{"filename": "James_M._Barrie_-_Peter_Pan.pdf", "content": "Peter pan\nMentions l\u00e9gales\nCet ouvrage a \u00e9t\u00e9 r\u00e9alis\u00e9 dans le cadre de l\u2019exception au droit\nd\u2019auteur en faveur des personnes en situation de handicap\n(articles L. 122-5, L.122-5-1, L. 122-5-2 et R. 122-13 \u00e0 22 du code\nde la propri\u00e9t\u00e9 intellectuelle). Il est r\u00e9serv\u00e9 \u00e0 une consultation\nstrictement personnelle par les personnes emp\u00each\u00e9es de lire,\ntoute reproduction ou diffusion est interdite.\nTable des Mati\u00e8res\n1. Peter d\u00e9barque.\n2. L'ombre.\n3. Partons, partons !\n4. Le voyage dans les airs.\n5. L'\u00eele pour de vrai.\n6. La petite hutte.\n7. La maison souterraine.\n8. La lagune aux sir\u00e8nes.\n9. L'Oiseau Imaginaire.\n10. Un foyer heureux.\n11. L'histoire de W endy.\n12. Pris au pi\u00e8ge !\n13. Croyez-vous aux f\u00e9es?\n14. Sur le bateau pirate.\n15. \"\u00c0 nous deux, capitaine Crochet!\"\n16. Le retour .\nPeter pan\nBarrie James\nBarrie James\nPeter pan\nTranscrit par l\u2019Institut des jeunes aveugles \u00ab Les Charmettes \u00bb1. Peter d\u00e9barque.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nTous les enfants, hormis un seul, grandissent. Ils savent tr\u00e8s\nt\u00f4t qu'ils doivent grandir . Voici comment W endy l'apprit \u00e0 son\ntour : elle avait deux ans et cueillait des fleurs dans un jardin ;\nelle en cueillit une autre encore et courut l'offrir \u00e0 sa m\u00e8re.\nElle devait \u00eatre bien adorable en cet instant, car Mme Darling,\nportant la main \u00e0 son coeur , s'\u00e9cria : \u00ab Si tu pouvais rester\ntoujours ainsi ! \u00bb Elle n'en dit pas plus long, mais dor\u00e9navant\nWendy sut qu'il lui faudrait grandir . D\u00e8s qu'on a deux ans, on\nn'y \u00e9chappe pas, on sait. Deux est le commencement de la fin.\nLa famille habitait au n\u00b0 14, et jusqu'\u00e0 la venue de W endy, sa\nm\u00e8re \u00e9tait la reine. C'\u00e9tait une dame charmante, avec une\ntournure d'esprit romantique et une bouche si joliment\nmoqueuse. Son esprit romantique ressemblait \u00e0 ces petites\nbo\u00eetes qui viennent de l'Orient myst\u00e9rieux et contiennent\nd'autres bo\u00eetes encloses l'une dans l'autre. V ous croyez \u00eatre\narriv\u00e9 \u00e0 la derni\u00e8re, elle en cache encore une \u00e0 l'int\u00e9rieur .\nQuant \u00e0 cette bouche moqueuse, un baiser y \u00e9tait pos\u00e9 que\nWendy ne parvenait jamais \u00e0 prendre. Il se tenait l\u00e0, bien\nostensiblement, au coin des l\u00e8vres, \u00e0 droite.\nEt voici comment M. Darling conquit sa femme. Le bataillon\ndes messieurs qui se trouvaient c\u00e9libataires alors qu'elle \u00e9tait\nencore jeune fille ayant d\u00e9couvert au m\u00eame moment qu'ils en\n\u00e9taient amoureux, tous se pr\u00e9cipit\u00e8rent chez elle pour lui\ndemander sa main. T ous, sauf M. Darling qui prit un fiacre et\nentra le premier dans la place. Ce fut ainsi qu'il la conquit. Il\nobtint tout d'elle, \u00e0 l'exception de la bo\u00eete la plus secr\u00e8te dont\nil ignora toujours l'existence, et du baiser auquel avec le temps\nil renon\u00e7a. W endy pensait que Napol\u00e9on, lui, aurait fini par\nl'obtenir , mais je le vois bien en train d'essayer , puis battre en\nretraite, fou de col\u00e8re, en claquant la porte.\nDevant W endy, M. Darling se vantait souvent de ce que sa\nm\u00e8re non seulement l'aimait mais le respectait. Il \u00e9tait un de\nces \u00eatres profonds et subtils pour qui les valeurs mobili\u00e8res\nn'ont pas de secret. En v\u00e9rit\u00e9, personne ne s'y conna\u00eet\nvraiment en la mati\u00e8re, mais lui avait tout \u00e0 fait l'air de s'y\nconna\u00eetre et sa fa\u00e7on d'affirmer que les valeurs sont en hausse\net les titres en baisse inspiraient aux femmes le plus grand\nrespect.Mme Darling se maria en robe blanche ; au d\u00e9but elle tint les\nlivres de comptes \u00e0 la perfection, comme en se jouant : il n'y\nmanquait m\u00eame pas une t\u00eate de choux de Bruxelles. Puis, peu\n\u00e0 peu, des choux -fleurs entiers pass\u00e8rent au travers, et \u00e0 leur\nplace, l'on vit des images de b\u00e9b\u00e9s sans visage. Au lieu de les\nadditionner , Mme Darling les dessinait. C'\u00e9taient ses\npronostics.\nWendy vint la premi\u00e8re, puis John, enfin Michael.\nDurant une semaine ou deux apr\u00e8s la naissance de W endy, ses\nparents se demand\u00e8rent s'ils pourraient la garder , car cela\nfaisait une bouche de plus \u00e0 nourrir . M. Darling \u00e9tait tr\u00e8s fier\nde son rejeton, mais en homme responsable, il vint s'asseoir\nsur le lit de sa femme, lui prit la main et se mit \u00e0 calculer les\nd\u00e9penses futures, sous le regard suppliant de Mme Darling.\nElle \u00e9tait pr\u00eate \u00e0 courir ce risque, advienne que pourra, mais\nce n'\u00e9tait pas du tout la fa\u00e7on de voir de son mari : il n'y voyait\nclair qu'arm\u00e9 d'un crayon et d'une feuille de papier . Et, si par\nmalheur elle l'embrouillait avec ses suggestions, il devait tout\nrecompter depuis le d\u00e9but.\n\u2014 Cette fois, ne m'interromps pas, demandait-il. J'ai une livre\ndix-sept ici, deux livres six au bureau ; en me passant de mon\ncaf\u00e9 au travail, je gagne dix shillings, ce qui fait deux livres\nneuf shillings et six pence, puis tes dix -huit livres trois, cela\nfait trois livres sept shillings neuf pence, plus cinq z\u00e9ro z\u00e9ro -\nqui est-ce qui remue ?\n-huit sept neuf , je reporte sept- ne parle pas, mon tr\u00e9sor -plus\nla livre que tu as pr\u00eat\u00e9e \u00e0 cet homme qui est venu frapper \u00e0 la\nporte- tranquille, b\u00e9b\u00e9 -je reporte b\u00e9b\u00e9- \u00e7a y est, vous avez\nr\u00e9ussi ! -que disais-je ? neuf sept neuf ? Oui, neuf sept neuf ! la\nquestion est donc de savoir si nous pouvons vivre pendant un\nan avec neuf livres sept shillings neuf pence.\n\u2014 Aucun probl\u00e8me, George !\nMais Mme Darling avait un pr\u00e9jug\u00e9 en faveur de W endy, et\nc'\u00e9tait lui qui des deux montrait la plus grande force d'\u00e2me.\n\u2014 Souviens-toi des oreillons ! dit-il d'un ton mena\u00e7ant, et il\nenfourcha de nouveau son dada : Oreillons, une livre. C'est ce\nque j'inscris, mais je crains que cela ne s'\u00e9l\u00e8ve \u00e0 une trentaine\nde shillings - chut ! -rougeole, une livre et demie, rub\u00e9ole, une\ndemi-guin\u00e9e, ce qui fait deux quinze six - cesse d'agiter le doigt\n- coqueluche, disons quinze shillings...Et la liste s'allongeait, et le total n'\u00e9tait jamais le m\u00eame.\nEn fin de compte, W endy passa de justesse, avec un rabais de\nsept shillings six sur les oreillons, et les deux maladies rouges\nramen\u00e9es \u00e0 une seule.\nLa venue de John fut tout aussi \u00e2prement discut\u00e9e, et Michael\nfaillit bien y rester ; pourtant, on les garda tous les deux, et\nbient\u00f4t on pouvait voir les trois petits Darling se rendant \u00e0 la\nqueue leu leu au jardin d'enfants de Mlle Fulsom, sous la\nsurveillance de leur bonne.\nMme Darling aimait l'ordre, et M. Darling s'effor\u00e7ait\nscrupuleusement d'imiter ses voisins. D'o\u00f9 la bonne. Comme\nils \u00e9taient pauvres, vu le prix du lait que les enfants buvaient\nen quantit\u00e9, cette bonne se trouvait \u00eatre une chienne terre-\nneuve tr\u00e8s collet mont\u00e9, r\u00e9pondant au nom de Nana, et qui\nn'avait servi aucun ma\u00eetre en particulier avant d'\u00eatre engag\u00e9e\npar les Darling. Ils avaient fait sa connaissance dans le parc de\nKensington o\u00f9 elle passait le plus clair de ses loisirs \u00e0 jeter des\ncoups d'oeil furtifs dans les berceaux, ayant toujours consid\u00e9r\u00e9\nles enfants comme une affaire importante. Les bonnes\nd'enfants n\u00e9gligentes la d\u00e9testaient pour cette manie, et aussi\nparce qu'elle les suivait jusqu'au logis et se plaignait \u00e0 leurs\nma\u00eetresses.\nNana se r\u00e9v\u00e9la d'embl\u00e9e un vrai tr\u00e9sor de nounou, veillant\nstrictement \u00e0 l'heure du bain et se levant \u00e0 n'importe quelle\nheure de la nuit au moindre g\u00e9missement d'un de ses prot\u00e9g\u00e9s.\nCar, naturellement, sa niche \u00e9tait install\u00e9e dans la chambre\ndes enfants. A vec un flair sans pareil, elle savait si votre toux\nest purement exasp\u00e9rante, ou si elle m\u00e9rite qu'on vous entoure\nla gorge d'une chaussette. Jusqu'\u00e0 sa derni\u00e8re heure, elle resta\nfid\u00e8le aux rem\u00e8des de bonne femme comme les feuilles de\nrhubarbe, et proclamait bien haut son m\u00e9pris pour ces th\u00e9ories\nnouveau genre sur les microbes et autres bestioles. On aurait\npu prendre une le\u00e7on de bonnes mani\u00e8res rien qu'\u00e0 la voir\nescorter les enfants jusqu'\u00e0 l'\u00e9cole ; lorsqu'ils se tenaient bien,\nelle leur permettait de marcher \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d'elle, et les rangeait en\nfile indienne s'ils cherchaient \u00e0 muser en chemin. Les jours de\ngymnastique, elle n'oubliait jamais le tricot de John, et portait\ntoujours un parapluie dans sa gueule pour le cas o\u00f9 il\npleuvrait. Il y avait, dans le sous-sol du jardin d'enfants, une\nsalle o\u00f9 les bonnes attendaient. Elles s'asseyaient sur les\nbanquettes tandis que Nana se couchait sur le plancher . C'\u00e9tait\nl\u00e0 la seule diff\u00e9rence. N\u00e9anmoins, celles-ci affectaient de\nl'ignorer , comme si elle occupait un rang inf\u00e9rieur de lasoci\u00e9t\u00e9, et elle, de son c\u00f4t\u00e9, n'avait que d\u00e9dain pour leurs\nfutiles bavardages. Lorsque des amies de Mme Darling\nvenaient visiter la chambre des enfants, Nana, contrari\u00e9e,\nsubtilisait en un clin d'oeil le tablier de John pour lui enfiler \u00e0\nla place celui qui est orn\u00e9 d'un galon bleu, d\u00e9froissait la robe\nde W endy et se pr\u00e9cipitait sur les cheveux de John. On n'aurait\npu trouver pouponni\u00e8re mieux g\u00e9r\u00e9e. P ourtant, M. Darling,\ntout en reconnaissant le fait, \u00e9prouvait un certain malaise\nquand il imaginait les commentaires des voisins. Ne devait-il\npas songer au rang qu'il occupait dans la ville ?\nNana le g\u00eanait encore d'un autre point de vue : il avait le\nsentiment qu'elle ne l'admirait pas. \u00abMais si, George, elle\nt'admire follement \u00bb, le rassurait Mme Darling tout en faisant\nsigne aux enfants de se montrer alors particuli\u00e8rement gentils\nenvers P apa. S'ensuivaient alors des danses gracieuses,\nauxquelles se joignait parfois Liza, l'autre domestique des\nDarling. Comme elle avait l'air petite fille, avec sa coiffe et son\nlong tablier de bonne, bien qu'elle e\u00fbt jur\u00e9 au moment d'entrer\nen service qu'elle n'aurait plus jamais dix ans ! Oh ! la gaiet\u00e9\nde ces \u00e9bats ! Et la plus gaie de tous, Mme Darling, pirouettait\navec tant de fr\u00e9n\u00e9sie qu'on ne voyait plus d'elle que son baiser\n: c'est alors qu'on aurait eu une chance de le ravir , en sautant\nsur elle \u00e0 l'improviste. Non, il n'existait pas de famille plus\nsimple, plus heureuse, avant l'arriv\u00e9e de P eter P an.\nMme Darling eut vent de P eter pour la premi\u00e8re fois alors\nqu'elle \u00e9tait occup\u00e9e \u00e0 mettre de l'ordre dans l'esprit de ses\nenfants. C'est une habitude nocturne de toute bonne m\u00e8re, de\nfouiller dans l'esprit de ses enfants d\u00e8s qu'ils sont endormis et\nde remettre toute chose d'aplomb pour le lendemain, rangeant\n\u00e0 leur place les nombreux objets \u00e9gar\u00e9s dans la journ\u00e9e.\nSi vous pouviez rester \u00e9veill\u00e9s (mais c'est impossible, bien\ns\u00fbr), vous verriez comment s'y prend votre maman et\ntrouveriez tr\u00e8s int\u00e9ressant de l'observer \u00e0 ce moment. C'est\nexactement comme fouiller dans des tiroirs. V ous la\nsurprendriez \u00e0 genoux, je pense, se demandant perplexe o\u00f9\ndiable vous avez bien pu d\u00e9nicher ce machin, faisant des\nd\u00e9couvertes agr\u00e9ables et d'autres qui le sont moins, pressant\ncette chose contre sa joue comme si c'\u00e9tait aussi doux qu'un\npetit chat, et faisant vivement dispara\u00eetre cette autre de la vue.\nQuand, le matin, vous rouvrez les yeux, votre m\u00e9chancet\u00e9 et\nles passions mauvaises qui vous accompagn\u00e8rent au lit, vous\nles retrouvez pli\u00e9es en une pile serr\u00e9e, et repouss\u00e9es tout au\nfond de votre conscience. P ar-dessus sont rang\u00e9es vos plus\njolies pens\u00e9es, attendant que vous les enfiliez.Je ne sais s'il vous est arriv\u00e9 de voir la carte g\u00e9ographique de\nl'esprit d'une personne. Les docteurs dessinent parfois un\nsch\u00e9ma d'autres parties de votre corps, et ces croquis\nsuscitent le plus vif int\u00e9r\u00eat. Mais surprenez-les donc tandis\nqu'ils s'ing\u00e9nient \u00e0 dresser le plan d'un esprit d'enfant,\nterritoire non seulement embrouill\u00e9 mais qui n'arr\u00eate pas un\ninstant de bouger ! Des lignes en zigzag apparaissent, tout\ncomme sur une feuille de temp\u00e9rature ; ce sont probablement\nles routes qui sillonnent l'\u00eele, car le pays de l'Imaginaire est\ntoujours plus ou moins une \u00eele, avec, ici et l\u00e0, d'\u00e9tonnantes\ntaches de couleurs, des r\u00e9cifs de corail et, au large, de fins\nvoiliers corsaires ; et encore des repaires sauvages, des nains\n\u2014tailleurs pour la plupart\u2014, des grottes o\u00f9 coule une rivi\u00e8re,\ndes princes benjamins de sept fr\u00e8res, une hutte pr\u00eate \u00e0\ns'effondrer , et une toute petite vieille au nez crochu.\nS'il n'y avait que cela, le plan serait facile \u00e0 tracer . Mais on y\ntrouve aussi le premier jour \u00e0 l'\u00e9cole, la religion, les pr\u00eatres, le\nbassin rond, les travaux d'aiguille, des meurtres, des\npendaisons, les verbes qui gouvernent le datif , le jour du flan\nau chocolat, les premi\u00e8res bretelles, dites trente-trois, trois\nsous pour arracher votre dent vous-m\u00eame, et ainsi de suite. Et\ncomme ces choses font tant\u00f4t partie de l'\u00eele, tant\u00f4t d'une autre\ncarte qu'on voit par transparence, on ne s'y retrouve plus du\ntout, d'autant que cela remue tout le temps. \u00c9videmment, le\npays de l'Imaginaire diff\u00e8re beaucoup d'une personne \u00e0 l'autre.\nCelui de John, par exemple, poss\u00e8de une lagune o\u00f9 vont\nvolants des flamants roses que John tire \u00e0 la carabine. Alors\nque Michael, qui est encore petit, a un flamant rose que\nsurvolent des lagunes. John vit dans un bateau \u00e9chou\u00e9 dans les\nsables la quille en l'air , Michael dans un wigwam, et W endy\ndans une hutte de feuilles habilement cousues ensemble. John\nn'a pas d'amis. Michael re\u00e7oit les siens la nuit. W endy\nchouchoute un louveteau abandonn\u00e9 par ses parents. Mais\ndans l'ensemble, les contr\u00e9es de l'Imaginaire ont toutes un air\nde famille, et si elles voulaient bien se tenir en rang devant\nvous, vous diriez qu'elles ont toutes le m\u00eame nez, la m\u00eame\nbouche, etc. C'est toujours sur ces rivages magiques que les\nenfants viennent \u00e9chouer leurs canots. Nous aussi, nous y\nsommes all\u00e9s, et bien que nous n'y aborderons jamais plus,\nnous avons encore dans l'oreille le chant des vagues.\nDe toutes les Cyth\u00e8res, l'\u00eele de l'Imaginaire est la mieux\nabrit\u00e9e et la plus dense, pas du genre qui s'\u00e9tire en longueur\navec d'ennuyeuses distances d'une aventure \u00e0 l'autre, mais\npleine comme un oeuf . Le jour , quand on y joue, avec la nappe\net les chaises, elle n'a rien d'effrayant ; mais deux minutesavant de s'endormir , elle devient presque vraie. C'est pourquoi\nl'on a invent\u00e9 les veilleuses.\nAu cours de ses voyages \u00e0 travers l'esprit de ses enfants, il\narrivait \u00e0 Mme Darling de tomber sur des choses\nincompr\u00e9hensibles pour elle. Entre autres et par-dessus tout :\nle mot P eter. Elle ne connaissait aucun P eter, et pourtant, il\napparaissait \u00e7\u00e0 et l\u00e0 dans la t\u00eate de John et de Michael, tandis\nque W endy \u00e9tait toute gribouill\u00e9e de son nom \u00e9crit en gros\ncaract\u00e8res effront\u00e9s. Lorsque Mme Darling le d\u00e9chiffrait, elle\nlui trouvait l'air joliment s\u00fbr de lui.\n\u2013 Oui, il est plut\u00f4t s\u00fbr de lui, admit W endy \u00e0 regret, comme sa\nm\u00e8re la questionnait \u00e0 son sujet.\n\u2013 Mais qui est-ce, mon chou ?\n\u2013 C'est P eter P an, Maman, tu sais bien.\nSur le coup, Mme Darling ne sut pas du tout, mais en\nremontant dans son enfance, elle se souvient d'un P eter P an\nqui vivait \u2013disait-on\u2013 chez les f\u00e9es. On racontait d'\u00e9tranges\nhistoires \u00e0 son propos. Ainsi, on pr\u00e9tendait que, lorsque les\nenfants meurent, il les accompagne un bout de chemin pour\nqu'ils n'aient pas peur . Mme Darling y avait cru, autrefois, mais\n\u00e0 pr\u00e9sent qu'elle \u00e9tait mari\u00e9e et raisonnable, elle avait peine \u00e0\nadmettre qu'un \u00eatre pareil p\u00fbt exister .\n\u2013 D'ailleurs, dit-elle \u00e0 W endy, il aurait d\u00fb grandir , depuis le\ntemps.\n\u2013 Non, non, il n'a pas grandi, assura W endy d'un ton\nconfidentiel. Il a tout juste ma taille.\n\u00abAussi bien de corps que d'esprit\u00bb, voulait-elle dire. Comment\nle savait-elle ? Impossible de le dire ! Elle le savait, un point\nc'est tout.\nMme Darling consulta son mari, mais celui-ci sourit avec un pff\n! de m\u00e9pris.\n\u2013 \u00c9coute-moi bien, dit-il, c'est quelque idiotie que Nana leur\naura fourr\u00e9e dans la t\u00eate, tout \u00e0 fait le genre d'id\u00e9es qui vient\naux chiens. Laisse courir , \u00e7a leur passera...\nCela ne passa pas, pourtant ! Au contraire, le turbulent gar\u00e7on\nallait bient\u00f4t donner un choc s\u00e9rieux \u00e0 Mme Darling.Les enfants vivent les plus \u00e9tranges aventures sans en \u00eatre\naucunement troubl\u00e9s. Ainsi, une semaine apr\u00e8s un tel\n\u00e9v\u00e9nement, il leur prend l'envie de vous raconter comment,\nalors qu'ils se promenaient dans la for\u00eat, ils ont rencontr\u00e9 leur\np\u00e8re mort et ont jou\u00e9 avec lui. Ce fut de mani\u00e8re accidentelle\nque W endy fit un matin une r\u00e9v\u00e9lation alarmante. On avait\nd\u00e9couvert sur le parquet de la chambre \u00e0 coucher des feuilles\nmortes qui, assur\u00e9ment, ne s'y trouvaient pas lorsque les\nenfants \u00e9taient all\u00e9s dormir . Mme Darling essayait de r\u00e9soudre\ncette \u00e9nigme quand W endy expliqua avec un sourire indulgent\n:\n\u2014 Je crois que c'est encore ce P eter.\n\u2013 Que veux -tu dire, W endy ?\n\u2013 C'est vilain de sa part, de ne pas balayer , soupira W endy qui\n\u00e9tait tr\u00e8s soigneuse.\nPeter venait parfois dans la chambre pendant la nuit, expliqua-\nt-elle mine de rien, et il lui jouait de la fl\u00fbte, assis au pied de\nson lit. H\u00e9las ! elle ne se r\u00e9veillait jamais, aussi lui \u00e9tait-il\nimpossible de savoir comment elle le savait. Elle le savait, un\npoint c'est tout.\n\u2013 Tu dis des sottises, mon tr\u00e9sor ! P ersonne ne peut entrer\ndans la maison sans frapper .\n\u2013 Je crois qu'il entre par la fen\u00eatre.\n\u2013 Ma ch\u00e9rie, voyons ! au troisi\u00e8me \u00e9tage ?\n\u2013 Les feuilles mortes ne se trouvaient-elles pas au pied de la\nfen\u00eatre, maman ?\nC'\u00e9tait vrai ; c'est l\u00e0 qu'on les avait trouv\u00e9es !\nMme Darling se demandait ce qu'il fallait en penser , tout cela\nsemblait si naturel \u00e0 W endy qu'on ne pouvait classer l'affaire\nen pr\u00e9tendant qu'elle avait d\u00fb r\u00eaver .\n\u2013 Mon enfant, s'\u00e9cria Mme Darling, pourquoi ne pas m'en avoir\nparl\u00e9 plus t\u00f4t ?\n\u2013 J'ai oubli\u00e9, dit W endy avec insouciance. (De fait, elle avait\nh\u00e2te de prendre son petit-d\u00e9jeuner .)\nBon ! W endy avait d\u00fb r\u00eaver .Pourtant, ces feuilles \u00e9taient bien l\u00e0. Mme Darling les examina\nattentivement. Ce n'\u00e9taient plus que des squelettes de feuilles,\nmais elle pouvait certifier qu'elles ne provenaient d'aucun\narbre connu en Angleterre. Elle se mit \u00e0 quatre pattes sur le\nplancher , scruta \u00e0 la chandelle les empreintes d'un pied\nbizarre, explora la chemin\u00e9e \u00e0 l'aide du tisonnier , sonda les\nmurs. Puis elle laissa se d\u00e9rouler un ruban de la fen\u00eatre\njusqu'au trottoir : cela repr\u00e9sentait une dizaine de m\u00e8tres,\navec gu\u00e8re plus qu'une goutti\u00e8re pour grimper jusqu'en haut.\nPlus de doute, W endy avait r\u00eav\u00e9.\nEh bien non, elle n'avait pas r\u00eav\u00e9, comme cela fut d\u00e9montr\u00e9\npr\u00e9cis\u00e9ment la nuit qui suivit et qui marqua le d\u00e9but des\nextraordinaires aventures des jeunes Darling.\nCette nuit-l\u00e0, donc, les enfants all\u00e8rent une fois de plus se\ncoucher . C'\u00e9tait le jour de cong\u00e9 de Nana et Mme Darling les\navait-elle m\u00eame baign\u00e9s, puis berc\u00e9s jusqu'au moment o\u00f9, l'un\napr\u00e8s l'autre, ils avaient l\u00e2ch\u00e9 sa main pour glisser lentement\nvers le pays du sommeil.\nIls avaient l'air si calme, si paisible, qu'elle sourit de ses\npropres frayeurs et s'assit tranquillement pour coudre aupr\u00e8s\ndu foyer . C'\u00e9tait une chemise destin\u00e9e \u00e0 Michael, la premi\u00e8re\nchemise de sa vie, qu'il mettrait le jour de son anniversaire. La\nchaleur du feu \u00e9tait douce, la chambre faiblement \u00e9clair\u00e9e par\nles veilleuses et, \u00e0 pr\u00e9sent, la couture avait gliss\u00e9 sur les\ngenoux de Mme Darling. Puis sa t\u00eate dodelina, oh ! fort\ngracieusement. Elle s'\u00e9tait endormie. Regardez-les tous les\nquatre, W endy et Michael de ce c\u00f4t\u00e9-ci, John de celui-l\u00e0, et\nMme Darling pr\u00e8s du feu... Il y aurait d\u00fb y avoir une quatri\u00e8me\nveilleuse.\nDans son sommeil, Mme Darling eut un r\u00eave. Elle r\u00eava que le\npays de l'Imaginaire s'\u00e9tait dangereusement rapproch\u00e9, et\nqu'un \u00e9trange gar\u00e7on en \u00e9tait d\u00e9barqu\u00e9. Il ne l'effrayait pas,\nelle\nl'avait d\u00e9j\u00e0 vu sur le visage des femmes qui n'ont pas d'enfant,\net peut-\u00eatre le voit-on \u00e9galement sur le visage de certaines\nm\u00e8res. Mais, dans son r\u00eave, il avait trou\u00e9 le voile qui cache la\ncontr\u00e9e de l'Imaginaire, et elle vit W endy, John et Michael qui\nregardaient par ce trou.\nJusque-l\u00e0, pas de quoi fouetter un chat. Mais, tandis que le\nr\u00eave se poursuivait, la fen\u00eatre s'ouvrit violemment et un\ngar\u00e7on sauta sur le plancher . Une \u00e9trange lumi\u00e8re, pas plusgrosse que le poing, l'accompagnait et dansait follement dans\nl'air de la chambre, comme si elle \u00e9tait vivante. \u00c0 mon avis, ce\nfut elle qui r\u00e9veilla Mme Darling.\nElle poussa un cri, vit le gar\u00e7on, et je ne sais comment\nreconnut aussit\u00f4t P eter P an. Si vous aviez \u00e9t\u00e9 l\u00e0, ou moi, ou\nWendy, nous aurions vu qu'il ressemblait beaucoup au fameux\nbaiser de Mme Darling. C'\u00e9tait un charmant petit gars, v\u00eatu de\nfeuilles et des r\u00e9sines qui suintent des arbres. Mais ce qu'il y\navait de plus adorable en lui, c'\u00e9taient ses dents de lait qu'il\navait au grand complet. S'apercevant qu'il avait affaire \u00e0 une\ngrande personne, il lui adressa un grincement de ses vingt\npetites perles blanches.\n2. L'ombre.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nMme Darling cria et, comme en r\u00e9ponse \u00e0 un coup de\nsonnette, la porte s'ouvrit. Nana revenait de sa soir\u00e9e au-\ndehors. Elle gronda et bondit vers le gar\u00e7on qui s'\u00e9lan\u00e7a\nprestement par la fen\u00eatre. Mme Darling poussa un nouveau\ncri, de d\u00e9tresse cette fois, certaine que le gar\u00e7on s'\u00e9tait tu\u00e9.\nElle descendit en courant jusqu'\u00e0 la rue pour recueillir son\npetit corps ; elle ne le trouva pas. Elle regarda vers le haut et,\ndans la nuit noire, crut voir passer une \u00e9toile filante.\nDe retour dans la chambre, elle s'aper\u00e7ut que Nana tenait\nquelque chose dans sa gueule. Ce quelque chose se r\u00e9v\u00e9la \u00eatre\nl'ombre du gar\u00e7on. Lorsqu'il avait saut\u00e9, Nana avait vite ferm\u00e9\nla fen\u00eatre, trop tard pour l'attraper lui, mais son ombre \u00e9tait\nrest\u00e9e coinc\u00e9e ; en claquant, la fen\u00eatre l'avait arrach\u00e9e.\nN'en doutez pas : Mme Darling examina l'ombre avec soin,\nmais c'\u00e9tait tout \u00e0 fait une ombre de l'esp\u00e8ce commune.\nNana ne demanda pas ce qu'il fallait en faire : la meilleure\nsolution \u00e9tait de la suspendre \u00e0 la crois\u00e9e. Ce qu'elle fit,\nsongeant que \u00abcomme il ne manquerait pas de revenir la\nchercher , mieux valait la mettre dans un endroit o\u00f9 il pouvait\nla reprendre sans d\u00e9ranger les enfants\u00bb.\nMalheureusement, Mme Darling ne pouvait laisser l'ombre\nsuspendue \u00e0 la fen\u00eatre. \u00abOn dirait du linge qui s\u00e8che. Cela\ng\u00e2te l'allure de la maison\u00bb, se dit-elle.Fallait-il la montrer \u00e0 M. Darling ? Il \u00e9tait en train\nd'additionner des manteaux d'hiver pour John et Michael, une\nserviette humide autour de la t\u00eate pour se garder les id\u00e9es\nclaires, c'e\u00fbt \u00e9t\u00e9 ind\u00e9cent de l'interrompre. De toute fa\u00e7on, elle\nsavait d'avance qu'il dirait : \u00abV oil\u00e0 ce qui arrive quand on a un\nchien comme bonne d'enfants !\u00bb\nElle d\u00e9cida donc de rouler l'ombre et de la ranger\nsoigneusement dans un tiroir en attendant l'occasion d'en\nparler \u00e0 son mari. Las !\nL'occasion se pr\u00e9senta une semaine plus tard, un certain\nvendredi d'imp\u00e9rissable m\u00e9moire. Car , bien entendu, c'\u00e9tait un\nvendredi.\n\u2013 J'aurais d\u00fb \u00eatre plus prudente un vendredi, se reprochait-elle\nsouvent, par la suite, tandis que Nana, assise de l'autre c\u00f4t\u00e9,\nlui tenait la main.\n\u2014 Non, non, r\u00e9pondait M. Darling, tout est arriv\u00e9 par ma faute.\nMoi, George Darling, suis le seul responsable. Mea culpa, mea\nculpa. (Il avait re\u00e7u une instruction classique.)\nNuit apr\u00e8s nuit, ils se rem\u00e9moraient ce fatal vendredi, et\nchaque d\u00e9tail se gravait dans leur cerveau jusqu'\u00e0\ntranspara\u00eetre au revers, comme ces profils sur une monnaie\nmal frapp\u00e9e.\n\u2013 Ah ! si seulement j'avais refus\u00e9 cette invitation \u00e0 d\u00eener , le 27,\ndisait Mme Darling.\n\u2013 Ah ! si seulement je n'avais pas vers\u00e9 mon m\u00e9dicament dans\nl'\u00e9cuelle de Nana, disait M. Darling.\n\u2013 Ah ! si seulement j'avais fait semblant d'aimer ce\nm\u00e9dicament, disaient les yeux humides de Nana.\n\u2013 Mon go\u00fbt pour les sorties, George !\n\u2013 Mon maudit sens de l'humour , ch\u00e9rie !\n\u2013 Ma sale manie de me vexer d'un rien, chers ma\u00eetre et\nma\u00eetresse !\nAlors l'un d'eux, ou tous ensemble fondaient en larmes,\nsp\u00e9cialement Nana \u00e0 la pens\u00e9e \u00abqu'ils n'auraient jamais d\u00fb,\nc'est bien vrai, avoir un chien comme bonne\u00bb. Plus d'une fois,\nM. Darling lui-m\u00eame lui essuya les yeux.\u2013 Ce vaurien ! g\u00e9missait-il, et Nana aboyait en \u00e9cho .\nMais jamais Mme Darling n'adressa d'injures \u00e0 P eter ; quelque\nchose, dans le coin de sa bouche, se refusait \u00e0 lui faire des\nreproches.\nTous trois se tenaient assis dans la chambre \u00e0 pr\u00e9sent vide,\n\u00e9voquant avec amour chaque circonstance de cette affreuse\nsoir\u00e9e. Cela avait commenc\u00e9 de fa\u00e7on si banale, comme des\ncentaines d'autres fois, avec le bain que Nana faisait couler\npour Michael et o\u00f9 elle l'amenait, juch\u00e9 sur son dos.\n\u2013 Je ne veux pas aller au lit ! avait-il cri\u00e9 du ton de celui qui\nesp\u00e8re encore avoir le dernier mot. Je ne veux pas ! Je ne veux\npas ! Nana, ce n'est pas encore six heures. Hol\u00e0 l\u00e0 ! Je ne\nt'aime plus, Nana ! Je ne veux pas prendre mon bain, je ne\nveux pas !\n\u00c0 ce moment-l\u00e0, Mme Darling \u00e9tait rentr\u00e9e, v\u00eatue de sa robe\nblanche de soir\u00e9e. Elle s'\u00e9tait habill\u00e9e de bonne heure pour\nfaire plaisir \u00e0 W endy qui adorait la voir ainsi, par\u00e9e encore du\ncollier que George lui avait offert et du bracelet de W endy. Elle\navait demand\u00e9 \u00e0 l'emprunter . Wendy aimait tant pr\u00eater son\nbracelet \u00e0 sa m\u00e8re.\n\u00c0 son entr\u00e9e, les deux a\u00een\u00e9s \u00e9taient en train de jouer \u00e0 M. et\nMme Darling le jour de la naissance de W endy, et elle surprit\nJohn disant : \u00ab Je suis heureux de vous informer que vous \u00eates\nm\u00e8re \u00e0 pr\u00e9sent, Mme Darling\u00bb, exactement du ton qu'aurait pu\nemployer M. Darling en pareille circonstance.\nAlors W endy s'\u00e9tait mise \u00e0 danser de joie, comme la vraie Mme\nDarling devait l'avoir fait.\nPuis John \u00e9tait n\u00e9, et l'on avait c\u00e9l\u00e9br\u00e9 l'\u00e9v\u00e9nement avec le\nsuppl\u00e9ment d'honneurs d\u00fb selon lui \u00e0 la naissance d'un enfant\nm\u00e2le. C'est alors que Michael sortit du bain pour demander \u00e0\nna\u00eetre \u00e0 son tour , mais John lui r\u00e9pondit brutalement qu'ils ne\nd\u00e9siraient pas d'autre enfant.\nMichael \u00e9tait au bord des larmes.\n\u2013 Personne ne veut de moi ! s'\u00e9tait-il \u00e9cri\u00e9. Et cela, bien s\u00fbr , la\ndame en robe blanche n'avait pas pu le supporter .\n\u2013 Si, moi ! dit-elle. Je veux un troisi\u00e8me enfant.\n\u2013 Un gar\u00e7on ou une fille ? demanda Michael sans trop d'espoir .\u2013 Un gar\u00e7on !\nIl avait saut\u00e9 dans ses bras. C'\u00e9tait un bien mince souvenir\npour tous trois, pas si mince que cela cependant, si l'on\nsongeait que c'\u00e9tait la derni\u00e8re nuit de Michael dans cette\nchambre.\nD'autres images d\u00e9filaient.\n\u2013 \u00c0 ce moment-l\u00e0, je suis entr\u00e9 comme une trombe, n'est-ce\npas ? encha\u00eenait M. Darling se raillant lui-m\u00eame. (Et en effet,\non aurait dit une trombe).\nPeut-\u00eatre avait-il des circonstances att\u00e9nuantes. Lui aussi \u00e9tait\nen train de passer sa tenue de soir\u00e9e, et tout avait bien march\u00e9\njusqu'\u00e0 la cravate. Cela peut para\u00eetre incroyable, mais cet\nhomme, pour qui les valeurs mobili\u00e8res n'avaient pas de\nsecret, ne venait pas \u00e0 bout de sa cravate. P arfois, la chose lui\nc\u00e9dait sans faire d'histoires, mais, en d'autres occasions, c'e\u00fbt\n\u00e9t\u00e9 bien mieux pour tout le monde si M. Darling, ravalant son\namour-propre, avait consenti \u00e0 porter un noeud de cravate tout\nfait.\nC'\u00e9tait justement une de ces occasions. Il fit irruption dans la\npi\u00e8ce, brandissant cette fripouille de cravate roul\u00e9e en boule.\n\u2013 Que se passe-t-il, p\u00e8re ?\n\u2013 Ce qui se passe ! hurla-t-il. (Hurla, c'est le mot.) Ce noeud de\ncravate ! Il refuse de se nouer ! (Le ton devenait\ndangereusement sarcastique.) P as autour de mon cou, en tout\ncas ! Autour de la barre du lit, oui ! Plus de vingt fois je l'ai\nnou\u00e9 autour de la barre du lit, mais autour de mon cou ?\nJamais ! Bon Dieu, je vous demande pardon !\nJugeant qu'il n'avait pas produit une impression assez forte sur\nsa femme, il poursuivit avec s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 :\n\u2014 Je te pr\u00e9viens, maman, si cette cravate n'est pas nou\u00e9e \u00e0\nmon cou, nous ne sortons pas d\u00eener ce soir , et si je ne sors pas\nce soir , je n'irai plus jamais au bureau, toi et moi mourrons de\nfaim, et nos enfants seront jet\u00e9s \u00e0 la rue.\nEn d\u00e9pit de la menace, Mme Darling garda son sang-froid :\n\u2013 Laisse-moi essayer , dit-elle.\nPr\u00e9cis\u00e9ment c'est ce qu'il \u00e9tait venu lui demander . De ses joliesmains calmes, elle arrangea le noeud de cravate, tandis que les\nenfants autour d'elle, regardaient leur destin se jouer . Certains\n\u00e9poux mesquins en auraient voulu \u00e0 leur femme de s'en tirer si\nfacilement, mais M. Darling avait l'\u00e2me trop \u00e9lev\u00e9e pour cela ;\nil la remercia n\u00e9gligemment, oublia d'un coup sa fureur , et\nl'instant d'apr\u00e8s, gambadait dans la chambre avec Michael sur\nson dos.\n\u2014 Nous nous amusions comme des fous ! soupira Mme\nDarling.\n\u2013 Plus jamais ! g\u00e9mit M. Darling.\n\u2014 George, te rappelles-tu quand Michael me demanda soudain\n: \u00ab Comment as-tu fait pour me conna\u00eetre, maman ? \u00bb\n\u2014 Je me rappelle !\n\u2013 Ils \u00e9taient si gentils, n'est-ce pas, George ?\n\u2013 Et ils \u00e9taient \u00e0 nous, \u00e0 nous, et les voil\u00e0 partis !\nNana avait mis fin aux \u00e9bats en surgissant dans la pi\u00e8ce,\nbousculant malencontreusement M. Darling et couvrant de\npoils le pantalon du ma\u00eetre. Non seulement M. Darling portait\nun pantalon neuf , mais surtout le premier pantalon galonn\u00e9 de\nsa vie. Il dut se mordre les l\u00e8vres pour ne pas pleurer . Mme\nDarling le brossa, naturellement, mais il reprit sa vieille\nantienne sur l'erreur d'avoir un chien comme bonne.\n\u2013 George, Nana est une perle.\n\u2013 Sans aucun doute, n'emp\u00eache, j'ai parfois l'impression\nd\u00e9sagr\u00e9able qu'elle traite nos enfants comme des chiots.\n\u2013 Oh non, ch\u00e9ri, elle sait qu'ils ont une \u00e2me, j'en suis s\u00fbre.\n\u2014 Je me le demande ! grommela M. Darling.\nC'\u00e9tait le moment de lui parler de P eter, pensa Mme Darling. Il\naccueillit d'abord l'histoire avec m\u00e9pris, puis la vue de l'ombre\nle fit r\u00e9fl\u00e9chir .\n\u2013 Ce n'est personne de ma connaissance, avait-il dit. Mais en\ntout cas, \u00e7a m'a l'air d'un voyou.\n\u2013 Nous en discutions encore au moment o\u00f9 Nana vint apporter\nla potion de Michael, t'en souviens-tu, dit M. Darling. Tu neporteras plus jamais ce flacon dans ta gueule, ma pauvre\nNana, et tout cela par ma faute.\nSi ma\u00eetre de lui qu'il f\u00fbt, il s'\u00e9tait conduit plut\u00f4t b\u00eatement \u00e0\npropos de ce sirop. S'il avait une faiblesse, c'\u00e9tait de croire que\ntoute sa vie il avait aval\u00e9 les m\u00e9dicaments sans broncher .\nLorsque Michael avait d\u00e9tourn\u00e9 la cuiller dans la gueule de\nNana, il avait dit d'un ton r\u00e9probateur :\n\u2013 Sois un homme, Michael !\nJ'veux pas ! J'veux pas ! criait Michael.\nMme Darling alla chercher du chocolat, ce que M. ; Darling\njugea comme un manque de fermet\u00e9.\n\u2013 Ne le g\u00e2te pas, maman, lui cria-t-il. Michael, \u00e0 ton \u00e2ge, je\nbuvais mon sirop sans faire d'histoire. Je disais : \u00ab Merci, chers\nparents, de me donner des sirops pour mon bien. \u00bb\nIl \u00e9tait persuad\u00e9 que les choses s'\u00e9taient pass\u00e9es ainsi, et\nWendy le crut \u00e9galement.\n\u2013 N'est-ce pas que le sirop que tu prends quelquefois est\nbeaucoup plus mauvais, P apa ? dit-elle pour encourager son\npetit fr\u00e8re.\n\u2013 Il n'y a pas de comparaison, dit M. Darling, t\u00e9m\u00e9raire. Je\nt'aurais donn\u00e9 l'exemple, Michael, si la bouteille ne s'\u00e9tait\n\u00e9gar\u00e9e.\nElle ne s'\u00e9tait pas \u00e9gar\u00e9e \u00e0 proprement parler ; une nuit, il\n\u00e9tait grimp\u00e9 jusqu'au haut de l'armoire et y avait cach\u00e9 le\nflacon. Il ignorait que la consciencieuse Liza l'avait trouv\u00e9 et\nremis sur l'\u00e9tag\u00e8re de la salle de bains.\n\u2013 Je sais o\u00f9 il se trouve ! s'\u00e9cria W endy, toujours pr\u00eate \u00e0 rendre\nservice. Je cours le chercher .\nElle sortit avant qu'il ait pu l'arr\u00eater . Alors bizarrement sa\nvaillance chancela.\n\u2014 John, dit-il avec un frisson, c'est un truc infect ; c'est\npoisseux, c'est fade, c'est \u00e9coeurant.\n\u2013 Juste un mauvais moment \u00e0 passer , papa ! dit John\nencourageant.Wendy rapportait d\u00e9j\u00e0 la potion dans un verre.\n\u2013 J'ai fait le plus vite possible, haleta-t-elle.\n\u2014 Tu as \u00e9t\u00e9 merveilleusement rapide, r\u00e9torqua son p\u00e8re (mais\nla politesse vindicative de cette r\u00e9plique \u00e9chappa \u00e0 W endy.)\nMichael d'abord ! ajouta-t-il, t\u00eatu.\n\u2013 Non, papa d'abord ! dit Michael qui \u00e9tait d'un naturel\nm\u00e9fiant.\n\u2013 \u00c7a va me rendre malade, tu sais ? fit M. Darling, mena\u00e7ant.\n\u2013 Allons, papa, vas-y ! dit John.\n\u2014 Toi, tiens ta langue ! lan\u00e7a son p\u00e8re. W endy n'en croyait pas\nses yeux.\n\u2013 J'\u00e9tais s\u00fbre que tu l'avalerais d'un coup, papa !\n\u2013 L\u00e0 n'est pas la question ! dit-il. Il y en a plus dans mon verre\nque dans la cuiller de Michael ! (Son noble coeur \u00e9tait pr\u00e8s\nd'\u00e9clater .) Ce n'est pas du jeu. M\u00eame en rendant le dernier\nsoupir , je le dirais encore : ce n'est pas du jeu !\n\u2014 Papa, j'attends, dis Michael, froidement.\n\u2013 Cela te va bien de le dire ! Moi aussi, j'attends.\n\u2014 Papa est un d\u00e9gonfl\u00e9.\n\u2013 C'est toi qui es un d\u00e9gonfl\u00e9.\n\u2014 Je n'ai pas peur .\n\u2013 Moi non plus.\n\u2014 Alors bois-le.\n\u2013 Bois-le toi-m\u00eame.\nWendy eut une id\u00e9e formidable.\n\u2014 Et si vous le buviez en m\u00eame temps ?\n\u2013 D'accord, dit M. Darling. Pr\u00eat, Michael ?\n\u2013 Une, deux, trois ! dit W endy.Et Michael avala sa potion tandis que M. Darling cachait la\nsienne derri\u00e8re son dos.\nMichael poussa un cri de rage.\n\u2013 Oh papa ! fit W endy.\n\u2013 Que signifie ce \u00ab Oh papa \u00bb ? demanda M. Darling. Arr\u00eate ce\nchahut, Michael ! J'avais l'intention de le boire, mais je... j'ai\nrat\u00e9 mon coup.\nC'\u00e9tait terrible, cette fa\u00e7on qu'ils avaient tous trois de le\nregarder , comme s'ils lui retiraient leur estime.\n\u2013 H\u00e9 ! venez voir , vous autres, dit-il d'une voix suppliante d\u00e8s\nque Nana fut entr\u00e9e dans la salle de bains. Je viens d'imaginer\nune bonne blague Je vais verser mon sirop dans l'\u00e9cuelle de\nNana, et elle le boira croyant que c'est du lait.\nSi la potion avait bien la couleur du lait, les enfants n'avaient\npas l'humour de leur p\u00e8re. Ils le regardaient avec reproche\ntandis qu'il vidait le contenu de son verre dans l'\u00e9cuelle de\nNana.\n\u2013 Quelle rigolade ! leur dit-il, pas tr\u00e8s s\u00fbr de lui.\nCependant, ils n'os\u00e8rent pas le d\u00e9noncer quand Mme Darling\nrevint avec Nana dans la pi\u00e8ce.\n\u2013 Nana, brave chienne, dit-il en lui tapotant la t\u00eate, je t'ai mis\nun peu de lait dans ton bol.\nNana remua la queue, courut vers son \u00e9cuelle et se mit \u00e0 laper .\nPuis elle lan\u00e7a \u00e0 M. Darling un de ces regards ! P as un regard\nde col\u00e8re, non, mais ce larmoiement path\u00e9tique qui vous\nd\u00e9chire le coeur de piti\u00e9 pour la noble race canine. Et elle\nrampa dans sa niche.\nAu fond de lui-m\u00eame, M. Darling \u00e9prouvait une honte\nimmense, mais il ne voulait point reconna\u00eetre ses torts. Dans\nun silence terrifiant, Mme Darling renifla l'\u00e9cuelle.\n\u2014 George, dit-elle, c'est ton sirop !\n\u2013 C'\u00e9tait une farce ! brailla-t-il, tandis que sa femme consolait\nles gar\u00e7ons et que W endy serrait Nana dans ses bras. C'est\nbien la peine que je me donne tant de mal pour vous faire rire !\najouta-t-il, amer .\u2013 Wendy caressait toujours Nana.\n\u2013 C'est \u00e7a ! cria-t-il. Dorlote-la bien ! P ersonne ne me dorlote,\nmoi ! Mon r\u00f4le, c'est de faire vivre la famille, pourquoi me\ndorloterait-on, hein ? P ourquoi, je vous le demande ?\n\u2013 George, supplia Mme Darling, pas si fort, les domestiques\nvont t'entendre.\nPar quelle voie myst\u00e9rieuse en \u00e9taient-ils venus \u00e0 appeler Liza\n\u00ab les domestiques \u00bb, je l'ignore encore.\n\u2013 Qu'ils entendent ! r\u00e9pondit-il sur le ton du d\u00e9fi. Le monde\nentier peut l'entendre. Je refuse que ce chien reste une heure\nde plus dans cette chambre \u00e0 mener une vie de grand seigneur\n!\nLes enfants se mirent \u00e0 pleurer , Nana accourut vers lui d'un air\nimplorant, mais il la repoussa. Il \u00e9tait redevenu l'homme fort.\n\u2013 Inutile ! s'\u00e9cria-t-il. T a place est dans la cour , et je vais tout\nde suite aller t'y attacher !\n\u2013 George, George, souffla Mme Darling, souviens-toi de ce que\nje t'ai dit au sujet de ce gar\u00e7on.\nH\u00e9las, il ne voulut pas \u00e9couter . On allait voir qui \u00e9tait le ma\u00eetre\ndans cette maison ! Sachant que Nana resterait sourde \u00e0 ses\nordres, il l'attira hors de la niche par des paroles mielleuses, la\nsaisit rudement et l'entra\u00eena hors de la chambre. V oil\u00e0 ce qu'il\nfit, bien qu'il se sent\u00eet tout honteux. T out cela venait de son\ncaract\u00e8re trop affectueux, qui avait soif d'admiration. Lorsqu'il\neut attach\u00e9 Nana dans la cour de derri\u00e8re, le mis\u00e9rable p\u00e8re\nalla s'asseoir dans le corridor , les poings sur les yeux.\nPendant ce temps, dans un silence inaccoutum\u00e9, Mme Darling\navait couch\u00e9 les enfants et allum\u00e9 les veilleuses. On entendait\nNana aboyer , et John pleurnicha :\n\u2013 C'est parce qu'il l'encha\u00eene dans la cour .\nMais W endy \u00e9tait plus perspicace.\n\u2013 Non, Nana aboie autrement quand elle est malheureuse, dit-\nelle loin de se douter de ce qui allait arriver ; \u00e7a, c'est son\naboiement quand elle flaire un danger .\nUn danger !\u2013 Tu en es s\u00fbre, W endy ?\n\u2013 Oh oui!\nMme Darling fr\u00e9mit et s'assura que la fen\u00eatre \u00e9tait solidement\nferm\u00e9e. Elle regarda au-dehors, la nuit fourmillait d'\u00e9toiles qui\nse pressaient autour de la maison, comme curieuses de voir ce\nqui allait se passer \u00e0 l'int\u00e9rieur , mais Mme Darling ne\nremarqua pas ce d\u00e9tail, ni le fait qu'une ou deux parmi les plus\npetites lui clignaient de l'oeil. Cependant, une peur sans nom\n\u00e9treignit son coeur et la fit soupirer : \u00ab Oh ! si seulement je ne\nsortais pas ce soir ! \u00bb\nMichael, bien qu'\u00e0 moiti\u00e9 endormi, per\u00e7ut l'inqui\u00e9tude de sa\nm\u00e8re et demanda :\n\u2014 Est-ce qu'il peut nous arriver quelque chose de mal, maman,\ndu moment que les veilleuses sont allum\u00e9es ?\n\u2014 Rien, mon tr\u00e9sor , r\u00e9pondit-elle. Les veilleuses sont les yeux\nque la maman laisse derri\u00e8re elle pour prot\u00e9ger ses enfants.\nElle passa de lit en lit, chantant des sortil\u00e8ges \u00e0 chacun d'eux,\net le petit Michael lui noua les bras autour du cou.\n\u2014 Maman, s'\u00e9cria-t-il, je suis content de toi !\nCe fut les derniers mots qu'il devait lui adresser avant\nlongtemps.\nLe n\u00b0 27 n'\u00e9tait distant que d'une centaine de m\u00e8tres. Mais il\navait un peu neig\u00e9 et les Darling durent se frayer\nsoigneusement un passage pour ne pas salir leurs souliers. La\nrue \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 d\u00e9serte et toutes les \u00e9toiles les observaient.\nCertes, les \u00e9toiles sont belles, mais elles sont incapables de\nprendre une part active \u00e0 quoi que ce soit, et condamn\u00e9es \u00e0\njamais au r\u00f4le de spectatrices. C'est le r\u00e9sultat d'un ch\u00e2timent,\ninflig\u00e9 il y a si longtemps qu'aucune d'entre elles ne sait plus\npour quel crime. Les plus anciennes ont d\u00e9j\u00e0 le regard vitreux\net prononcent rarement une parole (les \u00e9toiles parlent par\nscintillement), mais les plus jeunes sont encore capables de\ns'\u00e9tonner . Elles ne nourrissent pas de sentiments\nparticuli\u00e8rement amicaux envers P eter qui a la manie\npolissonne d'essayer de les souffler en les surprenant par-\nderri\u00e8re, mais elles sont tellement friandes d'amusement que\ncette nuit-l\u00e0, prenant son parti, elles attendaient\nimpatiemment que les grandes personnes lui laissent le champ\nlibre. Aussi, \u00e0 peine la porte du n\u00b0 27 se fut-elle referm\u00e9e surM. et Mme Darling qu'un fr\u00e9missement secoua tout le\nfirmament, tandis que la plus petite \u00e9toile de la V oie lact\u00e9e\ns'\u00e9criait :\n\u2014 Tu peux y aller , Peter !\n3. Partons, partons !\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nApr\u00e8s le d\u00e9part des parents Darling, les veilleuses\ncontinu\u00e8rent \u00e0 br\u00fbler d'une flamme claire. C'\u00e9taient de\ncharmantes petites veilleuses, en v\u00e9rit\u00e9. Dommage pour elles\nqu'elles ne soient rest\u00e9es \u00e9veill\u00e9es pour voir P eter. Mais celle\nde W endy commen\u00e7a \u00e0 battre des paupi\u00e8res et b\u00e2illa si fort\nque\nles deux autres b\u00e2ill\u00e8rent aussi. Puis avant m\u00eame d'avoir\nreferm\u00e9 la bouche, toutes trois s'\u00e9teignirent.\nAlors, mille fois plus vive que les veilleuses, une autre lumi\u00e8re\nbrilla dans la chambre et, en moins de temps qu'il ne faut pour\nle dire, elle avait explor\u00e9 tous les tiroirs, fouill\u00e9 l'armoire, et\nretourn\u00e9 toutes les poches. En r\u00e9alit\u00e9, ce n'\u00e9tait pas une\nlumi\u00e8re, mais quelque chose qui z\u00e9brait l'obscurit\u00e9 de tra\u00een\u00e9es\nlumineuses et rapides ; et lorsque cela s'arr\u00eata un instant, il\napparut que c'\u00e9tait une f\u00e9e, pas plus grande que la main, car\nelle n'avait pas termin\u00e9 sa croissance.\nCette fille-f\u00e9e, nomm\u00e9e Clochette-la-R\u00e9tameuse, \u00e9tait v\u00eatue\nd'une feuille taill\u00e9e tr\u00e8s court, ce qui avantageait sa gracieuse\nsilhouette, l\u00e9g\u00e8rement encline \u00e0 l'embonpoint.\nPeu apr\u00e8s l'apparition de la f\u00e9e, la fen\u00eatre s'ouvrit tout grand,\npouss\u00e9e par le souffle des \u00e9toiles, et P eter fit son entr\u00e9e.\nComme il avait port\u00e9 Clochette une partie du chemin, sa main\n\u00e9tait toute barbouill\u00e9e de pollen des f\u00e9es.\n\u2013 Clo, appela-t-il doucement apr\u00e8s s'\u00eatre assur\u00e9 que les enfants\ndormaient, Clochette, o\u00f9 es-tu ?\nPour le moment, elle se trouvait \u00e0 l'int\u00e9rieur d'un broc de\ntoilette et s'y plaisait \u00e9norm\u00e9ment ; elle n'en avait jamais visit\u00e9\nauparavant.\n\u2013 D\u00e9p\u00eache-toi de sortir de l\u00e0 et dis-moi si tu sais o\u00f9 ils ont mismon ombre.\nUn tintement argentin des plus jolis lui r\u00e9pondit. C'\u00e9tait la\nlangue des f\u00e9es. V ous autres, enfants ordinaires, ne pouvez\nl'entendre, mais si cela vous arrivait jamais, il vous\nsouviendrait alors que vous l'avez d\u00e9j\u00e0 entendu.\nClo dit que l'ombre se trouvait dans la grande bo\u00eete. Elle\nd\u00e9signait par l\u00e0 la commode. P eter bondit vers les tiroirs, en\nvida \u00e0 deux mains le contenu sur le plancher , comme un roi\njette des sous \u00e0 la foule. Il retrouva bient\u00f4t son ombre et en fut\nsi content qu'il referma le tiroir en oubliant Clochette dedans.\nDans sa pens\u00e9e (si tant est qu'il pens\u00e2t, ce dont je doute), lui et\nson ombre auraient d\u00fb aussit\u00f4t se ressouder comme deux\ngouttes d'eau s'unissent l'une \u00e0 l'autre. Or , \u00e0 sa grande frayeur ,\nl'ombre ne voulut pas reprendre sa place. Il essaya de la\nrecoller avec du savon : en vain ! Frissonnant de tout son\ncorps, il s'assit par terre et fondit en larmes.\nSes sanglots r\u00e9veill\u00e8rent W endy qui s'assit dans son lit. La vue\nd'un inconnu pleurant sur le plancher , loin de lui causer la\nmoindre frayeur , l'int\u00e9ressa vivement.\n\u2013 Petit gar\u00e7on, demanda-t-elle poliment, pourquoi pleures-tu ?\nPeter avait appris les belles mani\u00e8res en assistant aux\nc\u00e9r\u00e9monies des f\u00e9es, et il savait se montrer extr\u00eamement\ncourtois. Il se leva donc et fit une superbe r\u00e9v\u00e9rence. Flatt\u00e9e,\nWendy lui rendit ce beau salut de son lit.\n\u2013 Comment t'appelles-tu ? demanda P eter.\n\u2014 Wendy Moira Angela Darling, r\u00e9pondit-elle avec une\nsatisfaction \u00e9vidente. Et toi ?\n\u2014 Peter P an.\nElle le savait d\u00e9j\u00e0, bien s\u00fbr , mais ce nom sonnait si court en\ncomparaison du sien.\n\u2013 C'est tout ? dit-elle.\n\u2013 C'est tout, r\u00e9pondit-il s\u00e8chement.\nPour la premi\u00e8re fois, il trouvait son nom un tantinet\nsommaire.\u2014 D\u00e9sol\u00e9e, dit W endy Moira Angela.\n\u2013 C'est sans importance, r\u00e9pondit P eter, la gorge contract\u00e9e.\nElle demanda alors o\u00f9 il habitait.\n\u2013 La deuxi\u00e8me \u00e0 droite, et puis droit devant jusqu'au matin.\n\u2014 Quelle dr\u00f4le d'adresse !\nPeter eut un serrement de coeur . Qu'avait-elle de dr\u00f4le, son\nadresse ?\n\u2013 Non, ce n'est pas dr\u00f4le, r\u00e9pliqua-t-il.\nWendy se souvint de ses devoirs de ma\u00eetresse de maison, et dit\ndoucement :\n\u2014 Je voulais dire : est-ce cela qu'on \u00e9crit sur le courrier ? Elle\nl'ennuyait avec cette question !\n\u2013 Je ne re\u00e7ois jamais de courrier , dit-il m\u00e9prisant.\n\u2013 Pas toi, mais ta maman ?\n\u2014 Je n'ai pas de maman.\nNon seulement il n'avait pas de maman, mais il n'\u00e9prouvait\naucun d\u00e9sir d'en avoir une. \u00c0 son avis, on surestimait\nl'importance de ces cr\u00e9atures. Mais W endy crut se trouver en\npr\u00e9sence d'un drame.\n\u2013 Oh P eter, dit-elle, je comprends pourquoi tu pleurais. Et elle\nsauta du lit pour venir pr\u00e8s de lui.\n\u2013 Je ne pleurais pas \u00e0 cause des m\u00e8res, fit-il, indign\u00e9. Je\npleurais \u00e0 cause de mon ombre qui ne veut pas tenir . Et puis,\nd'abord, je ne pleurais pas.\n\u2013 Elle s'est d\u00e9tach\u00e9e ?\n\u2013 Oui.\nWendy vit alors l'ombre gisant sur le parquet comme une\npauvre loque et elle se sentit pleine de compassion pour P eter.\n\u2013 C'est affreux, dit-elle.\nToutefois, elle ne put s'emp\u00eacher de sourire en voyant qu'ilavait essay\u00e9 de la recoller avec du savon. T ous les m\u00eames, ces\ngar\u00e7ons ! Elle sut imm\u00e9diatement comment r\u00e9parer les d\u00e9g\u00e2ts.\n\u2014 Il faut la recoudre, dit-elle avec un brin de condescendance.\n\u2013 Recoudre ? Qu'est-ce que \u00e7a veut dire ?\n\u2013 Mais tu es d'une ignorance crasse !\n\u2013 Pas du tout !\nCette d\u00e9couverte la fit jubiler .\n\u2014 Je vais te la recoudre, mon petit bonhomme, dit-elle bien\nqu'il f\u00fbt aussi grand qu'elle.\nElle sortit sa trousse de couture et entreprit de raccommoder\nl'ombre aux pieds de P eter.\n\u2013 Cela va te faire un peu mal, le pr\u00e9vint-elle.\n\u2013 Je ne pleurerai pas, r\u00e9pondit P eter, convaincu qu'il n'avait\njamais pleur\u00e9 de sa vie.\nIl serra les dents et ne pleura pas. Bient\u00f4t l'ombre tenait\ncorrectement, mais elle \u00e9tait un peu frip\u00e9e.\n\u2013 J'aurais d\u00fb la repasser , dit W endy pensivement.\nMais comme tous les gar\u00e7ons, P eter n'attachait aucun prix aux\napparences et il se mit \u00e0 danser de joie.\n\u2013 Comme je suis malin ! claironnait-il, convaincu d'avoir lui-\nm\u00eame r\u00e9par\u00e9 le dommage.\nBien qu'\u00e0 contrecoeur , nous devons le reconna\u00eetre : la vanit\u00e9\nde Peter \u00e9tait l'une de ses plus attachantes qualit\u00e9s.\nPour mettre brutalement les points sur les i, il n'y eut jamais\nde gar\u00e7on plus cr\u00e2neur .\nSur le coup, W endy se sentit vex\u00e9e.\n\u2014 Tu n'es pas pr\u00e9tentieux ! fit-elle, sarcastique. Bien entendu,\nmoi, je n'ai rien fait !\n\u2014 Tu m'as un peu aid\u00e9, conc\u00e9da n\u00e9gligemment P eter tout en\ncontinuant \u00e0 danser .\u2013 Un peu ! r\u00e9p\u00e9ta-t-elle avec d\u00e9pit. Si je ne sers \u00e0 rien, je peux\naussi bien me retirer .\nElle retourna dignement se coucher et se cacha le visage sous\nles couvertures.\nPeter feignit alors de s'en aller , pour la provoquer , mais la\nmanoeuvre \u00e9choua. Il vint donc s'asseoir au pied du lit, et lui\ntapota gentiment le pied.\n\u2014 Wendy, pria-t-il, reviens. Je ne peux pas m'emp\u00eacher de\npavoiser quand je suis content de moi.\nWendy demeura invisible, mais elle \u00e9coutait intens\u00e9ment.\n\u2013 Wendy, poursuivit-il, d'une voix \u00e0 laquelle nulle femme ne\nr\u00e9sistait jamais, W endy, une fille est plus utile que vingt\ngar\u00e7ons.\nWendy se sentit femme des pieds \u00e0 la t\u00eate - bien que cela ne f\u00eet\npas tellement de centim\u00e8tres - et jeta un coup d'oeil par-dessus\nles draps.\n\u2013 Tu le penses sinc\u00e8rement, P eter ?\n\u2013 Absolument.\n\u2013 C'est gentil de ta part, d\u00e9clara-t-elle ; dans ce cas, je me\nrel\u00e8ve.\nEt elle s'assit sur le lit, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du gar\u00e7on. Elle offrit aussi de lui\ndonner un baiser s'il voulait, et P eter, ignorant ce qu'\u00e9tait un\nbaiser , tendit aussit\u00f4t la main. W endy le regarda, atterr\u00e9e.\n\u2013 Tu sais ce que c'est qu'un baiser , tout de m\u00eame ?\n\u2014 Je le saurai quand tu me l'auras donn\u00e9, r\u00e9pliqua P eter d'un\nton cassant.\nPour ne pas le froisser davantage, W endy lui fit pr\u00e9sent d'un d\u00e9\n\u00e0 coudre.\n\u2014 \u00c0 moi, maintenant, dit P eter. Veux-tu un baiser ?\n\u2014 Volontiers, fit-elle, l'air un peu guind\u00e9.\nPuis, sans plus de mani\u00e8re, elle tendit la joue. P eter lui mit\ndans la main un gland qui servait de bouton \u00e0 son habit. W endyramena lentement son visage \u00e0 sa position initiale et d\u00e9clara\nqu'elle porterait d\u00e9sormais ce baiser suspendu \u00e0 la cha\u00eene de\nson cou. Heureuse id\u00e9e qui devait par la suite lui sauver la vie\n!\nLorsque des gens de notre monde ont achev\u00e9 de faire les\npr\u00e9sentations, il est d'usage qu'ils s'interrogent l'un l'autre sur\nleur \u00e2ge. Soucieuse de respecter les r\u00e8gles, W endy voulut\nsavoir l'\u00e2ge de P eter. Mais la question \u00e9tait vraiment mal\nchoisie en l'occurrence. Supposez qu'un jour d'examen, vous\nsouhaitiez \u00eatre interrog\u00e9 sur les rois d'Angleterre, et qu'on\nvous pose une colle en grammaire, vous comprendrez\nl'embarras de P eter.\n\u2014 Je ne sais pas, r\u00e9pondit-il mal \u00e0 l'aise. Je sais seulement que\nje suis tr\u00e8s jeune.\nEn fait, il \u00e9tait tr\u00e8s mal inform\u00e9 sur le sujet et n'avait que de\nvagues soup\u00e7ons.\n\u2014 Je me suis enfui le jour de ma naissance, dit-il tout \u00e0 trac.\nSurprise, mais vivement int\u00e9ress\u00e9e, W endy lui fit signe de se\nrapprocher , en tapotant sa chemise de nuit avec une gr\u00e2ce\nd'habitu\u00e9e de salons.\n\u2013 J'ai entendu mes parents parler de ce qui m'attendait quand\nje serais un homme, expliqua P eter \u00e0 voix basse. (On le sentait\ntr\u00e8s agit\u00e9 maintenant). Je ne veux jamais devenir un homme,\ns'\u00e9cria-t-il avec v\u00e9h\u00e9mence. Je veux toujours rester un petit\ngar\u00e7on et m'amuser . C'est pour cela que je me suis sauv\u00e9 au\nparc de K ensington, et j'y ai v\u00e9cu longtemps parmi les f\u00e9es.\nWendy le regarda avec une immense admiration. Il crut que\nc'\u00e9tait \u00e0 cause de sa fugue, mais en r\u00e9alit\u00e9 W endy l'admirait de\nconna\u00eetre des f\u00e9es. P our quelqu'un qui a toujours v\u00e9cu au sein\nde sa famille, conna\u00eetre des f\u00e9es peut sembler fascinant. Elle\nfit mille questions \u00e0 leur sujet, \u00e0 la grande surprise de P eter\nqui les tenait plut\u00f4t pour des personnes assommantes.\n\u2013 Elles se m\u00ealent tout le temps de mes affaires, dit-il, et je suis\nsouvent oblig\u00e9 de leur flanquer une racl\u00e9e.\nMais en g\u00e9n\u00e9ral il les aimait bien et raconta \u00e0 W endy d'o\u00f9 elles\ntiraient leur origine.\n\u2013 Quand le premier de tous les b\u00e9b\u00e9s se mit \u00e0 rire pour la\npremi\u00e8re fois, son rire se brisa en mille morceaux quisautill\u00e8rent de tous c\u00f4t\u00e9s et devinrent des f\u00e9es.\nPeter ne trouvait pas cela tr\u00e8s int\u00e9ressant, mais pour W endy, si\ncasani\u00e8re, c'\u00e9tait passionnant \u00e0 \u00e9couter .\n\u2014 Et depuis, poursuivit P eter accommodant, chaque petit\ngar\u00e7on ou fille devrait avoir sa f\u00e9e.\n\u2013 Devrait ? Ce n'est donc pas toujours ainsi ?\n\u2013 Non, vois-tu, les enfants sont tellement savants de nos jours\nqu'ils ne croient plus aux f\u00e9es. T outes les fois qu'un enfant\nd\u00e9clare : \u00ab Je ne crois pas aux f\u00e9es \u00bb, alors l'une d'entre elles\ntombe raide morte.\nAssez caus\u00e9 sur ce sujet, pensa-t-il. Mais au fait, et Clochette ?\nCe n'\u00e9tait pas normal qu'elle se t\u00eent si tranquille.\n\u2013 Je peux pas croire qu'elle soit partie, dit-il en se levant.\nClochette, o\u00f9 es-tu ?\nLe coeur de W endy palpita d'\u00e9motion.\n\u2013 Peter ! s'\u00e9cria-t-elle en s'agrippant \u00e0 lui, ne me dis pas qu'il y\na une f\u00e9e dans cette pi\u00e8ce!\n\u2014 Elle \u00e9tait l\u00e0 tout \u00e0 l'heure, r\u00e9pondit-il un peu impatient\u00e9.\n\u00c9coute ! Tu n'entends rien ?\nTous deux tendirent l'oreille.\n\u2014 J'entends comme un tintement de clochettes, dit W endy.\n\u2013 C'est Clo, c'est la langue des f\u00e9es. Je crois que je l'entends\naussi.\nComme le bruit venait de la commode, P eter \u00e9clata de rire.\nPour la gaiet\u00e9, P eter \u00e9tait insurpassable, et son rire, le plus\nfrais des gazouillis. Un gazouillis de b\u00e9b\u00e9.\n\u2013 Wendy, pouffa-t-il, je crois que je l'ai enferm\u00e9e dans le tiroir !\nIl lib\u00e9ra aussit\u00f4t la pauvre Clochette qui voleta dans la\nchambre en glapissant de fureur .\n\u2013 Tu ne devrais pas dire des choses pareilles, lui r\u00e9pondit\nPeter. Bien s\u00fbr que je regrette, comment pourrais-je savoir que\ntu \u00e9tais dans le tiroir ?Wendy n'avait d'yeux que pour la f\u00e9e.\n\u2014 Peter, si seulement elle pouvait se tenir tranquille, pour que\nje puisse la regarder ? demanda-t-elle.\n\u2013 Elles tiennent difficilement en place, dit le gar\u00e7on. P ourtant,\nla romantique petite personne se posa un instant au sommet\ndu coucou, et W endy put l'examiner .\nComme elle est mignonne ! s'exclama-t-elle, bien que le visage\nde la f\u00e9e grima\u00e7\u00e2t de fureur .\n\u2013 Clo, dit aimablement P eter, cette dame dit qu'elle aimerait\nt'avoir pour f\u00e9e.\nClochette r\u00e9pondit par une insolence.\n\u2013 Que dit-elle, P eter ?\n\u2013 Elle n'est pas tr\u00e8s polie. Elle dit que tu es une grande vilaine\nfille, et qu'elle est ma f\u00e9e, traduit-il. V oyons, Clo, tu sais bien\nque tu ne peux pas \u00eatre ma f\u00e9e : je suis un monsieur et tu es\nune dame.\n\u2013 Esp\u00e8ce d'imb\u00e9cile ! lan\u00e7a Clochette, qui disparut dans la\nsalle de bains.\n\u2013 C'est une f\u00e9e tr\u00e8s ordinaire, dit P eter en guise d'excuse. On\nl'appelle Clochette-la-R\u00e9tameuse parce qu'elle r\u00e9pare les\ncasseroles et les bouilloires.\nTous deux s'\u00e9taient install\u00e9s dans le fauteuil et W endy assaillait\n\u00e0 nouveau P eter de questions.\n\u2013 Si tu n'habites plus dans le parc de K ensington...\n\u2013 Cela m'arrive encore quelquefois.\n\u2013 Mais o\u00f9 vis-tu la plupart du temps ?\n\u2013 Avec les gar\u00e7ons perdus.\n\u2013 Qui sont-ils ?\n\u2014 Des enfants qui sont tomb\u00e9s de leur landau pendant que\nleur bonne regardait de l'autre c\u00f4t\u00e9. Si on ne vient pas les\nr\u00e9clamer dans la semaine, ils sont exp\u00e9di\u00e9s tr\u00e8s loin, au pays\nde l'Imaginaire, pour couvrir les frais. Je suis leur capitaine.\u2013 Comme ce doit \u00eatre amusant !\n\u2013 Oui, dit P eter avec finesse, mais nous nous sentons un peu\nseuls : nous manquons de compagnie f\u00e9minine.\n\u2013 Comment ? Il n'y a que des gar\u00e7ons ?\n\u2013 Les filles sont bien trop intelligentes pour tomber de leur\nlandau.\nCette explication chatouilla d\u00e9licieusement l'amour-propre de\nWendy.\n\u2013 Tu parles tr\u00e8s gentiment des filles, dit-elle. John n'a que\nm\u00e9pris pour nous !\nPour toute r\u00e9ponse, P eter se leva et, d'un coup de pied, chassa\ndu lit John, les couvertures et tout le reste. D'un seul coup de\npied. W endy trouva ce geste plut\u00f4t cavalier , s'agissant d'une\npremi\u00e8re rencontre, et lui fit remarquer avec humeur qu'il\nn'\u00e9tait pas le capitaine dans sa maison. Mais John continuait \u00e0\ndormir si paisiblement sur le parquet qu'elle permit \u00e0 P eter de\nrester .\n\u2013 D'ailleurs, l'intention \u00e9tait bonne, reconnut-elle, aussi je\nt'autorise \u00e0 me donner un baiser .\nElle avait oubli\u00e9 qu'il ignorait ce que c'\u00e9tait.\n\u2013 Je savais bien que tu voudrais le reprendre, dit-il avec\namertume en lui tendant le d\u00e9.\n\u2013 Oh non ! dit la bonne W endy, je ne voulais pas dire un baiser ,\nmais un d\u00e9 !\n\u2013 Qu'est-ce que c'est ?\n\u2013 C'est \u00e7a?\n\u2013 C'est amusant, dit gravement P eter. \u00c0 mon tour de te donner\nun d\u00e9.\nPeter d\u00e9posa un \u00ab d\u00e9 \u00bb sur sa joue mais, au m\u00eame moment,\nelle poussa un cri.\n\u2013 Qu'y a-t-il ?\n\u2013 On dirait que quelqu'un me tire les cheveux !\u2013 Ce doit \u00eatre Clo . Je ne l'ai jamais vue aussi m\u00e9chante que\ncette nuit.\nClochette avait repris sa danse d\u00e9sordonn\u00e9e et prof\u00e9rait mille\nimpertinences.\n\u2013 Elle dit qu'elle te tirera les cheveux chaque fois que je te\ndonnerai un d\u00e9 ? traduisit-il.\n\u2013 Pourquoi donc ?\n\u2013 Pourquoi, Clo ?\n\u2013 Esp\u00e8ce d'imb\u00e9cile ! r\u00e9pliqua Clochette.\nPeter ne comprit pas pourquoi, mais W endy comprit\nparfaitement. Elle fut m\u00eame l\u00e9g\u00e8rement d\u00e9\u00e7ue quand P eter\nreconnut qu'il n'\u00e9tait pas venu sp\u00e9cialement pour la voir mais\npour \u00e9couter des histoires.\n\u2014 Je n'en connais pas, expliqua-t-il ; aucun des gar\u00e7ons perdus\nn'en conna\u00eet non plus.\n\u2013 C'est vraiment malheureux, observa W endy.\n\u2013 Sais-tu pourquoi les hirondelles font leurs nids sous les toits\n? C'est pour \u00e9couter les histoires. Autrefois, ta maman en\nracontait une si jolie, W endy.\n\u2013 Laquelle ?\n\u2013 Celle du prince qui cherchait la demoiselle \u00e0 la pantoufle de\nverre.\n\u2013 Cendrillon ! fit W endy, enthousiaste. Et bien, il a fini par la\ntrouver , et tous deux se mari\u00e8rent et v\u00e9curent heureux.\n\u2013 O\u00f9 vas-tu ? s'\u00e9cria W endy inqui\u00e8te.\n\u2013 Le dire aux autres ;\n\u2013 N'y va pas, P eter ! supplia-t-elle. Je connais tellement\nd'histoires.\nCe furent ses propres paroles ; impossible de le nier , ce fut elle\nqui le tenta la premi\u00e8re.\nIl revint sur ses pas, avec dans les yeux une lueur gourmandequi aurait d\u00fb la mettre sur ses gardes mais qui ne le fit pas.\n\u2013 Oh ! toutes les histoires que je pourrais raconter aux gar\u00e7ons\n! s'\u00e9cria-t-elle.\nPeter la saisit par le bras et la tira vers la fen\u00eatre.\n\u2013 L\u00e2che-moi ! se d\u00e9fendit-elle.\n\u2013 Wendy, viens avec moi, je t'en prie, tu nous raconteras tes\nhistoires.\nCette demande lui fit plaisir , pourtant elle r\u00e9pondit :\n\u2013 H\u00e9las, je ne peux pas. P ense \u00e0 maman ! Et puis, je ne sais pas\nvoler .\n\u2014 Je t'apprendrai !\n\u2014 Comme ce serait formidable !\n\u2013 Je t'apprendrai \u00e0 voler sur le dos du vent, et apr\u00e8s tu\nt'envoleras !\n\u2013 Oooh ! dit-elle avec ravissement.\n\u2013 Et au lieu de dormir dans ce lit stupide, tu pourrais voler\navec moi et monter dire des plaisanteries aux \u00e9toiles.\n\u2013 Oooh !\n\u2014 Et puis tu verrais les sir\u00e8nes...\n\u2013 Les sir\u00e8nes ! A vec une queue de poisson ?\n\u2014 Une queue splendide !\n\u2013 Oh ! cria W endy. Voir une sir\u00e8ne !\n\u2014 Wendy, ajouta P eter de plus en plus rou\u00e9, si tu savais comme\nnous te respecterons !\nWendy se tortillait de d\u00e9sespoir , comme si elle faisait tous ses\nefforts pour se retenir au plancher de la chambre.\n\u2013 Wendy, souffla le jeune d\u00e9mon sans piti\u00e9, tu nous borderas\ndans notre lit !\u2013 Oooh!\n\u2013 Personne ne nous a jamais bord\u00e9s dans notre lit.\n\u2013 Ooh!\nWendy tendit les bras.\n\u2013 Et tu repriseras nos habits, tu nous feras des poches. Aucun\nd'entre nous n'a de poches !\nComment r\u00e9sister ?\n\u2013 C'est trop merveilleux ! s'\u00e9cria-t-elle. P eter, apprendrais-tu \u00e0\nvoler \u00e0 John et \u00e0 Michael ?\n\u2013 Si tu y tiens, dit P eter avec indiff\u00e9rence.\nWendy courut secouer ses fr\u00e8res.\n\u2013 R\u00e9veillez-vous ! P eter P an est l\u00e0 ! Il va nous apprendre \u00e0\nvoler !\nJohn se frotta les yeux.\n\u2013 Alors je me l\u00e8ve, dit-il (mais il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 sur le plancher),\nsalut !\nMichael lui aussi \u00e9tait debout, l'air plus tranchant qu'un\ncouteau \u00e0 six lames, mais P eter leur fit soudain signe de se\ntaire. Leur visage prit l'expression pleine de malice des enfants\nqui guettent les bruits provenant du monde des adultes. Mais\non n'entendait rien. T out allait bien. Non ! Stop ! T out allait\ntr\u00e8s mal ! Nana qui n'avait cess\u00e9 d'aboyer d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment\ntoute la soir\u00e9e se taisait maintenant. C'est son silence qu'on\nentendait.\n\u2013 La lumi\u00e8re ! Cache-toi ! V ite ! commanda John pour la\npremi\u00e8re et la derni\u00e8re fois de cette aventure.\nLorsque Liza entra avec Nana, la chambre avait son brave air\nde tous les jours, ou plut\u00f4t de toutes les nuits ; vous auriez jur\u00e9\nentendre dans le noir s'\u00e9lever le souffle ang\u00e9lique des trois\npetits dormeurs. A vec quelle science ils respiraient doucement\nderri\u00e8re les rideaux !\nLiza \u00e9tait de mauvaise humeur \u00e0 cause de Nana qui l'avait\ninterrompue dans sa pr\u00e9paration des puddings de No\u00ebl.L'inqui\u00e9tude absurde de la chienne l'avait attir\u00e9e hors de la\ncuisine - elle avait encore un raisin sec coll\u00e9 sur la joue. Le\nseul moyen de calmer Nana, pensa-t-elle, \u00e9tait de l'amener un\nmoment dans la chambre des enfants, mais sous sa garde\nnaturellement.\n\u2013 Toi et tes soup\u00e7ons ridicules ! lui dit-elle, pas f\u00e2ch\u00e9e que\nNana f\u00fbt tomb\u00e9e en disgr\u00e2ce. Tu vois bien que tout est\ntranquille. Les petits anges dorment paisiblement. \u00c9coute-les\nrespirer gentiment.\nEncourag\u00e9 par son succ\u00e8s, Michael se mit \u00e0 souffler comme un\nboeuf , ce qui faillit les trahir . Nana n'\u00e9tait pas dupe de ce\ngenre de respiration artificielle, et se d\u00e9battit pour \u00e9chapper \u00e0\nLiza. Mais la servante avait l'esprit obtus.\n\u2014 \u00c7a suffit, Nana, gronda-t-elle s\u00e9v\u00e8rement en la poussant\nhors de la chambre. Je te pr\u00e9viens, si tu recommences \u00e0\naboyer , je cours chercher M'sieur et M'dame, et je les ram\u00e8ne\n\u00e0 la maison. Alors, gare \u00e0 la racl\u00e9e, ma vieille !\nElle remit la pauvre chienne \u00e0 la cha\u00eene, mais Nana ne cessa\npas d'aboyer pour autant. R amener M'sieur et M'dame \u00e0 la\nmaison ? C'\u00e9tait justement ce qu'elle voulait ! Qu'importait la\nracl\u00e9e, pourvu que ses prot\u00e9g\u00e9s fussent sauv\u00e9s ? H\u00e9las ! Liza\nretourna \u00e0 ses puddings et Nana, en d\u00e9sespoir de cause, se mit\n\u00e0 tirer sur sa cha\u00eene, \u00e0 tirer et \u00e0 tirer tant qu'\u00e0 la fin elle se\nrompit. L'instant d'apr\u00e8s, la chienne faisait irruption dans la\nsalle \u00e0 manger du n\u00b0 27 et levait les pattes au ciel, avec une\nexpression tragique facile \u00e0 interpr\u00e9ter . M. et Mme Darling\ncomprirent imm\u00e9diatement qu'il se passait une chose terrible\ndans la chambre des enfants, et se pr\u00e9cipit\u00e8rent dans la rue\nsans m\u00eame prendre cong\u00e9 de leurs h\u00f4tes.\nMais dix minutes d\u00e9j\u00e0 s'\u00e9taient \u00e9coul\u00e9es depuis que les petits\ngarnements avaient jou\u00e9 leur com\u00e9die derri\u00e8re les rideaux.\nTout ce que peut faire P eter en dix minutes ! Revenons donc\nsans tarder \u00e0 la chambre \u00e0 coucher .\n\u2013 L'alerte est pass\u00e9e, dit John en sortant de sa cachette. Alors,\nPeter, sais-tu vraiment voler ?\nPr\u00e9f\u00e9rant une d\u00e9monstration \u00e0 des explications ennuyeuses,\nPeter fit en volant le tour de la pi\u00e8ce, balayant au passage le\ndessus de chemin\u00e9e.\n\u2014 \u00c9patant ! applaudirent John et Michael.\u2013 D\u00e9licieux ! cria W endy.\n\u2013 Oui, je suis \u00e9patant, oui, je suis d\u00e9licieux, dit P eter retombant\ndans son travers.\nCela semblait merveilleusement facile ; ils essay\u00e8rent d'abord\n\u00e0 partir du sol, puis de leurs lits, mais au lieu de s'\u00e9lever , ils\nplongeaient.\n\u2013 Comment fais-tu, \u00e0 la fin ? demanda John en se frottant le\ngenou.\nC'\u00e9tait un gar\u00e7on r\u00e9aliste et pratique.\n\u2014 Vous n'avez qu'\u00e0 penser \u00e0 des choses merveilleuses,\nexpliqua P eter, elles vous emporteront dans les airs.\nEt il refit sa d\u00e9monstration.\n\u2013 Tu vas trop vite, dit John. Tu ne peux pas le faire une fois au\nralenti ?\nPeter vola une fois vite une fois lentement.\n\u2013 \u00c7a y est, W endy, j'ai pig\u00e9 ! s'\u00e9cria John, mais l'instant d'apr\u00e8s,\nil dut admettre son erreur .\nAucun d'eux ne parvenait \u00e0 voler d'un pouce, bien que Michael\nlui-m\u00eame en f\u00fbt d\u00e9j\u00e0 aux mots de deux syllabes alors que P eter\nignorait tout de A \u00e0 Z .\n\u00c9videmment, P eter s'\u00e9tait moqu\u00e9 d'eux ; personne ne peut\nvoler tant qu'on ne l'a pas saupoudr\u00e9 de pollen des f\u00e9es. P ar\nbonheur , on s'en souvient, P eter en avait encore sur la main et\nil en souffla un peu sur chacun d'eux. Les r\u00e9sultats ne se firent\npas attendre.\n\u2013 Remuez vos \u00e9paules comme ceci, dit P eter, et laissez-vous\naller.\nTous trois \u00e9taient sur le lit et le vaillant Michael se laissa aller\nle premier . Non qu'il en e\u00fbt l'intention, mais il le fit et traversa\nl'espace a\u00e9rien de la chambre.\n\u2013 J'ai vol\u00e9 ! cria-t-il encore \u00e0 mi-parcours.\nJohn se laissa aller \u00e0 son tour et rencontra W endy pr\u00e8s de la\nsalle de bains.\u2013 Fantastique !\n\u2013 Sensationnel !\n\u2014 Regardez-moi !\n\u2014 Regardez-moi !\n\u2013 Regardez-moi !\nLeurs mouvements n'atteignaient pas la gr\u00e2ce du vol de P eter,\nleurs pieds ne pouvaient s'emp\u00eacher de gigoter , mais leurs\nt\u00eates rebondissaient doucement contre le plafond et il n'est pas\nde sensation plus exquise que celle-l\u00e0. Au d\u00e9but, P eter donna\nla main \u00e0 W endy, mais il dut y renoncer tellement la f\u00e9e Clo en\nprenait ombrage.\nIls montaient, descendaient, tournaient, viraient... W endy\nn'avait qu'un mot \u00e0 la bouche : \u00ab Divin... \u00bb\n\u2013 Et si on allait tous dehors ? sugg\u00e9ra John.\nC'est \u00e0 cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, que P eter voulait les amener .\nMichael \u00e9tait pr\u00eat : il d\u00e9sirait voir en combien de temps il\nparcourrait un billion de kilom\u00e8tres. Seule W endy h\u00e9sitait\nencore.\n\u2013 Les sir\u00e8nes, r\u00e9p\u00e9ta P eter.\n\u2013 Oooh!\n\u2013 Et il y a aussi des pirates...\n\u2014 Des pirates ! cria John en prenant son chapeau du\ndimanche. P artons tout de suite !\n\u00c0 la minute m\u00eame, M. et Mme Darling sortaient\npr\u00e9cipitamment du n\u00b0 27. Ils coururent au milieu de la\nchauss\u00e9e afin d'apercevoir la fen\u00eatre de la chambre ; elle \u00e9tait\nbien ferm\u00e9e, mais la pi\u00e8ce resplendissait de lumi\u00e8re et ce qui\nporta leur angoisse \u00e0 son comble, ce fut la vision de trois\npetites ombres en v\u00eatements de nuit qui se projetaient sur les\nrideaux et tournoyaient non pas sur le plancher mais dans l'air .\nTrois ombres ? Non ! Quatre !\nEn tremblant, ils ouvrirent la porte d'entr\u00e9e. M. Darling allait\ngrimper les escaliers quatre \u00e0 quatre, mais Mme Darling lui fitsigne de monter doucement. Son propre coeur , elle s'effor\u00e7ait\nde le faire battre doucement.\nArriveront-ils \u00e0 temps \u00e0 la chambre des enfants ? Si oui, tant\nmieux pour eux, et nous pousserons tous un soupir de\nsoulagement, mais alors, d'histoire, point !\nEn revanche, s'ils arrivent trop tard, je vous promets\nsolennellement que tout s'arrangera pour le mieux \u00e0 la fin.\nIls seraient arriv\u00e9s \u00e0 temps, sans doute, sans les petites \u00e9toiles\nqui les observaient et qui rouvrirent rapidement la fen\u00eatre,\ntandis que la plus petite de toutes avertissait P eter :\n\u2014 Vingt-deux !\nPeter comprit qu'il n'y avait pas une seconde \u00e0 perdre.\n\u2014 Venez ! dit-il d'un ton imp\u00e9rieux.\nEt il s'\u00e9lan\u00e7a dans la nuit, suivi de John, de Michael et de\nWendy.\nM. et Mme Darling et Nana se ru\u00e8rent dans la chambre. Trop\ntard. Les oiseaux s'\u00e9taient envol\u00e9s.\n4. Le voyage dans les airs.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\n\u00ab La deuxi\u00e8me \u00e0 droite, et droit devant jusqu'au matin ! \u00bb\nPeter l'avait dit \u00e0 W endy, tel est le chemin qui m\u00e8ne \u00e0\nl'Imaginaire ; mais les oiseaux eux -m\u00eames, quand ils auraient\nemport\u00e9 des cartes pour les consulter \u00e0 la crois\u00e9e des vents,\nauraient trouv\u00e9 ces renseignements insuffisants. P eter, voyez-\nvous, avait l'habitude de dire tout ce qui lui passait par la t\u00eate.\nAu d\u00e9but, ses compagnons se fi\u00e8rent aveugl\u00e9ment \u00e0 lui. C'\u00e9tait\nsi agr\u00e9able de voler qu'ils perdirent beaucoup de temps \u00e0\ntournoyer autour des clochers et des tours, seulement pour le\nplaisir . John et Michael faisaient la course \u00e0 travers les espaces\nc\u00e9lestes. C'\u00e9tait autrement formidable que de voler dans leur\nchambre ! Dire qu'ils en \u00e9taient si fiers, il n'y a pas si\nlongtemps.\nPas si longtemps. Mais encore ? Depuis combien de temps d\u00e9j\u00e0? Ils survolaient la mer quand cette question vint troubler\nWendy. John estimait qu'ils en \u00e9taient \u00e0 la deuxi\u00e8me mer et \u00e0 la\ntroisi\u00e8me\nnuit. T ant\u00f4t il faisait sombre, tant\u00f4t clair; tant\u00f4t glacial, tant\u00f4t\n\u00e9touffant. A vaient-ils vraiment faim, ou faisaient-ils seulement\nsemblant parce que P eter avait un si dr\u00f4le de moyen de les\napprovisionner ? Cela consistait \u00e0 poursuivre les oiseaux et \u00e0\nleur chiper la proie qu'ils tenaient dans leur bec quand elle\n\u00e9tait comestible pour l'homme. Les oiseaux essayaient de\nr\u00e9cup\u00e9rer leur bien, et c'\u00e9taient de folles poursuites sur des\ncentaines de kilom\u00e8tres, qui se terminaient par un partage \u00e0\nl'amiable. Non sans une l\u00e9g\u00e8re inqui\u00e9tude, W endy observa que\nPeter ne semblait pas se douter que cette fa\u00e7on de gagner son\npain quotidien n'\u00e9tait pas tr\u00e8s r\u00e9guli\u00e8re, ni qu'il existait\nd'autres mani\u00e8res de le faire.\nQuant \u00e0 avoir sommeil, ils ne faisaient pas semblant. Ils\navaient sommeil. Et c'\u00e9tait dangereux, car d\u00e8s qu'ils\ns'endormaient, plouf ! ils tombaient. P our comble, P eter\ntrouvait cela amusant.\n\u2014 Le voil\u00e0 qui d\u00e9gringole ! s'\u00e9criait-il joyeusement quand\nMichael chutait comme une pierre.\n\u2013 Sauve-le ! suppliait W endy avec un regard affol\u00e9 vers la mer\nsi loin l\u00e0-bas en bas.\nPeter finissait toujours par plonger et rattrapait Michael juste\nau ras des flots. Son agilit\u00e9 tenait du miracle, mais il attendait\ntoujours la derni\u00e8re minute pour se porter \u00e0 la rescousse, et il\n\u00e9tait \u00e9vident qu'il prenait plus d'int\u00e9r\u00eat \u00e0 montrer son adresse\nqu'\u00e0 sauver une vie humaine. En outre, \u00e9tant d'humeur\nchangeante, ce qui l'amusait en ce moment l'ennuyait l'instant\nd'apr\u00e8s, et l'on se demandait s'il n'allait pas vous laisser choir\n\u00e0 la prochaine occasion.\nLui-m\u00eame \u00e9tait capable de dormir sans tomber ; il se mettait\ntout simplement sur le dos et flottait. Car il \u00e9tait\nexcessivement l\u00e9ger : vous auriez pu le faire avancer rien\nqu'en soufflant dessus.\n\u2013 Montre-toi plus courtois avec lui, chuchota W endy \u00e0 John\nalors qu'on jouait \u00e0 \u00ab suivez le guide \u00bb.\n\u2014 Qu'il cesse d'abord de cr\u00e2ner ! r\u00e9pliqua John.\nAu jeu de \u00ab suivez le guide \u00bb, il fallait raser la cr\u00eate des vagueset toucher au passage la queue des requins, de la m\u00eame fa\u00e7on\nqu'on laisse courir sa main sur une rampe d'escalier . Peter\n\u00e9tait le seul \u00e0 y r\u00e9ussir , et se retournait pour voir combien de\nfois les autres manquaient le but, ce qui, en effet, pouvait\npasser pour de la cr\u00e2nerie.\n\u2014 Vous devez \u00eatre aimable avec lui, insista W endy aupr\u00e8s de\nses fr\u00e8res. Que ferons-nous s'il nous abandonne ?\n\u2013 Nous retournerons en arri\u00e8re, dit Michael.\n\u2013 Et comment retrouverons-nous notre chemin sans son aide ?\n\u2013 En ce cas, nous poursuivrons en avant, dit John.\n\u2014 Voil\u00e0 justement ce qu'il y a de terrible, John. Nous serions\noblig\u00e9s de continuer parce que nous ne savons pas comment\nnous arr\u00eater .\nC'\u00e9tait vrai. P eter avait oubli\u00e9 de le leur montrer .\nJohn d\u00e9clara que si le pire devait arriver , il ne leur resterait\nqu'\u00e0 poursuivre droit devant eux. \u00c9tant donn\u00e9 que la terre est\nronde, ils finiraient bien par se retrouver \u00e0 un moment devant\nleur propre fen\u00eatre.\n\u2013 Et qui va nous donner \u00e0 manger ?\n\u2013 J'ai fauch\u00e9 une jolie prise au bec de cet aigle, W endy.\n\u2013 Oui, John, au vingti\u00e8me essai, lui rappela sa soeur . Et m\u00eame\nsi nous devenions habiles \u00e0 voler de la nourriture, tu vois bien,\nnous ne cessons pas de nous cogner aux nuages quand il n'est\npas l\u00e0 pour nous prendre par la main.\nEffectivement, ils n'arr\u00eataient pas de se cogner . Ils volaient\nplus s\u00fbrement \u00e0 pr\u00e9sent ; mais, lorsqu'ils apercevaient un\nnuage devant eux, plus ils cherchaient \u00e0 l'\u00e9viter , plus ils\nfon\u00e7aient droit dedans. Si Nana avait \u00e9t\u00e9 l\u00e0, Michael aurait\nport\u00e9 un bandeau autour du front depuis longtemps.\nEn ce moment, ils se sentaient un peu seuls l\u00e0-haut, P eter les\navait d\u00e9laiss\u00e9s pour courir une aventure \u00e0 laquelle ils\nn'auraient aucune part. P eut-\u00eatre reviendrait-il, riant encore de\nla blague qu'il venait de dire \u00e0 une \u00e9toile mais qu'il avait d\u00e9j\u00e0\noubli\u00e9e, remonterait-il de la mer avec des \u00e9cailles de sir\u00e8ne\ncoll\u00e9es \u00e0 li peau, mais incapable de raconter ce qui s'\u00e9tait\npass\u00e9. P our de: enfants qui n'ont jamais vu de sir\u00e8ne de leurvie, c'\u00e9tait plut\u00f4t irritant.\n\u2013 Et s'il les oublie si vite, comment pouvons-nous \u00eatre s\u00fbr: qu'il\nse souvienne de nous ?\nCar, \u00e0 plusieurs reprises, il semblait les avoir oubli\u00e9s. W endy\nen \u00e9tait certaine. Une fois, elle avait m\u00eame d\u00fb lui rappeler son\nnom.\n\u2013 C'est moi, W endy, avait-elle cri\u00e9 angoiss\u00e9e.\n\u2013 Wendy, r\u00e9pondit-il d\u00e9sol\u00e9, si jamais tu vois que je t'oublie\nr\u00e9p\u00e8te-moi ton nom sans arr\u00eat et je te reconna\u00eetrai.\nCe n'\u00e9tait gu\u00e8re rassurant. T outefois, pour se faire pardonner\nil leur apprenait \u00e0 se laisser porter par les courants a\u00e9riens qu\nsuivaient la m\u00eame direction. Ainsi couch\u00e9s \u00e0 plat ventre sur lei\nvents, ils pouvaient dormir en toute s\u00e9curit\u00e9. Mais P eter se\nlassait vite de dormir .\n\u2013 Tout le monde descend ! criait-il de sa voix de capitaine.\nApr\u00e8s un voyage follement gai bien qu'entrecoup\u00e9 de prise: de\nbec, on finit par \u00eatre en vue du pays de l'Imaginaire. Le:\nvoyageurs avaient mis bien des lunes pour l'atteindre, et s'ils\nne d\u00e9vi\u00e8rent jamais de la bonne direction, ce fut d\u00fb moins au\nsen: de l'orientation de P eter qu'au fait que l'\u00eele \u00e9tait all\u00e9e \u00e0\nleur rencontre et les cherchait. (Sans quoi personne ne peut\nvoir se: rivages magiques.)\n\u2013 C'est ici, dit P eter.\n\u2013 O\u00f9, o\u00f9?\n\u2014 Toutes les fl\u00e8ches pointent dans sa direction.\nEn effet, un million de fl\u00e8ches d'or indiquaient l'\u00eele au: enfants\n; c'\u00e9taient les rayons du soleil couchant qui voulait rassurer ses\npetits amis avant de les quitter pour la nuit.\nWendy, John et Michael, dress\u00e9s en l'air sur la pointe de pieds,\npurent jeter leur premier coup d'oeil sur l'\u00eele. Si curieux que\ncela paraisse, ils la reconnurent aussit\u00f4t et, jusqu'al moment\no\u00f9 la peur allait s'emparer d'eux, ils ne cess\u00e8rent d la saluer\njoyeusement, non comme une chose \u00e0 laquelle on longtemps\nr\u00eav\u00e9 et que l'on voit enfin, mais plut\u00f4t comme un ami intime\nchez qui l'on retourne r\u00e9guli\u00e8rement passer ses vacances.\u2014 John, ta lagune !\n\u2014 Wendy, vois, les tortues qui enterrent leurs oeufs dans le\nsable !\n\u2013 John, j'aper\u00e7ois ton flamant rose \u00e0 la patte cass\u00e9e.\n\u2014 Regarde, Michael, voici ta grotte !\n\u2013 John, qu'est-ce que c'est, \u00e7a l\u00e0-bas, dans les taillis ?\n\u2013 Une louve avec ses petits. W endy, je crois bien que c'est ton\nlouveteau !\n\u2013 Mon bateau, John, avec ses flans d\u00e9fonc\u00e9s !\n\u2013 Mais non, le tien, tu l'as br\u00fbl\u00e9 !\n\u2013 C'est quand m\u00eame lui, John. Oh ! je vois la fum\u00e9e du camp\ndes P eaux -Rouges.\n\u2013 O\u00f9 ? Montre-moi o\u00f9, et je te dirai s'ils sont sur le sentier de\nla guerre, \u00e0 la fa\u00e7on dont s'\u00e9chappe la fum\u00e9e.\n\u2013 Ici, de l'autre c\u00f4t\u00e9 de la Rivi\u00e8re Myst\u00e9rieuse.\n\u2013 \u00c7a y est, je le vois aussi. Oui, ils sont bien sur le sentier de la\nguerre.\nPeter se sentait un peu frustr\u00e9 : ils \u00e9taient si bien renseign\u00e9s\nsur l'\u00eele ! Mais s'il voulait les \u00e9pater , il tenait sa revanche \u00e0\nport\u00e9e de la main, car ne vous ai-je pas dit que la peur allait\nbient\u00f4t s'emparer d'eux ?\nCela ne manqua de se produire lorsque les fl\u00e8ches d'or\ndisparurent, laissant l'\u00eele dans l'obscurit\u00e9.\nM\u00eame \u00e0 la maison, \u00e0 l'heure du coucher , le pays de\nl'Imaginaire devenait toujours un peu sombre et inqui\u00e9tant ; il\ny r\u00f4dait des ombres noires ; le rugissement des fauves\ns'\u00e9levait, mena\u00e7ant, et l'on n'\u00e9tait plus du tout certain de\nremporter la victoire. Heureusement, il y avait les veilleuses.\nEt l'on n'\u00e9tait pas f\u00e2ch\u00e9 d'entendre Nana vous dire que cette\nchose, l\u00e0-bas, c'\u00e9tait simplement le manteau de la chemin\u00e9e, et\nle pays de l'Imaginaire, une pure invention !\nCar, bien s\u00fbr , \u00e0 la maison, on faisait seulement semblant d'y\ncroire. Mais maintenant, il \u00e9tait l\u00e0, bien r\u00e9el, il n'y avait plusde veilleuses pour l'\u00e9clairer , et l'ombre s'\u00e9paississait \u00e0 chaque\ninstant, et o\u00f9 \u00e9tait Nana ?\nJusque-l\u00e0, chacun avait vol\u00e9 s\u00e9par\u00e9ment ; \u00e0 pr\u00e9sent, tous se\npressaient autour de P eter. Il avait enfin abandonn\u00e9 ses\nmani\u00e8res insouciantes, ses yeux \u00e9tincelaient, et chaque fois\nque les enfants le touchaient, un picotement les parcourait. Ils\nsurvolaient en ce moment l'\u00eele redoutable, \u00e0 si basse altitude\nque leur visage fr\u00f4lait la cime des arbres. Ils progressaient\nlentement, avec effort, comme repouss\u00e9s par des forces\nhostiles. P arfois ils restaient suspendus dans l'air et il fallait\nque P eter le batte de ses poings pour leur frayer la voie.\n\u2013 Ils veulent nous emp\u00eacher d'atterrir , expliqua-t-il.\n\u2013 Qui \u00e7a, ils ? murmura W endy, tremblante.\nIl ne pouvait pas le dire ; ou bien ne le voulait-il pas ? La f\u00e9e\nClochette dormait sur son \u00e9paule. Il l'\u00e9veilla et l'envoya en\n\u00e9claireur .\nDe temps \u00e0 autre, lui-m\u00eame faisait une pause, mettait la main \u00e0\nson oreille, \u00e9coutait, puis de nouveau fixait la terre avec des\nyeux si brillants qu'ils semblaient percer deux trous dans le\nsol. Son courage faisait presque peur .\n\u2013 Que pr\u00e9f\u00e8res-tu ? demanda-t-il \u00e0 John d'un ton d\u00e9sinvolte.\nUne aventure tout de suite, ou d'abord prendre le th\u00e9 ?\n\u2013 D'abord prendre le th\u00e9, s'empressa de r\u00e9pondre W endy, et\nMichael lui serra la main avec reconnaissance.\nPlus courageux, John h\u00e9sitait.\n\u2013 Quel genre d'aventure ? s'informa-t-il prudemment.\n\u2013 Il y a un pirate endormi dans la pampa, juste au-dessous de\nnous.\n\u2014 Je ne le vois pas, dit John au bout d'un moment.\n\u2013 Moi si.\n\u2013 Et suppose, dit John, suppose qu'il se r\u00e9veille.\n\u2013 Comment ! s'indigna P eter. Tu ne t'imagines pas que je le\ntuerais pendant qu'il dort ! D'abord je le r\u00e9veillerais, ensuite je\nle tuerais. C'est toujours comme \u00e7a que je proc\u00e8de.\u2014 Hum ! Et tu en tues beaucoup ?\n\u2013 Des tas !\n\u2013 \u00c9patant ! fit John, qui d\u00e9cida de prendre le th\u00e9 d'abord. Il\ndemanda encore s'il y avait actuellement de nombreux pirates\ndans l'\u00eele, et P eter r\u00e9pondit qu'il n'y en avait jamais tant vu.\n\u2013 Qui est leur capitaine ?\n\u2013 Crochet, r\u00e9pondit P eter.\nSon visage s'\u00e9tait durci en pronon\u00e7ant ce nom ha\u00ef.\n\u2014 Jacques Crochet ?\n\u2013 Oui!\nMichael s'\u00e9tait mis \u00e0 pleurer , et John ne parlait plus que par\nhoquets, car tous deux connaissaient la r\u00e9putation de Crochet.\n\u2013 C'est l'ancien ma\u00eetre d'\u00e9quipage de Barbe noire, souffla John.\nC'est le pire de toute la bande, le seul homme qu'ait jamais\nredout\u00e9 Barbecue.\n\u2013 C'est bien lui.\n\u2013 Il est gros, hein ?\n\u2013 Pas aussi gros qu'autrefois.\n\u2013 Que veux -tu dire ?\n\u2014 J'en ai coup\u00e9 un morceau.\n\u2014 Toi?\n\u2013 Oui, moi ! dit P eter s\u00e8chement.\n\u2014 Je ne voulais pas t'offenser .\n\u2013 Passons.\n\u2013 Mais... quel morceau ?\n\u2013 Sa main droite.\n\u2013 Alors, il ne peut plus se battre ?\u2013 Tu parles !\n\u2013 Il est gaucher ?\n\u2013 Il a un crochet de fer \u00e0 la place de la main droite, et il s'en\nsert pour griffer .\n\u2013 Griffer !\n\u2014 \u00c9coute, John, dit P eter.\n\u2014 Oui?\n\u2014 Non, tu dois dire : \u00ab Oui, capitaine. \u00bb\n\u2013 Oui, capitaine.\n\u2014 Tous les gars qui servent sous mes ordres doivent me\npromettre une chose, et toi comme les autres.\nJohn p\u00e2lit.\n\u2014 Voil\u00e0 : si nous rencontrons Crochet dans la bataille, tu dois\nme le laisser .\n\u2013 Je te le promets, dit John sinc\u00e8re.\nEn ce moment, Clochette \u00e9clairait la route, et cela les rassurait\nde s'entr'apercevoir les uns les autres. Comme elle ne pouvait\nvoler aussi lentement, elle voletait en cercle autour d'eux et les\nentourait d'un halo de lumi\u00e8re. W endy trouvait d\u00e9licieux de se\nmouvoir dans un halo de lumi\u00e8re, mais son plaisir ne dura\ngu\u00e8re, car P eter annon\u00e7a soudain :\n\u2013 Clo me signale que les pirates nous ont aper\u00e7us avant la\ntomb\u00e9e de la nuit, et qu'ils pointent le Long T om sur nous.\n\u2014 Leur gros canon ?\n\u2013 Oui ! Ils doivent voir la lumi\u00e8re de Clochette, et s'ils se\ndoutent que nous sommes \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d'elle, ils sont capables de\ntirer.\n\u2013 Wendy !\n\u2014 John !\n\u2013 Michael !\u2013 Dis-lui de s'\u00e9loigner ! cri\u00e8rent-ils en choeur .\nMais P eter refusa.\n\u2013 Elle pense que nous nous sommes tromp\u00e9s de route et elle\nest plut\u00f4t effray\u00e9e. Je ne vais pas la chasser quand elle a peur ,\ntout de m\u00eame ! r\u00e9pliqua-t-il s\u00e8chement.\nLe cercle lumineux fut bris\u00e9 un instant et P eter sentit qu'on le\npin\u00e7ait amicalement.\n\u2014 Alors, supplia W endy, dis-lui de s'\u00e9teindre.\n\u2013 Elle ne peut pas. C'est \u00e0 peu pr\u00e8s la seule chose que les f\u00e9es\nne savent pas faire. Elles s'\u00e9teignent d'elles-m\u00eames lorsqu'elles\ns'endorment, tout comme les \u00e9toiles.\n\u2013 Alors dis-lui de s'endormir tout de suite, dit John.\n\u2013 Elle ne peut pas dormir si elle n'a pas sommeil. C'est l'autre\nchose que les f\u00e9es ne savent pas faire.\n\u2013 En somme, les deux choses qui vaudraient la peine d'\u00eatre\nfaites ! grommela John qui sentit qu'on le pin\u00e7ait mais sans\nam\u00e9nit\u00e9.\n\u2013 Si l'un d'entre nous a une poche, sugg\u00e9ra P eter, on pourrait\nla mettre dedans.\nH\u00e9las, ils \u00e9taient partis si pr\u00e9cipitamment qu'\u00e0 eux quatre, ils\nne pouvaient fournir une seule poche. Mais P eter trouva la\nsolution : le haut-de-forme de John.\nClo accepta de voyager en haut-de-forme \u00e0 condition qu'on le\nport\u00e2t \u00e0 la main. Elle esp\u00e9rait \u00eatre port\u00e9e par P eter mais ce fut\nJohn qui s'en chargea. Puis, sous pr\u00e9texte qu'il se cognait le\ngenou en volant, il passa le chapeau \u00e0 W endy. Et comme Clo ne\npouvait supporter de devoir quelque chose \u00e0 W endy, cette\ncirconstance allait fatalement conduire \u00e0 la catastrophe.\nLe haut-de-forme masquant compl\u00e8tement la lumi\u00e8re de la f\u00e9e,\nils continu\u00e8rent \u00e0 voler en silence. C'\u00e9tait le plus silencieux de\ntous les silences qu'ils aient jamais connus, rompu seulement\npar un clapotis lointain (les b\u00eates sauvages se d\u00e9salt\u00e9rant \u00e0 un\ngu\u00e9, expliqua P eter), puis par un crissement qu'on aurait pu\nattribuer \u00e0 des branches d'arbre frottant l'une contre l'autre si\nPeter n'avait pr\u00e9cis\u00e9 que c'\u00e9taient les P eaux -Rouges en train\nd'aff\u00fbter leurs poignards.Puis on n'entendit plus rien. P our Michael, pareille solitude\n\u00e9tait terrifiante.\n\u2013 Si seulement quelqu'un voulait bien faire du bruit ! s'\u00e9cria-t-\nil.\nComme pour combler ses voeux, un fracas \u00e9pouvantable\nd\u00e9chira l'air . Les pirates venaient de tirer un boulet de canon\nsur eux.\nLes montagnes se transmirent ce coup de tonnerre de l'une \u00e0\nl'autre, et chaque \u00e9cho semblait gronder sauvagement : \u00ab O\u00f9\nsont-ils ? O\u00f9 sont-ils ? O\u00f9 sont-ils ? \u00bb\nC'est ainsi que, sans m\u00e9nagement, les enfants apprirent \u00e0\ndistinguer la diff\u00e9rence entre une \u00eele pour faire semblant et\nune \u00eele pour de vrai.\nQuand le calme fut revenu dans les cieux, John et Michael se\nretrouv\u00e8rent seuls dans les t\u00e9n\u00e8bres. John p\u00e9dalait\nmachinalement dans l'air , et Michael, sans savoir flotter ,\nflottait.\n\u2013 Es-tu bless\u00e9 ? demanda John.\n\u2013 Je ne sais pas encore, r\u00e9pondit Michael dans un souffle.\nNous voil\u00e0 rassur\u00e9s pour ces deux -l\u00e0. Quant \u00e0 P eter, le vent du\nboulet l'avait chass\u00e9 au-dessus de la mer , tandis que W endy\n\u00e9tait projet\u00e9e vers le haut avec Clochette pour toute\ncompagnie.\nL'id\u00e9e vint-elle subitement \u00e0 Clo, ou avait-elle pr\u00e9par\u00e9 son\ncoup \u00e0 l'avance ? T oujours est-il qu'elle surgit du haut-de-\nforme et se mit \u00e0 guider W endy tout droit vers sa perte.\nClo n'\u00e9tait pas fonci\u00e8rement m\u00e9chante : plus exactement, elle\n\u00e9tait tant\u00f4t fonci\u00e8rement m\u00e9chante, tant\u00f4t fonci\u00e8rement\nbonne. Les f\u00e9es ne peuvent \u00eatre que tout l'un ou tout l'autre ;\nelles sont si petites qu'il n'y aurait pas place en elles pour\nplusieurs sentiments \u00e0 la fois. N\u00e9anmoins, il leur est permis de\nchanger , \u00e0 condition de changer compl\u00e8tement. Clochette \u00e9tait\nmaintenant toute jalousie \u00e0 l'\u00e9gard de W endy. Elle\ntintinnabulait dans sa langue des mots que W endy ne pouvait\ncomprendre et qui sonnaient agr\u00e9ablement \u00e0 l'oreille, mais je\nn'oserais affirmer que ses propos fussent tout \u00e0 fait aimables.\nElle voltigeait en avant puis revenait vers W endy, ce qui\nsignifiait sans erreur possible : \u00ab Suis-moi, et tout ira bien. \u00bbWendy n'avait pas le choix. Elle appela P eter, John, et Michael.\nSeul l'\u00e9cho moqueur lui r\u00e9pondit. Elle ignorait encore que la\nf\u00e9e lui vouait une haine farouche, une vraie haine de femme.\nD\u00e9sorient\u00e9e, h\u00e9sitante dans son vol, elle abandonna son sort\nentre les mains de Clochette.\n5. L'\u00eele pour de vrai.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nSentant que P eter serait bient\u00f4t de retour , l'\u00cele s'avait remis \u00e0\nvivre. Certes, il serait plus correct de dire qu'elle \u00ab s'\u00e9tait\nremise \u00bb \u00e0 vivre, mais avoir est plus actif et P eter avait un\nfaible pour cet auxiliaire.\nOrdinairement, la vie sur l'\u00cele s'\u00e9coule tranquillement pendant\nses absences. Les f\u00e9es allongent leur grasse matin\u00e9e d'une\nheure, les animaux s'occupent de leurs petits, les P eaux -\nRouges festoient copieusement pendant six jours et six nuits.\nEt si les pirates viennent \u00e0 rencontrer les gar\u00e7ons perdus, les\nuns se contentent de mordre les pouces aux autres et\nr\u00e9ciproquement. Mais \u00e0 l'arriv\u00e9e de P eter, qui hait l'apathie,\ntout le monde reprend le collier . Si maintenant vous collez\nvotre oreille contre le sol, vous entendrez toute l'\u00eele\nbouillonner de vie.\nCe soir-l\u00e0, les principales forces de l'\u00eele \u00e9taient dispos\u00e9es\ncomme suit : les gar\u00e7ons perdus \u00e9taient \u00e0 la recherche de\nPeter, les pirates \u00e0 la recherche des gar\u00e7ons perdus, les P eaux -\nRouges cherchaient les pirates, et les b\u00eates sauvages les\nPeaux -Rouges. T ous tournaient autour de l'\u00cele, mais sans\njamais se rencontrer car ils se d\u00e9pla\u00e7aient \u00e0 la m\u00eame allure.\nTous voulaient du sang, sauf les gar\u00e7ons \u00e0 qui cela ne\nd\u00e9plaisait pas d'ordinaire, mais qui, ce soir-l\u00e0, attendaient leur\ncapitaine. Le nombre des gar\u00e7ons vivant dans l'\u00eele peut varier ,\n\u00e9videmment, selon qu'il leur arrive d'\u00eatre tu\u00e9s ou bien d'autres\nchoses. D\u00e8s qu'ils semblent avoir grandi -ce qui est contraire\nau r\u00e8glement- P eter les supprime. Actuellement, ils sont six, en\ncomptant les jumeaux pour une paire. F aisons semblant de\nnous cacher entre les plants de canne \u00e0 sucre, et regardons-les\nse glisser furtivement l'un derri\u00e8re l'autre, la main sur le\nmanche de leur poignard.\nPeter leur interdit de chercher \u00e0 lui ressembler ; aussi portent-\nils des peaux d'ours qu'ils ont tu\u00e9s de leurs propres mains, sibien qu'ils sont tout ronds et pelucheux, et qu'ils roulent quand\nils tombent. Cela leur a du moins appris \u00e0 avoir le pied s\u00fbr .\nCelui qui marche en t\u00eate, c'est La Guigne, non le moins hardi\nmais le plus malchanceux de toute cette noble \u00e9quipe. Il a\nmanqu\u00e9 bon nombre d'aventures, car les grands moments\nsurviennent toujours quand il a le dos tourn\u00e9. P ar exemple,\ntout est calme : La Guigne en profite pour aller ramasser du\nbois sec ; quand il revient, les camarades en sont d\u00e9j\u00e0 \u00e0\nnettoyer les derni\u00e8res traces de sang. Cette constante d\u00e9veine\na laiss\u00e9 sur son visage un air de m\u00e9lancolie, mais au lieu de lui\naigrir le caract\u00e8re, elle l'a rendu plus doux, et c'est\ncertainement le plus modeste des gar\u00e7ons. P auvre La Guigne,\ncette nuit, il y a du danger dans l'air , pour toi. Ne te laisse pas\nentra\u00eener dans une aventure qui pourrait te plonger dans\nl'affliction la plus profonde. Sache, La Guigne, que la f\u00e9e\nClochette, r\u00e9solue \u00e0 commettre un m\u00e9fait, recherche\nl'instrument de sa vengeance, et qu'elle te consid\u00e8re comme le\nplus facile \u00e0 tromper des gar\u00e7ons. Prends garde \u00e0 Clochette !\nPl\u00fbt au ciel qu'il p\u00fbt nous entendre ! Malheureusement, nous\nne sommes pas r\u00e9ellement dans l'\u00cele, et La Guigne passe son\nchemin, en se rongeant les doigts.\nEnsuite vient Bon Zigue, d\u00e9bonnaire et plein d'entrain, suivi de\nLa Plume qui taille des sifflets dans le bois et danse avec\nextase sur ses propres airs. C'est le plus vaniteux de tous les\ngar\u00e7ons. Il croit avoir gard\u00e9 des souvenirs du temps o\u00f9 il\nn'\u00e9tait pas encore perdu, et des us et coutumes de l\u00e0-bas, ce\nqui a donn\u00e9 \u00e0 son nez une pointe agressive. Le Fris\u00e9 arrive le\nquatri\u00e8me. Il a d\u00fb si souvent se d\u00e9noncer quand P eter\ncommande s\u00e9v\u00e8rement : \u00ab Celui qui a fait cela, un pas en avant\n! \u00bb, qu'\u00e0 pr\u00e9sent il s'avance machinalement, fautif ou pas.\nEnfin viennent les Jumeaux, impossibles \u00e0 d\u00e9crire car nous\nsommes s\u00fbrs de nous tromper et de d\u00e9crire l'un en parlant de\nl'autre. P eter n'a jamais su ce qu'\u00e9taient des jumeaux, et\ncomme la bande n'a pas le droit de savoir des choses que lui-\nm\u00eame ignore, les Jumeaux n'ont qu'une vague id\u00e9e de ce qu'ils\nsont et s'efforcent de donner satisfaction en se tenant l'un\ncontre l'autre d'un air qui implore le pardon.\nLes gar\u00e7ons s'\u00e9vanouissent dans l'ombre et, au bout d'un\nmoment, mais d'un moment tr\u00e8s court car tout va tr\u00e8s vite\ndans l'\u00cele, surviennent les pirates \u00e0 l'aff\u00fbt. On les entend avant\nde les voir , car ils chantent toujours le m\u00eame horrible refrain :\nLarguez les ris, yo ho hisse ho !Nous allons piratant !\nEt si un coup de feu nous s\u00e9pare,\nNous sommes s\u00fbrs de nous trouver r\u00e9unis en enfer !\nOncques ne se vit plus affreuse brochette de lascars\npendouillant au gibet ! Pr\u00e9c\u00e9dant les autres de quelques pas,\nla t\u00eate ballant de-ci de-l\u00e0 \u00e0 l'\u00e9coute du sol, des pi\u00e8ces de huit\nen guise de boucles d'oreilles, ses grands bras nus, voici le bel\nItalien Cecco, qui inscrivit son nom en lettres de sang sur le\ndos du gouverneur de la prison de Gao . Ce g\u00e9ant noir qui le\nsuit a re\u00e7u plus d'un nom depuis qu'il a renonc\u00e9 \u00e0 celui dont se\nservent encore les m\u00e8res africaines pour effrayer leurs\nenfants, sur les rives du Guidjo-Mo . Et voil\u00e0 Bill le Truand -pas\nun pouce de son corps qui ne soit tatou\u00e9- ce m\u00eame Bill le\nTruand qui, sur le W alrus, re\u00e7ut six douzaines de coups de\nverge des mains de Flint, avant de lui c\u00e9der son sac de lingots.\nVoici encore Cookson, le soi-disant fr\u00e8re de Black Murphy\n(mais le fait n'a jamais \u00e9t\u00e9 prouv\u00e9), et ma\u00eetre Starkey , jadis\nconcierge d'un coll\u00e8ge priv\u00e9 et toujours d\u00e9licat dans ses fa\u00e7ons\nde donner la mort. Et OEil-de-Boeuf , et Smee, le ma\u00eetre\nd'\u00e9quipage irlandais, homme d'un g\u00e9nie bizarre, qui poignarde\npour ainsi dire sans offense, et se trouve \u00eatre le seul non-\nconformiste de la bande \u00e0 Crochet ; et Plat-de-Nouilles, qui a\nles mains sens devant derri\u00e8re ; et Robert Mullins, et Alf\nMason, et maint autre \u00e9cumeur de sinistre renomm\u00e9e dans la\nmer des Antilles.\nAu milieu d'eux, le plus noir et le plus gros joyau de ce sombre\n\u00e9crin, voici enfin Jacques Crochet, le seul homme, dit-on, qu'ait\njamais craint le Cuistot-des-Mers. Il se pr\u00e9lasse, allong\u00e9 dans\nun vulgaire chariot tir\u00e9 et pouss\u00e9 par ses hommes qu'il\naiguillonne de temps \u00e0 autre avec son terrible harpon. Ce\nredoutable individu traite ses comparses comme des chiens, et\ncomme des chiens, ils lui ob\u00e9issent. Il a le teint de bistre d'un\ncadavre enfum\u00e9, et frise ses cheveux en longues boucles qui,\nde loin, ressemblent \u00e0 des chandelles noires et donnent un air\nsinistre \u00e0 sa noble physionomie. Ses yeux sont teint\u00e9s d'un\nbleu de myosotis et de profonde m\u00e9lancolie, sauf quand il vous\nplonge son crochet dans le corps et que s'allument au fond de\nses prunelles deux horribles lueurs rouges.\nD'allure rac\u00e9e, un air de grand seigneur est rest\u00e9 coll\u00e9 \u00e0 sa\npersonne, air dont il ne se d\u00e9partit jamais, m\u00eame pour vous\ncrocheter la panse de sa griffe. Et je me suis laiss\u00e9 dire que ses\ntalents de conteur sont fort pris\u00e9s. D'autant plus courtois queses intentions sont sinistres (ce qui est une preuve authentique\nde savoir-vivre), il soigne sa diction lors m\u00eame qu'il prof\u00e8re des\njurons. Bref , la distinction de ses mani\u00e8res t\u00e9moigne \u00e0\nl'\u00e9vidence qu'il n'est pas sorti du m\u00eame tonneau que le reste\nde l'\u00e9quipage.\nD'un courage indomptable, la seule chose qui l'effarouche est\nla vue de son propre sang, qui est \u00e9pais et d'une couleur\ninsolite. Dans sa fa\u00e7on de se v\u00eatir , il singe la mode du temps de\nCharles II, quelqu'un ayant fait remarquer , alors qu'il d\u00e9butait\ndans la carri\u00e8re, qu'il ressemblait \u00e9trangement aux infortun\u00e9s\nStuarts. \u00c0 la bouche, il a un ing\u00e9nieux fume-cigare de sa\nfabrication, qui lui permet de fumer deux cigares \u00e0 la fois.\nMais, sans conteste, la partie la plus r\u00e9barbative de sa\npersonne, c'est son crochet de fer .\nEt maintenant, pour illustrer les m\u00e9thodes de cet homme,\ntuons un pirate. \u0152il-de-Boeuf fera l'affaire. T andis que les\npirates passent, \u0152il-de-Boeuf bouscule malencontreusement\nson capitaine et froisse sa fraise de dentelles ; le crochet part\ncomme une fl\u00e8che. Bruit de d\u00e9chirure. Cri (un seul). Du pied,\non \u00e9carte le corps, et les pirates poursuivent leur chemin.\nCrochet n'a pas m\u00eame \u00f4t\u00e9 les cigares de sa bouche.\nTel est le terrible adversaire que doit affronter P eter P an.\nLequel des deux sera le vainqueur ?\nDans la foul\u00e9e des pirates, suivant \u00e0 pas de loup le sentier de\nla guerre invisible aux yeux inexp\u00e9riment\u00e9s, viennent les\nPeaux -Rouges, chacun ouvrant l'oeil. Ils ont des tomahawks et\ndes couteaux, et leurs corps nus luisent de peinture et d'huile.\n\u00c0 leurs ceintures pendent des scalps, aussi bien de gar\u00e7ons\nque de pirates, car ceux -l\u00e0 sont la tribu des Piccaninny , qu'il ne\nfaut pas confondre avec les Delaware ou les Hurons, au coeur\nplus tendre. \u00c0 l'avant-garde et \u00e0 quatre pattes, marche Grande\nGrosse P etite P anth\u00e8re, guerrier d\u00e9tenteur de tant de scalps\nque dans sa posture pr\u00e9sente ils l'emp\u00eachent presque\nd'avancer . Fermant la marche (poste p\u00e9rilleux entre tous), se\ndresse fi\u00e8rement Lis Tigr\u00e9, princesse de par sa propre volont\u00e9,\nune vraie princesse, la Diane des Dianes brunes, et la belle des\nPiccaninny , tour \u00e0 tour coquette, glaciale et ardente. Il n'est\npas un guerrier qui ne souhaite \u00e9pouser cette rebelle, mais elle\n\u00e9vite l'autel \u00e0 coups de hachette. Observez qu'ils foulent les\nbrindilles s\u00e8ches sans faire le moindre bruit. On entend\nseulement leur forte respiration. Le fait est qu'ils sont un peu\ngras apr\u00e8s leur copieux festin, mais avec le temps ils\n\u00e9limineront cette graisse superflue qui, pour l'instant, est leseul danger qui les menace.\nLes P eaux -Rouges disparaissent comme ils sont venus, telles\ndes ombres, et bient\u00f4t leur succ\u00e8dent les b\u00eates sauvages, en\nune longue procession bigarr\u00e9e : lions, tigres, ours, et les\ninnombrables choses sauvages de moindre taille qui fuient \u00e0\nleur approche, car chaque esp\u00e8ce d'animaux et plus\nparticuli\u00e8rement tous les mangeurs d'homme vivent joue\ncontre m\u00e2choire sur cette \u00cele bienheureuse. Ils tirent la\nlangue, ils ont faim cette nuit.\nFermant le ban, vient enfin le tout dernier personnage, le\ncrocodile g\u00e9ant. T out \u00e0 l'heure nous saurons qui il pourchasse.\nLe crocodile passe, mais bient\u00f4t les gar\u00e7ons r\u00e9apparaissent,\ncar le d\u00e9fil\u00e9 peut continuer ind\u00e9finiment, \u00e0 moins qu'une des\n\u00e9quipes s'arr\u00eate ou change de vitesse, et alors c'est la m\u00eal\u00e9e.\nTous ont le regard tendu en avant, mais aucun ne soup\u00e7onne\nque le danger pourrait surgir par-derri\u00e8re, ce qui prouve\ncombien cette \u00eele est bien r\u00e9elle.\nLes premiers \u00e0 sortir de ce cercle mouvant furent les gar\u00e7ons.\nIls s'affal\u00e8rent dans l'herbe, pr\u00e8s de leur demeure souterraine.\n\u2013 Comme j'aimerais que P eter soit de retour ! dirent-ils\nnerveusement, en d\u00e9pit du fait qu'en hauteur et encore plus en\nlargeur , ils surpassaient leur capitaine.\n\u2013 Je suis le seul \u00e0 ne pas avoir peur des pirates, dit La Plume\nde ce ton qui nuisait tant \u00e0 sa popularit\u00e9.\nIl dut entendre au loin quelque bruit alarmant, car il ajouta \u00e0\nla h\u00e2te :\n\u2013 Mais je souhaite que P eter revienne vite et nous dise s'il en a\nappris davantage au sujet de Cendrillon.\nIls parl\u00e8rent de Cendrillon. La Guigne \u00e9tait persuad\u00e9 que sa\nm\u00e8re avait d\u00fb beaucoup lui ressembler . Ce n'est qu'en\nl'absence de P eter qu'ils se risquaient \u00e0 parler de m\u00e8res, le\ncapitaine ayant banni de la conversation ce sujet selon lui\nstupide.\nTout ce que je me rappelle de ma m\u00e8re, raconta Bon Zigue,\nc'est qu'elle disait souvent \u00e0 mon p\u00e8re : \u00ab Oh ! si je pouvais\navoir un carnet de ch\u00e8ques \u00e0 moi ! \u00bb Je ne sais pas ce que\nc'est, mais j'aimerais tant en offrir un \u00e0 ma m\u00e8re.Tout en bavardant, ils per\u00e7urent un bruit dans le lointain. V ous\nou moi, n'appartenant pas \u00e0 la faune de ces bois, n'aurions rien\nentendu, mais eux reconnurent aussit\u00f4t le chant sinistre des\n\u00e9cumeurs de mer :\nLe pavillon \u00e0 t\u00eate de mort !\nLa belle vie, une corde de chanvre !\nEt l'on va boire la grande tasse !\nEn un clin d'oeil, les gar\u00e7ons... Mais o\u00f9 sont-ils donc ? Ils ne\nsont plus l\u00e0. Des lapins n'auraient pas d\u00e9tal\u00e9 plus vite.\nJe vais vous dire o\u00f9 ils sont pass\u00e9s. \u00c0 l'exception de Bon Zigue,\nparti comme une fl\u00e8che en reconnaissance, les voici tous dans\nleur maison souterraine, une bien agr\u00e9able r\u00e9sidence que nous\nvisiterons prochainement. Mais par o\u00f9 sont-ils pass\u00e9s ? Car il\nn'y a pas d'entr\u00e9e visible, si ce n'est un tas de broussailles qui,\nsi on le d\u00e9pla\u00e7ait, r\u00e9v\u00e9lerait le seuil d'une grotte. Regardez\nmieux, et vous remarquerez alors ces sept gros arbres au tronc\ncreux. Ce sont les sept passages qui m\u00e8nent les gar\u00e7ons \u00e0 leur\nmaison sous terre. Il y a des lunes que Crochet la cherche en\nvain. V a-t-il la d\u00e9couvrir cette nuit ?\nComme les pirates approchaient, l'oeil vif de Starkey aper\u00e7ut\nBon Zigue qui disparaissait dans le bois. Aussit\u00f4t son pistolet\nflamboya, mais une griffe de fer lui agrippa l'\u00e9paule.\n\u2013 L\u00e2chez-moi, capitaine, s'\u00e9cria-t-il, fr\u00e9missant.\nPour la premi\u00e8re fois, nous allons entendre la voix de Crochet.\nC'est une voix d'outre-tombe.\n\u2014 Rengaine d'abord ton pistolet, dit-elle, mena\u00e7ante.\n\u2013 C'\u00e9tait un de ces gar\u00e7ons que vous d\u00e9testez. J'aurais pu le\ntuer.\n\u2013 Oui, et le bruit aurait rabattu sur nous les P eaux -Rouges de\nLis Tigr\u00e9. As-tu envie de perdre tes cheveux ?\n\u2014 Voulez-vous que je lui coure apr\u00e8s et que je lui chatouille les\nc\u00f4tes avec Jean Tire-bouchon ? proposa le path\u00e9tique Smee.\nSmee baptisait chaque chose d'un nom amusant. Jean Tire-\nbouchon d\u00e9signait son coutelas qu'il avait l'habitude de vous\ntortiller dans la plaie. Smee avait maints c\u00f4t\u00e9s adorables. P arexemple, apr\u00e8s un meurtre, c'\u00e9taient ses lunettes qu'il essuyait\n\u00e0 la place de son poignard.\n\u2013 Jean est un gars qui ne fait pas de bruit, rappela-t-il \u00e0\nCrochet.\n\u2013 Pas maintenant, Smee, dit le capitaine, l'air sombre. Il est\ntout seul, et moi je les veux tous les sept. Dispersez-vous et\ntrouvez-les !\nLes pirates disparurent derri\u00e8re les arbres, laissant Smee en\ncompagnie de leur capitaine. Crochet poussa un gros soupir ;\n\u00e9tait-ce la tranquille beaut\u00e9 de la nuit qui lui inspira le d\u00e9sir de\nconfier l'histoire de sa vie \u00e0 son fid\u00e8le ma\u00eetre d'\u00e9quipage ? Il\nparla longtemps, avec ferveur , mais de quoi, au juste ? Smee,\ncet esprit born\u00e9, n'en avait pas la moindre id\u00e9e. Il ne retint\nqu'un mot : P eter.\n\u2013 Surtout, disait Crochet avec rage, je veux leur capitaine,\nPeter P an. C'est lui qui m'a coup\u00e9 la main. (Il brandit son\ncrochet de fa\u00e7on mena\u00e7ante.) J'attends depuis longtemps le\nmoment o\u00f9 je lui donnerai une poign\u00e9e de main avec \u00e7a ! Oh !\nje le d\u00e9chirerai !\n\u2014 Pourtant, dit Smee, je vous ai entendu bien souvent dire que\nce crochet valait dix paires de mains, pour se d\u00e9m\u00ealer les\ncheveux et autres usages domestiques.\n\u2013 S\u00fbrement, r\u00e9pondit le capitaine, et si j'\u00e9tais une m\u00e8re, je\nferais des voeux pour que mon enfant naisse avec ceci \u00e0 la\nplace de cela !\nEt il adressa un regard plein de fiert\u00e9 \u00e0 sa main de fer , et un\nplein de m\u00e9pris \u00e0 l'autre. Puis il se renfrogna de nouveau.\n\u2014 Peter a jet\u00e9 mon bras \u00e0 un crocodile qui passait par l\u00e0, dit-il\nen grima\u00e7ant \u00e0 ce souvenir .\n\u2014 J'ai souvent \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 par votre \u00e9trange terreur des\ncrocodiles, dit Smee.\n\u2013 Non pas des crocodiles, corrigea Crochet, mais de ce\ncrocodile. (Il baissa la voix.) Mon bras lui a tellement plu,\nSmee, que depuis ce jour-l\u00e0, il me poursuit de mer en mer , de\npays en pays, se pourl\u00e9chant les babines \u00e0 l'id\u00e9e de manger le\nreste.\n\u2013 En un sens, dit Smee, c'est plut\u00f4t flatteur .\u2013 Je me passe de pareils compliments ! aboya Crochet. Ce que\nje veux, c'est P eter, c'est lui qui a donn\u00e9 \u00e0 cette brute ce go\u00fbt\npervers.\nIl s'assit sur un \u00e9norme champignon et reprit avec un frisson\ndans la voix :\n\u2013 Smee, ce crocodile m'aurait eu depuis longtemps, s'il n'avait,\npar bonheur pour moi, aval\u00e9 un r\u00e9veille-matin qui fait tic-tac\ndans son ventre. Ainsi, avant qu'il ait pu me rejoindre, je\nreconnais le tic-tac et je file.\nIl rit, mais son rire sonnait faux.\n\u2013 Un jour , dit Smee, le r\u00e9veil va s'arr\u00eater , et alors... pauvre de\nvous !\nCrochet s'humecta les l\u00e8vres.\n\u2013 Oui, dit-il, c'est l'angoisse qui m'obs\u00e8de.\nDepuis qu'il s'\u00e9tait assis, il trouvait qu'il avait anormalement\nchaud.\n\u2013 Smee, dit-il, ce si\u00e8ge est br\u00fblant.\nIl bondit.\n\u2014 Marabout de ficelle de cheval ! Je grille !\nTous deux examin\u00e8rent le champignon qui \u00e9tait d'une taille et\nd'une solidit\u00e9 inconnues dans la r\u00e9gion. Ils essay\u00e8rent de\nl'arracher , et il se d\u00e9tacha sans r\u00e9sistance car il \u00e9tait d\u00e9pourvu\nde racines. Plus inou\u00ef encore, de la fum\u00e9e commen\u00e7a \u00e0 s'\u00e9lever\ndu pied. Les pirates se regard\u00e8rent l'un l'autre.\n\u2013 Une chemin\u00e9e ! s'exclam\u00e8rent-ils \u00e0 l'unisson.\nIls venaient en effet de d\u00e9couvrir la chemin\u00e9e de la maison\nsouterraine. Les gar\u00e7ons avaient l'habitude de la couvrir de ce\nchampignon quand des ennemis se trouvaient dans les\nparages. Il ne s'en \u00e9chappa pas seulement de la fum\u00e9e, mais\naussi des voix d'enfants, car les gar\u00e7ons se sentaient bien \u00e0\nl'abri dans leur retraite et bavardaient avec entrain. Les\npirates \u00e9cout\u00e8rent, la mine sinistre, puis replac\u00e8rent le\nchampignon. Ils regard\u00e8rent autour d'eux et remarqu\u00e8rent les\nsept arbres au tronc creux.\u2013 Ils ont dit que P eter P an n'est pas l\u00e0, vous avez entendu ?\nchuchota Smee en agitant son Jean Tire-bouchon.\nCrochet hocha la t\u00eate. Il r\u00e9fl\u00e9chit, puis un sourire crisp\u00e9\n\u00e9claira son visage basan\u00e9. Smee n'attendait que cela.\n\u2013 Quel est votre plan, capitaine ? demanda-t-il, impatient.\n\u2013 On retourne au bateau, r\u00e9pondit lentement Crochet entre ses\ndents, et on fait cuire un \u00e9norme g\u00e2teau d'une belle \u00e9paisseur\navec du sucre vert dessus. Il ne doit y avoir qu'une seule pi\u00e8ce\nl\u00e0-dessous, puisqu'il n'y a qu'une seule chemin\u00e9e. Ces taupes\nstupides n'ont pas assez de cervelle pour se rendre compte\nqu'il n'est pas n\u00e9cessaire d'avoir une porte par personne. On\nvoit bien qu'ils n'ont pas de m\u00e8re. Nous laisserons le g\u00e2teau\nsur la plage de la lagune aux sir\u00e8nes. Ils vont souvent nager\npar l\u00e0 et jouer avec les sir\u00e8nes. Quand ils trouveront le g\u00e2teau,\nils l'avaleront gloutonnement : comme ils n'ont pas de m\u00e8re, ils\nne savent pas que c'est terriblement dangereux de manger un\ng\u00e2teau aussi riche et moelleux.\nIl \u00e9clata de rire, et son rire sonna franc cette fois.\n\u2014 Ha ! Ha ! Ils mourront !\nSmee avait \u00e9cout\u00e9 avec une admiration croissante.\n\u2013 C'est le stratag\u00e8me le plus m\u00e9chamment ing\u00e9nieux qu'on ait\njamais invent\u00e9 ! s'exclama-t-il.\nEt de joie, tous deux se mirent \u00e0 danser et chanter :\nLarguez les ris, quand je parais,\nIls cr\u00e8vent de peur !\nIl ne vous reste plus de chair sur les os,\nQuand Crochet vous a serr\u00e9 la main !\nIls entonnaient le refrain quand un bruit les arr\u00eata soudain ; oh\n! un tout petit bruit qu'une feuille aurait suffi \u00e0 \u00e9touffer , mais\nqui devenait plus distinct \u00e0 mesure qu'il se rapprochait.\nTic tac tic tac.\nCrochet, un pied encore en l'air , se mit \u00e0 trembler .\u2014 Le crocodile ! souffla-t-il.\nEt il d\u00e9campa, suivi de son ma\u00eetre d'\u00e9quipage.\nC'\u00e9tait bien le crocodile. Il avait d\u00e9pass\u00e9 les P eaux -Rouges qui\nsuivaient maintenant les pirates, et lui-m\u00eame cherchait\nCrochet.\nLes gar\u00e7ons \u00e9merg\u00e8rent \u00e0 nouveau de leur souterrain, croyant\nle danger pass\u00e9. Ils se trompaient. Bient\u00f4t, Bon Zigue surgit en\ntrombe au milieu d'eux, poursuivi par une meute hurlante de\nloups dont la langue pendait horriblement.\n\u2014 Au secours ! au secours ! cria-t-il en s'effondrant dans\nl'herbe.\n\u2013 Que faire ? Que faire ? cri\u00e8rent les autres.\nEn ce moment dramatique, toutes les pens\u00e9es se tourn\u00e8rent\nvers P eter P an (ce qui n'\u00e9tait pas un mince hommage).\n\u2014 Que ferait P eter ? cria le choeur des gar\u00e7ons affol\u00e9s. Et ils\nencha\u00een\u00e8rent aussit\u00f4t :\n\u2013 Il les regarderait, la t\u00eate entre les jambes !\nC'est en effet le plus s\u00fbr moyen d'affronter des loups, et tous,\ncomme un seul homme, se pli\u00e8rent en deux et regard\u00e8rent\nentre leurs jambes \u00e9cart\u00e9es. La minute suivante fut la plus\ncritique, mais la victoire ne se fit pas attendre. Les gar\u00e7ons\nmarch\u00e8rent \u00e0 reculons sur la meute, dans cette attitude\nmena\u00e7ante, et les loups s'enfuirent la queue basse.\nAlors Bon Zigue se releva, et ses compagnons crurent qu'il\nvoyait encore des loups. Non, il voyait autre chose.\n\u2013 Quelque chose de plus extraordinaire encore ! s'\u00e9cria-t-il\ntandis que les autres l'entouraient jalousement. Je vois un\ngrand oiseau blanc. Il vole vers nous !\n\u2013 Quel genre d'oiseau ?\n\u2014 Je ne sais pas, dit Bon Zigue stup\u00e9fait, mais il semble\n\u00e9puis\u00e9, et \u00e0 chaque coup d'aile il g\u00e9mit \u00ab pauvre W endy \u00bb.\n\u2013 Pauvre W endy ?\n\u2013 Je me souviens, dit aussit\u00f4t La Plume, il existe des oiseauxqu'on appelle des W endy.\n\u2014 Regardez, il approche ! cria le Fris\u00e9 en pointant le doigt\nvers W endy dans le ciel.\nWendy arrivait au-dessus de leurs t\u00eates et tous percevaient\nmaintenant son cri plaintif . Mais ils distinguaient mieux encore\nla voix per\u00e7ante de Clochette. La jalouse petite f\u00e9e ne\nd\u00e9guisait plus sa haine et attaquait sa victime de tous c\u00f4t\u00e9s, \u00e0\ncoups de pin\u00e7on cruels.\n\u2013 Bonjour , Clo ! firent les gar\u00e7ons, \u00e9tonn\u00e9s.\nLa r\u00e9ponse de Clo vibra dans l'air :\n\u2013 Peter vous ordonne de tuer le wendy .\nLes gar\u00e7ons avaient l'habitude d'ob\u00e9ir \u00e0 leur chef sans poser\nde questions.\n\u2014 Ex\u00e9cutons les ordres ! dirent-ils na\u00efvement. V ite, nos arcs,\nnos fl\u00e8ches.\nTous se faufil\u00e8rent dans leur tronc d'arbre sauf La Guigne qui\navait sur lui son arc et ses fl\u00e8ches et, remarqua Clo, se frottait\nles mains.\n\u2013 Vite, La Guigne, cria la f\u00e9e, vite ! P eter sera si content ! T out\nfr\u00e9missant, La Guigne ajusta sa fl\u00e8che.\n\u2013 \u00c9carte-toi, Clo, recommanda-t-il.\nL'instant d'apr\u00e8s, W endy s'abattait sur le sol, une fl\u00e8che\nplant\u00e9e dans la poitrine.\n6. La petite hutte.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nQuand ses camarades r\u00e9apparurent avec leurs armes, ce\nnigaud de La Guigne posait triomphalement pr\u00e8s du corps de\nWendy.\n\u2013 Trop tard ! leur lan\u00e7a-t-il fi\u00e8rement. J'ai tu\u00e9 le wendy . Comme\nPeter va \u00eatre content de moi !\n\u2014 Esp\u00e8ce d'imb\u00e9cile ! cria la f\u00e9e Clo au-dessus de leurs t\u00eatesavant de dispara\u00eetre.\nMais nul ne l'entendit. Les gar\u00e7ons entouraient W endy et,\ntandis qu'ils la contemplaient, un silence terrible tomba sur la\nfor\u00eat. Si le coeur de W endy avait battu, ils auraient pu\nl'entendre.\nLa Plume fut le premier \u00e0 prendre la parole.\n\u2014 Ce n'est pas un oiseau, dit-il tout effar\u00e9. Je crois que c'est\nune dame.\n\u2014 Une dame ? r\u00e9p\u00e9ta La Guigne, qui s'effondra en claquant\ndes dents.\n\u2014 Et nous l'avons tu\u00e9e, rench\u00e9rit Bon Zigue d'une voix\nenrou\u00e9e.\nTous \u00f4t\u00e8rent leurs bonnets.\n\u2014 Maintenant je comprends, dit Le Fris\u00e9. P eter nous l'amenait.\nEt, de d\u00e9sespoir , il se laissa tomber par terre.\n\u2013 Une dame qui se serait enfin occup\u00e9e de nous ! dit l'un des\nJumeaux, et nous l'avons tu\u00e9e !\nTous \u00e9taient d\u00e9sol\u00e9s pour La Guigne, mais plus encore pour\neux-m\u00eames. Et quand il fit un pas vers eux, ils s'\u00e9cart\u00e8rent de\nlui. Son visage \u00e9tait tout p\u00e2le, mais une dignit\u00e9 nouvelle\n\u00e9manait de sa personne.\n\u2013 Oui, fit-il gravement, c'est moi qui l'ai tu\u00e9e. Quand des dames\nviennent me visiter dans mes r\u00eaves, je leur dis : \u00ab P etite\nmaman, jolie maman ! \u00bb Et quand enfin l'une d'elles tombe\npour de bon, je la tue !\nIl s'\u00e9loigna lentement.\n\u2013 Ne t'en va pas, dirent-ils, compatissants.\n\u2014 Je le dois, r\u00e9pondit-il en tremblant. J'ai trop peur de P eter.\n\u00c0 ce moment crucial, ils entendirent un son qui fit bondir leur\ncoeur dans leur poitrine. Le cocorico de P eter ! C'\u00e9tait sa fa\u00e7on\nhabituelle d'annoncer son retour .\n\u2013 Cachons-la ! chuchot\u00e8rent-ils en entourant promptement\nWendy.Mais La Guigne restait \u00e0 l'\u00e9cart. Le chant victorieux retentit \u00e0\nnouveau et P eter vint se poser devant eux.\n\u2013 Salut les gars ! lan\u00e7a-t-il.\nOn lui rendit machinalement son salut, puis le silence retomba.\nPeter fron\u00e7a le sourcil.\n\u2013 C'est ainsi que vous m'acclamez ! Quel enthousiasme !\nLes gar\u00e7ons ouvrirent la bouche mais pas un bravo n'en sortit.\nDans sa h\u00e2te de leur conter la glorieuse nouvelle, P eter passa\npour une fois sur l'offense.\n\u2013 Une prise sensationnelle, camarades ! s'\u00e9cria-t-il. Je vous\nram\u00e8ne enfin une m\u00e8re !\nDe nouveau le silence, \u00e0 l'exception du bruit sourd que fit La\nGuigne en tombant \u00e0 genoux.\n\u2013 Vous ne l'avez pas vue ? s'\u00e9tonna P eter. Elle volait pourtant\ndans cette direction.\n\u2013 Mon Dieu ! g\u00e9mit une voix.\n\u2013 O jour fun\u00e8bre ! se lamenta une autre.\nLa Guigne se releva.\n\u2013 Peter, dit-il calmement, je vais te la montrer .\nLes autres voulurent encore la cacher , mais il les repoussa.\n\u2013 \u00c9cartez-vous, les Jumeaux, que P eter voie.\nIls recul\u00e8rent donc afin que P eter puisse voir . Il regarda un\nmoment puis... Puis rien, il ne savait que faire.\n\u2013 Elle est morte, dit-il avec embarras. Et \u00e7a lui fait peut-\u00eatre\npeur, d'\u00eatre morte.\nIl pensa d'abord \u00e0 d\u00e9camper de l\u00e0 d'une mani\u00e8re comme qui\ndirait comique, et \u00e0 n'y plus jamais remettre les pieds. Et les\nautres l'auraient imit\u00e9 de bon coeur .\nMais il y avait la fl\u00e8che. P eter la retira du coeur de W endy et la\nbrandit face \u00e0 la bande.\u2013 \u00c0 qui est-ce ? demanda-t-il s\u00e9v\u00e8rement.\n\u2013 \u00c0 moi, P eter, dit La Guigne \u00e0 genoux.\n\u2013 O main ignoble ! dit P eter en levant la fl\u00e8che comme un\npoignard.\nLa Guigne ne broncha pas. Il se d\u00e9couvrit la poitrine.\n\u2014Frappe, dit-il d'un ton ferme, frappe juste.\nPar deux fois P eter brandit la fl\u00e8che, par deux fois sa main\nretomba.\n\u2014 Je ne peux pas, dit-il plein d'une crainte respectueuse.\nQuelque chose retient ma main.\nTous le regard\u00e8rent avec surprise, sauf Bon Zigue qui,\nheureusement, regardait W endy.\n\u2013 C'est elle, s'\u00e9cria-t-il, la dame W endy ! Regardez son bras !\nIncroyable mais vrai, W endy avait lev\u00e9 son bras. Bon Zigue se\npencha vers elle et \u00e9couta avec v\u00e9n\u00e9ration.\n\u2013 Je crois qu'elle vient de dire : \u00ab P auvre La Guigne ! \u00bb,\nchuchota-t-il.\n\u2013 Elle vit, dit P eter d'un ton bref .\nEt La Plume s'exclama presque en m\u00eame temps :\n\u2013 La dame W endy est vivante !\nAlors P eter s'agenouilla pr\u00e8s de W endy et trouva son bouton.\nOn se souvient que la fillette l'avait suspendu \u00e0 la cha\u00eene de\nson cou.\n\u2013 Regardez, dit P eter, c'est ce qui a arr\u00eat\u00e9 la fl\u00e8che. C'est le\nbaiser que je lui ai donn\u00e9. Il lui a sauv\u00e9 la vie.\n\u2013 Je me souviens des baisers, intervint aussit\u00f4t La Plume ;\nmontre-le-moi ? Oui, c'est bien un baiser .\nPeter ne l'\u00e9coutait pas. Il priait W endy de se remettre\nrapidement afin qu'il puisse lui montrer les sir\u00e8nes.\n\u00c9videmment, elle ne pouvait pas encore r\u00e9pondre puisqu'elle\n\u00e9tait toujours \u00e9vanouie. Mais une note plaintive vibra dansl'air.\n\u2013 \u00c9coutez Clochette, dit le Fris\u00e9, elle pleure parce que le\nwendy est vivant.\nIls r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent alors la tra\u00eetrise de Clo ; jamais (ou presque) ils\nne l'avaient vu aussi f\u00e2ch\u00e9.\n\u2013 \u00c9coute-moi, f\u00e9e Clochette ! cria-t-il, je ne suis plus ton ami !\nVa-t'en pour toujours !\nLa f\u00e9e vint se poser sur son \u00e9paule et plaida sa cause, mais il la\nchassa d'un revers de la main. Il fallut que W endy l\u00e8ve \u00e0\nnouveau le bras, alors P eter se radoucit assez pour nuancer le\nverdict :\n\u2013 Bon ! P as pour toujours, mais jusqu'\u00e0 la semaine prochaine !\nSi vous croyez que Clochette en fut reconnaissante \u00e0 W endy,\nd\u00e9trompez-vous. Bien au contraire, jamais elle n'eut pareille\nenvie de la pincer . Les f\u00e9es sont d'\u00e9tranges cr\u00e9atures, et P eter\nqui les connaissait bien leur distribuait souvent des gifles.\nEt maintenant, qu'allait-on faire de W endy, dans l'\u00e9tat o\u00f9 elle\nse trouvait ?\n\u2013 Descendons-la chez nous, sugg\u00e9ra Le Fris\u00e9.\n\u2013 Oui, dit La Plume, c'est ce qu'on doit faire avec les dames.\n\u2014 Non, non, dit P eter, il ne faut pas la toucher , ce serait lui\nmanquer de respect.\n\u2013 Oui, dit La Plume, c'est bien mon avis.\n\u2013 Mais si on la laisse ici, elle va mourir , dit La Guigne.\n\u2013 Oui, elle va mourir , admit La Plume, mais il n'y a pas d'autre\nsolution.\n\u2013 Si, dit P eter. Construisons-lui une hutte tout autour d'elle.\nCette id\u00e9e les enchanta.\n\u2014 Vite, ordonna P eter, que chacun apporte ce que nous\nposs\u00e9dons de mieux. V idez la maison. Grouillez-vous !\nEn un clin d'oeil, ils furent aussi occup\u00e9s que des couturi\u00e8res\nla veille d'un mariage. Ils couraient en tous sens, descendaientchercher des couvertures, remontaient ramasser du bois, et\ntandis qu'ils s'affairaient ainsi, qui apparut, sinon John suivi de\nMichael ? T ous deux se tra\u00eenaient p\u00e9niblement, s'endormaient\ndebout, s'arr\u00eataient, se r\u00e9veillaient, faisaient un pas et se\nrendormaient encore.\n\u2013 John, John, pleurnichait Michael, r\u00e9veille-toi. O\u00f9 est Nana,\nJohn, et maman ?\nAlors John se frottait les yeux et marmottait :\n\u2013 C'est vrai, nous avons vol\u00e9.\nN'en doutez pas : ils furent bien soulag\u00e9s de retrouver P eter.\n\u2013 Salut, P eter, dirent-ils.\n\u2013 Salut, r\u00e9pondit aimablement P eter sans les reconna\u00eetre.\nEn ce moment, il \u00e9tait occup\u00e9 \u00e0 mesurer W endy avec ses pieds,\npour voir sur quelle longueur il fallait construire la hutte,\ncompte tenu de la place n\u00e9cessaire pour les chaises et la\ntable... John et Michael le regardaient faire.\n\u2013 Wendy dort ? demand\u00e8rent-ils.\n\u2013 Oui.\n\u2013 John, proposa Michael, si on la r\u00e9veillait pour qu'elle nous\npr\u00e9pare le souper ?\n\u00c0 ce moment, quelques gar\u00e7ons surgirent portant des\nbranches destin\u00e9es \u00e0 la petite maison.\n\u2013 Regarde-les ! cria Michael.\n\u2013 Le Fris\u00e9, dit P eter plus capitaine que jamais, veille \u00e0 ce que\nces gar\u00e7ons aident \u00e0 b\u00e2tir la maison.\n\u2013 \u00c0 vos ordres, chef !\n\u2013 B\u00e2tir une maison ? s'exclama John.\n\u2013 Pour le wendy , expliqua Le Fris\u00e9.\n\u2013 Pour W endy ? fit John, scandalis\u00e9. Mais ce n'est qu'une fille!\n\u2013 C'est pourquoi nous sommes ses serviteurs, r\u00e9pondit LeFris\u00e9.\n\u2014 Vous, les serviteurs de W endy !\n\u2013 Oui, trancha P eter, et toi comme les autres. Emmenez-les.\nLes fr\u00e8res abasourdis furent tra\u00een\u00e9s jusqu'aux bois pour\ncouper , tailler , porter\n\u2013 Commen\u00e7ons par les chaises et le foyer , ordonna P eter.\nEnsuite nous \u00e9l\u00e8verons les murs tout autour .\n\u2013 Oui, dit La Plume, c'est ainsi qu'on construit les maisons ;\nmaintenant, \u00e7a me revient.\nPeter pensait \u00e0 tout.\n\u2013 La Plume, dit-il, va chercher un docteur .\n\u2013 \u00c0 vos ordres, chef , r\u00e9pondit La Plume qui partit en se\ngrattant la t\u00eate.\nMais il savait que P eter devait \u00eatre ob\u00e9i. Aussi revint-il au bout\nd'un moment, coiff\u00e9 du haut-de-forme de John et l'air solennel.\n\u2013 Excusez-moi, monsieur , dit P eter en allant \u00e0 sa rencontre,\n\u00eates-vous m\u00e9decin ?\nCe qui le distinguait des gar\u00e7ons, en pareille occasion, c'est\nque les autres savaient qu'on faisait semblant, alors que pour\nlui le jeu et la r\u00e9alit\u00e9 \u00e9taient tout un. Cela pr\u00e9sentait parfois\nquelque inconv\u00e9nient, surtout lorsqu'on devait faire semblant\nd'avoir d\u00e9j\u00e0 d\u00een\u00e9.\nEt si l'on voulait sortir du jeu, P eter vous tapait sur les doigts.\n\u2013 Oui, jeune homme, je suis m\u00e9decin, r\u00e9pondit La Plume,\nassagi par de douloureuses exp\u00e9riences.\n\u2013 S'il vous pla\u00eet, docteur , expliqua P eter, il y a une dame qui est\ncouch\u00e9e, elle est gravement malade.\nLa dame reposait \u00e0 leurs pieds, mais La Plume eut la finesse de\nne pas la voir .\n\u2014 Tut, tut, dit-il, o\u00f9 est-elle couch\u00e9e ?\n\u2014 L\u00e0-bas, dans la clairi\u00e8re.\u2013 Je vais lui mettre un morceau de verre dans la bouche, dit le\ndocteur La Plume.\nEt il fit semblant de le faire, tandis que P eter attendait. Il y eut\nun moment lourd d'angoisse quand le docteur retira le\nmorceau de verre.\n\u2013 Eh bien ? demanda P eter, comment va-t-elle ?\n\u2013 Tut, tut, dit La Plume, \u00e7a l'a gu\u00e9rie.\n\u2013 Je suis bien content ! s'\u00e9cria P eter.\n\u2013 Je vous rappellerai dans la soir\u00e9e, dit La Plume ; donnez-lui\ndu bouillon de viande dans une tasse \u00e0 bec.\nIl rendit son chapeau \u00e0 John, et respira \u00e0 grands coups comme\nchaque fois qu'il venait de l'\u00e9chapper belle.\nPendant toute cette sc\u00e8ne, la for\u00eat avait retenti de coups de\nhache, et l'on avait r\u00e9uni aux pieds de W endy \u00e0 peu pr\u00e8s tout\nce qui est n\u00e9cessaire pour faire une demeure confortable.\n\u2013 Si au moins on savait quel est son genre de maison pr\u00e9f\u00e9r\u00e9,\ndit l'un d'eux.\n\u2013 Peter, s'\u00e9cria un autre, elle a remu\u00e9 !\n\u2013 Elle ouvre la bouche ! s'exclama un troisi\u00e8me, en regardant\nrespectueusement \u00e0 l'int\u00e9rieur . Oh ! adorable !\n\u2013 Peut-\u00eatre va-t-elle chanter en dormant, dit P eter, Wendy,\nchante-nous le genre de maison que tu aimerais avoir . Sans\nouvrir les yeux, W endy se mit aussit\u00f4t \u00e0 chanter :\nJe voudrais avoir une jolie maison,\nLa plus petite qui puisse se voir ,\nAvec de dr\u00f4les de petits murs rouges\nEt un toit vert moussu.\nCe fut une explosion de joie : ils avaient ramen\u00e9 en effet des\nbranches poisseuses de r\u00e9sine rouge, et le sol \u00e9tait tapiss\u00e9 de\nmousse. \u00c0 leur tour , tout en \u00e9chafaudant la maisonnette, ils se\nmirent \u00e0 chanter :Nous avons b\u00e2ti les petits murs et le toit,\nEt fabriqu\u00e9 une jolie porte.\nDis-nous donc, maman W endy,\nCe qui te ferait encore plaisir ?\nEt W endy demanda avec une sorte de convoitise :\nOh ! comme j'aimerais avoir\nDe pimpantes fen\u00eatres\nAvec des roses qui pointent le nez \u00e0 l'int\u00e9rieur\nEt des b\u00e9b\u00e9s qui passent la t\u00eate dehors !\nEn un clin d'oeil, les fen\u00eatres furent pr\u00eates, avec de grandes\nfeuilles jaunes en guise de volets. Mais les roses ?\n\u2013 Des roses ! commanda durement P eter.\nVite, ils firent semblant de faire pousser des roses magnifiques\ncontre les murs.\nEt les b\u00e9b\u00e9s ?\nCette fois, ils ne lui laiss\u00e8rent pas le temps d'en commander et\nentonn\u00e8rent vivement :\nNous avons fait les roses,\nEt les b\u00e9b\u00e9s attendent \u00e0 la porte,\nNous ne pouvons nous faire nous-m\u00eames, voyez-vous,\nCar on nous a d\u00e9j\u00e0 faits.\nTrouvant cette id\u00e9e excellente, P eter pr\u00e9tendit imm\u00e9diatement\nen \u00eatre l'auteur . La hutte \u00e9tait tout \u00e0 fait charmante. W endy\ndevait s'y sentir tr\u00e8s bien. P eter marchait de long en large,\nfignolant les derniers d\u00e9tails. Rien n'\u00e9chappait \u00e0 son regard\nper\u00e7ant. Et quand on crut avoir termin\u00e9, il s'\u00e9cria :\n\u2013 Vous avez oubli\u00e9 le heurtoir pour la porte !\nCe reproche les emplit de honte ; aussit\u00f4t La Guigne offrit lasemelle de son soulier , ce qui faisait un excellent heurtoir .\nCette fois, plus rien \u00e0 redire, pens\u00e8rent les gar\u00e7ons. Erreur ,\nerreur grossi\u00e8re !\n\u2013 Je ne vois pas la chemin\u00e9e ! remarqua P eter. Il en faut une !\n\u2013 C'est absolument indispensable, fit John d'un air important.\nSon intervention donna une id\u00e9e \u00e0 P eter. Il cueillit le haut-de-\nforme sur la t\u00eate de John, le d\u00e9fon\u00e7a d'un coup de poing et le\nd\u00e9posa sur le toit.\nRavie d'\u00eatre pourvue d'un \u00e9l\u00e9ment aussi essentiel, la petite\nhutte se mit \u00e0 fumer en guise de remerciement.\nMaintenant, c'\u00e9tait fini pour tout de bon. Il ne restait plus qu'\u00e0\nfrapper \u00e0 la porte.\n\u2013 T\u00e2chez de vous tenir comme il faut, la premi\u00e8re impression\nest d\u00e9cisive, les pr\u00e9vint P eter.\nHeureusement, ils ne song\u00e8rent pas \u00e0 lui demander ce qu'\u00e9tait\ncette premi\u00e8re impression, tant ils \u00e9taient occup\u00e9s \u00e0 arranger\nleur mise.\nPeter frappa poliment ; la for\u00eat se taisait, les enfants perdus\nretenaient leur souffle. Seule Clo-la-R\u00e9tameuse ricanait du\nhaut de sa branche.\nQuelqu'un allait-il r\u00e9pondre ? se demandaient les gar\u00e7ons. Et si\nc'\u00e9tait une dame, \u00e0 quoi ressemblerait-elle ?\nLa porte s'ouvrit et une dame parut sur le seuil. C'\u00e9tait W endy.\nTous \u00f4t\u00e8rent leur bonnet.\nElle avait l'air tr\u00e8s \u00e9tonn\u00e9e, mais c'est bien ce qu'ils\nesp\u00e9raient.\n\u2013 O\u00f9 suis-je ? demanda-t-elle.\nNaturellement, La Plume retrouva le premier l'usage de sa\nlangue.\n\u2013 Dame W endy, dit-il vivement, c'est pour vous que nous avons\nb\u00e2ti cette maison.\n\u2013 Dites qu'elle vous pla\u00eet ! cria Bon Zigue.\u2013 L'exquise, la d\u00e9licieuse petite maison ! s'exclama W endy.\nEt c'\u00e9taient exactement les mots qu'ils attendaient.\n\u2013 Et nous sommes vos enfants ! s'\u00e9cri\u00e8rent les Jumeaux. T ous\ns'agenouill\u00e8rent et, lui tendant les bras :\n\u2013 O dame W endy, dirent-ils, soyez notre m\u00e8re \u00e0 tous !\n\u2013 Dois-je accepter ? demanda W endy rayonnante. C'est\naffreusement tentant, bien s\u00fbr , mais je ne suis qu'une petite\nfille, voyez-vous, je manque d'exp\u00e9rience.\n\u2013 \u00c7a n'a aucune importance, dit P eter comme s'il \u00e9tait seul \u00e0\nconna\u00eetre \u00e0 fond ce probl\u00e8me, dont en r\u00e9alit\u00e9 il ignorait tout.\nCe qu'il nous faut, c'est une personne qui ait l'air maternelle.\n\u2013 Oh ! dit W endy, je crois que je ferai l'affaire !\n\u2013 Parfaitement ! s'exclam\u00e8rent-ils en choeur . Nous l'avons vu\nau premier coup d'oeil.\n\u2013 Tr\u00e8s bien, dit-elle, je vous promets de m'appliquer . Allons,\nvilains gar\u00e7ons, entrez tout de suite dans la maison. Je suis\ns\u00fbre que vos pieds sont tremp\u00e9s. Et avant de vous mettre au\nlit, j'aurai tout juste le temps de vous raconter la fin de\nCendrillon.\nIls se ru\u00e8rent \u00e0 l'int\u00e9rieur de la hutte. V ous vous demandez\ncomment ils pouvaient tous tenir l\u00e0-dedans, mais il est possible\nde s'entasser comme nulle part, au pays de l'Imaginaire. Et ce\nfut la premi\u00e8re des joyeuses soir\u00e9es qu'ils allaient passer en\ncompagnie de W endy. L'histoire finie, elle vint les border dans\nle grand lit de la maison souterraine et dormit elle-m\u00eame dans\nsa petite maison. Cette nuit-l\u00e0, P eter, sabre au clair , monta la\ngarde devant sa porte, car on entendait dans le lointain les\npirates qui bambochaient et les loups qui r\u00f4daient. Comme elle\navait l'air calme et bien prot\u00e9g\u00e9e, la petite hutte de W endy,\navec sa lumi\u00e8re filtrant \u00e0 travers les volets, sa chemin\u00e9e\nfumant \u00e9l\u00e9gamment, et P eter montant la garde sur le seuil.\nAu bout d'un moment, il s'assoupit, et les f\u00e9es qui s'en\nrevenaient de la f\u00eate durent escalader son corps d'un pas\nchancelant. S'il s'\u00e9tait agi d'un quelconque gar\u00e7on perdu, elles\nl'auraient m\u00e9chamment puni d'encombrer ainsi le chemin, la\nnuit ; mais comme c'\u00e9tait P eter, elles se content\u00e8rent de lui\ntirer le nez et poursuivirent leur route.7. La maison souterraine.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nLe lendemain, le premier souci de P eter fut de prendre les\nmesures de W endy, John et Michael, afin de leur trouver des\narbres creux. Si vous vous en souvenez, Crochet avait raill\u00e9 les\ngar\u00e7ons d'avoir chacun son arbre, mais cela montrait\nseulement son ignorance. Car si vous ne correspondez pas au\ncalibre du tronc, il vous est difficile de monter et descendre.\nOr, il n'y avait pas deux gar\u00e7ons de la m\u00eame taille.\nUne fois qu'on s'est cas\u00e9 dans le tronc, on retient son souffle et\non descend tout juste \u00e0 la vitesse convenable ; pour remonter ,\non doit alternativement respirer et bloquer sa respiration, tout\nen se hissant par des contorsions. Lorsqu'on ma\u00eetrise \u00e0 fond\ncette technique et qu'on est capable de l'ex\u00e9cuter sans y\npenser , rien n'est alors plus gracieux que cette reptation.\nMais l'important, c'est de cadrer avec le tronc. C'est pourquoi\nPeter vous mesure, vous et votre arbre, aussi s\u00e9rieusement\nque s'il s'agissait de vous faire un complet veston, \u00e0 cette\ndiff\u00e9rence pr\u00e8s qu'on ajuste le complet \u00e0 vos dimensions,\ntandis qu'ici, c'est \u00e0 vous de vous ajuster \u00e0 celles de l'arbre.\nD'ordinaire, le probl\u00e8me se r\u00e9sout facilement, car on s'habille\ntoujours trop, ou pas assez. Mais il se peut que vous ayez des\nrondeurs mal plac\u00e9es, ou que le seul arbre disponible soit d'un\nmod\u00e8le bizarre ; P eter doit alors vous faire quelques retouches,\napr\u00e8s quoi vous cadrez parfaitement. Une fois que l'on cadre,\nle plus dur est de continuer \u00e0 le faire, et cet effort peut\nmaintenir toute une famille en pleine forme, comme le\nd\u00e9couvrit W endy avec plaisir .\nElle et Michael cadr\u00e8rent du premier coup, mais John dut \u00eatre\nl\u00e9g\u00e8rement modifi\u00e9.\nAu bout de quelques jours d'exercice, ils surent monter et\ndescendre aussi lestement que des seaux dans un puits. Alors,\ncomme ils se mirent \u00e0 l'aimer , leur maison souterraine ! W endy\nsurtout. Elle se composait d'une seule vaste pi\u00e8ce, comme\ndevraient l'\u00eatre toutes les maisons. Sur le plancher , qu'on\npouvait creuser \u00e0 volont\u00e9 si l'on avait envie d'aller \u00e0 la p\u00eache,\npoussaient des champignons trapus qui servaient de si\u00e8ges. Un\narbre imaginaire s'effor\u00e7ait de pousser au milieu, mais chaque\nmatin, on sciait le tronc au ras du sol. \u00c0 l'heure du th\u00e9, il\natteignait toujours deux pieds de haut ; on posait une portepar-dessus et l'ensemble devenait une table. Le repas termin\u00e9,\non le sciait \u00e0 nouveau afin d'avoir plus de place pour jouer . Il y\navait un \u00e9norme foyer qui se trouvait en n'importe quel endroit\no\u00f9 il vous plaisait d'allumer le feu. W endy tendit des cordes de\nfibre en travers et y mit la lessive \u00e0 s\u00e9cher .\nPendant le jour , on rabattait le lit contre le mur ; on l'ouvrait \u00e0\nsix heures et demie, et il remplissait la chambre \u00e0 moiti\u00e9. \u00c0\nl'exception de Michael, tous les gar\u00e7ons y dormaient, allong\u00e9s\ncomme sardines en bo\u00eete. P our se retourner , il fallait, en vertu\nd'un r\u00e8glement tr\u00e8s strict, attendre que quelqu'un donne le\nsignal, et tous se retournaient comme un seul homme. Michael\naurait bien aim\u00e9 dormir , mais W endy voulait un b\u00e9b\u00e9, et il \u00e9tait\nle plus petit, et vous savez comment sont les femmes, et... bref ,\nil dormait suspendu dans un panier .\nEn somme, les lieux \u00e9taient simples, grossiers, peu diff\u00e9rents\nde ce que des b\u00e9b\u00e9s oursons auraient fait d'une tani\u00e8re\nsouterraine dans les m\u00eames circonstances.\nDans le mur , une niche pas plus grande qu'une cage d'oiseau\nconstituait les appartements priv\u00e9s de Clo-la-R\u00e9tameuse. Un\nl\u00e9ger rideau pouvait l'isoler du reste de la pi\u00e8ce, et Clochette,\ntatillonne sur ce chapitre, le tirait chaque fois qu'elle se\nd\u00e9v\u00eatait. Aucune femme n'e\u00fbt pu r\u00eaver boudoir plus exquis. Le\nlit - sa couche, comme elle disait - \u00e9tait un authentique Reine\nMab aux pieds rococo, et sa courtepointe variait selon les\nfleurs de la saison. Le miroir , bien connu des fournisseurs des\nf\u00e9es, datait du Chat Bott\u00e9 (il n'en reste plus que trois\nexemplaires \u00e0 l'heure actuelle) et n'avait pas une \u00e9raflure. La\ntable de toilette r\u00e9versible provenait de chez Chippendale, le\nfameux \u00e9b\u00e9niste, et s'assortissait \u00e0 merveille \u00e0 la commode de\nstyle Prince Charmant VI, et aux tapis anciens. Quant au\nchandelier , il n'\u00e9tait l\u00e0 que pour le coup d'oeil car la f\u00e9e\n\u00e9clairait elle-m\u00eame la pi\u00e8ce. Clochette \u00e9tait extr\u00eamement fi\u00e8re\nde son alc\u00f4ve, vanit\u00e9 sans doute in\u00e9vitable dans son cas.\nToutefois, l'ensemble avait un petit air pr\u00e9tentieux, comme un\nnez qui pointe en permanence vers le plafond.\nJe suppose que W endy devait trouver son s\u00e9jour\nparticuli\u00e8rement enchanteur , car sa turbulente famille lui\ndonnait fort \u00e0 faire. Elle n'avait pas m\u00eame le temps de monter\nprendre le frais, sinon le soir et encore, avec une chaussette \u00e0\nla main. Elle ne levait pas le nez des casseroles, pour ainsi\ndire, et pr\u00e9parait toutes sortes de plats exotiques, \u00e0 base\nd'ignames, de noix de coco, de sapotilles et j'en passe. Maisl'on ne savait jamais si l'on allait faire un vrai repas ou se\ncontenter d'un repas pour rire : tout d\u00e9pendait de l'humeur du\ncapitaine. P eter pouvait vraiment manger si cela faisait partie\ndu jeu, mais il ne savait pas se bourrer pour se bourrer , ce qui,\npourtant, est un plaisir favori des enfants, l'autre \u00e9tant d'en\nparler . Pour lui, faire semblant de manger se distinguait si peu\nde manger vraiment que cela seul le faisait grossir . Certes,\nl'\u00e9preuve \u00e9tait cruelle, mais vous ne pouviez y \u00e9chapper \u00e0\nmoins de lui prouver que, si vous ne mangiez pas, vous\nrisquiez de flotter dans votre arbre.\nWendy attendait que tout le monde soit couch\u00e9 pour ravauder .\nAlors, disait-elle, elle pouvait souffler . Elle leur taillait de\nnouveaux pantalons, ou renfor\u00e7ait les anciens avec des doubles\npi\u00e8ces, car tous se montraient durs pour les genoux. Et\nlorsqu'elle s'asseyait avec sa corbeille pleine de chaussettes\naux talons trou\u00e9s, elle levait les bras au ciel en soupirant : \u00ab\nMon Dieu ! il y a des jours o\u00f9 l'on envierait les vieilles filles \u00bb,\net son visage rayonnait.\nOn se souvient de son petit loup ch\u00e9ri. D\u00e8s qu'il sut que W endy\n\u00e9tait dans l'\u00cele, il la chercha partout jusqu'\u00e0 ce qu'ils tombent\ndans le bras l'un de l'autre, et d\u00e9sormais, il ne la quittait plus.\nAu fur et \u00e0 mesure que le temps passait, songeait-elle\nbeaucoup aux bien-aim\u00e9s parents qu'elle avait abandonn\u00e9s ?\nQuestion ardue, car il est impossible d'\u00e9valuer le temps de\nl'Imaginaire, qui se calcule en lunes et en soleils innombrables.\nWendy, je le crains, ne s'inqui\u00e9tait pas trop pour ses p\u00e8re et\nm\u00e8re, tant elle \u00e9tait persuad\u00e9e qu'ils gardaient la fen\u00eatre\nouverte en vue de son retour . Non, ce qui troublait un peu sa\nbonne conscience, c'\u00e9tait de voir que John ne conservait qu'un\ntr\u00e8s vague souvenir des parents. Quant \u00e0 Michael, il \u00e9tait pr\u00eat\n\u00e0 la consid\u00e9rer comme sa vraie m\u00e8re. Soucieuse d'accomplir\nson devoir , elle s'effor\u00e7a donc de graver les jours d'autrefois\ndans leur m\u00e9moire, en leur imposant des interrogations \u00e9crites\ndu type de celles qu'on pratique dans les \u00e9coles. Les autres\ngar\u00e7ons, vivement int\u00e9ress\u00e9s par cet exercice, insist\u00e8rent pour\ny participer . Ainsi, chacun s'asseyait autour de la table avec\nson ardoise, \u00e9crivait ou se creusait les m\u00e9ninges pour\nr\u00e9pondre aux questions de W endy.\nCes questions \u00e9taient des plus anodines. \u00ab Quelle \u00e9tait la\ncouleur des yeux de maman ? Qui \u00e9tait le plus grand, papa ou\nmaman ? Maman \u00e9tait-elle blonde ou brune ? Essayez de\nr\u00e9pondre aux trois questions. \u00bb \u00ab (A) R\u00e9digez un essai de\nquarante mots au minimum sur le sujet : Comment j'ai pass\u00e9mes derni\u00e8res vacances, ou bien : Comparez les caract\u00e8res de\npapa et de maman (un seul sujet, au choix). \u00bb Ou encore \u00ab (1)\nD\u00e9crivez le rire de maman ; (2) D\u00e9crivez le rire de papa ; (3)\nD\u00e9crivez la robe de soir\u00e9e de maman ; (4) D\u00e9crivez la niche et\nson locataire. \u00bb\nCes questions portaient sur des sujets on ne peut plus\nquotidiens, et quand on ne savait pas y r\u00e9pondre, il fallait\nmettre une croix. C'est fou le nombre de croix que John lui-\nm\u00eame dut inscrire. Il va de soi que le seul gar\u00e7on qui r\u00e9pond\u00eet\n\u00e0 toutes les questions \u00e9tait La Plume. P ersonne autant que lui\nne souhaitait \u00eatre class\u00e9 le premier , mais ses r\u00e9ponses \u00e9taient\nsi saugrenues, qu'il se retrouvait le plus souvent \u00e0 la derni\u00e8re\nplace, h\u00e9las !\nPeter se tenait hors du jeu. D'une part, il m\u00e9prisait toutes les\nm\u00e8res, exception faite pour W endy. D'autre part, il ne savait ni\nlire ni \u00e9crire un tra\u00eetre mot. Enfin, il \u00e9tait tellement au-dessus\nde ces enfantillages !\nSans doute avez-vous remarqu\u00e9 que les questions \u00e9taient\npos\u00e9es au pass\u00e9, c'est que W endy elle-m\u00eame oubliait un peu.\nBien entendu, chaque jour apportait son lot d'aventures,\ncomme nous le verrons, mais pour le moment, P eter \u00e9tait\nfascin\u00e9 par un nouveau jeu qu'il avait invent\u00e9 avec le concours\nde W endy et qui finirait par le lasser comme les autres. Ce jeu\nconsistait \u00e0 pr\u00e9tendre qu'il n'arrivait pas d'aventures, et \u00e0 se\nlivrer aux activit\u00e9s que John et Michael avaient pratiqu\u00e9es\ntoute leur vie, comme : rester assis sur un tabouret, envoyer\ndes balles dans l'air , se pousser l'un l'autre, sortir se promener\net rentrer\nsans gu\u00e8re avoir tu\u00e9 autre chose qu'un grizzli. P eter si\u00e9geant\nolympien sur son tabouret \u00e0 ne rien faire, cela valait le coup\nd'oeil : rien ne l'amusait autant que se tenir tranquille. Il se\nvantait de ses promenades hygi\u00e9niques, et, pendant plusieurs\nsoleils, ce fut pour lui la plus extraordinaire des aventures. Il\nobligeait John et Michael \u00e0 suivre son exemple et les punissait\ns\u00e9v\u00e8rement s'ils ne feignaient pas d'\u00eatre ravis.\nSouvent, P eter sortait seul. \u00c0 son retour , il \u00e9tait impossible de\nsavoir s'il avait eu une aventure ou non. Il pouvait l'avoir si\ncompl\u00e8tement oubli\u00e9e qu'il n'en soufflait pas un mot. Et si vous\nsortiez \u00e0 ce moment-l\u00e0, vous tr\u00e9buchiez sur le cadavre ; et\nvice-versa, il vous racontait une histoire \u00e0 n'en plus finir et\nvous ne trouviez pas de cadavre ! Il lui arrivait de revenir lat\u00eate couverte d'un bandage. W endy le dorlotait, baignait son\nfront avec de l'eau ti\u00e8de, tandis qu'il l'affolait de r\u00e9cits\n\u00e9tourdissants. Mais elle n'\u00e9tait jamais s\u00fbre, voyez-vous. Il y eut\ntoutefois quelques vraies aventures -de celles-l\u00e0 elle \u00e9tait s\u00fbre\ncar elle y avait pris part- et d'autres, plus nombreuses encore,\nqui du moins \u00e9taient en parties vraies car les autres gar\u00e7ons y\navaient particip\u00e9 et les pr\u00e9tendaient enti\u00e8rement vraies. Les\nconter toutes exigerait un volume de la taille d'un dictionnaire\nanglais-latin latin-anglais. L'id\u00e9al serait de prendre une\naventure - type, capable de vous donner une id\u00e9e de tout ce\nqui pouvait arriver en moyenne dans l'\u00eele en une heure de\ntemps. Mais laquelle choisir ? Allons-nous prendre le maquis\navec les P eaux -Rouges, au R avin de La Plume ? Cet \u00e9pisode\nsanguinaire illustre particuli\u00e8rement bien une des sp\u00e9cialit\u00e9s\nde Peter, qui consiste \u00e0 changer de camp au beau milieu de la\nbataille. Au R avin de La Plume, alors que la victoire penchait\ntant\u00f4t pour l'un tant\u00f4t pour l'autre camp, P eter s'\u00e9cria :\n\u2013 Aujourd'hui, je suis P eau-Rouge. Et toi, La Guigne ?\n\u2013 Peau-Rouge r\u00e9pondit La Guigne. Et toi, Bon Zigue ? Et Bon\nZigue de dire :\n\u2013 Peau-Rouge ! Et vous, les Jumeaux ?\nEt ainsi de suite tous \u00e9taient P eaux -Rouges. Le combat aurait\ntourn\u00e9 court si les vrais P eaux -Rouges, s\u00e9duits par les\nm\u00e9thodes de P eter, n'avaient d\u00e9cid\u00e9 entre eux d'\u00eatre cette fois\nles enfants perdus, et la lutte reprit, plus acharn\u00e9e que jamais.\nLe d\u00e9nouement extraordinaire de cette aventure fut que - mais\nnous n'avons pas encore d\u00e9cid\u00e9 si c'est celle que nous allons\nraconter . Peut-\u00eatre vaudrait-il mieux narrer l'attaque nocturne\nde la maison souterraine par les P eaux -Rouges, au cours de\nlaquelle plusieurs d'entre eux rest\u00e8rent coinc\u00e9s dans les troncs\nd'arbre, si bien qu'il fallut les en extraire comme des bouchons\n? Nous pourrions aussi vous dire comment P eter sauva la vie\nde Lis Tigr\u00e9, dans la lagune aux sir\u00e8nes, et en fit son alli\u00e9e. \u00c0\nmoins que nous contions l'\u00e9pisode du g\u00e2teau des pirates qu'on\ntrouvait cach\u00e9 tant\u00f4t de-ci tant\u00f4t de-l\u00e0. Mais chaque fois\nWendy l'arrachait des mains de ses enfants, tant qu'\u00e0 la fin, il\nperdit toute saveur et devint dur et rassis comme put le\nconstater Crochet lui-m\u00eame quand il se rencontra de nuit avec\nce projectile.\nEt si nous vous parlions des oiseaux amis de P eter, en\nparticulier de l'Oiseau Imaginaire qui b\u00e2tit son nid sur unebranche surplombant la lagune ? Le nid tomba dans l'eau, avec\nl'oiseau couvant ses oeufs, et P eter ordonna qu'on le laisse\ntranquille. C'est une belle histoire, et la fin montre de quelle\nreconnaissance est capable un oiseau. Mais si nous la\nracontons, nous devons raconter toute l'histoire de la lagune,\nce qui revient \u00e0 conter deux histoires au lieu d'une.\nIl y aurait aussi l'histoire plus courte et non moins\npassionnante de la grande feuille sur laquelle Clochette et\nquelques petites f\u00e9es des rues avaient trouv\u00e9 W endy endormie.\nElles essay\u00e8rent de la pousser loin de l'\u00cele. Heureusement, la\nfeuille c\u00e9da, W endy se r\u00e9veilla et, croyant que c'\u00e9tait l'heure\ndu bain, regagna le rivage \u00e0 la nage.\nEt le d\u00e9fi que lan\u00e7a P eter aux lions, voil\u00e0 qui vous ferait\nfrissonner ! Il tra\u00e7a un cercle sur le sol et d\u00e9fia les lions de le\ntraverser . Il attendit pendant des heures, avec les gar\u00e7ons\nautour de lui et W endy retenant son souffle, perch\u00e9e \u00e0 la\nfourche d'un arbre. En vain : aucun des lions ne releva le gant.\nLaquelle de ces aventures allons-nous choisir ? Le mieux est de\ntirer au sort.\nJ'ai tir\u00e9, et la lagune aux sir\u00e8nes a gagn\u00e9. Sans doute certains\nregretteront que ce ne soit pas le R avin de La Plume, ou le\ng\u00e2teau des pirates, ou la feuille de Clochette. Bien s\u00fbr , je\npourrais toujours recommencer et faire mieux au troisi\u00e8me\ncoup ; pourtant, il vaut peut-\u00eatre mieux s'en tenir \u00e0 la lagune.\n8. La lagune aux sir\u00e8nes.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nSi vous fermez les yeux, avec un peu de chance vous\napercevrez parfois un vague \u00e9tang aux teintes pastel suspendu\ndans le noir ; pressez vos yeux un peu plus fort, l'\u00e9tang\nprendra forme, les couleurs deviendront si vives que, si vous\npressez encore, elles s'embraseront. Mais, juste avant qu'elles\nne s'embrasent, vous verrez la lagune. C'est le point supr\u00eame\nque vous puissiez atteindre sur le continent, et seulement\nl'espace d'un d\u00e9licieux instant. S'il pouvait y avoir deux\ninstants, alors vous verriez les vagues et entendriez le chant\ndes sir\u00e8nes.\nLes enfants passaient les longues journ\u00e9es d'\u00e9t\u00e9 sur la lagune,\n\u00e0 nager , flotter , jouer dans l'eau avec les sir\u00e8nes. N'en concluezpas que les sir\u00e8nes les traitaient en amis. Bien au contraire, ce\nfut l'un des plus vifs regrets de W endy de voir que, tout le\ntemps qu'elle v\u00e9cut dans l'\u00eele, elle n'en re\u00e7ut jamais un mot\npoli. Quand elle longeait \u00e0 pas feutr\u00e9s le bord de la lagune, elle\npouvait les voir , par la fente d'un rocher , se dorant au soleil sur\nl'\u00eelot des Abandonn\u00e9s pour lequel elles avaient une\npr\u00e9dilection, ou peignant leurs chevelures avec une indolence\nqui irritait la fillette ; il lui arrivait de nager vers elles pour\nainsi dire sur la pointe des pieds, jusqu'\u00e0 une dizaine de\nm\u00e8tres, mais d\u00e8s qu'elles l'apercevaient, elles plongeaient en\nl'\u00e9claboussant tout expr\u00e8s de leurs queues.\nSeul P eter jouissait d'un r\u00e9gime de faveur : il venait bavarder\navec elles sur le rocher des Abandonn\u00e9s, et s'asseyait \u00e0 cheval\nsur leur queue quand elles se montraient par trop insolentes. Il\navait m\u00eame donn\u00e9 \u00e0 W endy un de leurs peignes d'\u00e9caille.\nLa p\u00e9riode la plus fascinante pour observer les sir\u00e8nes est\ncelle du changement de lune, lorsqu'elles \u00e9mettent d'\u00e9tranges\ng\u00e9missements. Mais alors la lagune est dangereuse pour les\nmortels et, jusqu'au soir dont il va \u00eatre question, W endy n'avait\njamais vu la lagune au clair de lune, moins par peur (car P eter\nl'aurait accompagn\u00e9e) que parce qu'elle exigeait que tout le\nmonde f\u00fbt au lit \u00e0 sept heures.\nElle aimait se rendre \u00e0 la lagune surtout les jours o\u00f9 le soleil\nbrillait apr\u00e8s la pluie. C'est alors que les sir\u00e8nes se\nrassemblent par centaines et jouent avec des bulles\nmulticolores faites d'eau et d'arc-en-ciel. Elles s'en servent\ncomme de ballons qu'elles se lancent l'une \u00e0 l'autre d'un coup\nde queue jusqu'\u00e0 ce qu'elles \u00e9clatent. Les deux extr\u00e9mit\u00e9s de\nl'arc-en-ciel forment les buts et les gardiennes de but n'ont le\ndroit de se servir que de leurs mains. Plus les sir\u00e8nes sont\nnombreuses, plus le spectacle est attrayant.\nD\u00e8s que les enfants essayaient de se joindre \u00e0 elles, ils se\nretrouvaient seuls entre eux car les sir\u00e8nes s'\u00e9vanouissaient\naussit\u00f4t. N\u00e9anmoins, nous avons la preuve qu'elles observaient\nen cachette les intrus et n'avaient pas honte de leur emprunter\ndes id\u00e9es. Ainsi, John introduisit une nouveaut\u00e9 dans le jeu,\nque les gardiennes de but adopt\u00e8rent et qui consistait \u00e0\nfrapper la bulle de la t\u00eate au lieu de la main. C'est un des\nvestiges du passage de John dans l'\u00cele de l'Imaginaire.\nApr\u00e8s le repas de midi, W endy insistait pour que l'on f\u00eet une\nsieste d'une demi-heure, m\u00eame si ce n'\u00e9tait qu'un repas feint.\nLes gar\u00e7ons s'\u00e9tendaient, leur corps brillant sous le soleil,tandis que W endy, assise, les surveillait d'un air plein de son\nimportance.\nPar un de ces beaux jours d'\u00e9t\u00e9, tous se trouvaient donc sur\nl'\u00eelot des Abandonn\u00e9s. Ce rocher n'\u00e9tait gu\u00e8re plus large que\nleur lit, mais ils savaient ne pas prendre trop de place. Les\ngar\u00e7ons sommeillaient, ou feignaient de sommeiller et se\npin\u00e7aient d\u00e8s que W endy tournait la t\u00eate. Car elle \u00e9tait tr\u00e8s\noccup\u00e9e \u00e0 coudre.\nSoudain, un changement survint dans la lagune. De petits\nfrissons coururent \u00e0 la surface de la mer , le soleil s'obscurcit,\ndes ombres pass\u00e8rent sur l'eau qu'elles refroidirent. W endy,\nincapable de distinguer les points de son ouvrage, leva les\nyeux : la lagune, d'ordinaire si riante, avait pris un aspect\nhostile, inqui\u00e9tant.\nCe n'\u00e9tait pas la nuit, mais quelque chose d'aussi sombre que\nla nuit qui \u00e9tait venu. Non, pis que cela : ce quelque chose\nn'\u00e9tait pas encore l\u00e0, mais avait envoy\u00e9 sur la mer un frisson\navant-coureur pour annoncer sa venue. Qu'\u00e9tait-ce donc ?\nAlors afflu\u00e8rent \u00e0 la m\u00e9moire de W endy toutes les histoires\nqu'on lui avait cont\u00e9es au sujet de l'\u00eelot des Abandonn\u00e9s, ainsi\nnomm\u00e9 parce que de m\u00e9chants capitaines y abandonnaient des\nmarins promis \u00e0 un prompt naufrage. En effet, la mar\u00e9e\nmontante ne tardait pas \u00e0 submerger totalement le rocher et\nles noyait.\nCertes, W endy aurait d\u00fb r\u00e9veiller les enfants, non seulement \u00e0\ncause de cette chose inconnue qui venait vers eux, mais parce\nqu'il est malsain de dormir sur de la pierre froide. Mais\nWendy,\u00e9tant une jeune maman, ignorait ce d\u00e9tail et croyait\nbien faire en s'en tenant strictement \u00e0 la r\u00e8gle de la sieste\nd'une demi-heure apr\u00e8s le repas.\nAussi, bien que transie de peur et souhaitant ardemment ou\u00efr\nune voix virile, s'interdit-elle jusqu'au bout de les r\u00e9veiller ,\nm\u00eame au moment o\u00f9 elle per\u00e7ut un battement sourd d'avirons\nemmitoufl\u00e9s et que son coeur se mit \u00e0 palpiter sauvagement.\nN'\u00e9tait-ce pas h\u00e9ro\u00efque de sa part ?\nPar bonheur pour eux tous, P eter \u00e9tait capable de sentir un\ndanger jusque dans son sommeil. Il se dressa d'un bond, l'oeil\nvif et bien ouvert, et d'un cri r\u00e9veilla ses compagnons. Puis il\ntendit l'oreille et s'\u00e9cria :\n\u2014 Les pirates !Les autres se serraient contre lui. Un \u00e9trange sourire jouait\nsur sa figure ; W endy s'en aper\u00e7ut et fr\u00e9mit. Lorsque P eter\nsouriait ainsi, personne n'osait plus lui adresser la parole. Il n'y\navait plus qu'\u00e0 ob\u00e9ir . L'ordre claqua s\u00e8chement :\n\u2014 Plongez !\nIl y eut comme un feu d'artifice de jambes nues, puis la lagune\nsembla totalement d\u00e9serte. Le rocher des Abandonn\u00e9s se\ndressait solitaire au milieu des eaux sombres, comme\nabandonn\u00e9 \u00e0 son tour .\nLa barque se rapprochait. C'\u00e9tait le canot des pirates, avec\ntrois personnes \u00e0 son bord, Smee et Starkey , et rien moins que\nLis Tigr\u00e9, prisonni\u00e8re. Ses mains et ses chevilles \u00e9taient\nligot\u00e9es, et elle n'ignorait pas le sort qui l'attendait. Elle allait\np\u00e9rir , abandonn\u00e9e sur le rocher , d'une mort plus terrible pour\nquelqu'un de sa race que la mort par le feu ou les tortures, car\nn'est-il pas \u00e9crit dans le Livre de la tribu : \u00ab Il n'est dans l'eau\naucun chemin qui m\u00e8ne aux terrains de chasse c\u00e9lestes. \u00bb\nN\u00e9anmoins, son visage ne refl\u00e9tait aucune \u00e9motion. Fille de\nchef, elle devait mourir en fille de chef , un point c'est tout.\nOn l'avait captur\u00e9e alors qu'elle montait sur le bateau pirate,\nun poignard entre les dents. Crochet ne laissait jamais de\nguetteur \u00e0 bord, car il se targuait de ce que son sinistre renom\nsuffisait pour tenir l'ennemi \u00e0 bonne distance. Et bient\u00f4t, le\ntriste destin de Lis Tigr\u00e9 irait encore accro\u00eetre ce renom ; et le\nvent se grossirait d'un g\u00e9missement de plus.\nPlong\u00e9s dans les t\u00e9n\u00e8bres qu'ils amenaient avec eux, les\npirates ne virent le rocher que lorsqu'ils faillirent s'\u00e9craser\ndessus.\n\u2014 Lofe, marin d'eau douce ! cria une voix irlandaise. Nous\nsommes arriv\u00e9s. Il ne reste plus qu'\u00e0 hisser cette P eau-Rouge\nsur le rocher et \u00e0 l'abandonner \u00e0 son sort.\nLa belle enfant fut d\u00e9barqu\u00e9e sans m\u00e9nagements, mais elle\n\u00e9tait trop fi\u00e8re pour opposer une vaine r\u00e9sistance. Derri\u00e8re le\nrocher , deux t\u00eates, celles de P eter et de W endy, apparaissaient\nde temps en temps hors de l'eau. W endy pleurait, c'\u00e9tait la\npremi\u00e8re fois qu'elle assistait \u00e0 une trag\u00e9die. P eter en avait vu\nbien d'autres et les avait toutes oubli\u00e9es. Il se souciait moins\nque W endy de la victime. Ce qui l'indignait et le d\u00e9cida \u00e0\nintervenir , c'\u00e9tait ce deux contre un !\nLe moyen le plus s\u00fbr e\u00fbt \u00e9t\u00e9 d'attendre le d\u00e9part des pirates,mais P eter n'\u00e9tait pas de ceux qui choisissent la facilit\u00e9. Et\ncomme il savait tout faire, ou presque, il se mit \u00e0 imiter la voix\nde Crochet :\n\u2013 Oh\u00e9 du canot, marins d'eau douce !\nL'imitation \u00e9tait parfaite.\n\u2013 Le capitaine ! firent les pirates en se regardant l'un l'autre\nd'un oeil \u00e9tonn\u00e9.\n\u2014 Il doit nager \u00e0 notre rencontre, dit Starkey apr\u00e8s avoir\nvainement scrut\u00e9 les alentours.\n\u2013 Nous sommes en train de d\u00e9barquer la P eau-Rouge sur le\nrocher ! cria Smee.\n\u2013 Rel\u00e2chez-la !\nLa r\u00e9ponse avait de quoi surprendre.\n\u2013 La rel\u00e2cher ?\n\u2013 Oui ! D\u00e9tachez-la et rendez-lui sa libert\u00e9.\n\u2013 Mais, capitaine...\n\u2013 Imm\u00e9diatement, vous m'entendez ! Ou je vous plonge mon\ncrochet dans le corps ! cria P eter.\n\u2013 Voil\u00e0 qui est \u00e9trange, souffla Smee.\n\u2014 Mieux vaut ob\u00e9ir aux ordres du capitaine, dit Starkey ,\nnerveux.\n\u2013 Bon, bon ! dit Smee.\nEt il trancha les cordes qui liaient Lis Tigr\u00e9. Celle-ci glissa\ncomme une anguille entre les jambes de Starkey et plongea.\nWendy se sentait d\u00e9bordante d'admiration pour P eter ; mais\nelle savait que lui-m\u00eame devait crever d'orgueil ; il allait tr\u00e8s\nprobablement pousser son cocorico triomphal, et se trahir lui-\nm\u00eame. Aussi voulut-elle lui mettre la main sur la bouche, mais\nson geste fut interrompu par un \u00ab Oh\u00e9 du bateau ! \u00bb qui\nr\u00e9sonna sur la lagune. C'\u00e9tait la voix de Crochet, mais la vraie,\ncette fois.Sur le point de chanter victoire, P eter ne put \u00e9mettre qu'un\nsifflement \u00e9tonn\u00e9.\n\u2013 Oh\u00e9 du bateau ! cria de nouveau la voix.\nWendy comprit aussit\u00f4t. Le vrai Crochet se trouvait lui aussi\ndans l'eau.\nIl nageait vers le canot, et ses hommes lui tendaient une\nlanterne pour le guider vers eux. \u00c0 la clart\u00e9 de cette lanterne,\nWendy vit le crochet du capitaine agripper le bord de\nl'embarcation ; elle vit sa vilaine face bistr\u00e9e, et lorsqu'il\n\u00e9mergea ruisselant d'eau, tremblante elle aurait voulu\ns'\u00e9loigner \u00e0 la nage, mais P eter refusait de bouger de l\u00e0. Il\nd\u00e9bordait de vie autant que de suffisance.\n\u2014 Ne suis-je pas merveilleux ? souffla-t-il.\nBien qu'elle partage\u00e2t cette opinion, elle se r\u00e9jouit que\npersonne d'autre qu'elle ne f\u00fbt l\u00e0 pour l'entendre.\nIl lui fit signe d'\u00e9couter en silence.\nLes deux pirates \u00e9taient curieux de savoir ce qui amenait le\ncapitaine, mais ce dernier demeurait prostr\u00e9 dans une attitude\nm\u00e9lancolique, la t\u00eate appuy\u00e9e sur son crochet.\n\u2013 Tout va bien, capitaine ? demand\u00e8rent-ils timidement. Un\nsourd g\u00e9missement leur r\u00e9pondit.\n\u2014 Il a soupir\u00e9, chuchota Smee.\n\u2013 Il soupire encore, fit Starkey .\n\u2013 Et il remet \u00e7a, dit Smee.\n\u2013 Qu'est-ce qui ne va pas, capitaine ?\nEnfin Crochet laissa \u00e9clater son d\u00e9sespoir .\n\u2014 Rien ne va plus ! s'\u00e9cria-t-il, les gar\u00e7ons ont trouv\u00e9 une\nmaman.\nSi effray\u00e9e qu'elle f\u00fbt, W endy se sentit gonfl\u00e9e de fiert\u00e9.\n\u2013 \u00d4 jour n\u00e9faste ! s'exclama ma\u00eetre Starkey .\n\u2013 Qu'est-ce que c'est qu'une maman ? demanda l'ignorantSmee.\nPuis elle songea que s'il avait \u00e9t\u00e9 possible d'avoir un chouchou\npirate, Smee e\u00fbt \u00e9t\u00e9 le sien. Mais P eter l'attira sous l'eau, car\nCrochet avait sursaut\u00e9 \u00e0 son cri.\n\u2013 Qu'est-ce que c'\u00e9tait ? demanda-t-il.\n\u2014 Je n'ai rien entendu, dit Starkey en \u00e9levant sa lanterne au-\ndessus de l'eau.\nLes pirates aper\u00e7urent alors une chose \u00e9trange. C'\u00e9tait le nid\ndont je vous ai d\u00e9j\u00e0 parl\u00e9, avec l'Oiseau Imaginaire assis\ndessus.\n\u2014 Regarde, dit Crochet \u00e0 Smee, voil\u00e0 une m\u00e8re. Quelle le\u00e7on !\nLe nid peut bien tomber \u00e0 l'eau, la m\u00e8re d\u00e9sertera-t-elle ses\noeufs pour autant ? Non !\nSa voix se brisa comme s'il se rem\u00e9morait soudain les jours\ninnocents o\u00f9... mais il chassa cette faiblesse d'un revers de\ncrochet.\nFortement impressionn\u00e9, Smee regardait l'oiseau s'\u00e9loigner ,\nmais Starkey , plus soup\u00e7onneux, dit alors :\n\u2014 S'ils ont trouv\u00e9 une maman, peut-\u00eatre est-elle venue pour\naider P eter ?\n\u2013 C'est pr\u00e9cis\u00e9ment ce que je crains, dit Crochet avec une\ngrimace.\nMais la voix impatiente de Smee le tira de son abattement.\n\u2013 Capitaine, disait Smee, et si nous kidnappions la m\u00e8re de ces\ngar\u00e7ons pour en faire notre m\u00e8re ?\n\u2014 Voil\u00e0 une id\u00e9e g\u00e9niale ! s'\u00e9cria Crochet dont le cerveau\npuissant con\u00e7ut aussit\u00f4t les moyens pratiques de la r\u00e9aliser .\nNous nous emparerons des enfants et les m\u00e8nerons \u00e0 bord. Les\ngar\u00e7ons se prom\u00e8neront sur la planche et W endy sera notre\nm\u00e8re.\nUne fois de plus, W endy s'oublia.\n\u2013 Jamais ! cria-t-elle, et elle replongea sous l'eau.\n\u2013 Qu'est-ce que c'\u00e9tait ?Mais les pirates ne voyaient rien et crurent que c'\u00e9tait une\nfeuille port\u00e9e par le vent.\n\u2013 Alors, c'est d'accord, mes agneaux ? demanda Crochet.\n\u2013 Topez l\u00e0, capitaine, dirent les deux hommes en tendant la\nmain.\n\u2014 Topez l\u00e0 et jurez ! dit Crochet en tendant sa griffe.\nTous trois pr\u00eat\u00e8rent serment. Soudain, Crochet se souvint de\nLis Tigr\u00e9.\n\u2013 O\u00f9 est la P eau-Rouge ? demanda-t-il.\nComme il aimait parfois \u00e0 plaisanter , Smee le croyant\nd'humeur badine r\u00e9pondit d'un ton satisfait :\n\u2013 C'est fait, capitaine, nous l'avons rel\u00e2ch\u00e9e.\n\u2013 Rel\u00e2ch\u00e9e ?\n\u2013 Conform\u00e9ment \u00e0 vos ordres, bredouilla la ma\u00eetre d'\u00e9quipage.\n\u2014 Vous nous avez cri\u00e9 de la lib\u00e9rer , confirma Starkey .\n\u2013 Scorbut et chol\u00e9ra ! N'essayez pas de me rouler ! tonna\nCrochet, noir de fureur .\nMais, voyant que les deux hommes \u00e9taient sinc\u00e8res, il \u00e9prouva\nun choc.\n\u2014 Les gars, dit-il d'une voix mal assur\u00e9e, je n'ai jamais donn\u00e9\nun tel ordre.\n\u2013 Extr\u00eamement louche, dit Smee qui se tr\u00e9moussait mal \u00e0\nl'aise.\nCrochet haussa la voix, mais elle tremblait un peu.\n\u2013 Esprit qui, cette nuit, hantes cette sombre lagune, cria-t-il,\nm'entends-tu ?\nNaturellement, P eter aurait d\u00fb se tenir tranquille ;\nnaturellement, il ne le fit pas et r\u00e9pondit aussit\u00f4t, en prenant\nla voix de Crochet :\n\u2014 Scorbut et chol\u00e9ra, je t'entends !Quoique moralement vert de peur , Crochet ne bl\u00eamit m\u00eame\npas, mais Starkey et Smee se cramponn\u00e8rent l'un \u00e0 l'autre de\nterreur .\n\u2013 Qui es-tu, \u00e9tranger ? P arle ! ordonna Crochet.\n\u2014 Je suis Jacques Crochet, le capitaine du Jolly Roger , r\u00e9pliqua\nla voix.\n\u2013 Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai ! r\u00e9pliqua Crochet d'une\nvoix enrou\u00e9e.\n\u2013 Mort de mes os ! r\u00e9torqua la voix. R\u00e9p\u00e8te-le encore une fois\net je te harponne !\nCrochet voulut recourir \u00e0 des mani\u00e8res plus patelines.\n\u2013 Si tu es Crochet, dit-il presque humblement, alors dis-moi,\nqui suis-je donc ?\n\u2013 Une morue ! r\u00e9pondit la voix. Rien d'autre qu'une morue !\n\u2013 Une morue ! r\u00e9p\u00e9ta Crochet, hagard.\nSa vaillance ne r\u00e9sista pas \u00e0 ce choc. En outre, ses hommes\nl'abandonnaient.\n\u2013 Ainsi, nous avons \u00e9t\u00e9 command\u00e9s si longtemps par une\nmorue ? grommel\u00e8rent-ils. C'est d\u00e9shonorant !\nSes propres chiens essayaient de le mordre, mais dans sa\ntragique solitude, il n'y prit pas garde. Contre une telle\n\u00e9vidence, ce n'\u00e9tait pas de leur confiance qu'il avait besoin\nmais de la sienne. Il sentait son moi lui \u00e9chapper : \u00ab Ne fais\npas \u00e7a, mon fr\u00e8re ! \u00bb implora-t-il.\nComme chez tous les grands pirates, il y avait dans son \u00e2me\nt\u00e9n\u00e9breuse cette pointe de sensibilit\u00e9 f\u00e9minine qui lui inspirait\nparfois d'heureuses intuitions. Et il eut soudain l'id\u00e9e d'essayer\nle jeu des devinettes.\n\u2013 Crochet, lan\u00e7a-t-il, as-tu une autre voix ?\nIncapable de r\u00e9sister \u00e0 la tentation, l'espi\u00e8gle P eter r\u00e9pondit\ngaiement de sa voix naturelle :\n\u2013 Oui, j'en ai une.\u2013 Et un autre nom ?\n\u2013 Oui! Oui!\n\u2013 Es-tu un v\u00e9g\u00e9tal ? demanda Crochet.\n\u2013 Non!\n\u2014 Un min\u00e9ral ?\n\u2013 Non!\n\u2013 Un homme ?\n\u2013 Oh, \u00e7a non, alors !\n\u2013 Un gar\u00e7on ?\n\u2013 Oui!\n\u2013 Un gar\u00e7on ordinaire ?\n\u2013 Un merveilleux gar\u00e7on ?\nAu grand d\u00e9sespoir de W endy, cette fois la r\u00e9ponse fut :\n\u2013 Oui!\n\u2014 Vis-tu en Angleterre ?\n\u2013 Non!\n\u2013 Ici?\n\u2013 Oui!\nCompl\u00e8tement d\u00e9concert\u00e9, Crochet s'\u00e9pongea le front et dit\naux autres :\n\u2013 \u00c0 vous de lui poser des questions.\nSmee r\u00e9fl\u00e9chit.\n\u2013 Je ne sais pas quoi demander , dit-il \u00e0 regret.\n\u2013 Vous ne devinerez pas ! V ous ne devinerez pas ! jubilait P eter.\nVous donnez votre langue au chat ?\nSon fol orgueil l'entra\u00eenait trop loin, et les gredins virentl'occasion d'en profiter .\n\u2013 Oui, oui, r\u00e9pondirent-ils.\n\u2014 Je suis P eter P an ! P an !\nEn un instant, Crochet fut redevenu lui-m\u00eame et Smee et\nStarkey ses fid\u00e8les acolytes.\n\u2013 Nous le tenons ! cria Crochet. \u00c0 l'eau, Smee ! Starkey , veille\nau bateau ! Prenez-le mort ou vif !\nIl bondissait de joie. Au m\u00eame instant, la voix joyeuse de P eter\nse fit entendre :\n\u2014 Vous \u00eates pr\u00eats, les gars ?\n\u2013 Oui ! Oui ! r\u00e9pondit-on de tous c\u00f4t\u00e9s de la lagune.\n\u2013 Alors, \u00e0 l'attaque ! Rentrez-leur dans le chou !\nLe combat fut bref mais \u00e2pre. Le premier \u00e0 r\u00e9pandre le sang,\nce fut John qui grimpa hardiment dans la barque et s'empoigna\navec Starkey . Apr\u00e8s une lutte sauvage, le coutelas fut arrach\u00e9\ndes mains du pirate qui passa par-dessus bord, suivi de John.\nEt le canot partit \u00e0 la d\u00e9rive.\n\u00c7\u00e0 et l\u00e0, une t\u00eate jaillissait hors de l'eau, une lame jetait son\n\u00e9clat acier . C'\u00e9taient alors des a\u00efe !, des youpi ! et, dans la\nconfusion, on s'en prenait parfois \u00e0 ses propres alli\u00e9s. Le tire-\nbouchon de Smee atteignit La Guigne \u00e0 la quatri\u00e8me c\u00f4te,\nmais l'Irlandais fut \u00e0 son tour transperc\u00e9 par Le Fris\u00e9. Un peu\nplus loin, Starkey serrait de pr\u00e8s La Plume et les Jumeaux.\nEt pendant ce temps-l\u00e0, P eter se demandait comment corser la\npartie.\nLa bande n'\u00e9tait compos\u00e9e que de gar\u00e7ons courageux, et l'on\nne saurait le bl\u00e2mer d'avoir recul\u00e9 devant le capitaine des\npirates. Sa griffe de fer d\u00e9crivait autour de lui un cercle\nd'\u00e9pouvante que tous fuyaient comme des poissons affol\u00e9s.\nUn seul parmi eux n'avait pas peur et se pr\u00e9parait \u00e0 entrer\ndans ce cercle.\nCurieusement, pourtant, la rencontre n'eut pas lieu dans l'eau.\nCrochet se hissa sur le rocher pour souffler un peu, au moment\nm\u00eame o\u00f9 P eter escaladait l'autre c\u00f4t\u00e9. Le rocher \u00e9tait plusglissant qu'un oeuf , et il fallait ramper plut\u00f4t que grimper .\nChacun ignorait que l'autre approchait et, cherchant une prise\no\u00f9 s'agripper , leurs bras se rencontr\u00e8rent. De surprise, tous\ndeux lev\u00e8rent la t\u00eate ; leurs visages se touchaient presque. Ils\n\u00e9taient nez \u00e0 nez.\nCertains h\u00e9ros, et non des moindres, ont reconnu qu'ils\n\u00e9prouvaient toujours un moment de trac avant de se mettre \u00e0\nl'ouvrage. Que P eter e\u00fbt ressenti une pareille faiblesse, c'e\u00fbt\n\u00e9t\u00e9 parfaitement excusable : apr\u00e8s tout, il avait devant lui le\nseul homme qu'ait jamais redout\u00e9 le Cuistot-des-Mers. Mais il\nn'en fut rien. P eter n'\u00e9prouvait que de la joie et il souriait de\ntoutes ses dents de lait. Prompt comme l'\u00e9clair , il saisit le\npoignard \u00e0 la ceinture de Crochet et allait le replanter \u00e0 sa\nplace quand il s'aper\u00e7ut que l'ennemi \u00e9tait plus bas que lui sur\nle rocher . Profiter de cet avantage n'e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9 de bonne\nguerre. P eter tendit donc la main au pirate pour l'aider \u00e0\nmonter .\nCe fut alors que Crochet le mordit.\nBien plus que la douleur elle-m\u00eame, ce proc\u00e9d\u00e9 d\u00e9loyal laissa\nPeter h\u00e9b\u00e9t\u00e9, compl\u00e8tement d\u00e9sarm\u00e9. Il contemplait\nl'adversaire avec des yeux horrifi\u00e9s. T ous les enfants \u00e9prouvent\ncette r\u00e9volte, la premi\u00e8re fois qu'on les prend par tra\u00eetrise.\nLorsqu'ils viennent vers vous pour vous appartenir , ce qu'ils\nattendent de vous, c'est que vous vous comportiez loyalement.\nSi vous trichez, ils vous aimeront encore, mais ne seront plus\njamais les m\u00eames. Aucun enfant ne gu\u00e9rit jamais de cette\npremi\u00e8re trahison. Aucun hormis P eter qui en faisait souvent\nl'exp\u00e9rience mais oubliait toujours. Je suppose que c'est cela\nqui le distinguait vraiment des autres.\nAussi, en ce moment, tout se passait comme s'il en \u00e9tait \u00e0 sa\npremi\u00e8re exp\u00e9rience : il restait l\u00e0, les yeux \u00e9carquill\u00e9s,\nincapable de se d\u00e9fendre. \u00c0 deux reprises, la main de fer le\ngriffa.\nEt peu apr\u00e8s, les gar\u00e7ons virent Crochet dans l'eau, nageant\nd\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment vers son bateau. Son affreux visage ne refl\u00e9tait\naucune joie, seulement la peur , une peur atroce, car le\ncrocodile le poursuivait avec acharnement. En temps\nordinaire, les gar\u00e7ons les auraient accompagn\u00e9s en prodiguant\ndes encouragements. Mais ils se sentaient vaguement inquiets\nde ne plus voir ni P eter ni W endy, et ils se mirent \u00e0 les\nchercher dans toute la lagune en criant leurs noms. Ilstrouv\u00e8rent le canot des pirates et s'y embarqu\u00e8rent pour\nregagner la rive sans cesser d'appeler P eter et W endy. Seul le\nrire moqueur des sir\u00e8nes leur r\u00e9pondit.\n\u00ab Ils ont d\u00fb repartir \u00e0 la nage ou en volant \u00bb, conclurent-ils. \u00c0\nvrai dire, ils avaient une telle confiance en P eter qu'ils ne\ns'inqui\u00e9taient pas outre mesure. Ils gloussaient comme des\npolissons \u00e0 l'id\u00e9e qu'ils seraient en retard pour le coucher .\nMais aussi, c'\u00e9tait la faute de maman W endy !\nLeurs cris s'\u00e9teignirent et le silence glac\u00e9 retomba sur la\nlagune. Soudain, un faible cri s'\u00e9leva:\n\u2013 Au secours ! Au secours !\nDeux petites formes battaient contre le rocher . La fillette \u00e9tait\n\u00e9vanouie, le gar\u00e7on la portait dans ses bras. Dans un sursaut\nde d\u00e9sespoir , Peter poussa W endy sur le rocher et s'allongea\npr\u00e8s d'elle. Pr\u00e8s de s'\u00e9vanouir \u00e0 son tour , il vit encore que la\nmar\u00e9e montait. Bient\u00f4t tous deux seraient noy\u00e9s. Mais il ne\npouvait rien faire de plus.\nComme ils \u00e9taient \u00e9tendus c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te, une sir\u00e8ne vint saisir\nWendy par le pied et la tira furtivement dans l'eau. P eter,\nsentant sa compagne glisser , se r\u00e9veilla en sursaut et n'eut que\nle temps de la ramener sur le rocher . Mais il fallait lui dire la\nv\u00e9rit\u00e9, \u00e0 pr\u00e9sent.\n\u2014 Nous sommes sur le rocher , Wendy, mais la place r\u00e9tr\u00e9cit.\nBient\u00f4t la mer l'aura enti\u00e8rement recouvert.\nElle ne comprit pas sur le coup.\n\u2013 Il faut rentrer , dit-elle joyeusement.\n\u2013 Oui, r\u00e9pondit-il, \u00e0 moiti\u00e9 d\u00e9faillant.\n\u2013 On nage ou on vole, P eter ?\nIl devait lui faire comprendre.\n\u2014 Te sens-tu capable de nager ou de voler jusqu'\u00e0 l'\u00cele, W endy\n? C'est loin, W endy.\nElle dut reconna\u00eetre qu'elle \u00e9tait trop fatigu\u00e9e.\nIl g\u00e9mit.\u2013 Qu'as-tu ? s'inqui\u00e9ta-t-elle aussit\u00f4t.\n\u2013 Je ne peux pas t'aider . Crochet m'a bless\u00e9. Je ne peux ni\nnager ni voler .\n\u2013 Nous allons \u00eatre noy\u00e9s tous les deux ?\n\u2013 Regarde comme l'eau monte.\nIls se mirent les mains sur les yeux pour ne plus voir le danger .\nAinsi, bient\u00f4t, ils ne seraient plus. Comme ils demeuraient\nassis immobiles, une chose plus l\u00e9g\u00e8re qu'un baiser effleura\nPeter, et se tint l\u00e0, comme pour demander timidement : \u00ab Puis-\nje vous \u00eatre utile ? \u00bb\nC'\u00e9tait la queue d'un cerf -volant que Michael avait\nconfectionn\u00e9 quelques jours plus t\u00f4t. Le jouet s'\u00e9tait \u00e9chapp\u00e9\nde ses mains et s'\u00e9tait \u00e9loign\u00e9 en planant.\n\u2014 Le cerf -volant de Michael, dit P eter d'un ton morne.\nMais l'instant d'apr\u00e8s, il saisit vivement la corde et se mit \u00e0\ntirer dessus.\n\u2013 Michael s'est envol\u00e9 avec ! s'\u00e9cria-t-il. P ourquoi pas toi ?\n\u2014 Tous les deux, P eter.\n\u2014 Non, le cerf -volant ne peut pas nous emporter tous les deux.\nMichael et Le Fris\u00e9 ont d\u00e9j\u00e0 essay\u00e9.\n\u2013 Alors tirons au sort ! dit bravement W endy.\n\u2014 Avec une femme ? Jamais !\nD\u00e9j\u00e0, il avait ceint la corde autour de la fillette. Elle s'accrocha\n\u00e0 lui, refusant de l'abandonner . Mais il la poussa hors du\nrocher .\n\u2013 Au revoir , Wendy !\nEn quelques minutes, elle disparut de sa vue et il se retrouva\nseul sur la lagune. La partie \u00e9merg\u00e9e du rocher rapetissait \u00e0\nvue d'oeil. Bient\u00f4t elle dispara\u00eetrait \u00e0 son tour . De p\u00e2les rayons\nde lumi\u00e8re l\u00e9chaient la surface des eaux. De temps \u00e0 autre\ns'\u00e9levait un son, le plus musical et m\u00e9lancolique du monde : les\nsir\u00e8nes pleuraient \u00e0 la lune.Peter n'\u00e9tait pas tout \u00e0 fait comme les autres gar\u00e7ons. Mais\nenfin il eut peur . Une crainte profonde le parcourut comme un\nfrisson court sur l'eau. Mais, sur la mer , un frisson succ\u00e8de \u00e0\nl'autre et des centaines d'autres le suivent. P eter, lui, ne sentit\nque le premier . L'instant d'apr\u00e8s, il se dressait \u00e0 nouveau sur la\npointe du rocher , avec ce fameux sourire sur son visage et un\ntambour battant dans sa poitrine. Et ce tambour disait : \u00ab\nMourir ! \u00c7a, c'est une aventure !\n9. L'Oiseau Imaginaire.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nUne \u00e0 une, les sir\u00e8nes se retir\u00e8rent dans leurs chambres sous\nla mer et P eter se retrouva compl\u00e8tement seul. Il \u00e9tait trop loin\npour entendre leurs portes se fermer ; en revanche, il\npercevait fort bien les sonnettes qui tintaient au seuil de ces\ngrottes de corail.\nInexorablement la mer montait et d\u00e9j\u00e0 lui l\u00e9chait les pieds. Il\nn'y avait plus qu'\u00e0 attendre d'\u00eatre englouti. P our passer le\ntemps, P eter s'absorba dans la contemplation du seul objet qui\nbouge\u00e2t sur la lagune. Il crut tout d'abord que c'\u00e9tait une\nfeuille de papier flottant sur les vagues, peut-\u00eatre m\u00eame un\nmorceau de cerf -volant, et se demanda oisivement combien il\nlui faudrait de temps pour \u00e9chouer au rivage.\nPuis il fut frapp\u00e9 par un fait bizarre : la chose en papier\nsemblait poursuivre un but bien d\u00e9fini \u00e0 travers la lagune, car\nelle luttait contre les vagues, souvent m\u00eame avec succ\u00e8s.\nChaque fois qu'elle remportait la victoire, P eter, toujours\npartisan du plus faible, applaudissait tr\u00e8s fort ce vaillant\nmorceau de papier ...\n... Lequel n'\u00e9tait autre que l'Oiseau Imaginaire, assis sur son\nnid et s'effor\u00e7ant opini\u00e2trement de rejoindre P eter. En ramant\nde l'aile (comme il avait appris \u00e0 le faire depuis que le nid \u00e9tait\ntomb\u00e9 \u00e0 l'eau), il \u00e9tait en partie capable de diriger son \u00e9trange\nembarcation mais, au moment o\u00f9 P eter le reconnut, il lui parut\n\u00e9puis\u00e9. Il venait l\u00e0 dans le but de sauver le gar\u00e7on et lui offrir\nson nid o\u00f9 pourtant se trouvaient encore les oeufs. En v\u00e9rit\u00e9,\nje trouve cette m\u00e8re oiseau \u00e9tonnante, car si P eter l'avait\nnagu\u00e8re trait\u00e9e g\u00e9n\u00e9reusement, depuis il ne s'\u00e9tait pas priv\u00e9\nde la tourmenter . Mais sans doute, comme Mme Darling et\ntoutes les autres, elle s'attendrissait sur lui \u00e0 cause de ses\npremi\u00e8res dents.De loin, elle lui cria bien fort ce qu'elle avait l'intention de\nfaire, et P eter s'\u00e9poumona \u00e0 lui demander ce qu'elle faisait l\u00e0.\nDe toute \u00e9vidence, ni l'un ni l'autre ne se comprenait. Dans\ncertains contes pleins d'extravagance, les gens parlent\ncouramment le langage des oiseaux ; comme j'aimerais me\ntrouver en ce moment dans ce genre d'histoires et pr\u00e9tendre\nque P eter conversa fort intelligemment avec l'Oiseau\nImaginaire ; mais je dois respecter la v\u00e9rit\u00e9 et m'en tenir aux\nfaits. Eh bien, non seulement ils ne se comprirent pas mais ils\nen oubli\u00e8rent les bonnes mani\u00e8res.\n\u2013 Je - t'am\u00e8ne -mon- nid-, articula l'Oiseau aussi lentement que\npossible, pour-que-tu-puisses-regagner-la -terre-mais-je-suis-\ntrop-fatigu\u00e9e-pour-venir-essaie-de-nager-vers-moi.\n\u2013 Qu'est-ce que tu couines ? r\u00e9pondit P eter. Pourquoi ne\nlaisses-tu pas d\u00e9river ton nid comme d'habitude ?\n\u2013 Je t'am\u00e8ne - et cetera... r\u00e9p\u00e9ta l'Oiseau depuis le d\u00e9but. P eter\nessaya de parler lentement et distinctement.\n\u2013 Qu'est-ce - que -tu - couines-, et cetera...\nL'Oiseau commen\u00e7a \u00e0 s'impatienter . Les oiseaux sont tr\u00e8s\nsoupe au lait.\n\u2013 Pourquoi ne fais-tu pas ce que je te dis, hibou \u00e0 t\u00eate de\nlinotte ?\nDevinant que la m\u00e8re oiseau lui lan\u00e7ait des injures, P eter\nr\u00e9torqua \u00e0 tout hasard :\n\u2013 Toi-m\u00eame !\nEt curieusement, tous deux se renvoy\u00e8rent la m\u00eame r\u00e9plique :\n\u2013 Boucle-la !\n\u2013 Boucle-la !\nN\u00e9anmoins l'Oiseau \u00e9tait toujours r\u00e9solu \u00e0 sauver le gar\u00e7on et,\ndans un dernier effort, il poussa son nid contre le rocher puis\ns'envola, pour mieux lui faire comprendre son dessein.\nPeter comprit enfin, saisit le nid et agita la main pour\nremercier la m\u00e8re oiseau qui planait au-dessus de lui.\nEn fait, ce n'\u00e9taient pas les remerciements qui l'int\u00e9ressaient,ni de voir comment P eter s'y prendrait pour entrer l\u00e0-dedans.\nNon, si elle s'attardait l\u00e0-haut, c'\u00e9tait afin de conna\u00eetre le sort\nqu'il allait r\u00e9server \u00e0 ses oeufs.\nC'\u00e9taient deux gros oeufs blancs. P eter les prit dans ses mains\net r\u00e9fl\u00e9chit. La m\u00e8re se cacha la t\u00eate entre les ailes pour ne\npas assister au d\u00e9sastre, mais elle ne put s'emp\u00eacher de jeter\nun petit coup d'oeil.\nJ'ai d\u00fb oublier de vous dire qu'un piquet se dressait sur le\nrocher , plant\u00e9 l\u00e0 jadis par des boucaniers pour rep\u00e9rer\nl'emplacement d'un tr\u00e9sor enterr\u00e9. Les enfants avaient\nd\u00e9couvert le scintillant magot et, lorsqu'ils \u00e9taient en veine\nd'espi\u00e8glerie, ils jetaient des poign\u00e9es de pi\u00e8ces d'or , de\ndiamants, de perles et de pi\u00e8ces de huit aux mouettes qui\nplongeaient dessus, croyant que c'\u00e9tait de la nourriture, puis\nrepartaient furieuses de s'\u00eatre laiss\u00e9es duper . Le piquet \u00e9tait\ntoujours l\u00e0, et Starkey y avait oubli\u00e9 tout \u00e0 l'heure son\nchapeau, un profond couvre-chef en toile goudronn\u00e9e\nimperm\u00e9able, \u00e0 large bord. P eter mit les oeufs dans le chapeau\nqu'il d\u00e9posa sur l'eau. Il flottait \u00e0 merveille.\nL'Oiseau Imaginaire cria \u00e0 P eter son admiration pour cette\ning\u00e9nieuse trouvaille, mais P eter s'\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 f\u00e9licit\u00e9. Il\ns'installa dans le nid, y planta le piquet auquel il attacha sa\nchemise en guise de voile. Au m\u00eame instant, la m\u00e8re oiseau\ndescendit sur le chapeau et se remit \u00e0 couver ses oeufs. Les\nflots les emport\u00e8rent chacun de leur c\u00f4t\u00e9 tandis qu'ils se\nsouhaitaient bon voyage.\nLorsque P eter aborda au rivage, il choisit pour \u00e9chouer son\nembarcation un endroit o\u00f9 l'Oiseau la retrouverait facilement.\nMais le chapeau connut un tel succ\u00e8s que la m\u00e8re oiseau\nrenon\u00e7a \u00e0 son nid. Et souvent, Starkey venait sur le bord de la\nlagune, et contemplait avec amertume la m\u00e8re oiseau assise\nsur son chapeau. Comme nous ne la verrons plus, il est\nint\u00e9ressant de signaler qu'actuellement, tous les Oiseaux de\nl'\u00cele construisent leur nid en forme de chapeau, avec un large\nrebord o\u00f9 les petits viennent prendre le frais.\nGrandes furent les r\u00e9jouissances lorsque P eter arriva \u00e0 la\nmaison souterraine, presque en m\u00eame temps que W endy, que\nle cerf -volant avait promen\u00e9e de-ci de-l\u00e0. Chacun avait des\naventures \u00e0 raconter , mais la plus extraordinaires de toutes fut\nsans doute que l'heure du coucher \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 pass\u00e9e depuis\nlongtemps. Cela les flattait tellement qu'ils inventaient toutes\nsortes de ruses, comme de r\u00e9clamer des pansements, pourgagner encore un moment. Mais W endy, quoique fi\u00e8re d'avoir\ntout son petit monde sain et sauf \u00e0 la maison, s'indignait de\nl'heure tardive et criait : \u00ab Au lit ! Au lit ! \u00bb d'un ton qui\nn'admettait pas la d\u00e9sob\u00e9issance. Le lendemain, toutefois, elle\nse montra des plus tendres, et distribua des pansements \u00e0\nchacun ; et jusqu'\u00e0 l'heure du coucher , ils s'amus\u00e8rent \u00e0 boiter\net \u00e0 porter le bras en \u00e9charpe.\n10. Un foyer heureux.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nL'escarmouche sur la lagune eut un effet important : \u00e0 dater de\nce jour , les P eaux -rouges firent la paix avec les enfants. P eter\navait sauv\u00e9 Lis Tigr\u00e9 d'une mort affreuse, elle et les siens\nauraient fait n'importe quoi pour lui, d\u00e9sormais. La nuit, ils\nmontaient la garde pr\u00e8s de la maison souterraine, pr\u00eats \u00e0\nr\u00e9pondre \u00e0 l'attaque que les pirates ne manqueraient pas de\nlivrer t\u00f4t ou tard. M\u00eame pendant le jour , ils r\u00f4daient dans les\nparages, fumant le calumet de la paix, avec un air d'attendre\ndes sucreries.Ils avaient baptis\u00e9 P eter P an le Grand P \u00e8re Blanc\net se prosternaient devant lui. Il y prenait un tel go\u00fbt que cela\nn'am\u00e9liorait gu\u00e8re son caract\u00e8re.\n\u2013 Le Grand P \u00e8re Blanc, disait-il d'un ton plein de morgue aux\nbraves vautr\u00e9s \u00e0 ses pieds, le Grand-P \u00e8re Blanc est heureux de\nvoir que les Piccaninny prot\u00e8gent son wigwam des pirates.\n\u2013 Moi, Lis Tigr\u00e9, r\u00e9pondait cette charmante cr\u00e9ature, P eter P an\nsauver moi, moi tr\u00e8s amie pour lui. Moi pas laisser pirates\nblesser lui.\nElle \u00e9tait bien trop jolie pour qu'on lui perm\u00eet de ramper de la\nsorte, mais P eter P an consid\u00e9rait cela comme son d\u00fb et\nr\u00e9pondait avec condescendance :\n\u2013 C'est bon. P eter P an a parl\u00e9.\nDans son esprit, \u00ab P eter P an a parl\u00e9 \u00bb signifiait qu'\u00e0 pr\u00e9sent ils\ndevaient se taire, et c'est bien ainsi qu'ils le prenaient. Mais\nles Peaux -rouges avaient beaucoup moins d'\u00e9gards pour le\nreste de la bande qu'ils traitaient comme de simples braves. Ils\nleur disaient : \u00ab Comment va ? \u00bb et d'autres impertinences de\nce genre. Mais ce qui vexait le plus les gar\u00e7ons, c'est que P eter\navait l'air de trouver cela tr\u00e8s normal.Dans son for int\u00e9rieur , Wendy les plaignait un peu, mais en\nfid\u00e8le gardienne du foyer , elle ne pouvait pr\u00eater l'oreille \u00e0 une\nquelconque r\u00e9crimination contre le p\u00e8re. \u00ab P apa sait mieux \u00bb,\navait-elle l'habitude de dire, quoi qu'elle en pens\u00e2t par-devers\nsoi. Et ce qu'elle en pensait par-devers soi, c'\u00e9tait que les\nPeaux -Rouges n'auraient pas d\u00fb la traiter de squaw .\nEnfin voici venu le soir qui devait rester dans les annales de\nl'\u00cele sous le nom de la Nuit des Nuits, en raison des\n\u00e9v\u00e9nements qui survinrent et de leurs cons\u00e9quences. Le jour\ns'\u00e9tait d\u00e9roul\u00e9 sans incident, comme s'il avait voulu reprendre\ndes forces, et maintenant les P eaux -Rouges, emmitoufl\u00e9s dans\nleurs couvertures, se tenaient en haut \u00e0 leur poste, tandis\nqu'en bas, les enfants prenaient leur repas du soir . Seul P eter\n\u00e9tait sorti chercher l'heure. Sur l'\u00cele, il n'y avait pas d'autre\nmoyen de conna\u00eetre l'heure que de trouver le crocodile et\nd'attendre \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s jusqu'\u00e0 ce que le r\u00e9veil sonn\u00e2t.\nComme c'\u00e9tait un th\u00e9 pour rire, ce soir-l\u00e0, les enfants assis\nautour de la table n'avaient que leur app\u00e9tit \u00e0 se mettre sous\nla dent. Entre les bavardages et les plaintes, ils faisaient un\nvacarme assourdissant, comme le remarquait W endy. Le\ntapage en lui-m\u00eame ne la g\u00eanait pas, mais elle n'aimait pas les\nvoir se jeter sur les aliments, puis pr\u00e9texter que La Guigne\nleur avait pouss\u00e9 le coude. Selon le r\u00e8glement en vigueur , il\n\u00e9tait interdit de rendre les coups \u00e0 table ; il fallait exposer \u00e0\nWendy le motif de la querelle, en levant poliment le doigt et en\ndisant :\n\u2014 J'ai \u00e0 me plaindre d'Un tel...\nMais soit ils oubliaient de le faire, soit ils le faisaient trop\nsouvent.\n\u2013 Silence ! cria W endy apr\u00e8s leur avoir rappel\u00e9 pour la\nvingti\u00e8me fois qu'ils ne devaient pas parler tous ensemble. La\nPlume, mon chou, ta gourde est vide ?\n\u2013 Pas tout \u00e0 fait, maman, r\u00e9pondit La Plume en regardant \u00e0\nl'int\u00e9rieur d'une tasse imaginaire.\n\u2013 Il n'a m\u00eame pas commenc\u00e9 \u00e0 boire son lait ! intervint Bon\nZigue.\n\u00c7a, c'\u00e9tait du rapportage, et La Plume sauta sur l'occasion.\n\u2013 J'ai \u00e0 me plaindre de Zigue ! s'\u00e9cria-t-il.Mais John avait lev\u00e9 la main avant lui.\n\u2014 Eh bien, John ?\n\u2014 Puis-je m'asseoir sur la chaise de P eter quand il n'est pas l\u00e0\n?\n\u2013 Sur la chaise de p\u00e8re, John ! Certainement pas ! fit W endy,\nindign\u00e9e.\n\u2013 Il n'est pas vraiment notre p\u00e8re, argumenta John. Il n'aurait\nm\u00eame pas su faire le p\u00e8re, si je ne lui avais pas montr\u00e9\ncomment.\n\u00c7a, c'\u00e9tait de la rousp\u00e9tance.\n\u2014 Nous avons \u00e0 nous plaindre de John ! s'\u00e9cri\u00e8rent les\nJumeaux.\nLa Guigne leva la main. C'\u00e9tait le plus docile de tous, ou plut\u00f4t\nle seul \u00e0 l'\u00eatre. Aussi W endy le traitait-elle plus gentiment que\nles autres.\n\u2013 Je ne crois pas que je ferais un bon p\u00e8re, dit La Guigne d'un\nton h\u00e9sitant.\n\u2014 Non, La Guigne.\nPuisque je ne peux pas \u00eatre le p\u00e8re, dit-il avec embarras,\nMichael, est-ce que tu me laisserais \u00eatre le b\u00e9b\u00e9 ?\n\u2014 Non ! fit brutalement Michael du haut de son panier .\n\u2013 Si je ne peux \u00eatre un b\u00e9b\u00e9, poursuivit La Guigne, de plus en\nplus accabl\u00e9, croyez-vous que je puisse \u00eatre un jumeau ?\n\u2013 Surtout pas, r\u00e9pliqu\u00e8rent les Jumeaux. C'est tr\u00e8s difficile\nd'\u00eatre un jumeau.\n\u2013 Si je ne peux \u00eatre rien d'important, dit La Guigne, y en a-t-il\nun parmi vous qui aimerait me voir faire une bonne blague ?\n\u2013 Non ! s'\u00e9cria-t-on en choeur .\nLa Guigne avait termin\u00e9.\n\u2013 Je n'avais pas grand espoir , de toute fa\u00e7on, dit-il piteusement.\nLes d\u00e9nonciations reprirent de plus belle.\u2014 La Plume a crach\u00e9 sur la table en toussant !\n\u2014 Les Jumeaux ont pris d'abord des noix de coco !\n\u2013 Le Fris\u00e9 s'est servi de deux plats \u00e0 la fois !\n\u2013 Zigue parle la bouche pleine !\n\u2013 J'ai \u00e0 me plaindre des Jumeaux !\n\u2013 J'ai \u00e0 me plaindre du Fris\u00e9.\n\u2013 J'ai \u00e0 me plaindre de Zigue !\n\u2013 Hol\u00e0 ! hol\u00e0 ! gronda W endy. Les enfants vous donnent\nsouvent plus de souci qu'ils n'en valent la peine !\nElle leur ordonna de d\u00e9barrasser la table et s'installa pr\u00e8s de\nsa corbeille de raccommodage : un gros tas de chaussettes\navec des trous \u00e0 chaque talon, comme d'habitude !\n\u2014 Wendy, protesta Michael, je suis trop grand pour dormir\ndans un berceau.\n\u2014 Il faut que j'aie quelqu'un dans le berceau, r\u00e9pondit-elle\nd'un ton tranchant. Et tu es le plus petit. C'est une si jolie\nchose qu'un berceau dans une maison.\nTandis qu'elle cousait, les enfants jouaient autour d'elle ; quel\ntouchant tableau que ces visages heureux, ces petits bras\ns'agitant, \u00e9clair\u00e9s par un feu romantique ! C'\u00e9tait devenu une\nsc\u00e8ne famili\u00e8re dans la maison souterraine, mais nous la\ncontemplons pour la derni\u00e8re fois.\nL\u00e0-haut, un pas r\u00e9sonna, que W endy reconnut la premi\u00e8re.\n\u2014 Les enfants, j'entends papa. Il aime que vous alliez\nl'accueillir \u00e0 la porte.\nL\u00e0-haut, les P eaux -Rouges s'accroupissaient devant P eter.\n\u2013 Ouvrez l'oeil, mes braves ! J'ai dit !\nLors, comme tant d'autres fois, les joyeux enfants tir\u00e8rent leur\np\u00e8re hors de son tronc d'arbre. Comme tant d'autres fois, mais\npour la derni\u00e8re fois !\nIl ramenait des noisettes pour les gar\u00e7ons, ainsi que l'heureexacte pour W endy.\n\u2013 Peter, tu les g\u00e2tes, minauda W endy.\n\u2014 Eh oui, ma vieille, r\u00e9pondit P eter en suspendant son fusil au\nmur.\n\u2013 C'est moi qui lui ai dit qu'on appelle les mamans \u00ab ma vieille\n\u00bb, souffla Michael au Fris\u00e9.\n\u2013 J'ai \u00e0 me plaindre de Michael, dit aussit\u00f4t Le Fris\u00e9. Le\npremier Jumeau s'approcha de P eter.\n\u2013 Papa, on aimerait bien danser .\n\u2013 Eh bien, on va danser , mon petit bonhomme, r\u00e9pondit P eter,\nd'excellente humeur .\n\u2013 Mais on voudrait que tu danses aussi.\nPeter \u00e9tait de loin le meilleur danseur de la troupe, mais il\nfeignit de s'indigner .\n\u2013 Moi ? A vec mes vieux os qui craquent !\n\u2013 Et maman aussi doit danser !\n\u2013 Quoi ! la m\u00e8re d'une telle nich\u00e9e, danser !\n\u2014 Un samedi soir ..., insinua La Plume.\nCe n'\u00e9tait pas r\u00e9ellement samedi soir , ou peut-\u00eatre l'\u00e9tait-ce\napr\u00e8s tout, car il y avait belle lurette qu'ils ne comptaient plus\nles jours. De toute fa\u00e7on, lorsqu'ils d\u00e9siraient faire quelque\nchose d'un peu exceptionnel, ils pr\u00e9tendaient qu'on \u00e9tait\nsamedi soir et se faisaient plaisir .\n\u2013 C'est vrai, c'est samedi soir , dit W endy en se laissant fl\u00e9chir .\n\u2013 Des gens de notre monde, W endy !\n\u2014 Nous sommes entre nous et les enfants !\n\u2014 Mais oui ! Mais oui !\nLa permission de danser fut accord\u00e9e, mais \u00e0 condition que\nl'on se m\u00eet auparavant en chemise de nuit.\u2014 Ah ! ma vieille, dit P eter en apart\u00e9 \u00e0 W endy tandis qu'il se\nchauffait pr\u00e8s du feu et la regardait s'absorber dans sa\ncouture, quoi de plus agr\u00e9able, apr\u00e8s une dure journ\u00e9e de\nlabeur , que de se reposer au coin de l'\u00e2tre, toi et moi, avec tous\nces ch\u00e9rubins autour de nous.\n\u2013 C'est un doux moment, n'est-ce pas, P eter ? approuva W endy,\nextr\u00eamement flatt\u00e9e. P eter, il me semble que Le Fris\u00e9 a ton\nnez.\n\u2013 Et Michael te ressemble.\nElle vint poser la main sur son \u00e9paule.\n\u2013 Peter ch\u00e9ri, dit-elle, avec une famille si nombreuse, bien s\u00fbr ,\nje ne suis plus ce que j'\u00e9tais, mais tu ne m'\u00e9changerais pas\ncontre une autre, n'est-ce pas ?\n\u2013 Non, W endy.\nAssur\u00e9ment, il ne souhaitait pas l'\u00e9changer , toutefois il la\nregardait avec un certain embarras, clignant des yeux comme\nquelqu'un qui ne sait trop s'il dort ou s'il est \u00e9veill\u00e9.\n\u2013 Qu'y a-t-il, P eter ?\n\u2013 Je r\u00e9fl\u00e9chissais, dit-il, un peu effray\u00e9. Ce n'est que pour faire\nsemblant que je suis p\u00e8re, n'est-ce pas ?\n\u2013 Oh ! certes ! fit W endy d'un air guind\u00e9.\n\u2014 Tu comprends, reprit-il sur un ton d'excuse, cela me\nvieillirait tellement d'\u00eatre leur vrai p\u00e8re.\n\u2013 Mais ce sont nos enfants, les tiens et les miens !\n\u2013 Vraiment, W endy ? demanda-t-il avec inqui\u00e9tude.\n\u2013 Non, si tu ne le souhaites pas, r\u00e9pondit-elle.\nElle l'entendit qui poussait un soupir de soulagement.\n\u2013 Peter, demanda-t-elle en s'effor\u00e7ant de parler avec assurance,\nquels sont exactement tes sentiments pour moi ?\n\u2013 Ceux d'un fils d\u00e9vou\u00e9, W endy.\n\u2013 C'est bien ce que je pensais.Et W endy alla s'asseoir toute seule \u00e0 l'autre extr\u00e9mit\u00e9 de la\nchambre.\n\u2013 Tu es vraiment bizarre, dit-il, tout \u00e0 fait abasourdi. Et Lis\nTigr\u00e9 est comme toi. Elle dit qu'elle veut \u00eatre pour moi autre\nchose qu'une m\u00e8re.\n\u2014 \u00c9videmment ! dit W endy avec un accent redoutable dans la\nvoix.\nEt maintenant, nous savons pourquoi elle \u00e9tait mont\u00e9e contre\nles Peaux -Rouges.\n\u2013 Mais alors, que veut-elle ?\n\u2013 Il ne sied pas \u00e0 une dame de le dire.\n\u2013 Oh ! tr\u00e8s bien, fit P eter l\u00e9g\u00e8rement piqu\u00e9. P eut-\u00eatre la f\u00e9e\nClochette me le dira-t-elle.\n\u2013 C'est cela, cette petite d\u00e9vergond\u00e9e te le dira, r\u00e9pondit\nWendy avec m\u00e9pris.\nClo qui, du haut de son boudoir , \u00e9coutait d'une oreille\nindiscr\u00e8te, glapit alors une insolence.\n\u2013 Elle dit qu'elle est fi\u00e8re d'\u00eatre une d\u00e9vergond\u00e9e, traduisit\nPeter.\nSoudain, une id\u00e9e lui traversa l'esprit.\n\u2013 Peut-\u00eatre Clo veut-elle \u00eatre ma m\u00e8re ?\n\u2013 Esp\u00e8ce d'imb\u00e9cile ! lan\u00e7a Clochette, furieuse.\nElle l'avait dit si souvent que W endy n'avait plus besoin d'une\ntraduction.\n\u2013 Je suis presque d'accord avec elle, fit-elle d'un ton hargneux.\nImaginez cela : W endy hargneuse ! Mais cette conversation\nl'avait vraiment \u00e9prouv\u00e9e, et elle ne se doutait gu\u00e8re de ce qui\nallait arriver d'ici la fin de la nuit. Si elle l'avait su, elle se\nserait retenue.\nMais personne ne se doutait de rien. Au fond, cela valait\nmieux. Leur ignorance leur permettait de jouir encore d'une\nheure de bonheur . Et comme cette heure devait \u00eatre leurderni\u00e8re heure dans l'\u00cele, r\u00e9jouissons-nous de ce qu'elle se\ncomposait de soixante minutes. Ils se mirent \u00e0 danser et\nchanter en chemises de nuit. La chanson leur donnait une si\nd\u00e9licieuse chair de poule car , d'apr\u00e8s les paroles, ils devaient\nfaire semblant d'avoir peur de leur ombre. Comme ils se\ndoutaient peu que bient\u00f4t d'autres ombres allaient se refermer\nsur eux, qui les feraient hurler de frayeur ! Comme ils\ndansaient avec une joyeuse fr\u00e9n\u00e9sie, se tamponnant tant\u00f4t sur\nle lit, tant\u00f4t dessous ! Cela tenait davantage de la bataille de\npolochons que de la danse, et lorsqu'elle fut termin\u00e9e, les\noreillers eux -m\u00eames r\u00e9clam\u00e8rent un bis, comme des\npartenaires qui savent qu'ils ne se reverront jamais plus. Et\nles histoires qu'ils se racont\u00e8rent avant que W endy ne raconte\nla sienne, celle pour vous souhaiter bonne nuit ! La Plume lui-\nm\u00eame essaya d'en conter une, mais le d\u00e9but \u00e9tait si\nterriblement ennuyeux que le narrateur en fut tout constern\u00e9.\n\u2013 Oui, dit-il avec m\u00e9lancolie, je reconnais que le d\u00e9but est\nrasoir . Supposons que c'est la fin:\nEnfin, tous se mirent au lit pour entendre l'histoire de W endy,\nleur histoire favorite, celle que P eter d\u00e9testait. Ordinairement,\nlorsque W endy la racontait, il quittait la pi\u00e8ce d\u00e8s le d\u00e9but ou\nse bouchait les oreilles. Il est possible que, s'il e\u00fbt fait l'un ou\nl'autre ce soir-l\u00e0, tous seraient encore dans l'\u00cele. Mais ce soir-\nl\u00e0, il resta sur son tabouret, et nous allons voir ce qui arriva.\n11. L'histoire de W endy.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\n\u2014 Eh bien, \u00e9coutez, commen\u00e7a W endy, avec Michael \u00e0 ses\npieds et les sept autres gar\u00e7ons dans le lit. Il \u00e9tait une fois un\nmonsieur ...\n\u2014 J'aurais pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 une dame, dit Le Fris\u00e9.\n\u2013 Et moi un rat blanc, dit Bon Zigue.\n\u2013 Silence ! reprit leur m\u00e8re. Il y avait aussi une dame, et...\n\u2013 Oh maman, s'exclama le premier Jumeau, tu veux dire qu'il y\na aussi une dame. Elle n'est pas morte, n'est-ce pas ?\n\u2013 Bien s\u00fbr que non !\u2013 Je suis bien content qu'elle ne soit pas morte, dit La Guigne.\nEt toi, John ?\n\u2013 S\u00fbrement ?\n\u2013 Et toi, Zigue ?\n\u2014 Plut\u00f4t !\n\u2014 Et vous, les Jumeaux ?\nRudement contents !\n\u2013 Oh mon Dieu ! mon Dieu ! soupira W endy.\n\u2013 Un peu moins de bruit ! r\u00e9clama P eter qui tenait \u00e0 ce qu'on\nrespect\u00e2t les r\u00e8gles, m\u00eame s'il trouvait, quant \u00e0 lui, cette\nhistoire parfaitement idiote.\n\u2013 Le monsieur , reprit W endy, s'appelait M. Darling, et la dame,\nMme Darling.\n\u2013 Je les ai connus ! dit John pour emb\u00eater les autres.\n\u2013 Moi aussi, je crois, dit Michael, plus h\u00e9sitant.\n\u2013 Ils \u00e9taient mari\u00e9s, poursuivit W endy. Et que croyez-vous\nqu'ils avaient ?\n\u2013 Des rats blancs ! s'\u00e9cria Zigue, inspir\u00e9. Non!\n\u2013 Je suis compl\u00e8tement perdu, dit La Guigne qui connaissait\nl'histoire par coeur .\n\u2013 Chut, La Guigne. Ils avaient trois descendants.\n\u2013 Qu'est-ce que c'est ?\n\u2013 Tu en es un, Jumeau.\n\u2013 Tu entends \u00e7a, John ? Je suis un descendant !\n\u2013 Ce sont des enfants, tout simplement, dit John.\n\u2014 Allez-vous me laisser continuer , \u00e0 la fin ? soupira W endy.\nDonc, ces trois enfants avaient une fid\u00e8le bonne, Nana. Mais\nun jour , M. Darling se f\u00e2cha contre elle et l'encha\u00eena dans la\ncour. C'est ainsi que les enfants s'envol\u00e8rent loin de leurmaison.\n\u2013 C'est une histoire passionnante, fit Zigue.\n\u2014 Ils s'envol\u00e8rent au pays de l'Imaginaire, o\u00f9 sont les enfants\nperdus.\n\u2013 J'en \u00e9tais s\u00fbr ! interrompit le Fris\u00e9, tout excit\u00e9.\n\u2013 Wendy ! s'\u00e9cria La Guigne, est-ce qu'un des enfants perdus\ns'appelait La Guigne ?\n\u2013 C'est exact.\n\u2013 Je suis dans l'histoire ! Hourra, Zigue ! Je suis dans l'histoire\n!\n\u2013 Silence ! \u00c0 pr\u00e9sent, j'aimerais que vous r\u00e9fl\u00e9chissiez un peu \u00e0\nce que durent ressentir les malheureux parents, lors de la\ndisparition de leurs enfants.\n\u2013 Oooh ! g\u00e9mirent-ils \u00e0 l'unisson, mais au fond, ils s'en\nsouciaient comme de l'an quarante.\n\u2013 C'est triste \u00e0 pleurer , dit joyeusement le premier Jumeau.\n\u2014 Je ne vois pas du tout comment cela pourrait finir , rench\u00e9rit\nle second. Et toi, Zigue ?\n\u2013 J'en frissonne d'angoisse.\n\u2013 Si vous saviez combien l'amour d'une m\u00e8re peut \u00eatre\nimmense, d\u00e9clara W endy d'un ton triomphant, vous n'auriez\npas peur .\nElle en \u00e9tait arriv\u00e9e \u00e0 l'\u00e9pisode que P eter ha\u00efssait plus\nparticuli\u00e8rement.\n\u2013 J'aime l'amour maternel, dit La Guigne en tapant sur Zigue\navec son traversin. Et toi Zigue ?\n\u2014 Je l'adore, dit Zigue en lui rendant son coup.\n\u2013 Voyez-vous, continua W endy avec suffisance, notre h\u00e9ro\u00efne\nsavait que sa m\u00e8re laisserait la fen\u00eatre toujours ouverte, afin\nque les enfants puissent revenir \u00e0 la maison. Ils rest\u00e8rent donc\nabsents pendant des ann\u00e9es et s'amus\u00e8rent \u00e9norm\u00e9ment.\u2013 Sont-ils jamais revenus chez eux ?\n\u2013 A pr\u00e9sent, dit W endy pr\u00e9parant son apoth\u00e9ose, jetons un\ncoup d'oeil dans le futur ...\nEt tous les esprits pivot\u00e8rent du c\u00f4t\u00e9 d'o\u00f9 le futur s'aper\u00e7oit le\nmieux.\n\u2014... Les ann\u00e9es ont pass\u00e9. Mais quelle est cette \u00e9l\u00e9gante dame\nd'un \u00e2ge incertain, qui descend en gare de Londres ?\n\u2014 Oh ! W endy ! Qui est-ce ? cria Zigue toujours excit\u00e9.\n\u2013 Voyons, ce ne peut \u00eatre... mais si !... mais non... Si ! c'est elle\n! La belle W endy !\n\u2013 Oh!\n\u2014 Et qui sont ces deux personnages au noble embonpoint qui\nl'accompagnent ? Est-ce bien John et Michael devenus adultes\n? C'est bien eux !\n\u2013 Oh!\n\u2013 \u00ab Regardez, mes chers fr\u00e8res, dit W endy en pointant son\ndoigt vers le haut, regardez : la fen\u00eatre est toujours ouverte.\nAh ! nous voil\u00e0 bien r\u00e9compens\u00e9s de notre confiance\nin\u00e9branlable en l'amour d'une m\u00e8re. \u00bb Et ils vol\u00e8rent rejoindre\nleur maman et leur papa. Et la plume est impuissante \u00e0 d\u00e9crire\nl'heureux tableau sur lequel nous tirons le rideau.\nC'\u00e9tait vraiment une belle histoire, qui plaisait autant \u00e0 ses\nauditeurs qu'\u00e0 son admirable narratrice, et criante de v\u00e9rit\u00e9\ndans le moindre d\u00e9tail, voyez-vous. Nous d\u00e9sertons la maison\ncomme les pires des sans-coeur , ce que sont en effet les\nenfants, par ailleurs si attachants ; nous prenons \u00e9go\u00efstement\ndu bon temps ; et quand enfin nous ressentons le besoin d'une\nattention plus tendre, nous revenons g\u00e9n\u00e9reusement la\nr\u00e9clamer , s\u00fbrs d'\u00eatre accueillis \u00e0 bras non pas raccourcis, mais\ngrands ouverts.\nIls avaient en effet une telle confiance dans l'amour de la m\u00e8re\nqu'ils pouvaient se permettre d'\u00eatre durs encore un petit\nmoment.\nMais il y en avait un parmi eux qui \u00e9tait mieux inform\u00e9 et,\nquand W endy eut termin\u00e9, il poussa un profond g\u00e9missement.\u2013 Qu'as-tu, P eter ?\nLa fillette accourut, le croyant malade, et elle lui t\u00e2ta\nl'estomac.\n\u2013 O\u00f9 as-tu mal ?\n\u2013 Ce n'est pas ce genre de mal, dit tristement P eter.\n\u2013 Quel genre, alors ?\n\u2013 C'est parce que tu te trompes compl\u00e8tement au sujet des\nm\u00e8res, W endy.\nTous se press\u00e8rent autour de lui, inquiets de le voir si agit\u00e9.\nAlors, avec une belle franchise, il leur conta ce qu'il leur avait\ncach\u00e9 jusque-l\u00e0.\n\u2013 Il y a longtemps, dit-il, je pensais moi aussi que sa m\u00e8re\nlaisserait la fen\u00eatre ouverte pour moi. Je restai donc absent\npendant des lunes et des lunes. Mais quand je revins, il y avait\ndes barreaux \u00e0 la fen\u00eatre car maman m'avait compl\u00e8tement\noubli\u00e9, et un autre petit gar\u00e7on dormait dans mon lit.\nJe ne garantis pas que son histoire f\u00fbt vraie, mais P eter y\ncroyait, et les autres en furent boulevers\u00e9s.\n\u2013 Es-tu certain que les m\u00e8res sont comme \u00e7a ?\n\u2013 Absolument.\nAinsi, c'\u00e9tait cela, l'amour maternel ? Ah, les menteurs !\nDeux pr\u00e9cautions valent mieux qu'une ; et nul ne sait aussi vite\nqu'un enfant quand il est pr\u00e9f\u00e9rable d'arr\u00eater le jeu.\n\u2013 Wendy, rentrons chez nous ! s'\u00e9cri\u00e8rent John et Michael\nd'une seule voix.\n\u2013 Oh oui ! dit-elle en se serrant contre eux.\n\u2013 Pas ce soir ? implor\u00e8rent les gar\u00e7ons perdus, tout\nd\u00e9sempar\u00e9s.\nAu fond de leur coeur , ils savaient qu'on peut tr\u00e8s bien se\npasser de maman, et que ce sont seulement les mamans qui\ncroient la chose impossible.\u2013 On rentre imm\u00e9diatement, dit W endy avec r\u00e9solution.\nUne horrible pens\u00e9e lui \u00e9tait venue : \u00ab Et si maman ne portait\nd\u00e9j\u00e0 plus que le demi-deuil ? \u00bb Ce soup\u00e7on l'effrayait tellement\nqu'elle en oublia compl\u00e8tement P eter et les soup\u00e7ons qu'il\npouvait \u00e9prouver .\n\u2014 Peux-tu prendre les dispositions n\u00e9cessaires pour notre\nd\u00e9part ? lui demanda-t-elle plut\u00f4t s\u00e8chement.\n\u2014 Volontiers, fit-il aussi calmement que si elle lui avait r\u00e9clam\u00e9\nle compotier .\nRien de plus qu'un \u00ab au-regret-de-vous-quitter \u00bb entre eux !\nPuisque cela lui \u00e9tait \u00e9gal, \u00e0 elle, de s'en aller , il lui montrerait,\nlui Peter, comme il s'en battait l'oeil !\nEn r\u00e9alit\u00e9, il souffrait beaucoup ; et son coeur \u00e9tait si plein de\nrancune contre les grandes personnes qui g\u00e2chent tout,\ncomme d'habitude, qu'il se glissa dans son arbre et l\u00e0, se mit \u00e0\nrespirer \u00e0 petits coups tr\u00e8s brefs, \u00e0 raison de cinq par seconde.\nUn adage de l'\u00cele pr\u00e9tend en effet que chaque fois qu'on\nrespire, une grande personne tombe raide morte. Aussi P eter\ns'effor\u00e7a-t-il de respirer le plus souvent possible.\nEnsuite, il donna aux P eaux -Rouges les instructions\nn\u00e9cessaires pour le voyage de W endy et redescendit au logis\no\u00f9, pendant son absence, s'\u00e9tait d\u00e9roul\u00e9e une sc\u00e8ne indigne.\nAffol\u00e9s \u00e0 l'id\u00e9e de perdre W endy, les gar\u00e7ons avaient tent\u00e9 de\nla s\u00e9questrer .\n\u2013 Ce sera pire qu'avant sa venue, disaient-ils.\n\u2013 On ne peut pas la laisser partir .\n\u2013 Gardons-la prisonni\u00e8re.\n\u2013 C'est \u00e7a, encha\u00eenons-la !\nDevant le danger , Wendy sut aussit\u00f4t \u00e0 qui s'adresser .\n\u2014 La Guigne, s'\u00e9cria-t-elle, viens \u00e0 mon secours !\nN'\u00e9tait-ce pas singulier d'appeler \u00e0 son secours le plus nigaud\nd'entre eux ?\nCependant, La Guigne se comporta avec grandeur . Sa niaiserie\navait disparu, pour faire place \u00e0 une calme dignit\u00e9.\u2013 Je ne suis rien d'autre que La Guigne, dit-il, et personne ne\nprend garde \u00e0 moi. Mais je vous pr\u00e9viens, le premier qui ne se\nconduira pas envers W endy comme un gentleman, je le saigne\ncomme un poulet.\nEn cet instant, le soleil touchait au z\u00e9nith. Les autres\nrecul\u00e8rent. C'est alors que P eter revint et ils comprirent tout\nde suite qu'il ne les soutiendrait pas. Il ne retiendrait jamais\nune fille dans l'\u00cele contre son gr\u00e9.\n\u2014 Wendy, dit-il en arpentant la pi\u00e8ce, j'ai demand\u00e9 aux P eaux -\nRouges de te guider \u00e0 travers la for\u00eat, puisque tu es si lasse de\nvoler .\n\u2013 Merci, P eter.\n\u2013 Ensuite, Clochette-la-R\u00e9tameuse t'aidera \u00e0 traverser la mer .\nR\u00e9veille-la, Zigue.\nBon Zigue dut frapper deux fois avant d'obtenir une r\u00e9ponse.\nPourtant Clo, assise sur son lit, n'avait pas perdu une miette de\ncette soir\u00e9e.\n\u2013 Qu'est-ce que c'est ? Comment osez-vous ! Allez-vous en !\ncria-t-elle.\n\u2013 L\u00e8ve-toi, Clo, dit Bon Zigue, P eter veut que tu emm\u00e8nes\nWendy en voyage.\nSi Clochette \u00e9tait ravie que W endy s'en aille, inutile de le\npr\u00e9ciser . Mais elle se serait bien pass\u00e9e de lui servir de\ncic\u00e9rone, et elle le d\u00e9clara tout cr\u00fbment. Puis elle feignit de\ns'\u00eatre rendormie.\n\u2013 Elle ne veut pas accompagner W endy, dit Zigue, stup\u00e9fait de\nce manque de soumission.\nPeter s'approcha de la chambre de la jeune dame.\n\u2013 Clo, dit-il s\u00e8chement, si tu ne te l\u00e8ves pas sur-le-champ,\nj'ouvre les rideaux et tout le monde te verra dans ton n\u00e9glig\u00e9.\n\u00c0 ces mots, elle bondit hors du lit.\n\u2013 Qui a dit que je ne me levais pas ? s'\u00e9cria-t-elle.\nPendant ce temps, les gar\u00e7ons perdus regardaient tristement\nWendy, d\u00e9j\u00e0 tout \u00e9quip\u00e9e pour le voyage ainsi que ses fr\u00e8res.\nNon seulement ils allaient la perdre, mais elle partait vers unlieu inconnu et charmant o\u00f9 on ne les avait pas invit\u00e9s. Et,\ncomme \u00e0 l'accoutum\u00e9e, la nouveaut\u00e9 leur clignait de l'oeil.\nLeur attribuant un plus noble sentiment, W endy s'attendrit :\n\u2013 Mes chers amis, dit-elle, si vous voulez tous venir avec moi,\nje suis presque s\u00fbre de convaincre papa et maman de vous\nadopter .\nL'invitation s'adressait plus particuli\u00e8rement \u00e0 P eter, mais\nchacun ne songeant qu'\u00e0 soi-m\u00eame, tous bondirent de joie.\n\u2014 Est-ce qu'ils ne vont pas nous trouver trop encombrants ?\ndemanda Bon Zigue entre deux gambades.\n\u2014 Oh non, dit W endy, r\u00e9solvant promptement la difficult\u00e9, cela\nn'exigera jamais que quelques lits suppl\u00e9mentaires dans le\nsalon ; et les dimanches, on les cachera derri\u00e8re des\nparavents.\n\u2013 Peter, tu nous permets d'y aller ? suppli\u00e8rent-ils tous\nensemble.\nIls \u00e9taient s\u00fbrs que s'ils y allaient, il viendrait aussi, mais au\nfond, cela leur \u00e9tait plut\u00f4t \u00e9gal. C'est ainsi que sont les\nenfants, toujours pr\u00eats, d\u00e8s qu'une nouveaut\u00e9 se pr\u00e9sente, \u00e0\nquitter ceux qu'ils aiment.\n\u2013 Tr\u00e8s bien, dit P eter avec un sourire amer . Allez-y ! Aussit\u00f4t,\ntous se ru\u00e8rent sur leurs bagages.\n\u2013 Et maintenant, dit W endy qui croyait avoir tout arrang\u00e9, je\nvais te donner ton m\u00e9dicament avant de partir , Peter.\nElle adorait leur donner des m\u00e9dicaments et en abusait\ncertainement. Ce n'\u00e9tait jamais que de l'eau, il est vrai ; elle la\nconservait dans une gourde et la versait goutte \u00e0 goutte, ce qui\nlui conf\u00e9rait une certaine vertu m\u00e9dicale. Mais cette fois-ci, au\nmoment de donner sa potion \u00e0 P eter, elle vit que ce dernier\nfaisait si triste mine que le coeur lui manqua.\n\u2013 Pr\u00e9pare tes affaires, lui dit-elle en tremblant.\n\u2014 Je ne viens pas, W endy, r\u00e9pondit-il d'un air indiff\u00e9rent.\n\u2013 Si!\n\u2013 Non !\u2013 Et pour bien lui montrer combien son d\u00e9part le laissait de\nglace, il se mit \u00e0 sauter \u00e0 travers la pi\u00e8ce en jouant de la fl\u00fbte\nsur un air narquois. W endy dut courir apr\u00e8s lui, ce qui\nmanquait assur\u00e9ment de dignit\u00e9.\n\u2014 Pour retrouver ta maman, lui dit-elle en le cajolant.\nSi Peter avait jamais eu une m\u00e8re, elle ne lui manquait plus\ndepuis longtemps. Il avait chass\u00e9 cette engeance de sa\nm\u00e9moire et n'en avait retenu que les inconv\u00e9nients.\n\u2014 Non, non, dit-il r\u00e9solument \u00e0 W endy. Elle me dirait sans\ndoute que je suis grand, et justement, je veux rester toujours\nun petit gar\u00e7on et m'amuser .\n\u2013 Mais, P eter...\n\u2013 Non!\nIl fallut annoncer la nouvelle aux autres : P eter ne venait pas !\nPeter ne vient pas ! Ils le regardaient d\u00e9sappoint\u00e9s, le b\u00e2ton\nsur l'\u00e9paule et un balluchon au bout de chaque b\u00e2ton. Si P eter\nne venait pas, c'est qu'il avait probablement chang\u00e9 d'avis et\nne leur permettait pas de partir .\nMais P eter \u00e9tait trop fier pour cela.\n\u2013 Si vous retrouvez vos mamans, dit-il froidement, j'esp\u00e8re\nqu'elles vous plairont !\nCe cynisme les impressionna d\u00e9sagr\u00e9ablement, et la plupart\nd'entre eux eurent l'air d'h\u00e9siter . Apr\u00e8s tout, pouvait-on lire sur\nleur visage, n'\u00e9taient-ils pas idiots de vouloir s'en aller ?\n\u2013 Et maintenant, s'\u00e9cria P eter, pas de sanglots, pas de\nj\u00e9r\u00e9miades ! Au revoir , Wendy !\nEt il lui tendit la main d'un air d\u00e9gag\u00e9, comme s'ils devaient\nprendre cong\u00e9 \u00e0 la minute parce qu'une affaire urgente\nl'appelait.\nWendy dut lui serrer la main, puisque aucun indice ne montrait\nqu'il aurait pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 un d\u00e9.\n\u2013 Tu penseras \u00e0 changer de v\u00eatements ? demanda-t-elle pour\nretarder les adieux.\u2013 Oui.\n\u2013 Et tu promets de prendre tes m\u00e9dicaments ?\n\u2013 Oui.\nQue dire encore ? Il y eut un silence embarrass\u00e9. Mais P eter\nn'\u00e9tait pas du genre qui flanche devant les gens.\n\u2013 Es-tu pr\u00eate, f\u00e9e Clochette ? cria-t-il.\n\u2013 Je le suis.\n\u2013 Alors, montre le chemin.\nClo s'\u00e9lan\u00e7a dans l'arbre le plus proche, mais personne ne la\nsuivit, car ce fut le moment que choisirent les pirates pour\nlancer leur terrible attaque contre les P eaux -Rouges. L\u00e0-haut,\no\u00f9 tout \u00e9tait soudain si tranquille la seconde d'avant, l'air fut\nsoudain d\u00e9chir\u00e9 de cris et de cliquetis d'acier . En bas, r\u00e9gnait\nun silence de mort. Les bouches b\u00e9\u00e8rent et demeur\u00e8rent\nb\u00e9antes. W endy tomba \u00e0 genoux, les bras tendus vers P eter.\nTous les bras se tendaient vers P eter, comme si un vent avait\nsubitement souffl\u00e9 dans cette direction. T ous le suppliaient\nsilencieusement de ne pas les abandonner .\nPeter, quant \u00e0 lui, saisit son \u00e9p\u00e9e, celle avec laquelle il pensait\navoir \u00f4t\u00e9 la vie \u00e0 Barbecue ; et une ardeur belliqueuse brillait\ndans ses yeux.\n12. Pris au pi\u00e8ge !\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nL'attaque des pirates avait \u00e9t\u00e9 une franche surprise, preuve\n\u00e9vidente que le perfide Crochet ne l'avait pas men\u00e9e selon les\nr\u00e8gles, car pour surprendre des P eaux -Rouges, les Blancs\ndoivent se lever matin !\nD'apr\u00e8s les lois non \u00e9crites de la guerre sauvage, c'est toujours\nau Peau-Rouge d'attaquer , et cette race rus\u00e9e attaque juste\navant l'aube, sachant qu'\u00e0 cette heure-l\u00e0, le courage des\nBlancs est \u00e0 son point mort.\nEntre-temps, les hommes blancs ont \u00e9lev\u00e9 une palissade\ngrossi\u00e8re, l\u00e0-bas, \u00e0 la cr\u00eate d'une ondulation du terrain, au\npied de laquelle coule une rivi\u00e8re. Camper trop loin de l'eauserait signer son arr\u00eat de mort. Donc, \u00e0 l'abri de leur\nretranchement, ils attendent l'assaut, les novices pi\u00e9tinant le\nsol cramponn\u00e9s \u00e0 leur revolver , tandis que les v\u00e9t\u00e9rans\ndorment tranquillement jusqu'\u00e0 l'heure fatidique. T out au long\nde cette longue nuit, les sauvages se glissent parmi les herbes\n\u00e0 la mani\u00e8re des serpents, sans montrer un poignard. Les\nbroussailles se referment sur eux aussi silencieusement que le\nsable sur la taupe qui s'y enfonce. Aucun son ne se per\u00e7oit,\nsauf quand ils se livrent \u00e0 une merveilleuse imitation du cri\nsolitaire du coyote. \u00c0 cet appel r\u00e9pondent d'autres braves.\nCertains y r\u00e9ussissent mieux que les coyotes eux -m\u00eames, tout\ncompte fait peu dou\u00e9s pour cet art. Ainsi s'\u00e9coulent ces heures\nglaciales, et la longue attente \u00e9prouve cruellement les nerfs du\nVisage P \u00e2le qui y est soumis pour la premi\u00e8re fois ; mais pour\nles oreilles des vieux briscards, ces cris horribles, suivis de\nsilences plus horribles encore, indiquent simplement que la\nnuit suit son cours.\nTelle est la proc\u00e9dure normale, et Crochet la connaissait si\nbien qu'il ne pouvait mettre son entorse au protocole sur le\ncompte de l'ignorance.\nPour leur part, les Piccaninny avaient une enti\u00e8re confiance\ndans son sens de l'honneur , et toute leur conduite au cours de\ncette nuit contraste s\u00e9v\u00e8rement avec celle du capitaine des\npirates. Ils ne n\u00e9glig\u00e8rent rien de ce qui pouvait contribuer \u00e0\nla r\u00e9putation de leur tribu. A vec cette alacrit\u00e9 des sens qui fait\nl'admiration et le d\u00e9sespoir des peuples civilis\u00e9s, ils surent que\nles pirates \u00e9taient dans l'\u00cele d\u00e8s l'instant o\u00f9 le premier d'entre\neux marcha sur une brindille s\u00e8che. Et l'instant d'apr\u00e8s, les\ncris des coyotes d\u00e9butaient. Chaque pouce de terrain compris\nentre le lieu de d\u00e9barquement des forces ennemies et la\nmaison sous les arbres fut explor\u00e9 par des \u00e9claireurs qui\nchaussaient leurs mocassins le talon tourn\u00e9 vers l'avant.\nIls ne d\u00e9couvrirent qu'une seule butte qui e\u00fbt un cours d'eau \u00e0\nses pieds, si bien que Crochet n'avait pas le choix : il devait\ns'\u00e9tablir l\u00e0 et y attendre le moment qui pr\u00e9c\u00e8de l'aube. Chaque\nd\u00e9tail ayant \u00e9t\u00e9 r\u00e9gl\u00e9 avec une pr\u00e9cision diabolique, le gros\ndes troupes P eaux -Rouges s'envelopp\u00e8rent dans leurs\ncouvertures et, de cette mani\u00e8re flegmatique qui repr\u00e9sente\npour eux le summum de la virilit\u00e9, ils s'assirent \u00e0 croupetons\nau-dessus de la maison des enfants, attendant l'heure terrible\no\u00f9 ils s\u00e8meraient la mort bl\u00eame.\nComme ils r\u00eavaient tout \u00e9veill\u00e9s aux tortures exquises qu'ils lui\ninfligeraient au lever du jour , ces confiants sauvages furentd\u00e9couverts par leur d\u00e9loyal adversaire. D'apr\u00e8s les r\u00e9cits des\nrares rescap\u00e9s du carnage, Crochet ne se serait pas arr\u00eat\u00e9 un\nseul instant sur la butte ; pourtant, il ne pouvait pas ne pas la\nvoir dans la clart\u00e9 grise de l'avant-aube. P as un moment l'id\u00e9e\nd'attendre qu'on l'attaque ne l'effleura et il ne patienta m\u00eame\npas jusqu'\u00e0 la fin de la nuit pour leur tomber dessus. Que\npouvaient faire ces guerriers d\u00e9concert\u00e9s, experts comme ils\nl'\u00e9taient en toute esp\u00e8ce de ruse de guerre sauf celle-l\u00e0, sinon\ntrotter d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment derri\u00e8re lui, s'exposant \u00e0 d\u00e9couvert\nsans cesser de moduler le cri coyote avec des inflexions\npath\u00e9tiques ?\nAutour de la vaillante Lis Tigr\u00e9 se tenaient une douzaine de\nbraves parmi les plus costauds. Ils virent soudain les pirates\nsans scrupule fondre sur eux. Alors tomba le voile \u00e0 travers\nlequel leurs yeux avaient contempl\u00e9 la victoire. Adieu, tortures\nautour du poteau ! \u00c0 eux de partir pour les bienheureux\nterrains de chasse c\u00e9lestes ! Ils le savaient et cependant, ils se\ncomport\u00e8rent en dignes fils de leurs p\u00e8res. Il leur e\u00fbt \u00e9t\u00e9\nencore possible, s'ils s'\u00e9taient lev\u00e9s promptement, de se\ngrouper en une phalange difficile \u00e0 forcer . Mais les traditions\nde la tribu le leur interdisaient. Il est \u00e9crit que le noble\nsauvage ne doit jamais montrer sa surprise en pr\u00e9sence des\nBlancs. Quelque terrible qu'ait pu leur sembler l'apparition\nsoudaine des pirates, ils rest\u00e8rent immobiles, sans broncher ,\ncomme si l'ennemi \u00e9tait venu sur invitation. La tradition ayant\n\u00e9t\u00e9 respect\u00e9e, alors seulement ils saisirent leurs armes, l'air\nretentit de cris de guerre, mais il \u00e9tait trop tard.\nIl ne nous appartient pas de d\u00e9crire ce combat, ou plut\u00f4t ce\nmassacre. Cette nuit-l\u00e0 fut moissonn\u00e9e la fine fleur de la\nchevalerie piccaninnyenne. S'ils moururent, ce ne fut pas sans\n\u00eatre veng\u00e9s, car avec Loup Maigre tomba Alf Mason, terreur\nde la mer des Cara\u00efbes ; d'autres encore mordirent la\npoussi\u00e8re, tels F . L\u00e9o Dedieu, Ch. Astet\u00e9, et cette vieille\nbaderne de F oggerty . Turley fut fauch\u00e9 par le tomahawk du\nterrible P anth\u00e8re, qui se tailla finement un chemin \u00e0 travers les\nrangs des flibustiers, avec Lis tigr\u00e9 et le pauvre reste de sa\ntribu.\n\u00c0 l'historien de d\u00e9cider jusqu'\u00e0 quel point Crochet m\u00e9rite\nd'\u00eatre bl\u00e2m\u00e9 pour sa tactique. E\u00fbt-il attendu sur la butte\nl'heure r\u00e9glementaire de l'attaque, lui et ses hommes eussent\n\u00e9t\u00e9 massacr\u00e9s ; d\u00e8s lors que l'on le juge, il est juste d'en tenir\ncompte. Du moins aurait-il pu informer l'adversaire qu'il se\nproposait de suivre une nouvelle m\u00e9thode. D'un autre c\u00f4t\u00e9, d\u00e8s\nl'instant que l'effet de surprise \u00e9tait d\u00e9truit, sa strat\u00e9giedevenait caduque. De quelque point de vue qu'on l'envisage, le\nprobl\u00e8me se h\u00e9risse de difficult\u00e9s. Du reste, on ne peut se\nretenir d'admirer , bien qu'\u00e0 contre-coeur , l'esprit qui con\u00e7ut ce\nplan audacieux, et le g\u00e9nie cruel qui mena \u00e0 bien l'entreprise.\nMais Crochet lui-m\u00eame, que ressentait-il en cette heure de\ntriomphe ? Ses acolytes auraient donn\u00e9 gros pour le savoir ,\ntandis qu'\u00e0 une distance respectable de sa griffe, ils haletaient\np\u00e9niblement en nettoyant leurs coutelas, et lorgnaient de leurs\nyeux de furet cet homme hors du commun. Si l'orgueil du\ntriomphe gonflait son coeur , du moins son visage demeurait-il\nimpassible : \u00e9nigme t\u00e9n\u00e9breuse \u00e0 jamais solitaire, il se tenait,\nde corps comme d'esprit, \u00e0 l'\u00e9cart de ses hommes.\nCependant, la besogne n'\u00e9tait pas termin\u00e9e. Il n'\u00e9tait pas venu\npour d\u00e9truire les P eaux -Rouges : ceux -ci n'\u00e9taient que les\nabeilles qu'il faut enfumer pour parvenir jusqu'au miel. Ce qu'il\nvoulait, c'\u00e9taient P an, W endy et toute la bande, mais surtout\nPan.On s'\u00e9tonnera qu'un petit gar\u00e7on comme P eter p\u00fbt inspirer\nune telle haine \u00e0 cet homme. Il est vrai qu'il avait jet\u00e9 le bras\nde Crochet au crocodile ; mais ce m\u00eame fait, et l'ins\u00e9curit\u00e9\npermanente qui en r\u00e9sultait \u00e9tant donn\u00e9 l'opini\u00e2tret\u00e9 du\ncrocodile, justifiaient difficilement un d\u00e9sir de vengeance aussi\nimplacable. En v\u00e9rit\u00e9, il y avait chez P eter un je ne sais quoi\nqui exasp\u00e9rait le pirate jusqu'\u00e0 la transe. Ce n'\u00e9tait pas son\ncourage, ni m\u00eame sa tournure avenante ; ce n'\u00e9tait pas non\nplus... mais pourquoi tourner autour du pot puisque nous\nsavons tr\u00e8s bien ce que c'\u00e9tait, et que le moment est venu de le\ndire. C'\u00e9tait le toupet de P eter.\nVoil\u00e0 ce qui aga\u00e7ait Crochet, et sa griffe en tremblait de rage.\nLa nuit, ce toupet l'obs\u00e9dait tel un insecte fastidieux. Aussi\nlongtemps que P eter vivrait, cet homme ressentirait le supplice\nd'un lion encag\u00e9 avec un moineau.\nLa question qui se posait maintenant \u00e9tait de savoir comment\nfaire pour descendre par ces arbres, ou comment faire\ndescendre ses hommes. Il les examina un \u00e0 un, de son regard\nen vrille, cherchant \u00e0\ndistinguer les plus maigres. Eux se tr\u00e9moussaient mal \u00e0 l'aise,\nsachant qu'il ne se ferait aucun scrupule de les y enfoncer\njusqu'en bas avec des perches.\nEt les enfants, pendant ce temps-l\u00e0 ? Nous les avons laiss\u00e9s\ntransform\u00e9s, au premier choc des armes, en statues de pierre,\nbouche b\u00e9e, tout suppliants et les bras tendus vers P eter. Nousles retrouvons \u00e0 pr\u00e9sent bouches referm\u00e9es et les bras\nramen\u00e9s le long du corps. Le tohu-bohu, l\u00e0-haut, a cess\u00e9 aussi\nsoudainement qu'il commen\u00e7a, comme passe une bourrasque\norageuse. Mais ils savaient qu'au passage, elle avait d\u00e9cid\u00e9 de\nleur sort.\nQuel parti \u00e9tait le vainqueur ?\nLes pirates, qui tendaient anxieusement l'oreille \u00e0 l'orifice de\nchaque arbre, entendirent cette question pos\u00e9e par les\ngar\u00e7ons. H\u00e9las ! ils entendirent aussi la r\u00e9ponse.\n\u2013 Si les P eaux -Rouges ont gagn\u00e9, disait P eter, ils vont battre le\ntam-tam, en signe de victoire.\nSmee avait trouv\u00e9 le tam-tam et, en ce moment, \u00e9tait assis\ndessus.\n\u2013 Jamais plus vous n'entendrez le tam-tam ! marmonna-t-il, de\nfa\u00e7on inaudible, bien s\u00fbr , car Crochet leur avait enjoint de se\ntaire.\n\u00c0 sa grande surprise, le capitaine lui fit signe de taper sur le\ntam-tam. Lentement, le sens de ce diabolique stratag\u00e8me se\nfraya un chemin sous le cr\u00e2ne \u00e9pais de Smee. Jamais sans\ndoute cette \u00e2me na\u00efve n'avait autant admir\u00e9 son chef .\nPar deux fois, Smee battit du tambour , puis \u00e9couta\njoyeusement.\n\u2013 Le tam-tam ! s'\u00e9criait P eter. Une victoire indienne !\nLes malheureux enfants lui r\u00e9pondirent par des acclamations\nqui r\u00e9sonn\u00e8rent comme une musique divine aux oreilles\nsc\u00e9l\u00e9rates qui \u00e9coutaient l\u00e0-haut. Presque aussit\u00f4t, ils\nrenouvel\u00e8rent leurs adieux \u00e0 P eter, ce qui surprit les pirates,\nmais leur \u00e9tonnement fit place \u00e0 un sentiment mesquin de\nsoulagement : ils n'auraient pas \u00e0 descendre puisque l'ennemi\ns'appr\u00eatait \u00e0 monter . Ils \u00e9chang\u00e8rent des sourires tout en se\nfrottant les mains d'avance. R apidement et sans faire de bruit,\nCrochet donna des ordres : un homme post\u00e9 \u00e0 chaque arbre,\nles autres rang\u00e9s en file \u00e0 deux m\u00e8tres de distance.\n13. Croyez-vous aux f\u00e9es?\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8resPlus t\u00f4t on en aura fini avec ces horreurs, mieux \u00e7a vaudra. Le\npremier \u00e0 \u00e9merger de son arbre fut Le Fris\u00e9. Il fut happ\u00e9 par\nCecco qui le passa \u00e0 Smee, qui le passa \u00e0 Starkey , qui le passa\nau Truand qui le passa \u00e0 Plat-de-Nouilles et, catapult\u00e9 de l'un \u00e0\nl'autre, il atterrit aux pieds du terrible capitaine. T ous les\ngar\u00e7ons furent cueillis sans piti\u00e9 \u00e0 la sortie ; plusieurs se\ntrouv\u00e8rent en l'air en m\u00eame temps, comme des ballots de\nmarchandises jet\u00e9s de main en main.\nWendy qui sortit la derni\u00e8re eut droit \u00e0 un traitement de\nfaveur . Avec une feinte galanterie, Crochet la salua d'un coup\nde chapeau puis, lui offrant le bras, l'escorta jusqu'\u00e0 l'endroit\no\u00f9 l'on b\u00e2illonnait ses compagnons. Il le fit d'un air si distingu\u00e9\nque W endy, fascin\u00e9e, en oublia de pleurer . Apr\u00e8s tout, ce\nn'\u00e9tait qu'une petite fille.\nQu'on nous pardonne de r\u00e9v\u00e9ler qu'elle subit un instant le\ncharme de Crochet : si nous d\u00e9non\u00e7ons cette faiblesse, c'est\nqu'elle devait avoir d'\u00e9tranges cons\u00e9quences. W endy aurait-\nelle refus\u00e9 avec hauteur le bras de Crochet (ce que nous\naurions \u00e9t\u00e9 heureux d'\u00e9crire), on l'aurait lanc\u00e9e en l'air comme\nles autres, Crochet n'aurait pas \u00e9t\u00e9 pr\u00e9sent au moment o\u00f9 on\nligotait les enfants, il n'aurait pas d\u00e9couvert le secret de La\nPlume, et sans ce secret, il n'aurait pas pu attenter\ntra\u00eetreusement \u00e0 la vie de P eter.\nAfin d'emp\u00eacher les gar\u00e7ons de s'envoler , on les avait pli\u00e9s en\ndeux, les genoux recroquevill\u00e9s jusqu'aux oreilles, et l'on\ns'appr\u00eatait \u00e0 les lier chacun en botte ; pour ce faire, le\ncapitaine avait coup\u00e9 une corde de neuf bouts d'\u00e9gale\nlongueur . Tout alla bien jusqu'au tour de La Plume qui se\nr\u00e9v\u00e9la aussi exasp\u00e9rant que ces colis qui accaparent toute la\nficelle et ne laissent plus rien pour faire le noeud. De rage, les\npirates le bourraient de coups de pied, tout comme on\ns'acharne sur un paquet alors qu'il serait plus juste de s'en\nprendre \u00e0 la ficelle. P aradoxalement, ce fut Crochet qui leur\nintima de refr\u00e9ner leur brutalit\u00e9. Un air de malicieux triomphe\nlui retroussait la l\u00e8vre. P endant que ses comparses suaient\nsang et eau \u00e0 tasser d'un c\u00f4t\u00e9 le malheureux La Plume qui\naussit\u00f4t d\u00e9bordait de\nl'autre, le sagace Crochet fouillait d'un oeil inquisiteur\nl'int\u00e9rieur de ce colis r\u00e9fractaire, \u00e0 la recherche de causes et\nnon d'effets, et sa jubilation montra qu'il les avait trouv\u00e9es. La\nPlume comprit que Crochet avait d\u00e9couvert son secret, \u00e0\nsavoir qu'un gar\u00e7on, si gonfl\u00e9 soit-il, n'a nul besoin d'un arbre\nl\u00e0 o\u00f9 un homme moyen se contente d'un b\u00e2ton. Piteux LaPlume ! Comme il regrettait \u00e0 pr\u00e9sent son go\u00fbt inv\u00e9t\u00e9r\u00e9 pour\nla boisson ! \u00c0 force de boire des quantit\u00e9s d'eau quand il avait\nchaud, il \u00e9tait devenu si bouffi qu'il avait d\u00fb en cachette \u00e9largir\nle tronc de son arbre pour s'y faufiler .\nMaintenant, le capitaine des pirates en savait assez pour \u00eatre\ns\u00fbr de tenir P eter \u00e0 sa merci. P as un mot du noir projet qui\ngermait dans les sombres cavernes de son esprit ne franchit\nses l\u00e8vres ; il fit simplement signe d'emporter les captifs au\nbateau. Quant \u00e0 lui, il d\u00e9sirait rester seul.\nMais comment les transporter ? On aurait pu les faire rouler\ncomme des barriques jusqu'\u00e0 la plage si la majeure partie de la\nroute n'avait \u00e9t\u00e9 form\u00e9e de mar\u00e9cages. Une fois de plus, le\ng\u00e9nie de Crochet surmonta l'obstacle. Montrant la petite hutte\nde W endy, il d\u00e9clara qu'elle servirait de moyen de transport.\nLes enfants furent entass\u00e9s \u00e0 l'int\u00e9rieur , quatre robustes\ngaillards la hiss\u00e8rent sur leurs \u00e9paules, les autres se mirent en\nrang derri\u00e8re, et l'\u00e9trange procession s'\u00e9branla tout en\nchantant l'hymne odieux des pirates. Si les enfants pleuraient,\nleurs pleurs devaient \u00eatre noy\u00e9s sous ces hurlements.\nToutefois, avant de dispara\u00eetre, la petite hutte l\u00e2cha un mince\njet de fum\u00e9e, comme pour narguer Crochet.\nCe dernier prit tr\u00e8s mal ce d\u00e9fi. Cela tarit jusqu'\u00e0 la derni\u00e8re\ngoutte de piti\u00e9 qui restait encore dans son coeur de flibustier\nmaudit.\nDemeur\u00e9 seul, il s'approcha sur la pointe des pieds de l'arbre\nde La Plume, et s'assura qu'il pourrait descendre par le tronc.\nLongtemps il se tint l\u00e0, \u00e0 ruminer ses pens\u00e9es, son feutre\ngisant sur le gazon comme un oiseau de mauvais augure, de\nsorte qu'une brise l\u00e9g\u00e8re jouait dans ses cheveux. Si sombre\nque f\u00fbt son dessein, ses yeux bleus gardaient la douceur de la\npervenche. Il \u00e9piait de toutes ses oreilles les entrailles de la\nterre, mais tout \u00e9tait silencieux en haut comme en bas ; la\nmaison souterraine semblait parfaitement vide. P eter dormait-\nil, ou attendait-il au pied de l'arbre de La Plume, son poignard\n\u00e0 la main ?\nLe seul moyen de le savoir \u00e9tait de descendre. Crochet fit\nglisser doucement son manteau jusqu'\u00e0 terre puis, se mordant\nles l\u00e8vres jusqu'au sang, il p\u00e9n\u00e9tra \u00e0 l'int\u00e9rieur de l'arbre.\nC'\u00e9tait incontestablement un homme courageux. P ourtant, il\ndut s'arr\u00eater un moment pour \u00e9ponger son front qui ruisselait\ncomme une chandelle. Alors, silencieusement, il s'\u00e9lan\u00e7a vers\nl'inconnu.Il arriva sain et sauf \u00e0 l'extr\u00e9mit\u00e9 du tronc et s'immobilisa \u00e0\nnouveau, afin de reprendre haleine. \u00c0 mesure que ses yeux\ns'accoutumaient \u00e0 la faible clart\u00e9 des lieux, ils distinguaient\npeu \u00e0 peu la forme des objets. Mais le seul sur lequel son\nregard avide s'arr\u00eata apr\u00e8s l'avoir longtemps cherch\u00e9 et trouv\u00e9\nenfin, ce fut le grand lit. Et sur le lit, P eter profond\u00e9ment\nassoupi.\nIgnorant tout de la trag\u00e9die qui s'\u00e9tait d\u00e9roul\u00e9e l\u00e0-haut, P eter,\napr\u00e8s le d\u00e9part des enfants, continua gaiement \u00e0 jouer de la\nfl\u00fbte, sans nul doute pour se prouver \u00e0 lui-m\u00eame que tout lui\n\u00e9tait bien \u00e9gal. Ensuite, il d\u00e9cida de ne pas prendre son\nm\u00e9dicament, comme pour ennuyer W endy. Puis il s'\u00e9tendit sur\net non sous la couverture, rien que pour l'offenser davantage.\n(Wendy les bordait toujours consciencieusement car on risque\nde prendre froid sans s'en apercevoir au cours de la nuit.)\nEnfin, il faillit pleurer , mais, r\u00e9alisant soudain combien elle\nserait d\u00e9pit\u00e9e si, au lieu de pleurer , il \u00e9clatait de rire, il \u00e9clata\nd'un rire arrogant en plein milieu duquel il s'endormit.\nParfois, mais rarement, il r\u00eavait, et ses r\u00eaves \u00e9taient plus\ndouloureux que ceux des autres gar\u00e7ons. P endant des heures,\nil ne parvenait pas \u00e0 s'extraire de ces cauchemars o\u00f9 il\ng\u00e9missait pitoyablement, et qui, d'apr\u00e8s moi, devaient avoir\ntrait au myst\u00e8re de son existence. Dans ces moments-l\u00e0,\nWendy avait l'habitude de le tirer du lit pour l'asseoir sur ses\ngenoux, et elle inventait toutes sortes de cajoleries pour le\nconsoler . Lorsqu'il s'apaisait, elle le recouchait sans l'\u00e9veiller ,\nafin qu'il ne s\u00fbt rien de l'humiliant traitement qu'elle lui avait\nfait subir .\nMais en ce moment P eter dormait d'un sommeil sans r\u00eave. Un\nde ses bras pendait hors du lit, une de ses jambes \u00e9tait repli\u00e9e\nvers le haut, et le reste de son rire flottait encore sur sa\nbouche entrouverte qui d\u00e9couvrait les petites perles blanches.\nCe fut dans cette attitude sans d\u00e9fense que Crochet le trouva.\nIl se tenait silencieux au creux de l'arbre, contemplant son\nmortel ennemi \u00e0 l'autre bout de la chambre. Nulle piti\u00e9 n'allait\ndonc\nattendrir ce coeur endurci ? L'homme n'\u00e9tait pas enti\u00e8rement\nmauvais ; il aimait les fleurs (on me l'a assur\u00e9) et la musique\nl\u00e9g\u00e8re (il ne se d\u00e9fendait pas mal au clavecin) ; et, pour \u00eatre\nsinc\u00e8re, le caract\u00e8re idyllique de la sc\u00e8ne le remua\nprofond\u00e9ment. S'il avait \u00e9cout\u00e9 la voix de son meilleur moi, il\nserait remont\u00e9.Mais une chose l'arr\u00eatait : l'air impertinent que P eter gardait\njusque dans son sommeil. Cette bouche entrouverte, ce bras\npendant nonchalamment, cette jambe repli\u00e9e vous narguaient\navec un aplomb si offensant que le coeur de Crochet se durcit\ncomme le roc. Si dans sa rage le capitaine avait explos\u00e9 en\nmille morceaux, chacun de ces morceaux, indiff\u00e9rent \u00e0 la\ncatastrophe, se serait jet\u00e9 sur le dormeur .\nLa lampe qui \u00e9clairait faiblement le lit laissait le capitaine lui-\nm\u00eame dans l'obscurit\u00e9. Au premier pas qu'il fit en avant, son\npied rencontra un obstacle : la porte de l'arbre. V ers le haut,\nelle ne comblait pas enti\u00e8rement l'ouverture du tronc, et\njusque-l\u00e0, Crochet avait regard\u00e9 par-dessus. Il chercha le\nloquet, et d\u00e9couvrit avec irritation que celui-ci \u00e9tait plac\u00e9 tr\u00e8s\nbas, hors de son atteinte. Dans le d\u00e9sordre de ses pens\u00e9es, il\ncrut percevoir sur le visage et dans l'attitude de P eter une\nsorte de satisfaction narquoise qui porta sa fureur \u00e0 son\ncomble. Il secoua la porte, essaya de la d\u00e9foncer . Son ennemi\nallait-il en fin de compte lui \u00e9chapper ?\nMais qu'\u00e9tait cela ? Ses yeux venaient de tomber sur le\nm\u00e9dicament de P eter, pos\u00e9 sur une tablette parfaitement \u00e0 sa\nport\u00e9e. Il devina imm\u00e9diatement ce que c'\u00e9tait et sut que le\ndormeur \u00e9tait en son pouvoir .\nDe peur d'\u00eatre pris vivant, Crochet portait toujours sur lui une\nhorrible mixture fabriqu\u00e9e par ses soins \u00e0 partir de toutes les\nbagues \u00e0 poison qui lui \u00e9taient tomb\u00e9es entre les mains. Cette\nd\u00e9coction jaun\u00e2tre, inconnue de la science, \u00e9tait sans doute le\nplus virulent des toxiques.\nCrochet versa cinq gouttes de ce liquide dans la tasse. Ce\nfaisant, sa main tremblait, de joie plus que de honte, et s'il\n\u00e9vitait de regarder le dormeur , c'\u00e9tait de peur d'en r\u00e9pandre \u00e0\nc\u00f4t\u00e9. Longuement il contempla sa victime avec une joie\nmauvaise, puis fit demi-tour et remonta \u00e0 l'air libre au prix de\nmille contorsions. Lorsqu'il r\u00e9apparut \u00e0 l'autre extr\u00e9mit\u00e9 du\ntronc, on e\u00fbt dit le mal en personne surgissant de sa tani\u00e8re.\nRabattant son chapeau sur ses yeux, il s'enveloppa dans son\nmanteau comme pour d\u00e9rober aux t\u00e9n\u00e8bres de la nuit le plus\nnoir de ses \u00e9l\u00e9ments, et il se fraya un chemin \u00e0 travers la for\u00eat\ntout en se marmottant d'\u00e9tranges choses \u00e0 lui-m\u00eame.\nPeter continuait \u00e0 dormir . La lumi\u00e8re de la lampe vacilla puis\ns'\u00e9teignit, laissant la pi\u00e8ce dans le noir ; mais P eter dormait\ntoujours. Le crocodile devait sonner dix heures quand enfin il\ns'assit subitement dans son lit, r\u00e9veill\u00e9 par il ne savait quoi.Quelqu'un frappait tr\u00e8s doucement \u00e0 la porte de son arbre.\nCes petits coups prudents avaient une r\u00e9sonance sinistre dans\nle silence des lieux. P eter porta la main \u00e0 son poignard, puis il\nparla.\n\u2014 Qui est l\u00e0 ? P as de r\u00e9ponse.\nCela le fit palpiter d'\u00e9motion, ce qu'il adorait, au reste. En\ndeux enjamb\u00e9es il atteignit la porte. \u00c0 la diff\u00e9rence de celle de\nLa Plume, la sienne fermait enti\u00e8rement l'orifice du tronc, si\nbien qu'il ne pouvait ni voir qui frappait ni en \u00eatre vu.\n\u2014 Je n'ouvrirai pas tant que vous n'aurez pas dit qui vous \u00eates,\nlan\u00e7a-t-il.\nEnfin, le visiteur se d\u00e9cida \u00e0 parler , d'une voix qui\ntintinnabulait joliment.\n\u2013 Laisse-moi entrer , Peter.\nC'\u00e9tait Clochette. R apidement, P eter lui ouvrit. Elle se\npr\u00e9cipita dans la chambre, rouge de surexcitation et sa robe\ncouverte de boue.\n\u2013 Qu'y a-t-il ?\n\u2013 Devine ! Tu n'as droit qu'\u00e0 trois questions !\n\u2013 Assez plaisant\u00e9 ! s'impatienta P eter.\nAlors, en une seule phrase grammaticalement incorrecte mais\naussi longue qu'un ruban de prestidigitateur , elle lui raconta la\ncapture de W endy et des gar\u00e7ons.\nLe coeur de P eter bondit dans sa poitrine. W endy prisonni\u00e8re\nsur un bateau de pirates, elle qui aimait l'ordre et la propret\u00e9 !\n\u2013 Je la d\u00e9livrerai ! s'\u00e9cria-t-il.\nTout en bondissant sur ses armes, il aper\u00e7ut son m\u00e9dicament :\nvoil\u00e0 qui ferait plaisir \u00e0 W endy, s'il le buvait. Et il tendit la main\nvers le breuvage fatal.\n\u2014 Non ! cria Clo de sa voix per\u00e7ante.\nElle avait entendu Crochet se parler tout haut dans la for\u00eat et\nse vanter d'avoir empoisonn\u00e9 P eter.\u2013 Pourquoi non ? demanda P eter.\n\u2013 C'est un breuvage empoisonn\u00e9 !\n\u2013 Empoisonn\u00e9 ? P ar qui ?\n\u2013 Crochet.\n\u2013 Ne sois pas sotte. Comment Crochet serait-il venu ici ?\nH\u00e9las ! Clochette ne pouvait l'expliquer puisqu'elle ignorait le\nsecret de l'arbre de La Plume. Mais les paroles du capitaine ne\nlaissaient place \u00e0 aucun doute. Il y avait du poison dans la\ntasse de P eter.\n\u2013 Si Crochet \u00e9tait venu, je l'aurais vu, protesta le gar\u00e7on. Je ne\ndors jamais.\nIl porta la tasse \u00e0 ses l\u00e8vres. P as le moment de discuter mais\nd'agir : vive comme l'\u00e9clair , Clo se pla\u00e7a entre la bouche et la\ntasse et but le breuvage jusqu'\u00e0 la lie.\n\u2013 Tu oses boire mon m\u00e9dicament ! s'indigna P eter. Mais au lieu\nde r\u00e9pondre, la f\u00e9e battait de l'aile, vacillante.\n\u2013 Clo ! Qu'y a-t-il ?\n\u2013 C'\u00e9tait empoisonn\u00e9, P eter, dit-elle doucement. Et je m'en vais\nmourir .\n\u2013 Oh ! Clochette, tu as bu pour me sauver la vie ! Oui!\n\u2013 Mais pourquoi, Clo ?\nSes ailes la portaient \u00e0 peine, pourtant elle vint se poser sur\nson \u00e9paule, lui mordilla tendrement le menton et murmura \u00e0\nson oreille :\n\u2013 Esp\u00e8ce d'imb\u00e9cile.\nEt elle se tra\u00eena jusqu'\u00e0 son lit o\u00f9 elle s'affaissa.\nPeter s'agenouilla tristement pr\u00e8s de la petite chambre de Clo .\nLa lumi\u00e8re de la petite f\u00e9e p\u00e2lissait de minute en minute ; si\nelle venait \u00e0 s'\u00e9teindre, ce serait pour toujours, et P eter le\nsavait. Ses larmes caus\u00e8rent un tel plaisir \u00e0 Clochette qu'elle\nlui posa un doigt sur la joue pour les sentir rouler .Elle parlait d'une voix si faible qu'il ne saisit pas tout de suite\nce qu'elle disait. Puis il comprit. Clo pensait qu'elle pourrait\n\u00eatre sauv\u00e9e si des enfants proclamaient bien haut qu'ils croient\naux f\u00e9es.\nPeter tendit aussit\u00f4t les bras. Il n'y avait pas d'enfants ici, et\nc'\u00e9tait la nuit, mais P eter s'adressait \u00e0 tous ceux qui r\u00eavent au\npays de l'Imaginaire et qui, par cons\u00e9quent, se trouvaient plus\nproches de lui que vous ne le pensez : gar\u00e7ons et filles en\nchemise de nuit, b\u00e9b\u00e9s peaux -rouges suspendus aux arbres\ndans leur berceau.\n\u2013 Croyez-vous aux f\u00e9es ? cria P eter.\nClochette s'assit vivement sur sa couche, anxieuse de\nconna\u00eetre son sort. Elle crut d'abord entendre des r\u00e9ponses\naffirmatives, mais elle n'en \u00e9tait pas certaine.\n\u2013 Qu'en penses-tu .? demanda-t-elle \u00e0 P eter.\n\u2013 Si vous croyez aux f\u00e9es, cria P eter aux enfants, frappez bien\nfort dans vos mains, ne laissez pas mourir Clochette !\nBeaucoup applaudirent.\nCertains s'abstinrent.\nEt quelques garnements siffl\u00e8rent.\nPuis les applaudissements cess\u00e8rent brusquement, comme si\ntoutes les mamans du monde s'\u00e9taient pr\u00e9cipit\u00e9es en m\u00eame\ntemps dans les chambres des enfants pour voir ce qui s'y\npassait. Mais Clo \u00e9tait sauv\u00e9e. D'abord sa voix tinta de\nnouveau. Puis elle bondit de son lit. Enfin elle se remit \u00e0\nvoltiger dans la pi\u00e8ce, d'un vol plus joyeux et hardi que jamais.\nElle oublia de remercier ceux qui avaient applaudi, mais elle\naurait bien aim\u00e9 tenir les voyous qui avaient os\u00e9 siffler !\n\u2014 Et maintenant, allons d\u00e9livrer W endy !\nLa lune voguait dans un ciel lourd de nuages, quand P eter\n\u00e9mergea de son arbre, couvert d'armes mais peu v\u00eatu quant au\nreste. Ce genre de nuit ne convenait pas tellement \u00e0 sa\np\u00e9rilleuse entreprise, car il projetait de survoler le terrain de\ntr\u00e8s pr\u00e8s, afin de ne perdre aucun indice. Mais, avec cette\nlumi\u00e8re intermittente, voler bas l'e\u00fbt oblig\u00e9 \u00e0 tra\u00eener son\nombre parmi les arbres, ce qui risquait de d\u00e9ranger les oiseaux\net d'avertir l'ennemi de sa pr\u00e9sence.Du coup, il regretta d'avoir baptis\u00e9 les oiseaux de l'\u00cele de noms\npar trop barbares, si bien que ces farouches volatiles se\nlaissaient difficilement approcher .\nIl n'y avait donc d'autre solution que de se frayer un chemin \u00e0\nla mani\u00e8re peau-rouge, dont heureusement il \u00e9tait un adepte\nfervent. Mais voil\u00e0, dans quelle direction chercher ? Rien ne\nl'assurait que les enfants avaient \u00e9t\u00e9 emmen\u00e9s \u00e0 bord du\nnavire. La neige \u00e9tait tomb\u00e9e et avait recouvert d'une l\u00e9g\u00e8re\ncouche toute trace de pas. Un silence de mort pesait sur l'\u00cele\ncomme si la nature \u00e9tait encore sous le coup du r\u00e9cent\ncarnage.\nPeter avait initi\u00e9 les enfants \u00e0 certaines coutumes de la for\u00eat\nqu'il avait lui-m\u00eame apprises de Lis tigr\u00e9 et de Clo . Il esp\u00e9rait\nqu'en ces heures d'\u00e9preuve, les enfants s'en \u00e9taient souvenus.\nLa Plume n'avait pas d\u00fb manquer l'occasion de faire une\nentaille aux arbres, par exemple, Le Fris\u00e9 avait sans doute\nsem\u00e9 des graines, ou W endy avait abandonn\u00e9 son mouchoir \u00e0\nun endroit bien en vue. Mais pour rep\u00e9rer de tels indices, il\naurait fallu attendre jusqu'au matin ; or , le temps pressait. Les\npuissances d'en haut avaient choisi P eter pour cette mission,\nmais elles n'avaient pas l'intention de l'aider .\n\u00c0 part le crocodile qui, \u00e0 un moment, le d\u00e9passa, aucun \u00eatre\nvivant ne manifestait sa pr\u00e9sence. P ourtant la mort, il le savait,\npouvait l'attendre \u00e0 l'arbre suivant, ou surgir par-derri\u00e8re pour\nle surprendre.\nIl lan\u00e7a son terrible d\u00e9fi :\n\u2014 \u00c0 nous deux, capitaine Crochet !\nTant\u00f4t il rampait dans les herbes comme un serpent, tant\u00f4t il\nbondissait \u00e0 travers les clairi\u00e8res baign\u00e9es de lune, un doigt\nsur la bouche et son poignard pr\u00eat \u00e0 frapper . Il \u00e9tait\nsupr\u00eamement heureux.\n14. Sur le bateau pirate.\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nUne lueur verte lorgnant sur la rade du Kidd, \u00e0 l'embouchure\nde la Rivi\u00e8re des Pirates, signalait l'endroit o\u00f9 louvoyait cet\ninf\u00e2me repaire du crime, le Jolly Roger , crasseux jusqu'\u00e0 la\ncoque et aussi r\u00e9pugnant qu'un sol souill\u00e9 de plumesensanglant\u00e9es. Cette terreur des mers se passait de vigie tant\nl'horreur de sa renomm\u00e9e la prot\u00e9geait de toute attaque.\nLa nuit l'enveloppait de son \u00e9pais manteau qui ne laissait\nfiltrer aucun bruit, si ce n'est le ronron de la machine \u00e0 coudre\nde Smee. P ath\u00e9tique Smee, si travailleur et si serviable, la\ncr\u00e8me de la banalit\u00e9 ! je ne sais ce qui le rendait si path\u00e9tique,\npeut-\u00eatre sa parfaite ignorance de l'\u00eatre ? Quoi qu'il en f\u00fbt, les\nhommes les plus virils devaient se d\u00e9tourner de lui pour ne pas\nc\u00e9der \u00e0 l'\u00e9motion que sa vue inspirait ; et certains soirs d'\u00e9t\u00e9,\nil avait attendri Crochet, jusqu'aux larmes. Mais de cela,\ncomme du reste, il \u00e9tait loin de se douter .\nQuelques pirates, accoud\u00e9s au bastingage, s'adonnaient \u00e0 la\nboisson dans les miasmes de la nuit ; d'autres se vautraient sur\nles barriques, jouant aux d\u00e9s ou aux cartes ; les quatre\ngaillards qui avaient transport\u00e9 la petite hutte \u00e9taient affal\u00e9s\nsur le pont o\u00f9, jusque dans leur sommeil, ils roulaient\nhabilement d'un c\u00f4t\u00e9 ou de l'autre, pour \u00e9viter les coups de\ngriffe que Crochet distribuait au passage.\nCrochet arpentait pensivement le pont. \u00d4 homme insondable !\nC'\u00e9tait son heure de triomphe. Il avait \u00e0 jamais \u00e9cart\u00e9 P eter de\nson chemin, et les autres gar\u00e7ons captifs sur le brick\nmarcheraient bient\u00f4t sur la planche. C'\u00e9tait le pire de ses\nexploits depuis le jour fameux o\u00f9 il avait mis Barbecue \u00e0 sa\nbotte. Quand on sait combien l'homme n'est qu'une outre de\nvanit\u00e9, on ne sera pas surpris de voir Crochet parcourir le pont\nd'un pas vertigineux, la t\u00eate enfl\u00e9e par les vents de la gloire.\nPourtant, nulle all\u00e9gresse ne transparaissait dans sa\nd\u00e9marche, qui se r\u00e9glait sur le m\u00e9canisme de son esprit\nt\u00e9n\u00e9breux. Crochet se sentait profond\u00e9ment abattu.\nCe sentiment qui s'emparait de lui lorsqu'il se recueillait en lui-\nm\u00eame dans la qui\u00e9tude de la nuit provenait de son douloureux\nisolement. Jamais cet homme \u00e9nigmatique ne se sentait plus\nseul qu'entour\u00e9 de ses valets rampants. Non, ils\nn'appartenaient pas au m\u00eame monde. Crochet n'\u00e9tait pas son\nvrai nom. M\u00eame encore de nos jours, r\u00e9v\u00e9ler sa v\u00e9ritable\nidentit\u00e9 mettrait le pays \u00e0 feu et \u00e0 sang. Mais ceux qui savent\nlire entre les lignes l'ont d\u00e9j\u00e0 devin\u00e9, il avait fr\u00e9quent\u00e9 l'une\ndes meilleures \u00e9coles ; il en avait gard\u00e9 les usages qui\nrestaient coll\u00e9s \u00e0 lui comme des v\u00eatements (avec\nlesquels ils ont en effet plus d'un rapport). Aussi lui \u00e9tait-il\nd\u00e9plaisant, m\u00eame \u00e0 cette p\u00e9riode avanc\u00e9e de sa carri\u00e8re, deprendre un bateau \u00e0 l'abordage sans avoir fait sa toilette au\npr\u00e9alable. Il affectait cette d\u00e9marche tra\u00eenante, privil\u00e8ge de\nl'\u00e9ducation qu'il avait re\u00e7ue. Mais par-dessus tout, il avait\nconserv\u00e9 le culte du bon ton.\nLe bon ton ! Au pire de sa d\u00e9ch\u00e9ance, il n'oubliait pas que\nc'\u00e9tait la seule chose qui import\u00e2t vraiment.\nDes tr\u00e9fonds de son \u00e2me montait un grincement de gonds\nrouill\u00e9s, puis un tap-tap-tap s\u00e9v\u00e8re, martelant la nuit comme\nquelqu'un qui ne trouve pas le sommeil.\n\u2013 N'as-tu pas quelque peu d\u00e9tonn\u00e9, aujourd'hui ?\nTelle \u00e9tait l'\u00e9ternelle question.\n\u2014 La gloire, la gloire, cette clinquante babiole, voil\u00e0 mon lot !\n\u2013 Est-il vraiment de bon ton de chercher \u00e0 se faire remarquer ?\nr\u00e9pliquait le tap-tap des biens\u00e9ances.\n\u2013 Je suis le seul homme qu'ait jamais craint Barbecue, insistait\nCrochet, et Flint lui-m\u00eame redoutait Barbecue !\n\u2013 Barbecue, Flint -de quelles familles sont-ils issus, ceux -l\u00e0 ?\ncinglait la r\u00e9ponse.\nQuestion plus alarmante encore, n'\u00e9tait-il pas de mauvais ton\nde tant se soucier du bon ton ? Ces pens\u00e9es le torturaient\njusque dans ses organes vitaux, telles une \u00e9pine fich\u00e9e dans\nson corps, plus ac\u00e9r\u00e9e que la griffe. T ant que durait ce\nsupplice, la sueur ruisselait de sa face cireuse jusque sur son\ngilet. Il avait beau s'\u00e9ponger la figure de ses manches, rien\nn'endiguait ce flux.\nAh ! N'enviez pas le malheureux Crochet.\nBrusquement lui vint le pressentiment de sa ruine prochaine,\ncomme si le d\u00e9fi terrible de P eter avait d\u00e9j\u00e0 atteint sa cible.\nUne m\u00e9lancolique envie de prononcer ses derni\u00e8res paroles\ns'empara de lui, de crainte, que plus tard, on ne lui en laisse\npas le temps.\n\u2014 Mis\u00e9rable Crochet ! s'\u00e9cria-t-il. Son ambition l'aura perdu !\n(\u00c0 ses heures les plus sombres, il se citait \u00e0 la troisi\u00e8me\npersonne).\n\u2013 Aucun enfant ne m'aime.Cette r\u00e9flexion saugrenue ne l'avait jamais troubl\u00e9 auparavant.\nLui \u00e9tait-elle inspir\u00e9e par le ronron de la machine \u00e0 coudre de\nSmee ? Monologuant \u00e0 voix haute, Crochet contempla\nlonguement Smee en train de coudre placidement des ourlets :\nle ma\u00eetre d'\u00e9quipage croyait dur comme fer que les enfants\navaient peur de lui.\nPeur de lui ! Qui avait peur de Smee ? Surtout pas les gosses\nqui l'avaient ador\u00e9 d\u00e8s le d\u00e9but. Il leur avait dit des choses\nabominables, les avait frapp\u00e9s avec la paume, parce qu'avec le\npoing il n'aurait jamais pu ; mais, plus que jamais, les enfants\ns'\u00e9taient accroch\u00e9s \u00e0 ses basques et Michael avait m\u00eame\nessay\u00e9 ses lunettes.\nDire au pauvre Smee que les enfants le trouvaient\nsympathique ? Crochet en mourait d'envie, mais c'e\u00fbt \u00e9t\u00e9 trop\ncruel. Alors, il retourna ce myst\u00e8re dans son esprit : pourquoi\nle trouvaient-ils sympathique ? Il traquait cette \u00e9nigme avec un\nacharnement de limier . Qu'\u00e9tait-ce donc qui rendait Smee si\nsympathique ? La r\u00e9ponse, jaillit, terrible : \u00ab Le bon ton ? \u00bb\nL'Irlandais poss\u00e9dait-il cette qualit\u00e9 sans le savoir , ce qui est le\nplus \u00e9lev\u00e9 de tous les tons ?\nPoussant un cri de rage, le capitaine leva sa main de fer au-\ndessus de la t\u00eate de Smee, mais une r\u00e9flexion suspendit son\ngeste : \u00ab Griffer quelqu'un sous pr\u00e9texte qu'il fait preuve de\nbon ton, qu'est-ce que c'est ? \u00bb\n\u00ab Une preuve de mauvais ton ! \u00bb\nAussi impuissant que moite de sueur , le malheureux Crochet\ntomba en avant comme une fleur fauch\u00e9e.\nLes hommes d'\u00e9quipage le croyant hors circuit pour un\nmoment, la discipline se rel\u00e2cha aussit\u00f4t. Ils se livr\u00e8rent \u00e0 une\nbacchanale effr\u00e9n\u00e9e, qui le remit imm\u00e9diatement debout.\nToutes traces de faiblesse humaine \u00e9taient effac\u00e9es de sa\npersonne, comme s'il avait re\u00e7u un seau d'eau.\n\u2013 La paix, cancres ! Ou je vous \u00e9trille !\nLe chahut cessa aussit\u00f4t.\n\u2013 Les enfants sont-ils bien encha\u00een\u00e9s ? Ils ne risquent pas de\ns'envoler ?\n\u2013 Non, monsieur .\u2013 Alors amenez-les.\nOn tira les gar\u00e7ons de la cale pour les aligner devant le\ncapitaine, mais celui-ci ne semblait pas s'apercevoir de leur\npr\u00e9sence. Il fl\u00e2nait nonchalamment, tout en fredonnant non\nsans talent quelques mesures d'un refrain polisson, tandis que\nses doigts jouaient avec un paquet de cartes. De temps \u00e0 autre,\nson cigare jetait une lueur rouge\u00e2tre sur sa figure.\n\u2013 Maintenant, mes mignons, dit-il avec vivacit\u00e9, six d'entre\nvous sont pass\u00e9s sur la planche, mais j'ai besoin de deux\ngar\u00e7ons de cabine. Qui se porte volontaire ?\n\u00ab Ne l'irritez pas inutilement \u00bb, leur avait recommand\u00e9 W endy\ndans la cale. La Guigne fit donc un pas en avant d'un air poli.\nL'id\u00e9e de servir un tel ma\u00eetre ne lui souriait gu\u00e8re, et son\ninstinct lui soufflait qu'en la circonstance, il serait judicieux de\nrejeter la responsabilit\u00e9 de son refus sur une personne absente\n; quoique un peu nigaud, il savait que seules les m\u00e8res\nacceptent de jouer le r\u00f4le de tampon. T ous les enfants le\nsavent, et, tout en les m\u00e9prisant pour cela, ne se privent pas\nd'en abuser .\nAussi La Guigne expliqua-t-il prudemment :\n\u2013 Voyez-vous, monsieur , je ne crois pas que ma m\u00e8re aurait\naim\u00e9 me voir devenir pirate. Et la tienne, La Plume ?\nIl fit un clin d'oeil \u00e0 La Plume qui r\u00e9pondit comme \u00e0 regret :\n\u2013 Je ne crois pas non plus. Et vous, les Jumeaux ?\n\u2014 Moi non plus, dit le premier Jumeau, pas plus b\u00eate que les\nautres. Et toi, Bon Zigue ?\n\u2013 Arr\u00eatez \u00e7a ! rugit Crochet.\nEt les porte-parole furent brutalement remis dans le rang.\n\u2013 Et toi, mon gar\u00e7on, reprit Crochet \u00e0 l'adresse de John. Tu\nm'as l'air un peu plus d\u00e9lur\u00e9 que le reste. N'as-tu jamais r\u00eav\u00e9\nd'\u00eatre pirate, p'tit gars ?\nJohn avait d\u00e9j\u00e0 fait l'exp\u00e9rience de ce genre de tentation, en\nclasse de math\u00e9matiques ; et cela le flattait d'\u00eatre remarqu\u00e9\npar Crochet.\n\u2013 J'aurais aim\u00e9 m'appeler Jacques-les-mains-rouges, souffla-t-iltimidement.\n\u2013 C'est un nom qui a de l'allure. On t'appellera comme \u00e7a si tu\nte joins \u00e0 notre \u00e9quipage.\n\u2013 Qu'en penses-tu, Michael ? demanda John.\n\u2013 Et moi, comment m'appellerait-on si je venais aussi ? s'ensuit\nMichael.\n\u2013 Jojo Barbe-Noire.\n\u2013 Qu'en penses-tu, John ? fit Michael, impressionn\u00e9. Il voulait\nque ce f\u00fbt John qui pr\u00eet la d\u00e9cision, de m\u00eame que John voulait\nque ce f\u00fbt lui.\n\u2014 Resterons-nous les sujets respectueux de Sa Majest\u00e9 ?\n\u2014 Il vous faudra crier : \u00ab \u00c0 bas le Roi ! \u00bb dit Crochet entre ses\ndents.\nJusque-l\u00e0, John ne s'\u00e9tait peut-\u00eatre pas tr\u00e8s bien conduit, mais\nson courage brilla soudain de tout son \u00e9clat.\n\u2013 En ce cas, je refuse ! s'\u00e9cria-t-il en tapant sur la barrique qui\nse trouvait devant Crochet.\n\u2014 Moi aussi ! cria Michael.\n\u2013 Vive l'Angleterre ! glapit Le Fris\u00e9.\nFurieux, les pirates les frapp\u00e8rent sur la bouche, tandis que\nCrochet rugissait :\n\u2014 Vous venez de signer votre arr\u00eat de mort ! Qu'on fasse\nmonter leur m\u00e8re, et qu'on pr\u00e9pare la planche !\nLes gar\u00e7ons p\u00e2lirent en voyant Bill le Truand et Cecco\nappr\u00eater l'instrument de leur supplice, mais ils firent brave\ncontenance quand W endy parut.\nLes mots ne manquent pas pour d\u00e9crire le m\u00e9pris qu'\u00e9prouvait\nWendy \u00e0 l'\u00e9gard des pirates. Aux yeux des gar\u00e7ons, le titre de\npirate pouvait garder quelque prestige, mais tout ce qu'elle\nvoyait, elle, c'est que le bateau n'avait pas \u00e9t\u00e9 nettoy\u00e9 depuis\ndes si\u00e8cles. P as un seul hublot sur lequel on ne p\u00fbt \u00e9crire \u00ab\nCochons ! \u00bb avec son doigt ! Et W endy ne s'\u00e9tait pas g\u00ean\u00e9e\npour le faire. Mais au moment o\u00f9 les gar\u00e7ons l'entouraient,elle n'avait de pens\u00e9e que pour eux.\n\u2014 Alors, ma belle, dit Crochet d'une voix sirupeuse, on va voir\nses enfants se promener sur la planche.\nSes simagr\u00e9es, bien que n'ayant pas entam\u00e9 sa prestance,\nl'avaient fait transpirer si abondamment que sa fraise de\ndentelle en \u00e9tait toute macul\u00e9e. Il vit que W endy fixait son\nregard dessus, et il tenta vivement de la faire dispara\u00eetre mais\ntrop tard.\n\u2013 Sont-ils condamn\u00e9s \u00e0 mourir ? demanda W endy sur un tel ton\nde m\u00e9pris qu'il faillit s'en trouver mal.\n\u2014 Ils le sont ! r\u00e9pliqua-t-il avec hargne. Silence, vous tous !\n\u00c9coutez les derni\u00e8res paroles qu'une m\u00e8re adresse \u00e0 ses\nenfants. W endy fut h\u00e9ro\u00efque.\n\u2013 Voici mes derni\u00e8res paroles, mes chers enfants, d\u00e9clara-t-elle\nd'une voix ferme. Je vous dirai ce que vous auraient dit vos\nvraies mamans : \u00ab Nous esp\u00e9rons que nos fils sauront mourir\nen bons et dignes Anglais. \u00bb\nLes pirates eux -m\u00eames \u00e9coutaient avec respect, et La Guigne\ns'\u00e9cria nerveusement :\n\u2013 Je ferai ce que souhaite ma m\u00e8re. Et toi, Zigue, que vas-tu\nfaire ?\n\u2013 Ce que souhaite ma m\u00e8re. Et vous, les Jumeaux ?\n\u2013 Ce que souhaite notre m\u00e8re. Et toi, John, que vas-tu faire ?\nMais Crochet avait retrouv\u00e9 sa voix et ordonna \u00e0 Smee\nd'attacher W endy au m\u00e2t. Smee ob\u00e9it.\n\u2013 \u00c9coute, ma douce, souffla-t-il \u00e0 la fillette, je te sauverai si tu\nme promets d'\u00eatre ma m\u00e8re.\n\u2013 J'aimerais mieux ne pas avoir d'enfants du tout ! r\u00e9pliqua-t-\nelle avec d\u00e9dain.\n\u00c0 mon regret, je dois dire qu'\u00e0 ce moment-l\u00e0, pas un gar\u00e7on ne\nregardait de son c\u00f4t\u00e9. T ous les yeux \u00e9taient fix\u00e9s sur la planche\nqui les attendait pour une br\u00e8ve et ultime promenade. Ils ne\npensaient plus \u00e0 leur vaillante promesse. Ils ne pensaient plus\n\u00e0 rien. Ils regardaient, transis de peur .\nCrochet leur sourit, les dents serr\u00e9es, et se dirigea vers W endydans l'intention de l'obliger \u00e0 regarder les gar\u00e7ons s'avancer\nun par un sur la planche fatale. Mais il n'alla pas jusqu'\u00e0 elle ;\nil n'entendit pas le cri d'angoisse qu'il avait esp\u00e9r\u00e9 lui\narracher . Un autre son vint frapper son oreille.\nTic tac tic tac tic...\nPirates, gar\u00e7ons, W endy - tous l'entendirent et toutes les t\u00eates\nse tourn\u00e8rent dans la m\u00eame direction, c'est-\u00e0-dire non vers la\nmer d'o\u00f9 provenait le bruit, mais vers Crochet. Chacun savait\nque ce qui allait arriver ne concernait plus que lui ; d'acteurs,\nils redevenaient spectateurs.\nLe capitaine \u00e9tait affreusement chang\u00e9, disloqu\u00e9, comme si on\nlui avait d\u00e9bo\u00eet\u00e9 toutes les articulations. Il s'affaissa en un petit\npas.\nLe tic-tac se rapprochait r\u00e9guli\u00e8rement, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 de ce\npronostic effrayant : \u00ab Le crocodile se pr\u00e9pare \u00e0 monter \u00e0\nbord. \u00bb\nM\u00eame la griffe de fer pendait, inerte, comme consciente que\nl'ennemi ne lui en voulait pas \u00e0 elle, intrins\u00e8quement. Ainsi\nabandonn\u00e9 de tous, un autre homme que Crochet se f\u00fbt laiss\u00e9\naller au d\u00e9sespoir , gisant les yeux ferm\u00e9s \u00e0 l'endroit m\u00eame de\nsa chute. Mais le cerveau surhumain de Crochet luttait encore\net, sur ses directives, le capitaine se tra\u00eena \u00e0 genoux le long du\npont, fuyant le plus loin possible de ce tic-tac. Les pirates lui\nouvrirent respectueusement le passage. Quand il eut atteint le\nbastingage, il s'\u00e9cria d'une voix rauque :\n\u2014 Cachez-moi !\nOn l'entoura aussit\u00f4t ; tous les yeux se d\u00e9tourn\u00e8rent de la\ncr\u00e9ature qui montait \u00e0 bord. Nul n'avait l'intention de lutter\ncontre elle. C'\u00e9tait le Destin.\nLorsque Crochet eut enti\u00e8rement disparu, la curiosit\u00e9 d\u00e9lia les\nmembres des gar\u00e7ons qui se ru\u00e8rent de l'autre c\u00f4t\u00e9 du bateau\npour voir le crocodile grimper \u00e0 bord. Alors ils eurent la plus\n\u00e9trange surprise que leur r\u00e9servait cette Nuit des Nuits. Ce\nn'\u00e9tait pas le crocodile qui venait \u00e0 leur secours, mais... P eter.15. \"\u00c0 nous deux, capitaine\nCrochet!\"\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nIl leur fit signe de se retenir de crier d'admiration, pour ne pas\n\u00e9veiller les soup\u00e7ons de l'ennemi. Et il continua \u00e0 tictaquer .\u00ab \u00c0\nnous deux, capitaine Crochet ! \u00bb\nIl nous arrive \u00e0 tous d'\u00e9tranges choses, sur le chemin de la vie,\nsans que nous y prenions garde tout de suite. Ainsi, par\nexemple, nous d\u00e9couvrons subitement que, depuis un laps de\ntemps ind\u00e9termin\u00e9,\ndisons une demi-heure, nous n'y entendons plus que d'une\noreille. C'est le genre d'exp\u00e9rience que fit P eter cette nuit-l\u00e0.\nQuand nous l'avons vu pour la derni\u00e8re fois, il traversait\nfurtivement l'\u00cele, un doigt sur les l\u00e8vres, et le poignard pr\u00eat \u00e0\nfrapper . Lorsque le crocodile le d\u00e9passa, il ne remarqua rien\nde particulier ; ce n'est qu'un peu plus tard qu'il se souvint de\nne pas avoir entendu son tic-tac familier . Il trouva ce fait\ninqui\u00e9tant, puis conclut avec raison que le r\u00e9veil avait d\u00fb\ns'arr\u00eater .\nSans se demander un instant ce que peut \u00e9prouver une\ncr\u00e9ature brutalement priv\u00e9e de son plus intime compagnon,\nPeter r\u00e9fl\u00e9chit \u00e0 la fa\u00e7on dont il pourrait utiliser la catastrophe\n\u00e0 son propre avantage ; et il d\u00e9cida de faire tic-tac afin que les\nb\u00eates sauvages, le prenant pour le crocodile, le laissent passer\nsans encombre. Il tictaquait \u00e0 merveille, mais le r\u00e9sultat fut\ninattendu. Le crocodile \u00e9tant de ceux qui l'entendirent se mit \u00e0\nle suivre, soit dans le but de r\u00e9cup\u00e9rer ce qu'il avait perdu, soit\nsimplement comme un ami qui croit de nouveau faire tic-tac\n(on ne le saura jamais), car , comme tous les gens esclaves\nd'une id\u00e9e fixe, c'\u00e9tait une cr\u00e9ature stupide.\nPeter atteignit le rivage sain et sauf , et poursuivit sa route ;\nses jambes entr\u00e8rent dans l'eau comme si elles ignoraient\nqu'elles p\u00e9n\u00e9traient dans un \u00e9l\u00e9ment diff\u00e9rent. Ainsi font un\ngrand nombre d'animaux qui passent de la terre au milieu\naquatique, mais pas un humain de ma connaissance.\nTout en nageant, P eter n'avait qu'une seule pens\u00e9e : \u00ab Cette\nfois, ce sera Crochet ou moi ! \u00bb Il s'\u00e9tait tellement habitu\u00e9 \u00e0\nson tic-tac qu'il le faisait machinalement maintenant, sansm\u00eame s'en rendre compte. S'en serait-il aper\u00e7u qu'il aurait\ncess\u00e9 aussit\u00f4t, car il ne lui vint pas \u00e0 l'esprit d'aborder le\nnavire en se servant de ce tic-tac -encore que ce proc\u00e9d\u00e9 soit\ning\u00e9nieux.\nAu contraire, il fut persuad\u00e9 qu'il avait escalad\u00e9 le flanc du\nbrick sans faire plus de bruit qu'une souris. Aussi fut-il tout\nsurpris de voir les pirates trembler devant lui, et Crochet au\nmilieu d'eux, aussi pitoyable que s'il entendait le crocodile.\nLe crocodile ! P eter n'e\u00fbt pas plus t\u00f4t pens\u00e9 \u00e0 lui qu'il entendit\nson tic-tac, et il jeta un bref coup d'oeil derri\u00e8re lui. Puis il\nr\u00e9alisa qu'il \u00e9tait lui-m\u00eame l'auteur de ce bruit et saisit en un\n\u00e9clair toute la situation. \u00ab Comme je suis intelligent ! \u00bb se dit-il\ntout en faisant signe aux gar\u00e7ons de garder leurs\napplaudissements pour plus tard.\n\u00c0 ce moment, Ed T eynte le quartier-ma\u00eetre surgit du gaillard\nd'avant et s'avan\u00e7a sur le pont. \u00c0 pr\u00e9sent, lecteur , regarde ta\nmontre et chronom\u00e8tre l'action. P eter frappe juste et fort. De\nses mains, John b\u00e2illonne l'infortun\u00e9 pirate et \u00e9touffe son cri\nd'agonie. Celui-ci s'effondre en avant. Quatre gar\u00e7ons se\npr\u00e9cipitent et amortissent le bruit de sa chute. P eter donne le\nsignal et le cadavre est jet\u00e9 par-dessus bord. Un plouf ! puis le\nsilence. Combien cela a dur\u00e9 ?\n\u2013 Et d'un ! dit La Plume. (Le compte a commenc\u00e9.)\nPeter disparut, sur la pointe des pieds dans la cabine. Il \u00e9tait\ntemps, car plus d'un pirate prenait son courage \u00e0 deux mains\npour regarder autour de soi. Chacun percevait maintenant le\nsouffle haletant de l'autre, ce qui prouvait que le terrible son\navait cess\u00e9.\n\u2014 Il est parti, capitaine, dit Smee en essuyant ses lunettes.\nTout est calme.\nLentement, Crochet sortit la t\u00eate de dessous sa fraise, et tendit\nsi fort l'oreille qu'il aurait pu ou\u00efr l'\u00e9cho du tic-tac.\nN'entendant rien, il se remit fermement sur ses pieds.\n\u2013 \u00c0 la planche ! cria-t-il d'un air cr\u00e2ne.\nCar \u00e0 pr\u00e9sent que les gar\u00e7ons l'avaient vu mollir , il les ha\u00efssait\nplus que jamais. Et il entonna l'inf\u00e2me couplet que voici :\nYo ho, yo ho, la jolie planche !Promenons-nous \u00e0 petits pas\nJusqu'\u00e0 ce qu'elle penche et nous envoie\nBoire \u00e0 la grande tasse !\nPour terroriser davantage ses prisonniers, et bien que sa\ndignit\u00e9 en p\u00e2t\u00eet, il se mit \u00e0 danser sur une planche imaginaire\ntout en chantant et grima\u00e7ant. Quand il eut fini, il lan\u00e7a :\n\u2013 Voulez-vous une caresse du chat \u00e0 neuf queues, avant de\nmarcher sur la planche ?\nTous tomb\u00e8rent \u00e0 genoux.\n\u2014 Non ! non ! suppli\u00e8rent-ils d'une voix lamentable qui amena\nun sourire sur la face cruelle des pirates.\n\u2013 Qu'on aille chercher le fouet ! dit Crochet. Il est dans la\ncabine.\nLa cabine ! P eter aussi \u00e9tait dans la cabine. Les enfants\n\u00e9chang\u00e8rent un regard.\n\u2013 On y va ! r\u00e9pondit gaiement le Truand \u00e0 son capitaine.\nLes gar\u00e7ons le suivirent des yeux tandis qu'il p\u00e9n\u00e9trait dans la\ncabine ; ils s'aper\u00e7urent \u00e0 peine que Crochet avait repris sa\nchanson, accompagn\u00e9 de ses chiens serviles :\nYo ho, yo ho, le chat griffu !\nN'oubliez pas qu'il a neuf queues,\nEt quand elles \u00e9crivent sur votre dos...\nLa suite on ne la saura jamais, car un hurlement horrible jailli\nde la cabine interrompit les chanteurs. La plainte se r\u00e9pandit\nsur le pont avant de se perdre au loin. Un chant de victoire lui\nsucc\u00e9da, que les gar\u00e7ons connaissaient fort bien, et qui effraya\nles pirates plus encore que le hurlement.\n\u2013 Qu'\u00e9tait-ce ? demanda Crochet.\n\u2013 Et de deux ! dit La Plume d'un ton solennel.\nApr\u00e8s une minute d'h\u00e9sitation, l'Italien Cecco s'\u00e9lan\u00e7a dans la\ncabine. Il en ressortit chancelant et hagard.\u2013 Eh bien, chien ! Qu'est-il arriv\u00e9 au Truand ? siffla Crochet en\nse campant devant lui.\n\u2013 Il lui est arriv\u00e9 qu'il est mort, poignard\u00e9 ! dit Cecco d'une\nvoix blanche.\n\u2013 Bill le Truand, mort ! s'\u00e9cri\u00e8rent les pirates, m\u00e9dus\u00e9s.\n\u2013 Il fait noir comme chez le loup dans cette cabine, dit Cecco,\nb\u00e9gayant presque. Et il y a l\u00e0-dedans une chose terrible qui\nchante comme un coq.\nL'air de jubilation des gar\u00e7ons, les regards de d\u00e9tresse des\npirates, rien de tout cela n'\u00e9chappa \u00e0 Crochet.\n\u2013 Cecco, dit-il de son ton le plus ferme, retourne \u00e0 la cabine, et\nram\u00e8ne-moi ce chanteur de cocoricos !\nCecco, le brave des braves, refusa en tremblant ; mais Crochet\ncaressait sa griffe d'un air sinistre.\n\u2014 Tu as bien dit que tu irais, Cecco ? dit-il r\u00eaveusement.\nCecco partit en levant les bras de d\u00e9sespoir . Cette fois, plus de\nchant, tous \u00e9coutaient. De nouveau s'\u00e9leva un cri d'agonie,\npuis un autre de victoire. P ersonne ne souffla mot, sauf La\nPlume.\n\u2014 Et de trois ! dit-il.\nD'un geste, Crochet rassembla ses troupes.\n\u2013 Stupides harengs saurs ! tonna-t-il. Lequel d'entre vous va\nme ramener ce pousseur de cocoricos ?\n\u2013 Attendez que Cecco soit revenu, ronchonna Starkey , et les\nautres se rang\u00e8rent \u00e0 son avis.\n\u2013 Il m'a sembl\u00e9 que tu te portais volontaire, Starkey , dit\nCrochet sans cesser de caresser sa griffe.\n\u2013 Par tous les diables, non ! s'\u00e9cria Starkey .\n\u2013 Ma griffe pense le contraire, dit Crochet en s'avan\u00e7ant vers\nlui. Je me demande, Starkey , s'il ne serait pas plus sage de ta\npart de m\u00e9nager son humeur .\n\u2013 Plut\u00f4t me faire pendre que d'entrer l\u00e0-dedans ! s'obstinaStarkey , soutenu une fois de plus par l'\u00e9quipage.\n\u2013 Une mutinerie ? demanda Crochet plus aimable que jamais.\nEt Starkey m\u00e8ne le bal !\n\u2013 Piti\u00e9, capitaine, g\u00e9mit Starkey tremblant des pieds \u00e0 la t\u00eate.\n\u2013 Serrons-nous la main, Starkey , r\u00e9pondit Crochet en tendant\nsa griffe.\nDu regard, Starkey chercha du renfort parmi ses camarades,\nmais tous l'abandonnaient. Il recula. Crochet marchait devant\nlui, la fameuse lueur rouge allum\u00e9e dans ses prunelles. A vec\nun cri de d\u00e9sespoir , le pirate enjamba le canon et se pr\u00e9cipita\ndans la mer .\n\u2013 Et de quatre ! dit La Plume.\n\u2013 \u00c0 pr\u00e9sent, demanda poliment Crochet, un autre gentleman\nd\u00e9sire-t-il se mutiner ?\nIl saisit une lanterne et brandissant son crochet d'un air\nmena\u00e7ant :\n\u2013 J'irai moi-m\u00eame chercher cet animal ! dit-il. Et il entra\nr\u00e9solument dans la cabine.\n\u00ab Et de cinq ! \u00bb Oh ! comme La Plume tr\u00e9pignait d'impatience.\nIl s'humecta les l\u00e8vres pour \u00eatre pr\u00eat \u00e0 le dire, mais Crochet\nressortit de la cabine en titubant, et sans sa lanterne.\n\u2013 Quelque chose a souffl\u00e9 la flamme, dit-il d'une voix mal\nassur\u00e9e.\n\u2013 Quelque chose ! r\u00e9p\u00e9ta Mullins.\n\u2013 Et Cecco ? demanda Plat-de-Nouilles.\n\u2013 Aussi mort que le Truand, r\u00e9pondit bri\u00e8vement Crochet.\nSon peu d'empressement \u00e0 retourner dans la cabine\nimpressionna d\u00e9favorablement l'\u00e9quipage, et de nouveaux\nappels \u00e0 la mutinerie s'\u00e9lev\u00e8rent. T ous les pirates sont\nsuperstitieux. Et Cookson observa :\n\u2013 On dit que le signe le plus s\u00fbr pour reconna\u00eetre un bateau\nmaudit, c'est quand il y a \u00e0 bord une personne de plus qu'on\nn'en peut compter .\u2014 J'ai entendu dire, marmonna Mullins, qu'\u00ab il \u00bb hante\ntoujours les bateaux pirates pr\u00e8s de leur fin. A vait-il une\nqueue, capitaine ?\n\u2013 On dit que quand \u00ab il \u00bb vient, ajouta un troisi\u00e8me avec un\nregard de haine pour Crochet, \u00ab il \u00bb prend l'apparence du plus\nm\u00e9chant des hommes qui se trouvent \u00e0 bord.\n\u2013 Avait-il un crochet ? railla insolemment Cookson. Et l'un\napr\u00e8s l'autre, tous r\u00e9p\u00e9t\u00e8rent :\n\u2013 Ce navire est vou\u00e9 \u00e0 sa perte.\nSur ce, les enfants ne purent s'emp\u00eacher de pousser des\nhourras. Crochet avait presque oubli\u00e9 ses prisonniers ; alors\nqu'il se balan\u00e7ait d'un pied sur l'autre en tournant autour\nd'eux, son regard s'alluma soudain.\n\u2013 Les gars ! lan\u00e7a-t-il \u00e0 l'\u00e9quipage, j'ai une id\u00e9e. Ouvrez la\nporte de la cabine, et poussez les gamins l\u00e0-dedans. Qu'ils se\nd\u00e9brouillent avec le chanteur de cocoricos. S'ils le tuent, tant\nmieux pour nous ; s'il les tue, tant pis pour eux et ce n'est pas\nmal pour nous.\nPour la derni\u00e8re fois, ces chiens rampants admir\u00e8rent leur\ncapitaine et ex\u00e9cut\u00e8rent fid\u00e8lement ses ordres. Les gar\u00e7ons,\nfeignant de se regimber , furent pouss\u00e9s \u00e0 l'int\u00e9rieur de la\ncabine dont la porte se referma sur eux.\n\u2013 Et maintenant, \u00e9coutons ! cria Crochet.\nTous \u00e9cout\u00e8rent, sans que personne os\u00e2t regarder la porte. Si,\nune seule osa, W endy, qui pendant tout ce temps \u00e9tait rest\u00e9e\nattach\u00e9e au m\u00e2t. Elle ne s'attendait ni \u00e0 un cri d'agonie ni \u00e0 un\ncocorico de triomphe, mais \u00e0 voir r\u00e9appara\u00eetre P eter.\nElle n'attendit pas longtemps. P eter avait enfin trouv\u00e9 ce qu'il\ncherchait : la clef qui lib\u00e9rerait les enfants de leurs cha\u00eenes.\nQuand ils se gliss\u00e8rent hors de la cabine, arm\u00e9s de toutes les\narmes qu'ils avaient pu d\u00e9nicher , Peter leur fit signe de se tenir\ncach\u00e9s jusqu'\u00e0 ce qu'il e\u00fbt coup\u00e9 les liens qui retenaient\nWendy. Ce fut aussit\u00f4t fait et alors, rien n'e\u00fbt \u00e9t\u00e9 plus facile\nque de s'envoler tous ensemble. Oui, mais voil\u00e0 : le d\u00e9fi de\nPeter, \u00ab \u00c0 nous deux, capitaine Crochet ! \u00bb, leur barrait la\nroute. P eter souffla \u00e0 l'oreille de W endy d'aller se cacher avec\nle reste de la bande et lui-m\u00eame prit sa place au pied du m\u00e2t,\nenvelopp\u00e9 dans le manteau de la fillette. Alors, prenant sarespiration, il poussa son cocorico de victoire.\nLes pirates crurent pour le coup que tous les gar\u00e7ons gisaient\nmorts dans la cabine. Crochet essaya de ranimer leur courage.\nMais il avait fait d'eux des chiens, et ces chiens lui montraient\nleurs crocs. S'il d\u00e9tournait les yeux, ils lui sauteraient dessus.\n\u2013 Les gars, reprit-il, pr\u00eat \u00e0 cajoler ou \u00e0 frapper selon les\nbesoins de la cause mais sans abdiquer le moins du monde, je\nsais ce que c'est. Il y a un oiseau de malheur \u00e0 bord.\n\u2013 Ouais, rican\u00e8rent-ils, hargneux, une esp\u00e8ce d'homme avec\nune griffe.\n\u2013 Non, les gars, non, c'est la fille. Les femmes ont toujours\nport\u00e9 malheur aux bateaux pirates. T out ira bien quand elle\naura d\u00e9barrass\u00e9 le plancher .\nCertains se souvinrent que c'\u00e9tait l\u00e0 un des aphorismes favoris\nde Flint.\n\u2013 Cela vaut le coup d'essayer , dirent-ils, \u00e0 demi convaincus.\n\u2014 Jetez-la par-dessus bord ! ordonna Crochet.\nIls se pr\u00e9cipit\u00e8rent vers ce qu'ils croyaient \u00eatre W endy.\n\u2013 Plus personne ne peut vous sauver , mam'zelle ! railla Mullins.\n\u2013 Si ! r\u00e9pondit le personnage emmitoufl\u00e9 dans le manteau.\n\u2013 Qui donc ?\n\u2013 Peter P an le V engeur ! s'\u00e9cria le gar\u00e7on en jetant \u00e0 terre le\nmanteau.\nAlors tous comprirent qui \u00e9tait l'auteur du massacre de la\ncabine. P ar deux fois, Crochet essaya de parler , par deux fois la\nvoix lui manqua. En cette minute terrible, son coeur f\u00e9roce dut\nse briser .\n\u2013 Pourfendez-le ! ordonna-t-il mais sans grande conviction.\n\u2013 Allons-y , gar\u00e7ons ! \u00c0 l'attaque ! lan\u00e7a la voix juv\u00e9nile de\nPeter.\nL'instant d'apr\u00e8s, tout le navire retentissait du cliquetis des\narmes. Si les pirates s'\u00e9taient regroup\u00e9s, ils auraient puremporter la victoire. Mais l'assaut leur avait fait perdre la\nt\u00eate, et ils couraient \u00e7\u00e0 et l\u00e0, frappant au hasard, chacun se\ncroyant le dernier survivant de l'\u00e9quipage ; \u00e0 un contre un, ils\n\u00e9taient les plus forts, mais comme ils se bornaient \u00e0 se\nd\u00e9fendre, cela permettait aux gar\u00e7ons de chasser par paire et\nde choisir leur proie. Certains de ces sc\u00e9l\u00e9rats se jetaient \u00e0 la\nmer ; d'autres se cachaient dans des coins sombres o\u00f9 La\nPlume, qui ne combattait pas, allait les d\u00e9nicher avec une\nlanterne qu'il leur braquait en plein visage, de sorte qu'\u00e0\nmoiti\u00e9 aveugl\u00e9s, ils faisaient des victimes toutes pr\u00eates pour\nles \u00e9p\u00e9es fumantes des autres gar\u00e7ons. On n'entendait que le\nfracas des armes, de temps \u00e0 autre un cri de douleur ou un\nplouf !, et La Plume comptant d'un ton monocorde -cinq, six,\nsept, huit, neuf , dix, onze.\nLorsqu'il n'en resta plus un seul \u00e0 bord, un groupe de gar\u00e7ons\npleins d'ardeur entoura Crochet qui sembla ravi de l'aubaine\ntandis qu'il les tenait \u00e0 distance dans son cercle de feu. Ils\n\u00e9taient venus \u00e0 bout de ses hommes, mais \u00e0 lui seul il \u00e9tait de\ntaille \u00e0 lutter contre eux tous. Chaque fois qu'ils revenaient \u00e0\nla charge, il les repoussait loin de lui. Il avait soulev\u00e9 un\ngar\u00e7on avec son crochet et s'en servait comme d'un bouclier ,\nlorsqu'un autre, qui venait de passer son \u00e9p\u00e9e au travers de\nMullins, se jeta dans la m\u00eal\u00e9e.\n\u2013 Levez vos \u00e9p\u00e9es, les gars ! s'\u00e9cria le nouveau venu, cet\nhomme m'appartient !\nEt Crochet se trouva soudain face \u00e0 face avec P eter. Les autres\nrecul\u00e8rent et form\u00e8rent un cercle autour d'eux.\nLes deux adversaires \u00e9chang\u00e8rent un long regard. Crochet\nfrissonnait l\u00e9g\u00e8rement, et P eter arborait son \u00e9trange sourire.\n\u2013 Ainsi, P an, dit enfin Crochet, tout ceci est ton oeuvre !\n\u2013 Oui, Jacques Crochet, r\u00e9pondit l'autre durement, c'est mon\noeuvre.\n\u2013 Insolente et orgueilleuse jeunesse, appr\u00eate-toi \u00e0 affronter ton\ndestin.\n\u2014 Homme t\u00e9n\u00e9breux et malfaisant, r\u00e9pondit P eter, d\u00e9fends-toi\n!\nSans \u00e9changer d'autres paroles, ils se mirent \u00e0 l'ouvrage, et\npendant un moment, il n'y eut d'avantage ni d'un c\u00f4t\u00e9 ni de\nl'autre. P eter \u00e9tait un magnifique escrimeur , et parait les coupsavec une rapidit\u00e9 foudroyante ; il feintait, puis allongeait une\nbotte qui surprenait la d\u00e9fense adverse. Malheureusement, la\nport\u00e9e insuffisante de ses coups le handicapait puisqu'il ne\npouvait toucher l'ennemi. Crochet, aussi brillant sinon aussi\npreste dans le jeu du poignet, le for\u00e7ait \u00e0 reculer sous l'\u00e9lan de\nses assauts, esp\u00e9rant en finir rapidement gr\u00e2ce \u00e0 une botte\nsecr\u00e8te que lui avait enseign\u00e9e Barbecue, autrefois \u00e0 Rio . Mais\n\u00e0 son vif d\u00e9sappointement, la botte fut d\u00e9tourn\u00e9e \u00e0 chacune de\nses tentatives. Il voulut alors frapper le coup de gr\u00e2ce avec son\ncrochet de fer qui d\u00e9chirait l'air . Peter esquiva, se faufila par-\ndessous, et allongea un coup d\u00e9cisif qui transper\u00e7a le capitaine\nentre les c\u00f4tes. \u00c0 la vue de son propre sang, dont - vous vous\nen souvenez - la couleur peu ordinaire lui \u00e9tait insupportable,\nl'\u00e9p\u00e9e tomba de sa main et il se trouva \u00e0 la merci de P eter.\n\u2013 Ach\u00e8ve-le ! cri\u00e8rent les gar\u00e7ons.\nMais d'un geste sublime, P eter invita son ennemi \u00e0 ramasser\nson \u00e9p\u00e9e. Crochet ne se le fit pas dire deux fois, avec\ncependant le sentiment tragique que P eter lui donnait une\nle\u00e7on de savoir-vivre.\nJusque-l\u00e0, il croyait combattre un d\u00e9mon, mais de plus sombres\nsoup\u00e7ons l'assaillirent.\n\u2013 Qui es-tu donc, P an ? cria-t-il.\n\u2014 Je suis la jeunesse, je suis la joie, r\u00e9pondit P eter tout \u00e0 trac,\nje suis un petit oiseau sorti de l'oeuf .\nCette r\u00e9ponse absurde prouvait n\u00e9anmoins que P eter n'avait\npas la moindre id\u00e9e de ce qu'il \u00e9tait, ce qui est le degr\u00e9\nsupr\u00eame du bon ton.\n\u2013 En garde ! cria Crochet, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9.\nIl combattait \u00e0 pr\u00e9sent comme une faux faite homme, chaque\ncoup de sa terrible lame e\u00fbt coup\u00e9 en deux n'importe quel\nadversaire, adulte ou enfant. Mais P eter voltigeait autour de\nlui, comme si le vent des \u00e9p\u00e9es fendant l'air le chassait hors de\nla zone de danger . Et il pointait, piquait, sans tr\u00eave.\nCrochet se sentit perdu. Ce coeur passionn\u00e9 ne demandait plus\n\u00e0 battre. Il ne sollicitait plus qu'une faveur avant de se glacer\npour toujours : voir P eter commettre une vilenie.\nAbandonnant la lutte, il se rua vers la soute aux munitions et y\nmit le feu.\u2013 Dans deux minutes, s'\u00e9cria-t-il, le bateau explosera !\n\u00ab Pour le coup, le naturel va revenir au galop ! \u00bb pr\u00e9sumait-il.\nMais P eter sortit de la soute tenant la m\u00e8che enflamm\u00e9e dans\nses mains et la jeta par-dessus bord.\nCrochet lui-m\u00eame, comment se comportait-il en cet instant\nsupr\u00eame ? Si corrompu qu'il f\u00fbt, nous nous r\u00e9jouissons, sans\npour autant sympathiser avec lui, qu'il s\u00fbt finir en beaut\u00e9,\nfid\u00e8le aux traditions de sa race. Les gar\u00e7ons volaient autour de\nlui, moqueurs et m\u00e9prisants. T andis qu'il titubait sur le pont,\ndistribuant au hasard des coups impuissants, son esprit n'\u00e9tait\nplus avec eux ; il \u00e9tait affal\u00e9 sur les terrains de jeu d'antan,\nrenvoy\u00e9 d\u00e9finitivement et surveillant la partie comme un\njoueur sur la touche, mais quelle touche ! Ses souliers \u00e9taient\ncorrects, son gilet \u00e9tait correct, son noeud de cravate, ses bas\n\u00e9taient corrects.\nAdieu, \u00f4 Jacques Crochet, nous te saluons, bien que tu ne sois\npas tout \u00e0 fait un h\u00e9ros !\nCar le voici arriv\u00e9 \u00e0 son heure derni\u00e8re.\nAlors que P eter volait lentement vers lui, le poignard lev\u00e9, il\nsauta par-dessus le bastingage et plongea dans les flots. Il\nignorait que le crocodile l'y attendait ; c'est expr\u00e8s que nous\navons arr\u00eat\u00e9 le r\u00e9veil, afin de lui \u00e9pargner cette information\ndouloureuse : n'est-ce pas la moindre des choses que de lui\nt\u00e9moigner quelque respect au moment de son tr\u00e9pas ?\nIl eut un dernier triomphe que nous lui reconna\u00eetrons sans\nl\u00e9siner . Comme il enjambait le bastingage, d'un geste il invita\nPeter \u00e0 se servir de son pied plut\u00f4t que de son poignard.\nDe sorte qu'au lieu de frapper , Peter shoota.\nCrochet avait obtenu la faveur qu'il d\u00e9sirait tant !\n\u2014 Choquant ! s'\u00e9cria-t-il joyeusement, et il se livra d'un coeur\ncontent au crocodile.\nAinsi p\u00e9rit Jacques Crochet.\n\u2013 Dix -sept ! proclama La Plume.\nMais il se trompait dans ses calculs. Quinze seulement\npay\u00e8rent pour leurs crimes cette nuit-l\u00e0 ; et deux purentregagner le rivage : Starkey qui devait \u00eatre captur\u00e9 par les\nPeaux -rouges et condamn\u00e9 \u00e0 leur servir de bonne d'enfants,\nm\u00e9lancolique d\u00e9gringolade pour un pirate ; et Smee, qui\nd\u00e9sormais erra \u00e0 travers le monde en lunettes, gagnant une\nmaigre subsistance \u00e0 pr\u00e9tendre qu'il \u00e9tait le seul homme que\nJacques Crochet e\u00fbt jamais craint.\nPendant ce temps-l\u00e0, W endy s'\u00e9tait tenue en dehors du combat,\nregardant P eter avec des yeux brillants. Maintenant que tout\n\u00e9tait termin\u00e9, elle retrouva son importance. Elle les admirait\ntous \u00e9galement, et frissonna d\u00e9licieusement quand Michael lui\nmontra la place o\u00f9 il avait tu\u00e9 un pirate. Puis elle les amena\ndans la cabine de Crochet, et pointant un doigt vers la montre\ndu d\u00e9funt capitaine, suspendue \u00e0 un clou :\n\u2013 Une heure et demie ! dit-elle.\nL'heure tardive lui importait plus que le reste. R apidement,\nelle les installa dans les couchettes des pirates, et nous\npouvons \u00eatre s\u00fbrs que cela ne tra\u00eena pas. P eter eut le droit\nd'arpenter le pont jusqu'\u00e0 ce qu'il s'endorm\u00eet au pied du canon.\nUn de ses cauchemars vint le visiter , il pleura longtemps dans\nson sommeil, et W endy dut le serrer bien fort contre elle.\n16. Le retour .\nRetour \u00e0 la table des mati\u00e8res\nDeux coups de cloche, ce matin-l\u00e0, les invit\u00e8rent \u00e0 agiter leurs\nguiboles, car la mer \u00e9tait grosse. La Guigne, promu ma\u00eetre\nd'\u00e9quipage, \u00e9tait avec eux, un bout de corde \u00e0 la main et une\nchique de tabac dans la bouche. T ous avaient rev\u00eatu les habits\nde pirates raccourcis jusqu'aux genoux, s'\u00e9taient ras\u00e9s de\nfrais, et d\u00e9ambulaient sur le pont d'une d\u00e9marche\nauthentiquement chaloup\u00e9e en remontant leurs pantalons.\nInutile de dire qui \u00e9tait le capitaine. Quant \u00e0 Bon Zigue et\nJohn, ils \u00e9taient respectivement premier et deuxi\u00e8me seconds.\nIl y avait une femme \u00e0 bord. Le reste n'\u00e9tait que simples\nmathurins et se tenait sur le gaillard d'avant. P eter ne l\u00e2chait\nplus la barre, mais il rassembla l'\u00e9quipage pour lui adresser\nune br\u00e8ve allocution. Il esp\u00e9rait que tous feraient leur devoir\ncomme de vaillants petits gars, mais il ne se cachait pas qu'ils\n\u00e9taient le rebut de Rio et de la C\u00f4te de l'Or , et les pr\u00e9vint que\ns'ils essayaient de le mordre, il les d\u00e9chirerait sans piti\u00e9. Ce\nlangage rude alla droit au coeur des matelots quil'acclam\u00e8rent vigoureusement. Quelques ordres secs furent\ndonn\u00e9s, et ils firent virer de bord le navire en direction du\ncontinent.\nApr\u00e8s avoir consult\u00e9 la carte, le capitaine P an calcula que, si\nce temps se maintenait, ils atteindraient les A\u00e7ores aux\nenvirons du 21 juin, apr\u00e8s quoi ils auraient tout loisir pour finir\nle voyage en volant.\nCertains souhaitaient que le navire rentr\u00e2t dans la l\u00e9galit\u00e9,\nd'autres voulaient qu'il reste un bateau pirate ; mais le\ncapitaine les traitait comme des chiens, et ils n'osaient lui\nexprimer leurs voeux, pas m\u00eame par p\u00e9tition. Il \u00e9tait plus s\u00fbr\nde s'en tenir \u00e0 une stricte ob\u00e9issance. La Plume eut droit \u00e0 une\ndouzaine de coups de fouet pour avoir eu l'air perplexe alors\nqu'on lui ordonnait de relever la sonde. D'apr\u00e8s l'opinion\ng\u00e9n\u00e9rale, P eter se conduisait pour l'instant d'une fa\u00e7on\ncorrecte uniquement pour endormir les soup\u00e7ons de W endy,\nmais on sentait qu'il ne tarderait pas \u00e0 changer d'attitude, d\u00e8s\nque serait pr\u00eat le nouveau costume que la fillette lui taillait\ncontre son gr\u00e9 dans les plus m\u00e9chants habits de Crochet. P ar\nla suite, la rumeur courut que la premi\u00e8re nuit o\u00f9 il porta ce\ncostume, il resta longtemps assis dans la cabine, le porte-\ncigare de Crochet aux l\u00e8vres, et tous les doigts d'une main\nrepli\u00e9s, \u00e0 l'exception de l'index qu'il tenait recourb\u00e9 en l'air de\nfa\u00e7on mena\u00e7ante, comme un crochet.\nAu lieu d'observer le bateau, cependant, nous ferions mieux de\nretourner au foyer d\u00e9sert\u00e9 depuis si longtemps par nos trois\nsans-coeur . Honte \u00e0 nous d'avoir si compl\u00e8tement n\u00e9glig\u00e9 le n\u00b0\n14 ; pourtant, nous sommes certains que Mme Darling ne nous\nen bl\u00e2mera pas. Si nous \u00e9tions revenus plus t\u00f4t pour lui\nt\u00e9moigner notre compassion, elle nous aurait probablement\ncri\u00e9 : \u00ab Ne faites pas l'idiot ! Est-ce que je compte, moi ?\nRetournez l\u00e0-bas et ayez l'oeil sur les enfants ! \u00bb Aussi\nlongtemps que les m\u00e8res se conduiront ainsi, leurs enfants en\nprofiteront, et elles ne peuvent que s'y r\u00e9signer .\nAussi nous aventurons-nous dans cette chambre famili\u00e8re\nuniquement parce que ses occupants l\u00e9gaux sont d\u00e9j\u00e0 sur le\nchemin du retour . Nous les devan\u00e7ons simplement pour nous\nassurer que les lits sont tout pr\u00eats et que M. et Mme Darling\nn'ont pas l'intention de sortir le soir . Nous ne sommes rien de\nplus que des serviteurs. Mais enfin, pourquoi les lits seraient-\nils tout pr\u00eats, alors que leurs propri\u00e9taires les ont quitt\u00e9s avec\nune si ingrate pr\u00e9cipitation ? Ils seraient bien attrap\u00e9s si, en\nrentrant, ils d\u00e9couvraient que leurs parents sont partis \u00e0 lacampagne. T elle est la le\u00e7on qu'ils m\u00e9ritent depuis que nous\nles avons rencontr\u00e9s. Mais si nous arrangions les choses de\ncette fa\u00e7on, Mme Darling ne nous le pardonnerait jamais.\nPar-dessus tout, ce que nous aimerions faire, ce serait de lui\ndire, \u00e0 elle, \u00e0 la mani\u00e8re dont le font les auteurs, que les\nenfants sont en route et arriveront jeudi en huit. Cela\ng\u00e2cherait compl\u00e8tement la surprise que W endy, John et\nMichael ont projet\u00e9e. Ils ont tout r\u00e9gl\u00e9 sur le bateau : le\nbonheur de maman, le cri de joie de papa, les bonds en l'air de\nNana qui veut \u00eatre la premi\u00e8re \u00e0 les embrasser , alors qu'ils\nferaient mieux de se pr\u00e9parer \u00e0 une bonne racl\u00e9e. Ah ! que ce\nserait exquis de leur g\u00e2cher ce plaisir en r\u00e9v\u00e9lant la nouvelle \u00e0\nl'avance ! De sorte que, lorsqu'ils feraient leur entr\u00e9e\nsolennelle, Mme Darling n'offrirait pas m\u00eame un baiser \u00e0\nWendy, et que M. Darling s'exclamerait d'un ton bougon : \u00ab Zut\nalors ! V oil\u00e0 encore les gar\u00e7ons ! \u00bb Mais nous n'obtiendrions\npas un remerciement pour \u00e7a. Nous commen\u00e7ons \u00e0 conna\u00eetre\nMme Darling, depuis le temps, et sommes s\u00fbrs qu'elle nous\nreprocherait de priver les enfants de leur petit plaisir .\n\u2014 Mais, ch\u00e8re madame, jeudi en huit, c'est seulement dans dix\njours. En vous pr\u00e9venant d\u00e8s maintenant, nous vous \u00e9pargnons\ndix jours de tristesse !\n\u2013 Oui, mais \u00e0 quel prix ! En frustrant les enfants de dix minutes\nde joie.\n\u2013 Bon, si vous consid\u00e9rez les choses ainsi...\n\u2013 Peut-on les consid\u00e9rer autrement, je vous prie ?\nVous le voyez, cette femme n'a pas de caract\u00e8re. Nous qui\navions l'intention de dire des choses extraordinairement\ngentilles \u00e0 son sujet, nous la m\u00e9prisons et garderons nos\nlouanges pour nous. \u00c0-t-elle vraiment besoin qu'on lui dise de\ntenir tout pr\u00eat, quand tout est d\u00e9j\u00e0 pr\u00eat ? Les lits sont faits,\nelle ne quitte jamais la maison, et, notez-le bien, la fen\u00eatre est\nouverte. Puisque nous ne lui servons \u00e0 rien, autant retourner\nsur le bateau. T outefois, nous sommes ici, alors restons-y et\nregardons. V oil\u00e0 ce que nous sommes, de simples spectateurs.\nPuisque personne n'a vraiment besoin de nous, contentons-\nnous d'observer et t\u00e2chons de dire des choses vexantes dans\nl'espoir que quelques-unes blesseront.\nLe seul changement qui se remarque dans la chambre des\nenfants, c'est qu'entre neuf heures du matin et six heures dusoir, la niche ne s'y trouve pas.\nLorsque les enfants s'envol\u00e8rent, M. Darling eut le sentiment\nque tout le bl\u00e2me retombait sur lui pour avoir encha\u00een\u00e9 Nana\nqui, du d\u00e9but jusqu'\u00e0 la fin, s'\u00e9tait montr\u00e9e plus raisonnable\nque lui. Nous l'avons constat\u00e9, c'\u00e9tait un homme tout simple. Il\naurait m\u00eame pu passer pour un gar\u00e7on, s'il avait pu se gu\u00e9rir\nde sa calvitie. Mais, par ailleurs, il avait le sens de la justice, et\nun courage de lion pour accomplir ce qu'il croyait \u00eatre son\ndevoir . Ayant longuement r\u00e9fl\u00e9chi \u00e0 toute l'affaire apr\u00e8s le\nd\u00e9part des enfants, il se mit \u00e0 marcher \u00e0 quatre pattes et\ns'introduisit en rampant dans la niche. Mme Darling eut beau\ntendrement l'inviter \u00e0 sortir de l\u00e0, il lui opposa chaque fois une\nr\u00e9ponse triste mais ferme :\n\u2013 Non, ch\u00e8re mienne, c'est la place qui me revient.\nPris d'amers remords, il jura qu'il ne quitterait pas la niche\ntant que les enfants ne seraient pas de retour . Cela faisait piti\u00e9\n\u00e0 voir , bien s\u00fbr . Mais M. Darling, quoi qu'il f\u00eet, poussait tout \u00e0\nl'extr\u00eame ; sinon, il laissait rapidement tomber . Jamais il n'y\neut un homme plus humble que George Darling, lui nagu\u00e8re si\norgueilleux, alors qu'il se tenait le soir dans sa niche, et\nbavardait avec sa femme de leurs enfants et de leurs habitudes\ncharmantes.\n\u00c0 l'\u00e9gard de Nana, il faisait preuve d'une sollicitude touchante.\nIl ne lui aurait jamais permis de revenir dans sa niche, mais\npour le reste il faisait ses quatre volont\u00e9s.\nChaque matin, la niche avec M. Darling dedans \u00e9tait port\u00e9e\njusqu'\u00e0 un fiacre qui les emmenait au bureau et les ramenait \u00e0\nsix heures \u00e0 la maison de la m\u00eame fa\u00e7on. On mesurera la force\nde caract\u00e8re qu'il fallait \u00e0 cet homme, si l'on se souvient\ncombien il \u00e9tait sensible \u00e0 l'opinion de ses voisins, lui dont\nchaque mouvement suscitait \u00e0 pr\u00e9sent une curiosit\u00e9 \u00e9tonn\u00e9e.\nInt\u00e9rieurement, il devait souffrir le martyre ; mais il affichait\nune calme dignit\u00e9, m\u00eame quand de jeunes personnes\ncritiquaient sa petite maison, et soulevait poliment son\nchapeau chaque fois qu'une dame regardait \u00e0 l'int\u00e9rieur .\nCela aurait pu \u00eatre grotesque ; en v\u00e9rit\u00e9 c'\u00e9tait plein de\ngrandeur . Bient\u00f4t on comprit le sens profond de sa conduite, et\nle coeur g\u00e9n\u00e9reux du public s'en \u00e9mut. Des cohortes de\nbadauds suivaient son fiacre, en l'acclamant chaudement ; de\ncharmantes jeunes filles le prenaient d'assaut pour r\u00e9clamer\nun autographe ; des interviews parurent dans les meilleursjournaux, les gens bien l'invitaient \u00e0 d\u00eener et ajoutaient :\n\u2013 Soyez gentils, venez dans votre niche.\nAu cours de cette semaine si fertile en \u00e9v\u00e9nements, Mme\nDarling attendait le retour de George, assise dans la chambre\ndes enfants. Elle autrefois si guillerette, on e\u00fbt dit la tristesse\nen personne. T oute sa gaiet\u00e9 s'\u00e9tait \u00e9vanouie du fait de la\nperte de ses enfants. Et nous ne nous sentons plus la force de\nl'accabler de nos sarcasmes. Si elle aimait trop ces fichus\ngamins, apr\u00e8s tout pouvait-elle s'en emp\u00eacher ? Regardez-la,\nelle s'est endormie sur sa chaise. Le coin de sa bouche, la\npremi\u00e8re chose que l'on regarde, est presque fl\u00e9tri. Sa main\n\u00e9treint nerveusement son coeur , comme s'il lui faisait mal.\nCertains pr\u00e9f\u00e8rent P eter, d'autres W endy ; nous, c'est elle que\nnous pr\u00e9f\u00e9rons. Supposons que, pour lui faire plaisir , nous lui\nmurmurions dans son sommeil que les moutards vont bient\u00f4t\nrevenir .\nIls ne sont plus qu'\u00e0 quelques kilom\u00e8tres de la fen\u00eatre\nmaintenant, et ils volent ferme, mais nous ne le dirons pas,\nnous murmurerons seulement qu'ils sont en route. Rien que\ncela...\nDommage, nous n'aurions pas d\u00fb ! car Mme Darling a\nsursaut\u00e9, appelant ses enfants par leur nom, et il n'y a\npersonne dans la pi\u00e8ce sauf Nana.\n\u2013 Oh Nana ! j'ai r\u00eav\u00e9 que mes ch\u00e9ris \u00e9taient de retour .\nNana a les yeux embu\u00e9s de larmes. T out ce qu'elle peut faire,\nc'est de poser gentiment la patte sur les genoux de sa\nma\u00eetresse. \u00c0 ce moment arrive la niche. M. Darling passe la\nt\u00eate au-dehors pour embrasser sa femme. Son visage est plus\nlas que nagu\u00e8re, mais son expression est plus douce.\nIl tend son chapeau \u00e0 Liza qui le prend avec m\u00e9pris. Cette fille\nn'a aucune imagination, elle est incapable de comprendre les\nmotifs d'un tel homme. Au-dehors, la foule qui a accompagn\u00e9\nle fiacre jusqu'\u00e0 la porte continue de pousser des acclamations.\nNaturellement, M. Darling ne peut y rester insensible.\n\u2013 \u00c9coutez, dit-il. C'est tout de m\u00eame r\u00e9confortant.\n\u2013 Rien que des garnements, raille Liza.\n\u2013 Il y avait aussi quelques grandes personnes, aujourd'hui,\nassure-t-il en rougissant.Liza hausse les \u00e9paules, mais M. Darling n'a pas un mot de\nreproche. Ses succ\u00e8s mondains n'ont pas g\u00e2t\u00e9 son caract\u00e8re,\nils l'ont adouci.\nPour le moment, il est assis moiti\u00e9 dans la niche, moiti\u00e9 au-\ndehors, et parle de ces succ\u00e8s avec sa femme. Il lui presse la\nmain pour la rassurer , car elle craint que cela ne lui ait tourn\u00e9\nla t\u00eate.\n\u2013 Comme j'ai \u00e9t\u00e9 faible, soupire-t-il. Oh mon Dieu, comme j'ai\n\u00e9t\u00e9 faible !\n\u2013 Et maintenant, George, demande-t-elle timidement, tu es\ntoujours aussi plein de remords, n'est-ce pas ?\n\u2013 Toujours autant, ma ch\u00e9rie. Juge de mon expiation : vivre\ndans une niche !\n\u2013 C'est bien une expiation, George ? Tu es s\u00fbr que tu n'en tires\npas une certaine satisfaction ?\n\u2013 Mon amour !\nMme Darling lui demande vivement pardon ; et, comme il sent\nqu'il s'assoupit, il se couche en rond dans la niche.\n\u2013 Joue-moi quelque chose pour m'endormir , s'il te pla\u00eet, la prie-\nt-il.\nMme Darling se dirige vers le piano qui se trouve \u00e0 c\u00f4t\u00e9, dans\nla salle de jeux, mais son mari ajoute \u00e9tourdiment :\n\u2013 Ferme la fen\u00eatre, je sens un courant d'air .\n\u2013 Oh George, ne me demande pas \u00e7a ! La fen\u00eatre doit toujours\nrester ouverte pour eux, toujours, toujours.\n\u00c0 son tour , il lui demande pardon, et elle va se mettre au piano .\nIl ne tarde pas \u00e0 s'endormir . Et, tandis qu'il dort, W endy, John\net Michael entrent en volant dans la chambre.\nNon, non ! T el \u00e9tait bien le charmant programme qu'ils avaient\npr\u00e9vu avant que nous quittions le bateau, c'est pourquoi nous\nl'avons \u00e9crit. Mais il a d\u00fb se passer quelque chose depuis lors,\ncar \u00e0 leur place ce sont P eter et Clochette qui entrent en\nvolant.\nLes premiers mots de P eter expliquent tout.\u2013 Vite, Clochette ! chuchote-t-il, ferme la fen\u00eatre, mets la\nbarre. Tr\u00e8s bien. Il nous faudra repartir par la porte. Et quand\nWendy arrivera, elle croira que sa m\u00e8re ne veut plus d'elle.\nElle sera oblig\u00e9e de s'en retourner avec moi.\nMaintenant nous comprenons ce qui n'avait cess\u00e9 de nous\nintriguer jusque-l\u00e0 : pourquoi P eter, apr\u00e8s avoir extermin\u00e9 les\npirates, est rest\u00e9 sur le bateau au lieu de rentrer dans l'\u00cele et\nde laisser Clo escorter les enfants sur le continent. Il avait\nmijot\u00e9 sa ruse depuis le d\u00e9but.\n\u00c0 pr\u00e9sent, loin d'\u00e9prouver le moindre remords, il danse et\nsaute de joie. Puis il jette un coup d'oeil furtif dans l'autre\npi\u00e8ce pour voir qui est en train de jouer .\n\u2013 C'est la maman de W endy, souffle-t-il \u00e0 Clochette. Elle est\njolie, mais la mienne l'est davantage. Sa bouche est pleine de\nd\u00e9s, mais pas autant que celle de ma maman.\nIl adore se vanter de sa m\u00e8re, bien qu'il ignore tout d'elle,\n\u00e9videmment.\nMme Darling est en train de jouer \u00ab Home, sweet home \u00bb ;\nPeter ne conna\u00eet pas cet air , mais il devine qu'il signifie : \u00ab\nReviens, W endy, Wendy, Wendy. \u00bb Et il lance, triomphant :\n\u2013 Vous ne reverrez jamais plus W endy, madame, car la fen\u00eatre\nest solidement boucl\u00e9e.\nDe nouveau, il jette un coup d'oeil \u00e0 c\u00f4t\u00e9, o\u00f9 la musique s'est\ntue ; il voit que Mme Darling a pos\u00e9 sa t\u00eate sur le bois du\npiano, deux larmes perlent dans ses yeux.\n\u00ab Elle veut que j'enl\u00e8ve la barre, pense P eter, mais je ne le\nferai pas, pas moi en tout cas ! \u00bb\nUn autre coup d'oeil : les larmes sont toujours l\u00e0, \u00e0 moins que\ndeux autres ne les aient remplac\u00e9es.\n\u00ab Elle aime passionn\u00e9ment W endy \u00bb, se dit P eter et il lui en\nveut de ne pas comprendre qu'il ne peut pas lui rendre W endy.\nLa raison est pourtant simple : \u00ab Moi aussi, je l'aime\npassionn\u00e9ment. Nous ne pouvons l'avoir tous les deux,\nmadame. \u00bb\nMais la dame n'a pas l'air de s'accommoder de cette raison, et\nPeter est malheureux. M\u00eame lorsqu'il cesse de la regarder , elle\nne le laisse pas partir . Il sautille de-ci, de-l\u00e0, fait des grimaces,mais quand il s'arr\u00eate, c'est comme si elle \u00e9tait en lui, frappant\n\u00e0 la fen\u00eatre.\n\u2013 Bon, \u00e7a va ! finit-il par dire, la gorge serr\u00e9e.\nEt il enl\u00e8ve la barre de la fen\u00eatre.\n\u2013 Viens, Clo ! s'\u00e9crie-t-il en adressant un sourire de terrible\nm\u00e9pris aux lois de la nature. Nous n'en voulons pas, de ces\nsottes mamans.\nEt il s'envole.\nCe fut ainsi que W endy, John et Michael trouv\u00e8rent malgr\u00e9 tout\nla fen\u00eatre ouverte, et c'\u00e9tait plus qu'ils ne m\u00e9ritaient. Ils se\npos\u00e8rent sur le plancher sans la moindre vergogne. Le plus\njeune des trois avait tout oubli\u00e9 de la maison.\n\u2014 John, dit-il en regardant autour de lui d'un air de doute, il\nme semble que je suis d\u00e9j\u00e0 venu ici.\n\u2013 \u00c9videmment, nigaud, voil\u00e0 ton bon vieux lit.\n\u2013 Mon lit, dit Michael sans conviction.\n\u2013 Oh ! s'\u00e9cria John, la niche !\nEt il se pr\u00e9cipita pour regarder \u00e0 l'int\u00e9rieur .\n\u2013 Peut-\u00eatre Nana est-elle dedans ? demanda W endy. John \u00e9mit\nun sifflement de surprise.\n\u2014 Tiens ! dit-il, il y a un homme dans la niche.\n\u2013 C'est papa ! s'exclama W endy.\n\u2013 Laisse-moi voir papa, demanda impatiemment Michael. Il\nl'examina longuement, puis:\n\u2013 Il n'est pas aussi grand que le pirate que j'ai tu\u00e9, remarqua-t-\nil d'un ton si d\u00e9senchant\u00e9 que nous sommes bien aises que M.\nDarling f\u00fbt en train de dormir .\nQuel coup pour lui si \u00e7'avait \u00e9t\u00e9 les premi\u00e8res paroles qu'il d\u00fbt\nentendre de son petit Michael ! W endy et John, quant \u00e0 eux,\n\u00e9taient un peu d\u00e9concert\u00e9s de d\u00e9couvrir leur p\u00e8re dans la\nniche.\u2013 Assur\u00e9ment, dit John comme quelqu'un qui ne se fie plus \u00e0 sa\nm\u00e9moire, il n'avait pas l'habitude de dormir dans la niche.\n\u2014 John, fit W endy d'une voix qui d\u00e9faillait, peut-\u00eatre ne nous\nsouvenons-nous plus du bon vieux temps aussi bien que nous le\npensions ?\nUn grand froid leur serra le coeur . Bien fait pour eux.\n\u2014 Tout de m\u00eame, dit ce bandit de John, quelle insouciance de\nla part de maman ! Ne pas \u00eatre l\u00e0 pour notre retour ! \u00c0 ce\nmoment, Mme Darling se remit \u00e0 jouer .\n\u2013 C'est maman ! s'\u00e9cria W endy en jetant un coup d'oeil.\n\u2013 Oui, c'est elle ! dit John.\n\u2013 Alors, tu n'es pas notre vraie maman, W endy ? demanda\nMichael qui avait s\u00fbrement sommeil.\n\u2013 Mon Dieu ! s'exclama W endy, \u00e9prouvant pour la premi\u00e8re fois\nune pointe de remords. Il \u00e9tait temps de rentrer !\n\u2013 Glissons-nous sans bruit dans la pi\u00e8ce, sugg\u00e9ra John, et\nmettons-lui la main sur les yeux.\nMais une nouvelle aussi joyeuse devait \u00eatre annonc\u00e9e avec\ndouceur et m\u00e9nagement, pensa W endy qui avait un meilleur\nplan.\n\u2013 Mettons-nous au lit ; ainsi, quand maman entrera dans la\nchambre, tout sera comme si nous n'\u00e9tions jamais partis.\nEn effet, quand Mme Darling revint dans la chambre s'assurer\nque son mari dormait, tous les lits \u00e9taient occup\u00e9s. Les enfants\ns'attendaient \u00e0 ce qu'elle pousse un grand cri, mais cela ne\nvint pas. Elle les vit, mais ne crut pas qu'ils \u00e9taient l\u00e0. Elle les\navait vus si souvent dans leurs lits, en r\u00eave, qu'elle crut tout\nsimplement que son r\u00eave revenait la hanter .\nElle s'assit dans la chaise pr\u00e8s du feu, o\u00f9 elle les avait si\nsouvent berc\u00e9s dans ses bras.\nIls ne comprenaient plus, et la peur les \u00e9treignit tous trois.\n\u2013 Maman ! cria W endy.\n\u2013 C'est W endy, dit-elle, toujours persuad\u00e9e que c'\u00e9tait le r\u00eave.\u2013 Maman !\n\u2013 C'est John, dit-elle.\n\u2013 Maman ! cria Michael. (Il la reconnaissait, \u00e0 pr\u00e9sent.)\n\u2013 C'est Michael, dit-elle, et elle tendit vers les trois petits\n\u00e9go\u00efstes ses bras qui ne les serreraient jamais plus.\nMais si, ils les serr\u00e8rent ! Ils entour\u00e8rent W endy, John,\nMichael, qui avaient bondi hors du lit pour se jeter contre elle.\n\u2013 George ! George ! cria Mme Darling lorsqu'elle put parler .\nEt M. Darling s'\u00e9veilla pour partager son bonheur , et Nana\nentra en trombe. On n'aurait pu r\u00eaver plus charmant tableau,\nmais il n'y avait personne pour le voir , si ce n'est un \u00e9trange\ngar\u00e7on qui regardait derri\u00e8re la fen\u00eatre. Il lui arrivait de\nconna\u00eetre des f\u00e9licit\u00e9s inou\u00efes, interdites aux autres enfants,\nmais, en ce moment, il regardait \u00e0 travers la vitre la seule joie\nqui lui \u00e9tait \u00e0 jamais refus\u00e9e.\nBien des ans ont pass\u00e9. J'esp\u00e8re que vous souhaitez savoir ce\nqu'il advint des autres gar\u00e7ons. Ils attendaient au rez-de-\nchauss\u00e9e, pour laisser \u00e0 W endy le temps de s'expliquer \u00e0 leur\nsujet ; et, quand ils eurent compt\u00e9 jusqu'\u00e0 cinq cent, ils\nmont\u00e8rent. Ils mont\u00e8rent par l'escalier , pensant que cela ferait\nmeilleure impression. Ils s'align\u00e8rent en rang devant Mme\nDarling, t\u00eate nue, et auraient donn\u00e9 cher pour ne pas \u00eatre\nhabill\u00e9s en pirates. Ils se taisaient mais leurs yeux parlaient\npour eux et imploraient Mme Darling de les garder . Ils\nauraient d\u00fb regarder \u00e9galement M. Darling, mais ils oubli\u00e8rent\nde le faire.\nNaturellement, Mme Darling dit aussit\u00f4t qu'elle les garderait.\nMais M. Darling semblait bizarrement d\u00e9moralis\u00e9 et ils virent\nbien que six, pour lui, \u00e9tait un bien grand nombre.\n\u2013 Je dois reconna\u00eetre, dit-il \u00e0 W endy, que tu ne fais pas les\nchoses \u00e0 moiti\u00e9.\nRemarque mesquine que les Jumeaux prirent pour eux. Le\npremier des Jumeaux ne manquait pas de fiert\u00e9, et dit en\nrougissant :\n\u2013 Si vous nous trouvez encombrants, monsieur , nous pouvons\nnous en aller .\u2013 Papa ! s'\u00e9cria W endy, indign\u00e9e.\nMais l'orage grondait encore au-dessus de lui : il savait qu'il se\nconduisait mal mais ne pouvait s'en emp\u00eacher .\n\u2013 Nous pourrions dormir pli\u00e9s en deux, sugg\u00e9ra Bon Zigue.\n\u2013 Je leur coupe moi-m\u00eame les cheveux, plaida W endy.\n\u2013 George ! s'exclama Mme Darling, pein\u00e9e de voir son cher\nhomme se montrer sous un jour si peu favorable.\nAlors M. Darling fondit en larmes et la v\u00e9rit\u00e9 \u00e9clata. Il \u00e9tait\naussi heureux qu'elle de les garder , dit-il, mais on aurait pu, \u00e0\nson avis, lui demander son consentement, au lieu de le traiter\ncomme un z\u00e9ro sous son propre toit.\n\u2013 Je ne trouve pas qu'il soit un z\u00e9ro ! s'\u00e9cria La Guigne. Et toi,\nLe Fris\u00e9 ?\n\u2013 Moi non plus. Et toi, La Plume ?\n\u2013 Plut\u00f4t pas. Les Jumeaux, qu'en pensez-vous ?\nIl s'av\u00e9ra qu'aucun d'eux ne le regardait comme une nullit\u00e9 ;\nridiculement satisfait, il d\u00e9clara qu'il trouverait de la place\npour eux tous dans le salon, \u00e0 condition qu'ils puissent y tenir .\n\u2013 Nous y tiendrons, assur\u00e8rent-ils.\n\u2013 En ce cas, suivez le guide ! lan\u00e7a-t-il gaiement. Je vous\npr\u00e9viens, je ne suis pas certain que nous ayons un salon, mais\nnous faisons semblant d'en avoir un, ce qui revient au m\u00eame.\nHop l\u00e0 !\nIl partit en dansant \u00e0 travers la maison, tous cri\u00e8rent \u00ab hop l\u00e0 !\n\u00bb et dans\u00e8rent \u00e0 sa suite, \u00e0 la recherche du salon. Je ne sais\nplus s'ils trouv\u00e8rent des recoins o\u00f9 ils tinrent tr\u00e8s bien.\nQuant \u00e0 P eter, il revit encore une fois W endy avant de\ns'envoler . Il ne vint pas exactement \u00e0 la fen\u00eatre, mais il la fr\u00f4la\nen passant, de sorte que, si W endy voulait, elle p\u00fbt ouvrir et\nl'appeler . Ce qu'elle fit.\n\u2013 Salut, W endy, au revoir , dit-il.\n\u2013 Oh ! Tu t'en vas ?\u2013 Oui.\n\u2013 Et... tu n'as pas envie de dire quelques mots \u00e0 mes parents,\nau sujet de... d'une question d\u00e9licate ?\n\u2013 Non.\n\u2013 \u00c0 propos de moi, P eter ?\n\u2013 Non.\nMme Darling s'approcha de la fen\u00eatre, car elle surveillait\nd\u00e9sormais sa W endy d'un oeil vigilant. Elle dit \u00e0 P eter qu'elle\nadoptait les gar\u00e7ons perdus et qu'elle le garderait volontiers,\nlui aussi.\n\u2013 Et vous m'enverriez \u00e0 l'\u00e9cole ? s'enquit-il prudemment.\n\u2013 Bien s\u00fbr .\n\u2013 Et ensuite au bureau ?\n\u2014 Je pr\u00e9sume.\n\u2013 Et bient\u00f4t je devrais \u00eatre un homme ?\n\u2013 Tr\u00e8s bient\u00f4t.\n\u2013 Je ne veux pas aller \u00e0 l'\u00e9cole apprendre des choses\nennuyeuses, r\u00e9pondit-il avec v\u00e9h\u00e9mence. Je ne veux pas\ndevenir un homme ! O maman de W endy, si en me r\u00e9veillant, je\ndevais sentir qu'il m'est pouss\u00e9 de la barbe !\n\u2013 Peter, dit W endy, encourageante, je t'aimerais m\u00eame barbu !\nEt Mme Darling lui tendit les bras, mais il la repoussa.\n\u2014 Arri\u00e8re, ma bonne dame ! P ersonne ne m'aura ! P ersonne ne\nfera de moi un homme !\n\u2013 Mais o\u00f9 vas-tu vivre ?\n\u2014 Je vivrai avec Clo, dans la petite hutte que nous avons b\u00e2tie\npour W endy. Les f\u00e9es l'installeront tr\u00e8s haut \u00e0 la cime d'un\narbre, o\u00f9 elles dorment la nuit.\n\u2013 Oh ! d\u00e9licieux ! s'\u00e9cria W endy avec un tel accent de\nconvoitise que sa m\u00e8re la serra plus fort dans ses bras.\u2014 Je croyais que toutes les f\u00e9es \u00e9taient mortes, dit Mme\nDarling.\n\u2013 Il en vient sans cesse de nouvelles, expliqua W endy qui faisait\nmaintenant autorit\u00e9 en la mati\u00e8re, parce que, vois-tu, chaque\nfois qu'un nouveau-n\u00e9 rit pour la premi\u00e8re fois, une f\u00e9e voit le\njour, et comme il na\u00eet sans cesse de nouveaux b\u00e9b\u00e9s, il na\u00eet\nsans cesse de nouvelles f\u00e9es. Elles vivent dans des nids au\nsommet des arbres ; les mauves sont des gar\u00e7ons, les blanches\ndes filles, et les bleues, de petites imb\u00e9ciles qui ne savent\nm\u00eame pas ce qu'elles sont.\n\u2013 Qu'est-ce que je vais bien m'amuser ! dit P eter, un oeil sur\nWendy.\n\u2013 Ce sera plut\u00f4t triste, le soir , de t'asseoir tout seul pr\u00e8s du\nfeu.\n\u2013 Clo sera l\u00e0.\n\u2013 Clo ne m'arrive pas \u00e0 la cheville ! lui rappela-t-elle sur un ton\nacide.\n\u2013 Sale menteuse ! glapit Clochette, quelque part au coin de la\nrue.\n\u2013 Cela n'a pas d'importance, dit P eter.\n\u2013 Oh, P eter, tu sais bien que si.\n\u2014 Alors, viens avec moi vivre dans la petite hutte.\n\u2014 Je peux, maman ?\n\u2013 Certainement pas. Je t'ai retrouv\u00e9e et j'entends bien te\ngarder .\n\u2013 Mais il a tellement besoin d'une maman !\n\u2013 Toi aussi, ch\u00e9rie.\n\u2013 Tr\u00e8s bien, dit P eter comme s'il l'avait invit\u00e9e par pure\npolitesse.\nMais Mme Darling vit sa bouche se crisper , et elle fit cette\nproposition g\u00e9n\u00e9reuse : W endy irait le voir une fois par an,\npour faire le nettoyage de printemps. W endy aurait pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 un\narrangement plus d\u00e9finitif ; il lui semblait que le printempsserait long \u00e0 venir . Mais cette promesse satisfit P eter qui\nrepartit tout content. Il n'avait aucune notion de la dur\u00e9e, et il\nlui arrivait tant d'aventures que tout ce que je vous ai racont\u00e9\nn'est que roupie de sansonnet en comparaison. Et W endy\ndevait en \u00eatre consciente, sinon pourquoi lui aurait-elle\nadress\u00e9 un au revoir si plaintif ?\n\u2014 Tu ne m'oublieras pas, P eter, avant le retour de printemps ?\nPeter promit de ne pas l'oublier , et il s'envola. Il emporta avec\nlui le baiser de Mme Darling. Ce baiser que personne n'avait\npu prendre, ce fut P eter qui le ravit, et sans aucune difficult\u00e9.\nBizarre, n'est-ce pas ? Et elle n'eut m\u00eame pas l'air f\u00e2ch\u00e9e.\nBien entendu, tous les gar\u00e7ons durent aller \u00e0 l'\u00e9cole. La\nplupart entr\u00e8rent en troisi\u00e8me, mais La Plume fut d'abord mis\nen quatri\u00e8me, puis en cinqui\u00e8me. La premi\u00e8re \u00e9tant le niveau\nle plus \u00e9lev\u00e9.\nAu bout d'une semaine d'\u00e9cole, ils comprirent combien ils\navaient \u00e9t\u00e9 b\u00eates de ne pas rester dans l'\u00cele, mais c'\u00e9tait trop\ntard ; bient\u00f4t ils se rang\u00e8rent et devinrent aussi ordinaires que\nvous ou moi ou Dupont junior . Chose triste \u00e0 dire, ils perdirent\npeu \u00e0 peu le don de voler . Au d\u00e9but, Nana les attachait par les\npieds aux barreaux du lit, pour qu'ils ne s'envolent pas pendant\nla nuit ; le jour , une de leurs distractions favorites \u00e9tait de faire\nsemblant de tomber dans l'autobus. Mais petit \u00e0 petit, ils\ncess\u00e8rent de tirer sur leurs liens, au lit, et s'aper\u00e7urent qu'il\n\u00e9tait douloureux de choir d'un autobus. \u00c0\nla fin, ils ne savaient m\u00eame plus voler apr\u00e8s leur chapeau. Ils\nappelaient \u00e7a manquer d'exercice, mais en v\u00e9rit\u00e9, cela voulait\ndire qu'ils n'y croyaient plus.\nMichael y crut plus longtemps que les autres, en d\u00e9pit des\nrailleries que cela lui attirait. Aussi \u00e9tait-il pr\u00e9sent quand P eter\nvint chercher W endy \u00e0 la fin de la premi\u00e8re ann\u00e9e. Elle\ns'envola dans la robe m\u00eame qu'elle avait tiss\u00e9e au pays de\nl'Imaginaire avec des feuilles et des baies sauvages. Sa seule\ncrainte \u00e9tait qu'il remarqu\u00e2t combien la robe \u00e9tait devenue\ncourte, mais il n'y fit pas attention, tant il avait \u00e0 dire \u00e0 propos\nde lui-m\u00eame.\nElle avait esp\u00e9r\u00e9 qu'ils frissonneraient ensemble au souvenir\ndu bon vieux temps, mais de nouvelles aventures avaient\nchass\u00e9 les anciennes de son esprit.\n\u2013 Qui est le capitaine Crochet ? demanda-t-il avec curiosit\u00e9quand elle lui parla de l'ex -ennemi num\u00e9ro un.\n\u2013 Comment ! s'\u00e9tonna-t-elle. Tu ne te souviens donc pas\ncomment tu l'as tu\u00e9 et tu nous as sauv\u00e9 la vie ?\n\u2014 Je les oublie d\u00e8s que je les ai tu\u00e9s, avoua-t-il avec\ninsouciance.\nQuand, sans trop y croire, elle demanda si la f\u00e9e Clo serait\nheureuse de la revoir , il r\u00e9pondit :\n\u2013 Qui est la f\u00e9e Clo ?\n\u2013 Peter ! dit-elle, scandalis\u00e9e.\nMais elle eut beau lui expliquer , il avait tout oubli\u00e9.\n\u2014 Tu comprends, dit-il, elles sont si nombreuses. Je suppose\nque celle-l\u00e0 est morte.\nSans doute avait-il raison, car les f\u00e9es vivent peu longtemps,\nmais elles sont si petites qu'un temps tr\u00e8s court leur semble\nune \u00e9ternit\u00e9.\nWendy eut encore le chagrin de d\u00e9couvrir que pour P eter, l'an\npass\u00e9 \u00e9tait plus proche qu'hier . Cette ann\u00e9e lui avait sembl\u00e9 si\nlongue, \u00e0 elle. Mais il \u00e9tait plus s\u00e9duisant que jamais et le\nnettoyage de la hutte dans les arbres se d\u00e9roula\nd\u00e9licieusement.\nL'ann\u00e9e suivante, il ne fut pas au rendez-vous. Elle l'attendit,\nv\u00eatue d'une robe neuve car l'ancienne n'e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9\nconvenable. Mais il ne vint pas.\n\u2013 Il est peut-\u00eatre malade, dit Michael.\n\u2014 Tu sais bien qu'il n'est jamais malade.\nMichael se rapprocha et lui chuchota, avec un frisson :\n\u2013 Et s'il n'existait pas ?\nWendy se serait mise \u00e0 pleurer si Michael ne l'avait devanc\u00e9e.\nPeter revint l'an d'apr\u00e8s et, chose curieuse, il ne se rendait pas\ncompte qu'il avait saut\u00e9 une ann\u00e9e.\nCe fut la derni\u00e8re fois que W endy, fillette, le vit. P endant\nquelque temps encore, elle essaya de ne pas \u00e9prouver de tropgros chagrins pour l'amour de lui ; puis elle sentit qu'elle le\ntrahissait le jour o\u00f9 elle obtint le prix d'excellence. Mais les\nann\u00e9es pass\u00e8rent sans ramener l'insouciant infid\u00e8le. Lorsque\nenfin ils se revirent, W endy \u00e9tait une femme mari\u00e9e et P eter\nn'\u00e9tait plus pour elle qu'un peu de poussi\u00e8re sur le coffre o\u00f9\nelle avait conserv\u00e9 ses jouets. W endy \u00e9tait devenue une grande\npersonne. Inutile de g\u00e9mir sur son sort. Elle \u00e9tait de celles qui\naiment grandir , et finit m\u00eame par devenir adulte de son propre\ngr\u00e9, un jour plus t\u00f4t que les autres filles.\nEntre-temps, tous les gar\u00e7ons \u00e9taient devenus des adultes\nrassis, aussi cela ne vaut-il gu\u00e8re la peine de s'\u00e9tendre sur leur\ncompte. V ous pourriez voir chaque jour les Jumeaux, Bon Zigue\net Le Fris\u00e9 se rendre au bureau, chacun portant une serviette\net un parapluie. Michael conduit une locomotive ; La Plume a\n\u00e9pous\u00e9 une dame titr\u00e9e, il est devenu lord. V oyez-vous ce juge\nen perruque qui sort par cette porte de fer ? Jadis, c'\u00e9tait La\nGuigne. Et ce barbu qui n'a pas une histoire \u00e0 raconter \u00e0 ses\nenfants, autrefois ce fut John.\nWendy se maria en robe blanche et voile rose. Il est \u00e9trange\nque P eter ne v\u00eent pas \u00e0 l'\u00e9glise pour emp\u00eacher les bans d'\u00eatre\npubli\u00e9s.\nD'autres ann\u00e9es se sont \u00e9coul\u00e9es. \u00c0 pr\u00e9sent, W endy a une fille.\nCeci m\u00e9riterait qu'on l'\u00e9crive non \u00e0 l'encre mais en lettres d'or .\nL'enfant s'appelle Jane. Depuis toujours, elle a un regard\n\u00e9trangement interrogateur , comme si, d\u00e8s son arriv\u00e9e sur le\ncontinent, elle avait d\u00e9j\u00e0 des questions \u00e0 poser . Et quand elle a\n\u00e9t\u00e9 en \u00e2ge de les poser , toutes ou presque concernaient P eter\nPan. Jane adore qu'on lui en parle, et W endy lui raconte\ntout ce qu'il lui est possible de se rappeler , dans la chambre\nm\u00eame o\u00f9 eut lieu le fameux envol. Cette chambre est\nmaintenant celle de Jane car son p\u00e8re l'a achet\u00e9e au taux de\ntrois pour cent au p\u00e8re de W endy qui n'a plus de go\u00fbt pour les\nescaliers. Mme Darling est morte, d\u00e9j\u00e0, et oubli\u00e9e.\nIl n'y a plus que deux lits dans la chambre, celui de Jane et\ncelui de sa bonne, car Nana aussi a v\u00e9cu. Elle est morte \u00e0 un\n\u00e2ge avanc\u00e9 et, \u00e0 la fin, il devenait difficile de faire bon m\u00e9nage\navec elle, fermement convaincue qu'elle \u00e9tait la seule \u00e0 savoir\ns'y prendre avec les enfants.\nUne fois par semaine, la bonne de Jane a son jour de cong\u00e9 ;\nalors W endy se charge de coucher l'enfant. C'est l'heure b\u00e9niedes histoires. Jane a invent\u00e9 de faire une tente en soulevant\nson drap au-dessus de la t\u00eate de sa m\u00e8re et de la sienne. Et\ndans cette obscurit\u00e9 redoutable, elle chuchote :\n\u2013 Dis-moi ce que tu vois.\n\u2013 Je ne crois pas que je voie quoi que ce soit cette nuit, r\u00e9pond\nWendy avec le sentiment coupable que, si Nana e\u00fbt \u00e9t\u00e9 l\u00e0, elle\nn'aurait pas permis de poursuivre l'entretien.\n\u2013 Si, tu vois quelque chose, insista Jane. Tu vois quand tu \u00e9tais\nune petite fille.\n\u2013 Il y a bien longtemps de cela, mon coeur , soupire W endy. Ah !\ncomme les ann\u00e9es s'envolent !\n\u2013 Volent-elles de la mani\u00e8re que tu volais quand tu \u00e9tais petite\nfille ? demande la petite fut\u00e9e.\n\u2013 La mani\u00e8re dont je volais ! Sais-tu, Jane, parfois je me\ndemande si j'ai jamais vraiment vol\u00e9.\n\u2013 Oui, tu as vol\u00e9.\n\u2013 Les belles ann\u00e9es o\u00f9 je savais voler !\n\u2013 Pourquoi ne sais-tu plus, maman ?\n\u2014 Maintenant, je suis une grande personne, ma ch\u00e9rie. Quand\non grandit, on d\u00e9sapprend \u00e0 voler .\n\u2013 Pourquoi d\u00e9sapprend-on ?\n\u2013 Parce qu'on n'est plus assez joyeux, innocent et sans coeur .\nSeuls les sans-coeur joyeux et innocents savent voler .\n\u2013 Qu'est-ce que des sans-coeur joyeux et innocents ? oh !\ncomme je voudrais \u00eatre sans coeur , joyeuse et innocente !\nD'autres fois, W endy admet qu'elle voit en effet quelque chose.\n\u2014 Je crois bien que c'est cette chambre.\n\u2013 Je le crois aussi, dit Jane. Continue.\nLes voil\u00e0 embarqu\u00e9es dans la grande aventure de la nuit o\u00f9\nPeter revint chercher son ombre.\u2013 Stupide gar\u00e7on ! dit W endy. Il essayait de la recoller avec du\nsavon ! Comme il n'y arrivait pas, il s'est mis \u00e0 pleurer , ce qui\nm'a r\u00e9veill\u00e9e. Alors j'ai recousu son ombre pour lui.\n\u2013 Tu as saut\u00e9 un passage, interrompt Jane qui conna\u00eet l'histoire\nmieux que sa m\u00e8re \u00e0 pr\u00e9sent. Quand tu l'as vu en train de\npleurer , qu'est-ce que tu lui as dit ?\n\u2014 Je me suis assise dans mon lit et j'ai dit : \u00ab P ourquoi pleures-\ntu, petit gar\u00e7on ? \u00bb\n\u2013 Oui, c'\u00e9tait \u00e7a, dit Jane avec un gros soupir satisfait.\n\u2014 Alors, il nous a tous fait envoler pour le pays de l'Imaginaire\no\u00f9 sont les f\u00e9es, les pirates, les P eaux -Rouges, la lagune aux\nsir\u00e8nes, la maison souterraine et la petite hutte.\n\u2013 Oui ! Qu'est-ce que tu pr\u00e9f\u00e9rais de tout cela ?\n\u2014 Je crois que je pr\u00e9f\u00e9rais par-dessus tout la maison\nsouterraine.\n\u2013 Oui, moi aussi. Que t'a dit P eter la derni\u00e8re fois qu'il t'a parl\u00e9\n?\n\u2013 La derni\u00e8re chose qu'il m'ait dite, c'\u00e9tait : \u00ab A ttends-moi\ntoujours et, une nuit, tu m'entendras chanter . \u00bb\n\u2014 Oui.\n\u2013 H\u00e9las ! il m'a compl\u00e8tement oubli\u00e9e.\nWendy a dit cela avec un sourire. Cela montre \u00e0 quel point elle\nest adulte.\n\u2013 \u00c0 quoi ressemblait son chant ? demanda un soir la petite\nJane.\nWendy essaya d'imiter le cri de victoire de P eter.\n\u2013 Non, ce n'\u00e9tait pas comme ceci, dit gravement Jane, mais\ncomme cela.\nEt elle l'imita tellement mieux que sa m\u00e8re que W endy en fut\nun peu saisie.\n\u2013 D'o\u00f9 sais-tu que c'\u00e9tait ainsi, ma ch\u00e9rie ?\u2013 Je l'entends souvent quand je dors, dit Jane.\n\u2013 C'est vrai, beaucoup de filles l'entendent en dormant, mais\nmoi, je suis la seule qui l'ait entendu \u00e9veill\u00e9e.\n\u2013 Quelle chance tu as ! dit Jane.\nPuis une nuit le drame arriva. On \u00e9tait au printemps. Jane avait\neu son histoire et dormait maintenant dans son lit. W endy \u00e9tait\nassise sur le plancher , tout pr\u00e8s du feu qui \u00e9clairait ses travaux\nde raccommodage, car il n'y avait pas d'autre lumi\u00e8re dans la\nchambre ; et, tandis qu'elle raccommodait, elle entendit un\nchant triomphal. Puis la fen\u00eatre s'ouvrit, comme jadis, et P eter\nse posa sur le sol.\nIl n'avait absolument pas chang\u00e9, et W endy vit tout de suite\nqu'il avait encore ses dents de lait.\nIl \u00e9tait un petit gar\u00e7on, et elle, une grande personne. Elle se\nblottit pr\u00e8s du feu, sans oser faire un mouvement, d\u00e9sempar\u00e9e\net comme prise en faute, elle, la grande femme.\n\u2013 Salut, W endy !\nIl ne remarquait aucune diff\u00e9rence, \u00e9tant surtout occup\u00e9 de\nlui-m\u00eame, et dans la faible clart\u00e9, il pouvait prendre la robe\nblanche de W endy pour la chemise de nuit dans laquelle il\nl'avait vue pour la premi\u00e8re fois.\n\u2013 Salut, P eter, dit-elle d'une voix \u00e9teinte en se tassant pour\npara\u00eetre plus petite.\nQuelque chose en elle pleurait : \u00ab F emme, femme, laisse-moi. \u00bb\n\u2013 Tiens, o\u00f9 est John ? demanda P eter s'apercevant qu'il\nmanquait un troisi\u00e8me lit.\n\u2013 Il n'est pas ici en ce moment, souffla-t-elle.\n\u2013 Michael dort ? dit-il en posant un regard distrait sur Jane.\n\u2013 Oui, r\u00e9pondit-elle.\nMais aussit\u00f4t elle se reprocha de manquer de loyaut\u00e9 \u00e0 son\n\u00e9gard aussi bien qu'envers Jane.\n\u2014 Ce n'est pas Michael, se h\u00e2ta-t-elle de corriger , de peur\nqu'un ch\u00e2timent ne v\u00eent fondre sur sa t\u00eate.Peter regarda.\n\u2013 C'est un nouvel enfant ?\n\u2013 Oui.\n\u2013 Un gar\u00e7on ou une fille ?\n\u2013 Une fille.\nS\u00fbrement, il allait comprendre maintenant. Mais non, pas le\nmoins du monde !\n\u2013 Peter, dit-elle en h\u00e9sitant, tu n'esp\u00e8res pas que je vais\nm'envoler avec toi ?\n\u2013 Bien s\u00fbr que si, c'est pour cela que je suis venu. Il ajouta d'un\nton de l\u00e9ger reproche :\n\u2014 As-tu oubli\u00e9 que le moment est venu de faire le nettoyage de\nprintemps ?\n\u00c0 quoi bon lui rappeler qu'il en avait laiss\u00e9 passer plus d'un ?\n\u2014 Je ne peux pas venir , s'excusa-t-elle, je ne sais plus du tout\nvoler .\n\u2014 J'aurai t\u00f4t fait de te rapprendre.\n\u2013 Oh P eter, ne gaspille pas la poudre des f\u00e9es pour moi. Elle\ns'\u00e9tait lev\u00e9e ; et la peur enfin assaillit le gar\u00e7on.\n\u2013 Qu'y a-t-il ? cria-t-il en reculant.\n\u2014 Je vais allumer , dit-elle, alors tu verras par toi-m\u00eame. P our\nautant que je sache, ce fut la seule fois dans sa vie o\u00f9 P eter eut\npeur.\n\u2013 N'allume pas, supplia-t-il.\nElle caressa doucement les cheveux du tragique petit orphelin.\nElle n'\u00e9tait pas une petite fille au coeur bris\u00e9 de chagrin \u00e0\ncause de lui ; elle \u00e9tait une femme adulte, que tout cela faisait\nsourire, pourtant ses sourires \u00e9taient mouill\u00e9s.\nAlors elle alluma la lampe, et P eter vit. Il poussa un cri de\nsouffrance ; et quand cette superbe cr\u00e9ature se pencha vers lui\npour le soulever dans ses bras, il recula farouchement.\u2013 Qu'y a-t-il ? demanda-t-il encore.\nCette fois, elle ne pouvait plus se d\u00e9rober .\n\u2013 Je suis vieille, P eter, j'ai d\u00e9j\u00e0 plus de vingt ans. Il y a\nlongtemps que j'ai grandi.\n\u2013 Tu avais promis de ne pas grandir .\n\u2013 Je n'ai pas pu faire autrement. Je suis mari\u00e9e, P eter.\n\u2013 Non ! Ce n'est pas vrai !\n\u2013 Si, et la petite fille dans le lit est mon enfant.\n\u2013 Non ! Ce n'est pas vrai !\nMais il la crut, et fit un pas vers l'enfant endormie, son\npoignard lev\u00e9. Bien s\u00fbr , il ne la frappa pas. Au lieu de frapper ,\nil s'assit sur le plancher et sanglota. Et W endy ne sut comment\nle consoler , elle qui autrefois le faisait si bien. Elle n'\u00e9tait\nqu'une femme, maintenant, et elle se pr\u00e9cipita hors de la\nchambre pour mettre de l'ordre dans ses pens\u00e9es.\nPeter pleurait toujours \u00e0 chaudes larmes, et ses sanglots\nfinirent par r\u00e9veiller Jane. Elle s'assit dans son lit,\nimm\u00e9diatement int\u00e9ress\u00e9e.\n\u2013 Pourquoi pleures-tu, petit gar\u00e7on ? dit-elle.\nPeter se leva et lui fit une r\u00e9v\u00e9rence qu'elle lui rendit de son\nlit.\n\u2013 Bonjour , dit-il.\n\u2013 Bonjour , dit Jane.\n\u2013 Je m'appelle P eter P an.\n\u2013 Je le sais.\n\u2013 Je suis venu chercher ma m\u00e8re, expliqua-t-il, pour l'emmener\ndans l'\u00cele de l'Imaginaire.\n\u2013 Je sais, dit Jane, je t'attendais.\nQuand W endy revint, tout embarrass\u00e9e, elle trouva P eter assis\nsur le bois du lit et poussant son cocorico victorieux, tandisque Jane en chemise de nuit voletait \u00e0 travers la chambre,\ndans une extase solennelle.\n\u2013 C'est ma m\u00e8re, d\u00e9clara P eter.\nJane descendit et se tint \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s avec, sur son visage, cette\nexpression qu'il aimait \u00e0 voir chez les dames qui le\nregardaient.\n\u2013 Il a tellement besoin d'une m\u00e8re, dit Jane.\n\u2013 Je sais, admit W endy d'un air malheureux. P ersonne ne le sait\naussi bien que moi.\n\u2013 Au revoir , dit P eter \u00e0 W endy.\nIl s'\u00e9leva dans l'air et l'impudente petite Jane en fit autant.\nD\u00e9j\u00e0, elle volait mieux qu'elle ne marchait. W endy se rua \u00e0 la\nfen\u00eatre.\n\u2013 Non ! non ! cria-t-elle.\n\u2013 C'est seulement pour le nettoyage de printemps, dit Jane. Il\ntient \u00e0 ce que ce soit moi qui le fasse toujours.\n\u2013 Si seulement je pouvais aller avec vous, soupira W endy.\n\u2013 Tu vois bien que tu ne peux pas voler , dit Jane.\nBien s\u00fbr , Wendy finit par c\u00e9der et les laissa s'envoler\nensemble.\nLa derni\u00e8re vision que nous ayons d'elle la montre \u00e0 la fen\u00eatre,\nregardant les enfants s'\u00e9loigner dans le ciel jusqu'\u00e0 ce qu'ils ne\nsoient pas plus grands que les \u00e9toiles.\nEt tandis que vous contemplez W endy, vous voyez ses cheveux\nblanchir , sa silhouette redevenir petite, car tout cela s'est\npass\u00e9 il y a fort longtemps. Jane est \u00e0 pr\u00e9sent une grande\npersonne ordinaire, m\u00e8re d'une fillette nomm\u00e9e Margaret. Et\nchaque fois que revient l'\u00e9poque du nettoyage de printemps,\nPeter (sauf les ann\u00e9es o\u00f9 il oublie) vient chercher Margaret et\nl'emm\u00e8ne au pays de l'Imaginaire, o\u00f9 elle lui raconte des\nhistoires dont il est le h\u00e9ros et qu'il \u00e9coute passionn\u00e9ment.\nQuand Margaret grandira, elle aura une fille, destin\u00e9e \u00e0 \u00eatre \u00e0\nson tour la m\u00e8re de P eter ; et les choses continueront ainsi,\naussi longtemps que les enfants seront joyeux, innocents et\nsans coeur ."}