le \ndos, braves guerriers, d\u00e9siraient percer de pr\u00e8s les cuirasses enne -\nmies de leurs piques de fr\u00eane. Et ils \u00e9taient venus sur quarante \nnefs noires.\nEt ceux qui habitaient Ath\u00e8nes, ville forte et bien b\u00e2tie du magna -\nnime \u00c9r\u00e9khtheus que nourrit Ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus, apr\u00e8s que la \nterre f\u00e9conde l\u2019eut enfant\u00e9, et qu\u2019elle pla\u00e7a dans le temple abon -\ndant o\u00f9 les fils des Ath\u00e8naiens offrent chaque ann\u00e9e, pour lui \nplaire, des h\u00e9catombes de taureaux et d\u2019agneaux ; ceux-l\u00e0 \u00e9taient \ncommand\u00e9s par M\u00e9n\u00e8stheus, fils de P\u00e9t\u00e9os. Jamais aucun homme \nvivant, si ce n\u2019\u00e9tait n est\u00f4r, qui \u00e9tait plus \u00e2g\u00e9, ne fut son \u00e9gal pour 54CHAnt 2\nranger en bataille les cavaliers et les porte boucliers. Et ils \u00e9taient \nvenus sur cinquante nefs noires.\nEt Aias avait amen\u00e9 douze nefs de Salamis, et il les avait plac\u00e9es \naupr\u00e8s des Ath\u00e8naiens.\nEt ceux qui habitaient Argos et la forte t iryntha, Hermion\u00e8 et \nAsin\u00e8 aux golfes profonds, t roix\u00e8n\u00e8, Ei\u00f4na et \u00c9pidauros qui \nabonde en vignes ; et ceux qui habitaient Aigina et Mas\u00e8s \u00e9taient \ncommand\u00e9s par Diom\u00e8d\u00e8s, hardi au combat, et par Sth\u00e9n\u00e9l\u00f4s, fils \nde l\u2019illustre Kapaneus, et par Euryalos, semblable aux dieux, fils \ndu roi M\u00e8kisteus t ali\u00f4nide.\nMais Diom\u00e8d\u00e8s, hardi au combat, les commandait tous. Et ils \n\u00e9taient venus sur quatre-vingts nefs noires.\nEt ceux qui habitaient la ville forte et bien b\u00e2tie de Myk\u00e8n\u00e8, et la \nriche Korinthos et Kl\u00e9\u00f4n ; et ceux qui habitaient Orn\u00e9ia et l\u2019heu -\nreuse Araithyr\u00e9\u00e8, et Siki\u00f4n o\u00f9 r\u00e9gna, le premier, Adr\u00e8stos ; et ceux \nqui habitaient Hip\u00e9r\u00e8sia et la haute Gon\u0153ssa et Pell\u00e8na, et qui \nvivaient autour d\u2019Aigion et de la grande H\u00e9lik\u00e8, et sur toute la \nc\u00f4te, \u00e9taient command\u00e9s par le roi Agamemn\u00f4n Atr\u00e9ide. Et ils \n\u00e9taient venus sur cent nefs, et ils \u00e9taient les plus nombreux et les \nplus braves des guerriers. Et l\u2019Atr\u00e9ide, rev\u00eatu de l\u2019airain splendide, 55\nL \u2019ILIADE\u00e9tait fier de commander \u00e0 tous les h\u00e9ros, \u00e9tant lui-m\u00eame tr\u00e8s \nbrave, et ayant amen\u00e9 le plus de guerriers.\nEt ceux qui habitaient la grande Lak\u00e9daim\u00f4n dans sa creuse \nvall\u00e9e, et Pharis et Sparta, et Messa qui abonde en colombes, \net Brys\u00e9ia et l\u2019heureuse Aug\u00e9ia, Amykla et la maritime H\u00e9los ; \net ceux qui habitaient Laas et Oitylos, \u00e9taient command\u00e9s par \nM\u00e9n\u00e9laos hardi au combat, et s\u00e9par\u00e9s des guerriers de son fr\u00e8re. \nEt ils \u00e9taient venus sur soixante nefs. Et M\u00e9n\u00e9laos \u00e9tait au milieu \nd\u2019eux, confiant dans son courage, et les excitant \u00e0 combattre ; car, \nplus qu\u2019eux, il d\u00e9sirait venger le rapt de H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et les maux qui \nen venaient.\nEt ceux qui habitaient Pylos et l\u2019heureuse Ar\u00e8n\u00e8, et thryos traver -\ns\u00e9e par l\u2019Alph\u00e9os, et Aipy habilement construite, et Kipariss\u00e8 et \nAmphig\u00e8n\u00e9ia, Pt\u00e9l\u00e9on, H\u00e9los et D\u00f4rion, o\u00f9 les Muses, ayant ren -\ncontr\u00e9 le t hrakien t hamyris qui venait d\u2019Oikhali\u00e8, de chez le roi \nEurytos l\u2019Oikhalien, le rendirent muet, parce qu\u2019il s\u2019\u00e9tait vant\u00e9 de \nvaincre en chantant les Muses elles-m\u00eames, filles de Zeus temp\u00e9 -\ntueux. Et celles-ci, irrit\u00e9es, lui \u00f4t\u00e8rent la science divine de chan -\nter et de jouer de la kithare. Et ceux-l\u00e0 \u00e9taient command\u00e9s par le \ncavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r. Et ils \u00e9taient venus sur quatre-vingt-\ndix nefs creuses.56CHAnt 2\nEt ceux qui habitaient l\u2019Arkadia, aux pieds de la haute montagne \nde Kill\u00e8n\u00e8 o\u00f9 naissent les hommes braves, aupr\u00e8s du tombeau \nd\u2019Aipytios ; et ceux qui habitaient Ph\u00e9n\u00e9os et Orkhom\u00e9nos riche \nen troupeaux, et Rip\u00e8, et Strati\u00e8, et Enisp\u00e8 battue des vents ; et \nceux qui habitaient t\u00e9g\u00e9\u00e8 et l\u2019heureuse Mantin\u00e9\u00e8, et Stimph\u00e8los \net Parrhasi\u00e8, \u00e9taient command\u00e9s par le fils d\u2019Ankaios, le roi \nAgap\u00e8n\u00f4r. Et ils \u00e9taient venus sur cinquante nefs, et dans cha -\ncune il y avait un grand nombre d\u2019Arkadiens belliqueux. Et le roi \nAgamemn\u00f4n leur avait donn\u00e9 des nefs bien construites pour tra -\nverser la noire mer, car ils ne s\u2019occupaient point des travaux de \nla mer.\nEt ceux qui habitaient Bouprasios et la divine \u00c9lis, et la terre \nqui renferme Hyrinin\u00e8 et la ville fronti\u00e8re de Myrsin\u00e8, et la \nroche Ol\u00e9nienne et Aleisios, \u00e9taient venus sous quatre chefs, et \nchaque chef conduisait dix nefs rapides o\u00f9 \u00e9taient de nombreux \n\u00c9p\u00e9iensAmphimakhos et thalpios commandaient les uns ; et le \npremier \u00e9tait fils de Kl\u00e9atos, et le second d\u2019Eurytos Aktori\u00f4n. Et \nle robuste Di\u00f4r\u00e8s Amarynk\u00e9ide commandait les autres, et le divin \nPolyxeinos commandait aux derniers ; et il \u00e9tait fils d\u2019Agasth\u00e9 -\nneus Aug\u00e9iade.\nEt ceux qui habitaient Douliki\u00f4n et les saintes \u00eeles Ekhinades qui \nsont \u00e0 l\u2019horizon de la mer, en face de l\u2019\u00c9lis, \u00e9taient command\u00e9s 57\nL \u2019ILIADEpar M\u00e9g\u00e8s Phyl\u00e9ide, semblable \u00e0 Ar\u00e8s. Et il \u00e9tait fils de Phyleus, \nhabile cavalier cher \u00e0 Zeus, qui, s\u2019\u00e9tant irrit\u00e9 contre son p\u00e8re, \ns\u2019\u00e9tait r\u00e9fugi\u00e9 \u00e0 Doulikhi\u00f4n. Et ils \u00e9taient venus sur quarante \nnefs noires.\nEt Odysseus commandait les magnanimes K\u00e9phall\u00e8niens, et ceux \nqui habitaient Ithak\u00e8 et le n \u00e8ritos aux for\u00eats agit\u00e9es, et ceux qui \nhabitaient Krokyl\u00e9ia et l\u2019aride Aigilipa et Zakyntos et Samos, et \nceux qui habitaient l\u2019\u00c9peiros sur la rive oppos\u00e9e. Et Odysseus, \n\u00e9gal \u00e0 Zeus par l\u2019intelligence, les commandait. Et ils \u00e9taient venus \nsur douze nefs rouges.\nEt thoas Andraimonide commandait les Ait\u00f4liens qui habitaient \nPleur\u00f4n et Ol\u00e9nos, et Pyl\u00e8n\u00e8, et la maritime Khalkis, et la pier -\nreuse Kalid\u00f4n.\nCar les fils du magnanime Oineus \u00e9taient morts, et lui-m\u00eame \n\u00e9tait mort, et le blond M\u00e9l\u00e9agros \u00e9tait mort, et thoas comman -\ndait maintenant les Ait\u00f4liens. Et ils \u00e9taient venus sur quarante \nnefs noires.\nEt Idom\u00e9neus, habile \u00e0 lancer la pique, commandait les Kr\u00e8tois \net ceux qui habitaient Kn\u00f4ssos et la forte Gorcyna, et les villes \npopuleuses de Lyktos, de Mil\u00e8tos, de Lykastos, de Phaistos et de 58CHAnt 2\nRhyti\u00f4n, et d\u2019autres qui habitaient aussi la Kr\u00e8t\u00e8 aux cent villes. \nEt Idom\u00e9neus, habile \u00e0 lancer la pique, les commandait avec \nM\u00e8rion\u00e8s, pareil au tueur d\u2019hommes Ar\u00e8s. Et ils \u00e9taient venus sur \nquatre-vingts nefs noires.\nEt t l\u00e8pol\u00e9mos H\u00e8raklide, tr\u00e8s fort et tr\u00e8s grand, avait conduit \nde Rhodos, sur neuf nefs, les fiers Rhodiens qui habitaient les \ntrois parties de Rhodos : Lindos, I\u00e8lissos et la riche Kameiros. \nEt t l\u00e8pol\u00e9mos, habile \u00e0 lancer la pique, les commandait. Et \nAstyokh\u00e9ia avait donn\u00e9 ce fils au grand H\u00e8rakl\u00e8s, apr\u00e8s que ce \ndernier l\u2019eut emmen\u00e9e d\u2019\u00c9phyr\u00e8, des bords du Sell\u00e8is, o\u00f9 il avait \nrenvers\u00e9 beaucoup de villes d\u00e9fendues par des jeunes hommes. Et \ntl\u00e8pol\u00e9mos, \u00e9lev\u00e9 dans la belle demeure, tua l\u2019oncle de son p\u00e8re, \nLikymnios, race d\u2019Ar\u00e8s. Et il construisit des nefs, rassembla une \ngrande multitude et s\u2019enfuit sur la mer, car les fils et les petits-fils \ndu grand H\u00e8rakl\u00e8s le mena\u00e7aient. Ayant err\u00e9 et subi beaucoup de \nmaux, il arriva dans Rhodos, o\u00f9 ils se partag\u00e8rent en trois tribus, \net Zeus, qui commande aux dieux et aux hommes, les aima et les \ncombla de richesses.\nEt n ireus avait amen\u00e9 de Sym\u00e8 trois nefs. Et il \u00e9tait n\u00e9 d\u2019Aglai\u00e8 et \ndu roi Kharopos, et c\u2019\u00e9tait le plus beau de tous les Danaens, apr\u00e8s \nl\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8l\u00e9i\u00f4n, mais il n\u2019\u00e9tait point brave et commandait \npeu de guerriers.59\nL \u2019ILIADEEt ceux qui habitaient n isyros et Krapathos, et Kasos, et K\u00f4s, \nville d\u2019Eurypylos, et les \u00eeles Kalynades, \u00e9taient command\u00e9s par \nPheidippos et Antiphos, deux fils du roi t hessalos H\u00e8rakl\u00e9ide. Et \nils \u00e9taient venus sur trente nefs creuses.\nEt je nommerai aussi ceux qui habitaient Argos P\u00e9lasgique, et \nAlos et Alop\u00e8, et ceux qui habitaient t rakin\u00e8 et la Phthi\u00e8, et la \nHellas aux belles femmes. Et ils se nommaient Myrmidones, ou \nHell\u00e8nes, ou Akhaiens, et Akhilleus commandait leurs cinquante \nnefs. Mais ils ne se souvenaient plus des clameurs de la guerre, \nn\u2019ayant plus de chef qui les men\u00e2t. Car le divin Akhilleus aux \npieds rapides \u00e9tait couch\u00e9 dans ses nefs, irrit\u00e9 au souvenir de \nla vierge Breis\u00e8is aux beaux cheveux qu\u2019il avait emmen\u00e9e de \nLyrn\u00e8ssos, apr\u00e8s avoir pris cette ville et renvers\u00e9 les murailles \nde t h\u00e8b\u00e8 avec de grandes fatigues. L\u00e0, il avait tu\u00e9 les belliqueux \nM\u00e8nytos et \u00c9pistrophos, fils du roi \u00c9v\u00e8nos S\u00e9l\u00e8piade. Et, dans sa \ndouleur, il restait couch\u00e9 mais il devait se relever bient\u00f4t.\nEt ceux qui habitaient Phylak\u00e8 et la fertile Pyrrhasos consacr\u00e9e \n\u00e0 D\u00e8m\u00e8t\u00e8r, et It\u00f4n riche en troupeaux, et la maritime Antr\u00f4n, \net Pt\u00e9l\u00e9os aux grasses prairies, \u00e9taient command\u00e9s par le brave \nPr\u00f4t\u00e9silaos quand il vivait ; mais d\u00e9j\u00e0 la terre noire le renfermait ; \net sa femme se meurtrissait le visage, seule \u00e0 Phylak\u00e8, dans sa 60CHAnt 2\ndemeure abandonn\u00e9e ; car un guerrier Dardanien le tua, comme \nil s\u2019\u00e9lan\u00e7ait de sa nef, le premier de tous les Akhaiens.\nMais ses guerriers n\u2019\u00e9taient point sans chef, et ils \u00e9taient comman -\nd\u00e9s par un nourrisson d\u2019Ar\u00e8s, Podark\u00e8s, fils d\u2019Iphiklos riche en \ntroupeaux, et il \u00e9tait fr\u00e8re du magnanime Pr\u00f4t\u00e9silaos. Et ce h\u00e9ros \n\u00e9tait l\u2019a\u00een\u00e9 et le plus brave, et ses guerriers le regrettaient. Et ils \n\u00e9taient venus sur quarante nefs noires.\nEt ceux qui habitaient Ph\u00e9ra, aupr\u00e8s du lac Boib\u00e8is, et Boib\u00e8, et \nGlaphyra, et I\u00f4lkos, \u00e9taient command\u00e9s, sur onze nefs, par le fils \nbien-aim\u00e9 d\u2019Adm\u00e8t\u00e8s, Eum\u00e8los, qu\u2019Alk\u00e8stis, la gloire des femmes \net la plus belle des filles de P\u00e8lias, avait donn\u00e9 \u00e0 Adm\u00e8t\u00e8s.\nEt ceux qui habitaient M\u00e8th\u00f4n\u00e8 et thaumak\u00e8, et M\u00e9liboia et \nl\u2019aride Oliz\u00f4n, Philokt\u00e8t\u00e8s, tr\u00e8s excellent archer, les comman -\ndait, sur sept nefs. Et dans chaque nef \u00e9taient cinquante rameurs, \nexcellents archers, et tr\u00e8s braves. Et Philokt\u00e8t\u00e8s \u00e9tait couch\u00e9 dans \nune \u00eele, en proie \u00e0 des maux terribles, dans la divine L\u00e8mn\u00f4s, o\u00f9 \nles fils des Akhaiens le laiss\u00e8rent, souffrant de la mauvaise bles -\nsure d\u2019un serpent venimeux. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il gisait, plein de tristesse. \nMais les Argiens devaient bient\u00f4t se souvenir, dans leurs nefs, \ndu roi Philokt\u00e8t\u00e8s. Et ses guerriers n\u2019\u00e9taient point sans chef, s\u2019ils 61\nL \u2019ILIADEregrettaient celui-l\u00e0. Et M\u00e9d\u00f4n les commandait, et il \u00e9tait fils du \nbrave Oileus, de qui Rh\u00e8n\u00e8 l\u2019avait con\u00e7u.\nEt ceux qui habitaient t rikk\u00e8 et la montueuse Ithom\u00e8, et Oikhali\u00e8, \nville d\u2019Eurytos Oikhalien, \u00e9taient command\u00e9s par les deux fils \nd\u2019Askl\u00e8pios, Podaleirios et Makha\u00f4n.\nEt ils \u00e9taient venus sur trente nefs creuses.\nEt ceux qui habitaient Orm\u00e9nios et la fontaine Hyp\u00e9r\u00e9ia, et \nAst\u00e9ri\u00f4n, et les cimes neigeuses du t itanos, \u00e9taient command\u00e9s \npar Eurypylos, illustre fils d\u2019\u00c9vaim\u00f4n. Et ils \u00e9taient venus sur qua -\nrante nefs noires.\nEt ceux qui habitaient Argissa et Gyrt\u00f4n\u00e8, Orth\u00e8 et \u00c9lon\u00e8, et \nla blanche Olooss\u00f4n, \u00e9taient command\u00e9s par le belliqueux \nPolypoit\u00e8s, fils de Peirithoos qu\u2019engendra l\u2019\u00e9ternel Zeus. Et l\u2019il -\nlustre Hippodam\u00e9ia le donna pour fils \u00e0 Peirithoos le jour o\u00f9 \ncelui-ci dompta les centaures f\u00e9roces et les chassa du P\u00e8li\u00f4n \njusqu\u2019aux monts Aithiens. Et Polypoit\u00e8s ne commandait point \nseul, mais avec L\u00e9onteus, nourrisson d\u2019Ar\u00e8s, et fils du magnanime \nKoronos Kain\u00e9ide. Et ils \u00e9taient venus sur quarante nefs noires.62CHAnt 2\nEt Gouneus avait amen\u00e9 de Kyphos, sur vingt-deux nefs, les \n\u00c9ni\u00e8nes et les braves P\u00e9raibes qui habitaient la froide D\u00f4d\u00f4n\u00e8, et \nceux qui habitaient les champs baign\u00e9s par l\u2019heureux t itar\u00e8sios \nqui jette ses belles eaux dans le P\u00e8n\u00e9ios, et ne se m\u00eale point au \nP\u00e8n\u00e9ios aux tourbillons d\u2019argent, mais coule \u00e0 sa surface comme \nde l\u2019huile. Et sa source est Styx par qui jurent les dieux.\nEt Prothoos, fils de t enthr\u00e8d\u00f4n, commandait les Magn\u00e8tes qui \nhabitaient aupr\u00e8s du P\u00e8n\u00e9ios et du P\u00e8li\u00f4n aux for\u00eats secou\u00e9es par \nle vent. Et l\u2019agile Prothoos les commandait, et ils \u00e9taient venus sur \nquarante nefs noires.\nEt tels \u00e9taient les rois et les chefs des Danaens.\nDis-moi, Muse, quel \u00e9tait le plus brave, et qui avait les meilleurs \nchevaux parmi ceux qui avaient suivi les Atr\u00e9ides.\nLes meilleurs chevaux \u00e9taient ceux du Ph\u00e8r\u00e8tiade Eum\u00e8los. Et \nils \u00e9taient rapides comme les oiseaux, du m\u00eame poil, du m\u00eame \n\u00e2ge et de la m\u00eame taille. Apoll\u00f4n \u00e0 l\u2019arc d\u2019argent \u00e9leva et nourrit \nsur le mont Pi\u00e9r\u00e8 ces cavales qui portaient la terreur d\u2019Ar\u00e8s. Et le \nplus brave des guerriers \u00e9tait Aias t \u00e9lam\u00f4nien, depuis qu\u2019Akhil -\nleus se livrait \u00e0 sa col\u00e8re ; car celui-ci \u00e9tait de beaucoup le plus fort, \net les chevaux qui tra\u00eenaient l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8l\u00e9i\u00f4n \u00e9taient de 63\nL \u2019ILIADEbeaucoup les meilleurs. Mais voici qu\u2019il \u00e9tait couch\u00e9 dans sa nef \n\u00e9peronn\u00e9e, couvant sa fureur contre Agamemn\u00f4n. Et ses guer -\nriers, sur le rivage de la mer, lan\u00e7aient pacifiquement le disque, la \npique ou la fl\u00e8che ; et les chevaux, aupr\u00e8s des chars, broyaient le \nlotos et le s\u00e9linos des marais ; et les chars solides restaient sous \nles tentes des chefs ; et ceux-ci, regrettant leur roi cher \u00e0 Ar\u00e8s, \nerraient \u00e0 travers le camp et ne combattaient point.\nEt les Akhaiens roulaient sur la terre comme un incendie ; et la \nterre mugissait comme lorsque Zeus tonnant la fouette \u00e0 coups \nde foudre autour des rochers Arimiens o\u00f9 l\u2019on dit que t yph\u00f4eus \nest couch\u00e9. Ainsi la terre rendait un grand mugissement sous les \npieds des Akhaiens qui franchissaient rapidement la plaine.\nEt la l\u00e9g\u00e8re Iris, qui va comme le vent, envoy\u00e9e de Zeus temp\u00ea -\ntueux, vint annoncer aux t roiens la nouvelle effrayante. Et ils \n\u00e9taient r\u00e9unis, jeunes et vieux, \u00e0 l\u2019agora, devant les vestibules de \nPriamos. Et la l\u00e9g\u00e8re Iris s\u2019approcha, semblable par le visage et \nla voix \u00e0 Polit\u00e8s Priamide, qui, se fiant \u00e0 la rapidit\u00e9 de sa course, \ns\u2019\u00e9tait assis sur la haute tombe du vieux Aisy\u00e8tas, pour observer le \nmoment o\u00f9 les Akhaiens se pr\u00e9cipiteraient hors des nefs.64CHAnt 2\nEt la l\u00e9g\u00e8re Iris, \u00e9tant semblable \u00e0 lui, parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 vieillard ! tu te plais aux paroles sans fin, comme autrefois, du \ntemps de la paix ; mais voici qu\u2019une bataille in\u00e9vitable se pr\u00e9pare. \nCertes, j\u2019ai vu un grand nombre de combats, mais je n\u2019ai point \nencore vu une arm\u00e9e aussi formidable et aussi innombrable. Elle \nest pareille aux feuilles et aux grains de sable ; et voici qu\u2019elle vient, \n\u00e0 travers la plaine, combattre autour de la ville. Hekt\u00f4r, c\u2019est \u00e0 toi \nd\u2019agir. Il y a de nombreux alli\u00e9s dans la grande ville de Priamos, \nde races et de langues diverses. Que chaque chef arme les siens et \nles m\u00e8ne au combat.\nElle parla ainsi, et Hekt\u00f4r reconnut sa voix, et il rompit l\u2019agora, \net tous coururent aux armes. Et les portes s\u2019ouvrirent, et la foule \ndes hommes, fantassins et cavaliers, en sortit \u00e0 grand bruit. Et il y \navait, en avant de la ville, une haute colline qui s\u2019inclinait de tous \nc\u00f4t\u00e9s dans la plaine ; et les hommes la nommaient Bat\u00e9ia, et les \nimmortels, le tombeau de l\u2019agile Myrinn\u00e8.\nL\u00e0, se rang\u00e8rent les t roiens et les alli\u00e9s.\nEt le grand Hekt\u00f4r Priamide au beau casque commandait les \ntroiens, et il \u00e9tait suivi d\u2019hommes nombreux et braves qui d\u00e9si -\nraient frapper de la pique.65\nL \u2019ILIADEEt le vaillant fils d\u2019Ankhis\u00e8s, Ain\u00e9ias, commandait les Dardaniens. \nEt la divine Aphrodit\u00e8 l\u2019avait donn\u00e9 pour fils \u00e0 Ankhis\u00e8s, s\u2019\u00e9tant \nunie \u00e0 un mortel, quoique d\u00e9esse, sur les c\u00eemes de l\u2019Ida. Et il ne \ncommandait point seul ; mais les deux Ant\u00e9norides l\u2019accompa -\ngnaient, Arkhilokhos et Akamas, habiles \u00e0 tous les combats.\nEt ceux qui habitaient Z\u00e9l\u00e9ia, aux pieds de la derni\u00e8re cha\u00eene de \nl\u2019Ida, les riches t roadiens qui boivent l\u2019eau profonde de l\u2019Ais\u00e8pos, \n\u00e9taient command\u00e9s par l\u2019illustre fils de Lyka\u00f4n, Pandaros, \u00e0 qui \nApoll\u00f4n lui-m\u00eame avait donn\u00e9 son arc.\nEt ceux qui habitaient Adr\u00e8st\u00e9ia et Apeisos, et Pithy\u00e9ia et les hau -\nteurs de t \u00e8r\u00e9i\u00e8, \u00e9taient command\u00e9s par Adr\u00e8stos et par Amphios \n\u00e0 la cuirasse de lin. Et ils \u00e9taient tous deux fils de M\u00e9rops, le \nPerk\u00f4sien, qui, n\u2019ayant point d\u2019\u00e9gal dans la science divinatoire, \nleur d\u00e9fendit de tenter la guerre qui d\u00e9vore les hommes ; mais \nils ne lui ob\u00e9irent point, parce que les k\u00e8res de la noire mort \nles entra\u00eenaient.\nEt ceux qui habitaient Perk\u00f4t\u00e8 et Praktios, et S\u00e8stos et Abydos, \net la divine Arisb\u00e8, \u00e9taient command\u00e9s par Asios Hyrtakide, \nque des chevaux grands et ardents avaient amen\u00e9 des bords du \nfleuve Sell\u00e8is.66CHAnt 2\nEt les tribus P\u00e9lasgiques habiles \u00e0 lancer la pique, et ceux qui \nhabitaient Larissa aux plaines fertiles, \u00e9taient command\u00e9s \npar Hippothoos et Pyleus, nourrissons d\u2019Ar\u00e8s, fils du P\u00e9lasge \nL\u00e8thos t eutamide.\nEt Akamas commandait les t hrakiens, et le h\u00e9ros Peir\u00f4s ceux \nqu\u2019enferme le Hellespontos rapide.\nEt Euph\u00e8mos commandait les braves Kikoniens, et il \u00e9tait fils de \ntroiz\u00e8nos K\u00e9ade, cher \u00e0 Zeus.\nEt Pyraikhm\u00e8s commandait les archers Paiones, venus de la terre \nlointaine d\u2019Amyd\u00f4n et du large Axios qui r\u00e9pand ses belles eaux \nsur la terre.\nEt le brave Pylaim\u00e9neus commandait les Paphlagones, du pays \ndes \u00c9n\u00e8tiens, o\u00f9 naissent les mules sauvages. Et ils habitaient \naussi Kyt\u00f4ros et S\u00e9samos, et les belles villes du fleuve Parth\u00e9nios, \net Kr\u00f4mna, et Aigialos et la haute \u00c9rythinos.\nEt Dios et \u00c9pistrophos commandaient les Haliz\u00f4nes, venus de la \nlointaine Alyb\u00e8, o\u00f9 germe l\u2019argent.67\nL \u2019ILIADEEt Khromis et le divinateur Eunomos commandaient les Mysiens. \nMais Eunomos ne devina point la noire mort, et il devait tomber \nsous la main du rapide Aiakide, dans le fleuve o\u00f9 celui-ci devait \ntuer tant de t roiens.\nEt Phorkys commandait les Phrygiens, avec Askanios pareil \u00e0 un \ndieu. Et ils \u00e9taient venus d\u2019Askani\u00e8, d\u00e9sirant le combat.\nEt Mesthl\u00e8s et Antiphos, fils de Pylaim\u00e9neus, n\u00e9s sur les bords du \nlac de Gyg\u00e9ia, commandaient les Maiones qui habitent aux pieds \ndu t m\u00f4los.\nEt n ast\u00e8s commandait les Kariens au langage barbare qui habi -\ntaient Mil\u00e8tos et les hauteurs Phthiriennes, et les bords du \nMaiandros \u00e9t les cimes de Mykal\u00e8. Et Amphimakhos et n ast\u00e8s \nles commandaient, et ils \u00e9taient les fils illustres de n omi\u00f4n. Et \nAmphimakhos combattait charg\u00e9 d\u2019or comme une femme, et ceci \nne lui fit point \u00e9viter la noire mort, le malheureux ! Car il devait \ntomber sous la main du rapide Aiakide, dans le fleuve, et le brave \nAkhilleus devait enlever son or.\nEt l\u2019irr\u00e9prochable Sarp\u00e8d\u00f4n commandait les Lykiens, avec l\u2019irr\u00e9 -\nprochable Glaukos. Et ils \u00e9taient venus de la lointaine Lyki\u00e8 et du \nXanthos plein de tourbillons.68CHAnt 269\nL \u2019ILIADEChant 3\nQuand tous, de chaque c\u00f4t\u00e9, se furent rang\u00e9s sous leurs chefs, les \ntroiens s\u2019avanc\u00e8rent, pleins de clameurs et de bruit, comme des \noiseaux. Ainsi, le cri des grues monte dans l\u2019air, quand, fuyant l\u2019hi -\nver et les pluies abondantes, elles volent sur les flots d\u2019Ok\u00e9anos, \nportant le massacre et la k\u00e8r de la mort aux Pygm\u00e9es. Et elles \nlivrent dans l\u2019air un rude combat. Mais les Akhaiens allaient en \nsilence, respirant la force, et, dans leur c\u0153ur, d\u00e9sirant s\u2019entre aider. \nComme le n otos enveloppe les hauteurs de la montagne d\u2019un \nbrouillard odieux au berger et plus propice au voleur que la nuit \nm\u00eame, de sorte qu\u2019on ne peut voir au-del\u00e0 d\u2019une pierre qu\u2019on a \njet\u00e9e ; de m\u00eame une noire poussi\u00e8re montait sous les pieds de \nceux qui marchaient, et ils traversaient rapidement la plaine.\nEt quand ils furent proches les uns des autres, le divin Alexandros \napparut en t\u00eate des t roiens, ayant une peau de l\u00e9opard sur les \n\u00e9paules, et l\u2019arc recourb\u00e9 et l\u2019\u00e9p\u00e9e. Et, agitant deux piques d\u2019ai -\nrain, il appelait les plus braves des Argiens \u00e0 combattre un rude \ncombat. Et d\u00e8s que M\u00e9n\u00e9laos, cher \u00e0 Ar\u00e8s, l\u2019eut aper\u00e7u qui devan -\n\u00e7ait l\u2019arm\u00e9e et qui marchait \u00e0 grands pas, comme un lion se \nr\u00e9jouit, quand il a faim, de rencontrer un cerf cornu ou une 70CHAnt 3\nch\u00e8vre sauvage, et d\u00e9vore sa proie, bien que les chiens agiles et \nles ardents jeunes hommes le poursuivent, de m\u00eame M\u00e9n\u00e9laos \nse r\u00e9jouit quand il vit devant lui le divin Alexandros. Et il esp\u00e9ra \nse venger de celui qui l\u2019avait outrag\u00e9, et il sauta du char avec \nses armes.\nEt d\u00e8s que le divin Alexandros l\u2019eut aper\u00e7u en t\u00eate de l\u2019arm\u00e9e, \nson c\u0153ur se serra, et il recula parmi les siens pour \u00e9viter la k\u00e8r \nde la mort. Si quelqu\u2019un, dans les gorges des montagnes, voit un \nserpent, il saute en arri\u00e8re, et ses genoux tremblent, et ses joues \np\u00e2lissent. De m\u00eame le divin Alexandros, craignant le fils d\u2019Atreus, \nrentra dans la foule des hardis t roiens.\nEt Hekt\u00f4r, l\u2019ayant vu, l\u2019accabla de paroles am\u00e8res :\n\u2013 Mis\u00e9rable P\u00e2ris, qui n\u2019as que ta beaut\u00e9, trompeur et eff\u00e9min\u00e9, \npl\u00fbt aux dieux que tu ne fusses point n\u00e9, ou que tu fusses mort \navant tes derni\u00e8res noces ! Certes, cela e\u00fbt mieux valu de beau -\ncoup, plut\u00f4t que d\u2019\u00eatre l\u2019opprobre et la ris\u00e9e de tous ! Voici que les \nAkhaiens chevelus rient de m\u00e9pris, car ils croyaient que tu com -\nbattais hardiment hors des rangs, parce que ton visage est beau ; \nmais il n\u2019y a dans ton c\u0153ur ni force ni courage. Pourquoi, \u00e9tant \nun l\u00e2che, as-tu travers\u00e9 la mer sur tes nefs rapides, avec tes meil -\nleurs compagnons, et, m\u00eal\u00e9 \u00e0 des \u00e9trangers, as-tu enlev\u00e9 une tr\u00e8s 71\nL \u2019ILIADEbelle jeune femme du pays d\u2019Apy, parente d\u2019hommes belliqueux ? \nImmense malheur pour ton p\u00e8re, pour ta ville et pour tout le \npeuple ; joie pour nos ennemis et honte pour toi-m\u00eame ! Et tu \nn\u2019as point os\u00e9 attendre M\u00e9n\u00e9laos, cher \u00e0 Ar\u00e8s. t u saurais main -\ntenant de quel guerrier tu retiens la femme. n i ta kithare, ni les \ndons d\u2019Aphrodite, ta chevelure et ta beaut\u00e9, ne t\u2019auraient sauv\u00e9 \nd\u2019\u00eatre tra\u00een\u00e9 dans la poussi\u00e8re.\nMais les t roiens ont trop de respect, car autrement, tu serais \nd\u00e9j\u00e0 rev\u00eatu d\u2019une tunique de pierres, pour prix des maux que tu \nas caus\u00e9s.\nEt le divin Alexandros lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, tu m\u2019as r\u00e9primand\u00e9 justement. t on c\u0153ur est toujours \nindompt\u00e9, comme la hache qui fend le bois et accro\u00eet la force \nde l\u2019ouvrier constructeur de nefs. t elle est l\u2019\u00e2me indompt\u00e9e qui \nest dans ta poitrine. n e me reproche point les dons aimables \nd\u2019Aphrodite d\u2019or. Il ne faut point rejeter les dons glorieux des \ndieux, car eux seuls en disposent, et nul ne les pourrait prendre \u00e0 \nson gr\u00e9. Mais si tu veux maintenant que je combatte et que je lutte, \narr\u00eate les t roiens et les Akhaiens, afin que nous combattions moi \net M\u00e9n\u00e9laos, cher \u00e0 Ar\u00e8s, au milieu de tous, pour H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et pour \ntoutes ses richesses. Et le vainqueur emportera cette femme et 72CHAnt 3\ntoutes ses richesses, et, apr\u00e8s avoir \u00e9chang\u00e9 des serments invio -\nlables, vous, t roiens, habiterez la f\u00e9conde troi\u00e8, et les Akhaiens \nretourneront dans Argos, nourrice de chevaux, et dans l\u2019Akhai\u00e8 \naux belles femmes.\nIl parla ainsi, et Hekt\u00f4r en eut une grande joie, et il s\u2019avan\u00e7a, arr\u00ea -\ntant les phalanges des t roiens, \u00e0 l\u2019aide de sa pique qu\u2019il tenait \npar le milieu. Et ils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent. Et les Akhaiens chevelus tiraient \nsur lui et le frappaient de fl\u00e8ches et de pierres. Mais le roi des \nhommes, Agamemn\u00f4n, cria \u00e0 voix haute :\n\u2013 Arr\u00eatez, Argiens ! ne frappez point, fils des Akhaiens ! Hekt\u00f4r au \ncasque mouvant semble vouloir dire quelques mots.\nIl parla ainsi, et ils cess\u00e8rent et firent silence, et Hekt\u00f4r parla au \nmilieu d\u2019eux :\n\u2013 Ecoutez, t roiens et Akhaiens, ce que dit Alexandros qui causa \ncette guerre. Il d\u00e9sire que les t roiens et les Akhaiens d\u00e9posent \nleurs belles armes sur la terre nourrici\u00e8re, et que lui et M\u00e9n\u00e9laos, \ncher \u00e0 Ar\u00e8s, combattent, seuls, au milieu de tous, pour H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \net pour toutes ses richesses. Et le vainqueur emportera cette \nfemme et toutes ses richesses, et nous \u00e9changerons des ser -\nments inviolables.73\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent silencieux. Et M\u00e9n\u00e9laos, hardi au \ncombat, leur dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi maintenant. Une grande douleur serre mon c\u0153ur, \net j\u2019esp\u00e8re que les Argiens et les troiens vont cesser la guerre, car \nvous avez subi des maux infinis pour ma querelle et pour l\u2019injure \nque m\u2019a faite Alexandros. Que celui des deux \u00e0 qui sont r\u00e9serv\u00e9es \nla moire et la mort, meure donc ; et vous, cessez aussit\u00f4t de com -\nbattre. Apportez un agneau noir pour Gaia et un agneau blanc \npour H\u00e9lios, et nous en apporterons autant pour Zeus. Et vous \nam\u00e8nerez Priamos lui-m\u00eame, pour qu\u2019il se lie par des serments, \ncar ses enfants sont parjures et sans foi, et que personne ne puisse \nvioler les serments de Zeus.\nL \u2019esprit des jeunes hommes est l\u00e9ger, mais, dans ses actions, le \nvieillard regarde \u00e0 la fois l\u2019avenir et le pass\u00e9 et agit avec \u00e9quit\u00e9.\nIl parla ainsi, et les t roiens et les Akhaiens se r\u00e9jouirent, esp\u00e9rant \nmettre fin \u00e0 la guerre mauvaise. Et ils retinrent les chevaux dans \nles rangs, et ils se d\u00e9pouill\u00e8rent de leurs armes d\u00e9pos\u00e9es sur la \nterre. Et il y avait peu d\u2019espace entre les deux arm\u00e9es. Et Hekt\u00f4r \nenvoya deux h\u00e9rauts \u00e0 la ville pour apporter deux agneaux et \nappeler Priamos. Et le roi Agamemn\u00f4n envoya t althybios aux 74CHAnt 3\nnefs creuses pour y prendre un agneau, et t althybios ob\u00e9it au \ndivin Agamemn\u00f4n.\nEt la messag\u00e8re Iris s\u2019envola chez H\u00e9l\u00e9n\u00e8 aux bras blancs, s\u2019\u00e9tant \nfaite semblable \u00e0 sa belle-s\u0153ur Laodik\u00e8, la plus belle des filles de \nPriamos, et qu\u2019avait \u00e9pous\u00e9e l\u2019Ant\u00e9noride \u00c9lika\u00f4n.\nEt elle trouva H\u00e9l\u00e9n\u00e8 dans sa demeure, tissant une grande toile \ndouble, blanche comme le marbre, et y retra\u00e7ant les nombreuses \nbatailles que les t roiens dompteurs de chevaux et les Akhaiens \nrev\u00eatus d\u2019airain avaient subies pour elle par les mains d\u2019Ar\u00e8s. Et \nIris aux pieds l\u00e9gers, s\u2019\u00e9tant approch\u00e9e, lui dit :\n\u2013 Viens, ch\u00e8re nymphe, voir le spectacle admirable des troiens \ndompteurs de chevaux et des Akhaiens rev\u00eatus d\u2019airain.\nIls combattaient tant\u00f4t dans la plaine, pleins de la fureur d\u2019Ar\u00e8s, \net les voici maintenant assis en silence, appuy\u00e9s sur leurs bou -\ncliers, et la guerre a cess\u00e9, et les piques sont enfonc\u00e9es en terre. \nAlexandros et M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s combattront pour toi, de \nleurs longues piques, et tu seras l\u2019\u00e9pouse bien-aim\u00e9e du vainqueur.\nEt la d\u00e9esse, ayant ainsi parl\u00e9, jeta dans son c\u0153ur un doux souvenir \nde son premier mari, et de son pays, et de ses parents. Et H\u00e9l\u00e9n\u00e8, 75\nL \u2019ILIADEs\u2019\u00e9tant couverte aussit\u00f4t de voiles blancs, sortit de la chambre \nnuptiale en pleurant ; et deux femmes la suivaient, Aithr\u00e8, fille \nde Pittheus, et Klym\u00e9n\u00e8 aux yeux de b\u0153uf. Et voici qu\u2019elles arri -\nv\u00e8rent aux portes Skaies. Priamos, Panthoos, t hymoit\u00e8s, Lampos, \nKlytios, lbk\u00e9ta\u00f4n, nourrisson d\u2019Ar\u00e8s, Oukal\u00e9g\u00f4n et Ant\u00e8n\u00f4r, \ntr\u00e8s sages tous deux, si\u00e9geaient, vieillards v\u00e9n\u00e9rables, au-dessus \ndes portes Skaies. Et la vieillesse les \u00e9cartait de la guerre ; mais \nc\u2019\u00e9taient d\u2019excellents agor\u00e8tes ; et ils \u00e9taient pareils \u00e0 des cigales \nqui, dans les bois, assises sur un arbre, \u00e9l\u00e8vent leur voix m\u00e9lo -\ndieuse. t els \u00e9taient les princes des t roiens, assis sur la tour. Et \nquand ils virent H\u00e9l\u00e9n\u00e8 qui montait vers eux, ils se dirent les uns \naux autres, et \u00e0 voix basse, ces paroles ail\u00e9es :\nCertes, il est juste que les t roiens et les Akhaiens aux belles \nkn\u00e8mides subissent tant de maux, et depuis si longtemps, pour \nune telle femme, car elle ressemble aux d\u00e9esses immortelles par \nsa beaut\u00e9.\nMais, malgr\u00e9 cela, qu\u2019elle s\u2019en retourne sur ses nefs, et qu\u2019elle ne \nnous laisse point, \u00e0 nous et \u00e0 nos enfants, un souvenir mis\u00e9rable.76CHAnt 3\nIls parlaient ainsi, et Priamos appela H\u00e9l\u00e9n\u00e8 :\n\u2013 Viens, ch\u00e8re enfant, approche, assieds-toi aupr\u00e8s de moi, afin de \nrevoir ton premier mari, et tes parents, et tes amis. tu n\u2019es point \nla cause de nos malheurs. Ce sont les dieux seuls qui m\u2019ont acca -\nbl\u00e9 de cette rude guerre Akhaienne. Dis-moi le nom de ce guer -\nrier d\u2019une haute stature ; quel est cet Akhaien grand et vigoureux ? \nD\u2019autres ont une taille plus \u00e9lev\u00e9e, mais je n\u2019ai jamais vu de mes \nyeux un homme aussi beau et majestueux. Il a l\u2019aspect d\u2019un roi.\nEt H\u00e9l\u00e9n\u00e8, la divine femme, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tu m\u2019es v\u00e9n\u00e9rable et redoutable, p\u00e8re bien-aim\u00e9. Que n\u2019ai-je subi \nla noire mort quand j\u2019ai suivi ton fils, abandonnant ma chambre \nnuptiale et ma fille n\u00e9e en mon pays lointain, et mes fr\u00e8res, et les \nch\u00e8res compagnes de ma jeunesse ! Mais telle n\u2019a point \u00e9t\u00e9 ma \ndestin\u00e9e, et c\u2019est pour cela que je me consume en pleurant. Je te \ndirai ce que tu m\u2019as demand\u00e9. Cet homme est le roi Agamemn\u00f4n \nAtr\u00e9ide, qui commande au loin, roi habile et brave guerrier. Et il \nfut mon beau-fr\u00e8re, \u00e0 moi inf\u00e2me, s\u2019il m\u2019est permis de dire qu\u2019il \nle fut.77\nL \u2019ILIADEElle parla ainsi, et le vieillard, plein d\u2019admiration, s\u2019\u00e9cria :\n\u2013 \u00d4 heureux Atr\u00e9ide, n\u00e9 pour d\u2019heureuses destin\u00e9es ! Certes, de \nnombreux fils des Akhaiens te sont soumis. Autrefois, dans la \nPhrygi\u00e8 f\u00e9conde en vignes, j\u2019ai vu de nombreux Phrygiens, habiles \ncavaliers, tribus belliqueuses d\u2019Otreus et de Mygd\u00f4n \u00e9gal aux \ndieux, et qui \u00e9taient camp\u00e9s sur les bords du Sangarios. Et j\u2019\u00e9tais \nau milieu d\u2019eux, \u00e9tant leur alli\u00e9, quand vinrent les Amazones \nviriles. Mais ils n\u2019\u00e9taient point aussi nombreux que les Akhaiens.\nPuis, ayant vu Odysseus, le vieillard interrogea H\u00e9l\u00e9n\u00e8 :\n\u2013 Dis-moi aussi, ch\u00e8re enfant, qui est celui-ci. Il est moins grand \nque l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, mais plus large des \u00e9paules et de la \npoitrine. Et ses armes sont couch\u00e9es sur la terre nourrici\u00e8re, et il \nmarche, parmi les hommes, comme un b\u00e9lier charg\u00e9 de laine au \nmilieu d\u2019un grand troupeau de brebis blanches.\nEt H\u00e9l\u00e9n\u00e8, fille de Zeus, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Celui-ci est le subtil Laertiade Odysseus, nourri dans le pays st\u00e9 -\nrile d\u2019Ithak\u00e8. Et il est plein de ruses et de prudence.78CHAnt 3\nEt le sage Ant\u00e8n\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 femme ! tu as dit une parole vraie. Le divin Odysseus vint \nautrefois ici, envoy\u00e9 pour toi, avec M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s, et je les \nre\u00e7us dans mes demeures, et j\u2019ai appris \u00e0 conna\u00eetre leur aspect et \nleur sagesse.\nQuand ils venaient \u00e0 l\u2019agora des t roiens, debout, M\u00e9n\u00e9laos sur -\npassait Odysseus des \u00e9paules, mais, assis, le plus majestueux \u00e9tait \nOdysseus. Et quand ils haranguaient devant tous, certes, M\u00e9n\u00e9laos, \nbien que le plus jeune, parlait avec force et concision, en peu de \nmots, mais avec une clart\u00e9 pr\u00e9cise et allant droit au but. Et quand \nle subtil Odysseus se levait, il se tenait immobile, les yeux baiss\u00e9s, \nn\u2019agitant le sceptre ni en avant ni en arri\u00e8re, comme un agor\u00e8te \ninexp\u00e9riment\u00e9. On e\u00fbt dit qu\u2019il \u00e9tait plein d\u2019une sombre col\u00e8re \net tel qu\u2019un insens\u00e9. Mais quand il exhalait de sa poitrine sa voix \nsonore, ses paroles pleuvaient, semblables aux neiges de l\u2019hiver. \nEn ce moment, nul n\u2019aurait os\u00e9 lutter contre lui ; mais, au premier \naspect, nous ne l\u2019admirions pas autant.\nAyant vu Aias, une troisi\u00e8me fois le vieillard interrogea H\u00e9l\u00e9n\u00e8 :\n\u2013 Qui est cet autre guerrier Akhaien, grand et athl\u00e9tique, qui sur -\npasse tous les Argiens de la t\u00eate et des \u00e9paules ?79\nL \u2019ILIADEEt H\u00e9l\u00e9n\u00e8 au long p\u00e9plos, la divine femme, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Celui-ci est le grand Aias, le bouclier des Akhaiens. Et voici, \nparmi les Kr\u00e8tois, Idom\u00e9neus tel qu\u2019un dieu, et les princes Kr\u00e8tois \nl\u2019environnent. Souvent, M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s le re\u00e7ut dans nos \ndemeures, quand il venait de la Kr\u00e8t\u00e8. Et voici tous les autres \nAkhaiens aux yeux noirs, et je les reconnais, et je pourrais dire \nleurs noms.\nMais je ne vois point les deux princes des peuples, Kast\u00f4r domp -\nteur de chevaux et Polydeuk\u00e8s invincible au pugilat, mes propres \nfr\u00e8res, car une m\u00eame m\u00e8re nous a enfant\u00e9s. n \u2019auraient-ils point \nquitt\u00e9 l\u2019heureuse Lak\u00e9daim\u00f4n, ou, s\u2019ils sont venus sur leurs nefs \nrapides, ne veulent-ils point se montrer au milieu des hommes, \u00e0 \ncause de ma honte et de mon opprobre ?\nElle parla ainsi, mais d\u00e9j\u00e0 la terre f\u00e9conde les renfermait, \u00e0 \nLak\u00e9daim\u00f4n, dans la ch\u00e8re patrie.\nEt les h\u00e9rauts, \u00e0 travers la ville, portaient les gages sinc\u00e8res des \ndieux, deux agneaux, et, dans une outre de peau de ch\u00e8vre, le \nvin joyeux, fruit de la terre. Et le h\u00e9raut Idaios portait un krat\u00e8re 80CHAnt 3\n\u00e9tincelant et des coupes d\u2019or ; et, s\u2019approchant, il excita le vieillard \npar ces paroles :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, Laom\u00e9dontiade ! Les princes des t roiens dompteurs \nde chevaux et des Akhaiens rev\u00eatus d\u2019airain t\u2019invitent \u00e0 descendre \ndans la plaine, afin que vous \u00e9changiez des serments inviolables. \nEt Alexandros et M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s combattront pour H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \navec leurs longues piques, et ses richesses appartiendront au vain -\nqueur. Et tous, ayant fait alliance et \u00e9chang\u00e9 des serments invio -\nlables, nous, t roiens, habiterons la f\u00e9conde t roi\u00e8, et les Akhaiens \nretourneront dans Argos nourrice de chevaux et dans l\u2019Akhai\u00e8 \naux belles femmes.\nIl parla ainsi, et le vieillard fr\u00e9mit, et il ordonna \u00e0 ses compagnons \nd\u2019atteler les chevaux, et ils ob\u00e9irent promptement. Et Priamos \nmonta, tenant les r\u00eanes, et, aupr\u00e8s de lui, Ant\u00e8n\u00f4r entra dans le \nbeau char ; et, par les portes Skaies, tous deux pouss\u00e8rent les che -\nvaux agiles dans la plaine.\nEt quand ils furent arriv\u00e9s au milieu des t roiens et des Akhaiens, \nils descendirent du char sur la terre nourrici\u00e8re et se plac\u00e8rent au \nmilieu des t roiens et des Akhaiens.81\nL \u2019ILIADEEt, aussit\u00f4t, le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, se leva, ainsi que le \nsubtil Odysseus. Puis, les h\u00e9rauts v\u00e9n\u00e9rables r\u00e9unirent les gages \nsinc\u00e8res des dieux, m\u00ealant le vin dans le krat\u00e8re et versant de l\u2019eau \nsur les mains des rois. Et l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, tirant le cou -\nteau toujours suspendu \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la grande gaine de l\u2019\u00e9p\u00e9e, coupa \ndu poil sur la t\u00eate des agneaux, et les h\u00e9rauts le distribu\u00e8rent aux \nprinces des troiens et des Akhaiens. Et, au milieu d\u2019eux, l\u2019Atr\u00e9ide \npria, \u00e0 haute voix, les mains \u00e9tendues :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, qui commandes du haut de l\u2019Ida, tr\u00e8s glorieux, tr\u00e8s \ngrand ! H\u00e9lios, qui vois et entends tout ! fleuves et Gaia ! et vous \nqui, sous la terre, ch\u00e2tiez les parjures, soyez tous t\u00e9moins, scel -\nlez nos serments inviolables. Si Alexandros tue M\u00e9n\u00e9laos, qu\u2019il \ngarde H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et toutes ses richesses, et nous retournerons sur \nnos nefs rapides ; mais si le blond M\u00e9n\u00e9laos tue Alexandros, que \nles t roiens rendent H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et toutes ses richesses, et qu\u2019ils payent \naux Argiens, comme il est juste, un tribut dont se souviendront \nles hommes futurs.\nMais si, Alexandros mort, Priamos et les fils de Priamos refusaient \nde payer ce tribut, je resterai et combattrai pour ceci, jusqu\u2019\u00e0 ce \nque je termine la guerre.82CHAnt 3\nIl parla ainsi, et, de l\u2019airain cruel, il trancha la gorge des agneaux \net il les jeta palpitants sur la terre et rendant l\u2019\u00e2me, car l\u2019airain \nleur avait enlev\u00e9 la vie. Et tous, puisant le vin du krat\u00e8re avec des \ncoupes, ils le r\u00e9pandirent et pri\u00e8rent les dieux qui vivent toujours. \nEt les t roiens et les Akhaiens disaient :\n\u2013 Zeus, tr\u00e8s glorieux, tr\u00e8s grand, et vous, dieux immortels ! que la \ncervelle de celui qui violera le premier ce serment, et la cervelle \nde ses fils, soient r\u00e9pandues sur la terre comme ce vin, et que \nleurs femmes soient outrag\u00e9es par autrui !\nMais le Kroni\u00f4n ne les exau\u00e7a point. Et le Dardanide Priamos \nparla et leur dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, troiens et Akhaiens aux belles kn\u00e8mides. Je \nretourne vers la hauteur d\u2019Ilios, car je ne saurais voir de mes yeux \nmon fils bien-aim\u00e9 lutter contre M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s. Zeus et \nles dieux immortels savent seuls auquel des deux est r\u00e9serv\u00e9e \nla mort.\nAyant ainsi parl\u00e9, le divin vieillard pla\u00e7a les agneaux dans le char, \ny monta, et saisit les r\u00eanes. Et Ant\u00e8n\u00f4r, aupr\u00e8s de lui, entra dans le \nbeau char, et ils retourn\u00e8rent vers Ilios.83\nL \u2019ILIADEEt le Priamide Hekt\u00f4r et le divin Odysseus mesur\u00e8rent l\u2019ar\u00e8ne \nd\u2019abord, et remu\u00e8rent les sorts dans un casque, pour savoir \nqui lancerait le premier la pique d\u2019airain. Et les peuples \npriaient et levaient les mains vers les dieux, et les t roiens et les \nAkhaiens disaient :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, qui commandes au haut de l\u2019Ida, tr\u00e8s glorieux, \ntr\u00e8s grand ! que celui qui nous a caus\u00e9 tant de maux descende \nchez Aid\u00e8s, et puissions-nous sceller une alliance et des trai -\nt\u00e9s inviolables !\nIls parl\u00e8rent ainsi, et le grand Hekt\u00f4r au casque mouvant agita les \nsorts en d\u00e9tournent les yeux, et celui de P\u00e2ris sortit le premier. Et \ntous s\u2019assirent en rangs, chacun aupr\u00e8s de ses chevaux agiles et \nde ses armes \u00e9clatantes. Et le divin Alexandros, l\u2019\u00e9poux de H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \naux beaux cheveux, couvrit ses \u00e9paules de ses belles armes. Et il \nmit autour de ses jambes ses belles kn\u00e8mides aux agrafes d\u2019argent, \net, sur sa poitrine, la cuirasse de son fr\u00e8re Lyka\u00f4n, faite \u00e0 sa taille ; \net il suspendit \u00e0 ses \u00e9paules l\u2019\u00e9p\u00e9e d\u2019airain aux clous d\u2019argent. Puis \nil prit le bouclier vaste et lourd, et il mit sur sa t\u00eate guerri\u00e8re un \nriche casque orn\u00e9 de crins, et ce panache s\u2019agitait fi\u00e8rement ; et il \nsaisit une forte pique faite pour ses mains. Et le brave M\u00e9n\u00e9laos \nse couvrit aussi de ses armes.84CHAnt 3\ntous deux, s\u2019\u00e9tant arm\u00e9s, avanc\u00e8rent au milieu des t roiens et des \nAkhaiens, se jetant de sombres regards ; et les t roiens dompteurs \nde chevaux et les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides les regardaient \navec terreur.\nIls s\u2019arr\u00eat\u00e8rent en face l\u2019un de l\u2019autre, agitant les piques et pleins \nde fureur.\nEt Alexandros lan\u00e7a le premier sa longue pique et frappa le bou -\nclier poli de l\u2019Atr\u00e9ide, mais il ne per\u00e7a point l\u2019airain, et la pointe \nse ploya sur le dur bouclier. Et M\u00e9n\u00e9laos, levant sa pique, supplia \nle p\u00e8re Zeus :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! fais que je punisse le divin Alexandros, qui le premier \nm\u2019a outrag\u00e9, et fais qu\u2019il tombe sous mes mains, afin que, parmi \nles hommes futurs, chacun tremble d\u2019outrager l\u2019h\u00f4te qui l\u2019aura \nre\u00e7u avec bienveillance !\nAyant parl\u00e9 ainsi, il brandit sa longue pique, et, la lan\u00e7ant, il en \nfrappa le bouclier poli du Priamide. Et la forte pique, \u00e0 travers \nle bouclier \u00e9clatant, per\u00e7a la riche cuirasse et d\u00e9chira la tunique \naupr\u00e8s du flanc. Et Alexandros, se courbant, \u00e9vita la noire k\u00e8r. Et \nl\u2019Atr\u00e9ide, ayant tir\u00e9 l\u2019\u00e9p\u00e9e aux clous d\u2019argent, en frappa le c\u00f4ne du 85\nL \u2019ILIADEcasque ; mais l\u2019\u00e9p\u00e9e, rompue en trois ou quatre morceaux, tomba \nde sa main, et l\u2019Atr\u00e9ide g\u00e9mit en regardant le vaste Ouranos :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! nul d\u2019entre les dieux n\u2019est plus inexorable que toi. \nCertes, j\u2019esp\u00e9rais me venger de l\u2019outrage d\u2019Alexandros et l\u2019\u00e9p\u00e9e \ns\u2019est rompue dans ma main, et la pique a \u00e9t\u00e9 vainement lanc\u00e9e, et \nje ne l\u2019ai point frapp\u00e9 !\nIl parla ainsi, et, d\u2019un bond, il le saisit par les crins du casque, et il \nle tra\u00eena vers les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides.\nEt le cuir habilement orn\u00e9, qui liait le casque sous le menton, \n\u00e9touffait le cou d\u00e9licat d\u2019Alexandros ; et l\u2019Atr\u00e9ide l\u2019e\u00fbt tra\u00een\u00e9 et \ne\u00fbt remport\u00e9 une grande gloire, si la fille de Zeus, Aphrodit\u00e8, \nayant vu cela, n\u2019e\u00fbt rompu le cuir de b\u0153uf ; et le casque vide sui -\nvit la main musculeuse de M\u00e9n\u00e9laos. Et celui-ci le fit tournoyer \net le jeta au milieu des Akhaiens aux belles kn\u00e8mides, et ses \nchers compagnons l\u2019emport\u00e8rent. Puis, il se rua de nouveau d\u00e9si -\nrant tuer le Priamide de sa pique d\u2019airain ; mais Aphrodit\u00e8, \u00e9tant \nd\u00e9esse, enleva tr\u00e8s facilement Alexandros en l\u2019enveloppant d\u2019une \nnu\u00e9e \u00e9paisse, et elle le d\u00e9posa dans sa chambre nuptiale, sur son \nlit parfum\u00e9. Et elle sortit pour appeler H\u00e9l\u00e9n\u00e8, qu\u2019elle trouva sur \nla haute tour, au milieu de la foule des troiennes. Et la divine \nAphrodit\u00e8, s\u2019\u00e9tant faite semblable \u00e0 une vieille femme habile \u00e0 86CHAnt 3\ntisser la laine, et qui la tissait pour H\u00e9l\u00e9n\u00e8 dans la populeuse \nLak\u00e9daim\u00f4n, et qui aimait H\u00e9l\u00e9n\u00e8, saisit celle-ci par sa robe nek -\ntar\u00e9enne et lui dit :\n\u2013 Viens ! Alexandros t\u2019invite \u00e0 revenir. Il est couch\u00e9, plein de \nbeaut\u00e9 et richement v\u00eatu, sur son lit habilement travaill\u00e9. t u ne \ndirais point qu\u2019il vient de lutter contre un homme, mais tu croi -\nrais qu\u2019il va aux danses, ou qu\u2019il repose au retour des danses.\nElle parla ainsi, et elle troubla le c\u0153ur de H\u00e9l\u00e9n\u00e8. Mais d\u00e8s que \ncelle-ci eut vu le beau cou de la d\u00e9esse, et son sein d\u2019o\u00f9 naissent \nles d\u00e9sirs, et ses yeux \u00e9clatants, elle fut saisie de terreur, et, la nom -\nmant de son nom, elle lui dit :\n\u2013 \u00d4 mauvaise ! Pourquoi veux-tu me tromper encore ? Me condui -\nras-tu dans quelque autre ville populeuse de la Phrygi\u00e8 ou de \nl\u2019heureuse Maioni\u00e8, si un homme qui t\u2019est cher y habite ? Est-ce \nparce que M\u00e9n\u00e9laos, ayant vaincu le divin Alexandros, veut \nm\u2019emmener dans ses demeures, moi qui me suis odieuse, que \ntu viens de nouveau me tendre des pi\u00e8ges ? Va plut\u00f4t ! aban -\ndonne la demeure des dieux, ne retourne plus dans l\u2019Olympos, et \nreste aupr\u00e8s de lui, toujours inqui\u00e8te ; et prends-le sous ta garde, \njusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il fasse de toi sa femme ou son esclave ! Pour moi, \nje n\u2019irai plus orner son lit, car ce serait trop de honte, et toutes 87\nL \u2019ILIADEles troiennes me bl\u00e2meraient, et j\u2019ai trop d\u2019amers chagrins dans \nle c\u0153ur.\nEt la divine Aphrodit\u00e8, pleine de col\u00e8re, lui dit :\n\u2013 Malheureuse ! crains de m\u2019irriter, de peur que je t\u2019abandonne \ndans ma col\u00e8re, et que je te ha\u00efsse autant que je t\u2019ai aim\u00e9e, et que, \njetant des haines inexorables entre les t roiens et les Akhaiens, je \nte fasse p\u00e9rir d\u2019une mort violente !\nElle parla ainsi, et H\u00e9l\u00e9n\u00e8, fille de Zeus, fut saisie de terreur, et, \ncouverte de sa robe \u00e9clatante de blancheur, elle marcha en silence, \ns\u2019\u00e9loignant des t roiennes, sur les pas de la d\u00e9esse.\nEt quand elles furent parvenues \u00e0 la belle demeure d\u2019Alexandros, \ntoutes les servantes se mirent \u00e0 leur t\u00e2che, et la divine femme \nmonta dans la haute chambre nuptiale.\nAphrodit\u00e8 qui aime les sourires avan\u00e7a un si\u00e8ge pour elle aupr\u00e8s \nd\u2019Alexandros, et H\u00e9l\u00e9n\u00e8, fille de Zeus temp\u00e9tueux, s\u2019y assit en \nd\u00e9tournant les yeux ; mais elle adressa ces reproches \u00e0 son \u00e9poux :\n\u2013 te voici revenu du combat. Que n\u2019y restais-tu, mort et dompt\u00e9 \npar l\u2019homme brave qui fut mon premier mari ! ne te vantais-tu 88CHAnt 3\npas de l\u2019emporter sur M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s, par ton courage, par \nta force et par ta lance ? Va ! d\u00e9fie encore M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s, et \ncombats de nouveau contre lui ; mais non, je te conseille plut\u00f4t de \nne plus lutter contre le blond M\u00e9n\u00e9laos, de peur qu\u2019il te dompte \naussit\u00f4t de sa lance !\nEt P\u00e2ris, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Femme ! ne blesse pas mon c\u0153ur par d\u2019am\u00e8res paroles. Il est vrai, \nM\u00e9n\u00e9laos m\u2019a vaincu \u00e0 l\u2019aide d\u2019Ath\u00e8n\u00e8, mais je le vaincrai plus \ntard, car nous avons aussi des dieux qui nous sont amis. Viens ! \ncouchons-nous et aimons-nous ! Jamais le d\u00e9sir ne m\u2019a br\u00fbl\u00e9 ainsi, \nm\u00eame lorsque, naviguant sur mes nefs rapides, apr\u00e8s t\u2019avoir enle -\nv\u00e9e de l\u2019heureuse Lak\u00e9daim\u00f4n, je m\u2019unis d\u2019amour avec toi dans \nl\u2019\u00eele de Krana\u00e8, tant je t\u2019aime maintenant et suis saisi de d\u00e9sirs !\nIl parla ainsi et marcha vers son lit, et l\u2019\u00e9pouse le suivit, et ils se \ncouch\u00e8rent dans le lit bien construit.\nCependant l\u2019Atr\u00e9ide courait comme une b\u00eate f\u00e9roce au travers \nde la foule, cherchant le divin Alexandros. Et nul des t roiens ni \ndes illustres alli\u00e9s ne put montrer Alexandros \u00e0 M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 \nAr\u00e8s. Et certes, s\u2019ils l\u2019avaient vu, ils ne l\u2019auraient point cach\u00e9, car 89\nL \u2019ILIADEils le ha\u00efssaient tous comme la noire k\u00e8r. Et le roi des hommes, \nAgamemn\u00f4n, leur parla ainsi :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, t roiens, Dardaniens et alli\u00e9s. La victoire, certes, est \n\u00e0 M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s. Rendez-nous donc l\u2019Argienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et \nses richesses, et payez, comme il est juste, un tribut dont se sou -\nviendront les hommes futurs.\nL \u2019Atr\u00e9ide parla ainsi, et tous les Akhaiens applaudirent.90CHAnt 391\nL \u2019ILIADEChant 4\nLes dieux, assis aupr\u00e8s de Zeus, \u00e9taient r\u00e9unis sur le pav\u00e9 d\u2019or, et \nla v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8b\u00e8 versait le nektar, et tous, buvant les coupes d\u2019or, \nregardaient la ville des troiens. Et le Kronide voulut irriter H\u00e8r\u00e8 \npar des paroles mordantes, et il dit :\n\u2013 Deux d\u00e9esses d\u00e9fendent M\u00e9n\u00e9laos, H\u00e8r\u00e8 l\u2019Argienne et la pro -\ntectrice Ath\u00e8n\u00e8 ; mais elles restent assises et ne font que regar -\nder, tandis qu\u2019Aphrodit\u00e8 qui aime les sourires ne quitte jamais \nAlexandros et \u00e9carte de lui les k\u00e8res. Et voici qu\u2019elle l\u2019a sauv\u00e9 \ncomme il allait p\u00e9rir. Mais la victoire est \u00e0 M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 \nAr\u00e8s. Songeons donc \u00e0 ceci. Faut-il exciter de nouveau la guerre \nmauvaise et le rude combat, ou sceller l\u2019alliance entre les deux \npeuples ? S\u2019il pla\u00eet \u00e0 tous les dieux, la ville du roi Priamos restera \ndebout, et M\u00e9n\u00e9laos emm\u00e8nera l\u2019Argienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8.\nIl parla ainsi, et les d\u00e9esses Ath\u00e8n\u00e8 et H\u00e8r\u00e8 se mordirent les l\u00e8vres, \net, assises \u00e0 c\u00f4t\u00e9 l\u2019une de l\u2019autre, elles m\u00e9ditaient la destruction \ndes t roiens. Et Ath\u00e8n\u00e8 restait muette, irrit\u00e9e contre son p\u00e8re \nZeus, et une sauvage col\u00e8re la br\u00fblait ; mais H\u00e8r\u00e8 ne put contenir \nla sienne et dit :92CHAnt 4\ntr\u00e8s dur Kronide, quelle parole as-tu dite ? Veux-tu rendre vaines \ntoutes mes fatigues et la sueur que j\u2019ai su\u00e9e ? J\u2019ai lass\u00e9 mes che -\nvaux en rassemblant les peuples contre Priamos et contre ses \nenfants. Fais donc, mais les dieux ne t\u2019approuveront pas.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, tr\u00e8s irrit\u00e9, lui dit :\n\u2013 Malheureuse ! Quels maux si grands Priamos et les enfants de \nPriamos t\u2019ont-ils caus\u00e9s, que tu veuilles sans rel\u00e2che d\u00e9truire la \nforte citadelle d\u2019Ilios ? Si, dans ses larges murailles, tu pouvais \nd\u00e9vorer Priamos et les enfants de Priamos et les autres t roiens, \npeut-\u00eatre ta haine serait elle assouvie. Fais selon ta volont\u00e9, et \nque cette dissension cesse d\u00e9sormais entre nous. Mais je te dirai \nceci, et garde mes paroles dans ton esprit : Si jamais je veux aussi \nd\u00e9truire une ville habit\u00e9e par des hommes qui te sont amis, ne \nt\u2019oppose point \u00e0 ma col\u00e8re et laisse-moi agir, car c\u2019est \u00e0 contre -\nc\u0153ur que je te livre celle-ci. De toutes les villes habit\u00e9es par les \nhommes terrestres, sous H\u00e9lios et sous l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9, aucune \nne m\u2019est plus ch\u00e8re que la ville sacr\u00e9e d\u2019Ilios, o\u00f9 sont Priamos et \nle peuple de Priamos qui tient la lance. L\u00e0, mon autel n\u2019a jamais \nmanqu\u00e9 de nourriture, de libations, et de graisse ; car nous avons \ncet honneur en partage.93\nL \u2019ILIADEEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, j\u2019ai trois villes qui me sont tr\u00e8s ch\u00e8res, Argos, Spart\u00e8 et \nMyk\u00e8n\u00e8 aux larges rues. D\u00e9truis-les quand tu les ha\u00efras, et je ne \nles d\u00e9fendrai point ; mais je m\u2019opposerais en vain \u00e0 ta volont\u00e9, \npuisque tu es infiniment plus puissant. Il ne faut pas que tu \nrendes mes fatigues vaines. Je suis d\u00e9esse aussi, et ma race est la \ntienne. Le subtil Kronos m\u2019a engendr\u00e9e, et je suis deux fois v\u00e9n\u00e9 -\nrable, par mon origine et parce que je suis ton \u00e9pouse, \u00e0 toi qui \ncommandes \u00e0 tous les immortels.\nC\u00e9dons-nous donc tour \u00e0 tour, et les dieux immortels nous ob\u00e9i -\nront. Ordonne qu\u2019Ath\u00e8n\u00e8 se m\u00eale au rude combat des t roiens et \ndes Akhaiens. Qu\u2019elle pousse les t roiens \u00e0 outrager, les premiers, \nles fiers Akhaiens, malgr\u00e9 l\u2019alliance jur\u00e9e.\nElle parla ainsi, et le p\u00e8re des hommes et des dieux le voulut, et il \ndit \u00e0 Ath\u00e8n\u00e8 ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Va tr\u00e8s promptement au milieu des t roiens et des Akhaiens, et \npousse les t roiens \u00e0 outrager, les premiers, les fiers Akhaiens, \nmalgr\u00e9 l\u2019alliance jur\u00e9e.94CHAnt 4\nAyant ainsi parl\u00e9, il excita Ath\u00e8n\u00e8 d\u00e9j\u00e0 pleine de ce d\u00e9sir, et elle se \npr\u00e9cipita des sommets de l\u2019Olympos. Comme un signe lumineux \nque le fils du subtil Kronos envoie aux marins et aux peuples nom -\nbreux, et d\u2019o\u00f9 jaillissent mille \u00e9tincelles, Pallas Ath\u00e8n\u00e8 s\u2019\u00e9lan\u00e7a sur \nla terre et tomba au milieu des deux arm\u00e9es. Et sa vue emplit de \nfrayeur les t roiens dompteurs de chevaux et les Akhaiens aux \nbelles kn\u00e8mides. Et ils se disaient entre eux : \u2013 Certes, la guerre \nmauvaise et le rude combat vont recommencer, ou Zeus va scel -\nler l\u2019alliance entre les deux peuples, car il r\u00e8gle la guerre parmi \nles hommes. \u2019\nIls parlaient ainsi, et Ath\u00e8n\u00e8 se m\u00eala aux t roiens, semblable au \nbrave Laodokos Ant\u00e9noride, et cherchant Pandaros \u00e9gal aux dieux.\nEt elle trouva debout le brave et irr\u00e9prochable fils de Lyka\u00f4n, et, \nautour de lui, la foule des hardis porte boucliers qui l\u2019avaient \nsuivi des bords de l\u2019Ais\u00e8pos. Et, s\u2019\u00e9tant approch\u00e9e, Ath\u00e8n\u00e8 lui dit \nen paroles ail\u00e9es :\n\u2013 te laisseras-tu persuader par moi, brave fils de Lyka\u00f4n, et ose -\nrais-tu lancer une fl\u00e8che rapide \u00e0 M\u00e9n\u00e9laos ? Certes, tu serais \ncombl\u00e9 de gloire et de gratitude par tous les t roiens et surtout \npar le roi Alexandros. Et il te ferait de riches pr\u00e9sents, s\u2019il voyait \nle brave M\u00e9n\u00e9laos, fils d\u2019Atreus, dompt\u00e9 par ta fl\u00e8che et montant 95\nL \u2019ILIADEsur le b\u00fbcher fun\u00e9raire. Courage ! tire contre le noble M\u00e9n\u00e9laos, \net promets une belle h\u00e9catombe \u00e0 l\u2019illustre archer Apoll\u00f4n Lykien, \nquand tu seras de retour dans la citadelle de Z\u00e9l\u00e9i\u00e8 la sainte.\nAth\u00e8n\u00e8 parla ainsi, et elle persuada l\u2019insens\u00e9. Et il tira de l\u2019\u00e9tui \nun arc luisant, d\u00e9pouille d\u2019une ch\u00e8vre sauvage et bondissante \nqu\u2019il avait perc\u00e9e \u00e0 la poitrine, comme elle sortait d\u2019un creux \nde rocher. Et elle \u00e9tait tomb\u00e9e morte sur la pierre. Et ses cornes \n\u00e9taient hautes de seize palmes. Un excellent ouvrier les travailla, \nles polit et les dora \u00e0 chaque extr\u00e9mit\u00e9. Et Pandaros, ayant band\u00e9 \ncet arc, le posa \u00e0 terre, et ses braves compagnons le couvrirent \nde leurs boucliers, de peur que les fils des courageux Akhaiens \nvinssent \u00e0 se ruer avant que le brave M\u00e9n\u00e9laos, chef des Akhaiens, \nne f\u00fbt frapp\u00e9.\nEt Pandaros ouvrit le carquois et en tira une fl\u00e8che neuve, ail\u00e9e, \nsource d\u2019am\u00e8res douleurs. Et il promit \u00e0 l\u2019illustre archer Apoll\u00f4n \nLykien une belle h\u00e9catombe d\u2019agneaux premiers-n\u00e9s, quand il \nserait de retour dans la citadelle de Z\u00e9l\u00e9i\u00e8 la sainte.\nEt il saisit \u00e0 la fois la fl\u00e8che et le nerf de b\u0153uf, et, les ayant attir\u00e9s, \nle nerf toucha sa mamelle, et la pointe d\u2019airain toucha l\u2019arc, et le \nnerf vibra avec force, et la fl\u00e8che aigu\u00eb s\u2019\u00e9lan\u00e7a, d\u00e9sirant voler au \ntravers de la foule.96CHAnt 4\nMais les dieux heureux ne t\u2019oubli\u00e8rent point, M\u00e9n\u00e9laos ! Et la ter -\nrible fille de Zeus se tint la premi\u00e8re devant toi pour d\u00e9tourner \nla fl\u00e8che am\u00e8re. Elle la d\u00e9tourna comme une m\u00e8re chasse une \nmouche loin de son enfant envelopp\u00e9 par le doux sommeil. Et \nelle la dirigea l\u00e0 o\u00f9 les anneaux d\u2019or du baudrier forment comme \nune seconde cuirasse. Et la fl\u00e8che am\u00e8re tomba sur le solide bau -\ndrier, et elle le per\u00e7a ainsi que la cuirasse artistement orn\u00e9e et la \nmitre qui, par-dessous, garantissait la peau des traits. Et la fl\u00e8che \nla per\u00e7a aussi, et elle effleura la peau du h\u00e9ros, et un sang noir jail -\nlit de la blessure.\nComme une femme Maionienne ou Karienne teint de pourpre \nl\u2019ivoire destin\u00e9 \u00e0 orner le mors des chevaux, et qu\u2019elle garde \ndans sa demeure, et que tous les cavaliers d\u00e9sirent, car il est \nl\u2019ornement d\u2019un roi, la parure du cheval et l\u2019orgueil du cavalier, \nainsi, M\u00e9n\u00e9laos, le sang rougit tes belles cuisses et tes jambes \njusqu\u2019aux chevilles.\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, fr\u00e9mit de voir ce sang noir \ncouler de la blessure ; et M\u00e9n\u00e9laos cher \u00e0 Ar\u00e8s fr\u00e9mit aussi. Mais \nquand il vit que le fer de la fl\u00e8che avait \u00e0 peine p\u00e9n\u00e9tr\u00e9, son c\u0153ur \nse raffermit ; et, au milieu de ses compagnons qui se lamentaient, 97\nL \u2019ILIADEAgamemn\u00f4n qui commande au loin, prenant la main de M\u00e9n\u00e9laos, \nlui dit en g\u00e9missant :\n\u2013 Cher fr\u00e8re, c\u2019\u00e9tait ta mort que je d\u00e9cidais par ce trait\u00e9, en \nt\u2019envoyant seul combattre les t roiens pour tous les Akhaiens, \npuisqu\u2019ils t\u2019ont frapp\u00e9 et ont foul\u00e9 aux pieds des serments invio -\nlables. Mais ces serments ne seront point vains, ni le sang des \nagneaux, ni les libations sacr\u00e9es, ni le gage de nos mains unies. \nSi l\u2019Olympien ne les frappe point maintenant, il les punira plus \ntard ; et ils expieront par des calamit\u00e9s terribles cette trahison qui \nretombera sur leurs t\u00eates, sur leurs femmes et sur leurs enfants. \nCar je le sais, dans mon esprit, un jour viendra o\u00f9 la sainte Ilios \np\u00e9rira, et Priamos, et le peuple de Priamos habile \u00e0 manier la \nlance. Zeus Kronide qui habite l\u2019aith\u00e8r agitera d\u2019en haut sur eux \nsa terrible Aigide, indign\u00e9 de cette trahison qui sera ch\u00e2ti\u00e9e. \u00d4 \nM\u00e9n\u00e9laos, ce serait une am\u00e8re douleur pour moi si, accomplis -\nsant tes destin\u00e9es, tu mourais. Couvert d\u2019opprobre je retournerais \ndans Argos, car les Akhaiens voudraient aussit\u00f4t rentrer dans la \nterre natale, et nous abandonnerions l\u2019Argienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8 comme \nun triomphe \u00e0 Priamos et aux t roiens. Et les orgueilleux t roiens \ndiraient, foulant la tombe de l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos :\n\u2013 Plaise aux dieux qu\u2019Agamemn\u00f4n assouvisse toujours ainsi sa \ncol\u00e8re ! Il a conduit ici l\u2019arm\u00e9e inutile des Akhaiens, et voici qu\u2019il 98CHAnt 4\nest retourn\u00e9 dans son pays bien-aim\u00e9, abandonnant le brave \nM\u00e9n\u00e8laos ! \u2019\n\u2013 Ils parleront ainsi un jour ; mais, alors, que la profonde \nterre m\u2019engloutisse !\nEt le blond M\u00e9n\u00e9laos, le rassurant, parla ainsi :\n\u2013 Reprends courage, et n\u2019effraye point le peuple des Akhaiens. Le \ntrait aigu ne m\u2019a point bless\u00e9 \u00e0 mort, et le baudrier m\u2019a pr\u00e9serv\u00e9, \nainsi que la cuirasse, le tablier et la mitre que de bons armuriers \nont forg\u00e9e.\nEt Agamemn\u00f4n qui commande au loin, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Plaise aux dieux que cela soit, \u00f4 cher M\u00e9n\u00e9laos ! Mais un \nm\u00e9decin soignera ta blessure et mettra le rem\u00e8de qui apaise les \nnoires douleurs.\nIl parla ainsi, et appela le h\u00e9raut divin t althybios :\n\u2013 talthybios, appelle le plus promptement possible l\u2019irr\u00e9prochable \nm\u00e9decin Makha\u00f4n Askl\u00e9piade, afin qu\u2019il voie le brave M\u00e9n\u00e9laos, 99\nL \u2019ILIADEprince des Akhaiens, qu\u2019un habile archer t roien ou Lykien a \nfrapp\u00e9 d\u2019une fl\u00e8che. Il triomphe, et nous sommes dans le deuil.\nIl parla ainsi, et le h\u00e9raut lui ob\u00e9it. Et il chercha, parmi le peuple \ndes Akhaiens aux tuniques d\u2019airain, le h\u00e9ros Makha\u00f4n, qu\u2019il \ntrouva debout au milieu de la foule belliqueuse des porte bou -\ncliers qui l\u2019avaient suivi de t rikk\u00e8, nourrice de chevaux. Et, s\u2019ap -\nprochant, il dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, Askl\u00e9piade ! Agamemn\u00f4n, qui commande au loin, t\u2019ap -\npelle, afin que tu voies le brave M\u00e9n\u00e9laos, fils d\u2019Atreus, qu\u2019un \nhabile archer t roien ou Lykien a frapp\u00e9 d\u2019une fl\u00e8che. Il triomphe, \net nous sommes dans le deuil.\nIl parla ainsi, et le c\u0153ur de Makha\u00f4n fut \u00e9mu dans sa poitrine. Et \nils march\u00e8rent \u00e0 travers l\u2019arm\u00e9e immense des Akhaiens ; et quand \nils furent arriv\u00e9s \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 le blond M\u00e9n\u00e9laos avait \u00e9t\u00e9 bless\u00e9 \net \u00e9tait assis, \u00e9gal aux dieux, en un cercle form\u00e9 par les princes, \naussit\u00f4t Makha\u00f4n arracha le trait du solide baudrier, en ployant \nles crochets aigus ; et il d\u00e9tacha le riche baudrier, et le tablier et la \nmitre que de bons armuriers avaient forg\u00e9e. Et, apr\u00e8s avoir exa -\nmin\u00e9 la plaie faite par la fl\u00e8che am\u00e8re, et suc\u00e9 le sang, il y versa \nadroitement un doux baume que Khir\u00f4n avait autrefois donn\u00e9 \u00e0 \nson p\u00e8re qu\u2019il aimait.100CHAnt 4\nEt tandis qu\u2019ils s\u2019empressaient autour de M\u00e9n\u00e9laos hardi au \ncombat, l\u2019arm\u00e9e des t roiens, porteurs de boucliers, s\u2019avan\u00e7ait, \net les Akhaiens se couvrirent de nouveau de leurs armes, d\u00e9si -\nrant combattre.\nEt le divin Agamemn\u00f4n n\u2019h\u00e9sita ni se ralentit, mais il se pr\u00e9para \nen h\u00e2te pour la glorieuse bataille. Et il laissa ses chevaux et son \nchar orn\u00e9 d\u2019airain ; et le serviteur Eurym\u00e9d\u00f4n, fils de Ptol\u00e9maios \nPeiraide, les retint \u00e0 l\u2019\u00e9cart, et l\u2019Atr\u00e9ide lui ordonna de ne point \ns\u2019\u00e9loigner, afin qu\u2019il p\u00fbt monter dans le char, si la fatigue l\u2019acca -\nblait pendant qu\u2019il donnait partout ses ordres. Et il marcha \u00e0 tra -\nvers la foule des hommes. Et il encourageait encore ceux des \nDanaens aux rapides chevaux, qu\u2019il voyait pleins d\u2019ardeur :\n\u2013 Argiens ! ne perdez rien de cette ardeur imp\u00e9tueuse, car le p\u00e8re \nZeus ne prot\u00e9gera point le parjure. Ceux qui, les premiers, ont \nviol\u00e9 nos trait\u00e9s, les vautours mangeront leur chair ; et, quand \nnous aurons pris leur ville, nous emm\u00e8nerons sur nos nefs leurs \nfemmes bien-aim\u00e9es et leurs petits enfants.101\nL \u2019ILIADEEt ceux qu\u2019il voyait lents au rude combat, il leur disait ces \nparoles irrit\u00e9es :\n\u2013 Argiens promis \u00e0 la pique ennemie ! l\u00e2ches, n\u2019avez-vous point de \nhonte ? Pourquoi restez-vous glac\u00e9s de peur, comme des biches \nqui, apr\u00e8s avoir couru \u00e0 travers la vaste plaine, s\u2019arr\u00eatent \u00e9puis\u00e9es \net n\u2019ayant plus de force au c\u0153ur ? C\u2019est ainsi que, glac\u00e9s de peur, \nvous vous arr\u00eatez et ne combattez point. Attendez-vous que les \ntroiens p\u00e9n\u00e8trent jusqu\u2019aux nefs aux belles poupes, sur le rivage \nde la blanche mer, et que le Kroni\u00f4n vous aide ?\nC\u2019est ainsi qu\u2019il donnait ses ordres en parcourant la foule des \nhommes. Et il parvint l\u00e0 o\u00f9 les Kr\u00e8tois s\u2019armaient autour du \nbrave Idom\u00e9neus. Et Idom\u00e9neus, pareil \u00e0 un fort sanglier, \u00e9tait \nau premier rang ; et M\u00e8rion\u00e8s h\u00e2tait les derni\u00e8res phalanges. Et le \nroi des hommes, Agamemn\u00f4n, ayant vu cela, s\u2019en r\u00e9jouit et dit \u00e0 \nIdom\u00e9neus ces paroles flatteuses :\n\u2013 Idom\u00e9neus, certes, je t\u2019honore au-dessus de tous les Danaens \naux rapides chevaux, soit dans le combat, soit dans les repas, \nquand les princes des Akhaiens m\u00ealent le vin vieux dans les kra -\nt\u00e8res. Et si les autres Akhaiens chevelus boivent avec mesure, ta \ncoupe est toujours aussi pleine que la mienne, et tu bois selon \nton d\u00e9sir. Cours donc au combat, et sois tel que tu as toujours \u00e9t\u00e9.102CHAnt 4\nEt le prince des Kr\u00e8tois, Idom\u00e9neus, lui r\u00e9pondit :\nAtr\u00e9ide, je te serai toujours fid\u00e8le comme je te l\u2019ai promis. Va ! \nencourage les autres Akhaiens chevelus, afin que nous combat -\ntions promptement, puisque les t roiens ont viol\u00e9 nos trait\u00e9s. La \nmort et les calamit\u00e9s les accableront, puisque, les premiers, ils se \nsont parjur\u00e9s.\nIl parla ainsi, et l\u2019Atr\u00e9ide s\u2019\u00e9loigna, plein de joie. Et il alla vers les \nAias, \u00e0 travers la foule des hommes. Et les Aias s\u2019\u00e9taient arm\u00e9s, \nsuivis d\u2019un nuage de guerriers.\nComme une nu\u00e9e qu\u2019un chevrier a vue d\u2019une hauteur, s\u2019\u00e9largis -\nsant sur la mer, sous le souffle de Z\u00e9phyros, et qui, par tourbil -\nlons \u00e9pais, lui appara\u00eet de loin plus noire que la poix, de sorte qu\u2019il \ns\u2019inqui\u00e8te et pousse ses ch\u00e8vres dans une caverne ; de m\u00eame les \nnoires phalanges h\u00e9riss\u00e9es de boucliers et de piques des jeunes \nhommes nourrissons de Zeus se mouvaient derri\u00e8re les Aias pour \nle rude combat. Et Agamemn\u00f4n qui commande au loin, les ayant \nvus, se r\u00e9jouit et dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Aias ! Princes des Argiens aux tuniques d\u2019airain, il ne serait point \njuste de vous ordonner d\u2019exciter vos hommes, car vous les pres -\nsez de combattre bravement. P\u00e8re Zeus ! Ath\u00e8n\u00e8 ! Apoll\u00f4n ! que 103\nL \u2019ILIADEvotre courage emplisse tous les c\u0153urs ! Bient\u00f4t la ville du roi \nPriamos, s\u2019il en \u00e9tait ainsi, serait renvers\u00e9e, d\u00e9truite et saccag\u00e9e \npar nos mains.\nAyant ainsi parl\u00e9, il les laissa et marcha vers d\u2019autres. Et il trouva \nnest\u00f4r, l\u2019harmonieux agor\u00e8te des Pyliens, qui animait et rangeait \nen bataille ses compagnons autour du grand P\u00e9lag\u00f4n, d\u2019Alast\u00f4r, \nde Khromios, de Haim\u00f4n et de Bias, prince des peuples. Et il ran -\ngeait en avant les cavaliers, les chevaux et les chars, et en arri\u00e8re \nles fantassins braves et nombreux, pour \u00eatre le rempart de la \nguerre, et les l\u00e2ches au milieu, afin que chacun d\u2019eux combatt\u00eet \nforc\u00e9ment. Et il enseignait les cavaliers, leur ordonnant de conte -\nnir les chevaux et de ne point courir au hasard dans la m\u00eal\u00e9e :\n\u2013 Que nul ne s\u2019\u00e9lance en avant des autres pour combattre les \ntroiens, et que nul ne recule, car vous serez sans force. Que le \nguerrier qui abandonnera son char pour un autre combatte plu -\nt\u00f4t de la pique, car ce sera pour le mieux, et c\u2019est ainsi que les \nhommes anciens, qui ont eu ce courage et cette prudence, ont \nrenvers\u00e9 les villes et les murailles.104CHAnt 4\nEt le vieillard les exhortait ainsi, \u00e9tant habile dans la guerre depuis \nlongtemps. Et Agamemn\u00f4n qui commande au loin, l\u2019ayant vu, se \nr\u00e9jouit et lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 vieillard ! pl\u00fbt aux dieux que tes genoux eussent autant de \nvigueur, que tu eusses autant de force que ton c\u0153ur a de courage ! \nMais la vieillesse, qui est la m\u00eame pour tous, t\u2019accable. Pl\u00fbt aux \ndieux qu\u2019elle accabl\u00e2t plut\u00f4t tout autre guerrier, et que tu fusses \ndes plus jeunes\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, Atr\u00e9ide, je voudrais \u00eatre encore ce que j\u2019\u00e9tais quand je \ntuai le divin \u00c9reuthali\u00f4n. Mais les dieux ne prodiguent point tous \nleurs dons aux hommes. Alors, j\u2019\u00e9tais jeune, et voici que la vieil -\nlesse s\u2019est empar\u00e9e de moi. Mais tel que je suis, je me m\u00ealerai aux \ncavaliers et je les exciterai par mes conseils et par mes paroles, car \nc\u2019est la part des vieillards.\nIl parla ainsi, et l\u2019Atr\u00e9ide, joyeux, alla plus loin. Et il trouva le \ncavalier M\u00e9n\u00e8stheus immobile, et autour de lui les Ath\u00e8naiens \nbelliqueux, et, aupr\u00e8s, le subtil Odysseus, et autour de ce dernier \nla foule hardie des K\u00e9phall\u00e8niens. Et ils n\u2019avaient point entendu \nle cri de guerre, car les phalanges des troiens dompteurs de 105\nL \u2019ILIADEchevaux et des Akhaiens commen\u00e7aient de s\u2019\u00e9branler. Et ils se \ntenaient immobiles, attendant que d\u2019autres phalanges Akhaiennes, \ns\u2019\u00e9lan\u00e7ant contre les t roiens, commen\u00e7assent le combat. Et \nAgamemn\u00f4n, les ayant vus, les injuria et leur dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 fils de P\u00e9t\u00e9os, d\u2019un roi issu de Zeus, et toi, qui es toujours plein \nde ruses subtiles, pourquoi, saisis de terreur, attendez-vous que \nd\u2019autres combattent ? Il vous appartenait de courir en avant dans \nle combat furieux, ainsi que vous assistez les premiers \u00e0 mes fes -\ntins, o\u00f9 se r\u00e9unissent les plus v\u00e9n\u00e9rables des Akhaiens. L\u00e0, sans \ndoute, il vous est doux de manger des viandes r\u00f4ties et de boire \ndes coupes de bon vin autant qu\u2019il vous pla\u00eet. Et voici que, main -\ntenant, vous verriez avec joie dix phalanges des Akhaiens com -\nbattre avant vous, arm\u00e9es de l\u2019airain meurtrier !\nEt le subtil Odysseus, avec un sombre regard, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Atr\u00e9ide, quelle parole s\u2019est \u00e9chapp\u00e9e de ta bouche ? Comment \noses-tu dire que nous h\u00e9sitons devant le combat ?\nLorsque nous pousserons le rude Ar\u00e8s contre les troiens domp -\nteurs de chevaux, tu verras, si tu le veux, et si cela te pla\u00eet le p\u00e8re \nbien-aim\u00e9 de t \u00e8l\u00e9makhos au milieu des t roiens dompteurs de \nchevaux. Mais tu as dit une parole vaine.106CHAnt 4\nEt Agamemn\u00f4n qui commande au loin, le voyant irrit\u00e9, sourit, et, \nse r\u00e9tractant, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Subtil Odysseus, divin Laertiade, je ne veux t\u2019adresser ni injures \nni reproches. Je sais que ton c\u0153ur, dans ta poitrine, est plein de \ndesseins excellents, car tes pens\u00e9es sont les miennes. n ous r\u00e9pa -\nrerons ceci, si j\u2019ai mal parl\u00e9. Va donc, et que les dieux rendent mes \nparoles vaines !\nAyant ainsi parl\u00e9, il les laissa et alla vers d\u2019autres. Et il trouva \nDiom\u00e8d\u00e8s, l\u2019orgueilleux fils de t ydeus, immobile au milieu de \nses chevaux et de ses chars solides. Et Sth\u00e9n\u00e9los, fils de Kapaneus, \n\u00e9tait aupr\u00e8s de lui. Et Agamemn\u00f4n qui commande au loin, les \nayant vus, l\u2019injuria et lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ah ! fils du brave t ydeus dompteur de chevaux, pourquoi \ntrembles-tu et regardes-tu entre les rangs ? Certes, t ydeus n\u2019avait \npoint coutume de trembler, mais il combattait hardiment l\u2019en -\nnemi, et hors des rangs, en avant de ses compagnons. Je ne l\u2019ai \npoint vu dans la guerre, mais on dit qu\u2019il \u00e9tait au-dessus de tous. \nIl vint \u00e0 Myk\u00e8n\u00e8 avec Polyneik\u00e8s \u00e9gal aux dieux, pour rassembler \nles peuples et faire une exp\u00e9dition contre les saintes murailles \nde t h\u00e8b\u00e8.107\nL \u2019ILIADEEt ils nous conjuraient de leur donner de courageux alli\u00e9s, et \ntous y consentaient, mais les signes contraires de Zeus nous en \nemp\u00each\u00e8rent. Et ils partirent, et quand ils furent arriv\u00e9s aupr\u00e8s \nde l\u2019Asopos plein de joncs et d\u2019herbes, t ydeus fut l\u2019envoy\u00e9 des \nAkhaiens. Et il partit, et il trouva les Kadm\u00e9i\u00f4nes, en grand \nnombre, mangeant dans la demeure de la force \u00c9t\u00e9okl\u00e9enne. Et l\u00e0, \nle cavalier t ydeus ne fut point effray\u00e9, bien qu\u2019\u00e9tranger et seul au \nmilieu des nombreux Kadm\u00e9i\u00f4nes. Et il les provoqua aux luttes \net les vainquit ais\u00e9ment, car Ath\u00e8n\u00e8 le prot\u00e9geait. Mais les cava -\nliers Kadm\u00e9i\u00f4nes, pleins de col\u00e8re, lui dress\u00e8rent, \u00e0 son d\u00e9part, \nune embuscade de nombreux guerriers\u2019command\u00e9s par Mai\u00f4n \nHaimonide, tel que les immortels, et par Lyk\u00e9phont\u00e8s, hardi guer -\nrier, fils d\u2019Autophonos. Et t ydeus les tua tous et n\u2019en laissa revenir \nqu\u2019un seul. Ob\u00e9issant aux signes des dieux, il laissa revenir Mai\u00f4n. \ntel \u00e9tait t ydeus l\u2019Ait\u00f4lien ; mais il a engendr\u00e9 un fils qui ne le vaut \npoint dans le combat, s\u2019il parle mieux dans l\u2019Agora.\nIl parla ainsi, et le brave Diom\u00e8d\u00e8s ne r\u00e9pondit rien, plein de \nrespect pour le roi v\u00e9n\u00e9rable. Mais le fils de l\u2019illustre Kapaneus \nr\u00e9pondit \u00e0 l\u2019Atr\u00e9ide :\n\u2013 Atr\u00e9ide, ne mens point, sachant que tu mens. Certes nous nous \nglorifions de valoir beaucoup mieux que nos p\u00e8res, nous qui, \nconfiants dans les signes des dieux, et avec l\u2019aide de Zeus, avons 108CHAnt 4\npris t h\u00e8b\u00e8 aux sept portes, ayant conduit sous ses fortes murailles \ndes peuples moins nombreux.\nnos p\u00e8res ont p\u00e9ri par leurs propres fautes. n e compare donc \npoint leur gloire \u00e0 la n\u00f4tre.\nEt le robuste Diom\u00e8d\u00e8s, avec un sombre regard, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ami, tais-toi et ob\u00e9is. Je ne m\u2019irrite point de ce que le prince \ndes peuples, Agamemn\u00f4n, excite les Akhaiens aux belles kn\u00e8 -\nmides \u00e0 combattre ; car si les Akhaiens d\u00e9truisent les t roiens et \nprennent la sainte Ilios, il en aura la gloire ; mais si les Akhaiens \nsont d\u00e9truits, il en portera le deuil. Occupons-nous tous deux de \nla guerre imp\u00e9tueuse.\nIl parla ainsi, et sauta de son char \u00e0 terre avec ses armes, et l\u2019airain \nretentit terriblement sur la poitrine du roi, et ce bruit aurait trou -\nbl\u00e9 le c\u0153ur du plus brave.\nEt comme le flot de la mer roule avec rapidit\u00e9 vers le rivage, \npouss\u00e9 par Z\u00e9phyros, et, se gonflant d\u2019abord sur la haute mer, \nse brise violemment contre terre, et se h\u00e9risse autour des pro -\nmontoires en vomissant l\u2019\u00e9cume de la mer, de m\u00eame les pha -\nlanges press\u00e9es des Danaens se ruaient au combat. Et chaque 109\nL \u2019ILIADEchef donnait ses ordres, et le reste marchait en silence. On e\u00fbt dit \nune grande multitude muette, pleine de respect pour ses chefs. Et \nles armes brillantes resplendissaient tandis qu\u2019ils marchaient en \nordre. Mais, tels que les nombreuses brebis d\u2019un homme riche, et \nqui b\u00ealent sans cesse \u00e0 la voix des agneaux, tandis qu\u2019on trait leur \nlait blanc dans l\u2019\u00e9table, les t roiens poussaient des cris confus et \ntumultueux de tous les points de la vaste arm\u00e9e.\nEt leurs cris \u00e9taient pouss\u00e9s en beaucoup de langues diverses, par \ndes hommes venus d\u2019un grand nombre de pays lointains.\nEt Ar\u00e8s excitait les uns, et Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs excitait les \nautres, et partout allaient la crainte et la terreur et la furieuse et \ninsatiable \u00c9ris, s\u0153ur et compagne d\u2019Ar\u00e8s tueur d\u2019hommes, et qui, \nd\u2019abord, est faible, et qui, les pieds sur la terre, porte bient\u00f4t sa \nt\u00eate dans l\u2019Ouranos. Et elle s\u2019avan\u00e7ait \u00e0 travers la foule, \u00e9veillant \nla haine et multipliant les g\u00e9missements des hommes.\nEt quand ils se furent rencontr\u00e9s, ils m\u00eal\u00e8rent leurs boucliers, \nleurs piques et la force des hommes aux cuirasses d\u2019airain ; et les \nboucliers bomb\u00e9s se heurt\u00e8rent, et un vaste tumulte retentit. Et \non entendait les cris de victoire et les hurlements des hommes \nqui renversaient ou \u00e9taient renvers\u00e9s, et le sang inondait la terre. \nComme des fleuves, gonfl\u00e9s par l\u2019hiver, tombent du haut des 110CHAnt 4\nmontagnes et m\u00ealent leurs eaux furieuses dans une vall\u00e9e qu\u2019ils \ncreusent profond\u00e9ment, et dont un berger entend de loin le fra -\ncas, de m\u00eame le tumulte des hommes confondus roulait.\nEt, le premier, Antilokhos tua Ekh\u00e9p\u00f4los thalysiade, courageux \ntroien, brave entre tous ceux qui combattaient en avant. Et il le \nfrappa au casque couvert de crins \u00e9pais, et il per\u00e7a le front, et la \npointe d\u2019airain entra dans l\u2019os. Et le t roien tomba comme une \ntour dans le rude combat.\nEt le roi Elph\u00e8n\u00f4r Khalkodontiade, prince des magnanimes \nAbantes, le prit par les pieds pour le tra\u00eener \u00e0 l\u2019abri des traits et le \nd\u00e9pouiller de ses armes ; mais sa tentative fut br\u00e8ve, car le magna -\nnime Ag\u00e8n\u00f4r, l\u2019ayant vu tra\u00eener le cadavre, le per\u00e7a au c\u00f4t\u00e9, d\u2019une \npique d\u2019airain, sous le bouclier, tandis qu\u2019il se courbait, et le tua. \nEt, sur lui, se rua un combat furieux de t roiens et d\u2019Akhaiens ; et, \ncomme des loups, ils se jetaient les uns sur les autres, et chaque \nguerrier en renversait un autre.\nC\u2019est l\u00e0 qu\u2019Aias t \u00e9lam\u00f4nien tua Simo\u00e9isios, fils d\u2019Anth\u00e9mi\u00f4n, \njeune et beau, et que sa m\u00e8re, descendant de l\u2019Ida pour visiter ses \ntroupeaux avec ses parents, avait enfant\u00e9 sur les rives du Simo\u00e9is, \net c\u2019est pourquoi on le nommait Simo\u00e9isios. Mais il ne rendit pas \n\u00e0 ses parents bien-aim\u00e9s le prix de leurs soins, car sa vie fut br\u00e8ve, 111\nL \u2019ILIADEayant \u00e9t\u00e9 dompt\u00e9 par la pique du magnanime Aias. Et celui-ci le \nfrappa \u00e0 la poitrine, pr\u00e8s de la mamelle droite, et la pique d\u2019airain \nsortit par l\u2019\u00e9paule. Et Simo\u00e9isios tomba dans la poussi\u00e8re comme \nun peuplier dont l\u2019\u00e9corce est lisse, et qui, poussant au milieu d\u2019un \ngrand marais, commence \u00e0 se couvrir de hauts rameaux, quand \nun constructeur de chars le tranche \u00e0 l\u2019aide du fer aiguis\u00e9 pour en \nfaire la roue d\u2019un beau char ; et il g\u00eet, fl\u00e9tri, aux bords du fleuve. Et \nle divin Aias d\u00e9pouilla ainsi Simo\u00e9isios Anth\u00e9mionide.\nEt le Priamide Antiphos \u00e0 la cuirasse \u00e9clatante, du milieu de la \nfoule, lan\u00e7a contre Aias sa pique aigu\u00eb ; mais elle le manqua et \nfrappa \u00e0 l\u2019aine Leukos, brave compagnon d\u2019Odysseus, tandis qu\u2019il \ntra\u00eenait le cadavre, et le cadavre lui \u00e9chappa des mains.\nEt Odysseus, irrit\u00e9 de cette mort, s\u2019avan\u00e7a, arm\u00e9 de l\u2019airain \u00e9cla -\ntant, au-del\u00e0 des premiers rangs, regardant autour de lui et agi -\ntant sa pique \u00e9clatante. Et les t roiens recul\u00e8rent devant l\u2019homme \nmena\u00e7ant ; mais il ne lan\u00e7a point sa pique en vain, car il frappa \nD\u00e8moko\u00f4n, fils naturel de Priamos, et qui \u00e9tait venu d\u2019Abydos \navec ses chevaux rapides. Et Odysseus, vengeant son compa -\ngnon, frappa D\u00e8moko\u00f4n \u00e0 la tempe, et la pointe d\u2019airain sortit par \nl\u2019autre tempe, et l\u2019obscurit\u00e9 couvrit ses yeux. Et il tomba avec bruit, \net ses armes retentirent. Et les t roiens les plus avanc\u00e9s recul\u00e8rent, \net m\u00eame l\u2019illustre Hekt\u00f4r. Et les Akhaiens poussaient de grands 112CHAnt 4\ncris, entra\u00eenant les cadavres et se ruant en avant. Et Apoll\u00f4n s\u2019in -\ndigna, les ayant vus du fa\u00eete de Pergamos, et d\u2019une voix haute il \nexcita les t roiens :\n\u2013 troiens, dompteurs de chevaux, ne le c\u00e9dez point aux Akhaiens. \nLeur peau n\u2019est ni de pierre ni de fer pour r\u00e9sister, quand elle en \nest frapp\u00e9e, \u00e0 l\u2019airain qui coupe la chair. Akhilleus, le fils de t h\u00e9tis \n\u00e0 la belle chevelure, ne combat point ; il couve, pr\u00e8s de ses nefs, la \ncol\u00e8re qui lui ronge le c\u0153ur\nAinsi parla le dieu terrible du haut de la citadelle. Et t ritog\u00e9n\u00e9ia, \nla glorieuse fille de Zeus, marchant au travers de la foule, excitait \nles Akhaiens l\u00e0 o\u00f9 ils reculaient.\nEt la Moire saisit Di\u00f4r\u00e8s Amarynk\u00e9ide, et il fut frapp\u00e9 \u00e0 la cheville \ndroite d\u2019une pierre anguleuse.\nEt ce fut l\u2019Imbraside Peiros, prince des t hrakiens, et qui \u00e9tait \nvenu d\u2019Ainos, qui le frappa. Et la pierre rude fracassa les deux \ntendons et les os. Et Di\u00f4r\u00e8s tomba \u00e0 la renverse dans la pous -\nsi\u00e8re, \u00e9tendant les mains vers ses compagnons et respirant \u00e0 peine. \nEt Peiros accourut et enfon\u00e7a sa pique pr\u00e8s du nombril, et les \nintestins se r\u00e9pandirent \u00e0 terre, et l\u2019obscurit\u00e9 couvrit ses yeux. Et \ncomme Peiros s\u2019\u00e9lan\u00e7ait, l\u2019Ait\u00f4lien Moas le frappa de sa pique 113\nL \u2019ILIADEdans la poitrine, au-dessus de la mamelle, et l\u2019airain traversa le \npoumon. Puis il accourut, arracha de la poitrine la pique ter -\nrible, et, tirant son \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb, il ouvrit le ventre de l\u2019homme et le \ntua. Mais il ne le d\u00e9pouilla point de ses armes, car les t hrakiens \naux cheveux ras et aux longues lances entour\u00e8rent leur chef, et \nrepouss\u00e8rent Moas, tout robuste, hardi et grand qu\u2019il \u00e9tait. Et il \nrecula loin d\u2019eux. Ainsi les deux chefs, l\u2019un des t hrakiens, l\u2019autre \ndes \u00c9p\u00e9iens aux tuniques d\u2019airain, \u00e9taient couch\u00e9s c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te \ndans la poussi\u00e8re, et les cadavres s\u2019amassaient autour d\u2019eux.\nSi un guerrier, sans peur du combat, et que l\u2019airain aigu n\u2019e\u00fbt \nencore ni frapp\u00e9 ni bless\u00e9, e\u00fbt parcouru la m\u00eal\u00e9e furieuse, et que \nPallas Ath\u00e8n\u00e8 l\u2019e\u00fbt conduit par la main, \u00e9cartant de lui l\u2019imp\u00e9tuo -\nsit\u00e9 des traits, certes, il e\u00fbt vu, en ce jour, une multitude de t roiens \net d\u2019Akhaiens renvers\u00e9s et couch\u00e9s confus\u00e9ment sur la poussi\u00e8re.114CHAnt 4115\nL \u2019ILIADEChant 5\nAlors, Pallas Ath\u00e8n\u00e8 donna la force et l\u2019audace au tyd\u00e9ide \nDiom\u00e8d\u00e8s, afin qu\u2019il s\u2019illustr\u00e2t entre tous les Argiens et rempor -\nt\u00e2t une grande gloire. Et elle fit jaillir de son casque et de son bou -\nclier un feu inextinguible, semblable \u00e0 l\u2019\u00e9toile de l\u2019automne qui \n\u00e9clate et resplendit hors de l\u2019Ok\u00e9anos. t el ce feu jaillissait de sa \nt\u00eate et de ses \u00e9paules. Et elle le poussa dans la m\u00eal\u00e9e o\u00f9 tous se \nruaient tumultueusement.\nParmi les t roiens vivait Dar\u00e8s, riche et irr\u00e9prochable sacrifica -\nteur de H\u00e8phaistos, et il avait deux fils, Phygeus et Idaios, habiles \n\u00e0 tous les combats. Et tous deux, sur un m\u00eame char, se ru\u00e8rent \ncontre le t yd\u00e9ide, qui \u00e9tait \u00e0 pied. Et, lorsqu\u2019ils se furent rap -\nproch\u00e9s, Phygeus, le premier, lan\u00e7a sa longue pique, et la pointe \neffleura l\u2019\u00e9paule gauche du t yd\u00e9ide, mais il ne le blessa point. Et \ncelui-ci, \u00e0 son tour, lan\u00e7a sa pique, et le trait ne fut point inu -\ntile qui partit de sa main, car il s\u2019enfon\u00e7a dans la poitrine, entre \nles mamelles, et jeta le guerrier \u00e0 bas. Et Idaios s\u2019enfuit, aban -\ndonnant son beau char et n\u2019osant d\u00e9fendre son fr\u00e8re tu\u00e9. Certes, \nil n\u2019e\u00fbt point, pour cela, \u00e9vit\u00e9 la noire mort ; mais H\u00e8phaistos, \nl\u2019ayant envelopp\u00e9 d\u2019une nu\u00e9e, l\u2019enleva, afin que la vieillesse de 116CHAnt 5\nleur vieux p\u00e8re ne f\u00fbt point d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e. Et le fils du magnanime \ntydeus saisit leurs chevaux, qu\u2019il remit \u00e0 ses compagnons pour \n\u00eatre conduits aux nefs creuses.\nEt les magnanimes t roiens, voyant les deux fils de Dar\u00e8s, l\u2019un en \nfuite et l\u2019autre mort aupr\u00e8s de son char, furent troubl\u00e9s jusqu\u2019au \nfond de leurs c\u0153urs.\nMais Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, saisissant le furieux Ar\u00e8s par la main, \nlui parla ainsi :\n\u2013 Ar\u00e8s, Ar\u00e8s, fl\u00e9au des hommes, tout sanglant, et qui renverses \nles murailles, ne laisserons-nous point combattre les t roiens et \nles Akhaiens ? Que le p\u00e8re Zeus accorde la gloire \u00e0 qui il voudra. \nRetirons-nous et \u00e9vitons la col\u00e8re de Zeus.\nAyant ainsi parl\u00e9, elle conduisit le furieux Ar\u00e8s hors du combat \net le fit asseoir sur la haute rive du Skamandros. Et les Danaens \nrepouss\u00e8rent les troiens. Chacun des chefs tua un guerrier. Et, le \npremier, le roi Agamemn\u00f4n pr\u00e9cipita de son char le grand Odios, \nchef des Aliz\u00f4nes. Comme celui-ci fuyait, il lui enfon\u00e7a sa pique \ndans le dos, entre les \u00e9paules, et elle traversa la poitrine, et les \narmes d\u2019Odios r\u00e9sonn\u00e8rent dans sa chute.117\nL \u2019ILIADEEt Idom\u00e9neus tua Phaistos, fils du Mai\u00f4nien B\u00f4ros, qui \u00e9tait venu \nde la fertile t arn\u00e8, l\u2019illustre Idom\u00e9neus le per\u00e7a \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite, \nde sa longue pique, comme il montait sur son char. Et il tomba, \net une ombre affreuse l\u2019enveloppa, et les serviteurs d\u2019Idom\u00e9neus \nle d\u00e9pouill\u00e8rent.\nEt l\u2019Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos tua de sa pique aigu\u00eb Skamandrios habile \n\u00e0 la chasse, fils de Strophios. C\u2019\u00e9tait un excellent chasseur qu\u2019Ar -\nt\u00e9mis avait instruit elle-m\u00eame \u00e0 percer les b\u00eates fauves, et qu\u2019elle \navait nourri dans les bois, sur les montagnes.\nMais ni son habilet\u00e9 \u00e0 lancer les traits, ni Art\u00e9mis qui se r\u00e9jouit \nde ses fl\u00e8ches, ne lui servirent. Comme il fuyait, l\u2019illustre Atr\u00e9ide \nM\u00e9n\u00e9laos le per\u00e7a de sa pique dans le dos, entre les deux \n\u00e9paules, et lui traversa la poitrine. Et il tomba sur la face, et ses \narmes r\u00e9sonn\u00e8rent.\nEt M\u00e8rion\u00e8s tua Ph\u00e9r\u00e9klos, fils du charpentier Harm\u00f4n, qui fabri -\nquait adroitement toute chose de ses mains et que Pallas Ath\u00e8n\u00e8 \naimait beaucoup. Et c\u2019\u00e9tait lui qui avait construit pour Alexandros \nces nefs \u00e9gales qui devaient causer tant de maux aux t roiens et \u00e0 \nlui-m\u00eame ; car il ignorait les oracles des dieux. Et M\u00e8rion\u00e8s, pour -\nsuivant Ph\u00e9r\u00e9klos, le frappa \u00e0 la fesse droite, et la pointe p\u00e9n\u00e9tra 118CHAnt 5\ndans l\u2019os jusque dans la vessie. Et il tomba en g\u00e9missant, et la \nmort l\u2019enveloppa.\nEt M\u00e9g\u00e8s tua P\u00e8daios, fils ill\u00e9gitime d\u2019Ant\u00e8n\u00f4r, mais que la divine \nth\u00e9an\u00f4 avait nourri avec soin au milieu de ses enfants bien-aim\u00e9s, \nafin de plaire \u00e0 son mari. Et l\u2019illustre Phyl\u00e9ide, s\u2019approchant de lui, \nle frappa de sa pique aigu\u00eb derri\u00e8re la t\u00eate. Et l\u2019airain, \u00e0 travers les \ndents, coupa la langue, et il tomba dans la poussi\u00e8re en serrant de \nses dents le froid airain.\nEt l\u2019\u00c9vaimonide Eurypylos tua le divin Hyps\u00e8n\u00f4r, fils du magna -\nnime Dolopi\u00f4n, sacrificateur du Skamandros, et que le peuple \nhonorait comme un dieu. Et l\u2019illustre fils d\u2019\u00c9vaim\u00f4n, Eurypylos, \nse ruant sur lui, comme il fuyait, le frappa de l\u2019\u00e9p\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9paule et \nlui coupa le bras, qui tomba sanglant et lourd.\nEt la mort pourpr\u00e9e et la Moire violente emplirent ses yeux.\ntandis qu\u2019ils combattaient ainsi dans la rude m\u00eal\u00e9e, nul n\u2019au -\nrait pu reconna\u00eetre si le t yd\u00e9ide \u00e9tait du c\u00f4t\u00e9 des t roiens ou du \nc\u00f4t\u00e9 des Akhaiens. Il courait \u00e0 travers la plaine, semblable \u00e0 un \nfleuve furieux et d\u00e9bord\u00e9 qui roule imp\u00e9tueusement et renverse \nles ponts. n i les digues ne l\u2019arr\u00eatent, ni les enclos des vergers ver -\ndoyants, car la pluie de Zeus abonde, et les beaux travaux des 119\nL \u2019ILIADEjeunes hommes sont d\u00e9truits. Ainsi les \u00e9paisses phalanges des \ntroiens se dissipaient devant le t yd\u00e9ide, et leur multitude ne pou -\nvait soutenir son choc.\nEt l\u2019illustre fils de Lyka\u00f4n, l\u2019ayant aper\u00e7u se ruant par la plaine \net dispersant les phalanges, tendit aussit\u00f4t contre lui son arc \nrecourb\u00e9, et, comme il s\u2019\u00e9lan\u00e7ait, le frappa \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite, au \nd\u00e9faut de la cuirasse. Et la fl\u00e8che acerbe vola en sifflant et s\u2019en -\nfon\u00e7a, et la cuirasse ruissela de sang. Et l\u2019illustre fils de Lyka\u00f4n \ns\u2019\u00e9cria d\u2019une voix haute :\n\u2013 Courage, t roiens, cavaliers magnanimes ! Le plus brave des \nAkhaiens est bless\u00e9, et je ne pense pas qu\u2019il supporte longtemps \nma fl\u00e8che violente, s\u2019il est vrai que le roi, fils de Zeus, m\u2019ait pouss\u00e9 \n\u00e0 quitter la Lyki\u00e8.\nIl parla ainsi orgueilleusement, mais la fl\u00e8che rapide n\u2019avait point \ntu\u00e9 le t yd\u00e9ide, qui, reculant, s\u2019arr\u00eata devant ses chevaux et son \nchar, et dit \u00e0 Sth\u00e9n\u00e9los, fils de Kapaneus :\n\u2013 H\u00e2te-toi, ami Kapan\u00e9ide ! Descends du char et retire cette \nfl\u00e8che am\u00e8re.120CHAnt 5\nIl parla ainsi, et Sth\u00e9n\u00e9los, sautant \u00e0 bas du char, arracha de l\u2019\u00e9paule \nla fl\u00e8che rapide. Et le sang jaillit sur la tunique, et Diom\u00e8d\u00e8s hardi \nau combat pria ainsi :\n\u2013 Entends-moi, fille indompt\u00e9e de Zeus temp\u00e9tueux ! Si jamais \ntu nous as prot\u00e9g\u00e9s, mon p\u00e8re et moi, dans la guerre cruelle, \nAth\u00e8n\u00e8 ! secours-moi de nouveau. Accorde-moi de tuer ce guer -\nrier. Am\u00e8ne-le au-devant de ma pique imp\u00e9tueuse, lui qui m\u2019a \nbless\u00e9 le premier, et qui s\u2019en glorifie, et qui pense que je ne verrai \npas longtemps encore la splendide lumi\u00e8re de H\u00e9lios.\nIl parla ainsi en priant, et Pallas Ath\u00e8n\u00e8 l\u2019exau\u00e7a. Elle rendit tous \nses membres, et ses pieds et ses mains plus agiles ; et s\u2019approchant, \nelle lui dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Reprends courage, \u00f4 Diom\u00e8d\u00e8s, et combats contre les t roiens, \ncar j\u2019ai mis dans ta poitrine l\u2019intr\u00e9pide vigueur que poss\u00e9dait le \nporte-bouclier, le cavalier t ydeus. Et j\u2019ai dissip\u00e9 le nuage qui \u00e9tait \nsur tes yeux, afin que tu reconnaisses les dieux et les hommes. \nSi un immortel venait te tenter, ne lutte point contre les dieux \nimmortels ; mais si Aphrodit\u00e8, la fille de Zeus, descendait dans la \nm\u00eal\u00e9e, frappe-la de l\u2019airain aigu.121\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs s\u2019\u00e9loigna, et le t yd\u00e9ide \nretourna \u00e0 la charge, m\u00eal\u00e9 aux premiers rangs. Et, nagu\u00e8re, il \u00e9tait, \ncertes, plein d\u2019ardeur pour combattre les t roiens, mais son cou -\nrage est maintenant trois fois plus grand. Il est comme un lion qui, \ndans un champ o\u00f9 paissaient des brebis laineuses, au moment o\u00f9 \nil sautait vers l\u2019\u00e9table, a \u00e9t\u00e9 bless\u00e9 par un p\u00e2tre, et non tu\u00e9. Cette \nblessure accro\u00eet ses forces. Il entre dans l\u2019\u00e9table et disperse les \nbrebis, qu\u2019on n\u2019ose plus d\u00e9fendre. Et celles-ci gisent \u00e9gorg\u00e9es, les \nunes sur les autres ; et le lion bondit hors de l\u2019enclos. Ainsi le brave \nDiom\u00e8d\u00e8s se rua sur les t roiens.\nAlors, il tua Astynoos et Hypeir\u00f4n, princes des peuples. Et il \nper\u00e7a l\u2019un, de sa pique d\u2019airain, au-dessus de la mamelle ; et, de \nsa grande \u00e9p\u00e9e, il brisa la clavicule de l\u2019autre et s\u00e9para la t\u00eate de \nl\u2019\u00e9paule et du dos. Puis, les abandonnant, il se jeta sur Abas et \nPolyeidos, fils du vieux Eurydamas, interpr\u00e8te des songes. Mais \nle vieillard ne les avait point consult\u00e9s au d\u00e9part de ses enfants. Et \nle brave Diom\u00e8d\u00e8s les tua.\nEt il se jeta sur Xanthos et t ho\u00f4n, fils tardifs de Phainopos, qui \nles avait eus dans sa triste vieillesse, et qui n\u2019avait point engen -\ndr\u00e9 d\u2019autres enfants \u00e0 qui il p\u00fbt laisser ses biens. Et le t yd\u00e9ide les \ntua, leur arrachant l\u2019\u00e2me et ne laissant que le deuil et les tristes 122CHAnt 5\ndouleurs \u00e0 leur p\u00e8re, qui ne devait point les revoir vivants au \nretour du combat, et dont l\u2019h\u00e9ritage serait partag\u00e9 selon la loi.\nEt Diom\u00e8d\u00e8s saisit deux fils du Dardanide Priamos, mont\u00e9s sur \nun m\u00eame char, Ekh\u00e9m\u00f4n et Khromios. Comme un lion, bondis -\nsant sur des b\u0153ufs, brise le cou d\u2019une g\u00e9nisse ou d\u2019un taureau \npaissant dans les bois, ainsi le fils de t ydeus, les renversant tous \ndeux de leur char, les d\u00e9pouilla de leurs armes et remit leurs che -\nvaux \u00e0 ses compagnons pour \u00eatre conduits aux nefs.\nMais Ain\u00e9ias, le voyant dissiper les lignes des guerriers, s\u2019avan\u00e7a \n\u00e0 travers la m\u00eal\u00e9e et le bruissement des piques, cherchant de tous \nc\u00f4t\u00e9s le divin Pandaros. Et il rencontra le brave et irr\u00e9prochable \nfils de Lyka\u00f4n, et, s\u2019approchant, il lui dit :\n\u2013 Pandaros ! o\u00f9 sont ton arc et tes fl\u00e8ches ? Et ta gloire, quel guer -\nrier pourrait te la disputer ? Qui pourrait, en Lyki\u00e8, se glorifier de \nl\u2019emporter sur toi ? Allons, tends les mains vers Zeus et envoie \nune fl\u00e8che \u00e0 ce guerrier. Je ne sais qui il est, mais il triomphe et il \na d\u00e9j\u00e0 inflig\u00e9 de grands maux aux t roiens. D\u00e9j\u00e0 il a fait ployer les \ngenoux d\u2019une multitude de braves. Peut-\u00eatre est-ce un dieu irrit\u00e9 \ncontre les t roiens \u00e0 cause de sacrifices n\u00e9glig\u00e9s. Et la col\u00e8re d\u2019un \ndieu est lourde.123\nL \u2019ILIADEEt l\u2019illustre fils de Lyka\u00f4n lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ain\u00e9ias, conseiller des troiens rev\u00eatus d\u2019airain, je crois que \nce guerrier est le t yd\u00e9ide. Je le reconnais \u00e0 son bouclier, \u00e0 son \ncasque aux trois c\u00f4nes et \u00e0 ses chevaux.\nCependant, je ne sais si ce n\u2019est point un dieu. Si ce guerrier est le \nbrave fils de t ydeus, comme je l\u2019ai dit, certes, il n\u2019est point ainsi \nfurieux sans l\u2019appui d\u2019un dieu. Sans doute, un des immortels, \ncouvert d\u2019une nu\u00e9e, se tient aupr\u00e8s de lui et d\u00e9tourne les fl\u00e8ches \nrapides. D\u00e9j\u00e0 je l\u2019ai frapp\u00e9 d\u2019un trait \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite, au d\u00e9faut de \nla cuirasse. J\u2019\u00e9tais certain de l\u2019avoir envoy\u00e9 chez Aid\u00e8s, et voici que \nje ne l\u2019ai point tu\u00e9. Sans doute quelque dieu est irrit\u00e9 contre nous. \nni mes chevaux ni mon char ne sont ici. J\u2019ai, dans les demeures de \nLyka\u00f4n, onze beaux chars tout neufs, couverts de larges draperies. \nAupr\u00e8s de chacun d\u2019eux sont deux chevaux qui paissent l\u2019orge et \nl\u2019avoine. Certes, le belliqueux vieillard Lyka\u00f4n, quand je partis de \nmes belles demeures, me donna de nombreux conseils. Il m\u2019or -\ndonna, mont\u00e9 sur mon char et tra\u00een\u00e9 par mes chevaux, de devan -\ncer tous les t roiens dans les m\u00e2les combats. J\u2019aurais mieux fait \nd\u2019ob\u00e9ir ; mais je ne le voulus point, d\u00e9sirant \u00e9pargner mes che -\nvaux accoutum\u00e9s \u00e0 manger abondamment, et de peur qu\u2019ils man -\nquassent de nourriture au milieu de guerriers assi\u00e9g\u00e9s. Je les lais -\nsai, et vins \u00e0 pied vers Ilios, certain de mon arc, dont je ne devais 124CHAnt 5\npas me glorifier cependant. D\u00e9j\u00e0, je l\u2019ai tendu contre deux chefs, \nl\u2019Atr\u00e9ide et le t yd\u00e9ide, et je les ai bless\u00e9s, et j\u2019ai fait couler leur \nsang, et je n\u2019ai fait que les irriter. Certes, ce fut par une mauvaise \ndestin\u00e9e que je d\u00e9tachais du mur cet arc recourb\u00e9, le jour funeste \no\u00f9 je vins, dans la riante Ilios, commander aux t roiens, pour \nplaire au divin Hekt\u00f4r. Si je retourne jamais, et si je revois de mes \nyeux ma patrie et ma femme et ma haute demeure, qu\u2019aussit\u00f4t un \nennemi me coupe la t\u00eate, si je ne jette, bris\u00e9 de mes mains, dans le \nfeu \u00e9clatant, cet arc qui m\u2019aura \u00e9t\u00e9 un compagnon inutile !\nEt le chef des t roiens, Ain\u00e9ias, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ne parle point tant. Rien ne changera si nous ne poussons \u00e0 cet \nhomme, sur notre char et nos chevaux, et couverts de nos armes. \ntiens ! monte sur mon char, et vois quels sont les chevaux de \ntr\u00f4s, habiles \u00e0 poursuivre ou \u00e0 fuir rapidement dans la plaine. Ils \nnous ram\u00e8neront saufs dans la ville, si Zeus donne la victoire au \ntyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s. Viens ! saisis le fouet et les belles r\u00eanes, et je \ndescendrai pour combattre ; ou combats toi-m\u00eame, et je guide -\nrai les chevaux.125\nL \u2019ILIADEEt l\u2019illustre fils de Lyka\u00f4n lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ain\u00e9ias, charge-toi des r\u00eanes et des chevaux. Ils tra\u00eeneront \nmieux le char sous le conducteur accoutum\u00e9, si nous prenions la \nfuite devant le fils de t ydeus. Peut-\u00eatre, pleins de terreur, reste -\nraient-ils inertes et ne voudraient-ils plus nous emporter hors du \ncombat, n\u2019entendant plus ta voix.\nAyant ainsi parl\u00e9, ils mont\u00e8rent sur le char brillant et pouss\u00e8rent \nles chevaux rapides contre le t yd\u00e9ide. Et l\u2019illustre fils de Kapaneus, \nSth\u00e9n\u00e9los, les vit ; et aussit\u00f4t il dit au t yd\u00e9ide ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 tyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s, le plus cher \u00e0 mon \u00e2me, je vois deux braves \nguerriers qui se pr\u00e9parent \u00e0 te combattre. t ous deux sont pleins \nde force. L \u2019un est l\u2019habile archer Pandaros, qui se glorifie d\u2019\u00eatre le \nfils de Lyka\u00f4n.\nL \u2019autre est Ain\u00e9ias, qui se glorifie d\u2019\u00eatre le fils du magnanime \nAnkhis\u00e8s, et qui a pour m\u00e8re Aphrodit\u00e8 elle-m\u00eame. Reculons \ndonc, et ne te jette point en avant, si tu ne veux perdre ta ch\u00e8re \u00e2me.126CHAnt 5\nEt le brave Diom\u00e8d\u00e8s, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ne parle point de fuir, car je ne pense point que tu me persuades. \nCe n\u2019est point la coutume de ma race de fuir et de trembler. Je pos -\ns\u00e8de encore toutes mes forces. J\u2019irai au-devant de ces guerriers. \nPallas Ath\u00e8n\u00e8 ne me permet point de craindre. Leurs chevaux \nrapides ne nous les arracheront point tous deux, si, du moins, un \nseul en r\u00e9chappe. Mais je te le dis, et souviens-toi de mes paroles : \nsi la sage Ath\u00e8n\u00e8 me donnait la gloire de les tuer tous deux, arr\u00eate \nnos chevaux rapides, attache les r\u00eanes au char, cours aux chevaux \nd\u2019Ain\u00e9ias et pousse-les parmi les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides. \nIls sont de la race de ceux que le pr\u00e9voyant Zeus donna \u00e0 tr\u00f4s \nen \u00e9change de son fils Ganym\u00e8d\u00e8s, et ce sont les meilleurs che -\nvaux qui soient sous \u00c9\u00f4s et H\u00e9lios. Le roi des hommes, Ankhis\u00e8s, \n\u00e0 l\u2019insu de Laom\u00e9d\u00f4n, fit saillir des cavales par ces \u00e9talons, et il en \neut six rejetons. Il en retient quatre qu\u2019il nourrit \u00e0 la cr\u00e8che, et il \na donn\u00e9 ces deux-ci, rapides \u00e0 la fuite, \u00e0 Ain\u00e9ias. Si nous les enle -\nvons, nous remporterons une grande gloire.127\nL \u2019ILIADEPendant qu\u2019ils se parlaient ainsi, les deux troiens poussaient \nvers eux leurs chevaux rapides, et le premier, l\u2019illustre fils de \nLyka\u00f4n, s\u2019\u00e9cria :\n\u2013 tr\u00e8s brave et tr\u00e8s excellent guerrier, fils de l\u2019illustre t ydeus, mon \ntrait rapide, ma fl\u00e8che am\u00e8re, ne t\u2019a point tu\u00e9 ; mais je vais tenter \nde te percer de ma pique.\nIl parla, et, lan\u00e7ant sa longue pique, frappa le bouclier du t yd\u00e9ide. \nLa pointe d\u2019airain siffla et s\u2019enfon\u00e7a dans la cuirasse, et l\u2019illustre \nfils de Lyka\u00f4n cria \u00e0 voix haute :\n\u2013 tu es bless\u00e9 dans le ventre ! Je ne pense point que tu survives \nlongtemps, et tu vas me donner une grande gloire.\nEt le brave Diom\u00e8d\u00e8s lui r\u00e9pondit avec calme :\n\u2013 tu m\u2019as manqu\u00e9, loin de m\u2019atteindre ; mais je ne pense pas que \nvous vous reposiez avant qu\u2019un de vous, au moins, ne tombe et ne \nrassasie de son sang Ar\u00e8s, l\u2019audacieux combattant.\nIl parla ainsi, et lan\u00e7a sa pique. Et Ath\u00e8n\u00e8 la dirigea au-dessus \ndu nez, aupr\u00e8s de l\u2019\u0153il, et l\u2019airain indompt\u00e9 traversa les blanches \ndents, coupa l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la langue et sortit sous le menton. Et 128CHAnt 5\nPandaros tomba du char, et ses armes brillantes, aux couleurs \nvari\u00e9es, r\u00e9sonn\u00e8rent sur lui, et les chevaux aux pieds rapides fr\u00e9 -\nmirent, et la vie et les forces de l\u2019homme furent bris\u00e9es.\nAlors Ain\u00e9ias s\u2019\u00e9lan\u00e7a avec son bouclier et sa longue pique, de \npeur que les Akhaiens n\u2019enlevassent le cadavre.\nEt, tout autour, il allait comme un lion confiant dans ses forces, \nbrandissant sa pique et son bouclier bomb\u00e9, pr\u00eat \u00e0 tuer celui qui \noserait approcher, et criant horriblement. Mais le t yd\u00e9ide saisit \nde sa main un lourd rocher que deux hommes, de ceux qui vivent \naujourd\u2019hui, ne pourraient soulever. Seul, il le remua facilement. \nEt il en frappa Ain\u00e9ias \u00e0 la cuisse, l\u00e0 o\u00f9 le f\u00e9mur tourne dans le \ncotyle. Et la pierre rugueuse heurta le cotyle, rompit les deux \nmuscles sup\u00e9rieurs et d\u00e9chira la peau. Le h\u00e9ros, tombant sur les \ngenoux, s\u2019appuya d\u2019une main lourde sur la terre, et une nuit noire \ncouvrit ses yeux. Et le roi des hommes, Ain\u00e9ias, e\u00fbt sans doute \np\u00e9ri, si la fille de Zeus, Aphrodit\u00e8, ne l\u2019e\u00fbt aper\u00e7u : car elle \u00e9tait \nsa m\u00e8re, l\u2019ayant con\u00e7u d\u2019Ankhis\u00e8s, comme il paissait ses b\u0153ufs. \nElle jeta ses bras blancs autour de son fils bien-aim\u00e9 et l\u2019enve -\nloppa des plis de son p\u00e9plos \u00e9clatant, afin de le garantir des traits, \net de peur qu\u2019un des guerriers Danaens enfon\u00e7\u00e2t l\u2019airain dans sa \npoitrine et lui arrach\u00e2t l\u2019\u00e2me. Et elle enleva hors de la m\u00eal\u00e9e son \nfils bien-aim\u00e9.129\nL \u2019ILIADEMais le fils de Kapaneus n\u2019oublia point l\u2019ordre que lui avait donn\u00e9 \nDiom\u00e8d\u00e8s hardi au combat. Il arr\u00eata brusquement les chevaux \naux sabots massifs, en attachant au char les r\u00eanes tendues ; et, se \npr\u00e9cipitant vers les chevaux aux longues crini\u00e8res d\u2019Ain\u00e9ias, il les \npoussa du c\u00f4t\u00e9 des Akhaiens aux belles kn\u00e8mides. Et il les remit \n\u00e0 son cher compagnon Deipylos, qu\u2019il honorait au-dessus de tous, \ntant leurs \u00e2mes \u00e9taient d\u2019accord, afin que celui-ci les conduis\u00eet \naux nefs creuses.\nPuis le h\u00e9ros, remontant sur son char, saisit les belles r\u00eanes, et, \ntra\u00een\u00e9 par ses chevaux aux sabots massifs, suivit le t yd\u00e9ide. Et \ncelui-ci, de l\u2019airain meurtrier, pressait ardemment Aphrodit\u00e8, \nsachant que c\u2019\u00e9tait une d\u00e9esse pleine de faiblesse, et qu\u2019elle n\u2019\u00e9tait \npoint de ces divinit\u00e9s qui se m\u00ealent aux luttes des guerriers, \ncomme Ath\u00e8n\u00e8 ou comme \u00c9ny\u00f4, la destructrice des citadelles. \nEt, la poursuivant dans la m\u00eal\u00e9e tumultueuse, le fils du magna -\nnime t ydeus bondit, et de sa pique aigu\u00eb blessa sa main d\u00e9licate. \nEt aussit\u00f4t l\u2019airain per\u00e7a la peau divine \u00e0 travers le p\u00e9plos que \nles Kharites avaient tiss\u00e9 elles-m\u00eames. Et le sang immortel de la \nd\u00e9esse coula, subtil, et tel qu\u2019il sort des dieux heureux. Car ils ne \nmangent point de pain, ils ne boivent point le vin ardent, et c\u2019est \npourquoi ils n\u2019ont point notre sang et sont nomm\u00e9s immortels. \nElle poussa un grand cri et laissa tomber son fils ; mais Phoibos \nApoll\u00f4n le releva de ses mains et l\u2019enveloppa d\u2019une noire nu\u00e9e, de 130CHAnt 5\npeur qu\u2019un des cavaliers Danaens enfon\u00e7\u00e2t l\u2019airain dans sa poi -\ntrine et lui arrach\u00e2t l\u2019\u00e2me. Et Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat cria \nd\u2019une voix haute \u00e0 la d\u00e9esse :\n\u2013 Fille de Zeus, fuis la guerre et le combat. n e te suffit-il pas de \ntromper de faibles femmes ? Si tu retournes jamais au combat, \ncertes, je pense que la guerre et son nom seul te feront trem -\nbler d\u00e9sormais.\nIl parla ainsi, et Aphrodit\u00e8 s\u2019envola, pleine d\u2019affliction et g\u00e9mis -\nsant profond\u00e9ment. Iris aux pieds rapides la conduisit hors de la \nm\u00eal\u00e9e, accabl\u00e9e de douleurs, et son beau corps \u00e9tait devenu noir.\nEt elle rencontra l\u2019imp\u00e9tueux Ar\u00e8s assis \u00e0 la gauche de la bataille. \nSa pique et ses chevaux rapides \u00e9taient couverts d\u2019une nu\u00e9e. Et \nAphrodit\u00e8, tombant \u00e0 genoux, supplia son fr\u00e8re bien-aim\u00e9 de lui \ndonner ses chevaux li\u00e9s par des courroies d\u2019or :\n\u2013 Fr\u00e8re bien-aim\u00e9, secours-moi ! Donne-moi tes chevaux pour \nque j\u2019aille dans l\u2019Olympos, qui est la demeure des immortels. Je \nsouffre cruellement d\u2019une blessure que m\u2019a faite le guerrier mor -\ntel t yd\u00e9ide, qui combattrait maintenant le p\u00e8re Zeus lui-m\u00eame.131\nL \u2019ILIADEElle parla ainsi, et Ar\u00e8s lui donna ses chevaux aux aigrettes dor\u00e9es. \nEt, g\u00e9missant dans sa ch\u00e8re \u00e2me, elle monta sur le char. Iris monta \naupr\u00e8s d\u2019elle, prit les r\u00eanes en mains et frappa les chevaux du fouet, \net ceux-ci s\u2019envol\u00e8rent et atteignirent aussit\u00f4t le haut Olympos, \ndemeure des dieux. Et la rapide Iris arr\u00eata les chevaux aux pieds \nprompts comme le vent, et, sautant du char, leur donna leur nour -\nriture immortelle. Et la divine Aphrodit\u00e8 tomba aux genoux de \nDi\u00f4n\u00e8 sa m\u00e8re ; et celle-ci, entourant sa fille de ses bras, la caressa \net lui dit :\n\u2013 Quel Ouranien, ch\u00e8re fille, t\u2019a ainsi trait\u00e9e, comme si tu avais \nouvertement commis une action mauvaise ?\nEt Aphrodit\u00e8 qui aime les sourires lui r\u00e9pondit :\n\u2013 L \u2019audacieux Diom\u00e8d\u00e8s, fils de t ydeus, m\u2019a bless\u00e9e, parce que \nj\u2019emportais hors de la m\u00eal\u00e9e mon fils bien-aim\u00e9 Ain\u00e9ias, qui m\u2019est \nle plus cher de tous les hommes. La bataille furieuse n\u2019est plus \nseulement entre les t roiens et les Akhaiens, mais les Danaens \ncombattent d\u00e9j\u00e0 contre les immortels.132CHAnt 5\nEt l\u2019illustre d\u00e9esse Di\u00f4n\u00e8 lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Subis et endure ton mal, ma fille, bien que tu sois afflig\u00e9e. D\u00e9j\u00e0 \nplusieurs habitants des demeures ouraniennes, par leurs dis -\ncordes mutuelles, ont beaucoup souffert de la part des hommes. \nAr\u00e8s a subi de grands maux quand Otos et le robuste \u00c9phialt\u00e8s, fils \nd\u2019Alo\u00e8, le li\u00e8rent de fortes cha\u00eenes. Il resta treize mois encha\u00een\u00e9 \ndans une prison d\u2019airain. Et peut-\u00eatre qu\u2019Ar\u00e8s, insatiable de com -\nbats, e\u00fbt p\u00e9ri, si la belle \u00c9riboia, leur mar\u00e2tre, n\u2019e\u00fbt averti Herm\u00e9ias, \nqui d\u00e9livra furtivement Ar\u00e8s respirant \u00e0 peine, tant les lourdes \ncha\u00eenes l\u2019avaient dompt\u00e9. H\u00e8r\u00e8 souffrit aussi quand le vigoureux \nAmphitryonade la blessa \u00e0 la mamelle droite d\u2019une fl\u00e8che \u00e0 trois \npointes, et une irr\u00e9m\u00e9diable douleur la saisit. Et le grand Aid\u00e8s \nsouffrit entre tous quand le m\u00eame homme, fils de Zeus temp\u00e9 -\ntueux, le blessa, sur le seuil du Had\u00e8s, au milieu des morts, d\u2019une \nfl\u00e8che rapide, et l\u2019accabla de douleurs. Et il vint dans la demeure \nde Zeus, dans le grand Olympos, plein de maux et g\u00e9missant dans \nson c\u0153ur, car la fl\u00e8che \u00e9tait fix\u00e9e dans sa large \u00e9paule et torturait \nson \u00e2me. Et Pai\u00e8\u00f4n, r\u00e9pandant de doux baumes sur la plaie, gu\u00e9 -\nrit Aid\u00e8s, car il n\u2019\u00e9tait point mortel comme un homme.\nEt tel \u00e9tait H\u00e8rakl\u00e8s, impie, irr\u00e9sistible, se souciant peu de com -\nmettre des actions mauvaises et frappant de ses fl\u00e8ches les dieux \nqui habitent l\u2019Olympos. C\u2019est la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs 133\nL \u2019ILIADEqui a excit\u00e9 un insens\u00e9 contre toi. Et le fils de t ydeus ne sait pas, \ndans son \u00e2me, qu\u2019il ne vit pas longtemps celui qui lutte contre les \nimmortels. Ses enfants, assis sur ses genoux, ne le nomment point \nleur p\u00e8re au retour de la guerre et de la rude bataille. Maintenant, \nque le t yd\u00e9ide craigne, malgr\u00e9 sa force, qu\u2019un plus redoutable \nque toi ne le combatte. Qu\u2019il craigne que la sage fille d\u2019Adr\u00e8st\u00e8s, \nAigial\u00e9ia, la noble femme du dompteur de chevaux Diom\u00e8d\u00e8s, \ng\u00e9misse bient\u00f4t en s\u2019\u00e9veillant et en troublant ses serviteurs, parce \nqu\u2019elle pleurera son premier mari, le plus brave des Akhaiens !\nElle parla ainsi, et, de ses deux mains, \u00e9tancha la plaie, et celle-ci \nfut gu\u00e9rie, et les am\u00e8res douleurs furent calm\u00e9es.\nMais H\u00e8r\u00e8 et Ath\u00e8n\u00e8, qui les regardaient, tent\u00e8rent d\u2019irriter le \nKronide Zeus par des paroles mordantes. Et la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux \nyeux clairs parla ainsi la premi\u00e8re :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, peut-\u00eatre seras-tu irrit\u00e9 de ce que je vais dire ; mais \nvoici qu\u2019Aphrodit\u00e8, en cherchant \u00e0 mener quelque femme \nAkhaienne au milieu des t roiens qu\u2019elle aime tendrement, en s\u2019ef -\nfor\u00e7ant de s\u00e9duire par ses caresses une des Akhaiennes au beau \np\u00e9plos, a d\u00e9chir\u00e9 sa main d\u00e9licate \u00e0 une agrafe d\u2019or.134CHAnt 5\nElle parla ainsi, et le p\u00e8re des hommes et des dieux sourit, et, \nappelant Aphrodit\u00e8 d\u2019or, il lui dit :\n\u2013 Ma fille, les travaux de la guerre ne te sont point confi\u00e9s, mais \n\u00e0 l\u2019imp\u00e9tueux Ar\u00e8s et \u00e0 Ath\u00e8n\u00e8. n e songe qu\u2019aux douces joies \ndes Hym\u00e9n\u00e9es.\nEt ils parlaient ainsi entre eux. Et Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat se \nruait toujours sur Ain\u00e9ias, bien qu\u2019il s\u00fbt qu\u2019Apoll\u00f4n le couvrait \ndes deux mains. Mais il ne respectait m\u00eame plus un grand dieu, \nd\u00e9sirant tuer Ain\u00e9ias et le d\u00e9pouiller de ses armes illustres. Et \ntrois fois il se rua, d\u00e9sirant le tuer, et trois fois Apoll\u00f4n repoussa \nson bouclier \u00e9clatant. Mais, quand il bondit une quatri\u00e8me fois, \nsemblable \u00e0 un dieu, Apoll\u00f4n lui dit d\u2019une voix terrible :\n\u2013 Prends garde, t yd\u00e9ide, et ne t\u2019\u00e9gale point aux dieux, car la race \ndes dieux immortels n\u2019est point semblable \u00e0 celle des hommes qui \nmarchent sur la terre.\nIl parla ainsi, et le t yd\u00e9ide recula un peu, de peur d\u2019exciter la \ncol\u00e8re de l\u2019archer Apoll\u00f4n. Et celui-ci d\u00e9posa Ain\u00e9ias loin de la \nm\u00eal\u00e9e, dans la sainte Pergamos, o\u00f9 \u00e9tait b\u00e2ti son temple. Et L\u00e8t\u00f4 \net Art\u00e9mis qui se r\u00e9jouit de ses fl\u00e8ches prirent soin de ce guer -\nrier et l\u2019honor\u00e8rent dans le vaste sanctuaire. Et Apoll\u00f4n \u00e0 l\u2019arc 135\nL \u2019ILIADEd\u2019argent suscita une image vaine semblable \u00e0 Ain\u00e9ias et por -\ntant des armes pareilles. Et autour de cette image les t roiens et \nles divins Akhaiens se frappaient sur les peaux de b\u0153uf qui cou -\nvraient leurs poitrines, sur les boucliers bomb\u00e9s et sur les cui -\nrasses l\u00e9g\u00e8res.\nAlors, le roi Phoibos Apoll\u00f4n dit \u00e0 l\u2019imp\u00e9tueux Ar\u00e8s :\n\u2013 Ar\u00e8s, Ar\u00e8s, fl\u00e9au des hommes sanglant, et qui renverses les \nmurailles, ne vas-tu pas chasser hors de la m\u00eal\u00e9e ce guerrier, le \ntyd\u00e9ide, qui, certes, combattrait maintenant m\u00eame contre le p\u00e8re \nZeus ? D\u00e9j\u00e0 il a bless\u00e9 la main d\u2019Aphrodit\u00e8, puis il a bondi sur moi, \nsemblable \u00e0 un dieu.\nAyant ainsi parl\u00e9, il retourna s\u2019asseoir sur la haute Pergamos, et \nle cruel Ar\u00e8s, se m\u00ealant aux t roiens, les excita \u00e0 combattre, ayant \npris la forme de l\u2019imp\u00e9tueux Akamas, prince des t hrakiens. Et il \nexhorta les fils de Priamos, nourrissons de Zeus :\n\u2013 \u00d4 fils du roi Priamos, nourris par Zeus, jusqu\u2019\u00e0 quand laisse -\nrez-vous les Akhaiens massacrer votre peuple ? Attendrez-vous \nqu\u2019ils combattent autour de nos portes solides ? Un guerrier est \ntomb\u00e9 que nous honorions autant que le divin Hekt\u00f4r, Ain\u00e9ias, 136CHAnt 5\nfils du magnanime Ankhis\u00e8s. Allons ! Enlevons notre brave com -\npagnon hors de la m\u00eal\u00e9e.\nAyant ainsi parl\u00e9, il excita la force et le courage de chacun. Et \nSarp\u00e8d\u00f4n dit ces dures paroles au divin Hekt\u00f4r :\n\u2013 Hekt\u00f4r, qu\u2019est devenu ton ancien courage ? tu te vantais nagu\u00e8re \nde sauver ta ville, sans l\u2019aide des autres guerriers, seul, avec tes \nfr\u00e8res et tes parents, et je n\u2019en ai gu\u00e8re encore aper\u00e7u aucun, car \nils tremblent tous comme des chiens devant le lion.\nC\u2019est nous, vos alli\u00e9s, qui combattons. Me voici, moi, qui suis venu \nde tr\u00e8s loin pour vous secourir. Elle est \u00e9loign\u00e9e, en effet, la Lyki\u00e8 \no\u00f9 coule le Xanthos plein de tourbillons. J\u2019y ai laiss\u00e9 ma femme \nbien-aim\u00e9e et mon petit enfant, et mes nombreux domaines \nque le pauvre convoite. Et, cependant, j\u2019excite les Lykiens au \ncombat, et je suis pr\u00eat moi-m\u00eame \u00e0 lutter contre les hommes, \nbien que je n\u2019aie rien \u00e0 redouter ou \u00e0 perdre des maux que vous \napportent les Akhaiens, ou des biens qu\u2019ils veulent vous enlever. \nEt tu restes immobile, et tu ne commandes m\u00eame pas \u00e0 tes guer -\nriers de r\u00e9sister et de d\u00e9fendre leurs femmes ! ne crains-tu pas \nqu\u2019envelopp\u00e9s tous comme dans un filet de lin, vous deveniez la \nproie des guerriers ennemis ? Sans doute, les Akhaiens renverse -\nront bient\u00f4t votre ville aux nombreux habitants. C\u2019est \u00e0 toi qu\u2019il 137\nL \u2019ILIADEappartient de songer \u00e0 ces choses, nuit et jour, et de supplier les \nprinces alli\u00e9s, afin qu\u2019ils tiennent fermement et qu\u2019ils cessent \nleurs durs reproches.\nSarp\u00e8d\u00f4n parla ainsi, et il mordit l\u2019\u00e2me de Hekt\u00f4r, et celui-ci \nsauta aussit\u00f4t de son char avec ses armes, et, brandissant deux \nlances aigu\u00ebs, courut de toutes parts \u00e0 travers l\u2019arm\u00e9e, l\u2019excitant \n\u00e0 combattre un rude combat. Et les troiens revinrent \u00e0 la charge \net tinrent t\u00eate aux Akhaiens. Et les Argiens les attendirent de \npied ferme.\nAinsi que, dans les aires sacr\u00e9es, \u00e0 l\u2019aide des vanneurs et du vent, \nla blonde D\u00e8m\u00e8t\u00e8r s\u00e9pare le bon grain de la paille, et que celle-ci, \namoncel\u00e9e, est couverte d\u2019une poudre blanche, de m\u00eame les \nAkhaiens \u00e9taient envelopp\u00e9s d\u2019une poussi\u00e8re blanche qui montait \ndu milieu d\u2019eux vers l\u2019Ouranos, et que soulevaient les pieds des \nchevaux frappant la terre, tandis que les guerriers se m\u00ealaient de \nnouveau et que les conducteurs de chars les ramenaient au com -\nbat. Et le furieux Ar\u00e8s, couvert d\u2019une nu\u00e9e, allait de toutes parts, \nexcitant les t roiens. Et il ob\u00e9issait ainsi aux ordres que lui avait \ndonn\u00e9s Phoibos Apoll\u00f4n qui porte une \u00e9p\u00e9e d\u2019or, quand celui-ci \navait vu partir Ath\u00e8n\u00e8, protectrice des Danaens.138CHAnt 5\nEt l\u2019archer Apoll\u00f4n fit sortir Ain\u00e9ias du sanctuaire et remplit de \nvigueur la poitrine du prince des peuples. Et ce dernier reparut au \nmilieu de ses compagnons, pleins de joie de le voir vivant, sain et \nsauf et poss\u00e9dant toutes ses forces. Mais ils ne lui dirent rien, car \nles travaux que leur pr\u00e9paraient Ar\u00e8s, fl\u00e9au des hommes, Apoll\u00f4n \net \u00c9ris, ne leur permirent point de l\u2019interroger.\nEt les deux Aias, Odysseus et Diom\u00e8d\u00e8s exhortaient les Danaens \nau combat ; et ceux-ci, sans craindre les forces et l\u2019imp\u00e9tuosit\u00e9 des \ntroiens, les attendaient de pied ferme, semblables \u00e0 ces nu\u00e9es que \nle Kroni\u00f4n arr\u00eate \u00e0 la cime des montagnes, quand le Bor\u00e9as et les \nautres vents violents se sont calm\u00e9s, eux dont le souffle disperse \nles nuages \u00e9pais et immobiles.\nAinsi les Danaens attendaient les t roiens de pied ferme. Et \nl\u2019Atr\u00e9ide, courant \u00e7\u00e0 et l\u00e0 au milieu d\u2019eux, les excitait ainsi :\n\u2013 Amis, soyez des hommes ! ruez-vous, d\u2019un c\u0153ur ferme, dans la \nrude bataille. Ce sont les plus braves qui \u00e9chappent en plus grand \nnombre \u00e0 la mort ; mais ceux qui fuient n\u2019ont ni force ni gloire.\nIl parla, et, lan\u00e7ant sa longue pique, il per\u00e7a, au premier rang, le \nguerrier D\u00e8iko\u00f4n Pergaside, compagnon du magnanime Ain\u00e9ias, \net que les t roiens honoraient autant que les fils de Priamos, 139\nL \u2019ILIADEparce qu\u2019il \u00e9tait toujours parmi les premiers au combat. Et le roi \nAgamemn\u00f4n le frappa de sa pique dans le bouclier qui n\u2019arr\u00eata \npoint le coup, car la pique le traversa et entra dans le ventre en \nd\u00e9chirant le ceinturon. Et il tomba avec bruit, et ses armes r\u00e9son -\nn\u00e8rent sur son corps.\nAlors, Ain\u00e9ias tua deux braves guerriers Danaens, fils de Diokl\u00e8s, \nKr\u00e8th\u00f4n et Orsilokhos. Et leur p\u00e8re habitait Ph\u00e8r\u00e8 bien b\u00e2tie, et \nil \u00e9tait riche, et il descendait du fleuve Alph\u00e9ios qui coule lar -\ngement sur la terre des Pyliens. Et l\u2019Alph\u00e9ios avait engendr\u00e9 \nOrsilokhos, chef de nombreux guerriers ; et Orsilokhos avait \nengendr\u00e9 le magnanime Diokl\u00e8s, et de Diokl\u00e8s \u00e9taient n\u00e9s deux \nfils jumeaux, Kr\u00e8th\u00f4n et Orsilokhos, habiles \u00e0 tous les combats. \ntout jeunes encore, ils vinrent sur leurs nefs noires vers Ilios aux \nbons chevaux, ayant suivi les Argiens pour la cause et l\u2019honneur \ndes Atr\u00e9ides, Agamemn\u00f4n et M\u00e9n\u00e9laos, et c\u2019est l\u00e0 que la mort \nles atteignit.\nComme deux jeunes lions nourris par leur m\u00e8re sur le sommet \ndes montagnes, au fond des \u00e9paisses for\u00eats, et qui enl\u00e8vent les \nb\u0153ufs et les brebis, et qui d\u00e9vastent les \u00e9tables jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019ils \nsoient tu\u00e9s de l\u2019airain aigu par les mains des p\u00e2tres, tels ils tom -\nb\u00e8rent tous deux, frapp\u00e9s par les mains d\u2019Ain\u00e9ias, pareils \u00e0 des \npins \u00e9lev\u00e9s.140CHAnt 5\nEt M\u00e9n\u00e9laos, hardi au combat, eut piti\u00e9 de leur chute, et il s\u2019avan\u00e7a \nau premier rang, v\u00eatu de l\u2019airain \u00e9tincelant et brandissant sa \npique. Et Ar\u00e8s l\u2019excitait afin qu\u2019il tomb\u00e2t sous les mains d\u2019Ain\u00e9ias. \nMais Antilokhos, fils du magnanime n est\u00f4r, le vit et s\u2019avan\u00e7a au \npremier rang, car il craignait pour le prince des peuples, dont la \nmort e\u00fbt rendu leurs travaux inutiles. Et ils croisaient d\u00e9j\u00e0 leurs \npiques aigu\u00ebs, pr\u00eats \u00e0 se combattre, quand Antilokhos vint se pla -\ncer aupr\u00e8s du prince des peuples. Et Ain\u00e9ias, bien que tr\u00e8s brave, \nrecula, voyant les deux guerriers pr\u00eats \u00e0 l\u2019attaquer. Et ceux-ci \nentra\u00een\u00e8rent les morts parmi les Akhaiens, et, les remettant \u00e0 \nleurs compagnons, revinrent combattre au premier rang.\nAlors ils tu\u00e8rent Pylaim\u00e9n\u00e8s, \u00e9gal \u00e0 Ar\u00e8s, chef des magnanimes \nPaphlagones porteurs de boucliers. Et l\u2019illustre Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos \nle per\u00e7a de sa pique \u00e0 la clavicule. Et Antilokhos frappa au coude, \nd\u2019un coup de pierre, le conducteur de son char, le brave Atymniade \nMyd\u00f4n, comme il faisait reculer ses chevaux aux sabots massifs. \nEt les blanches r\u00eanes orn\u00e9es d\u2019ivoire s\u2019\u00e9chapp\u00e8rent de ses mains, \net Antilokhos, sautant sur lui, le per\u00e7a \u00e0 la tempe d\u2019un coup d\u2019\u00e9p\u00e9e.\nEt, ne respirant plus, il tomba du beau char, la t\u00eate et les \u00e9paules \nenfonc\u00e9es dans le sable qui \u00e9tait creus\u00e9 en cet endroit. Ses che -\nvaux le foul\u00e8rent aux pieds, et Antilokhos les chassa vers l\u2019arm\u00e9e \ndes Akhaiens.141\nL \u2019ILIADEMais Hekt\u00f4r, les ayant aper\u00e7us tous deux, se rua \u00e0 travers la \nm\u00eal\u00e9e en poussant des cris. Et les braves phalanges des t roiens \nle suivaient, et devant elles marchaient Ar\u00e8s et la v\u00e9n\u00e9rable \u00c9ny\u00f4. \nCelle-ci menait le tumulte immense du combat, et Ar\u00e8s, bran -\ndissant une grande pique, allait tant\u00f4t devant et tant\u00f4t der -\nri\u00e8re Hekt\u00f4r.\nEt Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat ayant vu Ar\u00e8s, fr\u00e9mit. Comme un \nvoyageur troubl\u00e9 s\u2019arr\u00eate, au bout d\u2019une plaine immense, sur le \nbord d\u2019un fleuve imp\u00e9tueux qui tombe dans la mer, et qui recule \n\u00e0 la vue de l\u2019onde bouillonnante, ainsi le t yd\u00e9ide recula et dit \naux siens :\n\u2013 \u00d4 amis, combien nous admirions justement le divin Hekt\u00f4r, \nhabile \u00e0 lancer la pique et audacieux en combattant ! Quelque \ndieu se tient toujours \u00e0 son c\u00f4t\u00e9 et d\u00e9tourne de lui la mort. \nMaintenant, voici qu\u2019Ar\u00e8s l\u2019accompagne, semblable \u00e0 un guerrier. \nC\u2019est pourquoi reculons devant les t roiens et ne vous h\u00e2tez point \nde combattre les dieux.\nIl parla ainsi, et les t roiens approch\u00e8rent. Alors, Hekt\u00f4r tua \ndeux guerriers habiles au combat et mont\u00e9s sur un m\u00eame char, \nM\u00e9n\u00e8sth\u00e8s et Ankhialos.142CHAnt 5\nEt le grand t \u00e9lam\u00f4nien Aias eut piti\u00e9 de leur chute, et, marchant \nen avant, il lan\u00e7a sa pique brillante. Et il frappa Amphi\u00f4n, fils de \nS\u00e9lagos, qui habitait Paisos, et qui \u00e9tait fort riche. Mais sa Moire \nl\u2019avait envoy\u00e9 secourir les Priamides. Et le t \u00e9lam\u00f4nien Aias l\u2019at -\nteignit au ceinturon, et la longue pique resta enfonc\u00e9e dans le \nbas-ventre. Et il tomba avec bruit, et l\u2019illustre Aias accourut pour \nle d\u00e9pouiller de ses armes. Mais les t roiens le couvrirent d\u2019une \ngr\u00eale de piques aigu\u00ebs et brillantes, et son bouclier en fut h\u00e9riss\u00e9. \nCependant, pressant du pied le cadavre, il en arracha sa pique \nd\u2019airain ; mais il ne put enlever les belles armes, \u00e9tant accabl\u00e9 de \ntraits. Et il craignit la vigoureuse attaque des braves t roiens qui le \npressaient de leurs piques et le firent reculer, bien qu\u2019il f\u00fbt grand, \nfort et illustre.\nEt c\u2019est ainsi qu\u2019ils luttaient dans la rude m\u00eal\u00e9e. Et voici que la \nMoire violente amena, en face du divin Sarp\u00e8d\u00f4n, le grand et \nvigoureux H\u00e8raklide tl\u00e8pol\u00e9mos. Et quand ils se furent rencon -\ntr\u00e9s tous deux, le fils et le petit-fils de Zeus qui amasse les nu\u00e9es, \ntl\u00e8pol\u00e9mos, le premier, parla ainsi :\n\u2013 Sarp\u00e8d\u00f4n, chef des Lykiens, quelle n\u00e9cessit\u00e9 te pousse tremblant \ndans la m\u00eal\u00e9e, toi qui n\u2019es qu\u2019un guerrier inhabile ? Des menteurs \ndisent que tu es fils de Zeus temp\u00e9tueux, tandis que tu es loin de \nvaloir les guerriers qui naquirent de Zeus, aux temps antiques 143\nL \u2019ILIADEdes hommes, tels que le robuste H\u00e8rakl\u00e8s au c\u0153ur de lion, mon \np\u00e8re. Et il vint ici autrefois, \u00e0 cause des chevaux de Laom\u00e9d\u00f4n et, \navec six nefs seulement et peu de compagnons, il renversa Ilios \net d\u00e9peupla ses rues.\nMais toi, tu n\u2019es qu\u2019un l\u00e2che, et tes guerriers succombent. Et je ne \npense point que, m\u00eame \u00e9tant brave, tu aies apport\u00e9 de Lyki\u00e8 un \ngrand secours aux t roiens, car, tu\u00e9 par moi, tu vas descendre au \nseuil d\u2019Aid\u00e8s.\nEt Sarp\u00e8d\u00f4n, chef des Lykiens, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tl\u00e8pol\u00e9mos, certes, H\u00e8rakl\u00e8s renversa la sainte Ilios, gr\u00e2ce \u00e0 la \nt\u00e9m\u00e9rit\u00e9 de l\u2019illustre Laom\u00e9d\u00f4n qui lui adressa injustement de \nmauvaises paroles et lui refusa les cavales qu\u2019il \u00e9tait venu cher -\ncher de si loin. Mais, pour toi, je te pr\u00e9dis la mort et la noire k\u00e8r, \net je vais t\u2019envoyer, tu\u00e9 par ma pique et me donnant une grande \ngloire, vers Aid\u00e8s qui a d\u2019illustres chevaux.\nSarp\u00e8d\u00f4n parla ainsi. Et t l\u00e8pol\u00e9mos leva sa pique de fr\u00eane, et les \ndeux longues piques s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent en m\u00eame temps de leurs mains. \nEt Sarp\u00e8d\u00f4n le frappa au milieu du cou, et la pointe am\u00e8re le \ntraversa de part en part. Et la noire nuit enveloppa les yeux de \ntl\u00e8pol\u00e9mos. Mais celui-ci avait perc\u00e9 de sa longue pique la cuisse 144CHAnt 5\ngauche de Sarp\u00e8d\u00f4n, et la pointe \u00e9tait rest\u00e9e engag\u00e9e dans l\u2019os, et \nle Kronide, son p\u00e8re, avait d\u00e9tourn\u00e9 la mort de lui. Et les braves \ncompagnons de Sarp\u00e8d\u00f4n l\u2019enlev\u00e8rent hors de la m\u00eal\u00e9e. Et il \ng\u00e9missait, tra\u00eenant la longue pique de fr\u00eane rest\u00e9e dans la blessure, \ncar aucun d\u2019eux n\u2019avait song\u00e9 \u00e0 l\u2019arracher de la cuisse du guerrier, \npour qu\u2019il p\u00fbt monter sur son char, tant ils se h\u00e2taient.\nDe leur c\u00f4t\u00e9, les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides emportaient \ntl\u00e8pol\u00e9mos hors de la m\u00eal\u00e9e. Et le divin Odysseus au c\u0153ur ferme, \nl\u2019ayant aper\u00e7u, s\u2019affligea dans son \u00e2me ; et il d\u00e9lib\u00e9ra dans son \nesprit et dans son c\u0153ur s\u2019il poursuivrait le fils de Zeus qui tonne \nhautement, ou s\u2019il arracherait l\u2019\u00e2me \u00e0 une multitude de Lykiens. \nMais il n\u2019\u00e9tait point dans la destin\u00e9e du magnanime Odysseus \nde tuer avec l\u2019airain aigu le brave fils de Zeus. C\u2019est pourquoi \nAth\u00e8n\u00e8 lui inspira de se jeter sur la foule des Lykiens. Alors il \ntua Koiranos et Alast\u00f4r, et Khromios et Alkandros et Halios, et \nno\u00e8m\u00f4n et Prytanis. Et le divin Odysseus e\u00fbt tu\u00e9 une plus grande \nfoule de Lykiens, si le grand Hekt\u00f4r au casque mouvant ne l\u2019e\u00fbt \naper\u00e7u. Et il s\u2019\u00e9lan\u00e7a aux premiers rangs, arm\u00e9 de l\u2019airain \u00e9clatant, \njetant la terreur parmi les Danaens. Et Sarp\u00e8d\u00f4n, fils de Zeus, se \nr\u00e9jouit de sa venue et lui dit cette parole lamentable :\n\u2013 Priamide, ne permets pas que je reste la proie des Danaens, et \nviens \u00e0 mon aide, afin que je puisse au moins expirer dans votre 145\nL \u2019ILIADEville, puisque je ne dois plus revoir la ch\u00e8re patrie, et ma femme \nbien-aim\u00e9e et mon petit enfant.\nMais Hekt\u00f4r au casque mouvant ne lui r\u00e9pondit pas, et il s\u2019\u00e9lan\u00e7a \nen avant, plein du d\u00e9sir de repousser promptement les Argiens \net d\u2019arracher l\u2019\u00e2me \u00e0 une foule d\u2019entre eux. Et les compagnons du \ndivin Sarp\u00e8d\u00f4n le d\u00e9pos\u00e8rent sous le beau h\u00eatre de Zeus tem -\np\u00e9tueux, et le brave P\u00e9lag\u00f4n, qui \u00e9tait le plus cher de ses compa -\ngnons, lui arracha hors de la cuisse la pique de fr\u00eane. Et son \u00e2me \nd\u00e9faillit, et une nu\u00e9e \u00e9paisse couvrit ses yeux.\nMais le souffle de Bor\u00e9as le ranima, et il ressaisit son \u00e2me \nqui s\u2019\u00e9vanouissait.\nEt les Akhaiens, devant Ar\u00e8s et Hekt\u00f4r au casque d\u2019airain, ne \nfuyaient point vers les nefs noires et ne se ruaient pas non plus \ndans la m\u00eal\u00e9e, mais reculaient toujours, ayant aper\u00e7u Ar\u00e8s parmi \nles t roiens. Alors, quel fut le guerrier qui, le premier, fut tu\u00e9 par \nHekt\u00f4r Priamide et par Ar\u00e8s v\u00eatu d\u2019airain, et quel fut le der -\nnier ? teuthras, semblable \u00e0 un dieu, et l\u2019habile cavalier Orest\u00e8s, et \ntr\u00e8khos, combattant Ait\u00f4lien ; Oinomaos et l\u2019Oinopide H\u00e9l\u00e9nos, \net Oresbios qui portait une mitre brillante. Et celui-ci habi -\ntait Hyl\u00e8, o\u00f9 il prenait soin de ses richesses, au milieu du lac \nK\u00e8phisside, non loin des riches tribus des Boi\u00f4tiens.146CHAnt 5\nEt la divine H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs, voyant que les Argiens p\u00e9ris -\nsaient dans la rude m\u00eal\u00e9e, dit \u00e0 Ath\u00e8n\u00e8 ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ah ! fille indomptable de Zeus temp\u00e9tueux, certes, nous aurons \nvainement promis \u00e0 M\u00e9n\u00e9laos qu\u2019il retournerait dans sa patrie \napr\u00e8s avoir renvers\u00e9 Ilios aux fortes murailles, si nous laissons \nainsi le cruel Ar\u00e8s r\u00e9pandre sa fureur. Viens, et souvenons-nous \nde notre courage imp\u00e9tueux.\nElle parla ainsi, et la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs ob\u00e9it. La v\u00e9n\u00e9 -\nrable d\u00e9esse H\u00e8r\u00e8, fille du grand Kronos, se h\u00e2ta de mettre \u00e0 ses \nchevaux leurs harnais d\u2019or.\nH\u00e8b\u00e8 attacha promptement les roues au char, aux deux bouts \nde l\u2019essieu de fer. Et les roues \u00e9taient d\u2019airain \u00e0 huit rayons, et \nles jantes \u00e9taient d\u2019un or incorruptible, mais, par-dessus, \u00e9taient \npos\u00e9es des bandes d\u2019airain admirables \u00e0 voir. Les deux moyeux \n\u00e9taient rev\u00eatus d\u2019argent, et le si\u00e8ge \u00e9tait suspendu \u00e0 des courroies \nd\u2019or et d\u2019argent, et deux cercles \u00e9taient plac\u00e9s en avant d\u2019o\u00f9 sor -\ntait le timon d\u2019argent, et, \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du timon, H\u00e8r\u00e8 lia le beau \njoug d\u2019or et les belles courroies d\u2019or. Puis, avide de discorde et de \ncris de guerre, elle soumit au joug ses chevaux aux pieds rapides.147\nL \u2019ILIADEEt Ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus temp\u00e9tueux, laissa tomber sur le pav\u00e9 \nde la demeure paternelle le p\u00e9plos subtil, aux ornements vari\u00e9s, \nqu\u2019elle avait fait et achev\u00e9 de ses mains. Et elle rev\u00eatit la cuirasse \nde Zeus qui amasse les nu\u00e9es, et l\u2019armure de la guerre lamentable. \nElle pla\u00e7a autour de ses \u00e9paules l\u2019Aigide aux longues franges, hor -\nrible, et que la fuite environnait. Et l\u00e0, se tenaient la discorde, la \nforce et l\u2019effrayante poursuite, et la t\u00eate affreuse, horrible et divine \ndu monstre Gorg\u00f4. Et Ath\u00e8n\u00e8 posa sur sa t\u00eate un casque h\u00e9riss\u00e9 \nd\u2019aigrettes, aux quatre c\u00f4nes d\u2019or, et qui e\u00fbt recouvert les habi -\ntants de cent villes. Et elle monta sur le char splendide, et elle sai -\nsit une pique lourde, grande, solide, avec laquelle elle domptait la \nfoule des hommes h\u00e9ro\u00efques, contre lesquels elle s\u2019irritait, \u00e9tant \nla fille d\u2019un p\u00e8re puissant.\nH\u00e8r\u00e8 pressa du fouet les chevaux rapides, et, devant eux, s\u2019ou -\nvrirent d\u2019elles-m\u00eames les portes ouraniennes que gardaient \nles Heures.\nEt celles-ci, veillant sur le grand Ouranos et sur l\u2019Olympos, \nouvraient ou fermaient la nu\u00e9e \u00e9paisse qui flottait autour. Et \nles chevaux dociles franchirent ces portes, et les d\u00e9esses trou -\nv\u00e8rent le Kroni\u00f4n assis, loin des dieux, sur le plus haut sommet 148CHAnt 5\nde l\u2019Olympos aux cimes sans nombre. Et la divine H\u00e8r\u00e8 aux bras \nblancs, retenant ses chevaux, parla ainsi au tr\u00e8s haut Zeus Kronide :\n\u2013 Zeus, ne r\u00e9primeras-tu pas les cruelles violences d\u2019Ar\u00e8s qui cause \nimpudemment tant de ravages parmi les peuples Akhaiens ? J\u2019en \nai une grande douleur ; et voici qu\u2019Aphrodit\u00e8 et Apoll\u00f4n \u00e0 l\u2019arc \nd\u2019argent se r\u00e9jouissent d\u2019avoir excit\u00e9 cet insens\u00e9 qui ignore toute \njustice. P\u00e8re Zeus, ne t\u2019irriteras-tu point contre moi, si je chasse \nde la m\u00eal\u00e9e Ar\u00e8s rudement ch\u00e2ti\u00e9 ?\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Va ! excite contre lui la d\u00e9vastatrice Ath\u00e8n\u00e8, qui est accoutum\u00e9e \n\u00e0 lui infliger de rudes ch\u00e2timents.\nIl parla ainsi, et la divine H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs ob\u00e9it, et elle frappa \nses chevaux, et ils s\u2019envol\u00e8rent entre la terre et l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9. \nAutant un homme, assis sur une roche \u00e9lev\u00e9e, et regardant la mer \npourpr\u00e9e, voit d\u2019espace a\u00e9rien, autant les chevaux des dieux en \nfranchirent d\u2019un saut. Et quand les deux d\u00e9esses furent parvenues \ndevant Ilios, l\u00e0 o\u00f9 le Skamandros et le Simo\u00efs unissent leurs cours, \nla divine H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs d\u00e9tela ses chevaux et les enveloppa \nd\u2019une nu\u00e9e \u00e9paisse.149\nL \u2019ILIADEEt le Simo\u00efs fit cro\u00eetre pour eux une p\u00e2ture ambroisienne. Et \nles d\u00e9esses, semblables dans leur vol \u00e0 de jeunes colombes, se \nh\u00e2t\u00e8rent de secourir les Argiens.\nEt quand elles parvinrent l\u00e0 o\u00f9 les Akhaiens luttaient en foule \nautour de la force du dompteur de chevaux Diom\u00e8d\u00e8s, tels que \ndes lions mangeurs de chair crue, ou de sauvages et opini\u00e2tres \nsangliers, la divine H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs s\u2019arr\u00eata et jeta un grand \ncri, ayant pris la forme du magnanime Stent\u00f4r \u00e0 la voix d\u2019airain, \nqui criait aussi haut que cinquante autres :\n\u2013 Honte \u00e0 vous, \u00f4 Argiens, fiers d\u2019\u00eatre beaux, mais couverts d\u2019op -\nprobre ! Aussi longtemps que le divin Akhilleus se rua dans la \nm\u00eal\u00e9e, jamais les t roiens n\u2019os\u00e8rent passer les portes Dardaniennes ; \net, maintenant, voici qu\u2019ils combattent loin d\u2019Ilios, devant les \nnefs creuses !\nAyant ainsi parl\u00e9, elle ranima le courage de chacun. Et la d\u00e9esse \nAth\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, cherchant le t yd\u00e9ide, rencontra ce roi \naupr\u00e8s de ses chevaux et de son char. Et il rafra\u00eechissait la blessure \nque lui avait faite la fl\u00e8che de Pandaros. Et la sueur l\u2019inondait sous \nle large ceinturon d\u2019o\u00f9 pendait son bouclier bomb\u00e9 ; et ses mains 150CHAnt 5\n\u00e9taient lasses. Il soulevait son ceinturon et \u00e9tanchait un sang noir. \nEt la d\u00e9esse, aupr\u00e8s du joug, lui parla ainsi :\n\u2013 Certes, t ydeus n\u2019a point engendr\u00e9 un fils semblable \u00e0 lui. t ydeus \n\u00e9tait de petite taille, mais c\u2019\u00e9tait un homme.\nJe lui d\u00e9fendis vainement de combattre quand il vint seul, envoy\u00e9 \u00e0 \nth\u00e8b\u00e8 par les Akhaiens, au milieu des innombrables Kadm\u00e9i\u00f4nes. \nEt je lui ordonnai de s\u2019asseoir paisiblement \u00e0 leurs repas, dans \nleurs demeures. Cependant, ayant toujours le c\u0153ur aussi ferme, \nil provoqua les jeunes Kadm\u00e9i\u00f4nes et les vainquit ais\u00e9ment, car \nj\u2019\u00e9tais sa protectrice assidue. Certes, aujourd\u2019hui, je te prot\u00e8ge, je \nte d\u00e9fends et je te pousse \u00e0 combattre ardemment les t roiens. \nMais la fatigue a rompu tes membres, ou la crainte t\u2019a saisi le \nc\u0153ur, et tu n\u2019es plus le fils de l\u2019excellent cavalier t ydeus Oin\u00e9ide.\nEt le brave Diom\u00e8d\u00e8s lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je te reconnais, d\u00e9esse, fille de Zeus temp\u00e9tueux. Je te parlerai \nfranchement et ne te cacherai rien. n i la crainte ni la faiblesse ne \nm\u2019accablent, mais je me souviens de tes ordres. t u m\u2019as d\u00e9fendu \nde combattre les dieux heureux, mais de frapper de l\u2019airain aigu \nAphrodit\u00e8, la fille de Zeus, si elle descendait dans la m\u00eal\u00e9e. C\u2019est 151\nL \u2019ILIADEpourquoi je recule maintenant, et j\u2019ai ordonn\u00e9 \u00e0 tous les Argiens \nde se r\u00e9unir ici, car j\u2019ai reconnu Ar\u00e8s qui dirige le combat.\nEt la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s, le plus cher \u00e0 mon c\u0153ur, ne crains ni Ar\u00e8s \nni aucun des autres immortels, car je suis pour toi une protec -\ntrice assidue.\nViens ! pousse contre Ar\u00e8s tes chevaux aux sabots massifs ; \nfrappe-le, et ne respecte pas le furieux Ar\u00e8s, ce dieu changeant et \ninsens\u00e9 qui, nagu\u00e8re, nous avait promis, \u00e0 moi et \u00e0 H\u00e8r\u00e8, de com -\nbattre les t roiens et de secourir les Argiens, et qui, maintenant, \ns\u2019est tourn\u00e9 du c\u00f4t\u00e9 des t roiens et oublie ses promesses.\nAyant ainsi parl\u00e9, elle saisit de la main Sth\u00e9n\u00e9los pour le faire \ndescendre du char, et celui-ci sauta promptement \u00e0 terre. Et elle \nmonta aupr\u00e8s du divin Diom\u00e8d\u00e8s, et l\u2019essieu du char g\u00e9mit sous \nle poids, car il portait une d\u00e9esse puissante et un brave guerrier. \nEt Pallas Ath\u00e8n\u00e8, saisissant le fouet et les r\u00eanes, poussa vers Ar\u00e8s \nles chevaux aux sabots massifs. Et le dieu venait de tuer le grand \nP\u00e9riphas, le plus brave des Ait\u00f4liens, illustre fils d\u2019Okh\u00e8sios ; et, \ntout sanglant, il le d\u00e9pouillait ; mais Ath\u00e8n\u00e8 mit le casque d\u2019Ai -\nd\u00e8s, pour que le puissant Ar\u00e8s ne la reconn\u00fbt pas. Et d\u00e8s que le 152CHAnt 5\nfl\u00e9au des hommes, Ar\u00e8s, eut aper\u00e7u le divin Diom\u00e8d\u00e8s, il laissa le \ngrand P\u00e9riphas \u00e9tendu dans la poussi\u00e8re, l\u00e0 o\u00f9, l\u2019ayant tu\u00e9, il lui \navait arrach\u00e9 l\u2019\u00e2me, et il marcha droit \u00e0 l\u2019habile cavalier Diom\u00e8d\u00e8s.\nEt quand ils se furent rapproch\u00e9s l\u2019un de l\u2019autre, Ar\u00e8s, le premier, \nlan\u00e7a sa pique d\u2019airain par-dessus le joug et les r\u00eanes des chevaux, \nvoulant arracher l\u2019\u00e2me du t yd\u00e9ide ; mais la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux \nyeux clairs, saisissant le trait d\u2019une main, le d\u00e9tourna du char, afin \nde le rendre inutile. Puis, Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat lan\u00e7a imp\u00e9 -\ntueusement sa pique d\u2019airain, et Pallas Ath\u00e8n\u00e8 la dirigea dans le \nbas ventre, sous le ceinturon.\nEt le dieu fut bless\u00e9, et la pique, ramen\u00e9e en arri\u00e8re, d\u00e9chira sa \nbelle peau, et le f\u00e9roce Ar\u00e8s poussa un cri aussi fort que la clameur \nde dix mille guerriers se ruant dans la m\u00eal\u00e9e. Et l\u2019\u00e9pouvante sai -\nsit les Akhaiens et les t roiens, tant avait retenti le cri d\u2019Ar\u00e8s insa -\ntiable de combats. Et, comme appara\u00eet, au-dessous des nu\u00e9es, une \nnoire vapeur chass\u00e9e par un vent br\u00fblant, ainsi Ar\u00e8s apparut au \nbrave tyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s, tandis qu\u2019il traversait le vaste Ouranos, \nau milieu des nuages. Et il parvint \u00e0 la demeure des dieux, dans \nle haut Olympos. Et il s\u2019assit aupr\u00e8s de Zeus Kroni\u00f4n, g\u00e9missant 153\nL \u2019ILIADEdans son c\u0153ur ; et, lui montrant le sang immortel qui coulait de \nsa blessure, il lui dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, ne t\u2019indigneras-tu point de voir ces violences ? \ntoujours, nous, les dieux, nous nous faisons souffrir cruellement \npour la cause des hommes. Mais c\u2019est toi qui es la source de nos \nquerelles, car tu as enfant\u00e9 une fille insens\u00e9e, perverse et inique. \nnous, les dieux Olympiens, nous t\u2019ob\u00e9issons et nous te sommes \n\u00e9galement soumis ; mais jamais tu ne bl\u00e2mes ni ne r\u00e9primes \ncelle-ci, et tu lui permets tout, parce que tu as engendr\u00e9 seul cette \nfille funeste qui pousse le fils de t ydeus, le magnanime Diom\u00e8d\u00e8s, \n\u00e0 se jeter furieux sur les dieux immortels. Il a bless\u00e9 d\u2019abord la \nmain d\u2019Aphrodit\u00e8, puis, il s\u2019est ru\u00e9 sur moi, semblable \u00e0 un dieu, \net si mes pieds rapides ne m\u2019avaient emport\u00e9, je subirais mille \nmaux, couch\u00e9 vivant au milieu des cadavres et livr\u00e9 sans force \naux coups de l\u2019airain.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 Cesse de te plaindre \u00e0 moi, dieu changeant ! Je te hais le plus \nentre tous les Olympiens, car tu n\u2019aimes que la discorde, la guerre \net le combat, et tu as l\u2019esprit intraitable de ta m\u00e8re, H\u00e8r\u00e8, que mes \nparoles r\u00e9priment \u00e0 peine. C\u2019est son exemple qui cause tes maux. 154CHAnt 5\nMais je ne permettrai pas que tu souffres plus longtemps, car tu \nes mon fils, et c\u2019est de moi que ta m\u00e8re t\u2019a con\u00e7u. M\u00e9chant comme \ntu es, si tu \u00e9tais n\u00e9 de quelque autre dieu, depuis longtemps d\u00e9j\u00e0 \ntu serais le dernier des Ouraniens.\nIl parla ainsi et ordonna \u00e0 Pai\u00e8\u00f4n de le gu\u00e9rir, et celui-ci le gu\u00e9 -\nrit en arrosant sa blessure de doux rem\u00e8des liquides, car il n\u2019\u00e9tait \npoint mortel. Aussi vite le lait blanc s\u2019\u00e9paissit quand on l\u2019agite, \naussi vite le furieux Ar\u00e8s fut gu\u00e9ri. H\u00e8b\u00e8 le baigna et le rev\u00eatit de \nbeaux v\u00eatements, et il s\u2019assit, fier de cet honneur, aupr\u00e8s de Zeus \nKroni\u00f4n. Et l\u2019Argienne H\u00e8r\u00e8 et la protectrice Ath\u00e8n\u00e8 rentr\u00e8rent \ndans la demeure du grand Zeus, apr\u00e8s avoir chass\u00e9 le cruel Ar\u00e8s \nde la m\u00eal\u00e9e guerri\u00e8re.155\nL \u2019ILIADEChant 6\nLivr\u00e9e \u00e0 elle-m\u00eame, la rude bataille des t roiens et des Akhaiens \nse r\u00e9pandit confus\u00e9ment \u00e7\u00e0 et l\u00e0 par la plaine. Et ils se frappaient, \nles uns les autres, de leurs lances d\u2019airain, entre les eaux courantes \ndu Simo\u00efs et du Xanthos.\nEt, le premier, Aias t \u00e9lam\u00f4nien enfon\u00e7a la phalange des t roiens \net ralluma l\u2019esp\u00e9rance de ses compagnons, ayant perc\u00e9 un guer -\nrier, le plus courageux d\u2019entre les t hrakiens, le fils d\u2019Euss\u00f4ros, \nAkamas, qui \u00e9tait robuste et grand. Il frappa le c\u00f4ne du casque \u00e0 \nl\u2019\u00e9paisse crini\u00e8re de cheval, et la pointe d\u2019airain, ouvrant le front, \ns\u2019enfon\u00e7a \u00e0 travers l\u2019os, et les t\u00e9n\u00e8bres couvrirent ses yeux.\nEt Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat tua Axylos t euthranide qui habi -\ntait dans Arisb\u00e8 bien b\u00e2tie, \u00e9tait riche et bienveillant aux hommes, \net les recevait tous avec amiti\u00e9, sa demeure \u00e9tant au bord de la \nroute. Mais nul alors ne se mit au-devant de lui pour d\u00e9tourner la \nsombre mort. Et Diom\u00e8d\u00e8s le tua, ainsi que son serviteur Kal\u00e9sios, \nqui dirigeait ses chevaux, et tous deux descendirent sous la terre.156CHAnt 6\nEt Euryalos tua Dr\u00e8sos et Opheltios, et il se jeta sur Ais\u00e8pos et \nP\u00e8dasos, que la nymphe na\u00efade Abarbar\u00e9\u00e8 avait con\u00e7us autrefois \nde l\u2019irr\u00e9prochable Boukoli\u00f4n. Et Boukoli\u00f4n \u00e9tait fils du noble \nLaom\u00e9d\u00f4n, et il \u00e9tait son premier-n\u00e9, et sa m\u00e8re l\u2019avait enfant\u00e9 \nen secret. En paissant ses brebis, il s\u2019\u00e9tait uni \u00e0 la nymphe sur une \nm\u00eame couche ; et, enceinte, elle avait enfant\u00e9 deux fils jumeaux ; \nmais le M\u00e8kist\u00e8iade brisa leur force et leurs souples membres, et \narracha leurs armures de leurs \u00e9paules.\nEt Polypoit\u00e8s prompt au combat tua Astyalos ; et Odysseus tua \nPidyt\u00e8s le Perkosien, par la lance d\u2019airain ; et t eukros tua le \ndivin Ar\u00e9ta\u00f4n.\nEt Antilokhos n estor\u00e9ide tua Abl\u00e8ros de sa lance \u00e9clatante ; et le \nroi des hommes, Agamemn\u00f4n, tua \u00c9latos qui habitait la haute \nP\u00e8dasos, sur les bords du Sam\u00e9o\u00efs au beau cours. Et le h\u00e9ros \nL\u00e8itos tua Phylakos qui fuyait, et Eurypylos tua M\u00e9lanthios. Puis, \nM\u00e9n\u00e9laos hardi au combat prit Adr\u00e8stos vivant. Arr\u00eat\u00e9s par une \nbranche de tamaris, les deux chevaux de celui-ci, ayant rompu \nle char pr\u00e8s du timon, s\u2019enfuyaient, \u00e9pouvant\u00e9s, par la plaine, du \nc\u00f4t\u00e9 de la ville, avec d\u2019autres chevaux effray\u00e9s, et Adr\u00e8stos avait \nroul\u00e9 du char, aupr\u00e8s de la roue, la face dans la poussi\u00e8re. Et 157\nL \u2019ILIADEl\u2019Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, arm\u00e9 d\u2019une longue lance, s\u2019arr\u00eata devant lui ; \net Adr\u00e8stos saisit ses genoux et le supplia :\n\u2013 Laisse-moi la vie, fils d\u2019Atreus, et accepte une riche ran\u00e7on. Une \nmultitude de choses pr\u00e9cieuses sont dans la demeure de mon \np\u00e8re, et il est riche. Il a de l\u2019airain, de l\u2019or et du fer ouvrag\u00e9 dont il \nte fera de larges dons, s\u2019il apprend que je vis encore sur les nefs \ndes Argiens.\nIl parla ainsi, et d\u00e9j\u00e0 il persuadait le c\u0153ur de M\u00e9n\u00e9laos, et celui-ci \nallait le remettre \u00e0 son serviteur pour qu\u2019il l\u2019emmen\u00e2t vers les nefs \nrapides des Akhaiens ; mais Agamemn\u00f4n vint en courant au-de -\nvant de lui, et lui cria cette dure parole :\n\u2013 \u00d4 l\u00e2che M\u00e9n\u00e9laos, pourquoi prendre ainsi piti\u00e9 des hommes ? \nCertes, les t roiens ont accompli d\u2019excellentes actions dans ta \ndemeure ! que nul n\u2019\u00e9vite une fin terrible et n\u2019\u00e9chappe de nos \nmains ! pas m\u00eame l\u2019enfant dans le sein de sa m\u00e8re ! qu\u2019ils meurent \ntous avec Ilios, sans s\u00e9pulture et sans m\u00e9moire !\nPar ces paroles \u00e9quitables, le h\u00e9ros changea l\u2019esprit de son fr\u00e8re \nqui repoussa le h\u00e9ros Adr\u00e8stos. Et le roi Agamemn\u00f4n le frappa au \nfront et le renversa, et l\u2019Atr\u00e9ide, lui mettant le pied sur la poitrine, \narracha la lance de fr\u00eane.158CHAnt 6\nEt n est\u00f4r, \u00e0 haute voix, animait les Argiens :\n\u2013 \u00d4 amis, h\u00e9ros Danaens, serviteurs d\u2019Ar\u00e8s, que nul ne s\u2019attarde, \ndans son d\u00e9sir des d\u00e9pouilles et pour en porter beaucoup vers les \nnefs ! tuons des hommes ! Vous d\u00e9pouillerez ensuite \u00e0 loisir les \nmorts couch\u00e9s dans la plaine !\nAyant ainsi parl\u00e9, il excitait la force et le courage de chacun. Et les \ntroiens, dompt\u00e9s par leur l\u00e2chet\u00e9, eussent regagn\u00e9 la haute Ilios, \ndevant les Akhaiens chers \u00e0 Ar\u00e8s, si le Priamide H\u00e9l\u00e9nos, le plus \nillustre de tous les divinateurs, ayant abord\u00e9 Ain\u00e9ias et Hekt\u00f4r, ne \nleur e\u00fbt dit :\n\u2013 Ain\u00e9ias et Hekt\u00f4r, puisque le fardeau des t roiens et des Lykiens \np\u00e8se tout entier sur vous qui \u00eates les princes du combat et des \nd\u00e9lib\u00e9rations, debout ici, arr\u00eatez de toutes parts ce peuple devant \nles portes, avant qu\u2019ils se r\u00e9fugient tous jusque dans les bras des \nfemmes et soient en ris\u00e9e aux ennemis.\nEt quand vous aurez exhort\u00e9 toutes les phalanges, nous com -\nbattrons, in\u00e9branlables, contre les Danaens, bien que rompus de \nlassitude ; mais la n\u00e9cessit\u00e9 le veut. Puis, Hekt\u00f4r, rends-toi \u00e0 la \nville, et dis \u00e0 notre m\u00e8re qu\u2019ayant r\u00e9uni les femmes \u00e2g\u00e9es dans \nle temple d\u2019Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, au sommet de la citadelle, et 159\nL \u2019ILIADEouvrant les portes de la maison sacr\u00e9e, elle pose sur les genoux \nd\u2019Ath\u00e8n\u00e8 \u00e0 la belle chevelure le p\u00e9plos le plus riche et le plus \ngrand qui soit dans sa demeure, et celui qu\u2019elle aime le plus ; et \nqu\u2019elle s\u2019engage \u00e0 sacrifier dans son temple douze g\u00e9nisses d\u2019un \nan encore indompt\u00e9es, si elle prend piti\u00e9 de la ville et des femmes \ntroiennes et de leurs enfants, et si elle d\u00e9tourne de la sainte Ilios \nle fils de t ydeus, le f\u00e9roce guerrier qui r\u00e9pand le plus de terreur et \nqui est, je pense, le plus brave des Akhaiens. Jamais nous n\u2019avons \nautant redout\u00e9 Akhilleus, ce chef des hommes, et qu\u2019on dit le fils \nd\u2019une d\u00e9esse ; car Diom\u00e8d\u00e8s est plein d\u2019une grande fureur, et nul \nne peut \u00e9galer son courage.\nIl parla ainsi, et Hekt\u00f4r ob\u00e9it \u00e0 son fr\u00e8re. Et il sauta hors du char \navec ses armes, et, agitant deux lances aigu\u00ebs, il allait de tous c\u00f4t\u00e9s \npar l\u2019arm\u00e9e, excitant au combat, et il suscita une rude bataille. Et \ntous, s\u2019\u00e9tant retourn\u00e9s, firent t\u00eate aux Akhaiens ; et ceux-ci, recu -\nlant, cess\u00e8rent le carnage, car ils croyaient qu\u2019un immortel \u00e9tait \ndescendu de l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9 pour secourir les t roiens, ces der -\nniers revenant ainsi \u00e0 la charge. Et, d\u2019une voix haute, Hekt\u00f4r exci -\ntait les t roiens :\n\u2013 Braves t roiens, et vous, alli\u00e9s venus de si loin, soyez des hommes !160CHAnt 6\nSouvenez-vous de tout votre courage, tandis que j\u2019irai vers Ilios \ndire \u00e0 nos vieillards prudents et \u00e0 nos femmes de supplier les \ndieux et de leur vouer des h\u00e9catombes.\nAyant ainsi parl\u00e9, Hekt\u00f4r au beau casque s\u2019\u00e9loigna, et le cuir noir \nqui bordait tout autour l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 du bouclier arrondi heurtait \nses talons et son cou.\nEt Glaukos, fils de Hippolokhos, et le fils de t ydeus, prompts \u00e0 \ncombattre, s\u2019avanc\u00e8rent entre les deux arm\u00e9es. Et quand ils furent \nen face l\u2019un de l\u2019autre, le premier, Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat lui \nparla ainsi :\n\u2013 Qui es-tu entre les hommes mortels, \u00f4 tr\u00e8s brave ? Je ne t\u2019ai \njamais vu jusqu\u2019ici dans le combat qui glorifie les guerriers ; et \ncertes, maintenant, tu l\u2019emportes de beaucoup sur eux tous par \nta fermet\u00e9, puisque tu as attendu ma longue lance. Ce sont les \nfils des malheureux qui s\u2019opposent \u00e0 mon courage. Mais si tu \nes quelque immortel, et si tu viens de l\u2019Ouranos, je ne combat -\ntrai point contre les Ouraniens. Car le fils de Dryas, le brave \nLykoorgos, ne v\u00e9cut pas longtemps, lui qui combattait contre les \ndieux ouraniens. Et il poursuivait, sur le sacr\u00e9 n ysa, les nour -\nrices du furieux Dionysos ; et celles-ci, frapp\u00e9es du fouet du tueur \nd\u2019hommes Lykoorgos, jet\u00e8rent leurs thyrses ; et Dionysos, effray\u00e9, 161\nL \u2019ILIADEsauta dans la mer, et t h\u00e9tis le re\u00e7ut dans son sein, tremblant et \nsaisi d\u2019un grand frisson \u00e0 cause des menaces du guerrier.\nEt les dieux qui vivent en repos furent irrit\u00e9s contre celui-ci ; et \nle fils de Kronos le rendit aveugle, et il ne v\u00e9cut pas longtemps, \nparce qu\u2019il \u00e9tait odieux \u00e0 tous les immortels. Moi, je ne voudrais \npoint combattre contre les dieux heureux. Mais si tu es un des \nmortels qui mangent les fruits de la terre, approche, afin d\u2019at -\nteindre plus promptement aux bornes de la mort.\nEt l\u2019illustre fils de Hippolokhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Magnanime tyd\u00e9ide, pourquoi t\u2019informes-tu de ma race ? La \ng\u00e9n\u00e9ration des hommes est semblable \u00e0 celle des feuilles. Le \nvent r\u00e9pand les feuilles sur la terre, et la for\u00eat germe et en pro -\nduit de nouvelles, et le temps du printemps arrive. C\u2019est ainsi que \nla g\u00e9n\u00e9ration des hommes na\u00eet et s\u2019\u00e9teint. Mais si tu veux savoir \nquelle est ma race que connaissent de nombreux guerriers, sache \nqu\u2019il est une ville, \u00c9phyr\u00e8, au fond de la terre d\u2019Argos f\u00e9conde en \nchevaux. L\u00e0 v\u00e9cut Sisyphos, le plus rus\u00e9 des hommes, Sisyphos \nAiolid\u00e8s ; et il engendra Glaukos, et Glaukos engendra l\u2019irr\u00e9pro -\nchable Bell\u00e9rophont\u00e8s, \u00e0 qui les dieux donn\u00e8rent la beaut\u00e9 et la \nvigueur charmante. Mais Proitos, qui \u00e9tait le plus puissant des \nArgiens, car Zeus les avait soumis \u00e0 son sceptre, eut contre lui 162CHAnt 6\nde mauvaises pens\u00e9es et le chassa de son peuple. Car la femme \nde Proitos, la divine Ant\u00e9ia, d\u00e9sira ardemment s\u2019unir au fils de \nGlaukos par un amour secret ; mais elle ne persuada point le sage \net prudent Bell\u00e9rophont\u00e8s ; et, pleine de mensonge, elle parla \nainsi au roi Proitos :\n\u2013 Meurs, Proitos, ou tue Bell\u00e9rophont\u00e8s qui, par violence, a voulu \ns\u2019unir d\u2019amour \u00e0 moi.\nElle parla ainsi, et, \u00e0 ces paroles, la col\u00e8re saisit le roi. Et il ne tua \npoint Bell\u00e9rophont\u00e8s, redoutant pieusement ce meurtre dans \nson esprit ; mais il l\u2019envoya en Lyki\u00e8 avec des tablettes o\u00f9 il avait \ntrac\u00e9 des signes de mort, afin qu\u2019il les rem\u00eet \u00e0 son beau-p\u00e8re et \nque celui-ci le tu\u00e2t. Et Bell\u00e9rophont\u00e8s alla en Lyki\u00e8 sous les heu -\nreux auspices des dieux. Et quand il y fut arriv\u00e9, sur les bords \ndu rapide Xanthos, le roi de la grande Lyki\u00e8 le re\u00e7ut avec hon -\nneur, lui fut hospitalier pendant neuf jours et sacrifia neuf b\u0153ufs. \nMais quand E\u00f4s aux doigts ros\u00e9s reparut pour la dixi\u00e8me fois, \nalors il l\u2019interrogea et demanda \u00e0 voir les signes envoy\u00e9s par son \ngendre Proitos. Et, quand il les eut vus, il lui ordonna d\u2019abord de \ntuer l\u2019indomptable Khimaira. Celle-ci \u00e9tait n\u00e9e des dieux et non \ndes hommes, lion par devant, dragon par l\u2019arri\u00e8re, et ch\u00e8vre par \nle milieu du corps. Et elle soufflait des flammes violentes. Mais \nil la tua, s\u2019\u00e9tant fi\u00e9 aux prodiges des dieux. Puis, il combattit les 163\nL \u2019ILIADESolymes illustres, et il disait avoir entrepris l\u00e0 le plus rude combat \ndes guerriers. Enfin il tua les Amazones viriles. Comme il reve -\nnait, le roi lui tendit un pi\u00e8ge rus\u00e9, ayant choisi et plac\u00e9 en embus -\ncade les plus braves guerriers de la grande Lyki\u00e8. Mais nul d\u2019entre \neux ne revit sa demeure, car l\u2019irr\u00e9prochable Bell\u00e9rophont\u00e8s les \ntua tous. Et le roi connut alors que cet homme \u00e9tait de la race \nillustre d\u2019un dieu, et il le retint et lui donna sa fille et la moiti\u00e9 de \nsa domination royale.\nEt les Lykiens lui choisirent un domaine, le meilleur de tous, plein \nd\u2019arbres et de champs, afin qu\u2019il le cultiv\u00e2t. Et sa femme donna \ntrois enfants au brave Bell\u00e9rophont\u00e8s : Isandros, Hippolokhos et \nLaodam\u00e9ia. Et le sage Zeus s\u2019unit \u00e0 Laodam\u00e9ia, et elle enfanta le \ndivin Sarp\u00e8d\u00f4n couvert d\u2019airain. Mais quand Bell\u00e9rophont\u00e8s fut \nen haine aux dieux, il errait seul dans le d\u00e9sert d\u2019Al\u00e8ios. Ar\u00e8s insa -\ntiable de guerre tua son fils Isandros, tandis que celui-ci com -\nbattait les illustres Solymes. Art\u00e9mis aux r\u00eanes d\u2019or, irrit\u00e9e, tua \nLaodam\u00e9ia ; et Hippolokhos m\u2019a engendr\u00e9, et je dis que je suis \nn\u00e9 de lui. Et il m\u2019a envoy\u00e9 \u00e0 t roi\u00e8, m\u2019ordonnant d\u2019\u00eatre le premier \nparmi les plus braves, afin de ne point d\u00e9shonorer la g\u00e9n\u00e9ration \nde mes p\u00e8res qui ont habit\u00e9 \u00c9phyr\u00e8 et la grande Lyki\u00e8. Je me glo -\nrifie d\u2019\u00eatre de cette race et de ce sang.164CHAnt 6\nIl parla ainsi, et Diom\u00e8d\u00e8s brave au combat fut joyeux, et il \nenfon\u00e7a sa lance dans la terre nourrici\u00e8re, et il dit avec bienveil -\nlance au prince des peuples :\n\u2013 tu es certainement mon ancien h\u00f4te paternel. Autrefois, le \nnoble Oineus re\u00e7ut pendant vingt jours dans ses demeures hos -\npitali\u00e8res l\u2019irr\u00e9prochable Bell\u00e9rophont\u00e8s. Et ils se firent de beaux \npr\u00e9sents. Oineus donna un splendide ceinturon de pourpre, et \nBell\u00e9rophont\u00e8s donna une coupe d\u2019or tr\u00e8s creuse que j\u2019ai lais -\ns\u00e9e, en partant, dans mes demeures. Je ne me souviens point de \ntydeus, car il me laissa tout petit quand l\u2019arm\u00e9e des Akhaiens \np\u00e9rit devant t h\u00e8b\u00e8. C\u2019est pourquoi je suis un ami pour toi dans \nArgos, et tu seras le mien en Lyki\u00e8 quand j\u2019irai vers ce peuple.\n\u00c9vitons nos lances, m\u00eame dans la m\u00eal\u00e9e. J\u2019ai \u00e0 tuer assez d\u2019autres \ntroiens illustres et d\u2019alli\u00e9s, soit qu\u2019un dieu me les am\u00e8ne, soit que \nje les atteigne, et toi assez d\u2019Akhaiens, si tu le peux. Echangeons \nnos armes, afin que tous sachent que nous sommes des \nh\u00f4tes paternels.\nAyant ainsi parl\u00e9 tous deux, ils descendirent de leurs chars et se \nserr\u00e8rent la main et \u00e9chang\u00e8rent leur foi. Mais le Kronide Zeus \ntroubla l\u2019esprit de Glaukos qui donna au tyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s des 165\nL \u2019ILIADEarmes d\u2019or du prix de cent b\u0153ufs pour des armes d\u2019airain du prix \nde neuf b\u0153ufs.\nD\u00e8s que Hekt\u00f4r fut arriv\u00e9 aux portes Skaies et au h\u00eatre, toutes \nles femmes et toutes les filles des t roiens couraient autour de lui, \ns\u2019inqui\u00e9tant de leurs fils, de leurs fr\u00e8res, de leurs concitoyens et \nde leurs maris. Et il leur ordonna de supplier toutes ensemble les \ndieux, un grand deuil \u00e9tant r\u00e9serv\u00e9 \u00e0 beaucoup d\u2019entre elles. Et \nquand il fut parvenu \u00e0 la belle demeure de Priamos aux portiques \n\u00e9clatants, \u2013 et l\u00e0 s\u2019\u00e9levaient cinquante chambres nuptiales de \npierre polie, construites les unes aupr\u00e8s des autres, o\u00f9 couchaient \nles fils de Priamos avec leurs femmes l\u00e9gitimes ; et, en face, dans \nla cour, \u00e9taient douze hautes chambres nuptiales de pierre polie, \nconstruites les unes aupr\u00e8s des autres, o\u00f9 couchaient les gendres \nde Priamos avec leurs femmes chastes, \u2013 sa m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable vint \nau-devant de lui, comme elle allait chez Laodik\u00e8, la plus belle de \nses filles, et elle lui prit la main et parla ainsi :\n\u2013 Enfant, pourquoi as-tu quitt\u00e9 la rude bataille ? Les fils odieux \ndes Akhaiens nous pressent sans doute et combattent autour \nde la ville, et tu es venu tendre les mains vers Zeus, dans la cita -\ndelle ? Attends un peu, et je t\u2019apporterai un vin mielleux afin que \ntu en fasses des libations au p\u00e8re Zeus et aux autres immortels, et \nque tu sois ranim\u00e9, en ayant bu ; car le vin augmente la force du 166CHAnt 6\nguerrier fatigu\u00e9 ; et ta fatigue a \u00e9t\u00e9 grande, tandis que tu d\u00e9fen -\ndais tes concitoyens.\nEt le grand Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ne m\u2019apporte pas un vin mielleux, m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable, de peur que \ntu m\u2019affaiblisses et que je perde force et courage. Je craindrais de \nfaire des libations de vin pur \u00e0 Zeus avec des mains souill\u00e9es, car \nil n\u2019est point permis, plein de sang et de poussi\u00e8re, d\u2019implorer le \nKr\u00f4ni\u00f4n qui amasse les nu\u00e9es. Donc, porte des parfums et r\u00e9unis \nles femmes \u00e2g\u00e9es dans le temple d\u2019Ath\u00e8n\u00e8 d\u00e9vastatrice ; et d\u00e9pose \nsur les genoux d\u2019Ath\u00e8n\u00e8 \u00e0 la belle chevelure le p\u00e9plos le plus riche \net le plus grand qui soit dans ta demeure, et celui que tu aimes le \nplus ; et promets de sacrifier dans son temple douze g\u00e9nisses d\u2019un \nan, encore indompt\u00e9es, si elle prend piti\u00e9 de la ville et des femmes \ntroiennes et de leurs enfants, et si elle d\u00e9tourne de la sainte Ilios \nle fils de t ydeus, le f\u00e9roce guerrier qui r\u00e9pand le plus de terreur. \nVa donc au temple d\u2019Ath\u00e8n\u00e8 d\u00e9vastatrice, et moi, j\u2019irai vers P\u00e2ris, \nafin de l\u2019appeler, si pourtant il veut entendre ma voix.\nPl\u00fbt aux dieux que la terre s\u2019ouvr\u00eet sous lui ! car l\u2019Olympien l\u2019a \ncertainement nourri pour la ruine enti\u00e8re des t roiens, du magna -\nnime Priamos et de ses fils. Si je le voyais descendre chez Aid\u00e8s, \nmon \u00e2me serait d\u00e9livr\u00e9e de ses am\u00e8res douleurs.167\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et H\u00e9kab\u00e8 se rendit \u00e0 sa demeure et commanda aux \nservantes ; et celles-ci, par la ville, r\u00e9unirent les femmes \u00e2g\u00e9es. \nPuis H\u00e9kab\u00e8 entra dans sa chambre nuptiale parfum\u00e9e o\u00f9 \u00e9taient \ndes p\u00e9plos diversement peints, ouvrage des femmes Sidoniennes \nque le divin Alexandros avait ramen\u00e9es de Sid\u00f4n, dans sa navi -\ngation sur la haute mer par o\u00f9 il avait conduit H\u00e9l\u00e8n\u00e8 n\u00e9e d\u2019un \np\u00e8re divin. Et, pour l\u2019offrir \u00e0 Ath\u00e8n\u00e8, H\u00e9kab\u00e8 en prit un, le plus \nbeau, le plus vari\u00e9 et le plus grand ; et il brillait comme une \u00e9toile \net il \u00e9tait plac\u00e9 le dernier. Et elle se mit en marche, et les femmes \n\u00e2g\u00e9es la suivaient.\nEt quand elles furent arriv\u00e9es dans le temple d\u2019Ath\u00e8n\u00e8, t h\u00e9an\u00f4 \naux belles joues, fille de Kiss\u00e8is, femme du dompteur de che -\nvaux Ant\u00e8n\u00f4r, leur ouvrit les portes, car les t roiens l\u2019avaient faite \npr\u00eatresse d\u2019Ath\u00e8n\u00e8. Et toutes, avec un g\u00e9missement, tendirent \nles mains vers Ath\u00e8n\u00e8. Et t h\u00e9an\u00f4 aux belles joues, ayant re\u00e7u le \np\u00e9plos, le d\u00e9posa sur les genoux d\u2019Ath\u00e8n\u00e8 \u00e0 la belle chevelure, et, \nen le lui vouant, elle priait la fille du grand Zeus :\n\u2013 V\u00e9n\u00e9rable Ath\u00e8n\u00e8, gardienne de la ville, tr\u00e8s divine d\u00e9esse, brise \nla lance de Diom\u00e8d\u00e8s, et fais-le tomber lui-m\u00eame devant les \nportes Skaies, afin que nous te sacrifiions dans ton temple douze \ng\u00e9nisses d\u2019un an, encore indompt\u00e9es, si tu prends piti\u00e9 de la ville, \ndes femmes t roiennes et de leurs enfants.168CHAnt 6\nElle parla ainsi dans son v\u0153u, et elles suppliaient ainsi la fille du \ngrand Zeus ; mais Pallas Ath\u00e8n\u00e8 les refusa.\nEt Hekt\u00f4r gagna les belles demeures d\u2019Alexandros, que celui-ci \navait construites lui-m\u00eame \u00e0 l\u2019aide des meilleurs ouvriers de la \nriche t roi\u00e8. Et ils avaient construit une chambre nuptiale, une \nmaison et une cour, aupr\u00e8s des demeures de Priamos et de Hekt\u00f4r, \nau sommet de la citadelle. Ce fut l\u00e0 que Hekt\u00f4r, cher \u00e0 Zeus, entra. \nEt il tenait \u00e0 la main une lance haute de dix coud\u00e9es ; et une \npointe d\u2019airain \u00e9tincelait \u00e0 l\u2019extr\u00e9mit\u00e9 de la lance, fix\u00e9e par un \nanneau d\u2019or. Et, dans la chambre nuptiale, il trouva Alexandros \nqui s\u2019occupait de ses belles armes, polissant son bouclier, sa cui -\nrasse et ses arcs recourb\u00e9s. Et l\u2019Argienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \u00e9tait assise au \nmilieu de ses femmes, dirigeant leurs beaux travaux.\nEt Hekt\u00f4r, ayant regard\u00e9 P\u00e2ris, lui dit ces paroles outrageantes :\n\u2013 Mis\u00e9rable ! la col\u00e8re que tu as ressentie n\u2019\u00e9tait point bonne. n os \ntroupes p\u00e9rissent autour de la ville, sous les hautes murailles.\nGr\u00e2ce \u00e0 toi, les clameurs de la guerre montent avec fureur autour \nde cette ville, et tu bl\u00e2merais toi-m\u00eame celui que tu verrais s\u2019\u00e9loi -\ngner de la rude bataille. L\u00e8ve-toi donc, si tu ne veux voir la ville \nconsum\u00e9e bient\u00f4t par la flamme ardente.169\nL \u2019ILIADEEt le divin Alexandros lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, puisque tu ne m\u2019as point bl\u00e2m\u00e9 avec violence, mais \ndans la juste mesure, je te r\u00e9pondrai. Je ne restais point dans \nma chambre nuptiale par col\u00e8re ou par indignation contre les \ntroiens, mais pour me livrer \u00e0 la douleur. Maintenant que mon \n\u00e9pouse me conseille par de douces paroles de retourner au com -\nbat, je crois, comme elle, que cela est pour le mieux. La victoire \nexauce tour \u00e0 tour les guerriers. Mais attends que je rev\u00eate mes \narmes belliqueuses, ou pr\u00e9c\u00e8de-moi, je vais te suivre.\nIl parla ainsi, et Hekt\u00f4r ne lui r\u00e9pondit rien ; et H\u00e9l\u00e9n\u00e8 dit \u00e0 \nHekt\u00f4r ces douces paroles :\n\u2013 Mon fr\u00e8re, fr\u00e8re d\u2019une mis\u00e9rable chienne de malheur, et hor -\nrible ! Pl\u00fbt aux dieux qu\u2019au jour m\u00eame o\u00f9 ma m\u00e8re m\u2019enfanta un \nfurieux souffle de vent m\u2019e\u00fbt emport\u00e9e sur une montagne ou ab\u00ee -\nm\u00e9e dans la mer tumultueuse, et que l\u2019onde m\u2019e\u00fbt engloutie, avant \nque ces choses fussent arriv\u00e9es ! Mais, puisque les dieux avaient \nr\u00e9solu ces maux, je voudrais \u00eatre la femme d\u2019un meilleur guer -\nrier, et qui souffr\u00eet au moins de l\u2019indignation et des ex\u00e9crations \ndes hommes.170CHAnt 6\nMais celui-ci n\u2019a point un c\u0153ur in\u00e9branlable, et il ne l\u2019aura jamais, \net je pense qu\u2019il en portera bient\u00f4t la peine. Viens, mon fr\u00e8re, \nentre et prends ce si\u00e8ge, car ton \u00e2me est pleine d\u2019un lourd souci, \ngr\u00e2ce \u00e0 moi, chienne que je suis, et gr\u00e2ce au crime d\u2019Alexandros. \nZeus nous a fait \u00e0 tous deux une mauvaise destin\u00e9e, afin que nous \nsoyons c\u00e9l\u00e8bres par l\u00e0 chez les hommes qui na\u00eetront dans l\u2019avenir.\nEt le grand Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ne me fais point asseoir, H\u00e9l\u00e9n\u00e8, bien que tu m\u2019aimes, car tu ne \nme persuaderas point. Mon c\u0153ur est plein du d\u00e9sir de secou -\nrir les t roiens qui regrettent vivement mon absence. Mais excite \nP\u00e2ris, et qu\u2019il se h\u00e2te de me suivre, tandis que je serai encore \ndans la ville. Je vais, dans ma demeure, revoir mes serviteurs, ma \nfemme bien-aim\u00e9e et mon petit enfant. Je ne sais s\u2019il me sera per -\nmis de les revoir jamais plus, ou si les dieux me dompteront par \nles mains des Akhaiens.\nAyant ainsi parl\u00e9, Hekt\u00f4r au casque mouvant sortit et parvint \nbient\u00f4t \u00e0 ses demeures, et il n\u2019y trouva point Andromakh\u00e8 aux \nbras blancs, car elle \u00e9tait sortie avec son fils et une servante au \nbeau p\u00e9plos, et elle se tenait sur la tour, pleurant et g\u00e9missant. 171\nL \u2019ILIADEHekt\u00f4r, n\u2019ayant point trouv\u00e9 dans ses demeures sa femme irr\u00e9 -\nprochable, s\u2019arr\u00eata sur le seuil et parla ainsi aux servantes :\n\u2013 Venez, servantes, et dites-moi la v\u00e9rit\u00e9. O\u00f9 est all\u00e9e, hors des \ndemeures, Andromakh\u00e8 aux bras blancs ?\nEst-ce chez mes s\u0153urs, ou chez mes belles-s\u0153urs au beau p\u00e9plos, \nou dans le temple d\u2019Ath\u00e8n\u00e8 avec les autres t roiennes qui apaisent \nla puissante d\u00e9esse \u00e0 la belle chevelure ?\nEt la vigilante intendante lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, puisque tu veux que nous disions la v\u00e9rit\u00e9, elle n\u2019est \npoint all\u00e9e chez tes s\u0153urs, ni chez tes belles-s\u0153urs au beau p\u00e9plos, \nni dans le temple d\u2019Ath\u00e8n\u00e8 avec les autres troiennes qui apaisent \nla puissante d\u00e9esse \u00e0 la belle chevelure ; mais elle est au fa\u00eete de la \nvaste tour d\u2019Ilios, ayant appris une grande victoire des Akhaiens \nsur les troiens. Et, pleine d\u2019\u00e9garement, elle s\u2019est h\u00e2t\u00e9e de courir \naux murailles, et la nourrice, aupr\u00e8s d\u2019elle, portait l\u2019enfant.\nEt la femme intendante parla ainsi. Hekt\u00f4r, \u00e9tant sorti de ses \ndemeures, reprit son chemin \u00e0 travers les rues magnifiquement \nconstruites et populeuses, et, traversant la grande ville, il arriva \naux portes Skaies par o\u00f9 il devait sortir dans la plaine. Et sa 172CHAnt 6\nfemme, qui lui apporta une riche dot, accourut au-devant de \nlui, Andromakh\u00e8, fille du magnanime \u00ca\u00e9ti\u00f4n qui habita sous \nle Plakos couvert de for\u00eats, dans th\u00e8b\u00e8 Hypoplakienne, et qui \ncommanda aux Kilikiens. Et sa fille \u00e9tait la femme de Hekt\u00f4r \nau casque d\u2019airain. Et quand elle vint au-devant de lui, une ser -\nvante l\u2019accompagnait qui portait sur le sein son jeune fils, petit \nenfant encore, le Hektor\u00e9ide bien-aim\u00e9, semblable \u00e0 une belle \n\u00e9toile. Hekt\u00f4r le nommait Skamandrios, mais les autres t roiens \nAstyanax, parce que Hekt\u00f4r seul prot\u00e9geait t roi\u00e8.\nEt il sourit en regardant son fils en silence ; mais Andromakh\u00e8, se \ntenant aupr\u00e8s de lui en pleurant, prit sa main et lui parla ainsi :\n\u2013 Malheureux, ton courage te perdra ; et tu n\u2019as piti\u00e9 ni de ton fils \nenfant, ni de moi, mis\u00e9rable, qui serai bient\u00f4t ta veuve, car les \nAkhaiens te tueront en se ruant tous contre toi. Il vaudrait mieux \npour moi, apr\u00e8s t\u2019avoir perdu, subir la s\u00e9pulture, car rien ne me \nconsolera quand tu auras accompli ta destin\u00e9e, et il ne me restera \nque mes douleurs. Je n\u2019ai plus ni mon p\u00e8re ni ma m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable. \nLe divin Akhilleus tua mon p\u00e8re, quand il saccagea la ville popu -\nleuse des Kilikiens, t h\u00e8b\u00e8 aux portes hautes. Il tua \u00ca\u00e9ti\u00f4n, mais \nil ne le d\u00e9pouilla point, par un respect pieux. Il le br\u00fbla avec ses \nbelles armes et il lui \u00e9leva un tombeau, et les nymphes orestiades, \nfilles de Zeus temp\u00e9tueux, plant\u00e8rent des ormes autour. J\u2019avais 173\nL \u2019ILIADEsept fr\u00e8res dans nos demeures ; et tous descendirent en un jour \nchez Aid\u00e8s, car le divin Akhilleus aux pieds rapides les tua tous, \naupr\u00e8s de leurs b\u0153ufs aux pieds lents et de leurs blanches bre -\nbis. Et il emmena, avec les autres d\u00e9pouilles, ma m\u00e8re qui r\u00e9gnait \nsous le Plakos plant\u00e9 d\u2019arbres, et il l\u2019affranchit bient\u00f4t pour une \ngrande ran\u00e7on ; mais Art\u00e9mis qui se r\u00e9jouit de ses fl\u00e8ches la per\u00e7a \ndans nos demeures. Hekt\u00f4r ! tu es pour moi un p\u00e8re, une m\u00e8re \nv\u00e9n\u00e9rable, un fr\u00e8re et un \u00e9poux plein de jeunesse ! Aie piti\u00e9 ! Reste \nsur cette tour ; ne fais point ton fils orphelin et ta femme veuve. \nR\u00e9unis l\u2019arm\u00e9e aupr\u00e8s de ce figuier sauvage o\u00f9 l\u2019acc\u00e8s de la ville \nest le plus facile.\nD\u00e9j\u00e0, trois fois, les plus courageux des Akhaiens ont tent\u00e9 cet \nassaut, les deux Aias, l\u2019illustre Idom\u00e9neus, les Atr\u00e9ides et le brave \nfils de t ydeus, soit par le conseil d\u2019un divinateur, soit par le seul \n\u00e9lan de leur courage.\nEt le grand Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, femme, ces inqui\u00e9tudes me poss\u00e8dent aussi, mais je \nredouterais cruellement les t roiens et les t roiennes aux longs \np\u00e9plos tra\u00eenants, si, comme un l\u00e2che, je fuyais le combat. Et mon \nc\u0153ur ne me pousse point \u00e0 fuir, car j\u2019ai appris \u00e0 \u00eatre toujours \naudacieux et \u00e0 combattre, parmi les premiers, pour la gloire de 174CHAnt 6\nmon p\u00e8re et pour la mienne. Je sais, dans mon esprit et dans mon \nc\u0153ur, qu\u2019un jour viendra o\u00f9 la sainte t roi\u00e8 p\u00e9rira, et Priamos, et \nle brave peuple de Priamos. Mais ni le malheur futur des troiens \nni celui de H\u00e9kab\u00e8 elle-m\u00eame, du roi Priamos et de mes fr\u00e8res \ncourageux qui tomberont en foule sous les guerriers ennemis, ne \nm\u2019afflige autant que le tien, quand un Akhaien cuirass\u00e9 d\u2019airain te \nravira la libert\u00e9 et t\u2019emm\u00e8nera pleurante ! Et tu tisseras la toile de \nl\u2019\u00e9tranger, et tu porteras de force l\u2019eau de Mess\u00e8is et de Hyp\u00e9r\u00e9i\u00e8, \ncar la dure n\u00e9cessit\u00e9 le voudra. Et, sans doute, quelqu\u2019un dira, te \nvoyant r\u00e9pandre des larmes : \u2013 Celle-ci est la femme de Hekt\u00f4r \nqui \u00e9tait le plus brave des t roiens dompteurs de chevaux quand \nil combattait autour de t roi\u00e8. \u2019\u2013 Quelqu\u2019un dira cela, et tu seras \nd\u00e9chir\u00e9e d\u2019une grande douleur, en songeant \u00e0 cet \u00e9poux que tu \nauras perdu, et qui, seul, pourrait finir ta servitude.\nMais que la lourde terre me recouvre mort, avant que j\u2019entende \ntes cris et que je te voie arracher d\u2019ici !\nAyant ainsi parl\u00e9, l\u2019illustre Hekt\u00f4r tendit les mains vers son fils, \nmais l\u2019enfant se rejeta en arri\u00e8re dans le sein de la nourrice \u00e0 \nla belle ceinture, \u00e9pouvant\u00e9 \u00e0 l\u2019aspect de son p\u00e8re bien-aim\u00e9, \net de l\u2019airain et de la queue de cheval qui s\u2019agitait terriblement \nsur le c\u00f4ne du casque. Et le p\u00e8re bien-aim\u00e9 sourit et la m\u00e8re \nv\u00e9n\u00e9rable aussi. Et l\u2019illustre Hekt\u00f4r \u00f4ta son casque et le d\u00e9posa 175\nL \u2019ILIADEresplendissant sur la terre. Et il baisa son fils bien-aim\u00e9, et, le ber -\n\u00e7ant dans ses bras, il supplia Zeus et les autres dieux :\n\u2013 Zeus, et vous, dieux, faites que mon fils s\u2019illustre comme moi \nparmi les t roiens, qu\u2019il soit plein de force et qu\u2019il r\u00e8gne puissam -\nment dans t roi\u00e8 ! Qu\u2019on dise un jour, le voyant revenir du com -\nbat : Celui-ci est plus brave que son p\u00e8re ! Qu\u2019ayant tu\u00e9 le guer -\nrier ennemi, il rapporte de sanglantes d\u00e9pouilles, et que le c\u0153ur \nde sa m\u00e8re en soit r\u00e9joui !\nAyant ainsi parl\u00e9, il d\u00e9posa son enfant entre les bras de sa femme \nbien-aim\u00e9e, qui le re\u00e7ut sur son sein parfum\u00e9, en pleurant et en \nsouriant ; et le guerrier, voyant cela, la caressa de la main et lui dit :\n\u2013 Malheureuse, ne te d\u00e9sesp\u00e8re point \u00e0 cause de moi. Aucun guer -\nrier ne m\u2019enverra chez Aid\u00e8s contre ma destin\u00e9e, et nul homme \nvivant ne peut fuir sa destin\u00e9e, l\u00e2che ou brave.\nMais retourne dans tes demeures, prends soin de tes travaux, de \nla toile et de la quenouille, et mets tes servantes \u00e0 leur t\u00e2che. Le \nsouci de la guerre appartient \u00e0 tous les guerriers qui sont n\u00e9s \ndans Ilios, et surtout \u00e0 moi.176CHAnt 6\nAyant ainsi parl\u00e9, l\u2019illustre Hekt\u00f4r reprit son casque \u00e0 flot -\ntante queue de cheval. Et l\u2019\u00e9pouse bien-aim\u00e9e retourna vers ses \ndemeures, regardant en arri\u00e8re et versant des larmes. Et aussit\u00f4t \nqu\u2019elle fut arriv\u00e9e aux demeures du tueur d\u2019hommes Hekt\u00f4r, elle \ny trouva ses nombreuses servantes en proie \u00e0 une grande douleur. \nEt celles-ci pleuraient, dans ses demeures, Hekt\u00f4r encore vivant, \nne pensant pas qu\u2019il rev\u00eent jamais plus du combat, ayant \u00e9chapp\u00e9 \naux mains guerri\u00e8res des Akhaiens.\nEt P\u00e2ris ne s\u2019attardait point dans ses hautes demeures mais, ayant \nrev\u00eatu ses armes excellentes, d\u2019un airain vari\u00e9, il parcourait la \nville, de ses pieds rapides, tel qu\u2019un \u00e9talon qui, longtemps nourri \nd\u2019orge \u00e0 la cr\u00e8che, ses liens \u00e9tant rompus, court dans la plaine en \nfrappant la terre et saute dans le fleuve au beau cours o\u00f9 il a cou -\ntume de se baigner. Et il redresse la t\u00eate, et ses crins flottent \u00e9pars \nsur ses \u00e9paules, et, fier de sa beaut\u00e9, ses jarrets le portent d\u2019un \ntrait aux lieux o\u00f9 paissent les chevaux. Ainsi P\u00e2ris Priamide, sous \nses armes \u00e9clatantes comme l\u2019\u00e9clair, descendait de la hauteur de \nPergamos ; et ses pieds rapides le portaient ; et voici qu\u2019il rencon -\ntra le divin Hekt\u00f4r, son fr\u00e8re, comme celui-ci quittait le lieu o\u00f9 il \ns\u2019\u00e9tait entretenu avec Andromakh\u00e8.177\nL \u2019ILIADEEt, le premier, le roi Alexandros lui dit :\n\u2013 Fr\u00e8re v\u00e9n\u00e9r\u00e9, sans doute je t\u2019ai retard\u00e9 et je ne suis point venu \npromptement comme tu me l\u2019avais ordonn\u00e9.\nHekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ami, aucun guerrier, avec \u00e9quit\u00e9, ne peut te bl\u00e2mer dans le \ncombat, car tu es brave ; mais tu te lasses vite, et tu refuses alors \nde combattre, et mon c\u0153ur est attrist\u00e9 par les outrages que \nt\u2019adressent les t roiens qui subissent tant de maux \u00e0 cause de toi. \nMais, allons ! et nous apaiserons ces ressentiments, si Zeus nous \ndonne d\u2019offrir un jour, dans nos demeures, un libre krat\u00e8re aux \ndieux ouraniens qui vivent toujours, apr\u00e8s avoir chass\u00e9 loin de \ntroi\u00e8 les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides.178CHAnt 6179\nL \u2019ILIADEChant 7\nAyant ainsi parl\u00e9, l\u2019illustre Hekt\u00f4r sortit des portes, et son fr\u00e8re \nAlexandros l\u2019accompagnait, et tous deux, dans leur c\u0153ur, \u00e9taient \npleins du d\u00e9sir de combattre. Comme un dieu envoie un vent \npropice aux matelots suppliants qui se sont \u00e9puis\u00e9s \u00e0 battre la \nmer de leurs avirons polis, de sorte que leurs membres sont rom -\npus de fatigue, de m\u00eame les Priamides apparurent aux troiens \nqui les d\u00e9siraient.\nEt aussit\u00f4t Alexandros tua le fils du roi Ar\u00e8ithoos, M\u00e9n\u00e8sthios, \nqui habitait dans Arn\u00e8, et que Ar\u00e8ithoos qui combattait avec une \nmassue engendra de Philom\u00e9dousa aux yeux de b\u0153uf. Et Hekt\u00f4r \ntua, de sa pique aigu\u00eb, Eion\u00e8os ; et l\u2019airain le frappa au cou, sous \nle casque, et brisa ses forces. Et Glaukos, fils de Hippolokhos, chef \ndes Lykiens, blessa, de sa pique, entre les \u00e9paules, au milieu de la \nm\u00eal\u00e9e, Iphinoos Dexiade qui sautait sur ses chevaux rapides. Et il \ntomba sur la terre, et ses forces furent bris\u00e9es.\nEt la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, ayant vu les Argiens qui \np\u00e9rissaient dans la rude bataille, descendit \u00e0 la h\u00e2te du fa\u00eete de \nl\u2019Olympos devant la sainte Ilios, et Apoll\u00f4n accourut vers elle, 180CHAnt 7\nvoulant donner la victoire aux t roiens, et l\u2019ayant vue de la hau -\nteur de Pergamos. Et ils se rencontr\u00e8rent aupr\u00e8s du h\u00eatre, et le roi \nApoll\u00f4n, fils de Zeus, parla le premier :\n\u2013 Pourquoi, pleine d\u2019ardeur, viens-tu de nouveau de l\u2019Olympos, \nfille du grand Zeus ? Est-ce pour assurer aux Danaens la vic -\ntoire douteuse ?\nCar tu n\u2019as nulle piti\u00e9 des troiens qui p\u00e9rissent. Mais, si tu veux \nm\u2019en croire, ceci sera pour le mieux. Arr\u00eatons pour aujourd\u2019hui \nla guerre et le combat. t ous lutteront ensuite jusqu\u2019\u00e0 la chute \nde t roi\u00e8, puisqu\u2019il vous pla\u00eet, \u00e0 vous, immortels, de renverser \ncette ville.\nEt la d\u00e9esse aux yeux clairs, Ath\u00e8n\u00e8, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Qu\u2019il en soit ainsi, \u00f4 archer ! C\u2019est dans ce m\u00eame dessein que je \nsuis venue de l\u2019Olympos vers les t roiens et les Akhaiens. Mais \ncomment arr\u00eateras-tu le combat des guerriers ?\nEt le roi Apoll\u00f4n, fils de Zeus, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Excitons le solide courage de Hekt\u00f4r dompteur de chevaux, et \nqu\u2019il provoque, seul, un des Danaens \u00e0 combattre un rude combat. 181\nL \u2019ILIADEEt les Akhaiens aux kn\u00e8mides d\u2019airain exciteront un des leurs \u00e0 \ncombattre le divin Hekt\u00f4r.\nIl parla ainsi, et la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs consentit. Et \nH\u00e9l\u00e9nos, le cher fils de Priamos, devina dans son esprit ce qu\u2019il \navait plu aux dieux de d\u00e9cider, et il s\u2019approcha de Hekt\u00f4r et lui \nparla ainsi :\n\u2013 Hekt\u00f4r Priamide, \u00e9gal \u00e0 Zeus en sagesse, voudras-tu m\u2019en croire, \nmoi qui suis ton fr\u00e8re ? Fais que les troiens et tous les Akhaiens \ns\u2019arr\u00eatent, et provoque le plus brave des Akhaiens \u00e0 combattre \ncontre toi un rude combat.\nta moire n\u2019est point de mourir et de subir aujourd\u2019hui ta destin\u00e9e, \ncar j\u2019ai entendu la voix des dieux qui vivent toujours.\nIl parla ainsi, et Hekt\u00f4r s\u2019en r\u00e9jouit, et, s\u2019avan\u00e7ant en t\u00eate des \ntroiens, il arr\u00eata leurs phalanges \u00e0 l\u2019aide de la pique qu\u2019il tenait \npar le milieu, et tous s\u2019arr\u00eat\u00e8rent. Et Agamemn\u00f4n contint aussi \nles Akhaiens aux belles kn\u00e8mides. Et Ath\u00e8n\u00e8 et Apoll\u00f4n qui porte \nl\u2019arc d\u2019argent, semblables \u00e0 des vautours, s\u2019assirent sous le h\u00eatre \n\u00e9lev\u00e9 du p\u00e8re Zeus temp\u00e9tueux qui se r\u00e9jouit des guerriers. Et \nles deux arm\u00e9es, par rangs \u00e9pais, s\u2019assirent, h\u00e9riss\u00e9es et brillantes \nde boucliers, de casques et de piques. Comme, au souffle de 182CHAnt 7\nZ\u00e9phyros, l\u2019ombre se r\u00e9pand sur la mer qui devient toute noire, de \nm\u00eame les rangs des Akhaiens et des t roiens couvraient la plaine. \nEt Hekt\u00f4r leur parla ainsi :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, t roiens et Akhaiens aux belles kn\u00e8mides, afin \nque je vous dise ce que mon c\u0153ur m\u2019ordonne de dire. Le sublime \nKronide n\u2019a point scell\u00e9 notre alliance, mais il songe \u00e0 nous acca -\nbler tous de calamit\u00e9s, jusqu\u2019\u00e0 ce que vous preniez t roi\u00e8 aux \nfortes tours, ou que vous soyez dompt\u00e9s aupr\u00e8s des nefs qui \nfendent la mer. Puisque vous \u00eates les princes des Panakhaiens, \nque celui d\u2019entre vous que son courage poussera \u00e0 combattre \ncontre moi sorte des rangs et combatte le divin Hekt\u00f4r.\nJe vous le dis, et que Zeus soit t\u00e9moin : si celui-l\u00e0 me tue de \nsa pique d\u2019airain, me d\u00e9pouillant de mes armes, il les empor -\ntera dans ses nefs creuses ; mais il renverra mon corps dans ma \ndemeure, afin que les t roiens et les femmes des t roiens br\u00fblent \nmon cadavre sur un b\u00fbcher ; et, si je le tue, et qu\u2019Apoll\u00f4n me \ndonne cette gloire, j\u2019emporterai ses armes dans la sainte Ilios et je \nles suspendrai dans le temple de l\u2019archer Apoll\u00f4n ; mais je renver -\nrai son corps aux nefs solides, afin que les Akhaiens chevelus l\u2019en -\nsevelissent. Et ils lui \u00e9l\u00e8veront un tombeau sur le rivage du large \nHell\u00e8spontos. Et quelqu\u2019un d\u2019entre les hommes futurs, naviguant \nsur la noire mer, dans sa nef solide, dira, voyant ce tombeau d\u2019un 183\nL \u2019ILIADEguerrier mort depuis longtemps : \u2013 Celui-ci fut tu\u00e9 autrefois par \nl\u2019illustre Hekt\u00f4r dont le courage \u00e9tait grand. \u2019Il le dira, et ma gloire \nne mourra jamais.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets, n\u2019osant refuser ni accep -\nter. Alors M\u00e9n\u00e9laos se leva et dit, plein de reproches, et soupi -\nrant profond\u00e9ment :\n\u2013 H\u00e9las ! Akhaiennes mena\u00e7antes, et non plus Akhaiens ! certes, \nceci nous sera un grand opprobre, si aucun des Danaens ne se \nl\u00e8ve contre Hekt\u00f4r. Mais que la terre et l\u2019eau vous manquent, \u00e0 \nvous qui restez assis sans courage et sans gloire ! Moi, je m\u2019arme -\nrai donc contre Hekt\u00f4r, car la victoire enfin est entre les mains \ndes dieux immortels.\nIl parla ainsi, et il se couvrait de ses belles armes.\nAlors, M\u00e9n\u00e9laos, tu aurais trouv\u00e9 la fin de ta vie sous les mains \nde Hekt\u00f4r, car il \u00e9tait beaucoup plus fort que toi, si les rois \ndes Akhaiens, s\u2019\u00e9tant lev\u00e9s, ne t\u2019eussent retenu. Et l\u2019Atr\u00e9ide \nAgamemn\u00f4n qui commande au loin lui prit la main et lui dit :\n\u2013 Insens\u00e9 M\u00e9n\u00e9laos, nourrisson de Zeus, d\u2019o\u00f9 te vient cette \nd\u00e9mence ? Contiens-toi, malgr\u00e9 ta douleur. Cesse de vouloir 184CHAnt 7\ncombattre contre un meilleur guerrier que toi, le Priamide Hekt\u00f4r, \nque tous redoutent. Akhilleus, qui est beaucoup plus fort que toi \ndans la bataille qui illustre les guerriers, craint de le rencon -\ntrer. Reste donc assis dans les rangs de tes compagnons, et les \nAkhaiens exciteront un autre combattant. Bien que le Priamide \nsoit brave et insatiable de guerre, je pense qu\u2019il se reposera volon -\ntiers, s\u2019il \u00e9chappe \u00e0 ce rude combat.\nIl parla ainsi, et l\u2019esprit du h\u00e9ros fut persuad\u00e9 par les paroles sages \nde son fr\u00e8re, et il lui ob\u00e9it. Et ses serviteurs, joyeux, enlev\u00e8rent \nles armes de ses \u00e9paules. Et n est\u00f4r se leva au milieu des Argiens \net dit :\n\u2013 Ah ! certes, un grand deuil envahit la terre Akhaienne ! Et le \nvieux cavalier P\u00e8leus, excellent et sage agor\u00e8te des Myrmid\u00f4nes, \nva g\u00e9mir grandement, lui qui, autrefois, m\u2019interrogeant dans sa \ndemeure, apprenait, plein de joie, quels \u00e9taient les p\u00e8res et les fils \nde tous les Akhaiens !\nQuand il saura que tous sont \u00e9pouvant\u00e9s par Hekt\u00f4r, il \u00e9ten -\ndra souvent les mains vers les immortels, afin que son \u00e2me, hors \nde son corps, descende dans la demeure d\u2019Aid\u00e8s ! Pl\u00fbt \u00e0 vous, \u00f4 \nZeus, Ath\u00e8n\u00e8 et Apoll\u00f4n, que je fusse plein de jeunesse, comme au \ntemps o\u00f9, pr\u00e8s du rapide K\u00e9ladont\u00e8s, les Pyliens combattaient les 185\nL \u2019ILIADEArkadiens arm\u00e9s de piques, sous les murs de Ph\u00e9ia o\u00f9 viennent \nles eaux courantes du Iardanos. Au milieu d\u2019eux \u00e9tait le divin \nguerrier \u00c9reuthali\u00f4n, portant sur ses \u00e9paules les armes du roi \nAr\u00e8ithoos, du divin Ar\u00e8ithoos que les hommes et les femmes aux \nbelles ceintures appelaient le porte-massue, parce qu\u2019il ne com -\nbattait ni avec l\u2019arc, ni avec la longue pique, mais qu\u2019il rompait les \nrangs ennemis \u00e0 l\u2019aide d\u2019une massue de fer. Lykoorgos le tua par \nruse, et non par force, dans une route \u00e9troite, o\u00f9 la massue de fer \nne put \u00e9carter de lui la mort. L\u00e0, Lykoorgos, le pr\u00e9venant, le per\u00e7a \nde sa pique dans le milieu du corps, et le renversa sur la terre. Et il \nle d\u00e9pouilla des armes que lui avait donn\u00e9es le rude Ar\u00e8s. D\u00e8s lors, \nLykoorgos les porta dans la guerre ; mais, devenu vieux dans ses \ndemeures, il les donna \u00e0 son cher compagnon \u00c9reuthali\u00f4n, qui, \n\u00e9tant ainsi arm\u00e9, provoquait les plus braves. Et tous tremblaient, \npleins de crainte, et nul n\u2019osait. Et mon c\u0153ur hardi me poussa \u00e0 \ncombattre, confiant dans mes forces, bien que le plus jeune de \ntous. Et je combattis, et Ath\u00e8n\u00e8 m\u2019accorda la victoire, et je tuai ce \ntr\u00e8s robuste et tr\u00e8s brave guerrier dont le grand corps couvrit un \nvaste espace. Pl\u00fbt aux dieux que je fusse ainsi plein de jeunesse et \nque mes forces fussent intactes ! Hekt\u00f4r au casque mouvant com -\nmencerait aussit\u00f4t le combat.\nMais vous ne vous h\u00e2tez point de lutter contre Hekt\u00f4r, vous qui \n\u00eates les plus braves des Panakhaiens.186CHAnt 7\nEt le vieillard leur fit ces reproches, et neuf d\u2019entre eux se lev\u00e8rent. \nEt le premier fut le roi des hommes, Agamemn\u00f4n. Puis, le \nbrave Diom\u00e8d\u00e8s t yd\u00e9ide se leva. Et apr\u00e8s eux se lev\u00e8rent les \nAias rev\u00eatus d\u2019une grande force, et Idom\u00e9neus et le compagnon \nd\u2019Idom\u00e9neus, M\u00e8rion\u00e8s, semblable au tueur de guerriers Ar\u00e8s, et \nEurypylos, l\u2019illustre fils d\u2019\u00c9vaim\u00f4n, et t hoas Andraimonide et le \ndivin Odysseus. t ous voulaient combattre contre le divin Hekt\u00f4r. \nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r dit au milieu d\u2019eux :\n\u2013 Remuez maintenant tous les sorts, et celui qui sera choisi par le \nsort combattra pour tous les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides, et \nil se r\u00e9jouira de son courage, s\u2019il \u00e9chappe au rude combat et \u00e0 la \nlutte dangereuse.\nIl parla ainsi, et chacun marqua son signe, et tous furent m\u00eal\u00e9s \ndans le casque de l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n. Et les peuples priaient, \n\u00e9levant les mains vers les dieux, et chacun disait, regardant le \nlarge Ouranos :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, fais sortir le signe d\u2019Aias, ou du fils de t ydeus, ou du \nroi de la tr\u00e8s riche Myk\u00e8n\u00e8 !\nIls parl\u00e8rent ainsi, et le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r agita le casque \net en fit sortir le signe d\u2019Aias que tous d\u00e9siraient.187\nL \u2019ILIADEUn h\u00e9raut le prit, le pr\u00e9sentant par la droite aux princes Akhaiens. \nEt ceux qui ne le reconnaissaient point le refusaient. Mais quand \nil parvint \u00e0 celui qui l\u2019avait marqu\u00e9 et jet\u00e9 dans le casque, \u00e0 l\u2019il -\nlustre Aias, celui-ci le reconnut aussit\u00f4t, et, le laissant tomber \u00e0 \nses pieds, il dit, plein de joie :\n\u2013 \u00d4 amis, ce signe est le mien ; et je m\u2019en r\u00e9jouis dans mon c\u0153ur, \net je pense que je dompterai le divin Hect\u00f4r. Allons ! pendant que \nje rev\u00eatirai mes armes belliqueuses, suppliez tout bas, afin que les \ntroiens ne vous entendent point, le roi Zeus Kroni\u00f4n ; ou priez-le \ntout haut, car nous ne craignons personne. Quel guerrier pourrait \nme dompter ais\u00e9ment, \u00e0 l\u2019aide de sa force ou de ma faiblesse ? Je \nsuis n\u00e9 dans Salamis, et je n\u2019y ai point \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9 sans gloire.\nIl parla ainsi, et tous suppliaient le p\u00e8re Zeus Kroni\u00f4n, et chacun \ndisait, regardant le vaste Ouranos :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, qui commandes de l\u2019Ida, tr\u00e8s auguste, tr\u00e8s grand, \ndonne la victoire \u00e0 Aias et qu\u2019il remporte une gloire brillante ; \nmais, si tu aimes Hekt\u00f4r et le prot\u00e8ges, fais que le courage et la \ngloire des deux guerriers soient \u00e9gaux.\nIls parl\u00e8rent ainsi, et Aias s\u2019armait de l\u2019airain \u00e9clatant. Et apr\u00e8s \nqu\u2019il eut couvert son corps de ses armes, il marcha en avant, 188CHAnt 7\npareil au monstrueux Ar\u00e8s que le Kroni\u00f4n envoie au milieu des \nguerriers qu\u2019il pousse \u00e0 combattre, le c\u0153ur plein de fureur.\nAinsi marchait le grand Aias, rempart des Akhaiens, avec un sou -\nrire terrible, \u00e0 grands pas, et brandissant sa longue pique. Et les \nArgiens se r\u00e9jouissaient en le regardant, et un tremblement sai -\nsit les membres des troiens, et le c\u0153ur de Hekt\u00f4r lui-m\u00eame pal -\npita dans sa poitrine ; mais il ne pouvait reculer dans la foule \ndes siens, ni fuir le combat, puisqu\u2019il l\u2019avait demand\u00e9. Et Aias \ns\u2019approcha, portant un bouclier fait d\u2019airain et de sept peaux de \nb\u0153uf, et tel qu\u2019une tour. Et l\u2019excellent ouvrier t ykhios qui habi -\ntait Hyl\u00e8 l\u2019avait fabriqu\u00e9 \u00e0 l\u2019aide de sept peaux de forts taureaux, \nrecouvertes d\u2019une plaque d\u2019airain. Et Aias t \u00e9lam\u00f4nien, portant \nce bouclier devant sa poitrine, s\u2019approcha de Hekt\u00f4r, et dit ces \nparoles mena\u00e7antes :\n\u2013 Maintenant, Hekt\u00f4r, tu sauras, seul \u00e0 seul, quels sont les chefs \ndes Danaens, sans compter Akhilleus au c\u0153ur de lion, qui rompt \nles phalanges des guerriers. Il repose aujourd\u2019hui, sur le rivage \nde la mer, dans ses nefs aux poupes recourb\u00e9es, irrit\u00e9 contre \nAgamemn\u00f4n le prince des peuples ; mais nous pouvons tous \ncombattre contre toi. Commence donc le combat.189\nL \u2019ILIADEEt Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Divin Aias t \u00e9lam\u00f4nien, prince des peuples, ne m\u2019\u00e9prouve point \ncomme si j\u2019\u00e9tais un faible enfant ou une femme qui ignore les tra -\nvaux de la guerre. Je sais combattre et tuer les hommes, et mou -\nvoir mon dur bouclier de la main droite ou de la main gauche, et \nil m\u2019est permis de combattre audacieusement.\nJe sais, dans la rude bataille, de pied ferme marcher au son d\u2019Ar\u00e8s, \net me jeter dans la m\u00eal\u00e9e sur mes cavales rapides. Mais je ne veux \npoint frapper un homme tel que toi par surprise, mais en face, si \nje puis.\nIl parla ainsi, et il lan\u00e7a sa longue pique vibrante et frappa le \ngrand bouclier d\u2019Aias. Et la pique irr\u00e9sistible p\u00e9n\u00e9tra \u00e0 travers les \nsept peaux de b\u0153uf jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re lame d\u2019airain. Et le divin \nAias lan\u00e7a aussi sa longue pique, et il en frappa le bouclier \u00e9gal \ndu Priamide ; et la pique solide p\u00e9n\u00e9tra dans le bouclier \u00e9clatant, \net, per\u00e7ant la cuirasse artistement faite, d\u00e9chira la tunique sur le \nflanc. Mais le Priamide se courba et \u00e9vita la noire k\u00e8r.\nEt tous deux, relevant leurs piques, se ru\u00e8rent, semblables \u00e0 des \nlions mangeurs de chair crue, ou \u00e0 des sangliers dont la vigueur \nest grande. Et le Priamide frappa de sa pique le milieu du bouclier, 190CHAnt 7\nmais il n\u2019en per\u00e7a point l\u2019airain, et la pointe s\u2019y tordit. Et Aias, \nbondissant, frappa le bouclier, qu\u2019il traversa de sa pique, et il \narr\u00eata Hekt\u00f4r qui se ruait, et il lui blessa la gorge, et un sang noir \nen jaillit. Mais Hekt\u00f4r au casque mouvant ne cessa point de com -\nbattre, et, reculant, il prit de sa forte main une pierre grande, \nnoire et rugueuse, qui gisait sur la plaine, et il frappa le milieu du \ngrand bouclier couvert de sept peaux de b\u0153uf, et l\u2019airain r\u00e9sonna \nsourdement. Et Aias, soulevant \u00e0 son tour une pierre plus grande \nencore, la lan\u00e7a en lui imprimant une force immense.\nEt, de cette pierre, il brisa le bouclier, et les genoux du Priamide \nfl\u00e9chirent, et il tomba \u00e0 la renverse sous le bouclier. Mais Apoll\u00f4n \nle releva aussit\u00f4t. Et d\u00e9j\u00e0 ils se seraient frapp\u00e9s tous deux de leurs \n\u00e9p\u00e9es, en se ruant l\u2019un contre l\u2019autre, si les h\u00e9rauts, messagers de \nZeus et des hommes, n\u2019\u00e9taient survenus, l\u2019un du c\u00f4t\u00e9 des t roiens, \nl\u2019autre du c\u00f4t\u00e9 des Akhaiens cuirass\u00e9s, t althybios et Idaios, sages \ntous deux. Et ils lev\u00e8rent leurs sceptres entre les deux guerriers, et \nIdaios, plein de conseils prudents, leur dit :\n\u2013 ne combattez pas plus longtemps, mes chers fils. Zeus qui \namasse les nu\u00e9es vous aime tous deux, et tous deux vous \u00eates tr\u00e8s \nbraves, comme nous le savons tous. Mais voici la nuit, et il est bon \nd\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la nuit.191\nL \u2019ILIADEEt le t \u00e9lam\u00f4nien Aias lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Idaios, ordonne \u00e0 Hekt\u00f4r de parler. C\u2019est lui qui a provoqu\u00e9 au \ncombat les plus braves d\u2019entre nous. Qu\u2019il d\u00e9cide, et j\u2019ob\u00e9irai, et je \nferai ce qu\u2019il fera.\nEt le grand Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Aias, un dieu t\u2019a donn\u00e9 la prudence, la force et la grandeur, et \ntu l\u2019emportes par ta lance sur tous les Akhaiens. Cessons pour \naujourd\u2019hui la lutte et le combat. n ous combattrons de nouveau \nplus tard, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019un dieu en d\u00e9cide et donne \u00e0 l\u2019un de nous \nla victoire.\nVoici la nuit, et il est bon d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la nuit, afin que tu r\u00e9jouisses, \naupr\u00e8s des nefs Akhaiennes, tes concitoyens et tes compagnons, \net que j\u2019aille, dans la grande ville du roi Priamos, r\u00e9jouir les \ntroiens et les t roiennes orn\u00e9es de longues robes, qui prieront \npour moi dans les temples divins. Mais faisons-nous de mutuels \net illustres dons, afin que les Akhaiens et les t roiens disent : Ils \nont combattu pour la discorde qui br\u00fble le c\u0153ur, et voici qu\u2019ils se \nsont s\u00e9par\u00e9s avec amiti\u00e9.192CHAnt 7\nAyant ainsi parl\u00e9, il offrit \u00e0 Aias l\u2019\u00e9p\u00e9e aux clous d\u2019argent, avec la \ngaine et les courroies artistement travaill\u00e9es, et Aias lui donna \nun ceinturon \u00e9clatant, couleur de pourpre. Et ils se retir\u00e8rent, \nl\u2019un vers l\u2019arm\u00e9e des Akhaiens, l\u2019autre vers les t roiens. Et ceux-ci \nse r\u00e9jouirent en foule, quand ils virent Hekt\u00f4r vivant et sauf, \n\u00e9chapp\u00e9 des mains invaincues et de la force d\u2019Aias. Et ils l\u2019emme -\nn\u00e8rent vers la ville, apr\u00e8s avoir d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 de son salut.\nEt, de leur c\u00f4t\u00e9, les Akhaiens bien arm\u00e9s conduisirent au divin \nAgamemn\u00f4n Aias joyeux de sa victoire. Et quand ils furent arri -\nv\u00e9s aux tentes de l\u2019Atr\u00e9ide, le roi des hommes Agamemn\u00f4n sacri -\nfia au puissant Kroni\u00f4n un taureau de cinq ans. Apr\u00e8s l\u2019avoir \n\u00e9corch\u00e9, dispos\u00e9 et coup\u00e9 adroitement en morceaux, ils perc\u00e8rent \nceux-ci de broches, les firent r\u00f4tir avec soin et les retir\u00e8rent du \nfeu. Puis, ils pr\u00e9par\u00e8rent le repas et se mirent \u00e0 manger, et aucun \nne put se plaindre, en son \u00e2me, de manquer d\u2019une part \u00e9gale.\nMais le h\u00e9ros Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, qui commande au loin, \nhonora Aias du dos entier. Et, tous ayant bu et mang\u00e9 selon leur \nsoif et leur faim, le vieillard n est\u00f4r ouvrit le premier le conseil et \nparla ainsi, plein de prudence :\n\u2013 Atr\u00e9ides, et vous, chefs des Akhaiens, beaucoup d\u2019Akhaiens \nchevelus sont morts, dont le rude Ar\u00e8s a r\u00e9pandu le sang noir 193\nL \u2019ILIADEsur les bords du clair Skamandros, et dont les \u00e2mes sont descen -\ndues chez Aid\u00e8s. C\u2019est pourquoi il faut suspendre le combat d\u00e8s \nla lueur du matin. Puis, nous \u00e9tant r\u00e9unis, nous enl\u00e8verons les \ncadavres \u00e0 l\u2019aide de nos b\u0153ufs et de nos mulets, et nous les br\u00fb -\nlerons devant les nefs, afin que chacun en rapporte les cendres \n\u00e0 ses fils, quand tous seront de retour dans la terre de la patrie. \nEt nous leur \u00e9l\u00e8verons, autour d\u2019un seul b\u00fbcher, un m\u00eame tom -\nbeau dans la plaine. Et tout aupr\u00e8s, nous construirons aussit\u00f4t \nde hautes tours qui nous prot\u00e9geront nous et nos nefs. Et nous y \nmettrons des portes solides pour le passage des cavaliers, et nous \ncreuserons en dehors un foss\u00e9 profond qui arr\u00eatera les cavaliers \net les chevaux, si les braves t roiens poussent le combat jusque l\u00e0.\nIl parla ainsi, et tous les rois l\u2019approuv\u00e8rent.\nEt l\u2019agora tumultueuse et troubl\u00e9e des t roiens s\u2019\u00e9tait r\u00e9unie \ndevant les portes de Priamos, sur la haute citadelle d\u2019Ilios. Et le \nsage Ant\u00e8n\u00f4r parla ainsi le premier :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, t roiens, Dardaniens et alli\u00e9s, afin que je dise ce \nque mon c\u0153ur m\u2019ordonne. Allons ! rendons aux Atr\u00e9ides l\u2019Ar -\ngienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et toutes ses richesses, et qu\u2019ils les emm\u00e8nent. \nnous combattons maintenant contre les serments sacr\u00e9s que 194CHAnt 7\nnous avons jur\u00e9s, et je n\u2019esp\u00e8re rien de bon pour nous, si vous ne \nfaites ce que je dis.\nAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019assit. Et alors se leva du milieu de tous le \ndivin Alexandros, l\u2019\u00e9poux de H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \u00e0 la belle chevelure. Et il \nr\u00e9pondit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ant\u00e8n\u00f4r, ce que tu as dit ne m\u2019est point agr\u00e9able. t u aurais pu \nconcevoir de meilleurs desseins, et, si tu as parl\u00e9 s\u00e9rieusement, \ncertes, les dieux t\u2019ont ravi l\u2019esprit. Mais je parle devant les t roiens \ndompteurs de chevaux, et je repousse ce que tu as dit. Je ne ren -\ndrai point cette femme. Pour les richesses que j\u2019ai emport\u00e9es \nd\u2019Argos dans ma demeure, je veux les rendre toutes, et j\u2019y ajoute -\nrai des miennes.\nAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019assit. Et, au milieu de tous, se leva le \nDardanide Priamos, semblable \u00e0 un dieu par sa prudence. Et, \nplein de sagesse, il parla ainsi et dit :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, t roiens, Dardaniens et alli\u00e9s, afin que je dise \nce que mon c\u0153ur m\u2019ordonne. Maintenant, prenez votre repas \ncomme d\u2019habitude, et faites tour \u00e0 tour bonne garde.195\nL \u2019ILIADEQue d\u00e8s le matin Idaios se rende aux nefs creuses, afin de por -\nter aux Atr\u00e9ides Agamemn\u00f4n et M\u00e9n\u00e9laos l\u2019offre d\u2019Alexandros \nd\u2019o\u00f9 viennent nos discordes. Et qu\u2019il leur demande, par de sages \nparoles, s\u2019ils veulent suspendre la triste guerre jusqu\u2019\u00e0 ce que \nnous ayons br\u00fbl\u00e9 les cadavres. n ous combattrons ensuite de nou -\nveau, en attendant que le sort d\u00e9cide entre nous et donne la vic -\ntoire \u00e0 l\u2019un des deux peuples.\nIl parla ainsi, et ceux qui l\u2019\u00e9coutaient ob\u00e9irent, et l\u2019arm\u00e9e prit son \nrepas comme d\u2019habitude. D\u00e8s le matin, Idaios se rendit aux nefs \ncreuses. Et il trouva les Danaens, nourrissons de Zeus, r\u00e9unis \ndans l\u2019agora, aupr\u00e8s de la poupe de la nef d\u2019Agamemn\u00f4n. Et, se \ntenant au milieu d\u2019eux, il parla ainsi :\n\u2013 Atr\u00e9ides et Akhaiens aux belles kn\u00e8mides, Priamos et les \nillustres t roiens m\u2019ordonnent de vous porter l\u2019offre d\u2019Alexandros \nd\u2019o\u00f9 viennent nos discordes, si toutefois elle vous est agr\u00e9able. \ntoutes les richesses qu\u2019Alexandros a rapport\u00e9es dans Ilios sur \nses nefs creuses, \u2013 pl\u00fbt aux dieux qu\u2019il f\u00fbt mort auparavant ! \u2013 il \nveut les rendre et y ajouter des siennes ; mais il refuse de rendre \nla jeune \u00e9pouse de l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos, malgr\u00e9 les supplications \ndes t roiens. Et ils m\u2019ont aussi ordonn\u00e9 de vous demander si \nvous voulez suspendre la triste guerre jusqu\u2019\u00e0 ce que nous ayons \nbr\u00fbl\u00e9 les cadavres. n ous combattrons ensuite de nouveau, en 196CHAnt 7\nattendant que le sort d\u00e9cide entre nous et donne la victoire \u00e0 l\u2019un \ndes deux peuples.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets. Et Diom\u00e8d\u00e8s hardi au com -\nbat parla ainsi :\n\u2013 Qu\u2019aucun de nous n\u2019accepte les richesses d\u2019Alexandros ni H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \nelle-m\u00eame. Il est manifeste pour tous, f\u00fbt-ce pour un enfant, que \nle supr\u00eame d\u00e9sastre est suspendu sur la t\u00eate des t roiens.\nIl parla ainsi, et tous les fils des Akhaiens pouss\u00e8rent des acclama -\ntions, admirant les paroles du dompteur de chevaux Diom\u00e8d\u00e8s. \nEt le roi Agamemn\u00f4n dit \u00e0 Idaios\n\u2013 Idaios, tu as entendu la r\u00e9ponse des Akhaiens. Ils t\u2019ont r\u00e9pondu, \net ce qu\u2019ils disent me pla\u00eet. Cependant, je ne vous refuse point de \nbr\u00fbler vos morts et d\u2019honorer par le feu les cadavres de ceux qui \nont succomb\u00e9. Que l\u2019\u00e9poux de H\u00e8r\u00e8, Zeus qui tonne dans les hau -\nteurs, soit t\u00e9moin de notre trait\u00e9 !\nAyant ainsi parl\u00e9, il \u00e9leva son sceptre vers tous les dieux. Et Idaios \nretourna dans la sainte Ilios, o\u00f9 les t roiens et les Dardaniens \n\u00e9taient r\u00e9unis en agora, attendant son retour. Et il arriva, et, au \nmilieu d\u2019eux, il rendit compte de son message. Et aussit\u00f4t ils 197\nL \u2019ILIADEs\u2019empress\u00e8rent de transporter, ceux-ci les cadavres, ceux-l\u00e0 le bois \ndu b\u00fbcher. Et les Argiens, de leur c\u00f4t\u00e9, s\u2019exhortaient, loin des nefs \ncreuses, \u00e0 relever leurs morts et \u00e0 construire le b\u00fbcher.\nH\u00e9lios, \u00e0 son lever, frappait les campagnes de ses rayons, et, mon -\ntant dans l\u2019Ouranos, sortait doucement du cours profond de \nl\u2019Ok\u00e9anos. Et les deux arm\u00e9es accouraient l\u2019une vers l\u2019autre. Alors, \nil leur fut difficile de reconna\u00eetre leurs guerriers ; mais quand ils \neurent lav\u00e9 leur poussi\u00e8re sanglante, ils les d\u00e9pos\u00e8rent sur les \nchars en r\u00e9pandant des larmes br\u00fblantes. Et le grand Priamos \nne leur permit point de g\u00e9mir, et ils amass\u00e8rent les morts sur le \nb\u00fbcher, se lamentant dans leur c\u0153ur. Et, apr\u00e8s les avoir br\u00fbl\u00e9s, ils \nretourn\u00e8rent vers la sainte Ilios.\nDe leur c\u00f4t\u00e9, les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides amass\u00e8rent les \ncadavres sur le b\u00fbcher, tristes dans leur c\u0153ur. Et, apr\u00e8s les avoir \nbr\u00fbl\u00e9s, ils s\u2019en retourn\u00e8rent vers les nefs creuses. \u00c9\u00f4s n\u2019\u00e9tait point \nlev\u00e9e encore, et d\u00e9j\u00e0 la nuit \u00e9tait douteuse, quand un peuple \ndes Akhaiens vint \u00e9lever dans la plaine un seul tombeau sur \nl\u2019unique b\u00fbcher. Et, non loin, d\u2019autres guerriers construisirent, \npour se prot\u00e9ger eux-m\u00eames et les nefs, de hautes tours avec \ndes portes solides pour le passage des cavaliers. Et ils creus\u00e8rent, \nau-dehors et tout autour, un foss\u00e9 profond, large et grand, qu\u2019ils 198CHAnt 7\nd\u00e9fendirent avec des pieux. Et c\u2019est ainsi que travaillaient les \nAkhaiens chevelus.\nEt les dieux, assis aupr\u00e8s du foudroyant Zeus, regardaient avec \nadmiration ce grand travail des Akhaiens aux tuniques d\u2019airain. \nEt, au milieu d\u2019eux, Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre parla ainsi :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, qui donc, parmi les mortels qui vivent sur la terre \nimmense, fera conna\u00eetre d\u00e9sormais aux immortels sa pens\u00e9e \net ses desseins ? ne vois-tu pas que les Akhaiens chevelus ont \nconstruit une muraille devant leurs nefs, avec un foss\u00e9 tout autour, \net qu\u2019ils n\u2019ont point offert d\u2019illustres h\u00e9catombes aux dieux ? La \ngloire de ceci se r\u00e9pandra autant que la lumi\u00e8re d\u2019\u00c9\u00f4s ; et les murs \nque Phoibos Apoll\u00f4n et moi avons \u00e9lev\u00e9s au h\u00e9ros Laom\u00e9d\u00f4n \nseront oubli\u00e9s.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, avec un profond soupir, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ah ! tr\u00e8s puissant, qui \u00e9branles la terre, qu\u2019as-tu dit ? Un dieu, \nmoins dou\u00e9 de force que toi, n\u2019aurait point cette crainte. Certes, \nta gloire se r\u00e9pandra aussi loin que la lumi\u00e8re d\u2019\u00c9\u00f4s. Reprends \ncourage, et quand les Akhaiens chevelus auront regagn\u00e9 sur leurs \nnefs la terre bien-aim\u00e9e de la patrie, engloutis tout entier dans \nla mer ce mur \u00e9croul\u00e9, couvre de nouveau de sables le vaste 199\nL \u2019ILIADErivage, et que cette immense muraille des Akhaiens s\u2019\u00e9vanouisse \ndevant toi.\nEt ils s\u2019entretenaient ainsi. Et H\u00e9lios se coucha, et le travail des \nAkhaiens fut termin\u00e9. Et ceux-ci tuaient des b\u0153ufs sous les tentes, \net ils prenaient leurs repas. Et plusieurs nefs avaient apport\u00e9 de \nLemnos le vin qu\u2019avait envoy\u00e9 le I\u00e8sonide Eun\u00e8os, que Hypsipyl\u00e8 \navait con\u00e7u du prince des peuples I\u00e8s\u00f4n. Et le I\u00e8sonide avait \ndonn\u00e9 aux Atr\u00e9ides mille mesures de vin.\nEt les Akhaiens chevelus leur achetaient ce vin, ceux-ci avec de \nl\u2019airain, ceux-l\u00e0 avec du fer brillant ; les uns avec des peaux de \nb\u0153ufs, les autres avec les b\u0153ufs eux-m\u00eames, et d\u2019autres avec leurs \nesclaves. Et tous enfin pr\u00e9paraient l\u2019excellent repas.\nEt, pendant toute la nuit, les Akhaiens chevelus mangeaient ; et les \ntroiens aussi et les alli\u00e9s mangeaient dans la ville. Et, au milieu de \nla nuit, le sage Zeus, leur pr\u00e9parant de nouvelles calamit\u00e9s, tonna \nterriblement ; et la p\u00e2le crainte les saisit. Et ils r\u00e9pandaient le vin \nhors des coupes, et aucun n\u2019osa boire avant de faire des libations \nau tr\u00e8s puissant Kroni\u00f4n. Enfin, s\u2019\u00e9tant couch\u00e9s, ils go\u00fbt\u00e8rent la \ndouceur du sommeil.200CHAnt 7201\nL \u2019ILIADEChant 8\n\u00c9\u00f4s au p\u00e9plos couleur de safran \u00e9clairait toute la terre, et Zeus qui \nse r\u00e9jouit de la foudre convoqua l\u2019agora des dieux sur le plus haut \nfa\u00eete de l\u2019Olympos aux sommets sans nombre. Et il leur parla, et \nils \u00e9coutaient respectueusement :\n\u2013 \u00c9coutez-moi tous, dieux et d\u00e9esses, afin que je vous dise ce que \nj\u2019ai r\u00e9solu dans mon c\u0153ur. Et que nul dieu, m\u00e2le ou femelle, ne \nr\u00e9siste \u00e0 mon ordre ; mais ob\u00e9issez tous, afin que j\u2019ach\u00e8ve promp -\ntement mon \u0153uvre. Car si j\u2019apprends que quelqu\u2019un des dieux est \nall\u00e9 secourir soit les t roiens, soit les Danaens, celui-l\u00e0 reviendra \ndans l\u2019Olympos honteusement ch\u00e2ti\u00e9. Et je le saisirai, et je le jette -\nrai au loin, dans le plus creux des gouffres de la terre, au fond du \nnoir t artaros qui a des portes de fer et un seuil d\u2019airain, au-des -\nsous de la demeure d\u2019Aid\u00e8s, autant que la terre est au-dessous \nde l\u2019Ouranos. Et il saura que je suis le plus fort de tous les dieux. \nDebout, dieux ! tentez-le, et vous le saurez. Suspendez une cha\u00eene \nd\u2019or du fa\u00eete de l\u2019Ouranos, et tous, dieux et d\u00e9esses, attachez-vous \n\u00e0 cette cha\u00eene. Vous n\u2019entra\u00eenerez jamais, malgr\u00e9 vos efforts, de \nl\u2019Ouranos sur la terre, Zeus le mod\u00e9rateur supr\u00eame. Et moi, certes, \nsi je le voulais, je vous enl\u00e8verais tous, et la terre et la mer, et 202CHAnt 8\nj\u2019attacherais cette cha\u00eene au fa\u00eete de l\u2019Olympos, et tout y resterait \nsuspendu, tant je suis au-dessus des dieux et des hommes !\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets, stup\u00e9faits de ces paroles, \ncar il avait durement parl\u00e9. Et Ath\u00e8n\u00e8, la d\u00e9esse aux yeux clairs, \nlui dit :\n\u2013 \u00d4 notre p\u00e8re ! Kronide, le plus haut des rois, nous savons bien \nque ta force ne le c\u00e8de \u00e0 aucune autre ; mais nous g\u00e9missons sur \nles Danaens, habiles \u00e0 lancer la pique, qui vont p\u00e9rir par une des -\ntin\u00e9e mauvaise. Certes, nous ne combattrons pas, si tu le veux \nainsi, mais nous conseillerons les Argiens, afin qu\u2019ils ne p\u00e9rissent \npoint tous, gr\u00e2ce \u00e0 ta col\u00e8re.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, souriant, lui dit :\n\u2013 Reprends courage, t ritog\u00e9n\u00e9ia, ch\u00e8re enfant. Certes, j\u2019ai parl\u00e9 \ntr\u00e8s rudement, mais je veux \u00eatre doux pour toi.\nAyant ainsi parl\u00e9, il lia au char les chevaux aux pieds d\u2019airain, \nrapides, ayant pour crini\u00e8res des chevelures d\u2019or ; et il s\u2019enve -\nloppa d\u2019un v\u00eatement d\u2019or ; et il prit un fouet d\u2019or bien travaill\u00e9, \net il monta sur son char. Et il frappa les chevaux du fouet, et ils \nvol\u00e8rent aussit\u00f4t entre la terre et l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9. Il parvint sur 203\nL \u2019ILIADEl\u2019Ida qui abonde en sources, o\u00f9 vivent les b\u00eates sauvages, et sur le \nGargaros, o\u00f9 il poss\u00e8de une enceinte sacr\u00e9e et un autel parfum\u00e9. \nLe p\u00e8re des hommes et des dieux y arr\u00eata ses chevaux, les d\u00e9lia \net les enveloppa d\u2019une grande nu\u00e9e. Et il s\u2019assit sur le fa\u00eete, plein \nde gloire, regardant la ville des t roiens et les nefs des Akhaiens.\nEt les Akhaiens chevelus s\u2019armaient, ayant mang\u00e9 en h\u00e2te sous les \ntentes ; et les t roiens aussi s\u2019armaient dans la ville ; et ils \u00e9taient \nmoins nombreux, mais br\u00fblants du d\u00e9sir de combattre, par n\u00e9ces -\nsit\u00e9, pour leurs enfants et pour leurs femmes.\nEt les portes s\u2019ouvraient, et les peuples, fantassins et cavaliers, se \nruaient au-dehors, et il s\u2019\u00e9levait un bruit immense.\nEt quand ils se furent rencontr\u00e9s, les piques et les forces des guer -\nriers aux cuirasses d\u2019airain se m\u00eal\u00e8rent confus\u00e9ment, et les bou -\ncliers bomb\u00e9s se heurt\u00e8rent, et il s\u2019\u00e9leva un bruit immense. On \nentendait les cris de joie et les lamentations de ceux qui tuaient \nou mouraient, et la terre ruisselait de sang ; et tant qu\u2019\u00c9\u00f4s brilla \net que le jour sacr\u00e9 monta, les traits frapp\u00e8rent les hommes, et les \nhommes tombaient. Mais quand H\u00e9lios fut parvenu au fa\u00eete de \nl\u2019Ouranos, le p\u00e8re Zeus \u00e9tendit ses balances d\u2019or, et il y pla\u00e7a deux \nk\u00e8res de la mort qui rend immobile \u00e0 jamais, la k\u00e8r des t roiens \ndompteurs de chevaux et la k\u00e8r des Akhaiens aux cuirasses 204CHAnt 8\nd\u2019airain. Il \u00e9leva les balances, les tenant par le milieu, et le jour \nfatal des Akhaiens s\u2019inclina ; et la destin\u00e9e des Akhaiens toucha la \nterre nourrici\u00e8re, et celle des t roiens monta vers le large Ouranos. \nEt il roula le tonnerre immense sur l\u2019Ida, et il lan\u00e7a l\u2019ardent \u00e9clair \nau milieu du peuple guerrier des Akhaiens ; et, l\u2019ayant vu, ils res -\nt\u00e8rent stup\u00e9faits et p\u00e2les de terreur.\nni Idom\u00e9neus, ni Agamemn\u00f4n, ni les deux Aias, serviteurs d\u2019Ar\u00e8s, \nn\u2019os\u00e8rent rester. Le G\u00e9rennien n est\u00f4r, rempart des Akhaiens, resta \nseul, mais contre son gr\u00e9, par la chute de son cheval. Le divin \nAlexandros, l\u2019\u00e9poux de H\u00e9l\u00e9n\u00e8 aux beaux cheveux, avait perc\u00e9 le \ncheval d\u2019une fl\u00e8che au sommet de la t\u00eate, endroit mortel, l\u00e0 o\u00f9 \ncroissent les premiers crins.\nEt, l\u2019airain ayant p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 dans la cervelle, le cheval, saisi de dou -\nleur, se roulait et \u00e9pouvantait les autres chevaux. Et, comme le \nvieillard se h\u00e2tait de couper les r\u00eanes avec l\u2019\u00e9p\u00e9e, les rapides che -\nvaux de Hekt\u00f4r, portant leur brave conducteur, approchaient \ndans la m\u00eal\u00e9e, et le vieillard e\u00fbt perdu la vie, si Diom\u00e8d\u00e8s ne l\u2019e\u00fbt \nvu. Et il jeta un cri terrible, appelant Odysseus :\n\u2013 Divin Laertiade, subtil Odysseus, pourquoi fuis-tu, tournant \nle dos comme un l\u00e2che dans la m\u00eal\u00e9e ? Crains qu\u2019on ne te perce 205\nL \u2019ILIADEd\u2019une pique dans le dos, tandis que tu fuis. Reste, et repoussons \nce rude guerrier loin de ce vieillard.\nIl parla ainsi, mais le divin et patient Odysseus ne l\u2019entendit point \net passa outre vers les nefs creuses des Akhaiens. Et le t yd\u00e9ide, \nbien que seul, se m\u00eala aux combattants avanc\u00e9s, et se tint debout \ndevant les chevaux du vieux n \u00e8l\u00e8ide, et il lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 vieillard, voici que de jeunes guerriers te pressent avec fureur. \nta force est dissoute, la lourde vieillesse t\u2019accable, ton serviteur \nest faible et tes chevaux sont lents. Mais monte sur mon char, et \ntu verras quels sont les chevaux de t r\u00f4s que j\u2019ai pris \u00e0 Ain\u00e9ias, et \nqui savent, avec une rapidit\u00e9 \u00e9gale, poursuivre l\u2019ennemi ou fuir \u00e0 \ntravers la plaine. Que nos serviteurs prennent soin de tes chevaux, \net poussons ceux-ci sur les t roiens dompteurs de chevaux, et que \nHekt\u00f4r sache si ma pique est furieuse entre mes mains.\nIl parla ainsi, et le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui ob\u00e9it. Et les \ndeux braves serviteurs, Sth\u00e9n\u00e9los et Eurym\u00e9d\u00f4n, prirent soin de \nses cavales. Et les deux rois mont\u00e8rent sur le char de Diom\u00e8d\u00e8s, \net n est\u00f4r saisit les r\u00eanes brillantes et fouetta les chevaux ; et \nils approch\u00e8rent. Et le fils de t ydeus lan\u00e7a sa pique contre le \nPriamide qui venait \u00e0 lui, et il le manqua ; mais il frappa dans \nla poitrine, pr\u00e8s de la mamelle, \u00c9niopeus, fils du magnanime 206CHAnt 8\nth\u00e8baios, et qui tenait les r\u00eanes des chevaux. Et celui-ci tomba du \nchar, et ses chevaux rapides recul\u00e8rent, et il perdit l\u2019\u00e2me et la force. \nUne am\u00e8re douleur enveloppa l\u2019\u00e2me de Hekt\u00f4r \u00e0 cause de son \ncompagnon ; mais il le laissa gisant, malgr\u00e9 sa douleur, et cher -\ncha un autre brave conducteur. Et ses chevaux n\u2019en manqu\u00e8rent \npas longtemps, car il trouva promptement le hardi Ark\u00e9ptol\u00e9mos \nIphitide ; et il lui confia les chevaux rapides, et il lui remit les \nr\u00eanes en main.\nAlors, il serait arriv\u00e9 un d\u00e9sastre, et des actions furieuses auraient \n\u00e9t\u00e9 commises, et les t roiens auraient \u00e9t\u00e9 renferm\u00e9s dans Ilios \ncomme des agneaux, si le p\u00e8re des hommes et des dieux ne s\u2019\u00e9tait \naper\u00e7u de ceci. Et il tonna fortement, lan\u00e7ant la foudre \u00e9clatante \ndevant les chevaux de Diom\u00e8d\u00e8s ; et l\u2019ardente flamme du soufre \nbr\u00fblant jaillit. Les chevaux effray\u00e9s s\u2019abattirent sous le char, et les \nr\u00eanes splendides \u00e9chapp\u00e8rent des mains de n est\u00f4r ; et il craignit \ndans son c\u0153ur, et il dit \u00e0 Diom\u00e8d\u00e8s :\n\u2013 tyd\u00e9ide ! retourne, fais fuir les chevaux aux sabots \u00e9pais. n e \nvois-tu point que Zeus ne t\u2019aide pas ? Voici que Zeus Kronide \ndonne maintenant la victoire \u00e0 Hekt\u00f4r, et il nous la donnera aussi, \nselon sa volont\u00e9. Le plus brave des hommes ne peut rien contre la \nvolont\u00e9 de Zeus dont la force est sans \u00e9gale.207\nL \u2019ILIADEEt Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Oui, vieillard, tu as dit vrai, et selon la justice ; mais une am\u00e8re \ndouleur envahit mon \u00e2me. Hekt\u00f4r dira, haranguant les t roiens : \nLe t yd\u00e9ide a fui devant moi vers ses nefs ! \u2019Avant qu\u2019il se glorifie \nde ceci, que la terre profonde m\u2019engloutisse !\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ah ! fils du brave tydeus, qu\u2019as-tu dit ? Si Hekt\u00f4r te nommait \nl\u00e2che et faible, ni les t roiens, ni les Dardaniens, ne l\u2019en croiraient, \nni les femmes des magnanimes t roiens porteurs de boucliers, \nelles dont tu as renvers\u00e9 dans la poussi\u00e8re les jeunes \u00e9poux.\nAyant ainsi parl\u00e9, il prit la fuite, poussant les chevaux aux sabots \nmassifs \u00e0 travers la m\u00eal\u00e9e. Et les t roiens et Hekt\u00f4r, avec de grands \ncris, les accablaient de traits ; et le grand Hekt\u00f4r au casque mou -\nvant cria d\u2019une voix haute :\n\u2013 tyd\u00e9ide, certes, les cavaliers Danaens t\u2019honoraient entre tous, te \nr\u00e9servant la meilleure place, et les viandes, et les coupes pleines. \nAujourd\u2019hui, ils t\u2019auront en m\u00e9pris, car tu n\u2019es plus qu\u2019une femme ! \nVa donc, fille l\u00e2che ! tu es par ma faute sur nos tours, et tu 208CHAnt 8\nemm\u00e8neras point nos femmes dans tes nefs. Auparavant, je t\u2019au -\nrai donn\u00e9 la mort.\nIl parla ainsi, et le tyd\u00e9ide h\u00e9sita, voulant fuir et combattre face \n\u00e0 face. Et il h\u00e9sita trois fois dans son esprit et dans son c\u0153ur ; et \ntrois fois le sage Zeus tonna du haut des monts Idaiens, en signe \nde victoire pour les t roiens. Et Hekt\u00f4r, d\u2019une voix puissante, ani -\nmait les t roiens :\n\u2013 troiens, Lykiens et hardis Dardaniens, amis, soyez des hommes \net souvenez-vous de votre force et de votre courage. Je sens que le \nKroni\u00f4n me promet la victoire et une grande gloire, et r\u00e9serve la \nd\u00e9faite aux Danaens. Les insens\u00e9s ! Ils ont \u00e9lev\u00e9 ces murailles inu -\ntiles et m\u00e9prisables qui n\u2019arr\u00eateront point ma force ; et mes che -\nvaux sauteront ais\u00e9ment par-dessus le foss\u00e9 profond. Mais quand \nj\u2019aurai atteint les nefs creuses, souvenez-vous de pr\u00e9parer le feu \ndestructeur, afin que je br\u00fble les nefs, et qu\u2019aupr\u00e8s des nefs je tue \nles Argiens eux-m\u00eames, aveugl\u00e9s par la fum\u00e9e.\nAyant ainsi parl\u00e9, il dit \u00e0 ses chevaux :\n\u2013 Xanthos, Podargos, Aith\u00f4n et divin Lampos, payez-moi les \nsoins infinis d\u2019Andromakh\u00e8, fille du magnanime \u00ca\u00e9ti\u00f4n, qui 209\nL \u2019ILIADEvous pr\u00e9sente le doux froment et vous verse du vin, quand vous \nle d\u00e9sirez, m\u00eame avant moi qui me glorifie d\u2019\u00eatre son jeune \u00e9poux.\nH\u00e2tez-vous donc, courez ! Si nous ne pouvons enlever le bou -\nclier de n est\u00f4r, qui est tout en or ainsi que ses poign\u00e9es, et dont \nla gloire est parvenue jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Ouranos, et la riche cuirasse de \nDiom\u00e8d\u00e8s dompteur de chevaux, et que H\u00e8phaistos a forg\u00e9e avec \nsoin, j\u2019esp\u00e8re que les Akhaiens remonteront cette nuit m\u00eame dans \nleurs nefs rapides.\nIl parla ainsi dans son d\u00e9sir, et le v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 s\u2019en indigna ; et \nelle s\u2019agita sur son tr\u00f4ne, et le vaste Olympos s\u2019\u00e9branla. Et elle dit \nen face au grand Poseida\u00f4n :\n\u2013 toi qui \u00e9branle la terre, ah ! tout-puissant, ton c\u0153ur n\u2019est-il \npoint \u00e9mu dans ta poitrine quand les Danaens p\u00e9rissent ? Ils \nt\u2019offrent cependant, dans H\u00e9lik\u00e8 et dans Aigas, un grand nombre \nde beaux pr\u00e9sents. Donne-leur donc la victoire. Si nous voulions, \nnous tous qui soutenons les Danaens, repousser les t roiens et \nr\u00e9sister \u00e0 Zeus dont la voix sonne au loin, il serait bient\u00f4t seul \nassis sur l\u2019Ida.210CHAnt 8\nEt le puissant qui \u00e9branle la terre, plein de col\u00e8re, lui dit :\n\u2013 Audacieuse H\u00e8r\u00e8, qu\u2019as-tu dit ? Je ne veux point que nous com -\nbattions Zeus Kroni\u00f4n, car il est bien plus fort que nous.\nEt tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, tout l\u2019espace qui s\u00e9parait les nefs \ndu foss\u00e9 \u00e9tait empli confus\u00e9ment de chevaux et de porteurs de \nboucliers, car Hekt\u00f4r Priamide, semblable \u00e0 l\u2019imp\u00e9tueux Ar\u00e8s, les \navait enferm\u00e9s l\u00e0, Zeus l\u2019ayant glorifi\u00e9.\nEt il e\u00fbt consum\u00e9 les nefs \u00e9gales, \u00e0 l\u2019aide du feu, si la v\u00e9n\u00e9 -\nrable H\u00e8r\u00e8 n\u2019e\u00fbt inspir\u00e9 \u00e0 Agamemn\u00f4n de ranimer \u00e0 la h\u00e2te les \nAkhaiens. Et il parcourut les tentes et les nefs des Akhaiens, por -\ntant \u00e0 sa main robuste un grand manteau pourpr\u00e9. Et il s\u2019ar -\nr\u00eata sur la grande et noire nef d\u2019Odysseus, qui \u00e9tait au centre de \ntoutes, afin d\u2019\u00eatre entendu des deux extr\u00e9mit\u00e9s, des tentes d\u2019Aias \nt\u00e9lam\u00f4niade \u00e0 celles d\u2019Akhilleus, car tous deux avaient tir\u00e9 sur le \nsable leurs nefs \u00e9gales aux bouts du camp, certains de leur force \net de leur courage. Et l\u00e0, d\u2019une voix haute, il cria aux Akhaiens :\n\u2013 Honte \u00e0 vous, Argiens couverts d\u2019opprobre, qui n\u2019avez qu\u2019une \nvaine beaut\u00e9 ! Que sont devenues vos paroles orgueilleuses, quand, \n\u00e0 Lemnos, mangeant la chair des b\u0153ufs aux longues cornes, et \nbuvant les krat\u00e8res pleins de vin, vous vous vantiez d\u2019\u00eatre les plus 211\nL \u2019ILIADEbraves et de vaincre les t roiens, un contre cent et contre deux \ncents ? Et maintenant, nous ne pouvons m\u00eame r\u00e9sister \u00e0 un seul \nd\u2019entre eux, \u00e0 Hekt\u00f4r qui va consumer nos nefs par le feu. P\u00e8re \nZeus ! as-tu d\u00e9j\u00e0 accabl\u00e9 d\u2019un tel d\u00e9sastre quelqu\u2019un des rois \ntout-puissants, et l\u2019as-tu priv\u00e9 de tant de gloire ? Certes, je n\u2019ai \njamais pass\u00e9 devant tes temples magnifiques, quand je vins ici \npour ma ruine, sur ma nef charg\u00e9e de rameurs, plein du d\u00e9sir de \nrenverser les hautes murailles de t roi\u00e8, sans br\u00fbler sur tes nom -\nbreux autels la graisse et les cuisses des b\u0153ufs. \u00d4 Zeus ! exauce \ndonc mon v\u0153u : que nous puissions au moins \u00e9chapper et nous \nenfuir, et que les t roiens ne tuent pas tous les Akhaiens !\nIl parla ainsi, et le p\u00e8re Zeus eut piti\u00e9 de ses larmes, et il pro -\nmit par un signe que les peuples ne p\u00e9riraient pas. Et il envoya \nun aigle, le plus s\u00fbr des oiseaux, tenant entre ses serres le jeune \nfaon d\u2019une biche agile. Et l\u2019aigle jeta ce faon sur l\u2019autel magni -\nfique de Zeus, o\u00f9 les Akhaiens sacrifiaient \u00e0 Zeus, source de tous \nles oracles. Et quand ils virent l\u2019oiseau envoy\u00e9 par Zeus, il retour -\nn\u00e8rent dans la m\u00eal\u00e9e et se ru\u00e8rent sur les t roiens.\nEt alors aucun des Danaens innombrables ne put se glorifier, \npoussant ses chevaux rapides au-del\u00e0 du foss\u00e9, d\u2019avoir devanc\u00e9 le \ntyd\u00e9ide et combattu le premier. Et, tout d\u2019abord, il tua un guer -\nrier t roien, Ag\u00e9laos Phradmonide, qui fuyait. Et il lui enfon\u00e7a sa 212CHAnt 8\npique dans le dos, entre les \u00e9paules ; et la pique traversa la poi -\ntrine. Le t roien tomba du char, et ses armes retentirent.\nEt les Atr\u00e9ides le suivaient, et les deux Aias pleins d\u2019une vigueur \nindomptable, et Idom\u00e9neus, et M\u00e8rion\u00e8s, tel qu\u2019Ar\u00e8s, compa -\ngnon d\u2019Idom\u00e9neus, et le tueur d\u2019hommes Euryalos, et Eurypylos, \nfils illustre d\u2019\u00c9vaim\u00f4n. Et t eukros survint le neuvi\u00e8me, avec son \narc tendu, et se tenant derri\u00e8re le bouclier d\u2019Aias t \u00e9lam\u00f4niade. \nEt quand le grand Aias soulevait le bouclier, teukros, regardant \nde toutes parts, ajustait et frappait un ennemi dans la m\u00eal\u00e9e, et \ncelui-ci tombait mort. Et il revenait aupr\u00e8s d\u2019Aias comme un \nenfant vers sa m\u00e8re, et Aias l\u2019abritait de l\u2019\u00e9clatant bouclier.\nQuel fut le premier t roien que tua l\u2019irr\u00e9prochable t eukros ? \nD\u2019abord Orsilokhos, puis Orm\u00e9nos, et Oph\u00e9lest\u00e8s, et Dait\u00f4r, et \nKhromios, et le divin Lykophont\u00e8s, et Amopa\u00f4n Polyaimonide, et \nM\u00e9nalippos. Et il les coucha tour \u00e0 tour sur la terre nourrici\u00e8re. Et \nle roi des hommes, Agamemn\u00f4n, plein de joie de le voir renver -\nser de ses fl\u00e8ches les phalanges des t roiens, s\u2019approcha et lui dit :\n\u2013 Cher t eukros t \u00e9lam\u00f4nien, prince des peuples, continue \u00e0 lancer \ntes fl\u00e8ches pour le salut des Danaens, et pour glorifier ton p\u00e8re \nt\u00e9lam\u00f4n qui t\u2019a nourri et soign\u00e9 dans ses demeures tout petit et \nbien que b\u00e2tard. Et je te le dis, et ma parole s\u2019accomplira : si Zeus 213\nL \u2019ILIADEtemp\u00e9tueux et Ath\u00e8n\u00e8 me donnent de renverser la forte citadelle \nd\u2019Ilios, le premier apr\u00e8s moi tu recevras une glorieuse r\u00e9com -\npense : un tr\u00e9pied, deux chevaux et un char, et une femme qui \npartagera ton lit.\nEt l\u2019irr\u00e9prochable t eukros lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tr\u00e8s illustre Atr\u00e9ide, pourquoi m\u2019excites-tu quand je suis plein \nd\u2019ardeur ? Certes, je ferai de mon mieux et selon mes forces. \nDepuis que nous les repoussons vers Ilios, je tue les guerriers de \nmes fl\u00e8ches. J\u2019en ai lanc\u00e9 huit, et toutes se sont enfonc\u00e9es dans la \nchair des jeunes hommes imp\u00e9tueux ; mais je ne puis frapper ce \nchien enrag\u00e9 !\nIl parla ainsi, et il lan\u00e7a une fl\u00e8che contre Hekt\u00f4r, plein du d\u00e9sir \nde l\u2019atteindre, et il le manqua.\nEt la fl\u00e8che per\u00e7a la poitrine de l\u2019irr\u00e9prochable Gorgythi\u00f4n, brave \nfils de Priamos, qu\u2019avait enfant\u00e9 la belle Kathan\u00e9ira, venue d\u2019Ai -\nsim\u00e8, et semblable aux d\u00e9esses par sa beaut\u00e9. Et, comme un pavot, \ndans un jardin, penche la t\u00eate sous le poids de ses fruits et des \nros\u00e9es printani\u00e8res, de m\u00eame le Priamide pencha la t\u00eate sous le \npoids de son casque. Et teukros lan\u00e7a une autre fl\u00e8che contre \nHekt\u00f4r, plein du d\u00e9sir de l\u2019atteindre, et il le manqua encore ; et 214CHAnt 8\nil per\u00e7a, pr\u00e8s de la mamelle, le brave Arkh\u00e9ptol\u00e9mos, conduc -\nteur des chevaux de Hekt\u00f4r ; et Arkh\u00e9ptol\u00e9mos tomba du char ; \nses chevaux rapides recul\u00e8rent, et sa vie et sa force furent an\u00e9an -\nties. Le regret amer de son compagnon serra le c\u0153ur de Hekt\u00f4r, \nmais, malgr\u00e9 sa douleur, il le laissa gisant, et il ordonna \u00e0 son fr\u00e8re \nK\u00e9bri\u00f4n de prendre les r\u00eanes, et ce dernier ob\u00e9it.\nAlors, Hekt\u00f4r sauta du char \u00e9clatant, poussant un cri terrible ; et, \nsaisissant une pierre, il courut \u00e0 t eukros, plein du d\u00e9sir de l\u2019en \nfrapper. Et le t \u00e9lam\u00f4nien avait tir\u00e9 du carquois une fl\u00e8che am\u00e8re, \net il la pla\u00e7ait sur le nerf, quand Hekt\u00f4r au casque mouvant, \ncomme il tendait l\u2019arc, le frappa de la pierre dure \u00e0 l\u2019\u00e9paule, l\u00e0 o\u00f9 \nla clavicule s\u00e9pare le cou de la poitrine, \u00e0 un endroit mortel. Et \nle nerf de l\u2019arc fut bris\u00e9, et le poignet fut \u00e9cras\u00e9, et l\u2019arc s\u2019\u00e9chappa \nde sa main, et il tomba \u00e0 genoux. Mais Aias n\u2019abandonna point \nson fr\u00e8re tomb\u00e9, et il accourut, le couvrant de son bouclier. Puis, \nses deux chers compagnons, M\u00e8kisteus, fils d\u2019Ekhios, et le divin \nAlast\u00f4r, emport\u00e8rent vers les nefs creuses t eukros qui poussait \ndes g\u00e9missements.\nEt l\u2019Olympien rendit de nouveau le courage aux t roiens, et ils \nrepouss\u00e8rent les Akhaiens jusqu\u2019au foss\u00e9 profond ; et Hekt\u00f4r \nmarchait en avant, r\u00e9pandant la terreur de sa force. Comme un \nchien qui poursuit de ses pieds rapides un sanglier sauvage ou un 215\nL \u2019ILIADElion, le touche aux cuisses et aux fesses, \u00e9piant l\u2019instant o\u00f9 il se \nretournera, de m\u00eame Hekt\u00f4r poursuivait les Akhaiens chevelus, \ntuant toujours celui qui restait en arri\u00e8re. Et les Akhaiens fuyaient. \nEt beaucoup tombaient sous les mains des t roiens, en traversant \nles pieux et le foss\u00e9. Mais les autres s\u2019arr\u00eat\u00e8rent aupr\u00e8s des nefs, \ns\u2019animant entre eux, levant les bras et suppliant tous les dieux. Et \nHekt\u00f4r poussait de tous c\u00f4t\u00e9s ses chevaux aux belles crini\u00e8res, \nayant les yeux de Gorg\u00f4 et du sanguinaire Ar\u00e8s. Et la divine H\u00e8r\u00e8 \naux bras blancs, \u00e0 cette vue, fut saisie de piti\u00e9 et dit \u00e0 Ath\u00e8n\u00e8 ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Ah ! fille de Zeus temp\u00e9tueux, ne secourrons-nous point, en ce \ncombat supr\u00eame, les Danaens qui p\u00e9rissent ? Car voici que, par \nune destin\u00e9e mauvaise, ils vont p\u00e9rir sous la violence d\u2019un seul \nhomme. Le Priamide Hekt\u00f4r est plein d\u2019une fureur intol\u00e9rable, et \nil les accable de maux.\nEt la divine Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, le Priamide aurait d\u00e9j\u00e0 perdu la force avec la vie et serait \ntomb\u00e9 mort sous la main des Argiens, sur sa terre natale, si mon \np\u00e8re, toujours irrit\u00e9, dur et inique, ne s\u2019opposait \u00e0 ma volont\u00e9.216CHAnt 8\nEt il ne se souvient plus que j\u2019ai souvent secouru son fils accabl\u00e9 \nde travaux par Eurystheus. H\u00e8rakl\u00e8s criait vers l\u2019Ouranos, et Zeus \nm\u2019envoya pour le secourir. Certes, si j\u2019avais pr\u00e9vu ceci, quand \nH\u00e8rakl\u00e8s fut envoy\u00e9 dans les demeures aux portes massives d\u2019Ai -\nd\u00e8s, pour enlever, de l\u2019\u00c9r\u00e9bos, le chien du ha\u00efssable Aid\u00e8s, certes, \nil n\u2019aurait point repass\u00e9 l\u2019eau courante et profonde de Styx ! Et \nZeus me hait, et il c\u00e8de aux d\u00e9sirs de t h\u00e9tis qui a embrass\u00e9 ses \ngenoux et lui a caress\u00e9 la barbe, le suppliant d\u2019honorer Akhilleus \nle destructeur de citadelles. Et il me nommera encore sa ch\u00e8re \nfille aux yeux clairs ! Mais attelle nos chevaux aux sabots massifs, \ntandis que j\u2019irai dans la demeure de Zeus prendre l\u2019Aigide et me \ncouvrir de mes armes guerri\u00e8res. Je verrai si le Priamide Hekt\u00f4r \nau casque mouvant sera joyeux de nous voir descendre toutes \ndeux dans la m\u00eal\u00e9e. Certes, plus d\u2019un troien couch\u00e9 devant les \nnefs des Akhaiens va rassasier les chiens et les oiseaux carnassiers \nde sa graisse et de sa chair !\nElle parla ainsi, et la divine H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs ob\u00e9it. Et la \ndivine et v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8, fille du grand Kronos, se h\u00e2ta d\u2019atteler \nles chevaux li\u00e9s par des harnais d\u2019or. Et Ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus tem -\np\u00e9tueux, laissa tomber son riche p\u00e9plos, qu\u2019elle avait travaill\u00e9 de \nses mains, sur le pav\u00e9 de la demeure de son p\u00e8re, et elle prit la cui -\nrasse de Zeus qui amasse les nu\u00e9es, et elle se rev\u00eatit de ses armes \npour la guerre lamentable.217\nL \u2019ILIADEEt elle monta dans le char flamboyant, et elle saisit la lance lourde, \ngrande et solide, avec laquelle, \u00e9tant la fille d\u2019un p\u00e8re tout-puis -\nsant, elle dompte la foule des h\u00e9ros contre qui elle s\u2019irrite. Et H\u00e8r\u00e8 \nfrappa du fouet les chevaux rapides, et les portes de l\u2019Ouranos \ns\u2019ouvrirent d\u2019elles-m\u00eames en criant, gard\u00e9es par les Heures qui \nsont charg\u00e9es d\u2019ouvrir le grand Ouranos et l\u2019Olympos, ou de les \nfermer avec un nuage \u00e9pais. Et ce fut par l\u00e0 que les d\u00e9esses pous -\ns\u00e8rent les chevaux ob\u00e9issant \u00e0 l\u2019aiguillon. Et le p\u00e8re Zeus, les ayant \nvues de l\u2019Ida, fut saisi d\u2019une grande col\u00e8re, et il envoya la messa -\ng\u00e8re Iris aux ailes d\u2019or :\n\u2013 Va ! h\u00e2te-toi, l\u00e9g\u00e8re Iris ! Fais-les reculer, et qu\u2019elles ne se pr\u00e9 -\nsentent point devant moi, car ceci serait dangereux pour elles. Je \nle dis, et ma parole s\u2019accomplira : J\u2019\u00e9craserai les chevaux rapides \nsous leur char que je briserai, et je les en pr\u00e9cipiterai, et, avant \ndix ans, elles ne gu\u00e9riront point des plaies que leur fera la foudre. \nAth\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs saura qu\u2019elle a combattu son p\u00e8re. Ma \ncol\u00e8re n\u2019est point aussi grande contre H\u00e8r\u00e8, car elle est habitu\u00e9e \u00e0 \ntoujours r\u00e9sister \u00e0 ma volont\u00e9.\nIl parla ainsi, et la messag\u00e8re Iris aux pieds prompts comme le \nvent s\u2019\u00e9lan\u00e7a, et elle descendit des cimes Idaiennes dans le grand 218CHAnt 8\nOlympos, et elle les arr\u00eata aux premi\u00e8res portes de l\u2019Olympos aux \nvall\u00e9es sans nombre, et elle leur dit les paroles de Zeus :\n\u2013 O\u00f9 allez-vous ? Pourquoi votre c\u0153ur est-il ainsi troubl\u00e9 ? Le \nKronide ne veut pas qu\u2019on vienne en aide aux Argiens. Voici la \nmenace du fils de Kronos, s\u2019il agit selon sa parole : il \u00e9crasera les \nchevaux rapides sous votre char qu\u2019il brisera, et il vous en pr\u00e9 -\ncipitera, et, avant dix ans, vous ne gu\u00e9rirez point des plaies que \nvous fera la foudre. Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs, tu sauras que tu as \ncombattu ton p\u00e8re ! Sa col\u00e8re n\u2019est point aussi grande contre H\u00e8r\u00e8, \ncar elle est habitu\u00e9e \u00e0 toujours r\u00e9sister \u00e0 sa volont\u00e9. Mais toi, tr\u00e8s \nviolente et audacieuse chienne, oseras-tu lever ta lance terrible \ncontre Zeus ?\nAyant ainsi parl\u00e9, Iris aux pieds rapides s\u2019envola, et H\u00e8r\u00e8 dit \n\u00e0 Ath\u00e8n\u00e8 :\n\u2013 Ah ! fille de Zeus temp\u00e9tueux, je ne puis permettre que nous \ncombattions contre Zeus pour des mortels. Que l\u2019un meure, que \nl\u2019autre vive, soit ! Et que Zeus d\u00e9cide, comme il est juste, et selon \nsa volont\u00e9, entre les t roiens et les Danaens.\nAyant ainsi parl\u00e9, elle fit retourner les chevaux aux sabots mas -\nsifs, et les Heures d\u00e9tel\u00e8rent les chevaux aux belles crini\u00e8res et les 219\nL \u2019ILIADEattach\u00e8rent aux cr\u00e8ches divines, et appuy\u00e8rent le char contre le \nmur \u00e9clatant. Et les d\u00e9esses, le c\u0153ur triste, s\u2019assirent sur des si\u00e8ges \nd\u2019or au milieu des autres dieux. Et le p\u00e8re Zeus poussa du haut de \nl\u2019Ida, vers l\u2019Olympos, son char aux belles roues et ses chevaux, et \nil parvint aux si\u00e8ges des dieux.\nEt l\u2019illustre qui \u00e9branle la terre d\u00e9tela les chevaux, posa le char sur \nun autel et le couvrit d\u2019un voile de lin. Et Zeus \u00e0 la grande voix \ns\u2019assit sur son tr\u00f4ne d\u2019or, et le large Olympos trembla sous lui. Et \nAth\u00e8n\u00e8 et H\u00e8r\u00e8 \u00e9taient assises loin de Zeus, et elles ne lui parlaient \nni ne l\u2019interrogeaient ; mais il les devina et dit :\n\u2013 Ath\u00e8n\u00e8 et H\u00e8r\u00e8, pourquoi \u00eates-vous ainsi afflig\u00e9es ? Vous ne \nvous \u00eates point longtemps fatigu\u00e9es, du moins, dans la bataille \nqui illustre les guerriers, afin d\u2019an\u00e9antir les t roiens pour qui vous \navez tant de haine. n on ! tous les dieux de l\u2019Olympos ne me r\u00e9sis -\nteront point, tant la force de mes mains invincibles est grande. \nLa terreur a fait trembler vos beaux membres avant d\u2019avoir vu \nla guerre et la m\u00eal\u00e9e violente. Et je le dis, et ma parole se serait \naccomplie : frapp\u00e9es toutes deux de la foudre, vous ne seriez \npoint revenues sur votre char dans l\u2019Olympos qui est la demeure \ndes immortels.220CHAnt 8\nEt il parla ainsi, et Ath\u00e8n\u00e8 et H\u00e8r\u00e8 g\u00e9missaient, assises \u00e0 c\u00f4t\u00e9 l\u2019une \nde l\u2019autre, et m\u00e9ditant le malheur des t roiens. Et Ath\u00e8n\u00e8 restait \nmuette, irrit\u00e9e contre son p\u00e8re Zeus, et une sauvage col\u00e8re la br\u00fb -\nlait ; mais H\u00e8r\u00e8 ne put contenir la sienne, et elle dit :\n\u2013 tr\u00e8s dur Kronide, quelle parole as-tu dite ? nous savons bien \nque ta force est grande, mais nous g\u00e9missons sur les belliqueux \nDanaens qui vont p\u00e9rir par une destin\u00e9e mauvaise.\nnous ne combattrons point, si tu le veux ; mais nous aiderons les \nArgiens de nos conseils, afin qu\u2019ils ne p\u00e9rissent point tous par \nta col\u00e8re.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, au retour d\u2019\u00c9\u00f4s, tu pourras voir, v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux \nde b\u0153uf, le tout-puissant Kroni\u00f4n mieux d\u00e9truire encore l\u2019arm\u00e9e \ninnombrable des Argiens ; car le brave Hekt\u00f4r ne cessera point \nde combattre, que le rapide P\u00e8l\u00e9i\u00f4n ne se soit lev\u00e9 aupr\u00e8s des nefs, \nle jour o\u00f9 les Akhaiens combattront sous leurs poupes, luttant \ndans un \u00e9troit espace sur le cadavre de Patroklos. Ceci est fatal. \nJe me soucie peu de ta col\u00e8re, quand m\u00eame tu irais aux derni\u00e8res \nlimites de la terre et de la mer, o\u00f9 sont couch\u00e9s Iap\u00e9tos et Kronos, \nloin des vents et de la lumi\u00e8re de H\u00e9lios, fils de Hyp\u00e9ri\u00f4n, dans 221\nL \u2019ILIADEl\u2019enceinte du creux t artaros. Quand m\u00eame tu irais l\u00e0, je me sou -\ncie peu de ta col\u00e8re, car rien n\u2019est plus impudent que toi.\nIl parla ainsi, et H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs ne r\u00e9pondit rien. Et la bril -\nlante lumi\u00e8re H\u00e9lienne tomba dans l\u2019Ok\u00e9anos, laissant la noire \nnuit sur la terre nourrici\u00e8re. La lumi\u00e8re disparut contre le gr\u00e9 des \ntroiens, mais la noire nuit fut la bienvenue des Akhaiens qui la \nd\u00e9siraient ardemment.\nEt l\u2019illustre Hekt\u00f4r r\u00e9unit l\u2019agora des t roiens, les ayant conduits \nloin des nefs, sur les bords du fleuve tourbillonnant, en un lieu o\u00f9 \nil n\u2019y avait point de cadavres.\nEt ils descendirent de leurs chevaux pour \u00e9couter les paroles de \nHekt\u00f4r cher \u00e0 Zeus. Et il tenait \u00e0 la main une pique de onze cou -\nd\u00e9es, \u00e0 la brillante pointe d\u2019airain retenue par un anneau d\u2019or. Et, \nappuy\u00e9 sur cette pique, il dit aux t roiens ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, t roiens, Dardaniens et alli\u00e9s. J\u2019esp\u00e9rais ne retour -\nner dans Ilios battue des vents qu\u2019apr\u00e8s avoir d\u00e9truit les nefs et \ntous les Akhaiens ; mais les t\u00e9n\u00e8bres sont venues qui ont sauv\u00e9 les \nArgiens et les nefs sur le rivage de la mer. C\u2019est pourquoi, ob\u00e9is -\nsons \u00e0 la nuit noire, et pr\u00e9parons le repas. D\u00e9telez les chevaux \naux belles crini\u00e8res et donnez-leur de la nourriture. Amenez 222CHAnt 8\npromptement de la ville des b\u0153ufs et de grasses brebis, et appor -\ntez un doux vin de vos demeures, et amassez beaucoup de bois, \nafin que, toute la nuit, jusqu\u2019au retour d\u2019\u00c9\u00f4s qui na\u00eet le matin, \nnous allumions beaucoup de feux dont l\u2019\u00e9clat s\u2019\u00e9l\u00e8ve dans l\u2019Ou -\nranos, et afin que les Akhaiens chevelus ne profitent pas de la \nnuit pour fuir sur le vaste dos de la mer. Qu\u2019ils ne montent point \ntranquillement du moins sur leurs nefs, et que chacun d\u2019eux, en \nmontant sur sa nef, emporte dans son pays une blessure faite par \nnos piques et nos lances aigu\u00ebs ! Que tout autre redoute d\u00e9sor -\nmais d\u2019apporter la guerre lamentable aux t roiens dompteurs de \nchevaux. Que les h\u00e9rauts chers \u00e0 Zeus appellent, par la ville, les \njeunes enfants et les vieillards aux tempes blanches \u00e0 se r\u00e9unir sur \nles tours \u00e9lev\u00e9es par les dieux ; et que les femmes timides, cha -\ncune dans sa demeure, allument de grands feux, afin qu\u2019on veille \navec vigilance, de peur qu\u2019on entre par surprise dans la ville, en \nl\u2019absence des hommes.\nQu\u2019il soit fait comme je le dis, magnanimes t roiens, car mes \nparoles sont salutaires. D\u00e8s le retour d\u2019\u00c9\u00f4s je parlerai encore aux \ntroiens dompteurs de chevaux. Je me vante, ayant suppli\u00e9 Zeus et \nles autres dieux, de chasser bient\u00f4t d\u2019ici ces chiens que les k\u00e8res \nont amen\u00e9s sur les nefs noires. Veillons sur nous-m\u00eames pendant \nla nuit ; mais, d\u00e8s la premi\u00e8re heure du matin, couvrons-nous de \nnos armes et poussons l\u2019imp\u00e9tueux Ar\u00e8s sur les nefs creuses. Je 223\nL \u2019ILIADEsaurai si le brave Diom\u00e8d\u00e8s t yd\u00e9ide me repoussera loin des nefs \njusqu\u2019aux murailles, ou si, le per\u00e7ant de l\u2019airain, j\u2019emporterai ses \nd\u00e9pouilles sanglantes. Demain, il pourra se glorifier de sa force, \ns\u2019il r\u00e9siste \u00e0 ma pique ; mais j\u2019esp\u00e8re plut\u00f4t que, demain, quand \nH\u00e9lios se l\u00e8vera, il tombera des premiers, tout sanglant, au milieu \nd\u2019une foule de ses compagnons. Et pl\u00fbt aux dieux que je fusse \nimmortel et toujours jeune, et honor\u00e9 comme Ath\u00e8n\u00e8 et Apoll\u00f4n, \nautant qu\u2019il est certain que ce jour sera funeste aux Argiens !\nHekt\u00f4r parla ainsi, et les t roiens pouss\u00e8rent des acclamations. \nEt ils d\u00e9tach\u00e8rent du joug les chevaux mouill\u00e9s de sueur, et ils \nles li\u00e8rent avec des lani\u00e8res aupr\u00e8s des chars ; et ils amen\u00e8rent \npromptement de la ville des b\u0153ufs et des brebis grasses ; et ils \napport\u00e8rent un doux vin et du pain de leurs demeures, et ils \namass\u00e8rent beaucoup de bois. Puis, ils sacrifi\u00e8rent de compl\u00e8tes \nh\u00e9catombes aux immortels, et le vent en portait la fum\u00e9e \u00e9paisse \net douce dans l\u2019Ouranos.\nMais les dieux heureux n\u2019en voulurent point et la d\u00e9daign\u00e8rent, \ncar ils ha\u00eessaient la sainte Ilios, et Priamos, et le peuple de Priamos \naux piques de fr\u00eane.\nEt les t roiens, pleins d\u2019esp\u00e9rance, passaient la nuit sur le sentier \nde la guerre, ayant allum\u00e9 de grands feux. Comme, lorsque les 224CHAnt 8\nastres \u00e9tincellent dans l\u2019Ouranos autour de la claire S\u00e9l\u00e8n\u00e8, et que \nle vent ne trouble point l\u2019air, on voit s\u2019\u00e9clairer les cimes et les hauts \npromontoires et les vall\u00e9es, et que l\u2019aith\u00e8r infini s\u2019ouvre au fa\u00eete \nde l\u2019Ouranos, et que le berger joyeux voit luire tous les astres ; de \nm\u00eame, entre les nefs et l\u2019eau courante du Xanthos, les feux des \ntroiens brillaient devant Ilios. Mille feux br\u00fblaient ainsi dans la \nplaine ; et, pr\u00e8s de chacun, \u00e9taient assis cinquante guerriers autour \nde la flamme ardente. Et les chevaux, mangeant l\u2019orge et l\u2019avoine, \nse tenaient aupr\u00e8s des chars, attendant \u00c9\u00f4s au beau tr\u00f4ne.225\nL \u2019ILIADEChant 9\ntandis que les t roiens pla\u00e7aient ainsi leurs gardes, le d\u00e9sir de la \nfuite, qui accompagne la froide terreur, saisissait les Akhaiens. Et \nles plus braves \u00e9taient frapp\u00e9s d\u2019une accablante tristesse.\nDe m\u00eame, lorsque les deux vents Bor\u00e9as et Z\u00e9phyros, soufflant de \nla thr\u00e8k\u00e8, bouleversent la haute mer poissonneuse, et que l\u2019onde \nnoire se gonfle et se d\u00e9roule en masses d\u2019\u00e9cume, ainsi, dans leurs \npoitrines, se d\u00e9chirait le c\u0153ur des Akhaiens. Et l\u2019Atr\u00e9ide, frapp\u00e9 \nd\u2019une grande douleur, ordonna aux h\u00e9rauts \u00e0 la voix sonore d\u2019ap -\npeler, chacun par son nom, et sans clameurs, les hommes \u00e0 l\u2019agora. \nEt lui-m\u00eame appela les plus proches. Et tous vinrent s\u2019asseoir \ndans l\u2019agora, pleins de tristesse. Et Agamemn\u00f4n se leva, versant \ndes larmes, comme une source abondante qui tombe largement \nd\u2019une roche \u00e9lev\u00e9e. Et, avec un profond soupir, il dit aux Argiens :\n\u2013 \u00d4 amis, rois et chefs des Argiens, le Kronide Zeus m\u2019a accabl\u00e9 \nd\u2019un lourd malheur, lui qui m\u2019avait solennellement promis que \nje ne m\u2019en retournerais qu\u2019apr\u00e8s avoir d\u00e9truit Ilios aux murailles \nsolides. Maintenant, il m\u00e9dite une fraude funeste, et il m\u2019ordonne \nde retourner sans gloire dans Argos, quand j\u2019ai perdu tant de 226CHAnt 9\nguerriers d\u00e9j\u00e0 ! Et ceci pla\u00eet au tout-puissant Zeus qui a renvers\u00e9 \nles citadelles de tant de villes, et qui en renversera encore, car sa \npuissance est tr\u00e8s grande. Allons ! ob\u00e9issez tous \u00e0 mes paroles : \nfuyons sur nos nefs vers la terre bien-aim\u00e9e de la patrie.\nnous ne prendrons jamais Ilios aux larges rues.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets, et les fils des Akhaiens \n\u00e9taient tristes et silencieux. Enfin, Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat \nparla au milieu d\u2019eux :\n\u2013 Atr\u00e9ide, je combattrai le premier tes paroles insens\u00e9es, comme \nil est permis, \u00f4 roi, dans l\u2019agora ; et tu ne t\u2019en irriteras pas, car toi-\nm\u00eame tu m\u2019as outrag\u00e9 d\u00e9j\u00e0 au milieu des Danaens, me nom -\nmant faible et l\u00e2che. Et ceci, les Argiens le savent, jeunes et vieux. \nCertes, le fils du subtil Kronos t\u2019a dou\u00e9 in\u00e9galement. Il t\u2019a accord\u00e9 \nle sceptre et les honneurs supr\u00eames, mais il ne t\u2019a point donn\u00e9 \nla fermet\u00e9 de l\u2019\u00e2me, qui est la plus grande vertu. Malheureux ! \npenses-tu que les fils des Akhaiens soient aussi faibles et aussi \nl\u00e2ches que tu le dis ? Si ton c\u0153ur te pousse \u00e0 retourner en \narri\u00e8re, va ! voici la route ; et les nombreuses nefs qui t\u2019ont suivi \nde Myk\u00e8n\u00e8 sont l\u00e0, aupr\u00e8s du rivage de la mer. Mais tous les \nautres Akhaiens chevelus resteront jusqu\u2019\u00e0 ce que nous ayons \nrenvers\u00e9 Ilios. Et s\u2019ils veulent eux-m\u00eames fuir sur leurs nefs vers 227\nL \u2019ILIADEla terre bien-aim\u00e9e de la patrie, moi et Sth\u00e9n\u00e9los nous combat -\ntrons jusqu\u2019\u00e0 ce que nous ayons vu la fin d\u2019Ilios, car nous sommes \nvenus ici sur la foi des dieux !\nIl parla ainsi, et tous les fils des Akhaiens applaudirent, admi -\nrant le discours du dompteur de chevaux Diom\u00e8d\u00e8s. Et le cava -\nlier n est\u00f4r, se levant au milieu d\u2019eux, parla ainsi :\n\u2013 tyd\u00e9ide, tu es le plus hardi au combat, et tu es aussi le premier \n\u00e0 l\u2019agora parmi tes \u00e9gaux en \u00e2ge. n ul ne bl\u00e2mera tes paroles, et \naucun des Akhaiens ne les contredira mais tu n\u2019as pas tout dit. \n\u00c0 la v\u00e9rit\u00e9, tu es jeune, et tu pourrais \u00eatre le moins \u00e2g\u00e9 de mes \nfils ; et, cependant, tu parles avec prudence devant les rois des \nArgiens, et comme il convient. C\u2019est \u00e0 moi de tout pr\u00e9voir et de \ntout dire, car je me glorifie d\u2019\u00eatre plus vieux que toi. Et nul ne bl\u00e2 -\nmera mes paroles, pas m\u00eame le roi Agamemn\u00f4n. Il est sans intel -\nligence, sans justice et sans foyers domestiques, celui qui aime \nles affreuses discordes intestines. Mais ob\u00e9issons maintenant \u00e0 \nla nuit noire : pr\u00e9parons notre repas, pla\u00e7ons des gardes choisies \naupr\u00e8s du foss\u00e9 profond, en avant des murailles. C\u2019est aux jeunes \nhommes de prendre ce soin, et c\u2019est \u00e0 toi, Atr\u00e9ide, qui es le chef \nsupr\u00eame, de le leur commander. Puis, offre un repas aux chefs, car \nceci est convenable et t\u2019appartient. t es tentes sont pleines du vin \nque les nefs des Akhaiens t\u2019apportent chaque jour de la thr\u00e8k\u00e8, 228CHAnt 9\n\u00e0 travers l\u2019immensit\u00e9 de la haute mer. t u peux ais\u00e9ment beau -\ncoup offrir, et tu commandes \u00e0 un grand nombre de serviteurs. \nQuand les chefs seront assembl\u00e9s, ob\u00e9is \u00e0 qui te donnera le meil -\nleur conseil ; car les Akhaiens ont tous besoin de sages conseils \nau moment o\u00f9 les ennemis allument tant de feux aupr\u00e8s des nefs. \nQui de nous pourrait s\u2019en r\u00e9jouir ? Cette nuit, l\u2019arm\u00e9e sera per -\ndue ou sauv\u00e9e.\nIl parla ainsi, et tous, l\u2019ayant \u00e9cout\u00e9, ob\u00e9irent. Et les gardes arm\u00e9es \nsortirent, conduites par le n estor\u00e9ide t hrasym\u00e8d\u00e8s, prince des \npeuples, par Askalaphos et Ialm\u00e9nos, fils d\u2019Ar\u00e8s, par M\u00e8rion\u00e8s, \nAphar\u00e8os et D\u00e8ipiros, et par le divin Lykom\u00e8d\u00e8s, fils de Kr\u00e9\u00f4n. Et \nles sept chefs des gardes conduisaient, chacun, cent jeunes guer -\nriers arm\u00e9s de longues piques. Et ils se plac\u00e8rent entre le foss\u00e9 \net la muraille, et ils allum\u00e8rent des feux et prirent leur repas. Et \nl\u2019Atr\u00e9ide conduisit les chefs des Akhaiens sous sa tente et leur \noffrit un abondant repas. Et tous \u00e9tendirent les mains vers les \nmets. Et, quand ils eurent assouvi la soif et la faim, le premier \nd\u2019entre eux, le vieillard n est\u00f4r, qui avait d\u00e9j\u00e0 donn\u00e9 le meilleur \nconseil, parla ainsi, plein de sagesse, et dit :\n\u2013 tr\u00e8s illustre Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, roi des hommes, je com -\nmencerai et je finirai par toi, car tu commandes \u00e0 de nombreux \npeuples, et Zeus t\u2019a donn\u00e9 le sceptre et les droits afin que tu les 229\nL \u2019ILIADEgouvernes. C\u2019est pourquoi il faut que tu saches parler et entendre, \net accueillir les sages conseils, si leur c\u0153ur ordonne aux autres \nchefs de t\u2019en donner de meilleurs. Et je te dirai ce qu\u2019il y a de \nmieux \u00e0 faire, car personne n\u2019a une meilleure pens\u00e9e que celle \nque je m\u00e9dite maintenant, et depuis longtemps, depuis le jour o\u00f9 \ntu as enlev\u00e9, \u00f4 race divine, contre notre gr\u00e9, la vierge Breis\u00e8is de la \ntente d\u2019Akhilleus irrit\u00e9. Et j\u2019ai voulu te dissuader, et, c\u00e9dant \u00e0 ton \nc\u0153ur orgueilleux, tu as outrag\u00e9 le plus brave des hommes, que \nles immortels m\u00eames honorent, et tu lui as enlev\u00e9 sa r\u00e9compense.\nD\u00e9lib\u00e9rons donc aujourd\u2019hui, et cherchons comment nous pour -\nrons apaiser Akhilleus par des pr\u00e9sents pacifiques et par des \nparoles flatteuses.\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, tu ne mens point en rappelant mes injustices. J\u2019ai \ncommis une offense, et je ne le nie point. Un guerrier que Zeus \naime dans son c\u0153ur l\u2019emporte sur tous les guerriers. Et c\u2019est pour \nl\u2019honorer qu\u2019il accable aujourd\u2019hui l\u2019arm\u00e9e des Akhaiens. Mais, \npuisque j\u2019ai failli en ob\u00e9issant \u00e0 de funestes pens\u00e9es, je veux main -\ntenant apaiser Akhilleus et lui offrir des pr\u00e9sents infinis. Et je \nvous dirai quels sont ces dons illustres : sept tr\u00e9pieds vierges du \nfeu, dix talents d\u2019or, vingt bassins qu\u2019on peut exposer \u00e0 la flamme, 230CHAnt 9\ndouze chevaux robustes qui ont toujours remport\u00e9 les premiers \nprix par la rapidit\u00e9 de leur course. Et il ne manquerait plus de rien, \net il serait combl\u00e9 d\u2019or celui qui poss\u00e9derait les prix que m\u2019ont \nrapport\u00e9s ces chevaux aux sabots massifs. Et je donnerai encore \nau P\u00e8l\u00e9ide sept belles femmes Lesbiennes, habiles aux travaux, \nqu\u2019il a prises lui-m\u00eame dans Lesbos bien peupl\u00e9e, et que j\u2019ai choi -\nsies, car elles \u00e9taient plus belles que toutes les autres femmes. Et je \nles lui donnerai, et, avec elles, celle que je lui ai enlev\u00e9e, la vierge \nBreis\u00e8is ; et je jurerai un grand serment qu\u2019elle n\u2019a point connu \nmon lit, et que je l\u2019ai respect\u00e9e. t outes ces choses lui seront livr\u00e9es \naussit\u00f4t. Et si les dieux nous donnent de renverser la grande ville \nde Priamos, il remplira abondamment sa nef d\u2019or et d\u2019airain.\nEt quand nous, Akhaiens, partagerons la proie, qu\u2019il choisisse \nvingt femmes t roiennes, les plus belles apr\u00e8s l\u2019Argienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8. \nEt si nous retournons dans la fertile Argos, en Akhai\u00e8, qu\u2019il soit \nmon gendre, et je l\u2019honorerai autant qu\u2019Orest\u00e8s, mon unique fils \nnourri dans les d\u00e9lices. J\u2019ai trois filles dans mes riches demeures, \nKhrysoth\u00e9mis, Laodik\u00e8 et Iphianassa. Qu\u2019il emm\u00e8ne, sans lui \nassurer une dot, celle qu\u2019il aimera le mieux, dans les demeures \nde P\u00e8leus. Ce sera moi qui la doterai, comme jamais personne n\u2019a \ndot\u00e9 sa fille, car je lui donnerai sept villes tr\u00e8s illustres : Kardamyl\u00e8, \n\u00c9nop\u00e8, Hira aux pr\u00e9s verdoyants, la divine Ph\u00e8ra, Anth\u00e9ia aux \ngras p\u00e2turages, la belle Aip\u00e9ia et P\u00e8dasos riche en vignes. t outes 231\nL \u2019ILIADEsont aux bords de la mer, aupr\u00e8s de la sablonneuse Pylos. Leurs \nhabitants abondent en b\u0153ufs et en troupeaux, et, par leurs dons, \nils l\u2019honoreront comme un dieu ; et, sous son sceptre, ils lui paye -\nront de riches tributs. Je lui donnerai tout cela s\u2019il d\u00e9pose sa \ncol\u00e8re. Qu\u2019il s\u2019apaise donc. Aid\u00e8s seul est implacable et indompt\u00e9, \net c\u2019est pourquoi, de tous les dieux, il est le plus ha\u00ef des hommes. \nQu\u2019il me c\u00e8de comme il est juste, puisque je suis plus puissant et \nplus \u00e2g\u00e9 que lui.\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tr\u00e8s illustre Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, roi des hommes, certes, ils ne \nsont point \u00e0 m\u00e9priser les pr\u00e9sents que tu offres au roi Akhilleus. \nAllons ! envoyons promptement des messagers choisis sous la \ntente du P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus.\nJe les d\u00e9signerai moi-m\u00eame, et ils ob\u00e9iront. Que Phoinix aim\u00e9 de \nZeus les conduise, et ce seront le grand Aias et le divin Odysseus, \nsuivis des h\u00e9rauts Hodios et Eurybat\u00e8s. t rempons nos mains \ndans l\u2019eau, et supplions en silence Zeus Kronide de nous prendre \nen piti\u00e9.\nIl parla ainsi, et tous furent satisfaits de ses paroles. Et les h\u00e9rauts \nvers\u00e8rent aussit\u00f4t de l\u2019eau sur leurs mains, et les jeunes hommes 232CHAnt 9\nemplirent les krat\u00e8res de vin qu\u2019ils distribu\u00e8rent, selon l\u2019ordre, \n\u00e0 pleines coupes. Et, apr\u00e8s avoir bu autant qu\u2019ils le voulaient, \nils sortirent de la tente de l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n. Et le cavalier \nG\u00e9rennien n est\u00f4r exhorta longuement chacun d\u2019eux, et surtout \nOdysseus, \u00e0 faire tous leurs efforts pour apaiser et fl\u00e9chir l\u2019irr\u00e9 -\nprochable P\u00e8l\u00e9ide. Et ils allaient le long du rivage de la mer aux \nbruits sans nombre, suppliant celui qui entoure la terre de leur \naccorder de toucher le grand c\u0153ur de l\u2019Aiakide.\nEt ils parvinrent aux nefs et aux tentes des Myrmidones. Et ils \ntrouv\u00e8rent le P\u00e8l\u00e9ide qui charmait son \u00e2me en jouant d\u2019une \nkithare aux doux sons, belle, artistement faite et surmont\u00e9e \nd\u2019un joug d\u2019argent, et qu\u2019il avait prise parmi les d\u00e9pouilles, apr\u00e8s \navoir d\u00e9truit la ville d\u2019\u00ca\u00e9ti\u00f4n. Et il charmait son \u00e2me, et il chan -\ntait les actions glorieuses des hommes. Et Patroklos, seul, \u00e9tait \nassis aupr\u00e8s de lui, l\u2019\u00e9coutant en silence jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il e\u00fbt cess\u00e9 \nde chanter.\nEt ils s\u2019avanc\u00e8rent, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9s par le divin Odysseus, et ils s\u2019arr\u00ea -\nt\u00e8rent devant le P\u00e8l\u00e9ide. Et Akhilleus, \u00e9tonn\u00e9, se leva de son si\u00e8ge, 233\nL \u2019ILIADEavec sa kithare, et Patroklos se leva aussi en voyant les guerriers. \nEt Akhilleus aux pieds rapides leur parla ainsi :\n\u2013 Je vous salue, guerriers. Certes, vous \u00eates les bienvenus, mais \nquelle n\u00e9cessit\u00e9 vous am\u00e8ne, vous qui, malgr\u00e9 ma col\u00e8re, m\u2019\u00eates \nles plus chers parmi les Akhaiens ?\nAyant ainsi parl\u00e9, le divin Akhilleus les conduisit et les fit \nasseoir sur des si\u00e8ges aux draperies pourpr\u00e9es. Et aussit\u00f4t il dit \n\u00e0 Patroklos :\n\u2013 Fils de M\u00e9noitios, apporte un grand krat\u00e8re, fais un doux \nm\u00e9lange, et pr\u00e9pare des coupes pour chacun de nous, car des \nhommes tr\u00e8s chers sont venus sous ma tente.\nIl parla ainsi, et Patroklos ob\u00e9it \u00e0 son cher compagnon. Et \nAkhilleus \u00e9tendit sur un grand billot, aupr\u00e8s du feu, le dos d\u2019une \nbrebis, celui d\u2019une ch\u00e8vre grasse et celui d\u2019un porc gras. Et tandis \nqu\u2019Autom\u00e9d\u00f4n maintenait les chairs, le divin Akhilleus les cou -\npait par morceaux et les embrochait. Et le M\u00e9noitiade, homme \nsemblable \u00e0 un dieu, allumait un grand feu. Et quand la flamme \ntomba et s\u2019\u00e9teignit, il \u00e9tendit les broches au-dessus des charbons \nen les appuyant sur des pierres, et il les aspergea de sel sacr\u00e9. Et 234CHAnt 9\nPatroklos, ayant r\u00f4ti les chairs et les ayant pos\u00e9es sur la table, dis -\ntribua le pain dans de belles corbeilles.\nEt Akhilleus coupa les viandes, et il s\u2019assit en face du divin \nOdysseus, et il ordonna \u00e0 Patroklos de sacrifier aux dieux. Et \ncelui-ci fit des libations dans le feu. Et tous \u00e9tendirent les mains \nvers les mets offerts. Et quand ils eurent assouvi la faim et la soif, \nAias fit signe \u00e0 Phoinix. Aussit\u00f4t le divin Odysseus le comprit, et, \nremplissant sa coupe de vin, il parla ainsi \u00e0 Akhilleus :\n\u2013 Salut, Akhilleus ! Aucun de nous n\u2019a manqu\u00e9 d\u2019une part \u00e9gale, \nsoit sous la tente de l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, soit ici. Les mets y \nabondent \u00e9galement. Mais il ne nous est point permis de go\u00fb -\nter la joie des repas, car nous redoutons un grand d\u00e9sastre, \u00f4 race \ndivine ! et nous l\u2019attendons, et nous ne savons si nos nefs solides \np\u00e9riront ou seront sauv\u00e9es, \u00e0 moins que tu ne t\u2019armes de ton cou -\nrage. Voici que les t roiens orgueilleux et leurs alli\u00e9s venus de loin \nont assis leur camp devant nos murailles et nos nefs. Et ils ont \nallum\u00e9 des feux sans nombre, et ils disent que rien ne les retien -\ndra plus et qu\u2019ils vont se jeter sur nos nefs noires. Et le Kronide \nZeus a lanc\u00e9 l\u2019\u00e9clair, montrant \u00e0 leur droite des signes propices. \nHekt\u00f4r, appuy\u00e9 par Zeus, et tr\u00e8s orgueilleux de sa force, est plein \nd\u2019une fureur terrible, n\u2019honorant plus ni les hommes ni les dieux. \nUne rage s\u2019est empar\u00e9e de lui. Il fait des impr\u00e9cations pour que la 235\nL \u2019ILIADEdivine \u00c9\u00f4s reparaisse promptement. Il se vante de rompre bient\u00f4t \nles \u00e9perons de nos nefs et de consumer celles-ci dans le feu ardent, \net de massacrer les Akhaiens aveugl\u00e9s par la fum\u00e9e. Je crains bien, \ndans mon esprit, que les dieux n\u2019accomplissent ses menaces, et \nque nous p\u00e9rissions in\u00e9vitablement devant t roi\u00e8, loin de la fer -\ntile Argos nourrice de chevaux.\nL\u00e8ve-toi, si tu veux, au dernier moment, sauver les fils des \nAkhaiens de la rage des t roiens. Sinon, tu seras saisi de dou -\nleur, car il n\u2019y a point de rem\u00e8de contre un mal accompli. Songe \ndonc maintenant \u00e0 reculer le dernier jour des Danaens. \u00d4 ami, \nton p\u00e8re P\u00e8leus te disait, le jour o\u00f9 il t\u2019envoya, de la Phthi\u00e8, vers \nAgamemn\u00f4n : \u2013 Mon fils, Ath\u00e8n\u00e8 et H\u00e8r\u00e8 te donneront la victoire, \ns\u2019il leur pla\u00eet ; mais r\u00e9prime ton grand c\u0153ur dans ta poitrine, car la \nbienveillance est au-dessus de tout. Fuis la discorde qui engendre \nles maux, afin que les Argiens, jeunes et vieux, t\u2019honorent. Ainsi \nparlait le vieillard, et tu as oubli\u00e9 ses paroles ; mais aujourd\u2019hui \napaise-toi, refr\u00e8ne la col\u00e8re qui ronge le c\u0153ur, et Agamemn\u00f4n \nte fera des pr\u00e9sents dignes de toi. Si tu veux m\u2019\u00e9couter, je te dirai \nceux qu\u2019il promet de remettre sous tes tentes : \u2013 sept tr\u00e9pieds \nvierges du feu, dix talents d\u2019or, vingt bassins qu\u2019on peut exposer \u00e0 \nla flamme, douze chevaux robustes qui ont toujours remport\u00e9 les \npremiers prix par la rapidit\u00e9 de leur course. Et il ne manquerait \nplus de rien, et il serait combl\u00e9 d\u2019or, celui qui poss\u00e9derait les prix 236CHAnt 9\nqu\u2019ont rapport\u00e9s \u00e0 l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n ces chevaux aux sabots \nmassifs. Et il te donnera encore sept belles femmes Lesbiennes, \nhabiles aux travaux, que tu as prises toi-m\u00eame dans Lesbos bien \npeupl\u00e9e, et qu\u2019il a choisies, car elles \u00e9taient plus belles que toutes \nles autres femmes. Et il te les donnera, et, avec elles, celle qu\u2019il t\u2019a \nenlev\u00e9e, la vierge Breis\u00e8is ; et il jurera un grand serment qu\u2019elle \nn\u2019a point connu son lit et qu\u2019il l\u2019a respect\u00e9e. t outes ces choses te \nseront livr\u00e9es aussit\u00f4t.\nMais si les dieux nous donnent de renverser la grande ville de \nPriamos, tu rempliras abondamment ta nef d\u2019or et d\u2019airain. Et \nquand nous, Akhaiens, nous partagerons la proie, tu choisiras \nvingt femmes t roiennes, les plus belles apr\u00e8s l\u2019Argienne H\u00e9l\u00e9n\u00e8. \nEt si nous retournons dans la fertile Argos, en Akhai\u00e8, tu seras \nson gendre, et il t\u2019honorera autant qu\u2019Orest\u00e8s, son unique fils \nnourri dans les d\u00e9lices. Il a trois filles dans ses riches demeures : \nKrysoth\u00e9mis, Laodik\u00e8 et Iphianassa. t u emm\u00e8neras, sans lui \nassurer une dot, celle que tu aimeras le mieux, dans les demeures \nde P\u00e8leus. Ce sera lui qui la dotera comme jamais personne n\u2019a \ndot\u00e9 sa fille, car il te donnera sept villes tr\u00e8s illustres : Kardamyl\u00e8, \n\u00c9nop\u00e8, Hira aux pr\u00e9s verdoyants, la divine Ph\u00e8ra, Anth\u00e9ia aux \ngras p\u00e2turages, la belle Aip\u00e9ia et P\u00e8dasos riche en vignes. t outes \nsont aux bords de la mer, aupr\u00e8s de la sablonneuse Pylos. Leurs \nhabitants abondent en b\u0153ufs et en troupeaux. Et, par leurs dons, 237\nL \u2019ILIADEils t\u2019honoreront comme un dieu ; et, sous ton sceptre, ils te paye -\nront de riches tributs. Et il te donnera tout cela si tu d\u00e9poses ta \ncol\u00e8re. Mais si l\u2019Atr\u00e9ide et ses pr\u00e9sents te sont odieux, aie piti\u00e9 du \nmoins des Panakhaiens accabl\u00e9s de douleur dans leur camp et qui \nt\u2019honoreront comme un dieu. Certes, tu leur devras une grande \ngloire, et tu tueras Hekt\u00f4r qui viendra \u00e0 ta rencontre et qui se \nvante que nul ne peut se comparer \u00e0 lui de tous les Danaens que \nles nefs ont apport\u00e9s ici.\nEt Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Divin Laertiade, tr\u00e8s subtil Odysseus, il faut que je dise claire -\nment ce que j\u2019ai r\u00e9solu et ce qui s\u2019accomplira, afin que vous n\u2019in -\nsistiez pas tour \u00e0 tour. Celui qui cache sa pens\u00e9e dans son \u00e2me \net ne dit point la v\u00e9rit\u00e9 m\u2019est plus odieux que le seuil d\u2019Aid\u00e8s. Je \ndirai donc ce qui me semble pr\u00e9f\u00e9rable. n i l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, \nni les autres Danaens ne me persuaderont, puisqu\u2019il ne m\u2019a servi \n\u00e0 rien de combattre sans rel\u00e2che les guerriers ennemis. Celui \nqui reste au camp et celui qui combat avec courage ont une \nm\u00eame part. Le l\u00e2che et le brave remportent le m\u00eame honneur, et \nl\u2019homme oisif est tu\u00e9 comme celui qui agit. Rien ne m\u2019est rest\u00e9 \nd\u2019avoir souffert des maux sans nombre et d\u2019avoir expos\u00e9 mon \n\u00e2me en combattant. Comme l\u2019oiseau qui porte \u00e0 ses petits sans \nplume la nourriture qu\u2019il a ramass\u00e9e et dont il n\u2019a rien gard\u00e9 238CHAnt 9\npour lui-m\u00eame, j\u2019ai pass\u00e9 sans sommeil d\u2019innombrables nuits, j\u2019ai \nlutt\u00e9 contre les hommes pendant des journ\u00e9es sanglantes, pour \nla cause de vos femmes ; j\u2019ai d\u00e9vast\u00e9, \u00e0 l\u2019aide de mes nefs, douze \nvilles, demeures des hommes ; sur terre, j\u2019en ai pris onze autour \nde la fertile Ilios ; j\u2019ai rapport\u00e9 de toutes ces villes mille choses \npr\u00e9cieuses et superbes, et j\u2019ai tout donn\u00e9 \u00e0 l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, \ntandis qu\u2019assis aupr\u00e8s des nefs rapides, il n\u2019en distribuait qu\u2019une \nmoindre part aux rois et aux chefs et se r\u00e9servait la plus grande. \nDu moins ceux-ci ont gard\u00e9 ce qu\u2019il leur a donn\u00e9 ; mais, de tous \nles Akhaiens, \u00e0 moi seul il m\u2019a enlev\u00e9 ma r\u00e9compense ! Qu\u2019il se \nr\u00e9jouisse donc de cette femme et qu\u2019il en jouisse ! Pourquoi les \nArgiens combattent-ils les troiens ? Pourquoi les Atr\u00e9ides ont-ils \nconduit ici cette nombreuse arm\u00e9e ? n\u2019est-ce point pour la cause \nde H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \u00e0 la belle chevelure ?\nSont-ils les seuls de tous les hommes qui aiment leurs femmes ? \ntout homme sage et bon aime la sienne et en prend soin. Et \nmoi aussi, j\u2019aimais celle-ci dans mon c\u0153ur, bien que captive. \nMaintenant que, de ses mains, il m\u2019a arrach\u00e9 ma r\u00e9compense, et \nqu\u2019il m\u2019a vol\u00e9, il ne me persuadera, ni ne me trompera plus, car je \nsuis averti. Qu\u2019il d\u00e9lib\u00e8re avec toi, \u00f4 Odysseus, et avec les autres \nrois, afin d\u2019\u00e9loigner des nefs la flamme ardente. D\u00e9j\u00e0 il a fait sans \nmoi de nombreux travaux ; il a construit un mur et creus\u00e9 un foss\u00e9 \nprofond et large, d\u00e9fendu par des pieux. Mais il n\u2019en a pas r\u00e9prim\u00e9 239\nL \u2019ILIADEdavantage la violence du tueur d\u2019hommes Hekt\u00f4r. Quand je com -\nbattais au milieu des Akhaiens, Hekt\u00f4r ne sortait que rarement de \nses murailles. \u00c0 peine se hasardait-il devant les portes Skaies et \naupr\u00e8s du h\u00eatre. Et il m\u2019y attendit une fois, et \u00e0 peine put-il \u00e9chap -\nper \u00e0 mon imp\u00e9tuosit\u00e9. Maintenant, puisque je ne veux plus com -\nbattre le divin Hekt\u00f4r, demain, ayant sacrifi\u00e9 \u00e0 Zeus et \u00e0 tous les \ndieux, je tra\u00eenerai \u00e0 la mer mes nefs charg\u00e9es ; et tu verras, si tu \nle veux et si tu t\u2019en soucies, mes nefs voguer, d\u00e8s le matin, sur le \nHellespontos poissonneux, sous l\u2019effort vigoureux des rameurs. Et \nsi l\u2019illustre qui entoure la terre me donne une heureuse naviga -\ntion, le troisi\u00e8me jour j\u2019arriverai dans la fertile Phthi\u00e8, o\u00f9 sont les \nrichesses que j\u2019y ai laiss\u00e9es quand je vins ici pour mon malheur. \nEt j\u2019y conduirai l\u2019or et le rouge airain, et les belles femmes et le fer \nluisant que le sort m\u2019a accord\u00e9s, car le roi Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n \nm\u2019a arrach\u00e9 la r\u00e9compense qu\u2019il m\u2019avait donn\u00e9e. Et r\u00e9p\u00e8te-lui \nouvertement ce que je dis, afin que les Akhaiens s\u2019indignent, s\u2019il \nesp\u00e8re tromper de nouveau quelqu\u2019autre des Danaens.\nMais, bien qu\u2019il ait l\u2019impudence d\u2019un chien, il n\u2019oserait me regar -\nder en face. Je ne veux plus ni d\u00e9lib\u00e9rer, ni agir avec lui, car il m\u2019a \ntromp\u00e9 et outrag\u00e9. C\u2019est assez. Mais qu\u2019il reste en repos dans sa \nm\u00e9chancet\u00e9, car le tr\u00e8s sage Zeus lui a ravi l\u2019esprit. Ses dons me \nsont odieux, et lui, je l\u2019honore autant que la demeure d\u2019Aid\u00e8s. Et \nil me donnerait dix et vingt fois plus de richesses qu\u2019il n\u2019en a et 240CHAnt 9\nqu\u2019il n\u2019en aura, qu\u2019il n\u2019en vient d\u2019Orkhom\u00e9nos, ou de t h\u00e8ba dans \nl\u2019Aigyptia, o\u00f9 les tr\u00e9sors abondent dans les demeures, qui a cent \nportes, et qui, par chacune, voit sortir deux cents guerriers avec \nchevaux et chars ; et il me ferait autant de pr\u00e9sents qu\u2019il y a de \ngrains de sable et de poussi\u00e8re, qu\u2019il n\u2019apaiserait point mon c\u0153ur \navant d\u2019avoir expi\u00e9 l\u2019outrage sanglant qu\u2019il m\u2019a fait. Et je ne pren -\ndrai point pour femme l\u00e9gitime la fille de l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, \nf\u00fbt-elle plus belle qu\u2019Aphrodit\u00e8 d\u2019or et plus habile aux travaux \nqu\u2019Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs. Je ne la prendrai point pour femme \nl\u00e9gitime. Qu\u2019il choisisse un autre Akhaien qui lui plaise et qui soit \nun roi plus puissant. Si les dieux me gardent, et si je rentre dans \nma demeure, P\u00e8leus me choisira lui-m\u00eame une femme l\u00e9gitime. \nIl y a, dans l\u2019Akhai\u00e8, la Hellas et la Phthi\u00e8, de nombreuses jeunes \nfilles de chefs guerriers qui d\u00e9fendent les citadelles, et je ferai de \nl\u2019une d\u2019elles ma femme l\u00e9gitime bien-aim\u00e9e. Et mon c\u0153ur g\u00e9n\u00e9 -\nreux me pousse \u00e0 prendre une femme l\u00e9gitime et \u00e0 jouir des biens \nacquis par le vieillard P\u00e8leus. t outes les richesses que renfermait \nla grande Ilios aux nombreux habitants pendant la paix, avant la \nvenue des fils des Akhaiens, ne sont point d\u2019un prix \u00e9gal \u00e0 la vie, \nnon plus que celles que renferme le sanctuaire de pierre de l\u2019ar -\ncher Phoibos Apoll\u00f4n, dans l\u2019\u00e2pre Pyth\u00f4.\nLes b\u0153ufs, les grasses brebis, les tr\u00e9pieds, les blondes crini\u00e8res des \nchevaux, tout cela peut \u00eatre conquis ; mais l\u2019\u00e2me qui s\u2019est une fois 241\nL \u2019ILIADE\u00e9chapp\u00e9e d\u2019entre nos dents ne peut \u00eatre ressaisie ni rappel\u00e9e. Ma \nm\u00e8re, la d\u00e9esse t h\u00e9tis aux pieds d\u2019argent, m\u2019a dit que deux k\u00e8res \nm\u2019\u00e9taient offertes pour arriver \u00e0 la mort. Si je reste et si je com -\nbats autour de la ville des t roiens, je ne retournerai jamais dans \nmes demeures, mais ma gloire sera immortelle. Si je retourne \nvers ma demeure, dans la terre bien-aim\u00e9e de ma patrie, je per -\ndrai toute gloire, mais je vivrai tr\u00e8s vieux, et la mort ne me saisira \nqu\u2019apr\u00e8s de tr\u00e8s longues ann\u00e9es. Je conseille \u00e0 tous les Akhaiens \nde retourner vers leurs demeures, car vous ne verrez jamais le \ndernier jour de la haute Ilios. Zeus qui tonne puissamment la \nprot\u00e8ge de ses mains et a rempli son peuple d\u2019une grande audace. \nPour vous, allez porter ma r\u00e9ponse aux chefs des Akhaiens, car \nc\u2019est l\u00e0 le partage des anciens ; et ils chercheront dans leur esprit \nun meilleur moyen de sauver les nefs et les tribus Akhaiennes, car \nma col\u00e8re rend inutile celui qu\u2019ils avaient trouv\u00e9. Et Phoinix res -\ntera et couchera ici, afin de me suivre demain, sur mes nefs, dans \nnotre patrie, s\u2019il le d\u00e9sire, du moins, car je ne le contraindrai point.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets, accabl\u00e9s de ce discours et de \nce dur refus. Enfin, le vieux cavalier Phoinix parla ainsi, versant \ndes larmes, tant il craignait pour les nefs des Akhaiens :\n\u2013 Si d\u00e9j\u00e0 tu as r\u00e9solu ton retour, illustre Akhilleus, et si tu refuses \nd\u2019\u00e9loigner des nefs rapides la violence du feu destructeur, parce 242CHAnt 9\nque la col\u00e8re est tomb\u00e9e dans ton c\u0153ur, comment, cher fils, pour -\nrai-je t\u2019abandonner et rester seul ici ? Le vieux cavalier P\u00e8leus \nm\u2019ordonna de t\u2019accompagner le jour o\u00f9 il t\u2019envoya, loin de la \nPhthi\u00e8, vers Agamemn\u00f4n, tout jeune encore, ignorant la guerre \nlamentable et l\u2019agora o\u00f9 les hommes deviennent illustres. Et il \nm\u2019ordonna de t\u2019accompagner afin que je pusse t\u2019enseigner \u00e0 par -\nler et \u00e0 agir. C\u2019est pourquoi je ne veux point me s\u00e9parer de toi, \ncher fils, m\u00eame quand un dieu me promettrait de m\u2019\u00e9pargner la \nvieillesse et me rendrait \u00e0 ma jeunesse florissante, tel que j\u2019\u00e9tais \nquand je quittai pour la premi\u00e8re fois la Hellas aux belles femmes, \nfuyant la col\u00e8re de mon p\u00e8re Amynt\u00f4r Orm\u00e9nide. Et il s\u2019\u00e9tait \nirrit\u00e9 contre moi \u00e0 cause de sa concubine aux beaux cheveux \nqu\u2019il aimait et pour laquelle il m\u00e9prisait sa femme l\u00e9gitime, ma \nm\u00e8re. Et celle-ci me suppliait toujours, \u00e0 genoux, de s\u00e9duire cette \nconcubine, pour que le vieillard la pr\u00eet en haine. Et je lui ob\u00e9is, et \nmon p\u00e8re, s\u2019en \u00e9tant aper\u00e7u, se r\u00e9pandit en impr\u00e9cations, et sup -\nplia les odieuses Erinnyes, leur demandant que je ne sentisse \njamais sur mes genoux un fils bien-aim\u00e9, n\u00e9 de moi ; et les dieux, \nZeus le souterrain et la cruelle Pers\u00e9phon\u00e9ia accomplirent ses \nimpr\u00e9cations. Alors je ne pus me r\u00e9soudre dans mon \u00e2me \u00e0 res -\nter dans les demeures de mon p\u00e8re irrit\u00e9. Et de nombreux amis \net parents, venus de tous c\u00f4t\u00e9s, me retinrent. Et ils tu\u00e8rent beau -\ncoup de grasses brebis et de b\u0153ufs noirs aux pieds lents ; et ils 243\nL \u2019ILIADEpass\u00e8rent \u00e0 l\u2019ardeur du feu les porcs lourds de graisse, et ils burent, \npar grandes cruches, le vin du vieillard.\nEt pendant neuf nuits ils dormirent autour de moi, et chacun \nme gardait tour \u00e0 tour. L \u2019un se tenait sous le portique de la cour, \nl\u2019autre dans le vestibule de la salle bien ferm\u00e9e. Et le feu ne s\u2019\u00e9tei -\ngnait jamais. Mais, dans l\u2019obscurit\u00e9 de la dixi\u00e8me nuit, ayant \nrompu les portes de la salle, j\u2019\u00e9chappai facilement \u00e0 mes gardiens \net aux serviteurs, et je m\u2019enfuis loin de la grande Hellas, et j\u2019arrivai \ndans la fertile Phthi\u00e8, nourrice de brebis, aupr\u00e8s du roi P\u00e8leus. Et \nil me re\u00e7ut avec bienveillance, et il m\u2019aima comme un p\u00e8re aime \nun fils unique, n\u00e9 dans son extr\u00eame vieillesse, au milieu de ses \ndomaines. Et il me fit riche, et il me donna \u00e0 gouverner un peuple, \naux confins de la Phthi\u00e8, et je commandai aux Dolopiens. Et je \nt\u2019ai aim\u00e9 de m\u00eame dans mon c\u0153ur, \u00f4 Akhilleus \u00e9gal aux dieux. \nEt tu ne voulais t\u2019asseoir aux repas et manger dans tes demeures \nqu\u2019assis sur mes genoux, et rejetant parfois le vin et les mets dont \ntu \u00e9tais rassasi\u00e9, sur ma poitrine et ma tunique, comme font les \npetits enfants. Et j\u2019ai beaucoup souffert et beaucoup travaill\u00e9 \npour toi, pensant que, si les dieux m\u2019avaient refus\u00e9 une post\u00e9rit\u00e9, \nje t\u2019adopterais pour fils, \u00f4 Akhilleus semblable aux dieux, afin \nque tu pusses un jour me d\u00e9fendre des outrages et de la mort. \u00d4 \nAkhilleus, apaise ta grande \u00e2me, car il ne te convient pas d \u2019avoir \nun c\u0153ur sans piti\u00e9. Les dieux eux-m\u00eames sont exorables, bien 244CHAnt 9\nqu\u2019ils n\u2019aient point d\u2019\u00e9gaux en vertu, en honneurs et en puissance ; \net les hommes les fl\u00e9chissent cependant par les pri\u00e8res, par les \nv\u0153ux, par les libations et par l\u2019odeur des sacrifices, quand ils les \nont offens\u00e9s en leur d\u00e9sob\u00e9issant.\nLes pri\u00e8res, filles du grand Zeus, boiteuses, rid\u00e9es et louches, \nsuivent \u00e0 grand\u2019peine At\u00e8. Et celle-ci, dou\u00e9e de force et de rapi -\ndit\u00e9, les pr\u00e9c\u00e8de de tr\u00e8s loin et court sur la face de la terre en mal -\ntraitant les hommes. Et les pri\u00e8res la suivent, en gu\u00e9rissant les \nmaux qu\u2019elle a faits, secourant et exau\u00e7ant celui qui les v\u00e9n\u00e8re, \nelles qui sont filles de Zeus. Mais elles supplient Zeus Kroni\u00f4n \nde faire poursuivre et ch\u00e2tier par At\u00e8 celui qui les repousse et les \nrenie. C\u2019est pourquoi, \u00f4 Akhilleus, rends aux filles de Zeus l\u2019hon -\nneur qui fl\u00e9chit l\u2019\u00e2me des plus braves. Si l\u2019Atr\u00e9ide ne t\u2019offrait point \nde pr\u00e9sents, s\u2019il ne t\u2019en annon\u00e7ait point d\u2019autres encore, s\u2019il gar -\ndait sa col\u00e8re, je ne t\u2019exhorterais point \u00e0 d\u00e9poser la tienne, et \u00e0 \nsecourir les Argiens qui, cependant, d\u00e9sesp\u00e8rent du salut. Mais \nvoici qu\u2019il t\u2019offre d\u00e8s aujourd\u2019hui de nombreux pr\u00e9sents et qu\u2019il \nt\u2019en annonce d\u2019autres encore, et qu\u2019il t\u2019envoie, en suppliants, les \npremiers chefs de l\u2019arm\u00e9e Akhaienne, ceux qui te sont chers \nentre tous les Argiens. n e m\u00e9prise donc point leurs paroles, afin \nque nous ne bl\u00e2mions point la col\u00e8re que tu ressentais ; car nous \navons appris que les anciens h\u00e9ros qu\u2019une violente col\u00e8re avait \nsaisis se laissaient fl\u00e9chir par des pr\u00e9sents et par des paroles 245\nL \u2019ILIADEpacifiques. Je me souviens d\u2019une histoire antique. Certes, elle n\u2019est \npoint r\u00e9cente. Amis, je vous la dirai : les Kour\u00e8tes combattaient les \nAit\u00f4liens belliqueux, autour de la ville de Kalid\u00f4n ; et les Kour\u00e8tes \nvoulaient la saccager. Et Art\u00e9mis au si\u00e8ge d\u2019or avait attir\u00e9 cette \ncalamit\u00e9 sur les Ait\u00f4liens, irrit\u00e9e qu\u2019elle \u00e9tait de ce qu\u2019Oineus ne \nlui e\u00fbt point offert de pr\u00e9mices dans ses grasses prairies.\ntous les dieux avaient joui de ses h\u00e9catombes ; mais, oublieux \nou imprudent, il n\u2019avait point sacrifi\u00e9 \u00e0 la seule fille du grand \nZeus, ce qui causa des maux amers ; car, dans sa col\u00e8re, la race \ndivine qui se r\u00e9jouit de ses fl\u00e8ches suscita un sanglier sauvage, \naux blanches d\u00e9fenses, qui causa des maux innombrables, d\u00e9vasta \nles champs d\u2019Oineus et arracha de grands arbres, avec racines \net fleurs.\nEt le fils d\u2019Oineus, M\u00e9l\u00e9agros, tua ce sanglier, apr\u00e8s avoir appel\u00e9, \ndes villes prochaines, des hommes chasseurs et des chiens. Et \ncette b\u00eate sauvage ne fut point dompt\u00e9e par peu de chasseurs, et \nelle en fit monter plusieurs sur le b\u00fbcher. Mais Art\u00e9mis excita \nla discorde et la guerre entre les Kour\u00e8tes et les magnanimes \nAit\u00f4liens, \u00e0 cause de la hure du sanglier et de sa d\u00e9pouille h\u00e9ris -\ns\u00e9e. Aussi longtemps que M\u00e9l\u00e9agros cher \u00e0 Ar\u00e8s combattit, les \nKour\u00e8tes, vaincus, ne purent rester hors de leurs murailles ; mais \nla col\u00e8re, qui trouble l\u2019esprit des plus sages, envahit l\u2019\u00e2me de 246CHAnt 9\nM\u00e9l\u00e9agros, et irrit\u00e9 dans son c\u0153ur contre sa m\u00e8re Althai\u00e8, il resta \ninactif aupr\u00e8s de sa femme l\u00e9gitime, la belle Kl\u00e9opatr\u00e8, fille de la \nvierge Marpiss\u00e8 \u00c9v\u00e9nide et d\u2019Idaios, le plus brave des hommes \nqui fussent alors sur la terre. Et celui-ci avait tendu son arc contre \nle roi Phoibos Apoll\u00f4n, \u00e0 cause de la belle nymphe Marpiss\u00e8. \nEt le p\u00e8re et la m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable de Kl\u00e9opatr\u00e8 l\u2019avaient surnom -\nm\u00e9e Alkyon\u00e8, parce que la m\u00e8re d\u2019Alky\u00f4n avait g\u00e9mi am\u00e8rement \nquand l\u2019archer Phoibos Apoll\u00f4n la ravit.\nEt M\u00e9l\u00e9agros restait aupr\u00e8s de Kl\u00e9opatr\u00e8, couvant une ardente \ncol\u00e8re dans son c\u0153ur, \u00e0 cause des impr\u00e9cations de sa m\u00e8re qui \nsuppliait en g\u00e9missant les dieux de venger le meurtre fraternel. Et, \nles genoux ploy\u00e9s, le sein baign\u00e9 de pleurs, frappant de ses mains \nla terre nourrici\u00e8re, elle conjurait Aid\u00e8s et la cruelle Pers\u00e9phon\u00e9ia \nde donner la mort \u00e0 son fils M\u00e9l\u00e9agros. Et \u00c9rinnys \u00e0 l\u2019\u00e2me impla -\ncable, qui erre dans la nuit, l\u2019entendit du fond de l\u2019\u00c9r\u00e9bos. Et les \nKour\u00e8tes se ru\u00e8rent, en fureur et en tumulte, contre les portes \nde la ville, et ils heurtaient les tours. Et les vieillards Ait\u00f4liens \nsuppli\u00e8rent M\u00e9l\u00e9agros ; et ils lui envoy\u00e8rent les sacr\u00e9s sacrifica -\nteurs des dieux, afin qu\u2019il sort\u00eet et secour\u00fbt les siens. Et ils lui \noffrirent un tr\u00e8s riche pr\u00e9sent, lui disant de choisir le plus fer -\ntile et le plus beau domaine de l\u2019heureuse Kalyd\u00f4n, vaste de cin -\nquante arpents, moiti\u00e9 en vignes, moiti\u00e9 en terres arables. Et le \nvieux cavalier Oineus le suppliait, debout sur le seuil \u00e9lev\u00e9 de la 247\nL \u2019ILIADEchambre nuptiale et frappant les portes massives. Et ses s\u0153urs \net sa m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable le suppliaient aussi ; mais il ne les \u00e9coutait \npoint, non plus que ses plus chers compagnons, et ils ne pou -\nvaient apaiser son c\u0153ur. Mais d\u00e9j\u00e0 les Kour\u00e8tes escaladaient les \ntours, incendiaient la ville et approchaient de la chambre nuptiale. \nAlors, la belle jeune femme le supplia \u00e0 son tour, et elle lui rappela \nles calamit\u00e9s qui accablent les habitants d\u2019une ville prise d\u2019assaut : \nles hommes tu\u00e9s, les demeures r\u00e9duites en cendre, les enfants et \nles jeunes femmes emmen\u00e9s. Et enfin son \u00e2me fut \u00e9branl\u00e9e au \ntableau de ces mis\u00e8res. Et il se leva, rev\u00eatit ses armes \u00e9clatantes, et \nrecula le dernier jour des Ait\u00f4liens, car il avait d\u00e9pos\u00e9 sa col\u00e8re.\nEt ils ne lui firent point de nombreux et riches pr\u00e9sents, et cepen -\ndant il les sauva ainsi. Mais ne songe point \u00e0 ces choses, ami, et \nqu\u2019un dieu contraire ne te d\u00e9termine point \u00e0 faire de m\u00eame. Il \nserait plus honteux pour toi de ne secourir les nefs que lors -\nqu\u2019elles seront en flammes. Viens ! re\u00e7ois ces pr\u00e9sents, et les \nAkhaiens t\u2019honoreront comme un dieu. Si tu combattais plus \ntard, sans accepter ces dons, tu serais moins honor\u00e9, m\u00eame si tu \nrepoussais le danger loin des nefs.248CHAnt 9\nEt Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 Phoinix, p\u00e8re divin et v\u00e9n\u00e9rable, je n\u2019ai nul besoin d\u2019hon -\nneurs. Je suis assez honor\u00e9 par la volont\u00e9 de Zeus qui me retient \naupr\u00e8s de mes nefs aux poupes recourb\u00e9es, et je le serai tant qu\u2019il \ny aura un souffle dans ma poitrine et que mes genoux pourront \nse mouvoir. Mais je te le dis, garde mes paroles dans ton esprit : \nne trouble point mon c\u0153ur, en pleurant et en g\u00e9missant, \u00e0 cause \ndu h\u00e9ros Atr\u00e9ide, car il ne te convient point de l\u2019aimer, \u00e0 moins \nde me devenir odieux, \u00e0 moi qui t\u2019aime. Il est juste que tu ha\u00efsses \ncelui qui me hait. R\u00e8gne avec moi et d\u00e9fends ta part de mon hon -\nneur. Ceux-ci vont partir, et tu resteras ici, couch\u00e9 sur un lit moel -\nleux ; et, aux premi\u00e8res lueurs d\u2019\u00c9\u00f4s, nous d\u00e9lib\u00e9rerons s\u2019il nous \nfaut retourner vers notre patrie, ou rester.\nIl parla, et, de ses sourcils, il fit signe \u00e0 Patroklos, afin que celui-ci \npr\u00e9par\u00e2t le lit \u00e9pais de Phoinix et que les envoy\u00e9s sortissent \npromptement de la tente. Mais le t \u00e9lam\u00f4nien Aias, semblable \u00e0 \nun dieu, parla ainsi :\n\u2013 Divin Laertiade, tr\u00e8s subtil Odysseus, allons-nous-en ! Ces dis -\ncours n\u2019auront point de fin, et il nous faut rapporter prompte -\nment une r\u00e9ponse, bien que mauvaise, aux Danaens qui nous \nattendent. Akhilleus garde une col\u00e8re orgueilleuse dans son c\u0153ur 249\nL \u2019ILIADEimplacable. Dur, il se soucie peu de l\u2019amiti\u00e9 de ses compagnons \nqui l\u2019honorent entre tous aupr\u00e8s des nefs. \u00d4 inexorable ! n\u2019ac -\ncepte-t-on point le prix du meurtre d\u2019un fr\u00e8re ou d\u2019un fils ? Et \ncelui qui a tu\u00e9 reste au milieu de son peuple, d\u00e8s qu\u2019il a expi\u00e9 son \ncrime, et son ennemi, satisfait, s\u2019apaise. Les dieux ont allum\u00e9 dans \nta poitrine une sombre et inextinguible col\u00e8re, \u00e0 cause d\u2019une seule \njeune fille, quand nous t\u2019en offrons sept tr\u00e8s belles et un grand \nnombre d\u2019autres pr\u00e9sents. C\u2019est pourquoi, prends un esprit plus \ndoux, et respecte ta demeure, puisque nous sommes tes h\u00f4tes \ndomestiques envoy\u00e9s par la foule des Danaens, et que nous d\u00e9si -\nrons \u00eatre les plus chers de tes amis, entre tous les Akhaiens.\nEt Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Divin Aias t \u00e9lam\u00f4nien, prince des peuples, ce que tu as dit \nest sage, mais mon c\u0153ur se gonfle de col\u00e8re quand je songe \u00e0 \nl\u2019Atr\u00e9ide qui m\u2019a outrag\u00e9 au milieu des Danaens, comme il e\u00fbt \nfait d\u2019un mis\u00e9rable. Allez donc, et rapportez votre message. Je ne \nme soucierai plus de la guerre sanglante avant que le divin Hekt\u00f4r, \nle fils du brave Priamos, ne soit parvenu jusqu\u2019aux tentes et aux \nnefs des Myrmidones, apr\u00e8s avoir massacr\u00e9 les Argiens et incen -\ndi\u00e9 leurs nefs.250CHAnt 9\nC\u2019est devant ma tente et ma nef noire que je repousserai le furieux \nHekt\u00f4r loin de la m\u00eal\u00e9e.\nIl parla ainsi. Et chacun, ayant saisi une coupe profonde, fit \nses libations, et ils s\u2019en retourn\u00e8rent vers les nefs, et Odysseus \nles conduisait.\nEt Patroklos commanda \u00e0 ses compagnons et aux servantes de \npr\u00e9parer promptement le lit \u00e9pais de Phoinix. Et, lui ob\u00e9issant, \nelles pr\u00e9par\u00e8rent le lit, comme il l\u2019avait command\u00e9. Et elles le \nfirent de peaux de brebis, de couvertures et de fins tissus de lin. \nEt le vieillard se coucha, en attendant la divine \u00c9\u00f4s. Et Akhilleus \nse coucha dans le fond de la tente bien construite, et, aupr\u00e8s de \nlui, se coucha une femme qu\u2019il avait amen\u00e9e de Lesbos, la fille de \nPhorbas, Diom\u00e8da aux belles joues. Et Patroklos se coucha dans \nune autre partie de la tente, et, aupr\u00e8s de lui, se coucha la belle \nIphis que lui avait donn\u00e9e le divin Akhilleus quand il prit la haute \nSkyros, citadelle d\u2019\u00c9nyeus.\nEt, les envoy\u00e9s \u00e9tant arriv\u00e9s aux tentes de l\u2019Atr\u00e9ide, les fils des \nAkhaiens, leur offrant des coupes d\u2019or, s\u2019empress\u00e8rent autour 251\nL \u2019ILIADEd\u2019eux, et ils les interrogeaient. Et, le premier, le roi des hommes, \nAgamemn\u00f4n, les interrogea ainsi :\n\u2013 Dis-moi, Odysseus, tr\u00e8s digne de louanges, illustre gloire des \nAkhaiens, veut-il d\u00e9fendre les nefs de la flamme ardente, ou \nrefuse-t-il, ayant gard\u00e9 sa col\u00e8re dans son c\u0153ur orgueilleux ?\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tr\u00e8s illustre Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, roi des hommes, il ne veut \npoint \u00e9teindre sa col\u00e8re, et il n\u2019est que plus irrit\u00e9. Il refuse tes \ndons. Il te conseille de d\u00e9lib\u00e9rer avec les autres Argiens comment \ntu sauveras les nefs et l\u2019arm\u00e9e des Akhaiens. Il menace, d\u00e8s les \npremi\u00e8res lueurs d\u2019\u00c9\u00f4s, de tra\u00eener \u00e0 la mer ses nefs solides ; et il \nexhorte les autres Argiens \u00e0 retourner vers leur patrie, car il dit \nque vous ne verrez jamais le dernier jour de la haute Ilios, et que \nZeus qui tonne puissamment la prot\u00e8ge de ses mains et a rempli \nson peuple d\u2019une grande audace. Il a parl\u00e9 ainsi, et ceux qui m\u2019ont \nsuivi, Aias et les deux h\u00e9rauts pleins de prudence peuvent l\u2019affir -\nmer. Et le vieillard Phoinix s\u2019est couch\u00e9 sous sa tente, et il l\u2019emm\u00e8 -\nnera demain sur ses nefs vers leur ch\u00e8re patrie, s\u2019il le d\u00e9sire, car il \nne veut point le contraindre.252CHAnt 9\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets, accabl\u00e9s de ce discours et \nde ces dures paroles. Et les fils des Akhaiens rest\u00e8rent longtemps \nmuets et tristes. Enfin, Diom\u00e8d\u00e8s hardi au combat parla ainsi :\n\u2013 tr\u00e8s illustre roi des hommes, Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, pl\u00fbt aux \ndieux que tu n\u2019eusses point suppli\u00e9 l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8l\u00e9ide, en \nlui offrant des dons infinis ! Il avait un c\u0153ur orgueilleux, et tu as \nenfl\u00e9 son orgueil. Laissons-le ; qu\u2019il parte ou qu\u2019il reste. Il com -\nbattra de nouveau quand il lui plaira et qu\u2019un dieu l\u2019y poussera. \nAllons ! faites tous ce que je vais dire.\nReposons-nous, puisque nous avons ranim\u00e9 notre \u00e2me en buvant \net en mangeant, ce qui donne la force et le courage. Mais aussit\u00f4t \nque la belle \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s para\u00eetra, rangeons l\u2019arm\u00e9e et les \nchars devant les nefs. Alors, Atr\u00e9ide, exhorte les hommes au com -\nbat, et combats toi-m\u00eame aux premiers rangs.\nIl parla ainsi, et tous les rois applaudirent, admirant les paroles de \nl\u2019habile cavalier Diom\u00e8d\u00e8s. Et apr\u00e8s avoir fait des libations, ils se \nretir\u00e8rent sous leurs tentes, o\u00f9 ils se couch\u00e8rent et s\u2019endormirent.253\nL \u2019ILIADEChant 10\nLes chefs des Panakhaiens dormaient dans la nuit, aupr\u00e8s des nefs, \ndompt\u00e9s par le sommeil ; mais le doux sommeil ne saisissait point \nl\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, prince des peuples, et il roulait beaucoup \nde pens\u00e9es dans son esprit.\nDe m\u00eame que l\u2019\u00e9poux de H\u00e8r\u00e8 lance la foudre, ce grand bruit pr\u00e9 -\ncurseur des batailles am\u00e8res, ou de la pluie abondante, ou de la \ngr\u00eale press\u00e9e, ou de la neige qui blanchit les campagnes ; de m\u00eame \nAgamemn\u00f4n poussait de nombreux soupirs du fond de sa poi -\ntrine, et tout son c\u0153ur tremblait quand il contemplait le camp des \ntroiens et la multitude des feux qui br\u00fblaient devant Ilios, et qu\u2019il \nentendait le son des fl\u00fbtes et la rumeur des hommes. Et il regar -\ndait ensuite l\u2019arm\u00e9e des Akhaiens, et il arrachait ses cheveux qu\u2019il \nvouait \u00e0 l\u2019\u00e9ternel Zeus, et il g\u00e9missait dans son c\u0153ur magnanime.\nEt il vit que le mieux \u00e9tait de se rendre aupr\u00e8s du n \u00e8l\u00e8i\u00f4n n est\u00f4r \npour d\u00e9lib\u00e9rer sur le moyen de sauver ses guerriers et de trouver \nun rem\u00e8de aux maux qui accablaient tous les Danaens. Et, s\u2019\u00e9tant \nlev\u00e9, il rev\u00eatit une tunique, attacha de belles sandales \u00e0 ses pieds 254CHAnt 10\nrobustes, s\u2019enveloppa de la peau rude d\u2019un lion grand et fauve, et \nsaisit une lance.\nEt voici que la m\u00eame terreur envahissait M\u00e9n\u00e9laos. Le sommeil \nn\u2019avait point ferm\u00e9 ses paupi\u00e8res, et il tremblait en songeant aux \nsouffrances des Argiens qui, pour sa cause ayant travers\u00e9 la vaste \nmer, \u00e9taient venus devant t roi\u00e8, pleins d\u2019ardeur belliqueuse.\nEt il couvrit son large dos de la peau tachet\u00e9e d\u2019un l\u00e9opard, posa \nun casque d\u2019airain sur sa t\u00eate, saisit une lance de sa main robuste \net sortit pour \u00e9veiller son fr\u00e8re qui commandait \u00e0 tous les Argiens, \net qu\u2019ils honoraient comme un dieu. Et il le rencontra, rev\u00eatu de \nses belles armes, aupr\u00e8s de la poupe de sa nef ; et Agamemn\u00f4n \nfut joyeux de le voir, et le brave M\u00e9n\u00e9laos parla ainsi le premier :\n\u2013 Pourquoi t\u2019armes-tu, fr\u00e8re ? Veux-tu envoyer un de nos compa -\ngnons \u00e9pier les t roiens ? Je crains qu\u2019aucun de ceux qui te le pro -\nmettront n\u2019ose, seul dans la nuit divine, \u00e9pier les guerriers enne -\nmis. Celui qui le fera, certes, sera plein d\u2019audace.\nEt le roi Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Il nous faut \u00e0 tous deux un sage conseil, \u00f4 M\u00e9n\u00e9laos, nourrisson \nde Zeus, qui nous aide \u00e0 sauver les Argiens et les nefs, puisque 255\nL \u2019ILIADEl\u2019esprit de Zeus nous est contraire, et qu\u2019il se compla\u00eet aux sacri -\nfices de Hekt\u00f4r beaucoup plus qu\u2019aux n\u00f4tres ; car je n\u2019ai jamais ni \nvu, ni entendu dire qu\u2019un seul homme ait accompli, en un jour, \nautant de rudes travaux que Hekt\u00f4r cher \u00e0 Zeus contre les fils des \nAkhaiens, bien qu\u2019il ne soit n\u00e9 ni d\u2019une d\u00e9esse ni d\u2019un dieu. Et je \npense que les Argiens se souviendront am\u00e8rement et longtemps \nde tous les maux qu\u2019il leur a faits. Mais, va ! Cours vers les nefs ; \nappelle Aias et Idom\u00e9neus. Moi, je vais trouver le divin n est\u00f4r, \nafin qu\u2019il se l\u00e8ve et vienne vers la troupe sacr\u00e9e des gardes, et qu\u2019il \nleur commande.\nIls l\u2019\u00e9couteront avec plus de respect que d\u2019autres, car son fils est \u00e0 \nleur t\u00eate, avec M\u00e8rion\u00e8s, le compagnon d\u2019Idom\u00e9neus. C\u2019est \u00e0 eux \nque nous avons donn\u00e9 le commandement des gardes.\nEt le brave M\u00e9n\u00e9laos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Comment faut-il ob\u00e9ir \u00e0 ton ordre ? Resterai-je au milieu d\u2019eux, \nen t\u2019attendant, ou reviendrai-je promptement vers toi, apr\u00e8s les \navoir avertis ?256CHAnt 10\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Reste, afin que nous ne nous \u00e9garions point tous deux en venant \nau hasard au-devant l\u2019un de l\u2019autre, car le camp a de nombreuses \nroutes. Parle \u00e0 voix haute sur ton chemin et recommande la vigi -\nlance. Adjure chaque guerrier au nom de ses p\u00e8res et de ses des -\ncendants ; donne des louanges \u00e0 tous, et ne montre point un esprit \norgueilleux. Il faut que nous agissions ainsi par nous-m\u00eames, car, \nd\u00e8s le berceau, Zeus nous a inflig\u00e9 cette lourde t\u00e2che.\nAyant ainsi parl\u00e9, il cong\u00e9dia son fr\u00e8re, apr\u00e8s lui avoir donn\u00e9 de \nsages avis, et il se rendit aupr\u00e8s de n est\u00f4r, prince des peuples. Et \nil le trouva sous sa tente, non loin de sa nef noire, couch\u00e9 sur un \nlit \u00e9pais. Et autour de lui \u00e9taient r\u00e9pandues ses armes aux reflets \nvari\u00e9s, le bouclier, les deux lances, et le casque \u00e9tincelant, et le \nriche ceinturon que ceignait le vieillard quand il s\u2019armait pour la \nguerre terrible, \u00e0 la t\u00eate des siens ; car il ne se laissait point acca -\nbler par la triste vieillesse.\nEt, s\u2019\u00e9tant soulev\u00e9, la t\u00eate appuy\u00e9e sur le bras, il parla ainsi \n\u00e0 l\u2019Atr\u00e9ide :\n\u2013 Qui es-tu, qui viens seul vers les nefs, \u00e0 travers le camp, au milieu \nde la nuit noire, quand tous les hommes mortels sont endormis ? 257\nL \u2019ILIADECherches-tu quelque garde ou quelqu\u2019un de tes compagnons ? \nParle, ne reste pas muet en m\u2019approchant. Que te faut-il ?\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 n est\u00f4r n \u00e8l\u00e8iade, illustre gloire des Akhaiens, reconnais \nl\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, celui que Zeus accable entre tous de tra -\nvaux infinis, jusqu\u2019\u00e0 ce que le souffle manque \u00e0 ma poitrine et \nque mes genoux cessent de se mouvoir. J\u2019erre ainsi, parce que le \ndoux sommeil n\u2019abaisse point mes paupi\u00e8res, et que la guerre et \nla ruine des Akhaiens me rongent de soucis. Je tremble pour les \nDanaens, et je suis troubl\u00e9, et mon c\u0153ur n\u2019est plus ferme, et il \nbondit hors de mon sein, et mes membres illustres fr\u00e9missent. Si \ntu sais ce qu\u2019il faut entreprendre, et puisque tu ne dors pas, viens ; \nrendons-nous aupr\u00e8s des gardes, et sachons si, rompus de fatigue, \nils dorment et oublient de veiller. Les guerriers ennemis ne sont \npas \u00e9loign\u00e9s, et nous ne savons s\u2019ils ne m\u00e9ditent point de com -\nbattre cette nuit.\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, tr\u00e8s illustre roi des hommes, le prudent \nZeus n\u2019accordera peut-\u00eatre pas \u00e0 Hekt\u00f4r tout ce qu\u2019il esp\u00e8re ; et je \npense qu\u2019il ressentira \u00e0 son tour de cruelles douleurs si Akhilleus 258CHAnt 10\narrache de son c\u0153ur sa col\u00e8re fatale. Mais je te suivrai volontiers, \net nous appellerons les autres chefs : le t yd\u00e9ide illustre par sa \nlance, et Odysseus, et l\u2019agile Aias, et le robuste fils de Phyleus, et le \ndivin Aias aussi, et le roi Idom\u00e9neus. Les nefs de ceux-ci sont tr\u00e8s \n\u00e9loign\u00e9es. Cependant, je bl\u00e2me hautement M\u00e9n\u00e9laos, bien que je \nl\u2019aime et le v\u00e9n\u00e8re, et m\u00eame quand tu t\u2019en irriterais contre moi. \nPourquoi dort-il et te laisse-t-il agir seul ? Il devrait lui-m\u00eame \nexciter tous les chefs, car une inexorable n\u00e9cessit\u00e9 nous assi\u00e8ge.\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, je t\u2019ai parfois pouss\u00e9 \u00e0 le bl\u00e2mer, car il est souvent \nn\u00e9gligent et ne veut point agir, non qu\u2019il manque d\u2019intelligence \nou d\u2019activit\u00e9, mais parce qu\u2019il me regarde et attend que je lui \ndonne l\u2019exemple. Mais voici qu\u2019il s\u2019est lev\u00e9 avant moi et qu\u2019il m\u2019a \nrencontr\u00e9. Et je l\u2019ai envoy\u00e9 appeler ceux que tu nommes. Allons ! \nnous les trouverons devant les portes, au milieu des gardes ; car \nc\u2019est l\u00e0 que j\u2019ai ordonn\u00e9 qu\u2019ils se r\u00e9unissent.\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 nul d\u2019entre les Argiens ne s\u2019irritera contre lui et ne r\u00e9sistera \u00e0 ses \nexhortations et \u00e0 ses ordres.259\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, il se couvrit la poitrine d\u2019une tunique, attacha \nde belles sandales \u00e0 ses pieds robustes, agrafa un manteau fait \nd\u2019une double laine pourpr\u00e9e, saisit une forte lance \u00e0 pointe d\u2019ai -\nrain et s\u2019avan\u00e7a vers les nefs des Akhaiens cuirass\u00e9s. Et le cava -\nlier G\u00e9rennien n est\u00f4r, parlant \u00e0 haute voix, \u00e9veilla Odysseus \u00e9gal \n\u00e0 Zeus en prudence ; et celui-ci, aussit\u00f4t qu\u2019il eut entendu, sortit \nde sa tente et leur dit :\n\u2013 Pourquoi errez-vous seuls aupr\u00e8s des nefs, \u00e0 travers le camp, au \nmilieu de la nuit divine ? Quelle n\u00e9cessit\u00e9 si grande vous y oblige ?\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Laertiade, issu de Zeus, subtil Odysseus, ne t\u2019irrite pas. Une pro -\nfonde inqui\u00e9tude trouble les Akhaiens. Suis-nous donc et \u00e9veil -\nlons chaque chef, afin de d\u00e9lib\u00e9rer s\u2019il faut fuir ou combattre.\nIl parla ainsi, et le subtil Odysseus, \u00e9tant rentr\u00e9 sous sa tente, jeta \nun bouclier \u00e9clatant sur ses \u00e9paules et revint \u00e0 eux. Et ils se ren -\ndirent aupr\u00e8s du t yd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s, et ils le virent hors de sa \ntente avec ses armes. Et ses compagnons dormaient autour, le \nbouclier sous la t\u00eate. Leurs lances \u00e9taient plant\u00e9es droites, et l\u2019ai -\nrain brillait comme l\u2019\u00e9clair de Zeus. Et le h\u00e9ros dormait aussi, \ncouch\u00e9 sur la peau d\u2019un b\u0153uf sauvage, un tapis splendide sous la 260CHAnt 10\nt\u00eate. Et le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r, s\u2019approchant, le poussa du \npied et lui parla rudement :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, fils de t ydeus ! Pourquoi dors-tu pendant cette nuit ? \nn\u2019entends-tu pas les troiens, dans leur camp, sur la hauteur, non \nloin des nefs ? Peu d\u2019espace nous s\u00e9pare d\u2019eux.\nIl parla ainsi, et Diom\u00e8d\u00e8s, sortant aussit\u00f4t de son repos, lui \nr\u00e9pondit par ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 tu ne te m\u00e9nages pas assez, vieillard. Les jeunes fils des Akhaiens \nne peuvent-ils aller de tous c\u00f4t\u00e9s dans le camp \u00e9veiller chacun \ndes rois ? Vieillard, tu es infatigable, en v\u00e9rit\u00e9.\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, ami, tout ce que tu as dit est tr\u00e8s sage. J\u2019ai des guerriers \nnombreux et des fils irr\u00e9prochables. Un d\u2019entre eux aurait pu par -\ncourir le camp. Mais une dure n\u00e9cessit\u00e9 assi\u00e8ge les Akhaiens ; la \nvie ou la mort des Argiens est sur le tranchant de l\u2019\u00e9p\u00e9e. Viens \ndonc, et, si tu me plains, car tu es plus jeune que moi, \u00e9veille \nl\u2019agile Aias et le fils de Phyleus.261\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi et Diom\u00e8d\u00e8s, se couvrant les \u00e9paules de la peau d\u2019un \ngrand lion fauve, prit une lance, courut \u00e9veiller les deux rois et les \namena. Et bient\u00f4t ils arriv\u00e8rent tous au milieu des gardes, dont \nles chefs ne dormaient point et veillaient en armes, avec vigi -\nlance. Comme des chiens qui gardent activement des brebis dans \nl\u2019\u00e9table, et qui, entendant une b\u00eate f\u00e9roce sortie des bois sur les \nmontagnes, hurlent contre elle au milieu des cris des p\u00e2tres ; de \nm\u00eame veillaient les gardes, et le doux sommeil n\u2019abaissait point \nleurs paupi\u00e8res pendant cette triste nuit ; mais ils \u00e9taient tourn\u00e9s \ndu c\u00f4t\u00e9 de la plaine, \u00e9coutant si les t roiens s\u2019avan\u00e7aient.\nEt le vieillard n est\u00f4r, les ayant vus, en fut r\u00e9joui ; et, les f\u00e9licitant, \nil leur dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 C\u2019est ainsi, chers enfants, qu\u2019il faut veiller. Que le sommeil ne \nsaisisse aucun d\u2019entre vous, de peur que nous ne soyons le jouet \nde l\u2019ennemi.\nAyant ainsi parl\u00e9, il passa le foss\u00e9, et les rois Argiens convoqu\u00e9s \nau conseil le suivirent, et, avec eux, M\u00e8rion\u00e8s et l\u2019illustre fils de \nnest\u00f4r, appel\u00e9s \u00e0 d\u00e9lib\u00e9rer aussi. Et, lorsqu\u2019ils eurent pass\u00e9 le foss\u00e9, \nils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent en un lieu d\u2019o\u00f9 l\u2019on voyait le champ de bataille, l\u00e0 \no\u00f9 le robuste Hekt\u00f4r, ayant d\u00e9fait les Argiens, avait commenc\u00e9 sa \nretraite d\u00e8s que la nuit eut r\u00e9pandu ses t\u00e9n\u00e8bres. Et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019ils 262CHAnt 10\nd\u00e9lib\u00e9raient entre eux. Et le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r parla ainsi \nle premier :\n\u2013 \u00d4 amis, quelque guerrier, s\u00fbr de son c\u0153ur audacieux, veut-il \naller au milieu des t roiens magnanimes ? Peut-\u00eatre se saisirait-il \nd\u2019un ennemi sorti de son camp, ou entendrait-il les t roiens qui \nd\u00e9lib\u00e8rent entre eux, soit qu\u2019ils veuillent rester loin des nefs, soit \nqu\u2019ils ne veuillent retourner dans leur ville, qu\u2019ayant dompt\u00e9 \nles Akhaiens. Il apprendrait tout et reviendrait vers nous, sans \nblessure, et il aurait une grande gloire sous l\u2019Ouranos, parmi les \nhommes, ainsi qu\u2019une noble r\u00e9compense. Les chefs qui com -\nmandent sur nos nefs, tous, tant qu\u2019ils sont, lui donneraient, cha -\ncun, une brebis noire allaitant un agneau, et ce don serait sans \n\u00e9gal ; et toujours il serait admis \u00e0 nos repas et \u00e0 nos f\u00eates.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets, mais le brave \nDiom\u00e8d\u00e8s r\u00e9pondit :\n\u2013 nest\u00f4r, mon c\u0153ur et mon esprit courageux me poussent \u00e0 entrer \ndans le camp prochain des guerriers ennemis ; mais, si quelque \nh\u00e9ros veut me suivre, mon espoir sera plus grand et ma confiance \nsera plus ferme. Quand deux hommes marchent ensemble, l\u2019un \ncon\u00e7oit avant l\u2019autre ce qui est utile. Ce n\u2019est pas qu\u2019un seul ne le \npuisse, mais son esprit est plus lent et sa r\u00e9solution est moindre.263\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et beaucoup voulurent le suivre : les deux Aias, \nnourrissons d\u2019Ar\u00e8s, et le fils de nest\u00f4r, et M\u00e8rion\u00e8s, et l\u2019Atr\u00e9ide \nM\u00e9n\u00e9laos illustre par sa lance. L \u2019audacieux Odysseus voulut \naussi p\u00e9n\u00e9trer dans le camp des troiens. Et le roi des hommes, \nAgamemn\u00f4n, parla ainsi au milieu d\u2019eux :\n\u2013 tyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s, le plus cher \u00e0 mon \u00e2me, choisis, dans le meil -\nleur de ces h\u00e9ros, le compagnon que tu voudras, puisque tous \ns\u2019offrent \u00e0 toi ; mais ne n\u00e9glige point, par respect, le plus robuste \npour un plus faible, m\u00eame s\u2019il \u00e9tait un roi plus puissant.\nIl parla ainsi, et il craignait pour le blond M\u00e9n\u00e9laos mais le brave \nDiom\u00e8d\u00e8s r\u00e9pondit :\n\u2013 Puisque tu m\u2019ordonnes de choisir moi-m\u00eame un compagnon, \ncomment pourrais-je oublier le divin Odysseus qui montre dans \ntous les travaux un c\u0153ur irr\u00e9prochable et un esprit viril, et qui \nest aim\u00e9 de Pallas Ath\u00e8n\u00e8 ? S\u2019il m\u2019accompagne, nous reviendrons \ntous deux du milieu des flammes, car il est plein d\u2019intelligence.\nEt le patient et divin Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s, ne me loue ni ne me bl\u00e2me outre mesure. \ntu parles au milieu des Argiens qui me connaissent. Allons ! la 264CHAnt 10\nnuit passe ; d\u00e9j\u00e0 l\u2019aube est proche ; les \u00e9toiles s\u2019inclinent. Les deux \npremi\u00e8res parties de la nuit se sont \u00e9coul\u00e9es, et la troisi\u00e8me seule \nnous reste.\nAyant ainsi parl\u00e9, ils se couvrirent de leurs lourdes armes. \nthrasym\u00e8d\u00e8s, ferme au combat, donna au t yd\u00e9ide une \u00e9p\u00e9e \u00e0 \ndeux tranchants, car la sienne \u00e9tait rest\u00e9e sur les nefs, et un bou -\nclier. Et Diom\u00e8d\u00e8s mit sur sa t\u00eate un casque fait d\u2019une peau de \ntaureau, terne et sans crini\u00e8re, tel qu\u2019en portaient les plus jeunes \nguerriers. Et M\u00e8rion\u00e8s donna \u00e0 Odysseus un arc, un carquois et \nune \u00e9p\u00e9e. Et le Laertiade mit sur sa t\u00eate un casque fait de peau, \nfortement li\u00e9, en dedans, de courroies, que les dents blanches \nd\u2019un sanglier h\u00e9rissaient de toutes parts au-dehors, et couvert de \npoils au milieu. Autolykos avait autrefois enlev\u00e9 ce casque dans \n\u00c9l\u00e9\u00f4n, quand il for\u00e7a la solide demeure d\u2019Amynt\u00f4r Orm\u00e9nide ; \net il le donna, dans Skand\u00e9ia, au Kyth\u00e9rien Amphidamas ; et \nAmphidamas le donna \u00e0 son h\u00f4te Molos, et Molos \u00e0 son \nfils M\u00e8rion\u00e8s.\nMaintenant Odysseus le mit sur sa t\u00eate.\nEt apr\u00e8s avoir rev\u00eatu leurs armes, les deux guerriers partirent, \nquittant les autres chefs. Et Pallas Ath\u00e8n\u00e8 envoya, au bord de \nla route, un h\u00e9ron propice, qu\u2019ils ne virent point dans la nuit 265\nL \u2019ILIADEobscure, mais qu\u2019ils entendirent crier. Et Odysseus, tout joyeux, \npria Ath\u00e8n\u00e8 :\n\u2013 Entends-moi, fille de Zeus temp\u00e9tueux, toi qui viens \u00e0 mon aide \ndans tous mes travaux, et \u00e0 qui je ne cache rien de tout ce que je \nfais. \u00c0 cette heure, sois-moi favorable encore, Ath\u00e8n\u00e8 ! Accorde-\nnous de revenir vers nos nefs illustres, ayant accompli une grande \naction qui soit am\u00e8re aux t roiens.\nEt le brave Diom\u00e8d\u00e8s la pria aussi :\n\u2013 Entends-moi, fille indompt\u00e9e de Zeus ! Prot\u00e8ge-moi mainte -\nnant, comme tu prot\u00e9geas le divin t ydeus, mon p\u00e8re, dans t h\u00e8b\u00e8, \no\u00f9 il fut envoy\u00e9 par les Akhaiens. Il laissa les Akhaiens cuirass\u00e9s \nsur les bords de l\u2019As\u00f4pos ; et il portait une parole pacifique aux \nKadm\u00e9iens ; mais, au retour, il accomplit des actions m\u00e9morables, \navec ton aide, d\u00e9esse, qui le prot\u00e9geais ! Maintenant, sois-moi \nfavorable aussi, et je te sacrifierai une g\u00e9nisse d\u2019un an, au large \nfront, indompt\u00e9e, car elle n\u2019aura jamais \u00e9t\u00e9 soumise au joug. Et je \nte la sacrifierai, en r\u00e9pandant de l\u2019or sur ses cornes.\nIls parl\u00e8rent ainsi en priant, et Pallas Ath\u00e8n\u00e8 les entendit.266CHAnt 10\nEt, apr\u00e8s qu\u2019ils eurent pri\u00e9 la fille du grand Zeus, ils s\u2019avanc\u00e8rent \ncomme deux lions, \u00e0 travers la nuit \u00e9paisse et le carnage et les \ncadavres et les armes et le sang noir.\nMais Hekt\u00f4r aussi n\u2019avait point permis aux t roiens magnanimes \nde dormir ; et il avait convoqu\u00e9 les plus illustres des chefs et des \nprinces, et il d\u00e9lib\u00e9rait prudemment avec eux :\n\u2013 Qui d\u2019entre vous m\u00e9ritera une grande r\u00e9compense, en me pro -\nmettant d\u2019accomplir ce que je d\u00e9sire ? Cette r\u00e9compense sera \nsuffisante. Je lui donnerai un char et deux chevaux au beau col, \nles meilleurs entre tous ceux qui sont aupr\u00e8s des nefs rapides \ndes Akhaiens. Il remporterait une grande gloire celui qui oserait \napprocher des nefs rapides, et reconna\u00eetre si les Argiens veillent \ntoujours devant les nefs, ou si, dompt\u00e9s par nos mains, ils se pr\u00e9 -\nparent \u00e0 fuir et ne veulent plus m\u00eame veiller pendant la nuit, \naccabl\u00e9s par la fatigue.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets. Et il y avait, parmi les \ntroiens, Dol\u00f4n, fils d\u2019Eum\u00e8dos, divin h\u00e9raut, riche en or et en \nairain. Dol\u00f4n n\u2019\u00e9tait point beau, mais il avait des pieds agiles ; et 267\nL \u2019ILIADEc\u2019\u00e9tait un fils unique avec cinq s\u0153urs. Il se leva, et il dit \u00e0 Hekt\u00f4r \net aux t roiens :\n\u2013 Hekt\u00f4r, mon c\u0153ur et mon esprit courageux me poussent \u00e0 aller \nvers les nefs rapides, \u00e0 la d\u00e9couverte ; mais l\u00e8ve ton sceptre et \njure que tu me donneras les chevaux et le char orn\u00e9 d\u2019airain qui \nportent l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8l\u00e9i\u00f4n.\nJe ne te serai point un espion inhabile et au-dessous de ton attente. \nJ\u2019irai de tous c\u00f4t\u00e9s dans le camp, et je parviendrai jusqu\u2019\u00e0 la nef \nd\u2019Agamemn\u00f4n, o\u00f9, sans doute, les premiers d\u2019entre les rois d\u00e9li -\nb\u00e8rent s\u2019il faut fuir ou combattre.\nIl parla ainsi, et le Priamide saisit son sceptre et fit ce serment :\n\u2013 Que l\u2019\u00e9poux de H\u00e8r\u00e8, Zeus au grand bruit, le sache : nul autre \nguerrier t roien ne sera jamais tra\u00een\u00e9 par ces chevaux, car ils n\u2019il -\nlustreront que toi seul, selon ma promesse.\nIl parla ainsi, jurant un vain serment, et il excita Dol\u00f4n. Et celui-ci \njeta aussit\u00f4t sur ses \u00e9paules un arc recourb\u00e9, se couvrit de la peau \nd\u2019un loup blanc, mit sur sa t\u00eate un casque de peau de belette, et \nprit une lance aigu\u00eb. Et il s\u2019avan\u00e7a vers les nefs, hors du camp ; \nmais il ne devait point revenir des nefs rendre compte \u00e0 Hekt\u00f4r 268CHAnt 10\nde son message. Lorsqu\u2019il eut d\u00e9pass\u00e9 la foule des hommes et des \nchevaux, il courut rapidement. Et le divin Odysseus le vit arriver \net dit \u00e0 Diom\u00e8d\u00e8s :\n\u2013 \u00d4 Diom\u00e8d\u00e8s, cet homme vient du camp ennemi. Je ne sais s\u2019il \nveut espionner nos nefs, ou d\u00e9pouiller quelque cadavre parmi les \nmorts. Laissons-le nous d\u00e9passer un peu dans la plaine, et nous le \npoursuivrons, et nous le prendrons aussit\u00f4t. S\u2019il court plus rapi -\ndement que nous, pousse-le vers les nefs, loin de son camp, en le \nmena\u00e7ant de ta lance, afin qu\u2019il ne se r\u00e9fugie point dans la ville.\nAyant ainsi parl\u00e9, ils se cach\u00e8rent hors du chemin parmi les \ncadavres, et le t roien les d\u00e9passa promptement dans son impru -\ndence. Et il s\u2019\u00e9tait \u00e0 peine \u00e9loign\u00e9 de la longueur d\u2019un sillon que \ntracent deux mules, qui valent mieux que les b\u0153ufs pour tracer \nun sillon dans une terre dure, que les deux guerriers le suivirent. \nEt il les entendit, et il s\u2019arr\u00eata inquiet. Et il pensait dans son esprit \nque ses compagnons accouraient pour le rappeler par l\u2019ordre de \nHekt\u00f4r ; mais \u00e0 une port\u00e9e de trait environ, il reconnut des guer -\nriers ennemis, et agitant ses jambes rapides, il prit la fuite, et les \ndeux Argiens le poussaient avec autant de h\u00e2te.\nAinsi que deux bons chiens de chasse, aux dents aigu\u00ebs, pour -\nsuivent de pr\u00e8s, dans un bois, un faon ou un li\u00e8vre qui les devance 269\nL \u2019ILIADEen criant, ainsi le t yd\u00e9ide et Odysseus, le destructeur de citadelles, \npoursuivaient ardemment le t roien, en le rejetant loin de son \ncamp. Et, comme il allait bient\u00f4t se m\u00ealer aux gardes en fuyant \nvers les nefs, Ath\u00e8n\u00e8 donna une plus grande force au t yd\u00e9ide, afin \nqu\u2019il ne frapp\u00e2t point le second coup, et qu\u2019un des Akhaiens cui -\nrass\u00e9s ne p\u00fbt se glorifier d\u2019avoir fait la premi\u00e8re blessure. Et le \nrobuste Diom\u00e8d\u00e8s, agitant sa lance, parla ainsi :\n\u2013 Arr\u00eate, ou je te frapperai de ma lance, et je ne pense pas que tu \n\u00e9vites longtemps de recevoir la dure mort de ma main.\nIl parla ainsi et fit partir sa lance qui ne per\u00e7a point le t roien ; \nmais la pointe du trait effleura seulement l\u2019\u00e9paule droite et s\u2019en -\nfon\u00e7a en terre.\nEt Dol\u00f4n s\u2019arr\u00eata plein de crainte, \u00e9pouvant\u00e9, tremblant, p\u00e2le, et \nses dents claquaient.\nEt les deux guerriers, haletants, lui saisirent les mains, et il leur \ndit en pleurant :\n\u2013 Prenez-moi vivant. Je me rach\u00e8terai. J\u2019ai dans mes demeures de \nl\u2019or et du fer propre \u00e0 \u00eatre travaill\u00e9. Pour mon affranchissement, 270CHAnt 10\nmon p\u00e8re vous en donnera la plus grande part, s\u2019il apprend que \nje suis vivant sur les nefs des Akhaiens.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Prends courage, et que la mort ne soit pas pr\u00e9sente \u00e0 ton esprit ; \nmais dis-moi la v\u00e9rit\u00e9. Pourquoi viens-tu seul, de ton camp, vers \nles nefs, par la nuit obscure, quand tous les hommes mortels sont \nendormis ? Serait-ce pour d\u00e9pouiller les cadavres parmi les morts, \nou Hekt\u00f4r t\u2019a-t-il envoy\u00e9 observer ce qui se passe aupr\u00e8s des nefs \ncreuses, ou viens-tu de ton propre mouvement ?\nEt Dol\u00f4n, dont les membres tremblaient, leur r\u00e9pondit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, contre ma volont\u00e9, m\u2019a pouss\u00e9 \u00e0 ma ruine. Ayant promis \nde me donner les chevaux aux sabots massifs de l\u2019illustre P\u00e8l\u00e9i\u00f4n \net son char orn\u00e9 d\u2019airain, il m\u2019a ordonn\u00e9 d\u2019aller et de m\u2019appro -\ncher, pendant la nuit obscure et rapide, des guerriers ennemis, et \nde voir s\u2019ils gardent toujours leurs nefs rapides, ou si, dompt\u00e9s par \nnos mains, vous d\u00e9lib\u00e9rez, pr\u00eats \u00e0 fuir, et ne pouvant m\u00eame plus \nveiller, \u00e9tant rompus de fatigue.271\nL \u2019ILIADEEt le subtil Odysseus, en souriant, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, tu esp\u00e9rais, dans ton esprit, une grande r\u00e9compense, en \nd\u00e9sirant les chevaux du brave Aiakide, car ils ne peuvent \u00eatre \ndompt\u00e9s et conduits par des guerriers mortels, sauf par Akhilleus \nqu\u2019une m\u00e8re immortelle a enfant\u00e9. Mais dis-moi la v\u00e9rit\u00e9. O\u00f9 \nas-tu laiss\u00e9 Hekt\u00f4r, prince des peuples ? O\u00f9 sont ses armes belli -\nqueuses et ses chevaux ? O\u00f9 sont les sentinelles et les tentes des \nautres t roiens ? Dis-nous s\u2019ils d\u00e9lib\u00e8rent entre eux, soit qu\u2019ils \naient dessein de rester o\u00f9 ils sont, loin des nefs, soit qu\u2019ils d\u00e9sirent \nne rentrer dans la ville qu\u2019apr\u00e8s avoir dompt\u00e9 les Akhaiens.\nEt Dol\u00f4n, fils d\u2019Eum\u00e8dos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je te dirai toute la v\u00e9rit\u00e9. Hekt\u00f4r, dans le conseil, d\u00e9lib\u00e8re aupr\u00e8s \ndu tombeau du divin Ilos, loin du bruit. Il n\u2019y a point de gardes \nautour du camp, car tous les t roiens veillent devant leurs feux, \npress\u00e9s par la n\u00e9cessit\u00e9 et s\u2019excitant les uns les autres ; mais les \nalli\u00e9s, venus de diverses contr\u00e9es, dorment tous, se fiant \u00e0 la \nvigilance des troiens, et n\u2019ayant avec eux ni leurs enfants, ni \nleurs femmes.272CHAnt 10\nEt le subtil Odysseus lui dit :\n\u2013 Sont-ils m\u00eal\u00e9s aux braves t roiens, ou dorment-ils \u00e0 l\u2019\u00e9cart ? Parle \nclairement, afin que je comprenne.\nEt Dol\u00f4n, fils d\u2019Eum\u00e8dos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je te dirai toute la v\u00e9rit\u00e9. Aupr\u00e8s de la mer sont les Kariens, \nles Paiones aux arcs recourb\u00e9s, les L\u00e9l\u00e9ges, les Kauk\u00f4nes et les \ndivins P\u00e9lasges ; du c\u00f4t\u00e9 de t hymbr\u00e8 sont les Lykiens, les Mysiens \norgueilleux, les cavaliers Phrygiens et les Maiones qui combattent \nsur des chars. Mais pourquoi me demandez-vous ces choses ? \nSi vous d\u00e9sirez entrer dans le camp des t roiens, les t hr\u00e8kiens \nr\u00e9cemment arriv\u00e9s sont \u00e0 l\u2019\u00e9cart, aux extr\u00e9mit\u00e9s du camp, et leur \nroi, Rh\u00e8sos Eion\u00e9ide, est avec eux. J\u2019ai vu ses grands et magni -\nfiques chevaux. Ils sont plus blancs que la neige, et semblables aux \nvents quand ils courent. Et j\u2019ai vu son char orn\u00e9 d\u2019or et d\u2019argent, et \nses grandes armes d\u2019or, admirables aux yeux, et qui conviennent \nmoins \u00e0 des hommes mortels qu\u2019aux dieux qui vivent toujours. \nMaintenant, conduisez-moi vers vos nefs rapides, ou, m\u2019attachant \navec des liens solides, laissez-moi ici jusqu\u2019\u00e0 votre retour, quand \nvous aurez reconnu si j\u2019ai dit la v\u00e9rit\u00e9 ou si j\u2019ai menti.273\nL \u2019ILIADEEt le robuste Diom\u00e8d\u00e8s, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Dol\u00f4n, ne pense pas m\u2019\u00e9chapper, puisque tu es tomb\u00e9 entre nos \nmains, bien que tes paroles soient bonnes. Si nous acceptons le \nprix de ton affranchissement, et si nous te renvoyons, certes, tu \nreviendras aupr\u00e8s des nefs rapides des Akhaiens, pour espionner \nou combattre ; mais, si tu perds la vie, dompt\u00e9 par mes mains, tu \nne nuiras jamais plus aux Argiens.\nIl parla ainsi, et comme Dol\u00f4n le suppliait en lui touchant la \nbarbe de la main, il le frappa brusquement de son \u00e9p\u00e9e au milieu \nde la gorge et trancha les deux muscles. Et le t roien parlait encore \nquand sa t\u00eate tomba dans la poussi\u00e8re. Et ils arrach\u00e8rent le casque \nde peau de belette, et la peau de loup, et l\u2019arc flexible et la longue \nlance. Et le divin Odysseus, les soulevant vers le ciel, les voua, en \npriant, \u00e0 la d\u00e9vastatrice Ath\u00e8n\u00e8.\n\u2013 R\u00e9jouis-toi de ces armes, d\u00e9esse ! nous t\u2019invoquons, toi qui es la \npremi\u00e8re entre tous les Olympiens immortels. Conduis-nous o\u00f9 \nsont les guerriers thr\u00e8kiens, leurs chevaux et leurs tentes.\nIl parla ainsi, et, levant les bras, il posa ces armes sur un tama -\nris qu\u2019il marqua d\u2019un signe en nouant les roseaux et les larges \nbranches, afin de les reconna\u00eetre au retour, dans la nuit noire.274CHAnt 10\nEt ils march\u00e8rent ensuite \u00e0 travers les armes et la plaine san -\nglante, et ils parvinrent bient\u00f4t aux tentes des guerriers thr\u00e8kiens. \nEt ceux-ci dormaient, rompus de fatigue ; et leurs belles armes \n\u00e9taient couch\u00e9es \u00e0 terre aupr\u00e8s d\u2019eux, sur trois rangs. Et, aupr\u00e8s \nde chaque homme, il y avait deux chevaux. Et, au milieu, dormait \nRh\u00e8sos, et, aupr\u00e8s de lui, ses chevaux rapides \u00e9taient attach\u00e9s avec \ndes courroies, derri\u00e8re le char.\nEt Odysseus le vit le premier, et il le montra \u00e0 Diom\u00e8d\u00e8s :\n\u2013 Diom\u00e8d\u00e8s, voici l\u2019homme et les chevaux dont nous a parl\u00e9 \nDol\u00f4n que nous avons tu\u00e9. Allons ! use de ta force et sers-toi \nde tes armes. D\u00e9tache ces chevaux, ou je le ferai moi-m\u00eame si \ntu pr\u00e9f\u00e8res.\nIl parla ainsi, et Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs donna une grande force \u00e0 \nDiom\u00e8d\u00e8s. Et il tuait \u00e7\u00e0 et l\u00e0 ; et ceux qu\u2019il frappait de l\u2019\u00e9p\u00e9e g\u00e9mis -\nsaient, et la terre ruisselait de sang. Comme un lion, tombant au \nmilieu de troupeaux sans gardiens, se rue sur les ch\u00e8vres et les \nbrebis ; ainsi le fils de t ydeus se rua sur les t hr\u00e8kiens, jusqu\u2019\u00e0 \nce qu\u2019il en e\u00fbt tu\u00e9 douze. Et d\u00e8s que le t yd\u00e9ide avait frapp\u00e9, \nOdysseus, qui le suivait, tra\u00eenait \u00e0 l\u2019\u00e9cart le cadavre par les pieds, \npensant dans son esprit que les chevaux aux belles crini\u00e8res pas -\nseraient plus librement, et ne s\u2019effaroucheraient point, n\u2019\u00e9tant pas 275\nL \u2019ILIADEaccoutum\u00e9s \u00e0 marcher sur les morts. Et, lorsque le fils de t ydeus \ns\u2019approcha du roi, ce fut le treizi\u00e8me qu\u2019il priva de sa ch\u00e8re \u00e2me. \nEt sur la t\u00eate de Rh\u00e8sos, qui r\u00e2lait, un songe fatal planait cette \nnuit-l\u00e0, sous la forme de l\u2019Oin\u00e9ide, et par la volont\u00e9 d\u2019Ath\u00e8n\u00e8.\nCependant le patient Odysseus d\u00e9tacha les chevaux aux sabots \nmassifs, et, les liant avec les courroies, il les conduisit hors du \ncamp, les frappant de son arc, car il avait oubli\u00e9 de saisir le fouet \n\u00e9tincelant rest\u00e9 dans le beau char. Et, alors, il siffla pour avertir \nle divin Diom\u00e8d\u00e8s. Et celui-ci d\u00e9lib\u00e9rait dans son esprit si, avec \nplus d\u2019audace encore, il n\u2019entra\u00eenerait point, par le timon, le char \no\u00f9 \u00e9taient d\u00e9pos\u00e9es les belles armes, ou s\u2019il arracherait la vie \u00e0 un \nplus grand nombre de t hr\u00e8kiens. Pendant qu\u2019il d\u00e9lib\u00e9rait ainsi \ndans son esprit, Ath\u00e8n\u00e8 s\u2019approcha et lui dit :\n\u2013 Songe au retour, fils du magnanime t ydeus, de peur qu\u2019un dieu \nn\u2019\u00e9veille les t roiens et que tu ne sois contraint de fuir vers les \nnefs creuses.\nElle parla ainsi, et il comprit les paroles de la d\u00e9esse, et il sauta sur \nles chevaux, et Odysseus les frappa de son arc, et ils volaient vers \nles nefs rapides des Akhaiens. Mais Apoll\u00f4n \u00e0 l\u2019arc d\u2019argent de ses \nyeux per\u00e7ants vit Ath\u00e8n\u00e8 aupr\u00e8s du fils de t ydeus. Irrit\u00e9, il entra \ndans le camp des t roiens et r\u00e9veilla le chef t hr\u00e8kien Hippoko\u00f4n, 276CHAnt 10\nbrave parent de Rh\u00e8sos. Et celui-l\u00e0, se levant, vit d\u00e9serte la place \no\u00f9 \u00e9taient les chevaux rapides, et les hommes palpitant dans leur \nsang ; et il g\u00e9mit, appelant son cher compagnon par son nom. Et \nune immense clameur s\u2019\u00e9leva parmi les t roiens qui accouraient ; \net ils s\u2019\u00e9tonnaient de cette action audacieuse, et que les hommes \nqui l\u2019avaient accomplie fussent retourn\u00e9s sains et saufs vers les \nnefs creuses.\nEt quand ceux-ci furent arriv\u00e9s l\u00e0 o\u00f9 ils avaient tu\u00e9 l\u2019espion \nde Hekt\u00f4r, Odysseus, cher \u00e0 Zeus, arr\u00eata les chevaux rapides. \nEt le t yd\u00e9ide, sautant \u00e0 terre, remit aux mains d\u2019Odysseus les \nd\u00e9pouilles sanglantes, et remonta. Et ils excit\u00e8rent les chevaux qui \nvolaient avec ardeur vers les nefs creuses. Et, le premier, n est\u00f4r \nentendit leur bruit et dit :\n\u2013 \u00d4 amis, chefs et princes des Argiens, mentirai-je ou dirai-je vrai ? \nMon c\u0153ur m\u2019ordonne de parler. Le galop de chevaux rapides \nfrappe mes oreilles.\nPlaise aux dieux que, d\u00e9j\u00e0, Odysseus et le robuste Diom\u00e8d\u00e8s aient \nenlev\u00e9 aux t roiens des chevaux aux sabots massifs ; mais je crains \navec v\u00e9h\u00e9mence, dans mon esprit, que les plus braves des Argiens \nn\u2019aient pu \u00e9chapper \u00e0 la foule des t roiens !277\nL \u2019ILIADEIl avait \u00e0 peine parl\u00e9, et les deux rois arriv\u00e8rent et descendirent. Et \ntous, pleins de joie, les salu\u00e8rent de la main, avec des paroles flat -\nteuses. Et, le premier, le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r les interrogea :\n\u2013 Dis-moi, Odysseus combl\u00e9 de louanges, gloire des Akhaiens, \ncomment avez-vous enlev\u00e9 ces chevaux ? Est-ce en entrant dans \nle camp des t roiens, ou avez-vous rencontr\u00e9 un dieu qui vous en \nait fait don ? Ils sont semblables aux rayons de H\u00e9lios ! Je me m\u00eale, \ncertes, toujours aux t roiens, et je ne pense pas qu\u2019on m\u2019ait vu res -\nter aupr\u00e8s des nefs, bien que je sois vieux ; mais je n\u2019ai jamais vu \nde tels chevaux. Je soup\u00e7onne qu\u2019un dieu vous les a donn\u00e9s, car \nZeus qui amasse les nu\u00e9es vous aime tous deux, et Ath\u00e8n\u00e8 aux \nyeux clairs, fille de Zeus temp\u00e9tueux, vous aime aussi.\nEt le subtil Odysseus lui r\u00e9pondit :\n\u2013 nest\u00f4r n \u00e8l\u00e8iade, gloire des Akhaiens, sans doute un dieu, s\u2019il \nl\u2019e\u00fbt voulu, nous e\u00fbt donn\u00e9 des chevaux m\u00eame au-dessus de \nceux-ci, car les dieux peuvent tout. Mais ces chevaux, sur lesquels \ntu m\u2019interroges, \u00f4 vieillard, sont thr\u00e8kiens et arriv\u00e9s r\u00e9cemment.\nLe hardi Diom\u00e8d\u00e8s a tu\u00e9 leur roi et douze des plus braves com -\npagnons de celui-ci. n ous avons tu\u00e9, non loin des nefs, un 278CHAnt 10\nquatorzi\u00e8me guerrier, un espion que Hekt\u00f4r et les illustres t roiens \nenvoyaient dans notre camp.\nIl parla ainsi, joyeux, et fit sauter le foss\u00e9 aux chevaux. Et les \nautres chefs Argiens, joyeux aussi, vinrent jusqu\u2019\u00e0 la tente solide \ndu t yd\u00e9ide. Et ils attach\u00e8rent, avec de bonnes courroies, les \u00e9ta -\nlons t hr\u00e8kiens \u00e0 la cr\u00e8che devant laquelle les rapides chevaux de \nDiom\u00e8d\u00e8s se tenaient, broyant le doux froment. Et Odysseus posa \nles d\u00e9pouilles sanglantes de Dol\u00f4n sur la poupe de sa nef, pour \nqu\u2019elles fussent vou\u00e9es \u00e0 Ath\u00e8n\u00e8. Et tous deux, \u00e9tant entr\u00e9s dans la \nmer pour enlever leur sueur, lav\u00e8rent leurs jambes, leurs cuisses \net leurs \u00e9paules. Et apr\u00e8s que l\u2019eau de la mer eut enlev\u00e9 leur sueur \net qu\u2019ils se furent ranim\u00e9s, ils entr\u00e8rent dans des baignoires polies. \nEt, s\u2019\u00e9tant parfum\u00e9s d\u2019une huile \u00e9paisse, ils s\u2019assirent pour le repas \ndu matin, puisant dans un plein krat\u00e8re pour faire, en honneur \nd\u2019Ath\u00e8n\u00e8, des libations de vin doux.279\nL \u2019ILIADEChant 11\n\u00c9\u00f4s quitta le lit du brillant t ith\u00f4n, afin de porter la lumi\u00e8re \naux immortels et aux vivants. Et Zeus envoya \u00c9ris vers les nefs \nrapides des Akhaiens, portant dans ses mains le signe terrible \nde la guerre. Et elle s\u2019arr\u00eata sur la nef large et noire d\u2019Odysseus, \nqui \u00e9tait au centre, pour que son cri f\u00fbt entendu de tous c\u00f4t\u00e9s, \ndepuis les tentes du t \u00e9lam\u00f4nien Aias jusqu\u2019\u00e0 celles d\u2019Akhilleus ; \ncar ceux-ci, confiants dans leur courage et la force de leurs mains, \navaient plac\u00e9 leurs nefs \u00e9gales aux deux extr\u00e9mit\u00e9s du camp. De \nce lieu, la d\u00e9esse poussa un cri retentissant et horrible qui souf -\nfla au c\u0153ur de chacun des Akhaiens un ardent d\u00e9sir de guerroyer \net de combattre sans rel\u00e2che. Et, aussit\u00f4t, la guerre leur fut plus \ndouce que le retour, sur les nefs creuses, dans la terre bien-aim\u00e9e \nde la patrie.\nEt l\u2019Atr\u00e9ide, \u00e9levant la voix, ordonna aux Argiens de s\u2019armer ; et \nlui-m\u00eame se couvrit de l\u2019airain \u00e9clatant. Et, d\u2019abord, il entoura \nses jambes de belles kn\u00e8mides retenues par des agrafes d\u2019argent. \nEnsuite, il ceignit sa poitrine d\u2019une cuirasse que lui avait autrefois \ndonn\u00e9e Kinyr\u00e8s, son h\u00f4te. Kinyr\u00e8s, ayant appris dans Kypros par \nla renomm\u00e9e que les Akhaiens voguaient vers Ilios sur leurs nefs, 280CHAnt 11\navait fait ce pr\u00e9sent au roi. Et cette cuirasse avait dix cannelures \nen \u00e9mail noir, douze en or, vingt en \u00e9tain. Et trois dragons azur\u00e9s \ns\u2019enroulaient jusqu\u2019au col, semblables aux Iris que le Kroni\u00f4n fixa \ndans la nu\u00e9e pour \u00eatre un signe aux vivants.\nEt il suspendit \u00e0 ses \u00e9paules l\u2019\u00e9p\u00e9e o\u00f9 \u00e9tincelaient des clous d\u2019or \ndans la ga\u00eene d\u2019argent soutenue par des courroies d\u2019or.\nIl s\u2019abrita tout entier sous un beau bouclier aux dix cercles d\u2019ai -\nrain et aux vingt bosses d\u2019\u00e9tain blanc, au milieu desquelles il y en \navait une d\u2019\u00e9mail noir o\u00f9 s\u2019enroulait Gorg\u00f4 \u00e0 l\u2019aspect effrayant et \naux regards horribles. Aupr\u00e8s \u00e9taient la Crainte et la terreur. Et \nce bouclier \u00e9tait suspendu \u00e0 une courroie d\u2019argent o\u00f9 s\u2019enroulait \nun dragon azur\u00e9 dont le col se terminait en trois t\u00eates. Et il mit \nun casque chevelu orn\u00e9 de quatre c\u00f4nes et d\u2019aigrettes de crin qui \ns\u2019agitaient terriblement. Et il prit deux lances solides aux pointes \nd\u2019airain qui brillaient jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Ouranos. Et Ath\u00e8nai\u00e8 et H\u00e8r\u00e8 \n\u00e9veill\u00e8rent un grand bruit pour honorer le roi de la riche Myk\u00e8n\u00e8.\nEt les chefs ordonn\u00e8rent aux conducteurs des chars de retenir les \nchevaux aupr\u00e8s du foss\u00e9, tandis qu\u2019ils se ruaient couverts de leurs \narmes. Et une immense clameur s\u2019\u00e9leva avant le jour. Et les chars \net les chevaux, rang\u00e9s aupr\u00e8s du foss\u00e9, suivaient \u00e0 peu de distance \nles guerriers ; ceux-ci les pr\u00e9c\u00e9d\u00e8rent, et le cruel Kronide excita 281\nL \u2019ILIADEun grand tumulte et fit pleuvoir du haut de l\u2019aith\u00e8r des ros\u00e9es \nteintes de sang, en signe qu\u2019il allait pr\u00e9cipiter chez Aid\u00e8s une \nfoule de t\u00eates illustres.\nDe leur c\u00f4t\u00e9, les t roiens se rangeaient sur la hauteur autour \ndu grand Hekt\u00f4r, de l\u2019irr\u00e9prochable Polydamas, d\u2019Ain\u00e9ias qui, \ndans Ilios, \u00e9tait honor\u00e9 comme un dieu par les t roiens, des trois \nAnt\u00e9norides, Polybos, le divin Ag\u00e8n\u00f4r et le jeune Akamas, sem -\nblable aux immortels.\nEt, entre les premiers combattants, Hekt\u00f4r portait son bouclier \npoli. De m\u00eame qu\u2019une \u00e9toile d\u00e9sastreuse s\u2019\u00e9veille, brillante, et \ns\u2019avance \u00e0 travers les nu\u00e9es obscures, de m\u00eame Hekt\u00f4r apparais -\nsait en t\u00eate des premiers combattants, ou au milieu d\u2019eux, et leur \ncommandant \u00e0 tous ; et il resplendissait, couvert d\u2019airain, pareil \u00e0 \nl\u2019\u00e9clair du p\u00e8re Zeus temp\u00eatueux.\nEt, comme deux troupes oppos\u00e9es de moissonneurs qui tranchent \nles gerbes dans le champ d\u2019un homme riche, les troiens et les \nAkhaiens s\u2019entretuaient, se ruant les uns contre les autres, oublieux \nde la fuite funeste, in\u00e9branlables et tels que des loups.\nEt la d\u00e9sastreuse \u00c9ris se r\u00e9jouissait de les voir, car, seule de \ntous les dieux, elle assistait au combat. Et les autres immortels 282CHAnt 11\n\u00e9taient absents, et chacun d\u2019eux \u00e9tait assis, tranquille dans sa \nbelle demeure, sur les sommets de l\u2019Olympos. Et ils bl\u00e2maient le \nKroni\u00f4n qui amasse les noires nu\u00e9es, parce qu\u2019il voulait donner \nune grande gloire aux t roiens. Mais le p\u00e8re Zeus, assis \u00e0 l\u2019\u00e9cart, ne \ns\u2019inqui\u00e9tait point d\u2019eux. Et il si\u00e9geait, plein de gloire, regardant la \nville des t roiens et les nefs des Akhaiens, et l\u2019\u00e9clat de l\u2019airain, et \nceux qui reculaient, et ceux qui s\u2019\u00e9lan\u00e7aient.\ntant que l\u2019aube dura et que le jour sacr\u00e9 prit de la force, les traits \nsiffl\u00e8rent des deux c\u00f4t\u00e9s et les hommes moururent ; mais, vers \nl\u2019heure o\u00f9 le b\u00fbcheron prend son repas dans les gorges de la \nmontagne, et que, les bras rompus d\u2019avoir coup\u00e9 les grands arbres, \net le c\u0153ur d\u00e9faillant, il ressent le d\u00e9sir d\u2019une douce nourriture, les \nDanaens, s\u2019exhortant les uns les autres, rompirent les phalanges.\nEt Agamemn\u00f4n bondit le premier et tua le guerrier Bian\u00f4r, prince \ndes peuples, et son compagnon Oileus qui conduisait les che -\nvaux. Et celui-ci, sautant du char, lui avait fait face. Et l\u2019Atr\u00e9ide, \ncomme il sautait, le frappa au front de la lance aigu\u00eb, et le casque \n\u00e9pais ne r\u00e9sista point \u00e0 l\u2019airain qui y p\u00e9n\u00e9tra, brisa le cr\u00e2ne et tra -\nversa la cervelle du guerrier qui s\u2019\u00e9lan\u00e7ait. Et le roi des hommes, \nAgamemn\u00f4n, les abandonna tous deux en ce lieu, apr\u00e8s avoir \narrach\u00e9 leurs cuirasses \u00e9tincelantes.283\nL \u2019ILIADEPuis, il s\u2019avan\u00e7a pour tuer Isos et Antiphos, deux fils de Priamos, \nl\u2019un b\u00e2tard et l\u2019autre l\u00e9gitime, mont\u00e9s sur le m\u00eame char. Et le \nb\u00e2tard tenait les r\u00eanes, et l\u2019illustre Antiphos combattait. Akhilleus \nles avait autrefois saisis et li\u00e9s avec des branches d\u2019osier, sur les \nsommets de l\u2019Ida, comme ils paissaient leurs brebis ; et il avait \naccept\u00e9 le prix de leur affranchissement. Mais voici que l\u2019Atr\u00e9ide \nAgamemn\u00f4n qui commandait au loin per\u00e7a Isos d\u2019un coup de \nlance au-dessus de la mamelle, et, frappant Antiphos de l\u2019\u00e9p\u00e9e \naupr\u00e8s de l\u2019oreille, le renversa du char. Et, comme il leur arrachait \nleurs belles armes, il les reconnut, les ayant vus aupr\u00e8s des nefs, \nquand Akhilleus aux pieds rapides les y avait amen\u00e9s des som -\nmets de l\u2019Ida.\nAinsi un lion brise ais\u00e9ment, dans son antre, les saisissant avec \nses fortes dents, les faibles petits d\u2019une biche l\u00e9g\u00e8re, et arrache \nleur \u00e2me d\u00e9licate. Et la biche accourt, mais elle ne peut les secou -\nrir, car une profonde terreur la saisit ; et elle s\u2019\u00e9lance \u00e0 travers les \nfourr\u00e9s de ch\u00eanes des bois, effar\u00e9e et suant d\u2019\u00e9pouvante devant la \nfureur de la puissante b\u00eate f\u00e9roce.\nDe m\u00eame nul ne put conjurer la perte des Priamides, et tous \nfuyaient devant les Argiens.284CHAnt 11\nEt le roi Agamemn\u00f4n saisit sur le m\u00eame char Peisandros et le \nbrave Hippolokhos, fils tous deux du belliqueux Antimakhos. Et \ncelui-ci, ayant accept\u00e9 l\u2019or et les pr\u00e9sents splendides d\u2019Alexandros, \nn\u2019avait pas permis que H\u00e9l\u00e9n\u00e8 f\u00fbt rendue au brave M\u00e9n\u00e9laos. Et \ncomme l\u2019Atr\u00e9ide se ruait sur eux, tel qu\u2019un lion, ils furent trou -\nbl\u00e9s ; et, les souples r\u00eanes \u00e9tant tomb\u00e9es de leurs mains, leurs che -\nvaux rapides les emportaient. Et, prostern\u00e9s sur le char, ils sup -\npliaient Agamemn\u00f4n :\n\u2013 Prends-nous vivants, fils d\u2019Atreus, et re\u00e7ois le prix de notre \naffranchissement. De nombreuses richesses sont amass\u00e9es dans \nles demeures d\u2019Antimakhos, l\u2019or, l\u2019airain et le fer propre \u00e0 \u00eatre tra -\nvaill\u00e9. n otre p\u00e8re t\u2019en donnera la plus grande partie pour notre \naffranchissement, s\u2019il apprend que nous sommes vivants sur les \nnefs des Akhaiens.\nEn pleurant, ils adressaient au roi ces douces paroles, mais ils \nentendirent une dure r\u00e9ponse :\n\u2013 Si vous \u00eates les fils du brave Antimakhos qui, autrefois, dans \nl\u2019agora des t roiens, conseillait de tuer nos envoy\u00e9s, M\u00e9n\u00e9laos et le \ndivin Odysseus, et de ne point les laisser revenir vers les Akhaiens, \nmaintenant vous allez payer l\u2019injure de votre p\u00e8re.285\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et, frappant de sa lance Peisandros \u00e0 la poitrine, il le \nrenversa dans la poussi\u00e8re, et, comme Hippolokhos sautait, il le \ntua \u00e0 terre ; et, lui coupant les bras et le cou, il le fit rouler comme \nun tronc mort \u00e0 travers la foule. Et il les abandonna pour se ruer \nsur les phalanges en d\u00e9sordre, suivi des Akhaiens aux belles kn\u00e8 -\nmides. Et les pi\u00e9tons tuaient les pi\u00e9tons qui fuyaient, et les cava -\nliers tuaient les cavaliers. Et, sous leurs pieds, et sous les pieds \nsonores des chevaux, une grande poussi\u00e8re montait de la plaine \ndans l\u2019air. Et le roi Agamemn\u00f4n allait, tuant toujours et excitant \nles Argiens.\nAinsi, quand la flamme d\u00e9sastreuse d\u00e9vore une \u00e9paisse for\u00eat, et \nquand le vent qui tourbillonne l\u2019active de tous c\u00f4t\u00e9s, les arbres \ntombent sous l\u2019imp\u00e9tuosit\u00e9 du feu. De m\u00eame, sous l\u2019Atr\u00e9ide \nAgamemn\u00f4n, tombaient les t\u00eates des t roiens en fuite. Les che -\nvaux entra\u00eenaient, effar\u00e9s, la t\u00eate haute, les chars vides \u00e0 travers \nles rangs, et regrettaient leurs conducteurs irr\u00e9prochables qui \ngisaient contre terre, plus agr\u00e9ables aux oiseaux carnassiers qu\u2019\u00e0 \nleurs femmes.\nEt Zeus conduisit Hekt\u00f4r loin des lances, loin de la poussi\u00e8re, loin \ndu carnage et du sang. Et l\u2019Atr\u00e9ide, excitant les Danaens, poursui -\nvait ardemment l\u2019ennemi. Et les t roiens, aupr\u00e8s du tombeau de \nl\u2019antique Dardanide Ilos, se pr\u00e9cipitaient dans la plaine, d\u00e9sirant 286CHAnt 11\nrentrer dans la ville. Et ils approchaient du figuier, et l\u2019Atr\u00e9ide les \npoursuivait, baignant de leur sang ses mains rudes, et poussant \ndes cris.\nEt, lorsqu\u2019ils furent parvenus au h\u00eatre et aux portes Skaies, ils s\u2019ar -\nr\u00eat\u00e8rent, s\u2019attendant les uns les autres. Et la multitude fuyait dis -\npers\u00e9e \u00e0 travers la plaine, comme un troupeau de vaches qu\u2019un \nlion, brusquement survenu, \u00e9pouvante au milieu de la nuit ; mais \nune seule d\u2019entre elles meurt chaque fois. Le lion, l\u2019ayant saisie \nde ses fortes dents, lui brise le cou, boit son sang et d\u00e9vore ses \nentrailles. Ainsi l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n les poursuivait, tuant tou -\njours le dernier ; et ils fuyaient. Un grand nombre d\u2019entre eux \ntombait, la t\u00eate la premi\u00e8re, ou se renversait du haut des chars \nsous les mains de l\u2019Atr\u00e9ide dont la lance \u00e9tait furieuse. Mais, \nquand on fut parvenu \u00e0 la ville et \u00e0 ses hautes murailles, le p\u00e8re \ndes hommes et des dieux descendit de l\u2019Ouranos sur les sommets \nde l\u2019Ida aux sources abondantes, avec la foudre aux mains, et il \nappela la messag\u00e8re Iris aux ailes d\u2019or :\n\u2013 Va ! rapide Iris, et dis \u00e0 Hekt\u00f4r qu\u2019il se tienne en repos et qu\u2019il \nordonne au reste de l\u2019arm\u00e9e de combattre l\u2019ennemi aussi long -\ntemps qu\u2019il verra le prince des peuples, Agamemn\u00f4n, se jeter \nfurieux aux premiers rangs et rompre les lignes des guerriers. \nMais, d\u00e8s que l\u2019Atr\u00e9ide, frapp\u00e9 d\u2019un coup de lance ou bless\u00e9 d\u2019une 287\nL \u2019ILIADEfl\u00e8che, remontera sur son char, je rendrai au Priamide la force de \ntuer ; et il tuera, \u00e9tant parvenu aux nefs bien construites, jusqu\u2019\u00e0 \nce que H\u00e9lios tombe et que la nuit sacr\u00e9e s\u2019\u00e9l\u00e8ve.\nIl parla ainsi, et la rapide Iris aux pieds prompts comme le vent \nlui ob\u00e9it.\nEt elle descendit des sommets de l\u2019Ida vers la sainte Ilios, et elle \ntrouva le fils du belliqueux Priamos, le divin Hekt\u00f4r, debout sur \nson char solide. Et Iris aux pieds rapides s\u2019approcha et lui dit :\n\u2013 Fils de Priamos, Hekt\u00f4r, \u00e9gal \u00e0 Zeus en sagesse, le p\u00e8re Zeus \nm\u2019envoie te dire ceci : tiens-toi en repos, et ordonne au reste de \nl\u2019arm\u00e9e de combattre l\u2019ennemi, aussi longtemps que tu verras le \nprince des peuples, Agamemn\u00f4n, se jeter furieux aux premiers \nrangs des combattants et rompre les lignes des guerriers ; mais \nd\u00e8s que l\u2019Atr\u00e9ide, frapp\u00e9 d\u2019un coup de lance ou bless\u00e9 d\u2019une fl\u00e8che, \nremontera sur son char, Zeus te rendra la force de tuer, et tu tue -\nras, \u00e9tant parvenu aux nefs bien construites, jusqu\u2019\u00e0 ce que H\u00e9lios \ntombe et que la nuit sacr\u00e9e s\u2019\u00e9l\u00e8ve.\nAyant ainsi parl\u00e9, Iris aux pieds rapides disparut. Et Hekt\u00f4r, sau -\ntant du haut de son char, avec ses armes, et agitant ses lances \naigu\u00ebs, courut de tous c\u00f4t\u00e9s \u00e0 travers l\u2019arm\u00e9e, l\u2019excitant au combat. 288CHAnt 11\nEt les troiens, se retournant, firent face aux Akhaiens. Et les \nArgiens s\u2019arr\u00eat\u00e8rent, serrant leurs phalanges pour soutenir le \ncombat ; mais Agamemn\u00f4n se rua en avant, voulant combattre \nle premier.\nDites-moi maintenant, Muses qui habitez les demeures oura -\nniennes, celui des t roiens ou des illustres alli\u00e9s qui s\u2019avan\u00e7a \nle premier contre Agamemn\u00f4n. Ce fut Iphidamas Ant\u00e9noride, \ngrand et robuste, \u00e9lev\u00e9 dans la fertile t hr\u00e8ki\u00e8, nourrice de brebis.\nEt son a\u00efeul maternel Kisseus, qui engendra t h\u00e9an\u00f4 aux belles \njoues, l\u2019\u00e9leva tout enfant dans ses demeures ; et quand il eut atteint \nla glorieuse pubert\u00e9, il le retint en lui donnant sa fille pour femme. \nEt quand le jeune guerrier apprit l\u2019arriv\u00e9e des Akhaiens, il quitta \nsa demeure nuptiale et vint avec douze nefs aux poupes recour -\nb\u00e9es qu\u2019il laissa \u00e0 Perkop\u00e8. Et il vint \u00e0 pied jusque dans Ilios. Et \nce fut lui qui s\u2019avan\u00e7a contre Agamemn\u00f4n. t ous deux s\u2019\u00e9tant \nrencontr\u00e9s, l\u2019Atr\u00e9ide le manqua de sa lance qui se d\u00e9tourna du \nbut. Et Iphidamas frappa au-dessous de la cuirasse, sur le cein -\nturon ; et il poussa sa lance avec vigueur, sans la quitter ; mais il \nne per\u00e7a point le ceinturon habilement fait, et la pointe de l\u2019arme, \nrencontrant une lame d\u2019argent, se tordit comme du plomb. Et \nAgamemn\u00f4n qui commande au loin, rapide comme un lion, sai -\nsit la lance, et, l\u2019arrachant, frappa de son \u00e9p\u00e9e l\u2019Ant\u00e9noride au 289\nL \u2019ILIADEcou, et le tua. Ainsi ce malheureux, en secourant ses concitoyens, \ns\u2019endormit d\u2019un sommeil d\u2019airain, loin de sa jeune femme dont \nil n\u2019avait point vu le bonheur. Et il lui avait fait de nombreux \npr\u00e9sents, lui ayant d\u2019abord donn\u00e9 cent b\u0153ufs, et lui ayant pro -\nmis mille ch\u00e8vres et brebis. Et voici que l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n \nle d\u00e9pouilla, et rentra dans la foule des Akhaiens, emportant ses \nbelles armes.\nEt l\u2019illustre guerrier Ko\u00f4n, l\u2019a\u00een\u00e9 des Ant\u00e9norides, l\u2019aper\u00e7ut, et \nune am\u00e8re douleur obscurcit ses yeux quand il vit son fr\u00e8re mort. \nEn se cachant, il frappa le divin Agamemn\u00f4n d\u2019un coup de lance \nau milieu du bras, sous le coude, et la pointe de l\u2019arme brillante \ntraversa le bras.\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, frissonna ; mais, loin d\u2019aban -\ndonner le combat, il se rua sur Ko\u00f4n, arm\u00e9 de sa lance solide. Et \ncelui-ci tra\u00eenait par les pieds son fr\u00e8re Iphidamas, n\u00e9 du m\u00eame \np\u00e8re, et il appelait les plus braves \u00e0 son aide. Mais, comme il \nl\u2019entra\u00eenait, l\u2019Atr\u00e9ide le frappa de sa lance d\u2019airain sous son \nbouclier rond, et il le tua ; et il lui coupa la t\u00eate sur le corps \nm\u00eame d\u2019Iphidamas. Ainsi les deux fils d\u2019Ant\u00e8n\u00f4r, sous la main \ndu roi Atr\u00e9ide, accomplissant leurs destin\u00e9es, descendirent aux \ndemeures d\u2019Aid\u00e8s.290CHAnt 11\nEt l\u2019Atr\u00e9ide continua d\u2019enfoncer les lignes des guerriers \u00e0 coups \nde lance, d\u2019\u00e9p\u00e9e ou de lourdes roches, aussi longtemps que le sang \ncoula, chaud, de sa blessure ; mais d\u00e8s que la plaie fut dess\u00e9ch\u00e9e, \nque le sang s\u2019arr\u00eata, les douleurs aigu\u00ebs dompt\u00e8rent sa force, sem -\nblables \u00e0 ces douleurs am\u00e8res que les filles de H\u00e8r\u00e8, les \u00c9ileithyes, \nenvoient comme des traits acerbes \u00e0 la femme qui enfante. Ainsi \nles douleurs aigu\u00ebs dompt\u00e8rent la force de l\u2019Atr\u00e9ide. Il monta sur \nson char, ordonnant au conducteur des chevaux de les pousser \nvers les nefs creuses, car il d\u00e9faillait dans son c\u0153ur. Et il dit aux \nDanaens, criant \u00e0 haute voix pour \u00eatre entendu :\n\u2013 \u00d4 amis, chefs et princes des Argiens, c\u2019est \u00e0 vous maintenant \nd\u2019\u00e9loigner le combat d\u00e9sastreux des nefs qui traversent la mer, \npuisque le sage Zeus ne me permet pas de combattre les t roiens \npendant toute la dur\u00e9e du jour.\nIl parla ainsi, et le conducteur du char fouetta les chevaux aux \nbeaux crins du c\u00f4t\u00e9 des nefs creuses, et ils couraient avec ardeur, \nle poitrail \u00e9cumant, soulevant la poussi\u00e8re et entra\u00eenant leur roi \nbless\u00e9, loin du combat. Et d\u00e8s que Hekt\u00f4r s\u2019aper\u00e7ut de la retraite \nd\u2019Agamemn\u00f4n, il excita \u00e0 haute voix les t roiens et les Lykiens.\n\u2013 troiens, Lykiens et Dardaniens, hardis combattants, soyez des \nhommes ! Amis, souvenez-vous de votre courage intr\u00e9pide. Ce 291\nL \u2019ILIADEguerrier si brave se retire, et Zeus Kronide veut me donner une \ngrande gloire. Poussez droit vos chevaux aux durs sabots sur les \nrobustes Danaens, afin de remporter une gloire sans \u00e9gale.\nAyant ainsi parl\u00e9, il excita la force et le courage de chacun. De \nm\u00eame qu\u2019un chasseur excite les chiens aux blanches dents contre \nun sauvage sanglier ou contre un lion, de m\u00eame le Priamide \nHekt\u00f4r, semblable au cruel Ar\u00e8s, excita les magnanimes t roiens \ncontre les Akhaiens. Et lui-m\u00eame, s\u00fbr de son courage, se rua des \npremiers dans la m\u00eal\u00e9e, semblable au tourbillon orageux qui \ntombe sur la haute mer et la bouleverse.\nEt, maintenant, quel fut le premier, quel fut le dernier que tua le \nPriamide Hekt\u00f4r, quand Zeus voulut le glorifier ? Assaios, d\u2019abord, \net Autonoos, et Opit\u00e8s, et Dolops Klytide, et Ophelti\u00f4n, et Ag\u00e9laos, \net Aisymnos, Oros et le magnanime Hipponoos. Et il tua chacun \nde ces princes Danaens.\nPuis, il tomba sur la multitude, tel que Z\u00e9phyros qui agite les \nnu\u00e9es, lorsqu\u2019il flagelle les vapeurs temp\u00eatueuses amass\u00e9es par \nle notos furieux, qu\u2019il d\u00e9roule les flots \u00e9normes, et, de ses souf -\nfles \u00e9pars, disperse l\u2019\u00e9cume dans les hauteurs de l\u2019air. De m\u00eame, \nHekt\u00f4r fit tomber une foule de t\u00eates guerri\u00e8res.292CHAnt 11\nAlors, c\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 le jour d\u2019un d\u00e9sastre fatal et de maux incurables, et \nles Argiens, dans leur fuite, eussent succomb\u00e9 aupr\u00e8s des nefs, si \nOdysseus n\u2019e\u00fbt exhort\u00e9 le t yd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s :\n\u2013 tyd\u00e9ide, avons-nous oubli\u00e9 notre courage intr\u00e9pide ? Viens \naupr\u00e8s de moi, tr\u00e8s cher ; car ce nous serait un grand opprobre si \nHekt\u00f4r au casque mouvant s\u2019emparait des nefs.\nEt le robuste Diom\u00e8d\u00e8s lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Me voici, certes, pr\u00eat \u00e0 combattre. Mais notre joie sera br\u00e8ve, \npuisque Zeus qui amasse les nu\u00e9es veut donner la victoire \naux t roiens.\nIl parla ainsi, et il renversa t ymbraios de son char, l\u2019ayant frapp\u00e9 \nde sa lance \u00e0 la mamelle gauche. Et Odysseus tua Moli\u00f4n, le divin \ncompagnon de t hymbraios. Et ils abandonn\u00e8rent les deux guer -\nriers ainsi \u00e9loign\u00e9s du combat, et ils se jet\u00e8rent dans la m\u00eal\u00e9e. Et \ncomme deux sangliers audacieux qui reviennent sur les chiens \nchasseurs, ils contraignirent les t roiens de reculer, et les Akhaiens, \nen proie au divin Hekt\u00f4r, respir\u00e8rent un moment.\nEt les deux rois prirent un char et deux guerriers tr\u00e8s braves, fils \ndu Perkosien M\u00e9rops, habile divinateur, qui avait d\u00e9fendu \u00e0 ses fils 293\nL \u2019ILIADEde partir pour la guerre fatale. Mais ils ne lui ob\u00e9irent pas, et les \nk\u00e8res de la mort les entra\u00een\u00e8rent. Et l\u2019illustre t yd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s \nleur enleva l\u2019\u00e2me et la vie, et les d\u00e9pouilla de leurs belles armes, \ntandis qu\u2019Odysseus tuait Hippodamos et Hypeirokhos. Alors, le \nKroni\u00f4n, les regardant du haut de l\u2019Ida, r\u00e9tablit le combat, afin \nqu\u2019ils se tuassent \u00e9galement des deux c\u00f4t\u00e9s.\nEt le fils de tydeus blessa de sa lance \u00e0 la cuisse le h\u00e9ros \nAgastrophos Paionide. Et les chevaux du Paionide \u00e9taient trop \n\u00e9loign\u00e9s pour l\u2019aider \u00e0 fuir ; et il g\u00e9missait dans son \u00e2me de ce que \nle conducteur du char l\u2019e\u00fbt retenu en arri\u00e8re, tandis qu\u2019il s\u2019\u00e9lan -\n\u00e7ait \u00e0 pied parmi les combattants, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il e\u00fbt perdu la \ndouce vie. Mais Hekt\u00f4r, l\u2019ayant vu aux premi\u00e8res lignes, se rua \nen poussant de grands cris, suivi des phalanges t roiennes. Et le \nhardi Diom\u00e8d\u00e8s, \u00e0 cette vue, frissonna et dit \u00e0 Odysseus debout \npr\u00e8s de lui :\n\u2013 C\u2019est sur nous que le furieux Hekt\u00f4r roule ce tourbillon sinistre ; \nmais restons in\u00e9branlables, et nous repousserons son attaque.\nIl parla ainsi, et il lan\u00e7a sa longue pique qui ne se d\u00e9tourna pas \ndu but, car le coup atteignit la t\u00eate du Priamide, au sommet \ndu casque.294CHAnt 11\nLa pointe d\u2019airain ne p\u00e9n\u00e9tra point et fut repouss\u00e9e, et le triple \nairain du casque que Phoibos Apoll\u00f4n avait donn\u00e9 au Priamide le \ngarantit ; mais il recula aussit\u00f4t, rentra dans la foule, et, tombant \nsur ses genoux, appuya contre terre sa main robuste, et la noire \nnuit couvrit ses yeux.\nEt, pendant que Diom\u00e8d\u00e8s, suivant de pr\u00e8s le vol imp\u00e9tueux de \nsa lance, la relevait \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 elle \u00e9tait tomb\u00e9e, Hekt\u00f4r, ranim\u00e9, \nmonta sur son char, se perdit dans la foule et \u00e9vita la noire mort. \nEt le robuste Diom\u00e8d\u00e8s, le mena\u00e7ant de sa lance, lui cria :\n\u2013 \u00d4 chien ! tu as de nouveau \u00e9vit\u00e9 la mort qui a pass\u00e9 pr\u00e8s de toi. \nPhoibos Apoll\u00f4n t\u2019a sauv\u00e9 encore une fois, lui que tu supplies tou -\njours au milieu du choc des lances. Mais, certes, je te tuerai si je \nte retrouve et qu\u2019un des dieux me vienne en aide. Maintenant, je \nvais attaquer tous ceux que je pourrai saisir.\nEt, parlant ainsi, il tua l\u2019illustre Paionide.\nMais Alexandros, l\u2019\u00e9poux de H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \u00e0 la belle chevelure, appuy\u00e9 \ncontre la colonne du tombeau de l\u2019antique guerrier Dardanide \nIlos, tendit son arc contre le t yd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s, prince des \npeuples. Et, comme celui-ci arrachait la cuirasse brillante, le \nbouclier et le casque \u00e9pais du robuste Agastrophos, Alexandros 295\nL \u2019ILIADEtendit l\u2019arc de corne et per\u00e7a d\u2019une fl\u00e8che certaine le pied droit de \nDiom\u00e8d\u00e8s ; et, \u00e0 travers le pied, la fl\u00e8che s\u2019enfon\u00e7a en terre.\nEt Alexandros, riant aux \u00e9clats, sortit de son abri, et dit en \nse vantant :\n\u2013 te voil\u00e0 bless\u00e9 ! ma fl\u00e8che n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 vaine. Pl\u00fbt aux dieux qu\u2019elle \nse f\u00fbt enfonc\u00e9e dans ton ventre et que je t\u2019eusse tu\u00e9 ! Les t roiens, \nqui te redoutent, comme des ch\u00e8vres en face d\u2019un lion, respire -\nraient plus \u00e0 l\u2019aise.\nEt l\u2019intr\u00e9pide et robuste Diom\u00e8d\u00e8s lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mis\u00e9rable archer, aussi vain de tes cheveux que de ton arc, s\u00e9duc -\nteur de vierges ! si tu combattais face \u00e0 face contre moi, tes fl\u00e8ches \nte seraient d\u2019un vain secours. Voici que tu te glorifies pour m\u2019avoir \nperc\u00e9 le pied ! Je m\u2019en soucie autant que si une femme ou un \nenfant m\u2019avait atteint par imprudence. Le trait d\u2019un l\u00e2che est aussi \nvil que lui. Mais celui que je touche seulement de ma lance expire \naussit\u00f4t. Sa femme se d\u00e9chire les joues, ses enfants sont orphelins, \net il rougit la terre de son sang, et il se corrompt, et il y a autour \nde lui plus d\u2019oiseaux carnassiers que de femmes en pleurs.296CHAnt 11\nIl parla ainsi, et l\u2019illustre Odysseus se pla\u00e7a devant lui ; et, se bais -\nsant, il arracha la fl\u00e8che de son pied ; mais aussit\u00f4t il ressentit \ndans tout le corps une am\u00e8re douleur. Et, le c\u0153ur d\u00e9faillant, il \nmonta sur son char, ordonnant au conducteur de le ramener aux \nnefs creuses.\nEt l\u2019illustre Odysseus, rest\u00e9 seul, car tous les Argiens s\u2019\u00e9taient \nenfuis, g\u00e9mit et se dit dans son c\u0153ur magnanime :\n\u2013 H\u00e9las ! que vais-je devenir ? Ce serait une grande honte que de \nreculer devant cette multitude ; mais ne serait-il pas plus cruel \nde mourir seul ici, puisque le Kroni\u00f4n a mis tous les Danaens en \nfuite ? Mais pourquoi d\u00e9lib\u00e9rer dans mon c\u0153ur ? Je sais que les \nl\u00e2ches seuls reculent dans la m\u00eal\u00e9e. Le brave, au contraire, combat \nde pied ferme, soit qu\u2019il frappe, soit qu\u2019il soit frapp\u00e9.\nPendant qu\u2019il d\u00e9lib\u00e9rait ainsi dans son esprit et dans son c\u0153ur, les \nphalanges des t roiens porteurs de boucliers survinrent et enfer -\nm\u00e8rent de tous c\u00f4t\u00e9s leur fl\u00e9au. De m\u00eame que les chiens vigou -\nreux et les jeunes chasseurs entourent un sanglier, dans l\u2019\u00e9paisseur \nd\u2019un bois, et que celui-ci leur fait t\u00eate en aiguisant ses blanches \nd\u00e9fenses dans ses m\u00e2choires torses, et que tous l\u2019environnent \nmalgr\u00e9 ses d\u00e9fenses furieuses et son aspect horrible ; de m\u00eame, \nles t roiens se pressaient autour d\u2019Odysseus cher \u00e0 Zeus. Mais le 297\nL \u2019ILIADELaertiade blessa d\u2019abord l\u2019irr\u00e9prochable Deiopis \u00e0 l\u2019\u00e9paule, de sa \nlance aigu\u00eb ; et il tua t ho\u00f4n et Ennomos. Et comme Khersidamas \nsautait de son char, il le per\u00e7a sous le bouclier, au nombril ; et le \ntroien roula dans la poussi\u00e8re, saisissant la terre \u00e0 pleines mains. \nEt le Laertiade les abandonna, et il blessa de sa lance Kharops \nHippaside, fr\u00e8re de l\u2019illustre S\u00f4kos. Et S\u00f4kos, semblable \u00e0 un dieu, \naccourant au secours de son fr\u00e8re, s\u2019approcha et lui dit :\n\u2013 \u00d4 Odysseus, insatiable de ruses et de travaux, aujourd\u2019hui tu \ntriompheras des deux Hippasides, et, les ayant tu\u00e9s, tu enl\u00e8veras \nleurs armes, ou, frapp\u00e9 de ma lance, tu perdras la vie.\nAyant ainsi parl\u00e9, il frappa le bouclier arrondi, et la lance solide \nper\u00e7a le bouclier \u00e9tincelant, et, \u00e0 travers la cuirasse habilement \ntravaill\u00e9e, d\u00e9chira la peau au-dessus des poumons ; mais Ath\u00e8n\u00e8 \nne permit pas qu\u2019elle p\u00e9n\u00e9tr\u00e2t jusqu\u2019aux entrailles. Et Odysseus, \nsentant que le coup n\u2019\u00e9tait pas mortel, recula et dit \u00e0 S\u00f4kos :\n\u2013 Malheureux ! voici que la mort accablante va te saisir. t u me \ncontrains de ne plus combattre les t roiens, mais je t\u2019apporte \naujourd\u2019hui la noire mort ; et, dompt\u00e9 par ma lance, tu vas me \ncombler de gloire et rendre ton \u00e2me \u00e0 Aid\u00e8s aux beaux chevaux.298CHAnt 11\nIl parla ainsi, et, comme S\u00f4kos fuyait, il le frappa de sa lance dans \nle dos, entre les \u00e9paules, et lui traversa la poitrine. Il tomba avec \nbruit, et le divin Odysseus s\u2019\u00e9cria en se glorifiant :\n\u2013 \u00d4 S\u00f4kos, fils de l\u2019habile cavalier Hippasos, la mort t\u2019a devanc\u00e9 \net tu n\u2019as pu lui \u00e9chapper. Ah ! malheureux ! ton p\u00e8re et ta m\u00e8re \nv\u00e9n\u00e9rable ne fermeront point tes yeux, et les seuls oiseaux car -\nnassiers agiteront autour de toi leurs lourdes ailes. Mais quand je \nserai mort, les divins Akhaiens c\u00e9l\u00e9breront mes fun\u00e9railles.\nAyant ainsi parl\u00e9, il arracha de son bouclier et de son corps la \nlance solide du brave S\u00f4kos, et aussit\u00f4t son sang jaillit de la plaie, \net son c\u0153ur se troubla. Et les magnanimes t roiens, voyant le sang \nd\u2019Odysseus, se ru\u00e8rent en foule sur lui ; et il reculait, en appe -\nlant ses compagnons. Et il cria trois fois aussi haut que le peut un \nhomme, et le brave M\u00e9n\u00e9laos l\u2019entendit trois fois et dit aussit\u00f4t au \nt\u00e9lam\u00f4nien Aias :\n\u2013 Divin Aias t \u00e9lam\u00f4nien, prince des peuples, j\u2019entends la voix du \npatient Odysseus, semblable \u00e0 celle d\u2019un homme que les t roiens \nauraient envelopp\u00e9 dans la m\u00eal\u00e9e. Allons \u00e0 travers la foule. Il faut \nle secourir. Je crains qu\u2019il ait \u00e9t\u00e9 abandonn\u00e9 au milieu des t roiens, \net que, malgr\u00e9 son courage, il p\u00e9risse, laissant d\u2019amers regrets \naux Danaens.299\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019\u00e9lan\u00e7a, et le divin Aias le suivit, et ils trou -\nv\u00e8rent Odysseus au milieu des t roiens qui l\u2019enveloppaient.\nAinsi des loups affam\u00e9s, sur les montagnes, hurlent autour d\u2019un \nvieux cerf qu\u2019un chasseur a bless\u00e9 d\u2019une fl\u00e8che. Il a fui, tant que \nson sang a \u00e9t\u00e9 ti\u00e8de et que ses genoux ont pu se mouvoir ; mais \nd\u00e8s qu\u2019il est tomb\u00e9 sous le coup de la fl\u00e8che rapide, les loups car -\nnassiers le d\u00e9chirent sur les montagnes, au fond des bois. Et voici \nqu\u2019un lion survient qui enl\u00e8ve la proie, tandis que les loups s\u2019en -\nfuient \u00e9pouvant\u00e9s. Ainsi les robustes t roiens se pressaient autour \ndu subtil et prudent Odysseus qui, se ruant \u00e0 coups de lance, \u00e9loi -\ngnait sa derni\u00e8re heure.\nEt Aias, portant un bouclier semblable \u00e0 une tour, parut \u00e0 son \nc\u00f4t\u00e9, et les t roiens prirent la fuite \u00e7\u00e0 et l\u00e0. Et le brave M\u00e9n\u00e9laos, \nsaisissant Odysseus par la main, le retira de la m\u00eal\u00e9e, tandis qu\u2019un \nserviteur faisait approcher le char.\nEt Aias, bondissant au milieu des t roiens, tua Doryklos, b\u00e2tard \nde Priamos, et Pandokos, et Lysandros, et Pyrasos, et Pylart\u00e8s. \nDe m\u00eame qu\u2019un fleuve, gonfl\u00e9 par les pluies de Zeus, descend, \ncomme un torrent, des montagnes dans la plaine, emportant un \ngrand nombre de ch\u00eanes d\u00e9racin\u00e9s et de pins, et roule ses limons 300CHAnt 11\ndans la mer ; de m\u00eame l\u2019illustre Aias, se ruant dans la m\u00eal\u00e9e, tuait \nles hommes et les chevaux.\nHekt\u00f4r ignorait ceci, car il combattait vers la gauche, sur les rives \ndu fleuve Skamandros, l\u00e0 o\u00f9 les t\u00eates des hommes tombaient \nen plus grand nombre, et o\u00f9 de grandes clameurs s\u2019\u00e9levaient \nautour du cavalier n est\u00f4r et du brave Idom\u00e9neus. Hekt\u00f4r les \nassi\u00e9geait de sa lance et de ses chevaux, et rompait les phalanges \ndes guerriers ; mais les divins Akhaiens n\u2019eussent point recul\u00e9, \nsi Alexandros, l\u2019\u00e9poux de la belle H\u00e9l\u00e9n\u00e8, n\u2019e\u00fbt bless\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9paule \ndroite, d\u2019une fl\u00e8che \u00e0 trois pointes, le brave Makha\u00f4n, prince des \npeuples. Alors les vigoureux Akhaiens craignirent, s\u2019ils reculaient, \nd\u2019exposer la vie de ce guerrier.\nEt, aussit\u00f4t, Idom\u00e9neus dit au divin n est\u00f4r :\n\u2013 \u00d4 n est\u00f4r n \u00e8l\u00e8iade, gloire des Akhaiens, h\u00e2te-toi, monte sur \nton char avec Makha\u00f4n, et pousse vers les nefs tes chevaux aux \nsabots massifs.\nUn m\u00e9decin vaut plusieurs hommes, car il sait extraire les fl\u00e8ches \net r\u00e9pandre les doux baumes dans les blessures.301\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui ob\u00e9it. Et il monta \nsur son char avec Makha\u00f4n, fils de l\u2019irr\u00e9prochable m\u00e9decin \nAskl\u00e8pios. Et il flagellait les chevaux, et ceux-ci volaient ardem -\nment vers les nefs creuses.\nCependant K\u00e9brion\u00e8s, assis aupr\u00e8s de Hekt\u00f4r sur le m\u00eame char, \nvit au loin le trouble des t roiens et dit au Priamide :\n\u2013 Hekt\u00f4r, tandis que nous combattons ici les Danaens, \u00e0 l\u2019extr\u00e9 -\nmit\u00e9 de la m\u00eal\u00e9e, les autres t roiens fuient p\u00eale-m\u00eale avec leurs \nchars. C\u2019est le t \u00e9lam\u00f4nien Aias qui les a rompus. Je le reconnais \nbien, car il porte un vaste bouclier sur ses \u00e9paules. C\u2019est pour -\nquoi il nous faut pousser nos chevaux et notre char de ce c\u00f4t\u00e9, \nl\u00e0 o\u00f9 les cavaliers et les pi\u00e9tons s\u2019entretuent et o\u00f9 s\u2019\u00e9l\u00e8ve une \nimmense clameur.\nIl parla ainsi et frappa du fouet \u00e9clatant les chevaux aux belles \ncrini\u00e8res ; et, sous le fouet, ceux-ci entra\u00een\u00e8rent rapidement le \nchar entre les t roiens et les Akhaiens, \u00e9crasant les cadavres et \nles armes. Et les jantes et les moyeux des roues \u00e9taient asperg\u00e9s \ndu sang qui jaillissait sous les sabots des chevaux. Et le Priamide, \nplein du d\u00e9sir de p\u00e9n\u00e9trer dans la m\u00eal\u00e9e et de rompre les pha -\nlanges, apportait le trouble et la mort aux Danaens, et il assi\u00e9geait 302CHAnt 11\nleurs lignes \u00e9branl\u00e9es, en les attaquant \u00e0 coups de lance, d\u2019\u00e9p\u00e9e et \nde lourdes roches.\nMais il \u00e9vitait d\u2019attaquer le t \u00e9lam\u00f4nien Aias.\nAlors le p\u00e8re Zeus saisit Aias d\u2019une crainte soudaine. Et celui-ci, \n\u00e9tonn\u00e9, s\u2019arr\u00eata. Et, rejetant sur son dos son bouclier aux sept \npeaux de b\u0153uf, il recula, regardant toujours la foule. Semblable \n\u00e0 une b\u00eate fauve, il reculait pas \u00e0 pas, faisant face \u00e0 l\u2019ennemi. \nComme un lion fauve que les chiens et les p\u00e2tres chassent loin \nde l\u2019\u00e9table des b\u0153ufs, car ils veillaient avec vigilance, sans qu\u2019il ait \npu savourer les chairs grasses dont il \u00e9tait avide, bien qu\u2019il se soit \npr\u00e9cipit\u00e9 avec fureur, et qui, accabl\u00e9 sous les torches et les traits \nque lui lancent des mains audacieuses, s\u2019\u00e9loigne, au matin, plein \nde tristesse et fr\u00e9missant de rage ; de m\u00eame Aias reculait, le c\u0153ur \ntroubl\u00e9, devant les t roiens, craignant pour les nefs des Akhaiens.\nDe m\u00eame un \u00e2ne t\u00eatu entre dans un champ, malgr\u00e9 les efforts des \nenfants qui brisent leurs b\u00e2tons sur son dos. Il continue \u00e0 pa\u00eetre \nla moisson, sans se soucier des faibles coups qui l\u2019atteignent, et se \nretire \u00e0 grand\u2019peine quand il est rassasi\u00e9. Ainsi les magnanimes \ntroiens et leurs alli\u00e9s frappaient de leurs lances Aias, le grand fils \nde t\u00e9lam\u00f4n. Ils frappaient son bouclier, et le poursuivaient ; mais \nAias, reprenant parfois ses forces imp\u00e9tueuses, se retournait et 303\nL \u2019ILIADErepoussait les phalanges des cavaliers t roiens ; puis, il reculait de \nnouveau, les emp\u00eachant ainsi de se pr\u00e9cipiter tous \u00e0 la fois vers \nles nefs rapides. Or, il combattait seul dans l\u2019intervalle qui s\u00e9pa -\nrait les t roiens et les Akhaiens.\nEt les traits h\u00e9rissaient son grand bouclier, ou s\u2019enfon\u00e7aient en \nterre sans se rassasier de sa chair blanche dont ils \u00e9taient avides.\nEt l\u2019illustre fils d\u2019\u00c9vaim\u00f4n, Eurypylos, l\u2019aper\u00e7ut ainsi assi\u00e9g\u00e9 d\u2019un \nnuage de traits. Et il accourut \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s, et il lan\u00e7a sa pique \u00e9cla -\ntante. Et il per\u00e7a le Phausiade Apisa\u00f4n, prince des peuples, dans \nle foie, sous le diaphragme, et il le tua. Et Eurypylos, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant, \nlui arracha ses armes. Mais lorsque le divin Alexandros le vit \nemportant les armes d\u2019Apisa\u00f4n, il tendit son arc contre lui et il le \nper\u00e7a d\u2019une fl\u00e8che \u00e0 la cuisse droite. Le roseau se brisa, la cuisse \ns\u2019engourdit, et l\u2019\u00c9vaim\u00f4nide, rentrant dans la foule de ses com -\npagnons, afin d\u2019\u00e9viter la mort, cria d\u2019une voix haute afin d\u2019\u00eatre \nentendu des Danaens :\n\u2013 \u00d4 amis, chefs et princes des Argiens, arr\u00eatez et retournez-vous. \n\u00c9loignez la derni\u00e8re heure d\u2019Aias qui est accabl\u00e9 de traits, et qui, \nje pense, ne sortira pas vivant de la m\u00eal\u00e9e terrible. Serrez-vous \ndonc autour d\u2019Aias, le grand fils de t \u00e9lam\u00f4n.304CHAnt 11\nEurypylos, bless\u00e9, parla ainsi ; mais ses compagnons se press\u00e8rent \nautour de lui, le bouclier inclin\u00e9 et la lance en arr\u00eat. Et Aias, les \nayant rejoints, fit avec eux face \u00e0 l\u2019ennemi. Et ils combattirent de \nnouveau, tels que des flammes ardentes.\nMais les cavales du n \u00e8l\u00e8ide emportaient loin du combat, et cou -\nvertes d\u2019\u00e9cume, n est\u00f4r, et Makha\u00f4n, prince des peuples.\nEt le divin Akhilleus aux pieds rapides les reconnut. Et, debout sur \nla poupe de sa vaste nef, il regardait le rude combat et la d\u00e9faite \nlamentable. Et il appela son compagnon Patroklos. Celui-ci l\u2019en -\ntendit et sortit de ses tentes, semblable \u00e0 Ar\u00e8s. Et ce fut l\u2019origine de \nson malheur. Et le brave fils de M\u00e9noitios dit le premier :\n\u2013 Pourquoi m\u2019appelles-tu, Akhilleus ? Que veux-tu de moi ?\nEt Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Divin M\u00e9noitiade, tr\u00e8s cher \u00e0 mon \u00e2me, j\u2019esp\u00e8re maintenant que \nles Akhaiens ne tarderont pas \u00e0 tomber suppliants \u00e0 mes genoux, \ncar une intol\u00e9rable n\u00e9cessit\u00e9 les assi\u00e8ge. Va donc, Patroklos cher \u00e0 \nZeus, et demande \u00e0 n est\u00f4r quel est le guerrier bless\u00e9 qu\u2019il ram\u00e8ne \ndu combat. Il ressemble \u00e0 l\u2019Askl\u00e8piade Makha\u00f4n, mais je n\u2019ai \npoint vu son visage, et les chevaux l\u2019ont emport\u00e9 rapidement.305\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et Patroklos ob\u00e9it \u00e0 son cher compagnon, et il \ns\u2019\u00e9lan\u00e7a vers les tentes et les nefs des Akhaiens.\nEt quand n est\u00f4r et Makha\u00f4n furent arriv\u00e9s aux tentes du n \u00e8l\u00e8ide, \nils saut\u00e8rent du char sur la terre nourrici\u00e8re. Et le serviteur du \nvieillard, Eurym\u00e8d\u00f4n, d\u00e9tela les chevaux.\nEt les deux rois, ayant s\u00e9ch\u00e9 leur sueur au vent de la mer, entr\u00e8rent \nsous la tente et prirent des si\u00e8ges, et H\u00e9kam\u00e8d\u00e8 aux beaux che -\nveux leur pr\u00e9para \u00e0 boire. Et nest\u00f4r l\u2019avait amen\u00e9e de t\u00e9n\u00e9dos \nqu\u2019Akhilleus venait de d\u00e9truire ; et c\u2019\u00e9tait la fille du magnanime \nArsinoos, et les Akhaiens l\u2019avaient donn\u00e9e au n \u00e8l\u00e8ide parce qu\u2019il \nles surpassait tous par sa prudence.\nElle posa devant eux une belle table aux pieds de m\u00e9tal azur\u00e9, et, \nsur cette table, un bassin d\u2019airain poli avec des oignons pour exci -\nter \u00e0 boire, et du miel vierge et de la farine sacr\u00e9e ; puis, une tr\u00e8s-\nbelle coupe enrichie de clous d\u2019or, que le vieillard avait apport\u00e9e \nde ses demeures. Et cette coupe avait quatre anses et deux fonds, \net, sur chaque anse, deux colombes d\u2019or semblaient manger. t out \nautre l\u2019e\u00fbt soulev\u00e9e avec peine quand elle \u00e9tait remplie, mais le \nvieux n est\u00f4r la soulevait facilement.306CHAnt 11\nEt la jeune femme, semblable aux d\u00e9esses, pr\u00e9para une boisson \nde vin de Pramneios, et sur ce vin elle r\u00e2pa, avec de l\u2019airain, du \nfromage de ch\u00e8vre, qu\u2019elle aspergea de blanche farine. Et, apr\u00e8s \nces pr\u00e9paratifs, elle invita les deux rois \u00e0 boire ; et ceux-ci, ayant \nbu et \u00e9tanch\u00e9 la soif br\u00fblante, charm\u00e8rent leur repos en parlant \ntour \u00e0 tour.\nEt le divin Patroklos parut alors \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la tente. Et le vieil -\nlard, l\u2019ayant aper\u00e7u, se leva de son si\u00e8ge \u00e9clatant, le prit par la \nmain et voulut le faire asseoir ; mais Patroklos recula et lui dit :\n\u2013 Je ne puis me reposer, divin vieillard, et tu ne me persuaderas \npas. Il est terrible et irritable celui qui m\u2019envoie te demander quel \nest le guerrier bless\u00e9 que tu as ramen\u00e9. Mais je le vois et je recon -\nnais Makha\u00f4n, prince des peuples. Maintenant je retournerai \nvers Akhilleus pour lui donner cette nouvelle, car tu sais, divin \nvieillard, combien il est impatient et prompt \u00e0 accuser, m\u00eame \nun innocent.\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Pourquoi Akhilleus a-t-il ainsi piti\u00e9 des fils des Akhaiens que \nles traits ont perc\u00e9s ? Ignore-t-il donc le deuil qui enveloppe l\u2019ar -\nm\u00e9e ? D\u00e9j\u00e0 les plus braves gisent sur leurs nefs, frapp\u00e9s ou bless\u00e9s. 307\nL \u2019ILIADELe robuste t yd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s est bless\u00e9, et Odysseus illustre par \nsa lance, et Agamemn\u00f4n. Une fl\u00e8che a perc\u00e9 la cuisse d\u2019Eurypy -\nlos, et c\u2019est aussi une fl\u00e8che qui a frapp\u00e9 Makha\u00f4n que je viens de \nramener du combat. Mais le brave Akhilleus n\u2019a ni souci ni piti\u00e9 \ndes Danaens. Attend-il que les nefs rapides soient en proie aux \nflammes, malgr\u00e9 les Argiens, et que ceux-ci p\u00e9rissent jusqu\u2019au \ndernier ? Je n\u2019ai plus la force qui animait autrefois mes membres \nagiles. Pl\u00fbt aux dieux que je fusse florissant de jeunesse et de \nvigueur, comme au temps o\u00f9 une dissension s\u2019\u00e9leva entre nous et \nles \u00c9lidiens, \u00e0 cause d\u2019un enl\u00e8vement de b\u0153ufs, quand je tuai le \nrobuste Hypeirokhide Itymoneus qui habitait \u00c9lis, et dont j\u2019enle -\nvai les b\u0153ufs par repr\u00e9sailles. Et il les d\u00e9fendait, mais je le frappai \nd\u2019un coup de lance, aux premiers rangs, et il tomba.\nEt ses tribus sauvages s\u2019enfuirent en tumulte, et nous enlev\u00e2mes \nun grand butin : cinquante troupeaux de b\u0153ufs, autant de bre -\nbis, autant de porcs et autant de ch\u00e8vres, cent cinquante cavales \nbaies et leurs nombreux poulains. Et nous les conduis\u00eemes, pen -\ndant la nuit, dans Pylos, la ville de n \u00e8leus. Et n \u00e8leus se r\u00e9jouit \ndans son c\u0153ur, parce que j\u2019avais fait toutes ces choses, ayant com -\nbattu pour la premi\u00e8re fois. Et, au lever du jour, les h\u00e9rauts convo -\nqu\u00e8rent ceux dont les troupeaux avaient \u00e9t\u00e9 emmen\u00e9s dans la fer -\ntile \u00c9lis ; et les chefs Pyliens, s\u2019\u00e9tant r\u00e9unis, partag\u00e8rent le butin. \nMais alors les \u00c9p\u00e9iens nous opprimaient, car nous \u00e9tions peu 308CHAnt 11\nnombreux et nous avions beaucoup souffert dans Pylos, depuis \nque H\u00e8rakl\u00e8s nous avait accabl\u00e9s, il y avait quelques ann\u00e9es, en \ntuant les premiers de la ville. Et nous \u00e9tions douze fils irr\u00e9pro -\nchables de n \u00e8leus, et j\u2019\u00e9tais rest\u00e9 le dernier, car tous les autres \navaient p\u00e9ri ; et c\u2019est pourquoi les orgueilleux \u00c9p\u00e9iens cuirass\u00e9s \nnous accablaient d\u2019injustes outrages. Le vieillard n \u00e8leus re\u00e7ut \nen partage un troupeau de b\u0153ufs et un troupeau de brebis, trois \ncents t\u00eates de b\u00e9tail et leurs bergers, car la divine \u00c9lis lui avait \nbeaucoup enlev\u00e9 de richesses. Le roi des hommes, Aug\u00e9ias, avait \nretenu quatre de ses chevaux, avec leurs chars, qui se rendaient \naux jeux, et il n\u2019avait renvoy\u00e9 que le conducteur plein de tristesse \nde cette perte. Et le vieux n \u00e8leus en fut tr\u00e8s irrit\u00e9 ; et c\u2019est pour -\nquoi il re\u00e7ut une grande part du butin ; mais il distribua le reste \nau peuple par portions \u00e9gales. Et comme nous partagions le butin, \nen faisant des sacrifices, les \u00c9p\u00e9iens survinrent, le troisi\u00e8me jour, \nen grand nombre, avec leurs chevaux aux sabots massifs, et les \ndeux Molionides, jeunes encore, et inhabiles malgr\u00e9 leur force et \nleur courage.\nOr, thry\u00f4essa s\u2019\u00e9levait sur une hauteur, non loin de l\u2019Alph\u00e9os, \naux confins de la sablonneuse Pylos. Et l\u2019ennemi l\u2019assi\u00e9geait, d\u00e9si -\nrant la d\u00e9truire. Mais, comme ils traversaient les plaines, Ath\u00e8n\u00e8, \npendant la nuit, descendit vers nous du haut de l\u2019Olympos pour \nnous appeler aux armes ; et elle rassembla ais\u00e9ment les peuples 309\nL \u2019ILIADEdans Pylos. Et tous \u00e9taient pleins d\u2019ardeur. n \u00e8leus me d\u00e9fendit de \nm\u2019armer, et il cacha mes chevaux, car il pensait que je n\u2019\u00e9tais pas \nassez fort pour combattre. Mais je partis \u00e0 pied, et je m\u2019illustrai \nau milieu des cavaliers, parce que Ath\u00e8n\u00e8 me guidait au combat. \nEt tous, cavaliers et pi\u00e9tons Pyliens, nous attend\u00eemes la divine \n\u00c9\u00f4s aupr\u00e8s d\u2019Ar\u00e8n\u00e8, l\u00e0 o\u00f9 le fleuve Miny\u00e9ios tombe dans la mer. \nVers midi, arriv\u00e9s sur les bords sacr\u00e9s de l\u2019Alph\u00e9os, nous f\u00eemes de \ngrands sacrifices au puissant Zeus, offrant aussi un taureau \u00e0 l\u2019Al -\nph\u00e9os, un autre taureau \u00e0 Poseida\u00f4n, et une g\u00e9nisse indompt\u00e9e \u00e0 \nAth\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs. Puis, chacun de nous, ayant pris son repas \ndans les rangs, se coucha avec ses armes sur les rives du fleuve. \nCependant les magnanimes \u00c9p\u00e9iens assi\u00e9geaient la ville, d\u00e9sirant \nla d\u00e9truire ; et voici que les durs travaux d\u2019Ar\u00e8s leur apparurent. \nQuand H\u00e9lios resplendit sur la terre, nous cour\u00fbmes au combat, \nen suppliant Zeus et Ath\u00e8n\u00e8. Et d\u00e8s que les Pyliens et les \u00c9p\u00e9iens \nse furent attaqu\u00e9s, le premier je tuai un guerrier et je me sai -\nsis de ses chevaux aux sabots massifs. Et c\u2019\u00e9tait le brave Moulios, \ngendre d\u2019Aug\u00e9ias, car il avait \u00e9pous\u00e9 sa fille, la blonde Agam\u00e8d\u00e8, \nqui connaissait toutes les plantes m\u00e9dicinales qui poussent sur la \nvaste terre.\nEt je le per\u00e7ai de ma lance d\u2019airain, comme il s\u2019\u00e9lan\u00e7ait, et il \ntomba dans la poussi\u00e8re ; et je sautai sur son char, et je combat -\ntis aux premiers rangs ; et les magnanimes \u00c9p\u00e9iens s\u2019enfuirent 310CHAnt 11\n\u00e9pouvant\u00e9s, quand ils virent tomber ce guerrier, chef des cava -\nliers, le plus brave d\u2019entre eux. Et je me jetai sur eux, semblable \n\u00e0 une noire temp\u00eate. Je m\u2019emparai de cinquante chars, et je tuai \nde ma lance deux guerriers sur chaque char. Sans doute j\u2019eusse \ntu\u00e9 aussi les deux jeunes Aktorides, si leur a\u00efeul Poseida\u00f4n qui \ncommande au loin ne les e\u00fbt enlev\u00e9s de la m\u00eal\u00e9e, en les enve -\nloppant d\u2019une nu\u00e9e \u00e9paisse. Alors Zeus accorda aux Pyliens une \ngrande victoire. n ous poursuiv\u00eemes au loin l\u2019ennemi \u00e0 travers la \nplaine, tuant les hommes et enlevant de belles armes, et pous -\nsant nos chevaux jusqu\u2019\u00e0 Bouprasios f\u00e9conde en fruits, jusqu\u2019\u00e0 \nla pierreuse Ol\u00e8n\u00e8 et Al\u00e8sios qu\u2019on nomme maintenant Kol\u00f4n\u00e8. \nEt Ath\u00e8n\u00e8 rappela l\u2019arm\u00e9e, et je tuai encore un guerrier ; et les \nAkhaiens, quittant Bouprasios, ramen\u00e8rent leurs chevaux rapides \nvers Pylos. Et tous rendaient gr\u00e2ces parmi les dieux \u00e0 Zeus, et \nparmi les guerriers \u00e0 nest\u00f4r. tel je fus au milieu des braves ; mais \nAkhilleus n\u2019use de sa force que pour lui seul, et je pense qu\u2019il res -\nsentira un jour d\u2019amers regrets, quand toute l\u2019arm\u00e9e Akhaienne \naura p\u00e9ri. \u00d4 ami, M\u00e9noitios t\u2019adressa de sages paroles quand, loin \nde la Phthi\u00e8, il t\u2019envoya vers Agamemn\u00f4n. n ous \u00e9tions l\u00e0, le divin \nOdysseus et moi, et nous entend\u00eemes facilement ce qu\u2019il te dit \ndans ses demeures. Et nous \u00e9tions venus vers les riches demeures \nde P\u00e8leus, parcourant l\u2019Akhai\u00e8 fertile, afin de rassembler les guer -\nriers. n ous y trouv\u00e2mes le h\u00e9ros M\u00e9noitios, et toi, et Akhilleus.311\nL \u2019ILIADEEt le vieux cavalier P\u00e8leus br\u00fblait, dans ses cours int\u00e9rieures, les \ncuisses grasses d\u2019un b\u0153uf en l\u2019honneur de Zeus qui se r\u00e9jouit \nde la foudre. Et il tenait une coupe d\u2019or, et il r\u00e9pandait des liba -\ntions de vin noir sur les feux sacr\u00e9s, et vous pr\u00e9pariez les chairs \ndu b\u0153uf. n ous restions debout sous le vestibule ; mais Akhilleus, \nsurpris, se leva, nous conduisit par la main, nous fit asseoir et \nposa devant nous la nourriture hospitali\u00e8re qu\u2019il est d\u2019usage d\u2019of -\nfrir aux \u00e9trangers. Et, apr\u00e8s nous \u00eatre rassasi\u00e9s de boire et de \nmanger, je commen\u00e7ai \u00e0 parler, vous exhortant \u00e0 nous suivre. Et \nvous y consent\u00eetes volontiers, et les deux vieillards vous adres -\ns\u00e8rent de sages paroles. D\u2019abord, le vieux P\u00e8leus recommanda \u00e0 \nAkhilleus de surpasser tous les autres guerriers en courage ; puis \nle fils d\u2019Akt\u00f4r, M\u00e9noitios, te dit : \u2013 Mon fils, Akhilleus t\u2019est sup\u00e9 -\nrieur par la naissance, mais tu es plus \u00e2g\u00e9 que lui. Ses forces sont \nplus grandes que les tiennes, mais parle-lui avec sagesse, aver -\ntis-le, guide-le, et il ob\u00e9ira aux excellents conseils. \u2019\nLe vieillard te donna ces instructions, mais tu les as oubli\u00e9es. \nParle donc au brave Akhilleus ; peut-\u00eatre \u00e9coutera-t-il tes paroles. \nQui sait si, gr\u00e2ces \u00e0 un dieu, tu ne toucheras point son c\u0153ur ? \nLe conseil d\u2019un ami est bon \u00e0 suivre. Mais si, dans son esprit, il \nredoute quelque oracle ou un avertissement que lui a donn\u00e9 sa \nm\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable de la part de Zeus, qu\u2019il t\u2019envoie combattre au 312CHAnt 11\nmoins, et que l\u2019arm\u00e9e des Myrmidones te suive ; et peut-\u00eatre sau -\nveras-tu les Danaens.\nS\u2019il te confiait ses belles armes, peut-\u00eatre les troiens te pren -\ndraient-ils pour lui, et, s\u2019enfuyant, laisseraient-ils respirer les fils \naccabl\u00e9s des Akhaiens ; et le repos est de courte dur\u00e9e \u00e0 la guerre. \nOr, des troupes riches repousseraient ais\u00e9ment vers la ville, loin \ndes nefs et des tentes, des hommes fatigu\u00e9s par le combat.\nIl parla ainsi, et il remua le c\u0153ur de Patroklos, et celui-ci se h\u00e2ta \nde retourner vers les nefs de l\u2019Aiakide Akhilleus. Mais, lorsque, \ndans sa course, il fut arriv\u00e9 aux nefs du divin Odysseus, l\u00e0 o\u00f9 \n\u00e9taient l\u2019agora et le lieu de justice, et o\u00f9 l\u2019on dressait les autels \ndes dieux, il rencontra le magnanime \u00c9vaim\u00f4nide Eurypylos qui \nrevenait du combat, boitant et la cuisse perc\u00e9e d\u2019une fl\u00e8che. Et la \nsueur tombait de sa t\u00eate et de ses \u00e9paules, et un sang noir sortait \nde sa profonde blessure ; mais son c\u0153ur \u00e9tait toujours ferme. Et, \nen le voyant, le robuste fils de M\u00e9noitios fut saisi de compassion, \net il lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ah ! malheureux chefs et princes des Danaens, serez-vous donc, \nloin de vos amis, loin de la terre natale, la p\u00e2ture des chiens qui \nse rassasieront de votre graisse blanche dans Ilios ? Mais dis-moi, 313\nL \u2019ILIADEdivin h\u00e9ros Eurypylos, les Akhaiens soutiendront-ils l\u2019effort du \ncruel Hekt\u00f4r, ou p\u00e9riront-ils sous sa lance ?\nEt le sage Eurypylos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Divin Patroklos, il n\u2019y a plus de salut pour les Akhaiens, et \nils p\u00e9riront devant les nefs noires. Les plus robustes et les plus \nbraves gisent dans leurs nefs, frapp\u00e9s ou bless\u00e9s par les mains \ndes t roiens dont les forces augmentent toujours. Mais sauve-\nmoi en me ramenant dans ma nef noire. Arrache cette fl\u00e8che de \nma cuisse, baigne d\u2019une eau ti\u00e8de la plaie et le sang qui en coule, \net verse dans ma blessure ces doux et excellents baumes que tu \ntiens d\u2019Akhilleus qui les a re\u00e7us de Kheir\u00f4n, le plus juste des cen -\ntaures. Des deux m\u00e9decins, Podaleirios et Makha\u00f4n, l\u2019un, je pense, \nest dans sa tente, bless\u00e9 lui-m\u00eame et manquant de m\u00e9decins, et \nl\u2019autre soutient dans la plaine le dur combat contre les t roiens.\nEt le robuste fils de M\u00e9noitios lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e9ros Eurypylos, comment finiront ces choses, et que ferons-\nnous ? Je vais r\u00e9p\u00e9ter \u00e0 Akhilleus les paroles du cavalier G\u00e9rennien \nnest\u00f4r, rempart des Akhaiens ; mais, cependant, je ne t\u2019abandon -\nnerai pas dans ta d\u00e9tresse.314CHAnt 11\nIl parla ainsi, et, le soutenant contre sa poitrine, il conduisit le \nprince des peuples jusque dans sa tente. Et le serviteur d\u2019Eurypy -\nlos, en le voyant, pr\u00e9para un lit de peaux de b\u0153uf ; et le h\u00e9ros s\u2019y \ncoucha ; et le M\u00e9noitiade, \u00e0 l\u2019aide d\u2019un couteau, retira de la cuisse \nle trait acerbe et aigu, lava le sang noir avec de l\u2019eau ti\u00e8de, et, de \nses mains, exprima dans la plaie le suc d\u2019une racine am\u00e8re qui \nadoucissait et calmait. Et toutes les douleurs du h\u00e9ros disparurent, \net la blessure se ferma, et le sang cessa de couler.315\nL \u2019ILIADEChant 12\nAinsi le robuste fils de M\u00e9noitios prenait soin d\u2019Eurypylos dans \nses tentes. Et les Argiens et les t roiens combattaient avec fureur, \net le foss\u00e9 et la vaste muraille ne devaient pas longtemps prot\u00e9ger \nles Danaens. Quand ils l\u2019avaient \u00e9lev\u00e9e pour sauvegarder les nefs \nrapides et le nombreux butin, ils n\u2019avaient point offert de riches \nh\u00e9catombes aux dieux, et cette muraille, ayant \u00e9t\u00e9 construite mal -\ngr\u00e9 les dieux, ne devait pas \u00eatre de longue dur\u00e9e.\ntant que Hekt\u00f4r fut vivant, et que le P\u00e8l\u00e9ide garda sa col\u00e8re, \net que la ville du roi Priamos fut \u00e9pargn\u00e9e, le grand mur des \nAkhaiens subsista ; mais, apr\u00e8s que les plus illustres des troiens \nfurent morts, et que, parmi les Argiens, les uns eurent p\u00e9ri et \nles autres surv\u00e9cu, et que la ville de Priamos eut \u00e9t\u00e9 renvers\u00e9e \ndans la dixi\u00e8me ann\u00e9e, les Argiens s\u2019en retourn\u00e8rent dans leur \nch\u00e8re patrie.\nAlors, Poseida\u00f4n et Apoll\u00f4n se d\u00e9cid\u00e8rent \u00e0 d\u00e9truire cette \nmuraille, en r\u00e9unissant la violence des fleuves qui coulent \u00e0 la \nmer des sommets de l\u2019Ida : le Rh\u00e8sos, le Heptaporos, le Kar\u00e8sos, le \nRhodios, le Gr\u00e8nikos, l\u2019Ais\u00e9pos, le divin Skamandros et le Simo\u00efs, 316CHAnt 12\no\u00f9 tant de casques et de boucliers roul\u00e8rent dans la poussi\u00e8re \navec la foule des guerriers demi-dieux. Et Phoibos Apoll\u00f4n les \nr\u00e9unit tous, et, pendant neuf jours, dirigea leurs courants contre \ncette muraille. Et Zeus pleuvait continuellement, afin que les \nd\u00e9bris fussent submerg\u00e9s plus t\u00f4t par la mer. Et Poseida\u00f4n lui-\nm\u00eame, le trident en main, fit s\u2019\u00e9crouler, sous l\u2019effort des eaux, les \npoutres et les pierres et les fondements que les Akhaiens avaient \np\u00e9niblement construits.\nEt il mit la muraille au niveau du rapide Hellespontos ; et, sur ces \nd\u00e9bris, les sables s\u2019\u00e9tant amoncel\u00e9s comme auparavant sur le vaste \nrivage, le dieu fit retourner les fleuves dans les lits o\u00f9 ils avaient \ncoutume de rouler leurs belles eaux.\nAinsi, dans l\u2019avenir, devaient faire Poseida\u00f4n et Apoll\u00f4n. Mais, \naujourd\u2019hui, autour du mur solide, \u00e9clataient les clameurs de \nla guerre et le combat ; et les poutres des tours criaient sous les \ncoups, et les Argiens, sous le fouet de Zeus, \u00e9taient accul\u00e9s contre \nles nefs creuses, redoutant le robuste Hekt\u00f4r, ma\u00eetre de la fuite. Et \ncelui-ci combattait toujours, semblable \u00e0 un tourbillon.\nDe m\u00eame, quand un sanglier ou un lion, fier de sa vigueur, se \nretourne contre les chiens et les chasseurs, ceux-ci, se serrant, \ns\u2019arr\u00eatent en face et lui dardent un grand nombre de traits ; mais 317\nL \u2019ILIADEson c\u0153ur orgueilleux ne tremble ni ne s\u2019\u00e9pouvante, et son audace \ncause sa perte. Il tente souvent d\u2019enfoncer les lignes des chasseurs, \net l\u00e0 o\u00f9 il se rue, elles c\u00e8dent toujours. Ainsi, se ruant dans la \nm\u00eal\u00e9e, Hekt\u00f4r exhortait ses compagnons \u00e0 franchir le foss\u00e9 ; mais \nses chevaux rapides n\u2019osaient eux-m\u00eames avancer, et, en hennis -\nsant, ils s\u2019arr\u00eataient sur le bord, car le foss\u00e9 creux les effrayait, \nne pouvant \u00eatre franchi ou travers\u00e9 facilement. Des deux c\u00f4t\u00e9s \nse dressaient de hauts talus h\u00e9riss\u00e9s de pals aigus plant\u00e9s par \nles fils des Akhaiens, \u00e9pais, solides et tourn\u00e9s contre les guer -\nriers ennemis.\nDes chevaux tra\u00eenant un char l\u00e9ger n\u2019auraient pu y p\u00e9n\u00e9trer ais\u00e9 -\nment ; mais les hommes de pied d\u00e9siraient tenter l\u2019escalade. Et \nalors Polydamas s\u2019approcha du brave Hekt\u00f4r et lui dit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, et vous, chefs des t roiens et des alli\u00e9s, nous poussons \nimprudemment \u00e0 travers ce foss\u00e9 nos chevaux rapides, car le pas -\nsage en est difficile. Des pals aigus s\u2019y dressent en effet, et derri\u00e8re \neux monte le mur des Akhaiens. On ne peut ici ni combattre sur \nles chars, ni en descendre. La voie est \u00e9troite, et je pense que nous \ny p\u00e9rirons. Puisse Zeus qui tonne dans les hauteurs accabler les \nArgiens de mille maux et venir en aide aux t roiens aussi s\u00fbre -\nment que je voudrais voir \u00e0 l\u2019instant ceux-l\u00e0 p\u00e9rir tous, sans gloire, \nloin d\u2019Argos. Mais, s\u2019ils reviennent sur nous et nous repoussent 318CHAnt 12\ndes nefs, nous serons pr\u00e9cipit\u00e9s dans le foss\u00e9 creux ; et je ne pense \npas qu\u2019un seul d\u2019entre nous, dans sa fuite, puisse regagner la ville. \n\u00c9coutez donc et ob\u00e9issez \u00e0 mes paroles. Que les conducteurs \nretiennent les chevaux au bord de ce foss\u00e9, et nous, \u00e0 pied, cou -\nverts de nos armes, nous suivrons tous Hekt\u00f4r, et les Akhaiens ne \nr\u00e9sisteront pas, si, en effet, leur ruine est proche.\nPolydamas parla ainsi, et ce sage conseil plut \u00e0 Hekt\u00f4r, et, aussit\u00f4t, \nil sauta de son char avec ses armes ; et, comme le divin Hekt\u00f4r, les \nautres troiens saut\u00e8rent aussi de leurs chars, et ils ordonn\u00e8rent \naux conducteurs de ranger les chevaux sur le bord du foss\u00e9 ; et, se \ndivisant en cinq corps, ils suivirent leurs chefs.\nAvec Hekt\u00f4r et l\u2019irr\u00e9prochable Polydamas marchaient les plus \nnombreux et les plus braves, ceux qui d\u00e9siraient avec le plus d\u2019ar -\ndeur enfoncer la muraille ; et leur troisi\u00e8me chef \u00e9tait K\u00e9brion\u00e8s, \ncar Hekt\u00f4r avait laiss\u00e9 \u00e0 la garde du char un moins brave guer -\nrier. Et le deuxi\u00e8me corps \u00e9tait command\u00e9 par Alkathoos, P\u00e2ris \net Ag\u00e8n\u00f4r. Et le troisi\u00e8me corps ob\u00e9issait \u00e0 H\u00e9l\u00e9nos et au divin \nD\u00e8iphobos, deux fils de Priamos, et au h\u00e9ros Asios Hyrtakide \nque ses chevaux au poil roux et de haute taille avaient amen\u00e9 \nd\u2019Arisba et des bords du Sell\u00e8is. Et le chef du quatri\u00e8me corps \n\u00e9tait le noble fils d\u2019Ankhis\u00e8s, Ain\u00e9ias ; et avec lui commandaient \nles deux Ant\u00e9norides, Ark\u00e9lokhos et Akamas, habiles au combat. 319\nL \u2019ILIADEEt Sarp\u00e8d\u00f4n, avec Glaukos et le magnanime Ast\u00e9ropaios, com -\nmandait les illustres alli\u00e9s. Et ces guerriers \u00e9taient les plus coura -\ngeux apr\u00e8s Hekt\u00f4r, car il les surpassait tous.\nEt s\u2019\u00e9tant couverts de leurs boucliers de cuir, ils all\u00e8rent droit aux \nDanaens, ne pensant pas que ceux-ci pussent r\u00e9sister, et certains \nd\u2019envahir les nefs noires. Ainsi les t roiens et leurs alli\u00e9s venus de \nloin ob\u00e9issaient au sage conseil de l\u2019irr\u00e9prochable Polydamas ; \nmais le Hyrtakide Asios, prince des hommes, ne voulut point \nabandonner ses chevaux et leur conducteur, et il s\u2019\u00e9lan\u00e7a avec \neux vers les nefs rapides. Insens\u00e9 ! Il ne devait point, ayant \u00e9vit\u00e9 \nla noire k\u00e8r, fier de ses chevaux et de son char, revenir des nefs \nvers la haute Ilios ; et d\u00e9j\u00e0 la triste moire l\u2019enveloppait de la lance \nde l\u2019illustre Deukalide Idom\u00e9neus.\nEt il se rua sur la gauche des nefs, \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 les Akhaiens \nramenaient dans le camp leurs chevaux et leurs chars. Il trouva \nles portes ouvertes, car ni les battants, ni les barri\u00e8res n\u2019\u00e9taient \nferm\u00e9s, afin que les guerriers, dans leur fuite, pussent regagner \nles nefs. Plein d\u2019orgueil, il poussa ses chevaux de ce c\u00f4t\u00e9, et ses \ncompagnons le suivaient avec de per\u00e7antes clameurs, ne pensant \npas que les Akhaiens pussent r\u00e9sister, et certains d\u2019envahir les \nnefs noires.320CHAnt 12\nLes insens\u00e9s ! Ils rencontr\u00e8rent devant les portes deux braves \nguerriers, fils magnanimes des belliqueux Lapithes. Et l\u2019un \u00e9tait \nle robuste Polypoit\u00e8s, fils de Peirithoos, et l\u2019autre, L\u00e9onteus, sem -\nblable au tueur Ar\u00e8s. Et tous deux, devant les hautes portes, ils se \ntenaient comme deux ch\u00eanes, sur les montagnes, bravant les tem -\np\u00eates et la pluie, affermis par leurs larges racines. Ainsi, certains \nde leurs forces et de leur courage, ils attendaient le choc du grand \nAsios et ne reculaient point.\nEt, droit au mur bien construit, avec de grandes clameurs, se \nruaient, le bouclier sur la t\u00eate, le prince Asios, Iam\u00e8n\u00e8s, Orest\u00e8s, \nAdamas Asiade, t ho\u00f4n et Oinomaos. Et, par leurs cris, les deux \nLapithes exhortaient les Akhaiens \u00e0 venir d\u00e9fendre les nefs. Mais, \nvoyant les t roiens escalader la muraille, les Danaens pleins de \nterreur poussaient de grands cris. Alors, les deux Lapithes, se \njetant devant les portes, combattirent tels que deux sangliers sau -\nvages qui, sur les montagnes, forc\u00e9s par les chasseurs et les chiens, \nse retournent imp\u00e9tueusement et brisent les arbustes dont ils \narrachent les racines.\nEt ils grincent des dents jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019un trait leur ait arrach\u00e9 \nla vie.321\nL \u2019ILIADEAinsi l\u2019airain \u00e9clatant r\u00e9sonnait sur la poitrine des deux guer -\nriers frapp\u00e9s par les traits ; et ils combattaient courageusement, \nconfiants dans leurs forces et dans leurs compagnons.\nEt ceux-ci lan\u00e7aient des pierres du haut des tours bien construites, \npour se d\u00e9fendre, eux, leurs tentes et leurs nefs rapides. Et de \nm\u00eame que la lourde neige, que la violence du vent qui agite les \nnu\u00e9es noires verse, \u00e9paisse, sur la terre nourrici\u00e8re, de m\u00eame les \ntraits pleuvaient des mains des Akhaiens et des t roiens. Et les \ncasques et les boucliers bomb\u00e9s sonnaient, heurt\u00e9s par les pierres. \nAlors, g\u00e9missant et se frappant les cuisses, Asios Hyrtakide parla \nainsi, indign\u00e9 :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! certes, tu n\u2019aimes qu\u2019\u00e0 mentir, car je ne pensais pas \nque les h\u00e9ros Akhaiens pussent soutenir notre vigueur et nos \nmains in\u00e9vitables. Voici que, pareils aux gu\u00eapes au corsage mobile, \nou aux abeilles qui b\u00e2tissent leurs ruches dans un sentier ardu, et \nqui n\u2019abandonnent point leurs demeures creuses, mais d\u00e9fendent \nleur jeune famille contre les chasseurs, voici que ces deux guer -\nriers, seuls devant les portes, ne reculent point, attendant d\u2019\u00eatre \nmorts ou vainqueurs.\nIl parla ainsi, mais il ne fl\u00e9chit point l\u2019\u00e2me de Zeus qui, dans son \nc\u0153ur, voulait glorifier Hekt\u00f4r.322CHAnt 12\nEt d\u2019autres aussi combattaient autour des portes ; mais, \u00e0 qui n\u2019est \npoint dieu, il est difficile de tout raconter. Et \u00e7\u00e0 et l\u00e0, autour du \nmur, roulait un feu d\u00e9vorant de pierres. Et les Argiens, en g\u00e9mis -\nsant de cette n\u00e9cessit\u00e9, combattaient pour leurs nefs. Et tous les \ndieux \u00e9taient tristes qui soutenaient les Danaens dans les batailles.\nEt, alors, le robuste fils de Peirithoos, Polypoit\u00e8s, frappa Damasos \nde sa lance, sur le casque d\u2019airain ; mais le casque ne r\u00e9sista point, \net la pointe d\u2019airain, rompant l\u2019os, \u00e9crasa la cervelle, et l\u2019homme \nfurieux fut dompt\u00e9. Et Polypoit\u00e8s tua ensuite Pyl\u00f4n et Orm\u00e8nios. \nEt le fils d\u2019Antimakhos, L\u00e9onteus, nourrisson d\u2019Ar\u00e8s, de sa lance \nper\u00e7a Hippomakhos \u00e0 la ceinture, \u00e0 travers le baudrier. Puis, ayant \ntir\u00e9 l\u2019\u00e9p\u00e9e aigu\u00eb hors de la gaine, et se ruant dans la foule, il frappa \nAntiphat\u00e8s, et celui-ci tomba \u00e0 la renverse. Puis, L\u00e9onteus entassa \nM\u00e9n\u00f4n, Iam\u00e8nos et Orest\u00e8s sur la terre nourrici\u00e8re.\nEt tandis que les deux Lapithes enlevaient leurs armes splendides, \nderri\u00e8re Polydamas et Hekt\u00f4r accouraient de jeunes guerriers, \nnombreux et tr\u00e8s braves, pleins du d\u00e9sir de rompre la muraille \net de br\u00fbler les nefs. Mais ils h\u00e9sit\u00e8rent au bord du foss\u00e9. En effet, \ncomme ils allaient le franchir, ils virent un signe augural.\nUn aigle, volant dans les hautes nu\u00e9es, apparut \u00e0 leur gauche, et il \nportait entre ses serres un grand dragon sanglant, mais qui vivait 323\nL \u2019ILIADEet palpitait encore, et combattait toujours, et mordait l\u2019aigle \u00e0 la \npoitrine et au cou. Et celui-ci, vaincu par la douleur, le laissa choir \nau milieu de la foule, et s\u2019envola dans le vent en poussant des cris. \nEt les t roiens fr\u00e9mirent d\u2019horreur en face du dragon aux couleurs \nvari\u00e9es qui gisait au milieu d\u2019eux, signe de Zeus temp\u00e9tueux. Et \nalors Polydamas parla ainsi au brave Hekt\u00f4r :\n\u2013 Hekt\u00f4r, toujours, dans l\u2019agora, tu repousses et tu bl\u00e2mes mes \nconseils prudents, car tu veux qu\u2019aucun guerrier ne dise autre -\nment que toi, dans l\u2019agora ou dans le combat ; et il faut que nous \nne servions qu\u2019\u00e0 augmenter ton pouvoir. Mais je parlerai cepen -\ndant, car mes paroles seront bonnes. n \u2019allons point assi\u00e9ger les \nnefs Akhaiennes, car ceci arrivera, si un vrai signe est apparu \naux t roiens, pr\u00eats \u00e0 franchir le foss\u00e9, cet aigle qui, volant dans \nles hautes nu\u00e9es, portait entre ses serres ce grand dragon san -\nglant, mais vivant encore, et qui l\u2019a laiss\u00e9 choir avant de le livrer \nen p\u00e2ture \u00e0 ses petits dans son aire. C\u2019est pourquoi, m\u00eame si nous \nrompions de force les portes et les murailles des Akhaiens, m\u00eame \ns\u2019ils fuyaient, nous ne reviendrions point par les m\u00eames che -\nmins et en bon ordre ; mais nous abandonnerions de nombreux \ntroiens que les Akhaiens auraient tu\u00e9s avec l\u2019airain, en d\u00e9fendant \nleurs nefs. Ainsi doit parler tout augure savant dans les prodiges \ndivins, et les peuples doivent lui ob\u00e9ir.324CHAnt 12\nEt Hekt\u00f4r au casque mouvant, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, \nlui dit :\n\u2013 Polydamas, certes, tes paroles ne me plaisent point, et, sans \ndoute, tu le sais, tes conseils auraient pu \u00eatre meilleurs. Si tu \nas parl\u00e9 sinc\u00e8rement, c\u2019est que les dieux t\u2019ont ravi l\u2019intelligence, \npuisque tu nous ordonnes d\u2019oublier la volont\u00e9 de Zeus qui tonne \ndans les hauteurs, et les promesses qu\u2019il m\u2019a faites et confirm\u00e9es \npar un signe de sa t\u00eate. t u veux que nous ob\u00e9issions \u00e0 des oiseaux \nqui \u00e9tendent leurs ailes ! Je ne m\u2019en inqui\u00e8te point, je n\u2019en ai nul \nsouci, soit qu\u2019ils volent \u00e0 ma droite, vers \u00c9\u00f4s ou H\u00e9lios, soit qu\u2019ils \nvolent \u00e0 ma gauche, vers le sombre couchant. nous n\u2019ob\u00e9irons \nqu\u2019\u00e0 la volont\u00e9 du grand Zeus qui commande aux hommes mor -\ntels et aux immortels. Le meilleur des augures est de combattre \npour sa patrie. Pourquoi crains-tu la guerre et le combat ? M\u00eame \nquand nous tomberions tous autour des nefs des Argiens, tu ne \ndois point craindre la mort, car ton c\u0153ur ne te pousse point \u00e0 \ncombattre courageusement. Mais si tu te retires de la m\u00eal\u00e9e, si tu \npousses les guerriers \u00e0 fuir, aussit\u00f4t, frapp\u00e9 de ma lance, tu ren -\ndras l\u2019esprit.\nIl parla ainsi et s\u2019\u00e9lan\u00e7a, et tous le suivirent avec une clameur \nimmense. Et Zeus qui se r\u00e9jouit de la foudre souleva, des cimes \nde l\u2019Ida, un tourbillon de vent qui couvrit les nefs de poussi\u00e8re, 325\nL \u2019ILIADEamollit le courage des Akhaiens et assura la gloire \u00e0 Hekt\u00f4r et aux \ntroiens qui, confiants dans les signes de Zeus et dans leur vigueur, \ntentaient de rompre la grande muraille des Akhaiens.\nEt ils arrachaient les cr\u00e9neaux, et ils d\u00e9molissaient les parapets, et \nils \u00e9branlaient avec des leviers les piles que les Akhaiens avaient \npos\u00e9es d\u2019abord en terre pour soutenir les tours. Et ils les arra -\nchaient, esp\u00e9rant d\u00e9truire la muraille des Akhaiens. Mais les \nDanaens ne reculaient point, et, couvrant les parapets de leurs \nboucliers de peaux de b\u0153uf, ils en repoussaient les ennemis qui \nassi\u00e9geaient la muraille.\nEt les deux Aias couraient \u00e7\u00e0 et l\u00e0 sur les tours, ranimant le cou -\nrage des Akhaiens. tant\u00f4t par des paroles flatteuses, tant\u00f4t par \nde rudes paroles, ils excitaient ceux qu\u2019ils voyaient se retirer \ndu combat :\n\u2013 Amis ! vous, les plus vaillants des Argiens, ou les moins braves, \ncar tous les guerriers ne sont pas \u00e9gaux dans la m\u00eal\u00e9e, c\u2019est main -\ntenant, vous le voyez, qu\u2019il faut combattre, tous tant que vous \u00eates. \nQue nul ne se retire vers les nefs devant les menaces de l\u2019ennemi. \nEn avant ! Exhortez-vous les uns les autres. Peut-\u00eatre que l\u2019Olym -\npien foudroyant Zeus nous donnera de repousser les t roiens \njusque dans la ville.326CHAnt 12\nEt c\u2019est ainsi que d\u2019une voix belliqueuse ils excitaient les Akhaiens.\nDe m\u00eame que, par un jour d\u2019hiver, tombent les flocons amon -\ncel\u00e9s de la neige, quand le sage Zeus, manifestant ses traits, les \nr\u00e9pand sur les hommes mortels, et que les vents se taisent, tandis \nque la neige couvre les cimes des grandes montagnes, et les hauts \npromontoires, et les campagnes herbues, et les vastes travaux \ndes laboureurs, et qu\u2019elle tombe aussi sur les rivages de la mer \n\u00e9cumeuse o\u00f9 les flots la fondent, pendant que la pluie de Zeus \nenveloppe tout le reste ; de m\u00eame une gr\u00eale de pierres volait des \nAkhaiens aux t roiens et des t roiens aux Akhaiens, et un retentis -\nsement s\u2019\u00e9levait tout autour de la muraille.\nMais ni les t roiens ni l\u2019illustre Hekt\u00f4r n\u2019auraient alors rompu les \nportes de la muraille ni la longue barri\u00e8re, si le sage Zeus n\u2019e\u00fbt \npouss\u00e9 son fils Sarp\u00e8d\u00f4n contre les Argiens, comme un lion \ncontre des b\u0153ufs aux cornes recourb\u00e9es.\nEt il tenait devant lui un bouclier d\u2019une rondeur \u00e9gale, beau, rev\u00eatu \nde lames d\u2019airain que l\u2019ouvrier avait appliqu\u00e9es sur d\u2019\u00e9paisses \npeaux de b\u0153uf, et entour\u00e9 de longs cercles d\u2019or. Et, tenant ce \nbouclier et agitant deux lances, Sarp\u00e8d\u00f4n s\u2019avan\u00e7ait, comme un \nlion nourri sur les montagnes, qui, depuis longtemps affam\u00e9, est \nexcit\u00e9 par son c\u0153ur audacieux \u00e0 enlever les brebis jusque dans 327\nL \u2019ILIADEl\u2019enclos profond, et qui, bien qu\u2019elles soient gard\u00e9es par les chiens \net par les pasteurs arm\u00e9s de lances, ne recule point sans tenter le \np\u00e9ril, mais d\u2019un bond saisit sa proie, s\u2019il n\u2019est d\u2019abord perc\u00e9 par un \ntrait rapide. Ainsi le c\u0153ur du divin Sarp\u00e8d\u00f4n le poussait \u00e0 enfon -\ncer le rempart et \u00e0 rompre les parapets.\nEt il dit \u00e0 Glaukos, fils de Hippolokhos :\n\u2013 Glaukos, pourquoi, dans la Lyki\u00e8, sommes-nous grandement \nhonor\u00e9s par les meilleures places, les viandes et les coupes pleines, \net sommes-nous regard\u00e9s comme des dieux ? Pourquoi cultivons-\nnous un grand domaine florissant, sur les rives du Xanthos, une \nterre plant\u00e9e de vignes et de bl\u00e9 ? C\u2019est afin que nous soyons \ndebout, en t\u00eate des Lykiens, dans l\u2019ardente bataille. C\u2019est afin que \nchacun des Lykiens bien arm\u00e9s dise : nos rois, qui gouvernent la \nLyki\u00e8, ne sont pas sans gloire. S\u2019ils mangent les grasses brebis, s\u2019ils \nboivent le vin excellent et doux, ils sont pleins de courage et de \nvigueur, et ils combattent en t\u00eate des Lykiens. \u00d4 ami, si en \u00e9vitant \nla guerre nous pouvions rester jeunes et immortels, je ne combat -\ntrais pas au premier rang et je ne t\u2019enverrais pas \u00e0 la bataille glo -\nrieuse ; mais mille chances de mort nous enveloppent, et il n\u2019est \npoint permis \u00e0 l\u2019homme vivant de les \u00e9viter ni de les fuir. Allons ! \ndonnons une grande gloire \u00e0 l\u2019ennemi ou \u00e0 nous.328CHAnt 12\nIl parla ainsi, et Glaukos ne recula point et lui ob\u00e9it. Et ils allaient, \nconduisant la foule des Lykiens. Et le fils de P\u00e9t\u00e9os, M\u00e9n\u00e8stheus, \nfr\u00e9mit en les voyant, car ils se ruaient \u00e0 l\u2019assaut de sa tour. Et il jeta \nles yeux sur la muraille des Akhaiens, cherchant quelque chef qui \nv\u00eent d\u00e9fendre ses compagnons. Et il aper\u00e7ut les deux Aias, insa -\ntiables de combats, et, aupr\u00e8s d\u2019eux, t eukros qui sortait de sa tente.\nMais ses clameurs ne pouvaient \u00eatre entendues, tant \u00e9tait \nimmense le retentissement qui montait dans l\u2019Ouranos, fracas \ndes boucliers heurt\u00e9s, des casques aux crini\u00e8res de chevaux, des \nportes assi\u00e9g\u00e9es et que les t roiens s\u2019effor\u00e7aient de rompre. Et, \nalors, M\u00e9n\u00e8stheus envoya vers Aias le h\u00e9raut tho\u00f4s :\n\u2013 Va ! divin tho\u00f4s, appelle Aias, ou m\u00eame les deux \u00e0 la fois, ce \nqui serait bien mieux, car c\u2019est de ce c\u00f4t\u00e9 que la ruine nous \nmenace. Voici que les chefs Lykiens se ruent sur nous, imp\u00e9tueux \ncomme ils le sont toujours dans les rudes batailles. Mais si le \ncombat retient ailleurs les deux Aias, am\u00e8ne au moins le robuste \nt\u00e9lam\u00f4nien et l\u2019excellent archer t eukros.329\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et tho\u00f4s, l\u2019ayant entendu, ob\u00e9it, et, courant sur la \nmuraille des Argiens cuirass\u00e9s, s\u2019arr\u00eata devant les Aias et leur \ndit aussit\u00f4t.\n\u2013 Aias, chefs des Argiens cuirass\u00e9s, le fils bien-aim\u00e9 du divin \nP\u00e9t\u00e9os vous demande d\u2019accourir \u00e0 son aide, tous deux si vous le \npouvez, ce qui serait bien mieux, car c\u2019est de ce c\u00f4t\u00e9 que la ruine \nnous menace. Voici que les chefs Lykiens se ruent sur nous, imp\u00e9 -\ntueux comme ils le sont toujours dans les rudes batailles. Mais si \nle combat vous retient tous deux, que le robuste Aias t \u00e9lam\u00f4nien \nvienne au moins, et, avec lui, l\u2019excellent archer t eukros.\nIl parla ainsi, et, sans tarder, le grand t \u00e9lam\u00f4nien dit aussit\u00f4t \n\u00e0 l\u2019Oiliade :\n\u2013 Aias, toi et le brave Lykom\u00e8d\u00e8s, in\u00e9branlables, excitez les \nDanaens au combat. Moi, j\u2019irai \u00e0 l\u2019aide de M\u00e9n\u00e8stheus, et je \nreviendrai apr\u00e8s l\u2019avoir secouru.\nAyant ainsi parl\u00e9, le t \u00e9lam\u00f4nien Aias s\u2019\u00e9loigna avec son fr\u00e8re \nteukros n\u00e9 du m\u00eame p\u00e8re que lui, et, avec eux, Pandi\u00f4n, qui por -\ntait l\u2019arc de t eukros.330CHAnt 12\nEt quand ils eurent atteint la tour du magnanime M\u00e9n\u00e8stheus, ils \nse plac\u00e8rent derri\u00e8re le mur \u00e0 l\u2019instant m\u00eame du danger, car les \nillustres princes et chefs des Lykiens montaient \u00e0 l\u2019assaut de la \nmuraille, semblables \u00e0 un noir tourbillon. Et ils se rencontr\u00e8rent, \net une horrible clameur s\u2019\u00e9leva de leur choc.\nEt Aias t \u00e9lam\u00f4nien, le premier, tua un compagnon de Sarp\u00e8d\u00f4n, \nle magnanime \u00c9pikleus. Et il le frappa d\u2019un rude bloc de marbre \nqui gisait, \u00e9norme, en dedans du mur, au sommet du rempart, \npr\u00e8s des cr\u00e9neaux, et tel que, de ses deux mains, un jeune guer -\nrier, de ceux qui vivent de nos jours, ne soul\u00e8verait point le pareil. \nAias, de son bras tendu, l\u2019enleva en l\u2019air, brisa le casque aux quatre \nc\u00f4nes et \u00e9crasa enti\u00e8rement la t\u00eate du guerrier. Et celui-ci tomba \ndu fa\u00eete de la tour, comme un plongeur, et son esprit abandonna \nses ossements.\nEt teukros per\u00e7a d\u2019une fl\u00e8che le bras nu du brave Glaukos, fils de \nHippolokhos, \u00e0 l\u2019instant o\u00f9 celui-ci escaladait la haute muraille, \net il l\u2019\u00e9loigna du combat. Et Glaukos sauta du mur pour que nul \ndes Akhaiens ne v\u00eet sa blessure et ne l\u2019insult\u00e2t.\nEt Sarp\u00e8d\u00f4n, le voyant fuir, fut saisi de douleur ; mais, sans oublier \nde combattre, il frappa le t hestoride Alkma\u00f4n de sa lance, et, \nla ramenant \u00e0 lui, il entra\u00eena l\u2019homme la face contre terre, et 331\nL \u2019ILIADEles armes d\u2019airain du t hestoride retentirent dans sa chute. Et \nSarp\u00e8d\u00f4n saisit de ses mains vigoureuses un cr\u00e9neau du mur, et \nil l\u2019arracha tout entier, et la muraille resta b\u00e9ante, livrant un che -\nmin \u00e0 la multitude.\nEt Aias et t eukros firent face tous deux. Et t eukros frappa \nSarp\u00e8d\u00f4n sur le baudrier splendide qui entourait la poitrine, \nmais Zeus d\u00e9tourna la fl\u00e8che du corps de son fils, afin qu\u2019il ne \nf\u00fbt point tu\u00e9 devant les nefs. Et Aias, d\u2019un bond, frappa le bou -\nclier de Sarp\u00e8d\u00f4n, et la lance y p\u00e9n\u00e9tra, r\u00e9primant l\u2019imp\u00e9tuo -\nsit\u00e9 du guerrier qui s\u2019\u00e9loigna du mur, mais sans se retirer, car son \nc\u0153ur esp\u00e9rait la victoire. Et, se retournant, il exhorta ainsi les \nnobles Lykiens :\n\u2013 \u00d4 Lykiens, pourquoi laissez-vous de c\u00f4t\u00e9 votre ardent courage ? \nIl m\u2019est difficile, tout robuste que je suis, de renverser seul cette \nmuraille et de frayer un chemin vers les nefs. Accourez donc. \ntoutes nos forces r\u00e9unies r\u00e9ussiront mieux.\nIl parla ainsi, et, touch\u00e9s de ses reproches, ils se pr\u00e9cipit\u00e8rent \nautour de leur roi. Et les Argiens, de leur c\u00f4t\u00e9, derri\u00e8re la muraille, \nrenfor\u00e7aient leurs phalanges, car une lourde t\u00e2che leur \u00e9tait r\u00e9ser -\nv\u00e9e. Et les illustres Lykiens, ayant rompu la muraille, ne pouvaient \ncependant se frayer un chemin jusqu\u2019aux nefs. Et les belliqueux 332CHAnt 12\nDanaens, les ayant arr\u00eat\u00e9s, ne pouvaient non plus les repousser \nloin de la muraille.\nDe m\u00eame que deux hommes, la mesure \u00e0 la main, se querellent \nsur le partage d\u2019un champ commun et se disputent la plus petite \nportion du terrain, de m\u00eame, s\u00e9par\u00e9s par les cr\u00e9neaux, les com -\nbattants heurtaient de toutes parts les boucliers au grand orbe \net les d\u00e9fenses plus l\u00e9g\u00e8res. Et beaucoup \u00e9taient bless\u00e9s par l\u2019ai -\nrain cruel ; et ceux qui, en fuyant, d\u00e9couvraient leur dos, \u00e9taient \nperc\u00e9s, m\u00eame \u00e0 travers les boucliers. Et les tours et les cr\u00e9neaux \n\u00e9taient inond\u00e9s du sang des guerriers. Et les t roiens ne pouvaient \nmettre en fuite les Akhaiens, mais ils se contenaient les uns les \nautres. t elles sont les balances d\u2019une ouvri\u00e8re \u00e9quitable. Elle tient \nles poids d\u2019un c\u00f4t\u00e9 et la laine de l\u2019autre, et elle les p\u00e8se et les \u00e9ga -\nlise, afin d\u2019apporter \u00e0 ses enfants un ch\u00e9tif salaire. Ainsi le com -\nbat restait \u00e9gal entre les deux partis, jusqu\u2019au moment o\u00f9 Zeus \naccorda une gloire \u00e9clatante au Priamide Hekt\u00f4r qui, le premier, \nfranchit le mur des Akhaiens. Et il cria d\u2019une voix retentissante, \nafin d\u2019\u00eatre entendu des t roiens :\n\u2013 En avant, cavaliers t roiens ! Rompez la muraille des Argiens, et \nallumez de vos mains une immense flamme ardente.333\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et tous l\u2019entendirent, et ils se jet\u00e8rent sur la muraille, \nescaladant les cr\u00e9neaux et dardant les lances aigu\u00ebs. Et Hekt\u00f4r \nportait une pierre \u00e9norme, lourde, pointue, qui gisait devant les \nportes, telle que deux tr\u00e8s robustes hommes de nos jours n\u2019en \npourraient soulever la pareille de terre, sur leur chariot. Mais, \nseul, il l\u2019agitait facilement, car le fils du subtil Kronos la lui ren -\ndait l\u00e9g\u00e8re. De m\u00eame qu\u2019un berger porte ais\u00e9ment dans sa main \nla toison d\u2019un b\u00e9lier, et en trouve le poids l\u00e9ger, de m\u00eame Hekt\u00f4r \nportait la pierre soulev\u00e9e droit aux ais doubles qui d\u00e9fendaient \nles portes, hautes, solides et \u00e0 deux battants. Deux poutres les fer -\nmaient en dedans, travers\u00e9es par une cheville.\nEt, s\u2019approchant, il se dressa sur ses pieds et frappa la porte par le \nmilieu, et le choc ne fut pas inutile. Il rompit les deux gonds, et la \npierre enfon\u00e7a le tout et tomba lourdement de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9. Et ni \nles poutres bris\u00e9es, ni les battants en \u00e9clats ne r\u00e9sist\u00e8rent au choc \nde la pierre. Et l\u2019illustre Hekt\u00f4r sauta dans le camp, semblable \u00e0 \nune nuit rapide, tandis que l\u2019airain dont il \u00e9tait rev\u00eatu resplendis -\nsait. Et il brandissait deux lances dans ses mains, et nul, except\u00e9 \nun dieu, n\u2019e\u00fbt pu l\u2019arr\u00eater dans son \u00e9lan.\nEt le feu luisait dans ses yeux. Et il commanda \u00e0 la multitude \ndes t roiens de franchir la muraille, et tous lui ob\u00e9irent. Les uns \nescalad\u00e8rent la muraille, les autres enfonc\u00e8rent les portes, et 334CHAnt 12\nles Danaens s\u2019enfuirent jusqu\u2019aux nefs creuses, et un immense \ntumulte s\u2019\u00e9leva.335\nL \u2019ILIADEChant 13\nEt d\u00e8s que Zeus eut pouss\u00e9 Hekt\u00f4r et les troiens jusqu\u2019aux nefs, \nles y laissant soutenir seuls le rude combat, il tourna ses yeux \nsplendides sur la terre des cavaliers thr\u00e8kiens, des Mysiens, qui \ncombattent de pr\u00e8s, et des illustres Hippomolgues qui se nour -\nrissent de lait, pauvres, mais les plus justes des hommes. Et Zeus \nne jetait plus ses yeux splendides sur t roi\u00e8, ne pensant point dans \nson esprit qu\u2019aucun des immortels os\u00e2t secourir ou les troiens, \nou les Danaens.\nMais celui qui \u00e9branle la terre ne veillait pas en vain, et il regar -\ndait la guerre et le combat, assis sur le plus haut sommet de la \nSamothr\u00e8k\u00e8 feuillue, d\u2019o\u00f9 apparaissaient tout l\u2019Ida et la ville de \nPriamos et les nefs des Akhaiens. Et l\u00e0, assis hors de la mer, il \nprenait piti\u00e9 des Akhaiens dompt\u00e9s par les t roiens, et s\u2019irritait \nprofond\u00e9ment contre Zeus. Et, aussit\u00f4t, il descendit du sommet \nescarp\u00e9, et les hautes montagnes et les for\u00eats tremblaient sous les \npieds immortels de Poseida\u00f4n qui marchait. Et il fit trois pas, et, \nau quatri\u00e8me, il atteignit le terme de sa course, Aigas, o\u00f9, dans les \ngouffres de la mer, \u00e9taient ses illustres demeures d\u2019or, \u00e9clatantes \net incorruptibles.336CHAnt 13\nEt l\u00e0, il attacha au char ses chevaux rapides, dont les pieds \u00e9taient \nd\u2019airain et les crini\u00e8res d\u2019or. Et il se rev\u00eatit d\u2019or lui-m\u00eame, saisit le \nfouet d\u2019or habilement travaill\u00e9, et monta sur son char. Et il allait \nsur les eaux, et, de toutes parts, les c\u00e9tac\u00e9s, \u00e9mergeant de l\u2019ab\u00eeme, \nbondissaient, joyeux, et reconnaissaient leur roi.\nEt la mer s\u2019ouvrait avec all\u00e9gresse, et les chevaux volaient rapide -\nment sans que l\u2019\u00e9cume mouill\u00e2t l\u2019essieu d\u2019airain. Et les chevaux \nagiles le port\u00e8rent jusqu\u2019aux nefs.\nEt il y avait un antre large dans les gouffres de la mer profonde, \nentre t \u00e9n\u00e9dos et l\u2019\u00e2pre Imbros. L\u00e0, Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre \narr\u00eata ses chevaux, les d\u00e9lia du char, leur offrit la nourriture \ndivine et leur mit aux pieds des entraves d\u2019or solides et indisso -\nlubles, afin qu\u2019ils attendissent en paix le retour de leur roi. Et il \ns\u2019avan\u00e7a vers l\u2019arm\u00e9e des Akhaiens.\nEt les t roiens amoncel\u00e9s, semblables \u00e0 la flamme, tels qu\u2019une \ntemp\u00eate, pleins de fr\u00e9missements et de clameurs, se pr\u00e9cipitaient, \nfurieux, derri\u00e8re le Priamide Hekt\u00f4r. Et ils esp\u00e9raient se saisir des \nnefs des Akhaiens et y tuer tous les Akhaiens. Mais Poseida\u00f4n qui \nentoure la terre et qui la secoue, sorti de la mer profonde, excitait 337\nL \u2019ILIADEles Argiens, ayant rev\u00eatu le corps de Kalkhas et pris sa voix infati -\ngable. Et il parla ainsi aux deux Aias, pleins d\u2019ardeur eux-m\u00eames :\n\u2013 Aias ! Vous sauverez les hommes d\u2019Akhai\u00e8, si vous vous souve -\nnez de votre courage et non de la fuite d\u00e9sastreuse. Ailleurs, je \nne crains pas les efforts des t roiens qui ont franchi notre grande \nmuraille, car les braves Akhaiens soutiendront l\u2019attaque ; mais \nc\u2019est ici, je pense, que nous aurons \u00e0 subir de plus grands maux, \ndevant Hekt\u00f4r, plein de rage, semblable \u00e0 la flamme, et qui se \nvante d\u2019\u00eatre le fils du tr\u00e8s puissant Zeus. Puisse un des dieux vous \ninspirer de lui r\u00e9sister courageusement !\nEt vous, exhortez vos compagnons, afin de rejeter le Priamide, \nmalgr\u00e9 son audace, loin des nefs rapides, m\u00eame quand l\u2019Olym -\npien l\u2019exciterait.\nCelui qui entoure la terre et qui l\u2019\u00e9branle parla ainsi, et, les frap -\npant de son sceptre, il les remplit de force et de courage et rendit \nl\u00e9gers leurs pieds et leurs mains. Et lui-m\u00eame s\u2019\u00e9loigna aussit\u00f4t, \ncomme le rapide \u00e9pervier, qui, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant \u00e0 tire-d\u2019aile du fa\u00eete d\u2019un \nrocher escarp\u00e9, poursuit dans la plaine un oiseau d\u2019une autre race. 338CHAnt 13\nAinsi, Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre s\u2019\u00e9loigna d\u2019eux. Et aussit\u00f4t le \npremier des deux, le rapide Aias Oil\u00e8iade, dit au t \u00e9lam\u00f4niade :\n\u2013 Aias, sans doute un des dieux Olympiens, ayant pris la forme du \ndivinateur, vient de nous ordonner de combattre aupr\u00e8s des nefs. \nCar ce n\u2019est point l\u00e0 le divinateur Kalkhas. J\u2019ai facilement reconnu \nles pieds de celui qui s\u2019\u00e9loigne. Les dieux sont ais\u00e9s \u00e0 reconna\u00eetre. \nJe sens mon c\u0153ur, dans ma poitrine, plein d\u2019ardeur pour la guerre \net le combat, et mes mains et mes pieds sont plus l\u00e9gers.\nEt le t \u00e9lam\u00f4nien Aias lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Et moi aussi, je sens mes mains rudes fr\u00e9mir autour de ma lance, \net ma force me secouer et mes pieds m\u2019emporter en avant. Et voici \nque je suis pr\u00eat \u00e0 lutter seul contre le Priamide Hekt\u00f4r qui ne se \nlasse jamais de combattre.\nEt tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, joyeux de l\u2019ardeur guerri\u00e8re que \nle dieu avait mise dans leurs c\u0153urs, celui-ci, loin d\u2019eux, encoura -\ngeait les Akhaiens qui reposaient leur \u00e2me aupr\u00e8s des nefs rapides, \ncar leurs membres \u00e9taient rompus de fatigue, et une am\u00e8re dou -\nleur les saisissait \u00e0 la vue des t roiens qui avaient franchi la grande \nmuraille. Et des larmes coulaient de leurs paupi\u00e8res, et ils n\u2019esp\u00e9 -\nraient plus fuir leur ruine. Mais celui qui \u00e9branle la terre ranima 339\nL \u2019ILIADEfacilement leurs braves phalanges. Et il exhorta t eukros, L\u00e8itos, \nP\u00e9n\u00e9l\u00e9os, t hoas, D\u00e8ipyros, M\u00e8rion\u00e8s et Antilokhos, habiles au \ncombat. Et il leur dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 honte ! jeunes guerriers Argiens, je me fiais en votre courage \npour sauver nos nefs, mais, si vous suspendez le combat, voici \nque le jour est venu d\u2019\u00eatre dompt\u00e9s par les t roiens. \u00d4 douleur ! \nje vois de mes yeux ce grand prodige terrible que je ne pensais \npoint voir jamais, les t roiens sur nos nefs ! Eux qui, auparavant, \n\u00e9taient semblables aux cerfs fuyards, p\u00e2ture des lynx, des l\u00e9o -\npards et des loups, errants par les for\u00eats, sans force et inhabiles \nau combat ! Car les t roiens n\u2019osaient, auparavant, braver en face \nla vigueur des Akhaiens ; et, maintenant, loin de la ville, ils com -\nbattent aupr\u00e8s des nefs creuses, gr\u00e2ce \u00e0 la l\u00e2chet\u00e9 du chef et \u00e0 la \nn\u00e9gligence des hommes qui refusent de d\u00e9fendre les nefs rapides, \net s\u2019y laissent tuer. Mais, s\u2019il est vrai que l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n qui \nr\u00e8gne au loin soit coupable d\u2019avoir outrag\u00e9 le P\u00e8l\u00e9i\u00f4n aux pieds \nrapides, nous est-il permis pour cela d\u2019abandonner le combat ?\nR\u00e9parons ce mal. Les esprits justes se gu\u00e9rissent ais\u00e9ment de l\u2019er -\nreur. Vous ne pouvez sans honte oublier votre courage, \u00e9tant \nparmi les plus braves. Je ne m\u2019inqui\u00e9terais point d\u2019un l\u00e2che qui \nfuirait le combat, mais, contre vous, je m\u2019indigne dans mon c\u0153ur. \n\u00d4 pleins de mollesse, bient\u00f4t vous aurez caus\u00e9 par votre inaction 340CHAnt 13\nun mal irr\u00e9parable. Que la honte et mes reproches entrent dans \nvos \u00e2mes, car voici qu\u2019un grand combat s\u2019engage et que le brave \nHekt\u00f4r, ayant rompu nos portes et nos barri\u00e8res, combat aupr\u00e8s \ndes nefs.\nEt, parlant ainsi, celui qui \u00e9branle la terre excitait les Akhaiens. Et \nautour des deux Aias se pressaient de solides phalanges qu\u2019au -\nraient lou\u00e9es Ar\u00e8s et Ath\u00e8n\u00e8 qui excite les guerriers. Et les plus \nbraves attendaient les t roiens et le divin Hekt\u00f4r, lance contre \nlance, bouclier contre bouclier, casque contre casque, homme \ncontre homme. Et les crini\u00e8res, sur les c\u00f4nes splendides, se \nm\u00ealaient, tant les rangs \u00e9taient \u00e9pais ; et les lances s\u2019agitaient \nentre les mains audacieuses, et tous marchaient, pleins du d\u00e9sir \nde combattre.\nMais sur eux se ruent une foule de t roiens, derri\u00e8re Hekt\u00f4r qui \ns\u2019\u00e9lan\u00e7ait. De m\u00eame qu\u2019une roche d\u00e9sastreuse qu\u2019un torrent, gon -\nfl\u00e9 par une immense pluie, roule, d\u00e9racin\u00e9e, de la cime d\u2019un mont, \net qui se pr\u00e9cipite \u00e0 travers tous les obstacles jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle \narrive \u00e0 la plaine o\u00f9, bien qu\u2019arr\u00eat\u00e9e dans sa course, elle remue \nencore ; de m\u00eame Hekt\u00f4r mena\u00e7ait d\u2019arriver jusqu\u2019\u00e0 la mer, aux \ntentes et aux nefs des Akhaiens ; mais il se heurta contre les \nmasses \u00e9paisses d\u2019hommes, contraint de s\u2019arr\u00eater.341\nL \u2019ILIADEEt les fils des Akhaiens le repouss\u00e8rent en le frappant de leurs \n\u00e9p\u00e9es et de leurs lances aigu\u00ebs. Alors, reculant, il s\u2019\u00e9cria d\u2019une voix \nhaute aux t roiens :\n\u2013 troiens, Lykiens et Dardaniens belliqueux, restez fermes. Les \nAkhaiens ne me r\u00e9sisteront pas longtemps, bien qu\u2019ils se dressent \nmaintenant comme une tour ; mais ils vont fuir devant ma lance, \nsi le plus grand des dieux, l\u2019\u00e9poux tonnant de H\u00e8r\u00e8, m\u2019encourage.\nIl parla ainsi, excitant la force et la vaillance de chacun. Et le \nPriamide D\u00e8iphobos, plein de fiert\u00e9, marchait d\u2019un pied l\u00e9ger \nau milieu d\u2019eux, couvert de son bouclier d\u2019une rondeur \u00e9gale. \nEt M\u00e8rion\u00e8s lan\u00e7a contre lui sa pique \u00e9tincelante, qui, ne s\u2019\u00e9ga -\nrant point, frappa le bouclier d\u2019une rondeur \u00e9gale et fait de peau \nde taureau ; mais la longue lance y p\u00e9n\u00e9tra \u00e0 peine et se brisa \u00e0 \nson extr\u00e9mit\u00e9. Et D\u00e8iphobos \u00e9loigna de sa poitrine le bouclier \nde peau de taureau, craignant la lance du brave M\u00e8rion\u00e8s ; mais \nce h\u00e9ros rentra dans la foule de ses compagnons, indign\u00e9 d\u2019avoir \nmanqu\u00e9 la victoire et rompu sa lance. Et il courut vers les nefs \ndes Akhaiens, afin d\u2019y chercher une longue pique qu\u2019il avait lais -\ns\u00e9e dans sa tente. Mais d\u2019autres combattaient, et une immense \nclameur s\u2019\u00e9levait de tous c\u00f4t\u00e9s.342CHAnt 13\nEt teukros t \u00e9lam\u00f4nien tua, le premier, le brave guerrier Imbrios, \nfils de Ment\u00f4r et riche en chevaux.\nEt, avant l\u2019arriv\u00e9e des fils des Akhaiens, il habitait P\u00e8daios, avec \nM\u00e8d\u00e9sikast\u00e8, fille ill\u00e9gitime de Priamos ; mais, apr\u00e8s l\u2019arriv\u00e9e des \nnefs aux doubles avirons des Danaens, il vint \u00e0 Ilios et s\u2019illustra \nparmi les t roiens.\nEt le fils de t \u00e9lam\u00f4n, de sa longue lance, le per\u00e7a sous l\u2019oreille, et \nil tomba, comme un fr\u00eane qui, tranch\u00e9 par l\u2019airain sur le som -\nmet d\u2019un mont \u00e9lev\u00e9, couvre la terre de son feuillage d\u00e9licat. Il \ntomba ainsi, et ses belles armes d\u2019airain sonn\u00e8rent autour de lui. \nEt teukros accourut pour le d\u00e9pouiller ; mais Hekt\u00f4r, comme il \ns\u2019\u00e9lan\u00e7ait, lan\u00e7a contre lui sa pique \u00e9clatante. Et le t \u00e9lam\u00f4nien \nla vit et l\u2019\u00e9vita, et la lance du Priamide frappa dans la poitrine \nAmphimakhos, fils de Kt\u00e9atos Aktorionide, qui s\u2019avan\u00e7ait. Et sa \nchute retentit et ses armes sonn\u00e8rent sur lui. Et Hekt\u00f4r s\u2019\u00e9lan\u00e7a \npour d\u00e9pouiller du casque bien adapt\u00e9 aux tempes le magnanime \nAmphimakhos. Mais Aias se rua sur lui, arm\u00e9 d\u2019une pique \u00e9tince -\nlante ; et, comme Hekt\u00f4r \u00e9tait enti\u00e8rement envelopp\u00e9 de l\u2019airain \neffrayant, Aias frappa seulement le bouclier bomb\u00e9 et le repoussa \nviolemment loin des deux cadavres que les Akhaiens entra\u00een\u00e8rent.343\nL \u2019ILIADEEt Stikhios et le divin M\u00e9n\u00e8stheus, princes des Ath\u00e8naiens, por -\nt\u00e8rent Amphimakhos dans les tentes des Akhaiens, et les Aias, \navides du combat imp\u00e9tueux, se saisirent d\u2019Imbrios. De m\u00eame \nque deux lions, arrachant une ch\u00e8vre aux dents aigu\u00ebs des chiens, \nl\u2019emportent \u00e0 travers les taillis \u00e9pais en la tenant loin de terre dans \nleurs m\u00e2choires, de m\u00eame les deux Aias enlev\u00e8rent Imbrios et le \nd\u00e9pouill\u00e8rent de ses armes.\nEt Aias Oil\u00e8iade, furieux de la mort d\u2019Amphimakhos, coupa la \nt\u00eate du t roien, et, la jetant comme une boule au travers de la \nmultitude, l\u2019envoya rouler dans la poussi\u00e8re, sous les pieds de \nHekt\u00f4r. Et alors, Poseida\u00f4n, irrit\u00e9 de la mort de son petit-fils tu\u00e9 \ndans le combat, courut aux tentes des Akhaiens, afin d\u2019exciter les \nDanaens et de pr\u00e9parer des calamit\u00e9s aux t roiens.\nEt Idom\u00e9neus, illustre par sa lance, le rencontra. Et celui-ci quit -\ntait un de ses compagnons qui, dans le combat, avait \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 \nau jarret par l\u2019airain aigu et emport\u00e9 par les siens. Et Idom\u00e9neus, \nl\u2019ayant confi\u00e9 aux m\u00e9decins, sortait de sa tente, plein du d\u00e9sir de \nretourner au combat. Et le roi qui \u00e9branle la terre lui parla ainsi, \nayant pris la figure et la voix de l\u2019Andraimonide t hoas, qui, dans 344CHAnt 13\ntout Pleur\u00f4n et la haute Kalyd\u00f4n, commandait aux Ait\u00f4liens, et \nque ceux-ci honoraient comme un dieu :\n\u2013 Idom\u00e9neus, prince des Kr\u00e8tois, o\u00f9 sont tes menaces et celles des \nAkhaiens aux t roiens ?\nEt le prince des Kr\u00e8tois, Idom\u00e9neus, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 thoas, aucun guerrier n\u2019est en faute, autant que j\u2019en puis juger, \ncar nous combattons tous ; aucun n\u2019est retenu par la p\u00e2le crainte, \naucun, par indolence, ne refuse le combat dangereux ; mais cela \npla\u00eet sans doute au tr\u00e8s puissant Zeus que les Akhaiens p\u00e9rissent \nici, sans gloire et loin d\u2019Argos.\nthoas, toi qui, toujours plein d\u2019ardeur guerri\u00e8re, as coutume d\u2019en -\ncourager les faibles, ne cesse pas dans ce moment, et ranime la \nvaillance de chaque guerrier.\nEt Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Idom\u00e9neus, ne puisse-t-il jamais revenir de la terre troienne, \npuisse-t-il \u00eatre la proie des chiens, le guerrier qui, en ce jour, \ncessera volontairement de combattre ! Va ! et reviens avec tes \narmes. Il faut nous concerter. Peut-\u00eatre serons-nous tous deux 345\nL \u2019ILIADEde quelque utilit\u00e9. L \u2019union des guerriers est utile, m\u00eame celle des \nplus timides ; et nous saurons combattre les h\u00e9ros.\nAyant ainsi parl\u00e9, le dieu rentra dans la m\u00eal\u00e9e des hommes, et \nIdom\u00e9neus regagna ses tentes et rev\u00eatit ses belles armes. Il sai -\nsit deux lances et accourut, semblable au feu fulgurant que le \nKroni\u00f4n, de sa main, pr\u00e9cipite des cimes de l\u2019Olympos enflamm\u00e9, \ncomme un signe rayonnant aux hommes vivants. Ainsi resplen -\ndissait l\u2019airain sur la poitrine du roi qui accourait.\nEt M\u00e8rion\u00e8s, son brave compagnon, le rencontra non loin de la \ntente. Et il venait chercher une lance d\u2019airain. Et Idom\u00e9neus lui \nparla ainsi :\n\u2013 M\u00e8rion\u00e8s aux pieds rapides, fils de Molos, le plus cher de mes \ncompagnons, pourquoi quittes-tu la guerre et le combat ?\nEs-tu bless\u00e9, et la pointe du trait te tourmente-t-elle ? Viens-tu \nm\u2019annoncer quelque chose ? Certes, pour moi, je n\u2019ai pas le des -\nsein de rester dans mes tentes, mais je d\u00e9sire le combat.346CHAnt 13\nEt le sage M\u00e8rion\u00e8s lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Idom\u00e9neus, prince des Kr\u00e8tois cuirass\u00e9s, je viens afin de prendre \nune lance, si, dans tes tentes, il en reste une ; car j\u2019ai rompu la \nmienne sur le bouclier de l\u2019orgueilleux D\u00e8iphobos.\nEt Idom\u00e9neus, prince des Kr\u00e8tois, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si tu veux des lances, tu en trouveras une, tu en trouveras vingt, \nappuy\u00e9es \u00e9tincelantes contre les parois de ma tente. Ce sont des \nlances t roiennes enlev\u00e9es \u00e0 ceux que j\u2019ai tu\u00e9s, car je combats de \npr\u00e8s les guerriers ennemis ; et c\u2019est pourquoi j\u2019ai des lances, des \nboucliers bomb\u00e9s, des casques et des cuirasses \u00e9clatantes.\nEt le sage M\u00e8rion\u00e8s lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Dans ma tente et dans ma nef noire abondent aussi les \nd\u00e9pouilles t roiennes ; mais elles sont trop \u00e9loign\u00e9es. Je ne pense \npas aussi avoir jamais oubli\u00e9 mon courage. Je combats au premier \nrang, parmi les guerriers illustres, \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 la m\u00eal\u00e9e retentit. \nQuelques-uns des Akhaiens cuirass\u00e9s peuvent ne m\u2019avoir point \nvu, mais toi, tu me connais.347\nL \u2019ILIADEEt Idom\u00e9neus, prince des Kr\u00e8tois, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je sais quel est ton courage. Pourquoi me parler ainsi ? Si nous \n\u00e9tions choisis parmi les plus braves pour une embuscade, car c\u2019est \nl\u00e0 que le courage des guerriers \u00e9clate, l\u00e0 on distingue le brave du \nl\u00e2che, car celui-ci change \u00e0 tout instant de couleur, et son c\u0153ur \nn\u2019est point assez ferme pour attendre tranquillement en place ; et \nil remue sans cesse, tant\u00f4t sur un pied, tant\u00f4t sur l\u2019autre ; et son \nc\u0153ur tremble dans sa poitrine par crainte de la mort, et ses dents \nclaquent, tandis que le brave ne change point de couleur, et il ne \nredoute rien au premier rang des guerriers, dans l\u2019embuscade, et il \nsouhaite l\u2019ardent combat ; certes, donc, aucun de nous ne bl\u00e2me -\nrait en cet instant ni ton courage ni ton bras ; et si tu \u00e9tais bless\u00e9 \nalors, ce ne serait point \u00e0 l\u2019\u00e9paule ou dans le dos que tu serais \nfrapp\u00e9 d\u2019un trait, mais en pleine poitrine ou dans le ventre, tan -\ndis que tu te pr\u00e9cipiterais dans la m\u00eal\u00e9e des combattants. Va ! ne \nparlons plus, inactifs, comme des enfants, de peur que ceci nous \nsoit reproch\u00e9 injurieusement. Va dans ma tente, et prends une \nlance solide.\nIl parla ainsi, et M\u00e8rion\u00e8s, semblable au rapide Ar\u00e8s, saisit \npromptement dans la tente une lance d\u2019airain, et il marcha avec \nIdom\u00e9neus, plein du d\u00e9sir de combattre. Ainsi marche le d\u00e9sas -\ntreux Ar\u00e8s avec la t erreur, sa fille bien-aim\u00e9e, forte et indomptable, 348CHAnt 13\nqui \u00e9pouvante le plus brave. Ils descendent de la t hr\u00e8k\u00e8 vers les \n\u00c9pirotes ou les magnanimes Phl\u00e8gyens, et ils n\u2019exaucent point \nles deux peuples \u00e0 la fois, mais ils accordent la gloire \u00e0 l\u2019un ou \n\u00e0 l\u2019autre.\nAinsi M\u00e8rion\u00e8s et Idom\u00e9neus, princes des hommes, marchaient, \narm\u00e9s de l\u2019airain splendide.\nEt M\u00e8rion\u00e8s, le premier, parla ainsi :\n\u2013 Deukalide, de quel c\u00f4t\u00e9 veux-tu entrer dans la m\u00eal\u00e9e ? \u00c0 \ndroite, au centre, ou \u00e0 gauche ? C\u2019est l\u00e0 que les Akhaiens cheve -\nlus faiblissent.\nEt Idom\u00e9neus, prince des Kr\u00e8tois, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 D\u2019autres sont au centre qui d\u00e9fendent les nefs, les deux Aias \net teukros, le plus habile archer d\u2019entre les Akhaiens, et brave \naussi de pied ferme. Ils suffiront \u00e0 repousser le Priamide Hekt\u00f4r. \nQuelque brave qu\u2019il soit, et quelle que soit son ardeur \u00e0 com -\nbattre, il ne r\u00e9ussira pas \u00e0 dompter leur courage et leurs mains \ninvincibles et \u00e0 br\u00fbler les nefs, \u00e0 moins que le Kroni\u00f4n lui-m\u00eame \nne jette l\u2019ardente foudre sur les nefs rapides. Jamais le grand \nt\u00e9lam\u00f4nien Aias ne le c\u00e9dera \u00e0 aucun homme n\u00e9 mortel et nourri 349\nL \u2019ILIADEdes dons de D\u00e8m\u00e8t\u00e8r, vuln\u00e9rable par l\u2019airain ou par de lourds \nrochers. Il ne reculerait m\u00eame pas devant l\u2019imp\u00e9tueux Akhilleus, \ns\u2019il ne peut cependant lutter contre lui en agilit\u00e9. Allons vers la \ngauche de l\u2019arm\u00e9e, et voyons promptement si nous remporterons \nune grande gloire, ou si nous la donnerons \u00e0 l\u2019ennemi.\nIl parla ainsi, et M\u00e8rion\u00e8s, semblable au rapide Ar\u00e8s, s\u2019\u00e9lan\u00e7a du \nc\u00f4t\u00e9 o\u00f9 Idom\u00e9neus ordonnait d\u2019aller.\nEt d\u00e8s que les t roiens eurent vu Idom\u00e9neus, semblable \u00e0 la \nflamme par son courage, avec son compagnon brillant sous ses \narmes, s\u2019exhortant les uns les autres, ils se jet\u00e8rent sur lui. Et le \ncombat fut \u00e9gal entre eux tous devant les poupes des nefs.\nDe m\u00eame que les vents temp\u00e9tueux, en un jour de s\u00e9cheresse, \nsoul\u00e8vent par les chemins de grands tourbillons de poussi\u00e8re, de \nm\u00eame tous se ru\u00e8rent dans une m\u00eal\u00e9e furieuse afin de s\u2019entretuer \nde l\u2019airain aigu. Et la multitude des guerriers se h\u00e9rissa de longues \nlances qui per\u00e7aient la chair des combattants. Et la splendeur de \nl\u2019airain, des casques \u00e9tincelants, des cuirasses polies et des bou -\ncliers, \u00e9blouissait les yeux. Et il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 impitoyable celui qui, loin \nde s\u2019attrister de ce combat, s\u2019en f\u00fbt r\u00e9joui.350CHAnt 13\nEt les deux fils puissants de Kronos, dans leur volont\u00e9 contraire, \naccablaient ainsi les h\u00e9ros de lourdes calamit\u00e9s. Zeus vou -\nlait donner la victoire \u00e0 Hekt\u00f4r et aux t roiens, afin d\u2019honorer \nAkhilleus aux pieds rapides ; et il ne voulait pas d\u00e9truire les tribus \nAkhaiennes devant Ilios, mais honorer t h\u00e9tis et son fils magna -\nnime. Et Poseida\u00f4n, sorti en secret de la blanche mer, encou -\nrageait les Akhaiens, et il g\u00e9missait de les voir dompt\u00e9s par les \ntroiens, et il s\u2019irritait contre Zeus. Et tous deux avaient la m\u00eame \norigine et le m\u00eame p\u00e8re, mais Zeus \u00e9tait le plus \u00e2g\u00e9 et savait plus \nde choses. Et c\u2019est pourquoi Poseida\u00f4n ne secourait point ouver -\ntement les Argiens, mais, sous la forme d\u2019un guerrier, parcourait \nl\u2019arm\u00e9e en les encourageant.\nEt tous deux avaient \u00e9tendu \u00e9galement sur l\u2019un et l\u2019autre parti les \ncha\u00eenes du combat violent et de la guerre d\u00e9sastreuse, cha\u00eenes \ninfrangibles, indissolubles, et qui rompaient les genoux d\u2019un \ngrand nombre de h\u00e9ros.\nEt Idom\u00e9neus, bien qu\u2019\u00e0 demi blanc de vieillesse, exhortant \nles Danaens, bondit sur les t roiens qu\u2019il fit reculer. Et il tua \nOthryoneus de Kab\u00e8sos qui, venu r\u00e9cemment, attir\u00e9 par le bruit \nde la guerre, demandait Kassandr\u00e8, la plus belle des filles de \nPriamos. Et il n\u2019offrait point de pr\u00e9sents, mais il avait promis \nde repousser les fils des Akhaiens loin de t roi\u00e8. Et le vieillard 351\nL \u2019ILIADEPriamos avait jur\u00e9 de lui donner sa fille, et, sur cette promesse, \nil combattait bravement. Et, comme il s\u2019avan\u00e7ait avec fiert\u00e9, \nIdom\u00e9neus le frappa de sa lance \u00e9tincelante, et la cuirasse d\u2019ai -\nrain ne r\u00e9sista point au coup qui p\u00e9n\u00e9tra au milieu du ventre. Et \nil tomba avec bruit, et Idom\u00e9neus s\u2019\u00e9cria en l\u2019insultant :\n\u2013 Othryoneus ! je te proclame le premier des hommes si tu tiens \nla parole donn\u00e9e au Dardanide Priamos. Il t\u2019a promis sa fille, et \nc\u2019est nous qui accomplirons sa promesse. Et nous te donnerons \nla plus belle des filles d\u2019Agamemn\u00f4n, venue d\u2019Argos pour t\u2019\u00e9pou -\nser, si tu veux avec nous d\u00e9truire la ville bien peupl\u00e9e d\u2019Ilios. Mais \nsuis-nous dans les nefs qui traversent la mer, afin de convenir de \ntes noces, car nous aussi, nous sommes d\u2019excellents beaux-p\u00e8res !\nEt le h\u00e9ros Idom\u00e9neus parla ainsi, et il le tra\u00eenait par un pied \u00e0 \ntravers la m\u00eal\u00e9e.\nEt, pour venger Othryoneus, Asios accourut, \u00e0 pied devant son \nchar, et ses chevaux, retenus par leur conducteur, soufflaient sur \nses \u00e9paules. Et il d\u00e9sirait percer Idom\u00e9neus, mais celui-ci l\u2019at -\nteignit le premier, de sa lance, dans la gorge, sous le menton. \nEt la lance passa au travers du cou, et Asios tomba comme un \nch\u00eane ou comme un peuplier, ou comme un pin \u00e9lev\u00e9 que des \nconstructeurs de nefs, sur les montagnes, coupent de leurs haches 352CHAnt 13\nr\u00e9cemment aiguis\u00e9es. Ainsi le guerrier gisait \u00e9tendu devant ses \nchevaux et son char, grin\u00e7ant des dents et saisissant la poussi\u00e8re \nsanglante. Et le conducteur, \u00e9perdu, ne songeait pas \u00e0 \u00e9viter l\u2019en -\nnemi en faisant retourner les chevaux. Et le brave Antilokhos le \nfrappa de sa lance, et la cuirasse d\u2019airain ne r\u00e9sista pas au coup \nqui p\u00e9n\u00e9tra au milieu du ventre. Et l\u2019homme tomba, expirant, du \nchar habilement fait, et le fils du magnanime nest\u00f4r, Antilokhos, \nentra\u00eena les chevaux du c\u00f4t\u00e9 des Akhaiens aux belles kn\u00e8mides.\nEt D\u00e8iphobos, triste de la mort d\u2019Asios, s\u2019approchant d\u2019Idom\u00e9 -\nneus, lui lan\u00e7a sa pique \u00e9tincelante. Mais Idom\u00e9neus, l\u2019ayant aper -\n\u00e7ue, \u00e9vita la pique d\u2019airain en se couvrant de son bouclier d\u2019une \nrondeur \u00e9gale fait de peaux de b\u0153uf et d\u2019airain brillant, et qu\u2019il \nportait \u00e0 l\u2019aide de deux manches. Et il en \u00e9tait enti\u00e8rement cou -\nvert, et l\u2019airain vola par-dessus, effleurant le bouclier qui r\u00e9sonna. \nMais la lance ne s\u2019\u00e9chappa point en vain d\u2019une main vigoureuse, \net, frappant Hyps\u00e8n\u00f4r Hippaside, prince des peuples, elle s\u2019en -\nfon\u00e7a dans son foie et rompit ses genoux.\nEt D\u00e8iphobos cria en se glorifiant :\n\u2013 Asios ne mourra pas non veng\u00e9, et, en allant aux portes solides \nd\u2019Aid\u00e8s, il se r\u00e9jouira dans son brave c\u0153ur, car je lui ai donn\u00e9 \nun compagnon.353\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et ses paroles orgueilleuses emplirent les Argiens de \ndouleur, et surtout le brave Antilokhos. Mais, bien qu\u2019attrist\u00e9, il \nn\u2019oublia point son compagnon, et, courant tout autour, il le cou -\nvrit de son bouclier. Et deux autres compagnons bien-aim\u00e9s de \nHyps\u00e8n\u00f4r, M\u00e9kisteus et le divin Alast\u00f4r, l\u2019emport\u00e8rent en g\u00e9mis -\nsant dans les nefs creuses.\nEt Idom\u00e9neus ne laissait point reposer son courage, et il d\u00e9si -\nrait toujours envelopper quelque t roien de la nuit noire, ou tom -\nber lui-m\u00eame en sauvant les Akhaiens de leur ruine. Alors p\u00e9rit \nle fils bien-aim\u00e9 d\u2019Aisy\u00e9tas nourri par Zeus, le h\u00e9ros Alkathoos, \ngendre d\u2019Ankhis\u00e8s. Et il avait \u00e9pous\u00e9 Hippodam\u00e9ia, l\u2019a\u00een\u00e9e des \nfilles d\u2019Ankhis\u00e8s, tr\u00e8s ch\u00e8re, dans leur demeure, \u00e0 son p\u00e8re et \u00e0 sa \nm\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable. Et elle l\u2019emportait sur toutes ses compagnes par \nla beaut\u00e9, l\u2019habilet\u00e9 aux travaux et la prudence et c\u2019est pourquoi \nun grand chef l\u2019avait \u00e9pous\u00e9e dans la large troi\u00e8. Et Poseida\u00f4n \ndompta Alkathoos par les mains d\u2019Idom\u00e9neus. Et il \u00e9teignit ses \nyeux \u00e9tincelants, et il encha\u00eena ses beaux membres, de fa\u00e7on \u00e0 ce \nqu\u2019il ne p\u00fbt ni fuir ni se d\u00e9tourner, mais que, tout droit comme \nune colonne ou un arbre \u00e9lev\u00e9, il re\u00e7\u00fbt au milieu de la poitrine la \nlance du h\u00e9ros Idom\u00e9neus.\nEt sa cuirasse d\u2019airain, qui \u00e9loignait de lui la mort, r\u00e9sonna, rom -\npue par la lance. Et sa chute retentit, et la pointe d\u2019airain, dans 354CHAnt 13\nson c\u0153ur qui palpitait, remua jusqu\u2019\u00e0 ce que le rude Ar\u00e8s e\u00fbt \n\u00e9puis\u00e9 la force de la lance. Et Idom\u00e9neus cria d\u2019une voix terrible \nen se glorifiant :\n\u2013 D\u00e8iphobos ! je pense que les choses sont au moins \u00e9gales. En \nvoici trois de tu\u00e9s pour un, et tu te vantais en vain. Malheureux ! \nose m\u2019attendre, et tu verras ce que vaut la race de Zeus. Zeus \nengendra Min\u00f4s, gardien de la Kr\u00e8t\u00e8, et Min\u00f4s engendra un \nfils, l\u2019irr\u00e9prochable Deukali\u00f4n, et Deukali\u00f4n m\u2019engendra pour \n\u00eatre le chef de nombreux guerriers dans la grande Kr\u00e8t\u00e8, et mes \nnefs m\u2019ont amen\u00e9 ici pour ton malheur, celui de ton p\u00e8re et celui \ndes t roiens.\nIl parla ainsi, et D\u00e8iphobos d\u00e9lib\u00e9ra s\u2019il irait chercher pour sou -\ntien quelque autre des t roiens magnanimes, ou s\u2019il combat -\ntrait seul. Et il vit qu\u2019il valait mieux aller vers Ain\u00e9ias. Et il le \ntrouva debout aux derniers rangs, car il \u00e9tait irrit\u00e9 contre le divin \nPriamos qui ne l\u2019honorait pas, bien qu\u2019il f\u00fbt brave entre tous les \nguerriers. Et D\u00e8iphobos, s\u2019approchant, lui dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ain\u00e9ias, prince des t roiens, si la gloire te touche, viens prot\u00e9 -\nger ton beau-fr\u00e8re. Suis-moi, allons vers Alkathoos qui, \u00e9poux \nde ta s\u0153ur, a autrefois nourri ton enfance dans ses demeures. \nIdom\u00e9neus, illustre par sa lance, l\u2019a tu\u00e9.355\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et le c\u0153ur d\u2019Ain\u00e9ias fut \u00e9branl\u00e9 dans sa poitrine, \net il marcha pour combattre Idom\u00e9neus. Mais celui-ci ne fut \npoint saisi par la peur comme un enfant, et il attendit, de m\u00eame \nqu\u2019un sanglier des montagnes, certain de sa force, attend, dans \nun lieu d\u00e9sert, le tumulte des chasseurs qui s\u2019approchent. Son \ndos se h\u00e9risse, ses yeux lancent du feu, et il aiguise ses d\u00e9fenses \npour repousser aussit\u00f4t les chiens et les chasseurs. De m\u00eame \nIdom\u00e9neus, illustre par sa lance, ne recula point devant Ain\u00e9ias \nqui accourait au combat. Et il appela ses compagnons Askalaphos, \nAphar\u00e8os, D\u00e8ipyros, M\u00e8rion\u00e8s et Antilokhos. Et il leur dit en \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Accourez, amis, car je suis seul, et je crains Ain\u00e9ias aux pieds \nrapides qui vient sur moi. Il est tr\u00e8s brave, et c\u2019est un tueur \nd\u2019hommes, et il est dans la fleur de la jeunesse, \u00e0 l\u2019\u00e2ge o\u00f9 la force \nest la plus grande. Si nous \u00e9tions du m\u00eame \u00e2ge, avec mon courage, \nune grande gloire nous serait donn\u00e9e, \u00e0 lui ou \u00e0 moi.\nIl parla ainsi, et tous, avec une m\u00eame ardeur, ils l\u2019entour\u00e8rent, le \nbouclier sur l\u2019\u00e9paule. Et Ain\u00e9ias, de son c\u00f4t\u00e9, appela aussi ses com -\npagnons, D\u00e8iphobos, P\u00e2ris et le divin Ag\u00e8n\u00f4r, comme lui princes \ndes t roiens. Et leurs troupes les suivaient, telles que des trou -\npeaux de brebis qui suivent le b\u00e9lier hors du p\u00e2turage, pour aller \nboire. Et le berger se r\u00e9jouit dans son \u00e2me. De m\u00eame le c\u0153ur 356CHAnt 13\nd\u2019Ain\u00e9ias fut joyeux dans sa poitrine, en voyant la foule des guer -\nriers qui le suivaient.\nEt, autour d\u2019Alkathoos, tous dard\u00e8rent leurs longues lances, et, \nsur les poitrines, l\u2019horrible airain retentissait, tandis qu\u2019ils se frap -\npaient \u00e0 l\u2019envi. Et deux braves guerriers, Ain\u00e9ias et Idom\u00e9neus \nsemblable \u00e0 Ar\u00e8s, d\u00e9siraient surtout se percer de l\u2019airain cruel. Et \nAin\u00e9ias, le premier, lan\u00e7a sa pique contre Idom\u00e9neus ; mais celui-ci, \nl\u2019ayant aper\u00e7ue, \u00e9vita la pique d\u2019airain qui s\u2019enfon\u00e7a en vibrant \ndans la terre, inutile, bien que partie d\u2019une main vigoureuse.\nEt Idom\u00e9neus frappa Oinomaos au milieu du ventre, et la cui -\nrasse fut rompue, et l\u2019airain s\u2019enfon\u00e7a dans les intestins, et le guer -\nrier tomba en saisissant la terre avec les mains. Et Idom\u00e9neus \narracha la lance du cadavre, mais il ne put d\u00e9pouiller les \u00e9paules \nde leurs belles armes, car il \u00e9tait accabl\u00e9 par les traits. Et il n\u2019avait \nplus les pieds vigoureux avec lesquels il s\u2019\u00e9lan\u00e7ait autrefois pour \nreprendre sa pique ou pour \u00e9viter celle de l\u2019ennemi. Il \u00e9loignait \nencore de pied ferme son jour fatal, mais il ne pouvait plus \nfuir ais\u00e9ment.\nEt D\u00e8iphobos, comme il se retirait lentement, toujours irrit\u00e9 \ncontre lui, voulut le frapper de sa lance \u00e9tincelante ; mais il le \nmanqua, et la lance per\u00e7a Askalaphos, fils de Ar\u00e8s. Et la forte 357\nL \u2019ILIADElance s\u2019enfon\u00e7a dans l\u2019\u00e9paule, et le guerrier tomba, saisissant la \nterre avec ses mains.\nEt le terrible Ar\u00e8s plein de clameurs ignorait que son fils f\u00fbt \ntomb\u00e9 mort dans la m\u00eal\u00e9e violente.\nEt il \u00e9tait assis au sommet de l\u2019Olympos, sous les nu\u00e9es d\u2019or, retenu \npar la volont\u00e9 de Zeus, ainsi que les autres dieux immortels, loin \ndu combat.\nEt tous se ru\u00e8rent autour d\u2019Askalaphos. Et comme D\u00e8iphobos \nenlevait son casque brillant, M\u00e8rion\u00e8s, semblable au rapide Ar\u00e8s, \nbondit, et, de sa lance, per\u00e7a le bras du t roien qui laissa \u00e9chap -\nper le casque sonore. Et M\u00e8rion\u00e8s bondit de nouveau comme un \nvautour, et arracha du bras bless\u00e9 sa forte lance, et rentra dans les \nrangs de ses compagnons. Et Polit\u00e8s, fr\u00e8re de D\u00e8iphobos, entou -\nrant celui-ci de ses bras, l\u2019entra\u00eena hors de la m\u00eal\u00e9e, derri\u00e8re les \nrangs, o\u00f9 se tenaient ses chevaux rapides, et le char \u00e9clatant, et \nleur conducteur. Et ils le port\u00e8rent dans la ville, poussant des \ng\u00e9missements. Et le sang coulait de sa blessure fra\u00eeche. Et les \nautres combattaient toujours, et une immense clameur s\u2019\u00e9levait.358CHAnt 13\nEt Ain\u00e9ias, se ruant sur Aphar\u00e8os Kal\u00e8toride, le frappa \u00e0 la gorge \nde sa lance aigu\u00eb ; et la t\u00eate s\u2019inclina, et le bouclier tomba, et le \ncasque aussi, et la mort fatale l\u2019enveloppa.\nEt Antilokhos, apercevant le dos de t ho\u00f4n, le frappa imp\u00e9tueu -\nsement, et il trancha la veine qui, courant le long du dos, arrive \nau cou. Le t roien tomba \u00e0 la renverse sur la poussi\u00e8re, \u00e9tendant \nles deux mains vers ses compagnons bien-aim\u00e9s. Et Antilokhos \naccourut, et, regardant autour de lui, enleva ses belles armes de \nses \u00e9paules.\nEt les t roiens, l\u2019entourant aussit\u00f4t, accablaient de traits son beau \net large bouclier ; mais ils ne purent d\u00e9chirer avec l\u2019airain cruel \nle corps d\u00e9licat d\u2019Antilokhos, car Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre \nprot\u00e9geait le n est\u00f4ride contre la multitude des traits. Et celui-ci \nne s\u2019\u00e9loignait point de l\u2019ennemi, mais il tournait sur lui-m\u00eame, \nagitant sans cesse sa lance et cherchant qui il pourrait frapper de \nloin, ou de pr\u00e8s.\nEt Adamas Asiade, l\u2019ayant aper\u00e7u dans la m\u00eal\u00e9e, le frappa de l\u2019ai -\nrain aigu au milieu du bouclier ; mais Poseida\u00f4n aux cheveux \nbleus refusa au t roien la vie d\u2019Antilokhos, et la moiti\u00e9 du trait \nresta dans le bouclier comme un pieu \u00e0 demi br\u00fbl\u00e9, et l\u2019autre \ntomba sur la terre. Et comme Adamas fuyait la mort dans les 359\nL \u2019ILIADErangs de ses compagnons, M\u00e8rion\u00e8s, le poursuivant, le per\u00e7a \nentre les parties m\u00e2les et le nombril, l\u00e0 o\u00f9 une plaie est mor -\ntelle pour les hommes lamentables. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il enfon\u00e7a sa lance, \net Adamas tomba palpitant sous le coup, comme un taureau, \ndompt\u00e9 par la force des liens, que des bouviers ont men\u00e9 sur les \nmontagnes. Ainsi Adamas bless\u00e9 palpita, mais peu de temps, car \nle h\u00e9ros M\u00e8rion\u00e8s arracha la lance de la plaie, et les t\u00e9n\u00e8bres se \nr\u00e9pandirent sur les yeux du t roien.\nEt H\u00e9l\u00e9nos, de sa grande \u00e9p\u00e9e de t hr\u00e8k\u00e8, frappa D\u00e8ipyros \u00e0 \nla tempe, et le casque roula sur la terre, et un des Akhaiens le \nramassa sous les pieds des combattants. Et la nuit couvrit les yeux \nde D\u00e8ipyros.\nEt la douleur saisit le brave Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos qui s\u2019avan\u00e7a contre \nle prince H\u00e9l\u00e9nos, en lan\u00e7ant sa longue pique. Et le t roien bandait \nson arc, et tous deux dard\u00e8rent \u00e0 la fois, l\u2019un sa lance aigu\u00eb, l\u2019autre \nla fl\u00e8che jaillissant du nerf. Et le Priamide frappa de sa fl\u00e8che la \ncuirasse bomb\u00e9e, et le trait acerbe y rebondit. De m\u00eame que, dans \nl\u2019aire spacieuse, les f\u00e8ves noires ou les pois, au souffle du vent et \nsous l\u2019effort du vanneur, rejaillissent du large van, de m\u00eame la \nfl\u00e8che acerbe rebondit loin de la cuirasse de l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos.360CHAnt 13\nEt le brave Atr\u00e9ide frappa la main qui tenait l\u2019arc poli, et la lance \naigu\u00eb attacha la main \u00e0 l\u2019arc, et H\u00e9l\u00e9nos rentra dans la foule de \nses compagnons, \u00e9vitant la mort et tra\u00eenant le fr\u00eane de la lance \nsuspendu \u00e0 sa main. Et le magnanime Ag\u00e8n\u00f4r arracha le trait de \nla blessure qu\u2019il entoura d\u2019une fronde en laine qu\u2019un serviteur \ntenait \u00e0 son c\u00f4t\u00e9.\nEt Peisandros marcha contre l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos, et la moire \nfatale le conduisait au seuil de la mort, pour qu\u2019il f\u00fbt dompt\u00e9 par \ntoi, M\u00e9n\u00e9laos, dans le rude combat. Quand ils se furent rencon -\ntr\u00e9s, l\u2019Atr\u00e9ide le manqua, et Peisandros frappa le bouclier de l\u2019il -\nlustre M\u00e9n\u00e9laos ; mais il ne put traverser l\u2019airain, et le large bou -\nclier repoussa la pique dont la pointe se rompit. Et Peisandros \nse r\u00e9jouissait dans son esprit, esp\u00e9rant la victoire, et l\u2019illustre \nAtr\u00e9ide, ayant tir\u00e9 l\u2019\u00e9p\u00e9e aux clous d\u2019argent, sauta sur lui ; mais le \ntroien saisit, sous le bouclier, la belle hache \u00e0 deux tranchants, au \nmanche d\u2019olivier, faite d\u2019un airain excellent, et ils combattirent.\nPeisandros frappa le c\u00f4ne du casque au sommet, pr\u00e8s de la cri -\nni\u00e8re, et lui-m\u00eame fut atteint au front, au-dessus du nez. Et ses \nos cri\u00e8rent, et ses yeux ensanglant\u00e9s jaillirent \u00e0 ses pieds, dans la 361\nL \u2019ILIADEpoussi\u00e8re ; et il se renversa et tomba. Et M\u00e9n\u00e9laos, lui mettant le \npied sur la poitrine, lui arracha ses armes et dit en se glorifiant :\n\u2013 Vous laisserez ainsi les nefs des cavaliers Danaens, \u00f4 parjures, \ninsatiables de la rude bataille ! Vous ne m\u2019avez \u00e9pargn\u00e9 ni un \noutrage, ni un opprobre, mauvais chiens, qui n\u2019avez pas redout\u00e9 \nla col\u00e8re terrible de Zeus hospitalier qui tonne fortement et qui \nd\u00e9truira votre haute citadelle ; car vous \u00eates venus sans cause, \napr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 re\u00e7us en amis, m\u2019enlever, avec toutes mes richesses, \nla femme que j\u2019avais \u00e9pous\u00e9e vierge. Et, maintenant, voici que \nvous tentez de jeter la flamme d\u00e9sastreuse sur nos nefs qui tra -\nversent la mer, et de tuer les h\u00e9ros Akhaiens ! Mais vous serez \nr\u00e9prim\u00e9s, bien que remplis de fureur guerri\u00e8re. \u00d4 p\u00e8re Zeus, on \ndit que tu surpasses en sagesse tous les hommes et tous les dieux, \net c\u2019est de toi que viennent ces choses ! n\u2019es-tu pas favorable aux \ntroiens parjures, dont l\u2019esprit est impie, et qui ne peuvent \u00eatre ras -\nsasi\u00e9s par la guerre d\u00e9sastreuse ? Certes, la sati\u00e9t\u00e9 nous vient de \ntout, du sommeil, de l\u2019amour, du chant et de la danse charmante, \nqui, cependant, nous plaisent plus que la guerre ; mais les t roiens \nsont insatiables de combats.\nAyant ainsi parl\u00e9, l\u2019irr\u00e9prochable M\u00e9n\u00e9laos arracha les armes san -\nglantes du cadavre, et les remit \u00e0 ses compagnons ; et il se m\u00eala \nde nouveau \u00e0 ceux qui combattaient en avant. Et le fils du roi 362CHAnt 13\nPylaim\u00e9neus, Harpali\u00f4n, se jeta sur lui. Et il avait suivi son p\u00e8re \nbien-aim\u00e9 \u00e0 la guerre de t roi\u00e8, et il ne devait point retourner \ndans la terre de la patrie. De sa pique il frappa le milieu du bou -\nclier de l\u2019Atr\u00e9ide, mais l\u2019airain ne put le traverser, et Harpali\u00f4n, \n\u00e9vitant la mort, se r\u00e9fugia dans la foule de ses compagnons, regar -\ndant de tous c\u00f4t\u00e9s pour ne pas \u00eatre frapp\u00e9 de l\u2019airain. Et, comme \nil fuyait, M\u00e8rion\u00e8s lui lan\u00e7a une fl\u00e8che d\u2019airain, et il le per\u00e7a \u00e0 la \ncuisse droite, et la fl\u00e8che p\u00e9n\u00e9tra, sous l\u2019os, jusque dans la ves -\nsie. Et il tomba entre les bras de ses chers compagnons, rendant \nl\u2019\u00e2me. Il gisait comme un ver sur la terre, et son sang noir cou -\nlait, baignant la terre. Et les magnanimes Paphlagones, s\u2019empres -\nsant et g\u00e9missant, le d\u00e9pos\u00e8rent sur son char pour \u00eatre conduit \u00e0 \nla sainte Ilios ; et son p\u00e8re, r\u00e9pandant des larmes, allait avec eux, \nnul n\u2019ayant veng\u00e9 son fils mort.\nEt P\u00e2ris, irrit\u00e9 dans son \u00e2me de cette mort, car Harpali\u00f4n \u00e9tait son \nh\u00f4te entre les nombreux Paphlagones, lan\u00e7a une fl\u00e8che d\u2019airain. \nEt il y avait un guerrier Akhaien, Eukh\u00e8nor, fils du divinateur \nPolyidos, riche et brave, et habitant Korinthos. Et il \u00e9tait mont\u00e9 \nsur sa nef, subissant sa destin\u00e9e, car le bon Polyidos lui avait dit \nsouvent qu\u2019il mourrait, dans ses demeures, d\u2019un mal cruel, ou que \nles t roiens le tueraient parmi les nefs des Akhaiens. Et il avait \nvoulu \u00e9viter \u00e0 la fois la lourde amende des Akhaiens, et la mala -\ndie cruelle qui l\u2019aurait accabl\u00e9 de douleurs, mais P\u00e2ris le per\u00e7a 363\nL \u2019ILIADEau-dessous de l\u2019oreille, et l\u2019\u00e2me s\u2019envola de ses membres, et une \nhorrible nu\u00e9e l\u2019enveloppa.\ntandis qu\u2019ils combattaient, pareils au feu ardent, Hekt\u00f4r cher \u00e0 \nZeus ignorait qu\u2019\u00e0 la gauche des nefs ses peuples \u00e9taient d\u00e9faits \npar les Argiens, tant celui qui \u00e9branle la terre animait les Danaens \net les p\u00e9n\u00e9trait de sa force. Et le Priamide se tenait l\u00e0 o\u00f9 il avait \nfranchi les portes et o\u00f9 il enfon\u00e7ait les \u00e9paisses lignes des Danaens \nporteurs de boucliers. L\u00e0, les nefs d\u2019Aias et de Pr\u00f4t\u00e9silaos avaient \n\u00e9t\u00e9 tir\u00e9es sur le rivage de la blanche mer, et le mur y \u00e9tait peu \n\u00e9lev\u00e9. L\u00e0 aussi \u00e9taient les plus furieux combattants, et les chevaux, \nles Boi\u00f4tiens, les Ia\u00f4nes aux longs v\u00eatements, les Lokriens, les \nPhthiotes et les illustres \u00c9p\u00e9iens, qui soutenaient l\u2019assaut autour \ndes nefs et ne pouvaient repousser le divin Hekt\u00f4r semblable \u00e0 \nla flamme.\nEt l\u00e0 \u00e9taient aussi les braves Ath\u00e8naiens que conduisait \nM\u00e9n\u00e8stheus, fils de P\u00e9t\u00e9os, suivi de Pheidas, de Stikhios et du \ngrand Bias. Et les chefs des \u00c9p\u00e9iens \u00e9taient M\u00e9g\u00e8s Phyl\u00e9ide, \nAmphi\u00f4n et Drakios. Et les chefs des Phthiotes \u00e9taient M\u00e9d\u00f4n \net l\u2019agile M\u00e9n\u00e9ptol\u00e8mos. M\u00e9d\u00f4n \u00e9tait fils b\u00e2tard du divin Oileus, \net fr\u00e8re d\u2019Aias, et il habitait Phylak\u00e8, loin de la terre de la patrie, \nayant tu\u00e9 le fr\u00e8re de sa belle-m\u00e8re \u00c9riopis ; et M\u00e9n\u00e9ptol\u00e8mos \u00e9tait \nfils d\u2019Iphiklos Phylakide. Et ils combattaient tous deux en t\u00eate 364CHAnt 13\ndes Phthiotes magnanimes, parmi les Boi\u00f4tiens, pour d\u00e9fendre \nles nefs.\nEt Aias, le fils agile d\u2019Oileus, se tenait toujours aupr\u00e8s \nd\u2019Aias t \u00e9lam\u00f4nien.\nComme deux b\u0153ufs noirs tra\u00eenent ensemble, d\u2019un souffle \u00e9gal, \nune lourde charrue dans une terre nouvelle, tandis que la sueur \ncoule de la racine de leurs cornes, et que, li\u00e9s \u00e0 distance au m\u00eame \njoug, ils vont dans le sillon, ouvrant du soc la terre profonde, de \nm\u00eame les deux Aias allaient ensemble. Mais de nombreux et \nbraves guerriers suivaient le t \u00e9lam\u00f4niade et portaient son bou -\nclier, quand la fatigue et la sueur rompaient ses genoux. Et les \nLokriens ne suivaient pas le magnanime Oil\u00e8iade, car il ne leur \nplaisait pas de combattre en ligne. Ils n\u2019avaient ni casques d\u2019ai -\nrain h\u00e9riss\u00e9s de crins de cheval, ni boucliers bomb\u00e9s, ni lances \nde fr\u00eane ; et ils \u00e9taient venus devant t roi\u00e8 avec des arcs et des \nfrondes de laine, et ils en accablaient et en rompaient sans cesse \nles phalanges t roiennes. Et les premiers combattaient, couverts \nde leurs belles armes, contre les t roiens et Hekt\u00f4r arm\u00e9 d\u2019airain, \net les autres, cach\u00e9s derri\u00e8re ceux-l\u00e0, lan\u00e7aient sans cesse des \nfl\u00e8ches innombrables.365\nL \u2019ILIADEAlors, les t roiens se fussent enfuis mis\u00e9rablement, loin des \ntentes et des nefs, vers la sainte Ilios, si Polydamas n\u2019e\u00fbt dit au \nbrave Hekt\u00f4r :\n\u2013 Hekt\u00f4r, il est impossible que tu \u00e9coutes un conseil. Parce qu\u2019un \ndieu t\u2019a donn\u00e9 d\u2019exceller dans la guerre, tu veux aussi l\u2019emporter \npar la sagesse. Mais tu ne peux tout poss\u00e9der. Les dieux accordent \naux uns le courage, aux autres l\u2019art de la danse, \u00e0 l\u2019autre la kithare \net le chant. Le pr\u00e9voyant Zeus mit un esprit sage en celui-ci, et les \nhommes en profitent, et il sauvegarde les cit\u00e9s, et il recueille pour \nlui-m\u00eame le fruit de sa prudence.\nLa couronne de la guerre \u00e9clate de toutes parts autour de toi, et \nles t roiens magnanimes qui ont franchi la muraille fuient avec \nleurs armes, ou combattent en petit nombre contre beaucoup, \ndispers\u00e9s autour des nefs. Retourne, et appelle ici tous les chefs, \nafin que nous d\u00e9lib\u00e9rions en conseil si nous devons nous ruer sur \nles nefs, en esp\u00e9rant qu\u2019un dieu nous accorde la victoire, ou s\u2019il \nnous faut reculer avant d\u2019\u00eatre entam\u00e9s. Je crains que les Akhaiens \nne vengent leur d\u00e9faite d\u2019hier, car il y a dans les nefs un homme \ninsatiable de guerre, qui, je pense, ne s\u2019abstiendra pas longtemps \nde combat.366CHAnt 13\nPolydamas parla ainsi, et son conseil prudent persuada Hekt\u00f4r, et \nil sauta de son char \u00e0 terre avec ses armes, et il dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Polydamas, retiens ici tous les chefs. Moi, j\u2019irai au milieu du \ncombat et je reviendrai bient\u00f4t, les ayant convoqu\u00e9s.\nIl parla ainsi, et se pr\u00e9cipita, pareil \u00e0 une montagne neigeuse, \nparmi les t roiens et les alli\u00e9s, avec de hautes clameurs. Et, \nayant entendu la voix de Hekt\u00f4r, ils accouraient tous aupr\u00e8s du \nPanthoide Polydamas. Et le Priamide Hekt\u00f4r allait, cherchant \nparmi les combattants, D\u00e8iphobos et le roi H\u00e9l\u00e9nos, et l\u2019Asiade \nAdamas et le Hyrtakide Asios. Et il les trouva tous, ou bless\u00e9s, ou \nmorts, autour des nefs et des poupes des Akhaiens, ayant rendu \nl\u2019\u00e2me sous les mains des Argiens.\nEt il vit, \u00e0 la gauche de cette bataille meurtri\u00e8re, le divin \nAlexandros, l\u2019\u00e9poux de H\u00e9l\u00e9n\u00e8 \u00e0 la belle chevelure, animant ses \ncompagnons au combat. Et, s\u2019arr\u00eatant devant lui, il lui dit ces \nparoles outrageantes :\n\u2013 Mis\u00e9rable P\u00e2ris, dou\u00e9 d\u2019une grande beaut\u00e9, s\u00e9ducteur de \nfemmes, o\u00f9 sont D\u00e8iphobos, le roi H\u00e9l\u00e9nos, et l\u2019Asiade Adamas \net le Hyrtakide Asios ? O\u00f9 est Othryoneus ? Aujourd\u2019hui la sainte \nIlios croule de son fa\u00eete, et tu as \u00e9vit\u00e9 seul cette ruine terrible.367\nL \u2019ILIADEEt le divin Alexandros lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, tu te plais \u00e0 m\u2019accuser quand je ne suis point coupable. \nParfois je me suis retir\u00e9 du combat, mais ma m\u00e8re ne m\u2019a point \nenfant\u00e9 l\u00e2che. Depuis que tu as excit\u00e9 la lutte de nos compagnons \naupr\u00e8s des nefs, nous avons combattu sans cesse les Danaens. \nCeux que tu demandes sont morts. Seuls, D\u00e8iphobos et le roi \nH\u00e9l\u00e9nos ont \u00e9t\u00e9 tous deux bless\u00e9s \u00e0 la main par de longues lances ; \nmais le Kroni\u00f4n leur a \u00e9pargn\u00e9 la mort. Conduis-nous donc o\u00f9 \nton c\u0153ur et ton esprit t\u2019ordonnent d\u2019aller, et nous serons prompts \n\u00e0 te suivre, et je ne pense pas que nous cessions le combat tant \nque nos forces le permettront. Il n\u2019est permis \u00e0 personne de com -\nbattre au-del\u00e0 de ses forces.\nAyant ainsi parl\u00e9, le h\u00e9ros fl\u00e9chit l\u2019\u00e2me de son fr\u00e8re, et ils coururent \nl\u00e0 o\u00f9 la m\u00eal\u00e9e \u00e9tait la plus furieuse, l\u00e0 o\u00f9 \u00e9taient K\u00e9brion\u00e8s et l\u2019ir -\nr\u00e9prochable Polydamas, Phak\u00e8s, Orthaios, le divin Polyphoit\u00e8s, et \nPalmys, et Askanios et Moros, fils de Hippoti\u00f4n.\nEt ceux-ci avaient succ\u00e9d\u00e9 depuis la veille aux autres guerriers de \nla fertile Askani\u00e8, et d\u00e9j\u00e0 Zeus les poussait au combat.\nEt tous allaient, semblables aux tourbillons de vent que le p\u00e8re \nZeus envoie avec le tonnerre par les campagnes, et dont le bruit 368CHAnt 13\nse m\u00eale au retentissement des grandes eaux bouillonnantes et \nsoulev\u00e9es de la mer aux rumeurs sans nombre, qui se gonflent, \nblanches d\u2019\u00e9cume, et roulent les unes sur les autres.\nAinsi les t roiens se succ\u00e9daient derri\u00e8re leurs chefs \u00e9clatants d\u2019ai -\nrain. Et le Priamide Hekt\u00f4r les menait, semblable au terrible Ar\u00e8s, \net il portait devant lui son bouclier \u00e9gal fait de peaux \u00e9paisses \nrecouvertes d\u2019airain. Et autour de ses tempes resplendissait son \ncasque mouvant, et, sous son bouclier, il marchait contre les pha -\nlanges, cherchant \u00e0 les enfoncer de tous c\u00f4t\u00e9s. Mais il n\u2019\u00e9branla \npoint l\u2019\u00e2me des Akhaiens dans leurs poitrines, et Aias, le premier, \ns\u2019avan\u00e7a en le provoquant :\n\u2013 Viens, malheureux ! Pourquoi tentes-tu d\u2019effrayer les Argiens ? \nnous ne sommes pas inhabiles au combat. C\u2019est le fouet fatal de \nZeus qui nous \u00e9prouve. t u esp\u00e8res sans doute, dans ton esprit, \nd\u00e9truire nos nefs, mais nos mains te repousseront, et bient\u00f4t ta \nville bien peupl\u00e9e sera prise et renvers\u00e9e par nous.\nEt je te le dis, le temps viendra o\u00f9, fuyant, tu supplieras le p\u00e8re \nZeus et les autres immortels pour que tes chevaux soient plus \nrapides que l\u2019\u00e9pervier, tandis qu\u2019ils t\u2019emporteront vers la ville \u00e0 \ntravers la poussi\u00e8re de la plaine.369\nL \u2019ILIADEEt, comme il parlait ainsi, un aigle vola \u00e0 sa droite dans les hau -\nteurs, et les Akhaiens se r\u00e9jouirent de cet augure. Et l\u2019illustre \nHekt\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Aias, orgueilleux et insens\u00e9, qu\u2019as-tu dit ? Pl\u00fbt aux dieux que je \nfusse le fils de Zeus temp\u00e9tueux, et que la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 m\u2019e\u00fbt \nenfant\u00e9, aussi vrai que ce jour sera fatal aux Argiens, et que tu \ntomberas toi-m\u00eame, si tu oses attendre ma longue lance qui \nd\u00e9chirera ton corps d\u00e9licat, et que tu rassasieras les chiens d\u2019Ilios \net les oiseaux carnassiers de ta graisse et de ta chair, aupr\u00e8s des \nnefs des Akhaiens !\nAyant ainsi parl\u00e9, il se rua en avant, et ses compagnons le suivirent \navec une immense clameur que l\u2019arm\u00e9e r\u00e9p\u00e9ta par derri\u00e8re. Et les \nArgiens, se souvenant de leur vigueur, r\u00e9pondirent par d\u2019autres \ncris, et la clameur des deux peuples monta jusque dans l\u2019aith\u00e8r, \nparmi les splendeurs de Zeus.370CHAnt 13371\nL \u2019ILIADEChant 14\ntout en buvant, n est\u00f4r entendit la clameur des hommes, et il dit \n\u00e0 l\u2019Askl\u00e8piade ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Divin Makha\u00f4n, que deviendront ces choses ? Voici que la \nclameur des jeunes hommes grandit autour des nefs. Reste ici, et \nbois ce vin qui r\u00e9chauffe, tandis que H\u00e9kam\u00e8d\u00e8 aux beaux che -\nveux fait ti\u00e9dir l\u2019eau qui lavera le sang de ta plaie. Moi, j\u2019irai sur la \nhauteur voir ce qui en est.\nAyant ainsi parl\u00e9, il saisit dans sa tente le bouclier de son fils, le \nbrave t hrasym\u00e8d\u00e8s qui, lui-m\u00eame, avait pris le bouclier \u00e9cla -\ntant d\u2019airain de son p\u00e8re, et il saisit aussi une forte lance \u00e0 pointe \nd\u2019airain, et, sortant de la tente, il vit une chose lamentable : les \nAkhaiens boulevers\u00e9s et les t roiens magnanimes les poursuivant, \net le mur des Akhaiens renvers\u00e9. De m\u00eame, quand l\u2019onde silen -\ncieuse de la grande mer devient toute noire, dans le pressenti -\nment des vents imp\u00e9tueux, et reste immobile, ne sachant encore \nde quel c\u00f4t\u00e9 ils souffleront ; de m\u00eame, le vieillard, h\u00e9sitant, ne \nsavait s\u2019il se m\u00ealerait \u00e0 la foule des cavaliers Danaens, ou s\u2019il irait 372CHAnt 14\nrejoindre Agamemn\u00f4n, le prince des peuples. Mais il jugea qu\u2019il \n\u00e9tait plus utile de rejoindre l\u2019Atr\u00e9ide.\nEt t roiens et Danaens s\u2019entre-tuaient dans la m\u00eal\u00e9e, et l\u2019airain \nsolide sonnait autour de leurs corps, tandis qu\u2019ils se frappaient \nde leurs \u00e9p\u00e9es et de leurs lances \u00e0 deux pointes.\nEt n est\u00f4r rencontra, venant des nefs, les rois divins que l\u2019airain \navait bless\u00e9s, le t yd\u00e9ide, et Odysseus, et l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n.\nLeurs nefs \u00e9taient \u00e9loign\u00e9es du champ de bataille, ayant \u00e9t\u00e9 tir\u00e9es \nles premi\u00e8res sur le sable de la blanche mer ; car celles qui vinrent \nles premi\u00e8res s\u2019avan\u00e7aient jusque dans la plaine, et le mur pro -\nt\u00e9geait leurs poupes. t out large qu\u2019il \u00e9tait, le rivage ne pouvait \ncontenir toutes les nefs sans resserrer le camp ; et les Akhaiens \nles avaient rang\u00e9es par files, dans la gorge du rivage, entre les \ndeux promontoires.\nEt les rois, l\u2019\u00e2me attrist\u00e9e dans leur poitrine, venaient ensemble, \nappuy\u00e9s sur leurs lances. Et leur esprit s\u2019effraya quand ils virent le \nvieux n est\u00f4r, et le roi Agamemn\u00f4n lui dit aussit\u00f4t :\n\u2013 \u00d4 n est\u00f4r n \u00e8l\u00e8iade, gloire des Akhaiens, pourquoi reviens-tu de \nce combat fatal ? Je crains que le brave Hekt\u00f4r n\u2019accomplisse la 373\nL \u2019ILIADEmenace qu\u2019il a faite, dans l\u2019agora des t roiens, de ne rentrer dans \nIlios qu\u2019apr\u00e8s avoir br\u00fbl\u00e9 les nefs et tu\u00e9 tous les Akhaiens. Il l\u2019a \ndit et il le fait. Ah ! certes, les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides ont \ncontre moi la m\u00eame col\u00e8re qu\u2019Akhilleus, et ils ne veulent plus \ncombattre autour des nefs.\nEt le cavalier G\u00e9rennien n est\u00f4r lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, tu dis vrai, et Zeus qui tonne dans les hauteurs n\u2019y peut \nrien lui-m\u00eame. Le mur est renvers\u00e9 que nous nous flattions \nd\u2019avoir \u00e9lev\u00e9 devant les nefs comme un rempart inaccessible.\nEt voici que les t roiens combattent maintenant au milieu des nefs, \net nous ne saurions reconna\u00eetre, en regardant avec le plus d\u2019atten -\ntion, de quel c\u00f4t\u00e9 les Akhaiens roulent boulevers\u00e9s.\nMais ils tombent partout, et leurs clameurs montent dans l\u2019Ou -\nranos. Pour nous, d\u00e9lib\u00e9rons sur ces calamit\u00e9s, si toutefois une \nr\u00e9solution peut \u00eatre utile. Je ne vous engage point \u00e0 retourner \ndans la m\u00eal\u00e9e, car un bless\u00e9 ne peut combattre.374CHAnt 14\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 nest\u00f4r, puisque le combat est au milieu des nefs, et que le mur et \nle foss\u00e9 ont \u00e9t\u00e9 inutiles qui ont co\u00fbt\u00e9 tant de travaux aux Danaens, \net qui devaient, pensions-nous, \u00eatre un rempart inaccessible, c\u2019est \nqu\u2019il pla\u00eet, sans doute, au tr\u00e8s-puissant Zeus que les Akhaiens \np\u00e9rissent tous, sans gloire, loin d\u2019Argos. Je reconnaissais autrefois \nqu\u2019il secourait les Danaens, mais je sais maintenant qu\u2019il honore \nles t roiens comme des bienheureux, et qu\u2019il encha\u00eene notre \nvigueur et nos mains. Allons, ob\u00e9issez \u00e0 mes paroles. tra\u00eenons \u00e0 \nla mer les nefs qui en sont le plus rapproch\u00e9es. Restons sur nos \nancres jusqu\u2019\u00e0 la nuit ; et, si les t roiens cessent le combat, nous \npourrons mettre \u00e0 la mer divine le reste de nos nefs. Il n\u2019y a nulle \nhonte \u00e0 fuir notre ruine enti\u00e8re \u00e0 l\u2019aide de la nuit, et mieux vaut \nfuir les maux que d\u2019en \u00eatre accabl\u00e9.\nEt le sage Odysseus, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, lui dit :\n\u2013 Atr\u00e9ide, quelle parole mauvaise a pass\u00e9 \u00e0 travers tes dents ? tu \ndevrais conduire une arm\u00e9e de l\u00e2ches au lieu de nous comman -\nder, nous \u00e0 qui Zeus a donn\u00e9 de poursuivre les guerres rudes, de \nla jeunesse \u00e0 la vieillesse, et jusqu\u2019\u00e0 la mort. Ainsi, tu veux renon -\ncer \u00e0 la grande ville des t roiens pour laquelle nous avons souffert \ntant de maux ? tais-toi. Que nul d\u2019entre les Akhaiens n\u2019entende 375\nL \u2019ILIADEcette parole que n\u2019aurait d\u00fb prononcer aucun homme d\u2019un esprit \njuste, un roi \u00e0 qui ob\u00e9issent des peuples aussi nombreux que ceux \nauxquels tu commandes parmi les Akhaiens. Moi, je condamne \ncette parole que tu as dite, cet ordre de tra\u00eener \u00e0 la mer les nefs \nbien construites, loin des clameurs du combat. n e serait-ce pas \ncombler les d\u00e9sirs des t roiens d\u00e9j\u00e0 victorieux ? Comment les \nAkhaiens soutiendraient-ils le combat, pendant qu\u2019ils tra\u00eene -\nraient les nefs \u00e0 la mer ? Ils ne songeraient qu\u2019aux nefs et n\u00e9glige -\nraient le combat. t on conseil nous serait fatal, prince des peuples !\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 Odysseus, tes rudes paroles ont p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 dans mon c\u0153ur. Je ne \nveux point que les fils des Akhaiens tra\u00eenent \u00e0 la mer, contre leur \ngr\u00e9, les nefs bien construites. Maintenant, si quelqu\u2019un a un meil -\nleur conseil \u00e0 donner, jeune ou vieux, qu\u2019il parle, et sa parole me \nremplira de joie.\nEt le brave Diom\u00e8d\u00e8s parla ainsi au milieu d\u2019eux :\n\u2013 Celui-l\u00e0 est pr\u00e8s de vous, et nous ne chercherons pas longtemps, \nsi vous voulez ob\u00e9ir. Et vous ne me bl\u00e2merez point de parler \nparce que je suis le plus jeune, car je suis n\u00e9 d\u2019un p\u00e8re illustre et je \ndescends d\u2019une race glorieuse. Et mon p\u00e8re est t ydeus qui occupe 376CHAnt 14\nun large s\u00e9pulcre dans t h\u00e8b\u00e8. Portheus engendra trois fils irr\u00e9 -\nprochables qui habitaient Pleur\u00f4n et la haute Kalyd\u00f4n : Agrios, \nM\u00e9las, et le troisi\u00e8me \u00e9tait le cavalier Oineus, le p\u00e8re de mon p\u00e8re, \net le plus brave des trois. Et celui-ci demeura chez lui, mais mon \np\u00e8re habita Argos. Ainsi le voulurent Zeus et les autres dieux. Et \nmon p\u00e8re \u00e9pousa une des filles d\u2019Adrest\u00e8s, et il habitait une mai -\nson pleine d\u2019abondance, car il poss\u00e9dait beaucoup de champs fer -\ntiles entour\u00e9s de grands vergers. Et ses brebis \u00e9taient nombreuses, \net il \u00e9tait illustre par sa lance entre tous les Akhaiens. Vous savez \nque je dis la v\u00e9rit\u00e9, que ma race n\u2019est point vile, et vous ne m\u00e9pri -\nserez point mes paroles. Allons vers le champ de bataille, bien \nque bless\u00e9s, loin des traits, afin que nous ne recevions pas bles -\nsure sur blessure ; mais animons et excitons les Akhaiens qui d\u00e9j\u00e0 \nse lassent et cessent de combattre courageusement.\nIl parla ainsi, et ils l\u2019\u00e9cout\u00e8rent volontiers et lui ob\u00e9irent. Et le roi \ndes hommes, Agamemn\u00f4n, les pr\u00e9c\u00e9dait. Et l\u2019illustre qui \u00e9branle \nla terre les vit et vint \u00e0 eux sous la forme d\u2019un vieillard. Il prit la \nmain droite de l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, et il lui dit :\n\u2013 Atr\u00e9ide, maintenant le c\u0153ur f\u00e9roce d\u2019Akhilleus se r\u00e9jouit dans sa \npoitrine, en voyant la fuite et le carnage des Akhaiens. Il a perdu \nl\u2019esprit. Qu\u2019un dieu lui rende autant de honte ! tous les dieux heu -\nreux ne sont point irrit\u00e9s contre toi. Les princes et les chefs des 377\nL \u2019ILIADEtroiens empliront encore la plaine de poussi\u00e8re, et tu les verras \nfuir vers leur ville, loin des nefs et des tentes.\nAyant ainsi parl\u00e9, il se pr\u00e9cipita vers la plaine en poussant un \ngrand cri, tel que celui que neuf ou dix mille hommes qui se \nruent au combat pourraient pousser de leurs poitrines. t el fut le \ncri du roi qui \u00e9branle la terre. Et il versa la force dans le c\u0153ur des \nAkhaiens, avec le d\u00e9sir de guerroyer et de combattre.\nH\u00e8r\u00e8 regardait, assise sur un tr\u00f4ne d\u2019or, au sommet de l\u2019Olympos, \net elle reconnut aussit\u00f4t son fr\u00e8re qui s\u2019agitait dans la glorieuse \nbataille, et elle se r\u00e9jouit dans son c\u0153ur. Et elle vit Zeus assis au \nfa\u00eete de l\u2019Ida o\u00f9 naissent les sources, et il lui \u00e9tait odieux. Aussit\u00f4t, \nla v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf songea au moyen de trom -\nper Zeus temp\u00e9tueux, et ceci lui sembla meilleur d\u2019aller le trou -\nver sur l\u2019Ida, pour exciter en lui le d\u00e9sir amoureux de sa beaut\u00e9, \nafin qu\u2019un doux et profond sommeil ferm\u00e2t ses paupi\u00e8res et obs -\ncurc\u00eet ses pens\u00e9es.\nEt elle entra dans la chambre nuptiale que son fils bien-aim\u00e9 \nH\u00e8phaistos avait faite. Et il avait adapt\u00e9 aux portes solides un ver -\nrou secret, et aucun des dieux n\u2019aurait pu les ouvrir.378CHAnt 14\nElle entra et ferma les portes resplendissantes. Et, d\u2019abord, elle \nlava son beau corps avec de l\u2019ambroisie ; puis elle se parfuma \nd\u2019une huile divine dont l\u2019ar\u00f4me se r\u00e9pandit dans la demeure de \nZeus, sur la terre et dans l\u2019Ouranos. Et son beau corps \u00e9tant par -\nfum\u00e9, elle peigna sa chevelure et tressa de ses mains ses cheveux \n\u00e9clatants, beaux et divins, qui flottaient de sa t\u00eate immortelle. Et \nelle rev\u00eatit une khlamyde divine qu\u2019Ath\u00e8n\u00e8 avait faite elle-m\u00eame \net orn\u00e9e de mille merveilles, et elle la fixa sur sa poitrine avec \ndes agrafes d\u2019or. Et elle mit une ceinture \u00e0 cent franges, et \u00e0 ses \noreilles bien perc\u00e9es des pendants travaill\u00e9s avec soin et orn\u00e9s \nde trois pierres pr\u00e9cieuses. Et la gr\u00e2ce l\u2019enveloppait tout enti\u00e8re. \nEnsuite, la d\u00e9esse mit un beau voile blanc comme H\u00e9lios, et, \u00e0 ses \nbeaux pieds, de belles sandales. S\u2019\u00e9tant ainsi par\u00e9e, elle sortit de \nsa chambre nuptiale, et, appelant Aphrodit\u00e8 loin des autres dieux, \nelle lui dit :\n\u2013 M\u2019accorderas-tu, ch\u00e8re fille, ce que je vais te demander, ou \nme refuseras-tu, irrit\u00e9e de ce que je prot\u00e8ge les Danaens, et toi \nles troiens ?\nEt la fille de Zeus, Aphrodit\u00e8, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 V\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8, fille du grand Kronos, dis ce que tu d\u00e9sires. Mon \nc\u0153ur m\u2019ordonne de te satisfaire, si je le puis, et si c\u2019est possible.379\nL \u2019ILIADEEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 qui m\u00e9dite des ruses lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Donne-moi l\u2019amour et le d\u00e9sir \u00e0 l\u2019aide desquels tu domptes les \ndieux immortels et les hommes mortels. Je vais voir, aux limites \nde la terre, Ok\u00e9anos, origine des dieux, et la maternelle t \u00e9thys, \nqui m\u2019ont \u00e9lev\u00e9e et nourrie dans leurs demeures, m\u2019ayant re\u00e7ue \nde Rh\u00e9i\u00e8, quand Zeus au large regard jeta Kronos sous la terre \net sous la mer st\u00e9rile. Je vais les voir, afin d\u2019apaiser leurs dissen -\nsions am\u00e8res. D\u00e9j\u00e0, depuis longtemps, ils ne partagent plus le \nm\u00eame lit, parce que la col\u00e8re est entr\u00e9e dans leur c\u0153ur. Si je puis \nles persuader par mes paroles, et si je les rends au m\u00eame lit, pour \nqu\u2019ils puissent s\u2019unir d\u2019amour, ils m\u2019appelleront leur bien-aim\u00e9e \net v\u00e9n\u00e9rable.\nEt Aphrodit\u00e8 qui aime les sourires lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Il n\u2019est point permis de te rien refuser, \u00e0 toi qui couches dans les \nbras du grand Zeus.\nElle parla ainsi, et elle d\u00e9tacha de son sein la ceinture aux cou -\nleurs vari\u00e9es o\u00f9 r\u00e9sident toutes les volupt\u00e9s, et l\u2019amour, et le d\u00e9sir, \net l\u2019entretien amoureux, et l\u2019\u00e9loquence persuasive qui trouble 380CHAnt 14\nl\u2019esprit des sages. Et elle mit cette ceinture entre les mains de H\u00e8r\u00e8, \net elle lui dit :\n\u2013 Re\u00e7ois cette ceinture aux couleurs vari\u00e9es, o\u00f9 r\u00e9sident toutes les \nvolupt\u00e9s, et mets-la sur ton sein, et tu ne reviendras pas sans avoir \nfait ce que tu d\u00e9sires.\nElle parla ainsi, et la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf rit, et, en \nriant, elle mit la ceinture sur son sein. Et Aphrodit\u00e8, la fille de \nZeus, rentra dans sa demeure, et H\u00e8r\u00e8, joyeuse, quitta le fa\u00eete \nde l\u2019Olympos. Puis, traversant la Pi\u00e8ri\u00e8 et la riante \u00c9mathi\u00e8, elle \ngagna les montagnes neigeuses des t hr\u00e8kiens, et ses pieds ne \ntouchaient point la terre. Et, de l\u2019Athos, elle descendit vers la mer \nagit\u00e9e et parvint \u00e0 Lemnos, la ville du divin t hoas, o\u00f9 elle ren -\ncontra Hypnos, fr\u00e8re de t hanatos. Elle lui prit la main et lui dit \nces paroles :\n\u2013 Hypnos, roi de tous les dieux et de tous les hommes, si jamais tu \nm\u2019as \u00e9cout\u00e9e, ob\u00e9is-moi aujourd\u2019hui, et je ne cesserai de te rendre \ngr\u00e2ces. Endors, sous leurs paupi\u00e8res, les yeux splendides de Zeus, \nd\u00e8s que je serai couch\u00e9e dans ses bras, et je te donnerai un beau \ntr\u00f4ne incorruptible, tout en or, qu\u2019a fait mon fils H\u00e8phaistos qui \nboite des deux pieds ; et il y joindra un escabeau sur lequel tu \nappuieras tes beaux pieds pendant le repas.381\nL \u2019ILIADEEt le doux Hypnos, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8, v\u00e9n\u00e9rable d\u00e9esse, fille du grand Kronos, j\u2019assoupirai ais\u00e9 -\nment tout autre des dieux \u00e9ternels, et m\u00eame le fleuve Ok\u00e9anos, \ncette source de toutes choses ; mais je n\u2019approcherai point du \nKroni\u00f4n Zeus et je ne l\u2019endormirai point, \u00e0 moins qu\u2019il me l\u2019or -\ndonne. D\u00e9j\u00e0 il m\u2019a averti, gr\u00e2ce \u00e0 toi, le jour o\u00f9 son fils magna -\nnime naviguait loin d\u2019Ilios, de la cit\u00e9 d\u00e9vast\u00e9e des t roiens.\nEt j\u2019enveloppai doucement les membres de Zeus temp\u00eatueux, tan -\ndis que tu m\u00e9ditais des calamit\u00e9s, et que, r\u00e9pandant sur la mer le \nsouffle des vents furieux, tu poussais H\u00e8rakl\u00e8s vers Ko\u00f4s bien \npeupl\u00e9e, loin de tous ses amis. Et Zeus, s\u2019\u00e9veillant indign\u00e9, dispersa \ntous les dieux par l\u2019Ouranos ; et il me cherchait pour me pr\u00e9cipi -\nter du haut de l\u2019aith\u00e8r dans la mer, si n yx qui dompte les dieux et \nles hommes, et que je suppliais en fuyant, ne m\u2019e\u00fbt sauv\u00e9. Et Zeus, \nbien que tr\u00e8s irrit\u00e9, s\u2019apaisa, craignant de d\u00e9plaire \u00e0 la rapide n yx. \nEt maintenant tu m\u2019ordonnes de courir le m\u00eame danger !\nIl parla ainsi, et la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Hypnos, pourquoi t\u2019inqui\u00e9ter ainsi ? Penses-tu que Zeus au large \nregard s\u2019irrite pour les t roiens autant que pour son fils H\u00e8rakl\u00e8s ? 382CHAnt 14\nViens, et je te donnerai pour \u00e9pouse une des plus jeunes Kharites, \nPasith\u00e9i\u00e8, que tu d\u00e9sires sans cesse.\nElle parla ainsi, et Hypnos, plein de joie, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Jure, par l\u2019eau de Styx, un inviolable serment ; touche d\u2019une main \nla terre et de l\u2019autre la mer marbr\u00e9e, et qu\u2019ils soient t\u00e9moins, les \ndieux souterrains qui vivent autour de Kronos, que tu me donne -\nras Pasith\u00e9i\u00e8 que je d\u00e9sire sans cesse.\nIl parla ainsi, et la d\u00e9esse H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs jura aussit\u00f4t \ncomme il le d\u00e9sirait, et elle nomma tous les dieux sous-tarta -\nr\u00e9ens qu\u2019on nomme t itans. Et, apr\u00e8s ce serment, ils quitt\u00e8rent \ntous deux Lemnos et Imbros, couverts d\u2019une nu\u00e9e et faisant rapi -\ndement leur chemin. Et, laissant la mer \u00e0 Lektos, ils parvinrent \u00e0 \nl\u2019Ida qui abonde en b\u00eates fauves et en sources, et sous leurs pieds \nse mouvait la cime des bois. L\u00e0, Hypnos resta en arri\u00e8re, de peur \nque Zeus le v\u00eet, et il monta dans un grand pin n\u00e9 sur l\u2019Ida, et qui \ns\u2019\u00e9levait jusque dans l\u2019aith\u00e8r. Et il se blottit dans les \u00e9pais rameaux \ndu pin, semblable \u00e0 l\u2019oiseau bruyant que les hommes appellent \nKhalkis et les dieux Kymindis.\nH\u00e8r\u00e8 gravit rapidement le haut Gargaros, au fa\u00eete de l\u2019Ida. Et Zeus \nqui amasse les nu\u00e9es la vit, et aussit\u00f4t le d\u00e9sir s\u2019empara de lui, 383\nL \u2019ILIADEcomme autrefois, quand ils partag\u00e8rent le m\u00eame lit, loin de leurs \nparents bien-aim\u00e9s. Il s\u2019approcha et lui dit :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8, pourquoi as-tu quitt\u00e9 l\u2019Olympos ? tu n\u2019as ni tes chevaux, \nni ton char.\nEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 qui m\u00e9dite des ruses lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je vais voir, aux limites de la terre, Ok\u00e9anos, origine des dieux, \net la maternelle t \u00e9thys, qui m\u2019ont \u00e9lev\u00e9e et nourrie dans leurs \ndemeures. Je vais les voir, afin d\u2019apaiser leurs dissensions am\u00e8res. \nD\u00e9j\u00e0, depuis longtemps, ils ne partagent plus le m\u00eame lit, parce \nque la col\u00e8re est entr\u00e9e dans leur c\u0153ur.\nMes chevaux, qui me portent sur la terre et sur la mer, sont aux \npieds de l\u2019Ida aux nombreuses sources, et c\u2019est \u00e0 cause de toi que \nj\u2019ai quitt\u00e9 l\u2019Olympos, craignant ta col\u00e8re, si j\u2019allais, en te le cachant, \ndans la demeure du profond Ok\u00e9anos.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es lui dit :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8, attends et tu partiras ensuite, mais couchons-nous pleins \nd\u2019amour. Jamais le d\u00e9sir d\u2019une d\u00e9esse ou d\u2019une femme n\u2019a dompt\u00e9 \nainsi tout mon c\u0153ur. Jamais je n\u2019ai tant aim\u00e9, ni l\u2019\u00e9pouse d\u2019Ixi\u00f4n, 384CHAnt 14\nqui enfanta Peirithoos semblable \u00e0 un dieu par la sagesse, ni \nla fille d\u2019Akrisi\u00f4n, la belle Dana\u00e8, qui enfanta Perseus, le plus \nillustre de tous les hommes, ni la fille du magnanime Phoinix, qui \nenfanta Min\u00f4s et Rhadamanth\u00e8s, ni S\u00e9m\u00e9l\u00e8 qui enfanta Di\u00f4nysos, \nla joie des hommes, ni Alkm\u00e8n\u00e8 qui enfanta aussi dans t h\u00e8b\u00e8 \nmon robuste fils H\u00e8rakl\u00e8s, ni la reine D\u00e8m\u00e8t\u00e8r aux beaux che -\nveux, ni l\u2019illustre L\u00e8t\u00f4, ni toi-m\u00eame ; car je n\u2019ai jamais ressenti \npour toi tant de d\u00e9sir et tant d\u2019amour.\nEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 pleine de ruses lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tr\u00e8s-redoutable Kronide, qu\u2019as-tu dit ? tu d\u00e9sires que nous \nnous unissions d\u2019amour, maintenant, sur le fa\u00eete de l\u2019Ida ouvert \n\u00e0 tous les regards ! Si quelqu\u2019un des dieux qui vivent toujours \nnous voyait couch\u00e9s et en avertissait tous les autres ! Je n\u2019ose -\nrais plus rentrer dans tes demeures, en sortant de ton lit, car ce \nserait honteux.\nMais, si tels sont ton d\u00e9sir et ta volont\u00e9, la chambre nuptiale que \nton fils H\u00e8phaistos a faite a des portes solides. C\u2019est l\u00e0 que nous \nirons dormir, puisqu\u2019il te pla\u00eet que nous partagions le m\u00eame lit.385\nL \u2019ILIADEEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ne crains pas qu\u2019aucun dieu te voie, ni aucun homme. Je t\u2019enve -\nlopperai d\u2019une nu\u00e9e d\u2019or, telle que H\u00e9lios lui-m\u00eame ne la p\u00e9n\u00e9tre -\nrait pas, bien que rien n\u2019\u00e9chappe \u00e0 sa lumi\u00e8re.\nEt le fils de Kronos prit l\u2019\u00c9pouse dans ses bras. Et sous eux la \nterre divine enfanta une herbe nouvelle, le lotos brillant de ros\u00e9e, \net le safran, et l\u2019hyacinthe \u00e9paisse et molle, qui les soulevaient de \nterre. Et ils s\u2019endormirent, et une belle nu\u00e9e d\u2019or les enveloppait, \net d\u2019\u00e9tincelantes ros\u00e9es en tombaient.\nAinsi dormait, tranquille, le p\u00e8re Zeus sur le haut Gargaros, \ndompt\u00e9 par le sommeil et par l\u2019amour, en tenant l\u2019\u00c9pouse dans \nses bras. Et le doux Hypnos courut aux nefs des Akhaiens en \nporter la nouvelle \u00e0 celui qui \u00e9branle la terre, et il lui dit en \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 H\u00e2te-toi, Poseida\u00f4n, de venir en aide aux Akhaiens, et donne-\nleur la victoire au moins quelques instants, pendant que Zeus \ndort, car je l\u2019ai assoupi mollement, et H\u00e8r\u00e8 l\u2019a s\u00e9duit par l\u2019amour, \nafin qu\u2019il s\u2019endorm\u00eet.386CHAnt 14\nIl parla ainsi et retourna vers les illustres tribus des hommes ; \nmais il excita plus encore Poseida\u00f4n \u00e0 secourir les Danaens, et \nPoseida\u00f4n, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant aux premiers rangs, s\u2019\u00e9cria :\n\u2013 Argiens ! laisserons-nous de nouveau la victoire au Priamide \nHekt\u00f4r, afin qu\u2019il prenne les nefs et se glorifie ? Il triomphe, parce \nque Akhilleus reste, le c\u0153ur irrit\u00e9, dans ses nefs creuses ; mais \nnous n\u2019aurons plus un si grand regret d\u2019Akhilleus, si nous savons \nnous d\u00e9fendre les uns les autres. Allons ! ob\u00e9issez-moi tous. \nCouverts de nos meilleurs et de nos plus grands boucliers, les \ncasques \u00e9clatants en t\u00eate et les longues piques en main, allons ! Et \nje vous conduirai, et je ne pense pas que le Priamide Hekt\u00f4r nous \nattende, bien qu\u2019il soit plein d\u2019audace. Que les plus braves c\u00e8dent \nleurs boucliers l\u00e9gers, s\u2019ils en ont de tels, aux guerriers plus faibles, \net qu\u2019ils s\u2019abritent sous de plus grands !\nIl parla ainsi, et chacun ob\u00e9it. Et les rois eux-m\u00eames, quoique \nbless\u00e9s, rang\u00e8rent les lignes. Le t yd\u00e9ide, Odysseus et l\u2019Atr\u00e9ide \nAgamemn\u00f4n, parcourant les rangs, \u00e9changeaient les armes, don -\nnant les plus fortes aux plus robustes, et les plus faibles aux moins \nvigoureux. Et tous s\u2019avanc\u00e8rent, rev\u00eatus de l\u2019airain \u00e9clatant, et \ncelui qui \u00e9branle la terre les pr\u00e9c\u00e9dait, tenant dans sa forte main \nune longue et terrible \u00e9p\u00e9e, semblable \u00e0 l\u2019\u00e9clair, telle qu\u2019on ne peut 387\nL \u2019ILIADEl\u2019affronter dans la m\u00eal\u00e9e lamentable, et qui p\u00e9n\u00e8tre les hommes \nde terreur.\nEt l\u2019illustre Hekt\u00f4r, de son c\u00f4t\u00e9, rangeait les t roiens en bataille. \nEt tous deux pr\u00e9paraient une lutte horrible, Poseida\u00f4n \u00e0 la che -\nvelure bleue et l\u2019illustre Hekt\u00f4r, celui-ci secourant les t roiens et \ncelui-l\u00e0 les Akhaiens. Et la mer inondait la plage jusqu\u2019aux tentes \net aux nefs, et les deux peuples se heurtaient avec une grande \nclameur ; mais ni l\u2019eau de la mer qui roule sur le rivage, pous -\ns\u00e9e par le souffle furieux de Bor\u00e9as, ni le cr\u00e9pitement d\u2019un vaste \nincendie qui br\u00fble une for\u00eat, dans les gorges des montagnes, ni le \nvent qui rugit dans les grands ch\u00eanes, ne sont aussi terribles que \nn\u2019\u00e9tait immense la clameur des Akhaiens et des t roiens, se ruant \nles uns sur les autres.\nEt, le premier, l\u2019illustre Hekt\u00f4r lan\u00e7a sa pique contre Aias qui \ns\u2019\u00e9tait retourn\u00e9 sur lui, et il ne le manqua pas, car la pique frappa \nla poitrine l\u00e0 o\u00f9 les deux baudriers se croisent, celui du bou -\nclier et celui de l\u2019\u00e9p\u00e9e aux clous d\u2019argent ; et ils pr\u00e9serv\u00e8rent la \nchair d\u00e9licate. Hekt\u00f4r fut afflig\u00e9 qu\u2019un trait rapide se f\u00fbt vaine -\nment \u00e9chapp\u00e9 de sa main ; et, fuyant la mort, il se retira dans la \nfoule de ses compagnons. Mais, comme il se retirait, le grand \nt\u00e9lam\u00f4nien Aias saisit une des roches qui retenaient les c\u00e2bles \ndes nefs, et qui se rencontraient sous les pieds des combattants, 388CHAnt 14\net il en frappa Hekt\u00f4r dans la poitrine, au-dessus du bouclier, \npr\u00e8s du cou, apr\u00e8s l\u2019avoir soulev\u00e9e et l\u2019avoir fait tourbillonner. De \nm\u00eame qu\u2019un ch\u00eane tombe, d\u00e9racin\u00e9 par l\u2019\u00e9clair du grand Zeus, et \nque l\u2019odeur du soufre s\u2019en exhale, et que chacun s\u2019en \u00e9pouvante, \ntant est terrible la foudre du grand Zeus ; de m\u00eame la force de \nHekt\u00f4r tomba dans la poussi\u00e8re.\nEt sa pique \u00e9chappa de sa main, et son casque tomba, et son bou -\nclier aussi, et toutes ses armes d\u2019airain r\u00e9sonn\u00e8rent.\nEt les fils des Akhaiens accoururent avec de grands cris, esp\u00e9rant \nl\u2019entra\u00eener, et ils lanc\u00e8rent d\u2019innombrables traits ; mais aucun ne \nput blesser le prince des peuples, car les plus braves le prot\u00e9g\u00e8rent \naussit\u00f4t : Polydamas, Ain\u00e9ias, et le divin Ag\u00e8n\u00f4r, et Sarp\u00e8d\u00f4n, le \nchef des Lykiens, et l\u2019irr\u00e9prochable Glaukos. Aucun ne n\u00e9gligea \nde le secourir, et tous tenaient devant lui leurs boucliers bom -\nb\u00e9s. Et ses compagnons l\u2019emport\u00e8rent dans leurs bras, loin de la \nm\u00eal\u00e9e, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 se tenaient ses chevaux rapides, et son \nchar, et leur conducteur. Et ils l\u2019emport\u00e8rent vers la ville, pous -\nsant des g\u00e9missements. Et quand ils furent parvenus au gu\u00e9 du \nXanthos tourbillonnant qu\u2019engendra l\u2019immortel Zeus, ils le d\u00e9po -\ns\u00e8rent du char sur la terre, et ils le baign\u00e8rent, et, revenant \u00e0 lui, il \nouvrit les yeux. Mais, tombant \u00e0 genoux, il vomit un sang noir, et, 389\nL \u2019ILIADEde nouveau, il se renversa contre terre, et une nuit noire l\u2019enve -\nloppa, tant le coup d\u2019Aias l\u2019avait dompt\u00e9.\nLes Argiens, voyant qu\u2019on enlevait Hekt\u00f4r, se ru\u00e8rent avec plus \nd\u2019ardeur sur les t roiens et ne song\u00e8rent qu\u2019\u00e0 combattre. Le pre -\nmier, le fils d\u2019Oileus, le rapide Aias, de sa lance aigu\u00eb, en bondis -\nsant, blessa ios \u00c9nopide, que l\u2019irr\u00e9prochable nymphe n \u00e8is enfanta \nd\u2019\u00c9nops qui paissait ses troupeaux sur les rives du Satnio\u00efs. Et l\u2019il -\nlustre Oil\u00e8iade le blessa de sa lance dans le ventre, et il tomba \u00e0 la \nrenverse, et, autour de lui, les t roiens et les Danaens engag\u00e8rent \nune lutte terrible.\nEt le Panthoide Polydamas vint le venger, et il frappa Protho\u00e8n\u00f4r \nAr\u00e8ilykide \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite, et la forte lance entra dans l\u2019\u00e9paule. \nProtho\u00e8n\u00f4r renvers\u00e9 saisit la poussi\u00e8re avec ses mains, et \nPolydamas s\u2019\u00e9cria insolemment :\n\u2013 Je ne pense pas qu\u2019un trait inutile soit parti de la main du magna -\nnime Panthoide. Un Argien l\u2019a re\u00e7u dans le corps, et il s\u2019appuiera \ndessus pour descendre dans les demeures d\u2019Aid\u00e8s.\nIl parla ainsi, et les Argiens furent remplis de douleur en l\u2019enten -\ndant se glorifier ainsi. Et le belliqueux t \u00e9lam\u00f4nien Aias fut trou -\nbl\u00e9, ayant vu Protho\u00e8n\u00f4r tomber aupr\u00e8s de lui. Et aussit\u00f4t il lan\u00e7a 390CHAnt 14\nsa pique contre Polydamas qui se retirait ; mais celui-ci \u00e9vita la \nmort en sautant de c\u00f4t\u00e9, et l\u2019Ant\u00e9noride Arkh\u00e9lokhos re\u00e7ut le \ncoup, car les dieux lui destinaient la mort. Et il fut frapp\u00e9 \u00e0 la der -\nni\u00e8re vert\u00e8bre du cou, et les deux muscles furent tranch\u00e9s, et sa \nt\u00eate, sa bouche et ses narines touch\u00e8rent la terre avant ses genoux.\nEt Aias cria \u00e0 l\u2019irr\u00e9prochable Polydamas :\n\u2013 Vois, Polydamas, et dis la v\u00e9rit\u00e9. Ce guerrier mort ne suffit-il pas \npour venger Protho\u00e8n\u00f4r ? Il ne me semble ni l\u00e2che, ni d\u2019une race \nvile. C\u2019est le fr\u00e8re du dompteur de chevaux Ant\u00e8n\u00f4r, ou son fils, \ncar il a le visage de cette famille.\nEt il parla ainsi, le connaissant bien. Et la douleur saisit les t roiens.\nAlors, Akamas, debout devant son fr\u00e8re mort, blessa d\u2019un coup de \nlance le Boi\u00f4tien Promakhos, comme celui-ci tra\u00eenait le cadavre \npar les pieds. Et Akamas, triomphant, cria :\n\u2013 Argiens destin\u00e9s \u00e0 la mort, et toujours prodigues de menaces, la \nlutte et le deuil ne seront pas pour nous seuls, et vous aussi vous \nmourrez ! Voyez ! votre Promakhos dort dompt\u00e9 par ma lance, \net mon fr\u00e8re n\u2019est pas rest\u00e9 longtemps sans vengeance ; aussi, 391\nL \u2019ILIADEtout homme souhaite de laisser dans ses demeures un fr\u00e8re qui \nle venge.\nIl parla ainsi, et ses paroles insultantes remplirent les Argiens de \ndouleur, et elles irrit\u00e8rent surtout l\u2019\u00e2me de P\u00e9n\u00e9l\u00e9\u00f4s qui se rua sur \nAkamas. Mais celui-ci n\u2019osa pas soutenir le choc du roi P\u00e9n\u00e9l\u00e9\u00f4s \nqui blessa Ilioneus, fils de ce Phorbas, riche en troupeaux, que \nHerm\u00e8s aimait entre tous les t roiens, et \u00e0 qui il avait donn\u00e9 de \ngrands biens. Et il le frappa sous le sourcil, au fond de l\u2019\u0153il, d\u2019o\u00f9 la \npupille fut arrach\u00e9e. Et la lance, traversant l\u2019\u0153il, sortit derri\u00e8re la \nt\u00eate, et Ilioneus, les mains \u00e9tendues, tomba. Puis, P\u00e9n\u00e9l\u00e9\u00f4s, tirant \nde la ga\u00eene son \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb, coupa la t\u00eate qui roula sur la terre avec \nle casque, et la forte lance encore fix\u00e9e dans l\u2019\u0153il. Et P\u00e9n\u00e9l\u00e9\u00f4s la \nsaisit, et, la montrant aux t roiens, il leur cria :\n\u2013 Allez de ma part, t roiens, dire au p\u00e8re et \u00e0 la m\u00e8re de l\u2019illustre \nIlioneus qu\u2019ils g\u00e9missent dans leurs demeures.\nAh ! l\u2019\u00e9pouse de l\u2019Al\u00e9g\u00e9noride Promakhos ne se r\u00e9jouira pas \nnon plus au retour de son \u00e9poux bien-aim\u00e9, quand les fils des \nAkhaiens, loin de t roi\u00e8, s\u2019en retourneront sur leurs nefs !\nIl parla ainsi, et la p\u00e2le terreur saisit les t roiens, et chacun d\u2019eux \nregardait autour de lui, cherchant comment il \u00e9viterait la mort.392CHAnt 14\nDites-moi maintenant, Muses qui habitez les demeures \nOlympiennes, celui des Akhaiens qui enleva le premier des \nd\u00e9pouilles sanglantes, quand l\u2019illustre qui \u00e9branle la terre eut fait \npencher la victoire ?\nLe premier, Aias t \u00e9lam\u00f4nien frappa Hyrthios Gyrtiade, chef \ndes braves Mysiens. Et Antilokhos tua Phalk\u00e8s et Merm\u00e9ros, et \nM\u00e8rion\u00e8s tua Morys et Hippoti\u00f4n, et t eukros tua Protho\u00f4n et \nP\u00e9riph\u00e8t\u00e8s, et l\u2019Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos blessa au c\u00f4t\u00e9 le prince des \npeuples Hyp\u00e9r\u00e9n\u00f4r. Il lui d\u00e9chira les intestins, et l\u2019\u00e2me s\u2019\u00e9chappa \npar l\u2019horrible blessure, et un brouillard couvrit ses yeux. Mais \nAias, l\u2019agile fils d\u2019Oileus, en tua bien plus encore, car nul n\u2019\u00e9tait \nson \u00e9gal pour atteindre ceux que Zeus met en fuite.393\nL \u2019ILIADEChant 15\nLes troiens franchissaient, dans leur fuite, les pieux et le foss\u00e9, et \nbeaucoup tombaient sous les mains des Danaens. Et ils s\u2019arr\u00ea -\nt\u00e8rent aupr\u00e8s de leurs chars, p\u00e2les de terreur.\nMais Zeus s\u2019\u00e9veilla, sur les sommets de l\u2019Ida, aupr\u00e8s de H\u00e8r\u00e8 au \ntr\u00f4ne d\u2019or. Et, se levant, il regarda et vit les t roiens et les Akhaiens, \net les premiers en pleine d\u00e9route, et les Argiens, ayant au milieu \nd\u2019eux le roi Poseida\u00f4n, les poussant avec fureur. Et il vit Hekt\u00f4r \ngisant dans la plaine, entour\u00e9 de ses compagnons, respirant \u00e0 \npeine et vomissant le sang, car ce n\u2019\u00e9tait pas le plus faible des \nAkhaiens qui l\u2019avait bless\u00e9.\nEt le p\u00e8re des hommes et des dieux fut rempli de piti\u00e9 en le \nvoyant, et, avec un regard sombre, il dit \u00e0 H\u00e8r\u00e8 :\n\u2013 \u00d4 astucieuse ! ta ruse a \u00e9loign\u00e9 le divin Hekt\u00f4r du combat et mis \nses troupes en fuite. Je ne sais si tu ne recueilleras pas la premi\u00e8re \nle fruit de tes ruses, et si je ne t\u2019accablerai point de coups. n e te \nsouvient-il plus du jour o\u00f9 tu \u00e9tais suspendue dans l\u2019air, avec une \nenclume \u00e0 chaque pied, les mains li\u00e9es d\u2019une solide cha\u00eene d\u2019or, et 394CHAnt 15\no\u00f9 tu pendais ainsi de l\u2019aith\u00e8r et des nu\u00e9es ? tous les dieux, par \nle grand Olympos, te regardaient avec douleur et ne pouvaient te \nsecourir, car celui que j\u2019aurais saisi, je l\u2019aurais pr\u00e9cipit\u00e9 de l\u2019Ou -\nranos, et il serait arriv\u00e9 sur la terre, respirant \u00e0 peine. Et cepen -\ndant ma col\u00e8re, \u00e0 cause des souffrances du divin H\u00e8rakl\u00e8s, n\u2019\u00e9tait \npoint assouvie. C\u2019\u00e9tait toi qui, l\u2019accablant de maux, avais appel\u00e9 \nBor\u00e9as et les temp\u00eates sur la mer st\u00e9rile, et qui l\u2019avais rejet\u00e9 vers \nKo\u00f4s bien peupl\u00e9e.\nMais je le d\u00e9livrai et le ramenai dans Argos f\u00e9conde en chevaux. \nSouviens-toi de ces choses et renonce \u00e0 tes ruses, et sache qu\u2019il \nne te suffit pas, pour me tromper, de te donner \u00e0 moi sur ce lit, \nloin des dieux.\nIl parla ainsi, et la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 frissonna et lui r\u00e9pondit en \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Que Gaia le sache, et le large Ouranos, et l\u2019eau souterraine de \nStyx, ce qui est le plus grand serment des dieux heureux, et ta \nt\u00eate sacr\u00e9e, et notre lit nuptial que je n\u2019attesterai jamais en vain ! \nCe n\u2019est point par mon conseil que Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre \na dompt\u00e9 les t roiens et Hekt\u00f4r. Son c\u0153ur seul l\u2019a pouss\u00e9, ayant \ncompassion des Akhaiens d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s autour de leurs nefs. Mais 395\nL \u2019ILIADEj\u2019irai et je lui conseillerai, \u00f4 Zeus qui amasses les noires nu\u00e9es, de \nse retirer o\u00f9 tu le voudras.\nElle parla ainsi, et le p\u00e8re des dieux et des hommes sourit, et lui \nr\u00e9pondit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Si tu penses comme moi, \u00e9tant assise au milieu des immortels, \n\u00f4 v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf, Poseida\u00f4n lui-m\u00eame, quoi \nqu\u2019il veuille, se conformera aussit\u00f4t \u00e0 notre volont\u00e9. Si tu as dit \nla v\u00e9rit\u00e9 dans ton c\u0153ur, va dans l\u2019assembl\u00e9e des dieux, appelle \nIris et l\u2019illustre archer Apoll\u00f4n, afin que l\u2019une aille, vers l\u2019arm\u00e9e \ndes Akhaiens cuirass\u00e9s, dire au roi Poseida\u00f4n qu\u2019il se retire de la \nm\u00eal\u00e9e, et qu\u2019il rentre dans ses demeures ; et que Phoibos Apoll\u00f4n \nranime les forces de Hekt\u00f4r et apaise les douleurs qui l\u2019accablent, \nafin que le Priamide attaque de nouveau les Akhaiens et les mette \nen fuite.\nEt ils fuiront jusqu\u2019aux nefs du P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus qui suscitera son \ncompagnon Patroklos. Et l\u2019illustre Hekt\u00f4r tuera Patroklos devant \nIlios, l\u00e0 o\u00f9 celui-ci aura dompt\u00e9 une multitude de guerriers, et, \nentre autres, mon fils, le divin Sarp\u00e8d\u00f4n. Et le divin Akhilleus, \nfurieux, tuera Hekt\u00f4r. Et, d\u00e9sormais, je repousserai toujours les \ntroiens loin des nefs, jusqu\u2019au jour o\u00f9 les Akhaiens prendront la \nhaute Ilios par les conseils d\u2019Ath\u00e8n\u00e8. Mais je ne d\u00e9poserai point 396CHAnt 15\nma col\u00e8re, et je ne permettrai \u00e0 aucun des immortels de secou -\nrir les Danaens, tant que ne seront point accomplis et le d\u00e9sir du \nP\u00e8l\u00e9ide et la promesse que j\u2019ai faite par un signe de ma t\u00eate, le jour \no\u00f9 la d\u00e9esse t h\u00e9tis, embrassant mes genoux, m\u2019a suppli\u00e9 d\u2019hono -\nrer Akhilleus, le d\u00e9vastateur de citadelles.\nIl parla ainsi, et la d\u00e9esse H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs se h\u00e2ta de monter \ndes cimes de l\u2019Ida dans le haut Olympos. Ainsi vole la pens\u00e9e d\u2019un \nhomme qui, ayant parcouru de nombreuses contr\u00e9es et se sou -\nvenant de ce qu\u2019il a vu, se dit : J\u2019\u00e9tais l\u00e0 ! La v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 vola \naussi promptement, et elle arriva dans l\u2019assembl\u00e9e des dieux, sur \nle haut Olympos o\u00f9 sont les demeures de Zeus. Et tous se lev\u00e8rent \nen la voyant, et lui offrirent la coupe qu\u2019elle re\u00e7ut de t h\u00e9mis aux \nbelles joues, car celle-ci \u00e9tait venue la premi\u00e8re au-devant d\u2019elle \net lui avait dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8, pourquoi viens-tu, toute troubl\u00e9e ? Est-ce le fils de Kronos, \nton \u00e9poux, qui t\u2019a effray\u00e9e ?\nEt la d\u00e9esse H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Divine th\u00e9mis, ne m\u2019interroge point. t u sais combien son \n\u00e2me est orgueilleuse et dure. Pr\u00e9side le festin des dieux dans ces \ndemeures. t u sauras avec tous les immortels les desseins fatals de 397\nL \u2019ILIADEZeus. Je ne pense pas que ni les hommes, ni les dieux puissent se \nr\u00e9jouir d\u00e9sormais dans leurs festins.\nLa v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 parla et s\u2019assit. Et les dieux s\u2019attrist\u00e8rent dans \nles demeures de Zeus ; mais la fille de Kronos sourit am\u00e8rement, \ntandis que son front \u00e9tait sombre au-dessus de ses sourcils bleus ; \net elle dit indign\u00e9e :\n\u2013 Insens\u00e9s que nous sommes nous nous irritons contre Zeus et \nnous voulons le dompter, soit par la flatterie, soit par la violence ; \net, assis \u00e0 l\u2019\u00e9cart, il ne s\u2019en soucie ni ne s\u2019en \u00e9meut, sachant qu\u2019il \nl\u2019emporte sur tous les dieux immortels par la force et la puis -\nsance. Subissez donc les maux qu\u2019il lui pla\u00eet d\u2019envoyer \u00e0 chacun \nde vous. D\u00e9j\u00e0 le malheur atteint Ar\u00e8s ; son fils a p\u00e9ri dans la m\u00eal\u00e9e, \nAskalaphos, celui de tous les hommes qu\u2019il aimait le mieux, et que \nle puissant Ar\u00e8s disait \u00eatre son fils.\nElle parla ainsi, et Ar\u00e8s, frappant de ses deux mains ses cuisses \nvigoureuses, dit en g\u00e9missant :\n\u2013 ne vous irritez point, habitants des demeures Olympiennes, si je \ndescends aux nefs des Akhaiens pour venger le meurtre de mon \nfils, quand m\u00eame ma destin\u00e9e serait de tomber parmi les morts, \nle sang et la poussi\u00e8re, frapp\u00e9 de l\u2019\u00e9clair de Zeus !398CHAnt 15\nIl parla ainsi, et il ordonna \u00e0 la Crainte et \u00e0 la Fuite d\u2019atteler ses \nchevaux, et il se couvrit de ses armes splendides. Et, alors, une \ncol\u00e8re bien plus grande et bien plus terrible se f\u00fbt soulev\u00e9e dans \nl\u2019\u00e2me de Zeus contre les immortels, si Ath\u00e8n\u00e8, craignant pour \ntous les dieux, n\u2019e\u00fbt saut\u00e9 dans le parvis, hors du tr\u00f4ne o\u00f9 elle \n\u00e9tait assise. Et elle arracha le casque de la t\u00eate d\u2019Ar\u00e8s, et le bou -\nclier de ses \u00e9paules et la lance d\u2019airain de sa main robuste, et elle \nr\u00e9primanda l\u2019imp\u00e9tueux Ar\u00e8s :\n\u2013 Insens\u00e9 ! tu perds l\u2019esprit et tu vas p\u00e9rir. As-tu des oreilles pour \nne point entendre ? n\u2019as-tu plus ni intelligence, ni pudeur ? \nn\u2019as-tu point \u00e9cout\u00e9 les paroles de la d\u00e9esse H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs \nque Zeus a envoy\u00e9e dans l\u2019Olympos ? Veux-tu, toi-m\u00eame, frapp\u00e9 \nde mille maux, revenir, accabl\u00e9 et g\u00e9missant, apr\u00e8s avoir attir\u00e9 des \ncalamit\u00e9s sur les autres dieux ? Zeus laissera aussit\u00f4t les t roiens et \nles Akhaiens magnanimes, et il viendra nous pr\u00e9cipiter de l\u2019Olym -\npos, innocents ou coupables. Je t\u2019ordonne d\u2019apaiser la col\u00e8re du \nmeurtre de ton fils. D\u00e9j\u00e0 de plus braves et de plus vigoureux que \nlui sont morts, ou seront tu\u00e9s. Il est difficile de sauver de la mort \nles g\u00e9n\u00e9rations des hommes.\nAyant ainsi parl\u00e9, elle fit asseoir l\u2019imp\u00e9tueux Ar\u00e8s sur son tr\u00f4ne. \nPuis, H\u00e8r\u00e8 appela, hors de l\u2019Olympos, Apoll\u00f4n et Iris, qui est 399\nL \u2019ILIADEla messag\u00e8re de tous les dieux immortels, et elle leur dit en \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Zeus vous ordonne de venir promptement sur l\u2019Ida, et, quand \nvous l\u2019aurez vu, faites ce qu\u2019il vous ordonnera.\nAyant ainsi parl\u00e9, la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 rentra et s\u2019assit sur son tr\u00f4ne. \nEt les deux immortels s\u2019envol\u00e8rent \u00e0 la h\u00e2te, et ils arriv\u00e8rent sur \nl\u2019Ida o\u00f9 naissent les sources et les b\u00eates fauves. Et ils virent Zeus \nau large regard assis sur le fa\u00eete du Gargaros, et il s\u2019\u00e9tait enve -\nlopp\u00e9 d\u2019une nu\u00e9e parfum\u00e9e. Et ils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent devant Zeus qui \namasse les nu\u00e9es. Et, satisfait, dans son esprit, qu\u2019ils eussent ob\u00e9i \npromptement aux ordres de l\u2019\u00e9pouse bien-aim\u00e9e, il dit d\u2019abord en \nparoles ail\u00e9es \u00e0 Iris :\n\u2013 Va ! rapide Iris, parle au roi Poseida\u00f4n, et sois une messag\u00e8re \nfid\u00e8le. Dis-lui qu\u2019il se retire de la m\u00eal\u00e9e, et qu\u2019il reste, soit dans \nl\u2019assembl\u00e9e des dieux, soit dans la mer divine. Mais s\u2019il n\u2019ob\u00e9issait \npas \u00e0 mes ordres et s\u2019il les m\u00e9prisait, qu\u2019il d\u00e9lib\u00e8re et r\u00e9fl\u00e9chisse \ndans son esprit. Malgr\u00e9 sa vigueur, il ne pourra soutenir mon \nattaque, car mes forces surpassent de beaucoup les siennes, et je \nsuis l\u2019a\u00een\u00e9. Qu\u2019il craigne donc de se croire l\u2019\u00e9gal de celui que tous \nles autres dieux redoutent.400CHAnt 15\nIl parla ainsi, et la rapide Iris aux pieds a\u00e9riens descendit du fa\u00eete \ndes cimes Idaiennes, vers la sainte Ilios.\nComme la neige vole du milieu des nu\u00e9es, ou la gr\u00eale chass\u00e9e par \nle souffle imp\u00e9tueux de Bor\u00e9as, ainsi volait la rapide Iris ; et, s\u2019ar -\nr\u00eatant devant lui, elle dit \u00e0 l\u2019illustre qui \u00e9branle la terre :\n\u2013 Poseida\u00f4n aux cheveux bleus, je suis envoy\u00e9e par Zeus temp\u00e9 -\ntueux. Il te commande de te retirer de la m\u00eal\u00e9e et de rester, soit \ndans l\u2019assembl\u00e9e des dieux, soit dans la mer divine. Si tu n\u2019ob\u00e9is -\nsais pas \u00e0 ses ordres, et si tu les m\u00e9prisais, il te menace de venir te \ncombattre, et il te conseille d\u2019\u00e9viter son bras, car ses forces sont de \nbeaucoup sup\u00e9rieures aux tiennes, et il est l\u2019a\u00een\u00e9. Il t\u2019avertit de ne \npoint te croire l\u2019\u00e9gal de celui que tous les dieux redoutent.\nEt l\u2019illustre qui \u00e9branle la terre, indign\u00e9, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ah ! certes, bien qu\u2019il soit grand, il parle avec orgueil, s\u2019il veut \nme r\u00e9duire par la force, moi, son \u00e9gal. n ous sommes trois fr\u00e8res \nn\u00e9s de Kronos, et qu\u2019enfanta Rh\u00e9i\u00e8 : Zeus, moi et Aid\u00e8s qui com -\nmande aux ombres. On fit trois parts du monde, et chacun de \nnous re\u00e7ut la sienne. Et le sort d\u00e9cida que j\u2019habiterais toujours la \nblanche mer, et Aid\u00e8s eut les noires t\u00e9n\u00e8bres, et Zeus eut le large \nOuranos, dans les nu\u00e9es et dans l\u2019aith\u00e8r. Mais le haut Olympos et 401\nL \u2019ILIADEla terre furent communs \u00e0 tous. C\u2019est pourquoi je ne ferai point \nla volont\u00e9 de Zeus, bien qu\u2019il soit puissant. Qu\u2019il garde tranquille -\nment sa part ; il ne m\u2019\u00e9pouvantera pas comme un l\u00e2che.\nQu\u2019il menace \u00e0 son gr\u00e9 les fils et les filles qu\u2019il a engendr\u00e9s, \npuisque la n\u00e9cessit\u00e9 les contraint de lui ob\u00e9ir.\nEt la rapide Iris aux pieds a\u00e9riens lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Poseida\u00f4n aux cheveux bleus, me faut-il rapporter \u00e0 Zeus cette \nparole dure et hautaine ? ne changeras-tu point ? L \u2019esprit des \nsages n\u2019est point inflexible, et tu sais que les \u00c9rinnyes suivent \nles a\u00een\u00e9s.\nEt Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre lui r\u00e9pondit :\n\u2013 D\u00e9esse Iris, tu as bien parl\u00e9. Il est bon qu\u2019un messager poss\u00e8de \nla prudence ; mais une am\u00e8re douleur emplit mon esprit et mon \nc\u0153ur quand Zeus veut, par des paroles violentes, r\u00e9duire son \u00e9gal \nen honneurs et en droits. Je c\u00e9derai, quoique indign\u00e9 ; mais je te \nle dis, et je le menacerai de ceci : Si, malgr\u00e9 nous, \u2013 moi, la d\u00e9vas -\ntatrice Ath\u00e8n\u00e8, H\u00e8r\u00e8, Herm\u00e8s et le roi H\u00e8phaistos, \u2013 il \u00e9pargne \nla haute Ilios et refuse de la d\u00e9truire et de donner la victoire aux \nArgiens, qu\u2019il sache que notre haine sera inexorable.402CHAnt 15\nAyant ainsi parl\u00e9, il laissa le peuple des Akhaiens et rentra dans \nla mer. Et les h\u00e9ros Akhaiens le regrettaient. Et alors Zeus qui \namasse les nu\u00e9es dit \u00e0 Apoll\u00f4n :\n\u2013 Va maintenant, cher Phoibos, vers Hekt\u00f4r arm\u00e9 d\u2019airain, car \nvoici que celui qui \u00e9branle la terre est rentr\u00e9 dans la mer, fuyant \nma fureur.\nCertes, ils auraient entendu un combat terrible les dieux souter -\nrains qui vivent autour de Kronos ; mais il vaut mieux pour tous \ndeux que, malgr\u00e9 sa col\u00e8re, il ait \u00e9vit\u00e9 mes mains, car cette lutte \naurait fait couler de grandes sueurs. Mais toi, prends l\u2019aigide aux \nfranges d\u2019or, afin d\u2019\u00e9pouvanter, en la secouant, les h\u00e9ros Akhaiens. \nArcher, prends soin de l\u2019illustre Hekt\u00f4r et remplis-le d\u2019une grande \nforce, pour qu\u2019il chasse les Akhaiens jusqu\u2019aux nefs et jusqu\u2019au \nHellespontos ; et je songerai alors comment je permettrai aux \nAkhaiens de respirer.\nIl parla ainsi, et Apoll\u00f4n se h\u00e2ta d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 son p\u00e8re. Et il descen -\ndit du fa\u00eete de l\u2019Ida, semblable \u00e0 un \u00e9pervier tueur de colombes, \net le plus imp\u00e9tueux des oiseaux. Et il trouva le divin Hekt\u00f4r, le \nfils du sage Priamos, non plus couch\u00e9, mais assis, et se ranimant, \net reconnaissant ses compagnons autour de lui. Et le r\u00e2le et la 403\nL \u2019ILIADEsueur avaient disparu par la seule pens\u00e9e de Zeus temp\u00e9tueux. Et \nApoll\u00f4n s\u2019approcha et lui dit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, fils de Priamos, pourquoi rester assis, sans forces, loin \ndes tiens ? Es-tu la proie de quelque douleur ?\nEt Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit d\u2019une voix faible :\n\u2013 Qui es-tu, \u00f4 le meilleur des dieux, qui m\u2019interroges ainsi ? ne \nsais-tu pas qu\u2019aupr\u00e8s des nefs Akhaiennes, tandis que je tuais ses \ncompagnons, le brave Aias m\u2019a frapp\u00e9 d\u2019un rocher dans la poi -\ntrine et a rompu mes forces et mon courage ?\nCertes, j\u2019ai cru voir aujourd\u2019hui les morts et la demeure d\u2019Aid\u00e8s, \nen rendant ma ch\u00e8re \u00e2me.\nEt le royal archer Apoll\u00f4n lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Prends courage ! Du haut de l\u2019Ida, le Kroni\u00f4n a envoy\u00e9 pour te \nsecourir Phoibos Apoll\u00f4n \u00e0 l\u2019\u00e9p\u00e9e d\u2019or. toi et ta haute citadelle, \nje vous ai prot\u00e9g\u00e9s et je vous prot\u00e8ge toujours. Viens ! excite les \ncavaliers \u00e0 pousser leurs chevaux rapides vers les nefs creuses, et \nj\u2019irai devant toi, et j\u2019aplanirai la voie aux chevaux, et je mettrai en \nfuite les h\u00e9ros Akhaiens.404CHAnt 15\nAyant ainsi parl\u00e9, il remplit le prince des peuples d\u2019une grande \nforce. Comme un \u00e9talon, longtemps retenu \u00e0 la cr\u00e8che et nourri \nd\u2019orge abondante, qui rompt son lien, et qui court, frappant la \nterre de ses quatre pieds, se plonger dans le fleuve clair, et qui, la \nt\u00eate haute, secouant ses crins sur ses \u00e9paules, fier de sa beaut\u00e9, \nbondit ais\u00e9ment jusqu\u2019aux lieux accoutum\u00e9s o\u00f9 paissent les \ncavales ; de m\u00eame Hekt\u00f4r, \u00e0 la voix du dieu, courait de ses pieds \nrapides, excitant les cavaliers. Comme des chiens et des campa -\ngnards qui poursuivent un cerf rameux, ou une ch\u00e8vre sauvage \nqui se d\u00e9robe sous une roche creuse ou dans la for\u00eat sombre, et \nqu\u2019ils ne peuvent atteindre, quand un lion \u00e0 longue barbe, sur -\nvenant tout \u00e0 coup \u00e0 leurs cris, les disperse aussit\u00f4t malgr\u00e9 leur \nimp\u00e9tuosit\u00e9, de m\u00eame les Danaens, poursuivant l\u2019ennemi de leurs \nlances \u00e0 deux pointes, s\u2019\u00e9pouvant\u00e8rent en voyant Hekt\u00f4r parcou -\nrir les lignes t roiennes, et leur \u00e2me tomba \u00e0 leurs pieds.\nEt t hoas Andraimonide les excitait. Et c\u2019\u00e9tait le meilleur guer -\nrier Ait\u00f4lien, habile au combat de la lance et ferme dans la m\u00eal\u00e9e. \nEt peu d\u2019Akhaiens l\u2019emportaient sur lui dans l\u2019agora. Et il s\u2019\u00e9cria :\n\u2013 Ah ! certes, je vois de mes yeux un grand prodige. Voici le \nPriamide \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la mort. Chacun de nous esp\u00e9rait qu\u2019il avait \np\u00e9ri par les mains d\u2019Aias t \u00e9lam\u00f4nien ; mais sans doute un dieu l\u2019a \nsauv\u00e9 de nouveau, lui qui a rompu les genoux de tant de Danaens, 405\nL \u2019ILIADEet qui va en rompre encore, car ce n\u2019est point sans l\u2019aide de Zeus \ntonnant qu\u2019il revient furieux au combat. Mais, allons ! et ob\u00e9is -\nsez tous. Que la multitude retourne aux nefs, et tenons ferme, \nnous qui sommes les plus braves de l\u2019arm\u00e9e. t endons vers lui nos \ngrandes lances, et je ne pense pas qu\u2019il puisse, malgr\u00e9 ses forces, \nenfoncer les lignes des Danaens.\nIl parla ainsi, et tous l\u2019entendirent et ob\u00e9irent. Et autour de lui \n\u00e9taient les Aias et le roi Idom\u00e9neus, et t eukros et M\u00e8rion\u00e8s, et \nM\u00e9g\u00e8s semblable \u00e0 Ar\u00e8s ; et ils se pr\u00e9paraient au combat, r\u00e9unis -\nsant les plus braves, contre Hekt\u00f4r et les t roiens. Et, derri\u00e8re eux, \nla multitude retournait vers les nefs des Akhaiens.\nEt les t roiens frapp\u00e8rent les premiers. Hekt\u00f4r les pr\u00e9c\u00e9dait, \naccompagn\u00e9 de Phoibos Apoll\u00f4n, les \u00e9paules couvertes d\u2019une \nnu\u00e9e et tenant l\u2019aigide terrible, aux longues franges, que le forge -\nron H\u00e8phaistos donna \u00e0 Zeus pour \u00e9pouvanter les hommes.\nEt, tenant l\u2019aigide en main, il menait les t roiens. Et les Argiens les \nattendaient de pied ferme, et une clameur s\u2019\u00e9leva des deux c\u00f4t\u00e9s. \nLes fl\u00e8ches jaillissaient des nerfs et les lances des mains robustes ; \net les unes p\u00e9n\u00e9traient dans la chair des jeunes hommes, et les \nautres entraient en terre, avides de sang, mais sans avoir perc\u00e9 le \nbeau corps des combattants.406CHAnt 15\nAussi longtemps que Phoibos Apoll\u00f4n tint l\u2019aigide immobile en \nses mains, les traits perc\u00e8rent des deux c\u00f4t\u00e9s, et les guerriers \ntomb\u00e8rent ; mais quand il la secoua devant la face des cavaliers \nDanaens, en poussant des cris terribles, leur c\u0153ur se troubla dans \nleurs poitrines, et ils oubli\u00e8rent leur force et leur courage.\nComme un troupeau de b\u0153ufs, ou un grand troupeau de brebis, \nque deux b\u00eates f\u00e9roces, au milieu de la nuit, bouleversent sou -\ndainement, en l\u2019absence de leur gardien, de m\u00eame les Akhaiens \nfurent saisis de terreur, et Apoll\u00f4n les mit en fuite et donna la \nvictoire \u00e0 Hekt\u00f4r et aux t roiens. Alors, dans cette fuite, chaque \nhomme tua un autre homme. Hekt\u00f4r tua Stikhios et Ark\u00e9silaos, \nl\u2019un, chef des Boi\u00f4tiens aux tuniques d\u2019airain, l\u2019autre, fid\u00e8le com -\npagnon du magnanime M\u00e9n\u00e8stheus. Et Ain\u00e9ias tua M\u00e9d\u00f4n et \nIasos. Et M\u00e9d\u00f4n \u00e9tait b\u00e2tard du divin Oileus et fr\u00e8re d\u2019Aias ; mais \nil habitait Phylak\u00e8, loin de sa patrie, ayant tu\u00e9 le fr\u00e8re de sa belle-\nm\u00e8re \u00c9riopis, femme d\u2019Oileus. Et Iasos \u00e9tait un chef Ath\u00e8naien et \nfils de Sph\u00e8los Boukolide.\nEt Polydamas tua M\u00e8kistheus, et Polit\u00e8s tua Ekhios qui combat -\ntait aux premiers rangs. Et le divin Ag\u00e8n\u00f4r tua Kl\u00f4nios, et P\u00e2ris \nfrappa au sommet de l\u2019\u00e9paule, par derri\u00e8re, D\u00e8iokhos qui fuyait, \net l\u2019airain le traversa.407\nL \u2019ILIADEtandis que les vainqueurs d\u00e9pouillaient les cadavres de leurs \narmes, les Akhaiens franchissaient les pieux, dans le foss\u00e9, et \nfuyaient \u00e7\u00e0 et l\u00e0, derri\u00e8re la muraille, contraints par la n\u00e9cessit\u00e9. \nMais Hekt\u00f4r commanda \u00e0 haute voix aux t roiens de se ruer sur \nles nefs et de laisser l\u00e0 les d\u00e9pouilles sanglantes :\n\u2013 Celui que je verrai loin des nefs, je lui donnerai la mort. n i ses \nfr\u00e8res, ni ses s\u0153urs ne mettront son corps sur le b\u00fbcher, et les \nchiens le d\u00e9chireront devant notre ville.\nAyant ainsi parl\u00e9, il poussa les chevaux du fouet, en entra\u00eenant les \ntroiens, et tous, avec des cris mena\u00e7ants et une clameur immense, \nils poussaient leurs chars en avant. Et Phoibos Apoll\u00f4n jeta facile -\nment du pied les bords du foss\u00e9 dans le milieu, et, le comblant, le \nfit aussi large que l\u2019espace parcouru par le trait que lance un guer -\nrier vigoureux. Et tous s\u2019y jet\u00e8rent en foule, et Apoll\u00f4n, les pr\u00e9c\u00e9 -\ndant avec l\u2019aigide \u00e9clatante, renversa le mur des Akhaiens aussi \nais\u00e9ment qu\u2019un enfant renverse, aupr\u00e8s de la mer, les petits mon -\nceaux de sable qu\u2019il a amass\u00e9s et qu\u2019il disperse en se jouant. Ainsi, \narcher Apoll\u00f4n, tu dispersas l\u2019\u0153uvre qui avait co\u00fbt\u00e9 tant de peines \net de mis\u00e8res aux Argiens, et tu les mis en fuite.\nEt ils s\u2019arr\u00eat\u00e8rent aupr\u00e8s des nefs, s\u2019exhortant les uns les autres ; \net, les mains \u00e9tendues vers les dieux, ils les imploraient. Et le 408CHAnt 15\nG\u00e9rennien n est\u00f4r, rempart des Akhaiens, priait, les bras lev\u00e9s \nvers l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9 :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! si jamais, dans la fertile Argos, br\u00fblant pour toi les \ncuisses grasses des b\u0153ufs et des brebis, nous t\u2019avons suppli\u00e9 de \nnous accorder le retour, et si tu l\u2019as promis d\u2019un signe de ta t\u00eate, \nsouviens-toi, \u00f4 Olympien ! \u00c9loigne notre jour supr\u00eame, et ne per -\nmets pas que les Akhaiens soient dompt\u00e9s par les t roiens.\nIl parla ainsi en priant, et le sage Zeus entendit la pri\u00e8re du vieux \nn\u00e8l\u00e8iade et tonna. Et, au bruit du tonnerre, les t roiens, croyant \ncomprendre la pens\u00e9e de Zeus temp\u00eatueux, se ru\u00e8rent plus \nfurieux sur les Argiens. Comme les grandes lames de la haute mer \nassi\u00e8gent les flancs d\u2019une nef, pouss\u00e9es par la violence du vent, car \nc\u2019est elle qui gonfle les eaux ; de m\u00eame les t roiens escaladaient le \nmur avec de grandes clameurs ; et ils poussaient leurs chevaux \net combattaient devant les nefs \u00e0 coups de lances aigu\u00ebs ; et les \nAkhaiens, du haut de leurs nefs noires, les repoussaient avec ces \nlongs pieux, couch\u00e9s dans les nefs, et qui, cercl\u00e9s d\u2019airain, servent \ndans le combat naval.\ntant que les Akhaiens et les t roiens combattirent au-del\u00e0 du mur, \nloin des nefs rapides, Patroklos, assis sous la tente de l\u2019irr\u00e9pro -\nchable Eurypylos, le charma par ses paroles et baigna sa blessure 409\nL \u2019ILIADEde baumes qui gu\u00e9rissent les douleurs am\u00e8res ; mais quand il \nvit que les t roiens avaient franchi le mur, et que les Akhaiens \nfuyaient avec des cris, il g\u00e9mit, et frappa ses cuisses de ses mains, \net il dit en pleurant :\n\u2013 Eurypylos, je ne puis rester plus longtemps, bien que tu souffres, \ncar voici une m\u00eal\u00e9e supr\u00eame. Qu\u2019un de tes compagnons te soigne ; \nil faut que je retourne vers Akhilleus et que je l\u2019exhorte \u00e0 com -\nbattre. Qui sait si, un dieu m\u2019aidant, je ne toucherai point son \n\u00e2me ? Le conseil d\u2019un ami est excellent.\nAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019\u00e9loigna.\nCependant les Akhaiens soutenaient l\u2019assaut des t roiens. Et \nceux-ci ne pouvaient rompre les phalanges des Danaens et enva -\nhir les tentes et les nefs, et ceux-l\u00e0 ne pouvaient repousser l\u2019en -\nnemi loin des nefs. Comme le bois dont on construit une nef est \nmis de niveau par un habile ouvrier \u00e0 qui Ath\u00e8n\u00e8 a enseign\u00e9 toute \nsa science, de m\u00eame le combat \u00e9tait partout \u00e9gal autour des nefs.\nEt le Priamide attaqua l\u2019illustre Aias. Et tous deux soutenaient \nle travail du combat autour des nefs, et l\u2019un ne pouvait \u00e9loigner \nl\u2019autre pour incendier les nefs, et l\u2019autre ne pouvait repousser le \npremier que soutenait un dieu.410CHAnt 15\nEt l\u2019illustre Aias frappa de sa lance Kal\u00e8t\u00f4r, fils de Klytios, comme \ncelui-ci portait le feu sur les nefs ; et Kal\u00e8t\u00f4r tomba renvers\u00e9, lais -\nsant \u00e9chapper la torche de ses mains. Et quand Hekt\u00f4r vit son \nparent tomber dans la poussi\u00e8re devant la nef noire, il cria aux \ntroiens et aux Lykiens :\n\u2013 troiens, Lykiens et Dardaniens belliqueux, n\u2019abandonnez point \nle combat \u00e9troitement engag\u00e9, mais enlevez le fils de Klytios, et \nque les Akhaiens ne le d\u00e9pouillent point de ses armes.\nIl parla ainsi, et lan\u00e7a sa pique \u00e9clatante contre Aias, mais il le \nmanqua, et il atteignit Lykoph\u00f4n, fils de Mast\u00f4r, compagnon \nd\u2019Aias, et qui habitait avec celui-ci, depuis qu\u2019il avait tu\u00e9 un \nhomme dans la divine Kyth\u00e8r\u00e8. Et le Priamide le frappa de sa \nlance aigu\u00eb au-dessus de l\u2019oreille, aupr\u00e8s d\u2019Aias, et Lykoph\u00f4n \ntomba du haut de la poupe sur la poussi\u00e8re, et ses forces furent \ndissoutes. Et Aias, fr\u00e9missant, appela son fr\u00e8re :\n\u2013 Ami t eukros, notre fid\u00e8le compagnon est mort, lui qui, loin de \nKyth\u00e8r\u00e8, vivait aupr\u00e8s de nous et que nous honorions autant que \nnos parents bien-aim\u00e9s. Le magnanime Hekt\u00f4r l\u2019a tu\u00e9. O\u00f9 sont \ntes fl\u00e8ches mortelles et l\u2019arc que t\u2019a donn\u00e9 Phoibos Apoll\u00f4n ?411\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et t eukros l\u2019entendit, et il accourut, tenant en main \nson arc recourb\u00e9 et le carquois plein de fl\u00e8ches. Et il lan\u00e7a ses \nfl\u00e8ches aux t roiens.\nEt il frappa Kl\u00e9itos, fils de Peis\u00e8n\u00f4r, compagnon de l\u2019illustre \nPanthoide Polydamas, dont il conduisait le char et les chevaux \u00e0 \ntravers les phalanges boulevers\u00e9es, afin de plaire \u00e0 Hekt\u00f4r et aux \ntroiens. Mais le malheur l\u2019accabla sans que nul p\u00fbt le secourir ; \net la fl\u00e8che fatale entra derri\u00e8re le cou, et il tomba du char, et les \nchevaux recul\u00e8rent, secouant le char vide.\nEt le prince Polydamas, l\u2019ayant vu, accourut promptement aux \nchevaux et les confia \u00e0 Astynoos, fils de Protia\u00f4n, lui recom -\nmandant de les tenir pr\u00e8s de lui. Et il se m\u00eala de nouveau \naux combattants.\nEt teukros lan\u00e7a une fl\u00e8che contre Hekt\u00f4r, et il l\u2019e\u00fbt retranch\u00e9 du \ncombat, aupr\u00e8s des nefs des Akhaiens, s\u2019il l\u2019avait atteint, et lui e\u00fbt \narrach\u00e9 l\u2019\u00e2me ; mais il ne put \u00e9chapper au regard du sage Zeus \nqui veillait sur Hekt\u00f4r. Et Zeus priva de cette gloire le t \u00e9lam\u00f4nien \nteukros, car il rompit le nerf bien tendu, comme t eukros tendait 412CHAnt 15\nl\u2019arc excellent. Et la fl\u00e8che \u00e0 pointe d\u2019airain s\u2019\u00e9gara, et l\u2019arc tomba \ndes mains de l\u2019archer. Et t eukros fr\u00e9mit et dit \u00e0 son fr\u00e8re :\n\u2013 Ah ! certes, quelque dieu nous traverse dans le combat. Il m\u2019a \narrach\u00e9 l\u2019arc des mains et rompu le nerf tout neuf que j\u2019y avais \nattach\u00e9 moi-m\u00eame ce matin, afin qu\u2019il p\u00fbt lancer beaucoup \nde fl\u00e8ches.\nEt le grand t \u00e9lam\u00f4nien Aias lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 ami, laisse ton arc et tes fl\u00e8ches, puisqu\u2019un dieu jaloux des \nDanaens disperse tes traits. Prends une longue lance, mets un \nbouclier sur tes \u00e9paules et combats les t roiens en excitant les \ntroupes. Que ce ne soit pas du moins sans peine qu\u2019ils se rendent \nma\u00eetres de nos nefs bien construites. Mais souvenons-nous \nde combattre.\nIl parla ainsi, et t eukros, d\u00e9posant son arc dans sa tente, saisit une \nsolide lance \u00e0 pointe d\u2019airain, mit un bouclier \u00e0 quatre lames sur \nses \u00e9paules, un excellent casque \u00e0 crini\u00e8re sur sa t\u00eate, et se h\u00e2ta de \nrevenir aupr\u00e8s d\u2019Aias. Mais quand Hekt\u00f4r eut vu que les fl\u00e8ches 413\nL \u2019ILIADEde t eukros lui \u00e9taient devenues inutiles, il cria \u00e0 haute voix aux \ntroiens et aux Lykiens :\n\u2013 troiens, Lykiens et belliqueux Dardaniens, soyez des hommes, et \nsouvenez-vous de votre force et de votre courage aupr\u00e8s des nefs \ncreuses ! Je vois de mes yeux les fl\u00e8ches d\u2019un brave archer bris\u00e9es \npar Zeus. Il est facile de comprendre \u00e0 qui le puissant Kroni\u00f4n \naccorde ou refuse son aide, qui il menace et qui il veut couvrir \nde gloire. Maintenant, il brise les forces des Akhaiens et il nous \nprot\u00e8ge. Combattez fermement autour des nefs. Si l\u2019un de vous \nest bless\u00e9 et meurt, qu\u2019il meure sans regrets, car il est glorieux de \nmourir pour la patrie, car il sauvera sa femme, ses enfants et tout \nson patrimoine, si les Akhaiens retournent, sur leurs nefs, dans la \nch\u00e8re terre de leurs a\u00efeux.\nAyant ainsi parl\u00e9, il excita la force et le courage de chacun. Et Aias, \nde son c\u00f4t\u00e9, exhortait ses compagnons :\n\u2013 \u00d4 honte ! c\u2019est maintenant, Argiens, qu\u2019il faut p\u00e9rir ou sauver \nles nefs. Esp\u00e9rez-vous, si Hekt\u00f4r au casque mouvant se saisit \nde vos nefs, retourner \u00e0 pied dans la patrie ? ne l\u2019entendez-vous \npoint exciter ses guerriers, ce Hekt\u00f4r qui veut br\u00fbler nos nefs ? \nCe n\u2019est point aux danses qu\u2019il les pousse, mais au combat. Le \nmieux est de leur opposer nos bras et notre vigueur. Il faut mourir 414CHAnt 15\npromptement ou vivre, au lieu de nous consumer dans un com -\nbat sans fin contre des hommes qui ne nous valent pas.\nAyant ainsi parl\u00e9, il ranima le courage de chacun. Alors Hekt\u00f4r \ntua Skh\u00e9dios, fils de P\u00e9rim\u00e8d\u00e8s, chef des Ph\u00f4k\u00e8ens ; et Aias tua \nLaodamas, chef des hommes de pied, fils illustre d\u2019Ant\u00e8n\u00f4r. \nEt Polydamas tua Otos le Kyll\u00e9nien, compagnon du Phyl\u00e9ide, \nchef des magnanimes \u00c9p\u00e9iens. Et M\u00e9g\u00e8s, l\u2019ayant vu, s\u2019\u00e9lan\u00e7a sur \nPolydamas ; mais celui-ci, s\u2019\u00e9tant courb\u00e9, \u00e9chappa au coup de \nla pique, car Apoll\u00f4n ne permit pas que le Panthoide tomb\u00e2t \nparmi les combattants ; et la pique de M\u00e9g\u00e8s per\u00e7a la poitrine de \nKreismos qui tomba avec bruit. Et comme le Phyl\u00e9ide lui arra -\nchait ses armes, le brave Dolops Lamp\u00e9tide se jeta sur lui, Dolops \nqu\u2019engendra le Laom\u00e9dontiade Lampos, le meilleur des hommes \nmortels. Et il per\u00e7a de sa lance le milieu du bouclier de M\u00e9g\u00e8s, \nmais son \u00e9paisse cuirasse pr\u00e9serva celui-ci. C\u2019\u00e9tait la cuirasse que \nPhyleus apporta autrefois d\u2019\u00c9phyr\u00e8, des bords du fleuve Sell\u00e8is.\nEt son h\u00f4te, le roi des hommes, Euph\u00e8t\u00e8s, la lui avait donn\u00e9e, pour \nla porter dans les m\u00eal\u00e9es comme un rempart contre l\u2019ennemi. Et, \nmaintenant, elle pr\u00e9serva son fils de la mort. Et M\u00e9g\u00e8s frappa de \nson \u00e9p\u00e9e le c\u00f4ne du casque d\u2019airain \u00e0 crini\u00e8re de cheval, et l\u2019ai -\ngrette rompue tomba dans la poussi\u00e8re, ayant \u00e9t\u00e9 teinte r\u00e9cem -\nment d\u2019une couleur de pourpre. Et tandis que M\u00e9g\u00e8s combattait 415\nL \u2019ILIADEencore et esp\u00e9rait la victoire, le brave M\u00e9n\u00e9laos accourut \u00e0 son \naide, et, venant \u00e0 la d\u00e9rob\u00e9e, frappa l\u2019\u00e9paule du t roien. Et la pointe \nd\u2019airain traversa la poitrine, et le guerrier tomba sur la face.\nEt les deux Akhaiens s\u2019\u00e9lan\u00e7aient pour le d\u00e9pouiller de ses armes \nd\u2019airain ; mais Hekt\u00f4r excita les parents de Dolops, et surtout il \nr\u00e9primanda le Hik\u00e9taonide, le brave M\u00e9nalippos, qui paissait, \navant la guerre, ses b\u0153ufs aux pieds flexibles dans Perk\u00f4t\u00e8, mais \nqui vint \u00e0 Ilios quand les nefs Danaennes aux doubles avirons \narriv\u00e8rent. Et il brillait parmi les t roiens, et il habitait aupr\u00e8s de \nPriamos qui l\u2019honorait \u00e0 l\u2019\u00e9gal de ses fils. Et Hekt\u00f4r lui adressa ces \nparoles dures et s\u00e9v\u00e8res :\n\u2013 Ainsi, M\u00e9nalippos, nous restons inertes. t on parent mort ne \ntouche-t-il point ton c\u0153ur ? ne vois-tu pas qu\u2019ils arrachent les \narmes de Dolops ? Suis-moi. Ce n\u2019est plus de loin qu\u2019il faut com -\nbattre les Argiens. n ous les tuerons, ou la haute Ilios sera prise et \nils \u00e9gorgeront ses citoyens.\nEn parlant ainsi, il s\u2019\u00e9lan\u00e7a, et M\u00e9nalippos le suivit, semblable \u00e0 \nun dieu.416CHAnt 15\nEt le grand t \u00e9lam\u00f4nien Aias exhortait les Akhaiens :\n\u2013 \u00d4 amis ! soyez des hommes. Ayez honte de fuir et faites face au \ncombat. Les braves sont plut\u00f4t sauv\u00e9s que tu\u00e9s, et les l\u00e2ches seuls \nn\u2019ont ni gloire, ni salut.\nIl parla ainsi, et les Akhaiens retinrent ses paroles dans leur \nesprit, pr\u00eats \u00e0 s\u2019entre-aider ; et ils faisaient comme un mur d\u2019ai -\nrain autour des nefs ; et Zeus excitait les t roiens contre eux. Et le \nbrave M\u00e9n\u00e9laos anima ainsi Antilokhos :\n\u2013 Antilokhos, nul d\u2019entre les Akhaiens n\u2019est plus jeune que toi, ni \nplus rapide, ni plus brave au combat. Pl\u00fbt aux dieux que tu pusses \ntuer quelque t roien !\nIl parla ainsi, et il le laissa excit\u00e9 par ces paroles. Et Antilokhos \nse jeta parmi les combattants et lan\u00e7a sa pique \u00e9clatante, et les \ntroiens recul\u00e8rent ; mais la pique ne fut point lanc\u00e9e en vain, car \nelle per\u00e7a \u00e0 la poitrine, pr\u00e8s de la mamelle, M\u00e9nalippos, l\u2019orgueil -\nleux fils de Hik\u00e9ta\u00f4n. Et il tomba et ses armes sonn\u00e8rent. Et le \nbrave Antilokhos se jeta sur lui, comme un chien sur un faon \nqu\u2019un chasseur a perc\u00e9 tandis qu\u2019il bondissait hors du g\u00eete. Ainsi, \nM\u00e9nalippos, le belliqueux Antilokhos sauta sur toi pour t\u2019arra -\ncher tes armes ; mais le divin Hekt\u00f4r, l\u2019ayant vu, courut sur lui \u00e0 417\nL \u2019ILIADEtravers la m\u00eal\u00e9e. Et Antilokhos ne l\u2019attendit pas, quoique brave, et \nil prit la fuite, comme une b\u00eate fauve qui, ayant tu\u00e9 un chien, ou le \nbouvier au milieu des b\u0153ufs, fuit avant que la foule des hommes \nla poursuive.\nAinsi fuyait le nest\u00f4ride. Et les troiens et Hekt\u00f4r, avec de grands \ncris, l\u2019accablaient de traits violents ; mais il leur fit face, arriv\u00e9 \naupr\u00e8s de ses compagnons.\nEt les t roiens, semblables \u00e0 des lions mangeurs de chair crue, se \nruaient sur les nefs, accomplissant ainsi les ordres de Zeus, car \nil leur inspirait la force et il troublait l\u2019\u00e2me des Argiens, voulant \ndonner une grande gloire au Priamide Hekt\u00f4r, et le laisser jeter la \nflamme ardente sur les nefs aux poupes recourb\u00e9es, afin d\u2019exaucer \nla fatale pri\u00e8re de th\u00e9tis. Et le sage Zeus attendait qu\u2019il e\u00fbt vu le \nfeu embraser une nef, et alors il repousserait les t roiens loin des \nnefs et rendrait la victoire aux Danaens. C\u2019est pourquoi il entra\u00ee -\nnait vers les nefs creuses le Priamide Hekt\u00f4r d\u00e9j\u00e0 plein d\u2019ardeur, \nfurieux, agitant sa lance comme Ar\u00e8s, ou pareil \u00e0 un incendie ter -\nrible qui gronde sur les montagnes, dans l\u2019\u00e9paisseur d\u2019une for\u00eat \nprofonde. Et la bouche de Hekt\u00f4r \u00e9cumait, et ses yeux flambaient \nsous ses sourcils, et son casque s\u2019agitait sur sa t\u00eate guerri\u00e8re.418CHAnt 15\nEt Zeus lui venait en aide, l\u2019honorant et le glorifiant parmi les \nhommes, car sa vie devait \u00eatre br\u00e8ve, et voici que Pallas Ath\u00e8n\u00e8 \npr\u00e9parait le jour fatal o\u00f9 il tomberait sous la violence du P\u00e8l\u00e9ide.\nEt il tentait de rompre les lignes des guerriers, se ruant l\u00e0 o\u00f9 il \nvoyait la m\u00eal\u00e9e la plus press\u00e9e et les armes les plus belles.\nMais, malgr\u00e9 son d\u00e9sir, il ne pouvait rompre l\u2019arm\u00e9e ennemie, car \ncelle-ci r\u00e9sistait comme une tour, ou comme une roche \u00e9norme \net haute qui, se dressant pr\u00e8s de la blanche mer, soutient le souffle \nrugissant des vents et le choc des grandes lames qui se brisent \ncontre elle. Ainsi les Danaens soutenaient fermement l\u2019assaut des \ntroiens et ne fuyaient point, tandis que Hekt\u00f4r, \u00e9clatant comme \nle feu, bondissait de tous c\u00f4t\u00e9s dans la m\u00eal\u00e9e.\nComme l\u2019eau de la mer, enfl\u00e9e par les vents qui soufflent avec \nv\u00e9h\u00e9mence du milieu des nu\u00e9es, assi\u00e8ge une nef rapide et la \ncouvre tout enti\u00e8re d\u2019\u00e9cume, tandis que le vent fr\u00e9mit dans la voile \net que les matelots sont \u00e9pouvant\u00e9s, parce que la mort est proche ; \nde m\u00eame le c\u0153ur des Akhaiens se rompait dans leurs poitrines.\nOu, quand il arrive qu\u2019un lion d\u00e9sastreux tombe au milieu des \nb\u0153ufs innombrables qui paissent dans un vaste mar\u00e9cage, de \nm\u00eame que le bouvier, ne sachant point combattre les b\u00eates 419\nL \u2019ILIADEfauves pour le salut de ses b\u0153ufs noirs, va tant\u00f4t \u00e0 un bout, tan -\nt\u00f4t \u00e0 l\u2019autre bout du troupeau, tandis que le lion bondit au milieu \ndes g\u00e9nisses qui s\u2019\u00e9pouvantent et en d\u00e9vore une ; de m\u00eame les \nAkhaiens \u00e9taient boulevers\u00e9s par Hekt\u00f4r et par le p\u00e8re Zeus.\nCependant, le Priamide n\u2019avait tu\u00e9 que le seul P\u00e9riph\u00e8t\u00e8s de \nMyk\u00e8n\u00e8, fils bien-aim\u00e9 de Kypreus, qui portait \u00e0 la force \nH\u00e8rakl\u00e9enne les ordres du roi Eurystheus.\nIl \u00e9tait n\u00e9 fils excellent d\u2019un p\u00e8re indigne, et, par toutes les ver -\ntus, par son courage et par sa sagesse, il \u00e9tait le premier des \nMyk\u00e8naiens. Et il donna une grande gloire \u00e0 Hekt\u00f4r, car, en se \nretournant, il heurta le bord du grand bouclier qui le couvrait \ntout entier et le pr\u00e9servait des traits ; et, les pieds embarrass\u00e9s, il \ntomba en arri\u00e8re, et, dans sa chute, son casque r\u00e9sonna autour \nde ses tempes. Alors, Hekt\u00f4r, l\u2019ayant vu, accourut et lui per\u00e7a la \npoitrine d\u2019un coup de lance, au milieu de ses compagnons qui \nn\u2019os\u00e8rent le secourir, tant ils redoutaient le divin Hekt\u00f4r.\nEt les Argiens qui, d\u2019abord, \u00e9taient devant les nefs, se r\u00e9fugiaient \nmaintenant au milieu de celles qui, les premi\u00e8res, avaient \u00e9t\u00e9 \ntir\u00e9es sur le sable. Puis, c\u00e9dant \u00e0 la force, ils abandonn\u00e8rent aussi \nles intervalles de celles-ci, mais, s\u2019arr\u00eatant devant les tentes, ils ne 420CHAnt 15\nse dispers\u00e8rent point dans le camp, car la honte et la terreur les \nretenaient, et ils s\u2019exhortaient les uns les autres.\nAlors, le G\u00e9rennien n est\u00f4r, rempart des Akhaiens, attestant leurs \nparents, adjura chaque guerrier :\n\u2013 \u00d4 amis, soyez des hommes ! Craignez la honte en face des \nautres hommes. Souvenez-vous de vos fils, de vos femmes, de \nvos domaines, de vos parents qui vivent encore ou qui sont morts. \nJe vous adjure en leur nom de tenir ferme et de ne pas fuir.\nIl parla ainsi, et il ranima leur force et leur courage. Alors, Ath\u00e8n\u00e8 \ndissipa la nu\u00e9e \u00e9paisse qui couvrait leurs yeux, et la lumi\u00e8re \nse fit de toutes parts, autant sur les nefs que sur le champ de \nbataille. Et ceux qui fuyaient, comme ceux qui luttaient, et ceux \nqui combattaient aupr\u00e8s des nefs rapides, virent le brave Hekt\u00f4r \net ses compagnons.\nEt il ne plut point \u00e0 l\u2019\u00e2me du magnanime Aias de rester o\u00f9 \u00e9taient \nles autres fils des Akhaiens. Et il s\u2019avan\u00e7a, traversant les poupes \ndes nefs et agitant un grand pieu cercl\u00e9 d\u2019airain et long de vingt-\ndeux coud\u00e9es. Comme un habile cavalier qui, ayant mis ensemble \nquatre chevaux tr\u00e8s agiles, les pousse vers une grande ville, sur le \nchemin public, et que les hommes et les femmes admirent, tandis 421\nL \u2019ILIADEqu\u2019il saute de l\u2019un \u00e0 l\u2019autre, et qu\u2019ils courent toujours ; de m\u00eame \nAias marchait rapidement sur les poupes des nefs, et sa voix mon -\ntait dans l\u2019Ouranos, tandis qu\u2019il excitait par de grandes clameurs \nles Danaens \u00e0 sauver les tentes et les nefs.\nHekt\u00f4r, de son c\u00f4t\u00e9, ne restait point dans la foule des t roiens \nbien arm\u00e9s. Comme un aigle fauve qui tombe sur une multitude \nd\u2019oiseaux, paissant le long d\u2019un fleuve, oies, grues et cygnes aux \nlongs cous ; de m\u00eame Hekt\u00f4r se pr\u00e9cipita sur une nef \u00e0 proue \nbleue. Et, de sa grande main, Zeus le poussait par derri\u00e8re, et tout \nson peuple avec lui. Et, de nouveau, une violente m\u00eal\u00e9e s\u2019engagea \nautour des nefs. On e\u00fbt dit des hommes infatigables et indompt\u00e9s \nse ruant \u00e0 un premier combat, tant ils luttaient tous avec ardeur.\nEt les Akhaiens, n\u2019esp\u00e9rant pas \u00e9chapper au carnage, se croyaient \ndestin\u00e9s \u00e0 la mort, et les t roiens esp\u00e9raient, dans leur c\u0153ur, br\u00fbler \nles nefs et tuer les h\u00e9ros Akhaiens. Et ils se ruaient, avec ces pen -\ns\u00e9es, les uns contre les autres.\nHekt\u00f4r saisit la poupe de la nef belle et rapide qui avait amen\u00e9 \nPr\u00f4t\u00e9silaos \u00e0 t roi\u00e8 et qui n\u2019avait point d\u00fb le ramener dans la \nterre de la patrie. Et les Akhaiens et les t roiens s\u2019entre-tuaient \npour cette nef. Et l\u2019imp\u00e9tuosit\u00e9 des fl\u00e8ches et des piques ne leur \nsuffisant plus, ils se frappaient, dans une m\u00eame pens\u00e9e, avec 422CHAnt 15\nles doubles haches tranchantes, les grandes \u00e9p\u00e9es et les lances \naigu\u00ebs. Et beaucoup de beaux glaives \u00e0 poign\u00e9e noire tombaient \nsur le sable des mains et des \u00e9paules des hommes qui combat -\ntaient, et la terre \u00e9tait tremp\u00e9e d\u2019un sang noir. Mais Hekt\u00f4r saisis -\nsant de ses mains les ornements de la poupe, et s\u2019y attachant, cria \naux troiens :\n\u2013 Apportez le feu, et poussez des clameurs en vous ruant ! Zeus \nnous offre le jour de la vengeance en nous livrant ces nefs qui, \nvenues vers Ilios contre la volont\u00e9 des dieux, nous ont apport\u00e9 \ntant de calamit\u00e9s, par la l\u00e2chet\u00e9 des vieillards qui me retenaient \net retenaient l\u2019arm\u00e9e quand je voulais marcher et combattre ici. \nMais si le pr\u00e9voyant Zeus aveuglait alors notre esprit, maintenant \nc\u2019est lui-m\u00eame qui nous excite et nous pousse !\nIl parla ainsi, et tous se jet\u00e8rent avec plus de fureur sur les Akhaiens.\nEt Aias ne put soutenir plus longtemps l\u2019assaut, car il \u00e9tait acca -\nbl\u00e9 de traits ; et il recula, de peur de mourir, jusqu\u2019au banc des \nrameurs, long de sept pieds, et il abandonna la poupe de la nef. \nMais, du banc o\u00f9 il \u00e9tait, il \u00e9loignait \u00e0 coups de lance chaque 423\nL \u2019ILIADEtroien qui apportait le feu infatigable. Et, avec d\u2019horribles cris, il \nexhortait les Danaens :\n\u2013 \u00d4 amis, h\u00e9ros Danaens, serviteurs d\u2019Ar\u00e8s, soyez des hommes ! \nSouvenez-vous de votre force et de votre courage. Pensez-vous \ntrouver derri\u00e8re vous d\u2019autres d\u00e9fenseurs, ou une muraille plus \ninaccessible qui vous pr\u00e9serve de la mort ? nous n\u2019avons point ici \nde ville ceinte de tours d\u2019o\u00f9 nous puissions repousser l\u2019ennemi et \nassurer notre salut. Mais nous sommes ici dans les plaines des \ntroiens bien arm\u00e9s, accul\u00e9s contre la mer, loin de la terre de la \npatrie, et notre salut est dans nos mains et non dans la lassitude \ndu combat.\nIl parla ainsi, et, furieux, il traversait de sa lance aigu\u00eb chaque \ntroien qui apportait le feu sur les nefs creuses afin de plaire \u00e0 \nHekt\u00f4r et de lui ob\u00e9ir. Et, ceux-l\u00e0, Aias les traversait de sa lance \naigu\u00eb, et il en tua douze devant les nefs.424CHAnt 15425\nL \u2019ILIADEChant 16\nEt ils combattaient ainsi pour les nefs bien construites. Et \nPatroklos se tenait devant le prince des peuples, Akhilleus, ver -\nsant de chaudes larmes, comme une source d\u2019eau noire qui flue \ndu haut d\u2019un rocher. Et le divin Akhilleus en eut compassion, et il \nlui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Pourquoi pleures-tu, Patroklos, comme une petite fille qui court \napr\u00e8s sa m\u00e8re, saisit sa robe et la regarde en pleurant jusqu\u2019\u00e0 ce \nque celle-ci la prenne dans ses bras ? Semblable \u00e0 cette enfant, \u00f4 \nPatroklos, tu verses des larmes abondantes. Quel message as-tu \npour les Myrmidones ou pour moi ? As-tu seul re\u00e7u quelque nou -\nvelle de la Phthi\u00e8 ? On dit cependant que le fils d\u2019Akt\u00f4r, M\u00e9noitios, \net l\u2019Aiakide P\u00e8leus vivent encore parmi les Myrmidones. Certes, \nnous serions accabl\u00e9s, s\u2019ils \u00e9taient morts. Mais peut-\u00eatre \npleures-tu pour les Argiens qui p\u00e9rissent aupr\u00e8s des nefs creuses, \npar leur propre iniquit\u00e9 ? Parle, ne me cache rien afin que nous \nsachions tous deux.426CHAnt 16\nEt le cavalier Patroklos, avec un profond soupir, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 Akhilleus, fils de P\u00e8leus, le plus brave des Akhaiens, ne t\u2019irrite \npoint, car de grandes calamit\u00e9s accablent les Akhaiens. D\u00e9j\u00e0 les \nplus braves d\u2019entre eux gisent dans les nefs, frapp\u00e9s et bless\u00e9s. Le \nrobuste tyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s est bless\u00e9, et Odysseus illustre par sa \nlance, et Agamemn\u00f4n.\nEurypylos a la cuisse perc\u00e9e d\u2019une fl\u00e8che ; et les m\u00e9decins les \nsoignent et baignent leurs blessures avec des baumes. Mais toi, \nAkhilleus, tu es implacable ! \u00d4 P\u00e8l\u00e8iade, dou\u00e9 d\u2019un courage inu -\ntile, qu\u2019une col\u00e8re telle que la tienne ne me saisisse jamais ! \u00c0 qui \nviendras-tu d\u00e9sormais en aide, si tu ne sauves pas les Argiens de \ncette ruine terrible ? \u00d4 inexorable ! Le cavalier P\u00e8leus n\u2019est point \nton p\u00e8re, t h\u00e9tis ne t\u2019a point con\u00e7u. La mer bleue t\u2019a enfant\u00e9 et \nton \u00e2me est dure comme les hauts rochers. Si tu fuis l\u2019accom -\nplissement d\u2019un oracle, et si ta m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable t\u2019a averti de la \npart de Zeus, au moins envoie-moi promptement \u00e0 la t\u00eate des \nMyrmidones, et que j\u2019apporte une lueur de salut aux Danaens ! \nLaisse-moi couvrir mes \u00e9paules de tes armes. Les t roiens recule -\nront, me prenant pour toi, et les fils belliqueux des Akhaiens res -\npireront, et nous chasserons facilement, nouveaux combattants, \nces hommes \u00e9cras\u00e9s de fatigue, loin des tentes et des nefs, vers \nleur ville.427\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, suppliant, l\u2019insens\u00e9 ! cherchant la mort et la k\u00e8r \nfatale. Et Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit en g\u00e9missant :\n\u2013 Divin Patroklos, qu\u2019as-tu dit ? Je ne m\u2019inqui\u00e8te d\u2019aucun oracle, et \nma m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable ne m\u2019a rien annonc\u00e9 de la part de Zeus. Mais \nun noir chagrin est dans mon c\u0153ur et trouble mon esprit, depuis \nque cet homme, dont la puissance est la plus haute, m\u2019a arrach\u00e9 \nma r\u00e9compense, \u00e0 moi qui suis son \u00e9gal ! tel est le noir chagrin \nqui me ronge.\nCette jeune femme que j\u2019avais conquise par ma lance, apr\u00e8s avoir \nrenvers\u00e9 une ville aux fortes murailles, et que les fils des Akhaiens \nm\u2019avaient donn\u00e9e en r\u00e9compense, le roi Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n me \nl\u2019a arrach\u00e9e des mains, comme \u00e0 un vil vagabond ! Mais oublions \nle pass\u00e9. Sans doute je ne puis nourrir dans mon c\u0153ur une col\u00e8re \n\u00e9ternelle. J\u2019avais r\u00e9solu de ne la d\u00e9poser que le jour o\u00f9 les clameurs \nde la guerre parviendraient jusqu\u2019\u00e0 mes nefs. Couvre donc tes \n\u00e9paules de mes armes illustres, et m\u00e8ne les braves Myrmidones \nau combat, puisqu\u2019une noire nu\u00e9e de t roiens enveloppe les nefs. \nVoici que les Argiens sont accul\u00e9s contre le rivage de la mer, dans \nun espace tr\u00e8s-\u00e9troit, et toute la ville des troiens s\u2019est ru\u00e9e sur \neux avec audace, car ils ne voient point le front de mon casque \nresplendir. Certes, dans leur fuite, ils empliraient les foss\u00e9s des \nchamps de leurs cadavres, si le roi Agamemn\u00f4n ne m\u2019avait point 428CHAnt 16\noutrag\u00e9 ; et maintenant ils assi\u00e8gent le camp. La lance furieuse du \ntyd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s ne s\u2019agite plus dans ses mains pour sauver les \nDanaens de la mort, et je n\u2019entends plus la voix de l\u2019Atr\u00e9ide sor -\ntir de sa t\u00eate d\u00e9test\u00e9e, mais celle du tueur d\u2019hommes Hekt\u00f4r, qui \nexcite les t roiens de toutes parts. Et la clameur de ceux-ci rem -\nplit toute la plaine, et ils bouleversent les Akhaiens. Va, Patroklos, \nrue-toi sur eux, et repousse cette ruine loin des nefs. n e les laisse \npas d\u00e9truire les nefs par le feu ardent, et que le doux retour ne \nnous soit pas ravi. Mais garde mes paroles dans ton esprit, si tu \nveux que je sois honor\u00e9 et glorifi\u00e9 par tous les Danaens, et qu\u2019ils \nme rendent cette belle jeune femme et un grand nombre de pr\u00e9 -\nsents splendides, par surcro\u00eet.\nRepousse les t roiens loin des nefs et reviens. Si l\u2019\u00c9poux de H\u00e8r\u00e8, \nqui tonne au loin, te donne la victoire, ne dompte pas sans moi \nles t roiens belliqueux ; car tu me couvrirais de honte, si, les ayant \nvaincus, et plein de l\u2019orgueil et de l\u2019ivresse du combat, tu menais \nl\u2019arm\u00e9e \u00e0 Ilios. Crains qu\u2019un des dieux \u00e9ternels ne se rue sur toi \ndu haut de l\u2019Olympos, surtout l\u2019archer Apoll\u00f4n qui prot\u00e8ge les \ntroiens. Reviens apr\u00e8s avoir sauv\u00e9 les nefs, et laisse-les combattre \ndans la plaine. Qu\u2019il vous plaise, \u00f4 p\u00e8re Zeus, \u00f4 Ath\u00e8n\u00e8, \u00f4 Apoll\u00f4n, \nque nul d\u2019entre les t roiens et les Akhaiens n\u2019\u00e9vite la mort, et que, \nseuls, nous survivions tous deux et renversions les murailles \nsacr\u00e9es d\u2019Ilios !429\nL \u2019ILIADEEt ils se parlaient ainsi. Mais Aias ne suffisait plus au combat, tant \nil \u00e9tait accabl\u00e9 de traits. Et l\u2019esprit de Zeus et les t roiens illustres \nl\u2019emportaient sur lui ; et son casque splendide, dont les aigrettes \n\u00e9taient rompues par les coups, sonnait autour de ses tempes, et \nson \u00e9paule fatigu\u00e9e ne pouvait plus soutenir le poids du bouclier. \nEt cependant, malgr\u00e9 la nu\u00e9e des traits, ils ne pouvaient l\u2019\u00e9bran -\nler, bien que respirant \u00e0 peine, inond\u00e9 de la sueur de tous ses \nmembres, et haletant sous des maux multipli\u00e9s.\nEt Hekt\u00f4r frappa de sa grande \u00e9p\u00e9e la lance de fr\u00eane d\u2019Aias, et il \nla coupa l\u00e0 o\u00f9 la pointe se joignait au bois ; et le t \u00e9lam\u00f4nien Aias \nn\u2019agita plus dans sa main qu\u2019une lance mutil\u00e9e, car la pointe d\u2019ai -\nrain, en tombant, sonna contre terre.\nEt Aias, dans son c\u0153ur irr\u00e9prochable, reconnut avec horreur \nl\u2019\u0153uvre des dieux, et vit que Zeus qui tonne dans les hauteurs, \ndomptant son courage, donnait la victoire aux t roiens. Et il se \nretira loin des traits, et les troiens jet\u00e8rent le feu infatigable sur \nla nef rapide, et la flamme inextinguible enveloppa aussit\u00f4t la \npoupe, et Akhilleus, frappant ses cuisses, dit \u00e0 Patroklos :\n\u2013 H\u00e2te-toi, divin Patroklos ! Je vois le feu ardent sur les nefs. Si \nelles br\u00fblent, nous ne pourrons plus songer au retour. Rev\u00eats \npromptement mes armes, et j\u2019assemblerai mon peuple.430CHAnt 16\nIl parla ainsi, et Patroklos se couvrit de l\u2019airain splendide. Il atta -\ncha de belles kn\u00e8mides \u00e0 ses jambes avec des agrafes d\u2019argent ; il \nmit sur sa poitrine la cuirasse \u00e9tincelante, aux mille reflets, du \nrapide Akhilleus, et il suspendit \u00e0 ses \u00e9paules l\u2019\u00e9p\u00e9e d\u2019airain aux \nclous d\u2019argent. Puis, il prit le grand et solide bouclier, et il posa sur \nsa noble t\u00eate le casque magnifique \u00e0 la terrible aigrette de crins, et \nde ses mains il saisit de fortes piques ; mais il laissa la lance lourde, \nimmense et solide, de l\u2019irr\u00e9prochable Aiakide, la lance P\u00e8liade que \nKheir\u00f4n avait apport\u00e9e \u00e0 son p\u00e8re bien-aim\u00e9 des cimes du P\u00e8lios, \nafin d\u2019\u00eatre la mort des h\u00e9ros. Et Patroklos ordonna \u00e0 Autom\u00e9d\u00f4n, \nqu\u2019il honorait le plus apr\u00e8s Akhilleus, et qui lui \u00e9tait le plus fid\u00e8le \ndans le combat, d\u2019atteler les chevaux au char.\nEt c\u2019est pourquoi Autom\u00e9d\u00f4n soumit au joug les chevaux rapides, \nXanthos et Balios, qui, tous deux, volaient comme le vent, et que \nla Harpye Podarg\u00e8 avait con\u00e7us de Z\u00e9phyros, lorsqu\u2019elle paissait \ndans une prairie aux bords du fleuve Ok\u00e9anos. Et Autom\u00e9d\u00f4n \nlia au-del\u00e0 du timon l\u2019irr\u00e9prochable P\u00e8dasos qu\u2019Akhilleus avait \namen\u00e9 de la ville saccag\u00e9e de \u00ca\u00e9ti\u00f4n. Et P\u00e8dasos, bien que mortel, \nsuivait les chevaux immortels.\nEt Akhilleus armait les Myrmidones sous leurs tentes. De m\u00eame \nque des loups mangeurs de chair crue et pleins d\u2019une grande \nforce qui, d\u00e9vorant un grand cerf rameux qu\u2019ils ont tu\u00e9 sur les 431\nL \u2019ILIADEmontagnes, vont en troupe, la gueule rouge de sang et vomissant \nle sang, laper de leurs langues l\u00e9g\u00e8res les eaux de la source noire, \ntandis que leur ventre s\u2019enfle et que leur c\u0153ur est toujours intr\u00e9 -\npide ; de m\u00eame les chefs des Myrmidones se pressaient autour du \nbrave compagnon du rapide Aiakide. Et, au milieu d\u2019eux, le belli -\nqueux Akhilleus excitait les porteurs de boucliers et les chevaux.\nEt Akhilleus cher \u00e0 Zeus avait conduit \u00e0 t roi\u00e8 cinquante nefs \nrapides, et cinquante guerriers \u00e9taient assis sur les bancs de \nrameurs de chacune, et cinq chefs les commandaient sous \nses ordres.\nEt le premier chef \u00e9tait M\u00e9n\u00e8sthios \u00e0 la cuirasse \u00e9tincelante, aux \nmille reflets, fils du fleuve Sperkhios qui tombait de Zeus.\nEt la belle Polydor\u00e8, fille de P\u00e8leus, femme mortelle \u00e9pouse d\u2019un \ndieu, l\u2019avait con\u00e7u de l\u2019infatigable Sperkhios ; mais B\u00f4ros, fils de \nP\u00e9ri\u00e8reus, l\u2019ayant \u00e9pous\u00e9e en la dotant richement, passait pour \n\u00eatre le p\u00e8re de M\u00e9n\u00e8sthios.\nEt le deuxi\u00e8me chef \u00e9tait le brave Eud\u00f4ros, con\u00e7u en secret, et \nqu\u2019avait enfant\u00e9 la belle Polym\u00e8l\u00e8, habile dans les danses, fille de \nPhylas. Et le tueur d\u2019Argos l\u2019aima, l\u2019ayant vue dans un ch\u0153ur de la \ntumultueuse Art\u00e9mis \u00e0 l\u2019arc d\u2019or. Et l\u2019illustre Herm\u00e9ias, montant 432CHAnt 16\naussit\u00f4t dans les combles de la demeure, coucha secr\u00e8tement \navec elle, et elle lui donna un fils illustre, l\u2019agile et brave Eud\u00f4ros. \nEt apr\u00e8s qu\u2019Eil\u00e9ithya qui pr\u00e9side aux douloureux enfantements \nl\u2019eut conduit \u00e0 la lumi\u00e8re, et qu\u2019il eut vu la splendeur de H\u00e9lios, \nle robuste Aktoride Ekh\u00e9khleus conduisit Polym\u00e8l\u00e8 dans ses \ndemeures et lui fit mille dons nuptiaux. Et le vieux Phylas \u00e9leva \net nourrit avec soin Eud\u00f4ros, comme s\u2019il \u00e9tait son fils.\nEt le troisi\u00e8me chef \u00e9tait le brave Peisandros Maimalide qui excel -\nlait au combat de la lance, parmi les Myrmidones, apr\u00e8s Patroklos.\nEt le quatri\u00e8me chef \u00e9tait le vieux cavalier Phoinix, et le cin -\nqui\u00e8me \u00e9tait l\u2019irr\u00e9prochable Akhim\u00e9d\u00f4n, fils de Laerkeus.\nEt Akhilleus, les ayant tous rang\u00e9s sous leurs chefs, leur dit en \nparoles s\u00e9v\u00e8res :\n\u2013 Myrmidones, qu\u2019aucun de vous n\u2019oublie les menaces que, dans \nles nefs rapides, vous adressiez aux t roiens, durant les jours de \nma col\u00e8re, quand vous m\u2019accusiez moi-m\u00eame, disant : \u2013 \u00d4 dur fils \nde P\u00e8leus, sans doute une m\u00e8re farouche t\u2019a nourri de fiel, toi qui \nretiens de force tes compagnons sur leurs nefs ! Que nous retour -\nnions au moins dans nos demeures sur les nefs qui fendent la mer, \npuisqu\u2019une col\u00e8re inexorable est entr\u00e9e dans ton c\u0153ur. \u2013 Souvent 433\nL \u2019ILIADEvous me parliez ainsi. Aujourd\u2019hui, voici le grand combat dont \nvous \u00e9tiez avides. Que chacun de vous, avec un c\u0153ur solide, lutte \ndonc contre les t roiens.\nIl parla ainsi, et il excita la force et le courage de chacun, et ils \nserr\u00e8rent leurs rangs. De m\u00eame qu\u2019un homme fortifie de pierres \n\u00e9paisses le mur d\u2019une haute maison qui soutiendra l\u2019effort des \nvents, de m\u00eame les casques et les boucliers bomb\u00e9s se press\u00e8rent, \ntous se soutenant les uns les autres, boucliers contre boucliers, \ncasques \u00e0 crini\u00e8res \u00e9tincelantes contre casques, homme contre \nhomme. Et Patroklos et Autom\u00e9d\u00f4n, qui n\u2019avaient qu\u2019une \u00e2me, se \nmirent en t\u00eate des Myrmidones.\nMais Akhilleus entra sous sa tente, et souleva le couvercle d\u2019un \ncoffre riche et bien fait, et plein de tuniques, de manteaux imp\u00e9 -\nn\u00e9trables au vent et de tapis velus. Et l\u00e0 se trouvait une coupe d\u2019un \nbeau travail dans laquelle le vin ardent n\u2019avait \u00e9t\u00e9 vers\u00e9 que pour \nAkhilleus seul entre tous les hommes, et qui n\u2019avait fait de liba -\ntions qu\u2019au p\u00e8re Zeus seul entre tous les dieux.\nEt, l\u2019ayant retir\u00e9e du coffre, il la purifia avec du soufre, puis il la \nlava avec de l\u2019eau pure et claire, et il lava ses mains aussi ; et, pui -\nsant le vin ardent, faisant des libations et regardant l\u2019Ouranos, il 434CHAnt 16\npria debout au milieu de tous, et Zeus qui se r\u00e9jouit de la foudre \nl\u2019entendit et le vit :\n\u2013 Zeus ! roi D\u00f4d\u00f4naien, P\u00e9lasgique, qui, habitant au loin, com -\nmandes sur D\u00f4d\u00f4n\u00e8 envelopp\u00e9e par l\u2019hiver, au milieu de tes divi -\nnateurs, les Selles, qui ne se lavent point les pieds et dorment sur \nla terre, si tu as d\u00e9j\u00e0 exauc\u00e9 ma pri\u00e8re, et si, pour m\u2019honorer, tu \nas rudement ch\u00e2ti\u00e9 le peuple des Akhaiens, accomplis encore \nmon v\u0153u ! Je reste dans l\u2019enceinte de mes nefs, mais j\u2019envoie mon \ncompagnon combattre en t\u00eate de nombreux Myrmidones. \u00d4 \nPr\u00e9voyant Zeus ! donne-lui la victoire, affermis son c\u0153ur dans \nsa poitrine, et que Hekt\u00f4r apprenne que mon compagnon sait \ncombattre seul et que ses mains robustes n\u2019attendent point pour \nagir que je me rue dans le carnage d\u2019Ar\u00e8s. Mais, ayant repouss\u00e9 \nla guerre et ses clameurs loin des nefs, qu\u2019il revienne, sain et sauf, \nvers mes nefs rapides, avec mes armes et mes braves compagnons !\nIl parla ainsi en priant, et le sage Zeus l\u2019entendit, et il exau\u00e7a une \npartie de sa pri\u00e8re, et il rejeta l\u2019autre. Il voulut bien que Patroklos \nrepouss\u00e2t la guerre et le combat loin des nefs, mais il ne voulut \npas qu\u2019il rev\u00eent sain et sauf du combat.435\nL \u2019ILIADEApr\u00e8s avoir fait des libations et suppli\u00e9 le p\u00e8re Zeus, le P\u00e8l\u00e9ide ren -\ntra sous sa tente et d\u00e9posa la coupe dans le coffre ; et il sortit de \nnouveau pour regarder la rude m\u00eal\u00e9e des t roiens et des Akhaiens.\nEt les Myrmidones, rang\u00e9s sous le magnanime Patroklos, se \nru\u00e8rent, pleins d\u2019ardeur, contre les t roiens. Et ils se r\u00e9pandaient \nsemblables \u00e0 des gu\u00eapes, nich\u00e9es sur le bord du chemin, et que \ndes enfants se plaisent \u00e0 irriter dans leurs nids. Et ces insens\u00e9s \npr\u00e9parent un grand mal pour beaucoup ; car, si un voyageur les \nexcite involontairement au passage, les gu\u00eapes au c\u0153ur intr\u00e9 -\npide tourbillonnent et d\u00e9fendent leurs petits. Ainsi les braves \nMyrmidones se r\u00e9pandaient hors des nefs ; et une immense \nclameur s\u2019\u00e9leva ; et Patroklos exhorta ainsi ses compagnons \u00e0 \nvoix haute :\n\u2013 Myrmidones, compagnons du P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus, amis, soyez \ndes hommes, et souvenez-vous de votre force et de votre cou -\nrage, afin d\u2019honorer le P\u00e8l\u00e9ide, le plus brave des hommes, aupr\u00e8s \ndes nefs des Argiens, et nous, ses belliqueux compagnons. Et que \nl\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n qui commande au loin reconnaisse sa \nfaute, lui qui a outrag\u00e9 le plus brave des Akhaiens.\nIl parla ainsi, et il excita leur force et leur courage, et ils se ru\u00e8rent \navec fureur sur les t roiens, et les nefs r\u00e9sonn\u00e8rent des hautes 436CHAnt 16\nclameurs des Akhaiens. Et, alors, les t roiens virent le brave fils \nde M\u00e9noitios et son compagnon, tous deux resplendissants sous \nleurs armes.\nLeurs c\u0153urs en furent \u00e9mus, et leurs phalanges se troubl\u00e8rent ; et \nils crurent que le P\u00e8l\u00e9ide aux pieds rapides avait d\u00e9pos\u00e9 sa col\u00e8re \naupr\u00e8s des nefs. Et chacun regardait de tous c\u00f4t\u00e9s comment il \u00e9vi -\nterait la mort.\nEt Patroklos, le premier, lan\u00e7a sa pique \u00e9clatante au plus \u00e9pais de \nla m\u00eal\u00e9e tumultueuse, autour de la poupe de la nef du magna -\nnime Pr\u00f4t\u00e9silaos. Et il frappa Pyraikhm\u00e8s, qui avait amen\u00e9 les \ncavaliers Paiones d\u2019Amyd\u00f4n\u00e8 et des bords de l\u2019Axios au large \ncours ; et il le frappa \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite, et Pyraikhm\u00e8s tomba dans \nla poussi\u00e8re en g\u00e9missant, et les Paiones prirent la fuite. Patroklos \nles dispersa tous ainsi, ayant tu\u00e9 leur chef qui excellait dans le \ncombat. Et il arracha le feu de la nef, et il l\u2019\u00e9teignit. Et les t roiens, \ndans un immense tumulte, s\u2019enfuirent loin de la nef \u00e0 demi br\u00fb -\nl\u00e9e, et les Danaens, sortant en foule des nefs creuses, se jet\u00e8rent \nsur eux, et une haute clameur s\u2019\u00e9leva. De m\u00eame que, le foudroyant \nZeus ayant dissip\u00e9 les nu\u00e9es noires au fa\u00eete d\u2019une grande mon -\ntagne, tout appara\u00eet soudainement, les cavernes, les cimes aigu\u00ebs \net les bois, et qu\u2019une immense s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 se r\u00e9pand dans l\u2019aith\u00e8r ; \nde m\u00eame les Danaens respir\u00e8rent apr\u00e8s avoir \u00e9loign\u00e9 des nefs 437\nL \u2019ILIADEla flamme ennemie. Mais ce ne fut point la fin du combat. Les \ntroiens, repouss\u00e9s des nefs noires par les Akhaiens belliqueux, ne \nfuyaient point boulevers\u00e9s, mais ils r\u00e9sistaient encore, bien que \nc\u00e9dant \u00e0 la n\u00e9cessit\u00e9. Alors, dans la m\u00eal\u00e9e \u00e9largie, chaque chef \nAkhaien tua un guerrier.\nEt, le premier de tous, le brave fils de M\u00e9noitios per\u00e7a de sa \npique aigu\u00eb la cuisse d\u2019Ar\u00e8ilykos qui fuyait. L \u2019airain traversa la \ncuisse et brisa l\u2019os, et l\u2019homme tomba la face contre terre. Et le \nbrave M\u00e9n\u00e9laos frappa t hoas \u00e0 l\u2019endroit de la poitrine que le \nbouclier ne couvrait pas, et il rompit ses forces. Et le Phyl\u00e9ide, \nvoyant Amphiklos qui s\u2019\u00e9lan\u00e7ait, le pr\u00e9vint en le frappant au bas \nde la cuisse, l\u00e0 o\u00f9 les muscles sont tr\u00e8s-\u00e9pais ; et la pointe d\u2019airain \nd\u00e9chira les nerfs, et l\u2019obscurit\u00e9 couvrit les yeux d\u2019Amphiklos. Et \nla lance aigu\u00eb du n est\u00f4ride blessa Atymnios, et l\u2019airain traversa \nles entrailles, et le t roien tomba devant Antilokhos. Et Maris, \nirrit\u00e9 de la mort de son fr\u00e8re, et debout devant le cadavre, lan\u00e7a \nsa pique contre Antilokhos ; mais le divin t hrasym\u00e8d\u00e8s le pr\u00e9vint, \ncomme il allait frapper, et le per\u00e7a pr\u00e8s de l\u2019\u00e9paule, et la pointe \nd\u2019airain, tranchant tous les muscles, d\u00e9pouilla l\u2019os de toute sa \nchair. Et Maris tomba avec bruit, et un noir brouillard couvrit ses \nyeux. Ainsi descendirent dans l\u2019\u00c9r\u00e9bos deux fr\u00e8res, braves com -\npagnons de Sarp\u00e8d\u00f4n, et tous deux fils d\u2019Amis\u00f4daros qui avait \nnourri l\u2019indomptable Khimaira pour la destruction des hommes.438CHAnt 16\nAias Oiliade saisit vivant Kl\u00e9oboulos embarrass\u00e9 dans la m\u00eal\u00e9e, \net il le tua en le frappant de son \u00e9p\u00e9e \u00e0 la gorge, et toute l\u2019\u00e9p\u00e9e y \nentra chaude de sang, et la mort pourpr\u00e9e et la Moire violente \nobscurcirent ses yeux. P\u00e8n\u00e9l\u00e9\u00f4s et Lyk\u00f4n, s\u2019attaquant, se man -\nqu\u00e8rent de leurs lances et combattirent avec leurs \u00e9p\u00e9es.\nLyk\u00f4n frappa le c\u00f4ne du casque \u00e0 aigrette de crins, et l\u2019\u00e9p\u00e9e se \nrompit ; mais P\u00e8n\u00e9l\u00e9\u00f4s le per\u00e7a au cou, sous l\u2019oreille, et l\u2019\u00e9p\u00e9e y \nentra tout enti\u00e8re, et la t\u00eate fut suspendue \u00e0 la peau, et Lyk\u00f4n fut \ntu\u00e9. Et M\u00e8rion\u00e8s, poursuivant avec rapidit\u00e9 Akamas qui montait \nsur son char, le frappa \u00e0 l\u2019\u00e9paule droite, et le t roien tomba du char, \net une nu\u00e9e obscurcit ses yeux.\nIdom\u00e9neus frappa de sa pique \u00c9rymas dans la bouche, et la pique \nd\u2019airain p\u00e9n\u00e9tra jusque dans la cervelle en brisant les os blancs ; et \ntoutes les dents furent \u00e9branl\u00e9es, et les deux yeux s\u2019emplirent de \nsang, et le sang jaillit de la bouche et des narines, et la nu\u00e9e noire \nde la mort l\u2019enveloppa.\nAinsi les chefs Danaens tu\u00e8rent chacun un guerrier. De m\u00eame \nque des loups f\u00e9roces se jettent, dans les montagnes, sur des \nagneaux ou des chevreaux que les bergers imprudents ont laiss\u00e9s, \ndispers\u00e9s \u00e7\u00e0 et l\u00e0, et qui les emportent tout tremblants ; de m\u00eame 439\nL \u2019ILIADEles Danaens bouleversaient les t roiens qui fuyaient tumultueu -\nsement, oubliant leur force et leur courage.\nEt le grand Aias d\u00e9sirait surtout atteindre Hekt\u00f4r arme d\u2019airain ; \nmais celui-ci, habile au combat, couvrant ses larges \u00e9paules de \nson bouclier de peau de taureau, observait le bruit strident des \nfl\u00e8ches et le son des piques. Et il comprenait les chances du com -\nbat ; et toujours ferme, il prot\u00e9geait ses chers compagnons.\nDe m\u00eame qu\u2019une nu\u00e9e monte de l\u2019Olympos jusque dans l\u2019Ou -\nranos, quand Zeus excite la temp\u00eate dans la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 de l\u2019aith\u00e8r, \nde m\u00eame la clameur et la fuite s\u2019\u00e9lan\u00e7aient des nefs. Et les t roiens \nne repass\u00e8rent point le foss\u00e9 ais\u00e9ment. Les chevaux rapides de \nHekt\u00f4r l\u2019emport\u00e8rent loin de son peuple que le foss\u00e9 profond \narr\u00eatait. Et une multitude de chevaux s\u2019y pr\u00e9cipitaient, brisant \nles timons et abandonnant les chars des princes. Et Patroklos \nles poursuivait avec fureur, exhortant les Danaens et m\u00e9ditant \nla ruine des t roiens. Et ceux-ci, pleins de clameurs, emplissaient \nles chemins de leur fuite ; et une vaste poussi\u00e8re montait vers les \nnu\u00e9es, et les chevaux aux sabots massifs couraient vers la ville, \nloin des nefs et des tentes. Et Patroklos poussait, avec des cris \nmena\u00e7ants, cette arm\u00e9e boulevers\u00e9e. Et les hommes tombaient \nhors des chars sous les essieux, et les chars bondissants retentis -\nsaient. Et les chevaux immortels et rapides, illustres pr\u00e9sents des 440CHAnt 16\ndieux \u00e0 P\u00e8leus, franchirent le foss\u00e9 profond, pleins du d\u00e9sir de \nla course. Et le c\u0153ur de Patroklos le poussait vers Hekt\u00f4r, afin \nde le frapper de sa pique ; mais les chevaux rapides du Priamide \nl\u2019avaient emport\u00e9.\nDans les jours de l\u2019automne, quand la terre est accabl\u00e9e sous de \nnoirs tourbillons, et quand Zeus r\u00e9pand une pluie abondante, \nirrit\u00e9 contre les hommes qui jugeaient avec iniquit\u00e9 dans l\u2019agora \net chassaient la justice, sans respect des dieux, de m\u00eame qu\u2019ils \nvoient maintenant les torrents creuser leurs campagnes et se pr\u00e9 -\ncipiter dans la mer pourpr\u00e9e du haut des rochers escarp\u00e9s, d\u00e9trui -\nsant de tous c\u00f4t\u00e9s les travaux des hommes ; de m\u00eame on voyait les \ncavales troiennes courir \u00e9pouvant\u00e9es.\nEt Patroklos, ayant rompu les premi\u00e8res phalanges, les repoussa \nvers les nefs et ne leur permit pas de regagner la ville qu\u2019elles d\u00e9si -\nraient atteindre. Et il les massacrait, en les poursuivant, entre les \nnefs, le fleuve et les hautes murailles, et il tirait vengeance d\u2019un \ngrand nombre d\u2019hommes. Et il frappa d\u2019abord Pronoos, de sa \npique \u00e9clatante, dans la poitrine d\u00e9couverte par le bouclier. Et les \nforces du t roien furent rompues, et il retentit en tombant. Et il \nattaqua t hest\u00f4r, fils d\u2019\u00c9nops. Et t hest\u00f4r \u00e9tait affaiss\u00e9 sur le si\u00e8ge \ndu char, l\u2019esprit troubl\u00e9 ; et les r\u00eanes lui \u00e9taient tomb\u00e9es des mains. \nPatroklos le frappa de sa lance \u00e0 la joue droite, et l\u2019airain passa \u00e0 441\nL \u2019ILIADEtravers les dents, et, comme il le ramenait, il arracha l\u2019homme du \nchar. Ainsi un homme, assis au fa\u00eete d\u2019un haut rocher qui avance, \n\u00e0 l\u2019aide de l\u2019hame\u00e7on brillant et de la ligne, attire un grand pois -\nson hors de la mer. Ainsi Patroklos enleva du char, \u00e0 l\u2019aide de sa \nlance \u00e9clatante, t hest\u00f4r, la bouche b\u00e9ante ; et celui-ci, en tombant, \nrendit l\u2019\u00e2me. Puis il frappa d\u2019une pierre dans la t\u00eate \u00c9ryalos, qui \ns\u2019\u00e9lan\u00e7ait, et dont la t\u00eate s\u2019ouvrit en deux, sous le casque solide, et \nqui tomba et rendit l\u2019\u00e2me, envelopp\u00e9 par la mort. Puis, Patroklos \ncoucha, dompt\u00e9s, sur la terre nourrici\u00e8re, \u00c9rymas, Amphot\u00e9ros, \n\u00c9palt\u00e8s, t l\u00e9pol\u00e9mos Damastoride, \u00c9khios, Pyr\u00e8s, Ipheus, \u00c9vippos \net l\u2019Arg\u00e9ade Polym\u00e8los. Mais Sarp\u00e8d\u00f4n, voyant ses compagnons \ntu\u00e9s et d\u00e9pouill\u00e9s de leurs armes par les mains du M\u00e9noitiade \nPatroklos, exhorta les irr\u00e9prochables Lykiens :\n\u2013 \u00d4 honte ! Pourquoi fuyez-vous, Lykiens ? Vous \u00eates maintenant \nbien rapides ! J\u2019irai contre ce guerrier, et je saurai s\u2019il me domp -\ntera, lui qui a accabl\u00e9 les t roiens de tant de maux et qui a rompu \nles genoux de tant de braves.\nIl parla ainsi, et il sauta avec ses armes, de son char, sur la terre. Et \nPatroklos le vit et sauta de son char. De m\u00eame que deux vautours \naux becs recourb\u00e9s et aux serres aigu\u00ebs, sur une roche escarp\u00e9e \nluttent avec de grands cris ; de m\u00eame ils se ru\u00e8rent l\u2019un sur l\u2019autre 442CHAnt 16\navec des clameurs. Et le fils du subtil Kronos les ayant vus, fut \nrempli de compassion, et il dit \u00e0 H\u00e8r\u00e8, sa s\u0153ur et son \u00e9pouse :\n\u2013 H\u00e9las ! voici que la destin\u00e9e de Sarp\u00e8d\u00f4n qui m\u2019est tr\u00e8s-cher \nparmi les hommes, est d\u2019\u00eatre tu\u00e9 par le M\u00e9noitiade Patroklos, et \nmon c\u0153ur h\u00e9sitant d\u00e9lib\u00e8re dans ma poitrine si je le transpor -\nterai vivant du combat lamentable au milieu du riche peuple de \nLyki\u00e8, ou si je le dompterai par les mains du M\u00e9noitiade.\nEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Redoutable Kronide, quelle parole as-tu dite ? tu veux affran -\nchir de la triste mort un homme mortel depuis longtemps vou\u00e9 \nau destin ? Fais-le, mais nous tous, les dieux, nous ne t\u2019approu -\nverons pas. Je te dirai ceci, et retiens-le dans ton esprit : Si tu \nenvoies Sarp\u00e8d\u00f4n vivant dans ses demeures, songe que, d\u00e9sor -\nmais, chacun des dieux voudra aussi sauver un fils bien-aim\u00e9 de \nla rude m\u00eal\u00e9e.\nIl y a, en effet, beaucoup de fils des dieux qui combattent autour \nde la grande ville de Priamos, de ces dieux que tu auras irrit\u00e9s. Si \nSarp\u00e8d\u00f4n t\u2019est cher et que ton c\u0153ur le plaigne, laisse-le tomber \ndans la rude m\u00eal\u00e9e sous les mains du M\u00e9noitiade Patroklos ; mais \nd\u00e8s qu\u2019il aura rendu l\u2019\u00e2me et la vie, envoie thanatos et le doux 443\nL \u2019ILIADEHypnos afin qu\u2019ils le transportent chez le peuple de la grande \nLyki\u00e8. Ses parents et ses concitoyens l\u2019enseveliront, et ils lui \u00e9l\u00e8ve -\nront un tombeau et une colonne ; car c\u2019est l\u00e0 l\u2019honneur des morts.\nElle parla ainsi, et le p\u00e8re des hommes et des dieux consentit. \nEt il versa sur la terre une pluie de sang, afin d\u2019honorer son fils \nbien-aim\u00e9 que Patroklos devait tuer dans la fertile t roi\u00e8, loin de \nsa patrie.\nEt les deux h\u00e9ros s\u2019\u00e9tant rencontr\u00e9s, Patroklos frappa dans \nle ventre l\u2019illustre t hrasym\u00e8d\u00e8s qui conduisait le char du roi \nSarp\u00e8d\u00f4n, et il le tua. Et Sarp\u00e8d\u00f4n s\u2019\u00e9lan\u00e7a ; mais sa pique \u00e9cla -\ntante, s\u2019\u00e9tant \u00e9gar\u00e9e, blessa \u00e0 l\u2019\u00e9paule le cheval P\u00e8dasos qui hen -\nnit, tomba dans la poussi\u00e8re et rendit l\u2019\u00e2me. Et ses compagnons \nse cabr\u00e8rent, et le joug cria, et les r\u00eanes furent entrem\u00eal\u00e9es. Mais \nle brave Autom\u00e9d\u00f4n mit fin \u00e0 ce trouble. Il se leva, et, tirant \nla longue \u00e9p\u00e9e qui pendait sur sa cuisse robuste, il trancha les \ntraits qui \u00e9taient au-del\u00e0 du timon. Et les deux autres chevaux, se \nremettant au joug, ob\u00e9irent aux r\u00eanes, et les deux guerriers conti -\nnu\u00e8rent le combat lamentable.\nAlors la pique \u00e9clatante de Sarp\u00e8d\u00f4n s\u2019\u00e9gara encore, car la \npointe d\u2019airain effleura l\u2019\u00e9paule gauche de Patroklos sans le bles -\nser. Et celui-ci se rua avec l\u2019airain, et le trait ne s\u2019\u00e9chappa point 444CHAnt 16\nvainement de sa main, car il frappa Sarp\u00e8d\u00f4n \u00e0 cette cloison qui \nenferme le c\u0153ur vivant. Et il tomba comme tombe un ch\u00eane, ou \nun peuplier, ou un grand pin que les b\u00fbcherons, sur les mon -\ntagnes, coupent de leurs haches tranchantes, pour construire des \nnefs. Et il \u00e9tait \u00e9tendu devant ses chevaux et son char, grin\u00e7ant \ndes dents et saisissant la poussi\u00e8re sanglante. De m\u00eame qu\u2019un \ntaureau magnanime qu\u2019un lion fauve a saisi parmi les b\u0153ufs \naux pieds flexibles, et qui meurt en mugissant sous les dents du \nlion, de m\u00eame le roi des Lykiens porteurs de boucliers g\u00e9missait, \ndompt\u00e9 par Patroklos. Et il appela son cher compagnon\n\u2013 Ami Glaukos, brave entre les hommes, c\u2019est maintenant qu\u2019il te \nfaut combattre intr\u00e9pidement. Si la m\u00eal\u00e9e lamentable ne trouble \npoint ton c\u0153ur, sois prompt. Les appelant de tous c\u00f4t\u00e9s, exhorte \nles chefs Lykiens \u00e0 combattre pour Sarp\u00e8d\u00f4n, et combats toi-\nm\u00eame pour moi. Je serais \u00e0 jamais ton opprobre et ta honte si les \nAkhaiens me d\u00e9pouillaient de mes armes dans le combat des nefs. \nSois ferme, et exhorte tout mon peuple.\nIl parla ainsi, et l\u2019ombre de la mort couvrit ses yeux et ses narines. \nEt Patroklos, lui mettant le pied sur la poitrine, arracha sa lance, \net les entrailles la suivirent, et le M\u00e9noitiade arracha en m\u00eame \ntemps sa lance et l\u2019\u00e2me de Sarp\u00e8d\u00f4n.445\nL \u2019ILIADELes Myrmidones saisirent les chevaux haletants et qui voulaient \nfuir depuis que le char de leurs ma\u00eetres \u00e9tait vide. Mais, en enten -\ndant la voix de Sarp\u00e8d\u00f4n, Glaukos ressentit une am\u00e8re douleur, \net son c\u0153ur fut d\u00e9chir\u00e9 de ne pouvoir le secourir. Pressant de sa \nmain son bras cruellement bless\u00e9 par la fl\u00e8che que lui avait lanc\u00e9e \nteukros, du haut de la muraille, en d\u00e9fendant ses compagnons, il \nsupplia ainsi l\u2019archer Apoll\u00f4n :\n\u2013 Entends-moi, \u00f4 roi ! soit de la riche Lyki\u00e8, soit de t roi\u00e8, car tu \npeux entendre de tout lieu les plaintes de l\u2019homme qui g\u00e9mit, et \nvoici que la douleur me ronge. Je subis une blessure cruelle, et ma \nmain est en proie \u00e0 de grands maux, et mon sang coule sans cesse, \net mon \u00e9paule est tr\u00e8s-lourde, et je ne puis ni saisir ma lance, ni \ncombattre l\u2019ennemi. Et voici que le plus illustre des hommes est \nmort, Sarp\u00e8d\u00f4n, fils de Zeus qui n\u2019a point secouru son fils. Mais \ntoi, \u00f4 roi ! gu\u00e9ris cette blessure am\u00e8re, apaise mon mal, afin que \nj\u2019excite les Lykiens \u00e0 combattre et que je combatte moi-m\u00eame \npour ce cadavre.\nIl parla ainsi en priant, et Phoibos Apoll\u00f4n l\u2019entendit et apaisa \naussit\u00f4t sa douleur. Et le sang noir cessa de couler de sa blessure \nam\u00e8re, et la force lui fut rendue. Glaukos connut dans son esprit \nque le grand dieu avait exauc\u00e9 sa pri\u00e8re, et il se r\u00e9jouit. Et d\u2019abord, \ncourant de tous c\u00f4t\u00e9s, il excita les chefs Lykiens \u00e0 combattre pour 446CHAnt 16\nSarp\u00e8d\u00f4n puis, marchant \u00e0 grands pas vers les t roiens, il chercha \nPolydamas Panthoide, le divin Ag\u00e8n\u00f4r, Ain\u00e9ias et Hekt\u00f4r arm\u00e9 \nd\u2019airain, et il leur dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Hekt\u00f4r, tu oublies tes alli\u00e9s qui, pour toi, rendent l\u2019\u00e2me loin de \nleurs amis et de la terre de la patrie, et tu refuses de les secou -\nrir. Le chef des Lykiens porteurs de boucliers est mort, Sarp\u00e8d\u00f4n, \nqui prot\u00e9geait la Lyki\u00e8 par sa justice et par sa vertu. Ar\u00e8s d\u2019airain \nl\u2019a tu\u00e9 par la lance de Patroklos. Venez, amis, et indignez-vous. \nQue les Myrmidones, irrit\u00e9s \u00e0 cause de tant d\u2019Akhaiens que nous \navons tu\u00e9s de nos lances rapides aupr\u00e8s des nefs, n\u2019enl\u00e8vent point \nles armes et n\u2019insultent point le cadavre de Sarp\u00e8d\u00f4n.\nIl parla ainsi, et une intol\u00e9rable et irr\u00e9sistible douleur saisit les \ntroiens, car Sarp\u00e8d\u00f4n, bien qu\u2019\u00e9tranger, \u00e9tait le rempart de leur \nville, et des peuples nombreux le suivaient, et lui-m\u00eame excellait \ndans le combat. Et ils march\u00e8rent avec ardeur droit aux Danaens, \nmen\u00e9s par Hekt\u00f4r irrit\u00e9 \u00e0 cause de Sarp\u00e8d\u00f4n. Mais le c\u0153ur solide \nde Patroklos M\u00e9noitiade excitait aussi les Akhaiens, et il dit aux \ndeux Aias prompts aux combats :\n\u2013 Aias ! soyez aujourd\u2019hui tels que vous avez toujours \u00e9t\u00e9 parmi les \nplus braves et les meilleurs. Il est tomb\u00e9 l\u2019homme qui, le premier, \na franchi le mur des Akhaiens, Sarp\u00e8d\u00f4n ! Insultons ce cadavre et 447\nL \u2019ILIADEarrachons ses armes de ses \u00e9paules, et tuons de l\u2019airain tous ceux \nde ses compagnons qui voudraient le d\u00e9fendre.\nIl parla ainsi, et les Aias se h\u00e2t\u00e8rent de lui venir en aide ; et de \nchaque c\u00f4t\u00e9, t roiens, Lykiens, Myrmidones et Akhaiens, serrant \nleurs phalanges, se ruaient avec d\u2019horribles clameurs autour du \ncadavre, et les armes des hommes retentissaient.\nEt Zeus r\u00e9pandit sur la m\u00eal\u00e9e une obscurit\u00e9 affreuse, afin que \nle labeur du combat pour son fils bien-aim\u00e9 f\u00fbt plus terrible. \nEt d\u2019abord les t roiens repouss\u00e8rent les Akhaiens aux sourcils \narqu\u00e9s ; et un des meilleurs parmi les Myrmidones fut tu\u00e9, le \ndivin \u00c9peigeus, fils du magnanime Agakleus. Et \u00c9peigeus com -\nmandait autrefois dans Boud\u00e9i\u00f4n bien peupl\u00e9e ; mais, ayant tu\u00e9 \nson brave beau-fr\u00e8re, il vint en suppliant aupr\u00e8s de P\u00e8leus et de \nth\u00e9tis aux pieds d\u2019argent, qui l\u2019envoy\u00e8rent, avec le m\u00e2le Akhilleus, \nvers Ilios aux beaux chevaux, combattre les troiens. Et comme \nil mettait la main sur le cadavre, l\u2019illustre Hekt\u00f4r le frappa d\u2019une \npierre \u00e0 la t\u00eate, et la t\u00eate se fendit en deux, sous le casque solide ; \net il tomba la face sur le cadavre. Puis, l\u2019affreuse mort l\u2019enveloppa \nlui-m\u00eame, et Patroklos fut saisi de douleur, \u00e0 cause de son com -\npagnon tu\u00e9.448CHAnt 16\nEt il se rua \u00e0 travers les combattants, semblable \u00e0 un \u00e9pervier \nrapide qui terrifie les geais et les \u00e9tourneaux. Ainsi le cavalier \nPatroklos se rua contre les Lykiens et les troiens, irrit\u00e9 dans \nson c\u0153ur \u00e0 cause de son compagnon. Et il frappa d\u2019une pierre \nau cou Sth\u00e9n\u00e9laos Ithaim\u00e9nide, et les nerfs furent rompus ; et \nles premiers rangs et l\u2019illustre Hekt\u00f4r recul\u00e8rent d\u2019autant d\u2019es -\npace qu\u2019en parcourt une pique bien lanc\u00e9e, dans le combat contre \ndes hommes intr\u00e9pides ou dans les jeux. Autant recul\u00e8rent les \ntroiens et s\u2019avanc\u00e8rent les Akhaiens.\nEt, le premier, Glaukos, chef des Lykiens porteurs de boucliers, \nse retournant, tua le magnanime Bathykleus, fils bien-aim\u00e9 \nde Khalk\u00f4n, qui habitait l\u2019Hellas et qui \u00e9tait illustre parmi les \nMyrmidones par ses domaines et par ses richesses. Et, Bathykleus \nle poursuivant, Glaukos se retourna subitement et le frappa de \nsa lance au milieu de la poitrine, et il tomba avec bruit, et une \nlourde douleur saisit les Akhaiens quand le guerrier tomba, et les \ntroiens se r\u00e9jouirent ; mais les Akhaiens infatigables, se souve -\nnant de leur courage, se jet\u00e8rent en foule autour du cadavre.\nAlors M\u00e8rion\u00e8s tua un guerrier t roien, le brave Laog\u00f4n, fils \nd\u2019On\u00e8t\u00f4r, pr\u00eatre de Zeus Idaien, et que le peuple honorait comme \nun dieu. Il le frappa sous la m\u00e2choire et l\u2019oreille, et l\u2019\u00e2me aban -\ndonna aussit\u00f4t ses membres, et l\u2019affreux brouillard l\u2019enveloppa. Et 449\nL \u2019ILIADEAin\u00e9ias lan\u00e7a sa pique d\u2019airain contre M\u00e8rion\u00e8s, et il esp\u00e9rait l\u2019at -\nteindre sous le bouclier, comme il s\u2019\u00e9lan\u00e7ait ; mais celui-ci \u00e9vita \nla pique d\u2019airain en se courbant, et la longue pique s\u2019enfon\u00e7a en \nterre et vibra jusqu\u2019\u00e0 ce que le robuste Ar\u00e8s e\u00fbt \u00e9puis\u00e9 sa force. \nEt la pique d\u2019Ain\u00e9ias vibrait ainsi parce qu\u2019elle \u00e9tait partie d\u2019une \nmain vigoureuse. Et Ain\u00e9ias, irrit\u00e9, lui dit :\n\u2013 M\u00e8rion\u00e8s, bien que tu sois un agile sauteur, ma pique t\u2019e\u00fbt rendu \nimmobile \u00e0 jamais, si je t\u2019avais atteint.\nEt M\u00e8rion\u00e8s illustre par sa lance lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ain\u00e9ias, il te sera difficile, malgr\u00e9 ta vigueur, de rompre les \nforces de tous ceux qui te combattront. Si moi aussi, je t\u2019attei -\ngnais de l\u2019airain aigu, bien que tu sois robuste et confiant dans tes \nforces, tu me donnerais la gloire et ton \u00e2me \u00e0 Aid\u00e8s illustre par \nses chevaux.\nIl parla ainsi, et le robuste fils de M\u00e9noitios le r\u00e9primanda :\n\u2013 M\u00e8rion\u00e8s, pourquoi tant parler, \u00e9tant brave ? \u00d4 ami ! ce n\u2019est \npoint par des paroles outrageantes que tu repousseras les t roiens \nloin de ce cadavre. La fin de la guerre est dans nos mains. Les 450CHAnt 16\nparoles conviennent \u00e0 l\u2019agora. Il ne s\u2019agit point ici de parler, mais \nde combattre.\nIl parla ainsi, et marcha en avant, et le divin M\u00e8rion\u00e8s le suivit. \nEt de m\u00eame que les b\u00fbcherons font un grand tumulte dans les \ngorges des montagnes, et que l\u2019\u00e9cho retentit au loin ; de m\u00eame \nla grande plaine fr\u00e9missait sous les guerriers qui frappaient, de \nleurs \u00e9p\u00e9es et de leurs lances, l\u2019airain et le cuir des solides bou -\ncliers ; et nul n\u2019aurait plus reconnu le divin Sarp\u00e8d\u00f4n, tant il \n\u00e9tait couvert de traits, de sang et de poussi\u00e8re. Et tous se ruaient \nsans cesse autour de son cadavre, comme les mouches qui bour -\ndonnent, au printemps, dans l\u2019\u00e9table, autour des vases remplis de \nlait. C\u2019est ainsi qu\u2019ils se ruaient en foule autour de ce cadavre.\nEt Zeus, ne d\u00e9tournant point ses yeux splendides de la rude m\u00eal\u00e9e, \nd\u00e9lib\u00e9rait dans son esprit sur la mort de Patroklos, h\u00e9sitant si l\u2019il -\nlustre Hekt\u00f4r le tuerait de suite avec l\u2019airain, dans la m\u00eal\u00e9e, sur \nle divin Sarp\u00e8d\u00f4n, et lui arracherait ses armes des \u00e9paules, ou \nsi la rude m\u00eal\u00e9e serait prolong\u00e9e pour la mort d\u2019un plus grand \nnombre. Et il sembla meilleur \u00e0 Zeus que le brave compagnon \ndu P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus repouss\u00e2t, vers la ville, Hekt\u00f4r et les t roiens, \net arrach\u00e2t l\u2019\u00e2me de beaucoup de guerriers. Et c\u2019est pourquoi il \namollit le courage de Hekt\u00f4r qui, montant sur son char, prit la \nfuite en ordonnant aux t roiens de fuir aussi, car il avait reconnu 451\nL \u2019ILIADEles balances sacr\u00e9es de Zeus. Et les illustres Lykiens ne rest\u00e8rent \npoint, et ils prirent aussi la fuite en voyant leur roi couch\u00e9, le \nc\u0153ur perc\u00e9, au milieu des cadavres, car beaucoup \u00e9taient tom -\nb\u00e9s pendant que le Kroni\u00f4n excitait le combat. Et les Akhaiens \narrach\u00e8rent des \u00e9paules de Sarp\u00e8d\u00f4n ses belles armes resplendis -\nsantes, et le robuste fils de M\u00e9noitios les donna \u00e0 ses compagnons \npour \u00eatre port\u00e9es aux nefs creuses. Et alors Zeus qui amasse les \nnu\u00e9es dit \u00e0 Apoll\u00f4n :\n\u2013 Va maintenant, cher Phoibos. Purifie Sarp\u00e8d\u00f4n, hors de la m\u00eal\u00e9e, \ndu sang noir qui le souille. Lave-le dans les eaux du fleuve, et, \nl\u2019ayant oint d\u2019ambroisie, couvre-le de v\u00eatements immortels. Puis, \nremets-le aux Jumeaux rapides, Hypnos et t hanatos, pour qu\u2019ils \nle portent chez le riche peuple de la grande Lyki\u00e8. Ses parents et \nses amis l\u2019enseveliront et lui \u00e9l\u00e8veront un tombeau et une colonne, \ncar c\u2019est l\u00e0 l\u2019honneur des morts.\nIl parla ainsi, et Apoll\u00f4n, se h\u00e2tant d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 son p\u00e8re, descendit \ndes cimes Idaiennes dans la m\u00eal\u00e9e et enleva Sarp\u00e8d\u00f4n loin des \ntraits. Et il le transporta pour le laver dans les eaux du fleuve, l\u2019oi -\ngnit d\u2019ambroisie, le couvrit de v\u00eatements immortels et le confia \naux Jumeaux rapides, Hypnos et t hanatos, qui le transport\u00e8rent \naussit\u00f4t chez le riche peuple de la grande Lyki\u00e8.452CHAnt 16\nEt Patroklos, excitant Autom\u00e9d\u00f4n et ses chevaux, poursuivait \nles Lykiens et les t roiens, pour son malheur, l\u2019insens\u00e9 ! car s\u2019il \navait ob\u00e9i \u00e0 l\u2019ordre du P\u00e8l\u00e9ide, il aurait \u00e9vit\u00e9 la k\u00e8r mauvaise de la \nnoire mort. Mais l\u2019esprit de Zeus est plus puissant que celui des \nhommes. Il terrifie le brave que lui-m\u00eame a pouss\u00e9 au combat, et \nil lui enl\u00e8ve la victoire.\nEt, maintenant, quel fut le premier, quel fut le dernier que tu \ntuas, \u00f4 Patroklos, quand les dieux pr\u00e9par\u00e8rent ta mort ? Adr\u00e8st\u00e8s, \nAutonoos et Ekh\u00e9klos, P\u00e9rimos M\u00e9gade et \u00c9pist\u00f4r, et M\u00e9lanippos ; \npuis, \u00c9lasos, Moulios et Phylart\u00e8s. Il tua ceux-ci, et les autres \n\u00e9chapp\u00e8rent par la fuite. Et alors les fils des Akhaiens eussent \npris la haute Ilios par les mains de Patroklos furieux, si Phoibos \nApoll\u00f4n, debout au fa\u00eete d\u2019une tour solide, pr\u00e9parant la perte \ndu M\u00e9noitiade, ne f\u00fbt venu en aide aux t roiens. Et trois fois \nPatroklos s\u2019\u00e9lan\u00e7a jusqu\u2019au relief de la haute muraille, et trois fois \nApoll\u00f4n le repoussa de ses mains immortelles, en heurtant son \nbouclier \u00e9clatant. Et, quand il s\u2019\u00e9lan\u00e7a une quatri\u00e8me fois, sem -\nblable \u00e0 un dieu, l\u2019archer Apoll\u00f4n lui dit ces paroles mena\u00e7antes :\n\u2013 Retire-toi, divin Patroklos. Il n\u2019est pas dans ta destin\u00e9e de \nrenverser de ta lance la haute citadelle des magnanimes \ntroiens. Akhilleus lui-m\u00eame ne le pourra point, bien qu\u2019il te \nsoit tr\u00e8s-sup\u00e9rieur.453\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et Patroklos recula au loin pour \u00e9viter la col\u00e8re \nde l\u2019archer Apoll\u00f4n. Et Hekt\u00f4r, retenant ses chevaux aux sabots \nsolides pr\u00e8s des Portes Skaies, h\u00e9sitait s\u2019il retournerait au combat, \nou s\u2019il ordonnerait aux troupes de se renfermer dans les murailles.\nEt Phoibos Apoll\u00f4n s\u2019approcha de lui, semblable au jeune et brave \nguerrier Asios, fils de Dymas, fr\u00e8re de H\u00e9kab\u00e8 et oncle du domp -\nteur de chevaux Hekt\u00f4r, et qui habitait la Phrygi\u00e8 sur les bords du \nSangarios. Et, semblable \u00e0 Asios, Phoibos Apoll\u00f4n dit \u00e0 Hekt\u00f4r :\n\u2013 Hekt\u00f4r, pourquoi t\u2019\u00e9loignes-tu du combat ? Cela ne te convient \npas. Pl\u00fbt aux dieux que je te fusse sup\u00e9rieur autant que je te suis \ninf\u00e9rieur, il te serait fatal d\u2019avoir quitt\u00e9 le combat. Allons, pousse \ntes chevaux aux sabots massifs contre Patroklos. t u le tueras \npeut-\u00eatre, et Apoll\u00f4n te donnera la victoire.\nAyant ainsi parl\u00e9, le dieu rentra dans la foule des guerriers. Et l\u2019il -\nlustre Hekt\u00f4r ordonna au brave K\u00e9brion\u00e8s d\u2019exciter ses chevaux \nvers la m\u00eal\u00e9e. Et Apoll\u00f4n, au milieu de la foule, r\u00e9pandit le trouble \nparmi les Argiens et accorda la victoire \u00e0 Hekt\u00f4r et aux t roiens.\nEt le Priamide, laissant tous les autres Danaens, poussait vers le \nseul Patroklos ses chevaux aux sabots massifs. Et Patroklos, de \nson c\u00f4t\u00e9, sauta de son char, tenant sa pique de la main gauche. 454CHAnt 16\nEt il saisit de la droite un morceau de marbre, rude et anguleux, \nd\u2019abord cach\u00e9 dans sa main, et qu\u2019il lan\u00e7a avec effort. Et ce ne fut \npas en vain, car cette pierre aigu\u00eb frappa au front le conducteur \nde chevaux K\u00e9brion\u00e8s, b\u00e2tard de l\u2019illustre Priamos. Et la pierre \ncoupa les deux sourcils, et l\u2019os ne r\u00e9sista pas, et les yeux du troien \njaillirent \u00e0 ses pieds dans la poussi\u00e8re. Et, semblable au plongeur, \nil tomba du char, et son \u00e2me abandonna ses membres. Et le cava -\nlier Patroklos cria avec une raillerie am\u00e8re :\n\u2013 Ah ! certes, voici un homme agile ! Comme il plonge ! Vraiment, \nil rassasierait de coquillages toute une multitude, en sautant de \nsa nef dans la mer, m\u00eame si elle \u00e9tait agit\u00e9e, puisqu\u2019il plonge aussi \nais\u00e9ment du haut d\u2019un char. Certes, il y a d\u2019excellents plongeurs \nparmi les t roiens !\nAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019\u00e9lan\u00e7a sur le h\u00e9ros K\u00e9brion\u00e8s, comme un \nlion imp\u00e9tueux qui va d\u00e9vaster une \u00e9table et recevoir une bles -\nsure en pleine poitrine, car il se perd par sa propre ardeur. Ainsi, \nPatroklos, tu te ruas sur K\u00e9brion\u00e8s. Et le Priamide sauta de \nson char, et tous deux lutt\u00e8rent pour le cadavre, comme deux \nlions pleins de faim combattent, sur les montagnes, pour une \nbiche \u00e9gorg\u00e9e.455\nL \u2019ILIADEAinsi, sur le cadavre de K\u00e9brion\u00e8s, les deux habiles guerriers, \nPatroklos M\u00e9noitiade et l\u2019illustre Hekt\u00f4r, d\u00e9siraient se percer \nl\u2019un l\u2019autre de l\u2019airain cruel. Et le Priamide tenait le cadavre par \nla t\u00eate et ne l\u00e2chait point prise, tandis que Patroklos le tenait \npar les pieds. Et les t roiens et les Danaens engag\u00e8rent alors un \nrude combat.\nDe m\u00eame que l\u2019Euros et le n otos, par leur rencontre furieuse, \nbouleversent, dans les gorges des montagnes, une haute for\u00eat de \nh\u00eatres, de fr\u00eanes et de cornouillers \u00e0 \u00e9corce \u00e9paisse, qui heurtent \nleurs vastes rameaux et se rompent avec bruit ; ainsi les t roiens \net les Akhaiens, se ruant les uns sur les autres, combattaient et ne \nfuyaient point honteusement. Et les lances aigu\u00ebs, et les fl\u00e8ches \nail\u00e9es qui jaillissaient des nerfs s\u2019enfon\u00e7aient autour de K\u00e9brion\u00e8s, \net de lourds rochers brisaient les bouchers. Et l\u00e0, K\u00e9brion\u00e8s gisait, \ngrand, oublieux des chevaux et du char, et dans un tourbillon de \npoussi\u00e8re. Aussi longtemps que H\u00e9lios tint le milieu de l\u2019Ouranos, \nles traits jaillirent des deux c\u00f4t\u00e9s, et les deux peuples p\u00e9rissaient \n\u00e9galement ; mais lorsqu\u2019il d\u00e9clina, les Akhaiens furent les plus \nforts et ils entra\u00een\u00e8rent le h\u00e9ros K\u00e9brion\u00e8s loin des traits et du \ntumulte des t roiens, et ils lui arrach\u00e8rent ses armes des \u00e9paules.\nEt Patroklos, m\u00e9ditant la perte des t roiens, se rua en avant. Il se \nrua trois fois, tel que le rapide Ar\u00e8s, poussant des cris horribles, 456CHAnt 16\net il tua neuf guerriers. Mais quand il s\u2019\u00e9lan\u00e7a une quatri\u00e8me fois, \nsemblable \u00e0 un dieu, alors, Patroklos, la fin de ta vie approcha ! \nPhoibos \u00e0 travers la m\u00eal\u00e9e, vint \u00e0 lui, terrible.\nEt le M\u00e9noitiade ne vit point le dieu qui s\u2019\u00e9tait envelopp\u00e9 d\u2019une \n\u00e9paisse nu\u00e9e. Et Phoibos se tint derri\u00e8re lui et le frappa de la main \ndans le dos, entre les larges \u00e9paules, et ses yeux furent troubl\u00e9s par \nle vertige. Et Phoibos Apoll\u00f4n lui arracha de la t\u00eate son casque, \nqui roula sous les pieds des chevaux en retentissant, et dont l\u2019ai -\ngrette fut souill\u00e9e de sang et de poussi\u00e8re. Et il n\u2019\u00e9tait point arriv\u00e9 \n\u00e0 ce casque d\u2019\u00eatre souill\u00e9 de poussi\u00e8re quand il prot\u00e9geait le beau \nfront du divin Akhilleus ; mais Zeus voulait donner ce casque au \nPriamide Hekt\u00f4r, afin qu\u2019il le port\u00e2t, car sa mort \u00e9tait proche.\nEt la longue et lourde lance de Patroklos se brisa dans sa main, et \nle roi Apoll\u00f4n, fils de Zeus, d\u00e9tacha sa cuirasse. Son esprit fut saisi \nde stupeur, et ses membres furent inertes, et il s\u2019arr\u00eata stup\u00e9fait.\nAlors le Dardanien Panthoide Euphorbos, excellent cavalier, et \nhabile, entre les meilleurs, \u00e0 lancer la pique, et qui avait d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9 -\ncipit\u00e9 vingt guerriers de leurs chars, s\u2019approcha du M\u00e9noitiade \npar derri\u00e8re et le blessa d\u2019un coup de lance aigu\u00eb. Et ce fut le pre -\nmier qui te blessa, dompteur de chevaux Patroklos ! Mais il ne \nt\u2019abattit point, et, retirant sa lance, il recula aussit\u00f4t dans la foule, 457\nL \u2019ILIADEredoutant Patroklos d\u00e9sarm\u00e9. Et celui-ci, frapp\u00e9 par un dieu et \npar la lance d\u2019un homme, recula aussi dans la foule de ses com -\npagnons, pour \u00e9viter la mort.\nEt d\u00e8s que Hekt\u00f4r eut vu le magnanime Patroklos se retirer, \nbless\u00e9 par l\u2019airain aigu, il se jeta sur lui et le frappa dans le c\u00f4t\u00e9 \nd\u2019un coup de lance qui le traversa. Et le M\u00e9noitiade tomba avec \nbruit, et la douleur saisit le peuple des Akhaiens. De m\u00eame un \nlion dompte dans le combat un robuste sanglier, car ils combat -\ntaient ardemment sur le fa\u00eete des montagnes, pour un peu d\u2019eau \nqu\u2019ils voulaient boire tous deux ; mais le lion dompte avec vio -\nlence le sanglier haletant. Ainsi le Priamide Hekt\u00f4r arracha l\u2019\u00e2me \ndu brave fils de M\u00e9noitios, et, plein d\u2019orgueil, il l\u2019insulta par ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Patroklos, tu esp\u00e9rais sans doute renverser notre ville et emme -\nner, captives sur tes nefs, nos femmes, dans ta ch\u00e8re terre natale ? \n\u00d4 insens\u00e9 ! c\u2019est pour les prot\u00e9ger que les rapides chevaux de \nHekt\u00f4r l\u2019ont men\u00e9 au combat, car je l\u2019emporte par ma lance sur \ntous les t roiens belliqueux, et j\u2019\u00e9loigne leur dernier jour. Mais toi, \nles oiseaux carnassiers te mangeront. Ah ! malheureux ! le brave \nAkhilleus ne t\u2019a point sauv\u00e9, lui qui, t\u2019envoyant combattre, tandis \nqu\u2019il restait, te disait sans doute : \u2013 ne reviens point, dompteur de \nchevaux Patroklos, dans les nefs creuses, avant d\u2019avoir arrach\u00e9 de 458CHAnt 16\nsa poitrine la cuirasse sanglante du tueur d\u2019hommes Hekt\u00f4r. Il t\u2019a \nparl\u00e9 ainsi sans doute, et il t\u2019a persuad\u00e9 dans ta d\u00e9mence !\nEt le cavalier Patroklos, respirant \u00e0 peine, lui r\u00e9pondit : :\n\u2013 Hekt\u00f4r, maintenant tu te glorifies, car le Kronide et Apoll\u00f4n t\u2019ont \ndonn\u00e9 la victoire. Ils m\u2019ont ais\u00e9ment dompt\u00e9, en m\u2019enlevant mes \narmes des \u00e9paules ; mais, si vingt guerriers tels que toi m\u2019avaient \nattaqu\u00e9, ils seraient tous morts par ma lance. C\u2019est la Moire vio -\nlente et le fils de L\u00e8t\u00f4, et, parmi les hommes, Euphorbos, qui me \ntuent ; mais toi, tu n\u2019es venu que le dernier. Je te le dis, garde mes \nparoles dans ton esprit : tu ne vivras point longtemps, et ta mort \nest proche. La Moire violente va te dompter par les mains de l\u2019ir -\nr\u00e9prochable Aiakide Akhilleus.\nIl parla ainsi et mourut, et son \u00e2me abandonna son corps et des -\ncendit chez Aid\u00e8s, en pleurant sa destin\u00e9e, sa force et sa jeunesse.\nEt l\u2019illustre Hekt\u00f4r r\u00e9pondit au cadavre du M\u00e9noitiade :\n\u2013 Patroklos, pourquoi m\u2019annoncer la mort ? Qui sait si Akhilleus, \nle fils de t h\u00e9tis aux beaux cheveux, ne rendra point l\u2019esprit sous \nma lance ?459\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, il lui mit le pied sur le corps, et, le repous -\nsant, arracha de la plaie sa lance d\u2019airain. Et aussit\u00f4t il courut \nsur Autom\u00e9d\u00f4n, le divin compagnon du rapide Aiakide, voulant \nl\u2019abattre ; mais les chevaux immortels, pr\u00e9sents splendides que les \ndieux avaient faits \u00e0 P\u00e8leus, enlev\u00e8rent Autom\u00e9d\u00f4n.460CHAnt 16461\nL \u2019ILIADEChant 17\nEt le brave M\u00e9n\u00e9laos, fils d\u2019Atreus, ayant vu que Patroklos avait \n\u00e9t\u00e9 tu\u00e9 par les t roiens, courut aux premiers rangs, arm\u00e9 de l\u2019airain \nsplendide. Et il allait autour du cadavre, comme une vache g\u00e9mis -\nsante, qui n\u2019avait point encore connu l\u2019enfantement, court autour \ndu veau son premier-n\u00e9. Ainsi le blond M\u00e9n\u00e9laos allait autour de \nPatroklos, et, le gardant de sa lance et de son bouclier \u00e9gal, il se \npr\u00e9parait \u00e0 tuer celui qui approcherait. Et le Panthoide, habile \u00e0 \nlancer la pique, n\u2019oublia point l\u2019irr\u00e9prochable Patroklos qui gisait \nl\u00e0, et il s\u2019arr\u00eata devant le cadavre, et il dit au brave M\u00e9n\u00e9laos :\n\u2013 Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, illustre prince des peuples, recule, laisse ce \ncadavre, et livre-moi ces d\u00e9pouilles sanglantes, car, le premier \nd\u2019entre les t roiens et les alli\u00e9s, j\u2019ai bless\u00e9 Patroklos de ma lance \ndans la rude m\u00eal\u00e9e. Laisse-moi donc remporter cette gloire parmi \nles t roiens, ou je te frapperai et j\u2019arracherai ta ch\u00e8re \u00e2me.\nEt le blond M\u00e9n\u00e9laos, indign\u00e9, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! quelle honte de se vanter au-del\u00e0 de ses forces ! ni la \nrage du l\u00e9opard, ni celle du lion, ni celle du sanglier f\u00e9roce dont 462CHAnt 17\nl\u2019\u00e2me est toujours furieuse dans sa vaste poitrine, ne surpassent \nl\u2019orgueil des fils de Panthos ! Le robuste cavalier Hyp\u00e9r\u00e8n\u00f4r se \nglorifiait de sa jeunesse lorsqu\u2019il m\u2019insulta, disant que j\u2019\u00e9tais le \nplus l\u00e2che des Danaens ; et je pense que ses pieds rapides ne \nle porteront plus d\u00e9sormais vers l\u2019\u00e9pouse bien-aim\u00e9e et les \nparents v\u00e9n\u00e9rables.\nAinsi je romprai tes forces si tu me tiens t\u00eate ; et je t\u2019avertis de \nrentrer dans la foule et de ne point me braver, avant que le mal -\nheur soit tomb\u00e9 sur toi. L \u2019insens\u00e9 seul ne reconna\u00eet que ce qui \nest accompli.\nIl parla ainsi, et il ne persuada point Euphorbos qui lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Divin M\u00e9n\u00e9laos, certes, maintenant tu vas payer le sang de mon \nfr\u00e8re que tu as tu\u00e9. t u t\u2019en glorifies, et tu as rendu sa femme veuve \ndans la profonde chambre nuptiale, et tu as accabl\u00e9 ses parents \nd\u2019une douleur am\u00e8re. Et moi, je vengerai ces malheureux et je \nremettrai aux mains de Panthos et de la divine Phrontis ta t\u00eate et \ntes armes. Mais ne retardons pas plus longtemps le combat qui \nam\u00e8nera la victoire ou la d\u00e9faite de l\u2019un de nous.\nIl parla ainsi, et il frappa le bouclier d\u2019une rondeur \u00e9gale ; mais il \nne put le traverser, et la pointe d\u2019airain se recourba sur le solide 463\nL \u2019ILIADEbouclier. Et l\u2019Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos, suppliant le p\u00e8re Zeus, se rua avec \nl\u2019airain ; et comme Euphorbos reculait, il le per\u00e7a \u00e0 la gorge, et la \npointe, pouss\u00e9e par une main robuste, traversa le cou d\u00e9licat. Et le \nPanthoide tomba avec bruit, et ses armes retentirent sur lui. Et ses \ncheveux, qui avaient les reflets de l\u2019or et de l\u2019argent, et qui \u00e9taient \nsemblables aux cheveux des Kharites, furent souill\u00e9s de sang.\nDe m\u00eame qu\u2019un jeune olivier qu\u2019un homme a plant\u00e9 dans un lieu \nsolitaire, o\u00f9 l\u2019eau jaillit abondante et nourrit sa verdeur, et que le \nsouffle des vents mobiles balance, tandis qu\u2019il se couvre de fleurs \nblanches, mais qu\u2019un grand tourbillon enveloppe brusquement, \narrache et renverse contre terre ; de m\u00eame l\u2019Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos tua \nle brave Panthoide Euphorbos, et le d\u00e9pouilla de ses armes.\nQuand un lion montagnard, s\u00fbr de sa force, enl\u00e8ve la meilleure \nvache d\u2019un grand troupeau qui pa\u00eet, lui brise le cou avec ses fortes \ndents, boit son sang et mange ses entrailles, les chiens et les ber -\ngers poussent, de loin, de grandes clameurs et n\u2019approchent point, \nparce que la bl\u00eame terreur les a saisis. De m\u00eame nul d\u2019entre les \ntroiens n\u2019osait attaquer l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos ; et il e\u00fbt ais\u00e9ment \nenlev\u00e9 les belles armes du Panthoide, si Phoibos Apoll\u00f4n, par \nenvie, n\u2019e\u00fbt excit\u00e9 contre lui Hekt\u00f4r semblable au rapide Ar\u00e8s. Et, 464CHAnt 17\nsous la forme de Ment\u00e8s, chef des Kikones, il dit au Priamide ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Hekt\u00f4r, o\u00f9 cours-tu ainsi ? pourquoi poursuis-tu follement les \nchevaux du brave Akhilleus, qui ne peuvent \u00eatre ni soumis, ni \nconduits par aucun homme mortel, autre qu\u2019Akhilleus qu\u2019une \nm\u00e8re immortelle a enfant\u00e9 ? Voici, pendant ce temps, que le brave \nM\u00e9n\u00e9laos, fils d\u2019Atreus, pour d\u00e9fendre Patroklos, a tu\u00e9 le plus \ncourageux des t roiens, le Panthoide Euphorbos, et rompu sa \nvigueur imp\u00e9tueuse.\nLe dieu parla ainsi et rentra dans la foule des hommes. Et une \nam\u00e8re douleur saisit le c\u0153ur sombre de Hekt\u00f4r. Il regarda autour \nde lui dans la m\u00eal\u00e9e, et il vit M\u00e9n\u00e9laos enlevant les belles armes \nd\u2019Euphorbos, et le Panthoide gisant contre terre, et le sang qui \ncoulait de la plaie ouverte. Avec de hautes clameurs, arm\u00e9 de l\u2019ai -\nrain \u00e9clatant, et semblable au feu inextinguible de H\u00e8phaistos, il \ns\u2019\u00e9lan\u00e7a aux premiers rangs. Et le fils d\u2019Atreus l\u2019entendit et le vit, \net il g\u00e9mit, disant dans son c\u0153ur magnanime :\n\u2013 H\u00e9las ! si j\u2019abandonne ces belles armes et Patroklos qui est mort \npour ma cause, les Danaens qui me verront seront indign\u00e9s ; mais \nsi je combats seul contre Hekt\u00f4r et les t roiens, je crains que cette \nmultitude m\u2019enveloppe, car Hekt\u00f4r au casque mouvant m\u00e8ne avec 465\nL \u2019ILIADElui tous les t roiens. Mais pourquoi d\u00e9lib\u00e9rer dans ma ch\u00e8re \u00e2me ? \nQuand un homme veut lutter contre un autre homme qu\u2019un dieu \nhonore, aussit\u00f4t une lourde calamit\u00e9 est suspendue sur lui. C\u2019est \npourquoi aucun Danaen ne me bl\u00e2mera de me retirer devant \nHekt\u00f4r, puisqu\u2019il est pouss\u00e9 par un dieu. Si j\u2019entendais le brave \nAias dans la m\u00eal\u00e9e, nous retournerions tous deux au combat, \nm\u00eame contre un dieu, et nous sauverions ce cadavre pour le \nP\u00e8l\u00e9ide Akhilleus, et dans nos maux ceci serait pour le mieux.\nEt tandis qu\u2019il d\u00e9lib\u00e9rait dans son esprit et dans son c\u0153ur, les pha -\nlanges t roiennes arrivaient conduites par Hekt\u00f4r.\nM\u00e9n\u00e9laos recula et abandonna le cadavre, mais en se retour -\nnant, comme un lion \u00e0 longue barbe que les chiens et les ber -\ngers chassent de l\u2019\u00e9table avec des lances et des cris, et dont le \nc\u0153ur farouche est troubl\u00e9, et qui ne s\u2019\u00e9loigne qu\u2019\u00e0 regret de l\u2019en -\nclos. Ainsi le blond M\u00e9n\u00e9laos s\u2019\u00e9loigna de Patroklos. Et il se \nretourna d\u00e8s qu\u2019il eut rejoint ses compagnons, et, cherchant par -\ntout des yeux le grand Aias t\u00e9lam\u00f4nien, il le vit \u00e0 la gauche de \nla m\u00eal\u00e9e, exhortant ses compagnons et les excitant \u00e0 combattre, 466CHAnt 17\ncar Phoibos Apoll\u00f4n avait jet\u00e9 une grande terreur en eux. Et \nM\u00e9n\u00e9laos courut \u00e0 lui et lui dit aussit\u00f4t :\n\u2013 Aias, viens, ami ! h\u00e2tons-nous pour Patroklos qui est mort, et \nrapportons au moins son cadavre \u00e0 Akhilleus, car c\u2019est Hekt\u00f4r au \ncasque mouvant qui a ses armes.\nIl parla ainsi, et l\u2019\u00e2me du brave Aias fut remu\u00e9e, et il se jeta aux \npremiers rangs, avec le blond M\u00e9n\u00e9laos.\nEt le Priamide, apr\u00e8s avoir d\u00e9pouill\u00e9 Patroklos de ses armes \nillustres, l\u2019entra\u00eenait pour lui couper la t\u00eate avec l\u2019airain et livrer \nson cadavre aux chiens troiens ; mais Aias arriva, portant un bou -\nclier semblable \u00e0 une tour. Et Hekt\u00f4r rentra dans la foule de ses \ncompagnons ; et, montant sur son char, il donna les belles armes \naux troiens, pour \u00eatre port\u00e9es \u00e0 Ilios et pour r\u00e9pandre le bruit de \nsa gloire.\nEt Aias marchait autour du M\u00e9noitiade, le couvrant de son bou -\nclier, comme une lionne autour de ses petits.\nElle les menait \u00e0 travers la for\u00eat, quand les chasseurs surviennent. \nAussit\u00f4t, pleine de fureur, elle fronce les sourcils et en couvre ses \nyeux. Ainsi Aias marchait autour du h\u00e9ros Patroklos, et le brave 467\nL \u2019ILIADEAtr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos se tenait pr\u00e8s de lui, avec un grand deuil dans \nla poitrine.\nMais le fils de Hippolokhos, Glaukos, chef des hommes de Lyki\u00e8, \nregardant Hekt\u00f4r d\u2019un \u0153il sombre, lui dit ces dures paroles :\n\u2013 Hekt\u00f4r, tu as l\u2019aspect du plus brave des hommes, mais tu n\u2019es pas \ntel dans le combat, et tu ne m\u00e9rites point ta gloire, car tu ne sais \nque fuir. Songe maintenant \u00e0 sauver ta ville et ta citadelle, seul \navec les peuples n\u00e9s dans Ilios. Jamais plus les Lykiens ne lutteront \ncontre les Danaens pour t roi\u00e8, puisque tu n\u2019en as point de recon -\nnaissance, bien qu\u2019ils combattent \u00e9ternellement. L\u00e2che comment \nd\u00e9fendrais-tu m\u00eame un faible guerrier dans la m\u00eal\u00e9e, puisque tu \nas abandonn\u00e9, en proie aux Akhaiens, Sarp\u00e8d\u00f4n, ton h\u00f4te et ton \ncompagnon, lui qui, vivant, fut d\u2019un si grand secours \u00e0 ta ville et \n\u00e0 toi-m\u00eame, et que maintenant tu abandonnes aux chiens ! C\u2019est \npourquoi, si les Lykiens m\u2019ob\u00e9issent, nous retournerons dans nos \ndemeures, et la ruine d\u2019Ilios sera proche. Si les t roiens avaient \nl\u2019audace et la force de ceux qui combattent pour la patrie, nous \ntra\u00eenerions dans Ilios, dans la grande ville de Priamos, le cadavre \nde Patroklos ; et, aussit\u00f4t, les Argiens nous rendraient les belles \narmes de Sarp\u00e8d\u00f4n et Sarp\u00e8d\u00f4n lui-m\u00eame ; car il a \u00e9t\u00e9 tu\u00e9, le \ncompagnon de cet homme qui est le plus formidable des Argiens \naupr\u00e8s des nefs et qui a les plus braves compagnons.468CHAnt 17\nMais tu n\u2019as pas os\u00e9 soutenir l\u2019attaque du magnanime Aias, ni ses \nregards, dans la m\u00eal\u00e9e ; et tu as redout\u00e9 de combattre, car il l\u2019em -\nporte de beaucoup sur toi !\nEt, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, Hekt\u00f4r au casque mouvant \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 Glaukos, pourquoi parles-tu si outrageusement ? Certes, ami, je \nte croyais sup\u00e9rieur en prudence \u00e0 tous ceux qui habitent la fer -\ntile Lyki\u00e8, et maintenant je te bl\u00e2me d\u2019avoir parl\u00e9 ainsi, disant que \nje n\u2019ai pas os\u00e9 attendre le grand Aias. Jamais ni le bruit des chars, \nni le retentissement de la m\u00eal\u00e9e ne m\u2019ont \u00e9pouvant\u00e9 ; mais l\u2019esprit \nde Zeus temp\u00e9tueux terrifie ais\u00e9ment le brave et lui enl\u00e8ve la vic -\ntoire, bien qu\u2019il l\u2019ait pouss\u00e9 au combat. Mais viens et tu verras en \nce jour si je suis un l\u00e2che, comme tu le dis, et si je saurai rompre \nla vigueur des Danaens qui d\u00e9fendront le cadavre de Patroklos.\nIl parla ainsi, et il exhorta les t roiens \u00e0 voix haute :\n\u2013 troiens, Lykiens et braves Dardaniens, soyez des hommes, amis ! \nSouvenez-vous de votre force et de votre courage, tandis que je \nvais rev\u00eatir les armes de l\u2019irr\u00e9prochable Akhilleus, enlev\u00e9es \u00e0 \nPatroklos que j\u2019ai tu\u00e9.469\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, Hekt\u00f4r, s\u2019\u00e9loignant de la m\u00eal\u00e9e, courut rapide -\nment vers ses compagnons qui portaient \u00e0 Ilios les armes illustres \ndu P\u00e8l\u00e9ide.\nEt, loin de la m\u00eal\u00e9e lamentable, il changea d\u2019armes et donna les \nsiennes pour \u00eatre port\u00e9es dans la sainte Ilios. Et il se couvrit des \narmes immortelles du P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus, que les dieux oura -\nniens avaient donn\u00e9es \u00e0 P\u00e8leus. Et celui-ci, \u00e9tant vieux, les avait \ndonn\u00e9es \u00e0 son fils ; mais le fils ne devait point vieillir sous les \narmes paternelles.\nEt quand Zeus qui amasse les nu\u00e9es vit Hekt\u00f4r couvert des armes \ndu divin P\u00e8l\u00e9ide, il secoua la t\u00eate et dit dans son esprit :\n\u2013 \u00d4 malheureux ! tu ne songes point \u00e0 la mort qui est proche de \ntoi, et tu rev\u00eats les armes immortelles du plus brave des hommes, \ndevant qui tous les guerriers fr\u00e9missent ; et tu as tu\u00e9 son compa -\ngnon si doux et si courageux, et tu as outrageusement arrach\u00e9 ses \narmes de sa t\u00eate et de ses \u00e9paules ! Mais je te donnerai une grande \ngloire en retour de ce que Andromakh\u00e8 ne recevra point, apr\u00e8s le \ncombat, les armes illustres du P\u00e8l\u00e9ide.\nZeus parla ainsi, et il scella sa promesse en abaissant ses sour -\ncils bleus. Et il adapta les armes au corps du Priamide qui, hardi 470CHAnt 17\net furieux comme Ar\u00e8s, sentit couler dans tous ses membres la \nforce et le courage. Et, poussant de hautes clameurs, il apparut aux \nillustres alli\u00e9s et aux t roiens, semblable \u00e0 Akhilleus, car il resplen -\ndissait sous les armes du magnanime P\u00e8l\u00e9ide.\nEt, allant de l\u2019un \u00e0 l\u2019autre, il les exhortait tous : Mesthl\u00e8s, Glaukos, \nM\u00e9d\u00f4n, thersilokhos, Ast\u00e9ropaios, Deisin\u00f4r, Hippothoos et \nPhorkis, et Khromios et le divinateur Ennomos. Et, les excitant \npar des paroles rapides, il leur parla ainsi :\n\u2013 Entendez-moi, innombrables peuples alli\u00e9s et voisins d\u2019Ilios ! Je \nn\u2019ai point appel\u00e9 une multitude inactive quand je vous ai convo -\nqu\u00e9s de vos villes, mais je vous ai demand\u00e9 de d\u00e9fendre ardem -\nment les femmes des t roiens et leurs petits enfants contre les \nAkhaiens belliqueux. Pour vous, j\u2019ai \u00e9puis\u00e9 mes peuples de vivres \net de pr\u00e9sents et j\u2019ai nourri vos forces. Que chacun combatte donc, \ntriomphe ou p\u00e9risse, car c\u2019est le sort de la guerre. Celui qui entra\u00ee -\nnera le corps de Patroklos vers les t roiens dompteurs de chevaux \naura, pour sa part, la moiti\u00e9 des d\u00e9pouilles, et j\u2019aurai l\u2019autre moi -\nti\u00e9, et sa gloire sera \u00e9gale \u00e0 la mienne.\nIl parla ainsi, et tous, les lances tendues, se ru\u00e8rent sur les Danaens, \nesp\u00e9rant arracher au t \u00e9lam\u00f4nien Aias le cadavre de Patroklos. 471\nL \u2019ILIADELes insens\u00e9s ! Il devait plut\u00f4t arracher, sur ce cadavre, l\u2019\u00e2me de \nbeaucoup d\u2019entre eux. Et il dit au brave M\u00e9n\u00e9laos :\n\u2013 Divin M\u00e9n\u00e9laos, \u00f4 ami ! je n\u2019esp\u00e8re pas que nous revenions de ce \ncombat, et, certes, je crains moins pour le cadavre de Patroklos, \nque les chiens troiens et les oiseaux carnassiers vont bient\u00f4t d\u00e9vo -\nrer, que pour ma t\u00eate et la tienne, car Hekt\u00f4r couvre le champ de \nbataille comme une nu\u00e9e, et la lourde ruine pend sur nous.\nH\u00e2te-toi, appelle les princes des Danaens, s\u2019ils t\u2019entendent.\nIl parla ainsi, et le brave M\u00e9n\u00e9laos s\u2019empressa d\u2019appeler \u00e0 grands \ncris les Danaens :\n\u2013 \u00d4 amis ! Princes et chefs des Argiens, vous qui mangez aux \nrepas des Atr\u00e9ides Agamemn\u00f4n et M\u00e9n\u00e9laos, et qui commandez \nles phalanges, car tout honneur et toute gloire viennent de Zeus ; \ncomme il m\u2019est difficile de vous reconna\u00eetre dans le tourbillon de \nla m\u00eal\u00e9e, que chacun de vous accoure de lui-m\u00eame, indign\u00e9 que \nPatroklos soit livr\u00e9 en p\u00e2ture aux chiens troiens.\nIl parla ainsi, et le rapide Aias, fils d\u2019Oileus, vint le premier, en \ncourant \u00e0 travers la m\u00eal\u00e9e, et, apr\u00e8s lui, Idom\u00e9neus, et le compa -\ngnon d\u2019Idom\u00e9neus, M\u00e8rion\u00e8s, semblable au tueur d\u2019hommes Ar\u00e8s. 472CHAnt 17\nMais qui pourrait, dans son esprit, dire les noms de tous ceux qui \nvinrent r\u00e9tablir le combat des Akhaiens ?\nEt les t roiens avan\u00e7aient, et Hekt\u00f4r les menait. De m\u00eame que \nle large courant d\u2019un fleuve tomb\u00e9 de Zeus se pr\u00e9cipite \u00e0 la mer, \net que la mer s\u2019enfle hors de son lit, et que les rivages r\u00e9sonnent \nau loin ; de m\u00eame retentissait la clameur des troiens. Mais les \nAkhaiens se tenaient debout autour du M\u00e9noitiade, n\u2019ayant \nqu\u2019une \u00e2me et couverts de leurs boucliers d\u2019airain.\nEt Zeus r\u00e9pandait une nu\u00e9e \u00e9paisse sur leurs casques \u00e9clatants ; \ncar il n\u2019avait point ha\u00ef le M\u00e9noitiade pendant que, vivant, il \u00e9tait \nle compagnon de l\u2019Aiakide ; et il ne voulait pas qu\u2019il f\u00fbt livr\u00e9 \nen p\u00e2ture aux chiens troiens ; et il anima ses compagnons \u00e0 \nle d\u00e9fendre.\nEt, d\u2019abord, les t roiens repouss\u00e8rent les Akhaiens aux sourcils \narqu\u00e9s. Ceux-ci prirent la fuite, abandonnant le cadavre ; et les \ntroiens ne les poursuivirent point, malgr\u00e9 leur d\u00e9sir du meurtre ; \nmais ils entra\u00eenaient le cadavre. Et les Akhaiens ne l\u2019abandon -\nn\u00e8rent pas longtemps ; et, les ramenant aussit\u00f4t, Aias, le premier \ndes Danaens par l\u2019aspect h\u00e9ro\u00efque et les actions, apr\u00e8s l\u2019irr\u00e9pro -\nchable P\u00e8l\u00e9ide, se rua aux premiers rangs, semblable par la fureur \n\u00e0 un sanglier qui, rebroussant \u00e0 travers les taillis, disperse les 473\nL \u2019ILIADEchiens et les jeunes hommes. Ainsi le grand Aias, fils de l\u2019illustre \nt\u00e9lam\u00f4n, dispersa ais\u00e9ment les phalanges t roiennes qui se pres -\nsaient autour de Patroklos, esp\u00e9rant l\u2019entra\u00eener dans Ilios et rem -\nporter cette gloire.\nEt Hippothoos, fils du P\u00e9lasge L\u00e8thos, ayant li\u00e9 le tendon par une \ncourroie, tra\u00eenait Patroklos par un pied dans la m\u00eal\u00e9e, afin de \nplaire \u00e0 Hekt\u00f4r et aux t roiens ; mais il lui en arriva malheur, sans \nque nul p\u00fbt le sauver, car le t \u00e9lam\u00f4nien, se ruant au milieu de la \nfoule, le frappa sur son casque d\u2019airain, et le casque \u00e0 crini\u00e8re fut \nbris\u00e9 par la grande lance et la main vigoureuse d\u2019Aias, et l\u2019airain \nde la pointe traversa la cervelle qui jaillit sanglante de la plaie, et \nses forces furent rompues.\nIl l\u00e2cha le pied du magnanime Patroklos et tomba lui-m\u00eame \nsur le cadavre, loin de Lariss\u00e8 ; et il ne rendit point \u00e0 ses parents \nbien-aim\u00e9s les soins qu\u2019ils lui avaient donn\u00e9s, et sa vie fut br\u00e8ve, \nayant \u00e9t\u00e9 ainsi dompt\u00e9 par le magnanime Aias.\nHekt\u00f4r lan\u00e7a contre Aias sa pique \u00e9clatante, mais celui-ci, l\u2019ayant \naper\u00e7ue, \u00e9vita la pique d\u2019airain qui frappa le magnanime Skh\u00e9dios, \nfils d\u2019Iphitos, et le plus brave des Ph\u00f4k\u00e8ens, et qui habitait la \ngrande Panop\u00e8, commandant \u00e0 de nombreux peuples. La pique le \nper\u00e7a au milieu de la gorge, et la pointe d\u2019airain sortit au sommet 474CHAnt 17\nde l\u2019\u00e9paule. Il tomba avec bruit et ses armes retentirent sur lui. Et \nAias per\u00e7a au milieu du ventre le brave Phorkys, fils de Phainops, \nqui d\u00e9fendait le corps de Hippothoos. L \u2019airain rompit le creux de \nla cuirasse et d\u00e9chira les entrailles. Il tomba, saisissant la terre \navec ses mains, et les premiers rangs, ainsi que Hekt\u00f4r, recul\u00e8rent. \nEt les Argiens, avec de grands cris, entra\u00een\u00e8rent, morts, Phorkys \net Hippothoos, et enlev\u00e8rent leurs armes.\nAlors, les t roiens eussent \u00e9t\u00e9 mis en fuite par les braves Akhaiens \net fussent rentr\u00e9s dans Ilios, dompt\u00e9s par leur propre l\u00e2chet\u00e9, \net les Akhaiens eussent remport\u00e9 la victoire, malgr\u00e9 Zeus, par \nleur vigueur et leur courage, si Apoll\u00f4n lui-m\u00eame n\u2019e\u00fbt excit\u00e9 \nAin\u00e9ias, sous la forme du h\u00e9raut P\u00e9riphas \u00c9pytide qui avait vieilli, \naupr\u00e8s de son vieux p\u00e8re, dans l\u2019\u00e9tude et la science de la sagesse. \nSemblable \u00e0 P\u00e9riphas, le fils de Zeus parla ainsi :\n\u2013 Ain\u00e9ias, comment sauveriez-vous la sainte Ilios, m\u00eame malgr\u00e9 \nla volont\u00e9 d\u2019un dieu ? En \u00e9tant tels que des guerriers que j\u2019ai vus, \nconfiants dans leur propre courage, autant que dans la vigueur et \nle nombre de leur peuple. Zeus nous offre la victoire plut\u00f4t qu\u2019aux \nDanaens, mais vous \u00eates des l\u00e2ches qui ne savez pas combattre.475\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et Ain\u00e9ias reconnut l\u2019archer Apoll\u00f4n, et il cria aus -\nsit\u00f4t \u00e0 Hekt\u00f4r :\n\u2013 Hekt\u00f4r, et vous, chefs des troiens et des alli\u00e9s, c\u2019est une honte \nde fuir vers Ilios, vaincus, \u00e0 cause de notre l\u00e2chet\u00e9, par les braves \nAkhaiens. Voici qu\u2019un des dieux s\u2019est approch\u00e9 de moi, et il m\u2019a dit \nque le tr\u00e8s puissant Zeus nous \u00e9tait propice dans le combat. C\u2019est \npourquoi, marchons aux Danaens, et qu\u2019ils n\u2019emportent pas sans \npeine, jusqu\u2019aux nefs, Patroklos mort.\nIl parla ainsi, et il s\u2019\u00e9lan\u00e7a parmi les premiers combattants, et \nles troiens firent face aux Akhaiens. Et Ain\u00e9ias blessa d\u2019un \ncoup de lance Leiokritos, fils d\u2019Arisbas, et brave compagnon de \nLykom\u00e8d\u00e8s. Et le brave Lykom\u00e8d\u00e8s fut saisi de compassion en le \nvoyant tomber. Il s\u2019approcha, et, lan\u00e7ant sa pique brillante, il per\u00e7a \ndans le foie le Hippaside Apisa\u00f4n, prince des peuples, et il rompit \nses forces. Le Hippaside \u00e9tait venu de la fertile Paioni\u00e8, et il \u00e9tait \nle premier des Paiones, apr\u00e8s Ast\u00e9ropaios.\nEt le brave Ast\u00e9ropaios fut saisi de compassion en le voyant tom -\nber, et il se rua en avant pour combattre les Danaens, mais vaine -\nment, car les Akhaiens se tenaient tous, h\u00e9riss\u00e9s de lances, autour \nde Patroklos. Et Aias les exhortait ardemment, et il leur ordonnait \nde ne point s\u2019\u00e9carter du cadavre en s\u2019\u00e9lan\u00e7ant hors des rangs, mais 476CHAnt 17\nde rester autour de Patroklos et de tenir ferme. Le grand Aias \ncommandait ainsi ; et la terre \u00e9tait baign\u00e9e d\u2019un sang pourpr\u00e9, et \ntous tombaient les uns sur les autres, t roiens, alli\u00e9s et Danaens ; \nmais ceux-ci p\u00e9rissaient en plus petit nombre, car ils n\u2019oubliaient \npoint de s\u2019entr\u2019aider dans la m\u00eal\u00e9e. Et tous luttaient, pareils \u00e0 un \nincendie ; et nul n\u2019aurait pu dire si H\u00e9lios brillait, ou S\u00e9l\u00e8n\u00e8, tant \nles braves qui s\u2019agitaient autour du M\u00e9noitiade \u00e9taient envelop -\np\u00e9s d\u2019un noir brouillard.\nAilleurs, d\u2019autres t roiens et d\u2019autres Akhaiens aux belles kn\u00e8 -\nmides combattaient \u00e0 l\u2019aise sous un air serein ; et l\u00e0 se r\u00e9pandait \nl\u2019\u00e9tincelante splendeur de H\u00e9lios, et il n\u2019y avait de nu\u00e9es ni sur la \nterre, ni sur les montagnes. Et ils combattaient mollement, \u00e9vitant \nles traits de part et d\u2019autre, et s\u00e9par\u00e9s par un large espace. Mais, \nau centre, sous le noir brouillard, les plus braves, se frappant de \nl\u2019airain cruel, subissaient tous les maux de la guerre. Et l\u00e0, deux \nexcellents guerriers, thrasym\u00e8d\u00e8s et Antilokhos, ne savaient pas \nque l\u2019irr\u00e9prochable Patroklos f\u00fbt mort. Ils pensaient qu\u2019il \u00e9tait \nvivant et qu\u2019il combattait les t roiens au fort de la m\u00eal\u00e9e, tandis \nqu\u2019eux-m\u00eames luttaient pour le salut de leurs compagnons, loin \ndu M\u00e9noitiade, comme n est\u00f4r le leur avait ordonn\u00e9, quand il les \nenvoya des nefs noires au combat.477\nL \u2019ILIADEEt, pendant tout le jour, le carnage continua autour de Patroklos, \ndu brave compagnon du rapide Aiakide, et tous avaient les genoux, \nles pieds, les mains et les yeux souill\u00e9s de poussi\u00e8re et de sang. De \nm\u00eame qu\u2019un homme ordonne \u00e0 ses serviteurs de tendre une \ngrande peau de b\u0153uf tout impr\u00e9gn\u00e9e de graisse liquide, et que \nceux-ci la tendent en cercle, et que, sous leurs efforts, la graisse \np\u00e9n\u00e8tre dans la peau ; de m\u00eame, de tous les c\u00f4t\u00e9s, les combattants \ntra\u00eenaient \u00e7\u00e0 et l\u00e0 le cadavre dans un \u00e9troit espace, les t roiens vers \nIlios et les Akhaiens vers les nefs creuses ; et un affreux tumulte \ns\u2019\u00e9levait, qui e\u00fbt r\u00e9joui Ath\u00e8n\u00e8 et Ar\u00e8s qui irrite le combat. Ainsi \nZeus heurta, tout le jour, la m\u00eal\u00e9e des hommes et des chevaux sur \nle cadavre de Patroklos.\nMais le divin Akhilleus ignorait la mort du M\u00e9noitiade, car les \nhommes combattaient, loin des nefs, sous les murailles de t roi\u00e8. \nEt il pensait que Patroklos reviendrait vivant, apr\u00e8s avoir pouss\u00e9 \njusqu\u2019aux portes de la ville, sachant qu\u2019il ne devait point renverser \nIlios sans lui, et m\u00eame avec lui. Souvent, en effet, il l\u2019avait entendu \ndire \u00e0 sa m\u00e8re qui lui r\u00e9v\u00e9lait la pens\u00e9e de Zeus ; mais sa m\u00e8re ne \nlui avait pas annonc\u00e9 un si grand malheur, et il ne savait pas que \nson plus cher compagnon p\u00e9rirait.478CHAnt 17\nEt tous, autour du cadavre, combattaient, infatigables, de leurs \nlances aigu\u00ebs, et s\u2019entre-tuaient. Et les Akhaiens cuirass\u00e9s disaient :\n\u2013 \u00d4 amis ! il serait honteux de retourner vers les nefs creuses ! \nQue la noire terre nous engloutisse ici, plut\u00f4t que de laisser les \nbraves t roiens entra\u00eener ce cadavre vers leur ville et remporter \ncette gloire !\nEt les t roiens magnanimes disaient :\n\u2013 \u00d4 amis ! si la moire veut que nous tombions tous ici, soit ! mais \nque nul ne recule !\nChacun parlait ainsi et animait le courage de ses compagnons, \net ils combattaient, et le retentissement de l\u2019airain montait dans \nl\u2019Ouranos, par les airs st\u00e9riles. Et les chevaux de l\u2019Aiakide pleu -\nraient, hors de la m\u00eal\u00e9e, parce qu\u2019ils avaient perdu leur conduc -\nteur couch\u00e9 sur la poussi\u00e8re par le tueur d\u2019hommes Hekt\u00f4r. Et, \nvainement, Autom\u00e9d\u00f4n, le fils du brave Dior\u00e8s, les excitait du \nfouet ou leur adressait de flatteuses paroles, ils ne voulaient point \naller vers le large Hellespontos, ni vers la m\u00eal\u00e9e des Akhaiens ; \net, de m\u00eame qu\u2019une colonne qui reste debout sur la tombe d\u2019un \nhomme ou d\u2019une femme, ils restaient immobiles devant le beau \nchar, la t\u00eate courb\u00e9e vers la terre. Et de chaudes larmes tombaient 479\nL \u2019ILIADEde leurs paupi\u00e8res, car ils regrettaient leur conducteur ; et leurs \ncrini\u00e8res florissantes pendaient, souill\u00e9es, des deux c\u00f4t\u00e9s du joug. \nEt le Kroni\u00f4n fut saisi de compassion en les voyant, et, secouant \nla t\u00eate, il dit dans son esprit :\n\u2013 Ah ! malheureux ! pourquoi vous avons-nous donn\u00e9s au roi \nP\u00e8leus qui est mortel, vous qui ne conna\u00eetrez point la vieillesse \net qui \u00eates immortels ? \u00c9tait-ce pour que vous subissiez aussi \nles douleurs humaines ? Car l\u2019homme est le plus malheureux de \ntous les \u00eatres qui respirent, ou qui rampent sur la terre. Mais le \nPriamide Hekt\u00f4r ne vous conduira jamais, ni vous, ni vos chars \nsplendides. n \u2019est-ce pas assez qu\u2019il poss\u00e8de les armes et qu\u2019il s\u2019en \nglorifie ? Je remplirai vos genoux et votre \u00e2me de vigueur, afin \nque vous rameniez Autom\u00e9d\u00f4n de la m\u00eal\u00e9e, vers les nefs creuses ; \ncar je donnerai la victoire aux t roiens, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019ils touchent \naux nefs bien construites, jusqu\u2019\u00e0 ce que H\u00e9lios tombe et que \nl\u2019ombre sacr\u00e9e arrive.\nAyant ainsi parl\u00e9, il inspira une grande force aux chevaux, et \nceux-ci, secouant la poussi\u00e8re de leurs crins sur la terre, entra\u00ee -\nn\u00e8rent rapidement le char l\u00e9ger entre les t roiens et les Akhaiens. \nEt Autom\u00e9d\u00f4n, bien que pleurant son compagnon, excitait l\u2019im -\np\u00e9tuosit\u00e9 des chevaux, tel qu\u2019un vautour sur des oies. Et il s\u2019\u00e9loi -\ngnait ainsi de la foule des t roiens, et il revenait se ruer dans la 480CHAnt 17\nm\u00eal\u00e9e ; mais il poursuivait les guerriers sans les tuer, ne pouvant \n\u00e0 la fois, seul sur le char sacr\u00e9, combattre de la lance et diriger les \nchevaux rapides. Enfin, un de ses compagnons, Alkim\u00e9d\u00f4n, fils \nde Laerkeus Aimonide, le vit de ses yeux, et, s\u2019arr\u00eatant aupr\u00e8s du \nchar, dit \u00e0 Autom\u00e9d\u00f4n :\n\u2013 Autom\u00e9d\u00f4n, quel dieu t\u2019ayant mis dans l\u2019\u00e2me un dessein insens\u00e9, \nt\u2019a ravi l\u2019esprit ? tu veux combattre seul aux premiers rangs, contre \nles t roiens, et ton compagnon est mort, et Hekt\u00f4r se glorifie de \nporter sur ses \u00e9paules les armes de l\u2019Aiakide !\nEt le fils de Dior\u00e8s, Autom\u00e9d\u00f4n, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Alkim\u00e9d\u00f4n, nul des Akhaiens ne pourrait dompter les chevaux \nimmortels, si ce n\u2019est toi. Patroklos, vivant, seul le pouvait, \u00e9tant \nsemblable aux dieux par sa prudence. Maintenant, la mort et la \nmoire l\u2019ont saisi. Prends le fouet et les r\u00eanes splendides, et je des -\ncendrai pour combattre.481\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et Alkim\u00e9d\u00f4n monta sur le char et prit le fouet et \nles r\u00eanes, et Autom\u00e9d\u00f4n descendit ; mais l\u2019illustre Hekt\u00f4r, l\u2019ayant \nvu, dit aussit\u00f4t \u00e0 Ain\u00e9ias :\n\u2013 Ain\u00e9ias, prince des t roiens cuirass\u00e9s, je vois les deux chevaux \ndu rapide Aiakide qui courent dans la m\u00eal\u00e9e avec des conduc -\nteurs vils, et j\u2019esp\u00e8re les saisir, si tu veux m\u2019aider, car, sans doute, \nces hommes n\u2019oseront point nous tenir t\u00eate.\nIl parla, et l\u2019irr\u00e9prochable fils d\u2019Ankhis\u00e8s consentit, et ils mar -\nch\u00e8rent, abritant leurs \u00e9paules des cuirs secs et solides que recou -\nvrait l\u2019airain. Et avec eux marchaient Khromios et Ar\u00e8tos sem -\nblable \u00e0 un dieu.\nEt les insens\u00e9s esp\u00e9raient tuer les deux Akhaiens et se saisir des \nchevaux au large cou ; mais ils ne devaient point revenir sans \navoir r\u00e9pandu leur sang sous les mains d\u2019Autom\u00e9d\u00f4n. Et celui-ci \nsupplia le p\u00e8re Zeus, et, plein de force et de courage dans son \nc\u0153ur sombre, il dit \u00e0 son compagnon fid\u00e8le, Alkim\u00e9d\u00f4n :\n\u2013 Alkim\u00e9d\u00f4n, ne retiens point les chevaux loin de moi, mais \nqu\u2019ils soufflent sur mon dos, car je ne pense pas que la fureur \ndu Priamide Hekt\u00f4r s\u2019apaise, avant qu\u2019il nous ait tu\u00e9s et qu\u2019il ait 482CHAnt 17\nsaisi les chevaux aux belles crini\u00e8res d\u2019Akhilleus, ou qu\u2019il soit lui-\nm\u00eame tomb\u00e9 sous nos mains.\nAyant ainsi parl\u00e9, il appela les Aias et M\u00e9n\u00e9laos :\n\u2013 Aias et M\u00e9n\u00e9laos, chefs des Argiens, remettez ce cadavre aux \nplus braves, et qu\u2019ils le d\u00e9fendent, et qu\u2019ils repoussent la foule des \nhommes ; mais \u00e9loignez notre dernier jour, \u00e0 nous qui sommes \nvivants, car voici que Hekt\u00f4r et Ain\u00e9ias, les plus terribles des \ntroiens, se ruent sur nous \u00e0 travers la m\u00eal\u00e9e lamentable. Mais \nla destin\u00e9e est sur les genoux des dieux ! Je lance ma pique, me \nconfiant en Zeus.\nIl parla, et il lan\u00e7a sa longue pique, et il frappa le bouclier \u00e9gal \nd\u2019Ar\u00e8tos. Et le bouclier n\u2019arr\u00eata point l\u2019airain qui le traversa et \nentra dans le ventre \u00e0 travers le baudrier. De m\u00eame, quand un \njeune homme, arm\u00e9 d\u2019une hache tranchante, frappe entre les \ndeux cornes d\u2019un b\u0153uf sauvage, il coupe le nerf, et l\u2019animal bon -\ndit et tombe.\nDe m\u00eame Ar\u00e8tos bondit, et tomba \u00e0 la renverse, et la pique, \u00e0 tra -\nvers les entrailles, rompit ses forces. Et Hekt\u00f4r lan\u00e7a sa pique \n\u00e9clatante contre Autom\u00e9d\u00f4n ; mais celui-ci, l\u2019ayant vu, \u00e9vita en se \nbaissant la pique d\u2019airain qui, par-dessus lui, plongea en terre et 483\nL \u2019ILIADEvibra jusqu\u2019\u00e0 ce que Ar\u00e8s e\u00fbt \u00e9puis\u00e9 sa vigueur. Et tous deux se \njetaient l\u2019un sur l\u2019autre avec leurs \u00e9p\u00e9es, quand les rapides Aias, \n\u00e0 la voix de leur compagnon, se ru\u00e8rent \u00e0 travers la m\u00eal\u00e9e. Et \nHekt\u00f4r, Ain\u00e9ias et Khromios pareil \u00e0 un dieu recul\u00e8rent, laissant \nAr\u00e8tos couch\u00e9, le ventre ouvert. Et Autom\u00e9d\u00f4n, pareil au rapide \nAr\u00e8s, le d\u00e9pouillant de ses armes, dit en se glorifiant :\n\u2013 Du moins, j\u2019ai un peu soulag\u00e9 ma douleur de la mort du \nM\u00e9noitiade, bien que je n\u2019aie tu\u00e9 qu\u2019un homme tr\u00e8s inf\u00e9rieur \u00e0 lui.\nEt il mit sur le char les d\u00e9pouilles sanglantes, et il y monta, les \npieds et les mains sanglants, comme un lion qui vient de man -\nger un taureau.\nEt, de nouveau, la m\u00eal\u00e9e affreuse et lamentable recommen\u00e7a sur \nPatroklos. Et Ath\u00e8n\u00e8, descendant de l\u2019Ouranos, anima le com -\nbat, car Zeus au large regard l\u2019avait envoy\u00e9e afin d\u2019encourager \nles Danaens, son esprit \u00e9tant chang\u00e9. De m\u00eame que l\u2019Ouranien \nZeus envoie aux vivants une Iris pourpr\u00e9e, signe de guerre ou \nde froides temp\u00eates, qui interrompt les travaux des hommes et \nnuit aux troupeaux ; de m\u00eame Ath\u00e8n\u00e8, s\u2019enveloppant d\u2019une nu\u00e9e \npourpr\u00e9e, se m\u00eala \u00e0 la foule des Akhaiens.484CHAnt 17\nEt, d\u2019abord, elle excita le fils d\u2019Atreus, parlant ainsi au brave \nM\u00e9n\u00e9laos, sous la forme de Phoinix \u00e0 la voix m\u00e2le :\n\u2013 Quelle honte et quelle douleur pour toi, M\u00e9n\u00e9laos, si les chiens \nrapides des troiens mangeaient, sous leurs murailles, le cher \ncompagnon de l\u2019illustre Akhilleus Mais sois ferme, et encourage \ntout ton peuple.\nEt le brave M\u00e9n\u00e9laos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Phoinix, mon p\u00e8re, vieillard v\u00e9n\u00e9rable, pl\u00fbt aux dieux qu\u2019Ath\u00e8n\u00e8 \nme donn\u00e2t la force et repouss\u00e2t loin de moi les traits. J\u2019irais et je \nd\u00e9fendrais Patroklos, car, en mourant, il a violemment d\u00e9chir\u00e9 \nmon c\u0153ur. Mais la vigueur de Hekt\u00f4r est comme celle du feu, et \nil ne cesse de tuer avec l\u2019airain, et Zeus lui donne la victoire.\nIl parla ainsi, et Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs se r\u00e9jouit parce qu\u2019il l\u2019avait \nimplor\u00e9e avant tous les dieux. Et elle r\u00e9pandit la vigueur dans ses \n\u00e9paules et dans ses genoux, et elle mit dans sa poitrine l\u2019audace de \nla mouche qui, toujours et vainement chass\u00e9e, se pla\u00eet \u00e0 mordre, \ncar le sang de l\u2019homme lui est doux. Et elle mit cette audace dans \nson c\u0153ur sombre ; et, retournant vers Patroklos, il lan\u00e7a sa pique \nbrillante. Et parmi les t roiens se trouvait Pod\u00e8s, fils d\u2019\u00ca\u00e9ti\u00f4n, 485\nL \u2019ILIADEriche, brave, et tr\u00e8s honor\u00e9 par Hekt\u00f4r entre tous les autres, parce \nqu\u2019il \u00e9tait son plus cher convive.\nLe blond M\u00e9n\u00e9laos le frappa sur le baudrier, comme il fuyait ; et \nl\u2019airain le traversa, et il tomba avec bruit, et l\u2019Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos \nentra\u00eena son cadavre du c\u00f4t\u00e9 des Akhaiens. Et Apoll\u00f4n excita \nHekt\u00f4r, sous la forme de Phainops Asiade qui habitait Abydos, et \nqui \u00e9tait le plus cher des h\u00f4tes du Priamide. Et l\u2019archer Apoll\u00f4n \ndit \u00e0 celui-ci, sous la forme de Phainops :\n\u2013 Hekt\u00f4r, qui d\u2019entre les Akhaiens te redoutera d\u00e9sormais, si tu \ncrains M\u00e9n\u00e9laos qui n\u2019est qu\u2019un faible guerrier, et qui enl\u00e8ve seul \nce cadavre, apr\u00e8s avoir tu\u00e9 ton compagnon fid\u00e8le, brave entre les \nhommes, Pod\u00e8s, fils d\u2019\u00ca\u00e9ti\u00f4n ?\nIl parla ainsi, et la noire nu\u00e9e de la douleur enveloppa Hekt\u00f4r, et \nil se rua aux premiers rangs, arm\u00e9 de l\u2019airain splendide. Et alors le \nKroni\u00f4n saisit l\u2019aigide aux franges \u00e9clatantes, et il couvrit l\u2019Ida de \nnu\u00e9es, et, fulgurant, il tonna fortement, secouant l\u2019aigide, donnant \nla victoire aux t roiens et mettant les Akhaiens en fuite.\nEt, le premier, le Boi\u00f4tien P\u00e8n\u00e9l\u00e9\u00f4s prit la fuite, bless\u00e9 par \nPolydamas d\u2019un coup de lance qui lui avait travers\u00e9 le haut de \nl\u2019\u00e9paule jusqu\u2019\u00e0 l\u2019os. Et Hekt\u00f4r blessa \u00e0 la main L\u00e8itos, fils du 486CHAnt 17\nmagnanime Alektry\u00f4n ; et il le mit en fuite, \u00e9pouvant\u00e9 et regar -\ndant de tous c\u00f4t\u00e9s, car il n\u2019esp\u00e9rait plus pouvoir tenir une lance \npour le combat.\nEt comme Hekt\u00f4r se jetait sur L\u00e8itos, Idom\u00e9neus le frappa \u00e0 \nla cuirasse, au-dessous de la mamelle, mais la longue pique se \nrompit l\u00e0 o\u00f9 la pointe s\u2019unit au bois, et les troiens pouss\u00e8rent \ndes clameurs ; et, contre Idom\u00e9neus Deukalide debout sur son \nchar, Hekt\u00f4r lan\u00e7a sa pique qui s\u2019\u00e9gara et per\u00e7a le conducteur \nde M\u00e8rion\u00e8s, Koiranos, qui l\u2019avait suivi de la populeuse Lyktos. \nIdom\u00e9neus \u00e9tant venu \u00e0 pied des nefs aux doubles avirons, il e\u00fbt \ndonn\u00e9 une grande gloire aux t roiens, si Koiranos n\u2019e\u00fbt amen\u00e9 \naussit\u00f4t les chevaux rapides. Et il fut le salut d\u2019Idom\u00e9neus, et il \nlui conserva la lumi\u00e8re ; mais lui-m\u00eame rendit l\u2019\u00e2me sous le tueur \nd\u2019hommes Hekt\u00f4r qui le per\u00e7a entre la m\u00e2choire et l\u2019oreille. La \npique \u00e9branla les dents et trancha la moiti\u00e9 de la langue. Koiranos \ntomba du char, laissant tra\u00eener les r\u00eanes. Et M\u00e8rion\u00e8s, les saisis -\nsant \u00e0 terre, dit \u00e0 Idom\u00e9neus :\n\u2013 Fouette maintenant les rapides chevaux jusqu\u2019aux nefs ; tu vois \ncomme moi que la victoire \u00e9chappe aux Akhaiens.\nIl parla ainsi, et Idom\u00e9neus fouetta les chevaux aux belles cri -\nni\u00e8res, jusqu\u2019aux nefs creuses, car la crainte avait envahi son c\u0153ur. 487\nL \u2019ILIADEEt le magnanime Aias et M\u00e9n\u00e9laos reconnurent aussi que la vic -\ntoire \u00e9chappait aux Akhaiens et que Zeus la donnait aux t roiens. \nEt le grand t \u00e9lam\u00f4nien Aias dit le premier :\n\u2013 \u00d4 dieux ! le plus insens\u00e9 comprendrait maintenant que le p\u00e8re \nZeus donne la victoire aux t roiens.\ntous leurs traits portent, que ce soit la main d\u2019un l\u00e2che qui les \nenvoie ou d\u2019un brave ; Zeus les dirige, et les n\u00f4tres tombent vains \net impuissants sur la terre. Allons, songeons au moins au meilleur \nmoyen d\u2019entra\u00eener le cadavre de Patroklos, et nous r\u00e9jouirons \nensuite nos compagnons par notre retour. Ils s\u2019attristent en nous \nregardant, car ils pensent que nous n\u2019\u00e9chapperons pas aux mains \nin\u00e9vitables et \u00e0 la vigueur du tueur d\u2019hommes Hekt\u00f4r, mais que \nnous serons rejet\u00e9s vers les nefs noires. Pl\u00fbt aux dieux qu\u2019un de \nnous annon\u00e7\u00e2t promptement ce malheur au P\u00e8l\u00e9ide ! Je ne pense \npas qu\u2019il sache que son cher compagnon est mort. Mais je ne sais \nqui nous pourrions envoyer parmi les Akhaiens. Un brouillard \nnoir nous enveloppe tous, les hommes et les chevaux. P\u00e8re Zeus, \nd\u00e9livre de cette obscurit\u00e9 les fils des Akhaiens ; rends-nous la \nclart\u00e9, que nos yeux puissent voir ; et si tu veux nous perdre dans \nta col\u00e8re, que ce soit du moins \u00e0 la lumi\u00e8re !488CHAnt 17\nIl parla ainsi, et le p\u00e8re Zeus eut compassion de ses larmes, et il \ndispersa aussit\u00f4t le brouillard et dissipa la nu\u00e9e. H\u00e9lios brilla, et \ntoute l\u2019arm\u00e9e apparut. Et Aias dit au brave M\u00e9n\u00e9laos :\n\u2013 Divin M\u00e9n\u00e9laos, cherche maintenant Antilokhos, le magnanime \nfils de nest\u00f4r, si toutefois il est encore vivant, et qu\u2019il se h\u00e2te d\u2019al -\nler dire au belliqueux Akhilleus que le plus cher de ses compa -\ngnons est mort.\nIl parla ainsi, et le brave M\u00e9n\u00e9laos se h\u00e2ta d\u2019ob\u00e9ir, et il s\u2019\u00e9loigna, \ncomme un lion qui, fatigu\u00e9 d\u2019avoir lutt\u00e9 contre les chiens et les \nhommes, s\u2019\u00e9loigne de l\u2019enclos ; car, toute la nuit, par leur vigilance, \nils ne lui ont point permis d\u2019enlever les b\u0153ufs gras. Il s\u2019est ru\u00e9 sur \neux, plein du d\u00e9sir des chairs fra\u00eeches ; mais la foule des traits a \nvol\u00e9 de leurs mains audacieuses, ainsi que les torches ardentes \nqu\u2019il redoute malgr\u00e9 sa fureur ; et, vers le matin, il s\u2019\u00e9loigne, le \nc\u0153ur attrist\u00e9. De m\u00eame le brave M\u00e9n\u00e9laos s\u2019\u00e9loignait contre \nson gr\u00e9 du corps de Patroklos, car il craignait que les Akhaiens \nterrifi\u00e9s ne l\u2019abandonnassent en proie \u00e0 l\u2019ennemi. Et il exhorta \nM\u00e8rion\u00e8s et les Aias :\n\u2013 Aias, chefs des Argiens, et toi, M\u00e8rion\u00e8s, souvenez-vous de \nla douceur du malheureux Patroklos ! Pendant sa vie, il \u00e9tait 489\nL \u2019ILIADEplein de douceur pour tous ; et, maintenant, la mort et la moire \nl\u2019ont saisi !\nAyant ainsi parl\u00e9, le blond M\u00e9n\u00e9laos s\u2019\u00e9loigna, regardant de tous \nles c\u00f4t\u00e9s, comme l\u2019aigle qui, dit-on, est, de tous les oiseaux de \nl\u2019Ouranos, celui dont la vue est la plus per\u00e7ante, car, des hauteurs \no\u00f9 il vit, il aper\u00e7oit le li\u00e8vre qui g\u00eete sous un arbuste feuillu ; et \nil tombe aussit\u00f4t sur lui, le saisit et lui arrache l\u2019\u00e2me. De m\u00eame, \ndivin M\u00e9n\u00e9laos, tes yeux clairs regardaient de tous c\u00f4t\u00e9s, dans \nla foule des Akhaiens, s\u2019ils voyaient, vivant, le fils de n est\u00f4r. Et \nM\u00e9n\u00e9laos le reconnut, \u00e0 la gauche de la m\u00eal\u00e9e, excitant ses com -\npagnons au combat. Et, s\u2019approchant, le blond M\u00e9n\u00e9laos lui dit :\n\u2013 Viens, divin Antilokhos ! apprends une triste nouvelle. Pl\u00fbt aux \ndieux que ceci ne f\u00fbt jamais arriv\u00e9 ! Sans doute tu sais d\u00e9j\u00e0 qu\u2019un \ndieu accable les Akhaiens et donne la victoire aux t roiens. Le \nmeilleur des Akhaiens a \u00e9t\u00e9 tu\u00e9, Patroklos, qui laisse de grands \nregrets aux Danaens. Mais toi, cours aux nefs des Akhaiens, et \nannonce ce malheur au P\u00e8l\u00e9ide. Qu\u2019il vienne promptement sauver \nson cadavre nu, car Hekt\u00f4r au casque mouvant poss\u00e8de ses armes.\nIl parla ainsi, et Antilokhos, accabl\u00e9 par ces paroles, resta long -\ntemps muet, et ses yeux s\u2019emplirent de larmes, et la voix lui man -\nqua ; mais il ob\u00e9it \u00e0 l\u2019ordre de M\u00e9n\u00e9laos. Et il remit ses armes \u00e0 490CHAnt 17\nl\u2019irr\u00e9prochable Laodokos, son ami, qui conduisait ses chevaux aux \nsabots massifs, et il s\u2019\u00e9loigna en courant. Et ses pieds l\u2019emportaient, \npleurant, afin d\u2019annoncer au P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus la triste nouvelle.\nEt tu ne voulus point, divin M\u00e9n\u00e9laos, venir en aide aux compa -\ngnons attrist\u00e9s d\u2019Antilokhos, aux Pyliens qui le regrettaient. Et il \nleur laissa le divin thrasym\u00e8d\u00e8s, et il retourna aupr\u00e8s du h\u00e9ros \nPatroklos, et, parvenu jusqu\u2019aux Aias, il leur dit :\n\u2013 J\u2019ai envoy\u00e9 Antilokhos vers les nefs, afin de parler au P\u00e8l\u00e9i\u00f4n aux \npieds rapides ; mais je ne pense pas que le P\u00e8l\u00e8iade vienne main -\ntenant, bien que tr\u00e8s irrit\u00e9 contre le divin Hekt\u00f4r, car il ne peut \ncombattre sans armes.\nSongeons, pour le mieux, de quelle fa\u00e7on nous entra\u00eenerons ce \ncadavre, et comment nous \u00e9viterons nous-m\u00eames la mort et la \nmoire \u00e0 travers le tumulte des t roiens.\nEt le grand Aias t \u00e9lam\u00f4nien lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tu as bien dit, \u00f4 illustre M\u00e9n\u00e9laos. t oi et M\u00e8rion\u00e8s, enlevez \npromptement le cadavre et emportez-le hors de la m\u00eal\u00e9e ; et, der -\nri\u00e8re vous, nous repousserons les t roiens et le divin Hekt\u00f4r, nous 491\nL \u2019ILIADEqui avons la m\u00eame \u00e2me et le m\u00eame nom, et qui savons affronter \ntous deux le combat terrible.\nIl parla ainsi, et, dans leurs bras, ils enlev\u00e8rent le cadavre. Et les \ntroiens pouss\u00e8rent des cris horribles en voyant les Akhaiens \nenlever Patroklos. Et ils se ru\u00e8rent, semblables \u00e0 des chiens qui, \ndevan\u00e7ant les chasseurs, s\u2019amassent sur un sanglier bless\u00e9 qu\u2019ils \nveulent d\u00e9chirer. Mais s\u2019il se retourne, confiant dans sa force, ils \ns\u2019arr\u00eatent et fuient \u00e7\u00e0 et l\u00e0. Ainsi les t roiens se ruaient en foule, \nfrappant de l\u2019\u00e9p\u00e9e et de la lance ; mais, quand les Aias se retour -\nnaient et leur tenaient t\u00eate, ils changeaient de couleur, et aucun \nn\u2019osait les combattre pour leur disputer ce cadavre.\nEt ils emportaient ainsi avec ardeur le cadavre, hors de la m\u00eal\u00e9e, \nvers les nefs creuses. Et le combat les suivait, acharn\u00e9 et terrible, \ncomme un incendie qui \u00e9clate brusquement dans une ville ; et les \nmaisons croulent dans une vaste flamme que tourmente la vio -\nlence du vent.\nAinsi le tumulte sans tr\u00eave des chevaux et des hommes poursui -\nvait les Akhaiens. Comme des mulets vigoureux, se h\u00e2tant, malgr\u00e9 \nle travail et la sueur, tra\u00eenent par l\u2019\u00e2pre chemin d\u2019une montagne, \nsoit une poutre, soit un m\u00e2t ; ainsi M\u00e9n\u00e9laos et M\u00e8rion\u00e8s empor -\ntaient \u00e0 la h\u00e2te le cadavre. Et derri\u00e8re eux, les Aias repoussaient 492CHAnt 17\nles t roiens, comme une colline bois\u00e9e, qui s\u2019\u00e9tend par la plaine, \nrepousse les courants furieux des fleuves rapides qui ne peuvent \nla rompre et qu\u2019elle rejette toujours vers la plaine. Ainsi les Aias \nrepoussaient la foule des t roiens qui les poursuivaient, conduits \npar Ain\u00e9ias Ankhisiade et par l\u2019illustre Hekt\u00f4r. Comme une \ntroupe d\u2019\u00e9tourneaux et de geais vole en poussant des cris aigus, \n\u00e0 l\u2019approche de l\u2019\u00e9pervier qui tue les petits oiseaux, de m\u00eame les \nfils des Akhaiens couraient avec des clameurs per\u00e7antes, devant \nAin\u00e9ias et Hekt\u00f4r, et oublieux du combat. Et les belles armes des \nDanaens en fuite emplissaient les bords du foss\u00e9 et le foss\u00e9 lui-\nm\u00eame ; mais le carnage ne cessait point.493\nL \u2019ILIADEChant 18\nEt ils combattaient ainsi, comme le feu ardent. Et Antilokhos vint \n\u00e0 Akhilleus aux pieds rapides, et il le trouva devant ses nefs aux \nantennes dress\u00e9es, songeant dans son esprit aux choses accom -\nplies d\u00e9j\u00e0 ; et, g\u00e9missant, il disait dans son c\u0153ur magnanime :\n\u2013 \u00d4 dieux ! pourquoi les Akhaiens chevelus, dispers\u00e9s par la plaine, \nsont-ils repouss\u00e9s tumultueusement vers les nefs ? Que les dieux \nm\u2019\u00e9pargnent ces cruelles douleurs qu\u2019autrefois ma m\u00e8re m\u2019an -\nnon\u00e7a, quand elle me disait que le meilleur des Myrmidones, moi \nvivant, perdrait la lumi\u00e8re de H\u00e9lios sous les mains des t roiens. \nSans doute il est d\u00e9j\u00e0 mort, le brave fils de M\u00e9noitios, le malheu -\nreux ! Certes, j\u2019avais ordonn\u00e9 qu\u2019ayant repouss\u00e9 le feu ennemi, il \nrev\u00eent aux nefs sans combattre Hekt\u00f4r.\ntandis qu\u2019il roulait ceci dans son esprit et dans son c\u0153ur, le fils de \nl\u2019illustre n est\u00f4r s\u2019approcha de lui, et, versant de chaudes larmes, \ndit la triste nouvelle :\n\u2013 H\u00e9las ! fils du belliqueux P\u00e8leus, certes, tu vas entendre une \ntriste nouvelle ; et pl\u00fbt aux dieux que ceci ne f\u00fbt point arriv\u00e9 ! 494CHAnt 18\nPatroklos g\u00eet mort, et tous combattent pour son cadavre nu, car \nHekt\u00f4r poss\u00e8de ses armes.\nIl parla ainsi, et la noire nu\u00e9e de la douleur enveloppa Akhilleus, \net il saisit de ses deux mains la poussi\u00e8re du foyer et la r\u00e9pan -\ndit sur sa t\u00eate, et il en souilla sa belle face ; et la noire poussi\u00e8re \nsouilla sa tunique nektar\u00e9enne ; et, lui-m\u00eame, \u00e9tendu tout entier \ndans la poussi\u00e8re, gisait, et des deux mains arrachait sa chevelure.\nEt les femmes, que lui et Patroklos avaient prises, hurlaient vio -\nlemment, afflig\u00e9es dans leur c\u0153ur ; et toutes, hors des tentes, \nentouraient le belliqueux Akhilleus, et elles se frappaient la poi -\ntrine, et leurs genoux \u00e9taient rompus. Antilokhos aussi g\u00e9missait, \nr\u00e9pandant des larmes, et tenait les mains d\u2019Akhilleus qui sanglo -\ntait dans son noble c\u0153ur. Et le nest\u00f4ride craignait qu\u2019il se tran -\nch\u00e2t la gorge avec l\u2019airain.\nAkhilleus poussait des sanglots terribles, et sa m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable \nl\u2019entendit, assise dans les gouffres de la mer, aupr\u00e8s de son vieux \np\u00e8re. Et elle se lamenta aussit\u00f4t. Et autour de la d\u00e9esse \u00e9taient ras -\nsembl\u00e9es toutes les n\u00e8r\u00e8ides qui sont au fond de la mer : Glauk\u00e8, \net thal\u00e9ia, et Kymodok\u00e8, et n \u00e8sai\u00e8, et Sp\u00e9i\u00f4, et tho\u00e8, et Hali\u00e8 aux \nyeux de b\u0153uf, et Kymotho\u00e8, et Alkai\u00e8, et Limnor\u00e9ia, et M\u00e9lit\u00e8, \net Iaira, et Amphitho\u00e8, et Agav\u00e8, et L\u00f4t\u00f4, et Pr\u00f4t\u00f4, et Ph\u00e9rousa, 495\nL \u2019ILIADEDynam\u00e9n\u00e8, et Dexam\u00e9n\u00e8 et Amphinom\u00e8, et Kallianassa, et \nD\u00f4ris, et Panop\u00e8, et l\u2019illustre Galat\u00e9ia, et n \u00e8mert\u00e8s, et Abseud\u00e8s, \net Kallian\u00e9ira, et Klym\u00e9n\u00e8, et Ian\u00e9ira, et Ianassa, et Maira, et \nOreithya, et Amath\u00e9ia aux beaux cheveux, et les autres n\u00e8r\u00e8ides \nqui sont dans la profonde mer. Et elles emplissaient la grotte \nd\u2019argent, et elles se frappaient la poitrine, et t h\u00e9tis se lamen -\ntait ainsi :\n\u2013 \u00c9coutez-moi, s\u0153urs n\u00e8r\u00e8ides, afin que vous sachiez les douleurs \nqui d\u00e9chirent mon \u00e2me, h\u00e9las ! \u00e0 moi, malheureuse, qui ai enfant\u00e9 \nun homme illustre, un fils irr\u00e9prochable et brave, le plus coura -\ngeux des h\u00e9ros, et qui a grandi comme un arbre.\nJe l\u2019ai \u00e9lev\u00e9 comme une plante dans une terre fertile, et je l\u2019ai \nenvoy\u00e9 vers Ilios, sur ses nefs aux poupes recourb\u00e9es, combattre \nles t roiens. Et je ne le verrai point revenir dans mes demeures, \ndans la maison P\u00e8l\u00e9ienne. Voici qu\u2019il est vivant, et qu\u2019il voit la \nlumi\u00e8re de H\u00e9lios, et qu\u2019il souffre, et je ne puis le secourir. Mais \nj\u2019irai vers mon fils bien-aim\u00e9, et je saurai de lui-m\u00eame quelle dou -\nleur l\u2019accable loin du combat.\nAyant ainsi parl\u00e9, elle quitta la grotte, et toutes la suivaient, pleu -\nrantes ; et l\u2019eau de la mer s\u2019ouvrait devant elles. Puis, elles par -\nvinrent \u00e0 la riche troie, et elles abord\u00e8rent l\u00e0 o\u00f9 les Myrmidones, 496CHAnt 18\nautour d\u2019Akhilleus aux pieds rapides, avaient tir\u00e9 leurs nom -\nbreuses nefs sur le rivage. Et sa m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable le trouva poussant \nde profonds soupirs ; et elle prit, en pleurant, la t\u00eate de son fils, et \nelle lui dit en g\u00e9missant ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Mon enfant, pourquoi pleures-tu ? Quelle douleur envahit ton \n\u00e2me ? Parle, ne me cache rien, afin que nous sachions tous deux. \nZeus, ainsi que je l\u2019en avais suppli\u00e9 de mes mains \u00e9tendues, a \nrejet\u00e9 tous les fils des Akhaiens aupr\u00e8s des nefs, et ils souffrent de \ngrands maux, parce que tu leur manques.\nEt Akhilleus aux pieds rapides, avec de profonds soupirs, \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 Ma m\u00e8re, l\u2019Olympien m\u2019a exauc\u00e9 ; mais qu\u2019en ai-je retir\u00e9, puisque \nmon cher compagnon Patroklos est mort, lui que j\u2019honorais entre \ntous autant que moi-m\u00eame ? Je l\u2019ai perdu. Hekt\u00f4r, l\u2019ayant tu\u00e9, \nlui a arrach\u00e9 mes belles, grandes et admirables armes, pr\u00e9sents \nsplendides des dieux \u00e0 P\u00e8leus, le jour o\u00f9 ils te firent partager le \nlit d\u2019un homme mortel. Pl\u00fbt aux dieux que tu fusses rest\u00e9e avec \nles d\u00e9esses de la mer, et que P\u00e8leus e\u00fbt \u00e9pous\u00e9 plut\u00f4t une femme \nmortelle ! Maintenant, une douleur \u00e9ternelle emplira ton \u00e2me, \u00e0 \ncause de la mort de ton fils que tu ne verras plus revenir dans tes \ndemeures ; car je ne veux plus vivre, ni m\u2019inqui\u00e9ter des hommes, 497\nL \u2019ILIADE\u00e0 moins que Hekt\u00f4r, perc\u00e9 par ma lance, ne rende l\u2019\u00e2me, et que \nPatroklos M\u00e9noitiade, livr\u00e9 en p\u00e2ture aux chiens, ne soit veng\u00e9.\nEt th\u00e9tis, versant des larmes, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, dois-tu donc bient\u00f4t mourir, comme tu le dis ? C\u2019est \nta mort qui doit suivre celle de Hekt\u00f4r !\nEt Akhille\u00f9s aux pieds rapides, en g\u00e9missant lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je mourrai donc, puisque je n\u2019ai pu secourir mon compagnon, \npendant qu\u2019on le tuait. Il est mort loin de la patrie, et il m\u2019a conjur\u00e9 \nde le venger. Je mourrai maintenant, puisque je ne retournerai \npoint dans la patrie, et que je n\u2019ai sauv\u00e9 ni Patroklos, ni ceux de \nmes compagnons qui sont tomb\u00e9s en foule sous le divin Hekt\u00f4r, \ntandis que j\u2019\u00e9tais assis sur mes nefs, inutile fardeau de la terre, moi \nqui l\u2019emporte sur tous les Akhaiens dans le combat ; car d\u2019autres \nsont meilleurs dans l\u2019agora.\nAh ! que la dissension p\u00e9risse parmi les dieux ! et, parmi les \nhommes, p\u00e9risse la col\u00e8re qui trouble le plus sage, et qui, plus \ndouce que le miel liquide, se gonfle, comme la fum\u00e9e dans \nla poitrine des hommes ! C\u2019est ainsi que le roi des hommes, \nAgamemn\u00f4n, a provoqu\u00e9 ma col\u00e8re. Mais oublions le pass\u00e9, 498CHAnt 18\nmalgr\u00e9 nos douleurs, et, dans notre poitrine, ployons notre \u00e2me \n\u00e0 la n\u00e9cessit\u00e9. Je chercherai Hekt\u00f4r qui m\u2019a enlev\u00e9 cette ch\u00e8re t\u00eate, \net je recevrai la mort quand il plaira \u00e0 Zeus et aux autres dieux \nimmortels. La force H\u00e8rakl\u00e9enne n\u2019\u00e9vita point la mort, lui qui \n\u00e9tait tr\u00e8s-cher au roi Zeus Kroni\u00f4n ; mais l\u2019in\u00e9vitable col\u00e8re de \nH\u00e8r\u00e8 et la moire le dompt\u00e8rent. Si une moire semblable m\u2019attend, \non me couchera mort sur le b\u00fbcher, mais, auparavant, je rempor -\nterai une grande gloire. Et que la troadienne, ou la Dardanienne, \nessuie de ses deux mains ses joues d\u00e9licates couvertes de larmes, \ncar je la contraindrai de g\u00e9mir mis\u00e9rablement ; et elles compren -\ndront que je me suis longtemps \u00e9loign\u00e9 du combat. n e me retiens \ndonc pas, malgr\u00e9 ta tendresse, car tu ne me persuaderas point.\nEt la d\u00e9esse t h\u00e9tis aux pieds d\u2019argent lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, mon fils, tu as bien dit : il est beau de venger la ruine \ncruelle de ses compagnons. Mais tes armes d\u2019airain, belles et \nsplendides, sont parmi les t roiens. Hekt\u00f4r au casque mouvant se \nglorifie d\u2019en avoir couvert ses \u00e9paules ; mais je ne pense pas qu\u2019il \ns\u2019en r\u00e9jouisse longtemps, car le meurtre est aupr\u00e8s de lui.\nn\u2019entre point dans la m\u00eal\u00e9e d\u2019Ar\u00e8s avant que tu m\u2019aies revue de \ntes yeux. Je reviendrai demain, comme H\u00e9lios se l\u00e8vera, avec de \nbelles armes venant du roi H\u00e8phaistos.499\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, elle quitta son fils et dit \u00e0 ses s\u0153urs de la mer :\n\u2013 Rentrez \u00e0 la h\u00e2te dans le large sein de la mer, et retournez dans \nles demeures de notre vieux p\u00e8re, et dites-lui tout ceci. Moi, je \nvais dans le vaste Olympos, aupr\u00e8s de l\u2019illustre ouvrier H\u00e8phaistos, \nafin de lui demander de belles armes splendides pour mon fils.\nElle parla ainsi, et les n\u00e8r\u00e8ides disparurent aussit\u00f4t sous l\u2019eau de \nla mer, et la d\u00e9esse t h\u00e9tis aux pieds d\u2019argent monta de nouveau \ndans l\u2019Olympos, afin d\u2019en rapporter de belles et illustres armes \npour son fils.\nEt, tandis que ses pieds la portaient dans l\u2019Olympos, les Akhaiens, \navec un grand tumulte, vers les nefs et le Hellespontos, fuyaient \ndevant le tueur d\u2019hommes Hekt\u00f4r.\nEt les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides n\u2019avaient pu enlever hors \ndes traits le cadavre de Patroklos, du compagnon d\u2019Akhilleus ; et \ntout le peuple de t roi\u00e8, et les chevaux, et le Priamide Hekt\u00f4r, sem -\nblable \u00e0 la flamme par sa fureur, poursuivaient toujours Patroklos.\nEt, trois fois, l\u2019illustre Hekt\u00f4r le saisit par les pieds, d\u00e9sirant l\u2019en -\ntra\u00eener, et excitant les t roiens, et, trois fois, les Aias, rev\u00eatus d\u2019une \nforce imp\u00e9tueuse, le repouss\u00e8rent loin du cadavre ; et lui, certain 500CHAnt 18\nde son courage, tant\u00f4t se ruait dans la m\u00eal\u00e9e, tant\u00f4t s\u2019arr\u00eatait avec \nde grands cris, mais jamais ne reculait. De m\u00eame que les ber -\ngers campagnards ne peuvent chasser loin de sa proie un lion \nfauve et affam\u00e9, de m\u00eame les deux Aias ne pouvaient repousser le \nPriamide Hekt\u00f4r loin du cadavre ; et il l\u2019e\u00fbt entra\u00een\u00e9, et il e\u00fbt rem -\nport\u00e9 une grande gloire, si la rapide Iris aux pieds a\u00e9riens vers le \nP\u00e8l\u00e9ide ne f\u00fbt venue \u00e0 la h\u00e2te de l\u2019Olympos, afin qu\u2019il se montr\u00e2t. \nH\u00e8r\u00e8 l\u2019avait envoy\u00e9e, Zeus et les autres dieux l\u2019ignorant. Et, debout \naupr\u00e8s de lui, elle dit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, P\u00e8l\u00e9ide, le plus effrayant des hommes, et secours \nPatroklos pour qui on combat avec fureur devant les nefs. C\u2019est \nl\u00e0 que tous s\u2019entre-tuent, les Akhaiens pour le d\u00e9fendre, et les \ntroiens pour l\u2019entra\u00eener vers Ilios battue des vents. Et l\u2019illustre \nHekt\u00f4r esp\u00e8re surtout l\u2019entra\u00eener, et il veut mettre, apr\u00e8s l\u2019avoir \ncoup\u00e9e, la t\u00eate de Patroklos au bout d\u2019un pieu. L\u00e8ve-toi ; ne reste \npas plus longtemps inerte, et que la honte te saisisse en son -\ngeant \u00e0 Patroklos devenu le jouet des chiens troiens. Ce serait un \nopprobre pour toi, si son cadavre \u00e9tait souill\u00e9.\nEt le divin et rapide Akhilleus lui dit :\n\u2013 D\u00e9esse Iris, qui d\u2019entre les dieux t\u2019a envoy\u00e9e vers moi ?501\nL \u2019ILIADEEt la rapide Iris aux pieds a\u00e9riens lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8, la glorieuse \u00e9pouse de Zeus, m\u2019a envoy\u00e9e ; et le sublime \nKronide et tous les immortels qui habitent l\u2019Olympos nei -\ngeux l\u2019ignorent.\nEt Akhilleus aux pieds rapides, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Comment irais-je au combat, puisqu\u2019ils ont mes armes ? Ma \nm\u00e8re bien-aim\u00e9e me le d\u00e9fend, avant que je l\u2019aie vue, de mes \nyeux, repara\u00eetre avec de belles armes venant de H\u00e8phaistos. Je ne \npuis rev\u00eatir celles d\u2019aucun autre guerrier, sauf le bouclier d\u2019Aias \nt\u00e9lam\u00f4niade ; mais il combat sans doute aux premiers rangs, \ntuant les ennemis, de sa lance, autour du cadavre de Patroklos.\nEt la rapide Iris aux pieds a\u00e9riens lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, nous savons que tes belles armes te sont enlev\u00e9es ; mais, \ntel que te voil\u00e0, apparais aux t roiens sur le bord du foss\u00e9 ; et ils \nreculeront \u00e9pouvant\u00e9s, et les braves fils des Akhaiens respireront. \nIl ne s\u2019agit que de respirer un moment.\nAyant ainsi parl\u00e9, la rapide Iris disparut. Et Akhilleus cher \u00e0 Zeus \nse leva ; et, sur ses robustes \u00e9paules, Ath\u00e8n\u00e8 mit l\u2019aigide frang\u00e9e ; 502CHAnt 18\net la grande d\u00e9esse ceignit la t\u00eate du h\u00e9ros d\u2019une nu\u00e9e d\u2019or sur \nlaquelle elle alluma une flamme resplendissante. De m\u00eame, dans \nune \u00eele lointaine, la fum\u00e9e monte vers l\u2019aith\u00e8r, du milieu d\u2019une \nville assi\u00e9g\u00e9e.\ntout le jour, les citoyens ont combattu avec fureur hors de la ville ; \nmais, au d\u00e9clin de H\u00e9lios, ils allument des feux ardents dont la \nsplendeur monte dans l\u2019air, et sera peut-\u00eatre vue des peuples voi -\nsins qui viendront sur leurs nefs les d\u00e9livrer d\u2019Ar\u00e8s. Ainsi, une \nhaute clart\u00e9 montait de la t\u00eate d\u2019Akhilleus jusque dans l\u2019aith\u00e8r. Et \nil s\u2019arr\u00eata sur le bord du foss\u00e9, sans se m\u00ealer aux Akhaiens, car il \nob\u00e9issait \u00e0 l\u2019ordre prudent de sa m\u00e8re. L\u00e0, debout, il poussa un cri, \net Pallas Ath\u00e8n\u00e8 cria aussi, et un immense tumulte s\u2019\u00e9leva parmi \nles t roiens. Et l\u2019illustre voix de l\u2019Aiakide \u00e9tait semblable au son \nstrident de la trompette, autour d\u2019une ville assi\u00e9g\u00e9e par des enne -\nmis acharn\u00e9s.\nEt, d\u00e8s que les t roiens eurent entendu la voix d\u2019airain de l\u2019Aiakide, \nils fr\u00e9mirent tous ; et les chevaux aux belles crini\u00e8res tourn\u00e8rent \nles chars, car ils pressentaient des malheurs, et leurs conduc -\nteurs furent \u00e9pouvant\u00e9s quand ils virent cette flamme infati -\ngable et horrible qui br\u00fblait sur la t\u00eate du magnanime P\u00e8l\u00e9i\u00f4n et \nque nourrissait la d\u00e9esse aux yeux clairs Ath\u00e8n\u00e8. Et, trois fois, sur \nle bord du foss\u00e9, le divin Akhilleus cria, et, trois fois, les t roiens 503\nL \u2019ILIADEfurent boulevers\u00e9s, et les illustres alli\u00e9s ; et douze des plus braves \np\u00e9rirent au milieu de leurs chars et de leurs lances.\nMais les Akhaiens, emportant avec ardeur Patroklos hors des \ntraits, le d\u00e9pos\u00e8rent sur un lit. Et ses chers compagnons pleu -\nraient autour, et, avec eux, marchait Akhilleus aux pieds rapides.\nEt il versait de chaudes larmes, voyant son cher compagnon cou -\nch\u00e9 dans le cercueil, perc\u00e9 par l\u2019airain aigu, lui qu\u2019il avait envoy\u00e9 \nau combat avec ses chevaux et son char, et qu\u2019il ne devait point \nrevoir vivant.\nEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf commanda \u00e0 l\u2019infatigable \nH\u00e9lios de retourner aux sources d\u2019Ok\u00e9anos, et H\u00e9lios disparut \u00e0 \nregret ; et les divins Akhaiens mirent fin \u00e0 la m\u00eal\u00e9e violente et \u00e0 \nla guerre lamentable. Et les t roiens, abandonnant aussi le rude \ncombat, d\u00e9li\u00e8rent les chevaux rapides, et s\u2019assembl\u00e8rent pour \nl\u2019agora, avant le repas. Et l\u2019agora les vit debout, aucun ne voulant \ns\u2019asseoir, car la terreur les tenait depuis qu\u2019Akhilleus avait reparu, \nlui qui, depuis longtemps, ne se m\u00ealait plus au combat. Et le sage \nPolydamas Panthoide commen\u00e7a de parler. Et seul il voyait le \npass\u00e9 et l\u2019avenir. Et c\u2019\u00e9tait le compagnon de Hekt\u00f4r, \u00e9tant n\u00e9 la 504CHAnt 18\nm\u00eame nuit ; mais il le surpassait en sagesse, autant que Hekt\u00f4r \nl\u2019emportait en courage. Plein de prudence, il leur dit dans l\u2019agora :\n\u2013 Amis, d\u00e9lib\u00e9rez m\u00fbrement. Je conseille de marcher vers la ville, \net de ne point attendre la divine \u00c9\u00f4s aupr\u00e8s des nefs, car nous \nsommes loin des murs. Aussi longtemps que cet homme a \u00e9t\u00e9 \nirrit\u00e9 contre le divin Agamemn\u00f4n, il \u00e9tait plus ais\u00e9 de dompter \nles Akhaiens.\nEt je me r\u00e9jouissais de coucher aupr\u00e8s des nefs rapides, esp\u00e9rant \nsaisir les nefs aux deux rangs d\u2019avirons ; mais je redoute main -\ntenant le rapide P\u00e8l\u00e9i\u00f4n ; car, dans son c\u0153ur indomptable, il ne \nvoudra point rester dans la plaine o\u00f9 les t royens et les Akhaiens \nd\u00e9ploient la force d\u2019Ar\u00e8s, mais il combattra pour s\u2019emparer de \nnotre ville et de nos femmes. Allons vers Ilios ; ob\u00e9issez-moi et \nfaites ainsi. Maintenant, la nuit contraire retient le rapide P\u00e8l\u00e9i\u00f4n ; \nmais s\u2019il nous attaque demain avec fureur, celui qui le sentira, \nalors fuira volontiers vers la sainte Ilios, s\u2019il lui \u00e9chappe. Et les \nchiens et les oiseaux carnassiers mangeront une foule de t roiens. \nPlaise aux dieux qu\u2019on ne me le dise jamais ! Si vous ob\u00e9issez \u00e0 \nmes paroles, bien qu\u2019\u00e0 regret, nous reprendrons des forces cette \nnuit ; et ses tours, ses hautes portes et leurs barri\u00e8res longues et \nsolides prot\u00e9geront la ville. Demain, arm\u00e9s d\u00e8s le matin, nous \nserons debout sur nos tours ; et le travail lui sera lourds s\u2019il vient 505\nL \u2019ILIADEde ses nefs assi\u00e9ger nos murailles. Et il s\u2019en retournera vers les \nnefs, ayant \u00e9puis\u00e9 ses chevaux au grand cou \u00e0 courir sous les \nmurs de la ville. Et il ne pourra point p\u00e9n\u00e9trer dans Ilios et il ne \nla d\u00e9truira jamais, et, auparavant, les chiens rapides le mangeront.\nEt Hekt\u00f4r au casque mouvant, avec un sombre regard, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Polydamas, il me d\u00e9pla\u00eet que tu nous ordonnes de nous renfer -\nmer encore dans la ville. n \u2019\u00eates-vous donc point las d\u2019\u00eatre enfer -\nm\u00e9s dans nos tours ?\nAutrefois, tous les hommes qui parlent des langues diverses \nvantaient la ville de Priamos, abondante en or, riche en airain. \nAujourd\u2019hui, les tr\u00e9sors qui \u00e9taient dans nos demeures sont dis -\nsip\u00e9s. Depuis que le grand Zeus est irrit\u00e9, la plupart de nos biens \nont \u00e9t\u00e9 transport\u00e9s en Phrygi\u00e8 et dans la belle Maioni\u00e8. Et main -\ntenant que le fils du subtil Kronos m\u2019a donn\u00e9 la victoire aupr\u00e8s \ndes nefs et m\u2019a permis d\u2019acculer les Akhaiens \u00e0 la mer, \u00f4 insens\u00e9, \nne r\u00e9pands point de telles pens\u00e9es dans le peuple. Aucun des \ntroiens ne t\u2019ob\u00e9ira, je ne le permettrai point. Allons ! faites ce que \nje vais dire. Prenez le repas dans les rangs. n \u2019oubliez point de veil -\nler, chacun \u00e0 son tour. Si quelque t roien craint pour ses richesses, \nqu\u2019il les donne au peuple afin que tous en profitent, et cela vau -\ndra mieux que d\u2019en faire jouir les Akhaiens. Demain, d\u00e8s le matin, 506CHAnt 18\nnous recommencerons le rude combat aupr\u00e8s des nefs creuses. Et, \nsi le divin Akhilleus se l\u00e8ve aupr\u00e8s des nefs, la rencontre lui sera \nrude ; car je ne le fuira pas dans le combat violent, mais je lui tien -\ndrai courageusement t\u00eate. Ou il remportera une grande gloire, ou \nje triompherai. Ar\u00e8s est commun \u00e0 tous, et, souvent, il tue celui \nqui voulait tuer.\nHekt\u00f4r parla ainsi, et les t roiens applaudirent, les insens\u00e9s ! car \nPallas Ath\u00e8n\u00e8 leur avait ravi l\u2019esprit. Et ils applaudirent les paroles \nfunestes de Hekt\u00f4r, et ils n\u2019\u00e9cout\u00e8rent point le sage conseil de \nPolydamas, et ils prirent leur repas dans les rangs.\nMais les Akhaiens, pendant toute la nuit, pleur\u00e8rent autour de \nPatroklos. Et le P\u00e8l\u00e9ide menait le deuil lamentable, posant ses \nmains tueuses d\u2019hommes sur la poitrine de son compagnon, et \ng\u00e9missant, comme une lionne \u00e0 longue barbe dont un chasseur \na enlev\u00e9 les petits dans une \u00e9paisse for\u00eat. Elle arrive trop tard, et \nelle g\u00e9mit, cherchant par toutes les vall\u00e9es les traces de l\u2019homme ; \net une violente col\u00e8re la saisit. Ainsi Akhilleus, avec de profonds \nsoupirs, dit aux Myrmidones :\n\u2013 \u00d4 dieux ! Certes, j\u2019ai prononc\u00e9 une parole vaine, le jour o\u00f9, \nconsolant le h\u00e9ros M\u00e9noitios dans ses demeures, je lui disais \nque je ram\u00e8nerais son fils illustre, apr\u00e8s qu\u2019il aurait renvers\u00e9 507\nL \u2019ILIADEIlios et pris sa part des d\u00e9pouilles. Mais Zeus n\u2019accomplit pas \ntous les d\u00e9sirs des hommes. n ous rougirons tous deux la terre \ndevant t roi\u00e8, et le vieux cavalier P\u00e8leus ne me reverra plus dans \nses demeures, ni ma m\u00e8re t h\u00e9tis, car cette terre me gardera. \u00d4 \nPatroklos, puisque je subirai la tombe le dernier, je ne t\u2019enseve -\nlirai point avant de t\u2019avoir apport\u00e9 les armes et la t\u00eate de Hekt\u00f4r, \nton magnanime meurtrier. Et je tuerai devant ton b\u00fbcher douze \nillustres fils des t roiens, car je suis irrit\u00e9 de ta mort. Et, pendant \nce temps, tu resteras couch\u00e9 sur mes nefs aux poupes recour -\nb\u00e9es ; et autour de toi, les t roiennes et les Dardaniennes au large \nsein que nous avons conquises tous deux par notre force et nos \nlances, apr\u00e8s avoir renvers\u00e9 beaucoup de riches cit\u00e9s d\u2019hommes \naux diverses langues, g\u00e9miront nuit et jour en versant des larmes.\nLe divin Akhilleus parla ainsi, et il ordonna \u00e0 ses compagnons de \nmettre un grand tr\u00e9pied sur le feu, afin de laver promptement les \nsouillures sanglantes de Patroklos. Et ils mirent sur le feu ardent \nle tr\u00e9pied des ablutions, et ils y vers\u00e8rent l\u2019eau ; et, au-dessous, ils \nallum\u00e8rent le bois. Et la flamme enveloppa le ventre du tr\u00e9pied, et \nl\u2019eau chauffa. Et quand l\u2019eau fut chaude dans le tr\u00e9pied brillant, ils \nlav\u00e8rent Patroklos ; et, l\u2019ayant oint d\u2019une huile grasse, ils emplirent \nses plaies d\u2019un baume de neuf ans ; et, le d\u00e9posant sur le lit, ils le \ncouvrirent d\u2019un lin l\u00e9ger, de la t\u00eate aux pieds, et, par-dessus, d\u2019un \nv\u00eatement blanc. Ensuite, pendant toute la nuit, les Myrmidones 508CHAnt 18\ng\u00e9mirent, pleurant Patroklos. Mais Zeus dit \u00e0 H\u00e8r\u00e8 sa s\u0153ur et \nson \u00e9pouse :\n\u2013 tu as enfin r\u00e9ussi, v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf ! Voici \nqu\u2019Akhilleus aux pieds rapides s\u2019est lev\u00e9. Les Akhaiens chevelus \nne seraient-ils point n\u00e9s de toi ?\nEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tr\u00e8s dur Kronide, quelle parole as-tu dite ? Un homme, bien que \nmortel, et dou\u00e9 de peu d\u2019intelligence, peut se venger d\u2019un autre \nhomme ; et moi, qui suis la plus puissante des d\u00e9esses, et par ma \nnaissance, et parce que je suis ton \u00e9pouse \u00e0 toi qui r\u00e8gnes sur les \nimmortels, je ne pourrais m\u00e9diter la perte des t roiens !\nEt ils parlaient ainsi. Et t h\u00e9tis aux pieds d\u2019argent parvint \u00e0 la \ndemeure de H\u00e8phaistos, incorruptible, \u00e9toil\u00e9e, admirable aux \nimmortels eux-m\u00eames ; faite d\u2019airain, et que le Boiteux avait \nconstruite de ses mains.\nEt elle le trouva suant et se remuant autour des soufflets, et hale -\ntant. Et il forgeait vingt tr\u00e9pieds pour \u00eatre plac\u00e9s autour de sa \ndemeure solide. Et il les avait pos\u00e9s sur des roues d\u2019or afin qu\u2019ils \nse rendissent d\u2019eux-m\u00eames \u00e0 l\u2019assembl\u00e9e divine, et qu\u2019ils en 509\nL \u2019ILIADErevinssent de m\u00eame. Il ne leur manquait, pour \u00eatre finis, que \ndes anses aux formes vari\u00e9es. H\u00e8phaistos les pr\u00e9parait et en for -\ngeait les attaches. Et tandis qu\u2019il travaillait \u00e0 ces \u0153uvres habiles, la \nd\u00e9esse t h\u00e9tis aux pieds d\u2019argent s\u2019approcha. Et Kharis aux belles \nbandelettes, qu\u2019avait \u00e9pous\u00e9e l\u2019illustre Boiteux des deux pieds, \nl\u2019ayant vue, lui prit la main et lui dit :\n\u2013 \u00d4 t h\u00e9tis au large p\u00e9plos, v\u00e9n\u00e9rable et ch\u00e8re, pourquoi viens-tu \ndans notre demeure o\u00f9 nous te voyons si rarement ? Mais suis-\nmoi, et je t\u2019offrirai les mets hospitaliers.\nAyant ainsi parl\u00e9, la tr\u00e8s noble d\u00e9esse la conduisit. Et, l\u2019ayant \nfait asseoir sur un tr\u00f4ne aux clous d\u2019argent, beau et ing\u00e9nieuse -\nment fait, elle pla\u00e7a un escabeau sous ses pieds et appela l\u2019illustre \nouvrier H\u00e8phaistos :\n\u2013 Viens, H\u00e8phaistos ! th\u00e9tis a besoin de toi.\nEt l\u2019illustre Boiteux des deux pieds lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Certes, elle est toute puissante sur moi, la d\u00e9esse v\u00e9n\u00e9rable qui \nest entr\u00e9e ici. C\u2019est elle qui me sauva, quand je fus pr\u00e9cipit\u00e9 d\u2019en \nhaut par ma m\u00e8re impitoyable qui voulait me cacher aux dieux \nparce que j\u2019\u00e9tais boiteux. Que de douleurs j\u2019eusse endur\u00e9es alors, 510CHAnt 18\nsi th\u00e9tis, et Eurynom\u00e8, la fille d\u2019Ok\u00e9anos au reflux rapide, ne \nm\u2019avaient re\u00e7u dans leur sein ! Pour elles, dans leur grotte pro -\nfonde, pendant neuf ans, je forgeai mille ornements, des agrafes, \ndes n\u0153uds, des colliers et des bracelets. Et l\u2019immense fleuve \nOk\u00e9anos murmurait autour de la grotte. Et elle n\u2019\u00e9tait connue \nni des dieux, ni des hommes, mais seulement de t h\u00e9tis et d\u2019Eu -\nrynom\u00e8 qui m\u2019avaient sauv\u00e9. Et, maintenant, puisque th\u00e9tis aux \nbeaux cheveux vient dans ma demeure, je lui rendrai gr\u00e2ce de \nm\u2019avoir sauv\u00e9. Mais toi, offre-lui les mets hospitaliers, tandis que \nje d\u00e9poserai mes soufflets et tous mes instruments.\nIl parla ainsi. Et le corps monstrueux du dieu se redressa de l\u2019en -\nclume ; et il boitait, chancelant sur ses jambes gr\u00eales et torses. Et \nil \u00e9loigna les soumets du feu, et il d\u00e9posa dans un coffre d\u2019argent \ntous ses instruments familiers. Puis, une \u00e9ponge essuya sa face, \nses deux mains, son cou robuste et sa poitrine velue. Il mit une \ntunique, prit un sceptre \u00e9norme et sortit de la forge en boitant. Et \ndeux servantes soutenaient les pas du roi. Elles \u00e9taient d\u2019or, sem -\nblables aux vierges vivantes qui pensent et parlent, et que les \ndieux ont instruites.511\nL \u2019ILIADESoutenu par elles et marchant \u00e0 pas lourds, il vint s\u2019asseoir aupr\u00e8s \nde t h\u00e9tis, sur un tr\u00f4ne brillant. Et il prit les mains de la d\u00e9esse \net lui dit :\n\u2013 th\u00e9tis au long p\u00e9plos, v\u00e9n\u00e9rable et ch\u00e8re, pourquoi es-tu \nvenue dans ma demeure o\u00f9 nous te voyons si rarement ? Parle. \nMon c\u0153ur m\u2019ordonne d\u2019accomplir ton d\u00e9sir, si je le puis, et si \nc\u2019est possible.\nEt th\u00e9tis, versant des larmes, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e8phaistos ! parmi toutes les d\u00e9esses qui sont dans l\u2019Olympos, \nen est-il une qui ait subi des maux aussi cruels que ceux dont \nm\u2019accable le Kronide Zeus ? Seule, entre les d\u00e9esses de la mer, il \nm\u2019a soumise \u00e0 un homme, \u00e0 l\u2019Aiakide P\u00e8leus ; et j\u2019ai subi \u00e0 regret \nla couche d\u2019un homme ! Et, maintenant, accabl\u00e9 par la triste vieil -\nlesse, il g\u00eet dans sa demeure. Mais voici que j\u2019ai d\u2019autres dou -\nleurs. Un fils est n\u00e9 de moi, le plus illustre des h\u00e9ros, et il a grandi \ncomme un arbre, et je l\u2019ai nourri comme une plante dans une \nterre fertile. Et je l\u2019ai envoy\u00e9 vers Ilios sur ses nefs aux poupes \nrecourb\u00e9es, pour combattre les t roiens, et je ne le verrai plus \nrevenir dans ma demeure, dans la maison P\u00e8l\u00e9ienne. Pendant \nqu\u2019il est vivant et qu\u2019il voit la lumi\u00e8re de H\u00e9lios, il est triste, et je \nne puis le secourir. Les fils des Akhaiens lui avaient donn\u00e9 pour 512CHAnt 18\nr\u00e9compense une vierge que le roi Agamemn\u00f4n lui a enleva des \nmains, et il en g\u00e9missait dans son c\u0153ur.\nMais voici que les t roiens ont repouss\u00e9 les Akhaiens jusqu\u2019aux \nnefs et les y ont renferm\u00e9s. Les princes des Argiens ont sup -\npli\u00e9 mon fils et lui ont offert de nombreux et illustres pr\u00e9sents. \nIl a refus\u00e9 de d\u00e9tourner lui-m\u00eame leur ruine, mais il a envoy\u00e9 \nPatroklos au combat, couvert de ses armes et avec tout son peuple. \nEt, ce jour-l\u00e0, sans doute, ils eussent renvers\u00e9 la ville, si Apoll\u00f4n \nn\u2019e\u00fbt tu\u00e9 aux premiers rangs le brave fils de M\u00e9noitios qui acca -\nblait les t roiens, et n\u2019e\u00fbt donn\u00e9 la victoire \u00e0 Hekt\u00f4r. Et, mainte -\nnant, j\u2019embrasse tes genoux ! Donne \u00e0 mon fils, qui doit bien -\nt\u00f4t mourir, un bouclier, un casque, de belles kn\u00e8mides avec leurs \nagrafes et une cuirasse, car son cher compagnon, tu\u00e9 par les \ntroiens, a perdu ses armes, et il g\u00e9mit, couch\u00e9 sur la terre !\nEt l\u2019illustre Boiteux des deux pieds lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Rassure-toi, et n\u2019aie plus d\u2019inqui\u00e9tudes dans ton esprit. Pl\u00fbt aux \ndieux que je pusse le sauver de la mort lamentable quand le lourd \ndestin le saisira, aussi ais\u00e9ment que je vais lui donner de belles \narmes qui empliront d\u2019admiration la multitude des hommes.513\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, il la quitta, et, retournant \u00e0 ses soufflets, il les \napprocha du feu et leur ordonna de travailler. Et ils r\u00e9pandirent \nleur souffle dans vingt fourneaux, tant\u00f4t violemment, tant\u00f4t plus \nlentement, selon la volont\u00e9 de H\u00e8phaistos, pour l\u2019accomplisse -\nment de son \u0153uvre. Et il jeta dans le feu le dur airain et l\u2019\u00e9tain, et \nl\u2019or pr\u00e9cieux et l\u2019argent.\nIl posa sur un tronc une vaste enclume, et il saisit d\u2019une main le \nlourd marteau et de l\u2019autre la tenaille. Et il fit d\u2019abord un bou -\nclier grand et solide, aux ornements vari\u00e9s, avec un contour triple \net resplendissant et une attache d\u2019argent. Et il mit cinq bandes \nau bouclier, et il y tra\u00e7a, dans son intelligence, une multitude \nd\u2019images. Il y repr\u00e9senta la terre et l\u2019Ouranos, et la mer, et l\u2019in -\nfatigable H\u00e9lios, et l\u2019orbe enfl\u00e9 de S\u00e9l\u00e8n\u00e8, et tous les astres dont \nl\u2019Ouranos est couronn\u00e9 : les Pl\u00e8iades, les Hyades, la force d\u2019Ori\u00f4n, \net l\u2019Ourse, qu\u2019on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans \ncesse vers Ori\u00f4n, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux \nde l\u2019Ok\u00e9anos.\nEt il fit deux belles cit\u00e9s des hommes. Dans l\u2019une on voyait des \nnoces et des festins solennels. Et les \u00e9pouses, hors des chambres \nnuptiales, \u00e9taient conduites par la ville, et de toutes parts montait \nle chant d\u2019hym\u00e9n\u00e9e, et les jeunes hommes dansaient en rond, et 514CHAnt 18\nles fl\u00fbtes et les kithares r\u00e9sonnaient, et les femmes, debout sous \nles portiques, admiraient ces choses.\nEt les peuples \u00e9taient assembl\u00e9s dans l\u2019agora, une querelle s\u2019\u00e9tant \n\u00e9lev\u00e9e. Deux hommes se disputaient pour l\u2019amende d\u2019un meurtre. \nL \u2019un affirmait au peuple qu\u2019il avait pay\u00e9 cette amende, et l\u2019autre \nniait l\u2019avoir re\u00e7ue. Et tous deux voulaient qu\u2019un arbitre fin\u00eet leur \nquerelle, et les citoyens les applaudissaient l\u2019un et l\u2019autre. Les \nh\u00e9rauts apaisaient le peuple, et les vieillards \u00e9taient assis sur des \npierres polies, en un cercle sacr\u00e9.\nLes h\u00e9rauts portaient des sceptres en main ; et les plaideurs, pre -\nnant le sceptre, se d\u00e9fendaient tour \u00e0 tour. Deux talents d\u2019or \n\u00e9taient d\u00e9pos\u00e9s au milieu du cercle pour celui qui parlerait selon \nla justice.\nPuis, deux arm\u00e9es, \u00e9clatantes d\u2019airain, entouraient l\u2019autre cit\u00e9. \nEt les ennemis offraient aux citoyens, ou de d\u00e9truire la ville, ou \nde la partager, elle et tout ce qu\u2019elle renfermait. Et ceux-ci n\u2019y \nconsentaient pas, et ils s\u2019armaient secr\u00e8tement pour une embus -\ncade ; et, sur les murailles veillaient les femmes, les enfants et \nles vieillards. Mais les hommes marchaient, conduits par Ar\u00e8s \net par Ath\u00e8n\u00e8, tous deux en or, v\u00eatus d\u2019or, beaux et grands sous \nleurs armes, comme il \u00e9tait convenable pour des dieux ; car les 515\nL \u2019ILIADEhommes \u00e9taient plus petits. Et, parvenus au lieu commode pour \nl\u2019embuscade, sur les bords du fleuve o\u00f9 boivent les troupeaux, ils \ns\u2019y cachaient, couverts de l\u2019airain brillant.\nDeux sentinelles, plac\u00e9es plus loin, guettaient les brebis et les \nb\u0153ufs aux cornes recourb\u00e9es. Et les animaux s\u2019avan\u00e7aient suivis \nde deux bergers qui se charmaient en jouant de la fl\u00fbte, sans se \ndouter de l\u2019emb\u00fbche.\nEt les hommes cach\u00e9s accouraient ; et ils tuaient les b\u0153ufs et les \nbeaux troupeaux de blanches brebis, et les bergers eux-m\u00eames. \nPuis, ceux qui veillaient devant les tentes, entendant ce tumulte \nparmi les b\u0153ufs, et montant sur leurs chars rapides, arrivaient \naussit\u00f4t et combattaient sur les bords du fleuve.\nEt ils se frappaient avec les lances d\u2019airain, parmi la discorde et \nle tumulte et la k\u00e8r fatale. Et celle-ci blessait un guerrier, ou sai -\nsissait cet autre sans blessure, ou tra\u00eenait celui-l\u00e0 par les pieds, \u00e0 \ntravers le carnage, et ses v\u00eatements d\u00e9gouttaient de sang. Et tous \nsemblaient des hommes vivants qui combattaient et qui entra\u00ee -\nnaient de part et d\u2019autre les cadavres.\nPuis, H\u00e8phaistos repr\u00e9senta une terre grasse et molle et trois fois \nlabour\u00e9e. Et les laboureurs menaient dans ce champ les attelages 516CHAnt 18\nqui retournaient la terre. Parvenus au bout, un homme leur offrait \n\u00e0 chacun une coupe de vin doux ; et ils revenaient, d\u00e9sirant ache -\nver les nouveaux sillons qu\u2019ils creusaient. Et la terre \u00e9tait d\u2019or, et \nsemblait noire derri\u00e8re eux, et comme d\u00e9j\u00e0 labour\u00e9e. t el \u00e9tait ce \nmiracle de H\u00e8phaistos.\nPuis, il repr\u00e9senta un champ de hauts \u00e9pis que des moissonneurs \ncoupaient avec des faux tranchantes. Les \u00e9pis tombaient, \u00e9pais, \nsur les bords du sillon, et d\u2019autres \u00e9taient li\u00e9s en gerbes. t rois \nhommes liaient les gerbes, et, derri\u00e8re eux, des enfants prenaient \ndans leurs bras les \u00e9pis et les leur offraient sans cesse. Le roi, en \nsilence, le sceptre en main et le c\u0153ur joyeux, \u00e9tait debout aupr\u00e8s \ndes sillons. Des h\u00e9rauts, plus loin, sous un ch\u00eane, pr\u00e9paraient, \npour le repas, un grand b\u0153uf qu\u2019ils avaient tu\u00e9, et les femmes \nsaupoudraient les viandes avec de la farine blanche, pour le repas \ndes moissonneurs.\nPuis, H\u00e8phaistos repr\u00e9senta une belle vigne d\u2019or charg\u00e9e de raisins, \navec des rameaux d\u2019or sombre et des pieds d\u2019argent. Autour d\u2019elle \nun foss\u00e9 bleu, et, au-dessus, une haie d\u2019\u00e9tain. Et la vigne n\u2019avait \nqu\u2019un sentier o\u00f9 marchaient les vendangeurs. Les jeunes filles \net les jeunes hommes qui aiment la ga\u00eet\u00e9 portaient le doux fruit \ndans des paniers d\u2019osier. Un enfant, au milieu d\u2019eux, jouait harmo -\nnieusement d\u2019une kithare sonore, et sa voix fra\u00eeche s\u2019unissait aux 517\nL \u2019ILIADEsons des cordes. Et ils le suivaient chantant, dansant avec ardeur, \net frappant tous ensemble la terre.\nPuis, H\u00e8phaistos repr\u00e9senta un troupeau de b\u0153ufs aux grandes \ncornes. Et ils \u00e9taient faits d\u2019or et d\u2019\u00e9tain, et, hors de l\u2019\u00e9table, en \nmugissant, ils allaient au p\u00e2turage, le long du fleuve sonore qui \nabondait en roseaux. Et quatre bergers d\u2019or conduisaient les \nb\u0153ufs, et neuf chiens rapides les suivaient. Et voici que deux \nlions horribles saisissaient, en t\u00eate des vaches, un taureau beu -\nglant ; et il \u00e9tait entra\u00een\u00e9, poussant de longs mugissements. Les \nchiens et les bergers les poursuivaient ; mais les lions d\u00e9chiraient \nla peau du grand b\u0153uf, et buvaient ses entrailles et son sang noir. \nEt les bergers excitaient en vain les chiens rapides qui refusaient \nde mordre les lions, et n\u2019aboyaient de pr\u00e8s que pour fuir aussit\u00f4t.\nPuis, l\u2019illustre Boiteux des deux pieds repr\u00e9senta un grand pacage \nde brebis blanches, dans une grande vall\u00e9e ; et des \u00e9tables, des \nenclos et des bergeries couvertes.\nPuis, l\u2019illustre Boiteux des deux pieds repr\u00e9senta un ch\u0153ur de \ndanses, semblable \u00e0 celui que, dans la grande Kn\u00f4ssos, Daidalos \nfit autrefois pour Ariadn\u00e8 aux beaux cheveux ; et les adolescents \net les belles vierges dansaient avec ardeur en se tenant par la main. \nEt celles-ci portaient des robes l\u00e9g\u00e8res, et ceux-l\u00e0 des tuniques 518CHAnt 18\nfinement tiss\u00e9es qui brillaient comme de l\u2019huile. Elles portaient \nde belles couronnes, et ils avaient des \u00e9p\u00e9es d\u2019or suspendues \u00e0 \ndes baudriers d\u2019argent. Et, habilement, ils dansaient en rond avec \nrapidit\u00e9, comme la roue que le potier, assis au travail, sent cou -\nrir sous sa main. Et ils tournaient ainsi en s\u2019enla\u00e7ant par dessins \nvari\u00e9s ; et la foule charm\u00e9e se pressait autour. Et deux sauteurs qui \nchantaient, bondissaient eux-m\u00eames au milieu du ch\u0153ur.\nPuis, H\u00e8phaistos, tout autour du bouclier admirablement travaill\u00e9, \nrepr\u00e9senta la grande force du fleuve Ok\u00e9anos.\nEt, apr\u00e8s le bouclier grand et solide, il fit la cuirasse plus \u00e9cla -\ntante que la splendeur du feu. Et il fit le casque \u00e9pais, beau, orn\u00e9, \net adapt\u00e9 aux tempes du P\u00e8l\u00e9ide, et il le surmonta d\u2019une aigrette \nd\u2019or. Puis il fit les kn\u00e8mides d\u2019\u00e9tain flexible.\nEt, quand l\u2019illustre Boiteux des deux pieds eut achev\u00e9 ces armes, il \nles d\u00e9posa devant la m\u00e8re d\u2019Akhilleus, et celle-ci, comme l\u2019\u00e9per -\nvier, sauta du fa\u00eete de l\u2019Olympos neigeux, emportant les armes \nresplendissantes que H\u00e8phaistos avait faites.519\nL \u2019ILIADEChant 19\n\u00c9\u00f4s au p\u00e9plos couleur de safran sortait des flots d\u2019Ok\u00e9anos pour \nporter la lumi\u00e8re aux immortels et aux hommes. Et t h\u00e9tis par -\nvint aux nefs avec les pr\u00e9sents du dieu. Et elle trouva son fils bien-\naim\u00e9 entourant de ses bras Patroklos et pleurant am\u00e8rement. Et, \nautour de lui, ses compagnons g\u00e9missaient. Mais la d\u00e9esse parut \nau milieu d\u2019eux, prit la main d\u2019Akhilleus et lui dit :\n\u2013 Mon enfant, malgr\u00e9 notre douleur, laissons-le, puisqu\u2019il est \nmort par la volont\u00e9 des dieux. Re\u00e7ois de H\u00e8phaistos ces armes \nillustres et belles, telles que jamais aucun homme n\u2019en a port\u00e9 sur \nses \u00e9paules.\nAyant ainsi parl\u00e9, la d\u00e9esse les d\u00e9posa devant Akhilleus, et les \narmes merveilleuses r\u00e9sonn\u00e8rent. La terreur saisit les Myrmidones, \net nul d\u2019entre eux ne put en soutenir l\u2019\u00e9clat, et ils trembl\u00e8rent ; \nmais Akhilleus, d\u00e8s qu\u2019il les vit, se sentit plus furieux, et, sous ses \npaupi\u00e8res, ses yeux br\u00fblaient, terribles, et tels que la flamme. Il \nse r\u00e9jouissait de tenir dans ses mains les pr\u00e9sents splendides du 520CHAnt 19\ndieu ; et, apr\u00e8s avoir admir\u00e9, plein de joie, ce travail merveilleux, \naussit\u00f4t il dit \u00e0 sa m\u00e8re ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ma m\u00e8re, certes, un dieu t\u2019a donn\u00e9 ces armes qui ne peuvent \u00eatre \nque l\u2019\u0153uvre des immortels, et qu\u2019un homme ne pourrait faire. Je \nvais m\u2019armer \u00e0 l\u2019instant. Mais je crains que les mouches p\u00e9n\u00e8trent \ndans les blessures du brave fils de M\u00e9noitios, y engendrent des \nvers, et, souillant ce corps o\u00f9 la vie est \u00e9teinte, corrompent tout \nle cadavre.\nEt la d\u00e9esse t h\u00e9tis aux pieds d\u2019argent lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon enfant, que ces inqui\u00e9tudes ne soient point dans ton esprit. \nLoin de Patroklos j\u2019\u00e9carterai moi-m\u00eame les essaims impurs des \nmouches qui mangent les guerriers tu\u00e9s dans le combat. Ce \ncadavre resterait couch\u00e9 ici toute une ann\u00e9e, qu\u2019il serait encore \nsain, et plus frais m\u00eame. Mais toi, appelle les h\u00e9ros Akhaiens \n\u00e0 l\u2019agora, et, renon\u00e7ant \u00e0 ta col\u00e8re contre le prince des peuples \nAgamemn\u00f4n, h\u00e2te-toi de t\u2019armer et rev\u00eats-toi de ton courage.\nAyant ainsi parl\u00e9, elle le remplit de vigueur et d\u2019audace ; et elle \nversa dans les narines de Patroklos l\u2019ambroisie et le nektar rouge, \nafin que le corps f\u00fbt incorruptible.521\nL \u2019ILIADEEt le divin Akhilleus courait sur le rivage de la mer, poussant des \ncris horribles, et excitant les h\u00e9ros Akhaiens. Et ceux qui, aupara -\nvant, restaient dans les nefs, et les pilotes qui tenaient les gouver -\nnails, et ceux m\u00eames qui distribuaient les vivres aupr\u00e8s des nefs, \ntous allaient \u00e0 l\u2019agora o\u00f9 Akhilleus reparaissait, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre \u00e9loi -\ngn\u00e9 longtemps du combat. Et les deux serviteurs d\u2019Ar\u00e8s, le belli -\nqueux t yd\u00e9ide et le divin Odysseus, boitant et appuy\u00e9s sur leurs \nlances, car ils souffraient encore de leurs blessures, vinrent s\u2019as -\nseoir aux premiers rangs. Et le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, vint \nle dernier, \u00e9tant bless\u00e9 aussi, Ko\u00f4n Ant\u00e9noride l\u2019ayant frapp\u00e9 de \nsa lance d\u2019airain, dans la rude m\u00eal\u00e9e.\nEt quand tous les Akhaiens furent assembl\u00e9s, Akhilleus aux pieds \nrapides, se levant au milieu d\u2019eux, parla ainsi :\n\u2013 Atr\u00e9ide, n\u2019e\u00fbt-il pas mieux valu nous entendre, quand, pleins de \ncol\u00e8re, nous avons consum\u00e9 notre c\u0153ur pour cette jeune femme ? \nPl\u00fbt aux dieux que la fl\u00e8che d\u2019Art\u00e9mis l\u2019e\u00fbt tu\u00e9e sur les nefs, le \njour o\u00f9 je la pris dans Lyrnessos bien peupl\u00e9e ! tant d\u2019Akhaiens \nn\u2019auraient pas mordu la vaste terre sous des mains ennemies, \u00e0 \ncause de ma col\u00e8re. Ceci n\u2019a servi qu\u2019\u00e0 Hekt\u00f4r et aux troiens ; et \nje pense que les Akhaiens se souviendront longtemps de notre \nquerelle. Mais oublions le pass\u00e9, malgr\u00e9 notre douleur ; et, dans \nnotre poitrine, soumettons notre \u00e2me \u00e0 la n\u00e9cessit\u00e9. Aujourd\u2019hui, 522CHAnt 19\nje d\u00e9pose ma col\u00e8re. Il ne convient pas que je sois toujours irrit\u00e9. \nMais toi, appelle promptement au combat les Akhaiens chevelus, \nafin que je marche aux troiens et que je voie s\u2019ils veulent dormir \naupr\u00e8s des nefs. Il courbera volontiers les genoux, celui qui aura \n\u00e9chapp\u00e9 \u00e0 nos lances dans le combat.\nIl parla ainsi, et les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides se r\u00e9jouirent \nque le magnanime P\u00e8l\u00e9i\u00f4n renon\u00e7\u00e2t \u00e0 sa col\u00e8re. Et le roi des \nhommes, Agamemn\u00f4n, parla de son si\u00e8ge, ne se levant point au \nmilieu d\u2019eux :\n\u2013 \u00d4 chers h\u00e9ros Danaens, serviteurs d\u2019Ar\u00e8s, il est juste d\u2019\u00e9couter \ncelui qui parle, et il ne convient point de l\u2019interrompre, car cela \nest p\u00e9nible, m\u00eame pour le plus habile.\nQui pourrait \u00e9couter et entendre au milieu du tumulte des \nhommes ? La voix sonore du meilleur agor\u00e8te est vaine. Je par -\nlerai au P\u00e8l\u00e9ide. Vous, Argiens, \u00e9coutez mes paroles, et que cha -\ncun connaisse ma pens\u00e9e. Souvent les Akhaiens m\u2019ont accus\u00e9, \nmais je n\u2019ai point caus\u00e9 leurs maux. Zeus, la moire, \u00c9rinnyes qui \nerrent dans les t\u00e9n\u00e8bres, ont jet\u00e9 la fureur dans mon \u00e2me, au \nmilieu de l\u2019agora, le jour o\u00f9 j\u2019ai enlev\u00e9 la r\u00e9compense d\u2019Akhil -\nleus. Mais qu\u2019aurais-je fait ? Une d\u00e9esse accomplit tout, la v\u00e9n\u00e9 -\nrable fille de Zeus, la fatale At\u00e8 qui \u00e9gare les hommes. Ses pieds 523\nL \u2019ILIADEa\u00e9riens ne touchent point la terre, mais elle passe sur la t\u00eate des \nhommes qu\u2019elle blesse, et elle n\u2019encha\u00eene pas qu\u2019eux. Autrefois, en \neffet, elle a \u00e9gar\u00e9 Zeus qui l\u2019emporte sur les hommes et les dieux. \nH\u00e8r\u00e8 trompa le Kronide par ses ruses, le jour o\u00f9 Alkm\u00e9n\u00e8 allait \nenfanter la force H\u00e8racl\u00e9enne, dans t h\u00e8b\u00e8 aux fortes murailles. \nEt, plein de joie, Zeus dit au milieu de tous les dieux : \u2013 \u00c9coutez-\nmoi, dieux et d\u00e9esses, afin que je dise ce que mon esprit m\u2019inspire. \nAujourd\u2019hui, Eileithya, qui pr\u00e9side aux douloureux enfantements, \nappellera \u00e0 la lumi\u00e8re un homme de ceux qui sont de ma race et \nde mon sang, et qui commandera sur tous ses voisins. \u2019Et la v\u00e9n\u00e9 -\nrable H\u00e8r\u00e8 qui m\u00e9dite des ruses parla ainsi : \u2013 tu mens, et tu n\u2019ac -\ncompliras point tes paroles. Allons, Olympien ! jure, par un invio -\nlable serment, qu\u2019il commandera sur tous ses voisins, l\u2019homme de \nton sang et de ta race qui, aujourd\u2019hui, tombera d\u2019entre les genoux \nd\u2019une femme. \u2019Elle parla ainsi, et Zeus ne comprit point sa ruse, et \nil jura un grand serment dont il devait souffrir dans la suite.\nEt, quittant \u00e0 la h\u00e2te le fa\u00eete de l\u2019Olympos, H\u00e8r\u00e8 parvint dans \nArgos Akhaienne o\u00f9 elle savait que l\u2019illustre \u00e9pouse de Sth\u00e9n\u00e9los \nPers\u00e8iade portait un fils dans son sein. Et elle le fit na\u00eetre avant le \ntemps, \u00e0 sept mois. Et elle retarda les douleurs de l\u2019enfantement et \nles couches d\u2019Alkm\u00e9n\u00e8. Puis, l\u2019annon\u00e7ant au Kroni\u00f4n Zeus, elle \nlui dit : \u2013 P\u00e8re Zeus qui tiens la foudre \u00e9clatante, je t\u2019annonce -\nrai ceci : l\u2019homme illustre est n\u00e9 qui commandera sur les Argiens. 524CHAnt 19\nC\u2019est Eurystheus, fils de Sth\u00e9n\u00e9los Pers\u00e8iade. Il est de ta race, et il \nn\u2019est pas indigne de commander sur les Argiens. \u2019Elle parla ainsi, \net une douleur aigu\u00eb et profonde blessa le c\u0153ur de Zeus. Et, sai -\nsissant At\u00e8 par ses tresses brillantes, il jura, par un inviolable ser -\nment, qu\u2019elle ne reviendrait plus jamais dans l\u2019Olympos et dans \nl\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9, At\u00e8, qui \u00e9gare tous les esprits. Il parla ainsi, et, \nla faisant tournoyer, il la jeta, de l\u2019Ouranos \u00e9toil\u00e9, au milieu des \nhommes. Et c\u2019est par elle qu\u2019il g\u00e9missait, quand il voyait son fils \nbien-aim\u00e9 accabl\u00e9 de travaux sous le joug violent d\u2019Eurystheus. \nEt il en est ainsi de moi. Quand le grand Hekt\u00f4r au casque mou -\nvant accablait les Argiens aupr\u00e8s des poupes des nefs, je ne pou -\nvais oublier cette fureur qui m\u2019avait \u00e9gar\u00e9. Mais, puisque je t\u2019ai \noffens\u00e9 et que Zeus m\u2019a ravi l\u2019esprit, je veux t\u2019apaiser et te faire \ndes pr\u00e9sents infinis. Va donc au combat et encourage les troupes ; \net je pr\u00e9parerai les pr\u00e9sents que le divin Odysseus, hier sous tes \ntentes, t\u2019a promis. Ou, si tu le d\u00e9sires, attends, malgr\u00e9 ton ardeur \n\u00e0 combattre. Des h\u00e9rauts vont t\u2019apporter ces pr\u00e9sents, de ma nef, \net tu verras ce que je veux te donner pour t\u2019apaiser.\nEt Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tr\u00e8s illustre Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n, roi des hommes, si tu veux me \nfaire ces pr\u00e9sents, comme cela est juste, ou les garder, tu le peux. \nne songeons maintenant qu\u2019\u00e0 combattre. Il ne s\u2019agit ni d\u2019\u00e9viter le 525\nL \u2019ILIADEcombat, ni de perdre le temps, mais d\u2019accomplir un grand travail. \nIl faut qu\u2019on revoie Akhilleus aux premiers rangs, enfon\u00e7ant de \nsa lance d\u2019airain les phalanges troiennes, et que chacun de vous \nse souvienne de combattre un ennemi.\nEt le sage Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Bien que tu sois brave, \u00f4 Akhilleus semblable \u00e0 un dieu, ne \npousse point vers Ilios, contre les t roiens, les fils des Akhaiens \nqui n\u2019ont point mang\u00e9 ; car la m\u00eal\u00e9e sera longue, d\u00e8s que les pha -\nlanges des guerriers se seront heurt\u00e9es, et qu\u2019un dieu leur aura \ninspir\u00e9 \u00e0 tous la vigueur. Ordonne que les Akhaiens se nour -\nrissent de pain et de vin dans les nefs rapides. Cela seul donne la \nforce et le courage. Un guerrier ne peut, sans manger, combattre \ntout un jour, jusqu\u2019\u00e0 la chute de H\u00e9lios. Quelle que soit son ardeur, \nses membres sont lourds, la soif et la faim le tourmentent, et ses \ngenoux sont rompus. Mais celui qui a bu et mang\u00e9 combat tout \nun jour contre l\u2019ennemi, plein de courage, et ses membres ne sont \nlas que lorsque tous se retirent de la m\u00eal\u00e9e. Renvoie l\u2019arm\u00e9e et \nordonne-lui de pr\u00e9parer le repas.\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, fera porter ses pr\u00e9sents au \nmilieu de l\u2019agora, afin que tous les Akhaiens les voient de leurs \nyeux ; et tu te r\u00e9jouiras dans ton cour. Et Agamemn\u00f4n jurera, 526CHAnt 19\ndebout, au milieu des Argiens, qu\u2019il n\u2019est jamais entr\u00e9 dans le \nlit de Breis\u00e8is, et qu\u2019il ne l\u2019a point poss\u00e9d\u00e9e, comme c\u2019est la cou -\ntume, \u00f4 roi, des hommes et des femmes. Et toi, Akhilleus, apaise \nton c\u0153ur dans ta poitrine. Ensuite, Agamemn\u00f4n t\u2019offrira un fes -\ntin sous sa tente, afin que rien ne manque \u00e0 ce qui t\u2019est d\u00fb. Et toi. \nAtr\u00e9ide, sois plus \u00e9quitable d\u00e9sormais. Il est convenable qu\u2019un roi \napaise celui qu\u2019il a offens\u00e9 le premier.\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n. lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Laertiade, je me r\u00e9jouis de ce que tu as dit. tu n\u2019as rien oubli\u00e9, et \ntu as tout expliqu\u00e9 convenablement. Certes, je veux faire ce ser -\nment, car mon c\u0153ur me l\u2019ordonne et je ne me parjurerai point \ndevant les dieux. Qu\u2019Akhilleus attende, malgr\u00e9 son d\u00e9sir de \ncombattre, et que tous attendent r\u00e9unis, jusqu\u2019\u00e0 ce que les pr\u00e9 -\nsents soient apport\u00e9s de mes tentes et que nous ayons consacr\u00e9 \nnotre alliance. Et toi, Odysseus, je te le commande et te l\u2019ordonne, \nprends les plus illustres des jeunes fils des Akhaiens, et qu\u2019ils \napportent de mes nefs tout ce que tu as promis hier au P\u00e8l\u00e9ide ; \net am\u00e8ne aussi les femmes. Et talthybios pr\u00e9parera prompte -\nment, dans le vaste camp des Akhaiens, le sanglier qui sera tu\u00e9, en \noffrande \u00e0 Zeus et \u00e0 H\u00e9lios.527\nL \u2019ILIADEEt Akhilleus aux pieds rapides, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Atr\u00e9ide Agnmemn\u00f4n, tr\u00e8s illustre roi des hommes, tu t\u2019inqui\u00e9te -\nras de ceci quand la guerre aura pris fin et quand ma fureur sera \nmoins grande dans ma poitrine. Ils gisent encore sans s\u00e9pulture \nceux qu\u2019a tu\u00e9s le Priamide Hekt\u00f4r, tandis que Zeus lui donnait \nla victoire, et vous songez \u00e0 manger ! J\u2019ordonnerai plut\u00f4t aux fils \ndes Akhaiens de combattre maintenant, sans avoir mang\u00e9, et de \nne pr\u00e9parer un grand repas qu\u2019au coucher de H\u00e9lios, apr\u00e8s avoir \nveng\u00e9 notre injure. Pour moi, rien n\u2019entrera auparavant dans ma \nbouche, ni pain, ni vin. Mon compagnon est mort ; il est couch\u00e9 \nsous ma tente, perc\u00e9 de l\u2019airain aigu, les pieds du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019entr\u00e9e, \net mes autres compagnons pleurent autour de lui. Et je n\u2019ai plus \nd\u2019autre d\u00e9sir dans le c\u0153ur que le carnage, le sang et le g\u00e9misse -\nment des guerriers.\nEt le sage Odysseus, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 Akhilleus P\u00e8l\u00e9ide, le plus brave des Akhaiens, tu l\u2019emportes \nde beaucoup sur moi, et tu vaux beaucoup mieux que moi par \nta lance, mais ma sagesse est sup\u00e9rieure \u00e0 la tienne, car je suis \nton a\u00een\u00e9, et je sais plus de choses. C\u2019est pourquoi, c\u00e8de \u00e0 mes \nparoles. Le combat accable bient\u00f4t des hommes qui ont faim. \nL \u2019airain couche d\u2019abord sur la terre une moisson \u00e9paisse, mais 528CHAnt 19\nelle diminue quand Zeus, qui est le juge du combat des hommes, \nincline ses balances. Ce n\u2019est point par leur ventre vide que les \nAkhaiens doivent pleurer les morts.\nLes n\u00f4tres tombent en grand nombre tous les jours ; quand donc \npourrions-nous respirer ? Il faut, avec un esprit patient, enseve -\nlir nos morts, et pleurer ce jour-l\u00e0 ; mais ceux que la guerre ha\u00efs -\nsable a \u00e9pargn\u00e9s, qu\u2019ils mangent et boivent, afin que, v\u00eatus de \nl\u2019airain indompt\u00e9, ils puissent mieux combatte l\u2019ennemi, et sans \nrel\u00e2che. Qu\u2019aucun de vous n\u2019attende un meilleur conseil, car tout \nautre serait fatal \u00e0 qui resterait aupr\u00e8s des nefs des Argiens. Mais, \nbient\u00f4t, marchons tous ensemble contre les troiens dompteurs \nde chevaux, et soulevons une rude m\u00eal\u00e9e.\nIl parla ainsi, et il choisit pour le suivre les fils de l\u2019illustre nest\u00f4r, \net M\u00e9g\u00e8s Phyl\u00e9ide, et t hoas, et M\u00e8rion\u00e8s, et le Kr\u00e9iontiade \nLykom\u00e8d\u00e8s, et M\u00e9lanippos. Et ils arriv\u00e8rent aux tentes de l\u2019Atr\u00e9ide \nAgamemn\u00f4n, et aussit\u00f4t Odysseus parla, et le travail s\u2019acheva. \nEt ils emport\u00e8rent de la tente les sept tr\u00e9pieds qu\u2019il avait pro -\nmis, et vingt splendides coupes. Et ils emmen\u00e8rent douze che -\nvaux et sept belles femmes habiles aux travaux, et la huiti\u00e8me \nfut Breis\u00e8is aux belles joues. Et Odysseus marchait devant avec \ndix talents d\u2019or qu\u2019il avait pes\u00e9s ; et les jeunes hommes d\u2019Akhai\u00e8 529\nL \u2019ILIADEportaient ensemble les autres pr\u00e9sents, et ils les d\u00e9pos\u00e8rent au \nmilieu de l\u2019agora.\nAlors Agamemn\u00f4n se leva. t althybios, semblable \u00e0 un dieu par la \nvoix, debout aupr\u00e8s du prince des peuples, tenait un sanglier dans \nses mains. Et l\u2019Atr\u00e9ide saisit le couteau toujours suspendu aupr\u00e8s \nde la grande ga\u00eene de son \u00e9p\u00e9e, et, coupant les soies du sanglier, \nles mains lev\u00e9es vers Zeus, il les lui voua.\nEt les Argiens, assis en silence, \u00e9coutaient le roi respectueusement. \nEt, suppliant, il dit, regardant le large Ouranos :\n\u2013 Qu\u2019ils le sachent tous, Zeus le plus haut et le tr\u00e8s puissant, et Gaia, \net H\u00e9lios, et les Erinnyes qui, sous la terre, punissent les hommes \nparjures : je n\u2019ai jamais port\u00e9 la main sur la vierge Breis\u00e8is, ni par -\ntag\u00e9 son lit, et je ne l\u2019ai soumise \u00e0 aucun travail ; mais elle est res -\nt\u00e9e intacte dans mes tentes. Et si je ne jure point la v\u00e9rit\u00e9, que les \ndieux m\u2019envoient tous les maux dont ils accablent celui qui les \noutrage en se parjurant.\nIl parla ainsi, et, de l\u2019airain cruel, il coupa la gorge du sanglier. Et \ntalthybios jeta, en tournant, la victime dans les grands flots de la 530CHAnt 19\nblanche mer, pour \u00eatre mang\u00e9e par les poissons. Et, se levant au \nmilieu des belliqueux Argiens, Akhilleus dit :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! certes, tu causes de grands maux aux hommes. \nL \u2019Atr\u00e9ide n\u2019e\u00fbt jamais excit\u00e9 la col\u00e8re dans ma poitrine, et il ne \nm\u2019e\u00fbt jamais enlev\u00e9 cette jeune femme contre ma volont\u00e9 dans un \nmauvais dessein, si Zeus n\u2019e\u00fbt voulu donner la mort \u00e0 une foule \nd\u2019Akhaiens. Maintenant, allez manger, afin que nous combattions.\nIl parla ainsi, et il rompit aussit\u00f4t l\u2019agora, et tous se dispers\u00e8rent, \nchacun vers sa nef.\nEt les magnanimes Myrmidones emport\u00e8rent les pr\u00e9sents vers la \nnef du divin Akhilleus, et ils les d\u00e9pos\u00e8rent dans les tentes, fai -\nsant asseoir les femmes et liant les chevaux aupr\u00e8s des chevaux.\nEt d\u00e8s que Breis\u00e8is, semblable \u00e0 Aphrodit\u00e8 d\u2019or, eut vu Patroklos \nperc\u00e9 de l\u2019airain aigu, elle se lamenta en l\u2019entourant de ses bras, et \nelle d\u00e9chira de ses mains sa poitrine, son cou d\u00e9licat et son beau \nvisage. Et la jeune femme, semblable aux d\u00e9esses, dit en pleurant :\n\u2013 O Patroklos, si doux pour moi, malheureuse ! Je t\u2019ai laiss\u00e9 vivant \nquand je quittai cette tente, et voici que je te retrouve mort, prince \ndes peuples ! Pour moi le mal suit le mal. L \u2019homme \u00e0 qui mon 531\nL \u2019ILIADEp\u00e8re et ma m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable m\u2019avaient donn\u00e9e, je l\u2019ai vu, devant sa \nville, perc\u00e9 de l\u2019airain aigu. Et mes trois fr\u00e8res, que ma m\u00e8re avait \nenfant\u00e9s, et que j\u2019aimais, trouv\u00e8rent aussi leur jour fatal. Et tu ne \nme permettais point de pleurer, quand le rapide Akhilleus eut tu\u00e9 \nmon \u00e9poux et renvers\u00e9 la ville du divin Myn\u00e8s, et tu me disais que \ntu ferais de moi la jeune \u00e9pouse du divin Akhilleus, et que tu me \nconduirais sur tes nefs dans la Phthi\u00e8, pour y faire le festin nup -\ntial au milieu des Myrmidones. Aussi toi qui \u00e9tais si doux, je pleu -\nrerai toujours ta mort.\nElle parla ainsi, en pleurant. Et les autres jeunes femmes g\u00e9mis -\nsaient, semblant pleurer sur Patroklos, et d\u00e9plorant leurs \npropres mis\u00e8res.\nEt les princes v\u00e9n\u00e9rables des Akhaiens, r\u00e9unis autour d\u2019Akhilleus, \nle suppliaient de manger, mais il ne le voulait pas :\n\u2013 Je vous conjure, si mes chers compagnons veulent m\u2019\u00e9couter, de \nne point m\u2019ordonner de boire et de manger, car je suis en proie \u00e0 \nune am\u00e8re douleur. Je puis attendre jusqu\u2019au coucher de H\u00e9lios.\nIl parla ainsi et renvoya les autres rois, sauf les deux Atr\u00e9ides, le \ndivin Odysseus, n est\u00f4r, Idom\u00e9neus et le vieux cavalier Phoinix, \nqui rest\u00e8rent pour charmer sa tristesse. Mais rien ne devait le 532CHAnt 19\nconsoler, avant qu\u2019il se f\u00fbt jet\u00e9 dans la m\u00eal\u00e9e sanglante. Et le sou -\nvenir renouvelait ses g\u00e9missements, et il disait :\n\u2013 Certes, autrefois, \u00f4 malheureux, le plus cher de mes compa -\ngnons, tu m\u2019appr\u00eatais toi-m\u00eame, avec soin, un excellent repas, \nquand les Akhaiens portaient la guerre lamentable aux t roiens \ndompteurs de chevaux. Et, maintenant, tu g\u00ees, perc\u00e9 par l\u2019airain, \net mon c\u0153ur, plein du regret de ta mort, se refuse \u00e0 toute nourri -\nture. Je ne pourrais subir une douleur plus am\u00e8re, m\u00eame si j\u2019ap -\nprenais la mort de mon p\u00e8re qui, peut-\u00eatre, dans la Phthi\u00e8, verse \nen ce moment des larmes, priv\u00e9 du secours de son fils, tandis que, \nsur une terre \u00e9trang\u00e8re je combats les t roiens dompteurs de che -\nvaux pour la cause de l\u2019ex\u00e9crable H\u00e9l\u00e9n\u00e8 ; ou m\u00eame, si je regret -\ntais mon fils bien-aim\u00e9, qu\u2019on \u00e9l\u00e8ve \u00e0 Skyros, n \u00e9optol\u00e9mos sem -\nblable \u00e0 un dieu, s\u2019il vit encore.\nAutrefois, j\u2019esp\u00e9rais dans mon c\u0153ur que je mourrais seul devant \ntroi\u00e8, loin d\u2019Argos f\u00e9conde en chevaux, et que tu conduirais \nmon fils, de Skyros vers la Phthi\u00e8, sur ta nef rapide ; et que tu lui \nremettrais mes domaines, mes serviteurs et ma haute et grande \ndemeure. Car je pense que P\u00e8leus n\u2019existe plus, ou que, s\u2019il tra\u00eene \nun reste de vie, il attend, accabl\u00e9 par l\u2019affreuse vieillesse, qu\u2019on lui \nporte la triste nouvelle de ma mort.533\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi en pleurant, et les princes v\u00e9n\u00e9rables g\u00e9mirent, cha -\ncun se souvenant de ce qu\u2019il avait laiss\u00e9 dans ses demeures. Et \nle Kroni\u00f4n, les voyant pleurer, fut saisi de compassion, et il dit \u00e0 \nAth\u00e8n\u00e8 ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ma fille, d\u00e9laisses-tu d\u00e9j\u00e0 ce h\u00e9ros ? Akhilleus n\u2019est-il plus rien \ndans ton esprit ? Devant ses nefs aux antennes dress\u00e9es, il est \nassis, g\u00e9missant sur son cher compagnon. Les autres mangent, et \nlui reste sans nourriture. Va ! verse dans sa poitrine le nektar et la \ndouce ambroisie, pour que la faim ne l\u2019accable point.\nEt, parlant ainsi, il excita Ath\u00e8n\u00e8 d\u00e9j\u00e0 pleine d\u2019ardeur. Et, sem -\nblable \u00e0 l\u2019aigle marin aux cris per\u00e7ants, elle sauta de l\u2019Ouranos \ndans l\u2019aith\u00e8r ; et tandis que les Akhaiens s\u2019armaient sous les tentes, \nelle versa dans la poitrine d\u2019Akhilleus le nektar et l\u2019ambroisie \nd\u00e9sirable, pour que la faim mauvaise ne rompit pas ses genoux.\nPuis, elle retourna dans la solide demeure de son p\u00e8re tr\u00e8s puis -\nsant, et les Akhaiens se r\u00e9pandirent hors des nefs rapides.\nDe m\u00eame que les neiges \u00e9paisses volent dans l\u2019air, refroidies par le \nsouffle imp\u00e9tueux de l\u2019aith\u00e9r\u00e9en Bor\u00e9as, de m\u00eame, hors des nefs, \nse r\u00e9pandaient les casques solides et resplendissants, et les bou -\ncliers bomb\u00e9s, et les cuirasses \u00e9paisses, et les lances de fr\u00eane. Et 534CHAnt 19\nla splendeur en montait dans l\u2019Ouranos, et toute la terre, au loin, \nriait de l\u2019\u00e9clat de l\u2019airain, et retentissait du tr\u00e9pignement des pieds \ndes guerriers. Et, au milieu d\u2019eux, s\u2019armait le divin Akhilleus ; \net ses dents grin\u00e7aient, et ses yeux flambaient comme le feu, et \nune affreuse douleur emplissait son c\u0153ur ; et, furieux contre les \ntroiens, il se couvrit des armes que le dieu H\u00e8phaistos lui avait \nfaites. Et, d\u2019abord, il attacha autour de ses jambes, par des agrafes \nd\u2019argent, les belles kn\u00e8mides. Puis il couvrit sa poitrine de la cui -\nrasse. Il suspendit l\u2019\u00e9p\u00e9e d\u2019airain aux clous d\u2019argent \u00e0 ses \u00e9paules, \net il saisit le bouclier immense et solide d\u2019o\u00f9 sortait une longue \nclart\u00e9, comme de S\u00e9l\u00e9n\u00e8. De m\u00eame que la splendeur d\u2019un ardent \nincendie appara\u00eet de loin, sur la mer, aux matelots, et br\u00fble, dans \nun enclos solitaire, au fa\u00eete des montagnes, tandis que les rapides \ntemp\u00eates, sur la mer poissonneuse, les emportent loin de leurs \namis ; de m\u00eame l\u2019\u00e9clat du beau et solide bouclier d\u2019Akhilleus \nmontait dans l\u2019air. Et il mit sur sa t\u00eate le casque lourd. Et le casque \n\u00e0 crini\u00e8re luisait comme un astre, et les crins d\u2019or que H\u00e8phaistos \navait pos\u00e9s autour se mouvaient par masses.\nEt le divin Akhilleus essaya ses armes, pr\u00e9sents illustres, afin de \nvoir si elles convenaient \u00e0 ses membres. Et elles \u00e9taient comme \ndes ailes qui enlevaient le prince des peuples. Et il retira de l\u2019\u00e9tui \nla lance paternelle, lourde, immense et solide, que ne pouvait sou -\nlever aucun des Akhaiens, et que, seul, Akhilleus savait manier ; 535\nL \u2019ILIADEla lance P\u00e8liade que, du fa\u00eete du P\u00e8lios, Khir\u00f4n avait apport\u00e9e \u00e0 \nP\u00e8leus, pour le meurtre des h\u00e9ros.\nEt Autom\u00e9d\u00f4n et Alkimos li\u00e8rent les chevaux au joug avec de \nbelles courroies ; ils leur mirent les freins dans la bouche, et ils \nraidirent les r\u00eanes vers le si\u00e8ge du char. Et Autom\u00e9d\u00f4n y monta, \nsaisissant d\u2019une main habile le fouet brillant, et Akhilleus y monta \naussi, tout resplendissant sous ses armes, comme le matinal \nHyp\u00e9rionade, et il dit rudement aux chevaux de son p\u00e8re :\n\u2013 Xanthos et Balios, illustres enfants de Podarg\u00e8, ramenez cette fois \nvotre conducteur parmi les Danaens, quand nous serons rassasi\u00e9s \ndu combat, et ne l\u2019abandonnez point mort comme Patroklos.\nEt le cheval aux pieds rapides, Xanthos, lui parla sous le joug ; \net il inclina la t\u00eate, et toute sa crini\u00e8re. flottant autour du timon, \ntombait jusqu\u2019\u00e0 terre. Et la d\u00e9esse H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs lui per -\nmit de parler :\n\u2013 Certes, nous te sauverons aujourd\u2019hui, tr\u00e8s brave Akhilleus ; \ncependant, ton dernier jour approche.\nne nous en accuse point, mais le grand Zeus et la moire puis -\nsante. Ce n\u2019est ni par notre lenteur, ni par notre l\u00e2chet\u00e9 que les 536CHAnt 19\ntroiens ont arrach\u00e9 tes armes des \u00e9paules de Patroklos. C\u2019est le \ndieu excellent que L\u00e8t\u00f4 aux beaux cheveux a enfant\u00e9, qui, ayant \ntu\u00e9 le M\u00e9noitiade au premier rang, a donn\u00e9 la victoire \u00e0 Hekt\u00f4r. \nQuand notre course serait telle que le souffle de Z\u00e9phyros, le plus \nrapide des vents, tu n\u2019en tomberais pas moins sous les coups d\u2019un \ndieu et d\u2019un homme.\nEt comme il parlait, les \u00c9rinnyes arr\u00eat\u00e8rent sa voix, et Akhilleus \naux pieds rapides lui r\u00e9pondit, furieux :\n\u2013 Xanthos, pourquoi m\u2019annoncer la mort ? Que t\u2019importe ? Je sais \nque ma destin\u00e9e est de mourir ici, loin de mon p\u00e8re et de ma \nm\u00e8re, mais je ne m\u2019arr\u00eaterai qu\u2019apr\u00e8s avoir assouvi les troiens \nde combats.\nIl parla ainsi, et, avec de grands cris, il poussa aux premiers rangs \nles chevaux aux sabots massifs.537\nL \u2019ILIADEChant 20\nAupr\u00e8s des nefs aux poupes recourb\u00e9es, et autour de toi, fils de \nP\u00e8leus, les Akhaiens insatiables de combats s\u2019armaient ainsi, et \nles t roiens, de leur c\u00f4t\u00e9, se rangeaient sur la hauteur de la plaine.\nEt Zeus ordonna \u00e0 t h\u00e9mis de convoquer les dieux \u00e0 l\u2019agora, de \ntoutes les cimes de l\u2019Olympos. Et celle-ci, volant \u00e7\u00e0 et l\u00e0, leur com -\nmanda de se rendre \u00e0 la demeure de Zeus. Et aucun des fleuves \nn\u2019y manqua, sauf Ok\u00e9anos ; ni aucune des nymphes qui habitent \nles belles for\u00eats, et les sources des fleuves et les prairies herbues. \nEt tous les dieux vinrent s\u2019asseoir, dans la demeure de Zeus qui \namasse les nu\u00e9es, sous les portiques brillants que H\u00e8phaistos \navait habilement construits pour le p\u00e8re Zeus. Et ils vinrent tous ; \net Poseida\u00f4n, ayant entendu la d\u00e9esse, vint aussi de la mer ; et il \ns\u2019assit au milieu d\u2019eux, et il interrogea la pens\u00e9e de Zeus :\n\u2013 Pourquoi, \u00f4 foudroyant, convoques-tu de nouveau les dieux \u00e0 \nl\u2019agora ? Serait-ce pour d\u00e9lib\u00e9rer sur les t roiens et les Akhaiens ? \nBient\u00f4t, en effet, ils vont engager la bataille ardente.538CHAnt 20\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 tu as dit, Poseida\u00f4n, dans quel dessein je vous ai tous r\u00e9unis, \ncar ces peuples p\u00e9rissables m\u2019occupent en effet. Assis au fa\u00eete de \nl\u2019Olympos, je me r\u00e9jouirai en les regardant combattre, mais vous, \nallez tous vers les t roiens et les Akhaiens.\nSecourez les uns ou les autres, selon que votre c\u0153ur vous y pous -\nsera ; car si Akhilleus combat seul et librement les t roiens, jamais \nils ne soutiendront la rencontre du rapide P\u00e8l\u00e9i\u00f4n. D\u00e9j\u00e0, son \naspect seul les a \u00e9pouvant\u00e9s ; et, maintenant qu\u2019il est plein de \nfureur \u00e0 cause de son compagnon, je crains qu\u2019il renverse les \nmurailles d\u2019Ilios, malgr\u00e9 le destin.\nLe Kroni\u00f4n parla, suscitant une guerre in\u00e9luctable. Et tous \nles dieux, oppos\u00e9s les uns aux autres, se pr\u00e9par\u00e8rent au com -\nbat. Et, du c\u00f4t\u00e9 des nefs, se rang\u00e8rent H\u00e8r\u00e8, et Pallas Ath\u00e8n\u00e8, et \nPoseida\u00f4n qui entoure la terre, et Herm\u00e8s utile et plein de sagesse, \net H\u00e8phaistos, boiteux et fr\u00e9missant dans sa force. Et, du c\u00f4t\u00e9 \ndes t roiens, se rang\u00e8rent Ar\u00e8s aux armes mouvantes, et Phoibos \naux longs cheveux, et Art\u00e9mis joyeuse de ses fl\u00e8ches, et L\u00e8t\u00f4, et \nXanthos, et Aphrodit\u00e8 qui aime les sourires.539\nL \u2019ILIADEtant que les dieux ne se m\u00eal\u00e8rent point aux guerriers, les \nAkhaiens furent pleins de confiance et d\u2019orgueil, parce qu\u2019Akhil -\nleus avait reparu, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre \u00e9loign\u00e9 longtemps du combat. Et la \nterreur rompit les genoux des t roiens quand ils virent le P\u00e8l\u00e9i\u00f4n \naux pieds rapides, resplendissant sous ses armes et pareil au ter -\nrible Ar\u00e8s. Mais quand les dieux se furent m\u00eal\u00e9s aux guerriers, la \nviolente \u00c9ris excita les deux peuples. Et Ath\u00e8n\u00e8 poussa des cris, \ntant\u00f4t aupr\u00e8s du foss\u00e9 creux, hors des murs, tant\u00f4t le long des \nrivages retentissants.\nEt Ar\u00e8s, semblable \u00e0 une noire temp\u00eate, criait aussi, soit au fa\u00eete \nd\u2019Ilios, en excitant les t roiens, soit le long des belles collines du \nSimo\u00efs. Ainsi les dieux heureux engag\u00e8rent la m\u00eal\u00e9e violente \nentre les deux peuples.\nEt le p\u00e8re des hommes et des dieux tonna longuement dans les \nhauteurs ; et Poseida\u00f4n \u00e9branla la terre immense et les cimes des \nmontagnes ; et les racines de l\u2019Ida aux nombreuses sources trem -\nbl\u00e8rent, et la ville des t roiens et les nefs des Akhaiens. Et le sou -\nterrain Aid\u00f4neus, le roi des morts, trembla, et il sauta, \u00e9pouvant\u00e9, \nde son tr\u00f4ne ; et il cria, craignant que Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la \nterre l\u2019entr\u2019ouvr\u00eet, et que les demeures affreuses et infectes, en \nhorreur aux dieux eux-m\u00eames, fussent vues des mortels et des \nimmortels : tant fut terrible le retentissement du choc des dieux.540CHAnt 20\nEt Phoibos Apoll\u00f4n, avec ses fl\u00e8ches empenn\u00e9es, marchait contre \nle roi Poseida\u00f4n ; et la d\u00e9esse Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs contre \nAr\u00e8s, et Art\u00e9mis, s\u0153ur de l\u2019archer Apoll\u00f4n, joyeuse de porter les \nsonores fl\u00e8ches dor\u00e9es, contre H\u00e8r\u00e8 ; et, contre L\u00e8t\u00f4, le sage et \nutile Herm\u00e8s ; et, contre H\u00e8phaistos, le grand fleuve aux profonds \ntourbillons, que les dieux nomment Xanthos, et les hommes \nSkamandros. Ainsi les dieux marchaient contre les dieux.\nMais Akhilleus ne d\u00e9sirait rencontrer que le Priamide Hekt\u00f4r \ndans la m\u00eal\u00e9e, et il ne songeait qu\u2019\u00e0 boire le sang du brave Priamide.\nEt Apoll\u00f4n qui soul\u00e8ve les peuples excita Ain\u00e9ias contre le P\u00e8l\u00e9ide, \net il le remplit d\u2019une grande force, et semblable par la voix \u00e0 \nLyka\u00f4n, fils de Priamos, le fils de Zeus dit \u00e0 Ain\u00e9ias :\n\u2013 Ain\u00e9ias, prince des t roiens, o\u00f9 est la promesse que tu faisais aux \nrois d\u2019Ilios de combattre le P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus ?\nEt Ain\u00e9ias, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Priamide, pourquoi me pousses-tu \u00e0 combattre l\u2019orgueilleux \nP\u00e8l\u00e9i\u00f4n ? Je ne tiendrais pas t\u00eate pour la premi\u00e8re fois au rapide \nAkhilleus. D\u00e9j\u00e0, autrefois, de sa lance, il m\u2019a chass\u00e9 de l\u2019Ida, quand, \nravissant nos b\u0153ufs, il d\u00e9truisit Lyrnessos et P\u00e8dasos ; mais Zeus 541\nL \u2019ILIADEme sauva, en donnant la force et la rapidit\u00e9 \u00e0 mes genoux. Certes, \nje serais tomb\u00e9 sous les mains d\u2019Akhilleus et d\u2019Ath\u00e8n\u00e8 qui mar -\nchait devant lui et l\u2019excitait \u00e0 tuer les L\u00e9l\u00e9ges et les t roiens, \u00e0 \nl\u2019aide de sa lance d\u2019airain. Aucun guerrier ne peut lutter contre \nAkhilleus. Un des dieux est toujours aupr\u00e8s de lui qui le pr\u00e9serve. \nSes traits vont droit au but, et ne s\u2019arr\u00eatent qu\u2019apr\u00e8s s\u2019\u00eatre enfon -\nc\u00e9s dans le corps de l\u2019homme. Si un dieu rendait le combat \u00e9gal \nentre nous, il ne me dompterait pas ais\u00e9ment, bien qu\u2019il se vante \nd\u2019\u00eatre tout entier d\u2019airain.\nEt le roi Apoll\u00f4n, fils de Zeus, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e9ros, il t\u2019appartient aussi d\u2019invoquer les dieux \u00e9ternels.\nOn dit aussi, en effet, qu\u2019Aphrodit\u00e8, fille de Zeus, t\u2019a enfant\u00e9, et \nlui est n\u00e9 d\u2019une d\u00e9esse inf\u00e9rieure. t a m\u00e8re est fille de Zeus, et la \nsienne est fille du Vieillard de la mer. Pousse droit \u00e0 lui l\u2019airain \nindomptable, et que ses paroles injurieuses et ses menaces ne t\u2019ar -\nr\u00eatent pas.\nAyant ainsi parl\u00e9, il inspira une grande force au prince des \npeuples, qui courut en avant, arm\u00e9 de l\u2019airain splendide. Mais le \nfils d\u2019Ankhis\u00e8s, courant au P\u00e8l\u00e9ide \u00e0 travers la m\u00eal\u00e9e des hommes, 542CHAnt 20\nfut aper\u00e7u par H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs, et celle-ci, r\u00e9unissant les \ndieux, leur dit :\n\u2013 Poseida\u00f4n et Ath\u00e8n\u00e8, songez \u00e0 ceci dans votre esprit : Ain\u00e9ias, \narm\u00e9 de l\u2019airain splendide, court au P\u00e8l\u00e9ide, et Phoibos Apoll\u00f4n l\u2019y \nexcite. Allons, \u00e9cartons ce dieu, et qu\u2019un de nous assiste Akhilleus \net lui donne la force et l\u2019intr\u00e9pidit\u00e9. Qu\u2019il sache que les plus puis -\nsants des immortels l\u2019aiment, et que ce sont les plus faibles qui \nviennent en aide aux t roiens dans le combat. t ous, nous sommes \ndescendus de l\u2019Ouranos dans la m\u00eal\u00e9e, afin de le pr\u00e9server des \ntroiens, en ce jour ; et il subira ensuite ce que la destin\u00e9e lui a \nfil\u00e9 avec le lin, depuis que sa m\u00e8re l\u2019a enfant\u00e9. Si Akhilleus, dans \nce combat, ne ressent pas l\u2019inspiration des dieux, il redoutera la \nrencontre d\u2019un immortel, car l\u2019apparition des dieux \u00e9pouvante \nles hommes.\nEt Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre lui r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8, ne t\u2019irrite point hors de raison, car cela ne te convient pas. \nJe ne veux point que nous combattions les autres dieux, \u00e9tant \nde beaucoup plus forts qu\u2019eux. Asseyons-nous hors de la m\u00eal\u00e9e, \nsur la colline, et laissons aux hommes le souci de la guerre. Si \nAr\u00e8s commence le combat, ou Phoibos Apoll\u00f4n, et s\u2019ils arr\u00eatent \nAkhilleus et l\u2019emp\u00eachent d\u2019agir, alors une lutte terrible s\u2019engagera 543\nL \u2019ILIADEentre eux et nous, et je pense que, promptement vaincus, ils \nretourneront dans l\u2019Ouranos, vers l\u2019assembl\u00e9e des immortels, \nrudement dompt\u00e9s par nos mains irr\u00e9sistibles.\nAyant ainsi parl\u00e9, Poseida\u00f4n aux cheveux bleus les pr\u00e9c\u00e9da vers \nla muraille haute du divin H\u00e8rakl\u00e8s. Ath\u00e8n\u00e8 et les t roiens avaient \nautrefois \u00e9lev\u00e9 cette enceinte pour le mettre \u00e0 l\u2019abri de la Baleine, \nquand ce monstre le poursuivait du rivage dans la plaine. L\u00e0, \nPoseida\u00f4n et les autres dieux s\u2019assirent, s\u2019\u00e9tant envelopp\u00e9s d\u2019une \n\u00e9paisse nu\u00e9e. Et, de leur c\u00f4t\u00e9, les immortels, d\u00e9fenseurs d\u2019Ilios, \ns\u2019assirent sur les collines du Simo\u00efs, autour de toi, archer Apoll\u00f4n, \net de toi, Ar\u00e8s, destructeur des citadelles ! Ainsi tous les dieux \n\u00e9taient assis, et ils m\u00e9ditaient, retardant le terrible combat, bien \nque Zeus, tranquille dans les hauteurs, les y e\u00fbt excit\u00e9s.\nEt toute la plaine \u00e9tait emplie et resplendissait de l\u2019airain des che -\nvaux et des hommes, et la terre retentissait sous les pieds des \ndeux arm\u00e9es. Et, au milieu de tous, s\u2019avan\u00e7aient, pr\u00eats \u00e0 combattre, \nAin\u00e9ias Ankhisiade et le divin Akhilleus.\nEt Ain\u00e9ias marchait, mena\u00e7ant, secouant son casque solide et \nportant devant sa poitrine son bouclier terrible, et brandissant sa \nlance d\u2019airain. Et le P\u00e8l\u00e9ide se ruait sur lui, comme un lion dan -\ngereux que toute une foule d\u00e9sire tuer. Et il avance, m\u00e9prisant 544CHAnt 20\nses ennemis ; mais, d\u00e8s qu\u2019un des jeunes hommes l\u2019a bless\u00e9, il \nouvre la gueule, et l\u2019\u00e9cume jaillit \u00e0 travers ses dents, et son c\u0153ur \nrugit dans sa poitrine, et il se bat les deux flancs et les reins de sa \nqueue, s\u2019animant au combat. Puis, les yeux flambants, il bondit \navec force droit sur les hommes, afin de les d\u00e9chirer ou d\u2019en \u00eatre \ntu\u00e9 lui-m\u00eame. Ainsi sa force et son orgueil poussaient Akhilleus \ncontre le magnanime Ain\u00e9ias. Et, quand ils se furent rencontr\u00e9s, \nle premier, le divin Akhilleus aux pieds rapides parla ainsi :\n\u2013 Ain\u00e9ias, pourquoi sors-tu de la foule des guerriers ? D\u00e9sires-tu \nme combattre dans l\u2019espoir de commander aux t roiens domp -\nteurs de chevaux, avec la puissance de Priamos ? Mais si tu me \ntuais, Priamos ne te donnerait point cette r\u00e9compense, car il a \ndes fils, et lui-m\u00eame n\u2019est pas insens\u00e9. Les t roiens, si tu me tuais, \nt\u2019auraient-ils promis un domaine excellent o\u00f9 tu jouirais de tes \nvignes et de tes moissons ? Mais je pense que tu le m\u00e9riteras \npeu ais\u00e9ment, car d\u00e9j\u00e0 je t\u2019ai vu fuir devant ma lance. ne te sou -\nviens-tu pas que je t\u2019ai pr\u00e9cipit\u00e9 d\u00e9j\u00e0 des cimes Idaiennes, loin \nde tes b\u0153ufs, et que, sans te retourner dans ta fuite, tu te r\u00e9fugias \n\u00e0 Lyrnessos ?\nMais, l\u2019ayant renvers\u00e9e, avec l\u2019aide de Zeus et d\u2019Ath\u00e8n\u00e8, j\u2019en emme -\nnai toutes les femmes qui pleuraient leur libert\u00e9. Zeus et les autres \ndieux te sauv\u00e8rent. Cependant, je ne pense pas qu\u2019ils te sauvent 545\nL \u2019ILIADEaujourd\u2019hui comme tu l\u2019esp\u00e8res. Je te conseille donc de ne pas me \ntenir t\u00eate, et de rentrer dans la foule avant qu\u2019il te soit arriv\u00e9 mal -\nheur. L \u2019insens\u00e9 ne conna\u00eet son mal qu\u2019apr\u00e8s l\u2019avoir subi.\nEt Ain\u00e9ias lui r\u00e9pondit :\n\u2013 n\u2019esp\u00e8re point, par des paroles, m\u2019\u00e9pouvanter comme un enfant, \ncar moi aussi je pourrais me r\u00e9pandre en outrages. L \u2019un et l\u2019autre \nnous connaissons notre race et nos parents, sachant tous deux la \ntradition des anciens hommes, bien que tu n\u2019aies jamais vu mes \nparents, ni moi les tiens. On dit que tu es le fils de l\u2019illustre P\u00e8leus \net que ta m\u00e8re est la nymphe marine t h\u00e9tis aux beaux cheveux. \nMoi, je me glorifie d\u2019\u00eatre le fils du magnanime Ankhis\u00e8s, et ma \nm\u00e8re est Aphrodit\u00e8. Les uns ou les autres, aujourd\u2019hui, pleure -\nront leur fils bien-aim\u00e9 ; car je ne pense point que des paroles \nenfantines nous \u00e9loignent du combat. Veux-tu bien conna\u00eetre ma \nrace, c\u00e9l\u00e8bre parmi la multitude des hommes ? Zeus qui amasse \nles nu\u00e9es engendra d\u2019abord Dardanos, et celui-ci b\u00e2tit Dardani\u00e8. \nEt la sainte Ilios, citadelle des hommes, ne s\u2019\u00e9levait point encore \ndans la plaine, et les peuples habitaient aux pieds de l\u2019Ida o\u00f9 \nabondent les sources. Et Dardanos engendra le roi \u00c9rikhthonios, \nqui fut le plus riche des hommes.546CHAnt 20\nDans ses mar\u00e9cages paissaient trois mille juments fi\u00e8res de leurs \npoulains. Et Bor\u00e9as, sous la forme d\u2019un cheval aux crins bleus, les \naima et les couvrit comme elles paissaient, et elles firent douze \npoulines qui bondissaient dans les champs fertiles, courant sur \nla cime des \u00e9pis sans les courber. Et quand elles bondissaient \nsur le large dos de la mer, elles couraient sur la cime des \u00e9cumes \nblanches. Et \u00c9rikthonios engendra le roi des troiens, tr\u00f4os. Et \ntr\u00f4os engendra trois fils irr\u00e9prochables, Ilos, Assarakos et le divin \nGanym\u00e8d\u00e8s, qui fut le plus beau des hommes mortels, et que les \ndieux enlev\u00e8rent \u00e0 cause de sa beaut\u00e9, afin qu\u2019il f\u00fbt l\u2019\u00e9chanson \nde Zeus et qu\u2019il habit\u00e2t parmi les immortels. Et Ilos engendra \nl\u2019illustre Laom\u00e9d\u00f4n, et Laom\u00e9d\u00f4n engendra t ithonos, Priamos, \nLampos, Klytios et Hik\u00e9ta\u00f4n, nourrisson d\u2019Ar\u00e8s. Mais Assarakos \nengendra Kapys, qui engendra Ankhis\u00e8s, et Ankhis\u00e8s m\u2019a engen -\ndr\u00e9, comme Priamos a engendr\u00e9 le divin Hekt\u00f4r. Je me glorifie \nde ce sang et de cette race. Zeus, comme il le veut, augmente ou \ndiminue la vertu des hommes, \u00e9tant le plus puissant. Mais, debout \ndans la m\u00eal\u00e9e, ne parlons point plus longtemps comme de petits \nenfants. n ous pourrions ais\u00e9ment amasser plus d\u2019injures que n\u2019en \nporterait une nef \u00e0 cent avirons. La langue des hommes est rapide \net abonde en discours qui se multiplient de part et d\u2019autre, et tout \nce que tu diras, tu pourras l\u2019entendre. Faut-il que nous luttions \nd\u2019injures et d\u2019outrages, comme des femmes furieuses qui com -\nbattent sur une place publique \u00e0 coups de mensonges et de v\u00e9rit\u00e9s, 547\nL \u2019ILIADEcar la col\u00e8re les m\u00e8ne ? Les paroles ne me feront pas reculer avant \nque tu n\u2019aies combattu.\nAgis donc promptement, et go\u00fbtons tous deux de nos \nlances d\u2019airain.\nIl parla ainsi, et il poussa violemment la lance d\u2019airain contre le \nterrible bouclier, dont l\u2019orbe r\u00e9sonna sous le coup. Et le P\u00e8l\u00e9ide, \nde sa main vigoureuse, tendit le bouclier loin de son corps, crai -\ngnant que la longue lance du magnanime Ain\u00e9ias pass\u00e2t au tra -\nvers. L \u2019insens\u00e9 ne songeait pas que les pr\u00e9sents glorieux des dieux \nr\u00e9sistent ais\u00e9ment aux forces des hommes.\nLa forte lance du belliqueux Ain\u00e9ias ne traversa point le bouclier, \ncar l\u2019or, pr\u00e9sent d\u2019un dieu, arr\u00eata le coup, qui per\u00e7a deux lames. Et \nil y en avait encore trois que le Boiteux avait dispos\u00e9es ainsi : deux \nlames d\u2019airain par-dessus, deux lames d\u2019\u00e9tain au-dessous, et, au \nmilieu, une lame d\u2019or qui arr\u00eata la pique d\u2019airain. Alors Akhilleus \njeta sa longue lance, qui frappa le bord du bouclier \u00e9gal d\u2019Ai -\nn\u00e9ias, l\u00e0 o\u00f9 l\u2019airain et le cuir \u00e9taient le moins \u00e9pais. Et la lance du \nP\u00e8liade traversa le bouclier qui retentit. Et Ain\u00e9ias le tendit loin \nde son corps, en se courbant, plein de crainte. Et la lance, par-des -\nsus son dos, s\u2019enfon\u00e7a en terre, ayant rompu les deux lames du \nbouclier qui abritait le troien. Et celui-ci resta \u00e9pouvant\u00e9, et la 548CHAnt 20\ndouleur troubla ses yeux, quand il vit la grande lance enfonc\u00e9e \naupr\u00e8s de lui.\nEt Akhilleus, arrachant de la ga\u00eene son \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb, se rua avec \nun cri terrible. Et Ain\u00e9ias saisit un lourd rocher, tel que deux \nhommes de maintenant ne pourraient le porter ; mais il le \nremuait ais\u00e9ment.\nAlors, Ain\u00e9ias e\u00fbt frapp\u00e9 Akhilleus, qui se ruait, soit au casque, \nsoit au bouclier qui le pr\u00e9servait de la mort, et le P\u00e8l\u00e9ide, avec \nl\u2019\u00e9p\u00e9e, lui e\u00fbt arrach\u00e9 l\u2019\u00e2me, si Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre ne \ns\u2019en f\u00fbt aper\u00e7u. Et aussit\u00f4t, il dit, au milieu des dieux immortels :\n\u2013 H\u00e9las ! je g\u00e9mis sur le magnanime Ain\u00e9ias, qui va descendre \nchez Aid\u00e8s, dompt\u00e9 par le P\u00e8l\u00e9ide. L \u2019archer Apoll\u00f4n a persuad\u00e9 \nl\u2019insens\u00e9 et ne le sauvera point. Mais, innocent qu\u2019il est, pour -\nquoi subirait-il les maux m\u00e9rit\u00e9s par d\u2019autres ? n\u2019a-t-il point tou -\njours offert des pr\u00e9sents agr\u00e9ables aux dieux qui habitent le large \nOuranos ? Allons ! sauvons-le de la mort, de peur que le Kronide \nne s\u2019irrite si Akhilleus le tue. Sa destin\u00e9e est de survivre, afin que \nla race de Dardanos ne p\u00e9risse point, lui que le Kronide a le plus \naim\u00e9 parmi tous les enfants que lui ont donn\u00e9s les femmes mor -\ntelles. Le Kroni\u00f4n est plein de haine pour la race de Priamos. La 549\nL \u2019ILIADEforce d\u2019Ain\u00e9ias commandera sur les troiens, et les fils de ses fils \nr\u00e9gneront, et ceux qui na\u00eetront dans les temps \u00e0 venir.\nEt la v\u00e9n\u00e9rable H\u00e8r\u00e8 aux yeux de b\u0153uf lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Poseida\u00f4n, vois s\u2019il te convient, dans ton esprit, de sauver Ain\u00e9ias \nou de laisser le P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus le tuer ; car nous avons souvent \njur\u00e9, moi et Pallas Ath\u00e8n\u00e8, au milieu des dieux, que jamais nous \nn\u2019\u00e9loignerions le jour fatal d\u2019un troien, m\u00eame quand troi\u00e8 br\u00fble -\nrait tout enti\u00e8re dans le feu allum\u00e9 par les fils des Akhaiens.\nEt, d\u00e8s que Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre eut entendu ces paroles, \nil se jeta dans la m\u00eal\u00e9e, \u00e0 travers le retentissement des lances, \njusqu\u2019au lieu o\u00f9 se trouvaient Ain\u00e9ias et Akhilleus. Et il couvrit \nd\u2019un brouillard les yeux du P\u00e8l\u00e9ide ; et, arrachant du bouclier du \nmagnanime Ain\u00e9ias la lance \u00e0 pointe d\u2019airain, il la posa aux pieds \nd\u2019Akhilleus. Puis, il enleva de terre Ain\u00e9ias ; et celui-ci franchit les \n\u00e9paisses masses de guerriers et de chevaux, pouss\u00e9 par la main du \ndieu. Et quand il fut arriv\u00e9 aux derni\u00e8res lignes de la bataille, l\u00e0 o\u00f9 \nles Kauk\u00f4nes s\u2019armaient pour le combat, Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la \nterre, s\u2019approchant, lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ain\u00e9ias, qui d\u2019entre les dieux t\u2019a persuad\u00e9, insens\u00e9, de combattre \nAkhilleus, qui est plus fort que toi et plus cher aux immortels ? 550CHAnt 20\nRecule quand tu le rencontreras, de peur que, malgr\u00e9 la moire, tu \ndescendes chez Aid\u00e8s. Mais, quand Akhilleus aura subi la desti -\nn\u00e9e et la mort, ose combattre aux premiers rangs, car aucun autre \ndes Akhaiens ne te tuera.\nAyant ainsi parl\u00e9, il le quitta. Puis, il dispersa l\u2019\u00e9pais brouillard qui \ncouvrait les yeux d\u2019Akhilleus, et celui-ci vit tout clairement de ses \nyeux, et, plein de col\u00e8re, il dit dans son esprit :\n\u2013 \u00d4 dieux ! certes, voici un grand prodige. Ma lance g\u00eet sur la terre, \ndevant moi, et je ne vois plus le guerrier contre qui je l\u2019ai jet\u00e9e et \nque je voulais tuer ! Certes, Ain\u00e9ias est cher aux dieux immortels.\nJe pensais qu\u2019il s\u2019en vantait faussement. Qu\u2019il vive ! Il n\u2019aura plus le \nd\u00e9sir de me braver, maintenant qu\u2019il a \u00e9vit\u00e9 la mort. Mais, allons ! \nj\u2019exhorterai les Danaens belliqueux et j\u2019\u00e9prouverai la force des \nautres t roiens.\nIl parla ainsi, et il courut \u00e0 travers les rangs, commandant \u00e0 \nchaque guerrier :\n\u2013 ne restez pas plus longtemps loin de l\u2019ennemi, divins Akhaiens ! \nMarchez, homme contre homme, et pr\u00eats au combat. Il m\u2019est dif -\nficile, malgr\u00e9 ma force, de poursuivre et d\u2019attaquer seul tant de 551\nL \u2019ILIADEguerriers ; ni Ar\u00e8s, bien qu\u2019il soit un dieu immortel, ni Ath\u00e8n\u00e8, n\u2019y \nsuffiraient. Je vous aiderai de mes mains, de mes pieds, de toute \nma vigueur, sans jamais faiblir ; et je serai partout, au travers de \nla m\u00eal\u00e9e ; et je ne pense pas qu\u2019aucun t roien se r\u00e9jouisse de ren -\ncontrer ma lance.\nIl parla ainsi, et, de son c\u00f4t\u00e9, l\u2019illustre Hekt\u00f4r animait les t roiens, \nleur promettant qu\u2019il combattrait Akhilleus :\n\u2013 troiens magnanimes, ne craignez point Akhilleus. Moi aussi, \navec des paroles, je combattrais jusqu\u2019aux immortels ; mais, avec \nla lance, ce serait impossible, car ils sont les plus forts. Akhilleus \nne r\u00e9ussira point dans tout ce qu\u2019il dit. S\u2019il accomplit une de ses \nmenaces, il n\u2019accomplira point l\u2019autre. Je vais marcher contre lui, \nquand m\u00eame il serait tel que le feu par ses mains.\nOui ! quand m\u00eame il serait tel que le feu par ses mains, quand il \nserait par sa vigueur tel que le feu ardent.552CHAnt 20\nIl parla ainsi, et aussit\u00f4t les t roiens tendirent leurs lances, et ils se \nserr\u00e8rent, et une grande clameur s\u2019\u00e9leva. Mais Phoibos Apoll\u00f4n \ns\u2019approcha de Hekt\u00f4r et lui dit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, ne sors point des rangs contre Akhilleus. Reste dans le \ntumulte de la m\u00eal\u00e9e, de peur qu\u2019il te perce de la lance ou de l\u2019\u00e9p\u00e9e, \nde loin ou de pr\u00e8s.\nIl parla ainsi, et le Priamide rentra dans la foule des guerriers, \nplein de crainte, d\u00e8s qu\u2019il eut entendu la voix du dieu.\nEt Akhilleus, v\u00eatu de courage et de force, se jeta sur les t roiens \nen poussant des cris horribles. Et il tua d\u2019abord le brave Iphiti\u00f4n \nOtrynt\u00e9ide, chef de nombreux guerriers, et que la nymphe n \u00e8is \navait con\u00e7u du destructeur de citadelles Otrynteus, sous le nei -\ngeux t m\u00f4los, dans la fertile Hyd\u00e8. Comme il se ruait en avant, le \ndivin Akhilleus le frappa au milieu de la t\u00eate, et celle-ci se fendit \nen deux, et Iphiti\u00f4n tomba avec bruit, et le divin Akhilleus se glo -\nrifia ainsi :\n\u2013 te voil\u00e0 couch\u00e9 sur la terre, Otrynt\u00e9ide, le plus effrayant des \nhommes ! tu es mort ici, toi qui es n\u00e9 non loin du lac Gygaios o\u00f9 \nest ton champ paternel, sur les bords poissonneux du Hyllos et \ndu Hermos tourbillonnant.553\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, triomphant, et le brouillard couvrit les yeux de \nIphiti\u00f4n, que les chars des Akhaiens d\u00e9chir\u00e8rent de leurs roues \naux premiers rangs. Et, apr\u00e8s lui, Akhilleus tua D\u00e8mol\u00e9\u00f4n, brave \nfils d\u2019Ant\u00e8n\u00f4r. Et il lui rompit la tempe \u00e0 travers le casque d\u2019airain, \net le casque d\u2019airain n\u2019arr\u00eata point le coup, et la pointe irr\u00e9sistible \nbrisa l\u2019os en \u00e9crasant toute la cervelle. Et c\u2019est ainsi qu\u2019Akhilleus \ntua D\u00e8mol\u00e9\u00f4n qui se ruait sur lui.\nEt comme Hippodamas, sautant de son char, fuyait, Akhilleus le \nper\u00e7a dans le dos d\u2019un coup de lance. Et le troien rendit l\u2019\u00e2me en \nmugissant comme un taureau que des jeunes hommes entra\u00eenent \n\u00e0 l\u2019autel du dieu de H\u00e9lik\u00e8, de Poseida\u00f4n qui se r\u00e9jouit du sacri -\nfice. Et c\u2019est ainsi qu\u2019il mugissait et que son \u00e2me abandonna \nses ossements.\nPuis Akhilleus poursuivit de sa lance le divin Polyd\u00f4ros Priamide, \n\u00e0 qui son p\u00e8re ne permettait point de combattre, \u00e9tant le der -\nnier-n\u00e9 de ses enfants et le plus aim\u00e9 de tous. Et il surpassait tous \nles hommes \u00e0 la course. Et il courait, dans une ardeur de jeu -\nnesse, fier de son agilit\u00e9, parmi les premiers combattants ; mais \nle divin Akhilleus, plus rapide que lui, le frappa dans le dos, l\u00e0 \no\u00f9 les agrafes d\u2019or attachaient le baudrier sur la double cuirasse. \nEt la pointe de la lance le traversa jusqu\u2019au nombril, et il tomba, 554CHAnt 20\nhurlant, sur les genoux ; et une nu\u00e9e noire l\u2019enveloppa, tandis que, \ncourb\u00e9 sur la terre, il retenait ses entrailles \u00e0 pleines mains.\nHekt\u00f4r, voyant son fr\u00e8re Polyd\u00f4ros renvers\u00e9 et retenant ses \nentrailles avec ses mains, sentit un brouillard sur ses yeux, et il \nne put se r\u00e9soudre \u00e0 combattre plus longtemps de loin, et il vint \n\u00e0 Akhilleus, secouant sa lance aigu\u00eb et semblable \u00e0 la flamme. Et \nAkhilleus le vit, et bondit en avant, et dit en triomphant :\n\u2013 Voici donc l\u2019homme qui m\u2019a d\u00e9chir\u00e9 le c\u0153ur et qui a tu\u00e9 mon \nirr\u00e9prochable compagnon ! ne nous \u00e9vitons pas plus longtemps \ndans les d\u00e9tours de la m\u00eal\u00e9e.\nIl parla ainsi, et, regardant le divin Hekt\u00f4r d\u2019un \u0153il sombre, il dit :\n\u2013 Viens ! approche, afin de mourir plus vite !\nEt Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit sans crainte :\n\u2013 P\u00e8l\u00e9ide, n\u2019esp\u00e8re point m\u2019\u00e9pouvanter par des paroles comme un \npetit enfant. Moi aussi je pourrais parler injurieusement et avec \norgueil. Je sais que tu es brave et que je ne te vaux pas ; mais nos \ndestin\u00e9es sont sur les genoux des dieux. Bien que je sois moins 555\nL \u2019ILIADEfort que toi, je t\u2019arracherai peut-\u00eatre l\u2019\u00e2me d\u2019un coup de ma lance. \nElle aussi, elle a une pointe per\u00e7ante.\nIl parla ainsi, et, secouant sa lance, il la jeta ; mais Ath\u00e8n\u00e8, d\u2019un \nsouffle, l\u2019\u00e9carta de l\u2019illustre Akhilleus, et la repoussa vers le divin \nHekt\u00f4r, et la fit tomber \u00e0 ses pieds.\nEt Akhilleus, furieux, se rua pour le tuer, en jetant des cris hor -\nribles ; mais Apoll\u00f4n enleva ais\u00e9ment le Priamide, comme le \npeut un dieu ; et il l\u2019enveloppa d\u2019une \u00e9paisse nu\u00e9e. Et trois fois le \ndivin Akhilleus aux pieds rapides, se pr\u00e9cipitant, per\u00e7a cette nu\u00e9e \n\u00e9paisse de sa lance d\u2019airain. Et, une quatri\u00e8me fois, semblable \u00e0 \nun daim\u00f4n, il se rua en avant, et il cria ces paroles outrageantes :\n\u2013 Chien ! de nouveau tu \u00e9chappes \u00e0 la mort. Elle t\u2019a approch\u00e9 de \npr\u00e8s, mais Phoibos Apoll\u00f4n t\u2019a sauv\u00e9, lui \u00e0 qui tu fais des v\u0153ux \nquand tu marches \u00e0 travers le retentissement des lances. Je te tue -\nrai, si je te rencontre encore, et si quelque dieu me vient en aide. \nMaintenant, je poursuivrai les autres t roiens.\nAyant ainsi parl\u00e9, il per\u00e7a Dryops au milieu de la gorge, et \nl\u2019homme tomba \u00e0 ses pieds, et il l\u2019abandonna. Puis, il frappa de \nsa lance, au genou, le large et grand D\u00e9mokhos Phil\u00e9toride ; puis, \navec sa forte \u00e9p\u00e9e, il lui arracha l\u2019\u00e2me. Et, courant sur Laogonos et 556CHAnt 20\nDardanos, fils de Bias, il les renversa tous deux de leur char, l\u2019un \nd\u2019un coup de lance, l\u2019autre d\u2019un coup d\u2019\u00e9p\u00e9e.\nEt tr\u00f4os Alastoride, pensant qu\u2019Akhilleus l\u2019\u00e9pargnerait, ne le tue -\nrait point et le prendrait vivant, ayant piti\u00e9 de sa jeunesse, vint \nembrasser ses genoux. Et l\u2019insens\u00e9 ne savait pas que le P\u00e8l\u00e9ide \n\u00e9tait inexorable, et qu\u2019il n\u2019\u00e9tait ni doux, ni tendre, mais f\u00e9roce.\nEt comme le t roien embrassait ses genoux en le suppliant, \nAkhilleus lui per\u00e7a le foie d\u2019un coup d\u2019\u00e9p\u00e9e et le lui arracha. Un \nsang noir jaillit du corps de t r\u00f4os, et le brouillard de la mort \nenveloppa ses yeux.\nEt Akhilleus per\u00e7a Moulios d\u2019un coup de lance, de l\u2019une \u00e0 l\u2019autre \noreille. Et de son \u00e9p\u00e9e \u00e0 lourde poign\u00e9e il fendit par le milieu la \nt\u00eate de l\u2019Ag\u00e8n\u00f4ride Ekheklos ; et l\u2019\u00e9p\u00e9e fuma ruisselante de sang, \net la noire mort et la moire violente couvrirent ses yeux.\nEt il frappa Deukali\u00f4n l\u00e0 o\u00f9 se r\u00e9unissent les nerfs du coude. La \npointe d\u2019airain lui engourdit le bras, et il resta immobile, voyant la \nmort devant lui. Et Akhilleus, d\u2019un coup d\u2019\u00e9p\u00e9e, lui enleva la t\u00eate, \nqui tomba avec le casque. La moelle jaillit des vert\u00e8bres, et il resta \n\u00e9tendu contre terre.557\nL \u2019ILIADEPuis, Akhilleus se jeta sur le brave Rhigmos, fils de Peireus, qui \n\u00e9tait venu de la fertile t hr\u00e8k\u00e8. Et il le per\u00e7a de sa lance dans le \nventre, et l\u2019homme tomba de son char. Et comme Ar\u00e9ithoos, com -\npagnon de Rhigmos, faisait retourner les chevaux, Akhilleus, le \nper\u00e7ant dans le dos d\u2019un coup de lance, le renversa du char ; et les \nchevaux s\u2019enfuirent \u00e9pouvant\u00e9s.\nDe m\u00eame qu\u2019un vaste incendie gronde dans les gorges profondes \nd\u2019une montagne aride, tandis que l\u2019\u00e9paisse for\u00eat br\u00fble et que le \nvent secoue et roule la flamme ; de m\u00eame Akhilleus courait, tel \nqu\u2019un daim\u00f4n, tuant tous ceux qu\u2019il poursuivait, et la terre noire \nruisselait de sang.\nDe m\u00eame que deux b\u0153ufs au large front foulent, accoupl\u00e9s, l\u2019orge \nblanche dans une aire arrondie, et que les tiges fr\u00eales laissent \n\u00e9chapper les graines sous les pieds des b\u0153ufs qui mugissent ; \nde m\u00eame, sous le magnanime Akhilleus, les chevaux aux sabots \nmassifs foulaient les cadavres et les boucliers. Et tout l\u2019essieu \n\u00e9tait inond\u00e9 de sang, et toutes les parois du char ruisselaient des \ngouttes de sang qui jaillissaient des roues et des sabots des che -\nvaux. Et le P\u00e8l\u00e9ide \u00e9tait avide de gloire, et le sang souillait ses \nmains in\u00e9vitables.558CHAnt 20559\nL \u2019ILIADEChant 21\nEt quand les t roiens furent arriv\u00e9s au gu\u00e9 du fleuve au beau \ncours, du Xanthos tourbillonnant qu\u2019engendra l\u2019immortel Zeus, \nle P\u00e8l\u00e9ide, partageant leurs phalanges, les rejeta dans la plaine, \nvers la ville, l\u00e0 o\u00f9 les Akhaiens fuyaient, la veille, boulevers\u00e9s par \nla fureur de l\u2019illustre Hekt\u00f4r.\nEt les uns se pr\u00e9cipitaient \u00e7\u00e0 et l\u00e0 dans leur fuite, et, pour les arr\u00ea -\nter, H\u00e8r\u00e8 r\u00e9pandit devant eux une nu\u00e9e \u00e9paisse ; et les autres rou -\nlaient dans le fleuve profond aux tourbillons d\u2019argent. Ils y tom -\nbaient avec un grand bruit, et les eaux et les rives retentissaient, \ntandis qu\u2019ils nageaient \u00e7\u00e0 et l\u00e0, en poussant des cris, au milieu \ndes tourbillons.\nDe m\u00eame que des sauterelles volent vers un fleuve, chass\u00e9es \npar l\u2019incendie, et que le feu infatigable \u00e9clate brusquement avec \nplus de violence, et qu\u2019elles se jettent, \u00e9pouvant\u00e9es, dans l\u2019eau ; \nde m\u00eame, devant Akhilleus, le cours retentissant du Xanthos \naux profonds tourbillons s\u2019emplissait confus\u00e9ment de chevaux \net d\u2019hommes.560CHAnt 21\nEt le divin Akhilleus, laissant sa lance sur le bord, appuy\u00e9e contre \nun tamaris, et ne gardant que son \u00e9p\u00e9e, sauta lui-m\u00eame dans le \nfleuve, semblable \u00e0 un daim\u00f4n, et m\u00e9ditant un \u0153uvre terrible. Et \nil frappait tout autour de lui ; et il excitait de l\u2019\u00e9p\u00e9e les g\u00e9misse -\nments des bless\u00e9s, et le sang rougissait l\u2019eau.\nDe m\u00eame que les poissons qui fuient un grand dauphin emplissent, \n\u00e9pouvant\u00e9s, les retraites secr\u00e8tes des baies tranquilles, tandis qu\u2019il \nd\u00e9vore tous ceux qu\u2019il saisit ; de m\u00eame les t roiens, \u00e0 travers le \ncourant imp\u00e9tueux du fleuve, se cachaient sous les rochers. Et \nquand Akhilleus fut las de tuer, il tira du fleuve douze jeunes \nhommes vivants qui devaient mourir, en offrande \u00e0 Patroklos \nM\u00e9noitiade. Et les retirant du fleuve, tremblants comme des faons, \nil leur lia les mains derri\u00e8re le dos avec les belles courroies qui \nretenaient leurs tuniques retrouss\u00e9es, et les remit \u00e0 ses compa -\ngnons pour \u00eatre conduits aux nefs creuses. Puis, il se rua en avant \npour tuer encore.\nEt il aper\u00e7ut un fils du Dardanide Priamos, Lyka\u00f4n, qui sortait du \nfleuve. Et il l\u2019avait autrefois enlev\u00e9, dans une marche de nuit, loin \ndu verger de son p\u00e8re. Et Lyka\u00f4n taillait avec l\u2019airain tranchant \nles jeunes branches d\u2019un figuier pour en faire les deux h\u00e9mi -\ncycles d\u2019un char. Et le divin Akhilleus survint brusquement pour \nson malheur, et, l\u2019emmenant sur ses nefs, il le vendit \u00e0 Lemnos 561\nL \u2019ILIADEbien b\u00e2tie, et le fils de J\u00e8s\u00f4n l\u2019acheta. Et \u00ca\u00e9ti\u00f4n d\u2019Imbros, son h\u00f4te, \nl\u2019ayant rachet\u00e9 \u00e0 grand prix, l\u2019envoya dans la divine Arisb\u00e8, d\u2019o\u00f9 il \nrevint en secret dans la demeure paternelle. Et, depuis onze jours, \nil se r\u00e9jouissait avec ses amis, \u00e9tant revenu de Lemnos, et, le dou -\nzi\u00e8me, un dieu le rejeta aux mains d\u2019Akhilleus, qui devait l\u2019en -\nvoyer violemment chez Aid\u00e8s.\nEt d\u00e8s que le divin Akhilleus aux pieds rapides l\u2019eut reconnu qui \nsortait nu du fleuve, sans casque, sans bouclier et sans lance, car \nil avait jet\u00e9 ses armes, \u00e9tant rompu de fatigue et couvert de sueur, \naussit\u00f4t le P\u00e8l\u00e9ide irrit\u00e9 se dit dans son esprit magnanime :\n\u2013 \u00d4 dieux ! certes, voici un grand prodige. Sans doute aussi les \ntroiens magnanimes que j\u2019ai tu\u00e9s se rel\u00e8veront des t\u00e9n\u00e8bres \nnoires, puisque celui-ci, que j\u2019avais vendu dans la sainte Lemnos, \nrepara\u00eet, ayant \u00e9vit\u00e9 la mort. La profondeur de la blanche mer qui \nengloutit tant de vivants ne l\u2019a point arr\u00eat\u00e9. Allons ! il sentira la \npointe de ma lance, et je verrai et je saurai s\u2019il s\u2019\u00e9vadera de m\u00eame, \net si la terre f\u00e9conde le retiendra, elle qui dompte le brave.\nIl pensait ainsi, immobile. Et Lyka\u00f4n vint \u00e0 lui, tremblant et d\u00e9si -\nrant embrasser ses genoux, car il voulait \u00e9viter la mort mauvaise \net la k\u00e8r noire. Et le divin Akhilleus leva sa longue lance pour le \nfrapper ; mais Lyka\u00f4n saisit ses genoux en se courbant, et la lance, 562CHAnt 21\navide de mordre la chair, par-dessus son dos s\u2019enfon\u00e7a en terre. \nEt, tenant d\u2019une main la lance aigu\u00eb qu\u2019il ne l\u00e2chait point, et de \nl\u2019autre bras entourant les genoux d\u2019Akhilleus, il le supplia par ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 J\u2019embrasse tes genoux, Akhilleus ! honore-moi, aie piti\u00e9 de moi ! \nJe suis ton suppliant, \u00f4 race divine ! J\u2019ai go\u00fbt\u00e9 sous ton toit les \ndons de D\u00e8m\u00e8t\u00e8r, depuis le jour o\u00f9 tu m\u2019enlevas de nos beaux \nvergers pour me vendre, loin de mon p\u00e8re et de mes amis, dans la \nsainte Lemnos, o\u00f9 je te valu le prix de cent b\u0153ufs.\nEt je fus rachet\u00e9 pour trois fois autant. Voici le douzi\u00e8me jour, \napr\u00e8s tant de maux soufferts, que je suis rentr\u00e9 dans Ilios, et de \nnouveau la moire fatale me remet dans tes mains ! Je dois \u00eatre \nodieux au p\u00e8re Zeus, qui me livre \u00e0 toi de nouveau. Sans doute \nelle m\u2019a enfant\u00e9 pour peu de jours ma m\u00e8re Laotho\u00e8, fille du \nvieux Alteus qui commande aux belliqueux L\u00e9l\u00e9ges, et qui habite \nla haute P\u00e8dasos sur les bords du fleuve Satnio\u00efs. Et Priamos pos -\ns\u00e9da Laotho\u00e8 parmi toutes ses femmes, et elle eut deux fils, et \ntu les auras tu\u00e9s tous deux. En t\u00eate des hommes de pied tu as \ndompt\u00e9 Polyd\u00f4ros \u00e9gal \u00e0 un dieu, en le per\u00e7ant de ta lance aigu\u00eb. \nEt voici que le malheur est maintenant sur moi, car je n\u2019\u00e9viterai \npas tes mains, puisqu\u2019un dieu m\u2019y a jet\u00e9. Mais je te le dis, et que \nmes paroles soient dans ton esprit : ne me tue point, puisque je 563\nL \u2019ILIADEne suis pas le fr\u00e8re ut\u00e9rin de Hekt\u00f4r, qui a tu\u00e9 ton compagnon \ndoux et brave.\nEt l\u2019illustre fils de Priamos parla ainsi, suppliant ; mais il entendit \nune voix inexorable :\n\u2013 Insens\u00e9 ! ne parle plus jamais du prix de ton affranchissement. \nAvant le jour supr\u00eame de Patroklos, il me plaisait d\u2019\u00e9pargner les \ntroiens. J\u2019en ai pris un grand nombre vivants et je les ai vendus. \nMaintenant, aucun des t roiens qu\u2019un dieu me jettera dans les \nmains n\u2019\u00e9vitera la mort, surtout les fils de Priamos. Ami, meurs ! \nPourquoi g\u00e9mir en vain ? Patroklos est bien mort, qui valait beau -\ncoup mieux que toi. Regarde !\nJe suis beau et grand, je suis n\u00e9 d\u2019un noble p\u00e8re ; une d\u00e9esse m\u2019a \nenfant\u00e9 ; et cependant la mort et la moire violente me saisiront, le \nmatin, le soir ou \u00e0 midi, et quelqu\u2019un m\u2019arrachera l\u2019\u00e2me, soit d\u2019un \ncoup de lance, soit d\u2019une fl\u00e8che.\nIl parla ainsi, et les genoux et le c\u0153ur manqu\u00e8rent au Priamide. Et, \nl\u00e2chant la lance, il s\u2019assit, les mains \u00e9tendues. Et Akhilleus, tirant \nson \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb, le frappa au cou, pr\u00e8s de la clavicule, et l\u2019airain \nentra tout entier. Lyka\u00f4n tomba sur la face ; un sang noir jaillit et 564CHAnt 21\nruissela par terre. Et Akhilleus, le saisissant par les pieds, le jeta \ndans le fleuve, et il l\u2019insulta en paroles rapides :\n\u2013 Va ! reste avec les poissons, qui boiront tranquillement le sang de \nta blessure. t a m\u00e8re ne te d\u00e9posera point sur le lit fun\u00e8bre, mais \nle Skamandros tourbillonnant t\u2019emportera dans la vaste mer, et \nquelque poisson, sautant sur l\u2019eau, d\u00e9vorera la chair blanche de \nLyka\u00f4n dans la noire horreur de l\u2019ab\u00eeme. P\u00e9rissez tous, jusqu\u2019\u00e0 ce \nque nous renversions la sainte Ilios ! Fuyez, et moi je vous tuerai \nen vous poursuivant. Il ne vous sauvera point, le fleuve au beau \ncours, aux tourbillons d\u2019argent, \u00e0 qui vous sacrifiez tant de tau -\nreaux et tant de chevaux vivants que vous jetez dans ses tour -\nbillons ; mais vous p\u00e9rirez tous d\u2019une mort violente, jusqu\u2019\u00e0 ce \nque vous ayez expi\u00e9 le meurtre de Patroklos et le carnage des \nAkhaiens que vous avez tu\u00e9s, moi absent, aupr\u00e8s des nefs rapides.\nIl parla ainsi, et le fleuve irrit\u00e9 d\u00e9lib\u00e9rait dans son esprit comment \nil r\u00e9primerait la fureur du divin Akhilleus et repousserait cette \ncalamit\u00e9 loin des t roiens.\nEt le fils de P\u00e8leus, avec sa longue lance, sauta sur Ast\u00e9ropaios, fils \nde P\u00e8l\u00e9g\u00f4n, afin de le tuer. Et le large Axios engendra P\u00e8l\u00e9g\u00f4n, et \nil avait \u00e9t\u00e9 con\u00e7u par l\u2019a\u00een\u00e9e des filles d\u2019Akessam\u00e8nos, P\u00e9riboia, \nqui s\u2019\u00e9tait unie \u00e0 ce fleuve aux profonds tourbillons. Et Akhilleus 565\nL \u2019ILIADEcourait sur Ast\u00e9ropaios qui, hors du fleuve, l\u2019attendait, deux lances \naux mains ; car le Xanthos, irrit\u00e9 \u00e0 cause des jeunes hommes \nqu\u2019Akhilleus avait \u00e9gorg\u00e9s dans ses eaux, avait inspir\u00e9 la force \net le courage au P\u00e8l\u00e9gonide. Et quand ils se furent rencontr\u00e9s, le \ndivin P\u00e8l\u00e9ide aux pieds rapides lui parla ainsi :\n\u2013 Qui es-tu parmi les hommes, toi qui oses m\u2019attendre ? Ce sont \nles fils des malheureux qui s\u2019opposent \u00e0 mon courage.\nEt l\u2019illustre fils de P\u00e8l\u00e9g\u00f4n lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Magnanime P\u00e8l\u00e9ide, pourquoi demander quelle est ma race ? Je \nviens de la Paioni\u00e8 fertile et lointaine, et je commande les Paiones \naux longues lances. Il y a onze jours que je suis arriv\u00e9 dans Ilios. Je \ndescends du large fleuve Axios qui r\u00e9pand ses eaux limpides sur \nla terre, et qui engendra l\u2019illustre P\u00e8l\u00e9g\u00f4n ; et on dit que P\u00e8l\u00e9g\u00f4n \nest mon p\u00e8re. Maintenant, divin Akhilleus, combattons !\nIl parla ainsi, mena\u00e7ant. Et le divin Akhilleus leva la lance P\u00e8liade, \net le h\u00e9ros Ast\u00e9ropaios, de ses deux mains \u00e0 la fois, jeta ses deux \nlances ; et l\u2019une, frappant le bouclier, ne put le rompre, arr\u00eat\u00e9e \npar la lame d\u2019or, pr\u00e9sent d\u2019un dieu ; et l\u2019autre effleura le coude du \nbras droit. Le sang noir jaillit, et l\u2019arme, avide de mordre la chair, \ns\u2019enfon\u00e7a en terre. Alors Akhilleus lan\u00e7a sa pique rapide contre 566CHAnt 21\nAst\u00e9ropaios, voulant le tuer ; mais il le manqua, et la pique de \nfr\u00eane, en fr\u00e9missant, s\u2019enfon\u00e7a presque en entier dans le tertre du \nbord. Et le P\u00e8l\u00e9ide, tirant son \u00e9p\u00e9e aigu\u00eb, se jeta sur Ast\u00e9ropaios \nqui s\u2019effor\u00e7ait d\u2019arracher du rivage la lance d\u2019Akhilleus. Et, trois \nfois, il l\u2019\u00e9branla pour l\u2019arracher, et comme il allait, une quatri\u00e8me \nfois, tenter de rompre la lance de fr\u00eane de l\u2019Aiakide, celui-ci \nlui arracha l\u2019\u00e2me, l\u2019ayant frapp\u00e9 dans le ventre, au nombril. Et \ntoutes les entrailles s\u2019\u00e9chapp\u00e8rent de la plaie, et la nuit couvrit ses \nyeux. Et Akhilleus, se jetant sur lui, le d\u00e9pouilla de ses armes, et \ndit, triomphant :\n\u2013 Reste l\u00e0, couch\u00e9. Il n\u2019\u00e9tait pas ais\u00e9 pour toi de combattre les \nenfants du tout-puissant Kroni\u00f4n, bien que tu sois n\u00e9 d\u2019un fleuve \nau large cours, et moi je me glorifie d\u2019\u00eatre de la race du grand Zeus. \nP\u00e8leus Aiakide qui commande aux nombreux Myrmidones m\u2019a \nengendr\u00e9, et Zeus a engendr\u00e9 Aiakos. Autant Zeus est sup\u00e9rieur \naux fleuves qui se jettent imp\u00e9tueusement dans la mer, autant la \nrace de Zeus est sup\u00e9rieure \u00e0 celle des fleuves. Voici un grand \nfleuve aupr\u00e8s de toi ; qu\u2019il te sauve, s\u2019il peut. Mais il n\u2019est point per -\nmis de lutter contre Zeus Kroni\u00f4n.\nLe roi Akh\u00e9loios lui-m\u00eame ne se compare point \u00e0 Zeus, ni la \ngrande violence du profond Ok\u00e9anos d\u2019o\u00f9 sont issus toute la mer, \ntous les fleuves, toutes les fontaines et toutes les sources. Mais 567\nL \u2019ILIADElui-m\u00eame redoute la foudre du grand Zeus, l\u2019horrible tonnerre \nqui prolonge son retentissement dans l\u2019Ouranos.\nIl parla ainsi, et arrachant du rivage sa lance d\u2019airain, il le laissa \nmort sur le sable, et baign\u00e9 par l\u2019eau noire. Et les anguilles et les \npoissons l\u2019environnaient, mangeant la graisse de ses reins. Et \nAkhilleus se jeta sur les cavaliers Paiones qui s\u2019enfuirent le long \ndu fleuve tourbillonnant, quand ils virent leur brave chef, dans le \nrude combat, tu\u00e9 d\u2019un coup d\u2019\u00e9p\u00e9e par les mains d\u2019Akhilleus.\nEt il tua t hersilokos, et Myd\u00f4n, et Astypylos, et Mn\u00e8sos, et \nthrasios, et Ainios, et Orph\u00e9lest\u00e8s. Et le rapide Akhilleus e\u00fbt \ntu\u00e9 beaucoup d\u2019autres Paiones, si le fleuve aux profonds tour -\nbillons, irrit\u00e9, et semblable \u00e0 un homme, ne lui e\u00fbt dit du fond \nd\u2019un tourbillon :\n\u2013 \u00d4 Akhilleus, certes, tu es tr\u00e8s brave ; mais tu \u00e9gorges affreuse -\nment les hommes, et les dieux eux-m\u00eames te viennent en aide. Si \nle fils de Kronos te livre tous les t roiens pour que tu les d\u00e9truises, \ndu moins, les chassant hors de mon lit, tue-les dans la plaine. Mes \nbelles eaux sont pleines de cadavres, et je ne puis mener \u00e0 la mer \nmon cours divin entrav\u00e9 par les morts, et tu ne cesses de tuer.\nArr\u00eate, car l\u2019horreur me saisit, \u00f4 prince des peuples !568CHAnt 21\nEt Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Je ferai ce que tu veux, divin Skamandros ; mais je ne cesserai \npoint d\u2019\u00e9gorger les t roiens insolents avant de les avoir enferm\u00e9s \ndans leur ville, et d\u2019avoir trouv\u00e9 Hekt\u00f4r face \u00e0 face, afin qu\u2019il me \ntue, ou que je le tue.\nIl parla ainsi et se jeta comme un daim\u00f4n sur les t roiens. Et le \nfleuve aux profonds tourbillons dit \u00e0 Apoll\u00f4n :\n\u2013 H\u00e9las ! fils de Zeus, toi qui portes l\u2019arc d\u2019argent, tu n\u2019ob\u00e9is pas au \nKroni\u00f4n qui t\u2019avait command\u00e9 de venir en aide aux t roiens, et de \nles prot\u00e9ger jusqu\u2019au moment o\u00f9 le cr\u00e9puscule du soir couvrira \nde son ombre la terre f\u00e9conde.\nIl parla ainsi ; mais Akhilleus sauta du rivage au milieu de l\u2019eau, et \nle fleuve se gonfla en bouillonnant, et, furieux, il roula ses eaux \nboulevers\u00e9es, soulevant tous les cadavres dont il \u00e9tait plein, et \nqu\u2019avait faits Akhilleus, et les rejetant sur ses bords en mugissant \ncomme un taureau. Mais il sauvait ceux qui vivaient encore, en \nles cachant parmi ses belles eaux, dans ses tourbillons profonds.\nEt l\u2019eau tumultueuse et terrible montait autour d\u2019Akhilleus en \nheurtant son bouclier avec fureur, et il chancelait sur ses pieds.569\nL \u2019ILIADEEt, alors, il saisit des deux mains un grand orme qui, tombant d\u00e9ra -\ncin\u00e9, en d\u00e9chirant toute la berge, amassa ses branches \u00e9paisses en \ntravers du courant, et, couch\u00e9 tout entier, fit un pont sur le fleuve. \nEt Akhilleus, sautant de l\u00e0 hors du gouffre, s\u2019\u00e9lan\u00e7a, \u00e9pouvant\u00e9, \ndans la plaine. Mais le grand fleuve ne s\u2019arr\u00eata point, et il assom -\nbrit la cime de ses flots, afin d\u2019\u00e9loigner le divin Akhilleus du com -\nbat, et de reculer la chute d\u2019Ilios.\nEt le P\u00e8l\u00e9ide fuyait par bonds d\u2019un jet de lance, avec l\u2019imp\u00e9tuo -\nsit\u00e9 de l\u2019aigle noir, de l\u2019aigle chasseur, le plus fort et le plus rapide \ndes oiseaux. C\u2019est ainsi qu\u2019il fuyait. Et l\u2019airain retentissait horrible -\nment sur sa poitrine ; et il se d\u00e9robait en courant, mais le fleuve le \npoursuivait toujours \u00e0 grand bruit.\nQuand un fontainier a men\u00e9, d\u2019une source profonde, un cours \nd\u2019eau \u00e0 travers les plantations et les jardins, et qu\u2019il a \u00e9cart\u00e9 avec \nsa houe tous les obstacles \u00e0 l\u2019\u00e9coulement, les cailloux roulent avec \nle flot qui murmure, et court sur la pente, et devance le fontainier \nlui-m\u00eame. C\u2019est ainsi que le fleuve pressait toujours Akhilleus, \nmalgr\u00e9 sa rapidit\u00e9, car les dieux sont plus puissants que les \nhommes. Et toutes les fois que le divin et rapide Akhilleus tentait \nde s\u2019arr\u00eater, afin de voir si tous les immortels qui habitent le large \nOuranos voulaient l\u2019\u00e9pouvanter, autant de fois l\u2019eau du fleuve \ndivin se d\u00e9roulait par-dessus ses \u00e9paules. Et, triste dans son c\u0153ur, 570CHAnt 21\nil bondissait vers les hauteurs ; mais le Xanthos furieux heurtait \nobliquement ses genoux et d\u00e9robait le fond sous ses pieds.\nEt le P\u00e8l\u00e9ide hurla vers le large Ouranos :\n\u2013 P\u00e8re Zeus ! aucun des dieux ne veut-il me d\u00e9livrer de ce fleuve, \nmoi, mis\u00e9rable ! Je subirais ensuite ma destin\u00e9e. Certes, nul \nd\u2019entre les Ouraniens n\u2019est plus coupable que ma m\u00e8re bien-ai -\nm\u00e9e qui m\u2019a menti, disant que je devais p\u00e9rir par les fl\u00e8ches \nrapides d\u2019Apoll\u00f4n sous les murs des t roiens cuirass\u00e9s. Pl\u00fbt aux \ndieux que Hekt\u00f4r, le plus brave des hommes nourris ici, m\u2019e\u00fbt \ntu\u00e9 ! Un brave au moins e\u00fbt tu\u00e9 un brave. Et, maintenant, voici \nque ma destin\u00e9e est de subir une mort honteuse, \u00e9touff\u00e9 dans ce \ngrand fleuve, comme un petit porcher qu\u2019un torrent a noy\u00e9, tan -\ndis qu\u2019il le traversait par un mauvais temps !\nIl parla ainsi, et aussit\u00f4t Poseida\u00f4n et Ath\u00e8n\u00e8 s\u2019approch\u00e8rent de \nlui sous des formes humaines ; et, prenant sa main entre leurs \nmains, ils le rassur\u00e8rent. Et Poseida\u00f4n qui \u00e9branle la terre lui dit :\n\u2013 P\u00e8l\u00e9ide, rassure-toi, et cesse de craindre. n ous te venons en aide, \nAth\u00e8n\u00e8 et moi, et Zeus nous approuve. t a destin\u00e9e n\u2019est point \nde mourir dans ce fleuve, et tu le verras bient\u00f4t s\u2019apaiser. Mais \nnous te conseillerons sagement, si tu nous ob\u00e9is. n e cesse point 571\nL \u2019ILIADEd\u2019agir de tes mains dans la rude m\u00eal\u00e9e, que tu n\u2019aies renferm\u00e9 les \ntroiens dans les illustres murailles d\u2019Ilios, ceux du moins qui t\u2019au -\nront \u00e9chapp\u00e9. Puis, ayant arrach\u00e9 l\u2019\u00e2me de Hekt\u00f4r, retourne vers \nles nefs. n ous te r\u00e9servons une grande gloire.\nAyant ainsi parl\u00e9, ils rejoignirent les immortels. Et Akhilleus, \nexcit\u00e9 par les paroles des dieux, s\u2019\u00e9lan\u00e7a dans la plaine o\u00f9 l\u2019eau \nd\u00e9bordait de tous c\u00f4t\u00e9s, soulevant les belles armes des guerriers \nmorts, et les cadavres aussi. Et ses genoux le soutinrent contre le \ncourant imp\u00e9tueux, et le large fleuve ne put le retenir, car Ath\u00e8n\u00e8 \nlui avait donn\u00e9 une grande vigueur. Mais le Skamandros n\u2019apaisa \npoint sa fureur, et il s\u2019irrita plus encore contre le P\u00e8l\u00e9ide, et, sou -\nlevant toute son onde, il appela le Simo\u00efs \u00e0 grands cris :\n\u2013 Cher fr\u00e8re, brisons tous deux la vigueur de cet homme qui ren -\nversera bient\u00f4t la grande ville du roi Priamos, car les t roiens ne \ncombattent plus. Viens tr\u00e8s promptement \u00e0 mon aide. Emplis-toi \nde toute l\u2019eau des sources, enfle tous les torrents, et hausse une \ngrande houle pleine de bruit, de troncs d\u2019arbres et de rochers, afin \nque nous arr\u00eations cet homme f\u00e9roce qui triomphe, et ose tout \nce qu\u2019osent les dieux. Je jure ceci : \u00e0 quoi lui serviront sa force, sa \nbeaut\u00e9 et ses belles armes, quand tout cela sera couch\u00e9 au fond de \nmon lit, sous la boue ? Et, lui-m\u00eame, je l\u2019envelopperai de sables et \nde limons, et les Akhaiens ne pourront recueillir ses os, tant je les 572CHAnt 21\nenfouirai sous la boue. Et la boue sera son s\u00e9pulcre, et quand les \nAkhaiens voudront l\u2019ensevelir, il n\u2019aura plus besoin de tombeau !\nIl parla ainsi, et sur Akhilleus il se rua tout bouillonnant de fureur, \nplein de bruit, d\u2019\u00e9cume, de sang et de cadavres.\nEt l\u2019onde pourpr\u00e9e du fleuve tomb\u00e9 de Zeus se dressa, saisissant \nle P\u00e8l\u00e9ide. Et, alors, H\u00e8r\u00e8 poussa un cri, craignant que le grand \nfleuve tourbillonnant englout\u00eet Akhilleus, et elle dit aussit\u00f4t \u00e0 son \nfils bien-aim\u00e9 H\u00e8phaistos\nVa, H\u00e8phaistos, mon fils ! combats le Xanthos tourbillonnant que \nnous t\u2019avons donn\u00e9 pour adversaire. Va ! allume promptement \ntes flammes innombrables. Moi, j\u2019exciterai, du sein de la mer, la \nviolence de Z\u00e9phyros et du temp\u00e9tueux n otos, afin que l\u2019incen -\ndie d\u00e9vore les t\u00eates et les armes des t roiens. Et toi, br\u00fble tous les \narbres sur les rives du Xanthos, embrase-le lui-m\u00eame, et n\u2019\u00e9coute \nni ses flatteries, ni ses menaces ; mais d\u00e9ploie toute ta violence, \njusqu\u2019\u00e0 ce que je t\u2019avertisse ; et, alors, \u00e9teins l\u2019incendie infatigable.\nElle parla ainsi, et H\u00e8phaistos alluma le vaste feu qui, d\u2019abord, \nconsuma dans la plaine les nombreux cadavres qu\u2019avait faits \nAkhilleus. Et toute la plaine fut dess\u00e9ch\u00e9e, et l\u2019eau divine fut r\u00e9pri -\nm\u00e9e. De m\u00eame que Bor\u00e9as, aux jours d\u2019automne, s\u00e8che les jardins 573\nL \u2019ILIADEr\u00e9cemment arros\u00e9s et r\u00e9jouit le jardinier, de m\u00eame le feu des -\ns\u00e9cha la plaine et br\u00fbla les cadavres. Puis, H\u00e8phaistos tourna \ncontre le fleuve sa flamme resplendissante ; et les ormes br\u00fb -\nlaient, et les saules, et les tamaris ; et le lotos br\u00fblait, et le gla\u00efeul, \net le cypr\u00e8s, qui abondaient tous autour du fleuve aux belles eaux. \nEt les anguilles et les poissons nageaient \u00e7\u00e0 et l\u00e0, ou plongeaient \ndans les tourbillons, poursuivis par le souffle du sage H\u00e8phaistos.\nEt la force m\u00eame du fleuve fut consum\u00e9e, et il cria ainsi :\n\u2013 H\u00e8phaistos ! aucun des dieux ne peut lutter contre toi. Je ne com -\nbattrai point tes feux br\u00fblants. Cesse donc. Le divin Akhilleus \npeut chasser tous les troiens de leur ville. Pourquoi les secourir \net que me fait leur querelle ?\nIl parla ainsi, br\u00fblant, et ses eaux limpides bouillonnaient. De \nm\u00eame qu\u2019un vase bout sur un grand feu qui fond la graisse d\u2019un \nsanglier gras, tandis que la flamme du bois sec l\u2019enveloppe ; de \nm\u00eame le beau cours du Xanthos br\u00fblait, et l\u2019eau bouillonnait, \nne pouvant plus couler dans son lit, tant le souffle ardent du 574CHAnt 21\nsage H\u00e8phaistos la d\u00e9vorait. Alors, le Xanthos implora H\u00e8r\u00e8 en \nparoles rapides :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8 ! pourquoi ton fils me tourmente-t-il ainsi ? Je ne suis \npoint, certes, aussi coupable que les autres dieux qui secourent les \ntroiens. Je m\u2019arr\u00eaterai moi-m\u00eame, si tu ordonnes \u00e0 ton fils de ces -\nser. Et je jure aussi de ne plus retarder le dernier jour des t roiens, \nquand m\u00eame t roi\u00e8 p\u00e9rirait par le feu, quand m\u00eame les fils belli -\nqueux des Akhaiens la consumeraient tout enti\u00e8re !\nEt la d\u00e9esse H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs, l\u2019ayant entendu, dit aussit\u00f4t \u00e0 \nson fils bien-aim\u00e9 H\u00e8phaistos :\n\u2013 H\u00e8phaistos, arr\u00eate, mon illustre fils ! Il ne convient pas qu\u2019un \ndieu soit tourment\u00e9 \u00e0 cause d\u2019un homme.\nElle parla ainsi, et H\u00e8phaistos \u00e9teignit le vaste incendie et l\u2019eau \nreprit son beau cours ; et la force du Xanthos \u00e9tant dompt\u00e9e, ils \ncess\u00e8rent le combat ; et, bien qu\u2019irrit\u00e9e, H\u00e8r\u00e8 les apaisa tous deux.\nMais, alors, une querelle terrible s\u2019\u00e9leva parmi les autres dieux, \net leur esprit leur inspira des pens\u00e9es ennemies. Et ils coururent \nles uns sur les autres ; et la terre large rendit un son immense ; et, \nau-dessus, le grand Ouranos retentit. Et Zeus, assis sur l\u2019Olympos, 575\nL \u2019ILIADEse mit \u00e0 rire ; et la joie emplit son c\u0153ur quand il vit la dissension \ndes dieux. Et ils ne retard\u00e8rent point le combat. Ar\u00e8s, qui rompt \nles boucliers, attaqua, le premier, Ath\u00e8n\u00e8. Et il lui dit cette parole \noutrageante, en brandissant sa lance d\u2019airain :\n\u2013 Mouche \u00e0 chien ! pourquoi pousses-tu les dieux au combat ? tu \nas une audace insatiable et un esprit toujours violent. n e te sou -\nvient-il plus que tu as excit\u00e9 le t yd\u00e9ide Diom\u00e8d\u00e8s contre moi, et \nque tu as conduit sa lance et d\u00e9chir\u00e9 mon beau corps ? Je pense \nque tu vas expier tous les maux que tu m\u2019as caus\u00e9s.\nIl parla ainsi, et il frappa l\u2019horrible aigide \u00e0 franges d\u2019or qui ne \ncraint m\u00eame point la foudre de Zeus. C\u2019est l\u00e0 que le sanglant \nAr\u00e8s frappa de sa longue lance la d\u00e9esse. Et celle-ci, reculant, sai -\nsit, de sa main puissante, un rocher noir, \u00e2pre, immense, qui gisait \ndans la plaine, et dont les anciens hommes avaient fait la borne \nd\u2019un champ.\nElle en frappa le terrible Ar\u00e8s \u00e0 la gorge et rompit ses forces. Et il \ntomba, couvrant de son corps sept arpents ; et ses cheveux furent \nsouill\u00e9s de poussi\u00e8re, et ses armes retentirent sur lui. Et Pallas \nAth\u00e8n\u00e8 rit et l\u2019insulta orgueilleusement en paroles ail\u00e9es :576CHAnt 21\nInsens\u00e9, qui luttes contre moi, ne sais-tu pas que je me glori -\nfie d\u2019\u00eatre beaucoup plus puissante que toi ? C\u2019est ainsi que les \n\u00c9rinnyes vengent ta m\u00e8re qui te punit, dans sa col\u00e8re, d\u2019avoir \nabandonn\u00e9 les Akhaiens pour secourir les t roiens insolents.\nAyant ainsi parl\u00e9, elle d\u00e9tourna ses yeux splendides. Et voici \nqu\u2019Aphrodit\u00e8, la fille de Zeus, conduisait par la main, hors de la \nm\u00eal\u00e9e, Ar\u00e8s respirant \u00e0 peine et recueillant ses esprits. Et la d\u00e9esse \nH\u00e8r\u00e8 aux bras blancs, l\u2019ayant vue, dit \u00e0 Ath\u00e8n\u00e8 ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ath\u00e8n\u00e8, fille de Zeus temp\u00e9tueux, vois-tu cette mouche \u00e0 chien qui \nemm\u00e8ne, hors de la m\u00eal\u00e9e, Ar\u00e8s, le fl\u00e9au des vivants ? Poursuis-la.\nElle parla ainsi, et Ath\u00e8n\u00e8, pleine de joie, se jeta sur Aphrodit\u00e8, \net, la frappant de sa forte main sur la poitrine, elle fit fl\u00e9chir ses \ngenoux et son c\u0153ur.\nAr\u00e8s et Aphrodit\u00e8 rest\u00e8rent ainsi, \u00e9tendus tous deux sur la terre \nf\u00e9conde ; et Ath\u00e8n\u00e8 les insulta par ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Que ne sont-ils ainsi, tous les alli\u00e9s des t roiens qui combattent \nles Akhaiens cuirass\u00e9s ! Que n\u2019ont-ils tous l\u2019audace d\u2019Aphrodit\u00e8 \nqui, bravant ma force, a secouru Ar\u00e8s ! Bient\u00f4t nous cesserions de \ncombattre, apr\u00e8s avoir saccag\u00e9 la haute citadelle d\u2019Ilios.577\nL \u2019ILIADEElle parla ainsi, et la d\u00e9esse H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs rit. Et le puissant \nqui \u00e9branle la terre dit \u00e0 Apoll\u00f4n :\n\u2013 Phoibos, pourquoi restons-nous \u00e9loign\u00e9s l\u2019un de l\u2019autre ? Il ne \nconvient point, quand les autres dieux sont aux mains, que nous \nretournions, sans combat, dans l\u2019Ouranos, dans la demeure d\u2019ai -\nrain de Zeus. Commence, car tu es le plus jeune, et il serait hon -\nteux \u00e0 moi de t\u2019attaquer, puisque je suis l\u2019a\u00een\u00e9 et que je sais plus \nde choses. Insens\u00e9 ! as-tu donc un c\u0153ur tellement oublieux, et ne \nte souvient-il plus des maux que nous avons subis \u00e0 Ilios, quand, \nseuls d\u2019entre les dieux, exil\u00e9s par Zeus, il fallut servir l\u2019insolent \nLaom\u00e9d\u00f4n pendant une ann\u00e9e ? Une r\u00e9compense nous fut pro -\nmise, et il nous commandait. Et j\u2019entourai d\u2019une haute et belle \nmuraille la ville des t roiens, afin qu\u2019elle f\u00fbt inexpugnable ; et \ntoi, Phoibos, tu menais pa\u00eetre, sur les nombreuses cimes de l\u2019Ida \ncouvert de for\u00eats, les b\u0153ufs aux pieds tors et aux cornes recour -\nb\u00e9es. Mais quand les Heures charmantes amen\u00e8rent le jour de la \nr\u00e9compense, le parjure Laom\u00e9d\u00f4n nous la refusa, nous chassant \navec outrage. M\u00eame, il te mena\u00e7a de te lier les mains et les pieds, \net de te vendre dans les \u00eeles lointaines. Et il jura aussi de nous cou -\nper les oreilles avec l\u2019airain.\nEt nous part\u00eemes, irrit\u00e9s dans l\u2019\u00e2me, \u00e0 cause de la r\u00e9compense \npromise qu\u2019il nous refusait. Est-ce de cela que tu es reconnaissant 578CHAnt 21\n\u00e0 son peuple ? Et ne devrais-tu pas te joindre \u00e0 nous pour exter -\nminer ces t roiens parjures, eux, leurs enfants et leurs femmes ?\nEt le royal archer Apoll\u00f4n lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Poseida\u00f4n qui \u00e9branles la terre, tu me nommerais insens\u00e9, si \nje combattais contre toi pour les hommes mis\u00e9rables qui ver -\ndissent un jour semblables aux feuilles, et qui mangent les fruits \nde la terre, et qui se fl\u00e9trissent et meurent bient\u00f4t. n e combattons \npoint, et laissons-les lutter entre eux.\nIl parla ainsi et s\u2019\u00e9loigna, ne voulant point, par respect, combattre \nle fr\u00e8re de son p\u00e8re. Et la v\u00e9n\u00e9rable Art\u00e9mis, sa s\u0153ur, chasseresse \nde b\u00eates fauves, lui adressa ces paroles injurieuses :\n\u2013 tu fuis, \u00f4 archer ! et tu laisses la victoire \u00e0 Poseida\u00f4n ? L\u00e2che, \npourquoi portes-tu un arc inutile ? Je ne t\u2019entendrai plus d\u00e9sor -\nmais, dans les demeures paternelles, te vanter comme aupara -\nvant, au milieu des dieux immortels, de combattre Poseida\u00f4n \u00e0 \nforces \u00e9gales !579\nL \u2019ILIADEElle parla ainsi, et l\u2019archer Apoll\u00f4n ne lui r\u00e9pondit pas ; mais la \nv\u00e9n\u00e9rable \u00e9pouse de Zeus, pleine de col\u00e8re, insulta de ces paroles \ninjurieuses Art\u00e9mis qui se r\u00e9jouit de ses fl\u00e8ches :\n\u2013 Chienne hargneuse, comment oses-tu me tenir t\u00eate ? Il te sera \ndifficile de me r\u00e9sister, bien que tu lances des fl\u00e8ches et que tu \nsois comme une lionne pour les femmes que Zeus te permet de \ntuer \u00e0 ton gr\u00e9. Il est plus ais\u00e9 de percer, sur les montagnes, les \nb\u00eates fauves et les biches sauvages que de lutter contre plus puis -\nsant que soi. Mais si tu veux tenter le combat, viens ! et tu sauras \ncombien ma force est sup\u00e9rieure \u00e0 la tienne, bien que tu oses me \ntenir t\u00eate !\nElle parla ainsi, et saisissant d\u2019une main les deux mains d\u2019Art\u00e9 -\nmis, de l\u2019autre elle lui arracha le carquois des \u00e9paules, et elle l\u2019en \nsouffleta en riant. Et comme Art\u00e9mis s\u2019agitait \u00e7\u00e0 et l\u00e0, les fl\u00e8ches \nrapides se r\u00e9pandirent de tous c\u00f4t\u00e9s. Et Art\u00e9mis s\u2019envola, pleu -\nrante, comme une colombe qui, loin d\u2019un \u00e9pervier, se r\u00e9fugie sous \nune roche creuse, car sa destin\u00e9e n\u2019est point de p\u00e9rir. Ainsi, pleu -\nrante, elle s\u2019enfuit, abandonnant son arc.580CHAnt 21\nAlors, le messager, tueur d\u2019Argos, dit \u00e0 L\u00e8t\u00f4 :\n\u2013 L\u00e8t\u00f4, je ne combattrai point contre toi. Il est dangereux d\u2019en \nvenir aux mains avec les \u00e9pouses de Zeus qui amasse les nu\u00e9es. \nH\u00e2te-toi, et va te vanter parmi les dieux immortels de m\u2019avoir \ndompt\u00e9 par ta force.\nIl parla ainsi ; et L\u00e8t\u00f4, ramassant l\u2019arc et les fl\u00e8ches \u00e9parses dans \nla poussi\u00e8re, et les emportant, suivit sa fille. Et celle-ci parvint \u00e0 \nl\u2019Olympos, \u00e0 la demeure d\u2019airain de Zeus.\nEt, pleurante, elle s\u2019assit sur les genoux de son p\u00e8re, et son p\u00e9plos \nambroisien fr\u00e9missait. Et le p\u00e8re Kronide lui demanda, en sou -\nriant doucement :\n\u2013 Ch\u00e8re fille, qui d\u2019entre les dieux t\u2019a maltrait\u00e9e ainsi t\u00e9m\u00e9raire -\nment, comme si tu avais commis une faute devant tous ?\nEt Art\u00e9mis \u00e0 la belle couronne lui r\u00e9pondit :\n\u2013 P\u00e8re, c\u2019est ton \u00e9pouse, H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs, qui m\u2019a frapp\u00e9e, elle \nqui r\u00e9pand sans cesse la dissension parmi les immortels.581\nL \u2019ILIADEEt tandis qu\u2019ils se parlaient ainsi, Phoibos Apoll\u00f4n descendit dans \nla sainte Ilios, car il craignait que les Danaens ne renversassent \nses hautes murailles avant le jour fatal. Et les autres dieux \u00e9ternels \nretourn\u00e8rent dans l\u2019Olympos, les uns irrit\u00e9s et les autres triom -\nphants ; et ils s\u2019assirent aupr\u00e8s du p\u00e8re qui amasse les nu\u00e9es.\nMais Akhilleus bouleversait les t roiens et leurs chevaux aux \nsabots massifs. De m\u00eame que la fum\u00e9e monte d\u2019une ville qui \nbr\u00fble, jusque dans le large Ouranos ; car la col\u00e8re des dieux est \nsur elle et accable de maux tous ses habitants ; de m\u00eame Akhilleus \naccablait les t roiens.\nEt le vieux Priamos, debout sur une haute tour, reconnut le f\u00e9roce \nAkhilleus bouleversant et chassant devant lui les phalanges \ntroiennes qui ne lui r\u00e9sistaient plus.\nEt il descendit de la tour en se lamentant, et il dit aux gardes \nillustres des portes :\n\u2013 tenez les portes ouvertes, tant que les peuples mis en fuite \naccourront vers la ville. Certes, voici qu\u2019Akhilleus les a boulever -\ns\u00e9s et qu\u2019il approche ; mais d\u00e8s que les phalanges respireront der -\nri\u00e8re les murailles, refermez les battants massifs, car je crains que \ncet homme d\u00e9sastreux se rue dans nos murs.582CHAnt 21\nIl parla ainsi, et ils ouvrirent les portes en retirant les barri\u00e8res, et \nils offrirent le salut aux phalanges. Et Apoll\u00f4n s\u2019\u00e9lan\u00e7a au-devant \ndes t roiens pour les secourir. Et ceux-ci, vers les hautes murailles \net la ville, d\u00e9vor\u00e9s de soif et couverts de poussi\u00e8re, fuyaient. Et, \nfurieux, Akhilleus les poursuivait de sa lance, le c\u0153ur toujours \nplein de rage et du d\u00e9sir de la gloire.\nAlors, sans doute, les fils des Akhaiens eussent pris t roi\u00e8 aux \nportes \u00e9lev\u00e9es, si Phoibos Apoll\u00f4n n\u2019e\u00fbt excit\u00e9 le divin Ag\u00e8n\u00f4r, \nbrave et irr\u00e9prochable fils d\u2019Ant\u00e8n\u00f4r. Et il lui versa l\u2019audace dans \nle c\u0153ur, et pour le sauver des lourdes mains de la mort, il se tint \naupr\u00e8s, appuy\u00e9 contre un h\u00eatre et envelopp\u00e9 d\u2019un \u00e9pais brouillard.\nMais d\u00e8s qu\u2019Ag\u00e8n\u00f4r eut reconnu le destructeur de citadelles \nAkhilleus, il s\u2019arr\u00eata, roulant mille pens\u00e9es dans son esprit, et il se \ndit dans son brave c\u0153ur, en g\u00e9missant :\n\u2013 H\u00e9las ! fuirai-je devant le brave Akhilleus, comme tous ceux-ci \ndans leur \u00e9pouvante ? Il me saisira et me tuera comme un l\u00e2che \nque je serai. Mais si, les laissant se disperser devant le P\u00e8l\u00e9ide \nAkhilleus, je fuyais \u00e0 travers la plaine d\u2019Ilios jusqu\u2019aux cimes de \nl\u2019Ida, je m\u2019y cacherais au milieu des taillis \u00e9pais ; et, le soir, apr\u00e8s \navoir lav\u00e9 mes sueurs au fleuve, je reviendrais \u00e0 Ilios. Mais pour -\nquoi mon esprit d\u00e9lib\u00e8re-t-il ainsi ? Il me verra quand je fuirai \u00e0 583\nL \u2019ILIADEtravers la plaine, et, me poursuivant de ses pieds rapides, il me \nsaisira. Et alors je n\u2019\u00e9viterai plus la mort et les k\u00e8res, car il est bien \nplus fort que tous les autres hommes. Pourquoi n\u2019irais-je pas \u00e0 sa \nrencontre devant la ville ? Sans doute son corps est vuln\u00e9rable \u00e0 \nl\u2019airain aigu, quoique le Kronide Zeus lui donne la victoire.\nAyant ainsi parl\u00e9, et son brave c\u0153ur l\u2019excitant \u00e0 combattre, il \nattendit Akhilleus. De m\u00eame qu\u2019une panth\u00e8re qui, du fond d\u2019une \n\u00e9paisse for\u00eat, bondit, au-devant du chasseur, et que les aboie -\nments des chiens ne troublent ni n\u2019\u00e9pouvantent ; et qui, bles -\ns\u00e9e d\u2019un trait ou de l\u2019\u00e9p\u00e9e, ou m\u00eame perc\u00e9e de la lance, ne recule \npoint avant qu\u2019elle ait d\u00e9chir\u00e9 son ennemi ou qu\u2019il l\u2019ait tu\u00e9e ; de \nm\u00eame le fils de l\u2019illustre Ant\u00e8n\u00f4r, le divin Ag\u00e8n\u00f4r, ne voulait point \nreculer avant de combattre Akhilleus. Et, tendant son bouclier \ndevant lui, et brandissant sa lance, il s\u2019\u00e9cria :\n\u2013 Certes, tu as esp\u00e9r\u00e9 trop t\u00f4t, illustre Akhilleus, que tu renverse -\nrais aujourd\u2019hui la ville des braves t roiens. Insens\u00e9 ! tu subiras \nencore bien des maux pour cela.\nnous sommes, dans Ilios, un grand nombre d\u2019hommes courageux \nqui saurons d\u00e9fendre nos parents bien-aim\u00e9s, nos femmes et nos \nenfants ; et c\u2019est ici que tu subiras ta destin\u00e9e, bien que tu sois un \nguerrier terrible et plein d\u2019audace.584CHAnt 21\nIl parla ainsi, et lan\u00e7a sa pique aigu\u00eb d\u2019une main vigoureuse. \nEt il frappa la jambe d\u2019Akhilleus, au-dessous du genou. Et l\u2019ai -\nrain r\u00e9sonna contre l\u2019\u00e9tain r\u00e9cemment forg\u00e9 de la kn\u00e8mide qui \nrepoussa le coup, car elle \u00e9tait le pr\u00e9sent d\u2019un dieu. Et le P\u00e8l\u00e9ide \nse jeta sur le divin Ag\u00e8n\u00f4r. Mais Apoll\u00f4n lui refusa la victoire, car \nil lui enleva l\u2019Ant\u00e9noride en le couvrant d\u2019un brouillard \u00e9pais, et \nil le retira sain et sauf du combat. Puis il d\u00e9tourna par une ruse le \nP\u00e8l\u00e9ide des t roiens, en se tenant devant lui, sous la forme d\u2019Ag\u00e8 -\nn\u00f4r. Et il le fuyait, se laissant poursuivre \u00e0 travers la plaine fertile \net le long du Skamandros tourbillonnant, et le devan\u00e7ant \u00e0 peine \npour l\u2019\u00e9garer. Et, pendant ce temps, les t roiens \u00e9pouvant\u00e9s ren -\ntraient en foule dans Ilios qui s\u2019en emplissait. Et ils ne s\u2019arr\u00eataient \npoint hors de la ville et des murs, pour savoir qui avait p\u00e9ri ou qui \nfuyait ; mais ils s\u2019engloutissaient ardemment dans Ilios, tous ceux \nque leurs pieds et leurs genoux avaient sauv\u00e9s.585\nL \u2019ILIADEChant 22\nAinsi les t roiens, chass\u00e9s comme des faons, rentraient dans la ville. \nEt ils s\u00e9chaient leur sueur, et ils buvaient, apaisant leur soif. Et les \nAkhaiens approchaient des murs, en lignes serr\u00e9es et le bouclier \naux \u00e9paules. Mais la moire fatale fit que Hekt\u00f4r resta devant Ilios \net les portes Skaies. Et Phoibos Apoll\u00f4n dit au P\u00e8l\u00e9ide :\n\u2013 P\u00e8l\u00e9ide aux pieds rapides, toi qui n\u2019es qu\u2019un mortel, pourquoi \npoursuis-tu un dieu immortel ? ne vois-tu pas que je suis un \ndieu ? Mais ta fureur n\u2019a point de fin. n e songes-tu donc plus aux \ntroiens que tu poursuivais, et qui se sont enferm\u00e9s dans leur ville, \ntandis que tu t\u2019\u00e9cartais de ce c\u00f4t\u00e9 ? Cependant tu ne me tueras \npoint, car je ne suis pas mortel.\nEt Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit, plein de col\u00e8re :\n\u2013 \u00d4 Apoll\u00f4n, le plus funeste de tous les dieux, tu m\u2019as aveugl\u00e9 \nen m\u2019\u00e9cartant des murailles ! Sans doute, de nombreux t roiens \nauraient encore mordu la terre avant de rentrer dans Ilios, et \ntu m\u2019as enlev\u00e9 une grande gloire. t u les as sauv\u00e9s ais\u00e9ment, ne 586CHAnt 22\nredoutant point ma vengeance. Mais, certes, je me vengerais de \ntoi, si je le pouvais !\nAyant ainsi parl\u00e9, il s\u2019\u00e9lan\u00e7a vers la ville, en m\u00e9ditant de grandes \nactions, tel qu\u2019un cheval victorieux qui emporte ais\u00e9ment un \nchar dans la plaine. Ainsi Akhilleus agitait rapidement ses pieds \net ses genoux.\nEt le vieux Priamos l\u2019aper\u00e7ut le premier, se ruant \u00e0 travers la \nplaine, et resplendissant comme l\u2019\u00e9toile caniculaire dont les \nrayons \u00e9clatent parmi les astres innombrables de la nuit, et qu\u2019on \nnomme le chien d\u2019Ori\u00f4n. Et c\u2019est la plus \u00e9clatante des \u00e9toiles, mais \nc\u2019est aussi un signe funeste qui pr\u00e9sage une fi\u00e8vre ardente aux \nmis\u00e9rables hommes mortels. Et l\u2019airain resplendissait ainsi autour \nde la poitrine d\u2019Akhilleus qui accourait.\nEt le vieillard se lamentait en se frappant la t\u00eate, et il levait ses \nmains, et il pleurait, poussant des cris et suppliant son fils bien-\naim\u00e9. Et celui-ci \u00e9tait debout devant les portes, plein du d\u00e9sir de \ncombattre Akhilleus. Et le vieillard, les mains \u00e9tendues, lui dit \nd\u2019une voix lamentable :\n\u2013 Hekt\u00f4r, mon fils bien-aim\u00e9, n\u2019attends point cet homme, \u00e9tant \nseul et loin des tiens, de peur que, tu\u00e9 par le P\u00e8l\u00e9i\u00f4n, tu ne subisses 587\nL \u2019ILIADEta destin\u00e9e, car il est bien plus fort que toi. Ah ! le mis\u00e9rable, \nque n\u2019est-il aussi cher aux dieux qu\u2019\u00e0 moi ! Bient\u00f4t les chiens et \nles oiseaux le d\u00e9voreraient \u00e9tendu contre terre, et ma douleur \naffreuse serait apais\u00e9e. De combien de braves enfants ne m\u2019a-t-il \npoint priv\u00e9, en les tuant, ou en les vendant aux \u00eeles lointaines ! \nEt je ne vois point, au milieu des troiens rentr\u00e9s dans Ilios, mes \ndeux fils Lyka\u00f4n et Polyd\u00f4ros, qu\u2019a enfant\u00e9s Laotho\u00e8, la plus \nnoble des femmes. S\u2019ils sont vivants sous les tentes, certes, nous \nles rach\u00e8terons avec de l\u2019or et de l\u2019airain, car j\u2019en ai beaucoup, et \nle vieux et illustre Alt\u00e8s en a beaucoup donn\u00e9 \u00e0 sa fille ; mais s\u2019ils \nsont morts, leur m\u00e8re et moi qui les avons engendr\u00e9s, nous les \npleurerons jusque dans les demeures d\u2019Aid\u00e8s !\nMais la douleur de nos peuples sera bien moindre si tu n\u2019es pas \ndompt\u00e9 par Akhilleus. Mon fils, rentre \u00e0 la h\u00e2te dans nos murs, \npour le salut des t roiens et des t roiennes. n e donne pas une \ntelle gloire au P\u00e8l\u00e9ide, et ne te prive pas de la douce vie. Aie piti\u00e9 \nde moi, malheureux, qui vis encore, et \u00e0 qui le p\u00e8re Zeus r\u00e9serve \nune affreuse destin\u00e9e aux limites de la vieillesse, ayant vu tous les \nmaux m\u2019accabler : mes fils tu\u00e9s, mes filles enlev\u00e9es, mes foyers \nrenvers\u00e9s, mes petits-enfants \u00e9cras\u00e9s contre terre et les femmes \nde mes fils entra\u00een\u00e9es par les mains inexorables des Akhaiens ! \nEt moi-m\u00eame, le dernier, les chiens mangeurs de chair crue me \nd\u00e9chireront sous mes portiques, apr\u00e8s que j\u2019aurai \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 de 588CHAnt 22\nl\u2019airain, ou qu\u2019une lance m\u2019aura arrach\u00e9 l\u2019\u00e2me. Et ces chiens, gar -\ndiens de mon seuil et nourris de ma table dans mes demeures, \nfurieux, et ayant bu tout mon sang, se coucheront sous mes por -\ntiques ! On peut regarder un jeune homme perc\u00e9 de l\u2019airain aigu \net couch\u00e9 mort dans la m\u00eal\u00e9e, car il est toujours beau, bien qu\u2019il \nsoit nu ; mais une barbe blanche et les choses de la pudeur d\u00e9chi -\nr\u00e9es par les chiens, c\u2019est la plus mis\u00e9rable des destin\u00e9es pour les \nmis\u00e9rables mortels !\nLe vieillard parla ainsi, et il arrachait ses cheveux blancs ; mais il \nne fl\u00e9chissait point l\u2019\u00e2me de Hekt\u00f4r. Et voici que sa m\u00e8re g\u00e9mis -\nsait et pleurait, et que, d\u00e9couvrant son sein et soulevant d\u2019une \nmain sa mamelle, elle dit ces paroles lamentables :\n\u2013 Hekt\u00f4r, mon fils, respecte ce sein et prends piti\u00e9 de moi !\nSi jamais je t\u2019ai donn\u00e9 cette mamelle qui apaisait tes vagissements \nd\u2019enfant, souviens-t\u2019en, mon cher fils ! Fuis cet homme, rentre \ndans nos murs, ne t\u2019arr\u00eate point pour le combattre. Car s\u2019il te tuait, \nni moi qui t\u2019ai enfant\u00e9, ni ta femme richement dot\u00e9e, nous ne te \npleurerons sur ton lit fun\u00e8bre ; mais, loin de nous, aupr\u00e8s des nefs \ndes Argiens, les chiens rapides te mangeront !589\nL \u2019ILIADEEt ils g\u00e9missaient ainsi, conjurant leur fils bien-aim\u00e9 mais ils \nne fl\u00e9chissaient point l\u2019\u00e2me de Hekt\u00f4r, qui attendait le grand \nAkhilleus. De m\u00eame qu\u2019un dragon montagnard nourri d\u2019herbes \nv\u00e9n\u00e9neuses, et plein de rage, se tord devant son repaire avec des \nyeux horribles, en attendant un homme qui approche ; de m\u00eame \nHekt\u00f4r, plein d\u2019un ferme courage, ne reculait point. Et, le bouclier \nappuy\u00e9 contre le relief de la tour, il se disait dans son c\u0153ur :\n\u2013 Malheur \u00e0 moi si je rentre dans les murailles ! Polydamas m\u2019ac -\ncablera de reproches, lui qui me conseillait de ramener les t roiens \ndans la ville, cette nuit fatale o\u00f9 le divin Akhilleus s\u2019est lev\u00e9. Je \nne l\u2019ai point \u00e9cout\u00e9, et, certes, son conseil \u00e9tait le meilleur. Et \nvoici que j\u2019ai perdu mon peuple par ma folie. Je crains mainte -\nnant les t roiens et les t roiennes aux longs p\u00e9plos. Le plus l\u00e2che \npourra dire : \u2013 Hekt\u00f4r, trop confiant dans ses forces, a perdu son \npeuple ! \u2019Ils parleront ainsi. Mieux vaut ne rentrer qu\u2019apr\u00e8s avoir \ntu\u00e9 Akhilleus, ou bien mourir glorieusement pour Ilios. Si, d\u00e9po -\nsant mon bouclier bomb\u00e9 et mon casque solide, et appuyant ma \nlance au mur, j\u2019allais au-devant du brave Akhilleus ?\nSi je lui promettais de rendre aux Atr\u00e9ides H\u00e9l\u00e9n\u00e8 et toutes les \nrichesses qu\u2019Alexandros a port\u00e9es \u00e0 t roi\u00e8 sur ses nefs creuses ? \nCar c\u2019est l\u00e0 l\u2019origine de nos querelles. Si j\u2019offrais aux Akhaiens de \npartager tout ce que la ville renferme, ayant fait jurer par serment 590CHAnt 22\naux t roiens de ne rien cacher et de partager tous les tr\u00e9sors que \ncontient la riche Ilios ? Mais \u00e0 quoi songe mon esprit ? Je ne sup -\nplierai point Akhilleus, car il n\u2019aurait ni respect ni piti\u00e9 pour moi, \net, d\u00e9sarm\u00e9 que je serais, il me tuerait comme une femme. n on ! \nIl ne s\u2019agit point maintenant de causer du ch\u00eane ou du rocher \ncomme le jeune homme et la jeune fille qui parlent entre eux ; \nmais or il s\u2019agit de combattre et de voir \u00e0 qui l\u2019Olympien don -\nnera la victoire.\nEt il songeait ainsi, attendant Akhilleus. Et le P\u00e8l\u00e9ide approchait \nsemblable \u00e0 l\u2019imp\u00e9tueux guerrier Ar\u00e8s et brandissant de la main \ndroite la terrible lance P\u00e8lienne. Et l\u2019airain resplendissait, sem -\nblable \u00e0 l\u2019\u00e9clair, ou au feu ardent, ou \u00e0 H\u00e9lios qui se l\u00e8ve. Mais d\u00e8s \nque Hekt\u00f4r l\u2019eut vu, la terreur le saisit et il ne put l\u2019attendre ; et, \nlaissant les portes derri\u00e8re lui, il s\u2019enfuit \u00e9pouvant\u00e9. Et le P\u00e8l\u00e9ide \ns\u2019\u00e9lan\u00e7a de ses pieds rapides.\nDe m\u00eame que, sur les montagnes, un \u00e9pervier, le plus rapide \ndes oiseaux, poursuit une colombe tremblante qui fuit d\u2019un vol \noblique et qu\u2019il presse avec des cris aigus, d\u00e9sirant l\u2019atteindre \net la saisir ; de m\u00eame Akhilleus se pr\u00e9cipitait, et Hekt\u00f4r, trem -\nblant, fuyait devant lui sous les murs des t roiens, en agitant ses \ngenoux rapides.591\nL \u2019ILIADEEt ils pass\u00e8rent aupr\u00e8s de la colline et du haut figuier, \u00e0 travers le \nchemin et le long des murailles. Et ils parvinrent pr\u00e8s du fleuve \nau beau cours, l\u00e0 o\u00f9 jaillissent les deux fontaines du Skamandros \ntourbillonnant. Et l\u2019une coule, ti\u00e8de, et une fum\u00e9e s\u2019en exhale \ncomme d\u2019un grand feu ; et l\u2019autre filtre, pendant l\u2019\u00e9t\u00e9, froide \ncomme la gr\u00eale, ou la neige, ou le dur cristal de l\u2019eau.\nEt aupr\u00e8s des fontaines, il y avait deux larges et belles cuves \nde pierre o\u00f9 les femmes des t roiens et leurs filles charmantes \nlavaient leurs robes splendides, au temps de la paix, avant l\u2019arri -\nv\u00e9e des Akhaiens. Et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019ils couraient tous deux, l\u2019un fuyant, \net l\u2019autre le poursuivant. Et c\u2019\u00e9tait un brave qui fuyait, et un plus \nbrave qui le poursuivait avec ardeur. Et ils ne se disputaient point \nune victime, ni le dos d\u2019un b\u0153uf, prix de la course parmi les \nhommes ; mais ils couraient pour la vie de Hekt\u00f4r dompteur \nde chevaux.\nDe m\u00eame que deux chevaux rapidement \u00e9lanc\u00e9s, dans les jeux \nfun\u00e9raires d\u2019un guerrier, pour atteindre la borne et remporter un \nprix magnifique, soit un tr\u00e9pied, soit une femme ; de m\u00eame ils \ntourn\u00e8rent trois fois, de leurs pieds rapides, autour de la ville de 592CHAnt 22\nPriamos. Et tous les dieux les regardaient. Et voici que le p\u00e8re des \ndieux et des hommes parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 malheur ! certes, je vois un homme qui m\u2019est cher fuir autour \ndes murailles.\nMon c\u0153ur s\u2019attriste sur Hekt\u00f4r, qui a souvent br\u00fbl\u00e9 pour moi de \nnombreuses cuisses de b\u0153uf, sur les cimes du grand Ida ou dans \nla citadelle d\u2019Ilios. Le divin Akhilleus le poursuit ardemment, de \nses pieds rapides, autour de la ville de Priamos. Allons, d\u00e9lib\u00e9rez, \n\u00f4 dieux immortels. L \u2019arracherons-nous \u00e0 la mort, ou dompte -\nrons-nous son courage par les mains du P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus ?\nEt la d\u00e9esse Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 p\u00e8re foudroyant qui amasses les nu\u00e9es, qu\u2019as-tu dit ? tu veux \narracher \u00e0 la mort lugubre cet homme mortel que la destin\u00e9e a \nmarqu\u00e9 pour mourir ! Fais-le ; mais jamais, nous, les dieux, nous \nne t\u2019approuverons.593\nL \u2019ILIADEEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Rassure-toi, t ritog\u00e9n\u00e9ia, ch\u00e8re fille. Je n\u2019ai point parl\u00e9 dans une \nvolont\u00e9 arr\u00eat\u00e9e, et je veux te complaire. Va, et agis comme tu \nle voudras.\nIl parla ainsi, excitant Ath\u00e8n\u00e8 d\u00e9j\u00e0 pleine d\u2019ardeur ; et elle s\u2019\u00e9lan\u00e7a \ndu fa\u00eete de l\u2019Olympos.\nEt, cependant, le rapide Akhilleus pressait sans rel\u00e2che Hekt\u00f4r, de \nm\u00eame qu\u2019un chien presse, sur les montagnes, le faon d\u2019une biche. \nIl le poursuit \u00e0 travers les taillis et les vall\u00e9es des bois ; et quand il \nse cache tremblant sous un buisson, le chien flaire sa trace et le \nd\u00e9couvre aussit\u00f4t.\nDe m\u00eame Hekt\u00f4r ne pouvait se d\u00e9rober au rapide P\u00e8l\u00e9iade. Autant \nde fois il voulait regagner les portes Dardaniennes et l\u2019abri des \ntours hautes et solides d\u2019o\u00f9 les t roiens pouvaient le secourir de \nleurs fl\u00e8ches, autant de fois Akhilleus le poursuivait en le chas -\nsant vers la plaine ; mais Hekt\u00f4r revenait toujours vers Ilios. De \nm\u00eame que, dans un songe, on poursuit un homme qui fuit, sans \nqu\u2019on puisse l\u2019atteindre et qu\u2019il puisse \u00e9chapper, de m\u00eame l\u2019un ne \npouvait saisir son ennemi, ni celui-ci lui \u00e9chapper. Mais comment \nHekt\u00f4r e\u00fbt-il \u00e9vit\u00e9 plus longtemps les k\u00e8res de la mort, si Apoll\u00f4n, 594CHAnt 22\nvenant \u00e0 son aide pour la derni\u00e8re fois, n\u2019e\u00fbt vers\u00e9 la vigueur dans \nses genoux rapides ?\nEt le divin Akhilleus ordonnait \u00e0 ses peuples, par un signe de t\u00eate, \nde ne point lancer contre Hekt\u00f4r de fl\u00e8ches mortelles, de peur \nque quelqu\u2019un le tu\u00e2t et remport\u00e2t cette gloire avant lui. Mais, \ncomme ils revenaient pour la quatri\u00e8me fois aux fontaines du \nSkamandros, le p\u00e8re Zeus d\u00e9ploya ses balances d\u2019or, et il y mit \ndeux k\u00e8res de la mort violente, l\u2019une pour Akhilleus et l\u2019autre \npour Hekt\u00f4r dompteur de chevaux. Et il les \u00e9leva en les tenant par \nle milieu, et le jour fatal de Hekt\u00f4r descendit vers les demeures \nd\u2019Aid\u00e8s, et Phoibos Apoll\u00f4n l\u2019abandonna, et la d\u00e9esse Ath\u00e8n\u00e8 aux \nyeux clairs, s\u2019approchant du P\u00e8l\u00e9ide, lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 J\u2019esp\u00e8re enfin, illustre Akhilleus cher \u00e0 Zeus, que nous allons \nremporter une grande gloire aupr\u00e8s des nefs Akhaiennes, en \ntuant Hekt\u00f4r insatiable de combats.\nIl ne peut plus nous \u00e9chapper, m\u00eame quand l\u2019archer Apoll\u00f4n, \nfaisant mille efforts pour le sauver, se prosternerait devant le \np\u00e8re Zeus temp\u00e9tueux. Arr\u00eate-toi, et respire. Je vais persuader le \nPriamide de venir \u00e0 toi et de te combattre.595\nL \u2019ILIADEAth\u00e8n\u00e8 parla ainsi, et Akhilleus, plein de joie, s\u2019arr\u00eata, appuy\u00e9 \nsur sa lance d\u2019airain. Et Ath\u00e8n\u00e8, le quittant, s\u2019approcha du divin \nHekt\u00f4r, \u00e9tant semblable \u00e0 D\u00e8iphobos par le corps et par la voix. Et, \ndebout aupr\u00e8s de lui, elle lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 mon fr\u00e8re, voici que le rapide Akhilleus te presse en te pour -\nsuivant autour de la ville de Priamos. t enons ferme et faisons t\u00eate \ntous deux \u00e0 l\u2019ennemi.\nEt le grand Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit :\n\u2013 D\u00e8iphobos, certes, tu \u00e9tais d\u00e9j\u00e0 le plus cher de mes fr\u00e8res, de tous \nceux que H\u00e9kab\u00e8 et Priamos ont engendr\u00e9s ; mais je dois t\u2019hono -\nrer bien plus dans mon c\u0153ur, aujourd\u2019hui que, pour me secourir, \ntu es sorti de nos murailles, o\u00f9 tous les autres restent enferm\u00e9s.\nEt la d\u00e9esse Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 mon fr\u00e8re, notre p\u00e8re et notre m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable m\u2019ont suppli\u00e9 \n\u00e0 genoux, et tous mes compagnons aussi, de rester dans les murs, \ncar tous sont \u00e9pouvant\u00e9s ; mais mon \u00e2me \u00e9tait en proie \u00e0 une \nam\u00e8re douleur.596CHAnt 22\nMaintenant, combattons bravement, et ne laissons point nos \nlances en repos, et voyons si Akhilleus, nous ayant tu\u00e9s, empor -\ntera nos d\u00e9pouilles sanglantes vers les nefs creuses, ou s\u2019il sera \ndompt\u00e9 par ta lance.\nAth\u00e8n\u00e8 parla ainsi avec ruse et elle le pr\u00e9c\u00e9da. Et d\u00e8s qu\u2019ils se \nfurent rencontr\u00e9s, le grand Hekt\u00f4r au casque mouvant parla ainsi \nle premier :\n\u2013 Je ne te fuirai pas plus longtemps, fils de P\u00e8leus. Je t\u2019ai fui trois \nfois autour de la grande ville de Priamos et je n\u2019ai point os\u00e9 \nattendre ton attaque ; mais voici que mon c\u0153ur me pousse \u00e0 te \ntenir t\u00eate. Je tuerai ou je serai tu\u00e9. Mais attestons les dieux, et \nqu\u2019ils soient les fid\u00e8les t\u00e9moins et les gardiens de nos pactes. Je \nne t\u2019outragerai point cruellement, si Zeus me donne la victoire et \nsi je t\u2019arrache l\u2019\u00e2me ; mais, Akhilleus, apr\u00e8s t\u2019avoir d\u00e9pouill\u00e9 de tes \nbelles armes, je rendrai ton cadavre aux Akhaiens. Fais de m\u00eame, \net promets-le.\nEt Akhilleus aux pieds rapides, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 Hekt\u00f4r, le plus ex\u00e9crable des hommes, ne me parle point de \npactes. De m\u00eame qu\u2019il n\u2019y a point d\u2019alliances entre les lions et les 597\nL \u2019ILIADEhommes, et que les loups et les agneaux, loin de s\u2019accorder, se \nha\u00efssent toujours ; de m\u00eame il m\u2019est impossible de ne pas te ha\u00efr, \net il n\u2019y aura point de pactes entre nous avant qu\u2019un des deux ne \ntombe, rassasiant de son sang le terrible guerrier Ar\u00e8s.\nRappelle tout ton courage. C\u2019est maintenant que tu vas avoir \nbesoin de toute ton adresse et de toute ta vigueur, car tu n\u2019as plus \nde refuge, et voici que Pallas Ath\u00e8n\u00e8 va te dompter par ma lance, \net que tu expieras en une fois les maux de mes compagnons que \ntu as tu\u00e9s dans ta fureur !\nIl parla ainsi, et, brandissant sa longue pique, il la lan\u00e7a ; mais l\u2019il -\nlustre Hekt\u00f4r la vit et l\u2019\u00e9vita ; et la pique d\u2019airain, passant au-des -\nsus de lui, s\u2019enfon\u00e7a en terre. Et Pallas Ath\u00e8n\u00e8, l\u2019ayant arrach\u00e9e, \nla rendit \u00e0 Akhilleus, sans que le prince des peuples, Hekt\u00f4r, s\u2019en \naper\u00e7\u00fbt. Et le Priamide dit au brave P\u00e8l\u00e9ide :\n\u2013 tu m\u2019as manqu\u00e9, \u00f4 Akhilleus semblable aux dieux ! Zeus ne \nt\u2019avait point enseign\u00e9 ma destin\u00e9e, comme tu le disais ; mais ce \nn\u2019\u00e9taient que des paroles vaines et rus\u00e9es, afin de m\u2019effrayer et \nde me faire oublier ma force et mon courage. Ce ne sera point \ndans le dos que tu me perceras de ta lance, car je cours droit \u00e0 toi. \nFrappe donc ma poitrine, si un dieu te l\u2019accorde, et tente mainte -\nnant d\u2019\u00e9viter ma lance d\u2019airain. Pl\u00fbt aux dieux que tu la re\u00e7usses 598CHAnt 22\ntout enti\u00e8re dans le corps ! La guerre serait plus facile aux t roiens \nsi je te tuais, car tu es leur pire fl\u00e9au.\nIl parla ainsi en brandissant sa longue pique, et il la lan\u00e7a ; et elle \nfrappa, sans d\u00e9vier, le milieu du bouclier du P\u00e8l\u00e9ide ; mais le bou -\nclier la repoussa au loin. Et Hekt\u00f4r, irrit\u00e9 qu\u2019un trait inutile se \nf\u00fbt \u00e9chapp\u00e9 de sa main, resta plein de trouble, car il n\u2019avait que \ncette lance.\nEt il appela \u00e0 grands cris D\u00e8iphobos au bouclier brillant, et il lui \ndemanda une autre lance ; mais, D\u00e8iphobos ayant disparu, Hekt\u00f4r, \ndans son esprit, connut sa destin\u00e9e, et il dit :\n\u2013 Malheur \u00e0 moi ! voici que les dieux m\u2019appellent \u00e0 la mort. Je \ncroyais que le h\u00e9ros D\u00e8iphobos \u00e9tait aupr\u00e8s de moi ; mais il est \ndans nos murs. C\u2019est Ath\u00e8n\u00e8 qui m\u2019a tromp\u00e9. La mauvaise mort \nest proche ; la voil\u00e0, plus de refuge. Ceci plaisait d\u00e8s longtemps \n\u00e0 Zeus et au fils de Zeus, Apoll\u00f4n, qui tous deux cependant \nm\u2019\u00e9taient bienveillants. Et voici que la moire va me saisir ! Mais, \ncertes, je ne mourrai ni l\u00e2chement, ni sans gloire, et j\u2019accomplirai \nune grande action qu\u2019apprendront les hommes futurs.\nIl parla ainsi, et, tirant l\u2019\u00e9p\u00e9e aigu\u00eb qui pendait, grande et lourde, sur \nson flanc, il se jeta sur Akhilleus, semblable \u00e0 l\u2019aigle qui, planant 599\nL \u2019ILIADEdans les hauteurs, descend dans la plaine \u00e0 travers les nu\u00e9es obs -\ncures, afin d\u2019enlever la faible brebis ou le li\u00e8vre timide. Ainsi se \nruait Hekt\u00f4r, en brandissant l\u2019\u00e9p\u00e9e aigu\u00eb. Et Akhilleus, emplissant \nson c\u0153ur d\u2019une rage f\u00e9roce, se rua aussi sur le Priamide. Et il por -\ntait son beau bouclier devant sa poitrine, et il secouait son casque \n\u00e9clatant aux quatre c\u00f4nes et aux splendides crini\u00e8res d\u2019or mou -\nvantes que H\u00e8phaistos avait fix\u00e9es au sommet. Comme Hesp\u00e9ros, \nla plus belle des \u00e9toiles ouraniennes, se l\u00e8ve au milieu des astres \nde la nuit, ainsi resplendissait l\u2019\u00e9clair de la pointe d\u2019airain que le \nP\u00e8l\u00e9ide brandissait, pour la perte de Hekt\u00f4r, cherchant sur son \nbeau corps la place o\u00f9 il frapperait.\nLes belles armes d\u2019airain que le Priamide avait arrach\u00e9es au \ncadavre de Patroklos le couvraient en entier, sauf \u00e0 la jointure du \ncou et de l\u2019\u00e9paule, l\u00e0 o\u00f9 la fuite de l\u2019\u00e2me est la plus prompte. C\u2019est \nl\u00e0 que le divin Akhilleus enfon\u00e7a sa lance, dont la pointe traversa \nle cou de Hekt\u00f4r ; mais la lourde lance d\u2019airain ne trancha point \nle gosier, et il pouvait encore parler. Il tomba dans la poussi\u00e8re, et \nle divin Akhilleus se glorifia ainsi :\n\u2013 Hekt\u00f4r, tu pensais peut-\u00eatre, apr\u00e8s avoir tu\u00e9 Patroklos, n\u2019avoir \nplus rien \u00e0 craindre ? tu ne songeais point \u00e0 moi qui \u00e9tais absent. \nInsens\u00e9 ! un vengeur plus fort lui restait sur les nefs creuses, \net c\u2019\u00e9tait moi qui ai rompu tes genoux ! Va ! les chiens et les 600CHAnt 22\noiseaux te d\u00e9chireront honteusement, et les Akhaiens enseveli -\nront Patroklos !\nEt Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit, parlant \u00e0 peine :\n\u2013 Je te supplie par ton \u00e2me, par tes genoux, par tes parents, ne \nlaisse pas les chiens me d\u00e9chirer aupr\u00e8s des nefs Akhaiennes. \nAccepte l\u2019or et l\u2019airain que te donneront mon p\u00e8re et ma m\u00e8re \nv\u00e9n\u00e9rable. Renvoie mon corps dans mes demeures, afin que les \ntroiens et les t roiennes me d\u00e9posent avec honneur sur le b\u00fbcher.\nEt Akhilleus aux pieds rapides, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, \nlui dit :\n\u2013 Chien ! ne me supplie ni par mes genoux, ni par mes parents. \nPl\u00fbt aux dieux que j\u2019eusse la force de manger ta chair crue, pour \nle mal que tu m\u2019as fait ! Rien ne sauvera ta t\u00eate des chiens, quand \nm\u00eame on m\u2019apporterait dix et vingt fois ton prix, et nulle autres \npr\u00e9sents ; quand m\u00eame le Dardanide Priamos voudrait te rache -\nter ton poids d\u2019or ! Jamais la m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable qui t\u2019a enfant\u00e9 ne te \npleurera couch\u00e9 sur un lit fun\u00e8bre. Les chiens et les oiseaux te \nd\u00e9chireront tout entier !601\nL \u2019ILIADEEt Hekt\u00f4r au casque mouvant lui r\u00e9pondit en mourant :\n\u2013 Certes, je pr\u00e9voyais, te connaissant bien, que je ne te fl\u00e9chirais \npoint, car ton c\u0153ur est de fer. Souviens-toi que les dieux me ven -\ngeront le jour o\u00f9 P\u00e2ris et Phoibos Apoll\u00f4n te tueront, malgr\u00e9 ton \ncourage, devant les portes Skaies.\nEt la mort l\u2019ayant interrompu, son \u00e2me s\u2019envola de son corps chez \nAid\u00e8s, pleurant sa destin\u00e9e mauvaise, sa vigueur et sa jeunesse.\nEt Akhilleus dit \u00e0 son cadavre :\n\u2013 Meurs ! Je subirai ma destin\u00e9e quand Zeus et les autres dieux \nle voudront.\nAyant ainsi parl\u00e9, il arracha sa lance d\u2019airain du cadavre, et, la \nposant \u00e0 l\u2019\u00e9cart, il d\u00e9pouilla les \u00e9paules du Priamide de ses \narmes sanglantes.602CHAnt 22\nEt les fils des Akhaiens accoururent, et ils admiraient la grandeur \net la beaut\u00e9 de Hekt\u00f4r ; et chacun le blessait de nouveau, et ils \ndisaient en se regardant :\n\u2013 Certes, Hekt\u00f4r est maintenant plus ais\u00e9 \u00e0 manier que le jour o\u00f9 \nil incendiait les nefs.\nIls parlaient ainsi, et chacun le frappait. Mais aussit\u00f4t que le divin \nAkhilleus aux pieds rapides eut d\u00e9pouill\u00e9 le Priamide de ses armes, \ndebout au milieu des Akhaiens, il leur dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 \u00d4 amis, princes et chefs des Argiens, puisque les dieux m\u2019ont \ndonn\u00e9 de tuer ce guerrier qui nous a accabl\u00e9s de plus de maux \nque tous les autres \u00e0 la fois, allons assi\u00e9ger la ville, et sachons \nquelle est la pens\u00e9e des t roiens : s\u2019ils veulent, le Priamide \u00e9tant \nmort, abandonner la citadelle, ou y rester, bien qu\u2019ils aient perdu \nHekt\u00f4r. Mais \u00e0 quoi songe mon esprit ? Il g\u00eet aupr\u00e8s des nefs, mort, \nnon pleur\u00e9, non enseveli, Patroklos, que je n\u2019oublierai jamais tant \nque je vivrai, et que mes genoux remueront ! M\u00eame quand les \nmorts oublieraient chez Aid\u00e8s, moi je me souviendrai de mon \ncher compagnon. Et maintenant, \u00f4 fils des Akhaiens, chantez les \npaians et retournons aux nefs en entra\u00eenant ce cadavre. n ous \navons remport\u00e9 une grande gloire, nous avons tu\u00e9 le divin Hekt\u00f4r, 603\nL \u2019ILIADE\u00e0 qui les troiens adressaient des v\u0153ux, dans leur ville, comme \u00e0 \nun dieu.\nIl parla ainsi, et il outragea indignement le divin Hekt\u00f4r. Il lui \nper\u00e7a les tendons des deux pieds, entre le talon et la cheville, et \nil y passa des courroies. Et il l\u2019attacha derri\u00e8re le char, laissant \ntra\u00eener la t\u00eate. Puis, d\u00e9posant les armes illustres dans le char, il y \nmonta lui-m\u00eame, et il fouetta les chevaux, qui s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent avec \nardeur. Et le Priamide Hekt\u00f4r \u00e9tait ainsi tra\u00een\u00e9 dans un tourbil -\nlon de poussi\u00e8re, et ses cheveux noirs en \u00e9taient souill\u00e9s, et sa t\u00eate \n\u00e9tait ensevelie dans la poussi\u00e8re, cette t\u00eate autrefois si belle que \nZeus livrait maintenant \u00e0 l\u2019ennemi, pour \u00eatre outrag\u00e9e sur la terre \nde la patrie.\nAinsi toute la t\u00eate de Hekt\u00f4r \u00e9tait souill\u00e9e de poussi\u00e8re. Et sa m\u00e8re, \narrachant ses cheveux et d\u00e9chirant son beau voile, g\u00e9missait en \nvoyant de loin son fils. Et son p\u00e8re pleurait mis\u00e9rablement, et les \npeuples aussi hurlaient et pleuraient par la ville. On e\u00fbt dit que \nla haute Ilios croulait tout enti\u00e8re dans le feu. Et les peuples rete -\nnaient \u00e0 grand\u2019peine le vieux Priamos d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui voulait sortir 604CHAnt 22\ndes portes Dardaniennes. Et, se prosternant devant eux, il les sup -\npliait, les nommant par leurs noms :\n\u2013 Mes amis, laissez-moi sortir seul de la ville, afin que j\u2019aille aux \nnefs des Akhaiens. Je supplierai cet homme impie qui accomplit \nd\u2019horribles actions. Il respectera peut-\u00eatre mon \u00e2ge, il aura peut-\n\u00eatre piti\u00e9 de ma vieillesse ; car son p\u00e8re aussi est vieux, P\u00e8leus, qui \nl\u2019a engendr\u00e9 et nourri pour la ruine des troiens, et surtout pour \nm\u2019accabler de maux.\nQue de fils florissants il m\u2019a tu\u00e9s ! Et je g\u00e9mis moins sur eux \ntous ensemble que sur le seul Hekt\u00f4r, dont le regret douloureux \nme fera descendre aux demeures d\u2019Aid\u00e8s. Pl\u00fbt aux dieux qu\u2019il \nf\u00fbt mort dans nos bras ! Au moins, sur son cadavre, nous nous \nserions rassasi\u00e9s de larmes et de sanglots, la m\u00e8re malheureuse \nqui l\u2019a enfant\u00e9 et moi !\nIl parla ainsi en pleurant. Et tous les citoyens pleuraient. Et, parmi \nles t roiennes, H\u00e9kab\u00e8 commen\u00e7a le deuil sans fin :\n\u2013 Mon enfant ! pourquoi suis-je encore vivante, malheureuse, \npuisque tu es mort ? toi qui, les nuits et les jours, \u00e9tais ma gloire \ndans Ilios, et l\u2019unique salut des t roiens et des t roiennes, qui, dans \nla ville, te recevaient comme un dieu ! Certes, tu faisais toute 605\nL \u2019ILIADEleur gloire, quand tu vivais ; mais voici que la moire et la mort \nt\u2019ont saisi !\nElle parla ainsi en pleurant. Et la femme de Hekt\u00f4r ne savait rien \nencore, aucun messager ne lui ayant annonc\u00e9 que son \u00e9poux \u00e9tait \nrest\u00e9 hors des portes. Et, dans sa haute demeure ferm\u00e9e, elle tis -\nsait une toile double, splendide et orn\u00e9e de fleurs vari\u00e9es. Et elle \nordonnait aux servantes \u00e0 la belle chevelure de pr\u00e9parer, dans la \ndemeure, et de mettre un grand tr\u00e9pied sur le feu, afin qu\u2019un bain \nchaud f\u00fbt pr\u00eat pour Hekt\u00f4r \u00e0 son retour du combat. L \u2019insens\u00e9e \nignorait qu\u2019Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs avait tu\u00e9 Hekt\u00f4r par les mains \nd\u2019Akhilleus, loin de tous les bains. Mais elle entendit des lamen -\ntations et des hurlements sur la tour.\nEt ses membres trembl\u00e8rent, et la navette lui tomba des mains, et \nelle dit aux servantes \u00e0 la belle chevelure :\n\u2013 Venez. Que deux d\u2019entre vous me suivent, afin que je voie ce \nqui nous arrive, car j\u2019ai entendu la voix de la v\u00e9n\u00e9rable m\u00e8re \nde Hekt\u00f4r. Mon c\u0153ur bondit dans ma poitrine, et mes genoux \nd\u00e9faillent. Peut-\u00eatre quelque malheur menace-t-il les fils de \nPriamos. Plaise aux dieux que mes paroles soient vaines ! Mais je \ncrains que le divin Akhilleus, ayant \u00e9cart\u00e9 le brave Hekt\u00f4r de la \nville, le poursuive dans la plaine et dompte son courage. Car mon 606CHAnt 22\n\u00e9poux ne reste point dans la foule des guerriers, et il combat en \nt\u00eate de tous, ne le c\u00e9dant \u00e0 aucun.\nElle parla ainsi et sortit de sa demeure, semblable \u00e0 une bak -\nkhante et le c\u0153ur palpitant, et les servantes la suivaient. Arriv\u00e9e \nsur la tour, au milieu de la foule des hommes, elle s\u2019arr\u00eata, regar -\ndant du haut des murailles, et reconnut Hekt\u00f4r tra\u00een\u00e9 devant la \nville. Et les chevaux rapides le tra\u00eenaient indignement vers les \nnefs creuses des Akhaiens. Alors, une nuit noire couvrit ses yeux, \net elle tomba \u00e0 la renverse, inanim\u00e9e. Et tous les riches orne -\nments se d\u00e9tach\u00e8rent de sa t\u00eate, la bandelette, le n\u0153ud, le r\u00e9seau, \net le voile que lui avait donn\u00e9 Aphrodit\u00e8 d\u2019or le jour o\u00f9 Hekt\u00f4r au \ncasque mouvant l\u2019avait emmen\u00e9e de la demeure d\u2019\u00ca\u00e9ti\u00f4n, apr\u00e8s \nlui avoir donn\u00e9 une grande dot. Et les s\u0153urs et les belles-s\u0153urs \nde Hekt\u00f4r l\u2019entouraient et la soutenaient dans leurs bras, tandis \nqu\u2019elle respirait \u00e0 peine.\nEt quand elle eut recouvr\u00e9 l\u2019esprit, elle dit, g\u00e9missant au milieu \ndes troiennes :\n\u2013 Hekt\u00f4r ! \u00f4 malheureuse que je suis ! nous sommes n\u00e9s pour une \nm\u00eame destin\u00e9e : toi, dans t roi\u00e8 et dans la demeure de Priamos ; \nmoi, dans t h\u00e8b\u00e8, sous le mont Plakos couvert de for\u00eats, dans \nla demeure d\u2019\u00ca\u00e9ti\u00f4n, qui m\u2019\u00e9leva toute petite, p\u00e8re malheureux 607\nL \u2019ILIADEd\u2019une malheureuse. Pl\u00fbt aux dieux qu\u2019il ne m\u2019e\u00fbt point engen -\ndr\u00e9e ! Maintenant tu descends vers les demeures d\u2019Aid\u00e8s, dans la \nterre creuse, et tu me laisses, dans notre demeure, veuve et acca -\nbl\u00e9e de deuil. Et ce petit enfant que nous avons engendr\u00e9 tous \ndeux, malheureux que nous sommes ! tu ne le prot\u00e9geras pas, \nHekt\u00f4r, puisque tu es mort, et lui ne te servira point de soutien. \nM\u00eame s\u2019il \u00e9chappait \u00e0 cette guerre lamentable des Akhaiens, il ne \npeut s\u2019attendre qu\u2019au travail et \u00e0 la douleur, car ils lui enl\u00e8veront \nses biens. Le jour qui fait un enfant orphelin lui \u00f4te aussi tous ses \njeunes amis. Il est triste au milieu de tous, et ses joues sont tou -\njours baign\u00e9es de larmes. Indigent, il s\u2019approche des compagnons \nde son p\u00e8re, prenant l\u2019un par le manteau et l\u2019autre par la tunique. \nSi l\u2019un d\u2019entre eux, dans sa piti\u00e9, lui offre une petite coupe, elle \nmouille ses l\u00e8vres sans rafra\u00eechir son palais. Le jeune homme, \nassis entre son p\u00e8re et sa m\u00e8re, le repousse de la table du fes -\ntin, et, le frappant de ses mains, lui dit des paroles injurieuses : \u2013 \nVa-t\u2019en ! ton p\u00e8re n\u2019est pas des n\u00f4tres ! \u2019Et l\u2019enfant revient en pleu -\nrant aupr\u00e8s de sa m\u00e8re veuve.\nAstyanax, qui autrefois mangeait la moelle et la graisse des bre -\nbis sur les genoux de son p\u00e8re ; qui, lorsque le sommeil le prenait \net qu\u2019il cessait de jouer, dormait dans un doux lit, aux bras de sa \nnourrice, et le c\u0153ur rassasi\u00e9 de d\u00e9lices ; maintenant Astyanax, \nque les t roiens nommaient ainsi, car Hekt\u00f4r d\u00e9fendait seul leurs 608CHAnt 22\nhautes murailles, subira mille maux, \u00e9tant priv\u00e9 de son p\u00e8re bien-\naim\u00e9. Et voici, Hekt\u00f4r, que les vers rampants te mangeront aupr\u00e8s \ndes nefs \u00e9peronn\u00e9es, loin de tes parents, apr\u00e8s que les chiens se \nseront rassasi\u00e9s de ta chair. t u poss\u00e9dais, dans tes demeures, de \nbeaux et doux v\u00eatements, \u0153uvre des femmes ; mais je les br\u00fble -\nrai tous dans le feu ardent, car ils ne te serviront pas et tu ne seras \npas enseveli avec eux. Qu\u2019ils soient donc br\u00fbl\u00e9s en ton honneur \nau milieu des t roiens et des t roiennes !\nElle parla ainsi en pleurant, et toutes les femmes se lamentaient \ncomme elle.609\nL \u2019ILIADEChant 23\nEt tandis qu\u2019ils g\u00e9missaient ainsi par la ville, les Akhaiens arri -\nv\u00e8rent aux nefs et au Hellespontos. Et ils se dispers\u00e8rent, et cha -\ncun rentra dans sa nef. Mais Akhilleus ne permit point aux \nMyrmidones de se s\u00e9parer, et il dit \u00e0 ses braves compagnons :\n\u2013 Myrmidones aux chevaux rapides, mes chers compagnons, ne \nd\u00e9tachons point des chars nos chevaux aux sabots massifs ; mais, \navec nos chevaux et nos chars, pleurons Patroklos, car tel est \nl\u2019honneur d\u00fb aux morts. Apr\u00e8s nous \u00eatre rassasi\u00e9s de deuil, nous \nd\u00e9lierons nos chevaux, et, tous, nous prendrons notre repas ici.\nIl parla ainsi, et ils se lamentaient, et Akhilleus le premier. Et, en \ng\u00e9missant, ils pouss\u00e8rent trois fois les chevaux aux belles crini\u00e8res \nautour du cadavre ; et th\u00e9tis augmentait leur d\u00e9sir de pleurer. Et, \ndans le regret du h\u00e9ros Patroklos, les larmes baignaient les armes \net arrosaient le sable. Au milieu d\u2019eux, le P\u00e8l\u00e9ide commen\u00e7a le 610CHAnt 23\ndeuil lamentable, en posant ses mains tueuses d\u2019homme sur la \npoitrine de son ami :\n\u2013 Sois content de moi, \u00f4 Patroklos, dans les demeures d\u2019Aid\u00e8s. \ntout ce que je t\u2019ai promis, je l\u2019accomplirai. Hekt\u00f4r, jet\u00e9 aux chiens, \nsera d\u00e9chir\u00e9 par eux ; et, pour te venger, je tuerai devant ton \nb\u00fbcher douze nobles fils des t roiens.\nIl parla ainsi, et il outragea indignement le divin Hekt\u00f4r en le \ncouchant dans la poussi\u00e8re devant le lit du M\u00e9noitiade.\nPuis, les Myrmidones quitt\u00e8rent leurs splendides armes d\u2019airain, \nd\u00e9tel\u00e8rent leurs chevaux hennissants et s\u2019assirent en foule autour \nde la nef du rapide Aiakide, qui leur offrit le repas fun\u00e8bre. Et \nbeaucoup de b\u0153ufs blancs mugissaient sous le fer, tandis qu\u2019on \nles \u00e9gorgeait ainsi qu\u2019un grand nombre de brebis et de ch\u00e8vres \nb\u00ealantes. Et beaucoup de porcs gras cuisaient devant la flamme \ndu feu. Et le sang coulait abondamment autour du cadavre. Et \nles princes Akhaiens conduisirent le prince P\u00e8l\u00e9i\u00f4n aux pieds \nrapides vers le divin Agamemn\u00f4n, mais non sans peine, car le \nregret de son compagnon emplissait son c\u0153ur.\nEt quand ils furent arriv\u00e9s \u00e0 la tente d\u2019Agamemn\u00f4n, celui-ci \nordonna aux h\u00e9rauts de poser un grand tr\u00e9pied sur le feu, afin 611\nL \u2019ILIADEque le P\u00e8l\u00e9ide, s\u2019il y consentait, lav\u00e2t le sang qui le souillait. Mais \nil s\u2019y refusa toujours et jura un grand serment :\n\u2013 non ! par Zeus, le plus haut et le meilleur des dieux, je ne puri -\nfierai point ma t\u00eate que je n\u2019aie mis Patroklos sur le b\u00fbcher, \u00e9lev\u00e9 \nson tombeau et coup\u00e9 ma chevelure. Jamais, tant que je vivrai, \nune telle douleur ne m\u2019accablera plus. Mais achevons ce repas \nodieux. Roi des hommes, Agamemn\u00f4n, commande qu\u2019on apporte, \nd\u00e8s le matin, le bois du b\u00fbcher, et qu\u2019on l\u2019appr\u00eate, car il est juste \nd\u2019honorer ainsi Patroklos, qui subit les noires t\u00e9n\u00e8bres. Et le feu \ninfatigable le consumera promptement \u00e0 tous les yeux, et les \npeuples retourneront aux travaux de la guerre.\nIl parla ainsi, et les princes, l\u2019ayant entendu, lui ob\u00e9irent. Et tous, \npr\u00e9parant le repas, mang\u00e8rent ; et aucun ne se plaignit d\u2019une part \nin\u00e9gale. Puis, ils se retir\u00e8rent sous les tentes pour y dormir.\nMais le P\u00e8l\u00e9ide \u00e9tait couch\u00e9, g\u00e9missant, sur le rivage de la mer aux \nbruits sans nombre, au milieu des Myrmidones, en un lieu o\u00f9 les \nflots blanchissaient le bord. Et le doux sommeil, lui versant l\u2019oubli \nde ses peines, l\u2019enveloppa, car il avait fatigu\u00e9 ses beaux membres \nen poursuivant Hekt\u00f4r autour de la haute Ilios. Et l\u2019\u00e2me du mal -\nheureux Patroklos lui apparut, avec la grande taille, les beaux 612CHAnt 23\nyeux, la voix et jusqu\u2019aux v\u00eatements du h\u00e9ros. Elle s\u2019arr\u00eata sur la \nt\u00eate d\u2019Akhilleus et lui dit :\n\u2013 tu dors, et tu m\u2019oublies, Akhilleus. Vivant, tu ne me n\u00e9gligeais \npoint, et, mort, tu m\u2019oublies. Ensevelis-moi, afin que je passe \npromptement les portes d\u2019Aid\u00e8s. Les \u00e2mes, ombres des morts, \nme chassent et ne me laissent point me m\u00ealer \u00e0 elles au-del\u00e0 du \nfleuve ; et je vais, errant en vain autour des larges portes de la \ndemeure d\u2019Aid\u00e8s. Donne-moi la main ; je t\u2019en supplie en pleurant, \ncar je ne reviendrai plus du Had\u00e8s, quand vous m\u2019aurez livr\u00e9 au \nb\u00fbcher. Jamais plus, vivants tous deux, nous ne nous confierons \nl\u2019un \u00e0 l\u2019autre, assis loin de nos compagnons, car la k\u00e8r odieuse qui \nm\u2019\u00e9tait \u00e9chue d\u00e8s ma naissance m\u2019a enfin saisi. ta moire fatale, \u00f4 \nAkhilleus \u00e9gal aux dieux, est aussi de mourir sous les murs des \ntroiens magnanimes !\nMais je te demande ceci, et puisses-tu me l\u2019accorder : Akhilleus, \nque mes ossements ne soient point s\u00e9par\u00e9s des tiens, mais qu\u2019ils \nsoient unis comme nous l\u2019avons \u00e9t\u00e9 dans tes demeures. Quand \nM\u00e9noitios m\u2019y conduisit tout enfant, d\u2019Opo\u00e8n, parce que j\u2019avais \ntu\u00e9 d\u00e9plorablement, dans ma col\u00e8re, le fils d\u2019Amphidamas, en \njouant aux d\u00e9s, le cavalier P\u00e8leus me re\u00e7ut dans ses demeures, m\u2019y \n\u00e9leva avec tendresse et me nomma ton compagnon. Qu\u2019une seule 613\nL \u2019ILIADEurne re\u00e7oive donc nos cendres, cette urne d\u2019or que t\u2019a donn\u00e9e ta \nm\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable.\nEt Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Pourquoi es-tu venu, \u00f4 t\u00eate ch\u00e8re ! et pourquoi me commander \nces choses ? Je t\u2019ob\u00e9irai, et les accomplirai promptement. Mais \nreste, que je t\u2019embrasse un moment, au moins ! Adoucissons notre \nam\u00e8re douleur.\nIl parla ainsi, et il \u00e9tendit ses mains affectueuses ; mais il ne sai -\nsit rien, et l\u2019\u00e2me rentra en terre comme une fum\u00e9e, avec un \u00e2pre \nmurmure. Et Akhilleus se r\u00e9veilla stup\u00e9fait et, frappant ses mains, \nil dit ces paroles lugubres :\n\u2013 \u00d4 dieux ! l\u2019\u00e2me existe encore dans le Had\u00e8s, mais comme une \nvaine image, et sans corps. L \u2019\u00e2me du malheureux Patroklos m\u2019est \napparue cette nuit, pleurant et se lamentant, et semblable \u00e0 lui-\nm\u00eame ; et elle m\u2019a ordonn\u00e9 d\u2019accomplir ses v\u0153ux.\nIl parla ainsi, et il excita la douleur de tous les Myrmidones ; \net \u00c9\u00f4s aux doigts couleur de rose les trouva g\u00e9missant autour \ndu cadavre.614CHAnt 23\nMais le roi Agamemn\u00f4n pressa les hommes et les mulets de sor -\ntir des tentes et d\u2019amener le bois. Et un brave guerrier les com -\nmandait, M\u00e8rion\u00e8s, compagnon du courageux Idom\u00e9neus. Et ils \nallaient, avec les haches qui tranchent le bois, et les cordes bien \ntress\u00e9es, et les mulets marchaient devant eux. Et, franchissant les \npentes, et les rudes mont\u00e9es et les pr\u00e9cipices, ils arriv\u00e8rent aux \nsommets de l\u2019Ida o\u00f9 abondent les sources. Et, aussit\u00f4t, de leurs \nhaches pesantes, ils abattirent les ch\u00eanes feuillus qui tombaient \n\u00e0 grand bruit. Et les Akhaiens y attelaient les mulets qui d\u00e9vo -\nraient la terre de leurs pieds, se h\u00e2tant d\u2019emporter vers le camp \nleur charge \u00e0 travers les broussailles \u00e9paisses. Et les Akhaiens tra\u00ee -\nnaient aussi les troncs feuillus, ainsi que le commandait M\u00e8rion\u00e8s, \nle compagnon d\u2019Idom\u00e9neus qui aime les braves. Et ils d\u00e9pos\u00e8rent \nle bois sur le rivage, l\u00e0 o\u00f9 Akhilleus avait marqu\u00e9 le grand tom -\nbeau de Patroklos et le sien.\nPuis, ayant amass\u00e9 un immense monceau, ils s\u2019assirent, attendant. \nEt Akhilleus ordonna aux braves Myrmidones de se couvrir de \nleurs armes et de monter sur leurs chars. Et ils se h\u00e2taient de s\u2019ar -\nmer et de monter sur leurs chars, guerriers et conducteurs. Et, \nderri\u00e8re les cavaliers, s\u2019avan\u00e7aient des nu\u00e9es d\u2019hommes de pied ; \net, au milieu d\u2019eux, Patroklos \u00e9tait port\u00e9 par ses compagnons, qui \ncouvraient son cadavre de leurs cheveux qu\u2019ils arrachaient.615\nL \u2019ILIADEEt, triste, le divin Akhilleus soutenait la t\u00eate de son irr\u00e9prochable \ncompagnon qu\u2019il allait envoyer dans le Had\u00e8s.\nEt quand ils furent arriv\u00e9s au lieu marqu\u00e9 par Akhilleus, ils d\u00e9po -\ns\u00e8rent le corps et b\u00e2tirent le b\u00fbcher. Et le divin Akhilleus aux \npieds rapides eut une autre pens\u00e9e. Et il coupa, \u00e0 l\u2019\u00e9cart, sa cheve -\nlure blonde qu\u2019il avait laiss\u00e9e cro\u00eetre pour le fleuve Sperkhios ; et, \ng\u00e9missant, il dit, les yeux sur la mer sombre :\n\u2013 Sperkhios ! c\u2019est en vain que mon p\u00e8re P\u00e8leus te promit qu\u2019\u00e0 \nmon retour dans la ch\u00e8re terre de la patrie je couperais ma che -\nvelure, et que je te sacrifierais de saintes h\u00e9catombes et cinquante \nb\u00e9liers, \u00e0 ta source, l\u00e0 o\u00f9 sont ton temple et ton autel parfum\u00e9. \nLe vieillard te fit ce v\u0153u ; mais tu n\u2019as point exauc\u00e9 son d\u00e9sir, \ncar je ne reverrai plus la ch\u00e8re terre de la patrie. C\u2019est au h\u00e9ros \nPatroklos que j\u2019offre ma chevelure pour qu\u2019il l\u2019emporte.\nAyant ainsi parl\u00e9, il d\u00e9posa sa chevelure entre les mains de son \ncher compagnon, augmentant ainsi la douleur de tous, et la \nlumi\u00e8re de H\u00e9lios f\u00fbt tomb\u00e9e tandis qu\u2019ils pleuraient encore, si \nAkhilleus, s\u2019approchant d\u2019Agamemn\u00f4n, ne lui e\u00fbt dit :\n\u2013 Atr\u00e9ide, \u00e0 qui tout le peuple Akhaien ob\u00e9it, plus tard il pourra se \nrassasier de larmes. Commande-lui de s\u2019\u00e9loigner du b\u00fbcher et de 616CHAnt 23\npr\u00e9parer son repas. n ous, les chefs, qui avons un plus grand souci \nde Patroklos, restons seuls.\nEt le roi des hommes, Agamemn\u00f4n, l\u2019ayant entendu, renvoya \naussit\u00f4t le peuple vers les nefs \u00e9gales ; et les ensevelisseurs, res -\ntant seuls, amass\u00e8rent le bois. Et ils firent le b\u00fbcher de cent pieds \nsur toutes ses faces, et, sur son fa\u00eete, ils d\u00e9pos\u00e8rent, pleins de tris -\ntesse, le cadavre de Patroklos. Puis, ils \u00e9gorg\u00e8rent et \u00e9corch\u00e8rent \ndevant le b\u00fbcher une foule de brebis grasses et de b\u0153ufs aux pieds \nflexibles. Et le magnanime Akhilleus, couvrant tout le cadavre de \nleur graisse, de la t\u00eate aux pieds, entassa tout autour leurs chairs \n\u00e9corch\u00e9es. Et, s\u2019inclinant sur le lit fun\u00e8bre, il y pla\u00e7a des amphores \nde miel et d\u2019huile. Puis, il jeta sur le b\u00fbcher quatre chevaux aux \nbeaux cous. n euf chiens familiers mangeaient autour de sa table. \nIl en tua deux qu\u2019il jeta dans le b\u00fbcher. Puis, accomplissant une \nmauvaise pens\u00e9e, il \u00e9gorgea douze nobles enfants des t roiens \nmagnanimes. Puis, il mit le feu au b\u00fbcher, afin qu\u2019il f\u00fbt consum\u00e9, \net il g\u00e9mit, appelant son cher compagnon :\n\u2013 Sois content de moi, \u00f4 Patroklos ! dans le Had\u00e8s, car j\u2019ai accom -\npli tout ce que je t\u2019ai promis. Le feu consume avec toi douze \nnobles enfants des magnanimes t roiens. Pour le Priamide Hekt\u00f4r, \nje ne le livrerai point au feu, mais aux chiens.617\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi dans sa col\u00e8re ; mais les chiens ne devaient point \nd\u00e9chirer Hekt\u00f4r, car, jour et nuit, la fille de Zeus, Aphrodit\u00e8, les \nchassait au loin, oignant le corps d\u2019une huile ambroisienne, afin \nque le P\u00e8l\u00e9ide ne le d\u00e9chir\u00e2t point en le tra\u00eenant.\nEt Phoibos Apoll\u00f4n enveloppait d\u2019une nu\u00e9e ouranienne le lieu o\u00f9 \n\u00e9tait couch\u00e9 le cadavre, de peur que la force de H\u00e9lios n\u2019en dess\u00e9 -\nch\u00e2t les nerfs et les chairs.\nMais le b\u00fbcher de Patroklos ne br\u00fblait point. Alors le divin \nAkhilleus aux pieds rapides pria \u00e0 l\u2019\u00e9cart les deux vents Bor\u00e9as et \nZ\u00e9phyros, leur promettant de riches sacrifices. Et, faisant des liba -\ntions avec une coupe d\u2019or, il les supplia de venir, afin de consumer \npromptement le cadavre, en enflammant le b\u00fbcher. Et la rapide \nIris entendit ses pri\u00e8res et s\u2019envola en messag\u00e8re aupr\u00e8s des vents. \nEt, rassembl\u00e9s en foule dans la demeure du violent Z\u00e9phyros, ils \nc\u00e9l\u00e9braient un festin. Et la rapide Iris survint et s\u2019arr\u00eata sur le \nseuil de pierre. Et, d\u00e8s qu\u2019ils l\u2019eurent vue de leurs yeux, tous se \nlev\u00e8rent, et chacun l\u2019appela pr\u00e8s de lui. Mais elle ne voulut point \ns\u2019asseoir et leur dit :\n\u2013 Ce n\u2019est pas le temps de m\u2019asseoir. Je retourne aux bouches de \nl\u2019Ok\u00e9anos, dans la terre des Aithiopiens, l\u00e0 o\u00f9 ils sacrifient des \nh\u00e9catombes aux immortels, et j\u2019en ai ma part. Mais Akhilleus 618CHAnt 23\nappelle Bor\u00e9as et le sonore Z\u00e9phyros. Il les supplie de venir, leur \npromettant de riches sacrifices s\u2019ils excitent le feu \u00e0 consumer le \nb\u00fbcher sur lequel g\u00eet Patroklos que pleurent tous les Akhaiens.\nElle parla ainsi et s\u2019envola. Et les deux vents se ru\u00e8rent avec un \nbruit immense, chassant devant eux les nu\u00e9es tumultueuses.\nEt ils travers\u00e8rent la mer, et l\u2019eau se souleva sous leur souffle \nviolent ; et ils arriv\u00e8rent devant la riche t roi\u00e8 et se jet\u00e8rent sur \nle feu ; et toute la nuit, soufflant horriblement, ils irrit\u00e8rent les \nflammes du b\u00fbcher ; et, toute la nuit, le rapide Akhilleus, puisant \nle vin \u00e0 pleine coupe d\u2019un krat\u00e8re d\u2019or, et le r\u00e9pandant, arrosa la \nterre, appelant l\u2019\u00e2me du malheureux Patroklos. Comme un p\u00e8re \nqui se lamente, en br\u00fblant les ossements de son jeune fils dont \nla mort accable ses malheureux parents de tristesse ; de m\u00eame \nAkhilleus g\u00e9missait en br\u00fblant les ossements de son compagnon, \nse roulant devant le b\u00fbcher, et se lamentant.\nEt quand l\u2019\u00e9toile du matin reparut, messag\u00e8re de lumi\u00e8re, et, apr\u00e8s \nelle, quand \u00c9\u00f4s au p\u00e9plos couleur de safran se r\u00e9pandit sur la \nmer, alors le b\u00fbcher s\u2019apaisa et la flamme s\u2019\u00e9teignit, et les vents \npartirent, s\u2019en retournant dans leur demeure, \u00e0 travers la mer \nthr\u00e8kienne, dont les flots soulev\u00e9s grondaient. Et le P\u00e8l\u00e9ide, quit -\ntant le b\u00fbcher, se coucha accabl\u00e9 de fatigue, et le doux sommeil 619\nL \u2019ILIADEle saisit. Mais bient\u00f4t le bruit et le tumulte de ceux qui se rassem -\nblaient autour de l\u2019Atr\u00e9ide le r\u00e9veill\u00e8rent. Et il se leva, et leur dit :\n\u2013 Atr\u00e9ides, et vous, princes des Akhaiens, \u00e9teignez avec du vin noir \ntoutes les parties du b\u00fbcher que le feu a br\u00fbl\u00e9es, et nous recueille -\nrons les os de Patroklos M\u00e9noitiade. Ils sont faciles \u00e0 reconna\u00eetre, \ncar le cadavre \u00e9tait au milieu du b\u00fbcher, et, loin de lui tout autour, \nbr\u00fblaient confus\u00e9ment les chevaux et les hommes.\nD\u00e9posons dans une urne d\u2019or ces os recouverts d\u2019une double \ngraisse, jusqu\u2019\u00e0 ce que je descende moi-m\u00eame dans le Had\u00e8s. Je \nne demande point maintenant un grand s\u00e9pulcre. Que celui-ci \nsoit simple. Mais vous, Akhaiens, qui survivrez sur vos nefs \nbien construites, vous nous \u00e9l\u00e8verez, apr\u00e8s ma mort, un vaste et \ngrand tombeau.\nIl parla ainsi, et ils ob\u00e9irent au rapide P\u00e8l\u00e9i\u00f4n. Et ils \u00e9teignirent \nd\u2019abord avec du vin noir toutes les parties du b\u00fbcher que le feu \navait br\u00fbl\u00e9es ; et la cendre \u00e9paisse tomba. Puis, en pleurant, ils \nd\u00e9pos\u00e8rent dans une urne d\u2019or, couverts d\u2019une double graisse, les \nos blancs de leur compagnon plein de douceur, et ils mirent, sous \nla tente du P\u00e8l\u00e9ide, cette urne envelopp\u00e9e d\u2019un voile l\u00e9ger. Puis, \nmarquant la place du tombeau, ils en creus\u00e8rent les fondements 620CHAnt 23\nautour du b\u00fbcher, et ils mirent la terre en monceau, et ils par -\ntirent, ayant \u00e9lev\u00e9 le tombeau.\nMais Akhilleus retint le peuple en ce lieu, et le fit asseoir en un \ncercle immense, et il fit apporter des nefs les prix : des vases, des \ntr\u00e9pieds, des chevaux, des mulets, des b\u0153ufs aux fortes t\u00eates, des \nfemmes aux belles ceintures, et du fer brillant. Et, d\u2019abord, il offrit \ndes prix illustres aux cavaliers rapides : une femme irr\u00e9prochable, \nhabile aux travaux, et un tr\u00e9pied \u00e0 anse, contenant vingt-deux \nmesures, pour le premier vainqueur ; pour le second, une jument \nde six ans, indompt\u00e9e et pleine d\u2019un mulet ; pour le troisi\u00e8me, un \nvase tout neuf, beau, blanc, et contenant quatre mesures ; pour \nle quatri\u00e8me, deux talents d\u2019or ; et pour le cinqui\u00e8me, une urne \nneuve \u00e0 deux anses. Et le P\u00e8l\u00e9ide se leva et dit aux Argiens :\n\u2013 Atr\u00e9ides, et vous, tr\u00e8s braves Akhaiens, voici, dans l\u2019enceinte, les \nprix offerts aux cavaliers. Si les Akhaiens luttaient aujourd\u2019hui \npour un autre mort, certes, j\u2019emporterais ces prix dans mes tentes, \ncar vous savez que mes chevaux l\u2019emportent sur tous, \u00e9tant \nimmortels. Poseida\u00f4n les donna \u00e0 mon p\u00e8re P\u00e8leus qui me les a \ndonn\u00e9s. Mais ni moi, ni mes chevaux aux sabots massifs nous ne \ncombattrons. Ils ont perdu l\u2019irr\u00e9prochable vigueur de leur doux \nconducteur qui baignait leurs crini\u00e8res d\u2019huile liquide, apr\u00e8s les \navoir lav\u00e9es dans une eau pure ; et maintenant ils pleurent, les 621\nL \u2019ILIADEcrini\u00e8res pendantes, et ils restent immobiles et pleins de tristesse. \nMais vous qui, parmi tous les Akhaiens, vous confiez en vos che -\nvaux et en vos chars solides, descendez dans l\u2019enceinte.\nLe P\u00e8l\u00e9ide parla ainsi, et de rapides cavaliers se lev\u00e8rent. Et, le pre -\nmier, se leva le roi des hommes, Eum\u00e8los, le fils bien-aim\u00e9 d\u2019Ad -\nm\u00e8t\u00e8s, tr\u00e8s habile \u00e0 mener un char. Et apr\u00e8s lui, se leva le brave \nDiom\u00e8d\u00e8s t yd\u00e9ide, conduisant sous le joug les chevaux de tr\u00f4os \nqu\u2019il avait enlev\u00e9s autrefois \u00e0 Ain\u00e9ias, quand celui-ci fut sauv\u00e9 par \nApoll\u00f4n. Et, apr\u00e8s Diom\u00e8d\u00e8s, se leva le blond M\u00e9n\u00e9laos Atr\u00e9ide, \naim\u00e9 de Zeus. Et il conduisait sous le joug deux chevaux rapides : \nAith\u00e8, jument d\u2019Agamemn\u00f4n, et Podargos, qui lui appartenait. Et \nl\u2019Ankhisiade Ekh\u00e9p\u00f4los avait donn\u00e9 Aith\u00e8 \u00e0 Agamemn\u00f4n, afin de \nne point le suivre vers la haute Ilios. Et il \u00e9tait rest\u00e9, vivant dans \nles d\u00e9lices, car Zeus lui avait donn\u00e9 de grandes richesses, et il \nhabitait la grande Siki\u00f4n. Et M\u00e9n\u00e9laos la conduisait sous le joug, \npleine d\u2019ardeur.\nEt, apr\u00e8s l\u2019Atr\u00e9ide, se leva, conduisant deux beaux chevaux, \nAntilokhos, l\u2019illustre fils du magnanime roi n est\u00f4r n \u00e8l\u00e8iade. Et \nles chevaux rapides qui tra\u00eenaient son char \u00e9taient pyliens. Et le 622CHAnt 23\np\u00e8re, debout aupr\u00e8s de son fils, donnait des conseils excellents au \njeune homme d\u00e9j\u00e0 plein de prudence :\n\u2013 Antilokhos, certes, Zeus et Poseida\u00f4n, t\u2019ayant aim\u00e9 tout jeune, \nt\u2019ont enseign\u00e9 \u00e0 mener un char ; c\u2019est pourquoi on ne peut t\u2019ins -\ntruire davantage. t u sais tourner habilement la borne, mais tes \nchevaux sont lourds, et je crains un malheur. Les autres ne te sont \npas sup\u00e9rieurs en science, mais leurs chevaux sont plus rapides. \nAllons, ami, r\u00e9fl\u00e9chis \u00e0 tout, afin que les prix ne t\u2019\u00e9chappent pas. \nLe b\u00fbcheron vaut mieux par l\u2019adresse que par la force. C\u2019est par \nson art que le pilote dirige sur la noire mer une nef rapide, battue \npar les vents ; et le conducteur de chars l\u2019emporte par son habi -\nlet\u00e9 sur le conducteur de chars. Celui qui s\u2019abandonne \u00e0 ses che -\nvaux et \u00e0 son char vagabonde follement \u00e7\u00e0 et l\u00e0, et ses chevaux \ns\u2019emportent dans le stade, et il ne peut les retenir. Mais celui qui \nsait les choses utiles, quand il conduit des chevaux lourds, regar -\ndant toujours la borne, l\u2019effleure en la tournant. Et il ne l\u00e2che \npoint tout d\u2019abord les r\u00eanes en cuir de b\u0153uf, mais, les tenant \nd\u2019une main ferme, il observe celui qui le pr\u00e9c\u00e8de. Je vais te mon -\ntrer la borne. On la reconna\u00eet ais\u00e9ment. L\u00e0 s\u2019\u00e9l\u00e8ve un tronc des -\ns\u00e9ch\u00e9, d\u2019une aune environ hors de terre et que la pluie ne peut \nnourrir. C\u2019est le tronc d\u2019un ch\u00eane ou d\u2019un pin. Devant lui sont \ndeux pierres blanches, pos\u00e9es de l\u2019un et l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, au d\u00e9tour du \nchemin, et, en de\u00e7\u00e0 comme au-del\u00e0, s\u2019\u00e9tend l\u2019hippodrome aplani.623\nL \u2019ILIADEC\u2019est le tombeau d\u2019un homme mort autrefois, ou une limite \nplant\u00e9e par les anciens hommes, et c\u2019est la borne que le divin \nAkhilleus aux pieds rapides vous a marqu\u00e9e. Quand tu en appro -\ncheras, pousse tout aupr\u00e8s tes chevaux et ton char. Penche-toi, \nde ton char bien construit, un peu sur la gauche, et excite le che -\nval de droite de la voix et du fouet, en lui l\u00e2chant toutes les r\u00eanes. \nQue ton cheval de gauche rase la borne, de fa\u00e7on que le moyeu \nde la roue la touche presque ; mais \u00e9vite de heurter la pierre, de \npeur de blesser tes chevaux et de briser ton char, ce qui ferait la \njoie des autres, mais ta propre honte. Enfin, ami, sois adroit et \nprudent. Si tu peux d\u00e9passer la borne le premier, il n\u2019en est aucun \nqui ne te poursuive vivement, mais nul ne te devancera, quand \nm\u00eame on pousserait derri\u00e8re toi le divin Atr\u00e9i\u00f4n, ce rapide che -\nval d\u2019Adrest\u00e8s, qui \u00e9tait de race divine, ou m\u00eame les illustres che -\nvaux de Laom\u00e9d\u00f4n qui furent nourris ici.\nEt le n \u00e8l\u00e8i\u00f4n n est\u00f4r, ayant ainsi parl\u00e9 et enseign\u00e9 toute chose \u00e0 \nson fils, se rassit. Et, le cinqui\u00e8me, M\u00e8rion\u00e8s conduisait deux che -\nvaux aux beaux crins.\nPuis, ils mont\u00e8rent tous sur leurs chars, et ils jet\u00e8rent les sorts ; \net Akhilleus les remua, et Antilokhos n est\u00f4r\u00e9ide vint le pre -\nmier, puis le roi Eum\u00e8los, puis l\u2019Atr\u00e9ide M\u00e9n\u00e9laos illustre par sa \nlance, puis M\u00e8rion\u00e8s, et le dernier fut le t yd\u00e9ide, le plus brave de 624CHAnt 23\ntous. Et ils se plac\u00e8rent dans cet ordre, et Akhilleus leur marqua \nla borne, au loin dans la plaine ; et il envoya comme inspecteur \nle divin Phoinix, compagnon de son p\u00e8re, afin qu\u2019il surveill\u00e2t la \ncourse et d\u00eet la v\u00e9rit\u00e9.\nEt tous ensemble, levant le fouet sur les chevaux et les excitant \ndu fouet et de la voix, s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent dans la plaine, loin des nefs. \nEt la poussi\u00e8re montait autour de leurs poitrines, comme un \nnuage ou comme une temp\u00eate ; et les crini\u00e8res flottaient au vent ; \net les chars tant\u00f4t semblaient s\u2019enfoncer en terre, et tant\u00f4t bon -\ndissaient au-dessus. Mais les conducteurs se tenaient fermes sur \nleurs si\u00e8ges, et leur c\u0153ur palpitait du d\u00e9sir de la victoire, et cha -\ncun excitait ses chevaux qui volaient, soulevant la poussi\u00e8re de \nla plaine.\nMais quand les chevaux rapides, ayant atteint la limite de la \ncourse, revinrent vers la blanche mer, l\u2019ardeur des combattants \net la vitesse de la course devinrent visibles. Et les rapides juments \ndu Ph\u00e8r\u00e8tiade parurent les premi\u00e8res ; et les chevaux troiens de \nDiom\u00e8d\u00e8s les suivaient de si pr\u00e8s, qu\u2019ils semblaient monter sur \nle char. Et le dos et les larges \u00e9paules d\u2019Eum\u00e8los \u00e9taient chauf -\nf\u00e9s de leur souffle, car ils posaient sur lui leurs t\u00eates. Et, certes, \nDiom\u00e8d\u00e8s e\u00fbt vaincu ou rendu la lutte \u00e9gale, si Phoibos Apoll\u00f4n, \nirrit\u00e9 contre le fils de t ydeus, n\u2019e\u00fbt fait tomber de ses mains le 625\nL \u2019ILIADEfouet splendide. Et des larmes de col\u00e8re jaillirent de ses yeux, \nquand il vit les juments d\u2019Eum\u00e8los se pr\u00e9cipiter plus rapides, et \nses propres chevaux se ralentir, n\u2019\u00e9tant plus aiguillonn\u00e9s.\nMais Apoll\u00f4n, retardant le t yd\u00e9ide, ne put se cacher d\u2019Ath\u00e8n\u00e8. Et, \ncourant au prince des peuples, elle lui rendit son fouet et remplit \nses chevaux de vigueur. Puis, furieuse, et poursuivant le fils d\u2019Ad -\nm\u00e8t\u00e8s, elle brisa le joug des juments, qui se d\u00e9rob\u00e8rent.\nEt le timon tomba rompu ; et Eum\u00e8los aussi tomba aupr\u00e8s de \nla roue, se d\u00e9chirant les bras, la bouche et les narines. Et il resta \nmuet, le front meurtri et les yeux pleins de larmes.\nAlors, Diom\u00e8d\u00e8s, le devan\u00e7ant, poussa ses chevaux aux sabots \nmassifs, bien au-del\u00e0 de tous, car Ath\u00e8n\u00e8 leur avait donn\u00e9 une \ngrande vigueur et accordait la victoire au t yd\u00e9ide. Et, apr\u00e8s lui, \nle blond M\u00e9n\u00e9laos Atr\u00e9ide menait son char, puis Antilokhos, qui \nexhortait les chevaux de son p\u00e8re :\n\u2013 Prenez courage, et courez plus rapidement. Certes, je ne vous \nordonne point de lutter contre les chevaux du brave t yd\u00e9ide, car \nAth\u00e8n\u00e8 donne la vitesse \u00e0 leurs pieds et accorde la victoire \u00e0 leur \nma\u00eetre ; mais atteignez les chevaux de l\u2019Atr\u00e9ide, et ne faiblissez 626CHAnt 23\npoint, de peur que Aith\u00e8, qui n\u2019est qu\u2019une jument, vous couvre \nde honte.\nPourquoi tardez-vous, mes braves ? Mais je vous le dis, et, certes, \nceci s\u2019accomplira : nest\u00f4r, le prince des peuples, ne se souciera \nplus de vous ; et il vous percera de l\u2019airain aigu, si, par l\u00e2chet\u00e9, \nnous ne remportons qu\u2019un prix vil. H\u00e2tez-vous et poursuivez \npromptement l\u2019Atr\u00e9ide. Moi, je vais m\u00e9diter une ruse, et je le \ndevancerai au d\u00e9tour du chemin, et je le tromperai.\nIl parla ainsi, et les chevaux, effray\u00e9s des menaces du prince, cou -\nrurent plus rapidement. Et le brave Antilokhos vit que le chemin \nse r\u00e9tr\u00e9cissait.\nLa terre \u00e9tait d\u00e9fonc\u00e9e par l\u2019amas des eaux de l\u2019hiver, et une partie \ndu chemin \u00e9tait rompue, formant un trou profond. C\u2019\u00e9tait l\u00e0 que \nse dirigeait M\u00e9n\u00e9laos pour \u00e9viter le choc des chars. Et Antilokhos \ny poussa aussi ses chevaux aux sabots massifs, hors de la voie, sur \nle bord du terrain en pente. Et l\u2019Atr\u00e9ide fut saisi de crainte et dit \n\u00e0 Antilokhos :\n\u2013 Antilokhos, tu m\u00e8nes tes chevaux avec imprudence. Le chemin \nest \u00e9troit, mais il sera bient\u00f4t plus large. Prends garde de nous bri -\nser tous deux en heurtant mon char.627\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, mais Antilokhos, comme s\u2019il ne l\u2019avait point entendu, \naiguillonna plus encore ses chevaux. Aussi rapides que le jet d\u2019un \ndisque que lance de l\u2019\u00e9paule un jeune homme qui \u00e9prouve ses \nforces, les deux chars s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent de front. Mais l\u2019Atr\u00e9ide ralentit \nsa course et attendit, de peur que les chevaux aux sabots massifs, \nse heurtant dans le chemin, ne renversassent les chars, et qu\u2019An -\ntilokhos et lui, en se h\u00e2tant pour la victoire, ne fussent pr\u00e9cipit\u00e9s \ndans la poussi\u00e8re. Mais le blond M\u00e9n\u00e9laos, irrit\u00e9, lui dit :\n\u2013 Antilokhos, aucun homme n\u2019est plus perfide que toi ! Va ! c\u2019est \nbien faussement que nous te disions sage. Mais tu ne remporte -\nras point le prix sans te parjurer.\nAyant ainsi parl\u00e9, il exhorta ses chevaux et leur cria :\n\u2013 ne me retardez pas, et n\u2019ayez point le c\u0153ur triste. Leurs pieds \net leurs genoux seront plus t\u00f4t fatigu\u00e9s que les v\u00f4tres, car ils sont \nvieux tous deux.\nIl parla ainsi, et ses chevaux, effray\u00e9s par la voix du roi, s\u2019\u00e9lan -\nc\u00e8rent, et atteignirent aussit\u00f4t ceux d\u2019Antilokhos.\nCependant les Argiens, assis dans le stade, regardaient les \nchars qui volaient dans la plaine, en soulevant la poussi\u00e8re. Et 628CHAnt 23\nIdom\u00e9neus, chef des Kr\u00e8tois, les vit le premier. \u00c9tant assis hors \ndu stade, sur une hauteur, il entendit une voix qui excitait les \nchevaux, et il vit celui qui accourait le premier, dont toute la robe \n\u00e9tait rouge, et qui avait au front un signe blanc, rond comme \nl\u2019orbe de S\u00e9l\u00e9n\u00e8. Et il se leva et dit aux Argiens :\n\u2013 \u00d4 amis, princes et chefs des Argiens, voyez-vous ces chevaux \ncomme moi ? Il me semble que ce sont d\u2019autres chevaux et un \nautre conducteur qui tiennent maintenant la t\u00eate. Peut-\u00eatre les \npremiers au d\u00e9part ont-ils subi un malheur dans la plaine. Je les \nai vus tourner la borne et je ne les vois plus, et cependant j\u2019em -\nbrasse toute la plaine troienne. Ou les r\u00eanes auront \u00e9chapp\u00e9 au \nconducteur et il n\u2019a pu tourner la borne heureusement, ou il est \ntomb\u00e9, brisant son char, et ses juments furieuses se sont d\u00e9rob\u00e9es. \nMais regardez vous-m\u00eames ; je ne vois point clairement encore ; \ncependant, il me semble que c\u2019est un guerrier Ait\u00f4lien qui com -\nmande parmi les Argiens, le brave fils de tydeus dompteur de \nchevaux, Diom\u00e8d\u00e8s.\nEt le rapide Aias, fils d\u2019Oileus, lui r\u00e9pondit am\u00e8rement :\n\u2013 Idom\u00e9neus, pourquoi toujours bavarder ? Ce sont ces m\u00eames \njuments aux pieds a\u00e9riens qui arrivent \u00e0 travers la vaste plaine. \ntu n\u2019es certes pas le plus jeune parmi les Argiens, et les yeux qui 629\nL \u2019ILIADEsortent de ta t\u00eate ne sont point les plus per\u00e7ants. Mais tu bavardes \nsans cesse. Il ne te convient pas de tant parler, car beaucoup \nd\u2019autres ici valent mieux que toi. Ce sont les juments d\u2019Eum\u00e8los \nqui arrivent les premi\u00e8res, et c\u2019est lui qui tient toujours les r\u00eanes.\nEt le chef des Kr\u00e8tois, irrit\u00e9, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Aias, excellent pour la querelle, homme injurieux, le dernier \ndes Argiens, ton \u00e2me est toute f\u00e9roce ! Allons ! d\u00e9posons un tr\u00e9 -\npied, ou un vase, et prenons tous deux pour arbitre l\u2019Atr\u00e9ide \nAgamemn\u00f4n. Qu\u2019il dise quels sont ces chevaux, et tu le sauras \u00e0 \ntes d\u00e9pens.\nIl parla ainsi, et le rapide Aias, fils d\u2019Oileus, plein de col\u00e8re, se leva \npour lui r\u00e9pondre par d\u2019outrageantes paroles, et il y aurait eu une \nquerelle entre eux, si Akhilleus, s\u2019\u00e9tant lev\u00e9, n\u2019e\u00fbt parl\u00e9 :\n\u2013 ne vous adressez pas plus longtemps d\u2019injurieuses paroles, Aias \net Idom\u00e9neus. Cela ne convient point, et vous bl\u00e2meriez qui en \nferait autant. Restez assis, et regardez. Ces chevaux qui se h\u00e2tent \npour la victoire vont arriver. Vous verrez alors quels sont les pre -\nmiers et les seconds.630CHAnt 23\nIl parla ainsi, et le tyd\u00e9ide arriva, agitant sans rel\u00e2che le fouet \nsur ses chevaux, qui, en courant, soulevaient une haute poussi\u00e8re \nqui enveloppait leur conducteur. Et le char, orn\u00e9 d\u2019or et d\u2019\u00e9tain, \n\u00e9tait enlev\u00e9 par les chevaux rapides ; et l\u2019orbe des roues laissait \u00e0 \npeine une trace dans la poussi\u00e8re, tant ils couraient rapidement. \nEt le char s\u2019arr\u00eata au milieu du stade ; et des flots de sueur cou -\nlaient de la t\u00eate et du poitrail des chevaux. Et Diom\u00e8d\u00e8s sauta de \nson char brillant et appuya le fouet contre le joug. Et, sans tarder, \nle brave Sth\u00e9n\u00e9los saisit le prix. Il remit la femme et le tr\u00e9pied \u00e0 \ndeux anses \u00e0 ses magnanimes compagnons, et lui-m\u00eame d\u00e9tela \nles chevaux.\nEt, apr\u00e8s Diom\u00e8d\u00e8s, le n \u00e8l\u00e8i\u00f4n Antilokhos arriva, poussant ses \nchevaux et devan\u00e7ant M\u00e9n\u00e9laos par ruse et non par la rapidit\u00e9 de \nsa course. Et M\u00e9n\u00e9laos le poursuivait de pr\u00e8s. Autant est pr\u00e8s de \nla roue un cheval qui tra\u00eene son ma\u00eetre, sur un char, dans la plaine, \ntandis que les derniers crins de sa queue touchent les jantes, et \nqu\u2019il court \u00e0 travers l\u2019espace ; autant M\u00e9n\u00e9laos suivait de pr\u00e8s le \nbrave Antilokhos. Bien que rest\u00e9 en arri\u00e8re \u00e0 un jet de disque, il \nl\u2019avait atteint aussit\u00f4t, car Aith\u00e8 aux beaux crins, la jument d\u2019Aga -\nmemn\u00f4n, avait redoubl\u00e9 d\u2019ardeur ; et si la course des deux chars \ne\u00fbt \u00e9t\u00e9 plus longue, l\u2019Atr\u00e9ide e\u00fbt sans doute devanc\u00e9 Antilokhos. \nEt M\u00e8rion\u00e8s, le brave compagnon d\u2019Idom\u00e9neus, venait, \u00e0 un jet de 631\nL \u2019ILIADElance, derri\u00e8re l\u2019illustre M\u00e9n\u00e9laos, ses chevaux \u00e9tant tr\u00e8s lourds, et \nlui-m\u00eame \u00e9tant peu habile \u00e0 conduire un char dans le stade.\nMais le fils d\u2019Adm\u00e8t\u00e8s venait le dernier de tous, tra\u00eenant son beau \nchar et poussant ses chevaux devant lui. Et le divin Akhilleus aux \npieds rapides, le voyant, en eut compassion, et, debout au milieu \ndes Argiens, il dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ce guerrier excellent ram\u00e8ne le dernier ses chevaux aux sabots \nmassifs. Donnons-lui donc le second prix, comme il est juste, et \nle fils de t ydeus emportera le premier.\nIl parla ainsi, et tous y consentirent ; et il allait donner \u00e0 Eum\u00e9los \nla jument promise, si Antilokhos, le fils du magnanime n est\u00f4r, se \nlevant, n\u2019e\u00fbt r\u00e9pondu \u00e0 bon droit au P\u00e8l\u00e9ide Akhilleus :\n\u2013 \u00d4 Akhilleus, je m\u2019irriterai violemment contre toi, si tu fais ce \nque tu as dit. t u veux m\u2019enlever mon prix, parce que, malgr\u00e9 son \nhabilet\u00e9, Eum\u00e8los a vu son char se rompre ! Il devait supplier les \nimmortels. Il ne serait point arriv\u00e9 le dernier. Si tu as compas -\nsion de lui, et s\u2019il t\u2019est cher, il y a, sous ta tente, beaucoup d\u2019or, de \nl\u2019airain, des brebis, des captives et des chevaux aux sabots mas -\nsifs. Donne-lui un plus grand prix que le mien, d\u00e8s maintenant, \net que les Akhaiens y applaudissent, soit ; mais je ne c\u00e9derai point 632CHAnt 23\nmon prix. Que le guerrier qui voudrait me le disputer combatte \nd\u2019abord contre moi.\nIl parla ainsi, et le divin Akhilleus aux pieds vigoureux rit, \napprouvant Antilokhos, parce qu\u2019il l\u2019aimait ; et il lui r\u00e9pondit ces \nparoles ail\u00e9es :\n\u2013 Antilokhos, si tu veux que je prenne dans ma tente un autre prix \npour Eum\u00e8los, je le ferai. Je lui donnerai la cuirasse que j\u2019enle -\nvai \u00e0 Ast\u00e9ropaios. Elle est d\u2019or et entour\u00e9e d\u2019\u00e9tain brillant. Elle est \ndigne de lui.\nIl parla ainsi, et il ordonna \u00e0 son cher compagnon Autom\u00e9d\u00f4n \nde l\u2019apporter de sa tente, et Autom\u00e9d\u00f4n partit et l\u2019apporta. Et \nAkhilleus la remit aux mains d\u2019Eum\u00e8los, qui la re\u00e7ut avec joie.\nEt M\u00e9n\u00e9laos se leva au milieu de tous, triste et violemment irrit\u00e9 \ncontre Antilokhos. Un h\u00e9raut lui mit le sceptre entre les mains \net ordonna aux Argiens de faire silence, et le divin guerrier \nparla ainsi :\n\u2013 Antilokhos, toi qui \u00e9tais plein de sagesse, pourquoi en as-tu man -\nqu\u00e9 ? tu as d\u00e9shonor\u00e9 ma gloire ; tu as jet\u00e9 en travers des miens \ntes chevaux qui leur sont bien inf\u00e9rieurs. Vous, princes et chefs 633\nL \u2019ILIADEdes Argiens, jugez \u00e9quitablement entre nous. Que nul d\u2019entre \nles Akhaiens aux tuniques d\u2019airain ne puisse dire : M\u00e9n\u00e9laos a \nopprim\u00e9 Antilokhos par des paroles mensong\u00e8res et a ravi son \nprix, car ses chevaux ont \u00e9t\u00e9 vaincus, mais lui l\u2019a emport\u00e9 par sa \npuissance. Mais je jugerai moi-m\u00eame, et je ne pense pas qu\u2019aucun \ndes Danaens me bl\u00e2me, car mon jugement sera droit. Antilokhos, \napproche, enfant de Zeus, comme il est juste. Debout, devant ton \nchar, prends en main ce fouet que tu agitais sur tes chevaux, et \njure par Poseida\u00f4n qui entoure la terre que tu n\u2019as point travers\u00e9 \nma course par ruse.\nEt le sage Antilokhos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Pardonne maintenant, car je suis beaucoup plus jeune que toi, \nroi M\u00e9n\u00e9laos, et tu es plus \u00e2g\u00e9 et plus puissant. t u sais quels sont \nles d\u00e9fauts d\u2019un jeune homme ; l\u2019esprit est tr\u00e8s vif et la r\u00e9flexion \ntr\u00e8s l\u00e9g\u00e8re. Que ton c\u0153ur s\u2019apaise. Je te donnerai moi-m\u00eame cette \njument indompt\u00e9e que j\u2019ai re\u00e7ue ; et, si tu me demandais plus \nencore, j\u2019aimerais mieux te le donner aussi, \u00f4 fils de Zeus, que de \nsortir pour toujours de ton c\u0153ur et d\u2019\u00eatre en ex\u00e9cration aux dieux.\nLe fils du magnanime n est\u00f4r parla ainsi et remit la jument entre \nles mains de M\u00e9n\u00e9laos ; et le c\u0153ur de celui-ci se remplit de joie, \ncomme les \u00e9pis sous la ros\u00e9e, quand les campagnes s\u2019emplissent 634CHAnt 23\nde la moisson croissante. Ainsi, ton c\u0153ur fut joyeux, \u00f4 M\u00e9n\u00e9laos ! \nEt il r\u00e9pondit en paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Antilokhos, ma col\u00e8re ne te r\u00e9siste pas, car tu n\u2019as jamais \u00e9t\u00e9 ni \nl\u00e9ger, ni injurieux. La jeunesse seule a \u00e9gar\u00e9 ta prudence ; mais \nprends garde d\u00e9sormais de tromper tes sup\u00e9rieurs par des ruses. \nUn autre d\u2019entre les Akhaiens ne m\u2019e\u00fbt point apais\u00e9 aussi vite ; \nmais toi, ton p\u00e8re excellent et ton fr\u00e8re, vous avez subi beaucoup \nde maux pour ma cause. Donc, je me rends \u00e0 ta pri\u00e8re, et je te \ndonne cette jument qui m\u2019appartient, afin que tous les Akhaiens \nsoient t\u00e9moins que mon c\u0153ur n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 ni orgueilleux, ni dur.\nIl parla ainsi, et il donna la jument \u00e0 n o\u00e8m\u00f4n, compagnon d\u2019An -\ntilokhos. Lui-m\u00eame, il prit le vase splendide, et M\u00e8rion\u00e8s re\u00e7ut les \ndeux talents d\u2019or, prix de sa course. Et le cinqui\u00e8me prix restait, \nl\u2019urne \u00e0 deux anses. Et Akhilleus, la portant \u00e0 travers l\u2019assembl\u00e9e \ndes Argiens, la donna \u00e0 n est\u00f4r, et lui dit :\n\u2013 Re\u00e7ois ce pr\u00e9sent, vieillard, et qu\u2019il te soit un souvenir des fun\u00e9 -\nrailles de Patroklos, que tu ne reverras plus parmi les Argiens. Je \nte donne ce prix que tu n\u2019as point disput\u00e9 ; car tu ne combattras \npoint avec les cestes, tu ne lutteras point, tu ne lanceras point la \npique et tu ne courras point, car la lourde vieillesse t\u2019accable.635\nL \u2019ILIADEAyant ainsi parl\u00e9, il lui mit l\u2019urne aux mains, et n est\u00f4r la recevant \navec joie, lui r\u00e9pondit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Mon fils, certes, tu as bien parl\u00e9. Ami, je n\u2019ai plus, en effet, mes \nmembres vigoureux. Mes pieds sont lourds et mes bras ne sont \nplus agiles. Pl\u00fbt aux dieux que je fusse jeune, et que ma force f\u00fbt \ntelle qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 les \u00c9p\u00e9iens ensevelirent le roi Amarinkeus \ndans Bouprasi\u00f4n ! Ses fils d\u00e9pos\u00e8rent des prix, et aucun guerrier \nne fut mon \u00e9gal parmi les \u00c9p\u00e9iens, les Pyliens et les magnanimes \nAit\u00f4liens. Je vainquis au pugilat Klydom\u00e8deus, fils d\u2019\u00c9nops ; \u00e0 la \nlutte, Agkaios le Pleur\u00f4nien qui se leva contre moi. Je courus plus \nvite que le brave Iphiklos ; je triomphai, au combat de la lance, \nde Phyleus et de Polyd\u00f4ros ; mais, \u00e0 la course des chars, par leur \nnombre, les Aktori\u00f4nes remport\u00e8rent la victoire, et ils m\u2019enle -\nv\u00e8rent ainsi les plus beaux prix.\nCar ils \u00e9taient deux : et l\u2019un tenait fermement les r\u00eanes, et l\u2019autre \nle fouet. t el j\u2019\u00e9tais autrefois, et maintenant de plus jeunes accom -\nplissent ces travaux, et il me faut ob\u00e9ir \u00e0 la triste vieillesse ; mais, \nalors, j\u2019excellais parmi les h\u00e9ros. Va ! continue par d\u2019autres com -\nbats les fun\u00e9railles de ton compagnon. J\u2019accepte ce pr\u00e9sent avec \njoie, et mon c\u0153ur se r\u00e9jouit de ce que tu te sois souvenu de moi \nqui te suis bienveillant, et de ce que tu m\u2019aies honor\u00e9, comme 636CHAnt 23\nil est juste qu\u2019on m\u2019honore parmi les Argiens. Que les dieux, en \nretour, te comblent de leurs gr\u00e2ces !\nIl parla ainsi, et le P\u00e8l\u00e9ide s\u2019en retourna \u00e0 travers la grande assem -\nbl\u00e9e des Akhaiens, apr\u00e8s avoir \u00e9cout\u00e9 jusqu\u2019au bout la propre \nlouange du n \u00e8l\u00e8iade.\nEt il d\u00e9posa les prix pour le rude combat des poings. Et il amena \ndans l\u2019enceinte, et il lia de ses mains une mule laborieuse, de six \nans, indompt\u00e9e et presque indomptable ; et il d\u00e9posa une coupe \nronde pour le vaincu. Et, debout, il dit au milieu des Argiens :\n\u2013 Atr\u00e9ides, et vous Akhaiens aux belles kn\u00e8mides, j\u2019appelle, pour \ndisputer ces prix, deux hommes vigoureux \u00e0 se frapper de leurs \npoings lev\u00e9s. Que tous les Akhaiens le sachent, celui \u00e0 qui Apoll\u00f4n \ndonnera la victoire, conduira dans sa tente cette mule patiente, et \nle vaincu emportera cette coupe ronde.\nIl parla ainsi, et aussit\u00f4t un homme vigoureux et grand se leva, \n\u00c9p\u00e9ios, fils de Panopeus, habile au combat du poing. Il saisit la \nmule laborieuse et dit :\n\u2013 Qu\u2019il vienne, celui qui veut emporter cette coupe, car je ne pense \npas qu\u2019aucun des Akhaiens puisse emmener cette mule, m\u2019ayant 637\nL \u2019ILIADEvaincu par le poing ; car, en cela, je me glorifie de l\u2019emporter sur \ntous. n \u2019est-ce point assez que je sois inf\u00e9rieur dans le combat ? \nAucun homme ne peut exceller en toutes choses. Mais, je le dis, et \nma parole s\u2019accomplira : je briserai le corps de mon adversaire et \nje romprai ses os. Que ses amis s\u2019assemblent ici en grand nombre \npour l\u2019emporter, quand il sera tomb\u00e9 sous mes mains.\nIl parla ainsi, et tous rest\u00e8rent muets. Et le seul Euryalos se leva, \nhomme illustre, fils du roi M\u00e8kisteus t alionide qui, autrefois, alla \ndans t h\u00e8b\u00e8 aux fun\u00e9railles d\u2019Oidipous, et qui l\u2019emporta sur tous \nles Kadm\u00e9i\u00f4nes. Et l\u2019illustre t yd\u00e9ide s\u2019empressait autour d\u2019Eu -\nryalos, l\u2019animant de ses paroles, car il lui souhaitait la victoire. Et \nil lui mit d\u2019abord une ceinture, et il l\u2019arma de courroies faites du \ncuir d\u2019un b\u0153uf sauvage.\nPuis, les deux combattants s\u2019avanc\u00e8rent au milieu de l\u2019enceinte. Et \ntous deux, levant \u00e0 la fois leurs mains vigoureuses, se frapp\u00e8rent \n\u00e0 la fois, en m\u00ealant leurs poings lourds. Et on entendait le bruit \ndes m\u00e2choires frapp\u00e9es ; et la sueur coulait chaude de tous leurs \nmembres. Mais le divin \u00c9p\u00e9ios, se ruant en avant, frappa de tous \nles c\u00f4t\u00e9s la face d\u2019Euryalos qui ne put r\u00e9sister plus longtemps, et \ndont les membres d\u00e9faillirent.638CHAnt 23\nDe m\u00eame que le poisson qui est jet\u00e9, par le souffle furieux de \nBor\u00e9as, dans les algues du bord, et que l\u2019eau noire ressaisit ; de \nm\u00eame Euryalos frapp\u00e9 bondit. Mais le magnanime \u00c9p\u00e9ios le \nreleva lui-m\u00eame, et ses chers compagnons, l\u2019entourant, l\u2019emme -\nn\u00e8rent \u00e0 travers l\u2019assembl\u00e9e, les pieds tra\u00eenants, vomissant un \nsang \u00e9pais, et la t\u00eate pench\u00e9e. Et ils l\u2019emmenaient ainsi, en le sou -\ntenant, et ils emport\u00e8rent aussi la coupe ronde.\nEt le P\u00e8l\u00e9ide d\u00e9posa les prix de la lutte difficile devant les Danaens : \nun grand tr\u00e9pied fait pour le feu, et destin\u00e9 au vainqueur, et que \nles Akhaiens, entre eux, estim\u00e8rent du prix de douze b\u0153ufs ; et, \npour le vaincu, une femme habile aux travaux et valant quatre \nb\u0153ufs. Et le P\u00e8l\u00e9ide, debout, dit au milieu des Argiens :\n\u2013 Qu\u2019ils se l\u00e8vent, ceux qui osent combattre pour ce prix.\nIl parla ainsi, et aussit\u00f4t le grand t \u00e9lam\u00f4nien Aias se leva ; et le \nsage Odysseus, plein de ruses, se leva aussi. Et tous deux, s\u2019\u00e9tant \nmunis de ceintures, descendirent dans l\u2019enceinte et se saisirent \nde leurs mains vigoureuses, tels que deux poutres qu\u2019un habile \ncharpentier unit au sommet d\u2019une maison pour r\u00e9sister \u00e0 la vio -\nlence du vent. Ainsi leurs reins, sous leurs mains vigoureuses, \ncraqu\u00e8rent avec force, et leur sueur coula abondamment, et \nd\u2019\u00e9paisses tumeurs, rouges de sang, s\u2019\u00e9lev\u00e8rent sur leurs flancs et 639\nL \u2019ILIADEleurs \u00e9paules. Et tous deux d\u00e9siraient ardemment la victoire et le \ntr\u00e9pied qui en \u00e9tait le prix ; mais Odysseus ne pouvait \u00e9branler \nAias, et Aias ne pouvait renverser Odysseus.\nEt d\u00e9j\u00e0 ils fatiguaient l\u2019attente des Akhaiens aux belles kn\u00e8mides ; \nmais le grand t \u00e9lam\u00f4nien Aias dit alors \u00e0 Odysseus :\n\u2013 Divin Laertiade, tr\u00e8s sage Odysseus, enl\u00e8ve-moi, ou je t\u2019enl\u00e8ve -\nrai, et Zeus fera le reste.\nIl parla ainsi, et il l\u2019enleva ; mais Odysseus n\u2019oublia point ses ruses, \net, le frappant du pied sur le jarret, il fit ployer ses membres, et, \nle renversant, tomba sur lui. Et les peuples \u00e9tonn\u00e9s les admi -\nraient. Alors le divin et patient Odysseus voulut \u00e0 son tour enle -\nver Aias ; mais il le souleva \u00e0 peine, et ses genoux ploy\u00e8rent, et \ntous deux tomb\u00e8rent c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te, et ils furent souill\u00e9s de pous -\nsi\u00e8re. Et, comme ils se relevaient une troisi\u00e8me fois, Akhilleus se \nleva lui-m\u00eame et les retint :\n\u2013 ne combattez pas plus longtemps et ne vous \u00e9puisez pas. La vic -\ntoire est \u00e0 tous deux. Allez donc, emportant des prix \u00e9gaux, et \nlaissez combattre les autres Akhaiens.640CHAnt 23\nIl parla ainsi ; et, l\u2019ayant entendu, ils lui ob\u00e9irent ; et, secouant leur \npoussi\u00e8re, ils se couvrirent de leurs v\u00eatements.\nAlors le P\u00e8l\u00e9ide d\u00e9posa les prix de la course : un tr\u00e8s beau krat\u00e8re \nd\u2019argent contenant six mesures. Et il surpassait par sa beaut\u00e9 tous \nceux qui \u00e9taient sur la terre. Les habiles Sid\u00f4nes l\u2019avaient admi -\nrablement travaill\u00e9 ; et des Phoinikes l\u2019avaient amen\u00e9, \u00e0 travers la \nmer bleue ; et, arriv\u00e9s au port, ils l\u2019avaient donn\u00e9 \u00e0 t hoas.\nLe Iasonide Euneus l\u2019avait c\u00e9d\u00e9 au h\u00e9ros Patroklos pour l\u2019affran -\nchissement du Priamide Lyka\u00f4n ; et Akhilleus le proposa en prix \naux plus habiles coureurs dans les jeux fun\u00e8bres de son ami. Puis, \nil offrit un b\u0153uf \u00e9norme et tr\u00e8s gras ; puis, enfin, un demi talent \nd\u2019or. Et, debout, il dit au milieu des Argiens :\n\u2013 Qu\u2019ils se l\u00e8vent, ceux qui veulent combattre pour ce prix.\nIl parla ainsi, et, aussit\u00f4t, le rapide Aias, fils d\u2019Oileus, se leva ; puis \nle sage Odysseus, puis Antilokhos, fils de n est\u00f4r. Et celui-ci d\u00e9pas -\nsait tous les jeunes hommes \u00e0 la course. Ils se plac\u00e8rent de front, \net Akhilleus leur montra le but, et ils se pr\u00e9cipit\u00e8rent. L \u2019Oiliade les \ndevan\u00e7ait tous ; puis, venait le divin Odysseus. Autant la navette \nqu\u2019une belle femme manie habilement, approche de son sein, \nquand elle tire le fil \u00e0 elle, autant Odysseus \u00e9tait proche d\u2019Aias, 641\nL \u2019ILIADEmettant ses pieds dans les pas de celui-ci, avant que leur pous -\nsi\u00e8re se f\u00fbt \u00e9lev\u00e9e. Ainsi le divin Odysseus chauffait de son souffle \nla t\u00eate d\u2019Aias. Et tous les Akhaiens applaudissaient \u00e0 son d\u00e9sir de \nla victoire et l\u2019excitaient \u00e0 courir. Et comme ils approchaient du \nbut, Odysseus pria en lui-m\u00eame Ath\u00e8n\u00e8 aux yeux clairs :\n\u2013 Exauce-moi, d\u00e9esse ! soutiens-moi heureusement dans \nma course.\nIl parla ainsi ; et Pallas Ath\u00e8n\u00e8, l\u2019exau\u00e7ant, rendit ses membres \nplus agiles et ses pieds plus l\u00e9gers.\nEt comme ils revenaient aux prix, Ath\u00e8n\u00e8 poussa Aias qui tomba, \nen courant, l\u00e0 o\u00f9 s\u2019\u00e9tait amass\u00e9 le sang des b\u0153ufs mugissants \nqu\u2019Akhilleus aux pieds rapides avait tu\u00e9s devant le corps de \nPatroklos ; et sa bouche et ses narines furent emplies de fumier \net du sang des b\u0153ufs ; et le divin et patient Odysseus, le devan -\n\u00e7ant, saisit le krat\u00e8re d\u2019argent. Et l\u2019illustre Aias prit le b\u0153uf ; et se \ntenant d\u2019une main \u00e0 l\u2019une des cornes du b\u0153uf sauvage, et rejetant \nle fumier de sa bouche, il dit au milieu des Argiens :\n\u2013 Malheur \u00e0 moi ! certes, la d\u00e9esse Ath\u00e8n\u00e8 a embarrass\u00e9 mes \npieds, elle qui accompagne et secourt toujours Odysseus, comme \nune m\u00e8re.642CHAnt 23\nIl parla ainsi, et tous, en l\u2019entendant, se mirent \u00e0 rire. Et Antilokhos \nenleva le dernier prix, et il dit en riant aux Argiens :\n\u2013 Je vous le dis \u00e0 tous, et vous le voyez, amis ; maintenant et tou -\njours, les immortels honorent les vieillards. Aias est un peu plus \n\u00e2g\u00e9 que moi ; mais Odysseus est de la g\u00e9n\u00e9ration des hommes \nanciens. Cependant, il a une verte vieillesse, et il est difficile \n\u00e0 tous les Akhaiens, si ce n\u2019est \u00e0 Akhilleus, de lutter avec lui \u00e0 \nla course.\nIl parla ainsi, louant le P\u00e8l\u00e9i\u00f4n aux pieds rapides. Et Akhilleus \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 Antilokhos, tu ne m\u2019auras point lou\u00e9 en vain, et je te donnerai \nencore un autre demi-talent d\u2019or.\nAyant ainsi parl\u00e9, il le lui donna, et Antilokhos le re\u00e7ut avec joie. \nPuis, le P\u00e8l\u00e9ide d\u00e9posa dans l\u2019enceinte une longue lance, un bou -\nclier et un casque ; et c\u2019\u00e9taient les armes que Patroklos avait enle -\nv\u00e9es \u00e0 Sarp\u00e8d\u00f4n. Et, debout, il dit au milieu des Argiens :\n\u2013 Que deux guerriers, parmi les plus braves, et couverts de leurs \narmes d\u2019airain, combattent devant la foule. \u00c0 celui qui, attei -\ngnant le premier le corps de l\u2019autre, aura fait couler le sang noir 643\nL \u2019ILIADE\u00e0 travers les armes, je donnerai cette belle \u00e9p\u00e9e t hr\u00e8kienne, aux \nclous d\u2019argent, que j\u2019enlevai \u00e0 Ast\u00e9ropaios. Quant \u00e0 ces armes, \nelles seront communes ; et je leur offrirai \u00e0 tous deux un beau \nrepas dans mes tentes.\nIl parla ainsi, et, aussit\u00f4t, le grand t \u00e9lam\u00f4nien Aias se leva ; et, \napr\u00e8s lui, le brave Diom\u00e8d\u00e8s t yd\u00e9ide se leva aussi. Et tous deux, \n\u00e0 l\u2019\u00e9cart, s\u2019\u00e9tant arm\u00e9s, se pr\u00e9sent\u00e8rent au milieu de tous, pr\u00eats \u00e0 \ncombattre et se regardant avec des yeux terribles. Et la terreur \nsaisit tous les Akhaiens. Et quand les h\u00e9ros se furent rencontr\u00e9s, \ntrois fois, se jetant l\u2019un sur l\u2019autre, ils s\u2019attaqu\u00e8rent ardemment. \nAias per\u00e7a le bouclier de Diom\u00e8d\u00e8s, mais il n\u2019atteignit point le \ncorps que prot\u00e9geait la cuirasse. Et le t yd\u00e9ide dirigea la pointe \nde sa lance, au-dessus du grand bouclier, pr\u00e8s du cou ; mais les \nAkhaiens, craignant pour Aias, f\u00eerent cesser le combat et leur \ndonn\u00e8rent des prix \u00e9gaux.\nCependant le h\u00e9ros Akhilleus donna au t yd\u00e9ide la grande \u00e9p\u00e9e, \navec la ga\u00eene et le riche baudrier.\nPuis, le P\u00e8l\u00e9ide d\u00e9posa un disque de fer brut que lan\u00e7ait autrefois \nla force immense d\u2019\u00ca\u00e9ti\u00f4n. Et le divin Akhilleus aux pieds rapides, 644CHAnt 23\nayant tu\u00e9 E\u00e9ti\u00f4n, avait emport\u00e9 cette masse dans ses nefs, avec \nd\u2019autres richesses. Et, debout, il dit au milieu des Argiens :\n\u2013 Qu\u2019ils se l\u00e8vent, ceux qui veulent tenter ce combat. Celui qui \nposs\u00e9dera ce disque, s\u2019il a des champs fertiles qui s\u2019\u00e9tendent au \nloin, ne manquera point de fer pendant cinq ann\u00e9es enti\u00e8res. n i \nses bergers, ni ses laboureurs n\u2019iront en acheter \u00e0 la ville, car ce \ndisque lui en fournira.\nIl parla ainsi, et le belliqueux Polypoit\u00e8s se leva ; et, apr\u00e8s lui, la \nforce du divin L\u00e9onteus ; puis, Aias t\u00e9lam\u00f4niade, puis le divin \n\u00c9p\u00e9ios. Et ils prirent place ; et le divin \u00c9p\u00e9ios saisit le disque, et, \nle faisant tourner, le lan\u00e7a ; et tous les Akhaiens se mirent \u00e0 rire. \nLe second qui le lan\u00e7a fut L\u00e9onteus, rejeton d\u2019Ar\u00e8s. Le troisi\u00e8me \nfut le grand t \u00e9lam\u00f4nien Aias qui, de sa main vigoureuse, le jeta \nbien au-del\u00e0 des autres. Mais quand le belliqueux Polypoit\u00e8s l\u2019eut \nsaisi, il le lan\u00e7a plus loin que tous, de l\u2019espace entier que franchit \nle b\u00e2ton recourb\u00e9 d\u2019un bouvier, que celui-ci fait voler \u00e0 travers les \nvaches vagabondes.\nEt les Akhaiens pouss\u00e8rent des acclamations, et les compagnons \ndu brave Polypoit\u00e8s emport\u00e8rent dans les nefs creuses le prix de \nleur roi.645\nL \u2019ILIADEPuis, le P\u00e8l\u00e9ide d\u00e9posa, pour les archers habiles, dix grandes \nhaches \u00e0 deux tranchants et dix petites haches, toutes en fer. Et \nil fit dresser dans l\u2019enceinte le m\u00e2t noir d\u2019une nef \u00e9peronn\u00e9e ; et, \nau sommet du m\u00e2t, il fit lier par un lien l\u00e9ger une colombe trem -\nblante, but des fl\u00e8ches :\n\u2013 Celui qui atteindra la colombe emportera les haches \u00e0 deux \ntranchants dans sa tente ; et celui qui, moins adroit, et manquant \nl\u2019oiseau, aura coup\u00e9 le lien, emportera les petites haches.\nIl parla ainsi, et le prince t eukros se leva aussit\u00f4t ; et apr\u00e8s lui, \nM\u00e8rion\u00e8s, brave compagnon d\u2019Idom\u00e9neus, se leva aussi. Et les \nsorts ayant \u00e9t\u00e9 remu\u00e9s dans un casque d\u2019airain, celui de t eukros \nparut le premier. Et, aussit\u00f4t, il lan\u00e7a une fl\u00e8che avec vigueur, \noubliant de vouer \u00e0 l\u2019archer Apoll\u00f4n une illustre h\u00e9catombe \nd\u2019agneaux premiers-n\u00e9s. Et il manqua l\u2019oiseau car Apoll\u00f4n lui \nenvia cette gloire ; mais il atteignit, aupr\u00e8s du pied, le lien qui rete -\nnait l\u2019oiseau ; et la fl\u00e8che am\u00e8re trancha le lien, et la colombe s\u2019en -\nvola dans l\u2019Ouranos, tandis que le lien retombait. Et les Akhaiens \npouss\u00e8rent des acclamations. Mais, aussit\u00f4t, M\u00e8rion\u00e8s, saisissant \nl\u2019arc de la main de t eukros, car il tenait la fl\u00e8che pr\u00eate, voua \u00e0 \nl\u2019archer Apoll\u00f4n une illustre h\u00e9catombe d\u2019agneaux premiers-n\u00e9s, \net, tandis que la colombe montait en tournoyant vers les hautes \nnu\u00e9es, il l\u2019atteignit sous l\u2019aile.646CHAnt 23\nLe trait la traversa et revint s\u2019enfoncer en terre aux pieds de \nM\u00e8rion\u00e8s ; et l\u2019oiseau tomba le long du m\u00e2t noir de la nef \u00e9pe -\nronn\u00e9e, le cou pendant, et les plumes \u00e9parses, et son \u00e2me s\u2019envola \nde son corps. Et tous furent saisis d\u2019admiration. Et M\u00e8rion\u00e9s prit \nles dix haches \u00e0 deux tranchants, et t eukros emporta les petites \nhaches dans sa tente.\nPuis, le P\u00e8l\u00e9ide d\u00e9posa une longue lance et un vase neuf et \norn\u00e9, du prix d\u2019un b\u0153uf ; et ceux qui devaient lancer la pique se \nlev\u00e8rent. Et l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n qui commande au loin se leva ; \net M\u00e8rion\u00e8s, brave compagnon d\u2019Idom\u00e9neus, se leva aussi. Mais \nle divin et rapide Akhilleus leur dit :\n\u2013 Atr\u00e9ide, nous savons combien tu l\u2019emportes sur tous par ta force \net ton habilet\u00e9 \u00e0 la lance. Emporte donc ce prix dans tes nefs \ncreuses. Mais, si tu le veux, et tel est mon d\u00e9sir, donne cette lance \nau h\u00e9ros M\u00e8rion\u00e8s.\nIl parla ainsi, et le roi des hommes Agamemn\u00f4n y consentit. Et \nAkhilleus donna la lance d\u2019airain \u00e0 M\u00e8rion\u00e9s, et le roi Atr\u00e9ide \nremit le vase magnifique au h\u00e9raut t althybios.647\nL \u2019ILIADEChant 24\nEt les luttes ayant pris fin, les peuples se dispers\u00e8rent, rentrant \ndans les nefs, afin de prendre leur repas et de jouir du doux som -\nmeil. Mais Akhilleus pleurait, se souvenant de son cher com -\npagnon ; et le sommeil qui dompte tout ne le saisissait pas. Et il \nse tournait \u00e7\u00e0 et l\u00e0, regrettant la force de Patroklos et son c\u0153ur \nh\u00e9ro\u00efque. Et il se souvenait des choses accomplies et des maux \nsoufferts ensemble, et de tous leurs combats en traversant la mer \ndangereuse. Et, \u00e0 ce souvenir, il versait des larmes, tant\u00f4t cou -\nch\u00e9 sur le c\u00f4t\u00e9, tant\u00f4t sur le dos, tant\u00f4t le visage contre terre. \nPuis, il se leva brusquement, et, plein de tristesse, il erra sur le \nrivage de la mer. Et les premi\u00e8res lueurs d\u2019\u00c9\u00f4s s\u2019\u00e9tant r\u00e9pandues \nsur les flots et sur les plages, il attela ses chevaux rapides, et, liant \nHekt\u00f4r derri\u00e8re le char, il le tra\u00eena trois fois autour du tombeau \ndu M\u00e9noitiade. Puis, il rentra de nouveau dans sa tente pour s\u2019y \nreposer, et il laissa Hekt\u00f4r \u00e9tendu, la face dans la poussi\u00e8re.\nMais Apoll\u00f4n, plein de piti\u00e9 pour le guerrier sans vie, \u00e9loignait \ndu corps toute souillure et le couvrait tout entier de l\u2019aigide d\u2019or, \nafin que le P\u00e8l\u00e9ide, en le tra\u00eenant, ne le d\u00e9chir\u00e2t point. C\u2019est ainsi \nque, furieux, Akhilleus outrageait Hekt\u00f4r ; et les dieux heureux 648CHAnt 24\nqui le regardaient en avaient piti\u00e9, et ils excitaient le vigilant tueur \nd\u2019Argos \u00e0 l\u2019enlever. Et ceci plaisait \u00e0 tous les dieux, sauf \u00e0 H\u00e8r\u00e8, \u00e0 \nPoseida\u00f4n et \u00e0 la vierge aux yeux clairs, qui, tous trois, gardaient \nleur ancienne haine pour la sainte Ilios, pour Priamos et son \npeuple, \u00e0 cause de l\u2019injure d\u2019Alexandros qui m\u00e9prisa les d\u00e9esses \nquand elles vinrent dans sa cabane, o\u00f9 il couronna celle qui le \nremplit d\u2019un d\u00e9sir funeste.\nEt quand \u00c9\u00f4s se leva pour la douzi\u00e8me fois, Phoibos Apoll\u00f4n \nparla ainsi au milieu des immortels :\n\u2013 \u00d4 dieux ! vous \u00eates injustes et cruels. Pour vous, nagu\u00e8re, Hekt\u00f4r \nne br\u00fblait-il pas les cuisses des b\u0153ufs et des meilleures ch\u00e8vres ? \nEt, maintenant, vous ne voulez pas m\u00eame rendre son cadavre \u00e0 sa \nfemme, \u00e0 sa m\u00e8re, \u00e0 son fils, \u00e0 son p\u00e8re Priamos et \u00e0 ses peuples, \npour qu\u2019ils le revoient et qu\u2019ils le br\u00fblent, et qu\u2019ils accomplissent \nses fun\u00e9railles. \u00d4 dieux ! vous ne voulez prot\u00e9ger que le f\u00e9roce \nAkhilleus dont les desseins sont ha\u00efssables, dont le c\u0153ur est \ninflexible dans sa poitrine, et qui est tel qu\u2019un lion excit\u00e9 par \nsa grande force et par sa rage, qui se jette sur les troupeaux des \nhommes pour les d\u00e9vorer. Ainsi Akhilleus a perdu toute com -\npassion, et cette honte qui perd ou qui aide les hommes. D\u2019autres \naussi peuvent perdre quelqu\u2019un qui leur est tr\u00e8s cher, soit un fr\u00e8re, \nsoit un fils ; et ils pleurent et g\u00e9missent, puis ils se consolent, car 649\nL \u2019ILIADEles moires ont donn\u00e9 aux hommes un esprit patient. Mais lui, \napr\u00e8s avoir priv\u00e9 le divin Hekt\u00f4r de sa ch\u00e8re \u00e2me, l\u2019attachant \u00e0 \nson char, il le tra\u00eene autour du tombeau de son compagnon. Cela \nn\u2019est ni bon, ni juste. Qu\u2019il craigne, bien que tr\u00e8s brave, que nous \nnous irritions contre lui, car, dans sa fureur, il outrage une pous -\nsi\u00e8re insensible.\nEt, pleine de col\u00e8re, H\u00e8r\u00e8 aux bras blancs lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tu parles bien, archer, si on accorde des honneurs \u00e9gaux \u00e0 \nAkhilleus et \u00e0 Hekt\u00f4r.\nMais le Priamide a suc\u00e9 la mamelle d\u2019une femme mortelle, tan -\ndis qu\u2019Akhilleus est n\u00e9 d\u2019une d\u00e9esse que j\u2019ai nourrie moi-m\u00eame et \n\u00e9lev\u00e9e avec tendresse, et que j\u2019ai unie au guerrier P\u00e8leus cher aux \nimmortels. Vous avez tous assist\u00e9 \u00e0 leurs noces, \u00f4 dieux ! et tu as \npris part au festin, tenant ta kithare, toi, protecteur des mauvais, \net toujours perfide.\nEt Zeus qui amasse les nu\u00e9es, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 H\u00e8r\u00e8, ne t\u2019irrite point contre les dieux. Un honneur \u00e9gal ne sera \npoint fait \u00e0 ces deux h\u00e9ros ; mais Hekt\u00f4r \u00e9tait le plus cher aux \ndieux parmi les hommes qui sont dans Ilios. Et il m\u2019\u00e9tait cher \u00e0 650CHAnt 24\nmoi-m\u00eame, car il n\u2019oublia jamais les dons qui me sont agr\u00e9ables, \net jamais il n\u2019a laiss\u00e9 mon autel manquer d\u2019un repas abondant, \nde libations et de parfums, car nous avons ces honneurs en par -\ntage. Mais, certes, nous ne ferons point enlever furtivement le \nbrave Hekt\u00f4r, ce qui serait honteux, car Akhilleus serait averti \npar sa m\u00e8re qui est aupr\u00e8s de lui nuit et jour. Qu\u2019un des dieux \nappelle t h\u00e9tis aupr\u00e8s de moi, et je lui dirai de sages paroles, afin \nqu\u2019Akhilleus re\u00e7oive les pr\u00e9sents de Priamos et rende Hekt\u00f4r.\nIl parla ainsi, et la messag\u00e8re Iris aux pieds tourbillonnants partit. \nEntre Samos et Imbros, elle sauta dans la noire mer qui retentit. \nEt elle s\u2019enfon\u00e7a dans les profondeurs comme le plomb qui, atta -\nch\u00e9 \u00e0 la corne d\u2019un b\u0153uf sauvage, descend, portant la mort aux \npoissons voraces.\nEt elle trouva t h\u00e9tis dans sa grotte creuse ; et autour d\u2019elle les \nd\u00e9esses de la mer \u00e9taient assises en foule. Et l\u00e0, t h\u00e9tis pleurait \nla destin\u00e9e de son fils irr\u00e9prochable qui devait mourir devant la \nriche t roi\u00e8, loin de sa patrie. Et, s\u2019approchant, la rapide Iris lui dit :\n\u2013 L\u00e8ve-toi, t h\u00e9tis. Zeus aux desseins \u00e9ternels t\u2019appelle.651\nL \u2019ILIADEEt la d\u00e9esse t h\u00e9tis aux pieds d\u2019argent lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Pourquoi le grand dieu m\u2019appelle-t-il ? Je crains de me m\u00ealer aux \nimmortels, car je subis d\u2019innombrables douleurs. J\u2019irai cependant, \net, quoi qu\u2019il ait dit, il n\u2019aura point parl\u00e9 en vain.\nAyant ainsi parl\u00e9, la noble d\u00e9esse prit un voile bleu, le plus sombre \nde tous, et se h\u00e2ta de partir. Et la rapide Iris aux pieds a\u00e9riens \nallait devant. Et l\u2019eau de la mer s\u2019entrouvrit devant elles ; et, mon -\ntant sur le rivage, elles s\u2019\u00e9lanc\u00e8rent dans l\u2019Ouranos. Et elles trou -\nv\u00e8rent l\u00e0 le Kronide au large regard, et, autour de lui, les \u00e9ternels \ndieux heureux, assis et rassembl\u00e9s. Et t h\u00e9tis s\u2019assit aupr\u00e8s du p\u00e8re \nZeus, Ath\u00e8n\u00e8 lui ayant c\u00e9d\u00e9 sa place. H\u00e8r\u00e8 lui mit en main une \nbelle coupe d\u2019or, en la consolant ; et t h\u00e9tis, ayant bu, la lui rendit. \nEt le p\u00e8re des dieux et des hommes parla le premier :\n\u2013 D\u00e9esse t h\u00e9tis, tu es venue dans l\u2019Olympos malgr\u00e9 ta tristesse, \ncar je sais que tu as dans le c\u0153ur une douleur insupportable.\nCependant, je te dirai pourquoi je t\u2019ai appel\u00e9e. Depuis neuf jours \nune dissension s\u2019est \u00e9lev\u00e9e entre les immortels \u00e0 cause du cadavre \nde Hekt\u00f4r, et d\u2019Akhilleus destructeur de citadelles. Les dieux exci -\ntaient le vigilant tueur d\u2019Argos \u00e0 enlever le corps du Priamide ; \nmais je prot\u00e8ge la gloire d\u2019Akhilleus, car j\u2019ai gard\u00e9 mon respect et 652CHAnt 24\nmon amiti\u00e9 pour toi. Va donc promptement \u00e0 l\u2019arm\u00e9e des Argiens, \net donne des ordres \u00e0 ton fils. Dis-lui que les dieux sont irrit\u00e9s, \net que moi-m\u00eame, plus que tous, je suis irrit\u00e9 contre lui, parce \nque, dans sa fureur, il retient Hekt\u00f4r aupr\u00e8s des nefs aux poupes \nrecourb\u00e9es. S\u2019il me redoute, qu\u2019il le rende. Cependant, j\u2019enver -\nrai Iris au magnanime Priamos afin que, se rendant aux nefs des \nAkhaiens, il rach\u00e8te son fils bien-aim\u00e9, et qu\u2019il porte des pr\u00e9sents \nqui fl\u00e9chissent le c\u0153ur d\u2019Akhilleus.\nIl parla ainsi, et la d\u00e9esse t h\u00e9tis aux pieds d\u2019argent ob\u00e9it. Et, des -\ncendant \u00e0 la h\u00e2te du fa\u00eete de l\u2019Olympos, elle parvint \u00e0 la tente de \nson fils, et elle l\u2019y trouva g\u00e9missant. Et, autour de lui, ses compa -\ngnons pr\u00e9paraient activement le repas. Et une grande brebis lai -\nneuse avait \u00e9t\u00e9 tu\u00e9e sous la tente. Et, aupr\u00e8s d\u2019Akhilleus, s\u2019assit la \nm\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable. Et, le caressant de la main, elle lui dit :\n\u2013 Mon enfant, jusques \u00e0 quand, pleurant et g\u00e9missant, consume -\nras-tu ton c\u0153ur, oubliant de manger et de dormir ? Cependant il \nest doux de s\u2019unir par l\u2019amour \u00e0 une femme. Je ne te verrai pas \nlongtemps vivant ; voici venir la mort et la moire toute-puissante. \nMais \u00e9coute, car je te suis envoy\u00e9e par Zeus.\nIl dit que tous les dieux sont irrit\u00e9s contre toi, et que, plus que \ntous les immortels, il est irrit\u00e9 aussi, parce que, dans ta fureur, tu 653\nL \u2019ILIADEretiens Hekt\u00f4r aupr\u00e8s des nefs \u00e9peronn\u00e9es, et que tu ne le ren -\nvoies point. Rends-le donc, et re\u00e7ois le prix de son cadavre.\nEt Akhilleus aux pieds rapides, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 Qu\u2019on apporte donc des pr\u00e9sents et qu\u2019on emporte ce cadavre, \npuisque l\u2019Olympien lui-m\u00eame le veut.\nEt, aupr\u00e8s des nefs, la m\u00e8re et le fils se parlaient ainsi en paroles \nrapides. Et le Kronide envoya Iris vers la sainte Ilios :\n\u2013 Va, rapide Iris. Quitte ton si\u00e8ge dans l\u2019Olympos, et ordonne, dans \nIlios, au magnanime Priamos qu\u2019il aille aux nefs des Akhaiens \nafin de racheter son fils bien-aim\u00e9, et qu\u2019il porte \u00e0 Akhilleus des \npr\u00e9sents qui fl\u00e9chissent son c\u0153ur. Qu\u2019aucun autre t roien ne le \nsuive, sauf un h\u00e9raut v\u00e9n\u00e9rable qui conduise les mulets et le char \nrapide, et ram\u00e8ne vers la ville le cadavre de Hekt\u00f4r que le divin \nAkhilleus a tu\u00e9. Et qu\u2019il n\u2019ait ni inqui\u00e9tude, ni terreur. n ous lui \ndonnerons pour guide le tueur d\u2019Argos qui le conduira jusqu\u2019\u00e0 \nAkhilleus. Et quand il sera entr\u00e9 dans la tente d\u2019Akhilleus, celui-ci \nne le tuera point, et m\u00eame il le d\u00e9fendra contre tous, car il n\u2019est ni \nviolent, ni insens\u00e9, ni impie, et il respectera un suppliant.654CHAnt 24\nIl parla ainsi, et la messag\u00e8re Iris aux pieds tourbillonnants \ns\u2019\u00e9lan\u00e7a et parvint aux demeures de Priamos, pleines de g\u00e9misse -\nments et de deuil.\nEt les fils \u00e9taient assis dans la cour autour de leur p\u00e8re, et ils trem -\npaient de larmes leurs v\u00eatements. Et, au milieu d\u2019eux, le vieillard \ns\u2019enveloppait dans son manteau, et sa t\u00eate blanche et ses \u00e9paules \n\u00e9taient souill\u00e9es de la cendre qu\u2019il y avait r\u00e9pandue de ses mains, \nen se roulant sur la terre. Et ses filles et ses belles-filles se lamen -\ntaient par les demeures, se souvenant de tant de braves guerriers \ntomb\u00e9s morts sous les mains des Argiens. Et la messag\u00e8re de Zeus, \ns\u2019approchant de Priamos, lui parla \u00e0 voix basse, car le tremble -\nment agitait les membres du vieillard :\n\u2013 Rassure-toi, Priamos Dardanide, et ne tremble pas. Je ne viens \npoint t\u2019annoncer de malheur, mais une heureuse nouvelle. Je \nsuis envoy\u00e9e par Zeus qui, de loin, prend souci de toi et te plaint. \nL \u2019Olympien t\u2019ordonne de racheter le divin Hekt\u00f4r, et de por -\nter \u00e0 Akhilleus des pr\u00e9sents qui fl\u00e9chissent son c\u0153ur. Qu\u2019aucun \nautre troien ne te suive, sauf un h\u00e9raut v\u00e9n\u00e9rable qui conduise \nles mulets et le char rapide, et ram\u00e8ne vers la ville le cadavre de \nHekt\u00f4r que le divin Akhilleus a tu\u00e9. n \u2019aie ni inqui\u00e9tude, ni terreur. \nLe tueur d\u2019Argos sera ton guide et il te conduira jusqu\u2019\u00e0 Akhilleus. \nEt quand il t\u2019aura men\u00e9 dans la tente d\u2019Akhilleus, celui-ci ne te 655\nL \u2019ILIADEtuera point, et m\u00eame il te d\u00e9fendra contre tous, car il n\u2019est ni \nviolent, ni insens\u00e9, ni impie, et il respectera un suppliant.\nAyant ainsi parl\u00e9, la rapide Iris partit. Et Priamos ordonna \u00e0 ses \nfils d\u2019atteler les mulets au char, et d\u2019y attacher une corbeille.\nEt il se rendit dans la chambre nuptiale, parfum\u00e9e, en bois de \nc\u00e8dre, et haute, et qui contenait beaucoup de choses admirables. \nEt il appela sa femme H\u00e9kab\u00e8, et il lui dit :\n\u2013 \u00d4 ch\u00e8re ! un messager oympien m\u2019est venu de Zeus, afin qu\u2019al -\nlant aux nefs des Akhaiens, je rach\u00e8te mon fils bien-aim\u00e9, et \nque je porte \u00e0 Akhilleus des pr\u00e9sents qui fl\u00e9chissent son c\u0153ur. \nDis-moi ce que tu penses dans ton esprit. Pour moi, mon cou -\nrage et mon c\u0153ur me poussent vers les nefs et la grande arm\u00e9e \ndes Akhaiens.\nIl parla ainsi, et la femme se lamenta et r\u00e9pondit :\n\u2013 Malheur \u00e0 moi ! tu as perdu cette prudence qui t\u2019a illustr\u00e9 parmi \nles \u00e9trangers et ceux auxquels tu commandes. t u veux aller seul \nvers les nefs des Akhaiens, et rencontrer cet homme qui t\u2019a tu\u00e9 \ntant de braves enfants ! Sans doute ton c\u0153ur est de fer. D\u00e8s qu\u2019il \nt\u2019aura vu et saisi, cet homme f\u00e9roce et sans foi n\u2019aura point piti\u00e9 656CHAnt 24\nde toi et ne te respectera point, et nous te pleurerons seuls dans \nnos demeures. Lorsque la moire puissante re\u00e7ut Hekt\u00f4r naissant \ndans ses langes, apr\u00e8s que je l\u2019eus enfant\u00e9, elle le destina \u00e0 rassasier \nles chiens rapides, loin de ses parents, sous les yeux d\u2019un guerrier \nf\u00e9roce. Que ne puis-je, attach\u00e9e \u00e0 cet homme, lui manger le c\u0153ur ! \nAlors seraient expi\u00e9s les maux de mon fils qui, cependant, n\u2019est \npoint mort en l\u00e2che, et qui, sans rien craindre et sans fuir, a com -\nbattu jusqu\u2019\u00e0 la fin pour les t roiens et les t roiennes.\nEt le divin vieillard Priamos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ne tente point de me retenir, et ne sois point dans nos demeures \nun oiseau de mauvais augure. Si quelque homme terrestre m\u2019avait \nparl\u00e9, soit un divinateur, soit un hi\u00e9rophante, je croirais qu\u2019il \na menti, et je ne l\u2019\u00e9couterais point ; mais j\u2019ai vu et entendu une \nd\u00e9esse, et je pars, car sa parole s\u2019accomplira. Si ma destin\u00e9e est \nde p\u00e9rir aupr\u00e8s des nefs des Akhaiens aux tuniques d\u2019airain, soit ! \nAkhilleus me tuera ; tandis que je me rassasierai de sanglots en \nembrassant mon fils.\nIl parla ainsi, et il ouvrit les beaux couvercles de ses coffres. Et il \nprit douze p\u00e9plos magnifiques, douze couvertures simples, autant \nde tapis, autant de beaux manteaux et autant de tuniques. Il prit \ndix talents pesant d\u2019or, deux tr\u00e9pieds \u00e9clatants, quatre vases et une 657\nL \u2019ILIADEcoupe magnifique que les guerriers thr\u00e8kiens lui avaient donn\u00e9e, \npr\u00e9sent merveilleux, quand il \u00e9tait all\u00e9 en envoy\u00e9 chez eux. Mais \nle vieillard en priva ses demeures, d\u00e9sirant dans son c\u0153ur rache -\nter son fils. Et il chassa loin du portique tous les t roiens, en leur \nadressant ces paroles injurieuses :\n\u2013 Allez, mis\u00e9rables couverts d\u2019opprobre ! n\u2019avez-vous point de \ndeuil dans vos demeures ? Pourquoi vous occupez-vous de moi ? \nVous r\u00e9jouissez-vous des maux dont le Kronide Zeus m\u2019accable, \net de ce que j\u2019ai perdu mon fils excellent ? Vous en sentirez aussi \nla perte, car, maintenant qu\u2019il est mort, vous serez une proie plus \nfacile pour les Akhaiens.\nPour moi avant de voir de mes yeux la ville renvers\u00e9e et saccag\u00e9e, \nje descendrai dans les demeures d\u2019Aid\u00e8s !\nIl parla ainsi, et de son sceptre il repoussait les hommes, et ceux-ci \nse retiraient devant le vieillard qui les chassait. Et il appelait ses \nfils avec menace, injuriant H\u00e9l\u00e9nos et P\u00e2ris, et le divin Agath\u00f4n, \net Pamm\u00f4n, et Antiph\u00f4n, et le brave Polit\u00e8s, et D\u00e8iphobos, et 658CHAnt 24\nHippothoos, et le divin Aganos. Et le vieillard, les appelant tous \nles neuf, leur commandait rudement :\n\u2013 H\u00e2tez-vous, mis\u00e9rables et inf\u00e2mes enfants ! Pl\u00fbt aux dieux que \ntous ensemble, au lieu de Hekt\u00f4r, vous fussiez tomb\u00e9s devant les \nnefs rapides ! Malheureux que je suis ! J\u2019avais engendr\u00e9, dans la \ngrande troi\u00e8, des fils excellents, et pas un d\u2019entre eux ne m\u2019est \nrest\u00e9, ni l\u2019illustre M\u00e8st\u00f4r, ni t r\u00f4ilos dompteur de chevaux, ni \nHekt\u00f4r qui \u00e9tait comme un dieu parmi les hommes, et qui ne \nsemblait pas \u00eatre le fils d\u2019un homme, mais d\u2019un dieu. Ar\u00e8s me les \na tous enlev\u00e9s, et il ne me reste que des l\u00e2ches, des menteurs, des \nsauteurs qui ne sont habiles qu\u2019aux danses, des voleurs publics \nd\u2019agneaux et de chevreaux ! ne vous h\u00e2terez-vous point de me \npr\u00e9parer ce char ? n\u2019y placerez-vous point toutes ces choses, afin \nque je parte ?\nIl parla ainsi, et, redoutant les menaces de leur p\u00e8re, ils amen\u00e8rent \nle beau char neuf, aux roues solides, attel\u00e9 de mulets, et ils y atta -\nch\u00e8rent une corbeille.\nEt ils prirent contre la muraille le joug de buis, bossu\u00e9 et garni \nd\u2019anneaux ; et ils prirent aussi les courroies du timon, longues de \nneuf coud\u00e9es, qu\u2019ils attach\u00e8rent au bout du timon poli en les pas -\nsant dans l\u2019anneau. Et ils les li\u00e8rent trois fois autour du bouton ; 659\nL \u2019ILIADEpuis, les r\u00e9unissant, ils les fix\u00e8rent par un n\u0153ud. Et ils apport\u00e8rent \nde la chambre nuptiale les pr\u00e9sents infinis destin\u00e9s au rachat de \nHekt\u00f4r, et ils les amass\u00e8rent sur le char. Puis, ils mirent sous le \njoug les mulets aux sabots solides que les Mysiens avaient autre -\nfois donn\u00e9s \u00e0 Priamos. Et ils amen\u00e8rent aussi \u00e0 Priamos les che -\nvaux que le vieillard nourrissait lui-m\u00eame \u00e0 la cr\u00e8che polie. Et, \nsous les hauts portiques, le h\u00e9raut et Priamos, tous deux pleins \nde prudence, les attel\u00e8rent.\nPuis, H\u00e9kab\u00e8, le c\u0153ur triste, s\u2019approcha d\u2019eux, portant de sa main \ndroite un doux vin dans une coupe d\u2019or, afin qu\u2019ils fissent des \nlibations. Et, debout devant les chevaux, elle dit \u00e0 Priamos :\n\u2013 Prends, et fais des libations au p\u00e8re Zeus, et prie-le, afin de \nrevenir dans tes demeures du milieu des ennemis, puisque ton \nc\u0153ur te pousse vers les nefs, malgr\u00e9 moi. Supplie le Kroni\u00f4n \nIdaien qui amasse les noires nu\u00e9es et qui voit toute la terre d\u2019Ilios. \nDemande-lui d\u2019envoyer \u00e0 ta droite celui des oiseaux qu\u2019il aime le \nmieux, et dont la force est la plus grande ; et, le voyant de tes yeux, \ntu marcheras, rassur\u00e9, vers les nefs des cavaliers Danaens. Mais si \nZeus qui tonne au loin ne t\u2019envoie point ce signe, je ne te conseille \npoint d\u2019aller vers les nefs des Argiens, malgr\u00e9 ton d\u00e9sir.660CHAnt 24\nEt Priamos semblable \u00e0 un dieu, lui r\u00e9pondant, parla ainsi :\n\u2013 \u00d4 femme, je ne repousserai point ton conseil. Il est bon d\u2019\u00e9lever \nses mains vers Zeus, afin qu\u2019il ait piti\u00e9 de nous.\nLe vieillard parla ainsi, et il ordonna \u00e0 une servante de verser une \neau pure sur ses mains. Et la servante apporta le bassin et le vase. \nEt Priamos, s\u2019\u00e9tant lav\u00e9 les mains, re\u00e7ut la coupe de H\u00e9kab\u00e8 ; et, \npriant, debout au milieu de la cour, il r\u00e9pandit le vin, regardant \nl\u2019Ouranos et disant :\n\u2013 P\u00e8re Zeus, qui r\u00e8gnes sur l\u2019Ida, tr\u00e8s glorieux, tr\u00e8s grand, accorde-\nmoi de trouver gr\u00e2ce devant Akhilleus et de lui inspirer de la \ncompassion. Envoie \u00e0 ma droite celui de tous les oiseaux que tu \naimes le mieux, et dont la force est la plus grande, afin que, le \nvoyant de mes yeux, je marche, rassur\u00e9, vers les nefs des cava -\nliers Danaens.\nIl parla ainsi en priant, et le sage Zeus l\u2019entendit, et il envoya le \nplus v\u00e9ridique des oiseaux, l\u2019aigle noir, le chasseur, celui qu\u2019on \nnomme le tachet\u00e9. Autant s\u2019ouvrent les portes de la demeure \nd\u2019un homme riche, autant s\u2019ouvraient ses deux ailes. Et il apparut, \nvolant \u00e0 droite au-dessus de la ville ; et tous se r\u00e9jouirent de le voir, \net leur c\u0153ur f\u00fbt joyeux dans leurs poitrines.661\nL \u2019ILIADEEt le vieillard monta aussit\u00f4t sur le beau char, et il le poussa hors \ndu vestibule et du portique sonore.\nEt les mulets tra\u00eenaient d\u2019abord le char aux quatre roues, et le \nsage Idaios les conduisait. Puis, venaient les chevaux que Priamos \nexcitait du fouet, et tous l\u2019accompagnaient par la ville, en g\u00e9mis -\nsant, comme s\u2019il allait \u00e0 la mort. Et quand il fut descendu d\u2019Ilios \ndans la plaine, tous revinrent dans la ville, ses fils et ses gendres.\nEt Zeus au large regard, les voyant dans la plaine, eut piti\u00e9 du \nvieux Priamos, et, aussit\u00f4t, il dit \u00e0 son fils bien-aim\u00e9 Herm\u00e9ias :\n\u2013 Herm\u00e9ias, puisque tu te plais avec les hommes et que tu peux \nexaucer qui tu veux, va ! conduis Priamos aux nefs creuses des \nAkhaiens, et fais qu\u2019aucun des Danaens ne l\u2019aper\u00e7oive avant qu\u2019il \nparvienne au P\u00e8l\u00e9ide.\nIl parla ainsi, et le messager tueur d\u2019Argos ob\u00e9it. Et aussit\u00f4t il \nattacha \u00e0 ses talons de belles ailes immortelles et d\u2019or qui le por -\ntaient sur la mer et sur la terre immense comme le souffle du \nvent. Et il prit la verge qui, selon qu\u2019il le veut, ferme les paupi\u00e8res \ndes hommes ou les \u00e9veille. Et, la tenant \u00e0 la main, l\u2019illustre tueur \nd\u2019Argos s\u2019envola et parvint aussit\u00f4t \u00e0 t roi\u00e8 et au Hellespontos. Et 662CHAnt 24\nil s\u2019approcha, semblable \u00e0 un jeune homme royal dans la fleur de \nsa belle jeunesse.\nEt les deux vieillards, ayant d\u00e9pass\u00e9 la grande tombe d\u2019Ilos, arr\u00ea -\nt\u00e8rent les mulets et les chevaux pour les faire boire au fleuve. Et \nd\u00e9j\u00e0 l\u2019ombre du soir se r\u00e9pandait sur la terre.\nEt le h\u00e9raut aper\u00e7ut Herm\u00e9ias, non loin, et il dit \u00e0 Priamos :\n\u2013 Prends garde, Dardanide ! Ceci demande de la prudence. Je vois \nun homme, et je pense que nous allons p\u00e9rir. Fuyons prompte -\nment avec les chevaux, ou supplions-le en embrassant ses genoux. \nPeut-\u00eatre aura-t-il piti\u00e9 de nous.\nIl parla ainsi et l\u2019esprit de Priamos fut troubl\u00e9, et il eut peur, et ses \ncheveux se tinrent droits sur sa t\u00eate courb\u00e9e, et il resta stup\u00e9fait. \nMais Herm\u00e9ias, s\u2019approchant, lui prit la main et l\u2019interrogea ainsi :\n\u2013 P\u00e8re, o\u00f9 m\u00e8nes-tu ces chevaux et ces mulets, dans la nuit soli -\ntaire, tandis que tous les autres hommes dorment ? ne crains-tu \npas les Akhaiens pleins de force, ces ennemis redoutables qui sont \npr\u00e8s de toi ? Si quelqu\u2019un d\u2019entre eux te rencontrait par la nuit \nnoire et rapide, emmenant tant de richesses, que ferais-tu ? C\u2019est \nun vieillard qui te suit, et tu n\u2019es plus assez jeune pour repousser 663\nL \u2019ILIADEun guerrier qui vous attaquerait. Mais, loin de te nuire, je te pr\u00e9 -\nserverai de tout mal, car tu me sembles mon p\u00e8re bien-aim\u00e9.\nEt le vieux et divin Priamos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Mon cher fils, tu as dit la v\u00e9rit\u00e9. Mais un des dieux me prot\u00e8ge \nencore, puisqu\u2019il envoie heureusement sur mon chemin un guide \ntel que toi. t on corps et ton visage sont beaux, ton esprit est sage, \net tu es n\u00e9 de parents heureux.\nEt le messager, tueur d\u2019Argos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Vieillard, tu n\u2019as point parl\u00e9 au hasard. Mais r\u00e9ponds, et dis la \nv\u00e9rit\u00e9. Envoies-tu ces tr\u00e9sors nombreux et pr\u00e9cieux \u00e0 des hommes \n\u00e9trangers, afin qu\u2019on te les conserve ? ou, dans votre terreur, aban -\ndonnez-vous tous la sainte Ilios, car un guerrier illustre est mort, \nton fils, qui, dans le combat, ne le c\u00e9dait point aux Akhaiens ?\nEt le vieux et divin Priamos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Qui donc es-tu, \u00f4 excellent ! Et de quels parents es-tu n\u00e9, toi qui \nparles si bien de la destin\u00e9e de mon fils malheureux ?664CHAnt 24\nEt le messager, tueur d\u2019Argos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 tu m\u2019interroges, vieillard, sur le divin Hekt\u00f4r. Je l\u2019ai vu souvent \nde mes yeux dans la m\u00eal\u00e9e glorieuse, quand, repoussant vers les \nnefs les Argiens dispers\u00e9s, il les tuait de l\u2019airain aigu. Immobiles, \nnous l\u2019admirions ; car Akhilleus, irrit\u00e9 contre l\u2019Atr\u00e9ide, ne nous \npermettait point de combattre. Je suis son serviteur, et la m\u00eame \nnef bien construite nous a port\u00e9s. Je suis un des Myrmidones et \nmon p\u00e8re est Polykt\u00f4r. Il est riche et vieux comme toi. Il a sept fils \net je suis le septi\u00e8me. Ayant tir\u00e9 au sort avec eux, je fus d\u00e9sign\u00e9 \npour suivre Akhilleus. J\u2019allais maintenant des nefs dans la plaine. \nDemain matin les Akhaiens aux sourcils arqu\u00e9s porteront le com -\nbat autour de la ville.\nIls se plaignent du repos, et les rois des Akhaiens ne peuvent rete -\nnir les guerriers avides de combattre.\nEt le vieux et divin Priamos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si tu es le serviteur du P\u00e8l\u00e8iade Akhilleus, dis-moi toute la v\u00e9rit\u00e9. \nMon fils est-il encore aupr\u00e8s des nefs, ou d\u00e9j\u00e0 Akhilleus a-t-il \ntranch\u00e9 tous ses membres, pour les livrer \u00e0 ses chiens ?665\nL \u2019ILIADEEt le messager, tueur d\u2019Argos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, les chiens ne l\u2019ont point encore mang\u00e9, ni les oiseaux, \nmais il est couch\u00e9 devant la nef d\u2019Akhilleus, sous la tente. Voici \ndouze jours et le corps n\u2019est point corrompu, et les vers, qui \nd\u00e9vorent les guerriers tomb\u00e9s dans le combat, ne l\u2019ont point \nmang\u00e9. Mais Akhilleus le tra\u00eene sans piti\u00e9 autour du tombeau \nde son cher compagnon, d\u00e8s que la divine \u00c9\u00f4s repara\u00eet, et il ne le \nfl\u00e9trit point. t u admirerais, si tu le voyais, combien il est frais. Le \nsang est lav\u00e9, il est sans aucune souillure, et toutes les blessures \nsont ferm\u00e9es que beaucoup de guerriers lui ont faites. Ainsi les \ndieux heureux prennent soin de ton fils, tout mort qu\u2019il est, parce \nqu\u2019il leur \u00e9tait cher.\nIl parla ainsi, et le vieillard, plein de joie, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 \u00d4 mon enfant, certes, il est bon d\u2019offrir aux immortels les pr\u00e9 -\nsents qui leur sont dus. Jamais mon fils, quand il vivait, n\u2019a oubli\u00e9, \ndans ses demeures, les dieux qui habitent l\u2019Olympos, et voici \nqu\u2019ils se souviennent de lui dans la mort. Re\u00e7ois cette belle coupe \nde ma main, fais qu\u2019on me rende Hekt\u00f4r, et conduis-moi, \u00e0 l\u2019aide \ndes dieux, jusqu\u2019\u00e0 la tente du P\u00e8l\u00e9ide.666CHAnt 24\nEt le messager, tueur d\u2019Argos, lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Vieillard, tu veux tenter ma jeunesse, mais tu ne me persuade -\nras point de prendre tes dons \u00e0 l\u2019insu d\u2019Akhilleus. Je le crains, en \neffet, et je le v\u00e9n\u00e8re trop dans mon c\u0153ur pour le d\u00e9pouiller, et il \nm\u2019en arriverait malheur. Mais je t\u2019accompagnerais jusque dans \nl\u2019illustre Argos, sur une nef rapide, ou \u00e0 pied ; et aucun, si je te \nconduis, ne me bravera en t\u2019attaquant.\nHerm\u00e9ias, ayant ainsi parl\u00e9, sauta sur le char, saisit le fouet et \nles r\u00eanes et inspira une grande force aux chevaux et aux mulets. \nEt ils arriv\u00e8rent au foss\u00e9 et aux tours des nefs, l\u00e0 o\u00f9 les gardes \nachevaient de prendre leur repas. Et le messager, tueur d\u2019Ar -\ngos, r\u00e9pandit le sommeil sur eux tous ; et, soulevant les barres, \nil ouvrit les portes, et il fit entrer Priamos et ses pr\u00e9sents splen -\ndides dans le camp, et ils parvinrent \u00e0 la grande tente du P\u00e8l\u00e8iade. \nEt les Myrmidones l\u2019avaient faite pour leur roi avec des planches \nde sapin, et ils l\u2019avaient couverte d\u2019un toit de joncs coup\u00e9s dans \nla prairie.\nEt tout autour ils avaient fait une grande enceinte de pieux ; et la \nporte en \u00e9tait ferm\u00e9e par un seul tronc de sapin, barre \u00e9norme \nque trois hommes, les Akhaiens, ouvraient et fermaient avec \npeine, et que le P\u00e8l\u00e9ide soulevait seul. Le bienveillant Herm\u00e9ias la 667\nL \u2019ILIADEretira pour Priamos, et il conduisit le vieillard dans l\u2019int\u00e9rieur de \nla cour, avec les illustres pr\u00e9sents destin\u00e9s \u00e0 Akhilleus aux pieds \nrapides. Et il sauta du char sur la terre, et il dit :\n\u2013 \u00d4 vieillard, je suis Herm\u00e9ias, un dieu immortel, et Zeus m\u2019a \nenvoy\u00e9 pour te conduire. Mais je vais te quitter, et je ne me mon -\ntrerai point aux yeux d\u2019Akhilleus, car il n\u2019est point digne d\u2019un \nImmortel de prot\u00e9ger ainsi ouvertement les mortels. t oi, entre, \nsaisis les genoux du P\u00e8l\u00e9i\u00f4n et supplie-le au nom de son p\u00e8re, de \nsa m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable et de son fils, afin de toucher son c\u0153ur.\nAyant ainsi parl\u00e9, Herm\u00e9ias monta vers le haut Olympos ; et \nPriamos sauta du char sur la terre, et il laissa Idaios pour garder \nles chevaux et les mulets, et il entra dans la tente o\u00f9 Akhilleus cher \n\u00e0 Zeus \u00e9tait assis. Et il le trouva. Ses compagnons \u00e9taient assis \n\u00e0 l\u2019\u00e9cart ; et seuls, le h\u00e9ros Autom\u00e9d\u00f4n et le nourrisson d\u2019Ar\u00e8s \nAlkimos le servaient. D\u00e9j\u00e0 il avait cess\u00e9 de manger et de boire, et \nla table \u00e9tait encore devant lui. Et le grand Priamos entra sans \n\u00eatre vu d\u2019eux, et, s\u2019approchant, il entoura de ses bras les genoux \nd\u2019Akhilleus, et il baisa les mains terribles et meurtri\u00e8res qui lui \navaient tu\u00e9 tant de fils.\nQuand un homme a encouru une grande peine, ayant tu\u00e9 \nquelqu\u2019un dans sa patrie, et quand, exil\u00e9 chez un peuple \u00e9tranger, 668CHAnt 24\nil entre dans une riche demeure, tous ceux qui le voient restent \nstup\u00e9faits. Ainsi Akhilleus fut troubl\u00e9 en voyant le divin Priamos ; \net les autres, pleins d\u2019\u00e9tonnement, se regardaient entre eux. Et \nPriamos dit ces paroles suppliantes :\n\u2013 Souviens-toi de ton p\u00e8re, \u00f4 Akhilleus \u00e9gal aux dieux ! Il est de \nmon \u00e2ge et sur le seuil fatal de la vieillesse. Ses voisins l\u2019oppri -\nment peut-\u00eatre en ton absence, et il n\u2019a personne qui \u00e9carte loin \nde lui l\u2019outrage et le malheur ; mais, au moins, il sait que tu es \nvivant, et il s\u2019en r\u00e9jouit dans son c\u0153ur, et il esp\u00e8re tous les jours \nqu\u2019il verra son fils bien-aim\u00e9 de retour d\u2019Ilios. Mais, moi, mal -\nheureux ! qui ai engendr\u00e9 des fils irr\u00e9prochables dans la grande \ntroi\u00e8, je ne sais s\u2019il m\u2019en reste un seul. J\u2019en avais cinquante quand \nles Akhaiens arriv\u00e8rent. Dix-neuf \u00e9taient sortis du m\u00eame sein, et \nplusieurs femmes avaient enfant\u00e9 les autres dans mes demeures. \nL \u2019imp\u00e9tueux Ar\u00e8s a rompu les genoux du plus grand nombre. Un \nseul d\u00e9fendait ma ville et mes peuples, Hekt\u00f4r, que tu viens de \ntuer tandis qu\u2019il combattait pour sa patrie. Et c\u2019est pour lui que \nje viens aux nefs des Akhaiens ; et je t\u2019apporte, afin de le racheter, \ndes pr\u00e9sents infinis. Respecte les dieux, Akhilleus, et, te souvenant \nde ton p\u00e8re, aie piti\u00e9 de moi qui suis plus malheureux que lui, car \nj\u2019ai pu, ce qu\u2019aucun homme n\u2019a encore fait sur la terre, approcher \nde ma bouche les mains de celui qui a tu\u00e9 mes enfants !669\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et il remplit Akhilleus du regret de son p\u00e8re. Et le \nP\u00e8l\u00e8iade, prenant le vieillard par la main, le repoussa doucement. \nEt ils se souvenaient tous deux ; et Priamos, prostern\u00e9 aux pieds \nd\u2019Akhilleus, pleurait de toutes ses larmes le tueur d\u2019hommes \nHekt\u00f4r ; et Akhilleus pleurait son p\u00e8re et Patroklos, et leurs g\u00e9mis -\nsements retentissaient sous la tente.\nPuis, le divin Akhilleus, s\u2019\u00e9tant rassasi\u00e9 de larmes, sentit sa dou -\nleur s\u2019apaiser dans sa poitrine, et il se leva de son si\u00e8ge ; et plein \nde piti\u00e9 pour cette t\u00eate et cette barbe blanche, il releva le vieillard \nde sa main et lui dit ces paroles ail\u00e9es :\n\u2013 Ah ! malheureux ! Certes, tu as subi des peines sans nombre \ndans ton c\u0153ur. Comment as-tu os\u00e9 venir seul vers les nefs des \nAkhaiens et soutenir la vue de l\u2019homme qui t\u2019a tu\u00e9 tant de braves \nenfants ? ton c\u0153ur est de fer. Mais prends ce si\u00e8ge, et, bien qu\u2019af -\nflig\u00e9s, laissons nos douleurs s\u2019apaiser, car le deuil ne nous rend \nrien. Les dieux ont destin\u00e9 les mis\u00e9rables mortels \u00e0 vivre pleins \nde tristesse, et, seuls, ils n\u2019ont point de soucis. Deux tonneaux sont \nau seuil de Zeus, et l\u2019un contient les maux, et l\u2019autre les biens. Et \nle foudroyant Zeus, m\u00ealant ce qu\u2019il donne, envoie tant\u00f4t le mal \net tant\u00f4t le bien. Et celui qui n\u2019a re\u00e7u que des dons malheureux \nest en proie \u00e0 l\u2019outrage, et la mauvaise faim le ronge sur la terre \nf\u00e9conde, et il va \u00e7\u00e0 et l\u00e0, non honor\u00e9 des dieux ni des hommes. 670CHAnt 24\nAinsi les dieux firent \u00e0 P\u00e8leus des dons illustres d\u00e8s sa naissance, \net plus que tous les autres hommes il fut combl\u00e9 de f\u00e9licit\u00e9s et de \nrichesses, et il commanda aux Myrmidones, et, mortel, il fut uni \n\u00e0 une d\u00e9esse.\nMais les dieux le frapp\u00e8rent d\u2019un mal : il fut priv\u00e9 d\u2019une post\u00e9 -\nrit\u00e9 h\u00e9riti\u00e8re de sa puissance, et il n\u2019engendra qu\u2019un fils qui doit \nbient\u00f4t mourir et qui ne soignera point sa vieillesse ; car, loin \nde ma patrie, je reste devant t roi\u00e8, pour ton affliction et celle \nde tes enfants. Et toi-m\u00eame, vieillard, nous avons appris que tu \n\u00e9tais heureux autrefois, et que sur toute la terre qui va jusqu\u2019\u00e0 \nLesbos de Makar, et, vers le nord, jusqu\u2019\u00e0 la Phrygi\u00e8 et le large \nHellespontos, tu \u00e9tais illustre \u00f4 vieillard, par tes richesses et par \ntes enfants. Et voici que les dieux t\u2019ont frapp\u00e9 d\u2019une calamit\u00e9, et, \ndepuis la guerre et le carnage, des guerriers environnent ta ville. \nSois ferme, et ne te lamente point dans ton c\u0153ur sur l\u2019in\u00e9vitable \ndestin\u00e9e. t u ne feras point revivre ton fils par tes g\u00e9missements. \nCrains plut\u00f4t de subir d\u2019autres maux.\nEt le vieux et divin Priamos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 ne me dis point de me reposer, \u00f4 nourrisson de Zeus, tant que \nHekt\u00f4r est couch\u00e9 sans s\u00e9pulture devant tes tentes. Rends-le-moi \npromptement, afin je le voie de mes yeux, et re\u00e7ois les pr\u00e9sents 671\nL \u2019ILIADEnombreux que nous te portons. Puisses-tu en jouir et retourner \ndans la terre de ta patrie, puisque tu m\u2019as laiss\u00e9 vivre et voir la \nlumi\u00e8re de H\u00e9lios.\nEt Akhilleus aux pieds rapides, le regardant d\u2019un \u0153il sombre, \nlui r\u00e9pondit :\n\u2013 Vieillard, ne m\u2019irrite pas davantage. Je sais que je dois te \nrendre Hekt\u00f4r.\nLa m\u00e8re qui m\u2019a enfant\u00e9, la fille du Vieillard de la mer, m\u2019a \u00e9t\u00e9 \nenvoy\u00e9e par Zeus. Et je sais aussi, Priamos, et tu n\u2019as pu me cacher, \nqu\u2019un des dieux t\u2019a conduit aux nefs rapides des Akhaiens. Aucun \nhomme, bien que jeune et brave, n\u2019e\u00fbt os\u00e9 venir jusqu\u2019au camp. Il \nn\u2019e\u00fbt point \u00e9chapp\u00e9 aux gardes, ni soulev\u00e9 ais\u00e9ment les barri\u00e8res \nde nos portes. n e r\u00e9veille donc point les douleurs de mon \u00e2me. \nBien que je t\u2019aie re\u00e7u, vieillard, comme un suppliant sous mes \ntentes, crains que je viole les ordres de Zeus et que je te tue.\nIl parla ainsi, et le vieillard trembla et ob\u00e9it. Et le P\u00e8l\u00e9ide sauta \ncomme un lion hors de la tente. Et il n\u2019\u00e9tait point seul, et deux \nserviteurs le suivirent, le h\u00e9ros Autom\u00e9d\u00f4n et Alkimos. Et \nAkhilleus les honorait entre tous ses compagnons depuis la mort \nde Patroklos. Et ils d\u00e9tel\u00e8rent les chevaux et les mulets, et ils 672CHAnt 24\nfirent entrer le h\u00e9raut de Priamos et lui donn\u00e8rent un si\u00e8ge. Puis \nils enlev\u00e8rent du beau char les pr\u00e9sents infinis qui rachetaient \nHekt\u00f4r ; mais ils y laiss\u00e8rent deux manteaux et une riche tunique \npour envelopper le cadavre qu\u2019on allait emporter dans Ilios.\nEt Akhilleus, appelant les femmes, leur ordonna de laver le \ncadavre et de le parfumer \u00e0 l\u2019\u00e9cart, afin que Priamos ne v\u00eet point \nson fils, et de peur qu\u2019en le voyant, le p\u00e8re ne p\u00fbt contenir sa \ncol\u00e8re dans son c\u0153ur irrit\u00e9, et qu\u2019Akhilleus, furieux, le tu\u00e2t, en \nviolant les ordres de Zeus. Et apr\u00e8s que les femmes, ayant lav\u00e9 et \nparfum\u00e9 le cadavre, l\u2019eurent envelopp\u00e9 du beau manteau et de la \ntunique, Akhilleus le souleva lui-m\u00eame du lit fun\u00e8bre, et, avec \nl\u2019aide de ses compagnons, il le pla\u00e7a sur le beau char.\nPuis, il appela en g\u00e9missant son cher compagnon :\n\u2013 ne t\u2019irrite point contre moi, Patroklos, si tu apprends, chez Aid\u00e8s, \nque j\u2019ai rendu le divin Hekt\u00f4r \u00e0 son p\u00e8re bien-aim\u00e9 ; car il m\u2019a \nfait des pr\u00e9sents honorables, dont je te r\u00e9serve, comme il est juste, \nune part \u00e9gale.673\nL \u2019ILIADELe divin Akhilleus, ayant ainsi parl\u00e9, rentra dans sa tente. Et il \nreprit le si\u00e8ge poli qu\u2019il occupait en face de Priamos, et il lui dit :\n\u2013 ton fils t\u2019est rendu, vieillard, comme tu l\u2019as d\u00e9sir\u00e9. Il est cou -\nch\u00e9 sur un lit. t u le verras et tu l\u2019emporteras au retour d\u2019\u00c9\u00f4s. \nMaintenant, songeons au repas. n iob\u00e8 aux beaux cheveux elle-\nm\u00eame se souvint de manger apr\u00e8s que ses douze enfants eurent \np\u00e9ri dans ses demeures, six filles et autant de fils florissants de \njeunesse. Apoll\u00f4n, irrit\u00e9 contre n iob\u00e8, tua ceux-ci de son arc \nd\u2019argent ; et Art\u00e9mis qui se r\u00e9jouit de ses fl\u00e8ches tua celles-l\u00e0, \nparce que n iob\u00e8 s\u2019\u00e9tait \u00e9gal\u00e9e \u00e0 L\u00e8t\u00f4 aux belles joues, disant que \nla d\u00e9esse n\u2019avait con\u00e7u que deux enfants, tandis qu\u2019elle en avait \ncon\u00e7u de nombreux. Elle le disait, mais les deux enfants de L\u00e8t\u00f4 \ntu\u00e8rent tous les siens. Et depuis neuf jours ils \u00e9taient couch\u00e9s \ndans le sang, et nul ne les ensevelissait : le Kroni\u00f4n avait chang\u00e9 \nces peuples en pierres ; mais, le dixi\u00e8me jour, les dieux les ense -\nvelirent. Et, cependant, n iob\u00e8 se souvenait de manger lorsqu\u2019elle \n\u00e9tait fatigu\u00e9e de pleurer.\nEt maintenant, au milieu des rochers et des montagnes d\u00e9sertes, \nsur le Sipylos, o\u00f9 sont les retraites des nymphes divines qui \ndansent autour de l\u2019Akh\u00e9l\u00f4ios, bien que chang\u00e9e en pierre par \nles dieux, elle souffre encore. Allons, divin vieillard, mangeons. 674CHAnt 24\ntu pleureras ensuite ton fils bien-aim\u00e9, quand tu l\u2019auras conduit \ndans Ilios. L\u00e0, il te fera r\u00e9pandre des larmes.\nLe rapide Akhilleus parla ainsi, et, se levant, il tua une brebis \nblanche. Et ses compagnons, l\u2019ayant \u00e9corch\u00e9e, la pr\u00e9par\u00e8rent avec \nsoin. Et, la coupant en morceaux, ils les fix\u00e8rent \u00e0 des broches, les \nr\u00f4tirent et les retir\u00e8rent \u00e0 temps. Et Autom\u00e9d\u00f4n, prenant le pain, \nle distribua sur la table dans de belles corbeilles. Et Akhilleus dis -\ntribua lui-m\u00eame les chairs. t ous \u00e9tendirent les mains sur les mets \nqui \u00e9taient devant eux. Et quand ils n\u2019eurent plus le d\u00e9sir de boire \net de manger, le Dardanide Priamos admira combien Akhilleus \n\u00e9tait grand et beau et semblable aux dieux. Et Akhilleus admi -\nrait aussi le Dardanide Priamos, son aspect v\u00e9n\u00e9rable et ses sages \nparoles. Et, quand ils se furent admir\u00e9s longtemps, le vieux et \ndivin Priamos parla ainsi :\n\u2013 Fais que je puisse me coucher promptement, nourrisson de Zeus, \nafin que je jouisse du doux sommeil ; car mes yeux ne se sont \npoint ferm\u00e9s sous mes paupi\u00e8res depuis que mon fils a rendu \nl\u2019\u00e2me sous tes mains. Je n\u2019ai fait que me lamenter et subir des dou -\nleurs infinies, prostern\u00e9 sur le fumier, dans l\u2019enceinte de ma cour.\nEt je n\u2019ai pris quelque nourriture, et je n\u2019ai bu de vin qu\u2019ici. \nAuparavant, je n\u2019avais rien mang\u00e9.675\nL \u2019ILIADEIl parla ainsi, et Akhilleus ordonna \u00e0 ses compagnons et aux \nfemmes de pr\u00e9parer des lits sous le portique, et d\u2019y \u00e9tendre de \nbelles \u00e9toffes pourpr\u00e9es, puis des tapis, et, par-dessus, des tuniques \nde laine. Et les femmes, sortant de la tente avec des torches aux \nmains, pr\u00e9par\u00e8rent aussit\u00f4t deux lits. Et alors Akhilleus aux pieds \nrapides dit avec bienveillance :\ntu dormiras hors de la tente, cher vieillard, de peur qu\u2019un des \nAkhaiens, venant me consulter, comme ils en ont coutume, ne \nt\u2019aper\u00e7oive dans la nuit noire et rapide. Et aussit\u00f4t il en avertirait \nle prince des peuples Agamemn\u00f4n, et peut-\u00eatre que le rachat du \ncadavre serait retard\u00e9. Mais r\u00e9ponds-moi, et dis la v\u00e9rit\u00e9. Combien \nde jours d\u00e9sires-tu pour ensevelir le divin Hekt\u00f4r, afin que je reste \nen repos pendant ce temps, et que je retienne les peuples ?\nEt le vieux et divin Priamos lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Si tu veux que je rende de justes honneurs au divin Hekt\u00f4r, en \nfaisant cela, Akhilleus, tu exauceras mon v\u0153u le plus cher. t u sais \nque nous sommes renferm\u00e9s dans la ville, et loin de la montagne \no\u00f9 le bois doit \u00eatre coup\u00e9, et que les t roiens sont saisis de terreur. \nPendant neuf jours nous pleurerons Hekt\u00f4r dans nos demeures ; \nle dixi\u00e8me, nous l\u2019ensevelirons, et le peuple fera le repas fun\u00e8bre ; 676CHAnt 24\nle onzi\u00e8me, nous le placerons dans le tombeau, et, le douzi\u00e8me, \nnous combattrons de nouveau, s\u2019il le faut.\nEt le divin Akhilleus aux pieds rapides lui r\u00e9pondit :\n\u2013 Vieillard Priamos, il en sera ainsi, selon ton d\u00e9sir ; et pendant ce \ntemps, j\u2019arr\u00eaterai la guerre.\nAyant ainsi parl\u00e9, il serra la main droite du vieillard afin qu\u2019il ces -\ns\u00e2t de craindre dans son c\u0153ur. Et le h\u00e9raut et Priamos, tous deux \npleins de sagesse, s\u2019endormirent sous le portique de la tente. Et \nAkhilleus s\u2019endormit dans le fond de sa tente bien construite, et \nBreis\u00e8is aux belles joues coucha aupr\u00e8s de lui.\nEt tous les dieux et les hommes qui combattent \u00e0 cheval dor -\nmaient dans la nuit, dompt\u00e9s par le doux sommeil ; mais le \nsommeil ne saisit point le bienveillant Herm\u00e9ias, qui songeait \n\u00e0 emmener le roi Priamos du milieu des nefs, sans \u00eatre vu des \ngardes sacr\u00e9s des portes. Et il s\u2019approcha de sa t\u00eate et il lui dit :\n\u2013 \u00d4 vieillard ! ne crains-tu donc aucun malheur, que tu dormes \nainsi au milieu d\u2019hommes ennemis, apr\u00e8s qu\u2019Akhilleus t\u2019a \u00e9par -\ngn\u00e9 ? Maintenant que tu as rachet\u00e9 ton fils bien-aim\u00e9 par de nom -\nbreux pr\u00e9sents, les fils qui te restent en donneront trois fois autant 677\nL \u2019ILIADEpour te racheter vivant, si l\u2019Atr\u00e9ide Agamemn\u00f4n te d\u00e9couvre, et si \ntous les Akhaiens l\u2019apprennent.\nIl parla ainsi, et le vieillard trembla ; et il ordonna au h\u00e9raut de \nse lever.\nEt Herm\u00e9ias attela leurs mulets et leurs chevaux, et il les conduisit \nrapidement \u00e0 travers le camp, et nul ne les vit. Et quand ils furent \narriv\u00e9s au gu\u00e9 du fleuve au beau cours, du Xanthos tourbillon -\nnant que l\u2019immortel Zeus engendra, Herm\u00e9ias remonta vers le \nhaut Olympos.\nEt d\u00e9j\u00e0 \u00c9\u00f4s au p\u00e9plos couleur de safran se r\u00e9pandait sur toute la \nterre, et les deux vieillards poussaient les chevaux vers la ville, en \npleurant et en se lamentant, et les mulets portaient le cadavre. Et \nnul ne les aper\u00e7ut, parmi les hommes et les femmes aux belles \nceintures, avant Kassandr\u00e8 semblable \u00e0 Aphrodit\u00e8 d\u2019or. Et, du haut \nde Pergamos, elle vit son p\u00e8re bien-aim\u00e9, debout sur le char, et le \nh\u00e9raut, et le corps que les mulets amenaient sur le lit fun\u00e8bre. Et \naussit\u00f4t elle pleura, et elle cria, par toute la ville :\n\u2013 Voyez, t roiens et t roiennes ! Si vous alliez autrefois au-devant \nde Hekt\u00f4r, le c\u0153ur plein de joie, quand il revenait vivant du com -\nbat, voyez celui qui \u00e9tait l\u2019orgueil de la ville et de tout un peuple !678CHAnt 24\nElle parla ainsi, et nul parmi les hommes et les femmes ne resta \ndans la ville, tant un deuil irr\u00e9sistible les entra\u00eenait tous. Et ils \ncoururent, au-del\u00e0 des portes, au-devant du cadavre. Et, les pre -\nmi\u00e8res, l\u2019\u00e9pouse bien-aim\u00e9e et la m\u00e8re v\u00e9n\u00e9rable, arrachant leurs \ncheveux, se jet\u00e8rent sur le char en embrassant la t\u00eate de Hekt\u00f4r. \nEt tout autour la foule pleurait.\nEt certes, tout le jour, jusqu\u2019\u00e0 la chute de H\u00e9lios, ils eussent g\u00e9mi \net pleur\u00e9 devant les portes, si Priamos, du haut de son char, n\u2019e\u00fbt \ndit \u00e0 ses peuples :\n\u2013 Retirez-vous, afin que je passe avec les mulets. n ous nous rassa -\nsierons de larmes quand j\u2019aurai conduit ce corps dans ma demeure.\nIl parla ainsi, et, se s\u00e9parant, ils laiss\u00e8rent le char passer. Puis, \nayant conduit Hekt\u00f4r dans les riches demeures, ils le d\u00e9pos\u00e8rent \nsur un lit sculpt\u00e9, et ils appel\u00e8rent les chanteurs fun\u00e8bres, et \nceux-ci g\u00e9mirent un chant lamentable auquel succ\u00e9daient les \nplaintes des femmes. Et, parmi celles-ci, Andromakh\u00e8 aux bras \nblancs commen\u00e7a le deuil, tenant dans ses mains la t\u00eate du tueur \nd\u2019hommes Hekt\u00f4r :\n\u2013 \u00d4 homme ! tu es mort jeune, et tu m\u2019as laiss\u00e9e veuve dans mes \ndemeures, et je ne pense pas qu\u2019il parvienne \u00e0 la pubert\u00e9, ce 679\nL \u2019ILIADEfils enfant que nous avons engendr\u00e9 tous deux, \u00f4 malheureux \nque nous sommes ! Avant cela, cette ville sera renvers\u00e9e de son \nfa\u00eete, puisque son d\u00e9fenseur a p\u00e9ri, toi qui la prot\u00e9geais, et ses \nfemmes fid\u00e8les et ses petits enfants. Elles seront enlev\u00e9es sur les \nnefs creuses, et moi avec elles. Et toi, mon enfant, tu me suivras \net tu me subiras de honteux travaux, te fatiguant pour un ma\u00eetre \nf\u00e9roce ! ou bien un Akhaien, te faisant tourner de la main, te jet -\ntera du haut d\u2019une tour pour une mort affreuse, furieux que \nHekt\u00f4r ait tu\u00e9 ou son fr\u00e8re, ou son p\u00e8re, ou son fils ; car de nom -\nbreux Akhaiens sont tomb\u00e9s, mordant la terre, sous ses mains.\nEt ton p\u00e8re n\u2019\u00e9tait pas doux dans le combat, et c\u2019est pour cela \nque les peuples le pleurent par la ville. \u00d4 Hekt\u00f4r ! tu accables \ntes parents d\u2019un deuil inconsolable, et tu me laisses surtout en \nproie \u00e0 d\u2019affreuses douleurs, car, en mourant, tu ne m\u2019auras point \ntendu les bras de ton lit, et tu ne m\u2019auras point dit quelque sage \nparole dont je puisse me souvenir, les jours et les nuits, en ver -\nsant des larmes.\nElle parla ainsi en pleurant, et les femmes g\u00e9mirent avec elle ; et, \nau milieu de celles-ci, H\u00e9kab\u00e8 continua le deuil d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 :\n\u2013 Hekt\u00f4r, le plus cher de tous mes enfants, certes, les dieux t\u2019ai -\nmaient pendant ta vie, car ils ont veill\u00e9 sur toi dans la mort. 680CHAnt 24\nAkhilleus aux pieds rapides a vendu tous ceux de mes fils qu\u2019il \na pu saisir, par-del\u00e0 la mer st\u00e9rile, \u00e0 Samos, \u00e0 Imbros, et dans la \nbarbare Lemnos. Et il t\u2019a arrach\u00e9 l\u2019\u00e2me avec l\u2019airain aigu, et il t\u2019a \ntra\u00een\u00e9 autour du tombeau de son compagnon Patroklos que tu as \ntu\u00e9 et qu\u2019il n\u2019a point fait revivre ; et, maintenant, te voici couch\u00e9 \ncomme si tu venais de mourir dans nos demeures, frais et sem -\nblable \u00e0 un homme que l\u2019archer Apoll\u00f4n vient de frapper de ses \ndivines fl\u00e8ches.\nElle parla ainsi en pleurant, et elle excita les g\u00e9missements des \nfemmes ; et, au milieu de celles-ci, H\u00e9l\u00e9n\u00e8 continua le deuil :\n\u2013 Hekt\u00f4r, tu \u00e9tais le plus cher de tous mes fr\u00e8res, car Alexandros, \nplein de beaut\u00e9, est mon \u00e9poux, lui qui m\u2019a conduite dans t roi\u00e8. \nPl\u00fbt aux dieux que j\u2019eusse p\u00e9ri auparavant ! Voici d\u00e9j\u00e0 la ving -\nti\u00e8me ann\u00e9e depuis que je suis venue, abandonnant ma patrie, \net jamais tu ne m\u2019as dit une parole injurieuse ou dure, et si l\u2019un \nde mes fr\u00e8res, ou l\u2019une des mes s\u0153urs, ou ma belle-m\u00e8re, \u2013 car \nPriamos me fut toujours un p\u00e8re plein de douceur, \u2013 me bl\u00e2mait \ndans nos demeures, tu les avertissais et tu les apaisais par ta dou -\nceur et par tes paroles bienveillantes. C\u2019est pour cela que je te \npleure en g\u00e9missant, moi, malheureuse, qui n\u2019aurai plus jamais \nun protecteur ni un ami dans la grande t roi\u00e8, car tous m\u2019ont \nen horreur.681\nL \u2019ILIADEElle parla ainsi en pleurant, et tout le peuple g\u00e9mit.\nMais le vieux Priamos leur dit :\n\u2013 troiens, amenez maintenant le bois dans la ville, et ne craignez \npoint les emb\u00fbches profondes des Argiens, car Akhilleus, en me \nrenvoyant des nefs noires, m\u2019a promis de ne point nous attaquer \navant qu\u2019\u00c9\u00f4s ne soit revenue pour la douzi\u00e8me fois.\nIl parla ainsi, et tous, attelant aux chars les b\u0153ufs et les mulets, \naussit\u00f4t se rassembl\u00e8rent devant la ville. Et, pendant neuf jours, \nils amen\u00e8rent des monceaux de bois. Et quand \u00c9\u00f4s reparut pour \nla dixi\u00e8me fois \u00e9clairant les mortels, ils plac\u00e8rent, en versant des \nlarmes, le brave Hekt\u00f4r sur le faite du b\u00fbcher, et ils y mirent le feu.\nEt quand \u00c9\u00f4s aux doigts ros\u00e9s, n\u00e9e au matin, reparut encore, \ntout le peuple se rassembla autour du b\u00fbcher de l\u2019illustre Hekt\u00f4r. \nEt, apr\u00e8s s\u2019\u00eatre rassembl\u00e9s, ils \u00e9teignirent d\u2019abord le b\u00fbcher o\u00f9 \nla force du feu avait br\u00fbl\u00e9, avec du vin noir. Puis, ses fr\u00e8res et \nses compagnons recueillirent en g\u00e9missant ses os blancs ; et les \nlarmes coulaient sur leurs joues. Et ils d\u00e9pos\u00e8rent dans une urne \nd\u2019or ses os fumants, et ils l\u2019envelopp\u00e8rent de p\u00e9plos pourpr\u00e9s. Puis, \nils la mirent dans une fosse creuse recouverte de grandes pierres, \net, au-dessus, ils \u00e9lev\u00e8rent le tombeau. Et des sentinelles veillaient 682CHAnt 24\nde tous c\u00f4t\u00e9s de peur que les Akhaiens aux belles kn\u00e8mides ne \nse jetassent sur la ville. Puis, le tombeau \u00e9tant achev\u00e9, ils se reti -\nr\u00e8rent et se r\u00e9unirent en foule, afin de prendre part \u00e0 un repas \nsolennel, dans les demeures du roi Priamos, nourrisson de Zeus.\nEt c\u2019est ainsi qu\u2019ils accomplirent les fun\u00e9railles de Hekt\u00f4r domp -\nteur de chevaux."}